Le Montonéro
Renvoi 1Un coup d'eau de vie.
XIX
DANS LA MONTAGNE
Il était à peu près trois heures de l'après-midi, au moment où Émile Gagnepain quittait le camp, malgré l'escorte assez suspecte dont il était accompagné; ce fut cependant avec un soupir de satisfaction que le jeune homme se vit enfin dehors de ce repaire de bandits, dont il avait un instant craint de ne plus sortir.
La route que suivait la petite caravane était des plus pittoresques et des plus accidentées; un sentier étroit serpentait sur le flanc des montagnes côtoyant presque continuellement des précipices insondables, du fond desquels s'élevaient les murmures mystérieux produits par des eaux invisibles; parfois un pont formé par deux troncs d'arbres jetés en travers d'une quebrada qui interrompait tout à coup la route était franchi, comme en se jouant, par les chevaux et les mules accoutumés de longue date à marcher par des chemins bien plus périlleux encore.
Obligés de marcher les uns derrière les autres à cause du peu de largeur du sentier à peine frayé sur lequel ils étaient engagés, les voyageurs ne causaient pas entre eux, à peine leur était-il possible d'échanger quelques paroles, et ils étaient contraints de se laisser aller à leurs propres pensées sans qu'il leur fût permis de charmer les ennuis du voyage autrement qu'en chantant, en sifflant, ou comme déjà nous l'avons dit, en réfléchissant; ce fut alors en examinant le paysage abrupt et sauvage dont il était environné de tous les côtés, que le jeune homme se rendit bien compte de la formidable et presque imprenable position choisie par le partisan pour son quartier-général, et de la redoutable influence que cette position devait lui donner sur les populations effrayées de la plaine: il frémit en songeant qu'il avait commis l'imprudence de se laisser conduire dans cette forteresse qui, de même que les cercles de l'Enfer du Dante, était, par la nature, entouré d'infranchissables retranchements et ne rendait jamais la proie qui y avait été une fois entraînée, une foule de lugubres histoires de jeunes filles enlevées et disparues pour toujours lui revinrent alors à l'esprit, et, par une étrange réaction de la pensée, il éprouva une espèce de terreur rétrospective, s'il est permis de s'exprimer ainsi, en songeant aux dangers terribles qu'il avait courus au milieu de ces bandits sans frein, par lesquels en maintes circonstances, le droits des gens, sacré pour tous les peuples civilisés, n'avait pas été respecté.
Puis, de réflexions en réflexions, par une pente toute naturelle suivie par son esprit, sa pensée sa fixa sur ses compagnes, demeurées sans appui et sans protecteur au milieu de ces hommes. Bien qu'il ne les eût quittées que dans le but de tenter un effort suprême pour leur délivrance, sa conscience lui reprocha cependant de les avoir abandonnées, car, malgré l'impossibilité matérielle où il se trouvait à Casa-Trama de leur être utile, cependant il avait la conviction que sa présence imposait aux Pincheyras, et que devant lui aucun d'eux n'aurait osé se porter sur les captives à des actes de brutalité répréhensibles.
En proie à ces pensées pénibles, il sentit son humeur s'assombrir peu à peu, et la joie qu'il avait éprouvée d'abord de se voir si inopinément rendu à la liberté, fit place de nouveau au découragement qui, plusieurs fois déjà, s'était emparé de lui, avait brisé son énergie et énervé ses plus belles qualités.
Il fut tiré des réflexions dans lesquelles était plongé par la voix de don Santiago qui tout à coup résonna à son oreille.
Le jeune homme releva vivement la tête et regarda autour de lui comme un homme qu'on éveille en sursaut.
Le paysage avait complètement changé. Le sentier s'était élargi peu à peu, avait pris les allures d'une route, les montagnes s'étaient abaissées, leurs flancs étaient maintenant couverts de forêts verdoyantes, dont les cimes feuillues étaient teintées de toutes les couleurs du prisme par les rayons affaiblis du soleil couchant; la caravane débouchait en ce moment dans une plaine assez étendue, entourée de taillis épais et traversée par un mince flot d'eau dont les capricieux méandres se perdaient çà et là au milieu d'une herbe haute et touffue.
—Que me voulez-vous? demanda le Français qui, impressionnable comme tous les artistes, subissait déjà à son insu l'influence de ce majestueux paysage, et sentait la gaieté remplacer dans son cœur la tristesse qui depuis longtemps le gonflait, que me voulez-vous donc, don Santiago?
—Au diable! reprit celui-ci, il est heureux que vous consentiez enfin à me répondre; voici près d'un quart d'heure que je vous parle sans parvenir à obtenir un mot de vous; il parait que vous avez le sommeil dur, compagnon?
—Pardonnez-moi, señor, je ne dormais pas; je réfléchissais, ce qui bien souvent est à peu près la même chose.
—Demonio, je ne vous chicanerai pas là-dessus; mais puisque maintenant vous consentez à m'écouter, veuillez, je vous prie, me répondre.
—Je ne demande pas mieux; cependant, afin que je puisse le faire, il faudrait que vous consentissiez, cher don Santiago, à me répéter votre question, dont je vous certifie que je n'ai pas entendu un mot.
—J'y consens, bien que, sans reproche, voilà
au moins dix fois que je vous la fais en pure perte.
—Je vous ai déjà prié de m'excuser.
—Je le sais, aussi je ne vous garde pas rancune de votre inattention. Voici le fait: il est au moins six heures du soir, le soleil se couche au milieu de nuages cuivrés de la plus mauvaise apparence, je redoute un temporal pour cette nuit.
—Oh, oh! fit le jeune homme, êtes-vous sûr de cela?
—J'ai trop l'habitude des montagnes pour m'y tromper.
—Hum! Et que comptez-vous faire?
—Voilà ce que je vous demande, cela vous regarde au moins autant que moi, je suppose.
—En effet, même davantage, puisque c'est pour m'être agréable que vous avez consenti à m'accompagner; eh bien! Quel est votre avis, je me range tout d'abord aux expédients que vous suggérera votre expérience, et je les accepte les yeux fermés.
—Voilà ce que j'appelle parler, et pour s'être fait attendre, votre réponse n'en est pas pour cela plus mauvaise; donc, mon avis serait de nous arrêter ici, où nous pouvons, à moins d'un cataclysme impossible à prévoir, nous mettre à l'abri de l'ouragan, et d'y camper pour la nuit; qu'en pensez-vous?
—Je pense que vous avez raison, et que ce serait une folie, dans une circonstance comme celle-ci, vu l'heure avancée et surtout; l'endroit charmant où nous nous trouvons, de nous obstiner à aller plus loin.
—D'autant plus qu'il nous serait presque impossible d'atteindre un refuge aussi bon que celui où nous sommes avant la nuit noire.
—Arrêtons-nous donc, alors, sans davantage discourir, et hâtons-nous d'installer notre campement.
—Eh bien! Cher seigneur, puisqu'il en est ainsi, pied à terre, et déchargeons les mules.
—Soit, dit le jeune homme en sautant à bas de son cheval, mouvement immédiatement imité par le Pincheyra.
Don Santiago avait dit vrai, le soleil se couchait, noyé dans des flots de nuages blafards; la brise du soir se levait avec une certaine force, les oiseaux tournoyaient en longs cercles en poussant des cris discordants; tout présageait enfin un de ces terribles ouragans, nommés temporales, dont la violence est si grande, que la contrée sur laquelle ils sévissent est, en quelques minutes à peine, changée de fond en comble et bouleversée comme si un tremblement de terre l'avait retournée.
Le peintre avait déjà, plusieurs fois depuis son arrivée en Amérique, été à même d'assister au spectacle terrifiant de ces effroyables convulsions de la nature en travail; aussi, connaissant l'imminence du péril, il se hâta de tout faire préparer, afin que la tempête n'occasionnât que peu de dommages; les ballots empilés les uns sur les autres, au centre même de la vallée, non loin du ruisseau, formèrent, par la façon même dont ils furent placés, un rempart solide contre la plus grande furie du vent; les chevaux furent laissés libres et abandonnés à cet instinct infaillible dont les a doué la Providence, et qui, en leur faisant pressentir le danger bien avant qu'il les menace réellement, leur suggère les moyens de lui échapper. Puis dans un trou creusé à la hâte on alluma le feu nécessaire pour faire cuire les lanières de charqui ou viande de taureau sauvage séchée au soleil, destinées, avec de l'harina tostada et un peu de queso de chèvre, au repas du soir; l'eau du ruisseau devait servir à satisfaire la soif des voyageurs, car, excepté don Santiago et le peintre, qui chacun s'était muni d'une large bota d'aguardiente blanche de Pisco, les autres voyageurs ne portaient avec eux ni vin ni liqueurs, mais cet oubli, si c'en était réellement un, était de peu d'importance pour des hommes d'une aussi grande frugalité que les Hispano-américains, gens qui vivent pour ainsi dire de rien, et dont la première chose venue suffit pour apaiser la faim et la soif.
Le repas fut ce qu'il devait être, entre hommes qui s'attendent à voir d'un moment à l'autre fondre sur eux un danger terrible et inévitable, c'est-à-dire triste et silencieux.
Chacun mangea à la hâte sans lier conversation avec son voisin; puis, la faim satisfaite, la cigarette fumée, sans se souhaiter même le bonsoir les uns aux autres, les voyageurs s'enveloppèrent avec soin dans leurs frazadas et leurs pellones, et essayèrent de dormir avec cette résignation placide qui forme le fond du caractère des créoles et leur fait accepter sans murmures inutiles les conséquences souvent fâcheuses de l'existence nomade à laquelle ils sont condamnés.
Bientôt, excepté les trois ou quatre sentinelles placées aux abords du campement afin de surveiller l'approche des fauves, et des deux chefs de la caravane, c'est-à-dire don Santiago et Émile, tout le monde fut plongé dans un profond sommeil.
Le Pincheyra paraissait soucieux; il fumait nonchalamment sa cigarette, le dos appuyé à un tronc d'arbre et les yeux fixés devant lui, sans cependant arrêter ses regards sur aucun objet; le Français, au contraire, plus éveillé et plus gai que jamais, chantonnait entre ses dents, et s'amusait, avec la pointe de son couteau, à creuser un trou dans lequel il empilait ensuite du bois mort, dans le but évident d'allumer un feu de veille, destiné sans doute à lui chauffer les pieds lorsque l'envie lui prendrait de se livrer au sommeil.
—Eh! don Santiago, dit-il, enfin, en s'adressant au Pincheyra et lui touchant légèrement l'épaule, à quoi pensez-vous donc? est-ce que vous n'allez pas essayer de dormir une couple d'heures?
Le Chilien secoua la tête sans répondre.
—Que signifie cela? reprit le jeune homme avec insistance, vous qui, il n'y a qu'un instant, me reprochiez ma tristesse, vous semblez en avoir hérité, sur mon âme; est-ce la pesanteur de l'atmosphère qui influe sur vous?
—Me prenez-vous pour une femme, répondit-il enfin d'un ton bourru; que m'importe à moi l'état du ciel, ne suis-je pas un enfant des montagnes, habitué, dès mon jeune âge, à braver les plus terribles temporales?
—Mais, alors, qu'avez-vous qui vous tourmente?
—Ce que j'ai, vous voulez le savoir?
—Pardieu! Puisque je vous le demande.
—Don Santiago hocha la tête à plusieurs reprises, jeta autour de lui un regard soupçonneux, puis il se décida, enfin, à prendre la parole d'une voix basse et presque indistincte comme s'il redoutait d'être entendu, bien que tous ses compagnons fussent endormis à une distance trop grande pour que le son de sa voix parvint jusqu'à eux.
—J'ai, dit-il, qu'une chose me chagrine.
—Vous, don Santiago, vous m'étonnez étrangement; seriez-vous en délicatesse avec votre frère, don Pablo?
—Mon frère est, il est vrai, pour quelque chose dans cette affaire, mais avec lui personnellement, je n'ai rien, ou du moins, je le crois, car, avec lui, jamais on ne sait à quoi s'en tenir: non, c'est uniquement à cause de vous que je suis chagrin en ce moment.
—A cause de moi! s'écria le jeune homme avec surprise, je vous avoue que je ne vous comprends pas.
—Parlez plus bas; il est inutile que nos compagnons entendent ce que nous disons, tenez, don Emilio, je veux être franc avec vous: nous allons nous quitter peut-être pour ne jamais nous revoir, et je désire pour vous qu'il en soit ainsi; je veux que notre séparation soit amicale, et que vous ne conserviez contre moi aucune prévention.
—Je vous assure, don Santiago...
—Je sais ce que je dis, interrompit-il avec une certaine vivacité; vous m'avez rendu un grand service; je ne puis nier que je vous dois en quelque sorte la vie, car lorsque je vous rencontrai dans le souterrain du rancho ma position était presque désespérée; eh bien! Je ne me suis pas, en apparence, conduit avec vous comme j'aurais dû le faire; je m'étais engagé à mettre, vous et les vôtres, à l'abri du danger qui vous menaçait, et je vous ai conduit à Casa-Trama lorsque j'aurais dû, au contraire, vous guider dans une direction tout opposée. Je sais cela; j'ai mal agi en cette circonstance et vous avez le droit de m'en garder rancune; mais je n'étais pas libre de faire autrement; j'étais contraint d'obéir à une volonté plus forte que la mienne, la volonté de mon frère, à qui nul n'a jamais osé résister. Aujourd'hui je reconnais mon tort, et je voudrais, autant que possible, réparer le mal que j'ai fait et celui que j'ai laissé faire.
—Ceci est parler en caballero et en homme de cœur, don Santiago; soyez convaincu que, quoiqu'il arrive, je vous saurai gré de ce que vous me dites en ce moment; mais puisque vous avez si bien commencé, ne me laissez pas plus longtemps dans le doute pénible où je me trouve: répondez-moi sincèrement, le voulez-vous?
—Oui, autant que cela dépendra de moi.
—Les dames que j'ai été contraint d'abandonner, courent-elles des dangers en ce moment?
—Je le crois.
—De la part de votre frère?
—De la sienne, oui, et d'autres aussi. Ces deux étrangères ont d'implacables ennemis acharnés à leur perte.
—Pauvres femmes! murmura le jeune homme en soupirant; elles ne quitteront donc pas le camp?
—Au contraire; demain, au lever du soleil, elles en sortiront, escortées par l'officier qui, devant vous, les a réclamées à mon frère.
—Cet officier, vous le connaissez?
—Un peu.
—Qui est-il?
—Ceci, je ne puis le dire, j'ai fait serment de ne le révéler à personne.
Le Français comprit qu'il ne devait pas insister, il modifia ses questions.
—Quelle route prendront-elles? demanda-t-il.
—Celle que nous suivons.
—Et elles se dirigeront?
—Vers la frontière brésilienne.
—Ainsi elles vont rejoindre le général de Castelmelhor?
Le Pincheyra secoua négativement la tête.
—Alors pourquoi prendre cette direction?
—Je l'ignore.
—Et cependant, vous croyez qu'un danger les menace?
—Un terrible.
—De quelle sorte?
—Je ne sais pas.
Le jeune homme frappa du pied avec, dépit. Ces réticences continuelles de la part du partisan l'inquiétaient plus que la vérité si affreuse qu'il se fût attendu à l'entendre.
—Ainsi, reprit-il au bout d'un instant, en supposant que je demeure ici quelque temps, je les verrai.
—Cela ne fait aucun doute.
—Que me conseillez-vous?
—Moi?
—Oui.
—Rien; je ne suis pas comme vous amoureux de doña Eva, moi, dit-il avec une certaine nuance de raillerie qui fit tressaillir le jeune homme.
—Amoureux de doña Eva! s'écria-t-il, moi?
—Quel autre motif pourrait vous engager avec toutes les chances contre vous de risquer votre vie pour la sauver s'il n'en était pas ainsi?
Le jeune homme ne répondit pas; une lumière terrible venait subitement de se faire dans son cœur; ce secret, qu'il se cachait à lui-même, d'autres le connaissaient, et lorsqu'il n'osait pas s'interroger sur cet amour insensé qui le brûlait, la certitude de son existence était acquise même aux indifférents.
—Oh! balbutia-t-il enfin, don Santiago, me croyez-vous donc capable d'une telle folie?
—Je ne sais si c'est une folie d'aimer lorsqu'on est jeune et ardent comme vous l'êtes, répondit froidement le Pincheyra; jamais je n'ai aimé que mon cheval et mon fusil, mais je crois savoir que l'amour de deux êtres jeunes et beaux est une loi de nature, et je ne vois pas pour quel motif vous essaieriez de vous y soustraire. Je ne vous blâme ni ne vous approuve, je constate un fait, voilà tout.
Le jeune homme fut étonné d'entendre parler ainsi un homme que, jusqu'à ce moment, il avait supposé doué d'une dose fort restreinte d'intelligence, et dont toute les aspirations lui semblaient tournées vers la guerre et le pillage, ce demi sauvage, émettant d'un air aussi insouciant des sentiments si humainement philosophiques, lui semblait un phénomène incompréhensible.
Le Pincheyra, sans paraître remarquer l'impression qu'il avait produite sur son interlocuteur, continua tranquillement:
L'officier qui escorte ces dames ignore non seulement votre amour pour la plus jeune des deux dames, mais encore il ne sait pas que vous les connaissez; pour des motifs particuliers et qui lui sont personnels, mon frère a cru devoir garder le silence à ce sujet; je vous donne ce renseignement dont je vous garantis l'exactitude, parce qu'il pourra vous servir au besoin.
—Maintenant, il est trop tard.
—Don Emilio, sachez ceci: c'est qu'aussitôt après notre conversation, mes compagnons et moi nous nous retirerons, parce que notre mission est terminée, et que si je suis demeuré avec vous si longtemps, c'est que je tenais à vous dire certaines choses.
—Je vous en remercie.
—Eh bien, je suis certain que vous ne quitterez pas ce lieu sans avoir essayé non pas de revoir ces dames, mais de les enlever à ceux qui les conduisent, ce qui, du reste, ne serait pas impossible puisqu'ils ne seront qu'une dizaine tout au plus. Je vous souhaite bonne chance du fond du cœur, parce que vous me plaisez et que je voudrais réellement que vous réussissiez. Seulement, croyez-moi, agissez avec prudence, la ruse a dénoué plus de liens que la violence et la force n'en ont brisé: suivez le conseil que je vous donne, et j'espère que vous vous en trouverez bien. Maintenant nous allons nous séparer, j'espère avoir sinon réparé, du moins amoindri les conséquences funestes de la faute qu'on m'a obligé à commettre; séparons-nous donc comme deux amis. Le seul vœu que je forme est que nous ne nous revoyions jamais.
—Eh quoi! Vous allez partir ainsi au milieu des ténèbres, lorsque nous sommes menacés d'un temporal?
—Il le faut, don Emilio; je suis attendu là-bas. Mon frère prépare une importante expédition, à laquelle je dois et je veux assister. Quant au temporal, il ne sévira pas avant deux ou trois heures et, si terrible qu'il soit, c'est une trop vieille connaissance pour que je ne sache pas les moyens de m'en garantir. Adieu donc, et encore une fois bonne chance. Quoi qu'il arrive, silence sur ce que je vous ai dit; maintenant, enveloppez-vous dans votre poncho et feignez de dormir jusqu'à ne que j'aie donné le signal du départ à mes cavaliers.
Le jeune homme suivit le conseil qui lui était donné, il se roula dans son manteau et s'étendit sur le sol.
Lorsque don Santiago se fut assuré que rien ne pourrait laisser soupçonner l'entretien qui venait d'avoir lieu, il se leva, frappa du pied pour se dégourdir, et prenant un sifflet suspendu à son cou par une mince chaîne d'argent, il en tira un son aigu et prolongé.
Les cavaliers dressèrent aussitôt la tête.
—Allons, enfants! cria le Pincheyra d'une voix forte, debout et sellez vos chevaux, nous retournons à Casa-Trama.
—Eh quoi! Vous nous quittez à cette heure, señor don Santiago? lui demanda le jeune homme, en feignant de s'être éveillé au bruit du sifflet.
—Il le faut, señor, répondit-il, notre escorte ne vous est plus nécessaire, et nous avons une longue marche à faire, si nous voulons être rendus à Casa-Trama au lever du soleil.
Cependant les Pincheyras avaient obéi avec empressement à l'ordre qu'ils avaient reçu, ils s'étaient levés et s'étaient mis aussitôt en devoir de lacer leurs chevaux et de les seller.
Par un hasard, prémédité sans doute par don Santiago, les sentinelles qui avaient été chargées de veiller à la sûreté commune étaient les deux Gauchos et le Guaranis, de sorte qu'il avait la certitude que le secret de son entretien avec le Français ne transpirerait pas.
Au bout de quelques minutes, les cavaliers furent en selle; le Pincheyra se mit à leur tête, et se tournant vers Émile en lui faisant un geste amical de la main.
—Adios, señor, et bonne chance, lui dit-il avec intention.
Le jeune homme lui rendit son cordial salut, et la petite troupe se mit en marche. Bientôt elle disparut à l'angle du sentier; le bruit de ses pas alla peu à peu en s'affaiblissant et ne tarda pas à s'éteindre tout à fait. Lorsque le silence fut complètement rétabli, Émile fit un signe à ses compagnons:
—Maintenant que nous sommes seuls, señores, dit-il, causons, car les circonstances sont graves. Tyro, allumez du feu, nous allons tenir un conseil à l'Indienne.
Le Guaranis ramassa le bois sec, l'empila avec soin, battit le briquet et bientôt une légère aigrette de flamme s'éleva gaiement vers le ciel.
Un silence de mort régnait dans la vallée, la brise s'était éteinte, il n'y avait pas un souffle dans l'air; le ciel noir comme de l'encre, n'avait pas une étoile, la nature semblait rassembler toutes ses forces pour livrer un combat plus terrible à la matière; dans les profondeurs inexplorées des quebradas, des bruits sourds et mystérieux s'élevaient parfois, se mêlant, à de longs intervalles aux sourds rugissements des fauves à l'abreuvoir.
Les quatre hommes s'accroupirent en rond autour du feu, allumèrent leurs cigarettes, et le jeune homme prit la parole après leur avoir rapporté ce qu'il croyait nécessaire de leur dire de l'entretien qui avait eu lieu entre lui et don Santiago.
—Maintenant, ajouta-t-il, répondez-moi franchement, puis-je compter sur vous pour tout ce qu'il me plaira de faire?
—Oui, répondirent-ils tout d'une voix.
—Quoi qu'il arrive?
—Quoi qu'il arrive.
—Bien, je ne serai pas ingrat, la récompense égalera les services; maintenant, si vous avez quelques observations à me soumettre, je suis prêt à les entendre.
Les Gauchos, hommes d'exécution avant tout et peu parleurs de leur nature, se contentèrent de dire que le moment d'agir arrivé, ils seraient prêts; qu'ils n'avaient aucune observation à faire sur la manière de procéder; que cela ne les regardait pas.
—C'est juste, observa Tyro. Allez dormir, mes braves, et laissez-nous, le seigneur notre maître et moi, convenir de ce qui sera opportun de faire.
Les Gauchos ne se le firent pas répéter deux fois; ils se levèrent et allèrent s'étendre au milieu des ballots; deux minutes plus tard, ils dormaient à poings fermés.
Émile et le Guaranis, demeurés seuls, entamèrent alors un entretien fort long et fort sérieux, et dressèrent un plan qu'il est inutile de faire connaître ici.
XX
LE PARTISAN
Il nous faut maintenant retourner auprès des chefs guaycurús que nous avons abandonnés au moment où, à la suite de don Zéno Cabral, ils entraient dans une caverne, où le montonero, du moins d'après les paroles qu'il avait prononcées en les accostant, paraissait avoir donné rendez-vous au Cougouar.
Cette caverne dont l'entrée, à moins de bien la connaître, était impossible à distinguer du dehors à cause de la conformation du paysage dont elle formait le centre, et de la difficulté avec laquelle on y parvenait était vaste et parfaitement claire à cause d'une infinité de fissures imperceptibles presque, qui y laissaient pénétrer la lumière en y renouvelant l'air; dans le fond et sur les côtés s'ouvraient plusieurs galeries qui se perdaient sous la montagne à des distances probablement fort grandes.
L'endroit où le partisan s'arrêta, c'est-à-dire à quelques pas à peine de l'ouverture, contenait plusieurs sièges formés avec des blocs de chêne mal équarris et deux ou trois amas de feuilles sèches servant probablement de lits à ceux qui venaient chercher en ce lieu un refuge temporaire.
Au centre de la caverne, un grand feu était allumé. Sur ce feu, suspendu par une chaîne, à trois pieux placés en faisceau, bouillait une marmite de fer, tandis qu'un quartier de guanaco, enfilé dans une baguette de fusil fichée dans le sol, rôtissait tout doucement; quelques patates cuisaient sous la cendre et plusieurs cornes de bœuf contenant de l'harina tostada étaient placées près des sièges par terre. Les armes de Zéno Cabral, c'est-à-dire son fusil et son sabre, étaient appuyés contre une des parois de la caverne. Il n'avait conservé que son couteau à sa polena droite.
—Señores, dit le partisan avec un geste courtois, permettez-moi de vous offrir la mince hospitalité que les circonstances où nous nous trouvons m'obligent à vous donner. Avant tout, nous mangerons et boirons ensemble, afin de bien établir la confiance entre nous et d'éloigner tout soupçon de trahison.
Ces paroles avaient été prononcées en portugais, les capitaos répondirent dans la même langue et s'assirent à l'exemple de leur amphitryon sur les sièges préparés pour eux.
Zéno Cabral décrocha alors la marmite et servit avec une adresse et une vivacité peu communes, dans des couis qu'il présenta ensuite à ses hôtes du tocino, du chorizo et du charqui, assaisonné avec des camotes et de l'ajo, ce qui forme le plat national de ces contrées.
Le repas commença, et les chefs attaquèrent vigoureusement les mets placés devant eux, se servant de leur couteau en guise de fourchette et buvant à la ronde de l'eau légèrement coupée avec de l'aguardiente de Pisco, afin d'en enlever l'âcreté.
Les Indiens ne parlent pas en mangeant; aussi leurs repas sont-ils généralement fort courts. Après le charqui, ce fut le tour du guanaco; puis l'harina tostada fut mangée délayée avec de l'eau chaude, et enfin Zéno Cabral confectionna le maté [1], et l'offrit à ses convives.
Lorsque le maté fut bu et que nos trois personnages eurent allumé leurs cigarettes de paille de maïs; Zéno Cabral prit enfin la parole.
—Je dois m'excuser près de vous, señor capitao, dit-il en portugais à Gueyma, l'espèce de surprise au moyen de laquelle j'ai obtenu une entrevue de vous; le Cougouar, dont depuis longtemps déjà j'ai l'honneur d'être l'ami, m'avait engagé d'agir ainsi que je l'ai fait; si une faute a été commise, c'est donc sur lui que doit en retomber le blâme.
—Ce que le Cougouar fait est toujours bien, señor, répondit en souriant le chef, il est mon père, puisque c'est à lui que je dois d'être ce que je suis, je n'ai donc pas à le blâmer, convaincu que des raisons fort sérieuses et qui, sans doute, me seront plus tard expliquées, l'empêchaient de procéder autrement.
—Gueyma a bien parlé comme toujours, dit le Cougouar, la sagesse réside en lui; le chef blanc ne tardera pas à déduire les motifs de sa conduite.
—C'est ce que je vais faire à l'instant, si les capitaos veulent bien me prêter leur attention, reprit Zéno Cabral.
—Que mon père parle, nos oreilles sont ouvertes.
Le partisan se recueillit pendant deux ou trois minutes, puis il commença en ces termes:
—Mes frères les guerriers guaycurús trompés par les paroles menteuses d'un blanc, ont consenti à former une alliance avec lui et à le suivre dans cette contrée pour l'aider à combattre d'autres blancs qui jamais n'avaient fait de mal à mes frères, et dont ils ignoraient jusqu'à l'existence. Mais pendant que les guerriers entraient sur le sentier, de la guerre et abandonnaient leurs territoires de chasse sous la sauvegarde de l'honneur de leurs nouveaux alliés, ceux-ci, qui n'avaient d'autre but que celui de les éloigner, afin de s'emparer plus facilement de leurs riches et fertiles contrées, envahissaient au mépris de la foi jurée leurs territoires de chasse, et essayaient de s'y établir. Ce projet inique, cette infâme trahison aurait réussi probablement, vu l'éloignement des plus braves guerriers de la nation, si un ami des Guaycurús, révolté de cette action infâme, n'avait fait prévenir Tarou-Niom, le grand capitao des Guaycurús, de se mettre sur ses gardes et ne lui avait fait contracter une alliance offensive et défensive avec Emavidi-Chaïmè, le grand chef des Payagoas, afin de s'opposer aux attaques de l'ennemi commun.
Malgré l'impassibilité de commande dont les Indiens font parade dans les circonstances les plus sérieuses, Gueyma, en apprenant ces nouvelles si nettement et si froidement articulées, ne put se contenir. Ses sourcils se froncèrent, ses narines se dilatèrent comme celles d'une bête fauve; il bondit sur ses pieds, et frappant violemment ses mains l'une contre l'autre:
—Mon frère, le chef pâle a les preuves de ce qu'il avance, n'est-ce pas? s'écria-t-il avec un accent de sourde menace.
—Je les ai, répondit simplement Zéno Cabral.
—Bon, alors il me les donnera.
—Je les donnerai au capitao.
—Mais il est autre chose que je veux savoir encore.
—Que veut savoir mon frère?
—Quel est l'ami des Guaycurús qui les a avertis de l'horrible trahison qui se tramait contre eux?
—A quoi bon dire cela à mon frère?
—Parce que de même que je connais mes ennemis, je veux connaître mes amis.
Zéno Cabral s'inclina.
—C'est moi, dit-il.
Gueyma le regarda un instant avec une fixité étrange, comme s'il eût voulu lire jusqu'au fond de son cœur ses pensées les plus secrètes.
—C'est bon, dit-il enfin, ce que dit mon frère doit être vrai, Gueyma le remercie et lui offre sa main.
—Je l'accepte avec empressement, car depuis longtemps déjà j'aime le capitao, répondit le partisan, en pressant la main que lui tendait le chef.
—Maintenant, quelles sont les preuves que mon frère me donnera?
Zéno Cabral fouilla sous son poncho et en retira un quipu[2] qu'il présenta sans répondre au chef.
Celui-ci le saisit vivement et se mit aussitôt à le déchiffrer, avec la même rapidité qu'un Européen lit une lettre.
Peu à peu, les traits du chef reprirent leur rigidité marmoréenne; puis, après avoir complètement déchiffré le quipu, il le tendit au Cougouar, et se tournant vers Zéno Cabral, qui suivait tous ses mouvements avec une anxiété secrète:
—Maintenant que je sais l'insulte qui m'a été faite, dit-il froidement, mon frère me donnera sans doute les moyens de me venger.
—Peut-être y parviendrai-je, répondit le partisan.
—Pourquoi avoir le doute sur les lèvres quand la certitude est dans le cœur? reprit Gueyma.
—Que veut dire le capitao?
—Je veux dire que personne dans le but unique d'être agréable à un homme qu'il ne connait pas, ne fait ce qu'a fait mon frère.
—Je connais le capitao plus qu'il ne le suppose.
—C'est possible, j'admets cela; mais il n'en reste pas moins évident pour moi que mon frère le chef pâle avait un but en agissant ainsi qu'il l'a fait; c'est ce but que Gueyma désire connaître.
—Que mon frère suppose que moi aussi j'aie à me venger de l'homme qui l'a insulté, et que, pour que cette vengeance soit plus sûre et plus éclatante j'aie besoin de l'aide de mon frère; me la refuserait-il?
—Non, certes, si le fait, au lieu d'être une supposition, était une réalité.
—Le capitao me le promet?
—Je le promets.
—Eh bien! Les prévisions du chef sont justes. Malgré la vive et sincère amitié que j'ai pour lui, obligé, en ce moment, de m'occuper d'affaires fort sérieuses peut-être aurais-je négligé de m'occuper des siennes, si je n'avais pas eu un puissant intérêt à le faire et si l'homme dont il veut se venger n'était pas depuis longtemps mon ennemi; voilà la vérité tout entière.
—Eah! Mon frère a bien parlé; sa langue n'est pas fourchue; les paroles que souffle sa poitrine sont loyales. Que fera mon frère pour assurer ma vengeance en même temps que la sienne?
—Deux choses.
—Quelle est la première?
—Je livrerai entre les mains du capitao la femme et la fille de son ennemi.
L'œil de l'lndien lança un fulgurant éclair de joie.
—Bon! s'écria-t-il; voyons la seconde maintenant.
—Je guiderai mon frère par des sentiers de bêtes fauves, connus de moi seul, et avec les riches proies que je lui aurai livrées, je lui ferai attendre, en moins de cinq jours, la frontière de ses territoires de chasse.
—Mon frère fera cela?
—Je le ferai, je le jure!
—C'est bien; quand les deux femmes pâles seront-elles mes captives?
—Avant deux jours, si le chef consent à m'aider.
—J'ai dit au chef blanc qu'il pouvait disposer de moi, qu'il parle donc sans crainte.
Zéno Cabral jeta un regard interrogateur au Cougouar qui jusqu'à ce moment, avait assisté muet et impassible à cet entretien.
—Mon frère peut parler, dit le vieux chef, la parole de Gueyma est celle d'un capitao, rien ne saurait la faire changer.
—Seulement, que mon frère prête la plus sérieuse attention à ce que je vais dire; je ne ferai ce que j'ai proposé qu'à une condition.
—J'écoute.
—Mon frère ne pourra disposer, sous aucun prétexte, des captives remises entre ses mains sans mon autorisation; sous aucun prétexte, il ne leur rendra la liberté sans que j'y consente. Pour le reste, le Cougouar connaît mes intentions, et il a promis de s'y conformer.
—Est-ce vrai? demanda Gueyma au vieux chef en se tournant vers lui.
—C'est vrai, répondit laconiquement celui-ci.
—Le Cougouar, reprit le jeune homme, est un des plus sages guerriers de ma nation; ce qu'il fait est toujours bien; il est de mon devoir de suivre son exemple; j'adhère à ce que désire le chef blanc.
Zéno Cabral inclina la tête en signe de remercîment et, malgré lui, un éclair de satisfaction illumina pour une seconde son visage austère.
Gueyma reprit:
—Le chef pâle a-t-il autre chose à ajouter à ce qu'il m'a dit?
—Rien, répondit le partisan.
—C'est bien; à moi maintenant à poser mes conditions.
—C'est trop juste, chef, je vous écoute.
—Mon père, le chef blanc, connaît les coutumes de la pampa, n'est-il pas vrai?
—Je les connais, ma vie presque entière s'est écoulée au désert.
—Connaît-il la cérémonie du pacte de vengeance en usage dans la nation des Guaycurús?
—J'en ai entendu parler, sans cependant l'avoir jamais encore pratiquée pour mon propre compte; je sais que c'est une espèce de fraternité d'armes qui lie deux hommes l'un à l'autre par un lien plus fort que la parenté la plus proche.
—Oui, c'est en effet cela; mon frère consent-il à ce que cette cérémonie soit faite par nous?
—J'y consens de grand cœur, chef, répondit le partisan sans hésiter, parce que mes intentions sont pures, que nulle pensée de trahison n'est dans mon cœur et que j'éprouve pour mon frère une vive amitié.
—Bien, reprit en souriant le jeune chef, je remercie mon frère de m'accepter pour compagnon du sang; le Cougouar nous attachera l'un à l'autre.
—Soit, répondit simplement celui-ci.
Les trois hommes se levèrent.
Le Cougouar s'avança alors entre eux, et leur faisant étendre en avant à chacun la main droite:
—Chacun de vous, dit-il, est double; il a un ami pour veiller sur lui en tous lieux et en toutes circonstances, le jour comme la nuit, le matin comme le soir; les ennemis de l'un sont les ennemis de l'autre; ce que l'un possède appartient à son ami. A l'appel de son compagnon de sang, n'importe où il se trouve, n'importe ce qu'il fasse, l'ami doit aussitôt tout abandonner pour accourir auprès de celui qui réclame sa présence. La mort même ne saurait vous désunir: dans l'autre vie, votre pacte continuera aussi fort que dans celle-ci. Vous, Zéno Cabral, pour la nation des Guaycurús, vous vous nommez maintenant Cabral Gueyma; et vous, Gueyma, pour les frères de votre ami, vous êtes Gueyma Zéno. Votre sang même doit se mêler dans votre poitrine, afin que vos pensées soient bien réellement les mêmes et que, à l'heure où vous comparaîtrez, après votre mort, devant le Maître du monde, il vous reconnaisse et vous réunisse l'un à l'autre.
Après avoir ainsi parlé, le Cougouar tira son couteau de sa gaine et piqua légèrement la poitrine du partisan juste à la place du cœur.
Zéno supporta sans trembler ni pâlir cette effrayante incision, le vieux chef recueillit le sang qui coula de la blessure dans un couis dans lequel un peu d'eau était restée; il incisa de même la poitrine du jeune chef et fit aussi couler son sang dans le couis.
Élevant alors le vase au-dessus de sa tête:
—Guerriers, s'écria-t-il d'une voix sombre et empreinte d'une majesté suprême, là est contenu votre sang, si bien mêlé qu'il ne pourrait plus être séparé; chacun de vous va boire à cette coupe que, entre vous deux, vous devez vider; à vous d'abord, ajouta-t-il en se tournant vers Zéno Cabral en tendant le vase vers lui.
—Donnez, répondit froidement le partisan et il le porta sans hésiter à ses lèvres.
Lorsqu'il eut bu la moitié à peu près de ce qu'il contenait. Il le présenta à Gueyma; celui-ci le prit sans prononcer une parole et le vida d'un trait.
—A notre prochaine rencontre, frère, dit alors le jeune chef, nous échangerons nos chevaux, car nous ne le pouvons faire en ce moment. En attendant, voici mon fusil, mon sabre, mon couteau, ma poire à poudre, mon sac à balles, mon lasso et mes bolas; acceptez-les, et veuille le Grand-Esprit qu'ils vous fassent un aussi bon service qu'ils m'en ont fait un à moi.
—Je les reçois, frère, en échange de mes armes que voici.
Puis les deux hommes s'embrassèrent, et la cérémonie fut terminée.
—Maintenant, dit le Cougouar, le moment de nous séparer est arrivé, il nous faut rejoindre nos guerriers: où nous retrouverons-nous et quand aura lieu cette rencontre?
—Le deuxième soleil après celui-ci, répondit le partisan, j'attendrai mes frères trois heures avant le coucher du soleil au cañon de yerbas verdes, les captives seront avec moi; le cri de l'aigle des cordillières, trois fois répété, avertira mes frères de ma présence, ils me répondront par celui du maukawis répété le même nombre de fois.
—Bon; mes guerriers seront exacts.
Les trois hommes se serrèrent énergiquement la main et les chefs guaycurús se retirèrent, reprenant pour s'en aller le chemin presque impraticable par lequel ils étaient venus, mais qui ne devait pas offrir de difficultés sérieuses à des hommes brisés comme eux à tous les exercices du corps et doués d'une souplesse et d'une agilité sans égale.
Zéno Cabral demeura seul dans la caverne.
Le partisan se laissa tomber sur un siège, pencha la tête sur sa poitrine et demeura ainsi pendant un laps de temps considérable plongé dans de profondes réflexions.
Lorsque les premières ombres du soir commencèrent à envahir l'entrée de la caverne, le jeune homme se redressa.
—Enfin! murmura-t-il à voix basse, je vais donc atteindre cette vengeance que depuis si longtemps je poursuis; nul désormais ne pourra me ravir ma proie; mon père tressaillira de joie dans sa tombe en voyant de quelle façon je tiens mon serment; hélas! Pourquoi me faut-il être la hache destinée à martyriser deux femmes innocentes! Le véritable coupable m'échappe encore! Dieu permettra-t-il qu'il tombe entre mes mains? Comment le contraindre à se livrer à moi?
Il garda quelques instants le silence, puis il reprit arec une énergie sauvage:
—A quoi bon m'apitoyer sur le sort de ces femmes! La loi du désert ne dit-elle pas: Œil pour œil, dent pour dent? Ce n'est pas moi qui ai commis le crime! Je venge l'insulte faite à ma famille; le sort en est jeté, Dieu me jugera!
Il se leva et fit quelques tours dans la caverne. L'obscurité était presque complète. Zéno Cabral prit une torche de bois pourri, l'alluma et la ficha en terre; puis, après une dernière hésitation, il secoua la tête à plusieurs reprises, se passa la main sur le front, comme pour chasser une idée importune, et alla se rasseoir sur un des sièges, après avoir fait disparaître les traces du repas et celles laissées par la présence des guerriers guaycurús.
—Je suis fou! murmura-t-il à demi-voix; il est trop tard maintenant pour regarder en arrière.
Et saisissant son fusil, il le déchargea en l'air.
Le bruit de la détonation, répercuté par les nombreux échos de la caverne, roula pendant un temps assez long, s'affaiblissant de plus en plus et finit par s'éteindre tout à fait.
Presque aussitôt la lueur de plusieurs torches brilla au fond d'une galerie latérale, grandit rapidement, et bientôt illumina la caverne de teintes rougeâtres qui couraient sur les parois avec des reflets fantastiques; ces torches étaient portées par des montoneros conduits par plusieurs officiers, parmi lesquels se trouvait don Silvio Quiroga.
—Nous voici, général, dit le capitaine avec un salut respectueux.
—Où sont les prisonniers? demanda Zéno Cabral, tout en rechargeant son fusil qu'il plaça à portée de sa main.
—Gardés à quelques pas par un détachement de nos hommes.
—Qu'ils viennent.
Le capitaine se retira sans répondre; quelques minutes se passèrent, au bout desquelles il reparut accompagné de trois hommes désarmés qui marchaient au milieu d'un groupe de partisans.
—C'est bien, dit le général, laissez-moi avec ces caballeros, je désire causer avec eux; seulement, soyez prêts à accourir, si besoin était, au premier signal. Allez.
Le capitaine Quiroga planta deux ou trois torches dans le sol, et s'enfonça ensuite dans la galerie de laquelle il était sorti, suivi par les montoneros.
Don Zéno demeura seul avec les trois prisonniers; ceux-ci se tenaient debout devant lui, froids, hautains, la tête fièrement rejetée en arrière et les bras croisés sur la poitrine.
Il y eut un instant de silence.
Ce fut un des prisonniers qui le rompit.
—Je suppose, seigneur général, dit-il avec un léger accent de raillerie, puisque tel est le titre qu'on vous donne, que vous nous avez appelés en votre présence afin de nous faire fusiller?
—Vous vous trompez, seigneur don Lucio Ortega, répondit froidement le partisan, quant à présent, du moins, telle n'est pas mon intention.
—Vous me connaissez? s'écria l'Espagnol avec un mouvement de surprise qu'il ne put réprimer.
—Oui, señor, je vous connais, ainsi que vos compagnons, le señor comte de Mendoza et le colonel Zinozain; je sais même dans quel but vous êtes venus ainsi vous fourvoyer dans ces montagnes. Vous voyez que je suis bien servi par mes espions.
—Caramba! fit gaiement le capitaine Ortega, j'aurais voulu être aussi bien servi par les miens.
Le partisan sourit avec ironie.
—Au fait, señor, dit le comte, que prétendez-vous nous imposer, puisque nous sommes en votre pouvoir et que vous ne voulez pas nous fusiller?
—Vous reconnaissez, n'est-ce pas, que j'aurais le droit de le faire, si tel était mon bon plaisir?
Parfaitement, reprit le capitaine; quant à nous, soyez convaincu que nous n'aurions pas manqué de vous faire sauter le crâne si le sort vous avait fait tomber entre nos mains. N'est-ce pas, señores?
Les deux officiers répondirent affirmativement.
—Touchante unanimité, dit en raillant le montonero; je vous sais gré, croyez-le bien, de vos bonnes intentions à mon égard; cependant elles ne changent rien à ma résolution.
—Alors, reprit le capitaine, il est probable que vous trouvez plus d'avantage pour vous à nous laisser vivre qu'à ordonner notre exécution?
—Cela est évident.
—Mais il est probable aussi que les conditions que vous nous poserez, dit le colonel, seront de telle sorte que nous refuserons de les accepter, préférant la mort au déshonneur.
—Eh bien, vous n'y êtes pas du tout, mon cher colonel, répondit avec bonhomie le partisan, je sais trop ce qu'on se doit entre soldats, bien qu'ennemis, pour profiter des avantages que me donne ma position, et ces conditions seront, au contraire, excessivement douces.
—Oh, oh! Voilà qui est étrange, murmura le comte.
—Fort étrange, en effet monsieur le comte, de voir un de ces misérables créoles, ces bêtes fauves, ainsi que vous les nommez, conserver des sentiments d'humanité si complètement mis en oubli par leurs ex-maîtres, les nobles Castillans.
—Je vous avoue que, pour ma part, je suis curieux de connaître ces bénignes propositions! dit en ricanant le capitaine.
—Vous allez être satisfait, señor, reprit le partisan de ce ton narquois qu'il affectait depuis le commencement de l'entretien: mais avant tout, veuillez vous asseoir: je suis chez moi, je désire vous faire les honneurs de ma demeure.
—Soit; nous vous écoutons, dit le capitaine en s'asseyant, mouvement imité par ses deux compagnons.
—Mes conditions, les voici, reprit le partisan: je vous offre de vous rendre immédiatement la liberté en vous restituant tous les bagages qui vous ont été enlevés, et en vous laissant la faculté de continuer votre voyage et d'accomplir la mission dont vous êtes chargé pour don Pablo Pincheyra.
—Hein! s'écria le capitaine, vous savez cela aussi?
—Je sais tout, ne vous l'ai-je pas dit?
—C'est juste; pardonnez-moi cette interruption, fit le capitaine; vous disiez donc que vous offriez de nous rendre la liberté, etc., etc., à la condition...
—A la condition, reprit don Zéno, que d'abord vous me donnerez votre parole d'honneur de gentilshommes et de soldats, que, quoi qu'il arrive pendant tout le temps que nous demeurerons ensemble, vous ne prononcerez jamais mon nom, et vous me garderez un secret inviolable.
—Jusqu'à présent, je ne vois rien qui s'oppose à ce que nous prenions cet engagement; ensuite, señor, car ce n'est pas tout, j'imagine?
—En effet, ce n'est pas tout. Je désire me rendre en votre compagnie au camp de Casa-Trama, afin de traiter avec don Pablo Pincheyra une affaire qui m'est personnelle. Je prendrai le nom et le costume d'un officier portugais. Vous ne me trahirez pas, et de plus vous m'aiderez à terminer l'affaire en question; je sais que vous possédez assez d'influence sur don Pablo pour me faire réussir.
— Refusez-vous de nous instruire de cette affaire? demanda le comte.
—En aucune façon. Cette susceptibilité est trop honorable pour que je ne fasse pas droit à votre demande. Il s'agit de deux dames portugaises, la marquise de Castelmelhor et sa fille, dont les Pincheyras se sont emparés contre le droit des gens et que je veux délivrer.
—Voilà tout?
—Oui, caballero. Voyez si votre honneur vous permet d'accepter ces conditions.
—Señor don Zéno Cabral, répondit le comte, l'histoire qu'il vous plaît de nous conter est fort bien imaginée, bien que nous doutions beaucoup de la réalité de votre dévouement pour ces dames; comme elles nous sont à peu près inconnues, et que, ainsi que vous nous l'avez annoncé, cette affaire vous est entièrement personnelle, nous ne nous reconnaissons pas le droit de l'approfondir; en conséquence, mes compagnons et moi, nous acceptons vos conditions, qui, nous le constatons, sont réellement fort douces. Nous vous donnons notre parole d'honneur de remplir exactement l'engagement que nous prenons vis-à-vis de vous, sans y être aucunement contraints par la force.
—Nous donnons notre parole d'honneur, ainsi que notre noble ami le comte de Mendoza, dirent ensemble le capitaine et le colonel.
—Et maintenant, ajouta don Luis Ortega, quand serons-nous libres?
—A l'instant, caballeros.
—Et nous partirons?
—Au lever du soleil, de façon à être demain, dans la matinée, à Casa-Trama; maintenant, disposez de moi, señores, je ne suis plus que votre hôte.
Nous avons rapporté plus haut de quelle façon le comte et les personnes qui l'accompagnaient avaient été reçues par les Pincheyras.
Renvoi 1 Dans un précédent ouvrage, Le grand Chef des Aucas, j'ai expliqué ce que c'est que cette boisson qui, dans l'Amérique du Sud, remplace le thé, et est fort prisée des habitants blancs et indiens. G. AIMARD
Renvoi 2 Voir le Grand Chef des Aucas. 2 vol. in-12 Amyot, éditeur.
XXI
LES CAPTIVES
Aussitôt après la réception terminée, don Pablo avait offert aux envoyés espagnols et à l'officier portugais, c'est-à-dire à don Zéno Cabral, qu'il était loin de se douter d'avoir pour hôte dans son camp, une collation que ceux-ci avaient accepté.
Bien que campés dans une des parties les plus inaccessibles des cordillières, les Pincheyras, grâce à leurs excursions continuelles et aux vols et aux pillages qu'ils commettaient dans les chacras, les bourgs, et même les villes situées sur les deux versants des montagnes, étaient fort bien approvisionnés; leur repaire regorgeait des choses les plus rares et les plus délicates.
Par les soins de la sœur de don Pablo, chargée par son frère des détails intérieurs de sa maison, une table avait été dressée et couverte d'une profusion de vivres de toutes sortes, de dulces, de fruits, de liqueurs, et même de vins d'Espagne et de France, que, certes, on eût été loin de s'attendre à rencontrer en pareil lieu.
Les Espagnols et les créoles hispano-américains sont généralement sobres; cependant lorsque l'occasion s'en présente, ils ne méprisent nullement les agréments d'une table bien garnie. En cette circonstance, ils fêtèrent à l'envi la bonne chère que leur offrait leur amphitryon, soit à cause des longues privations qu'ils avaient précédemment endurées soit parce que tout était en réalité exquis et servi avec beaucoup de goût; aussi le repas se prolongea-t-il assez longtemps, et il était plus de trois heures de l'après-dîner lorsque les convives se levèrent enfin de table.
Don Pablo prit alors à part don Zéno Cabral, qu'il avait placé auprès de lui à table, et pour lequel il éprouvait une vive sympathie.
—Señor don Sebastiao, lui dit-il d'une voix un peu émue, car malgré ou peut-être même à cause de sa sobriété habituelle, les quelques verres de vin généreux que le partisan avait été contraint de boire pour fêter ses convives, lui avaient donné une légère teinte d'ivresse, je vous trouve, ¡vive Dios! un charmant compagnon, et je désirerais faire quelque chose qui vous fût agréable.
—Vous me faites honneur, caballero, répondit Zéno Cabral avec une certaine réserve.
—Oui, ¡Dios me ampare! C'est ainsi; je vous avoue que ce matin j'étais assez contrarié de vous rendre les deux dames.
—Pour quelle raison?
—Diablos! J'aurais pu en tirer une bonne rançon.
—Qu'à cela ne tienne, caballero, et je suis tout prêt.
—Non, non, reprit-il vivement, ne parlons plus de cela, je me rattraperai sur d'autres de ce que je perds avec celles-ci; je voulais donc vous dire que je suis charmé maintenant de ce qui est arrivé. Bah! Vous me plaisez, mieux vaut qu'il en soit ainsi; d'ailleurs, ces femmes m'ennuient, elles pleurent continuellement, c'est insupportable.
—En effet, vous disiez donc?
—Et bien, ma foi, je disais que, si je pouvais vous être agréable en quelque chose, je serais heureux que vous me missiez à même de vous prouver l'estime que je fais de vous.
—Vous me flattez, caballero, en parlant ainsi, je ne mérite pas cette indulgence de votre part.
—Si, je vous jure; ainsi parlez, que désirez-vous?
—Eh bien! Puisqu'il en est ainsi, je serai franc avec vous, señor; il y a, en effet, une chose dans laquelle vous pouvez m'être utile.
—Eh bien! A la bonne heure, de quoi s'agit-il?
—Oh, mon Dieu! d'une chose bien simple: laissez, je vous prie, ces dames dans l'ignorance de leur délivrance; vous savez que
la joie comme la douleur sont souvent fort à redouter lorsque tout à coup on les éprouve sans préparation; je redoute la révolution que pourrait occasionner à ces dames l'annonce de ce départ subit auquel elles sont si loin de s'attendre.
—Ce que vous me demandez là est en réalité très facile; cependant, il me faudra les avertir demain ou ce soir.
—Qu'à cela ne tienne, la chose est toute simple; dites-leur seulement qu'elles soient prêtes à monter à cheval demain au lever du soleil, sans les informer des causes ni du but de ce voyage; j'aurai soin de me tenir hors de leur vue jusqu'à ce que je trouve une occasion de me présenter à elles sans leur faire éprouver une trop forte commotion.
Le Pincheyra, homme fort peu sentimental de sa nature, ne comprenait rien à ce que lui disait le montonero: cependant, par suite de cette espèce de vanité innée chez tous les hommes qui les pousse à s'attribuer des qualités qu'ils ne possèdent pas, et d'ailleurs entraîné malgré lui vers sa nouvelle connaissance par une inexplicable sympathie, il ne fit aucune difficulté d'acquiescer à ce que lui demandait don Zéno Cabral, et consentit à le laisser complètement agir à sa guise, intérieurement flatté de la bonne opinion que celui-ci semblait avoir de lui et jaloux de lui prouver qu'il ne s'était pas trompé sur son compte.
Les choses ainsi arrangées, don Pablo chargea, sans entrer dans aucun détail, son frère José Antonio de prévenir les dames de leur prochain départ, et, s'éloignant en compagnie de don Zéno, il lui fit visiter le camp de Casa-Trama.
José Antonio, le troisième frère de Pincheyra, était un homme de vingt et quelques années, d'un caractère sombre, d'une intelligence bornée, qui accepta de mauvaise volonté la commission qui lui était donnée; il se hâta de s'en acquitter au plus vite.
Il se dirigea donc vers le toldo habité par les deux dames.
Elles étaient seules, occupées à causer entre elles, lorsque le Pincheyra se présenta.
A sa vue elles ne purent réprimer un mouvement de surprise et presque d'effroi; mais elles se remirent bientôt et lui rendirent le salut brusque qu'il leur fit, sans cependant leur adresser la parole, ce qui obligea la marquise à lui demander quel motif l'amenait auprès d'elles.
—Señora, répondit-il, mon frère le colonel don Pablo Pincheyra m'a chargé de vous avertir de vous tenir prêtes à quitter le camp demain au lever du soleil.
—Je vous remercie de cette bonne nouvelle, caballero, répondit froidement la marquise.
—Je ne sais si la nouvelle est bonne ou mauvaise, et cela m'est fort égal: on m'a ordonné de vous avertir, je le fais, voilà tout. Maintenant que ma commission est faite, adieu, je me retire.
Et sans plus de conversation il fit un geste pour s'éloigner.
—Pardon, caballero, lui dit la marquise en faisant un effort pour continuer l'entretien dans l'espoir de voir jaillir une lueur favorable dans le chaos qui l'enveloppait, un mot s'il vous plaît.
—Un mot, soit, répondit-il en s'arrêtant, mais pas davantage.
—Savez-vous pour quelle raison nous quittons le camp?
—Ma foi non; qu'est-ce que cela me fait, à moi, que vous partiez ou non.
—C'est vrai, cela doit vous être fort indifférent, cependant vous êtes, je crois, un des principaux officiers de votre frère.
—Je suis capitaine, répondit-il en se redressant avec orgueil.
—En cette qualité, vous devez être dans la confidence des projets de votre frère, savoir quelles sont ses intentions.
—Moi, pourquoi faire? Mon frère n'a pas de comptes à me rendre, je ne lui en demande pas.
La marquise se mordit les lèvres avec dépit, cependant elle continua, en changeant brusquement de conversation.
—Si je dois sitôt quitter le camp, permettez-moi, caballero, de vous offrir avant de me séparer de vous cette légère marque de souvenir, et retirant de sa poitrine un mignon reliquaire d'or curieusement ciselé, elle le lui présenta avec un gracieux sourire.
L'œil du bandit lança un éclair de convoitise.
—Oh! fit-il en tendant la main, qu'est-ce que c'est que cela?
—Ce médaillon, reprit la marquise, contient des reliques.
—Des reliques, fit-il, véritables?
—Certes, il renferme un morceau de la vraie croix et une dent de santa Rosa de Lima.
—Ah! Et cela peut servir, n'est-ce pas? Le père Gómez, le chapelain de mon frère, dit que les reliques des saints sont les meilleures armes qu'un chrétien puisse porter avec lui.
—Il a raison, celles-ci sont infaillibles contre les blessures et les maladies.
L'œil du bandit se dilata, une indicible expression de joie bouleversa sa figure.
—Et vous me les donnez! s'écria-t-il vivement.
—Je vous les donne, mais à une condition.
—Sans condition, reprit-il en fronçant le sourcil et en jetant un regard sinistre sur la marquise.
Le seul sentiment vivace au fond du cœur de cet homme, sa superstition, était éveillée. Peut-être pour s'emparer de ses reliques qu'il convoitait, n'aurait-il pas reculé devant un crime.
La marquise comprit à l'instant la pensée qui s'agitait indistincte encore dans son esprit obtus; elle ne s'émut pas et continua:
—Ces reliques perdraient aussitôt leur vertu, si elles étaient enlevées par violence à la personne qui les possède.
—Ah! murmura-t-il d'une voix sourde et inarticulée, il faut qu'elles soient librement données.
—Il le faut, répondit froidement la marquise.
Doña Eva avait senti un frisson de terreur parcourir ses membres à la menace voilée du bandit; mais, son exclamation la rassura, elle comprit que la bête féroce était domptée.
—Quelle est cette condition? reprit-il.
—Je désire savoir si des étrangers sont arrivés au camp aujourd'hui.
—Il en est arrivé ce matin.
—Des Espagnols?
—Oui.
—Il n'y avait pas de Portugais parmi eux?
—Je crois qu'il y en avait un.
—Vous en êtes sûr?
—Oui, c'est celui-là qui vous doit emmener; il a offert une forte rançon pour vous; je me le rappelle, parce que mon frère a refusé la rançon, tout en consentant à vous laisser partir, ce que je n'ai pas pu comprendre de sa part.
—Ah! murmura-t-elle d'un air rêveur.
—Vous n'avez plus rien à me demander?
—Une seule question encore.
—Faites vite, répondit-il les yeux avidement fixés sur le reliquaire, qu'il ne quittait pas du regard.
—Connaissez-vous don Emilio?
—Le Français?
—Oui, celui-là même.
—Je le connais.
—Je désirerais causer avec lui.
—C'est impossible.
—Pourquoi donc?
—Parce qu'il a quitté le camp il y a une heure, en compagnie de mon frère Santiago.
—Savez-vous quand il sera de retour?
—Jamais; je vous répète qu'il est parti.
Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de la marquise. Si le jeune homme était parti, c'était dans l'intention de leur être utile, d'essayer de les sauver: tout espoir n'était donc pas perdu pour elles, puisqu'un ami dévoué veillait encore à leur salut.
—Je vous remercie, reprit-elle, de ce que vous avez consenti à me dire, voilà le reliquaire.
Le Pincheyra bondit dessus comme une bête fauve sur sa proie et le fit disparaître sous son poncho.
—Vous me jurez que les reliques sont vraies? demanda-t-il d'un ton soupçonneux.
—Je vous le jure.
—C'est égal, murmura-t-il en hochant la tête, je les ferai bénir par le Père Gómez, cela ne peut pas nuire; adieu, madame.
Et sans plus de salutations, il tourna sur les talons et quitta le toldo aussi brusquement qu'il y était entré, sans autrement prendre congé des deux dames et tenant la main droite fortement appuyée sur la poitrine dans le but sans doute de s'assurer que le précieux reliquaire était toujours à l'endroit où il l'avait caché.
Il y eut un long silence entre les deux dames après le départ du Pincheyra.
La marquise releva enfin les yeux et fixa un long regard sur sa fille, qui, la tête penchée sur la poitrine, semblait plongée dans d'amères réflexions.
—Eva! lui dit-elle d'une voix douce.
La jeune fille tressaillit, et, redressant vivement sa belle tête pâlie par le chagrin:
—Vous me parlez, ma mère? répondit-elle.
—Oui, ma fille, reprit la marquise; vous pensiez à notre malheureuse situation, sans doute?
—Hélas! fit-elle.
—Situation, continua la marquise, que chaque instant qui s'écoule rend plus affreuse car ne vous y trompez pas, mon enfant, cette liberté que nous accorde le bandit dont nous sommes les prisonnières, cette liberté n'est qu'un leurre.
—Oh! Le croyez vous donc, ma mère? Qui vous fait supposer cela?
—Je ne sais rien, et pourtant je suis convaincue que l'homme qui se dit envoyé par votre père pour nous ramener près de lui, et s'obstine à se tenir à l'écart, au lieu de se présenter à nous, ainsi qu'il le devrait faire; je suis convaincue que cet homme est un ennemi, plus redoutable peut-être pour nous que celui auquel il nous enlève, et qui, bandit sans foi ni loi, ne nous retenait cependant que dans l'espoir d'une riche rançon, n'ayant contre nous ni haine ni colère.
—Pardonnez-moi, ma mère, de ne pas être de votre avis en cette circonstance. Dans une contrée si éloignée de notre pays, où, à paru don Emilio, nous ne connaissons personne, étrangères au milieu du peuple à demi sauvage qui nous entoure, quel ennemi pouvons-nous redouter?
La marquise sourit tristement.
—Votre mémoire est courte, dit-elle, ma chère Eva; insouciante comme tous les enfants de votre âge, le passé n'est plus pour vous qu'un rêve, et vos regards, sans se fixer sur le présent, se dirigent sur l'avenir seul. Avez-vous donc oublié déjà le chef de partisans qui, il y a deux mois, nous fit prisonnières et dont nous sauva le dévouement de don Emilio?
—Oh! Non, ma mère, s'écria-t-elle avec un tressaillement nerveux, non, je ne l'ai pas oublié, car cet homme semble être notre mauvais gente! Mais, Dieu soit loué ici, du moins, nous n'avons rien à redouter de lui.
—Vous vous trompez, ma fille, c'est lui, au contraire, qui aujourd'hui nous poursuit encore.
—Cela ne saurait être, ma mère; cet homme est, vous le savez, attaché au parti contraire à celui que soutient le bandit aux mains duquel nous nous trouvons.
—Pauvre enfant, les méchants se ligueront toujours lorsqu'il s'agira de faire le mal; je vous le répète, cet homme est ici.
—Ma mère, dit la jeune fille d'une voix que l'émotion faisait trembler, mais cependant avec un accent résolu, vous le connaissez depuis longtemps cet homme?
—Oui, répondit-elle sèchement.
—Puisqu'il en est ainsi, vous savez sans doute les motifs vrais ou faux de cette implacable haine?
—Je les sais, oui, ma fille.
—Et, dit-elle avec une certaine hésitation, pourriez-vous me les faire connaître?
—Non, cela m'est impossible.
—Me permettez-vous de vous adresser une question ma mère?
—Parlez, ma fille; si je puis vous répondre, je le ferai.
—Les motifs de cette haine vous touchent-ils personnellement?
—Non: je suis de toutes les manières innocente des faits qu'on nous reproche.
—Pourquoi nous, ma mère?
—Parce que, chère enfant, tous tes membres d'une famille sont solidaires les uns des autres; vous le savez, n'est-ce pas?
—Je le sais, oui.
—De là cette conséquence indiscutable qu'une action reprochée à un membre d'une famille doit être à tous, et que, si cette action est honteuse ou coupable, tous en subissent la honte et en doivent accepter la responsabilité.
—C'est juste; merci, ma mère, je vous comprends; maintenant, il reste seulement un point sur lequel je ne suis pas bien édifiée.
—A quoi faites-vous allusion?
—A ceci, lorsqu'à Santiago de Chile, et plus tard à Salto, le señor don Zéno Cabral... c'est ainsi qu'il se nomme? Je crois...
—En effet, tel est son nom; continuez.
—Donc, lorsqu'il se présenta dans notre maison, connaissiez-vous déjà cette haine qu'il nous portait?
—Je la connaissais, ma fille, répondit nettement la marquise.
—Vous la connaissiez, ma mère! s'écria doña Eva avec surprise.
—Oui, je la connaissais, je vous le répète.
—Mais alors, ma mère, s'il en était ainsi, pourquoi le receviez-vous donc sur le pied de l'intimité lorsqu'il vous aurait été si facile de lui fermer votre porte.
—Vous le croyez ainsi.
—Excusez-moi cette insistance, ma mère, mais je ne puis m'expliquer une telle conduite de votre part, à vous, douée, ainsi que vous l'êtes, d'un tact si exquis et d'une profonde connaissance du monde.
La marquise haussa légèrement les épaules tandis qu'un sourire d'une expression indéfinissable plissait les coins de sa bouche.
—Vous raisonnez comme une folle, ma chère Eva, lui répondit-elle, en appuyant légèrement ses lèvres pâles sur le front de la jeune fille; je ne connaissais pas personnellement don Zéno Cabral, il ignorait et probablement il ignore encore aujourd'hui que j'étais maîtresse du secret de sa haine, secret dont, en effet, avec un caractère moins franchement loyal que celui de votre père, je n'aurais pas dû, à cause de certaines particularités blessantes pour mon caractère de femme, je n'aurais pas dû, dis-je, partager le lourd fardeau; mon but, en attirant chez-moi notre ennemi, et en l'introduisant même dans notre intimité la plus privée, était de lui donner le change, de le convaincre que j'étais dans une ignorance complète, par conséquent, d'éveiller sa confiance et de parvenir, sinon à le faire renoncer à ses projets contre nous, du moins, à les lui faire modifier, ou à en obtenir l'aveu de sa bouche. La faiblesse apparente de don Zéno, ses manières efféminées, sa feinte douceur, son visage imberbe, qui le fait paraître beaucoup plus jeune qu'il ne doit l'être en réalité, tout me portait à supposer que j'aurais bon marché de lui, et que je réussirais facilement. Il n'en a malheureusement pas été ainsi. Cet homme est de granit; rien ne l'émeut, rien ne le touche; se faisant de l'ironie une arme, d'autant plus dangereuse qu'elle est plus difficile à combattre de sang-froid, toujours il a su déjouer mes ruses et repousser mes attaques. De guerre lasse, froissée un jour par le ton de mordante raillerie dont il ne se départait pas dans nos entretiens particuliers, je me laissât emporter par la colère, et je le blessai grièvement par un mot sanglant que je lui jetai au visage et que, à peine prononcé, j'aurais voulu retenir; mais il était trop tard: l'imprudence commise par moi était irréparable. En voulant démasquer mon adversaire, j'avais laissé dire dans mon cœur. De ce moment tout fut fini entre nous, ou plutôt tout commença. Après m'avoir froidement saluée, il se retira en m'avertissant ironiquement de mieux me tenir sur mes gardes dorénavant, et je ne le revis plus jusqu'au moment où il nous fit tomber dans l'embuscade qui nous mit en son pouvoir.
—Pendant que la marquise parlait, le visage de doña Eva exprimait tour à tour les sentiments les plus divers. La jeune fille, en proie à une vive émotion qu'elle essayait vainement de maîtriser, comprimait sa poitrine haletante et essuyait furtivement ses yeux qui d'instants en instants se remplissaient de larmes; enfin cette émotion se fit tellement visible, que force fut à la marquise de s'en apercevoir. Elle s'arrêta brusquement, et fixant sur sa fille un regard dur et impérieux tandis que ses sourcils se fronçaient à se joindre et que sa voix prenait une sourde intonation de menace:
—Qu'avez-vous donc, niña? lui demanda-t-elle et pourquoi ces larmes que je vous vois répandre?
La jeune fille rougit et baissa la tête avec embarras.
—Répondez, reprit sévèrement la marquise, répondez, je le veux.
—Ma mère, balbutia-t-elle d'une voix faible et tremblante, les choses que vous me dites ne suffisent-elles donc pas pour me causer la douleur à laquelle vous me voyez en proie? Je ne mérite en aucune sorte l'injuste colère que vous me témoignez.
La marquise hocha la tête à plusieurs reprises, et continuant à fixer son regard sur sa fille qui, rougissant et pâlissant tour à tour, perdait de plus en plus contenance.
—Soit, dit-elle, je veux bien feindre d'ajouter foi à ce qu'il vous plaît de me répondre, mais prenez garde qu'un jour je m'aperçoive que vous m'avez menti, et qu'un sentiment dont vous ignorez sinon, l'existence, du moins la force, et que vous essaieriez en vain de me cacher, a germé dans votre cœur.
—Que voulez-vous dire, ma mère? Au nom du ciel, je ne vous comprends pas.
—Veuille le ciel que je me sois trompée, reprit-elle sourdement; mais, brisons-là, nous ne nous sommes que trop appesanties sur ce sujet, je vous ai avertie, et je veille; l'avenir décidera.
—Ma mère, quand nous sommes si malheureuses déjà, pourquoi augmenter ma douleur par d'injustes reproches?
Elle lui lança un regard dans lequel brilla un fulgurant éclair de colère, mais se remettant aussitôt:
—Vous m'avez donc comprise! s'écria-t-elle avec une froideur calculée.
—La jeune fille frissonna et tomba palpitante sur le sein de sa mère, en balbutiant une réponse entrecoupée par la douleur et s'évanouit.
La marquise la souleva légèrement dans ses bras et l'étendit sur un hamac; longtemps elle la contempla avec une expression de colère, d'amour et de tristesse impossible à rendre.
—Pauvre, pauvre enfant! murmura-t-elle, et, tombant à deux genoux auprès du hamac, elle joignit les mains et adressa au ciel une fervente prière.
Elle pria longtemps ainsi; soudain elle sentit une larme brûlante tomber sur son front, elle releva vivement la tête.
Sa fille, à demi levée hors du hamac, penchée sur elle, la regardait prier.
—Ma mère! Ma mère! s'écria-t-elle en l'attirant doucement vers elle.
La marquise se leva sans répondre, s'approcha de sa fille, et les deux femmes tombèrent dans les bras l'une de l'autre, confondant leurs larmes dans une étreinte passionnée.
La journée s'écoula tout entière sans nouvel incident. Grâce à la présence des étrangers dans le camp, nul ne vint troubler la solitude des captives qui eurent au moins cette satisfaction d'échapper, pendant cette dernière journée, au milieu des Pincheyras, aux obsessions intéressées de la sœur de leur chef.
Vers le soir, on les avertit par un message assez laconique de faire tous leurs préparatifs, de façon à être prêtes à se mettre en route au premier signal.
Les bagages des deux dames avaient été, chose étrange, scrupuleusement respectés par les partisans; aussi étaient-ils assez importants et nécessitaient quatre mules pour leur transport; on leur promit que des bêtes de somme seraient mises à leur disposition.
La nuit fut sombre; une chaleur lourde pesait sur la nature; la lune, cachée par d'épais nuages bordés de reflets grisâtres, ne répandait aucune lumière; le ciel était noir; de sourdes rumeurs, emportées sur l'aile du vent, traversaient l'espace comme des plaintes sinistres; par intervalles, des mugissements lugubres s'échappaient des quebradas, et, répercutés par les échos, allaient éveiller les fauves au fond de leurs repaires, ignorés.
Un silence funèbre planait sur le camp, où tous les feux étaient éteints; les sentinelles elles-mêmes étaient muettes, et leurs longues silhouettes immobiles, semblables à des spectres, se détachaient en gris sur la teinte plus sombre des mornes environnants.
Vers quatre heures du matin, au moment où l'horizon commençait à s'iriser de bandes grisâtres, un bruit de chevaux se fit entendre dans la partie du camp habitée par les captives et se rapprocha rapidement de leur hatto.
Elles comprirent que le moment de leur départ était arrivé, et elles se mirent en mesure de recevoir les gens que sans doute don Pablo leur envoyait pour charger leurs bagages.
Elles avaient passé la nuit en prière, sans que pendant une seule minute le sommeil fût venu clore leurs paupières.
Au premier coup frappé à leur porte, elles quittèrent leur siège et ouvrirent.
Un homme entra, cet homme était don Pablo; un épais manteau l'enveloppait, un chapeau à larges bords était rabattu sur ses yeux.
Il salua poliment les dames.
—Êtes-vous prêtes? leur demanda-t-il.
—Nous attendons répondit laconiquement la marquise, voici nos bagages.
—C'est bien! répondit-il, et s'adressant à plusieurs hommes entrés à sa suite dans le hatto: allons, vous autres, leur dit-il d'un ton bref, chargez cela rondement, nous n'avons pas de temps à perdre.
Les ballots étaient au nombre de six, et formaient ainsi la charge de trois mules: en quelques minutes, ils furent solidement fixés sur les flancs des dociles et patientes bêtes.
—Señoras, reprit don Pablo, veuillez me suivre, s'il vous plaît.
Les dames s'inclinèrent sans répondre et sortirent du hatto.
Plusieurs cavaliers étaient arrêtés devant la porte. Deux chevaux étaient tenus en bride par un peon.
Voici vos montures, señoras, dit le Pincheyra; mettez-vous en selle.
—Est-ce que nous partons tout de suite? hasarda la marquise.
—Il le faut, madame, répondit don Pablo avec une respectueuse politesse, nous sommes menacés d'un temporal; tout retard pourrait nous causer de graves préjudices, au lieu qu'en faisant diligence, nous aurons atteint un refuge sûr avant qu'il éclate.
—Ne vaudrait-il pas mieux différer de quelques heures notre voyage? demanda encore la marquise.
—Vous ne connaissez pas encore nos cordillières, señora? répondu en souriant Pincheyra. Un temporal de deux heures seulement occasionne ordinairement de tels désastres que les communications se trouvent coupées pendant des semaines et souvent des mois entiers: du reste, je suis complètement à vos ordres, et, si vous le désirez, nous attendrons.
La marquise réfléchit un instant; ce ton et ces formes polies auxquelles cet homme ne l'avait nullement habitué depuis leur rencontre, lui causèrent une impression singulière et lui rendirent, sinon l'espoir, du moins le courage; il se tenait immobile devant elle, prêt, en apparence, à satisfaire le désir qu'elle manifesterait.
—Partons donc, puisqu'il en est ainsi, lui dit-elle.
Don Pablo s'inclina et lui offrit la main pour se mettre en selle.