Le nouvel amour
La Méchante
Je ne vous ai jamais demandé, je crois : « A quoi penses-tu ? » Je vous ai toujours caché un grand nombre de mes pensées, toutes celles qui pouvaient nourrir la faim de l’âme.
C’est pourquoi nous fumons tant de cigarettes.
J’en suis toujours à me demander comment vous avez fait pour que je vous surprisse une fois.
Jamais, dans le même moment, je n’ai tant vu de votre personne que ce premier jour, lorsque vous ne m’étiez rien encore, et que je vous étais si peu.
Pauvre petite chose ! Vous n’avez guère d’appâts visibles, mais vous connaissez l’empire de vos imperfections mêmes, celui de votre ligne mince et de son acuité.
Vous étiez capable d’avoir choisi — comme une héroïne de Bourget — l’heure du jour, vous aviez mesuré l’élévation de la lampe, vous aviez préparé jusqu’à la couleur, jusqu’au parfum de la chambre, et contrefaisiez pourtant la petite fille étonnée.
La grande pièce était sombre. Elle était claire en deux endroits, claire près de vous, et claire sur la longue fourrure blanche où vous aviez probablement médité de tomber, devant les flammes rosissantes.
Aux fenêtres, la nuit était aussi noire que le fer de l’âtre, où les bûches mourantes donnaient la réplique aux feux lointains de la campagne.
Il avait plu sur les vitres.
Quel silence, ah ! comédienne !
Comme vous avez bien su prononcer à mi-voix mon nom. De manière à marquer tout ensemble la surprise, le contentement, et que vous cédiez sans aimer au sourd instinct irrésistible. A quelle flatteuse Vénus !
Lorsque vous avez tué votre mari, il était en passe de devenir ministre d’État, et vous avez rendu un si grand service à ses rivaux qu’ils vous l’ont peut-être payé. Il a suffi qu’ils fussent adroits.
Vous ne l’avez point assassiné. Il n’est mort que de peine.
On m’a dit que vous étiez allée jusqu’à séduire un jour, séance tenante, votre déménageur. Je voudrais savoir comment vous vous y êtes prise, et ce que vous avez pu lui dire, pour commencer. Comment ne l’avez-vous pas intimidé ? Quel usage du monde il vous aura fallu !
Je ne suis pas curieux de l’entre-deux. Pas curieux de vos sensations avec un autre. Et que ce fût celui-là ! En y repensant, je crois que j’aimerais à apprendre surtout combien vous avez tremblé de peur, ensuite.
Je vous ferai voir un jour, dans un récit très bien conduit, de quel visage Mérimée éclata de rire au nez de George Sand.
Je vous ai déjà touché un mot de cette scène, légèrement et par allusion. Vous me dîtes brusquement que je n’étais pas Mérimée. Mais, ni vous Sand, chérie, bien que vous soyez, à coup sûr, plus redoutable.
Je vous ai seulement répliqué que ce n’était pas la question, et par un raisonnement général sur la logique féminine. Je rompais, je me repliais, je cachais mes armes. Il me semble que, contre vous, presque tout est licite. Je n’avais pas encore le courage de me priver de toi.
Ils auraient pu fonder une société, les amis de ton mari, un cercle, et la livrée à tes couleurs.
Je meurs d’envie d’en discourir devant toi à bouche ouverte, mais peut-être suffit-il que je me rappelle tout ce que j’ai su, et que tu le lises dans mes yeux, sans en être tout à fait certaine.
Et je t’enlace pourtant, voici sur ta bouche la mienne. Sale bête ! Moque-toi donc de moi un instant, sans rire, ou donne-toi cette illusion, tandis que tes bras me serreront comme malgré toi.
Je commence à le savoir, qu’il y a des défauts pour créer de toutes pièces un charme. J’en ai adoré une autre, petite aussi et blonde, qui était brèche-dent. Mais rassurante. La grâce imprévue de sa bouche s’accordait aux enfances qu’elle faisait. Au lieu que toi, dans ton apparente débilité, on ne sait quelle terrible folie te mène. Ni jusqu’où.
J’aurais parié que tu avais la jambe trop maigre et la poitrine nulle. Mais, après tout, c’est à peine si je le sais encore.
Si tu n’es pas laide, tu n’es pas jolie, assurément, avec ton étrange petit nez oblique et tout cet embrouillamini de ta face. Un miracle que le dieu Paris renouvelle tous les matins.
Je ne méconnais pas ce profond coussin de tes cheveux, où tu joues à faire l’endormie, ni tes yeux violets, quand filtre ce long regard, ni tant de grâces bien apprises, ô Perfide !
Tu vois, l’on te parlerait en style de tragédie.
Il n’y a pas d’horreur que tu doives prendre la peine de te refuser, n’ayant que tes paupières à relever pour rattraper l’innocence.
Je te compare à un oiseau — laisse-moi dire — à un oiseau des Iles. La chair n’y est rien, tout est plume.
Qu’il y ait encore des gens pour se figurer une vie moderne, disent-ils, toute privée de romanesque. Ils n’ont pas prévu la guerre de cinq ans, qu’il ne faut pas nommer des deux mondes, pour garder un nom à celle qui pourra suivre, et ils ne t’ont pas vue.
Assise sur ton divan, sage, réservée, lustrée, polie.
Et tant d’affreux secrets dans ta brillante petite tête. Tant d’affreux secrets dans ce cœur méchant, à peine voluptueux, mais avide, tyrannique, mais facile et égoïste à plaisir, et tout gâté, comme un fruit.
Il te fallait des perles. C’est de quoi est mort l’infortuné.
Votre mine de grande dame, comme elle tombe vite, quand vous vous mettez à couper un sou en quatre, en certains cas ! Alors, tout charme s’efface : l’enfantin regard lance des lames de couteaux, et cette voix que vous tenez si douce, d’habitude, quelle pitié, si vous saviez, de l’entendre, altérée par l’avarice ! Il m’est arrivé de vous y surprendre, et si vite que vous ayez recomposé votre visage, vous n’avez pas su vous empêcher de rougir.
C’est-à-dire que vous redeveniez soudain jolie.
Quels philtres remêlez-vous ? Je me défierai de votre thé.
Vous me rendrez cette justice, que j’ai toujours tout craint de vous, qu’il n’y a pas de honte que je n’eusse redoutée, si vous m’aviez mieux tenu. Par bonheur, vous m’avez toujours senti libre, frémissant, prêt à échapper. L’ambition de m’asservir vous a rendue prudente. Je vous ai vue quelquefois qui m’observiez entre vos cils.
La mémoire de certains moments, où j’espère n’avoir pas entièrement révélé tout le plaisir que vous me donniez, me ramenait toujours.
Tourments du désir que la défiance traverse, et de la volupté, pour douce qu’elle soit, ou déchirante, qui ne s’élève pas jusqu’au bonheur.
Je vous aurais nommée mon enfant et ma sœur, si je l’avais pu sans remords.
Vous laissez le beau linge blanc aux belles femmes. Vous ne mettez sur vous que des toiles d’araignée, bleues, vertes, roses, si bizarrement coupées que votre pantalon ne ressemble à rien.
L’on vous verrait trop bien au travers, s’il n’y en avait tant que vous superposez, sachant que votre forme a moins de pouvoir que leur légèreté et leur chaleur.
Vous ne découvrez pas beaucoup plus que vos bras et votre épaule, mais l’on ne sait plus jusqu’où monte la soie de vos deux bas. La vôtre rivalise. Si vous versez une mortelle douceur dans toutes les veines, une à une, votre tête n’est pourtant rien. Qu’une ombre. La gouache d’un éventail.
Vous voulez m’entendre et que je contente votre malice, puisque c’est encore du jeune Raoul que vous me parlez. Je l’ai rencontré tout seul, l’autre jour, chez Mme X…, la joue en feu. Il m’a dit qu’elle l’avait d’abord baisé sur la bouche et qu’il s’était brusquement détourné pour lui tendre la joue, parce qu’elle a de fausses dents et qu’il craignait d’en être mordu.
Si vous souriez, ne croyez pas que je sois tombé dans un piège ni que je te fasse l’honneur d’être jaloux. Je sais que vous savez à présent tout ce que vous vouliez savoir, tant sur la dame que sur l’adolescent.
Vous souriez en outre, parce que vous songez que je ne serais pas plus fort entre vos mains, s’il vous plaisait, que cet innocent. Quand aurez-vous fini de vous trahir ?
Tout le monde a su que vous aimez à faire souffrir.
Savoir si mon tour viendra.
Ronronnez, ronronnez. Le temps que vous allongiez la patte, je serai loin.
Vous m’enseignez des plaisirs psychologiques qui me sont nouveaux.
Quand vous me menacerez bien, je vous imposerai un traité. Vous ne me livrerez pas à la calomnie, et je tairai que vous avez la jambe torte.
Ce sont des fluides, dont vous avez la disposition. Il vous suffit de bouger, sorcière, il vous suffit de ciller.
Il faut bien que je me convainque que vous m’aimez, au moins un peu, du moins à votre façon, puisqu’en signe de ce désir que vous n’avouez jamais en clair, votre regard vacille.
A peine si vous souriez, avec un air de faiblesse, dans l’amas de vos mousses, qui sont roses aujourd’hui. Dans l’amas de vos mousses, pareille à un sorbet.
Vous êtes tout à fait comme ces glaces aux myrtilles de l’été dernier, rouge et douce-amère. Je les détestais et ne cessais d’en reprendre. Vous laissez le même arrière-goût.
Votre main immobile est d’une beauté qui effraye, mince et veinée.
Pâle et léger bijou, ivoire, corail, est-ce que vous respirez encore ? Je voudrais voir un souffle traverser votre linge, ô poupée, petite poupée !
Si je vous le disais pourtant !… Si je vous disais que je n’ai pour vous ni tendresse, ni faiblesse, nulle amitié, que je suis sans confiance, que je ne sens pas même cette obscure sympathie qu’il arrive de donner à une passante. Jamais ne m’abandonnerai. Jamais ne m’apitoierai. Le misérable destin de l’humanité, ce n’est pas toi, — ou c’est bien toi, de la tête aux pieds. Nulle autre que toi.
Est-ce que tant de fragilité finira par m’émouvoir ? Est-ce que j’aurai besoin d’imaginer ce que j’aurais souffert, quand tu m’aurais trompé, si je t’avais aimée.
Blonde, ce n’est rien dire. Tu es comme les blés à l’instant qu’ils ont cessé d’être verts. Comme une jeune pousse. Comme une boîte de poudre de riz ouverte dans un rayon de soleil.
Tu peux bien pleurer, à présent, tu peux bien pleurer à te rompre les veines.
Tu sens à cette heure sans lumière quelle solitude est la tienne, que dans toutes les maisons du monde vivent des cœurs amis, et nul qui batte pour toi, non certes le mien, tu dois pourtant le deviner. Tu écoutes chanter la petite fille qui saute à la corde sous le reverbère. Tu te souviens de ta propre enfance et que tu te croyais assez bonne. Tu penses qu’un jour tu seras vieille, une laide vieille, à peine cette fleur de ta joue sera-t-elle fanée.
Malheureuse, à quoi penses-tu ? A quoi penses-tu donc, malheureuse, qu’un homme a plaisir à oublier ?