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Le Purgatoire

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Comme à Saint-Angeau!
Comme à Saint-Angeau!

La kommandantur s’inquiétait de cet état d’esprit. A chaque brimade qu’elle ordonnait, on sentait qu’elle redoutait une explosion. L’affichage du nouveau règlement excitait un enthousiasme délicieux. Le papier, rédigé en français, s’il vous plaît, disait gentiment:

«Vous mangerez sur vos chambres. Le réfectoire ne servira que comme passage pour la kantine. Les billards seront supprimés, tandis que le piano restera à votre disposition. La vente à la kantine de friandises, comme par exemple de sardines et autres objets de luxe (sic), sera supprimée; les confitures seront vendues comme jusqu’ici

Pouvions-nous pleurer devant des textes pareils? La kommandantur ne comprenait pas notre hilarité.

Pour que les représailles de Vöhrenbach eussent plus de poids sur le gouvernement de Paris, une cinquantaine de «personnalités politiques et militaires» allaient grossir notre effectif. Nous attendions le colonel Colignon, que les Boches poursuivaient d’une haine spéciale, et le lieutenant Delcassé, fils du ministre, qu’ils envoyaient dans les camps les plus durs.

En revanche, les Russes et les Anglais nous quittaient. Ils demandèrent à partager nos peines et à rester parmi nous: beau geste, qui en dit plus long que toutes les phrases sur la fraternité des alliés. Mais ils partirent, le 18 avril, dans la matinée: Berlin les expédiait ailleurs. Quel émouvant départ! Ils étaient dans la cour. Nous les entourions. Le vieil oberst Freiherr von Seckendorff nous regardait d’un air peu rassuré. Quatre Anglais avaient l’intention de s’évader, en sautant du train en marche. L’un d’eux ne cachait même pas le pantalon de civil qu’il portait sous son manteau d’aviateur. Quand ils franchirent la grille du camp, toutes les fenêtres étaient noires de têtes penchées, et, soudain, jailli de toutes les bouches, le God save the King éclata par-dessus le camp, vers nos compagnons fidèles qui, de loin, nous répondaient en agitant leurs mouchoirs, et en criant: «Vive la France!» La neige tombait. Le vieil oberst demeurait immobile au milieu de la cour. Quelles réflexions pouvaient l’occuper?

Dans l’après-midi, la manifestation eut encore lieu, mais pour saluer l’arrivée des camarades qu’on nous avait promis. Ils s’avançaient, masse épaisse, capotes bleues, képis rouges, escortés par une ribambelle de gosses curieux du spectacle, car tout Vöhrenbach était sur des épines. Une Marseillaise immense courut à la rencontre de nos frères. La kommandantur devenait folle. Le poste sortit en armes. Les soldats firent entrer à coups de crosse les nouveaux prisonniers, que cette réception étonna. Ils nous l’avouèrent par la suite. Ils n’avaient jamais rien vu de pareil. Et pourtant c’étaient d’anciens prisonniers. Ils venaient de Heidelberg, mais il n’y avait parmi eux ni le colonel Colignon, ni le lieutenant Delcassé, ni aucune célébrité politique ou militaire. Sans doute réservait-on le lieutenant Delcassé pour un camp mieux choisi. Car il épuisa toutes les représailles, jusqu’au jour où on l’envoya enfin en Suisse; mais on l’y envoya trop tard; il y mourut: les Boches l’avaient tué.

Le soir, dans toutes les chambres, au milieu d’un fouillis de sommiers, de couvertures, de malles, de valises, et d’ustensiles de cuisine, on chantait. Le chef de poste monta pour nous prier de nous taire. Dans la plupart des chambres, il fut conspué. Comme le réfectoire nous était désormais fermé, on nous avait distribué des gamelles réglementaires. Elles devinrent des instruments de musique. L’officier de service, l’invraisemblable Barzinque, dit Sabre de Bois, toujours si plein d’importance, resta prudemment couché, ce soir-là. Un vent douteux soufflait sur le camp.

La journée du 19 avril ne fut pas plus calme. Les nouveaux prisonniers n’étaient pas habitués à ces manières. Ils n’auguraient rien de bon du scandale. Ils descendirent pourtant à l’appel du matin, comme les autres, avec leur gamelle à la main. On avait l’impression que le moindre geste maladroit provoquerait une révolte. Il y avait de la poudre dans l’air. Nous étions prêts à tout. Le train de l’après-midi nous amena encore une dizaine de camarades du camp de Villingen. Comme la veille, la Marseillaise déferla sur nos gardiens désorientés. Comme la veille, le poste sortit, mit baïonnette au canon, chargea sur ceux d’entre nous qui s’attardaient dans la cour, et toute une escouade tint nos fenêtres sous la menace des fusils. Le vieil oberst s’arrachait les cheveux. L’aide de ce camp se démenait de droite et de gauche. Monsieur le Censeur contractait plus que jamais ses mâchoires carrées, et Barzinque, devenu enragé, hurlait des choses inintelligibles. Et tous percevaient par moments le refrain goguenard:

Comme à Saint-Angeau!
Comme à Saint-Angeau!

Cependant, comme à Saint-Angeau, les restrictions s’accumulaient. Nous mangions dans nos chambres. La musique fut interdite. Interdits, les fauteuils et les chaises-longues. Interdit, le tennis; interdits, les agrès de gymnastique. La salle de douches fut fermée. Les lavabos furent fermés. On ne laissa qu’un robinet dans la cour. Ce robinet fut cause de scènes épiques. Les prisonniers faisaient leur toilette en plein air, et, comme ils n’avaient aucune raison de cultiver la crasse ou de ménager la pudeur des populations, la plupart exhibaient aux quatre points cardinaux leur nudité totale. Vociférations, cris, grincements de dents, tout fut vain. Mais la kommandantur rouvrit la porte des lavabos.

—On les aura! fut le mot de cette victoire.

Nous tenions ferme. Les Boches aussi. Ils n’étaient pas satisfaits des lettres que nous avions écrites en France. Il y avait de quoi. Aucun de nous ne se plaignait. Nous avions profité de l’aubaine de ces trois lettres pour nous délivrer par avance de tout ce que nous ne pourrions plus dire, puisque désormais nous n’aurions plus droit qu’à une carte de dix lignes toutes les semaines. Et tous nous nous étions arrangés pour que nos familles ne s’alarmassent point.

Les représailles continuaient. Les contre-ordres suivaient les ordres. On ne s’y retrouvait plus. On nous rendit le réfectoire, parce que nous gâtions le plancher des chambres et parce que nous réclamions le remboursement du matériel que nous avions payé. Le colonel B***, le plus ancien d’entre nous, fut écroué dans la cellule des arrêts de rigueur sans motif spécial.

Comme à Saint-Angeau!
Comme à Saint-Angeau!

Les mauvaises nouvelles dont les Boches nous faisaient part nous réjouissaient. Et notre plaisir n’avait plus de bornes, quand nous apprenions de bonnes nouvelles de France. Or, nous sûmes que deux des officiers anglais qui devaient s’évader en quittant Vöhrenbach, étaient en sûreté à Berne: la kommandantur en fut charitablement informée. Des troupes russes avaient débarqué à Marseille: nous ne pouvions pas ne pas célébrer ce succès qui coïncidait avec la fête de Pâques. Le lendemain, les journaux ne nous furent pas distribués. La vente de l’alcool à brûler cessa. Le général commandant le XIVᵉ corps d’armée nous inspecta le 24 avril. On nous permit d’écrire une nouvelle lettre en France. Personne n’écrivit. Les Boches étaient furibonds. Le 28, un colonel, du cabinet du ministre de la Guerre, nous inspecta. Évidemment, on voulait constater les progrès du régime. Le colonel en fut pour son voyage. On nous retira les serviettes de toilette que l’administration nous fournissait gratuitement, et l’on nous rappela que la kantine en vendait. La kommandantur était assaillie de réclamations. L’un exigeait la nourriture que les officiers allemands avaient à Saint-Angeau. L’autre se plaignait de l’éclairage électrique et voulait une lampe à pétrole.

Comme à Saint-Angeau!
Comme à Saint-Angeau!

La prairie nous était consignée. Une barrière limitait la zone de nos promenades circulaires. Les gens du village, plus que jamais, s’approchaient des fils de fer pour mieux nous voir. Le bruit de nos manifestations bouleversait les civils. Un groupe de jeunes gens passa devant le camp en chantant la Wacht am Rhein. Nous répondîmes en chantant la Marseillaise une fois de plus. On nous défendit de la chanter, sous peine des pires châtiments. Le capitaine Chéron porta une lettre de protestation à la kommandantur: il fut expédié dans un camp de représailles plus rudes, en Pologne.

Au milieu de l’effervescence générale, des évasions ajoutaient leur pittoresque. Un même soir, à la tombée de la nuit, trois officiers franchirent les clôtures. Comme par hasard, les lampes à arc refusèrent de s’allumer dans la cour. L’électricien cherchait en vain les causes de l’accident. On crut à une manœuvre d’un prisonnier. Toute la garnison de Vöhrenbach prit les armes et accourut au pas gymnastique. On craignait une mutinerie. On alluma des torches. On organisa des patrouilles. On doubla les sentinelles. Tout le monde était aux abois. La femme du censeur assistait à l’alerte. Des cris montaient:

Posten! Posten!

Posten!

Nuit superbe. A dix heures et demie, Barzinque s’aperçut que deux officiers manquaient. Il était fou de joie. Tout le camp respira. On s’attendait à une catastrophe, et il ne s’agissait que d’une évasion! La tragédie s’achevait en farce. Seul, le vieil oberst Freiherr von Seckendorff, dit Kœniggraetz, ne riait pas.

Le jour vint où l’on nous distribua les fameuses paillasses dont on nous menaçait depuis longtemps. Au lieu de paille, elles contenaient des copeaux, qu’on nomme là-bas Baùmwolle, ou laine de bois. Quel pays! Cela produisit de nouvelles réclamations: nous voulions de la paille, comme à Saint-Angeau. Mais on eût été bien gêné de nous en fournir.

Une espèce de rythme animait les représailles. On nous rendait ceci d’une main, pour nous prendre cela de l’autre. Ainsi, l’on nous permit de jouer au billard et d’user des agrès de gymnastique, mais on suspendit le paiement des mandats jusqu’à une date indéterminée. Le 5 juillet, on nous restitua les châlits, sans toutefois nous desserrer. Le 7, on nous annonça solennellement que les représailles pour la correspondance étaient levées et que, sous peu de temps, le camp de Vöhrenbach redeviendrait un camp ordinaire. Que s’était-il donc passé? Rien, hormis que les Français et les Anglais avaient attaqué sur la Somme, et l’offensive tournait mal pour l’Allemagne. La France s’était redressée après Verdun et donnait un coup de boutoir. L’Allemagne n’avait donc plus d’amis là-bas? Mais alors, la prudence conseillait peut-être de se montrer moins dur pour les prisonniers français? L’Allemagne voyait chaque jour ses hommes et ses officiers s’en aller vers les camps de France. Il était temps sans doute de lâcher un peu les brides. Éternelle politique des Boches! Quand la fortune leur souriait, ils se montraient impitoyables. Quand leurs affaires se brouillaient, ils s’humanisaient. Quel prisonnier n’a pas observé les effets de cette loi de la balance dans les camps en Allemagne?

L’offensive de la Somme amena la fin de nos représailles le 29 juillet. La vie normale allait recommencer à Vöhrenbach, sauf pour la musique et les douches, dont l’interdiction subsistait. Le 30, on réorganisa des promenades à l’extérieur. Décidément l’offensive des alliés était sérieuse. Hélas! nos espoirs s’effondrèrent. Le 9 août, on arrêta les promenades. Le 27, on nous signifia qu’à l’avenir nous ne pourrions plus sortir dans la cour après six heures du soir, comme à Saint-Angeau. Les Boches reprenaient du poil de la bête. L’offensive ne les inquiétait plus. Enfin, le 14 septembre, ils étalèrent de nouveau toute leur sereine cruauté, en nous infligeant la mesure la plus barbare de toutes: suppression totale des soins du dentiste, même dans les cas graves. L’ordre du ministre, en date du 5 septembre, disait textuellement: «Selbst in schweren Fällen». Après cela, on n’a plus qu’à tirer l’échelle.

Disons vrai: il y eut des représailles plus sombres que celles du camp de Vöhrenbach. Néanmoins, celles que j’ai essayé de décrire ici suffirent pour ébranler le système nerveux de plus d’un prisonnier. On ne vit pas impunément avec l’esprit toujours tendu contre un ennemi sournois qu’on veut dérouter et humilier. Tant que les mauvais jours durent, on se tient droit, on subit le choc, on fait tête, on riposte. Mais ensuite, quand la fièvre tombe, quand le calme renaît, quel écroulement sinistre! Des officiers y ont perdu la raison. D’autres y ont gagné des neurasthénies incurables. Tous y ont laissé un peu de leur force. Si c’est ce que l’Allemagne désirait, elle est arrivée à ses fins. Mais espérait-elle autant de succès, quand ceux de Vöhrenbach lui jetaient au nez leur:

Comme à Saint-Angeau!
Comme à Saint-Angeau!

à René Le Gentil.

CHAPITRE XVII

LA VIE QUOTIDIENNE

(Octobre 1916.)

Même pendant les représailles, les journées de Vöhrenbach étaient longues. Le problème de chaque matin comportait des solutions restreintes et peu variées, et plus d’un prisonnier se demandait au réveil par quels chemins il arriverait à l’appel du soir. Les travaux intellectuels, qui semblent les seuls raisonnables, finissent vite par fatiguer. Il n’est pas de pire endroit qu’une prison pour se pousser dans la connaissance du Dalloz ou pour se pénétrer des secrets du moteur à explosion. Quant aux lectures simples, elles supposent une santé physique et morale qu’on n’a pas toujours. Et l’on en vient tout naturellement à bricoler. Plus d’un officier rapportera de sa captivité un violon d’Ingres.

Les Russes avaient mis à la mode l’art des tapis. Les blessés aussi, dans les hôpitaux de France, exécutaient de ces réseaux de fils de coton ou de soie. Les ventes de charité vous en ont donné le dégoût. Pour un prisonnier, la confection d’un petit tapis était son premier travail manuel. Il en achevait deux ou trois, de la taille d’un mouchoir de poche, et, pour passer à un autre genre d’exercice, il accrochait au mur son métier rectangulaire ou octogonal qui ne servirait plus. D’autres soucis l’appelaient. Généralement, il se tournait soit vers le Tarso, soit vers le Kerbschnitt.

Le kerbschnitt, c’est la sculpture par entailles. On prend une planche de noyer d’Amérique, qui est une matière tendre, on y trace des dessins géométriques, et, avec un canif spécial, on creuse le bois. On obtient ainsi des panneaux qui rappellent certaines armoires bretonnes ou des bahuts basques. Une importante maison allemande alimentait la kantine en objets bruts, mais ornés de dessins tout prêts, que l’artisan n’avait plus qu’à sculpter: coffrets de toutes les tailles et de toutes les formes, petits bancs, ronds de serviettes, nécessaires de bureau, cadres à portraits, porte-manteaux, tabourets, et jusqu’à des fauteuils et des tables. La kantine procurait tout ce qu’on désirait.

Le tarso est plus délicat, sans exiger un apprentissage extraordinaire. On prend une planche de noyer d’Amérique; on y trace un dessin quelconque: fleurs, fruits, guirlandes, paysages; avec un couteau à lame minuscule, on marque une incision profonde le long de toutes les lignes du dessin; ensuite, soit avec des liquides particuliers, soit avec des couleurs à l’eau, on peint le motif à volonté; enfin, quand la peinture est sèche, on vernit la planche avec du vernis-tampon, à la manière des ébénistes. Il faut des jours, et des semaines quelquefois, pour que le résultat soit satisfaisant. Mais alors le succès récompense l’ouvrier; le vernis s’est étalé merveilleusement, il a comblé les incisions marquées par le couteau, et le panneau terminé imite, à s’y tromper, la marqueterie. Les objets qu’on traite au tarso sont les mêmes que ceux qu’on sculpte. On en vend qui sont préparés. Mais rien ne vous empêche d’effacer la garniture boche avec du papier de verre et de la remplacer par une décoration de votre goût. Les raffinés vont plus loin, et, dans ces incisions au couteau qui doivent abuser le regard, ils introduisent de l’étain ou du cuivre. L’effet n’est peut-être pas plus heureux, mais l’achèvement de l’œuvre demande plus de temps, et le prisonnier ne souhaite pas autre chose.

Ce ne sont là qu’ouvrages de jeunes filles. D’aucuns, plus ambitieux, construisent eux-mêmes les coffrets avant de les décorer et de les vernir. Ils achètent à la kantine une planche de noyer, ou de poirier, ou de citronnier, ou d’acajou, ou de palissandre, de l’épaisseur et des dimensions qu’il leur plaît, car la kantine fournit tout, et ils exécutent le montage de la boîte dont ils rêvent, en queue d’aronde, comme les meilleurs professionnels. De la boîte au meuble, la distance n’est pas grande. Des officiers ont construit de jolies choses au milieu des laideurs qui les entouraient, et j’ai vu des classeurs ou des étagères qui étaient de véritables objets d’art. Cependant que certains s’usaient les yeux sur des dentelles compliquées, d’autres s’appliquaient à ces sparteries d’aspect rude qu’on nomme du makramé, et quelques-uns, qui ne doutaient de rien, s’exerçaient à relier en toile ou en cuir les livres de la bibliothèque ou de leurs camarades.

Mais tout camp de prisonniers possède des spécialistes auxquels tout le monde pense et dont personne ne parle: ce sont les topographes, qui, parmi les gardiens qui vont et viennent, trouvent le moyen de reproduire à la main, à un nombre indéterminé d’exemplaires, la carte indispensable à celui qui va s’évader. Ils se dévouent pour tous avec une ardeur que rien ne démonte. Le temps n’a plus de prix en prison. Une carte est-elle découverte par la kommandantur? Peu importe. Le topographe en reproduit une nouvelle, et l’incident est clos.

Enfin, bon nombre d’officiers tiennent un journal de captivité en double ou en triple expédition, de crainte que l’une d’elles ne soit confisquée par les Boches trop curieux. On collectionne les ordres odieux, les mots significatifs, les anecdotes ridicules. Celui-ci inscrit ponctuellement sur un carnet les menus qu’on lui a servis depuis qu’il est en Allemagne; un autre enregistre le contenu des colis qu’il reçoit de France; un troisième possède tous les communiqués officiels, aussi bien ceux des empires centraux que ceux des puissances de l’entente, et l’on a souvent recours à lui pour trancher une discussion d’où l’on ne sortait pas.

*
* *

Les prisonniers ont le droit de s’abonner à des gazettes dont la kommandantur autorise la lecture. On s’arrange pour que, dans une même chambre, on ait des feuilles différentes, afin de pouvoir confronter les nouvelles, et tel s’abonne pour un mois à la Frankfùrter Zeitùng ou à la Koelnische Zeitùng, terrible aux Français, et tel choisit le Lokal Anzeiger de Berlin, qui est un organe officieux, ou la Neùe Freie Presse de Vienne, tandis que tel enfin préfère Der Bùnd de Berne. On ne peut pas lire tous les journaux allemands: le Vorwaerts, par exemple, et les cahiers où pérore Maximilien Harden nous sont interdits. En revanche, certaines feuilles suisses, telles que le Bùnd ou le Berner Tagblatt, sont permises. Inutile, j’imagine, d’insinuer que ces journaux sont pour nous d’une neutralité suspecte. Et la preuve en est qu’on me refusa à Vöhrenbach un abonnement aux Basler Nachrichten, qui ne paraissaient pas assez neutres sans doute à monsieur le Censeur. Car il y a des neutralités que l’Allemagne n’admet pas: celle du Journal de Genève ou de la Gazette de Lauzanne n’entrait pas plus dans nos camps que la partialité de l’Action Française ou du Figaro.

Cependant, l’Allemagne ne nous condamnait pas à ne lire que des journaux de langue allemande. Je dis: de langue, car c’est tout ce que n’avaient pas d’allemand la Gazette des Ardennes, le Petit Bruxellois, et le Continental Times. Les Français et les Anglais pouvaient tous comprendre la lettre, sinon l’esprit de ces horribles papiers. La Gazette des Ardennes, la plus notoire, était une arme aussi dangereuse que les gaz asphyxiants. Elle attaquait le moral des populations envahies et des camps de prisonniers. On ne songe pas sans angoisse au désespoir qui a dû frapper les esprits faibles et livrés à eux-mêmes, quand on leur prouvait que tout allait en France et chez les alliés comme dans le pire des mondes. Pour quiconque ne savait pas lire, les articles étaient bien écrits. Pas un numéro de la Gazette des Ardennes ne paraissait sans contenir des «morceaux choisis» de Clémenceau ou de Gustave Hervé. Admirez le système: on découpe, dans un éditorial quelconque, un ou deux paragraphes où se font jour des restrictions, ou des protestations, ou des plaintes sur les affaires et leur conduite et leurs conducteurs, et le tour est joué. Le lecteur accuse Clémenceau de trahison et pleure sur les destinées de la France, sans songer que, dégagé du contexte qui l’éclairait ou l’excusait, le paragraphe immonde ne signifie peut-être plus ce que l’auteur voulait qu’il signifiât. En outre, il serait nécessaire de comparer les originaux et les reproductions, car rien ne prouve que la Gazette des Ardennes n’ait jamais publié de faux clémenceaux ou des hervés de commande. A Vöhrenbach, on s’amusait des turlupinades de la Gazette des Ardennes. On n’était dupe ni des lamentations «d’un bon Français», ni de l’apitoiement sans signature d’un Boche sur les malheurs de la France livrée aux Anglais. Mais quand la kommandantur nous demandait de lui remettre nos vieux journaux pour que les soldats français eussent quelque chose à lire dans leurs camps de misère, elle prêchait dans le vide.

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Tous les soirs, vers cinq heures, on nous affichait le communiqué boche sur le mur du poste de police. C’était un des moments de la journée les plus importants. On se groupait autour du papier officiel. Un capitaine traduisait à haute voix pour tous ses camarades. Mais on lui réclamait souvent le texte exact, qui nous intéressait en particulier aux jours de nos offensives. Le communiqué boche réalisait alors des prodiges d’expressions, et il exécutait, suivant les circonstances, une admirable gymnastique de phrases, de périphrases et de litotes charmantes. Avec un peu d’habitude, sans être très fort en allemand, on se rendait compte de la valeur de nos succès, rien que par les circonlocutions dont l’état-major de Berlin enconfiturait ses échecs. Le vocabulaire de la défaite était d’une richesse inouïe. Quels poètes que ces Allemands! Et d’abord, qu’on le sache, les vaillantes troupes du kaiser avaient toujours repoussé l’ennemi. A y regarder de près, c’était vrai, car le communiqué ne disait pas si l’ennemi avait été repoussé sur sa ligne de départ ou après avoir enfoncé le front allemand sur dix kilomètres de profondeur. D’ailleurs on repoussait l’ennemi de tant de façons! On l’avait contenu, ou arrêté, ou chassé, ou refoulé; ou bien, on s’était retiré devant lui, à moins qu’on n’eût évacué la position planmässig, conformément au plan fixé. Au fond, les Allemands ne faisaient que ce qu’ils voulaient, et l’échec de Verdun était conforme au plan, et conformes au plan aussi les pertes de la Somme. Avec des principes pareils, on n’est jamais vaincu. Le communiqué boche nous offrit souvent des joies insoupçonnables.

Les murs de la plupart de nos chambres étaient tendus de cartes, et de bonnes cartes, vendues à la kantine. Tous les fronts, nous les avions, même celui de Mésopotamie, à une échelle sérieuse. Le front français tenait en cinq feuilles au 1/100.000ᵉ, tirées pendant la guerre d’après notre carte au 1/80.000ᵉ. Le front russe, au 1/250.000ᵉ, allait du plafond jusqu’à un mètre du sol. Des ficelles, retenues par des épingles, suivaient les variations de la ligne. Dans une chambre, les gains réalisés au cours de la bataille de la Somme étaient peints de couleurs différentes pour qu’on pût juger des progrès de chaque mois. A côté de ce tableau de victoire, on avait affiché froidement la carte des environs de Vöhrenbach et de la frontière suisse. Elle était trop apparente pour que la Kommandantur s’avisât de la chercher à cette place. Malheureusement, un jour, Sabre de Bois, dit Barzinque, visitant la chambre, s’arrêta devant le point faible. Mais un lieutenant s’empressa de le renseigner:

—C’est le front de la Somme, monsieur. Voyez-vous? Toute cette partie en jaune, c’est l’avance des Français pendant le mois de juillet. Cette tranche bleue, c’est la portion conquise par les Anglais en août. La zone rouge.....

—Oui, oui, répondit lentement Barzinque.

Et il s’en alla sans insister.

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Lorsque les armées allemandes avaient remporté un succès, nous en étions informés avant l’heure du communiqué. Brusquement, dans le courant de l’après-midi, les cloches de l’église entraient en branle et, durant quelques minutes, elles sonnaient à toute volée. Chaque jour de victoire était jour de Pâques. L’airain s’en donnait comme s’il se reposait depuis des années. Et rien ne nous poignait le cœur comme cette ivresse sonore d’où nous venait un désespoir affreux, tel un mauvais songe. Quel tumulte pendant ces mois de mars et d’avril 1916! Quand la musique commençait, une angoisse voilait nos yeux:

—Verdun?

Un matin, les cloches sonnèrent à tout casser. Quel événement allait-on nous annoncer? La prise de Paris? Ou la fin de la guerre? Pleine de sollicitude, la Kommandantur nous afficha cette brève nouvelle:

«Le sous-marin Deutschland est en Amérique

Et les journaux se réjouirent pendant trois jours. On doit le reconnaître, l’effort allemand méritait un peu d’attention: un submersible de commerce, d’un fort tonnage, avait déjoué la surveillance des marines alliées et fourni une longue course. La menace n’était pas grosse de conséquences et le raid ne demeurerait qu’un raid, mais enfin, soyons généreux, l’Allemagne avait exécuté un joli tour de force. Ce fut du délire lorsque, quelque temps plus tard, échappant encore aux Anglais et rompant le blocus, le sous-marin rentra à son port de départ. L’Allemagne y perdit la tête, et les gazettes publièrent sérieusement que le Deutschland avait ramené du nickel, du caoutchouc et de l’or en lingots pour une somme telle qu’il n’eût pas fallu moins de dix fois le tonnage du Deutschland pour le transporter. La prouesse tournait à la tartarinade. L’Allemagne grisée ne cacha pas que le Deutschland repartait sans délai pour un nouveau voyage. C’était narguer l’Angleterre. Le sous-marin partit en effet. Mais les cloches restèrent muettes. Des semaines passaient. Le silence persista.

Pour en finir, un officier arrêta monsieur le Censeur, lui fit part de nos inquiétudes, et lui demanda ce que le Deutschland était devenu. Monsieur le Censeur eut un regard si dur, que l’on comprit: le sous-marin se reposait dans un port de la côte anglaise.

*
* *

Les écoliers de Vöhrenbach consacraient leurs vacances à des jeux dont je ne me serais pas étonné, s’ils les avaient menés autrement. Mais ils me dévoilaient toute l’âme de la race.

Vous devinez qu’ils jouaient «à la guerre». Tous les enfants de France n’ont pas eu de divertissement plus savoureux. Pourtant, quel désaccord entre les gosses de chez nous et ceux de là-bas!

Chez nous, vous savez comment on pratique ce jeu si amusant. Nous sommes trois petits garçons et une petite fille. La petite fille, c’est l’infirmière. Jacques se coiffe du bicorne de général. Paul devient son officier d’ordonnance, et Pierre fait le cheval, parce qu’il est plus jeune. Et, tout de suite, le désordre éclate. L’infirmière prétend que le général est blessé, même avant la bataille, et le général se laisse dorloter. Pendant ce temps, Pierre jette sa bride et se transforme en artilleur, et l’officier d’ordonnance, abandonnant son poste, passe dans l’aviation. Notre grand Poulbot a pour toujours fixé de ces scènes qui vous désarment. Mais qu’aurait-il extrait des jeux de Vöhrenbach?

A Vöhrenbach, les jours de congé, une troupe sort du village. Ils sont cinquante, ou quatre-vingts, ou cent. Ils marchent par quatre, au pas, bien alignés. Ils ont des fusils. Un chef les guide. Ils chantent la Wacht am Rhein, et ce n’est pas une chanson pour rire; c’est un chœur à deux voix, parfaitement mené. Ils s’avancent vers le camp des prisonniers. Je les regarde. Ces gosses m’inquiètent. Ils longent les fils de fer. Soudain, des commandements. La formation se dilue. Des colonnes par un se meuvent. Les gosses vont à l’assaut du bois de sapins qui couronne la colline. Ils tirent des coups de fusil. Un clairon sonne la charge. Les petites colonnes s’étendent en lignes de tirailleurs. Est-ce possible? Je rêve sans doute. Ces gosses... Le plus âgé n’a pas douze ans. Chez nous...

Des camarades sont à côté de moi. Ils regardaient eux aussi et tous se demandaient s’ils ne rêvaient pas. Et nous ne disions rien, rien, rien.

*
* *

De temps à autre, la kommandantur nous offrait la comédie. Sans le vouloir, bien entendu. Elle avait tellement la hantise de l’évasion, qu’elle en soupçonnait vingt projets à la fois. Monsieur le Censeur a-t-il lu une lettre qui ne lui a pas semblé très catholique? Sabre de Bois a-t-il vu, par le trou de la serrure, des préparatifs inquiétants? Le médecin juif a-t-il recueilli des bribes de conversation? En toute hâte, le Freiherr von Seckendorff s’alarme et il ordonne que des fouilles soient faites.

Un officier entre dans la chambre.

—Monsieur X***?

—Présent.

—Le commandant du camp m’a dit de visiter vos bagages.

—Visitez-les.

Et le prisonnier, que l’incident avait distrait, reprend ses occupations, comme si l’affaire ne l’intéressait pas.

L’Allemand est décontenancé.

—Vos bagages, monsieur, où sont-ils?

—Là, monsieur, sous mon lit et sur cette planche.

Si c’est le Lièvre effrayé qui opère, il rougit jusqu’aux oreilles, qu’il a très grandes. Si c’est Barzinque, brute épaisse, il tire à lui la cantine et l’ouvre sans scrupule. Il remue tout, déplie le linge, plonge les doigts dans les poches des vêtements, ouvre les boîtes et farfouille à plaisir. Seule, la colère de ne rien trouver le trouble. Le Lièvre effrayé, lui, procède plus vite et plus sommairement. Ces bassesses indignes le gênent. Il pourrait mettre la main sur une boussole sans se rendre compte qu’il touche une boussole. Il a hâte de s’acquitter. Il exécute l’ordre, parce qu’il est soldat, mais il l’exécute mal. Et puis, il ne nous croit pas assez nigauds pour laisser traîner nos secrets dans une malle.

Le plus délicat reste à accomplir.

—Monsieur X***?

—Présent.

—Je dois vous fouiller aussi.

—Faites, faites.

Le prisonnier se lève, se plante devant le Boche, et attend. Barzinque n’hésite pas. Le Lièvre effrayé voudrait bien s’en aller.

—Votre portefeuille, je vous prie?

—Prenez-le.

Le prisonnier ne bouge pas. S’il ne savait pas que son impassibilité écrase l’Allemand, il poufferait.

—Vous n’avez plus rien, monsieur?

—.....

—Vous avez une carte et un kompass (boussole)?

—.....

—Vous avez aussi de l’argent allemand?

—.....

—Le colonel dit que, si vous les donnez, il ne vous punira pas. Mais, si vous ne les donnez point, vous recevrez des arrêts de rigueur, et toute la chambre comme vous.

—.....

La cérémonie est terminée. Fut-elle plus sinistre que ridicule? Quand Barzinque s’en va, fier comme un âne qui porte un sac d’éponges, ou quand le Lièvre effrayé s’éloigne en se cognant à tous les meubles, tant il est confus, tous les prisonniers de la chambre éclatent de rire, et quelqu’un conclut toujours:

—On les aura.

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* *

Les officiers de l’armée française ont à mainte reprise rendu hommage au dévouement de leurs ordonnances. Mais quel hommage ne devons-nous pas aux nôtres, nous, officiers prisonniers? A Vöhrenbach, ils étaient une trentaine de soldats, et presque tous ne méritent que des éloges. Certes, quelques-uns ne faisaient pas toujours un joli métier, quand ils espionnaient pour le compte de la kommandantur. Hélas! la faim est mauvaise conseillère, et nous les oublierons, ces malheureux, pour donner toute notre gratitude aux autres. Car les autres étaient magnifiques.

Il n’y avait pas d’évasion d’officier où ne fût mêlée au moins une ordonnance. Souvent, le soldat quittait le grenier pour s’installer dans le lit d’un lieutenant, ou bien, revêtu d’une capote prêtée, il se glissait parmi nos rangs au moment de l’appel. Il dépensait des prodiges de ruse, pour tromper les Allemands et tromper aussi certains camarades à l’affût. Il n’ignorait pas ce qu’il risquait, la cellule et le retour dans un camp de troupe, bagne horrible. Mais il risquait tout d’un cœur ardent.

Et quelle insolence dans leur attitude en face des geôliers! Ils avaient de splendides audaces. L’Allemagne les habillait de façon à les rendre minables et souvent grotesques. Elle leur posait sur les bras et les jambes une bande à la peinture rouge. Ils grandissaient d’autant. O soldats de chez nous, si simples sur le champ de bataille, si dignes dans les camps d’esclavage! Comment noter cet héroïsme de toutes les heures dont vous ne vous relâchiez jamais et cette vertu française qui flambait en vos yeux tristes?

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* *

Quelquefois, une animation fébrile pénétrait au camp de Vöhrenbach, je veux dire parmi nos gardiens. C’est lorsqu’on attendait la visite d’un secrétaire de quinzième classe de l’ambassade d’Espagne. On balayait, on lessivait, on astiquait, on corsait l’ordinaire du jour, on hurlait, on chambardait tout. Cependant les prisonniers souriaient, dédaigneux du spectacle qu’on préparait.

Mise en scène parfaite. On gardait les apparences d’une haute impartialité. L’envoyé du roi Alphonse entrait à la Kommandantur, causait avec ces messieurs, se faisait montrer tous les locaux, examinait les poubelles, goûtait la purée de choux, admirait le paysage, et constatait que l’air de la Forêt-Noire est un air très sain. Après quoi, dans la chambre du colonel français assisté des chefs de bataillon, les prisonniers délégués par leurs camarades soumettaient leurs réclamations au secrétaire de l’ambassade. On avait toute liberté pour se plaindre. Les Allemands n’assistaient pas à l’entretien. A quoi bon? Le secrétaire prenait des notes, et, la séance terminée, allait présenter ses observations respectueuses à la kommandantur. Quand il s’en allait, il nous laissait de belles promesses; puis, comme par hasard, les officiers qui s’étaient plaints faisaient partie du prochain convoi pour un autre camp.

Qu’est-ce que l’Allemagne pouvait craindre des remontrances espagnoles, si les remontrances espagnoles se produisaient? L’Allemagne ne se soucie pas plus du jugement des neutres que des condamnations de l’histoire. Lorsque des bandits sont devant la cour d’assises pour avoir égorgé une dizaine d’innocents, il serait plaisant de leur rappeler la boutade célèbre: «Méfiez-vous de l’assassinat. Il conduit au vol, et de là à la dissimulation.» L’Allemagne se fichait des reproches oiseux. Entre deux visites de l’envoyé du roi Alphonse, nous portions des lettres de protestations à la Kommandantur. Monsieur le Censeur souriait et les fourrait au panier.


à Henry de Forge

CHAPITRE XVIII

LES ÉVASIONS

La vie des officiers prisonniers était assez insupportable pour que tous n’eussent qu’un désir constant et qu’un rêve: s’évader. Au premier abord, puis à la réflexion, l’entreprise paraissait le plus souvent impossible. Quel espoir de déjouer la surveillance des gardiens, de nuit et de jour, quand un épais réseau de fils de fer vous entoure et qu’une sentinelle est installée de trente en trente mètres le long de la barrière? Comment franchir tant d’obstacles? La raison démontrait la vanité du rêve. Et le rêve s’obstinait. Une seule issue: le hasard, mais guetté, cherché, provoqué, et voulu. Quand on examine la solidité du filet qui nous enfermait, on ne comprend pas que tant de prisonniers aient pu en sortir. Car, si le nombre est restreint de ceux qui ont passé la frontière, le nombre est considérable de ceux qui ont quitté leur camp. Beaucoup ont échoué au-delà. Il faut des forces peu communes pour arriver jusqu’au bout. La volonté ne suffit pas à soutenir dans l’épreuve un corps fatigué par un régime déprimant. Combien de malheureux, qui avaient parcouru à pied des centaines de kilomètres à travers l’Allemagne, sont tombés épuisés à quelques pas de la frontière suisse!

L’échec ne décourageait pas. En l’espace de deux mois, un lieutenant a tenté trois évasions. En quatre ans, le capitaine Derache, des chasseurs, ne s’est jamais résigné au sort des captifs, et c’est au douzième essai qu’il a réussi. On rapportait de lui une évasion sublime. Il était prisonnier dans un camp des bords de l’Elbe. Les environs étudiés, il se prépara. Seul, sans aide et sans confident, il creusa une galerie que nul ne soupçonna. Il l’étayait de caisses démolies et de boîtes de conserves vides. Il se débarrassait de la terre avec des ruses compliquées. Cette galerie le mena jusqu’à un égout. Le capitaine Derache s’équipa et partit. Longtemps, il marcha dans les immondices. Il apercevait une clarté au bout de l’affreux chemin. Hélas! tout s’écroula. Comme dans la scène des Misérables, une grille fermait la sortie de l’égoût. De l’autre côté, c’était le jour, l’Elbe et la liberté. Mais la grille, scellée au mur, en haut, à droite et à gauche, barrait la route. Que faire? Le capitaine secouait la grille maudite. Elle tenait bon. Soudain il sentit que par le bas elle n’était pas scellée. Sans hésiter, il s’enfonça dans les ordures, plongea, se glissa sous la grille, piqua une tête vers l’Elbe, traversa la rivière à la nage, et se redressa. Il était libre. Tant de courage méritait une meilleure récompense. Malheureusement, deux jours plus tard, le capitaine Derache rencontra des gendarmes. Il reçut deux balles au bras, fut repris, et, parce qu’il avait commis un crime immense, on l’enferma dans une forteresse, où, pendant six mois, on le tint au secret.

Il y eut des évasions tragiques. A Villingen, un officier russe fut tué par une sentinelle. Les sentinelles criaient: «Halte!» une seule fois, et tiraient. D’autres tentatives, vite connues dans les autres camps, causaient des joies délicieuses. Ainsi l’évasion de ces vingt-sept officiers qui, la même nuit, sortirent par une fenêtre d’un des forts d’Ingolstadt, traversèrent à la nage le fossé d’eau qui entourait la prison, et gagnèrent tous la campagne, sans éveiller l’attention des gardiens. Pour que la kommandantur ne s’inquiétât pas de leur santé, ils lui laissèrent un bref billet et l’informèrent qu’ils s’en allaient en emmenant avec eux une ordonnance, «pour leur cirer les chaussures». Impertinence bien française.

Ces événements étaient une de nos grandes distractions. Longtemps à l’avance, on savait quel officier «travaillait» son projet, et l’on discutait entre amis les chances du camarade. Une évasion se montait avec autant de soins qu’une offensive du front, mais nous disposions de moyens limités. L’art consistait à faire tout avec rien. La question des vêtements était la moindre. Il y avait toujours dans les camps des pantalons, des vestons et des casquettes ou des chapeaux. D’où venaient-ils? Où se cachaient-ils? Mystère. Autant de problèmes dont la solution nous importait peu. Nous avions aussi des cartes, des boussoles, de l’argent boche. Il ne restait plus à démêler que le point principal: sortir du camp. Ici chacun gardait pour soi son idée. Et les imaginations avaient du travail.

Celui qui pouvait s’aboucher avec une sentinelle, se faufilait à une heure convenue sous les fils de fer, quand l’homme acheté était de faction. Procédé très simple, dont l’efficacité ne dura point. En effet, après chaque évasion, la Kommandantur augmentait le nombre des sentinelles, et bientôt elles furent si rapprochées les unes des autres qu’il fallait la complicité de trois d’entre elles pour passer: la corruption devenait pour ainsi dire chimérique.

En outre, j’ai observé que de nombreux camarades, qui comptaient sur les factionnaires, étaient presque toujours repris au milieu même du réseau. Et je me demande si les Boches, au dernier moment, ne se ressaisissaient pas: ils avaient reçu déjà un peu de pain, quelques boîtes de conserves, ils n’espéraient peut-être plus rien du prisonnier qui s’évadait, et ils avaient à gagner en prévenant la Kommandantur.

Le mieux était de sortir de toute autre façon. Un matin, alors qu’un brouillard très épais couvrait tout le camp, un capitaine résolut de tenter froidement la chance. Entre deux guérites, il coupa les fils de fer avec une cisaille. Personne ne le voyait, il ne voyait personne et il n’entendait rien. Patatras! Le dernier fil coupé, il se trouva nez à nez avec un Boche qui faillit lui marcher dessus. Le scandale fut moins grand que vous ne présumez. Le capitaine aurait dû être traduit en conseil de guerre, à cause du bris de clôture dont il s’était rendu coupable. Mais la Kommandantur ne lui infligea que quatorze jours d’arrêts de rigueur, parce que la cisaille avait été vendue par la kantine.

Les déguisements avaient des adeptes. On racontait des histoires merveilleuses propres à susciter des imitations. Les anciens nous disaient qu’à Mayence, un lieutenant français était sorti de la citadelle par le porche, en plein midi. Les hommes de garde lui avaient même rendu les honneurs. Quoi d’étonnant, puisqu’il portait une tenue très correcte d’officier allemand, et jusqu’au sabre? Ailleurs, un capitaine s’était habillé en ecclésiastique sans se faire remarquer, il avait frappé à la kommandantur et, se présentant comme un prêtre suisse, chargé par la Croix-Rouge de visiter les prisonniers, ainsi qu’en témoignaient ses papiers en règle, il avait parcouru son camp en compagnie des officiers boches. On lui avait tout montré. Il s’était entretenu avec quelques-uns de ses camarades, il avait inscrit des notes sur son carnet, et toute la kommandantur le reconduisit jusqu’à la porte avec les marques du plus profond respect.

A Vöhrenbach, les déguisements furent moins romanesques, mais aussi curieux. Le plus commun était celui de nos ordonnances, qu’on surveillait un peu moins que les officiers. Toutes les après-midi, vers deux heures, une dizaine d’ordonnances, conduites par deux soldats allemands en armes, allaient chercher à la gare les colis arrivés par le train du jour. Elles emmenaient une charrette à bras. A la gare, on ne les serrait pas de si près qu’une fuite fût très malaisée. C’était un bon hasard à courir. Un lieutenant le courut. Il s’échappa. Mais on remarqua sa disparition au moment de rentrer. Il n’avait pas eu le temps d’aller très loin. On le reprit. Et l’ordonnance, qui lui avait prêté ses vêtements, fut expédiée vers un camp de troupe.

Rien de plus délicat que de franchir ces terribles fils de fer. L’homme le plus courageux ne s’y essayait qu’en tremblant, non point de la crainte des sentinelles et de leurs fusils, mais de la peur de ne pas réussir. Au dernier moment, les genoux fléchissent, la sueur coule sur le front, le cœur bat violemment. Et, à peine sorti du dangereux passage, brisé déjà par cet effort, le prisonnier va courir tous les dangers. A vol d’oiseau, le camp de Vöhrenbach n’est guère à plus de quarante kilomètres de ce point de la frontière suisse qu’on appelle la boucle de Schaffhouse. Mais le pays est montagneux, ce qui ne rend pas la marche facile. En outre, toute cette région est fortement gardée. Des patrouilles de gendarmes, à cheval ou à bicyclette, parcourent les routes. Il ne faut pas songer à se risquer sur les chemins ou les sentiers muletiers. Les douaniers ont aussi leur zone de surveillance. Des réseaux de fils de fer entravent les issues naturelles. Des chiens policiers aident les gendarmes et les douaniers. Ils constituent l’écueil le plus rude. Comment dérouter un chien? En frottant d’ail la semelle des chaussures? Mais le procédé n’est pas infaillible. Et à tous ces obstacles matériels, ajoutez la fatigue physique et morale qui courbe les épaules, coupe les jarrets et trouble l’esprit. Le prisonnier voit partout des gendarmes. La fièvre le tient. Le plus souvent, quand il échoue, il a les yeux hagards et le rire nerveux de l’homme touché par la folie.

Un jour, un lieutenant était à bout de forces. Instinctivement, malgré les conseils de la plus élémentaire prudence, il se sentait attiré par la route. Depuis quarante-huit heures, il n’avait mangé que des limaces et des herbes, et la frontière était à douze kilomètres de lui. Il s’effondra dans un fossé et il pleura. La machine refusait de lui obéir, et sa volonté elle-même faiblissait. Allait-il crever là? Il renonça, et, se levant pour un dernier coup de collier, il n’eut assez de ressort que pour arriver jusqu’à une ferme. La fermière était seule. Le lieutenant parlait l’allemand comme un maître. Il demanda à manger. La fermière lui servit une omelette au lard. Le malheureux renaissait. Aurait-il pu, si légèrement restauré, reprendre sa marche? C’est douteux. Mais le quart d’heure de Rabelais l’obligea à se découvrir.

—Je ne peux pas vous payer. Je n’ai pas d’argent. Je suis officier français et je me suis évadé.

La fermière sourit.

—Vous plaisantez. Vous, un officier français? Racontez ça à d’autres, pas à moi.

—Je vous en assure.

—Vous parlez trop bien l’allemand.

—Je vous ai dit la vérité.

Les gendarmes vinrent chercher le lieutenant dans cette ferme. S’il avait eu quelques marks en poche, il était sauvé.

La réussite d’une évasion ne tient parfois qu’à un fil.

Un capitaine, qui parlait l’allemand sans difficulté et pour cette raison n’avait pas hésité à prendre le train, comme un vulgaire civil, était attablé dans un hôtel de Cologne. Nul ne soupçonnait qu’il fût un prisonnier en promenade. Il avait commandé correctement son repas, et la kellnerin ne lui avait rien trouvé de suspect. Elle lui apporta le premier plat.

Danke sehr, dit le capitaine.

La kellnerin le regarda d’un air surpris, sans plus.

Au plat suivant:

Danke schön, dit le capitaine.

Cette fois, la kellnerin se rendit à la caisse. La caissière prévint le gérant. Le gérant sortit. Bref, au dessert, interrogé par un gendarme, le capitaine dut s’avouer vaincu. Et savez-vous ce qui avait éveillé l’attention de la servante? Peu de chose: la politesse de l’officier français. En effet, dans un hôtel, dans un restaurant, dans une brasserie, jamais un allemand ne dit «merci beaucoup» ou «merci bien» à une kellnerin. Cela ne se fait pas. On tolère à la rigueur un «merci» tout court, un Danke brutal, mais il est plus élégant de se taire. Ainsi l’exige la bienséance boche. Le capitaine paya cher sa politesse.

De même, mais ceci se conçoit avec moins de peine, un lieutenant se fit reconnaître et arrêter au guichet d’une gare, tandis qu’il demandait son billet. Pourtant il parlait bien l’allemand, mais son allemand était trop livresque. Il lui manquait cette souplesse du langage familier. En France, vous dites à l’employé de l’Ouest-État:

—Auteuil, deuxième, retour.

Vous ne lui dites pas:

—Voulez-vous me délivrer un billet de deuxième classe, aller et retour, à destination d’Auteuil?

Le lieutenant fut repris comme l’avait été le capitaine.

Pour ceux qui restaient, les évasions étaient d’admirables sujets de joie. La colère des Boches nous amusait. Ils ne savaient pas la dissimuler. Quand un officier manquait à l’appel, on sentait que le vieil oberst de Seckendorff mourait d’envie de cravacher les autres. Ce qu’il n’admettait pas, cet honnête homme, c’est qu’un prisonnier qui s’évadait fût secondé par ses camarades. J’ai relaté la triple fuite qui eut lieu pendant les représailles, un soir où, à point, l’éclairage de la cour avait refusé de fonctionner. Seckendorff devint fou. Il fit installer deux nouvelles lampes à arc. Il fit placer des sentinelles dans tous les corridors de la prison. Les chambres 9, 11 et 15, convaincues d’avoir aidé au malheur de la Kommandantur, furent consignées. On leur imposa des appels supplémentaires. On défendit de fumer aux officiers de la Stùbe 15, parce que l’évadé était un récidiviste dangereux. La fureur du vieil oberst n’avait pas de mesure. Il nous harangua vigoureusement. Mais il revenait à ses moutons:

—Che ne comprends pas... che ne comprends pas...

Il aurait tant voulu trouver moins de fraternité parmi nous! Alors il décida que, sous peine de graves punitions, l’officier le plus ancien de chaque chambre serait dorénavant obligé de rendre compte, à chaque appel, des prisonniers absents.

Les représailles battaient leur plein. Les esprits étaient excités. Un tumulte de protestations se déchaîna parmi nous.

—Ah non!

—Nous ne sommes pas des espions.

—Nous sommes officiers.

—Ça ne se fait pas en France.

—A la gare!

—On refuse.

—Le règlement...

—Saint-Angeau...

Monsieur le Censeur allait tomber d’apoplexie. Il hurla, d’une voix rauque:

—Silence, messieurs!

—On refuse.

—Silence!

Déjà le poste accourait.

Un capitaine s’avança:

—C’est notre devoir d’aider nos camarades à s’évader, comme c’est notre devoir de nous évader nous-mêmes.

Il avait parlé sur un ton calme, mais ferme. L’oberst en fut démonté.

—Oui, oui, certainement, bafouilla-t-il.

Puis, se redressant:

—Mais c’est mon droit de vous punir!

Et tous les prisonniers répondirent en chœur, d’un seul élan:

—Oui, oui.

Cette fois, la ganache ne comprenait plus. D’un geste d’impatience, il nous congédia, mais il ne nous imposa pas l’ordre inadmissible qu’il avait jugé acceptable.

Dès qu’un évadé était repris, la Kommandantur se hâtait de nous annoncer cette bonne nouvelle, car la joie que nous manifestions à chaque fuite l’exaspérait. Mais comment ajouter foi à une nouvelle de source boche? Nous répondions:

—Ce n’est pas vrai.

—Agence Wolff!

Alors, on nous montrait les coupables. Même s’ils avaient été arrêtés à la frontière hollandaise, on les ramenait au camp de Vöhrenbach. De cette façon, nous ne pouvions plus douter, et Monsieur le Censeur et toute la Kommandantur relevaient la tête comme pour nous dire:

—Hein! On ne s’évade pas d’ici. L’Allemagne vous garde bien, mes gaillards!

La punition d’arrêts de rigueur, qu’on infligeait à l’officier repris, n’était fixée par aucun règlement, du moins à notre connaissance. La Kommandantur disposait de nous à son gré, et le criminel «recevait» tantôt sept jours Strengarrest et tantôt quatre semaines, au petit bonheur.

Je viens d’écrire le mot: criminel. C’est en effet sous cet aspect que les évadés reparaissaient aux yeux de la Kommandantur. Car comment expliquer les traitements injustifiés qu’elle leur réservait? On les enfermait au camp dans une petite salle spéciale, mal éclairée, froide, où on ne leur servait que l’ordinaire, où on leur refusait leurs colis et où on leur défendait de fumer. Barzinque s’acquittait de cette mission avec un acharnement sans pareil. Il bousculait l’officier, l’injuriait, et procédait sur-le-champ à la fouille réglementaire avec des gestes de soudard ivre qui viole une enfant. Il poussait un cri de triomphe en confisquant la boussole, la carte, l’argent et les papiers que le malheureux n’avait pas détruits. Un jour, il ouvrait un portefeuille. Il en tira le portrait d’une jeune fille, d’une fiancée. Il s’écria:

—Ah! ces Françaises! Toutes des p...!

Mais il eut raison de se retirer précipitamment sur cette courageuse infamie, car l’officier levait déjà le poing pour l’assommer.


à Jacques Péricard

CHAPITRE XIX

L’HÔPITAL D’OFFENBURG

(Août 1916).

La Kommandantur ayant décidé de m’envoyer d’urgence à l’hôpital, le samedi 22 août 1916 je pris le train pour Offenburg. On me fit accompagner par un soldat qui avait une tête de vieillard ahuri, et qui chargea son fusil devant moi au moment du départ. En outre, le doktor Rueck, médecin du camp, devait me conduire. Il ne connaissait pas Offenburg, et l’occasion lui était bonne d’y aller aux frais du gouvernement.

J’avais déjà vu ces paysages de la Forêt-Noire. Ils ne m’avaient point paru magnifiques. Je les trouvai cette fois tout à fait odieux, car le doktor Rueck, bavard insupportable, ne se lassait pas de m’en vanter les charmes. A ses exclamations, je ne répondais rien, mais il ne désarmait pas. Tout lui était motif à phrases. Visiblement, il désirait m’étonner. Il me montra les blés du plateau de Donaùeschingen et me dit:

—La moisson sera très belle.

—Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, répliquai-je.

Le sens du proverbe lui échappa, et il parla d’autre chose. Il m’apprit que le Danube sort d’un petit ruisseau clair que nous suivions, et qui s’appelle le Begg. La science du médecin me laissait indifférent.

A Donaùeschingen, on changeait de train. En attendant l’express d’Offenburg, je me promenai sur le quai. Les gens me regardaient d’un air curieux, mais sans plus d’hostilité manifeste qu’au mois de mars dernier. L’échec de Verdun, puis la défaite sur la Somme, leur avaient mis du plomb dans l’aile. Des soldats, permissionnaires ou convalescents, me croisaient, me regardaient aussi, et ne disaient rien. Quelques-uns me saluèrent. Le doktor Rueck me souligna cette déférence.

—Chez vous, dit-il, la foule injurie nos officiers quand ils passent.

—Non sans raison, répondis-je. L’Allemagne a attaqué la France. Malgré les déclarations de vos journaux, vous ne l’ignorez pas, monsieur, puisque vous appartenez à l’élite qui pense. Il est donc naturel que les agresseurs ne soient pas l’objet d’ovations enthousiastes, avouez-le.

Le médecin juif n’avoua rien. Il préféra fuir ce genre de discussion en achetant, à la marchande du quai, la Frankfùrter Zeitùng, plus, à mon intention, le Simplicissimus. Il m’en exhiba la première page avec un geste qui signifiait:

—C’est tapé, ça, hein?

Le dessin illustrait cette idée cruelle que l’Angleterre—Dieu la punisse!—se servait de la France comme d’un bouclier. On y voyait un soldat français couvert de blessures, sur un cheval de bois, au milieu d’un réseau de fils de fer. Et un soldat anglais au sourire machiavélique poussait le cheval vers l’ennemi. Rien de plus sournois. Je haussai les épaules.

L’express, entrant en gare, fit diversion.

Le vagon de deuxième classe où nous montâmes avait un couloir central. Tout un compartiment était occupé par une famille belge, deux hommes, quatre femmes, une fillette, qui revenaient d’un camp d’internement et qui retournaient chez eux, à Charleroi, sous la surveillance d’un feldwebel. Je m’inclinai devant ces malheureux. Mon geste ne fut pas du goût du doktor Rueck. Je le sentis à l’arrogance avec laquelle il me commenta le «crime de Carlsruhe». La presse allemande n’était pleine que de cris d’épouvante, d’horreur et de réprobation. Songez que, las de tendre le cou sous les bombardements des villes ouvertes, les Français s’étaient avisés de lâcher quelques bombes à Carlsruhe, capitale du Grand-Duché de Bade. L’une d’elles était tombée sur un cirque au moment d’une représentation, et un grand nombre d’enfants avaient été tués.

—C’est la guerre! répondis-je au médecin, en lui renvoyant une expression populaire dont les Allemands nous fermaient la bouche à chaque instant. Et j’appuyai:

—C’est la guerre que vous avez voulue. Il ne fallait pas nous donner l’exemple en désignant Paris comme objectif à vos avions et à vos zeppelins.

—Mais Paris est une place fortifiée!

—Autant que Carlsruhe.

—Les forts...

—Bombardez les forts qui sont autour de Paris, soit. Mais ne confondez pas Notre-Dame avec un blockhaus de mitrailleuses ou un dépôt de munitions.

Le médecin n’insista pas. Il n’y a pas moyen de discuter avec les Français. D’ailleurs, je discutais en allemand, à voix haute, et il valait mieux que les civils du vagon n’entendissent point les insanités que je débitais. Du moins, j’eus la paix jusqu’à Offenburg, où nous arrivâmes vers onze heures.

Le trésorier du camp de Vöhrenbach, en réglant mon compte, m’avait célébré les splendeurs d’Offenburg, dont la population atteignait le nombre de 80.000 habitants. Le doktor Rueck, de son côté, accusait 18.000 âmes. Un infirmier de l’hôpital, plus tard, descendit jusqu’à 12.000. Quoi qu’il en soit, la ville n’offre au premier abord rien de particulier. Quelconque, elle a des maisons sans caractère. Les boutiques ouvertes sont médiocres. Il y en a beaucoup de fermées. Les boulangeries ont des vitrines vides, et l’on peut compter en passant les quartiers de viande accrochés à l’intérieur des boucheries.

—On a l’air de souffrir de la guerre ici, observai-je devant le médecin, non sans une perfidie légère.

—Oh! non, protesta l’autre. C’est que les ménagères ont fait leurs provisions ce matin.

—Évidemment.

Je n’attendais pas cette explication.

*
* *

L’hôpital où l’on me conduisit, le Garnison-Lazarett, se trouve presque en dehors de la ville. Il se compose de plusieurs bâtiments, de dimensions moyennes, disséminés au milieu d’un grand parc planté de beaux arbres et clos par une haute grille de fer. Les formalités ne traînèrent pas. Le docktor Rueck me présenta au gestionnaire, lui expliqua pourquoi l’on m’hospitalisait et, outre quelques papiers, lui remit mon argent personnel, que la Kommandantur de Vöhrenbach lui avait confié au départ. Les pourparlers terminés, il se retira, non sans me souhaiter, Dieu sait avec quel esprit! d’avoir la visite de mes compatriotes de l’aviation.

La chambre qu’on me réservait, au premier étage du bâtiment central, était petite, et haute de plafond. Une fenêtre s’ouvrait sur le parc. Le lit touchait à la fenêtre. Une table, une chaise de bois, rien de plus. Telle était la cellule où l’on m’enferma à clef. Je venais en effet d’un camp de représailles, et d’emblée on m’accordait le régime des arrêts de rigueur. On plaça une sentinelle dans le corridor, devant ma porte, et, peu de temps après mon installation, j’en vis une autre qui se promenait sous mes fenêtres. On me traitait comme un sujet d’importance.

J’étais arrivé à l’heure du repas de midi. On me servit d’abord une soupe au riz, gluante et fade. Puis on m’apporta deux tranches de veau, et des haricots blancs trop cuits. Mon assiette était pleine à déborder. Cela n’empêcha pas l’infirmier d’y vouloir ajouter une louche de compote d’abricots et de prunes. J’eus toutes les peines du monde à lui faire entendre que ce genre de mélanges ne convenait pas à mes habitudes. Mais ce fut une histoire sans fin pour obtenir une autre assiette. Quant au pain, j’en avais emporté de Vöhrenbach, heureusement.

Un infirmier maigriot, vêtu de blanc et coiffé de la calotte grise de soldat, m’annonça qu’il était à ma disposition. Il parlait une langue bizarre, mi-française, mi-boche. Il avait la mine rusée. Tout de suite, il me raconta ses affaires intimes, sans doute pour m’amener à en faire autant. Je ne démêlai pas bien s’il vivait à Bâle avant la guerre et s’il avait rejoint son poste à la mobilisation, ou si, de naissance suisse, il s’était engagé dans l’armée allemande le 1ᵉʳ août 1914. Mais il ne m’échappa point que le gaillard était infirmier au Lazarett d’Offenburg depuis le premier jour. Il parlait avec une volubilité exaspérante. Il sautait d’un sujet à l’autre, me certifiait que le dernier bombardement de Carlsruhe avait causé des dégâts sérieux, me demandait où j’avais été pris, me pronostiquait la fin de la guerre pour le mois d’octobre, et mêlait tout, comme son collègue mêlait la viande, les haricots et la compote. Je l’écoutais par moments.

Il m’apprit qu’à l’hôpital deux soldats français étaient en voie de guérison, et qu’on y avait eu récemment un lieutenant très gentil, dont il oubliait le nom. Il m’apprit encore que le médecin-chef passait la visite dans la matinée et que je ne le verrais pas avant le lundi matin, parce qu’il se reposait le dimanche. Charmante organisation! Et voyez cette discipline allemande: on n’a pas le droit d’être malade le dimanche. De ce verbiage à mécanique, je retins que le Suisse offrait de m’acheter, à la kantine ou en ville, tout ce que je désirais. Je le chargeai de retirer mon argent au bureau de l’hôpital et de me procurer tous les matins la Frankfùrter Zeitùng.

Le personnel féminin de l’hôpital comprenait des infirmières de la Croix-Rouge, dames ou jeunes filles d’Offenburg, et des diaconesses, qu’on appelle Schwester, sœur. Le Suisse me prévint, avec un rire gras, que les infirmières ne s’occuperaient pas de moi. A deux heures, ce fut en effet une Schwester qui entra chez moi. Elle était petite, mince, souriait toujours, et ne savait pas un mot de français.

Wie geht’s? fit-elle d’une voix chantante. Et elle me posa sur mon état de santé des questions précises.

Elle portait au bras un panier plein de morceaux de pain. Elle m’en posa un sur le coin de la table, pendant qu’un infirmier me versait un immense verre de café au lait.

La mixture était une triste lavasse, mais en somme la nourriture avait ici un mérite d’abondance que le camp de Vöhrenbach ignorait. Je profitais, il est vrai, du régime des soldats allemands soignés au Lazarett; toutefois, je notai que le gouvernement impérial et royal, s’il rationnait avec âpreté les civils, gâtait en revanche ses troupiers, blessés ou malades, avec une habileté remarquable. A l’hôpital d’Offenburg, on mangeait. Cuisine boche et cuisine de guerre, bien entendu, dont un Français s’accommode mal, mais cuisine copieuse. Le soir de mon arrivée, à six heures, j’eus de la semoule, des pruneaux et du thé. J’ai dit ailleurs que l’Allemand, même en temps de paix, se contente d’un repas léger pour finir la journée, et, le plus souvent, d’un peu de charcuterie. Et nos coutumes sont différentes.

Il n’y avait pas le moindre éclairage dans ma chambre. La nuit tombée, il ne me restait que la ressource de dormir. En Allemagne, on dort au commandement.

*
* *

La captivité en commun ne pousse pas l’homme à cette dionysie chantée par leur Nietzsche. La réclusion dans une chambre d’hôpital, croyez-vous qu’elle incite aux molles rêveries? Le soldat, meurtri dans sa chair, qu’on laisse seul en face de la solitude, tout à ses chagrins intimes, sur quoi se greffent l’horreur de l’exil et l’incertitude de l’avenir, que voulez-vous qu’il fasse pendant une longue journée de dimanche? J’avais emporté quelques livres de Vöhrenbach. Pas un ne fixa ma pensée. Depuis l’aurore, j’étais debout. La fenêtre, ouverte sur le parc, ne me donnait vue que sur des arbres de premier plan. Spectacle émouvant s’il en fut.

La Frankfùrter Zeitùng me tira de l’engourdissement. En cette fin de juillet, la lecture d’un journal était un réconfort à ne pas négliger. L’offensive de la Somme inquiétait les Boches. L’offensive russe d’autre part les occupait aussi. Les critiques militaires pataugeaient dans des dissertations vaseuses qui sentaient le désastre de vingt lieues. Quinquina de qualité supérieure pour un prisonnier.

Au lavabo, qui se trouvait en face de ma chambre et dont je n’étais séparé que par un étroit couloir, je rencontrai l’un des deux soldats français dont le Suisse m’avait parlé. Côte à côte sous les robinets bruyants, au milieu des Boches, à moitié nus comme nous et comme nous penchés sous l’eau froide, nous causions. Je lui résumai le communiqué du jour. Il me regardait avec des yeux hagards.

—Qu’y a-t-il? lui demandai-je.

—Nous avons attaqué? me demanda-t-il à son tour.

Ce fut moi qui demeurai stupide.

—On ne nous a rien dit, fit-il encore.

—Comment! vous ne savez pas que les Français et les Anglais mènent la vie dure aux Boches depuis le 1ᵉʳ juillet?

—Non, nous ne savons rien. Nous sommes pourtant ici depuis deux mois. Mais on ne nous a rien dit. N’est-ce pas, nous ne comprenons pas l’allemand, nous autres. Alors, on ne sait rien.

J’emmenai mon compagnon dans ma chambre, et, dépliant sur le lit les cartes que j’avais moi-même consultées peu d’instants avant, je lui révélai en gros les résultats obtenus par les Anglais, et par les Russes, et par nous. Le malheureux était fou de joie. Il ne me quittait pas du regard.

—C’est bien vrai, mon lieutenant?

—Comment? Si c’est vrai? Voyez la carte, ces lignes successives en rouge, en bleu, en jaune. Est-ce que vous croyez que je suis fou?

—Ah! c’est si beau, qu’est-ce que vous voulez, on ne peut pas y croire tout de suite. Il faut réfléchir. Alors, ils n’ont pas dépassé Verdun?

Un gouffre s’ouvrait devant moi.

—Dépassé Verdun? fis-je. Mais ils ne l’ont jamais pris.

—Pas pris? Ça, c’est épatant.

—Ils vous ont dit qu’ils l’avaient pris?

—Il y a belle lurette, mon lieutenant.

Et, soudain:

—Vingt-deux! dit-il. Voilà la sœur. Je m’en vais. Qu’est-ce qu’elle va me casser!

La Schwester avait la mine courroucée. Grande, large, la figure épaisse, les yeux durs, la voix rude, c’était un cuirassier déguisé en religieuse. Elle parlait le français, celle-là, et très bien. Elle marcha sur moi.

—Vous lisez l’allemand? dit-elle, sur un ton de colère.

—Oui, madame.

—Qui vous a donné ce journal?

—Je l’ai acheté.

—Ah!

Elle allait dire autre chose, mais elle se ravisa, et elle sortit après m’avoir servi, comme à regret, un bol de bouillon. Madame la diaconesse ne semblait pas avoir inventé la charité chrétienne. La petite Schwester de la veille était plus sympathique.

Wie geht’s?

Elle revint dans l’après-midi, à deux heures, avec son même sourire et sa même voix chantante. Elle m’apportait le café au lait, le pain, et trois gâteaux secs. Un feldwebel d’administration l’accompagnait. Il me compta six biscuits de guerre, marque Vendroux, et me demanda d’émarger sur un cahier. La Schwester m’expliqua que ce Liebesgabe (don d’amour) était offert aux prisonniers par la Croix-Rouge française.

L’hôpital devenait un paradis. Je regorgeais de biens. Le Suisse présuma que je lui abandonnerais le Liebesgabe; mais j’appelai mon compagnon du lavabo. Il entra timidement.

—La sœur ne vous a rien dit? fit-il.

—Non. Pourquoi?

—Elle nous a défendu de vous parler, et elle a dit que, si elle nous voyait avec vous, elle nous punirait.

—Alors, sauvez-vous! Et emportez ça, vite!

Mais il ne se hâtait pas de ramasser les biscuits, les cigarettes, et les quelques friandises que je lui avais préparées. Je lui conseillai de ne pas s’attarder chez moi.

—Oh! fit-il, moi, je m’en f...

La méchante Schwester, bien allemande, joignait donc la sournoiserie à la haine. Pourquoi menacer mes compatriotes moins élevés dans la hiérarchie militaire, et pourquoi ne pas même m’informer de sa décision?

Mais il était écrit que j’en verrais d’autres encore.

Vers quatre heures, je lisais. Ma porte s’ouvrit. Je me retournai. La grande diaconesse entra, et je me levai. Elle introduisit chez moi une madame savamment endimanchée, qui me contempla comme on contemple un tigre dans une ménagerie. Je fis demi-tour sans rien dire, et repris ma lecture.

Une demi-heure plus tard, la même scène recommença, pour une nouvelle visiteuse. J’étais le phénomène de l’endroit. Mais je n’avais aucune envie de me prêter à ce genre de sport. Je dis à la Schwester:

—Madame, un officier français n’est pas ici pour servir d’amusement aux dames d’Offenburg. Vous n’avez pas compris mon geste de tout à l’heure. C’est pourquoi je mets les pieds dans le plat. Je vous prie de me laisser en repos; sinon, je vous expulserai, au mépris de vos règlements, et je me plaindrai auprès de la Croix-Rouge de votre conduite un peu trop singulière pour une Schwester.

Déjà, elle sortait. Je la suivis, et, m’adressant à la sentinelle qui se pétrifia au garde-à-vous:

—Quant à toi, si tu laisses entrer un civil chez moi, tu auras de mes nouvelles.

Zùm Befehl, Herr Leùtnant! (A vos ordres, monsieur le lieutenant).

Car c’est de cette façon qu’il faut parler à ces gens-là.

*
* *

Le lundi matin, monsieur le médecin-chef de l’hôpital d’Offenburg daigna s’occuper de moi. Il m’examina sommairement, dicta des ordres à son aide, et m’autorisa à prendre des bains. Pendant qu’il jetait un coup d’œil sur les bouquins de ma table, je lui demandai si le bureau du Lazarett pourrait m’envoyer l’argent que je lui réclamais depuis l’avant-veille. Il me promit la terre et la lune; mais, comme il aperçut que je possédais un exemplaire de la Germania de Tacite, acheté à la kantine de Vöhrenbach, il se retira assez précipitamment et tout le monde avec lui, y compris les deux Schwester, la petite, qui souriait, et la grande, qui était renfrognée.

Tout s’acharnait contre moi dans cet hôpital: l’infirmière chrétienne, parce que je lisais la Frankfùrter Zeitùng, et le médecin militaire, parce que j’avais le texte d’un opuscule terrible. Je devinai que le bon vieux Gott me chasserait de ce paradis.

Chaque matin, on m’appliquait le traitement prescrit. On y mettait cinq minutes, mais je ne désirais pas qu’on me frictionnât tout le corps avec des parfums d’Arabie.

Le lundi soir, j’attendais encore mon argent. J’envoyai une lettre réglementaire au médecin-chef du Lazarett. Le mardi soir, j’attendais mon argent et la réponse du médecin-chef. Je lui envoyai une nouvelle lettre, un peu plus sèche. Le mercredi soir, j’attendais toujours. Cette fois, j’écrivis une lettre violente.

Enfin, le jeudi matin, j’obtins satisfaction. A huit heures, le gestionnaire vint lui-même, avec mille excuses, me délivrer ce qui m’appartenait. Mais, à neuf heures, le médecin-chef entra dans ma chambre, m’examina plus sommairement que la première fois, si possible, et m’annonça que je partirais à midi. C’était clair.

La petite Schwester souriait.

—Déjà guéri? fit-elle.

—Oh! oui, lui répondis-je. On guérit vite dans les hôpitaux allemands.

Et, me tournant vers la grande:

—N’est-ce pas, madame?

Elle ne répliqua point. Elle souriait aussi.

L’infirmier suisse était désolé. Au moment où il allait pouvoir réaliser quelques bénéfices, je partais. Il m’aida à préparer ma valise. Je voyais qu’il brûlait de me poser une question.

—Qu’est-ce qu’il y a? Dites.

Il tira de sa poche un immense mouchoir à carreaux.

—Vous abbelez ça un mouchoir de boche?

—Oui.

—Et aussi les Allemands, vous les abbelez des Boches?

—Oui.

—Alors, vous abbelez ça un mouchoir de Allemand? Bourquoi? Bouvez-vous m’exbliquer?

Je crus qu’il se moquait de moi. Mais il tenait son sérieux, et je tins le mien.

—Vous confondez. L’Allemand, c’est un Boche, oui.

—Oui, oui.

Comme je regrettais que le doktor Rueck et la Kommandantur de Vöhrenbach ne fussent pas là!

—Et le mouchoir, c’est un mouchoir de poche.

—Oui, de boche.

—De poche.

—Oui, de boche.

—Vous prononcez mal.

—Je ne combrends bas, dit-il, découragé.

—Moi non plus, mais ça n’a aucune importance.

Je quittai le Lazarett sur cette scène de comédie, sans revoir les deux convalescents français. Un soldat en armes m’accompagna. Il porta ma valise jusqu’à la voiture que j’avais commandée. Quel équipage! La calèche, en assez bon état, construite pour être attelée de deux chevaux, n’avait qu’une haridelle d’un seul côté du timon. Le cocher me salua respectueusement. Je me mordais les lèvres. Tout l’hôpital était aux fenêtres ou devant la porte. Je m’en allai content, puisque le médecin-chef avait affirmé que j’étais guéri.


à Claude Farrère

CHAPITRE XX

LA FAIM EN ALLEMAGNE

On a remarqué sans doute que, dans les premières pages de mon journal de captivité, j’ai relevé avec soin les menus que les Allemands nous offrirent. Prisonnier, je n’attendais point qu’on me traitât en prince. Mais j’avais lu si souvent que l’Allemagne se consumait du manque de vivres, que je voulais m’en assurer. Or on ne nous avait pas bourré le crâne, voilà ce qu’il faut que je reconnaisse sans détour.

Certes, à la citadelle de Mayence, pendant que nous subissions la quarantaine de rigueur, on nous gâta, c’est indéniable. Ce qu’on nous servait à chaque repas n’était ni mauvais, ni insuffisant. Si ce régime avait duré, jamais je n’aurais cru à la faim allemande, car, pour nourrir ainsi des prisonniers, il apparaissait que l’Allemagne ne se privait pas. Mais ces jours d’abondance ne se prolongèrent point. Je l’ai déjà dit. Je n’y reviendrai pas. Exception faite pour l’hôpital d’Offenburg, où j’étais sur le même pied que les blessés allemands, tout au moins quant à la nourriture, je dois déclarer que les jours de Mayence furent des jours miraculeux.

Pendant toute ma captivité, j’ai copié tous les menus du camp de Vöhrenbach. Une ardoise nous annonçait dès le matin les surprises que la Kommandantur nous réservait. J’ouvre au hasard mon petit calepin noir, et voici le programme exact et complet d’une semaine entière:

Octobre 1916:

Lundi, 2: matin = potage
choux rouges
pommes de terre en robe
une pomme
  soir = soupe aux légumes
carottes et pommes de terre
Mardi, 3: matin = potage
bœuf bouilli
pommes de terre en robe
betteraves
une pomme
  soir = pommes de terre au persil
Mercredi, 4: matin = potage
poisson bouilli
pommes de terre en robe
compote
  soir = choux bouillis
Jeudi, 5: matin = Choux-fleurs à l’eau
pommes de terre en robe
une pomme
  soir = carottes et navets.
Vendredi, 6: matin = potage
poisson bouilli
pommes de terre en robe
une pomme
  soir = semoule
marmelade
Samedi, 7: matin = potage
ragoût de mouton
  soir = pommes de terre en robe
salade verte
Dimanche, 8: matin = potage
chevreuil rôti
pommes de terre en robe
  soir = cacao
fromage

Avant de vous émerveiller sur les magnificences relatives de ce tableau, permettez-moi de vous présenter quelques observations.

D’abord, dans cette semaine, combien de fois avons-nous eu de la viande? Deux fois, car il sied de ne pas faire compte du ragoût de mouton, qui ne contenait pas plus de morceaux de mouton qu’un gigot de pré salé ne contient de pointes d’ail en pays de langue d’oïl. Encore est-il bon que vous sachiez que la tranche de bœuf ou de chevreuil, qui revenait à chacun de nous, n’aurait pas contenté un enfant de quatre ans. Vous avouerez que c’est maigre. Cependant, nous eûmes deux fois de poisson, il est vrai, et j’ajoute que ces deux poissons furent le seul aliment substantiel de toute cette semaine. Mais tels qu’on nous les servait, nous ne pouvions pas les manger, car ils sentaient la vase et n’étaient cuits que dans l’eau douce, et nous étions obligés de les accommoder sur nos réchauds, si nous voulions en tirer parti.

Le caractère de cette cuisine était de n’exiger du cuisinier aucune aptitude professionnelle. La viande, le poisson et les légumes, tout était cuit à l’eau, toujours à l’eau. Rien de plus. Pas un gramme de beurre, pas un gramme de graisse, pas un gramme d’un produit quelconque analogue à la cocose ou à la végétaline, et pas une goutte d’huile ne tombait dans les marmites. Essayez de vous représenter ce que peuvent avoir d’appétissant, préparés de cette manière, si c’est là une préparation, des choux rouges, ou des betteraves, ou un mélange de carottes et de navets, ou des choux-fleurs. Avez-vous déjà mangé de la salade sans huile et sans vinaigre? Je croyais que les lapins monopolisaient ce régal. Tendriez-vous le bras pour une nouvelle assiettée d’un potage éternellement Kubb ou Maggi? Et surtout, vous suffirait-il à dîner de cette mixture innommable qu’est une bouillie de semoule accompagnée d’une marmelade acide? Et surtout, et surtout, enfin, feriez-vous vos beaux dimanches de ce menu du soir que je vous recommande: deux bouchées de fromage de gruyère et une tasse de cacao à l’eau? Pour terminer, et afin de répondre à l’objection que vous me feriez en me rappelant que des pommes de terre, faute de mieux, constituent un plat consistant, je vous révèlerai que chaque rationnaire n’avait droit qu’à une livre de cette précieuse denrée, soit, par repas, trois kartoffeln de taille moyenne et souvent plus ou moins avariées. Et maintenant, je vous demande de relire ce tableau de notre alimentation, pendant la semaine du 2 au 8 octobre 1916. Aucun élément ne vous manquera pour juger. Mais je ne crains plus vos objections, et vous vous écrierez:

—Mais vous mouriez de faim! Mais on vous traitait comme des pourceaux! Et c’est pour cette cuisine qu’on vous retenait cinquante-quatre marks par mois?

Oui, pour cette cuisine. Car, si, pendant les premiers mois, on nous donnait au réveil une espèce de liquide terne qu’on appelait café au lait et qui n’était supportable qu’à la condition de le sucrer et de l’allonger de lait condensé, nous dûmes bientôt payer un supplément quotidien de quinze pfennigs pour prétendre à ce nectar.

Tel était l’ordinaire du camp de Vöhrenbach. Et vous avez raison: sans les colis de victuailles qui nous arrivaient à peu près régulièrement de France, nous serions morts de faim.

Une question se pose: l’Allemagne pouvait-elle faire plus pour les prisonniers? N’était-elle pas elle-même trop gênée pour songer aux autres avant de songer à ses fils? Je ne sais pas si vraiment elle ne pouvait pas faire plus pour nous. Il est difficile d’établir la mesure exacte de ses ressources. Mais je sais ce que j’ai vu et j’ai vu qu’une gêne réelle pesait sur elle en 1916. Faut-il penser que c’est pour s’abîmer en des études de chimie organique que certaines sentinelles du camp de Vöhrenbach se penchaient sur les poubelles où des officiers prisonniers jetaient leurs pauvres restes? Faut-il penser que c’est par amour de l’humanité que ces mêmes sentinelles, pour quelques boîtes de conserves et une miche de pain, consentaient à l’évasion de ces mêmes officiers? Mais je veux rapporter deux anecdotes.

A la fin de mois de juillet 1916, venant de l’hôpital d’Offenburg et rentrant au camp de Vöhrenbach, j’arrivai en gare de Donaùeschingen au crépuscule. J’avais une heure à attendre avant de repartir. Un soldat allemand m’accompagnait. Il m’accorda la permission de dîner à mes frais au buffet de la gare, et il s’installa à la même table que moi, un bock de bière sous le nez et le fusil chargé entre les jambes. Une vingtaine de civils jouaient déjà des mâchoires. Pour la première fois, je me trouvais dans une salle de restaurant. J’étais curieux de consulter la carte du jour. Il n’y en avait point. Le dîner était à menu fixe, et chacun devait s’incliner.

—C’est la guerre! me dit la kellnerin, en bon français.

Comme à tout le monde, on me servit d’abord une énorme crèpe, sans sucre et sans confiture; puis, une salade, sans assaisonnement; et enfin, un morceau de tarte aux prunes qui n’était pas d’une douceur exagérée. C’est tout. Le client apportait son pain, et mes voisins roulèrent des yeux effarés devant le gâteau blanc qui me venait de France et que j’avais tiré de ma valise. Le vin et la bière m’étant défendus, je buvais du thé. Pour achever d’éblouir mes hôtes, j’avais négligemment laissé sur le coin de la table ma provision de sucre et, comme un chien me regardait d’un air navré, je lui offris quatre ou cinq morceaux de la marchandise introuvable. Les dîneurs étaient outrés. Je demeurais impassible. J’eus néanmoins une petite grimace, quand la kellnerin me réclama quatre marks soixante-quinze pour une chère aussi dérisoire. J’ignore si tous les clients furent écorchés dans les mêmes proportions, mais je constatai qu’ils n’avaient eu rien de plus à manger que moi-même. Et j’imaginai la musique qu’on aurait menée en France, en 1916, si l’on avait servi des dîners de ce genre aux voyageurs conscients et organisés.

Quelques jours plus tôt, dans la Frankfùrter Zeitùng, à la rubrique des tribunaux, j’avais lu une histoire assez stupéfiante. Il s’agissait d’un habile commerçant qui avait inventé un ersatz extraordinaire, un produit spécial destiné à remplacer à la fois l’huile et le vinaigre nécessaires à la salade. Hélas! des acheteurs se plaignirent de la qualité du produit. On l’analysa, et les experts fournirent les résultats suivants:

Eau pure=99,7%
matières solides=0,3 %
matières grasses=0,00%

L’inventeur fut récompensé par deux mois de prison et le tribunal lui infligea mille marks d’amende. La Frankfùrter Zeitùng est un journal sérieux. Elle ne publie pas des farces à la Cami, et G. de Pawlowsky, si fécond en «dernières nouveautés», ne figurerait pas au nombre de ses rédacteurs. Mais que présagez-vous d’un pays où l’on peut mettre en vente un produit comme celui-là et où les buffets de gare présentent aux civils des repas aussi magnifiques? M’accusera-t-on de partialité, si j’insinue que ce pays-là ne possède peut-être pas de quoi manger à sa faim? On est tellement persuadé chez nous que les gazettes et le gouvernement nous ont gorgés de mensonges, que l’on finit par douter de tout, sous prétexte que la famine, annoncée peut-être avec trop d’éclat, n’a pas anéanti les Boches en six semaines. Pourtant, si la famine souhaitée ne s’est pas produite, la faim a fait son œuvre lente et sûre. Seulement, en France, nous avons mal posé la question.

Longtemps, le peuple français a cru qu’il suffirait d’empêcher l’introduction du blé chez les Allemands pour empêcher la guerre de traîner en longueur.

—Faute de pain, disait-on, l’Allemagne sera contrainte de demander grâce.

De là naquit cette idée d’épuiser l’ennemi en lui supprimant le blé. De là aussi, plus tard, vint quelque désolation quand des territoires russes et roumains, riches en céréales, tombèrent aux mains de ceux que le blocus devait ruiner rapidement. Certes, la Russie et la Roumanie furent une aubaine rare pour la Prusse, nul ne songe à le nier. Toutefois, il ne faut rien exagérer, et le problème est ailleurs. A la vérité, le manque de pain n’a pas tant fait souffrir le peuple allemand que certains journaux ont bien voulu l’affirmer. Ceux qui avaient voyagé outre-Rhin, avant la guerre, savaient déjà que l’Allemand n’est pas un amateur de pain. On a souvent cité ce trait à quoi se reconnaissait un Français hors de chez lui, dans un hôtel ou sur un paquebot: c’est qu’il consommait une prodigieuse quantité de pain. Le pain est notre nourriture nationale. Nous gémirions d’en être privés ou de n’en pas avoir à notre guise. Il n’en va pas de même de l’Allemand. Son aliment essentiel, à lui, c’est la pomme de terre, la kartoffel.

Nous aussi, Français, nous aimons la pomme de terre, mais d’une autre façon. Il nous fatiguerait d’en manger tous les jours et à tous les repas. Elle est pour nous un légume quelconque, au même titre que le petit pois ou la tomate. Elle va même quelquefois jusqu’à devenir un légume choisi, et souvent rien ne nous semble supérieur au «bifteck-frites» des familles. Pour l’Allemand au contraire, la pomme de terre est une chose substantielle que l’on ne traite pas en fantaisie. On la mange ordinairement au naturel, en robe de chambre: pellkartofell, pomme de terre en peau, que l’on mange avec tout, avec le canard au jus, avec les œufs sur le plat et avec la saucisse fumée. Sur le plus grand nombre des tables boches, elles apparaissent en même temps que les hors-d’œuvre pour ne disparaître qu’à la fin du dessert. Cette coutume ne date pas de la guerre. Tout au plus a-t-elle été systématiquement préconisée par les autorités civiles et militaires afin de parer quand même à la pénurie de pain, dont je ne dis pas que l’Allemand fasse fi. Chez nous, on poussait le paysan à cultiver du blé, du blé, et du blé. Là-bas, c’est la culture de la pomme de terre qui était ordonnée. Les gazettes boches débordaient de lamentations, en 1916, parce que la gelée avait réduit des deux tiers la récolte tant attendue des kartoffeln. On nous rationna. Alors je compris le rôle du pain et de la pomme de terre dans la grande guerre.

Un matin, j’ai lu dans la Frankfùrter Zeitùng, sous la signature de Kory Towski, les vers suivants:

La pomme de terre d’empire.

Je suis la pomme de terre d’empire,
Le sauveur du peuple allemand,
Et, si l’épée allemande est victorieuse
Et si le Français ne conquiert pas le Rhin,
Je suis la pomme de terre d’empire,
J’y suis pour ma part.
Je suis le noble tubercule
Qui agit en secret.
Qu’on soit empereur ou palefrenier,
J’ai droit sur la table à une place d’honneur.
Je suis le noble tubercule
Qui garantit la force de l’Allemagne.
Et que revienne la paix
Avec ses dindes, ses saumons et ses gibiers,
Je le sais, quand vous mangerez du caviar,
Vous oublierez vite les pommes de terre en robe:
Oui, que revienne la paix,
Mon image modeste s’effacera.
Pourtant dans l’histoire du monde
Je soutiens mon rang
Et, si l’Empire ne sombre pas,
Si au contraire il se dresse triplement magnifique,
Alors l’histoire du monde me payera
A moi aussi, un jour, le tribut de sa reconnaissance.

Ces vers apportent une preuve. Les expressions qu’on y relève attestent ce caractère d’importance de la kartoffel allemande. L’auteur l’appelle: die Reichskartoffel, la patate d’empire, comme on dit une terre ou une loi d’empire. Elle est nettement sacrée comme le salut de l’Allemagne à quoi doit aller la reconnaissance nationale après la victoire, s’il y a victoire; et le mot Heil, salut, se hausse à une nuance religieuse. Mais ce petit poème, de style d’ailleurs très médiocre, n’est que de peu de prix auprès de cet autre, que j’ai trouvé la même année, dans le même journal[F]. Celui-ci est signé Emil Claar, et il est écrit en vers libres. Il est encore plus ébouriffant que le premier. Écoutez:

A la pomme de terre.

Infatigablement jaillie du sombre flux de la terre,
Perle de la maison bourgeoise allemande,
Aprement évoquée, vivement conjurée,
Apaisante nounou d’un festin modéré,
O pomme de terre!
Pour toi, aujourd’hui, dans un amour pressant,
On discute, on combat, on crie et l’on écrit,
Des millions de langues indigentes
Te célèbrent par des cantiques sacrés,
Comme jamais fruit ne fut célébré,
Comme rarement le fut un être vivant,
Et dans la fuite des événements
Tu demeures pour la sauvegarde du peuple élu,
O pomme de terre!
Ni les figues, ni les bananes, ni les tendres olives,
Ni les merveilles du Sud qui distillent des douceurs,
Rien n’a fait résonner du bruit de sa gloire
Le monde attentif avec autant d’éclat
Que toi, ô pomme de terre!
Ni les huîtres, ni les truites, ni les truffes aromatiques,
Ni les entrecôtes des buffles succulents,
Rien n’a jamais ému,
O désir ardent des grands et des petits,
Comme tu émeus, dans la nécessité qui ronge,
Toi, réconfortante sœur du pain sec,
O chère pomme de terre!
Car tu es la constante, la loyale,
L’aide de l’estomac affamé,
Celle qui a des soins maternels, l’indispensable,
La fidèle gardienne d’un plaisir simple.
Tu te dédoubles au temps rigoureux,
Banquet sacré de la satisfaction.
A toi compagne bien-aimée, à toi, bienfaisante,
Vers qui le pauvre se penche avec confiance
Quand, trésor de la glèbe féconde,
Tu surgis des sillons comme une vraie délivrance.
Salut à toi, ô pomme de terre!

Prodigieuse source de remarques. Ne nous attardons pas sur la boursouflure héroïco-sentimentale et les prétentions lyriques du style: elles sont trop allemandes, et nous avons d’autres soucis. Mais notons en passant, pour notre connaissance de la psychologie des Barbares, les regrets si émouvants d’un «estomac affamé», ce rêve de figues, de bananes, de tendres olives, d’huîtres, de truites, de truffes et d’entrecôtes de buffle, alors que Kory Towski de son côté regrettait les dindes, les saumons et le caviar du bon temps de paix. Prenons acte aussi de cet aveu d’un «temps rigoureux» et d’une «nécessité qui ronge». La faim allemande n’est pas un mythe. La voilà bassement proclamée en phrases cadencées. J’ai traduit ces vers littéralement, en serrant le texte au plus près et sans outrer le sens ou la force des mots. Rien de plus grave que le ton de ce chant qui veut avoir par endroits des allures quasi mystiques. Qu’on ne s’y trompe pas. Moi-même, d’abord, j’ai cru à une plaisanterie d’un poète à la Franc-Nohain ou à la Raoul Ponchon. Il n’en est rien. Le poème d’Emil Claar est un hymne. La fantaisie est inconnue des poètes allemands, et pendant la guerre plus que jamais. C’est sans la moindre ironie que la pomme de terre est ici la réconfortante sœur du pain sec, et le trésor de la glèbe féconde, et l’aide de l’estomac affamé, et la perle de la maison bourgeoise allemande, et le banquet sacré de la satisfaction, et la sauvegarde du peuple élu. Peut-on nier, après ces plaintes authentiques, que l’Allemagne ait souffert de la faim? Et vous représentez-vous, bonnes gens de France, ce que dut être la faim de vos enfants prisonniers en Allemagne?

Avez-vous lu ce conte de Georges d’Esparbès où l’on voit des trompettes, un jour de revue, sonner à perte d’haleine et tellement que, jusqu’à la fin de la cérémonie héroïque, nul n’a pu remarquer qu’un des trompettes était mort en sonnant? Ainsi de vos fils, bonnes gens de France, dans les camps d’Allemagne. Vous ignorez encore comment ils ont souffert, parce qu’ils sont revenus en souriant, ceux qui sont revenus. Mais quel crime avaient-ils commis pour mériter ce châtiment?

(Écrit à Ouargla en 1919.
Revu en 1924 à Paris.
)

TABLE DES MATIÈRES

I.Prisonnier9
II.Des Chambrettes à Rouvrois25
III.De Rouvrois à Pierrepont41
IV.L’usine de Pierrepont56
V.Cobern—Coblence—Mayence68
VI.La quarantaine83
VII.Le saloir de Mayence97
VIII.La fenêtre fermée et la porte ouverte109
IX.Le camp de Mayence121
X.Vers un autre camp134
XI.Le camp de Vöhrenbach146
XII.Têtes de Boches157
XIII.Offiziergefangenenlager169
XIV.Le sens de l’honneur et quelques autres vertus182
XV.Autres têtes de Boches194
XVI.Le régime des représailles204
XVII.La vie quotidienne220
XVIII.Les évasions235
XIX.L’hôpital d’Offenburg246
XX.La Faim en Allemagne260

 

 

ACHEVÉ D’IMPRIMER
EN DÉCEMBRE 1924
PAR F. PAILLART A
ABBEVILLE (SOMME).

 

 


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Personne.
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PIERRE BILLOTEY
Le Pharmacien spirite.
Raz-Boboul.
SUZANNE DE CALLIAS
Jerry.
NONCE CASANOVA
La Libertine.
Messaline.
RENÉE DUNAN
Baâl.
RAYMOND ESCHOLIER
Le Sel de la Terre.
MAURICE D’HARTOY
L’Homme Bleu.
RENÉ-MARIE HERMANT
Kniazii.
En détresse.
La Femme aux hommes.
Fakir.
JONCQUEL ET VARLET
Les Titans du Ciel.
L’Agonie de la Terre.
MAGALI-BOISNARD
Mâadith.
L’Enfant taciturne.
GEORGES MAUREVERT
Le Grand Plagiat.
MARCEL MILLET
La Lanterne chinoise.
ALICE ORIENT
La Tunique verte.
GASTON PICARD
Les Surprises des Sens.
THIERRY SANDRE
Mienne.
Le Purgatoire.
P.-J. TOULET
Béhanzigue.
THÉO VARLET
La Bella Venere.
Le Dernier Satyre.
Le Démon dans l’âme.
VARLET ET BLANDIN
La Belle Valence.
WILLY ET MENALKAS
L’Ersatz d’Amour.
Le Naufragé.
POÉSIE
JOACHIM DU BELLAY
La Amours de Faustine.
FAGUS
La Danse Macabre.
La Guirlande à l’Épousée.
Frère Tranquille.
ANDRÉ FONTAINAS
Récifs au Soleil.
LUCIEN JACQUES
La Pâque dans la grange.
TRISTAN KLINGSOR
Humoresques.
LOYS LABÈQUE
Le Miroir mystique.
ALPHONSE MÉTÉRIÉ
Le Livre des Sœurs.
Le Cahier Noir.
MUSÉE
Héro et Léandre.
HENRY MUSTIÈRE
La Nouvelle Franciade.
JEAN ROYÈRE
Poésies.
CH. DE SAINT-CYR
Le Livre d’Iseult.
JEAN SECOND
Le Livre des Baisers.
THEO VARLET
Aux Libres Jardins.
THÉATRE
HENRY STRENTZ
Théâtre de Hans Pipp.
Nouveau Théâtre de Hans Pipp.
LITTÉRATURE
ATHÉNÉE
Le Chapitre Treize.
FAGUS
Essai sur Shakespeare.
LÉON BOCQUET
Les Destinées Mauvaises.
ART
LE FAUCONNIER
Album, préface de J. Romains.
Exemplaires sur Alfa français7.50Exemplaires sur Hollande33 —
Arches22Japon55 —

Histoire des Régiments de Gardes d’honneur (1813-1814).

Par le Docteur LOMIER (Préface d’Édouard Driault).

Un volume de 500 pages, format 15 × 21 25 fr.

NOTES:

[A] Feldgraù = gris de campagne. Les Allemands appellent ainsi leurs soldats à cause de la couleur de leur uniforme. Et les nôtres sont maintenant des Himmelblaù (bleu de ciel) après avoir été des Rothosen (pantalons rouges).

[B] Major = Chef de bataillon, commandant.

[C] Oberst = Colonel.

[D] Les Allemands nomment ainsi: «tenant lieu d’officier», les sous-officiers à qui ils accordent la patte d’épaule de lieutenant pour la durée de la guerre, mais qu’ils ne considèrent pas comme de véritables officiers.

[E] Frankfùrter Zeitùng, 27 juillet 1916.

[F] Frankfùrter Zeitùng, 28 octobre 1916.


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