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Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains

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XV
AU HASARD DE LA MASSUE

Eh bien! non, je ne les massacrerai pas toutes. Elles sont trop, et je me sens périr d'ennui à lire tant de livres vides. Dans le tas énorme qui me menace encore, je vais prendre de-ci, de-là, au hasard. Tant pis ou tant mieux pour qui m'échappera.

Un lot de grandes dames pour commencer.

La comtesse Stéphanie Tascher de la Pagerie a conté son Séjour aux Tuileries en trois volumes. Cette cousine des Napoléons était bien placée pour connaître les secrets. Mais une fidélité respectable l'a empêchée de dire les choses intéressantes. Elle est vague, banale et apologétique. Elle se manifeste, d'ailleurs, niaise, peu capable de deviner ou même de voir. Les événements postérieurs soulignent cruellement plusieurs des niaiseries qu'elle écrit au jour le jour. En 1867, Mme de la Pagerie est dans l'enthousiasme: le roi de Prusse est venu la voir et, après des compliments personnels, il a dit avec émotion toute sa sympathie pour Napoléon et Eugénie, qui «salue comme personne!» Quand «l'année 1869 a remplacé l'année 1868», la comtesse signale la mort du maréchal Niel, ministre de la Guerre, chargé de réorganiser l'armée. Enthousiaste comme elle l'est toujours devant un personnage officiel, elle s'écrie: «On peut dire que la mort l'a frappé au moment où les plus grandes difficultés étaient surmontées.» On sait assez généralement, en effet, que le général Lebœuf, «appelé à continuer son œuvre,» n'eut plus qu'à coudre quelques boutons de guêtre.


Exilée dans sa jeunesse, plus tard femme d'un ministre italien qui fut un homme d'état remarquable, adulée des uns, calomniée par d'autres, parfois persécutée, toujours reine d'une petite cour dont la composition variable fut souvent peu flatteuse, Mme de Rute a pu beaucoup voir et beaucoup observer. Elle est d'ailleurs une infatigable voyageuse. Et partout elle porte une curiosité sympathique, trop facilement éblouie: elle eut dès les premiers jours une indulgence facile et lasse de vieillard qui comprend tout; elle n'a pas encore perdu la jeune faculté de l'enthousiasme. Je ne sais quel flatteur l'a définie: «la bonté armée.» Hélas! les pauvres armes, combien courtoises et émoussées.

D'après ses livres, la bonté est bien sa caractéristique, mais une bonté un peu banale, amalgame de curiosité toujours insatisfaite et de faiblesse. Parfois elle veut montrer ses griffes: alors on s'aperçoit qu'elle n'en a point. Elle écrit sur le Portugal, un livre qui s'applique à être sévère et spirituel, qui reste naïf et aimable. Ses tentatives d'épigrammes tournent en madrigaux et, si elle essaie un madrigal, c'est un dithyrambe qui lui échappe. Où le plus indulgent s'indignerait, elle s'efforce de sourire en personne qui n'est pas dupe tout à fait; elle admire quand nous souririons. Antonio Ennès, minuscule imitateur de tous nos romantiques, lui apparaît un grand génie original, et elle vante Un Divorce, gros mélo quelconque, comme un rare chef-d'œuvre. Malheureusement pour Ennèss, l'enthousiasme de Mme de Rute est indiscret: non contente de louer, elle traduit, nous permettant ainsi de juger la pauvreté des inventions qu'elle admire. Elle fut plus heureuse le jour où elle s'éprit d'Etchegaray et de son Grand Galeotto.

Plus que dans ses traductions, ses récits de voyage et son théâtre (quoique l'Aventurière des Colonies vaille bien Un Divorce), elle est intéressante dans son recueil de nouvelles, Énigme sans clef. Certes, on y trouve çà et là des réflexions bavardes et ennuyeuses. Mais ces petites inventions révèlent un esprit aimable et indulgent, une sensibilité frémissante. Le premier récit, surtout, exprime toute la douceur faible de cette nature souriante, et son besoin d'attachement, et sa facilité à juger les pires gredins sur leurs rares spontanéités nobles, et son naïf et touchant instinct de se confier toujours même après qu'on l'a dupée. D'autres narrations sont de matière frêle et insuffisante, d'arrangement trop ingénieux. Parfois aussi l'émotion est produite par des moyens connus, et nous sourions en songeant à Maupassant. Mais deux ou trois figures se dressent d'une beauté simple et originale et la Parricide à elle seule, me paraît valoir,—excusez, madame, mon peu d'estime pour une de vos grandes admirations—tout ce que je connais d'Antonio Ennès.


La duchesse d'Uzès, chauffeuse, fabricante de statues et de prétendants, a essayé deux fois du sport littéraire. Elle n'y a pas trop mal réussi. Son premier livre, Pauvre Petite! nous est présenté comme un manuscrit du XVIIIe siècle. Le pastiche est adroit, le ton dégagé, la phrase alerte. Mais Mme d'Uzès est la plus moderne des grandes dames: grande dame par la syntaxe, jolie et souriante et poudrée, moderne par le vocabulaire. Il lui arrive d'oublier le jeu auquel elle nous a conviés et de copier dans le vieux manuscrit étonné le mot «névrose».—Julien Masly est un roman psychologique dont le début m'intéressa. L'auteur a voulu étudier un caractère de plébéien malheureux, farouche, «isolé dans son indépendance rageuse», quelque chose comme un Jean-Jacques moins le génie. Elle lui a donné d'abord des gestes significatifs et, comme l'intrigue est longue à se nouer, j'ai espéré quelque temps qu'il n'y en aurait point. Hélas! il en arrive une, et dès lors les actes deviennent, de plus en plus absurdes, les très humbles serviteurs de l'action. Julien, dédaigné par la grande dame qu'il aime, finit dans la folie. Le dénoûment est gros et invraisemblable: le pauvre garçon jusque-là n'avait paru «excessif et déséquilibré» que dans le caractère, et chez lui «tous les sentiments pouvaient se succéder sans transition.» En bonne psychologie, malgré le romantisme de ses gestes, son cerveau devait rester sain. Car c'est seulement à la surface de son âme âpre que se jouaient ses passions brusques, mêlées, amours qui s'exaspèrent en haines et que font oublier bientôt d'autres amours haineuses.


Mme de Roisel signe ses livres d'un nom plébéien, François Vilars, peut-être comme on revêt un costume d'une élégance plus négligée quand on daigne travailler au jardin. Sur le bon terreau plat d'intrigues déjà ratissées par mille feuilletonistes, elle fait fleurir les corolles communes d'héroïsmes qui poussent dans trop de romans. Et de gros drames bien rouges s'étalent laids et lourds comme des pivoines. Parfois cependant sourit, telle une violette blanche, la grâce simple d'une idyllette ou rit comme une cascatelle une page de comédie un peu trop longuement bavarde.


Leur Fille, le livre de Jean de Ferrières, est triste, gris, d'une écriture souvent élégante, précise et discrète, quelquefois maigre anguleusement. L'auteur aime les séries de menues observations nuancées, mais il applique sa psychologie fine à des situations romanesques et ce vrai dans du faux donne un résultat flottant et inquiétant. Je ne parle que des personnages féminins, à demi vivants dans un air irrespirable. Les hommes sont faux, franchement, de noblesse convenue ou d'infamie, point pire, certes, que l'infamie virile, mais différente et toute féminine.


Mme Schalck de la Faverie n'est pas, non plus, sans talent; mais ici, que de pédantisme et que de romantisme! Ses livres sont des mélos effroyables, commençant,—les traîtres!—en gentillesses d'idylles et qui, pendant quatre cents pages, nous égarent dans les aventures les plus extravagantes et dans les plus folles digressions philosophico-lyriques: immenses jardins aux parterres un peu nus malgré de nombreuses fleurs noires, mais où les sentiers s'encombrent d'herbes folles, de fleurettes et de ronces. La tristesse de Mme de la Faverie n'est pas le pessimisme morne de 1880; c'est le fatalisme gesticulant de 1840. Elle aussi, elle a dû lire le mot Αναγχη (Anagchê) sur quelque tour de Notre-Dame. Ses dénoûments sont à triple détente: 1o les méchants tuent la moitié des bons; 2o la justice prend les bons qui restent pour les assassins et les supprime; 3o les méchants sont punis par quelque «hasard fortuit» et pourtant providentiel.

Parmi les personnages qui reviennent le plus souvent dans ces récits d'une imagination bizarre et amusante, je signalerai «la femme pieuvre.»

Regardez et frémissez:

«Victor Hugo a vu et nous a décrit l'animal.—Nous avons connu la femme et nous essaierons de la dépeindre...

«... L'appétit de la bête diffère de l'œuvre de la femme en cela que la bête tue pour avoir une nourriture, et que la femme dont nous parlons veut quelque chose de plus: l'homme qu'elle tient ne sera pas une pâture seulement, mais une parure. Cette pieuvre est aussi un parasite; elle ne pique pas toujours en enlaçant; elle rampe, glisse, s'identifie d'abord sans blesser.

«Quand vous vous apercevez qu'elle vous gêne, vous étreint, vous étouffe, il est déjà trop tard! La liane vivante a pris racine dans votre écorce, ses branches se nourrissent de votre jeune ardeur; toutes vos fleurs ne servent plus qu'à l'orner elle-même, tandis que vous vous fanez dans cette absorption lente, qui tient à la fois de la caresse et de l'engourdissement.

«La nature l'a pourvue de tous les appareils nécessaires à ses instincts, à ses plans, à ses besoins.

«... La pieuvre de Victor Hugo dévore un homme; la nôtre se plaît à bercer, magnétiser et engourdir mollement ses victimes.

«Quand la proie se réveille et fait mine de vouloir fuir, les deux bras charnus se soulèvent; les fossettes se creusent plus profondes; les petites mains se réunissent et vous enserrent plus solidement que ne le ferait une chaîne de galérien; la bouche de la pieuvre adhère à votre bouche: l'homme est perdu!...»

J'arrête à regret la citation, car j'avoue que cette sottise verveuse m'amuse. Je dois pourtant avertir les jeunes gens: les dégâts de la femme pieuvre sont particulièrement terribles quand c'est «à l'entrée de la vie, sous le portique du temple où le convoquait le destin» que le pauvre bougre «a rencontré cette créature apocalyptique, à la tête de chérubin qui souffle de la trompette, aux griffes de dragon qui déchire les anges.»

Outre de nombreux romans, Mme Schalck de la Faverie a publié un poème, Coupables ou Victimes? sorte de Jocelyn mélodramatique où j'ai surtout admiré des épigraphes en langues fort diverses: français, latin, italien, allemand, anglais et même droit. Des vers grandiloquents sont précédés de ces lignes: «La séparation de corps ne rompt point le lien du mariage, elle ne fait que le relâcher. MOURLON.»


Noël Bazan écrit des romans pour le Petit Journal, le Semeur ou le Républicain de l'Est. Mais elle est fière surtout de ses deux recueils de vers. Elle donne «aux autres femmes ces morceaux de son cœur, ces gouttes de son sang... Aux autres femmes... à tous, à l'humanité. Tant de lèvres lui ont menti, que cela adoucira peut-être sa souffrance, de pouvoir se reposer sur un cœur vrai.» Elle s'écrie encore: «J'ouvre aux yeux de tous ce Livre d'une femme, que plusieurs d'entre elles ont pensé, qu'une seule a eu le fier courage d'écrire, et je sais que beaucoup m'en remercieront.»

Je la remercierais, certes, d'un esprit ému, si elle tenait la moitié de ces promesses.

Mais l'amour qu'elle chante sur son mirliton est de ces sentiments de surface dont il est difficile de juger s'ils ont été vaguement sentis ou décrits seulement:

Ami, te dire que je t'aime,

C'est, je crois, ne t'apprendre rien;

Mais il est, et tu le sais bien,

Des mots qui sont tout un poème.

Et huit vers,—qui ne sont même point destinés à être mis en musique,—disent à l'ami: «Je t'aime le soir»; huit vers lui affirment: «Je t'aime la nuit»; huit vers lui répètent: «Je t'aime le matin.» Nous voilà instruits de beaux et profonds secrets sur l'amour féminin.

Noël Bazan, comme beaucoup de poètes insincères, abonde en souvenirs livresques. Quelquefois elle ronsardise gauchement

Au courant de cette vesprée,

Loin du bois qui le vit s'ouvrir,

Le muguet blanc vient de fleurir

Parmi la peluche empourprée.

Ou bien, écrasant d'une lourde incohérence le refrain de Villon, elle se demande:

A quoi bon rebâtir sur les neiges d'antan?

Quand cette vantarde de sincérité ne mirlitonne pas ou ne se rappelle pas son cours de littérature, elle se montre abominablement précieuse. Tantôt elle fait l'homme et se souvient de la bien-aimée:

... J'allais lui tendant le rire des corolles

Pour qu'elle le cachât sous l'aile du baiser.

Tantôt elle morigène un amoureux: «Voyons, mon ami, l'aimes-tu vraiment? Supposons qu'elle enlaidisse,

Et que cet être exquis n'ait plus la même écorce,

Avec le même feu, l'aimeras-tu demain?»

Je trouve cependant chez elle un sentiment sincère: l'admiration éperdue pour le cabotin. Jules Truffier, tu es «Apollon» lui-même, et il suffit de te voir, «quand tu t'emballes», pour ne plus soutenir «qu'Eros est devenu vieux». Sois jaloux pourtant de Mounet-Sully: il fait délirer davantage Mme Bazan. Elle lui offre un éventail brisé à l'applaudir,

Ainsi qu'autrefois l'on offrait

A Jésus l'encens et la myrrhe.

Elle clame au Bambino imprévu:

Le génie est un âpre et merveilleux breuvage...

Tu t'en désaltéras jusques à perdre haleine.

Et elle nous informe, très sérieuse, que Shakespeare «allait tout détruire» de «son œuvre de granit», quand une vision (heureusement!) vint lui promettre ce Messie, Mounet-Sully.


Ce que ce pauvre Ledrain doit être abruti par la continuelle lecture des manuscrits! Il nous garantit que nous trouverons dans Fleurs des brumes non seulement «ce qu'il peut y avoir de délicate tristesse dans l'âme féminine», mais encore «les ingénieux motifs et l'art de bien dire». Il affirme aussi, préfacier libéral, que «par son tempérament et par son genre de talent», Jane Guy appartient «à la race de Mlle de Lespinasse». J'ouvre au hasard, très alléché, et je lis:

M'abusant peut-être j'ai pris

Pour rêverie intérieure

Ce qui n'était qu'hébètement.

Pas très poétique. Je suis mal tombé. Tournons des pages... Je rencontre ce final:

Viens chaque soir,

O bel œil noir,

A mes yeux bleus

Ouvrir les cieux!

Ledrain est pourtant un homme sérieux, et que la fréquentation des prophètes juifs a dû rendre difficile en poésie. Je lis tout, curieusement, âprement, cherchant ce qui a bien pu l'enthousiasmer. Je trouve d'autres platitudes presque amoureuses; je trouve des moralités à la Mme Deshoulières sur les oiseaux, les fruits, les orages, les cerfs-volants. J'arrive enfin à cette conclusion:

C'était un monstre, un être infâme,

Et c'était un ange du ciel;

C'était de l'absinthe et du miel;

En un mot, c'était une femme.

Veinard de Ledrain, va! Pour aimer tant le bouquin, il n'a dû lire que le titre, qui est gentil.


J'ai encore là devant moi une cinquantaine de volumes lus et un gros tas de notes laborieuses. Le courage me manque d'utiliser tout cela; et je cherche des prétextes pour écarter ces dernières gouttes de lie.

Je néglige d'abord les amazones qui, depuis que je les ai dépassées, m'ont lancé par derrière d'autres livres à la tête. Voici deux mois que je n'ai parlé de Gyp et de Marie-Anne de Bovet, et vous pensez bien que je suis en retard d'au moins deux volumes avec chacune de ces faciles rabâcheuses. Il est vrai que les bavardages réunis sous des titres inédits, je les avais déjà entendus. Vous parlez beaucoup, madame et mademoiselle, mais vous vous répétez toujours, infatigables perroquets de vous-mêmes. Arvède Barine a donné sur quelques Névrosés des études ni plus ni moins intéressantes que ses travaux antérieurs. Henry Gréville a publié, je crois, cinq romans depuis six mois que je me suis débarrassé d'Henry Gréville: je refuse de les lire. Rachilde a déshonoré une fois de plus un beau talent à bâtir un château de cartes transparentes. Et j'ai sous la main le Sang, nouveau recueil de phrases de Barbey d'Aurevilly et de Guy de Maupassant, mises en désordre, rendues incorrectes et salies par les soins de Jane de la Vaudère. Combien d'autres, que je ne nommerai même pas, ont recommencé à manifester une ineptie déjà trop connue!


Mais voici deux livres qui mériteraient de longs éloges. Journées de Femme m'a donné les joies exquises qu'on attend de toute œuvre de Mme Alphonse Daudet. Follement et Toujours m'a fait connaître une face inédite du talent de Max Lyan. Ce troisième roman est fort différent des premiers du même auteur. Je n'y retrouve ni la composition d'un charme inquiet de la Fée des Chimères, ni la simplicité directe et franche de Cœur d'Enfant. Ici nous sommes dans un labyrinthe anglais, qui m'irriterait un peu, si les phrases éloquentes du guide et l'histoire passionnée qu'il raconte laissaient le temps de remarquer l'artifice de l'architecture. Et ce livre n'a pas la vérité humble, tendre, douloureuse, qui nous émut dans Cœur d'Enfant, ni la jolie ironie délicatement triste qui fait sourire la Fée des Chimères. Cette fois, des sentiments violents, presque fous, soulèvent des gestes amples chez des êtres puissamment harmonieux; et les détails, parfois réels, mais un peu soulignés, sont disposés habilement, pour un effet. Par la noblesse emphatique de certaines attitudes, par le lyrisme large et pourtant gracieux de certains mouvements, ce livre, d'une fougue adroite et rythmée, m'a fait songer à tels tableaux de l'école bolonaise. Et, si je préfère, pour ma part, le dessin plus spontané des œuvres précédentes, je suis heureux pourtant de découvrir une note nouvelle en la vaste harmonie du talent de Max Lyan,—un des moins connus et le plus beau peut-être des talents féminins d'aujourd'hui.


Après cette dernière joie, je passe indifférent, sans vouloir les remarquer, devant beaucoup de bas-bleus qui mériteraient pourtant un coup de massue.

Non, je ne massacrerai pas sœur Marie du Sacré-Cœur. J'éviterai le sacrilège de toucher à une nonne, et j'épargnerai une vieille femme vénérable. Celle-ci a cent ans accomplis, est le doyen de la Société des Gens de Lettres. Qu'elle continue donc à mendier pour bâtir son école normale de religieuses. Je l'abandonne aux foudres de Monseigneur Turinaz.


Impunément aussi, Jeanne Amen, peintre de fleurs et directrice d'un cours de peinture, m'aura, parmi des conseils techniques probablement utiles, conté tant d'anecdotes indifférentes de professeur aimable et bavard.


Au lieu de démolir le roman quelconque et les nouvelles médiocres de Jean Dornis, je recommanderai son manuel sur la Poésie italienne contemporaine. On n'y trouve pas grand effort de critique personnelle, mais, les opinions des Italiens y sont tantôt résumées, tantôt délayées. L'écriture est d'une simplicité élégante. Enfin de nombreuses et larges citations forment une anthologie utile à qui connaît l'italien. Aux autres, les traductions de Jean Dornis, intelligentes mais timides, n'apprendront pas grand'chose sur des poètes d'expression plus que de pensée.


J'ai lu avec intérêt les biographies un peu lentes et monotones de Marie Dronsart. Elle est au Correspondant, avec autant de conscience mais moins de talent et de sourire, ce que sont à la Revue des Deux Mondes Bentzon et Arvède Barine.


Qu'Antonia Bossu laisse toujours aller Au fil de l'eau ses vers lents et la banalité de ses bons sentiments sans imprévu ni profondeur: je n'essaierai pas de les arrêter.


Je ne dirai même pas à Marga que tout un volume de prose incorrecte et insipide pour délayer la Jeune Veuve de La Fontaine, c'est beaucoup. Je ne la féliciterai pas du grand effort intellectuel qui lui a permis de modifier le dénouement. Quand, la veille du second mariage, très éprise de son fiancé, l'héroïne se tue pour rester l'Inconsolée, je ne m'émeus pas de cette psychologie inepte, à la René Maizeroy: ma faculté de s'étonner commence à se fatiguer.


Je ne signalerai pas non plus les points d'exclamation de Max Dufort et les faux héroïsmes des amoureuses qui, chez elle, sacrifient leur passion à l'égoïsme paternel.


Et j'écarte Liane de Pougy, et l'Insaisissable, sous prétexte que je ne m'occupe pas des réclames. Il y a pourtant dans celle-ci une jolie page: le portrait en phototypie de l'auteur-marchandise.


J'ai cité ailleurs quelques-uns «des vers plats, invertébrés» de Camille Bruno. Depuis j'ai lu d'elle trois romans, et aussi des piécettes, et encore un drame ignoré de tous, même de mon ami Paul Peltier, le plus renseigné des critiques dramatiques. Je jette au panier les notes qui disent et prouvent longuement que la prose de Camille Bruno louée par M. Léon de Tinseau, est encore plus banale que ses vers.


Et mon geste les repousse aussi les deux volumes de Marthe Stiévenard, d'une note jolie pourtant. L'émotion y est trop souvent superficielle et la facilité banale; mais parfois un sourire me fut sympathique ou un geste me parut éloquent.


Mme Roy de Montigny, chroniqueuse pour journaux de modes, m'affirme qu'Adolphe Brisson, en refusant un de ses articles, lui écrivit: «Votre style est une dentelle.» Et, pour me la montrer, elle cherche la lettre, qu'elle ne trouve pas. Ne cherchez pas davantage, madame, je ne me permettrais pas de douter de votre parole. D'ailleurs ce que vous dites est fort vraisemblable, ne choque en rien ce que je sais d'Adolphe Brisson, monsieur très poli et très bête. Et puis,—il faut se méfier de tout le monde,—peut-être, ce jour-là, était-il malicieusement juste, et se disait-il en aparté: «Je définis la dentelle quelque chose qui est plat et plein de trous.»


Pourquoi dirais-je du mal de M. ou de Mme Gaure? Ces braves gens se sont payé un Voyage de Noces en Italie et en ont informé l'univers par un volume chacun. Monsieur signe Johan Gavre, et madame, Georges Duhamel. Ils nous apprennent, en un style aussi puissamment nouveau que leurs renseignements, que le golfe de Naples est beau, qu'une éruption du Vésuve détruisit Pompéi et qu'il y a des mendiants en Italie.


Si je n'étais si fatigué, quelles jolies et abondantes perles je détacherais des coquilles de Maurice de Souillac et de Pierre Dax. Je veux cependant signaler une des plus belles. O Edmond Rocher, ô Paul Cirou, ô tous les habiles dessinateurs, essayez de représenter les yeux qu'imagine Pierre Dax, ces yeux merveilleux qui, au besoin, savent donner l'oreille: «Deux yeux de turquoise, bordés de velours noir, allaient de l'un à l'autre des convives, caressaient, encourageaient, ponctuaient, avec cette attitude consommée qui donne l'oreille à droite ou à gauche...»


Et voici, insultant à mon découragement, un nouvel escadron d'amazones. Passent la comtesse d'Apraxin, grande dame et petit esprit; Mme Albérich-Chabrol, dont les romans sont d'un charme trop lent, trop vite endormeur; Élisa Bloch, représentant du plus inepte des salons parisiens et de la plus ridiculement vide des revues; Mme Adolphe Brisson, née Sarcey, qui, m'affirme-t-on, s'appelle parfois Sergines et utilise ses ciseaux sur du papier imprimé.

Cavalcadent Marya Chéliga, féministe; Marguerite Comert, la sully-prud'hommesque; Marie Colombier, ignoble platement. Sautille Jeanne Chauvin, pie séduite au brillant de tous les boutons de cristal. Courent devant ma fatigue Mary-James Darmesteter qui, sous prétexte d'étudier Renan, nous donna un quelconque recueil de morceaux choisis; Nelly Lieutier, auteur de l'Oiseau de proie parisien, et en qui l'Académie couronna la tante de l'académicien Loti; Berthe Mendès, qui cite souvent des paroles du Christ et, par zèle féministe sans doute, les attribue à sainte Thérèse.

Passe en chantant d'une voix cassée Mme Penquer, poète vieux jeu, qui mit en vers mal rythmés les merveilleux rythmes de Chateaubriand et détruisit les périodes des Martyrs sous prétexte de les orner de rimes. Voici Louise Réville, féministe vaillante et incorrecte. Et j'aperçois Mme Henri de Régnier, fille et femme d'habiles et vides versificateurs, presque aussi habile et encore plus vide.

Galope Pauline Savari, cabotine et sacrée Cosaque, que suit lentement, de loin, souriante mais grave, la baronne Staffe, professeur de mondanités puériles et de puérilités mondaines.

Et voici encore Olivier des Armoises, Mme de Blocqueville, la baronne de Blaye, Berthe Balley, Mme Bourron des Clayes, Claire de Blandinières, Mlle Blaze de Bury, Mme Paul Bourget, Camille Bias, Mme Ernest Bosc, la baronne de Baulny, Jeanne Cazin, Jean Dalvy, Jean Darcy, Mme Danville, Marie Darcey, Aimée Fabrègue, Mme Octave Feuillet, Mme Eugène Garcin, Rosemonde Gérard, Marie-Robert Halt, Isabelle Kaiser, Mme Lescot, la pédantesque Mme Lecomte du Nouy.

Je m'arrête. Pourquoi m'époumonner à une sèche énumération et où trouver les mots pour distinguer tant de sottises si égales et souvent si pareilles?

Passez en paix, les amazones. Le soir tombe et j'ai fini ma journée. Je ne ferai plus à aucune d'entre vous l'aumône d'un coup de massue.

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