Le moyen de parvenir, tome 3/3
Et lui répond:
L'autre. O bien, si vous me calomniez, c'est tout un, il n'y a point de ma faute. Le valet de l'aumônier, à qui les autres faisoient la guerre, le dit bien à messieurs du bureau: vraiment, messieurs, il n'y a que les pauvres que l'on canonise. Or bien, touche-là; Vigneau; ta femme est femme de bien, je le crois, si l'ai-je besognée aussi bien que toi. O le niais! Elle est si laide, que je ne voudrois avoir affaire à la femme, non plus qu'au mari. Passons outre; je sens déja que ce livre nous échappe, & me semble que je vois déja un fripon de proposant, qui est joint avec un aspirant à la prêtrise mediante coquedindo; & ils disent que je suis nigromanchian, que je fais parler des morts. Je suis bien plus habile que cela: les morts ont parlé; ils le savent bien: mais je fais parler les bêtes; & beaucoup parleront, si dieu plaît. Mais avisez, s'il vous plaît, à tout ce qui se fait, ou que l'on fait en ce monde; tout cela a une fin certaine; je vous en ferai une démonstration notable. Allez chez un peintre, & voyez-lui broyer les couleurs. Savez-vous bien pourquoi on prend tant de peine à les broyer diligemment? Je vous ai dit un grand secret; avisez-y: prenez la mollette & la levez; & vous verrez de beaux arbrisseaux & branchages qui y sont haut & bas. Et voilà la cause pourquoi, la fin pour laquelle, les aveugles se connoissent en couleurs: & pource, si tu crains la goute, abbas-là, fous-là. Ma fille, ô belle servante, si mon valet te prie d'un peu de jouissance, prens un bâton & lui en donne, tandis que je m'amuserai à ces gens de réputation, qui sont pleins d'honneur, comme une truye de poivre.
Le bon homme. Or çà, mes bons amis, vivons en liberté, notre convive s'acheve, ils sont sur le dessert: je suis un peu sorti, pour vous le dire. D'autres pour tout recueillir le reste que j'ai oublié pour mon plaisir & votre commodité, d'autant que les yeux vous feroient mal, qui seroit fort au désavantage de votre vue.
Quelqu'un. Bien donc, dites-moi, avez-vous envie de parvenir? Lisez ce volume de son vrai biais. Il est fait comme ces peintures qui montrent d'un & puis d'autre. On m'a dit qu'il y a quelques malotrus qui ont dit: voici des traits d'athéiste. En da, je n'en sais rien; je m'en rapporte à eux. Si j'ai rencontré à dire leur naïveté, ç'à été sans le savoir. Je joue au colin-maillard; je prends ce que je trouve. Mais eux, qui sont sages & pleins d'intelligence, ils font tout par élection & connoissance. Il est toujours avis au chat breneux que la queue lui pue. Ne vous déplaise, si j'ai dit quelque chose qui regarde ou oye de côté, & sente mal à votre goût, ce n'est pas ma faute; c'est une perspective d'oreille qui est gauchie: & puis les parfaits sont aux cieux. Si je m'ébats à me moquer de vous, ébattez-vous à dire bien de moi, afin que ce ne soit de vous dont je parle. Et puis, qui sait en bon escient que je veux dire, s'il n'a vu & lu le tout; & n'a requis le vrai sens de mon affaire? Et par la double fressure de mon petit chien, (j'ai quasi juré comme un connestable, & pris dieu partout: mais je me suis retenu par votre exemple), & vous dites donc, que je suis un moqueur, un contempteur? Il est vrai, si vous le prenez selon votre folle fantaisie, qui ne vaut pas une foutée de chat: aussi je contrôle vos sottises, & condamne vos impudences. Or chacun juge selon le poids de sa charité. Et de-là les bonnes religieuses qui apprendront ceci par cœur, diront: il est bon homme; il taxe les vices d'une belle façon. Et pour l'amour de cela, je me mettrai à faire un beau livre, où je vous dirai la vérité tout au rebours des autres, & d'une façon si belle, que je le publierai après ma mort, afin que l'on voie que je dirai de bonnes choses, que je n'entendrai non plus que vous autres: & si deviendra tant authentique, que le monde de son temps le priseront sur tous, & le diront l'unique; tellement qu'ils tiendront tous les auteurs, ainsi que vous, comme vrais fous qu'ils sont, se travaillant pour néant, & pour penser acquérir une réputation qui se porte à Paris sur des crochets, comme fagots bénis. Malheureux sont ceux qui se donnent de la peine, pour avoir bruit d'être ou pipeurs, ou flatteurs ou mercenaires, dicteurs de folies d'autrui. Et afin que je puisse un jour commencer ce volume, je mettrai ici un tronc, tel qu'il est en notre ville, auprès le portail de la grande église:
Et je vous promets que vous y gagnerez, & davantage, y apprendrez tout ce qu'il y a de bon en ce monde, ce que je vous prouverai en toutes & maintes sortes.
FIN.