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Le petit-neveu de Grécourt, ou, Étrennes gaillardes: Recueil de Contes en vers, réimprimés sur l'édition de 1782
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LES CINQ POINTS
A MADEMOISELLE DE ***
Fleur de quinze ans, si Dieu vous sauve et gard,
J'ai en amours trouvé cinq points exprès:
Premièrement, s'offre à vous le regard,
Puis le parler, puis le baiser après;
L'attouchement le baiser suit de près,
Et tous ceux-là tendent au dernier point,
Lequel est…—Quoi?—Je ne le dirai point;
Mais s'il vous plaît en ma chambre vous rendre,
Je me mettrai volontiers en pourpoint,
Voire tout nud, pour vous le faire apprendre.
L'UN POUR L'AUTRE
CONTE
Près de s'unir à sa discrète amie,
Le bon Damis, chez elle, un beau matin,
Sur un sopha la trouvant endormie,
Osa risquer un geste libertin;
Mais par malheur s'éveille la Donzelle,
Et ses beaux yeux encore appesantis:
«Mon cher Louis, ah! tu vaux trop,» dit-elle,
(Louis étoit un valet du logis),
«Toute la nuit, tu m'as prouvé ton zèle;
»Le jour au moins, repose-toi, Louis.»
LA PRÉSENCE D'ESPRIT
Martin menoit son cochon au marché,
Avec Suzon, qui dans la plaine grande,
Pria Martin de faire le péché
De l'un sur l'autre, et Martin lui demande:
«Mais, qui tiendroit notre cochon, friande?
»—Qui?» dit Suzon, «bon remède il y a.»
Lors le cochon à sa jambe lia,
Puis Martin grimpe, et lourdement engaîne.
Le porc eut peur, et Suzon s'écria:
«Serre, Martin! notre cochon m'entraîne.»
LA DÉFENSE BIEN OBSERVÉE
«Quoi! maman me laisse seulette?
»Pour moi j'en suis presque en courroux;
»Il semble qu'exprès avec vous
»Je voulois rester tête à tête;
»Mais non, Monsieur, n'en croyez rien;
»Vraiment je vous le défends bien.
»Pour favoriser le mystère,
»Ma porte est fermée aux verroux;
»Ici, sans crainte des jaloux,
»On pourroit jouir et se taire;
»Mais non, Monsieur, n'en faites rien;
»Vraiment je vous le défends bien.
»Prêt à rire de ma colère,
»Peut-être que mon négligé,
»Mon mouchoir un peu dérangé,
»Vont vous rendre trop téméraire;
»Mais non, Monsieur, qu'il n'en soit rien;
»Vraiment je vous le défends bien.
»Dans vos yeux je lis votre audace,
»Vos regards dévorent mon sein;
»Vous allez y porter la main,
»Votre bouche en prendra la place;
»Mais non, Monsieur, n'en faites rien;
»Vraiment je vous le défends bien.
»Mais que vois-je? ma jarretière
»Se défait et tombe à mes pieds;
»Souffrir que vous la rattachiez!
»Oh! pour cela je suis trop fière!
»Non, non, Monsieur, n'en faites rien;
»Vraiment je vous le défends bien.»
Comprenant enfin la défense,
Par degré Damon s'enhardit,
A la belle il désobéit,
Pour prouver son obéissance.
Jusques au bout il fit si bien,
Qu'on ne lui défendit plus rien.
LE DÉGEL
Un jour d'hiver Robin, tout éperdu,
Vint à Catin présenter sa requête,
Pour dégeler son chose morfondu,
Qui ne pouvoit quasi lever la tête.
Incontinent Catin fut toute prête;
Robin aussi prend courage et s'accroche;
On se remue, on se joue, on se hoche.
Puis quand ce vint au naturel devoir,
«Ah!» dit Catin, «le grand dégel approche!
»—Oui,» répond-il, «je sens qu'il va pleuvoir.»
HISTOIRE VÉRITABLE ET REMARQUABLE D'UN ABBÉ
Qui avoit donné un rendez-vous à une femme mariée; le mari, instruit de ce rendez-vous, mit à sa chaste épouse une ceinture fort usitée en Italie.
Air: Tarare, pon, pon.
C'est approchant comm' ça,
Vers Novembre
Ou Décembre,
Que Flore me donna
Un rendez-vous pour ça.
En entrant dans sa chambre,
Flore dit: «Ah! pour ça,
»Ah! l'abbé, sent-on l'ambre
»Comm' ça?»
—«La Dulac[1] est comm' ça,»
Réplique
L'Abbé R'lique;
«Mais son ambre a cela
»De me rendre comm' ça.
»—Abbé,» dit-elle, «unique,
»L'on ne voit sonica,
»Qu'un Ecclésiastique
»Comm' ça.
»Je ne suis pas comm' ça,
»Si preste:
»Malepeste!
»Mon mari jaloux m'a
»Mise en cage comm' ça;
»La ceinture funeste
»Que vous me voyez là,
»Vous interdit un geste
»Comm' ça.»
—«Je n'ai rien vu comm' ça;
»Le traître!»
Dit le Prêtre,
«Ce chien de mari-là!
»Gêner un cœur comm' ça!
»Sans que j'en sois le maître.
»Cette vue a déjà
»Fait que je cesse d'être
»Comm' ça.»
—«Une histoire comm' ça,»
Dit la Belle,
«Est nouvelle;
»Quel tour plaisant c'est là!
»L'Abbé, j'en ris comm' ça.»
L'abbé, riant comme elle,
Fait ses adieux, s'en va,
Laissant la Demoiselle
Comm' ça.
[1] Marchande renommée pour les odeurs et les parfums.
L'EXPÉDIENT FACILE
Martin étoit dedans un bois taillis
Avec Alix, qui, de tendre manière,
Lui dit: «Martin, le long de ces palis,
»Ta mie Alix d'amour te fait prière.
»—Mais,» dit Martin, «si quelqu'un par derrière
»Nous surprenoit, ce seroit grand vergogne?
»—Bon, bon! du cul vous ferez signe arrière,
»Passez chemin, laissez faire besogne.»
ON FAIT CE QU'ON PEUT
Blaise, dont jadis le crédit
Voloit de Paris jusqu'au Gange,
Est plus déchu que l'on ne dit.
Il s'endette du pain qu'il mange;
Et Catin, pour gagner de quoi
Mettre une chemise sur soi,
Lui met des cornes sur la tête:
Voyez quelle diversité!
Pour chasser la nécessité,
Blaise emprunte, et sa femme prête.
LE QUIPROQUO OU COLIN-MAILLARD
Un jour deux Capucins, l'un père et l'autre Frère,
En regagnant Paris, passoient par Bagnolet;
Les filles, ce jour-là, pour fêter Sainte Claire,
S'égayoient et dansoient au son du flageolet.
«—Mes compagnes,» s'écria Rose,
«D'un excellent projet je veux vous faire part:
»Voilà Frère François, avec Père Bernard;
»Qu'on les fasse approcher, et puis qu'on leur propose
»De jouer à Colin-Maillard;
»Je gage mon sabot qu'ils acceptent la chose.»
Rose savoit de bonne part
Que jamais Capucins ne craignirent la glose.
On les appela donc, et le couple gaillard
Eut bientôt mis besace et bâton à l'écart.
Ils tirèrent au sort, à ce que dit l'histoire;
L'un étoit jeune, l'autre vieux,
Et grâce à la bonté notoire
De l'être prévoyant qui fait tout pour le mieux,
Le sort échut au jeune, on lui banda les yeux.
Vous le voyez d'ici tourner à l'aveuglette,
Aller à droite, à gauche, à grands, à petits pas,
Les deux jarrets tendus aussi bien que les bras,
Et le corps en avant comme un Chasseur qui guette.
Il avoit tant tourné qu'enfin il étoit las,
Quand par bonheur une fillette
Vint le tirer par sa jaquette;
C'étoit Rose, il la jette à bas;
Et portant une main légère
A certain endroit défendu:
«C'est vous!» dit-il, «Révérend Père,
»Votre barbe vous a vendu.»
L'INOCULATION
CONTE
«La petite vérole est un mal, belle Agnès,
»Dont, passé dix-huit ans, on ne guérit jamais,»
Dit un jeune Esculape, «ou du moins, c'est bien rare;
»Vous en avez quatorze; à mes soins fiez-vous,
»Que d'un poison traître et barbare
»Je sauve avec vos jours des charmes aussi doux;
»Souffrez enfin… que je vous inocule.
»—Oh! vous me ferez mal.—Très peu.
»Vous verrez que ce n'est qu'un jeu;
»Votre frayeur est ridicule.
»—A demain.—Aujourd'hui.—Non, non—Soit, à demain.»
Le lendemain, Agnès toujours tremble et résiste;
Notre inoculateur, comme on le croit, persiste;
Il fait l'insertion autre part que Tronchin.
Agnès crie, ensuite se prête
A ses efforts. L'opération faite,
—«Que n'allez-vous,» dit-elle, «votre train?
»Vous n'auriez qu'à m'avoir manquée!»
Il double, il triple, il cesse.—«Encore un autre grain,
»Quand j'en devrois être marquée!»
LA MUETTE
CHANSON
Air: Je vous prêterai mon manchon.
Dans un bosquet, près de Lisette,
Colin parloit de ses amours;
La belle faisoit la muette,
Par signe approuvant son discours.
«Que dois-je,» dit-il, «penser de ce geste;
»Si ton cœur ne me dit le reste?
»Mais, Mamzelle Louison, répondez donc,
»Dites oui ou non,
»Comment trouvez-vous ça?
»Suis-je bien là?
»Comment trouvez-vous ça?»
Dans son silence elle s'obstine;
Colin, pour la faire jaser,
Sur la bouche de la mutine
Prend et reprend un doux baiser.
«Je sens,» dit-il, «qu'il augmente ma flamme;
»Mon feu passe-t-il dans ton âme?
»Mais, Mamzelle Louison, etc.»
«Ma foi je n'y puis rien comprendre,»
Dit-il, en découvrant son sein;
«Quoi! faut-il, pour te faire entendre,
»Promener là-dessus ma main?
»Je vois, je sens que mon âme est joyeuse;
»Ah! tu n'es donc pas chatouilleuse?
»Mais, Mamzelle Louison, etc.»
Pas un mot, pas une parole.
«Ma foi,» dit-il, «tu parleras;
»Je suis pressé, le temps s'envole.»
Soudain il la prend dans ses bras.
Puis avec elle il tombe sur l'herbette:
«Eh bien! à qui tient-il, Lisette?…
»Mais, Mamzelle Louison, etc.»
Lise, d'un œil mourant et tendre.
De Colin imite l'ardeur;
Et sans songer à se défendre
Souffrit qu'il fût trois fois vainqueur.
«Eh bien!» dit-il, «sens-tu comme je t'aime,
»A présent m'aimes-tu de même?
»Mais, Mamzelle Louison, etc.»
—«Ah! fort bien!» lui répond Lisette,
Laissant échapper un soupir;
»Le désir me rendoit muette,
»Mais je parle, grâce au plaisir.
»Ami, tu peux à présent sans obstacle
»M'interroger.—Ah, quel miracle!
»Quoi! Mamzelle Louison, vous parlez donc?
»Le tour est bon;
»Vous parlerez demain
»Avec Colin,
»Vous parlerez demain.»
L'OBSTACLE
CONTE
A quoi bon prodiguer les mots?
Tous nos Conteurs, pour l'ordinaire,
S'épuisent en avant-propos;
N'en faisons point, allons droit à l'affaire.
Un Jouvenceau taillé pour plaire,
Après avoir bien soupiré,
Menti, promis et conjuré
(C'est des amants le langage vulgaire),
Parvint près de sa belle au moment désiré:
Il touchoit à son but, quand, par triste aventure,
Sans pouvoir avancer d'un pas,
Il se démène, il souffle, il sue, il jure;
On peut, je crois jurer en pareil cas.
Disons le fait: Dame Nature
Avoit fermé d'amour la gentille serrure,
Si bien que la clef n'entroit pas.
Certain barreau… mais on m'entend de reste;
Qu'Amour, jeunes beautés, veuille vous préserver
D'un accident aussi funeste!
Ainsi soit-il. Venons à notre Amant:
Le désir de ses sens par l'obstacle s'enflamme.
Il redouble d'efforts, mais inutilement;
D'amour et de colère il enrage en son âme:
On peut se fourvoyer, quand on marche à tâton.
Son chalumeau, déjà baissant d'un ton,
Dans le sentier voisin… Arrêtons, et pour cause:
Car ce sentier… ma foi, je n'ose
Vous le nommer; mais je peux, sans qu'on glose,
Dire que sa Vénus ne fut plus qu'un Giton.
A ce nouvel assaut n'étant point préparée,
En vain la belle imperforée
Lui crie: «Arrêtez donc, quel est votre dessein?
»—Rien de plus simple que la chose,»
Répond le gars; «chez vous je trouve porte close:
»J'écris mon nom chez le voisin.»
LE TRIBUT CONJUGAL
La Marquise de Montuza
Étant presque sexagénaire,
Aimoit un jeune Mousquetaire
Qui, pour ses écus, l'épousa.
La première nuit le compère
Lui dit, en lui serrant la main:
«Madame, en vertu de l'hymen
»Ne puis-je pas, sans vous déplaire…?
»Vous m'entendez…—Oui mon poulet,
»Fais tout ce que tu voudras faire…»
Le Mousquetaire fit un pet.
LE CONSEIL INUTILE
«Madame, il se répand un bruit qui vous outrage:
»Monsieur le Président, dit-on,
»Sans respecter les nœuds du mariage,
»Tous les jours en secret fait un petit Giton
»Du Chevalier qui de votre maison
»Occupe le troisième étage.
»Chassez donc, croyez-moi, ce vilain personnage,
»Pour fermer la bouche aux railleurs,
»Et surtout pour votre avantage:
»Votre époux ne doit pas aller répandre ailleurs
»Un bien qui n'est qu'à votre usage.
»—C'est bien dit: cependant si vous le trouvez bon,
»Madame, vos conseils n'auront pas mon suffrage;
»Vous ne connaissez pas le Chevalier Cléon:
»Ce bon ami, cet honnête garçon
»Ne veut rien avoir à personne;
»Il n'est pas tel qu'il vous paroît,
»Il me rend avec intérêt
»Ce que le Président lui donne.»
LA CONFIDENCE
«Babet, vous avez du chagrin?
»—Oui vraiment, je suis désolée.
»—Et de quoi?—De ce que Martin
»Cet hiver-ci m'a violée.
»—Ciel…! contez-moi vite cela.
»—Ah! Monsieur, c'étoit un Dimanche:
J'avois mis, ce Dimanche-là,
Une jupe de Perse blanche;
Martin me vit et m'appela.
Le traître étoit dans une grange,
J'y fus sans trop savoir pourquoi.
«Babet,» me dit-il, «sur ma foi,
»Vous êtes belle comme un Ange!»
Lors il me mena dans un coin,
Et là près d'un grand tas de foin,
De beaux compliments il me berce.
Je riois: il me saute au cou,
Me fait tomber à la renverse,
Et puis prenant je ne sais où
Un… chose roide comme un clou:
«Lève,» me dit-il, «ou je perce!»
Je levai ma jupe de Perse,
De crainte qu'il n'y fît un trou.
LE CHAPELAIN
CHANSON
Sur l'Air: Ne vlà-t-il pas que j'aime.
Il me falloit faire une fin
Comme tout bon Apôtre;
Je suis devenu Chapelain,
Ce poste en vaut un autre.
Iris m'offroit à desservir
Sa gentille Chapelle:
Je n'ai jamais su qu'obéir
Aux ordres d'une belle.
Elle est au fond d'un bois couvert,
Gardé par le mystère;
Son sanctuaire n'est ouvert
Qu'à mon seul ministère.
Un double autel de marbre blanc
Est de sa dépendance;
Mais ce bénéfice important
Oblige à résidence.
Sans Vicaire, de jour, de nuit,
Suivant les anciens rites,
Je fais l'office à petit bruit
Avec deux Acolytes.
Quoi qu'en puissent dire les gens,
Même aux Fêtes de Vierge,
Dans ma Chapelle, en tous les temps,
Je n'allume qu'un cierge.
Gros Prieurs et brillants Prélats
Tout engraissés d'offrande,
Non, non, je ne troquerois pas
Avec vous de Prébende.
LE MARCHAND DE LOTO
ÉTRENNES AUX DAMES
A mon loto, soir et matin,
Sous vos doigts un brillant destin
Portera des boules heureuses;
Ce que j'assure, je le sais:
Si vous en êtes curieuses,
Mesdames, faites-en l'essai
A mon loto.
Un peu de secours fait grand bien;
Tant soit peu d'art ne nuit à rien,
Il faut quelquefois s'en permettre;
C'est mon avis; on ne sauroit
Le dédaigner et se promettre
Tout l'avantage qu'on auroit
A mon loto.
Jamais une joueuse habile
Ne tint son sachet immobile:
Il faut l'agiter prestement.
Il faut que mollement pressée
Entre ses doigts légèrement
La boule ait été caressée,
A mon loto.
Selon son goût ou son talent,
On a le tirer prompt ou lent:
Il n'y faut aucune science,
Ou s'il en faut, il en faut peu;
Un quart d'heure d'expérience
Suffit pour bien jouer le jeu,
A mon loto.
De celles qu'un ambe contente.
Il se plaît à tromper l'attente,
Fi de l'ambe! il est trop commun.
D'un terne la chance est mesquine;
D'un terne? Oui, de deux jours l'un,
Je puis vous répondre d'un quine,
A mon loto.
Au quaterne, par accident,
S'il se réduit en attendant,
La perte est bientôt réparée.
Le jour qui suit ce jour fatal,
On peut compter sur la rentrée
De l'intérêt du capital,
A mon loto.
Mais de la superbe machine
Le pouvoir merveilleux décline
De jour en jour; c'est son défaut.
Je vous en préviens, blonde, ou brune;
Vous n'avez que le temps qu'il faut,
Si vous voulez faire fortune
A mon loto.
Ma demeure est à Vaugirard,
Tout vis-à-vis maître Abélard,
Qui montre aux enfants la musique:
L'on se pourvoit, ou l'on souscrit.
Sous mon enseigne magnifique,
En lettres d'or, il est écrit:
AU GRAND LOTO.
LE LENDEMAIN DES NOCES
FOLIE DIALOGUÉE
«Hier soir, ma chère maman,
»Tout bas vous me fîtes entendre
»Que la nuit je devois m'attendre
»A passer un mauvais moment.
»Tout en tremblant, pauvre innocente,
»J'attendois cet instant fatal…
»Hélas! le bon Monsieur Chrysante
»Ne m'a pas fait le moindre mal.
»—Est-il vrai, ma fille?—Au contraire,
»Il ne m'a fait que du plaisir.
»Quand nous fûmes au lit: Ma chère,
»Je puis t'embrasser à loisir,
»Dit-il; aussitôt il me baise
»Sur chaque joue… et même…—Eh bien,
»Comment tu rougis, ma Thérèse?…
»Qu'a-t-il fait? ne me cache rien.
»—Vous m'aviez, qu'il vous en souvienne,
»Défendu de rien refuser…
»—Sans doute. Auroit-il?…—Sur la mienne
»Sa bouche prit un doux baiser.
»—Et puis?…—Il me dit à l'oreille:
»Bonsoir, et s'endormit soudain.
»—Ma pauvre enfant!… Et ce matin?
»—Ah! plus tendre encor que la veille.
»II me dit d'un air caressant:
»Ma chère femme, je t'adore,
»Et me le prouve en m'embrassant.
»—Et puis?…—Puis il m'embrasse encore.
»—Ensuite?—Du lit il descend,
»Afin, dit-il, que je repose:
»Peut-on être plus complaisant?
»—Il ne t'a pas fait autre chose?
»—Eh! non; c'est l'homme le plus doux:
»Maman, vous lui faites injure…
»Quoi! vous pleurez?… Mais je vous jure
»Que je n'ai pas de mon époux
»Reçu la moindre égratignure!»
LE CONFESSEUR EXEMPLAIRE
Au temps de Pâque, aux pieds de Père Jule,
Se confessoit un jeune Garnement,
Et des péchés dont fait dénombrement,
Cil de Sodome honoroit la cédule.
—«Qu'ai-je entendu! Ciel! quel égarement
»Que de pécheurs aux infernales flammes,
»Livrés pour ce dont vous vous accusez!
»Défaites-vous de ces amours infâmes,
»De notre sexe, ô mon cher fils, n'usez,
»Et, comme moi, ne voyez que des femmes.»
L'ESPRIT FORT
CONTE
Aux pieds d'un Directeur, Climène, un beau matin,
Avec un repentir sincère,
Déclara nettement que le petit Colin
N'étoit pas le fils de son père.
—«Halte là!» dit le Confesseur,
«Pour un Confiteor vous n'en serez pas quitte;
»Il en faut deux au moins, ce crime fait horreur.
»Faut-il qu'injustement votre enfant déshérite
»Un légitime successeur?
»Il faut, Madame, vous résoudre
»A confesser le fait à votre époux,
»Sans quoi je ne puis vous absoudre.»
L'avouer ne se pouvoit pas.
La voilà dans un embarras
Qu'on ne peut exprimer, car enfin l'aventure
Étoit à digérer trop dure.
Il fallut succomber, et, d'un mortel chagrin,
Tomber dans une maladie
Qui pensa lui coûter la vie.
Sur le rapport du Médecin,
Son époux connoissant que la mélancolie
Alloit couper la trame de ses jours,
La pria d'en dire la cause.
Elle veut l'en instruire, et jamais elle n'ose.
—«Ose tout,» dit-il, «mes amours:
«Rien ne me déplaira, pourvu qu'on te guérisse;
»Quoi! faut-il qu'un secret te donne la jaunisse,
»Et qu'une femme meure, à faute de parler?
»Cela seroit nouveau.—Je vais tout révéler,
»Puisqu'aussi bien,» dit-elle, «un repos favorable
»Doit terminer bientôt mon état déplorable.
»J'étois à la maison des champs,
»Où je faisois la ménagère,
»Quand la voisine Alix, par des discours touchants,
»Auxquels on ne résiste guère,
»Me prouva qu'avoir des enfants
»Étoit à vous chose impossible;
»Me prôna les malheurs de la stérilité,
»Qui chez les Juifs passoit pour un défaut terrible;
»Puis dans un jour charmant me fit voir la beauté
»D'une heureuse fécondité.
»Je me rendis, hélas! à cette douce amorce,
»Et Lucas, le Valet de notre Métayer,
»Avec moi se trouvant un jour dans le grenier,
»Je me souvins d'Alix, et je manquai de force.
»Il est, cela soit dit sans vous mettre en courroux,
»A faire des enfants plus habile que vous.
»Je lui parlai d'amour, il comprit mon langage,
»Et sur un sac de blé, sac funeste et maudit!
»Faut-il en dire davantage?
»De ce malheureux sac, notre Colin sortit.
»A Lucas je donnai, je pense,
»Quelques boisseaux de blé pour toute récompense.
»Si je vous ai trahi, je meurs, pardonnez-moi;
»A cela près, toujours je vous gardai ma foi.
»—N'est-ce pas de mon blé que tu payas l'ouvrage?»
Lui répondit Damis, nullement effrayé.
«Cet enfant est à moi, puisque je l'ai payé;
»Ne m'en parle pas davantage.»
COUPLET
Sur l'air de Nina.
Après avoir fourni trois fois
L'amoureuse carrière,
Le pauvre Colin aux abois
Ne pouvoit plus rien faire.
Sa Maîtresse, ainsi le voyant,
S'écria tout en pleurant:
«Ah! quel tourment,
»Quand l'instrument
»Duquel le plaisir dépend,
»Pend!»
ÉPIGRAMME
Un jour Fanchon la Couturière
Acheta d'un Fripier un lit pour vingt écus;
Elle a gagné, dit-on, deux cents louis dessus:
Ah! c'est une grande usurière!
LE CAS DÉCIDÉ
Un jeune Peintre au Prieur des Grands-Carmes
Vint s'accuser d'un cas assez nouveau:
«Père, j'ai peint Vénus sortant de l'eau,
»Ses bras, son cul, sa gorge et tous ses charmes.
»D'abord j'en fus amoureux comme un fou;
»Et, pour jouir un peu mieux qu'en peinture,
»Je m'avisai…—De quoi?—De faire un trou
»Dans ma Déesse, et par cette ouverture,
»Un beau garçon que je mis en posture,
»M'introduisit, vous devinez bien où.
»Or, estimez la chose en conscience.
»En tout ceci, mon principal dessein
»Fut de jouir d'un objet féminin:
»Le péché n'est de Rome ou de Florence.
»—Mon cher enfant, je comprends votre cas,»
Dit le Pater; «la plaisante folie!
»Je vous absous, mais n'y retournez pas,
»Car, dans le fond, c'est pure bougrerie.»
LE FAUX JUPITER
J'ai toujours craint les gens portant soutane;
D'un saint habit couvrant un cœur profane,
Que de bons tours ces Messieurs-là nous font!
Séduire Agnès, planter cornes au front,
Ce sont pour eux misères, peccadilles.
O gens de bien ayant femmes ou filles!
N'oubliez pas ce salutaire avis:
Si par malheur entre en votre logis
Homme d'Église, ou Capucin, ou Prêtre,
Je vous le dis: chassez vite le traître;
Il vient chercher aventure pour lui,
Ou bien peut-être intriguer pour autrui.
D'un vilain nom ce dernier cas s'appelle;
Mais à l'honneur la cafarde séquelle
A de tout temps préféré les écus:
Quoi qu'on propose à ces crânes tondus,
En les payant on est sûr de leur zèle.
Pour appuyer mon avis là-dessus,
Je veux vous dire une histoire assez belle
Touchant Pauline et son ami Mundus.
Pauline étoit une jeune Romaine,
Veuve à vingt ans, et belle comme Hélène,
Mais prude outrée, avare de faveurs,
Et de l'amour dédaignant les douceurs.
De mille amants à toute heure entourée,
Elle aimoit bien à s'en voir adorée,
Mais rien de plus: «Non,» disoit-elle, «non,
»Ne vantez point l'attrait imaginaire
»D'un vain plaisir qui n'en a que le nom;
»Faut-il des sens pour aimer et pour plaire?
»Eh! laissons-les au stupide vulgaire.
»Pour moi, j'exige un amour de raison,
»Pur, dégagé des nœuds de la matière,
»Tel en un mot que le prescrit Platon.
»Je n'aimerai jamais d'autre manière.»
Tous ses amants jeunes, pleins de désirs,
Peu satisfaits d'un amour sans plaisirs,
De ses sermons bientôt se rebutèrent:
L'un après l'autre enfin ils la quittèrent.
Un seul resta, ce fut le beau Mundus,
Bien fait, galant, et digne de sa flamme.
Par des cadeaux, par des soins assidus,
Il n'avoit pu toucher encor la Dame.
Las de se plaindre, enfin le pauvre amant,
Pour réussir, eut recours à la ruse:
Tout galant homme en auroit fait autant,
Et quant à moi, de bon cœur je l'excuse.
Pauline étoit dévote à Jupiter:
D'une Dévote un Directeur est maître;
L'adroit Mundus en sut bien profiter.
De Jupiter il gagne le Grand-Prêtre,
Et lui fait part de son tendre projet.
Le Directeur, mis dans la confidence,
Très bien instruit, très bien payé d'avance,
Court chez Pauline, et lui parle en secret.
«A quel bonheur vous êtes réservée!
»Ma chère fille, ah! réjouissez-vous:
»Au rang des Dieux vous serez élevée,
»Et vous verrez la terre à vos genoux.
»Oui, cette nuit, ce n'est pas un mensonge,
»Le Roi des Dieux a daigné dans un songe
»Me révéler ses décrets absolus,
»Et de sa part, je viens ici moi-même
»Vous annoncer, quel honneur! qu'il vous aime.
»—Moi!» dit d'un ton modestement confus
La belle prude.—«Oui, vous,» répond le Prêtre,
«Et dès ce soir il exige de vous
»Dans son saint Temple un entretien bien doux.
»Lorsque la nuit sera prête à paroître,
»Courez, volez à la gloire, au plaisir.
»Hâtez-vous donc, et quoi qu'on vous demande,
»Quand le Ciel parle, on ne doit qu'obéir.»
Après ces mots prononcés en Prophète,
Il laisse là sa dévote inquiète,
Rêvant tout bas à ce propos flatteur,
Et ne croyant qu'à peine un tel bonheur.
Tout en rêvant, elle fait sa toilette:
Quoique dévote, on est un peu coquette.
Dans le miroir ses appas répétés
Frappent d'abord ses regards enchantés;
En se voyant, elle commence à croire
Que Jupiter, tout Jupiter qu'il est,
Peut bien l'aimer sans manquer à sa gloire:
Elle est si belle! elle-même se plaît,
Et par degrés s'attendrit et soupire.
Bientôt ses yeux pleins d'un tendre délire
Avidement parcourent son beau corps:
Dieux! que d'attraits à la fois elle admire!
Gorge d'albâtre et mille autres trésors,
Trône charmant de l'amoureux empire,
Tout redoublant sa vive émotion,
Redouble aussi sa bonne opinion:
Sa vanité s'en nourrit et l'augmente.
Certain désir qui tout bas la tourmente,
S'y joint encor: bref, pour conclusion,
Dès que la nuit lui parut assez sombre,
Notre dévote, à la faveur de l'ombre,
D'un pas léger que le désir conduit,
Arrive au Temple: un Prêtre l'introduit.
Là son amant prodiguant la dépense,
Avoit orné galamment le réduit
Qui devoit voir triompher sa constance,
Et se livrant au plus heureux espoir,
D'une Chapelle avoit fait un boudoir:
L'art s'y joignoit à la magnificence.
Pauline arrive à ce charmant séjour,
Ivre à la fois et d'orgueil et d'amour;
Elle va voir le Roi des Dieux lui-même!
Elle entre… O Ciel! Quelle surprise extrême!
Elle s'écrie: «Ah! Mundus, quoi! c'est vous!
»—Oui,» lui dit-il, tombant à ses genoux,
«Oui, c'est Mundus dont l'amoureuse adresse,
»En vous trompant, vous prépare en ces lieux
»Tous les plaisirs qui suivent la tendresse.
»Pour un moment, nous sommes seuls tous deux;
»Si vous vouliez, quel moment plein de charmes!»
Il prend sa main, il la baigne de larmes,
Il fait valoir ses transports et ses feux.
Pauline reste immobile, interdite;
Son amour-propre, un reste de pudeur
Parlent encor dans le fond de son cœur:
Mais le désir par ces délais s'irrite;
Son teint s'anime et sa gorge palpite;
Ses yeux, chargés d'une douce langueur,
A son amant laissent voir sa faiblesse.
Il en profite, il ose, il prie, il presse;
Pauline enfin ne peut lui résister,
Et dans les bras de sa belle Maîtresse,
L'heureux Mundus, pour prix de son adresse,
Jusques au bout remplaça Jupiter.
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