← Retour

Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains

16px
100%

XIV
JE PENSE, DONC JE SUIS

Les maximes, jeu de salon en vogue chez les précieuses, devinrent chose littéraire grâce à l'esprit systématique et à la forte précision de La Rochefoucauld. Pascal ne s'amusa point à de telles frivolités, mais la mort fit des ruines avec ce qui n'était pas encore construit, et du temple qu'il ne put bâtir, il reste de merveilleuses colonnes: on ne les dresse pas aussi solides quand on sait d'avance qu'elles n'auront rien à supporter, et les Pensées sont puissantes parce qu'elles étaient destinées à soutenir le poids du plus vaste des livres. La Bruyère, entre deux portraits vigoureux, laisse tomber une pensée banale dans une expression amusante. Vauvenargues, qui mourut jeune, employa ce moyen jeune et bégayant pour exprimer son âme noble et délicate. Rivarol et Chamfort, esprits amuseurs, laissèrent des mots qui sont pour la sottise des salons ce que sont pour la sottise du peuple les plaisanteries d'almanach et les calembours. Joubert occupa ses loisirs de malade à ouvrer finement de frêles pensées: il serait injuste d'exiger d'un valétudinaire l'effort d'une œuvre, et on peut admirer l'ingéniosité de son jeu de patience.


La comtesse Diane joue avec grâce le noble jeu archaïque. Sully-Prudhomme la présente en une préface charmante, un peu longue seulement et ennuyeuse. Il s'aperçoit vers la fin que ses éloges manquent de hardiesse: «Je n'ai guère fait jusqu'ici que rendre grâce chez vous à l'auteur de n'avoir pas les défauts qui me déplaisent. Il serait temps enfin de le remercier des mérites positifs de son œuvre.» Mais, malgré complaisance et snobisme, l'aimable poète ne trouve plus rien à dire. Il s'en tire par un compliment au public mondain; à lui de rendre pleine justice au petit livre «par son approbation souveraine qui n'est jamais suspecte.»

Le succès n'a pas manqué au petit livre. Ému par l'«approbation souveraine qui n'est jamais suspecte», j'ai lu en prenant des notes et en essayant de dégager les idées générales de Mme de Beausacq, comtesse au joli nom de vaudeville. J'ai réussi le plus souvent à savoir ce qu'elle pensait au moment où elle écrivait telle ligne; j'ignore, autant qu'elle-même, ce qu'elle pense: les Maximes de la Vie se contredisent comme de vulgaires proverbes.

Je trouve, page 12, cette définition souriante «L'oubli est le pardon involontaire.» Mais la page 5 affirme: «Qui oublie a pardonné, qui pardonne va tâcher d'oublier.» Ainsi «le pardon involontaire serait un effort qui succéderait au pardon! Comprenez-vous ce que vous dites, comtesse? Moi je crois comprendre ceci: un jour, vous vous êtes amusée d'une subtilité; le lendemain, vous vous êtes réjouie d'une antithèse: jamais vous n'avez pensé.—Son opinion sur l'avarice n'est pas moins hésitante que son sentiment sur l'oubli. Tantôt elle affirme, admirative: «Le but de l'avare n'est pas d'amasser de l'or: c'est de mettre en réserve de la puissance.» Tantôt elle dénigre: «L'avare se prive de tout, de peur d'être privé un jour de quelque chose».

Je n'insiste pas. Mme de Beausacq, comtesse au joli nom de vaudeville, me trouverait naïf si je persistais à la prendre au sérieux. Elle joue vaniteusement. Elle ne veut pas nous forcer à réfléchir. Elle tient à montrer son adresse: elle ramasse les sottises dites chez elle, puis elle les condense, les renferme en des formules jolies et fragiles, et elle jongle avec sans trop en casser. Encore que ses exercices soient un peu bien connus et faciles, il y aurait cruauté à lui refuser le «petit bravo» qu'on accorde à tous les amateurs.

J'applaudis tout le temps, en dissimulant parfois un bâillement. J'applaudis les innombrables couples de définitions: «La constance demeure, la persévérance tient à avancer.» Je souris poliment, pendant qu'on m'explique une fois de plus la distance qui sépare la sincérité de la franchise, l'affection de la tendresse, la solitude de l'isolement, l'impertinence de l'insolence, la discrétion de la délicatesse; et je me sens tout aise d'apprendre qu'entre convaincre et persuader il y a une nuance. Je remercie, très touché: «Vous êtes vraiment trop bonne, comtesse, de prendre ainsi toute la peine pour vous et de me dispenser de consulter moi-même un dictionnaire des synonymes.»

Quelquefois, pour varier, on joue à la profondeur; mais on a plus de concision que de précision, et la plaisanterie semble vraiment trop simple qui consiste à prendre un mot dans deux sens que rien ne détermine et à nous lancer à la tête des phrases telles: «La galanterie est l'amour... sans amour.»

Un mathématicien de mes amis admirait:

—Voyez comme le vide de la galanterie est bien exprimé! Je pose:

galanterie = amour - amour.

et je n'ai aucune peine à résoudre l'équation:

galanterie = 0.

Il ajoutait, enthousiaste:

—Et que d'applications fécondes de cette géniale formule! Je puis dire aussi: «La politesse est la bonté sans bonté», ou «l'hypocrisie est la vertu sans vertu», ou «l'apparence est la réalité sans réalité», ou...

Je l'interrompis, un peu agacé:

—Ou: «La préciosité est l'esprit sans esprit.»

Il s'effara un instant; puis il affirma très grave:

—Pascal distingue l'esprit géométrique de l'esprit de finesse. Il a raison: les définitions géométriques sont génératrices; les définitions fines sont annihilatrices. Mme de Beausacq abonde en définitions fines.

Je n'ai jamais su si mon ami le mathématicien se moquait de Mme de Beausacq, comtesse au joli nom de vaudeville, ou s'il se foutait de moi.


Maria Star est un peu moins banale que la comtesse Diane. Son petit livre, Autour du Cœur, contient deux sortes de pensées: des pensées longues (5 à 12 lignes) et des pensées courtes. Les pensées longues sont du vide dans des phrases lentes et vagues et flasques. Parmi les pensées courtes, quelques-unes ont une vivacité spirituelle et valent par la nouveauté malicieuse, non point certes de l'idée,—seuls les perroquets aujourd'hui disent des «pensées»,—mais de l'expression rapidement cinglante. Quand Maria Star s'occupe de la vanité du «monde», on a parfois le plaisir d'entendre comme un sifflement de cravache. Par malheur, cette mondaine qui médit même du «monde» n'a que de l'esprit et, dès qu'elle touche aux choses du cœur, comme l'esprit ne suffit plus, tout devient incertain, hésitant ou franchement faux. Souvent même on est choqué par ce qu'il y a de viril et de donjuanesque dans ces pensées signées d'un nom de femme. «Dans le royaume de l'amour, la mendicité est interdite. Ne demandez rien, prenez tout.» Cela est encore féminin, si l'on veut, puisque raccrocheur. Mais ceci: «La conquête est meilleure que la possession.» Cette fois, visiblement, Maria Star répète une sottise et une sottise d'homme. Peut-être le bel et bête Hugues Le Roux, qui signe la préface de ce «bréviaire délicat (oh! oh!) de sagesse féminine (ah! ah! ah!) et mondaine (hélas!)» s'est-il souvenu de son vieux métier de secrétaire et a-t-il raboté pour la patronne quelques-unes de ces platitudes. Mais,—ne l'oublions pas,—c'est surtout quand une femme met bas un livre que la recherche de la paternité est interdite, et il est indiscret de sourire en nommant les parrains.


Clémence Royer est un esprit grave et même lourd qui, certes, ne songerait jamais à jongler avec des maximes. Elle passe pour le plus vaste des actuels cerveaux féminins; de bons juges estiment sa puissance généralisatrice et sa force logique, et Renan la déclara «presque un homme de génie». Malgré le «presque» et le sourire de Renan, l'éloge reste un peu gros. Mme Clémence Royer, écrivain pénible, a un vrai talent philosophique, mais un talent de disciple. Elle emprunte à Darwin ses principes et elle vaut surtout par la dialectique nette, vigoureuse, ingénieuse parfois dans sa lourdeur, qui lui permet de tirer d'intéressantes conclusions de détail et d'indiquer quelques applications inaperçues des vérités ou des erreurs évolutionnistes. Elle a aussi un intéressant instinct mathématique et architectonique. En face d'un événement de l'histoire, elle se demande souvent ce qui serait advenu de tout un peuple, cet événement supprimé. De telles rêveries semblent au départ capricieuses et féminines. Mais bientôt la puissance lourde des reconstructions exprime un esprit géométrique qui s'amuse à bâtir sur des hypothèses branlantes des équilibres d'univers. J'ai plaisir à voir avec quelle conviction elle remplit de mortier ses châteaux de cartes. Malgré l'inélégance du geste et la maladresse de la phrase, on est intéressé parce qu'on se sent en présence d'un cerveau qui travaille.

Il y a bien longtemps que l'Université de Lausanne partagea le prix d'économie politique entre elle et Proudhon, et depuis elle ne s'est jamais désintéressée de la sociologie. La Fronde lui est aujourd'hui une tribune commode, et elle y expose copieusement ses idées sociales. Ici encore, elle est un génie constructeur, abominablement latin, organisateur et tyrannique. Elle ne se trouve pas assez gouvernée: elle exige un quatrième pouvoir, «le pouvoir enseignant.» Elle s'irrite de l'originalité de pensée, attaque celui «qui n'en veut croire que son logos, son démon intime». Il lui faut un enseignement d'Etat seul et tout-puissant, une orthodoxie scientifique. Elle exige qu'on impose à l'enfant «la vérité actuellement connue des faits historiques ou naturels».

Je regrette pour elle qu'elle se soit laissée entraîner à la politique quotidienne et que sa pensée, sous le vent des partis, tourne, girouette lourde et grinçante. Un exemple de ces naïves palinodies. Le 5 mai 1898, en un article intitulé: le Colin-Maillard électoral, elle proclame très nette: «Si j'étais électeur, j'exigerais de mon candidat qu'il se déclare anticlérical, antimilitariste, antiprotectionniste, c'est-à-dire antiméliniste, mais je lui demanderais en outre d'être antirevisionniste et même antiradical, si le radicalisme consiste aujourd'hui à être inopportunément opportuniste et à se mettre un masque sur la figure pour mieux séduire les gens».

Mais, le 6 juillet de la même année, elle applaudit Brisson qui, pour être ministre, vient d'abandonner tout son programme, et elle s'écrie: «Pour le moment, le devoir des patriotes, c'est d'être des républicains de gouvernement».

Revenez, esprit sérieux, lourd et naïf, à la noblesse d'études moins actuelles.


Paul Redonnel, hautain poète et métaphysicien dans les Chansons éternelles, est parfois un critique bien irrespectueux. N'a-t-il pas surnommé une de nos plus éminentes penseuses, Mme Clémence Badère,—Démence Baderne? Pourtant je connais peu d'œuvres aussi puissamment originales que la Vérité sur le Christ. La préface nous informe que l'auteur est une ignorante de génie et qu'il n'est pas nécessaire d'étudier pour connaître les vérités historiques. «L'homme de génie proprement dit n'a pas toujours besoin de livres pour s'aider;—quant à moi, je serai brave comme Jeanne d'Arc que Dieu seul inspira». D'ailleurs, elle n'est pas absolument sans lecture, elle a parcouru «quelques passages d'un livre de M. Darwin».

Voici deux ou trois vérités scientifiques «que Dieu seul inspira». D'abord une explication nouvelle des fossiles:

«Ces pierres n'étaient-elles pas des ébauches d'animaux ou de créatures humaines, que le soleil n'aurait pu réchauffer, se trouvant, par une cause quelconque, à l'abri de ses rayons et qui, par cette même cause, auraient échappé à l'Intelligence suprême qui n'aurait pu les animer, les vivifier, et seraient, à la longue, par l'effet du sol battu par les pluies, rentrées dans la terre et se seraient pétrifiées avant d'avoir la forme parfaite.»

Quittons les ténèbres de la préhistoire:

«Les Gaulois, qui vivaient depuis des siècles dans des sentiments de fraternité, malgré qu'ils connussent l'amour sexuel, furent envahis par les Francs».

Sur Jésus, une grande révélation: il n'était pas le fils, il était l'époux de la Vierge Marie.

Mais le livre a surtout un but moral. Il enseigne la chasteté:

«Nous ne devons pas engendrer; c'est, selon moi, une erreur qui s'est transmise de génération en génération».

Et, deux pages plus loin, la démonstration faite, l'auteur triomphe:

«Je le répète, c'est une erreur qui s'est transmise de génération en génération, et qui, à la longue, est devenue une habitude, et ensuite, d'âge en âge, de siècle en siècle, est passée par le contact de la civilisation, qui l'a admise à l'état de besoin.»

Pauvres hommes! combien ils sont à plaindre de leur erreur-habitude-besoin! Figurez-vous que «cette action, en leur faisant un autre sang, a changé leur caractère».

Ce malthusianisme si originalement radical est le centre de la philosophie de Clémence Badère. Le lecteur me dispensera d'exposer le reste, d'indiquer comment elle puérilise la vieille doctrine de l'hylozoïsme, comment elle mêle et embrouille le dogme de la chute et le système de l'évolution. J'aime mieux citer quelques lignes d'un noble féminisme.

Écoutez cette plainte poignante:

«Quand, par exemple, une femme veut parvenir en littérature, il lui faut une protection, et son protecteur, très souvent, lui impose certaines conditions; et il en est parfois qui ont la déloyauté de ne pas se rendre après.»

Fi! les vilains poseurs de lapins...

Encore une citation, pour achever la confusion de Paul Redonnel et de ses habitudes «d'insolence littéraire». Voici un souhait d'une noblesse bien touchante, et qu'applaudira plus d'une demi-mondaine surmenée:

«Si l'homme, au lieu d'entraîner à sa perte la femme qui s'éprend de lui, la respectait en s'en tenant avec elle à un amour platonique, qui est généralement le mieux goûté;

«Si, par reconnaissance de cet amour qu'elle éprouve pour lui, il lui donnait la même somme ou le même bien-être qu'il lui eût donné si elle lui eût accordé toutes ses faveurs;

«Ne serait-ce pas plus sage et plus généreux de sa part, que de lui faire commettre un acte qu'elle ignore, et qu'elle ignorerait peut-être toujours si on ne le lui montrait pas?»

Liane de Pougy, l'insaisissable, est-elle du même avis: plus de michés, rien que des poires?


Mme Eulalie-Hortense Jousselin est l'auteur d'un livre intitulé les Planètes rocheuses, les Erreurs de la Vie, œuvre écrite «à l'académie des larmes» et pleine de «découvertes» qui «ont été très discutées», car «beaucoup de personnes n'ont pas compris que c'est une bible». Il paraît que son «génie» de «prophète» a attiré à Mme Jousselin de terribles persécutions: elle se plaint particulièrement qu'on ait publié plusieurs de ses idées dans des livres signés Fontenelle et qu'on ait souillé le nom du «neveu du grand Corneille... dans l'espérance d'anéantir» le nom de Mme Jousselin «si connu, et sa réputation si universelle».

Je n'aurai pas l'outrecuidance de juger «une bible». En face de Mme Jousselin, comme en face d'une montagne ou de tout autre spectacle colossal, mon admiration reste muette. Devant ces puissances énormes on n'a plus qu'un devoir descriptif, et on tremble en essayant de les faire connaître à qui ne les a point vues. Heureusement Mme Jousselin a eu la condescendance de résumer elle-même son livre et de dire en quelques lignes vigoureuses ce qu'on en doit penser. Je n'ai donc qu'à copier, respectueusement, en un frisson religieux:

«Ce livre est divisé en cinq grands chapitres:

«Dans le premier: l'Enfer au milieu des Fleurs, l'enfant qui vient de naître est comparé au vieillard et il est parlé du laboureur... Dans le second: Erreurs humaines, le Christ est surnommé Enri-errant, etc. Dans le troisième: la Prison pour tous, l'univers est comparé à une cellule, l'auteur découvre le Purgatoire et l'Enfer, et fait voir que le sang ne parle pas, etc. Dans le quatrième: les Ames, l'auteur parle de l'aveugle de naissance et démontre ce mystère; il découvre deux âmes célestes et deux âmes matérielles; explique pourquoi nous rêvons pendant notre sommeil: ce passage est suprême. Dans le dernier chapitre: Outre terre, l'auteur découvre des lois sur la nature; fait parler les éléments terrestres d'une manière la plus dramatique, et enfin nous montre les Planètes rocheuses, et ses habitants, dans un tableau si radieux qu'on s'y voit transporté.

«Enfin, cette merveille est un trait de lumière, une œuvre de découvertes et de maximes qui laissera l'auteur chef de religion.

«Il est évident que Mme Jousselin la reine de la philosophie moderne, dont l'école a bouleversé tant de cerveaux, a montré dans ses Planètes rocheuses, les Erreurs de la Vie, pour ne pas dire plus, autant d'imagination qu'Homère, Michel-Ange, Géricault, Cuvier, Linné, Geoffroy Saint-Hilaire et Newton».


Le roman, genre souple et séduisant, est le mode d'exposition préféré par quelques penseuses.

Esther de Suze a publié Cœur brisé, longue nouvelle d'un romantisme désolé. J'aime la première partie: une petite fille découvre lentement les tristesses de la vie et les exprime par de gracieux bégaiements ou par des gestes mélancoliques d'une beauté frêle. Malheureusement la petite fille grandit, et son «immortel ennui» entre dans une formule trop connue. Esther de Suze a d'autres torts. Elle délaie en roman le sujet d'une ode ou d'une «méditation», et elle n'hésite devant aucun procédé pour grossir le petit livre: quand elle ne trouve pas d'autre moyen de répéter les lieux-communs pessimistes, elle fait lire l'Ecclésiaste à son héroïne et copie pour notre usage quinze versets aggravés de commentaires rabâcheurs.—L'écriture est d'une débutante qui veut tout le temps être admirable et qui souvent bavarde, sans plus savoir ce qu'elle dit, zigzague en une griserie verbale. Il faut l'excuser, à ces moments-là, avec une de ses belles phrases, et répéter: «Un vertige lui était venu des lointains inconsciemment en fermentation de son âme d'intellectuelle».


J'ai lu de la baronne Madeleine Deslandes (Ossitt) deux volumes: A quoi bon? et Ilse. C'est, chaque fois, l'histoire d'une femme qui aime profondément et pour toujours, d'un homme qui aime à demi et pour peu de temps. Les deux héroïnes meurent de la cruauté inconsciente des deux mâles. Eux restent pour tirer les conclusions et déplorer dans: A quoi bon? «le trop tard inexorable et fatal de toute existence», dans Ilse «comme tout est inutile.»

Ces deux éditions de la même histoire schaupenhauerienne sont de valeur très inégale. A quoi bon? est une banalité prétentieuse. Ilse est arrangée en légende gentiment puérile, écrit avec une naïveté précieuse, qui a par endroits je ne sais quelle grâce maniérée. J'aimerais assez ce dernier livre si un épilogue de vie triviale ne venait écraser la joliesse fleurie,—fleur de papier, certes, sans parfum, mais adroitement chiffonnée,—du conte idyllique.


Mme Julia Bécour a publié sous son nom des contes enfantins d'une imagination souvent bizarre, parfois amusante. Sous le pseudonyme de Paul Grendel, elle a donné d'ennuyeux romans à thèse, mal construits, où s'élèvent entre personnages secondaires d'interminables discussions sans nul rapport avec l'affabulation banale. Tâchons, du moins, d'en retirer quelque enseignement nouveau et sachons désormais que les jésuites sont fourbes, que les matérialistes sont grossiers et que le spiritisme est la vérité. Paul Grendel nous apprend encore qu'une jeune fille a tort de prendre un amant et qu'un mari ne saurait tromper sa femme sans être «un misérable.»


Les premières pages que j'ai lues de J. de Tallenay me furent une joie noble et inquiète. Sa pensée me semblait platonicienne hardiment; son écriture, vivante d'une vie qui s'élance et qui retombe, qui tâtonne dans le mystère, toute secouée par des terreurs et des espoirs. En des sujets analogues à ceux qu'aime Gilbert-Augustin Thierry, je la trouvais bien supérieure à ce marchand d'au-delà bourgeois pour lecteurs de la Revue des Deux-Mondes. Mais des lenteurs de la phrase, des longueurs de l'alinéa, du balin-balan endormi du chapitre, et de la répétition des mêmes effets, et du rabâchage des mêmes idées, et du recommencement des mêmes scènes, une brume d'ennui s'éleva qui, peu à peu, noya pour mes regards tous les mérites harmonieux. Je m'irritais de rencontrer pour la dixième fois le même dialogue piétinant et de voir admirables aspirations et merveilleux pressentiments devenir, hélas! des bavardages.


Je ne suis ni occultiste ni aliéniste, et je ne me sens pas la compétence de juger les livres de Mme Lucie Grange, qui parfois signe Hab, parce qu'elle est aussi le médium Habimélah. La voyante du boulevard Montmorency publie des communications d'Hermès Trismégiste lui-même. C'est bien assez d'irriter tous les bas-bleus, sans m'attirer encore la colère d'une aile-bleue. Je préfère m'incliner respectueusement, lâche devant le mystère. Mon intelligence alourdie de chair n'aura pas la présomption de critiquer ce grand désincarné, et je tremble religieusement devant un livre écrit avec une plume d'esprit. Écoutez. C'est Habimélah qui parle:

«De ses immenses ailes qui couvraient son corps, ramenées en avant comme une sorte de voile pudique (oh! oh! messieurs les esprits auraient-ils aussi des «parties honteuses» et exactement les mêmes préjugés que nous?), il tira une des plus belles plumes et il m'en fit présent. Je le remerciai et le questionnai.

«Il ne répondit que par un doux sourire, me faisant remarquer qu'elle était taillée comme une plume à écrire.»

Ailleurs Hermès lui-même rappelle l'événement:

«L'esprit mystérieux a pris et taillé une plume de ses ailes bleues, et la lui a donnée pour écrire.»

Certes ma plume de fer n'est pas sans courage. Pourtant elle n'ose s'attaquer à cette plume d'oie taillée par un «archange».

Chargement de la publicité...