Le musée du Louvre, tome 2 (of 2)
FRAGONARD
(1732-1806)
LA LEÇON DE MUSIQUE
La Leçon de musique
NANTI de son prix de Rome, Fragonard se dispose à partir pour la Ville Éternelle. Mais, avant que de prendre le coche, il va faire ses adieux à son vieux maître et ami François Boucher. Celui-ci l’embrasse et, en le reconduisant, lui donne ses derniers conseils. «Mon cher Frago, lui dit-il, vous allez en Italie voir les œuvres de Raphaël et de Michel-Ange, mais, je vous le dis en confidence, comme ami, si vous les prenez au sérieux, vous êtes perdu.» Boucher, qui avait son franc-parler, aurait même employé un mot plus énergique.
Ne nous hâtons pas de crier au sacrilège. Boucher était un trop grand artiste pour méconnaître le génie des maîtres de la Renaissance. Dans sa forme irrespectueuse, son conseil ne visait qu’à mettre Fragonard en garde contre le danger de l’imitation servile, fût-ce l’imitation de Raphaël. Il ne voulait pas que Rome étouffât dans son élève sa brillante personnalité d’artiste, comme elle avait fait pour tant de peintres bien doués, revenus de là atrophiés et sans tempérament.
Fragonard suivit à la lettre les instructions de Boucher; l’éducation académique de l’École royale de Rome resta sur lui sans influence. Les anciens ne parvinrent pas non plus à le dévoyer: en face des merveilles de Michel-Ange et de Raphaël, il se sentit ému, pénétré d’admiration, mais il était trop essentiellement de son pays et de son temps pour subir aucune emprise; il échappa à la tentation de voir par les yeux d’autrui et ne compromit pas sa personnalité dans de mauvais reflets de l’art italien. Son unique maître fut la nature, cette nature incomparable des environs de Rome; il parcourut et étudia les plus beaux sites d’Italie. Les ruines anciennes, les eaux courantes, les arbres majestueux laissèrent dans l’imagination de Fragonard une impression tellement vive qu’elle se reflétera souvent dans ses toiles, développant en lui un sentiment ému de la nature et une connaissance approfondie de la lumière dont il baignera ses scènes plus tard; c’est de son séjour en Italie qu’il rapporta l’amour de ces grands jardins qui si souvent lui servirent de décor.
Quand il revint en France, il put reparaître sans honte devant Boucher, qui le retrouva tel qu’il était parti, mais avec un génie plus complet et mûri par l’étude. Il était prêt à recevoir des mains de son maître vieilli le sceptre de la peinture française; l’ère glorieuse allait s’ouvrir pour lui.
On peut faire deux parts de l’œuvre de Fragonard: celle qui précède son mariage et celle qui lui est postérieure. Dans la première catégorie se placent les toiles aux sujets légers; dans la seconde on trouve plus fréquemment des scènes d’intimité dans le genre des petits maîtres hollandais.
C’est à cette deuxième manière qu’appartient la Leçon de musique, que nous donnons ici. Cette ravissante toile est demeurée à l’état d’esquisse; mais sous le frottis léger de la peinture apparaît mieux encore toute l’exquise délicatesse de l’art de Fragonard et son habileté à peindre les scènes d’intérieur.
Assise dans un fauteuil, une charmante jeune femme, aux cheveux d’un blond doré, déchiffre au clavecin un morceau de musique posé sur le pupitre. Elle est dans le plus pur costume de l’époque, avec son corsage largement ouvert et sa jupe de satin dont les plis bouillonnent par-dessus les bras de son fauteuil. A côté d’elle, debout, se tient un jeune homme, peut-être son professeur, plus sûrement son amoureux, portant un vêtement quelque peu archaïque, assez semblable à celui des mignons de Henri III. Un toquet couvre sa tête et son cou est emprisonné dans une fraise ruchée. Son office paraît être de surveiller l’exécution correcte du morceau, mais toute son attention semble aller de préférence aux charmes de son élève, qui nous paraît bien rougissante en dépit de l’application qu’elle affecte. Sur une chaise placée à côté du clavecin, une viole est posée, et à côté apparaît la tête ronde d’un chat que la musique a sans doute éveillé de son sommeil.
Cette petite scène intime est infiniment gracieuse: l’intérêt de la toile est concentré sur les deux personnages qui en occupent toute la largeur. Aucun décor, aucun accessoire ne détourne l’attention; pas un détail d’ameublement ou d’architecture qui sollicite le regard; c’est un menu détail d’existence quotidienne, pris sur le vif.
«Personne ne fut mieux doué que Fragonard; toutes les fées semblent avoir assisté à sa naissance. Moins mythologique que Boucher, il exprima le goût, la fantaisie et le caprice de son siècle avec une verve et un esprit incroyables.
«Ses tableaux sont charmants, ses esquisses valent encore mieux que ses tableaux, et ses dessins que ses esquisses. Il ne lui faut presque rien pour rendre son idée; un frottis de bitume, une teinte locale rosée ou bleuâtre, quelques hachures, un réveillon de lumière et voilà tout un monde de figurines qui vivent, sourient, se cherchent, s’embrassent, courent et voltigent, à travers des fumées, des nuages et des bosquets.» (Théophile Gautier.)
JEAN VAN EYCK
(Vers 1381-1445)
LA MADONE
DU CHANCELIER ROLIN
La Madone du Chancelier Rolin
LES fervents du musée du Louvre connaissent tous cette œuvre exquise, aussi remarquable par la beauté de la composition que par le charme du détail, par la vérité des attitudes que par la fraîcheur d’un coloris que l’action de cinq siècles n’a pu ternir.
La scène a pour cadre une riche demeure de Bruges, avec ses fenêtres à petits carreaux sertis de plomb, et dont la porte à colonnes s’ouvre sur la campagne flamande. Sur un siège exhaussé par un coussin, la Vierge est assise tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux. Elle est drapée dans un magnifique manteau de pourpre dont les plis, très amples, s’étalent sur le riche carrelage mosaïqué. Le peintre lui a attribué la beauté blonde des Flamandes, beauté régulière mais sans beaucoup d’expression. Ses cheveux sont bien tirés de chaque côté du front, à la mode de l’époque, et retombent en boucles abondantes et soyeuses sur les épaules; au-dessus de sa tête, un petit ange, les ailes déployées, soutient une massive couronne d’or. Ses yeux baissés suivent les mouvements de l’Enfant divin qui, d’une main, tient un globe de cristal surmonté d’une croix, pendant que l’autre est tendue vers le chancelier Rolin. Celui-ci, revêtu d’une ample robe de brocart brun et or, est agenouillé devant le groupe auguste, les mains jointes, devant un prie-Dieu recouvert d’un coussin, et sur lequel est posé un livre de prières. Quelque belle que soit la Vierge, le personnage du chancelier est le morceau capital de cette œuvre précieuse; son attitude d’adoration et d’extase est traduite avec une éloquence dont on ne trouve l’équivalent dans aucune autre peinture, sinon peut-être dans la Madeleine du Corrège, du musée de Parme.
A l’intérêt de cet auguste tête-à-tête, l’art de Van Eyck en a ajouté un autre, celui d’un merveilleux paysage qui s’étale jusqu’à l’horizon entre les colonnes de la porte. «Voici les jardins du palais avec les parterres de lis, de glaïeuls et de roses, où se promènent les paons et les oiseaux rares. Une terrasse garnie de créneaux les domine du côté de la campagne, et de petits personnages d’une étonnante vérité animent ce rempart. Au-delà, s’étendent à perte de vue les lumineuses perspectives: une rivière d’où émerge une île commandée par un château-fort; sur une des rives, une ville avec ses quais, ses rues, son église et son port fortifié; et pour fermer l’horizon, une chaîne de montagnes, dont les cimes se perdent dans les pâles clartés d’une aube matinale. Tout cela foisonnant de détails microscopiques, qui sont d’une vérité stupéfiante et qui se fondent dans une harmonie d’ensemble presque mystique.» (A. Gruyer.)
Dans ses dimensions réduites, la Madone Rolin constitue un joyau sans prix. Elle est le plus parfait échantillon de la première manière du maître, toutes les qualités de ce génial artiste s’y résument et s’y épanouissent. «La tonalité, écrit Eugène Fromentin, en est grave, sourde et riche, extraordinairement harmonieuse et forte. La couleur y ruisselle à pleins bords. Elle est entière, mais très savamment composée et reliée plus savamment par des valeurs subtiles. En vérité, quand on s’y concentre, c’est une peinture qui fait oublier tout ce qui n’est pas elle et donnerait à penser que l’art de peindre a dit son dernier mot, et cela dès la première heure.»
«Rien de plus fin, de plus chaste, de plus délicat, ajoute Théophile Gautier, que cette Notre-Dame, encore un peu gênée par la symétrie gothique, mais déjà d’une vérité et d’une finesse de dessin incroyables. Quant à sa couleur, au lieu de se carboniser avec le temps, elle s’est agatisée et a pris l’immuable éclat des pierres dures.»
Beaucoup d’œuvres de Jean Van Eyck ont été attribuées à son frère aîné Hubert, grand peintre lui aussi. Mais il semble aujourd’hui que ce dernier ne puisse réellement revendiquer que le triptyque fameux de l’Adoration de l’Agneau, merveille sans égale qui suffit amplement à sa gloire. Il mourut avant de l’avoir terminé, et c’est son frère Jean qui y mit la dernière main.
Jean Van Eyck ne limita pas son œuvre à la peinture religieuse; il fut aussi un portraitiste incomparable. De son vivant, il jouit d’une réputation européenne, et le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le prince le plus éclairé de son temps, se l’attacha comme peintre de sa Cour. Il lui marqua toujours une faveur particulière, l’employant plusieurs fois à des missions diplomatiques à l’étranger. Quand Van Eyck se fixa à Bruges, le duc vint lui rendre visite à plusieurs reprises. On l’appelait d’ailleurs aussi Jean de Bruges.
On sait qu’on attribue à Jean Van Eyck la découverte de la peinture à l’huile. Il est aujourd’hui acquis que ce procédé était connu bien avant lui. Dès le XIIIe siècle, le moine Théophile en avait donné la formule avec une minutieuse précision. Il n’en reste pas moins vrai que les deux frères, Hubert et Jean Van Eyck, furent les premiers à l’employer, et ils en usèrent avec une surprenante science, à en juger par l’admirable degré de conservation de leurs œuvres.
Exécutée par Van Eyck pour la collégiale d’Autun, d’après les ordres du chancelier Rolin, conseiller du duc de Bourgogne, la Madone du Chancelier Rolin fut transportée au Louvre par Napoléon Ier. Elle porte aussi le titre de Madone Rolin et celui de Vierge au donateur.
PAUL VÉRONÈSE
(1528-1588)
SUZANNE ET LES VIEILLARDS
Suzanne et les Vieillards
PEU de sujets, dans le genre anecdotique, ont été aussi souvent traités par les peintres de tous les temps et de tous les pays. Il n’est pas jusqu’à nos artistes contemporains qui n’aient essayé de traduire le charme de cette jeune nymphe surprise dans ses pudeurs intimes par la lubrique curiosité de deux vieillards dissimulés dans le feuillage. On pourrait faire une étude complète des différentes écoles, avec leurs analogies ou leurs oppositions, leurs qualités propres, par la seule comparaison des nombreuses Suzanne au bain dont fourmille la peinture.
Parmi ces innombrables compositions, celle de Paul Véronèse se recommande par cette ampleur d’exécution, cette extraordinaire fantaisie, ce coloris miraculeux qui font du grand maître vénitien l’un des rois de la peinture universelle. Pour apprécier à sa mesure le merveilleux génie de Véronèse, génie fait d’invention, d’originalité, de spontanéité, il aurait fallu mettre sous les yeux du lecteur l’incomparable toile des Noces de Cana, mais ses vastes proportions nous interdisaient de la reproduire autrement qu’en un format réduit où tout le charme du détail aurait été perdu. Quelle que soit d’ailleurs l’œuvre traitée par Véronèse, il se montre toujours supérieur. Dans les toiles de chevalet comme dans les immenses compositions exécutées pour les couvents et les églises de Venise, les mêmes qualités se retrouvent, à un égal degré de perfection.
Dans sa Suzanne et les Vieillards, la plupart des éléments chers à l’artiste lui faisaient défaut. Il n’y a là ni brocarts somptueux ni accessoires d’or ou d’argent, aiguières, amphores à faire miroiter, mais simplement une femme demi-nue dans un paysage agreste. Néanmoins, la fantaisie de Véronèse s’empare immédiatement du sujet pour faire une œuvre personnelle qui ne ressemblera à rien de ce qui a été fait avant lui. Sa jolie baigneuse ne plonge pas son corps dans l’eau d’un ruisseau banal et vraisemblable. Véronèse s’inquiète peu de vraisemblance, il la traite avec quelque mépris: «Je peins mes œuvres, disait-il, sans prendre ces choses en considération et je me donne la licence que se permettent les poètes et les fous.» Et il fait comme il dit. La vasque où Suzanne se baigne n’a rien de champêtre: une balustrade demi-circulaire l’abrite, mais cette balustrade est en marbre et l’on croirait que la belle jeune femme a fait la gageure d’étaler ses charmes dans une fontaine de la place Saint-Marc.
On a dit de Véronèse qu’il fut le plus absurde et le plus adorable des peintres. Sous sa forme paradoxale, ce jugement est d’une vérité parfaite. Absurde, Véronèse le fut vraiment par son mépris de la logique et de la raison, par son indifférence complète de la vérité historique ou des règles d’école, par sa manière anachronique d’habiller l’antiquité d’oripeaux de son époque. Et c’est précisément cette fantaisie débordante, cette naïve confiance en soi, cette compréhension sans analogue de la mythologie et de la religion qui firent de lui l’adorable artiste dont l’admiration des siècles a consacré la gloire.
Par un rare privilège de son génie, les invraisemblances les plus osées disparaissent sous la magique parure dont il les recouvre, et c’est à peine si l’on perçoit les criantes erreurs d’histoire ou la superficialité de ses conceptions picturales dans le ravissement continu que provoquent la vie intense de ses personnages, la splendeur de son coloris, le chatoiement de ses draperies, la clarté de ses ciels et l’impression de jeunesse et de joie qui rayonne de son œuvre. Véronèse ne fut ni un penseur, ni un historien, ni un moraliste; il fut tout simplement un peintre, mais un grand peintre. Son œuvre fut toujours l’exaltation de la joie de vivre, l’apologie des agréments extérieurs qui rendent l’existence aimable et facile: les belles demeures, les fleurs, les copieux repas, les étoffes précieuses, les femmes luxueusement parées.
Regardez sa baigneuse. Elle est dévêtue, mais les vêtements jetés en désordre sur le bord du bassin ont des reflets de soie qui trahissent chez leur propriétaire des goûts de luxe et de coquetterie. Si nous pouvions assister à l’habillage complet de la jeune femme, nous verrions sûrement surgir quelque élégante patricienne de Venise, à jupe ramagée, et couverte de bijoux. Son corps demi-nu a d’ailleurs de la race, la ligne est noble; Véronèse ne consentirait pas à peindre une ribaude. Et les deux vieillards, qui grimacent de convoitise dans leur cachette, sont probablement de riches marchands, peut-être même d’augustes sénateurs de la Sérénissime.
Ce qu’il faut principalement admirer dans cette toile, c’est la facilité d’exécution, le naturel des personnages et surtout Suzanne, ni trop pudique ni trop osée, mais simplement dans l’attitude effarouchée d’une baigneuse nue qui s’aperçoit qu’on la regarde.
Il est presque inutile de signaler la beauté du coloris, chatoyant sur la chair nue comme une caresse, profond et lumineux dans le paysage.
Suzanne et les Vieillards appartenait à la collection de Louis XIV, dont il était un des plus beaux tableaux.
FRANÇOIS BOUCHER
(1703-1770)
DIANE AU BAIN
Diane au bain
LA Diane au bain est une délicieuse peinture; on la considère comme étant peut-être le chef-d’œuvre de Boucher.
«La déesse, qu’une de ses nymphes, agenouillée près d’elle, vient de déchausser, se prépare à entrer dans l’eau. Elle est nue, de cette nudité argentée des déesses virginales; une de ses jambes relevée sur le genou, de l’autre jambe elle tâte l’eau; elle tient à la main le fil de perles qu’elle vient de détacher de son col. Penchée en avant, elle incline un peu sa charmante tête vue de profil, aux cheveux retroussés, entremêlés de perles et où brille un petit croissant. Le col, les épaules, le torse, baignés d’ombres légères et transparentes, ont une souplesse, une fraîcheur et une grâce extrêmes. La nymphe aussi est charmante, et ces jeunes corps, facilement pliés en des poses coquettes, se détachent d’un fond de paysage fait de roseaux, de broussailles, d’arbres aux racines tordues s’accrochant à la déchirure d’un ravin, d’un courant d’eau où boivent les chiens, et d’un tertre au bord de la source, sur lequel se chiffonnent et se cassent, à plis miroitants, des étoffes nonchalamment jetées. Un carquois, des flèches et, dans un coin, un arc près d’un trophée de gibier, composé de perdrix et de lièvres, meublent pittoresquement les angles de la toile; tout cela enlevé avec une sûreté et une prestesse de touche admirables. Boucher a ce mérite que ses moindres compositions font tableau et décorent le mur auquel on les suspend.»
Théophile Gautier, dont on vient de lire la description enthousiaste de la Diane au bain, fut le premier à remettre en honneur la peinture de Boucher, tombée dans un injuste discrédit depuis la Révolution. Ce romantique de goût parfait s’était épris d’une passion véritable pour les élégantes joliesses du XVIIIe siècle. Après lui, Jules Janin mena la croisade de réhabilitation, suivi par Banville, Burger-Thoré et surtout les Goncourt dont les admirables études firent revivre et aimer la délicieuse époque des pastorales et des bergeries. Aujourd’hui, le charme de ces peintres adorablement précieux et si finement spirituels a reconquis tout son empire et leurs tableaux, naguère si décriés, connaissent la gloire des enchères fabuleuses, dans les ventes de collections. On ne les discute plus, on les admire.
Parlant de la Diane au bain, M. Gustave Kahn, qui a consacré à Boucher une savante et littéraire étude, s’exprime ainsi:
«La Diane n’a rien de l’impérieuse chasseresse; elle est d’une sérénité enfantine, d’une innocence, d’une pureté de fleur à peine éclose; l’innocence est au sourire de la bouche puérilement mi-ouverte; de jolis tons d’ambre et de rose embellissent le corps si frêle et si harmonieux de la jeune déesse, et autour d’elle les fonds de la pastorale de Boucher déploient l’écran de leur minutie et leur rêve de jardin des Hespérides.»
Détournons un instant les yeux des deux charmantes images et considérons le décor qui les entoure. On a souvent accusé les peintres de cette époque de n’avoir rien compris à la nature et de s’être forgé des paysages de convention, peignés, lavés, entièrement issus de leur fantaisie. Boucher ne mérite pas un tel reproche. Certes, il idéalise son paysage, il a bien soin d’en écarter tout ce qui risquerait de choquer le regard ou de rompre l’harmonie. N’y cherchez pas des sentiers raboteux, des ornières boueuses, tout cela cadre trop mal avec les gracieuses personnes qu’il y veut faire passer. Pas de souillures sur le sol où la divine baigneuse pose ses jolis pieds, mais levez les yeux et dites-moi si ces arbres au beau feuillage vert ne sont pas de vrais arbres, si l’air et la lumière n’y circulent pas, si ce n’est pas la nature réelle, celle que nous voyons à chaque pas dans nos promenades à travers champs? Au surplus, est-il donc si paradoxal qu’une terre plus belle que nature soit disposée sous les pieds de déesses habituées à cheminer sur les nuées brillantes de l’Olympe?
Et quel art dans la composition! Comme tout est admirablement disposé pour la joie des yeux, comme tout chante, vibre, sourit! «Pour ses pastorales et ses mythologies, son faire est éblouissant. Il a un souci suprême, primordial: l’arrangement. Il le veut plein, ordonné, compliqué, amusant; il veut donner de l’imprévu, de la surprise, du détail ingénieux, du détail spirituel. C’est pourquoi, comme disent les Goncourt, «il entrelace les saxifrages, il noue la vigne folle en rideaux, il encadre les paysages et les nymphes dans des tentures de sapins aux grands bras qui penchent et balancent leurs longs effilés verts sur le corps des baigneuses.» (G. Kahn.)
La Diane au bain fut exposée au Salon de 1742. Elle fut payée 3.595 francs à la vente de M. de Narbonne en 1850, puis acquise par l’État, en 1852, pour 3.200 francs à la vente de M. de Cuyck: et depuis lors ce tableau figure au Louvre.
GÉRICAULT
(1791-1824)
LE RADEAU DE “LA MÉDUSE”
Le Radeau de “la Méduse”
EN 1816 la frégate la Méduse, qui faisait voile vers le Sénégal, fut séparée par la tempête, au large des côtes du Maroc, de la flottille qu’elle escortait, et s’échoua sur le banc d’Arguin, près du cap Blanc. Après de vains efforts pour renflouer le navire, les naufragés durent l’abandonner. Les canots étant insuffisants pour les soldats et l’équipage, on construisit un grand radeau grâce auquel on espérait, à la remorque des embarcations, atteindre la côte. Mais, pendant la nuit, les hommes des canots coupèrent lâchement les câbles de remorque et abandonnèrent à leur sort les malheureux entassés sur le radeau. Alors commença cet effroyable drame demeuré célèbre dans les fastes de la mer. Pendant vingt-sept jours, les naufragés furent ballottés sur les flots de l’Océan; les vivres, puis l’eau manquèrent; la faim, la soif, la folie agissant sur ces êtres épouvantés, il se passa des scènes d’horreur et de carnage dont deux des survivants, Corréard et Savigny, nous ont laissé la dantesque relation. Lorsque, enfin, la corvette l’Argus aperçut les signaux, il ne restait plus que quinze survivants sur le radeau tragique.
C’est ce terrible drame de la mer que Géricault résolut de peindre à son retour de Rome. A son projet se mêlait aussi une pensée étrangère à l’art. L’opposition ayant exploité ce naufrage contre le gouvernement de Louis XVIII, le peintre était sûr, en choisissant un tel sujet, d’attirer sur lui l’attention générale et peut-être espérait-il quelque avantage du scandale qu’il produirait. Mais il avait trop le respect de son art pour confier aux seules passions politiques le soin de sa gloire; il ne négligea rien pour faire une œuvre émouvante et belle. Il se fit conter par Corréard et Savigny les moindres détails de la tragédie; il établit le radeau d’après les indications du charpentier, survivant lui aussi, qui l’avait construit. Obligé de peindre des cadavres et des agonisants, il alla à l’hôpital Beaujon surprendre au chevet des malades les affres de la mort. Quant au ciel blafard de sa toile et à la teinte livide de ses flots, il les peignit d’après nature, un jour de tempête, sur la plage du Havre.
Malgré ce minutieux besoin de vérité documentaire, il y avait trop de fougue, de vigueur chez Géricault, pour que le naufrage de la Méduse demeurât un simple procès-verbal illustré de la catastrophe; il y a introduit l’immensité du désespoir, l’horreur de la mort et aussi cette énergie sauvage qui rattache l’homme à la vie et lui fait avidement scruter cet horizon mouvant où, tout d’un coup, peut surgir le salut. Quand il s’agit de fixer la composition, Géricault hésita longuement. Il essaya successivement plusieurs épisodes: il rejeta celui de la délivrance à cause du défaut d’unité qu’aurait présenté la toile avec le double groupe du radeau et du navire sauveteur; l’épisode de la lutte entre les naufragés le retint davantage et il en fit une esquisse très belle et très poussée, mais, là encore, il lui parut que l’éparpillement des corps à corps sur toute l’étendue du radeau serait inharmonique. Il se décida enfin pour le magnifique tableau que nous reproduisons, où se trouvent à la fois concentrés sur un même point les malheureux prostrés, attendant la mort, et ceux qui viennent d’apercevoir une voile à l’horizon et qui l’appellent frénétiquement en agitant des linges.
Géricault ne s’était pas trompé en escomptant le bruit que ferait sa toile. Quand elle parut au Salon de 1819, elle souleva une véritable tempête. Acclamée par les libéraux, elle fut vilipendée par les partisans du gouvernement et plus encore par les Davidiens. «Par un de ces aveuglements dont la postérité a peine à se rendre compte, quoiqu’il se renouvelle à l’apparition de chaque génie original, ce chef-d’œuvre fut généralement jugé détestable. On ne sentit pas cette poésie poignante dans sa réalité; on resta insensible à l’effet dramatique de ce ciel livide, de cette mer sinistrement glauque écrasant son écume sur les cadavres ballottés entre les poutres du radeau et secouant de son épaule énorme ce frêle plancher, théâtre d’agonie et de désespoir: cette science de musculature, cette force de couleur, cette largeur de touche, cette énergie grandiose et qui fait penser à Michel-Ange, ne soulevèrent que dédains et que réprobations.» (Théophile Gautier).
L’État ne voulut pas acheter le tableau, malgré les efforts du directeur des Musées, le comte de Forbin. Néanmoins Géricault obtint une médaille d’or, et, en la lui remettant, Louis XVIII lui dit aimablement: «Monsieur Géricault, vous venez de faire un naufrage qui n’en est pas un pour vous.»
Après la mort prématurée de l’artiste, ses héritiers voulaient couper le tableau en quatre pièces, car sa grandeur en rendait le placement difficile. Cette fois, le comte de Forbin réussit à sauver la toile, et l’acquit au prix de 6,000 francs pour le compte de l’État; ce magnifique chef-d’œuvre ne fut pas dépecé et aujourd’hui le Radeau de la Méduse, gloire de l’école française, rayonne, admiré de tous, sur le large pan de muraille qu’il recouvre.
LE TITIEN
(1477-1576)
L’HOMME AU GANT
L’Homme au gant
ON ignore le nom du jeune homme représenté ici; mais, à coup sûr, nous sommes en présence d’un personnage d’importance, patricien de la Sérénissime république de Venise. Sous son vêtement noir, égayé de la seule blancheur d’une chemise de dentelle, le gentilhomme a de la distinction, de la race, une belle tournure aristocratique. Ses cheveux noirs sont à la mode italienne du temps, coupés ras sur le front et retombant assez bas, sur les côtés, pour cacher une partie des oreilles. La tête, bien campée sur un cou robuste, n’est pas régulièrement belle, mais s’illumine d’une intelligence énergique et d’une fermeté tranquille accentuées par l’assurance et la fierté du regard. Aucun autre ornement, dans le sévère costume du modèle, qu’une fine et longue chaînette à grains de corail terminée par un médaillon. La main droite, baguée d’or à l’index, est négligemment passée à la ceinture: cette main est d’un modelé et d’une vigueur d’exécution admirables. De son coude gauche, le jeune patricien s’appuie sur un pan de rocher et, dans sa main gauche gantée de peau de daim, il tient son autre gant.
«On a presque honte d’écrire des phrases élogieuses sur un pareil chef-d’œuvre; il semble que l’on commette un béotisme en exprimant son admiration pour ce dessin grand et simple, cette couleur d’une clarté si chaude, ce modelé puissant et souple, cette fleur de vie répandue partout qui caractérisent la manière de Titien. Titien est le plus sain, le plus robuste, et le plus tranquille des grands peintres. Chez lui, aucun effort visible; il atteint la beauté facilement et du premier coup, comme une chose naturelle. Ses figures ont la santé, la joie sereine, l’équilibre parfait des statues grecques et des peintures antiques telles qu’on peut les supposer. Aucune fièvre, aucune inquiétude ne les travaillent et ne les déforment; elles s’épanouissent tranquillement dans la plénitude de leur force et de leur beauté, heureuses d’avoir reçu la vie du pinceau de Titien qui est, avec Velazquez, le plus grand peintre de portraits du monde.» (Th. Gautier).
Aussi n’est-il pas surprenant qu’il ait été, durant sa longue vie, le peintre de tous les personnages illustres du XVIe siècle. Dès ses débuts, son vigoureux talent lui vaut une réputation méritée. Le Conseil des Dix le nomme peintre des Doges, titre qu’il lui retirera par la suite à cause de ses lenteurs dans l’exécution des commandes; puis, c’est Alphonse de Ferrare, grand protecteur des arts, que Victor Hugo a peint de couleurs si noires, qui attire près de lui le jeune peintre, l’installe dans son propre château et le comble d’honneurs. Ce séjour à Ferrare est marqué par le magnifique portrait du duc, par celui de Laura di Dianti et par une cinquantaine d’œuvres de premier ordre. Après un court passage à la Cour de Frédéric Gonzague, duc de Mantoue, Titien se lie avec Francesco Maria della Rovere, duc d’Urbino et neveu du grand pontife Jules II. A cette Cour, il peint de nombreux portraits, qui sont tous des chefs-d’œuvre; il en exécute même d’après des copies, tels que ceux du Sultan et de François Ier; ce dernier est au Louvre et l’on peut constater en le voyant que Titien n’avait pas besoin de faire poser son personnage pour en faire un admirable portrait.
Jaloux de posséder un tel peintre, le monarque le plus puissant de l’époque, Charles-Quint, lui prodigue les marques de son amitié et lui commande plusieurs fois son portrait. Ces portraits sont autant de chefs-d’œuvre. On raconte qu’un jour l’Empereur—cette «moitié de Dieu», comme l’appelle Victor Hugo—se trouvait dans l’atelier de Titien lorsque celui-ci laissa choir par mégarde son pinceau. Le souverain se baissa pour le ramasser et le rendit à l’artiste. A ses courtisans étonnés, Charles-Quint signifia tranquillement qu’un tel génie était bien digne d’être servi par un empereur. Pour chaque portrait de lui, ce monarque lui paya 1.000 couronnes d’or et il lui conféra en outre des titres de noblesse avec un don annuel de 200 couronnes. Il essaya même de l’attirer à Madrid avec le titre de peintre de la Cour, mais Titien refusa, craignant de ne pouvoir se plier aux habitudes espagnoles en matière d’art et de foi.
Par l’intermédiaire de l’Arétin, son ami, Titien fut appelé à Rome par Paul III, de la famille Farnèse. Le pontife posa plusieurs fois devant lui.
On a dit de Titien qu’il n’eut pas un caractère aussi beau que son génie et qu’il gâta ses dons merveilleux par une rapacité indigne d’un grand artiste. Ce que fut l’homme importe peu aujourd’hui; l’œuvre compte seule et elle est admirable. Titien, quels qu’aient été ses défauts, reste l’un des plus grands peintres du monde et l’un des fournisseurs les plus puissants d’émotion artistique.
L’Homme au gant fut acquis par Louis XIV, à qui nos musées français sont en grande partie redevables de leur richesse.
ANNIBAL CARRACHE
(1560-1609)
LE SOMMEIL DE L’ENFANT JÉSUS
Le Sommeil de l’Enfant Jésus
DOUILLETTEMENT posé sur un coussin, l’Enfant-Roi dort d’un calme sommeil. Devant lui, la Vierge veille avec une maternelle tendresse sur son repos et, comme saint Jean-Baptiste survient et pourrait l’éveiller, Marie, d’un geste délicieux du doigt posé devant la bouche, lui recommande le silence. Il n’est rien de plus gracieux que ce visage de la Vierge où se mêlent la majesté, la grâce, la bonté et une certaine candeur enfantine: on y lit la fierté de son auguste rôle, la joie de la maternité heureuse et aussi la ferveur de la créature élue qui sait que l’Enfant issu d’elle est un Dieu.
Dans cette charmante composition semble se résumer tout l’enseignement de cette école bolonaise, dont les Carrache furent les fondateurs et qui produisit des artistes comme le Dominiquin, Guido Reni, le Guerchin et l’Albane.
Il y eut trois Carrache à la tête de cette école: Louis, Augustin et Annibal, ces deux derniers cousins du premier. Tous les trois eurent de grandes qualités de peintre: Louis l’emporte par la science, Augustin par la facilité, Annibal par la noblesse et l’élévation du style.
Dès que s’ouvrit l’Académie des Carrache, les artistes y affluèrent, délaissant l’atelier de Calvart, alors très estimé en Italie. D’après Corrado Ricci, le mérite principal de l’école de peinture dite «des Carrache» fut de rejeter les formules vieillies et anémiées des disciples de Raphaël et de Michel-Ange, en revenant au point de départ même de l’école de Buonarotti, et surtout au Corrège et au Titien. Rappelons qu’Annibal Carrache considérait ces deux derniers artistes comme ses vrais maîtres; il écrivait qu’à côté du Saint Jérôme du Corrège, le Saint Paul de Raphaël, qui lui avait d’abord paru un prodige de beauté, lui semblait «un personnage de bois, dur et coupant».
Les Carrache mettaient à la base de leur enseignement l’étude de l’antique, l’imitation de la nature, principes qui ne pouvaient, intelligemment suivis, que donner de bons résultats. Il s’y ajoutait l’imitation de tous les maîtres de la Renaissance, précepte très dangereux s’il était servilement respecté. Augustin Carrache, qui était poète à ses heures, avait codifié le programme de l’école sous forme de sonnet. Écoutons-le: «Quiconque veut devenir un bon peintre doit avoir dans la main le dessin de l’école romaine, le mouvement et l’art d’ombrer vénitiens et le beau coloris de Lombardie; il doit suivre la terrible voie tracée par Michel-Ange, le vrai naturel de Titien, le style pur et souverain de Corrège, la juste symétrie de Raphaël, la bienséance et les bases de Tibaldi, l’invention du docte Primatice et un peu de la grâce du Parmesan.» Il y ajoutait encore les qualités complexes de Nicolo dell’Abate et de quelques autres. Ce qui équivalait à dire: «Prenez un peu du génie et de la manière de tous ces maîtres, adaptez-le à votre génie propre, conformez-y votre manière personnelle et, par cette imitation partielle de chacun, vous deviendrez des artistes complets.»
On voit le danger d’un tel enseignement: il ne tendait à rien moins qu’à étouffer la personnalité chez les élèves. Certes, les Carrache n’y songeaient pas, mais, en dépit d’eux-mêmes, tel devait être le résultat de leur doctrine rigoureusement appliquée.
Fort heureusement pour l’éclectisme des Carrache, la plupart de leurs disciples montrèrent un tempérament et une indépendance picturale qui sauva longtemps l’école bolonaise de la décadence. Sans avoir produit des peintres de génie, elle peut s’honorer de noms tels que celui de Guido Reni, dont la facilité proverbiale s’appuyait sur une réelle science du dessin, puisée dans l’étude du Corrège. Le Guide interprétait idéalement la beauté féminine et toutes les expressions qu’elle revêt; il se vantait d’avoir deux cents manières de faire regarder le ciel à une figure, et c’était la vérité.
Ziampieri, dit le Dominiquin, fut également une gloire de l’école bolonaise. Peu doué sous le rapport de l’invention, il possède une grâce un peu lourde dans sa naïveté, mais aimable par sa sincérité, un vrai sentiment de la nature sous un travail pénible où la volonté a plus de part que le don.
Tout différent est l’Albane, charmant et brillant artiste qui fut en quelque sorte le Boucher de XVIIe siècle. Personne n’excelle comme lui à traduire la beauté, la volupté des formes, et comme peintre des Grâces et des Amours, il égale presque le Corrège et le Parmesan.
Mais de tous les peintres de l’école éclectique, Annibal Carrache est le plus remarquable, le plus fécond, le plus complet. Tout jeune, il jouit d’une réputation à laquelle mit le comble sa magnifique décoration du palais Farnèse. Ses fresques, ses tableaux attestent une manière large, aisée, noble; et l’on s’explique la gloire qui, de son vivant même, s’attachait à son nom à Rome aussi bien qu’à Bologne, sa patrie. Comme artiste et comme chef d’école il mérite de figurer au premier rang des peintres italiens du XVIIe siècle.
Le Sommeil de l’enfant Jésus comme tant d’autres chefs-d’œuvre que l’on admire aujourd’hui au Louvre, faisait partie de la collection Louis XIV. Il est connu aussi sous le titre de Le Silence.
MURILLO
(1616-1682)
L’ASSOMPTION
L’Assomption
«LA Vierge, en robe blanche, les épaules couvertes d’un manteau d’azur, couronnée d’étoiles et les pieds sur le croissant de la lune, monte, avec la légèreté d’une vapeur, vers le divin séjour où l’attend son trône. Ses belles mains se croisent sur sa poitrine, et ses yeux, noyés d’extase, boivent avidement l’éternelle clarté. Elle va retrouver au ciel, plein de gloire et à la droite du Père, le Fils qu’elle a vu expirer sur la croix. Autour de la Vierge flotte, dans une brume lumineuse faite d’azur, d’argent et d’or une guirlande de petits chérubins beaux comme des anges, gentils comme des amours, qui folâtrent, volettent et s’empressent avec une gaîté bienheureuse. Jamais Daniel Seghers, le jésuite d’Anvers, ne peignit autour d’une vierge de Rubens une si fraîche couronne de roses, et encore les chérubins de Murillo sont d’un ton plus délicat, plus léger, plus tendre. Les fleurs du Paradis l’emportent sur celles de la terre. Ce tableau, quelque admirable qu’il soit, n’est pas le plus parfait du maître de Séville, mais il a pour lui un charme adorable, une séduction irrésistible. Au sentiment du plus fervent catholicisme, il joint une espèce de coquetterie pieuse, d’afféterie céleste et de grâce amoureusement dévote que pouvait seul concevoir et rendre un peintre espagnol croyant et convaincu.» (Théophile Gautier.)
Croyant, Murillo le fut à l’égal de ces moines qui vouèrent leur pinceau, dans le fond des cloîtres florentins, à l’exclusive glorification de Dieu. Comme Beato Angelico, il consacra son art à célébrer les joies célestes et à exalter la radieuse image de la Vierge. On connaît de lui plus de vingt toiles représentant l’Immaculée Conception; le musée du Prado en possède quatre provenant de la collection de la reine Isabelle Farnèse; quatre autres se trouvent au musée provincial de Séville, une autre dans la salle capitulaire de la Cathédrale. Il y en a en Angleterre et le Louvre se glorifie d’en conserver deux, parmi lesquelles la plus fameuse de toutes, celle reproduite ici, dont la réputation est mondiale.
Mais toutes ont une grande séduction et on pourrait leur appliquer la phrase de Vasari sur les femmes du Corrège: «Elles sont si jolies qu’on les croirait faites au Paradis.»
Cette beauté est bien particulière à Murillo; elle n’emprunte rien à l’esthétique des grands Italiens; elle n’a pas la suavité supraterrestre que Raphaël prête à ses Madones. Les Vierges de Murillo sont plutôt jolies et délicates, d’un charme enfantin, presque naïf, avec une pointe de réalisme, je n’ose pas dire de vulgarité, qui les fait plus proches de nous et nous les rend plus accessibles.
Et c’est précisément ce charme et cette délicatesse, surgissant dans l’ascétique et sombre art espagnol comme un flot de soleil dans les ténèbres d’un sous-bois, qui donnent à l’œuvre de Murillo son caractère exceptionnel et remarquable. Avant lui, la peinture religieuse était austère et se complaisait aux spectacles tragiques des supplices et des martyres. Aucune joie n’éclairait ces scènes effrayantes inspirées par une foi sans cesse aiguillonnée par la peur de l’enfer; aucune joie, pas même celle du coloris. Herrera, le Greco, Ribera sont les plus illustres représentants de cette manière, conforme aux formules sévères de l’Inquisition. Tout autre est Murillo. «Son œuvre, écrit Gustave Geffroy, sourit, chante, et chatoie voluptueusement. A la place où grimaçaient les damnés, dans les bouffées de fumées rousses, on voit de petits anges ou de petits amours, cravatés d’ailes, qui se réjouissent. Murillo prend l’Espagne en fin de crise et discrètement il fait disparaître les chevalets, les tenailles, les instruments de torture encore chauds et rouges; il travaille à la conquête des âmes par la douceur et la séduction, il rend accessible et charmante la religion de fer et de sang des Inquisiteurs. Murillo décore une église comme un théâtre et fait de la sacristie un boudoir.»
L’Assomption, devenue populaire à force d’être reproduite, n’est pas, dans le sens absolu du mot, une image de piété; mais elle demeure une apparition gracieuse, séduisante, jolie gerbe de fleurs suaves cueillie par un peintre pieux pour l’offrir à la Vierge.
Cette célèbre toile représente bien l’assomption de la Vierge, son envolement vers Dieu sur les ailes de la charmante cohorte d’anges; cependant Murillo l’a intitulée, ainsi que ses autres toiles sur le même sujet, la Conception Immaculée de la Vierge. Malgré le catalogue qui l’inscrit sous ce titre, nous lui conservons celui que la faveur universelle a consacré.
Ce tableau célèbre, apporté d’Espagne par Soult, fut vivement disputé à la vente après décès du maréchal. Adjugé à l’État pour 615.500 francs, il figura longtemps au Salon Carré.
FRANZ HALS
(1580 à 1584-1666)
PORTRAIT DE FEMME
Portrait de Femme
UNE des rares figures de Franz Hals qui ne soit pas égayée de ce large sourire que le peintre excellait à peindre. Mais que de bonhomie et de bonté dans cette face de vieille un peu vulgaire! Quelle vie, dans la tranquille douceur de ces yeux, et quelle merveille que ces mains osseuses, ridées, posées l’une sur l’autre et sous l’épiderme desquelles il semble qu’on voie courir le sang!
Il convient de s’extasier devant la force de ces peintres qui savaient créer un effet de mouvement, de chaleur, de vie intense, avec les deux seules taches d’un visage et d’une main, sans le secours d’aucun agrément de costume et de parure. En ces tours de force Franz Hals était passé maître.
«Franz Hals, écrit M. Fontainas dans sa belle étude sur ce peintre, est essentiellement un peintre de portraits; mais nul comme lui n’a senti la nécessité, tout en demeurant vrai, sincère et précis, de faire passer dans l’apparence des choses ou des gens le frisson mystérieux de la vie; nul n’a mieux compris qu’il n’était pas nécessaire, pour animer les figures, d’en transformer la ressemblance. Qu’il s’en soit tenu à appliquer sa méthode fougueuse au seul portrait, par son exemple il a laissé pressentir que tous les objets palpables et visibles, animés ou non d’un souffle propre, se magnifient quand on leur donne leur valeur d’expression et que le problème pour l’artiste est de la découvrir, de la mettre en lumière. En d’autres termes, l’intérêt d’une peinture réside moins, objectivement dans la chose représentée, que dans l’œil, le sentiment, le travail du peintre.... Franz Hals ne s’inquiétait des souffrances, des joies des personnages dont il peignait les portraits, que dans la mesure où les traces de ces souffrances et de ces joies étaient empreintes dans les traits visibles de leurs physionomies. Il n’a pas mis dans son œuvre l’anxiété et la fièvre de Rembrandt, mais son esprit néanmoins ne fut point d’un flegmatique. Il s’est satisfait du décor humain, mais ce décor n’est jamais indifférent, insensible, neutre; il porte, en marques ardentes, le signe certain, enrichissements ou ravages, des passions, des délires, des déboires, de la résignation. Il ne transfigure pas, il est fort simple, dénué de toutes exigences intellectuelles; son tempérament est un peu terre à terre, positif, jusqu’à un certain point lourd et même grossier. Soit; mais ce qu’il voit, il le voit avec une joie fervente, il l’étudie, s’en énivre, il le traduit, le transplante sur sa toile avec un acharnement de conviction, de résolution, de jouissance heureuse et forcenée. Il surprend, dans les corps vivants, le lien qui en fait un tout, le sang qui bat et qui circule, le muscle qui se tend et se détend, les mouvements du cœur, de la chair et des yeux. La figure humaine a seule préoccupé l’art de Franz Hals; les visages et les mains sont les champs d’expression où se cantonne son observation; nul n’en a tiré récolte plus abondante; le costume, le luxe du vêtement, de la parure, soutient et complète la signification de ses portraits.
Mais un pouvoir appartient exclusivement en propre à Franz Hals, le pouvoir personnel d’exalter le rire. Le rire, sous toutes ses formes, à tous ses degrés; le sourire indulgent, réticent; le rire aigu, le rire épanoui, le rire qui illumine de gaîtés fugitives les lèvres et les yeux; le rire qui creuse les lignes du visage, coule aux coins retroussés de la bouche, agite de soubresauts le corps entier; le rire grossier, caricatural; le rire ample et bon enfant; le rire plus discret, même subtil et mystérieux; le rire dans ses variétés infinies, de bonté, de bonhomie ou d’amère ironie, fleurit et enchante une grande partie de son œuvre.»
Même dans ses vieux jours, à l’heure où la misère l’étreint, où la main languissante se traîne sur la toile, le jovial artiste trouve encore des lueurs de gaîté: ses dernières œuvres s’éclairent malgré tout d’un sourire.
C’est que Hals fut toute sa vie un joyeux compagnon, assez ami du cabaret. Il ne donna pas l’exemple d’une existence très ordonnée ni très sobre, et sans doute faut-il attribuer à ces défauts, et à son imprévoyance, la pauvreté de ses dernières années. Néanmoins, il ne causa jamais de scandale et nous voyons que ses compatriotes le tinrent toujours en estime puisque, dans l’extrême vieillesse, il peignait encore les Régents de la cité.
Le portrait de femme que nous donnons ici appartient à la catégorie des figures graves que Franz Hals savait fort bien peindre à l’occasion, portraits de régents, réunions corporatives, groupes de famille, etc. On y retrouve les mêmes qualités de sincérité, de bonhomie et de maîtrise professionnelle.
Pendant longtemps, l’art de Franz Hals partagea le discrédit qui s’était attaché à la peinture hollandaise; il a fallu arriver jusqu’à notre école réaliste moderne pour que pleine justice fût rendue à ses artistes délicieux. Courbet osa se réclamer de lui, d’autres peintres suivirent, et aujourd’hui les Franz Hals affrontent les ventes aussi victorieusement que les toiles des peintres du XVIIIe siècle, qui elles aussi connurent, pendant si longtemps, l’infortune.
CLAUDE LORRAIN
(1600-1682)
ULYSSE
REMET CHRYSÉIS A SON PÈRE
Ulysse remet Chryséis à son père
LA scène représente un port aux eaux d’émeraude, bordé de palais somptueux. Palais étranges et anachroniques tels que n’en contemplèrent jamais les yeux d’Ulysse, qui cependant virent tant de choses: des colonnades supportant des terrasses, des escaliers de marbre aux larges degrés aboutissant à des quais bien dallés, une sorte de château à plusieurs rangs d’étages terminé par une tour octogonale qui plonge ses assises dans la mer, le tout agrémenté de jardins dont on aperçoit les massifs taillés en boule, un mélange très curieux d’architecture romaine, de renaissance italienne et de style dix-septième. Cet ensemble très décoratif est complété, vers l’horizon, par une digue fermant le port. Dans les eaux de cette rade de féerie stationne un grand navire, assez semblable aux vaisseaux de haut bord de la marine royale, les mâts chargés de voiles et arborant des pavillons qui flottent à la brise; plus loin, se dessine la fine silhouette d’un autre bâtiment entrant au port. A droite, à demi cachée par les hautes colonnes d’un édifice, on aperçoit la proue élégante d’un troisième navire. Çà et là, des canots chargés de passagers sillonnent l’eau sous l’effort des rames. Sur le quai, placé au premier plan, s’agitent de minuscules personnages qui paraissent être des badauds bien plus que des trafiquants. Dans cette foule assez peu compacte on chercherait vainement la scène d’où le tableau tire son titre. Où donc se trouve Ulysse? Où Chryséis et le père à qui on la remet? Claude Lorrain eût sans doute été lui-même bien empêché de le dire. Au surplus, il s’en souciait peu. Il n’était que paysagiste, et les personnages ne l’intéressaient pas, il ne savait pas les dessiner; il laissait au Flamand Jan Miel ou à l’Italien Filippo Lauri le soin de les grouper ou de les peindre. Les titres? Il les abandonne également à ses collaborateurs qui les choisissent à leur gré. Mais ce qui lui appartient en propre, ce que nul peintre n’a possédé au même degré, c’est le secret de cette lumière qui vibre dans ses tableaux, c’est l’art inimitable avec lequel il colore de flammes, matinales ou crépusculaires, le faîte des palais ou la surface des eaux. «Dans ses marines, écrit M. Raymond Bouyer, l’onde, l’architecture, la végétation concourent magnifiquement au plus harmonieux décor: du fond de la toile la splendeur vibre, et l’onde la reflète et se resserre—heureuse illusion de la perspective—entre le sourd feuillage et le marbre étincelant! Un poète a défini ce décor «le chemin du soleil». Le soleil est le vrai sujet de son œuvre, invisible ou présent. C’est le dieu perpétuellement adoré, sans flatterie de cour, sans allusion servile au Roi-Soleil qui ne brille pas encore à Versailles... Rubens, déjà, n’avait-il point mêlé l’astre du jour aux fantasmagories de ses belles pochades? Mais Claude en fait l’âme de ses effets préférés, de sa création sans rivale, ce riche port de mer, à contre-jour, où l’onde se prête à tous les caprices de la réfraction.»
Ce génial artificier de la lumière solaire demeure une exception dans l’histoire de la peinture. Ses rayonnantes apothéoses sont restées inimitables. Et le plus curieux, c’est que ce peintre incomparable fut toute sa vie un ignorant; à peine savait-il signer ses toiles. Né de parents très pauvres, dans une petite bourgade de Lorraine, Claude Gellée n’annonce pas, enfant, de grandes qualités d’intelligence. Comme il n’apprend rien à l’école, son père le fait entrer comme apprenti chez un «boulanger de pâtés», ce que nous appelons de nos jours un pâtissier. Quand il sait son état, il part pour Rome avec une troupe de cuisiniers et de pâtissiers lorrains, très estimés en Italie. Il n’y réussit pas et se trouve bientôt sans place. Il est dans la plus noire détresse quand par bonheur, un peintre romain, Augustinus Tassus, le prend à son service et lui confie le soin de la cuisine et du ménage. Claude est domestique: il panse le cheval, broie les couleurs, nettoie la palette et lave les pinceaux. Comme son maître est bon homme, il permet à Claude de s’essayer au métier de peintre; il lui apprend un peu de perspective, mais le dessin rebute l’apprenti. D’ailleurs, même dans son art, il ne sera jamais un savant. «Plus coloriste que dessinateur, il entend mieux la perspective aérienne que la perspective linéaire et la nuance de l’atmosphère que la géométrie des lignes.»
Claude Gellée, (que son origine a fait surnommer Lorrain, ou le Lorrain), Lorrain passa presque toute sa vie à Rome, comme Poussin, dont il fut l’ami. La renommée et la faveur allèrent plus vite au premier qu’au second: tandis que Poussin gagna relativement peu d’argent, Claude réalisa une belle fortune.
En même temps que la richesse, le Lorrain doit au ciel de l’Italie le meilleur de son art. «Qu’il découvre d’infinies perspectives baignées dans l’air diaphane des crépuscules ou des aubes, qu’il projette dans une baie d’émeraude l’image des voiliers majestueux ou des palais de marbre, qu’il réalise enfin sur ses toiles l’hymen étincelant du ciel et de la mer, le Lorrain, par la manière dont il interprète la lumière et balance les contours, laisse une trace lumineuse dont un reflet s’est perpétué jusqu’à nous.»
Ulysse remettant Chryséis à son père fut peint par le Lorrain vers 1646, pour M. de Liancourt, et fut acquis par Louis XIV.
D. GHIRLANDAJO
(1449-1494)
UN VIEILLARD ET SON PETIT-FILS
Un Vieillard et son petit-fils
AUPRÈS d’une fenêtre ouvrant sur un paysage ensoleillé, un vieillard est assis. Il est vêtu d’un ample vêtement rouge bordé de fourrure. La tête de cet homme est remarquable par sa laideur: de rares cheveux blancs surmontent un large front sillonné de rides et piqué de verrues, les yeux sans sourcils forment des poches, la bouche a des lèvres minces et longues, mais ce qui donne à cette figure un aspect presque repoussant, c’est la protubérance énorme d’un nez bulbeux, bourgeonné, hideux. On se détournerait avec dégoût de ce visage, si sa laideur n’était corrigée par une grande expression de bonté. On lit de la tendresse dans le regard qui s’abaisse vers le jeune garçonnet placé contre lui. Quel charmant contraste que ce frais et gracieux profil d’enfant, et quelle grâce dans ses traits purs, sur ce front jeune encadré d’une soyeuse chevelure blonde! Le petit-fils ne craint pas la laideur de son aïeul, il le sait bon, indulgent, et il tend vers lui ses petites mains caressantes. Et cette opposition si complète de la disgrâce physique et de la beauté juvénile forme le plus joli tableau qu’on puisse voir.
Il est à peu près certain aujourd’hui que le vieillard vêtu de rouge représente Francesco Sassetti, riche marchand florentin, que l’amitié de Laurent le Magnifique éleva aux plus hautes fonctions de la cité. Grandi dans la banque du vieux Cosme de Médicis, il s’y distingua par son entente des affaires et Laurent, devenu chef de la maison, le prit comme homme de confiance, en quelque sorte comme son fondé de pouvoirs. Il possédait une fortune considérable; ses bijoux et sa vaisselle représentaient, à eux seuls, une valeur de plus de deux cent mille francs, somme énorme pour l’époque. Cet homme avisé faisait profession d’aimer les arts et il honorait Ghirlandajo de son estime.
Ghirlandajo le méritait, d’ailleurs. Il était le peintre le plus réputé de Florence à cette époque. Il s’était rendu célèbre par les admirables fresques dont il avait décoré la Seigneurie, l’église d’Ognissanti et celle de Sainte-Marie-Nouvelle. On s’émerveillait devant l’habileté de sa composition, devant la stupéfiante expression de vie de ses personnages, à laquelle ne nuisait pas la minutieuse recherche du détail poussé jusqu’aux extrêmes limites de la vérité.
Ghirlandajo connaissait la peinture à l’huile dont l’emploi commençait à se répandre en Italie, mais telle était sa virtuosité qu’il se refusa toujours à s’en servir, préférant user de la peinture à la détrempe qui exige une main sûre et qui ne supporte pas les tâtonnements.
Bien que spécialisé dans la fresque, Ghirlandajo a laissé des tableaux et des portraits, d’un mérite considérable. On y retrouve les mêmes qualités de précision méticuleuse, de fermeté dans le trait qui va parfois jusqu’à la sécheresse. Le Vieillard et son petit-fils peut être cité, avec le portrait de Giovanna delli Albizzi, comme le chef-d’œuvre de Ghirlandajo dans ce genre.
M. Hauvette, dans sa belle étude sur Ghirlandajo, commente ainsi ce tableau: «Nulle part il ne nous a été donné d’étudier un plus savoureux mélange de réalisme et de grâce. Car visiblement l’artiste s’est complu ici à accentuer le contraste entre la décrépitude du vieillard et le mignon profil du petit garçon, dont les longues mèches blondes frisées s’échappent en abondance de son bonnet rouge. L’homme regarde l’enfant avec indulgence; il s’efforce d’esquisser un sourire sans grâce, tandis que le petit blondin examine le nez du vieillard avec plus de surprise que d’effroi; la jolie petite main potelée, gentiment tendue vers l’épaule, traduit l’affection qui unit ces deux êtres si différents et cela donne au groupe une vie, un mouvement même que nous ne trouvons guère dans les portraits de ce temps, généralement figés dans une raide attitude.»
Ghirlandajo, le fils d’un humble fabricant de guirlandes—d’où son nom—, s’est élevé par son seul effort au premier rang des peintres du XVe siècle. Il ne fut ni lettré, ni savant, il resta même étranger, nous l’avons dit, aux recherches sur l’emploi de l’huile mélangée aux couleurs, mais il eut le don d’animer de scènes mouvementées et brillantes les grandes surfaces murales des temples florentins. Son œuvre, comme peintre de fresques, est immortelle. Certes, il n’est pas complet; on peut lui reprocher la pauvreté de son sentiment religieux et la monotonie habituelle de son coloris. D’autres ont eu des facultés plus brillantes, plus d’imagination et de sensibilité, mais on «doit admirer sans réserve l’impeccabilité de son dessin, son art de saisir dans les physionomies de ses modèles les traits particuliers, caractéristiques, qui donnent tant de vérité et de vie à ses portraits, le bel équilibre de sa raison et la lucidité de son esprit, et enfin son souci d’élégance et sa recherche du décor». (Hauvette.) Il reste, avec sa peinture gracieuse et ornée, comme le témoin souriant d’une époque à peu près unique d’épanouissement intellectuel, favorisé par Laurent le Magnifique et refoulé à jamais par l’intransigeante austérité d’un Savonarole.
Le Vieillard et son petit-fils, que l’on appelle aussi quelquefois Un professeur et son élève, appartenait jadis à la famille Ridolfi; il fut acheté, en 1879, par M. Bardini, de Florence, pour 49.000 francs. Il a depuis été acquis par le Louvre, où on le connaît aussi sous le titre de Portrait présumé du comte Francesco Sassetti et de son petit-fils.
A. VAN OSTADE
(1610-1685)
LA FAMILLE DU PEINTRE
La Famille du peintre
A l’époque où Van Ostade peignit ce tableau, il jouissait déjà d’une très grande réputation, car l’intérieur qu’il nous montre a tout le confortable des riches maisons bourgeoises de Hollande. Les encadrements de portes sont ornés, de belles faïences s’y accrochent et sur les murs on voit de grands tableaux, probablement signés de lui. A droite, se dresse une cheminée à colonnes de marbre supportant une frise sculptée; à gauche, dans le fond, s’aperçoit un vaste lit à baldaquin, garni de courtines en damas vert. Dans cette grande pièce, Adrien Van Ostade s’est représenté avec tous les siens, grands et petits. Il est assis à gauche, en costume sombre, coiffé d’un large feutre et ce vêtement sévère fait mieux ressortir la joviale figure de celui qui fut le compagnon de jeunesse du fantasque Brauwer, dans l’atelier de Franz Hals. Il tient dans sa main celle de sa femme, robuste Hollandaise au bon visage souriant. A côté d’eux, debout, se tiennent deux femmes plus jeunes, sans doute les sœurs du peintre ou de sa femme. Puis, disséminés dans la chambre, ce sont les enfants de l’artiste: derrière lui se tient un garçonnet, son fils; à droite, deux fillettes, qui semblent assez gauches dans leurs ajustements à grands plis et dans leurs collerettes empesées; au centre, un groupe charmant des trois plus jeunes: l’une, assise à terre sur un coussin, joue avec une sœur à peine plus grande qu’elle, pendant que la troisième, une fleur dans la main droite, observe en riant les ébats des deux autres.
Ce n’est pas dans ce tableau qu’on peut juger l’art habituel de Van Ostade qui fut surtout le peintre des cabarets, des fumeurs, des fêtes villageoises et des danses paysannes, mais on y trouve les qualités distinctives de son talent: le sentiment de la nature et de la vie, la vérité des personnages, le naturel des attitudes, la science de la composition, l’harmonie de la couleur et une surprenante habileté d’exécution.
Contemporain de Franz Hals et de Rembrandt, Adrien Van Ostade étudia dans l’atelier des deux maîtres et l’on retrouve leur influence dans son œuvre. Dans la deuxième partie de sa vie, il s’adonna assez fréquemment au clair-obscur, appris à l’école du grand maître d’Amsterdam; néanmoins, par le choix des sujets, et même par la technique, il accuse ses préférences pour le joyeux peintre de Haarlem. Comme Brauwer, il se complaît aux scènes d’auberge, aux disputes d’ivrognes, et si ses compositions ne sont pas toujours exemptes de vulgarité, elles se rachètent par une vigueur de réalisme, une finesse de coloris, un sens comique de l’épisode qui leur donnent un charme indiscutable. Et d’ailleurs, qu’importe le sujet? «Il n’y avait pas, écrit Théophile Gautier, que des élégants parmi les peintres hollandais, occupés de cavaliers en bottes à chaudron et de belles dames en jupes de satin. Beaucoup ne montaient pas au salon et s’arrêtaient à la taverne du coin ou à l’auberge de la route, sans en avoir moins de valeur pour cela. Pour l’art, le haillon vaut le velours, le bouge enfumé le palais splendide, et le buveur au rire égueulé le petit-maître s’épanouissant dans ses grâces comme le paon dans sa roue. Adrien Van Ostade n’est certes pas le peintre de la beauté; il n’a fait que d’affreux petits bonshommes trapus, communs, balourds, fumant leur pipe ou buvant leur chope de bière dans des intérieurs aux murailles brunes, éclairés par quelque vitrage à mailles de plomb, ou assis sur des bancs ombragés d’une brindille de houblon à la porte des hôtelleries, écoutant un ménétrier ou un joueur de vielle. Mais tout cela est si juste de mouvement, si fin de ton, si baigné d’atmosphère, si imprégné de la vie rustique et populaire, qu’on trouve à les regarder un plaisir extrême. Ostade a su mettre une poésie dans cette vulgarité et en dégager le sens intime. Il entoure ses scènes triviales d’une couleur riche et sourde, d’un bien-être campagnard et d’une jovialité secrète. Il donne l’envie d’habiter une de ces chaumières endormies dans des ombres brunes où brille sous la vaste hotte de la cheminée le pétillement du foyer. Ses Buveurs, ses Fumeurs, ses Marchés aux poissons, ses Intérieurs de chaumières sont, dans leur genre, de petits chefs-d’œuvre de finesse et de naïveté qu’animent les plus réjouissants épisodes comiques. Quant à la Famille du peintre, il se recommande par toutes ces qualités rendues plus charmantes par l’évidente complaisance apportée par l’artiste à brosser ce délicieux tableau.»
Adrien Van Ostade fut un des peintres les plus féconds du XVIIe siècle; on connaît plus de 800 tableaux qui peuvent lui être attribués sans conteste, et ses œuvres abondent dans toutes les galeries d’Europe qu’elles embellissent de leur joviale et spirituelle fantaisie. Le Louvre en possède un certain nombre qui sont autant de chefs-d’œuvre.
La Famille de Van Ostade, après avoir passé en de nombreuses mains, fut acquis par l’État pour le compte de Louis XVI. Après la Révolution, ce tableau entra au Louvre.
INGRES
(1780-1867)
PORTRAIT DE MADAME RIVIÈRE
Madame Rivière
NONCHALAMMENT étendue sur une chaise longue, «la belle madame Rivière» repose dans une pose pleine d’abandon. Son corps légèrement incliné à gauche s’abandonne à la molle douceur des coussins où s’appuie un bras joliment tourné et que termine une main parfaite; le bras droit, autour duquel s’enroule une écharpe orientale de couleurs vives, pend le long du corps. Sans être régulièrement belle, la figure, encadrée de cheveux noirs et éclairée de deux yeux rieurs, a de la grâce et un je ne sais quoi d’original et de plaisant. L’agréable maturité du personnage se révèle à l’opulence d’une poitrine que soutient, à la mode du temps, un mince ruban de soie. Pour donner tout son éclat à cette charmante beauté brune, l’artiste a disposé autour de ses cheveux un léger voile de gaze blanche.
En présence de ce magnifique portrait, on se demande aujourd’hui comment un peintre comme Ingres put susciter tant de clameurs hostiles. Où trouver un dessin plus ferme, plus probe, plus sûr? Aucune tricherie, aucun artifice de couleur, aucun empâtement pour dissimuler une technique incertaine. Tout est net, franc; des lignes précises, des contours accusés, et, par-dessus tout, une grande expression de vie obtenue avec une étonnante simplicité de moyens. Ingres est tout entier dans cette sincérité et dans cette harmonie qu’il devait à l’élévation de son talent et à la hauteur des traditions qu’il personnifia.
Voué au culte du Beau, adorateur de Phidias et de Raphaël, Ingres ne connut jamais la défaillance ni le doute. Il est resté immobile dans sa foi à la religion du grand style, comme le sont dans leur attitude ces disciples de l’École d’Athènes que le Sanzio a représentés recueillant, un genou en terre, les enseignements de leurs maîtres. L’art héroïque et religieux, austère et sublime, transmis par l’Antiquité à la Renaissance, a trouvé en lui son dernier pontife. Les grands types de la mythologie et du christianisme, presque bannis de la peinture contemporaine, s’étaient réfugiés dans son atelier.
Au Louvre, les peintures d’Ingres voisinent avec celles de Delacroix, son mortel adversaire. Leur rencontre dans une même salle équivaut presque à une lutte. Les deux formes extrêmes du génie de l’art s’expriment par leurs noms et se manifestent par leurs œuvres. D’un côté, la noblesse antique, le style traduit des plus hauts exemples du passé, la beauté posée comme type et thème unique des conceptions de l’artiste; de l’autre, un dessin violent et hâtif, qui sacrifie la ligne au mouvement, une originalité radicale sans analogies et sans parenté, la passion recherchée aux dépens même de la correction, portée à son paroxysme, étreinte et figée dans ses convulsions. On ne saurait imaginer un antagonisme plus flagrant, un contraste plus hostile et plus absolu. Mais l’art est grand; aucune forme ne le contient, aucun mode ne l’exprime et ne le traduit tout entier. Les contradictions apparentes des maîtres et des écoles se concilient dans sa synthèse impartiale. Raphaël et Rubens, Michel-Ange et Véronèse, Léonard de Vinci et Rembrandt, Ingres et Delacroix ont également droit d’entrée dans son temple. Comme l’Homère de l’Apothéose d’Ingres, l’Art rassemble autour de son piédestal les génies les plus opposés.
Aussi ne faut-il accueillir qu’avec méfiance les critiques que certains esprits outranciers dirigent, encore de nos jours, contre la peinture du grand artiste. Trop souvent ces critiques sont dictées par des raisons intéressées et servent à justifier des faiblesses à qui l’art impeccable d’Ingres est un vivant reproche.
Il faut se rappeler en quels termes admiratifs Théophile Gautier, cependant ami de Delacroix, parlait d’Ingres dans son rapport sur les Beaux-Arts, en 1855. Le fougueux romantique à gilet rouge n’a pas craint qu’on l’accusât d’être un bourgeois, un classique, un rétrograde, parce qu’il s’enthousiasmait pour le dernier disciple de Raphaël. Il faut relire ces pages de lyrisme débordant, scruter cette critique qui reste définitive et que n’ont pas dépassée dans l’éloge les ingristes les plus intransigeants.
Ingres aborda tous les genres avec la même élévation et la même sûreté; il traita d’un même style, grandiose et serein, les Odalisques et le Martyre de saint Symphorien; on le trouve au même degré dans ses portraits. Aucun peintre n’a jamais eu une vision plus exacte de la forme humaine, aucune main n’a été plus habile à la fixer dans son entier sur la toile; Ingres était possédé par cette vision, hypnotisé par elle, et ceci explique comment il est le plus naturaliste des peintres français alors qu’il s’efforça toujours d’en être le plus idéaliste. Les portraits d’Ingres! On ne se lasse pas d’admirer ces figures, toute cette vie enclose dans de simples traits, révélée par quelques lignes dont la netteté a la sereine harmonie de la nature. Et des portraits comme ceux de M. Bertin et de Mme Rivière sont des œuvres que l’on révère à l’égal des plus beaux Titiens.
Le portrait de Mme Rivière fut légué au Luxembourg, en 1870, par Mme Rivière elle-même. Cette œuvre est ensuite entrée au Louvre.
E. MURILLO
(1616-1682)
LE JEUNE MENDIANT
Le Jeune Mendiant
DANS une sorte de soupente aux allures de cachot, un enfant en guenilles est accroupi. La violente lumière du soleil qui passe par la fenêtre éclaire brutalement les sordides haillons, rapiécés, déchiquetés du petit mendiant. Ses jambes nues reposent sur le sol où traînent des débris de crevettes. Tout près de lui, un cabas de paille grossière est renversé et de son ouverture s’échappent quelques pommes qui composeront sans doute sa pitance avec l’eau de la jarre de grès posée non loin de là. Pour l’instant, l’enfant ne semble pas s’inquiéter de nourriture; il est très attentif à poursuivre, dans les plis de sa chemise, la vermine et les parasites qui s’y épanouissent en liberté.
Ce vigoureux tableau, d’un si intense réalisme et d’une si solide exécution, montre un des côtés les plus intéressants du talent de Murillo. Quoi! est-ce bien le même artiste qui a peint ces Vierges adorables, ces anges joufflus et ce minable pouilleux échoué dans un réduit infect? Est-ce bien sur la même palette, chargée des roses les plus tendres et des bleus les plus suaves, qu’il a trouvé ces tons bistrés, puissants, d’une couleur si chaude et si vibrante? Comment ce pinceau facile, habitué à revêtir d’une sorte de mièvrerie les personnages célestes, a-t-il pu s’affermir jusqu’à ces lignes nettes, vigoureuses qui font penser à Zurbaran et à Ribera?
Cette dualité si curieuse témoigne éloquemment que Murillo s’était fait, pour sa peinture religieuse, une esthétique personnelle conforme à la manière dont, catholique fervent et d’âme tendre, il comprenait les glorieux habitants du ciel. Né dans un pays de lumière vibrante, à Séville, il lui semblait impossible que la Vierge, les anges et les saints pussent avoir ces visages sévères qu’une foi triste et sombre leur prêtait uniformément en Espagne. A ses yeux, le séjour des bienheureux devait étinceler de plus de feux que le ciel d’Andalousie et montrer encore plus de splendeurs que l’Alcazar ou le Généralife.
Mais quand il descendait de ses échafaudages et qu’il se retrouvait dans les rues de la ville, dans le terre à terre de la vie espagnole, son œil d’observateur et d’artiste était sollicité à chaque pas par des scènes purement humaines dont il saisissait bien le côté pittoresque et réel. C’est dans les calles étroites de la ville andalouse, où se passa toute son existence, qu’il rencontra certainement ce mendiant, dont l’Espagne possède encore de nos jours de si nombreux et de si remarquables modèles.
Au contact de Velazquez, qu’il avait vu à Madrid, il avait appris que rien n’est indigne du pinceau d’un artiste; il l’avait vu peindre, en même temps que des rois et des infantes, des nains, des bouffons et les pires échantillons d’humanité. A son exemple, il jugea qu’il pouvait à son tour, sans déroger ni faire tort à la Vierge, s’abandonner de temps en temps à l’étude simple et forte des spectacles de la nature et les traduire fidèlement, en pages véridiques et sans apprêt. Et c’est ainsi que Murillo, le plus délicieux interprète des Madones souriantes et des anges rieurs, s’est manifesté par instants comme le plus précis des peintres réalistes. Avec la même facilité qu’il mettait à tisser dans l’azur des atmosphères diaphanes et baignées de clartés, il s’est complu à des oppositions de lumière et d’ombre et il a traité l’art difficile du clair-obscur avec une maîtrise que Rembrandt lui-même n’eût pas désavouée. Dans ce genre tout spécial, le Jeune Mendiant que nous donnons ici, peut être classé comme un chef-d’œuvre. C’est l’avis de Théophile Gautier, excellent juge en la matière: «Une merveille de vie, de lumière et de couleur! écrit-il au sujet de ce tableau. Dans son art l’Espagne n’a pas eu le dédain de la laideur, de la misère et de la malpropreté. Sous ce haillon, sous cette difformité, sous cette crasse, il y a une âme; ce gueux est un chrétien, ce mendiant dévoré de vermine ira peut-être «en la gloire», donc il mérite d’être peint tout aussi bien qu’un roi, et voilà Murillo qui, sur sa palette de rose, de lis et d’azur, chargée par les anges pour peindre la Vierge, sait trouver des tons fauves, des bruns dorés, de chauds bitumes quand il a un Mendiant à représenter. Au pied d’un mur que frappe un rayon de soleil, il nous montre un jeune pouilleux entr’ouvrant sa chemise en loques et faisant une chasse abondante. Don Diego Velazquez de Silva, le peintre grand seigneur, n’était pas plus dégoûté que Murillo. Il laissait très bien les rois, les reines, les infants, les infantes et les ministres pour peindre des ivrognes, des nains, des philosophes, des gitanos et jusqu’à des phénomènes de la foire, et ce ne sont pas ses moins belles peintures.»
Le Jeune Mendiant passa en de nombreuses mains. Il appartint successivement à Gaignat et à Sainte-Foy. Il fut enfin acheté par Louis XVI, pour 2.400 livres, et, après la Révolution, placé au Louvre où nous le voyons aujourd’hui.
GREUZE
(1725-1805)
LA CRUCHE CASSÉE
La Cruche cassée
NOUS n’avons plus aujourd’hui le même enthousiasme que Diderot pour les compositions sentimentales de Greuze, pour ses scènes familiales dont la réputation est universelle, mais nous admirons en lui le peintre des enfants, des têtes de jeunes filles, le coloriste charmant de l’innocence. Nul comme lui n’a su rendre l’incarnat de la chair, la tendresse des regards, le frémissement des lèvres; son pinceau a des délicatesses inimitables, sa palette des tons de fleurs. Greuze, et c’est là le secret de la renommée dont il jouit maintenant, a un talent tout particulier pour peindre la femme en sa première fleur, lorsque le bouton va s’ouvrir en rose et l’enfant devenir jeune fille. Comme, au XVIIIe siècle, tout le monde était un peu osé, même les moralistes, Greuze, quand il peint une Innocence, a toujours soin d’entr’ouvrir la gaze et de laisser entrevoir une rondeur de gorge naissante; il met dans les yeux une flamme lustrée et sur les lèvres un sourire humide, très goûtés dans la peinture de cette époque.
La Cruche cassée est le modèle de ce genre. La tête accuse encore la candeur de l’enfance, mais le fichu est dérangé, la rose du corsage s’effeuille, les fleurs ne sont retenues qu’à demi par le pli de la robe, et la cruche laisse échapper l’eau par sa fêlure. Quel adorable visage d’enfant! Il est impossible de rien voir de plus jeune, de plus frais, de plus candide et de plus «coquettement virginal», si ces deux mots peuvent aller ensemble.
La mignonne fillette a sans doute été envoyée à la fontaine, qu’on aperçoit à droite, pour y remplir sa cruche. Mais trop absorbée par le soin des fleurs moissonnées sur la route, elle a heurté le fragile récipient contre l’angle de la fontaine et maintenant l’eau s’enfuit par la large blessure du grès. Sur le front de l’enfant flotte une vague inquiétude, les yeux trahissent une légère crainte. Elle sait que les remontrances maternelles l’attendent au logis et cela donne à sa jolie figure un petit air de mélancolie charmante. Mais qu’est pour elle cet accident, en regard de la brassée de roses qu’elle presse contre elle, dans les plis relevés de son tablier? Et si elle paraît hésiter à rentrer chez elle, du moins semble-t-elle bien résolue à ne pas abandonner son odorante cueillette. Quel art admirable dans l’expression hésitante de ce visage et comme on y lit bien les pensées contradictoires qui s’agitent dans cette jeune âme! Et que dire de cette couleur nacrée, transparente, qui met de si jolies roseurs sur les joues et de si chatoyantes teintes sur la robe?
En présence de cette charmante tête d’enfant, on a peine à s’expliquer le discrédit dont souffrit si longtemps la peinture de Greuze. Boucher, Fragonard et Watteau éprouvèrent d’ailleurs le même sort, sous l’influence davidienne et la réaction romantique. Il fallut une véritable croisade de gens de goût et d’écrivains comme Théophile Gautier et les Goncourt pour leur restituer leur part de gloire. Écoutons les Goncourt nous parler de Greuze.
«Le charme de Greuze, sa vocation, son originalité, sa force apparaît là, et ne se montre que là, dans ces têtes enfantines. Elles seules rachètent toutes les faiblesses, toutes les faussetés, et toutes les misères de couleur, si visibles dans ses grands tableaux, les blancs baveux, la gamme générale, à la fois sourde et grise, délayage des tons violet et gorge pigeon, l’indécision des rouges, la saleté des bleus, la mollesse et le barbotage des fonds, l’épaisseur des ombres. Mais que l’on rouvre les yeux sur ces petites têtes blondes qu’un rayon éveille, que le soleil caresse et frise, on sent que la main, la main inspirée d’un véritable peintre a passé sur ces joues fouettées par le rouge de la santé, a lissé et bombé ce petit front où le jour vit, a mis dans cet œil au regard bleu, l’éclair et le ciel, et jeté une caresse d’ombre sous le sourcil ébauché, a fait de l’arc de la bouche pressée par les deux joues, la moue d’un chérubin. Rien de plus frais, de plus vivement et de plus légèrement touché; le ton est tendre et comme tout mouillé d’huile, l’empâtement fleurit la chair en l’effleurant, la physionomie naissante, les formes à peine dégagées semblent, sous le frottis qui badine avec elles, trembler comme les choses à l’aube. Une vie grasse anime toutes ces petites figures joufflues, qu’on croit avoir déjà vues animées d’une vie solide dans les portraits de familles de Van Dyck. Peintre de l’enfance, Greuze est un maître lorsqu’il touche à la tête de la jeune fille.»
Si, comme peintre de genre, Greuze est trop souvent mélodramatique et vulgaire, par ses délicates et précieuses têtes d’enfants, il appartient bien à ce dix-huitième siècle qui est la belle époque d’art de la France et que Michelet n’hésite pas à appeler «le grand siècle».
La Cruche cassée est en ovale. Il fut acheté par l’État en 1875 à la vente du marquis de Verri pour la somme de 3.001 francs. Mme du Barry en avait fait faire une répétition.
PIETER DE HOOCH
(1630 (?)-1680 (?))
INTÉRIEUR HOLLANDAIS
Intérieur hollandais
Nul, mieux que Pieter de Hooch, n’a su rendre l’intimité des maisons hollandaises, leur solide et confortable aisance, ni peindre avec plus de naturel et de sens observateur les menus incidents de la vie quotidienne, dans les demeures bourgeoises d’Amsterdam. Quel amusant tableau que cet Intérieur, avec les groupes distincts jouant, chacun de leur côté, une scène différente de l’éternelle comédie humaine! L’appartement est d’apparence riche; seuls, d’opulents marchands peuvent s’offrir le luxe de cheminées à colonnes de marbre et de murs tapissés de cordoue. D’ailleurs les personnages, on le voit, sont gens de qualité; le costume de la maîtresse du logis indique mieux que l’aisance; le velours et le satin sont de belle et bonne trame. Assise devant le feu qui rougeoie dans l’âtre, la dame joue aux cartes avec un personnage à demi noyé dans l’ombre, de l’autre côté d’un guéridon. De la main gauche, elle présente son jeu à un cavalier debout auprès d’elle et tenant un verre à la main. Celui-ci, de son index tendu, semble lui indiquer la carte qu’il faut jouer. Rien n’est curieux comme ce type d’élégant hollandais qui se donne, avec sa longue perruque et son épée de fausses allures de gentilhomme; mais son habit ne peut donner le change; il est manifestement roturier: sa taille est maigre sans sveltesse, son vêtement riche sans distinction. Et tandis que ce premier groupe cause jeu, l’autre, au fond de la pièce, parle d’amour dans l’entre-bâillement de la porte. Tendrement incliné vers une robuste jeune femme blonde, et lui prenant la main, l’homme murmure de tendres paroles qu’elle écoute d’un air ravi. Un peu en arrière de ces deux groupes, un jeune garçon, sans doute petit valet de la dame assise, se tient près d’une porte, un flacon dans les mains, et baisse timidement les yeux, comme embarrassé de ce qu’il entend et de ce qu’il voit.
Tout cela est charmant et fort bien observé, groupé avec un art parfait, et l’œil suit curieusement les différents manèges qui se déroulent devant lui. Et quelle habileté dans la distribution du coloris, quelle science dans le juste équilibre des valeurs, des tons, des personnages! Ces Hollandais, si longtemps et si injustement décriés, furent vraiment des maîtres. Maîtres d’une inspiration médiocre, rebelles à toute poésie et même à toute expression sentimentale, mais notateurs scrupuleux de la nature, incomparables pour saisir les ridicules ou les vices d’un personnage. Ils sont aussi restés inimitables dans l’art minutieux et précis de la peinture d’intérieur, ils n’ont pas leurs pareils pour faire briller les cuivres, scintiller les bijoux, miroiter les satins. Les uns se sont plus spécialement occupés de peindre les buveurs et fumeurs des tavernes, d’autres se sont faits les historiographes de la vie familiale, des veillées sous la lampe, des causeries au coin du feu. Pieter de Hooch s’est acquis dans ce dernier genre une réputation de bon aloi. Il a surtout le don merveilleux de jouer avec la lumière. Voyez le tableau représenté ici. La chambre tout entière est éclairée d’une manière remarquable par le jour qui vient de la porte et la draperie disposée devant la fenêtre est comme imprégnée des rayons qu’elle intercepte.
«Pieter de Hooch, écrit Théophile Gautier, semble avoir fixé sur les murailles blanches de ses intérieurs les rares rayons de soleil qui luisent en Hollande. Personne n’a peint la lumière avec plus de puissance et d’illusion et quand on regarde un de ses tableaux, on est tenté de croire qu’il y tombe de quelque fenêtre un rayon réel. Chez Pieter de Hooch, l’effet obtenu est toujours simple, vrai et naturel. Un corridor éclairé par une croisée latérale, un appartement où pénètre un rayon, des servantes occupées aux soins domestiques, il ne lui en faut pas davantage pour faire un chef-d’œuvre.»
Pieter de Hooch se différencie des autres peintres hollandais par un souci d’élégance, ou pour mieux dire, de netteté scrupuleuse, qu’il utilise jusque dans les sujets les plus humbles et les moins aristocratiques. Soit qu’il peigne une cour de maison ou une ménagère affairée aux soins de son ménage, tout y est ordonné, propre, brillant; il sait aussi trouver l’expression juste, le geste qui convient, et cette vérité n’est pas le moindre de ses mérites.
L’Intérieur Hollandais fut acheté à La Haye, en 1750, à la vente du comte de Wassenær d’Oopdam, par M. Paillet, puis revendu 680 francs en 1787. Il fut acquis par l’État, en 1801, à la vente de M. Claude Tolozan, pour 1.350 francs, et placé au musée Napoléon.
On possède peu de renseignements sur la vie de cet artiste; en particulier la date de sa naissance et celle de sa mort ne sont qu’approximativement connues.
POUSSIN
(1594-1665)
LES BERGERS D’ARCADIE
Les Bergers d’Arcadie
EN bordure d’un chemin de campagne se dresse une pierre tumulaire qui rappelle au passant qu’un mort repose là. Des bergers, hommes frustes et de peu de culture, s’arrêtent devant le monument qu’ils considèrent, intrigués. L’un d’eux, agenouillé, la main tendue vers l’inscription funéraire, cherche à la déchiffrer. Péniblement, il épèle les mots: Et in Arcadia ego. Celui qui dort sous cette pierre se rappelle aux vivants; il fut un citoyen de cette Arcadie fertile, au ciel éternellement bleu que ses yeux à jamais fermés ne reverront plus. Cet appel d’outre-tombe semble éveiller des pensées dans l’âme simple des paysans groupés devant la pierre; leurs visages reflètent une mélancolie évidente et cette sorte de solennel effroi que provoque chez tous les êtres la vision de l’inéluctable échéance. Tandis que l’un, debout, appuyé sur le monument, écoute attentivement celui qui lit, un autre accoudé sur son genou, se tourne vers une jeune femme et lui explique le sens mystérieux de l’épitaphe.
Il se dégage de cette toile une philosophie sereine, un peu triste mais qui lui donne une inestimable valeur morale. Toutes les œuvres de Poussin emportent avec elles un enseignement; chez lui, la joie de peindre s’accompagne toujours de l’expression d’un sentiment. Le noble et austère artiste ne recherche jamais l’effet: celui qu’il produit à coup sûr provient surtout de cette élévation de pensée qui force à s’arrêter devant son œuvre, à réfléchir et l’on est immédiatement conquis parce que les réflexions qu’il suggère nous sont offertes avec un art admirable, pénétrant, plein d’attrait.
Non pas que Poussin puisse être compté parmi les virtuoses du pinceau, ni qu’il se livre jamais à d’étincelants artifices de couleur. Sa manière est pondérée comme son esprit, son coloris est calme, discret, mais d’une harmonie sans égale; son dessin ne s’écarte jamais de la correction classique, il est plein de noblesse et de sincérité. Avec ces dons un peu sévères, un autre peintre serait tombé dans la monotonie, mais, par une grâce d’état bien rare, Poussin demeure attractif, plaisant, et profondément humain. Le beau contour de ses personnages est l’enveloppe des belles âmes, et c’est de la sincérité qu’on lit sur leurs visages aux lignes pures et tranquilles.
Nul n’a su comme Poussin se rapprocher de l’idéal antique. Et cependant ses moyens d’expression étaient bien pauvres, comparés à ceux dont on dispose aujourd’hui. Au XVIIe siècle, on ignorait tout ou presque tout de l’antiquité. Les quelques rares documents où puisaient les peintres consistaient dans les ruines éparses à Rome ou dans la campagne environnante. De la Grèce, de l’Égypte, on ne savait rien et Poussin malgré ses études, ne possédait qu’une érudition très superficielle. Mais ce qu’il ignorait, son instinct d’artiste le lui faisait deviner, il était imprégné de cette atmosphère païenne qui flotte, en dépit de tout, sur la Ville Éternelle, et si, parfois, ses paysages sont inexacts et ses personnages anachroniques, l’ambiance et la conception sont bien réellement antiques.
Mais Poussin ne fut pas seulement un merveilleux évocateur; il compte au rang des techniciens de la peinture destinés à briller éternellement. Moins par un effet de l’inspiration qu’à force de constance et de labeur, il s’est élevé, comme dessinateur et comme peintre, jusqu’aux plus hauts sommets de l’art. Voyez les Bergers d’Arcadie: quelle admirable entente de la composition, quelle harmonie dans l’ensemble, quel charme dans le détail et surtout quelle noblesse dans l’exécution! Où trouver une plus superbe et harmonieuse création, une plus admirable pureté de lignes que dans la femme posée debout à côté des bergers! Quelle vérité dans l’attitude et quelle richesse, contenue et sourde, dans la couleur des draperies! Et si, quittant le groupe, on jette les yeux sur le paysage qui l’environne, il faut bien convenir que peu de peintres ont su donner autant de fluidité aux ciels, autant de vibrante chaleur à la lumière; tous les plans sont ménagés avec un art infini et Poussin eût été un merveilleux paysagiste s’il n’avait été mieux encore que cela.
Bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie à Rome, Poussin resta toujours Français de cœur et de tempérament et la France peut s’enorgueillir de lui, car il est un des artistes qui ont le plus honoré la peinture.
Les Bergers d’Arcadie se trouvait en 1710 dans le petit appartement du roi Louis XIV, au palais du Louvre. Il en existe une répétition dans la collection du duc de Devonshire.
QUENTIN MATSYS
(1466-1530)
LE BANQUIER ET SA FEMME
Le Banquier et sa femme
LE banquier et sa femme sont assis dans leur officine, modeste échoppe qui ne laisse apercevoir que deux étagères de bois où des livres de comptes voisinent avec des fruits. Au contraire, sur la table devant laquelle se tiennent les deux époux sont éparpillés des joyaux, des perles et des pièces d’or que le changeur pèse au trébuchet. L’homme est vêtu d’une sorte de houppelande brune garnie de fourrures au col et aux poignets; sa tête énergique et attentive acquiert encore plus de relief sous la large toque fourrée qui l’encadre. Elle, tout près de lui, semble prendre un vif intérêt aux opérations de son mari; elle se penche pour mieux voir et s’arrête de feuilleter un beau missel enluminé dont elle maintient la page du bout des doigts. Elle porte une robe écarlate légèrement échancrée au col; elle n’est pas jolie ou du moins ne le paraît pas sous le bizarre échafaudage de la guimpe et du toquet qui cache les cheveux et imprime au visage une certaine dureté.
Une particularité curieuse montre bien le souci d’exactitude des peintres hollandais et flamands: sur le devant de la table un petit miroir est posé, qui reflète avec une précision remarquable la fenêtre de l’officine, et l’on aperçoit même les maisons, la rue, et jusqu’à la flèche d’une lointaine église.
Tout l’art flamand est dans ce luxe de détails poussé jusqu’à la minutie. Cet art n’est pas fait d’inspiration; nul sentiment élevé, nul idéalisme ne l’embellit; on y chercherait vainement cette tendresse, cette harmonieuse douceur que les Italiens savaient donner à leurs peintures. Les sujets où il se complaît sont volontiers vulgaires, souvent même grossiers, et lorsqu’il s’avise d’aborder les scènes religieuses, il ne peut se défaire de cette froideur, de cette sécheresse, de ce réalisme qui semblent être sa caractéristique propre. Mais dès qu’il s’agit de peindre la nature, sous son côté objectif et précis, le peintre flamand déploie des qualités de premier ordre. Son absence d’enthousiasme le sert au lieu de le gêner; il voit parfaitement et clairement, sans que rien s’interpose entre son modèle et lui, et comme il est généralement très habile artiste, il arrive à produire en ce genre de véritables chefs-d’œuvre.
Ces qualités et ces défauts sont affaire de race: on les constate déjà chez les Van Eyck, et, malgré de louables efforts vers l’idéal, chez leurs successeurs immédiats, Roger van der Weyden, Hugo Van der Goës, ils se révélèrent intégralement. Le seul peintre qui ait véritablement possédé et traduit les sentiments de l’âme, le seul dont l’œuvre dégage une émotion profonde, une douceur intime, est Hans Memling, le célèbre auteur de La Châsse de Sainte Ursule. Mais celui-là, bien qu’ayant passé toute sa vie en Flandre, n’en était pas originaire; il venait d’Allemagne et avait apporté à Bruges les traditions d’idéalisme de l’école de Cologne. Tous les autres furent seulement d’admirables ouvriers et de merveilleux interprètes de la nature.
Ces qualités de précision et d’habileté, Quentin Matsys les possède au plus haut point. On lui doit, il faut en convenir, une Descente de Croix qui est un vrai chef-d’œuvre et d’où émane une réelle et intense émotion. Mais ce tableau, joyau de Notre-Dame d’Anvers, n’est qu’une exception, je dirais presque un accident, s’il ne s’agissait d’un aussi grand artiste. D’ordinaire Matsys est surtout le peintre des changeurs, des peseurs d’or, des choses qui brillent, des objets aux contours bien arrêtés. Peintre de portraits, il a cette implacable sincérité qui vous restitue le modèle vivant, avec toutes ses imperfections et toutes ses tares. Telle est sa rigide précision, sobre et vigoureuse, que bon nombre de ces portraits ont pu être attribués à Holbein: Matsys supporte d’ailleurs ce redoutable parallèle sans trop d’infériorité.
Les deux artistes vivaient à la même époque, et tous deux jouirent, de leur vivant, d’une renommée européenne. Matsys frayait avec les personnages les plus célèbres de son temps. Thomas Morus, Ægidius, Érasme furent ses amis; il peignit même, comme Holbein, deux portraits du célèbre littérateur et philosophe bâlois.
Dürer, quand il vint dans les Flandres, fit tout exprès le voyage d’Anvers pour visiter Matsys, dont il estimait le talent.
Le nom de ce peintre est quelquefois présenté sous la forme Metsis, ou Massys, et de son vivant on le surnommait le Forgeron d’Anvers parce que dans son enfance il avait travaillé quelque temps avec son père, lequel exerçait cette profession.
Le grand mérite de Matsys fut d’élargir, de renforcer la technique flamande et de secouer en quelque sorte l’enveloppe archaïque qui l’avait enserrée jusque-là. Par son œuvre propre et par l’influence qu’il exerça, il occupe une place de premier rang parmi les peintres du XVIe siècle.
Le Banquier et sa femme avait appartenu, au XVIIe siècle, à un marchand hollandais appelé Duarte, puis à Pierre Stevens, et enfin à un sieur Marivaux qui le céda au Louvre, en 1806, pour la somme de 1.800 francs. Matsys exécuta plusieurs répétitions de ce tableau: l’une appartient au prince de Hohenzollern-Sigmaringen, l’autre à M. della Faille, à Anvers. Mais c’est bien l’original que possède le Louvre.
ANDREA SOLARIO
(Né vers 1460.—Mort après 1513)
LA VIERGE AU COUSSIN VERT
La Vierge au coussin vert
HEUREUX ces tableaux qui ont un nom familier et populaire que répètent toutes les bouches. La Vierge au coussin vert! Le joli nom, la jolie toile! Dans une pose ravissante de naturel et d’abandon, le divin Bambino, couché sur un moelleux coussin vert et soutenu sous les épaules par le bras replié de la Vierge, s’attache au sein maternel avec la gloutonnerie des nouveau-nés. Bien que très absorbé par cette occupation, sa main droite joue avec son pied, en un geste d’une grâce charmante. Au-dessus de l’Enfant-Jésus, la Vierge est inclinée, dans une attitude attentive et joyeuse, et, du bout des doigts, elle fixe la pointe du sein sur les lèvres de son glorieux nourrisson. La mère et l’enfant sont blonds, de ce blond particulier, plein de chaleur, dont Solario apprit certainement l’emploi près du Titien, à Venise, pendant le séjour qu’il fit dans cette ville. Sous le voile blanc qui l’encadre, le visage de la Vierge s’épanouit, gracieux et souriant, et rayonne de la joie que fait monter en elle sa sublime maternité. Elle est belle, d’une beauté délicate et fine, les traits réguliers ont de la distinction, de la douceur et, s’il ne s’agissait d’un sujet divin, ce groupe délicieux pourrait servir de modèle pour symboliser la mère tendre. A l’attention des yeux, au plissement des lèvres, on devine l’amour profond, la sollicitude en éveil qui fait pencher anxieusement le front des femmes sur le berceau de leurs enfants.
Quel art aussi dans la distribution des couleurs! Et comme Solario a bien trouvé les couleurs chantantes qu’il fallait pour éclairer cette charmante scène de famille. C’est une harmonieuse symphonie de tons au milieu desquels palpite et vit la chair blonde et rosée de l’Enfant-Dieu.
Suivant la mode italienne du temps, qui s’inquiétait peu de vraisemblance, le peintre a placé ses personnages sur le fond sombre d’un grand arbre. Par l’échappée des branches s’aperçoit, à droite et à gauche, un paysage profond, bordé à l’horizon par la ligne sinueuse de collines bleuâtres. On voit la tache claire d’une rivière traversant la plaine et, plus loin, des prairies s’étendent, au milieu desquelles se meuvent de minuscules personnages. A cette époque la couleur locale importait peu, la vérité historique moins encore. De même que la Vierge porte un fort joli costume vénitien, de même les verts pâturages du tableau ne rappellent en rien les arides campagnes de Judée. Mais à quoi bon s’attarder à ces remarques? Il suffit que la pensée de l’artiste soit comprise, et comment ne le serait-elle pas, lorsqu’elle s’exprime avec cette puissance d’attraction.
Andrea Solario eut le malheur de venir au monde à une époque où l’Italie abondait en génies de premier ordre. Avec les dons qu’il possédait il eût acquis, en tout autre temps, une célébrité certaine, tandis qu’il est comme noyé dans le flot d’œuvres immortelles que la Renaissance italienne répandit sur le monde. La gloire de Titien, de Véronèse, de Tintoret, a fait tort à la sienne. Il avait cependant de qui tenir. Il appartenait à la famille des Solari, qui donna plusieurs artistes remarquables; son frère, Cristoforo, était un architecte de grande réputation et lui-même avait appris à peindre dans l’atelier du grand Léonard. Il était appelé aussi Andrea del Gobbo.
Bien qu’il eût habité Venise assez longtemps, Solario, comme tous les peintres de la deuxième école lombarde, subit l’influence exclusive, disons la tyrannie de Léonard de Vinci. Un moment affranchie par Borgognone, la peinture de cette école arrêta soudain sa marche indépendante vers les sommets pour s’engager dans les sentiers ouverts par le grand maître florentin. Mais où le prodigieux artiste avait passé, il ne restait plus de lauriers à cueillir; à peine pouvait-on ramasser des brindilles. Les Lombards se réduisirent ainsi d’eux-mêmes à n’être que des imitateurs.
Chez Andrea Solario, ce manque d’originalité s’aperçoit moins, parce qu’il eut le bon esprit de réagir et de combattre l’influence léonardesque par l’étude approfondie de Raphaël. Du premier il acquit le don d’exprimer avec intensité les émotions de l’âme, au second il emprunta l’art de traduire la sereine suavité des Vierges. C’est également à Raphaël qu’il doit cette transparence et cet éclat des chairs que l’on remarque dans la Vierge au coussin vert.
Solario fut également un portraitiste remarquable. Il jouit de son vivant d’une très grande réputation, qui franchit les frontières d’Italie. Le cardinal d’Amboise l’appela en France et lui fit peindre plusieurs tableaux pour son château de Gaillon, en Normandie.
Si, par le fait de son éducation artistique, comprimée par une tyrannique influence, Andrea Solario n’est pas un artiste très personnel, il n’est pas moins remarquable par la perfection et l’habileté de sa technique, et plusieurs de ses tableaux, comme la Vierge au coussin vert, sont de vrais chefs-d’œuvre.
Ce tableau fut offert à Marie de Médicis par les Cordeliers de Blois. Il appartint successivement au cardinal Mazarin et au prince de Carignan, ainsi qu’en témoigne une inscription marquée à son revers. Il fut ensuite acheté, en 1742, par Louis XV.
LE TITIEN
(1477-1576)
LAURA DI DIANTI
Laura di Dianti
ON désigne ordinairement sous le nom de Titien et sa maîtresse ou même sous ce titre plus bref, la Maîtresse du Titien, ce magnifique portrait de jeune femme dont la robe de velours vert, à moitié défaite, laisse voir la poitrine. Elle soulève d’une main un flot de ses cheveux de cet or roux si cher aux élégantes et aux coloristes de Venise et, de l’autre, tient une fiole de parfums. Une chemisette d’un blanc doré, dont le ton se confond presque avec le ton de chair ambré de la peau, concentre la lumière sur cette gorge délicate et puissante, digne d’être modelée dans le marbre de Paros. La tête, un peu inclinée vers l’épaule, a la sérénité de l’idéal antique avec ce vigoureux accent de vie qui est particulier à Titien. Il semble, dans ce beau visage, avoir pressenti le type de la Vénus de Milo, qui ne fut découverte que plusieurs siècles après.
A cette belle femme, un homme à barbe brune, tenu dans l’ombre pour laisser resplendir la superbe créature, présente deux miroirs pour qu’elle puisse se voir sous tous les aspects. Il nous plairait que la tradition fût vraie, et que cette beauté si délicate et si fière eût été l’amie et le type inspirateur de l’artiste, mais il paraît qu’il faut renoncer à cette poétique légende. Selon les érudits qui résolvent en faits précis les vagues traditions, l’homme aux miroirs serait Alphonse Ier, duc de Ferrare, ce quatrième mari de Lucrèce Borgia que Victor Hugo a fait si terrible; et la femme à la chevelure rousse serait Laura di Dianti, d’abord favorite du duc, ensuite sa femme. Titien l’avait peinte à demi nue lorsqu’elle n’était pas duchesse, et il la peignit habillée lorsqu’elle fut élevée au rang d’épouse. Si c’est là, en effet, Laura di Dianti, on ne peut qu’approuver Alphonse de Ferrare et trouver juste le nom d’Eustachia (heureux choix) qu’il donna à la nouvelle duchesse.
Il serait puéril d’insister sur les mérites de ce magnifique portrait; l’âme la plus fermée aux beautés artistiques s’arrête et se sent émue devant lui, car la vie, exprimée avec cette intensité, possède une force de rayonnement et d’attraction dont il est impossible de se défendre. En sa présence, le profane s’inquiète peu de savoir quelle fut cette femme à cheveux d’or, mais instinctivement il se rend compte que ce qu’il voit est une belle chose, une œuvre profondément humaine et il cherche à deviner, dans cet œil attentif et sérieux, le secret des pensées qu’il reflète. Sans rien savoir du coloris, il ne peut s’empêcher d’admirer cette chair mordorée et palpitante, ces teintes chaudes et sourdes qui font croire que le sang coule vraiment sous cet épiderme de femme. Loin de nuire au tableau, l’action des siècles y a passé une patine veloutée qui ajoute à son charme sans rien enlever à la magnificence éclatante de l’œuvre.
Parmi tous les peintres de Venise, qui furent de si prodigieux virtuoses de la palette, Titien fut, sans contredit, celui qui chargea son pinceau des couleurs les plus rares. Moins brillant que Véronèse, il a plus de profondeur et de sûreté dans l’application du ton; ses toiles ont moins de facettes brillantes, mais une plus harmonieuse distribution des couleurs; il est plus solide, plus maître de lui, et aussi plus vibrant et plus chaud.
Titien aborda tous les genres avec la même géniale aisance, mais s’il fallait marquer une préférence pour l’un d’eux, je la donnerais sans hésiter à Titien portraitiste. Soit qu’il peigne Charles-Quint ou Philippe II, le Pape ou Laura di Dianti, il imprime à ses personnages un tel caractère de vie que l’on découvre en eux, non pas seulement leur physionomie extérieure, mais leur être intime, et que leurs sentiments, leurs passions, leurs vices, viennent se refléter sur le miroir révélateur de la bouche et des yeux. Titien peignait avec plus d’habileté les hommes que les femmes; il faut en excepter, néanmoins, le portrait de Laura di Dianti qui compte parmi les plus beaux du grand artiste.
Ce portrait fut exécuté vers 1515. A cette époque, Titien était recherché par tous les princes des Cours italiennes; le pape et l’empereur eux-mêmes songeaient déjà à se l’attacher. Sollicité de tous côtés, il se décida pour Alphonse de Ferrare qui jouissait alors d’une grande réputation d’ami des arts. Le peintre ne s’était pas trompé. Ce Mécène légendaire le reçut avec grande faveur, l’installa dans son propre château et le traita comme un ami. Titien reconnaissant fit le grand portrait d’Alphonse de Ferrare dont une copie se trouve à Florence, et il exécuta également le merveilleux portrait de Laura di Dianti, que le duc venait d’épouser récemment.
Le grand artiste peignit par la suite bon nombre de portraits, il produisit quantité de tableaux de tout ordre qui sont d’admirables chefs-d’œuvre; dans aucun il ne montra une plus grande maîtrise d’exécution ni une plus profonde connaissance de la physionomie humaine.
Laura di Dianti faisait partie de l’ancienne collection royale; on lui donne aussi le titre de Alphonse de Ferrare et Laura di Dianti.
D. TÉNIERS (le Jeune)
(1610-1694)
LES ŒUVRES DE MISÉRICORDE
Les Œuvres de Miséricorde
LE musée du Louvre possède un assez grand nombre de tableaux du peintre si spirituellement réaliste qu’est David Téniers. Il est inutile de les décrire, car ils se composent des mêmes éléments, variés avec l’art le plus ingénieux, et paraphrasent sur des modes différents le thème uniforme de la vie familière des paysans. Quelquefois cependant il essaya quelque sujet d’histoire ou de sainteté; mais il se permettait l’anachronisme du costume avec la même liberté que Paul Véronèse, et il était homme à mettre des canons au siège de Troie et une pipe entre les lèvres d’Achille aux pieds légers. Ainsi, l’Enfant prodigue, à table entre les courtisanes, a un chapeau à plumes, un manteau de raffiné et une épée de gentilhomme; les courtisanes, paisibles Flamandes, sont habillées à la mode du dix-septième siècle et, dans le fond, on aperçoit un clocher surmonté de son coq, ce qui n’a rien de particulièrement biblique; mais la parabole de l’Enfant prodigue est de tous les âges. Ses Œuvres de Miséricorde, que nous donnons ici, renferment dans un seul tableau tous les actes méritoires que peut inspirer la charité chrétienne, traités avec la même piquante ingéniosité et avec la même liberté d’interprétation.
Ce tableau passe à bon droit pour l’un des plus complets chefs-d’œuvre de Téniers; l’exécution en est extrêmement originale et les personnages possèdent tous cette allure particulière, amusante et familière, qui nous les fait aimer, en dépit de leur vulgarité paysanne; mais on sait malgré tout que cette composition, avec son évidente portée morale, n’est pas l’affaire de Téniers et qu’il s’y sent beaucoup moins à l’aise que dans son petit monde de fumeurs et de buveurs.
Théophile Gautier, grand admirateur de Téniers, a écrit sur ce peintre une très jolie page, que nous nous en voudrions de ne pas citer:
«David Téniers, dit le Jeune, s’est fait un petit monde où il règne en maître. En vain Louis XIV a dit avec une moue dédaigneuse: «Tirez de devant moi ces magots,» les musées, les galeries, les cabinets d’amateurs ne s’en sont pas moins disputé les magots du bon Flamand. On a trouvé un charme intime à ces cabarets où fument des paysans à côté d’un pot de bière, où des servantes, lutinées par de rustiques galants, passent portant des plats ou des flacons, où dans une ombre chaude, piquée de paillettes lumineuses, étincellent des batteries de cuisine bien écurées; à ces cabinets d’alchimistes, encombrés de matras, de siphons, de cornues, de serpentins et de tout le fatras cabalistique, mobilier ordinaire des souffleurs; à ces Tentations de saint Antoine, à ces kermesses qui dansent en plein air, à ces chasses au héron, et à tous ces sujets de la vie familière que Téniers excelle à rendre. Personne ne peignit mieux l’aspect de la Flandre, avec son ciel humide d’un gris léger, ses fraîches verdures, ses maisons de briques aux pignons en escalier dont les toits offrent des nids aux cigognes, ses canaux regorgeant d’eau brune, ses corps de garde tapageurs, ses cabarets hospitaliers, ses paysans trapus, à mine goguenarde, et ses bonnes petites femmes rondelettes.
«A travers cette rusticité, Téniers fait quelquefois apercevoir les tourelles d’une habitation seigneuriale, car s’il peignait la campagne, c’était de la fenêtre d’un château. David Téniers n’est pas, comme on se l’imagine trop souvent, un artiste dont les œuvres doivent leur principal mérite au fini. Personne n’a travaillé d’une façon plus libre, plus légère, plus rapide. La plupart de ses petits tableaux, qu’on se dispute à prix d’or, ne lui coûtaient qu’une après-dînée. Sa peinture, blonde, transparente, maintenue dans des gammes rousses ou des gris tendres, procède par larges localités que modèlent, en deux ou trois coups, des touches piquantes, des réveillons spirituels. Un point de lumière, une demi-teinte, un reflet, et voilà un pot de grès, une bouteille de verre, qui semblent terminés avec un soin excessif. L’effet juste est obtenu à très peu de frais. Il en est de même pour les figures, accusées par méplats avec une prestesse et une certitude de grand artiste. Rubens, Van Dyck et Téniers ont été de leur vivant les noms les plus célèbres des Flandres, et la postérité leur a conservé et confirmé leurs titres. L’idéal de Téniers n’était pas très haut sans doute, mais il l’a réalisé complètement.»
Les Œuvres de Miséricorde proviennent de l’ancienne collection royale. On trouve trace, en 1735, d’un tableau de ce nom, acheté 860 florins à la vente de M. Schuylemberg de La Haye, mais on ignore s’il s’agit de celui du Louvre. Celui-ci est peint sur cuivre.
LÉONARD DE VINCI
(1452-1519)
LA JOCONDE
La Joconde
ON n’a pas oublié l’émotion qui secoua l’univers civilisé quand un matin du mois d’août 1911 se répandit l’incroyable nouvelle: «La Joconde a été volée!» Sur tous les points du globe, cette perte fut ressentie comme un désastre. Désastre, certes, et sans équivalent, car, avec la Joconde, avait disparu l’une des plus grandioses productions du génie humain. Malgré son prodigieux assemblage de chefs-d’œuvre, le Salon Carré perdait le meilleur de sa gloire; dans l’écrin rempli de joyaux manquait le plus beau diamant, celui qui jetait les feux les plus brillants et les plus purs. La Mona Lisa n’accueillait plus le visiteur de son sourire énigmatique, et qui savait en quels lieux l’étrange créature reposait son troublant et mystérieux regard?
Heureusement, grâce à une enquête rapide, à des recherches actives, et aussi à la perspicacité d’un antiquaire italien, la merveilleuse toile de Vinci fut retrouvée, et, à la joie de tous, elle reprit son ancienne place, triomphante et narquoise, groupant une cour encore plus nombreuse d’adorateurs autour de son immortelle beauté.
Nulle peinture au monde n’a provoqué une aussi entière admiration. La Joconde a eu ses poètes, ses romanciers, ses amants. Certains hommes l’ont adorée comme un être vivant; il en est même qui se sont tués pour elle...
Relisons la page enthousiaste où Théophile Gautier célèbre la Mona Lisa:
«La Joconde! Sphinx de beauté qui souris si mystérieusement dans le cadre de Léonard de Vinci et sembles proposer à l’admiration des siècles une énigme qu’ils n’ont pas encore résolue, un attrait invincible ramène toujours vers toi! Oh! en effet, qui n’est resté accoudé de longues heures devant cette tête baignée de demi-teintes crépusculaires, enveloppée de crêpes transparents et dont les traits, mélodieusement noyés dans une vapeur violette, apparaissent comme une création du Rêve à travers la gaze noire du Sommeil! De quelle planète est tombé, au milieu d’un paysage d’azur, cet être étrange avec son regard qui promet des voluptés inconnues et son expression divinement ironique? Léonard de Vinci imprime à ses figures un tel cachet de supériorité qu’on se sent troublé en leur présence. Les pénombres de leurs yeux profonds cachent des secrets interdits aux profanes et les inflexions de leurs lèvres moqueuses conviennent à des dieux qui savent tout et méprisent doucement les vulgarités humaines. Quelle fixité inquiétante et quel sardonisme surhumain dans ces prunelles sombres, dans ces lèvres onduleuses comme l’arc de l’Amour après qu’il a décoché le trait! Ne dirait-on pas que la Joconde est l’Isis d’une religion cryptique qui, se croyant seule, entr’ouvre les plis de son voile, dût l’imprudent qui la surprendrait devenir fou et mourir? Jamais l’idéal féminin n’a revêtu de formes plus inéluctablement séduisantes. Croyez que si don Juan avait rencontré la Mona Lisa, il se serait épargné d’écrire sur sa liste trois mille noms de femmes; il n’en aurait tracé qu’un, et les ailes de son désir eussent refusé de le porter plus loin. Elles se seraient fondues et déplumées au soleil noir de ces prunelles. Nous l’avons revue bien des fois, cette adorable Joconde, et notre déclaration d’amour ne nous paraît pas aujourd’hui trop brûlante. Elle est toujours là, souriant avec une moqueuse volupté à ses innombrables amants. Sur son front repose cette sérénité d’une femme sûre d’être éternellement belle et qui se sent supérieure à l’idéal de tous les poètes et de tous les artistes.»
Le divin Léonard mit quatre ans à faire ce portrait, qu’il ne pouvait se décider à quitter et qu’il ne considéra jamais comme fini; pendant les séances, des musiciens jouaient pour égayer le beau modèle et empêcher ses traits charmants de prendre un air d’ennui et de fatigue.
Doit-on regretter que le noir particulier qu’employait Léonard ait prévalu dans les teintes de la Mona Lisa et leur ait donné cette délicieuse harmonie violâtre, cette tonalité abstraite qui est comme le coloris de l’idéal? Nous ne le pensons pas. Maintenant, le mystère s’ajoute au charme et le tableau, dans sa fraîcheur, était peut-être moins séduisant.
Le modèle de ce magnifique portrait s’appelait Lisa Maria di Noldol Gherardini; elle épousa, en 1495, Francesco di Bartolomeo de Zénobi del Giocondo, d’où son nom de «Joconde», sous lequel elle est aujourd’hui célèbre.
La Joconde fut peinte vers 1502. François Ier l’acquit pour quatre mille écus d’or et la fit placer dans le cabinet doré de Fontainebleau. Elle passa ensuite dans la chambre de Louis XIV, à Versailles. Après la Révolution, le célèbre portrait fut transporté au Louvre et placé dans le Salon Carré où il resta jusqu’en ces dernières années.