Le nouvel amour
Le Nouvel Amour
Vous êtes vraiment majestueuse, comme il faut, bien vêtue. Aurez-vous jamais du chic ?
Parlé. — Votre chapeau, tendresse, a sa coiffe trop étroite, et votre jupe, n’est-elle pas trop longue ?
Allez, boudeuse ! Pourquoi cette moue qu’il est sûr que vous faites ? Moquez-vous donc de moi : vous êtes assez belle !
Pour enlever ses bottines, elle aime décidément à s’asseoir par terre. Je ne sais pas si elle a raison, elle est trop grande… Seulement, elle est toujours charmante parce qu’elle ne fait rien exprès.
Un instant, j’ai cru que votre bas retomberait, et il me semble (prenez-y garde) que j’aurais détourné les yeux. Vous devriez porter aussi, malgré tout votre système de jarretelles, de bonnes jarretières rondes, froncées à la vieille. Car vous ôtez votre corset avant vos bas.
Ce que je dis, ce que je pense, et ce que vous comprenez, ne sont pas trois mêmes choses. Si chacun de nous lisait tout à fait dans le cœur des autres, nous perdrions tous la tête.
Parlé. — Ne me dites rien de votre amie Jacquine. Quand une Flamande a cet air-là, elle l’a bien.
Pourquoi donc, avec cette bouche, avec ces yeux que vous aviez, parlez-vous à présent du ciel étoilé ? Quel amour véritable !
J’ai cru que vous alliez crier : « Oito oh ! »
Elle entrouvrait les lèvres avec l’avidité des carpes de Fontainebleau, lorsqu’elles se précipitent sur le pain qui sombre. Je figurais à ses yeux de métaphysicienne l’Amour en soi ; mais pour les fibrilles de son être (caro, carnis), j’étais l’ange ou l’animal que lui désigne mon prénom.
Elle a d’ailleurs la bouche un peu grande, mais qui m’a plu et me plaira.
Quel bruit ! Elle va casser toute cette porcelaine.
Vous avez les hanches les plus fortes que j’aie vues à une femme svelte, l’épaule grasse, la nuque un peu bombée, autant de délices, et de beaux yeux gris ou bleus.
Mais je crois que je recommence à vous préférer cette Romaine — un souvenir — tournée pour paraître dans un Giorgione, et qui était donc cuivrée ou dorée, plutôt que brune.
Elle et moi, nous nous nourrissions de jambon de Parme, de brousse fraîche et de muscats, dans une soupente, au dernier étage d’un palais. Nous nous régalions d’une eau froide, dont la seule buée sur le cristal désaltérait. Tous ces plaisirs ensoleillés me suivent. C’est où va mon regard, vous savez, alors qu’il vous inquiète.
Ne croyez pas cependant que je méprise nos plaisirs septentrionaux : les miracles de ce feu dans la grotte rectiligne, ni toute la neige qui est sur vous, ni le reflet de la flamme sur cette neige, ô Galsvinte !
Que j’aime à vous voir debout ! Ne croyez pas, belle fille, que votre vrai nom vous aille mieux que celui que je vous ai donné, la première fois, pour narguer un peu tout ce nord qui régnait tout à coup dans mes pensées surprises, dans mes pensées charmées.
Lorsque je vous taquine, ne vous égarez pas, ne vous agitez pas. Tout à l’heure, votre flanc droit a soulevé le rideau. Les passants vous auraient vue, beaucoup plus belle que vous ne naquîtes, si je vous avais rappelée brusquement.
Il est vrai que je vous aurai appris bien des choses. Notamment qu’il est vilain de geindre, et plus décent de se moquer, lorsqu’on est triste. Cependant, je vous dois réciproquement beaucoup. Comme il est instructif d’aimer !
Oh ! ne me rompez pas la tête, avec votre Lilienmilch ! C’est une affreuse chimie. Je préfère mille fois mon savon de Marseille, avec trois gouttes d’essence. Avant de rire, essayez. Vous ne savez pas ce que c’est, lorsqu’il est très bon, lisse et blanc, doux comme l’amande nouvelle.
Lilienmilch, lait de lys. Ce mot finira par me capter. Je vous en ferai un autre nom, pour vous nommer quand nous sommes tous les deux seuls, tout seuls au monde comme à présent.
Ce village de la Grèce, dont on m’a parlé, qui s’appelle Méligala, c’est à peu près la même idée. Mais le mot est plus noble… L’autre, pour un savon, que de poésie ! Vous avouerez que l’allemande est une langue nigaude.
Oui, voyons. Oui ! Je le sais très bien, que vous n’êtes pas Allemande, mais d’une espèce de contrée exiguë bien que souveraine, dont les manuels pour le baccalauréat méconnaissent l’histoire.
Je ne suis point du tout fâché. Jamais vous ne fûtes si tendrement chérie. Je vous dis seulement : « Ne soyez pas agaçante ! » Dans mes yeux, vous pouvez connaître le reste, et combien je vous aime. Je vous demande seulement de ne pas repartir dans vos nuages. Votre ingénuité me plaît surtout lorsqu’elle est un peu terre à terre.
Mains froides, cœur chaud, ou bien c’est la joue qui brûle.
Si tu avais un enfant, et qu’il fût de moi, je te l’enlèverais. Je l’enlèverais, je partirais, je m’en irais avec notre enfant, je ne sais où… en Albanie.
Peut-être ne voudrais-tu pas d’un parti si romanesque. Tu voudras garder l’enfant avec toi, et te réconcilier à temps, et mentir. Mais il me suffirait de connaître ton mari, il me suffirait de l’apercevoir, je crois : j’aurais peine à t’aimer… Ainsi, quoique tu ne l’aimes plus, tu dépends encore de ton ancien serment. Même refusée, ta personne n’est plus libre. Tu vois que je suis gentil : je n’imagine pas que tu me sois infidèle, et je t’ai mis des larmes dans les yeux parce que je te l’ai dit. Attention. Ne nous risquons pas, ou pas encore, ne nous risquons pas trop loin sur cette voie des confidences à perte de vue. Elles enchantent d’abord le cœur, puis le navrent, le laissent vide ou trop nu, mal content, comme dévalisé.
Toi et moi, si nous sommes deux fous, je ne suis peut-être pas le moindre. Battons-nous à coups de poètes, qui permettent de voiler. Tu verras que mes livres sont les meilleurs.
Mais ce que tu appelles mon prosaïsme, ce goût du vrai, cette cruelle et pitoyable curiosité (sans compromission), ce n’est pas toi qui le tireras au clair.
Dieu n’est pas bon : tu vois bien qu’il pleut à verse.
Ces gens qui marchent dans la rue, dont tu entends le pas, et que tu ne connais pas. L’un de ces inconnus deviendra peut-être ton ami sans que tu saches jamais, ni lui, qu’un certain jour, comme tu étais très émue, il a passé sous ta fenêtre.
Ne crois pas que je devienne imbécile.
Sans moi vous alliez oublier votre fourrure.
Tu avais plus perdu l’esprit que moi, grande sotte !
Vous n’êtes pas dehors, et vous êtes redevenue timide. Je la connais, votre timidité d’apparat, je sais les grandes déterminations qu’elle cache ou plutôt qui la rompent soudainement.
Encore un peu de Xérès, pour vous donner l’idée du soleil qu’il fait en Andalousie. Un peu de Xérès, un dernier baiser, sans défaire votre rouge… Je voudrais vous aimer toujours.
Si je vous l’avouais à présent, que je vous aime bien, vous me croiriez. Et il y a un certain amour dont je suis peut-être incapable, un amour d’entière donaison.
Le désir et l’amitié m’enchantent pourtant. Et que les deux agréments se joignent, ou que l’amitié naisse du désir comblé, deux créatures auront mis la main sur un grand bonheur.
« Cette espèce bizarre de créatures qu’on appelle le genre humain… » Je cite Fontenelle, dans la Pluralité des Mondes.
Je voudrais t’avoir connue il y a longtemps, je voudrais que nous eussions l’un de l’autre des souvenirs d’enfance, petite fille, les mêmes souvenirs.