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Le petit-neveu de Grécourt, ou, Étrennes gaillardes: Recueil de Contes en vers, réimprimés sur l'édition de 1782

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LE SOMMEIL DE VÉNUS

CHANSON

Sur l'air: ô Filii et Filiæ

Mars trouva Vénus à Paphos;
La belle dormoit sur le dos:
«Voyons,» dit-il, «tout ce qu'elle a,
»Alleluia!»
Il alla déranger soudain
L'écharpe qui couvroit son sein;
Plus blanc que neige il le trouva.
Alleluia!
Sa main eut la témérité
D'en tâter la rotondité;
Le sentant ferme, il s'écria:
«Alleluia!»
Enivré de si doux plaisirs,
Il forma de nouveau désirs,
Et de baisers se régala.
Alleluia!
De cent façons pour l'admirer,
Il se mit à la revirer:
Ce qui s'augmente s'augmenta.
Alleluia!
Vénus, fermant toujours les yeux,
Se plaça pourtant de son mieux,
Et le Guerrier en profita.
Alleluia!
«Bon, bon,» disoit Mars qui sentoit
Qu'en dormant on le secondoit,
«Dormez toujours comme cela.
Alleluia!»
A peine un jeu se finissoit
Qu'un autre se recommençoit:
Trois jours entiers cela dura.
Alleluia!
Mais enfin Vénus s'éveillant,
Dit au Dieu, presque en rougissant:
—«Eh! quoi, Monsieur, vous étiez là!
»Alleluia!»

QUATRAIN

A MADAME ***, DONT LE MARI EST BOITEUX ET JALOUX

Comme Vénus vous êtes belle,
Vulcain est aussi votre Époux,
Et je voudrois faire pour vous
Tout ce que Mars faisoit pour elle.

L'ENTHOUSIASME GASCON

Ces jours passés, dans un cercle gaillard,
On demandoit ce qui plaisoit aux Dames?
—«Les petits soins,» dit un jeune Mignard.
—«Par la sambleu!» s'écrie un vieux paillard,
«Mon bel ami, tu connois bien les femmes!
»Si tu ne veux passer pour un nigaud,
»Tranche et dis-nous: C'est un vit qu'il leur faut,
»Car les fourreaux sont tous faits pour les lames.
»—Sandis! mon cher,» cria certain Gascon,
«Embrasse-moi, tu parles comme un con.»

LE CRI DU CŒUR

Père Brichard exploitait Sœur Colette,
Sans débrider pour la sixième fois,
Et deux encor: tant qu'enfin la Nonnette,
Qui, se lassant, les comptoit par ses doigts,
Lui dit: «Pater, c'est assez nous ébattre:
»Oui, je le jure, et de par Saint Julien,
»Qu'au jeu d'amour vous seul en valez quatre.
»—Par la corbleu! suis-je Carme pour rien?»

LA BÉNÉDICTION TROP CHÈRE
OU
LE CONSEIL D'ALIX

Le grand Colas et la jeune Denise,
Amoureux, pauvres et contents,
Suivis de leurs parents, s'en alloient à l'église
Dire un oui, faire une sottise
Dont maint époux s'est repenti longtemps.
Tout étoit disposé pour cette grande fête;
On commence, et déjà messire Jean s'apprête
A prononcer le conjungo fatal,
Quand tout à coup un scrupule l'arrête:
«Avant que d'achever, il ne seroit pas mal,»
Leur dit-il, «de faire une pause.
»Or, dites-moi, s'il vous plaît, et pour cause,
»Ce que vous me donnez pour le droit pastoral?
»—Nous avons mis soixante sols ensemble,
»Que vous prendrez, si bon vous semble,»
Répond Colas, surpris de cette question.
—«Soixante sols! je serois un pauvre homme
»De donner pour si peu ma bénédiction.
»Maître Colas, amplifiez la somme,
»Mettez encor vingt sols avec l'écu.
»—Quatre francs pour être cocu!»
S'écria tout haut un bon drôle;
«Messire Jean, quel monopole!
»J'en donnerois volontiers neuf,
»Et plus encor, pour être veuf.
»—Oui, je veux quatre francs sans rabattre une obole;
»Laissons les discours superflus:
»Quatre francs, ou n'en parlons plus;
»Robin, ôte-moi mon étole.»
Denise alors prit la parole.
—«Colas et moi,» dit-elle, «avions deux petits lits;
»Nous venons de les vendre à la commère Alix
»Pour avoir une grande couche.
»Que je suis malheureuse, hélas!
»Messire Jean, que la pitié vous touche!
»Où donc ira coucher Colas,
»Si vous ne nous mariez pas?
»—Vraiment voilà bien du mystère!»
Dit la commère Alix; «jour de Dieu! laissez faire;
»Messire Jean y perdra son Latin.
»Quand je fus promise à Lubin,
»Défunt notre Curé voulut agir de même,
»Mais il ne fut pas le plus fin;
»Lucas et moi d'accord, nous allâmes bon train;
»Si qu'au bout de neuf mois, approchant le Carême,
»Mon ladre de Curé se vit réduit enfin
»A faire au même jour mariage et baptême,
»Le tout pour un écu. Faites comme je fis,
»C'est un profit tout clair.—Je suis de votre avis,»
Répart Denise; «eh bien! Colas, prenons l'avance;
»Le Ciel sait nos intentions,
»Il sait aussi notre indigence;
»Il voit notre Curé manquer de complaisance:
»Celui-ci répondra de ce que nous ferons;
»Et puisque sans argent il ne veut pas qu'on danse,
»Allons, et mettons-lui le plus que nous pourrons
»De péchés sur la conscience.»

ÉPITRE CONSOLANTE A UN COCU

Consolez-vous, Monsieur Fumet;
Gens de Robe, Gens à Plumet
Ont un destin pareil au vôtre:
C'est le bon Dieu qui le permet.
Le grand Prophète Mahomet
N'en fut pas plus exempt qu'un autre.
Il prit pour femme Cadigha.
Celle-ci, d'humeur un peu chaude,
Dans son cher époux distingua
Des façons qui sentoient le Claude;
Lors Dieu sait comme elle intrigua!
Un ribaud plut à la ribaude:
Ce ribaud qui la subjugua
Étoit un gros Prieur de Carmes.
Mahomet le sut, le nargua,
Et prit un croissant pour ses armes.
Bel avis aux gens délicats!
Quand il auroit fait des éclats,
Quand il auroit battu sa femme,
Au jour marqué pour son trépas,
En auroit-il moins rendu l'âme?
Ce fut, suivant un érudit,
A Médine qu'il la rendit:
En mangeant un gigot maudit,
Il lui prit une sueur froide
Qui le força d'aller au lit.
Au fait: quand on l'ensevelit
On lui trouva le caiche roide
(Caiche est synonyme de vit).
Soudain le bruit s'en répandit.
Sa veuve accourt, elle s'écrie:
«Ah! certes, j'aurois eu grand tort
»D'avoir passé plus d'une envie
»Avec un Moine, vrai butor,
»Si mon époux qui disoit d'or
»L'avoit porté pendant sa vie
»Comme il le porte après sa mort!»

L'AVOCAT POUSSÉ A BOUT

Un Avocat fut consulté
Par un Tendron d'aimable mine,
Qu'un Gars avoit trop insulté.
L'homme de Loi, qui l'examine,
Trouve, sous sa simple étamine,
Deux grands yeux pleins de volupté;
Certain air de naïveté
Peint sur sa figure enfantine;
Un sein par l'Amour agité,
Qui se soulève, se mutine,
Et semble en sa captivité
Appeler une main lutine,
Qui lui rende la liberté.
Notre Avocat est transporté:
Il lorgne une taille divine,
Des pieds mignons et délicats;
Et ce qu'il voit de tant d'appas
Ne vaut pas ce qu'il en devine.
Avec ces titres de faveur,
On peut compter sur la ferveur
Du Légiste le plus austère.
Le nôtre, expert dans tous les droits,
Avoit, dit-on, plus d'une fois
Pris ses licences à Cythère.
Enfin, près de la belle assis,
Il veut, sans détour, sans mystère,
De son cas savoir le précis.
—«Las!» dit la belle désolée,
»Je vais rappeler mon esprit,
»Et vous conter comment s'y prit
»Le fripon qui m'a violée.
»Il avoit un air tendre et doux,
»La taille la mieux découplée,
»Et le regard… tout comme vous.»
Notre grave Jurisconsulte,
Flatté d'avoir les mêmes traits,
En ressent une joie occulte;
Et, rajeuni par tant d'attraits,
S'approche encore un peu plus près
De la beauté qui le consulte.
—«Poursuivez ce récit,» dit-il,
«Car votre affaire m'intéresse.
»—Ah! Monsieur, qu'il étoit subtil!
»Que l'Amour inspire d'adresse!
»Ses yeux sur mes foibles attraits
»Se promenoient avec ivresse.»
L'Avocat, qu'un même feu presse,
N'a pas des regards plus discrets.
«Ce n'est pas tout: sa main hardie
»Saisit la mienne au même instant.»
Vous sentez, sans que je le die,
Que l'Avocat en fait autant.
«Ce n'est pas tout: sa perfidie
»Méditoit un autre dessein;
»Et toujours plus audacieuse,
»Bientôt sa main licencieuse
»Fourrage les lis de mon sein.»
Notre Avocat, sur ce modèle,
Glissant une furtive main
A travers la gaze infidèle,
Enfile le même chemin.
«Ce n'est pas tout: d'un air farouche,
»A ses feux je veux m'opposer;
»Déterminée à tout oser,
»Sa bouche se colle à ma bouche.»
L'Avocat, que l'exemple touche,
Ravit un semblable baiser…
Ravit! je faux, on le lui donne;
On feint de n'y pas consentir:
Mais c'est pour mieux faire sentir
Le prix de ce qu'on abandonne.
Femmes, osez me démentir!
Celle qui jamais ne pardonne,
Est trop sujette au repentir.
«Ce n'est pas tout: son feu redouble,
»Il me transporte malgré moi;
»Les genoux tremblants, et l'œil trouble…
»Je ne sais plus ce que je voi.»
L'Avocat, non moins troublé qu'elle.
Répète une leçon si belle;
Tous deux bientôt perdent la voix;
Tous deux se plongent à la fois
Dans une extase mutuelle.
Notre Avocat crut jusqu'au bout
Avoir imité son modèle.
—«Ce n'est pas tout,» dit la Donzelle.
«—Comment, diable! ce n'est pas tout!
»Qu'avoit-il de plus à vous faire?
»Vous m'étonnez! dites, ma chère,
»Comment la chose se passa?
»—Eh! mais voici tout le mystère,
»Monsieur, c'est qu'il recommença.»

LE DÉLUGE

«Cap dé bious!» disoit un Gascon
A sa moitié, qui faisoit la niaise,
«Pour la première fois, Fanchon,
»Il me semble qu'ici je suis bien à mon aise.
»—Las!» dit-elle, «mon cher, je suis neuve à tel jeu;
»Appelez un Frater, et je le ferai juge
»Que mes eaux seulement ont passé par ce lieu.
»—Vos eaux! sandis!» repart le Gascon qui prend feu;
«Dites donc les eaux du déluge.»

Ægri salivantis solatium

Des beautés de Paris, ô toi la moins farouche,
Ce fut peu d'un écu que tu reçus de moi,
En retour du plaisir que je pris sur ta couche:
Car depuis plus d'un an que j'eus affaire à toi,
L'eau m'en vient encore à la bouche.

DIALOGUE ENTRE DEUX SERVANTES

«Eh bien! notre nouveau Curé?
»—Ah! palsangué! c'est un brave homme.
»Le premier étoit bon, mais je veux qu'on m'assomme,
»Si le second n'est meilleur à mon gré.
«—Comment cela?—Comment? Tiens, juges-en, commère:
»Il me donne par ans quarante bons écus,
»Voire quelque chose de plus;
»J'ai la clef de la cave et je n'ai rien à faire.
»—Et la nuit…?—Oh! la nuit nous faisons lit à part;
»Messire Arlot est un saint prêtre,
»Qui ne ressemble en rien à messire Chouart.
»—Dieu me garde d'un pareil maître!
»Il me feroit mourir d'ennui:
»Oh! que j'aime bien mieux servir chez son vicaire!
»Je n'ai que dix écus et je fais maigre chère,
»Mais du moins on couche avec lui.»

LE SALAMALEC LYONNOIS

CONTE

Jamais ne fut nation plus civile
Que la Françoise, il le faut avouer;
L'envoyé Turc pourroit bien s'en louer,
Après l'honneur qu'à Lyon, la grand ville,
Des magistrats en passant il reçut.
Ces magistrats crurent frapper au but,
S'ils régaloient l'Excellence Ottomane
D'un compliment en langage Ottoman:
«Car,» disoient-ils, «parler par Truchement,
»C'est une mort: en langue Musulmane
»Un Musulman il nous faut saluer.»
L'invention leur sembloit mémorable;
Le point étoit comment l'effectuer?
Où rencontrer un harangueur capable?
Un homme expert dans le salamalec?
Notez qu'alors tenoit auberge illec
Certain quidam, déserteur de mosquée,
De mauvais Turc devenu bon Chrétien.
«C'est notre fait,» dirent ces gens de bien.
La chose au Sire étant communiquée,
Il l'approuva:—«Laissez faire,» dit-il,
«François Sélim, c'est ainsi qu'on me nomme.
»Nul mieux que moi, Dieu merci! ne sait comme
»La tête on doit courber jusqu'au nombril,
»Rabattre en arc les mains sur sa poitrine,
»Se reculer, s'avancer à propos,
»Et cætera; suffit: de ma doctrine
»Tenez-vous sûrs et soyez en repos.
»Vous me verrez à la mode Turquesque
»Faire cent tours qui surprendront vos yeux;
»Telle action vous paroîtra burlesque
»Qui cache au fond sens très mystérieux.
»Or en ceci la grande politique
»Est de me suivre en tout d'un pas égal:
»Souvenez-vous de cet avis unique,
»Vous ne sauriez, me suivant, faire mal.»
De point en point on promit de le suivre;
On le suivit jusqu'au moindre iota.
L'ambassadeur bien fort s'en contenta;
Mais ce qui, plus que tout, le transporta,
Fut qu'un Chrétien parlât Turc comme un livre.
—«Il n'est,» dit-il, «assesseur du Divan,
»Qui mieux que vous entende notre langue.
»—Pas ne vous doit surprendre ma harangue,»
Répond Sélim, «je suis né Musulman.
»—Né Musulman? Vous l'êtes donc encore?
»—Moi? point du tout. Je me suis converti,
»Et c'est le Dieu des Chrétiens que j'adore.
»—Ah! par Mahom! vous en avez menti,
»Et Musulman jamais vous ne naquîtes,
»Ou vous n'avez pas changé de parti.
»Je ne puis croire au moins ce que vous dites,
»Si je n'en vois un signe fort précis.
»—A moi ne tienne!»—Êtes-vous circoncis?
»—Vous allez voir.» Lors sa misère nue
Le compagnon étale à découvert.
Les Magistrats, à cette étrange vue,
Quoique étonnés, pour n'être pris sans vert,
Suivant leur guide, imitant sa posture,
Firent leur cour en forme et sans tarder,
Chacun selon le talent que nature,
Petit ou grand, lui voulut accorder.
L'ordre fut rare, et l'histoire rapporte
Que l'Ottoman salué de la sorte,
Crainte de pis, s'enfuit sans dire adieu.
Tout au rebours les Donzelles du lieu
Prirent grand goût à la cérémonie:
Et telle fut leur jubilation,
Que maintenant nulle ne se soucie
De voir, après cette réception,
Ambassadeur, s'il ne vient de Turquie.

LA COLÈRE NAÏVE

Dans un verger, la friande Colette
Au point du jour attendoit Augustin;
Lucas la vit, et lui dit: «Ouais! poulette,
»Que cherchez-vous en ce lieu si matin?
»—Un nid, Lucas.—C'est bien fait, péronnelle,»
Lui répondit le villageois rusé;
«Mais pour le prendre où donc est votre échelle?
»Tenez, tout franc, le détour est usé;
»Vous cherchez… là… n'est-il pas vrai, ma belle?…»
Poursuit Lucas, qui la voit se fâcher.
—«Eh! oui, méchant, puisses-tu,» lui dit-elle,
«Avoir perdu ce que je viens chercher!»

PARTANT QUITTE

CONTE

Alain disoit: «Ma femme, écoute-moi:
»Je t'avouerai qu'avant que d'être à toi,
»Bien jeune encor, je fis une folie:
»J'eus une fille; elle est, ma foi, jolie;
»Prends-la chez toi, faute de nourrisson;
»Je veux de toi qu'elle prenne leçon:
»Tu l'aimeras, car elle te ressemble.
»—Et moi, j'ai fait,» dit-elle, «un beau garçon;
»Il nous faudra les marier ensemble.»

LE FIN MENTEUR

En tremblant, un jour Éloi
Fut chez un pharmacopole:
«Sauf respect, je… voudrois…—Quoi?
»—De l'onguent pour la vérole.
»—Combien?—Deux onces, je croi.»
Le voyant saisi d'effroi,
Purgon lui dit:—«Ah! compère,
»C'est pour toi, la chose est claire,
»Car tu me parais bien sec.
»—Oh! non: c'est pour mon cher père
»Qui veut me frotter avec.»

LE PARDON

CONTE

A son voisin la gentille Isabelle
Fut se plaindre de son époux,
Qui toujours lui cherchoit querelle.
—«Croyez-moi,» dit-il, «vengez-vous.»
Le conseil plut fort à la belle;
Le galant fut choisi pour servir son courroux.
A chaque heure du jour, c'étoit nouvelle plainte;
Notre couple à l'envi signaloit son ardeur;
Mais la colère du vengeur
En moins de huit jours fut éteinte:
De tout on se lasse à la fin.
La belle, que toujours la vengeance aiguillonne,
Six fois fut se plaindre un matin:
—«Oh! pour le coup,» dit le voisin,
«Je suis Chrétien, je lui pardonne.»

LE MENSONGE ÉVIDENT

En bavolet, en simple jupon court.
Sur son balcon dame Alix appuyée
Lorgnoit les passants un beau jour.
Depuis longtemps, aux mystères d'amour
La belle étoit initiée.
Un sien neveu, nommé Valcour,
Garçon alerte et d'assez bonne mise,
Entre en sa chambre; il la voit, et soudain
Le fripon sent naître en son sein
Un mouvement de paillardise;
Si bien que derrière elle il se glisse sans bruit,
Soulève le jupon d'une main libertine,
Et puis, ainsi qu'on l'imagine,
S'ajuste, pousse et s'introduit.
—«Eh! mais, voyez l'extravagance!»
Dit Alix à notre éventé;
«Valcour… vous me foutez, je pense?…
»—Moi? non, ma tante, en vérité…
»—Comment, non, coquin que vous êtes?
»Ne sens-je pas ce que vous faites?
»Et vous l'osez nier! c'est par trop fort aussi…
»—Vous êtes donc bien mécontente?»
Dit Lindor d'un ton radouci;
«Eh bien! je vais m'ôter, ma tante,
»Si vous voulez.—Non, restez-y:
»Mais je n'aime pas que l'on mente.»

LA MÉTAMORPHOSE

CONTE ÉPIGRAMMATIQUE

Gertrude à vingt ans fut jolie;
Elle avoit deux petits tetons
Qu'Ariste aimoit à la folie,
Et nommoit ses petits fripons.
Ariste fit un long voyage,
Et revint après vingt-cinq ans,
Je laisse à penser quel ravage
Chez Gertrude avoit fait le temps!
Sur les fripons, par habitude,
Ariste jeta ses regards:
«Ah! mes petits fripons, Gertrude,
»Sont devenus de grands pendards!»

LE MALADROIT

Certain benêt voulant fêter sa femme,
Point ne pouvoit attraper le milieu.
«Trop haut! trop bas!» lui répétoit la Dame.
«—Y suis-je?—Non!—Pour le mettre en son lieu,
»Ma chère Alix, ton aide je réclame.
»—Quoi! ne pouvez,» lui dit-elle en courroux,
«Trouver ce que cherchez depuis une heure?
»C'est pourtant là l'office d'un époux!
»J'enrage: point ne connois, ou je meure!
»D'homme qui soit plus maladroit que vous!»

LE PLAISIR SANS REMORDS

CONTE

Le vieux Cassandre est un compère,
Qui malgré son âge, la nuit,
Quelquefois encor fait du bruit;
Et sa Pernelle une commère,
Qui, sans mentir, entre deux draps,
A son mari ne cède guère.
La nuit surtout du Mardi-gras,
Ils s'amusèrent… voici comme:
A son lit Cassandre montant,
Vint à faire un… cela s'entend…
Pernelle, alors au premier somme,
Que ce bruit éveille à l'instant,
Se met à rire, à rire tant,
Qu'elle en fait elle-même autant.
Vous jugez bien que le bonhomme
Riposta bientôt d'un second:
Pernelle aussitôt lui répond.
Cassandre veut, quoi qu'il en coûte,
Par un nouveau lui répartir;
Mais… le sommeil le prend en route.
Après tant de plaisir, sans doute,
Il est bien permis de dormir.

LES DEUX CLYSTÈRES

Cloris, tandis qu'à votre père,
Diafoirus donne un clystère,
Vous en recevez un d'un jeune Praticien:
Mais que ces anodins diffèrent l'un de l'autre!
Votre père à l'instant est délivré du sien,
Et vous ne la serez que dans neuf mois du vôtre.

LE DOUBLE AVEU

CONTE

Un grand Seigneur, frappé de mort subite,
Droit aux enfers fut conduit au plus vite.
Du Styx à peine il eut touché le bord,
Que son cocher s'offre à ses yeux d'abord.
—«Vous, Monseigneur, dans ce lieu de souffrance?
»Puis-je savoir quel crime, quelle offense?…
»—Mon cher Vincent, j'ai tout sacrifié
»Pour enrichir le fils que ma moitié,
»Cette adorable et vertueuse femme,
»M'avoit donné, seul gage de sa flamme.
»Mais toi, Vincent, quel est donc le sujet
»De ton malheur? Toi, sage domestique?…
»—Ah! Monseigneur, ce maudit fils unique,
»Hélas! je suis ici pour l'avoir fait.»

LES SOULIERS

CONTE

De tous ses amoureux, Babet, dans son printemps,
Exigeoit, pour le prix de ses faveurs secrètes,
Deux paires de souliers: aujourd'hui les grisettes
Rougiroient d'accepter de si minces présents.
Babet s'en contentoit, souliers alloient pleuvants.
L'or, quand on est jolie, est fugace, il va vite:
On le gagne aisément, on le ménage peu;
Babet l'avoit senti; souliers restoient au gîte,
Ils devenoient ressource. On conçoit qu'à ce jeu
Fallut bientôt à la commère,
Pour loger les souliers, une maison entière.
Le cuir haussa de prix: le Prince le taxa,
Mainte bourse s'emplit, maint fermier s'engraissa;
Tel est chez nous le train des choses,
Toujours les grands effets ont de petites causes.
Babet vieillit, le cuir baissa;
Adieu vous dit joli visage,
Taille fine, élégant corsage,
Enfin adieu tous ses appas!
L'âge a beau nous rider, il ne nous change pas.
On se travaille en vain, le goût reste le même.
Celui de Babet pour l'amour,
Bien loin de s'affoiblir, avoit crû chaque jour.
Que faire en ce besoin extrême?
Le temps de but à but étoit plus que passé,
Il fallut des souliers implorer l'assistance:
Grâce à sa sage prévoyance,
L'Amant venu nus pieds, s'en retournait chaussé;
Elle habilla par bas les deux tiers de Florence.
Sur quoi certain voisin, d'elle un jour s'enquérant
De ce tas de souliers qu'elle alloit répandant,
Babet que le métier n'avait point rendu fausse,
Lui dit:—«Mon cher ami, l'hiver vit de l'été.
»Je rends à mes Amants ce qu'ils m'avoient prêté:
»Je les déchaussois, je les chausse.»

QUI PERD GAGNE

CONTE

«Jeanne, va fermer la targette,»
Disoit, en s'endormant, Lucas à sa moitié.
—«Vas-y, toi,» répondit Jeannette;
«L'homme est fait pour être sur pié,
»La femme pour dormir.—Que je sois estropié
»Si j'y vais!» dit Lucas.—«Que le Diable m'emporte
»Si j'y vais!» dit Jeannette.—«On ouvrira la porte.
»—Je m'en gausse.—Et moi je m'en ris.
»J'encague les voleurs, je n'ai pas une obole.
»—Et si l'on te prend tes habits?
»—Je resterai couché, c'est ce qui me console.
»—Oh çà! tiens, mon mari, convenons entre nous:
»Celui qui lâchera la première parole
»Ira verrouiller l'huis.—Tope,» reprit l'époux,
«Je suis muet, bonsoir!—Moi, j'ai la langue morte!»
Pendant que nos époux disputoient de la sorte,
Auprès de leur logis certain Carme passoit;
Le vent éteignit sa bougie.
Comme au travers de l'huis leur lampe paraissoit,
Mon gaillard, disciple d'Élie,
Frappe; on ne répond point. Il baisse le loquet:
—«Pardon! de votre somme, amis, je vous dérange;
»Mais mon abord céans ne doit vous alarmer:
»Ma bougie est éteinte, et je viens l'allumer.»
Mot. «Holà!» dit le Moine, à cet accueil étrange;
«M'entendez-vous, mes bonnes gens?
»Je n'ai, je le répète, aucuns desseins méchants.»
Mot encore. Il s'avance; il voit deux grosses faces,
Qui, les yeux bien ouverts, rioient entre leurs dents.
Jeanne comptoit au plus vingt ans:
Le Frocard lui trouva des grâces.
Son visage, ses traits, lui semblèrent piquants:
On est à peu de frais aimable aux yeux d'un Moine;
Il n'est belle ou laidron, qui ne lui soit idoine.
Le Carme, encor qu'il fût perplex,
Jugeant que ce silence étoit une gageure,
Résolut in petto de pousser l'aventure.
Un teton paroissoit, il y porte l'index:
Le mari reste coi, la femme se résigne.
Réduit à pérorer par signe,
Le grivois parla puissamment.
Or, voilà, je ne sais comment,
Que d'abord près du lit, le Jean-chouart du Frère
Tôt après fut dedans: oh! jugez de la chère!
Lucas voyoit et souffroit tout.
Plus discrète qu'on ne peut dire,
Jeanne, bien qu'on poussât sa patience à bout,
N'eût pas parlé pour un Empire.
Le moine se montra digne enfant du Carmel,
Fort affamé, peu sensuel.
Le temps vient de partir, mon gaillard fit retraite.
Il n'étoit pas sorti, que la dame Jeannette
Chanta goguette à son époux:
«Voyez ce gueux,» dit-elle, en feignant du courroux,
«De me laisser manquer de semblable manière!
»Et par un Moine encor! je suis d'une colère!…
»Va, je me vengerai, je te le garantis.
»—Femme,» répond Lucas, «allez verrouiller l'huis:
»Vous avez parlé la première!»

IN-PROMPTU

PARODIE D'UN COUPLET DES AMOURS D'ÉTÉ

Sur l'air: En plein, plan.

Qu'une vérole est amère,
Et q'c'est méchante affaire!
Je l'ai bien pour mes six francs,
En plein, plan,
Rlan, tan, plan, tirelire,
Lan, plan.
Il y a des bien honnêt's gens,
Qu'en ont une plus chère.

L'EXCUSE INGÉNIEUSE

Dans un endroit obscur, trouvant une Duchesse,
Un jeune Mousquetaire osa porter la main
Sous le jupon de son Altesse.
Elle jette un cri, c'est en vain:
Mon étourdi, qu'un vif aiguillon presse,
Jusques au bout allant son train,
Claquoit et reclaquoit sans cesse.
«Finirez-vous donc, libertin?
»A moi quelqu'un! la Fleur, Champagne, la Jeunesse!»
Ces Messieurs, qui buvoient au Cabaret voisin,
N'entendoient pas la voix de leur Maîtresse.
Mon polisson lâche prise à la fin.
—«Ah! malheureux, tu payeras demain
»Ce trait d'audace et de scélératesse:
»Crois que ton trépas est certain!
»—Pardonnez un moment d'ivresse,»
Reprit le Mousquetaire avec un air serein;
«J'ai fait sans doute une sottise,
»Et vous m'en voyez confondu:
»Que voulez-vous que je vous dise?
»Las! je suis un homme foutu,
»Si vous avez le cœur aussi dur que le cu!»

L'OBSERVATEUR EN SECOND

OU L'ART D'AIMER

J'ai vu dans les Écrits d'un grand Observateur,
Émule d'Hamilton et Poëte des Grâces,
Le véritable sens que l'on donne au mot cœur.
En admirant B… j'ai marché sur ses traces.
Or, écoutez, ami Lecteur,
Et vous saurez de moi ce qu'il vous faut entendre
Alors que la beauté qui vous a su charmer
Vous avoûra d'une voix douce et tendre,
Qu'elle vous permet de l'aimer.
Aimer n'est pas un mot de sens tout à fait vide:
Anacréon, Properce et le galant Ovide
Employèrent souvent ce mot-là comme il faut.
Devinez donc ce que pense une Dame
Dont les attraits sont par l'âge effacés,
Quand elle vient se plaindre, en nous vantant sa flamme,
Que Monsieur son époux ne l'aime point assez?
Qu'une fille me plaît, qu'elle est intéressante,
Quand le besoin d'aimer en secret la tourmente!
Comme elle je ressens ce besoin, ces ardeurs;
Pourquoi ne pas unir nos besoins et nos cœurs?
Elle diroit bientôt, d'une voix expirante:
Ah! quand on aime bien, qu'on goûte de douceurs!
Mais n'aime pas qui veut, c'est là ce qui me fâche!
Tantôt bien, tantôt mal, on remplit cette tâche:
J'en vois même plusieurs, que je saurois nommer,
Qui, malgré leurs efforts, ne peuvent plus aimer.
Mélidore adoroit (on verra par la suite
Qu'ici tout autre mot ne peut être adopté),
Adoroit donc une beauté
Dans l'art d'aimer assez instruite;
Notre amant jeune et sans détour,
Dans cet art charmant vrai novice,
Depuis plus de six mois qu'il étoit au supplice,
N'avoit encore osé déclarer son amour.
Aux pieds de Lise enfin il se jette un beau jour,
Et pour lui peindre son martyre,
Pousse de grands Hélas! verse des pleurs, soupire,
Veut lui parler et reste court.
L'amante, en le voyant, pensa crever de rire,
Et sans prendre pitié du trouble qu'elle inspire,
De l'amant à ses pieds, ni de son embarras,
Lui répond froidement:—«Non, vous ne m'aimez pas.
»—Je ne vous aime pas?… L'amour le plus sincère
»N'est-il donc à vos yeux qu'une vaine chimère?
»Quand je brûle d'un feu qui ne peut s'exprimer,
»Quand tout mon sang pour vous…—Ce n'est pas là m'aimer,
»Et moi, je prétends que l'on m'aime.
»—Je vous l'ai déjà dit, ma tendresse est extrême;
»Votre volonté seule est ma suprême loi;
»De grâce, commandez.—Eh bien donc, aimez-moi!»
Désespéré, confus, notre amant se retire;
D'abord il veut se pendre, et puis il réfléchit
Que ce seroit tomber d'un malheur dans un pire.
Ensuite il cherche en son esprit
Le sens de chaque mot, et ce qu'Églé veut dire?
L'Amour enfin daigne l'instruire:
Avec un si grand Maître une leçon suffit.
Quelques jours écoulés, il vole chez sa Dame,
Plein d'espoir et surtout bien résolu dans l'âme,
De mettre, s'il se peut, la leçon à profit.
Il entre… Il la voit seule… Il prend un peu d'audace…
Et fit… ce que j'aurois voulu faire à sa place.
Pendant les amoureux ébats,
L'Amant disoit à sa Maîtresse:
«Peux-tu te plaindre encor que je ne t'aime pas?
»Peux-tu douter de ma tendresse?»
La belle lui repart:—«Non, le fait est certain,
»Tu m'aimes maintenant, j'en ai la preuve en main.»
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