Le roman de la rose - Tome I
En tête de ces notes nous ferons une observation. C'est que les titres des chapitres ont été ajoutés après coup par les copistes en guise de notes marginales. Ils sont en effet d'un style beaucoup plus moderne que l'ouvrage. Nous les avons conservés pour reproduire exactement l'édition de Méon. Toutes les notes prises dans les éditions de Méon et de M. Francisque Michel portent la signature des auteurs. Celles non signées sont de nous.
NOTE 1, page 3.
Ce mot, aujourd'hui hors d'usage, se voit encore dans Malherbe, La Fontaine et Molière.
Nous avons cru devoir introduire ou conserver dans tout le cours de ce travail nombre de mots, de locutions et même de phrases entières qui pouvaient s'accorder avec l'exigence de la traduction. Ceci nous a permis de laisser subsister les expressions caractéristiques qu'il était difficile de bien rendre en français moderne, et qui, rajeunies, se fussent mal accommodées d'une diction surannée. Nous espérons que le lecteur nous saura gré d'avoir conservé à cette belle oeuvre un parfum d'archaïsme qui s'harmonise si bien avec la naïveté gracieuse de nos deux romanciers. C'est ainsi que nous n'avons pas cru [p.280] devoir faire disparaître un grand nombre d'hiatus, chaque fois que, sans être par trop fatigants pour nos oreilles délicates, le vers servait fidèlement la pensée de l'original. Mais toutes les fois que, sans nuire à la traduction, et sans tomber dans un défaut pire, il était possible de les éviter, nous nous sommes empressé de le faire.
Pétrone ne veut pas que les songes et les inspirations qui nous arrivent en dormant soient l'ouvrage de quelque divinité; il prétend, au contraire, que nos songes ne sont que des réminiscences des choses qui nous sont arrivées lorsque nous ne dormions pas.
Somnia quae mentes ludunt volitantibus umbris
Non delubra Deum, nec ab aethere numina mittunt
Sed sibi quisque facit.
(Petronii Arbitri Satyricon.)
Les anciens ont toujours eu les songes en grande [p.281] recommandation. Pharaon, roi d'Égypte, avoit à ses gages des gens dont l'unique emploi étoit d'interpréter les songes. (Genese, chap. 41.)
Joseph avoit reçu de Dieu un talent particulier pour les expliquer, et ses frères, jaloux de cette faveur, ne l'appelloient plus que le Songeur. (Ibidem, chap. 37.)
Homère croyoit que les songes entrent dans l'âme par deux portes différentes, dont l'une est d'yvoire et l'autre de corne; que ceux qui passent par la première nous trompent toujours, n'y ayant de véritables que ceux qui passent par celle de corne. (Odyssée, livre 19.)
Les poètes qui sont venus après lui ont pensé de même; Virgile en parle en ces termes:
Sunt gemini somni partae; quarum altera fertur
Cornea; qua veris facilis datur exitus umbris.
Altera candenti perfecta nitens elephanto:
Seà falsa ad coelum mittunt insomnia manes.
(Aeneidos, lib. VI, sub fine.)
Horace, parlant des songes, dit à Galatée qu'il vouloit détourner d'un voyage:
... An vitiis carentem
Ludit imago
Vana, quae porta fugiens eburna
Somnium ducit?
(Ode 27, lib. 3.)
Et Properce, dans son Élegie à Cynthia, fait aussi mention de ces portes.
Nec tu sperne piis venientia somnia portis:
Cum pia venerunt somnia, pondus habent.
(Elegia, VII, lib. 4.)
(Lantin de Damery.)
NOTE 3, pages 4-5. [p.282]
La matière en est bonne et neuve.
Comme dit M. Ampère, bonne, je ne dis pas non; mais neuve, c'est autre chose.
C'est l'alouette huppée qu'on voit toujours voletant le long des routes. Dans l'Orléanais, de nos jours encore, on ne la nomme pas autrement.
Félonie—Vilenie. Nous ferons remarquer ici que ces deux images n'en font qu'une dans le plus beau et le meilleur manuscrit de la Bibliothèque nationale, n° 380 ancien fonds français. Ce magnifique travail de Nicolas Flamel, exécuté vers la fin du XIVe siècle pour le duc Jean de Berri, oncle de Charles VI, est, de tous les manuscrits français, celui qui se rapproche le plus du texte de Méon. L'auteur dit qu'à gauche se dressait Félonie, qui était appelée Vilenie. Nous préférons le texte tel que l'a restitué Méon.
Et fame qui petit séust
D'honorer ceus qu'ele déust.
Ce dernier trait convient parfaitement au personnage peint par le poète. [p.283] Il y a, dans le recueil de fabliaux publié par Méon, un long poème malheureusement incomplet intitulé: le dit de Trubert, du nom du personnage principal, qui est justement le type du vilain au sens primitif et au sens figuré du mot. Il n'y a pas de méchant tour qu'il ne joue au duc son seigneur. C'est le pendant de l'esclave antique. Privé de tous les droits les plus chers à l'homme, il devient rusé, méchant; sa vie n'a plus qu'un but: la vengeance. (E. Cougny.)
D'un héritage dépouillés.
Ici se présente pour la première fois un participe décliné.
A l'époque où vivaient les auteurs du Roman de la Rose, tous les participes sans exception se déclinaient. Jusqu'au XVIIe siècle, ils restèrent déclinables à volonté. L'Académie trancha la difficulté, et rendit tous les participes directs indéclinables avec l'auxiliaire avoir. Toutefois, elle toléra, en poésie seulement, qu'on pût encore parfois décliner les participes, pourvu qu'ils fussent placés entre le verbe auxiliaire et leur régime, comme par exemple dans ces deux vers de Malherbe:
O Dieu dont les bontés, de nos larmes touchées,
Ont aux vaines fureurs les armes arrachées.
Nous nous sommes arrêté à cette règle après de longues hésitations; mais comme elle nous permettait [p.284] de conserver un nombre incalculable de vers presque dans leur intégrité, sans trop choquer la grammaire moderne, nous espérons qu'on n'osera pas trop nous reprocher cette licence.
Et une cote de brunete.
M. Francisque Michel traduit brunete par bure, de sorte que le vers se traduirait ainsi: «Et une cote de bureau.» C'est une erreur. Nous en voyons la preuve au vers 4569, au début de la partie de Jehan de Meung:
Car ausinc bien sunt amoretes
Sous buriaus comme sous brunetes.
Lorsqu'il arrive à ce passage, il traduit brunete par espèce d'étoffe. Mais, d'après ces deux vers, il est impossible de se méprendre sur la véritable signification de brunete. C'est bien (comme on le voit au Glossaire) un drap fin dont se vêtaient les personnes de qualité. Il tirait son nom de sa couleur foncée.
Que s'elle voit ou s'elle ouït.
Nous avons ici conservé s'elle pour si elle.
Cette élision est très-compréhensible, et il est très regrettable, à nos yeux, qu'elle ne soit plus usitée. Elle est tout aussi naturelle que s'il pour si il.
NOTE 10, pages 18-19. [p.285]
Vers 253-254. Prudhomme, homme sage, prudent, honnête.
Prude est resté dans la langue et prudhomme également, mais avec une acception toute spéciale.
Vers 345-349. Karoler, danser la karole.
Cette danse, qui s'exécutait en rond et que Jacques Yver appelle pour cela la ronde carole, avait donné naissance au mot karoleur, qui se trouve dans le Roman de la Rose, et à caroler, qui se lit dans les poésies de Froissard. On la dansait beaucoup à Paris, où se trouvait même un carrefour qui lui devait son nom de Notre-Dame-de-la-Carole. (Edouard Fournier, Variétés historiques et littéraires, t. II, p. 16.)
Je cuit qu'ele acorast de froit.
De froidure elle serait morte.
Acorer. M. Francisque Michel traduit ce mot par avoir mal au coeur. De sorte que ce vers se traduirait ainsi: «Je crois que de froid elle aurait mal au coeur.» Lantin de Damerey et Méon traduisent ce mot par mourir. Nous partageons cet avis. En effet, acorer, verbe actif, veut dire: arracher le coeur, les entrailles (corailles), d'où notre moderne écoeurer. Dans [p.286] la suite, ce mot perdit de sa force; mais le sens le plus faible fut affliger, percer le coeur. (Voyez le Glossaire de Du Cange.)
Du reste, ce mot se retrouve souvent dans le Roman de la Rose. Ainsi, au vers 7652, on lit:
Male-Bouche et tout son linage,
S'il vous devoient acorer,
Vous lo servir et honorer.
Au vers 10905:
Por qui mort ma mère plora
Tant, que presque ne s'acora.
Évidemment on ne saurait traduire ce verbe que par éventrer, dans le premier exemple, et s'arracher le coeur, la vie, dans le second.
Furent à or et à asur
De toutes pars paintes où mur.
Telles étaient pourtraites au moyen âge les peintures murales et les miniatures des manuscrits.
Cheveus ot blons cum uns bacine.
Bacin, casque rond en acier poli.
Dans le moyen âge, ni homme, ni femme n'était réputé beau s'il n'avait les cheveux blonds. Les cheveux [p.287] noirs étaient rares à la fin du XIIIe siècle. Cependant il est question de combattants blonds et mors, de personnes noires et blondes, dans la branche des royaux lignages de Guillaume Guiard, poète Orléanais du XIIIe siècle, vers 2576 et 6925. (Francisque Michel.)
Son entr'oil ne fu pas petis,
L'entrecil net et bien marqué.
Entr'oil, entrecil ou entr'oeil, du latin intercilium, l'espace compris entre les deux yeux ou plutôt entre les sourcils.
Ce mot n'a pas d'équivalent dans notre langue moderne; c'est, somme toute, une lacune fort regrettable.
Vers 545-549. Vair, yeux vairs.
Les yex ot plus vairs c'uns faucons.
Vair, vairon, vairs, varons, vayron, veiron, veirs, ver, verz; au féminin vaire, vert: mots appliqués à tout ce qui était de couleurs différentes ou changeantes; d'où le nom de vairons, donné à de petits poissons que l'on voit sur le bord des rivières, parce qu'ils sont de différentes couleurs et changeantes; fourrure de couleur gris blanc mêlé, et fort recherchée des anciens Français, qui fut ainsi nommée de varius, qui signifie varié, et non pas de variola, [p.288] comme le dit Borel. On dit aussi: yeux vairs, pour: yeux bleus, parce que, comme dans la fourrure vaire, ils sont parsemés de petits points blancs. On appelle encore des yeux de différentes couleurs des yeux vairons. La Ravallière, dans les Chansons du Roy de Navarre, tome I, page 451, trompé par l'orthographe, a cru que le mot vair signifiait couleur verte, viridis; il s'étonne de ce qu'on ne trouve plus d'yeux verts, et comment la nature peut en avoir formé de pareils; il invite les philosophes à examiner pourquoi ce phénomène n'arrive plus. Ronsard, qui florissait sous Charles IX et Henri III, est tombé dans la même erreur. Voyez son ode à M. Peltier.
«Mestre Robert ... me dit: Je vous veil demander se le Roy se séoit en cest prael, et vous vous aliez séoir sur son banc plus haut que li, se on vous en devroit bien blasmer, et je li dis que oil; et il me dit: Dont faites-vous bien à blasmer, quant vous estes plus noblement vestu que le Roy; car vous vous vestez de vair et de vert, ce que le Roy ne fait pas; et je li diz: Mestre Robert, salve vostre grace, je ne foiz mie à blasmer, se je me vest de vert et de vair, car cest abit me lessa mon pere et ma mere; mais vous faites à blasmer, car vous estes filz de vilain et de vilaine, et avez lessié l'abit vostre pere et vostre mere, et estes vestu de plus riche camelin que le Roy n'est.» (Joinville, Histoire de saint Louis.)
On voit par cette citation que Joinville fait la distinction de l'étoffe vaire et de la couleur verte; le Roman de la Rose, cité au mot Pers, l'a faite aussi; lé Reclus de Moliens, cité au mot Aversaire, compare [p.289] le diable à un geai vair: tout le monde connaît cet oiseau, et l'on sait qu'il n'en fut jamais de couleur verte. Dans les citations suivantes, on verra quelles étaient les qualités qu'il fallait posséder pour être mis au rang des belles:
Ot vairs iex, rians et fendus,
Les bras bien fès et estendus,
Blanches mains longues et ouvertes,
Aux templieres que vi apertes
Apparut qu'ele ot teste blonde.
(Fabliau, ms. n° 7218, f° 280 v°, col. I.)
Les iex ot vairs corne cristal.
(Fabliau de Gombert et des deux clercs.)
Vairs ot les leux, et les crins blois.
(Roman de la Violette.)
Le palefroy vair était un cheval gris pommelé, ou de différentes couleurs. Huon le Roy, poète du XIIIe siècle, a fait un lay intitulé: Le vair Palefroy; il fait partie de la nouvelle édition des Fabliaux de Barbazan qu'on vient de publier. On ne présumera pas qu'un cheval ait jamais été de couleur verte, à moins qu'on ne l'ait peint. Dans le Fabliau des chevaliers, des clercs et des vilains, l'un des chevaliers est monté sur un dextrier vairon, parce qu'il était de couleurs différentes, et non pas, comme le dit le Père Joubert, parce qu'il avait un oeil de couleur différente de l'autre. Penne vaire, plume tachée de noir et de blanc ou d'autre couleur; menu vair, étoffe ou fourrure dont les taches étaient très-petites, de façon que l'on avait peine à distinguer laquelle des couleurs était la plus dominante. (Glossaire de la langue romane, par Roquefort, t. II, p. 680.)
NOTE 17, pages 38-39. [p.290]
D'orfrois ot ung chapel mignot.
Orfrois, dentelle d'or ou d'argent, point d'Espagne. (F.M.)
Chapel, chapelet, chapiaus de flors, chapeau, couronne de fleurs.
C'était une guirlande ou couronne qu'on mettoit sur la tête. On en couronnoit quelquefois le vainqueur, comme firent les dames, à Naples, au roi Charles VIII, lorsqu'elles lui mirent une couronne de violettes, et le baisèrent ensuite comme le champion de leur honneur. Les couronnes s'introduisirent dans les festins avec la mollesse et la volupté. On en mettoit aux bouteilles et aux verres. Les convives en prenoient à la fin du repas, et c'étoit le symbole de la débauche.
A mesure que le luxe s'accrut, on raffina sur la matière des couronnes; elles étoient dans les commencements de feuilles d'arbres; on les fit de roses dans la suite, puis de fine laine, et enfin d'argent et d'or. Les grands seigneurs en France, et les chevaliers qui avoient quelque réputation, portoient des chapelets de perles sur la tête. Voilà l'origine des couronnes dont on timbre aujourd'hui les armoiries, prérogative interdite aux roturiers par les ordonnances.
C'est de la figure de ces chapelets de perles que nos rosaires et nos chapelets ont pris leur nom, parce qu'ils ressemblent à une guirlande, suivant la remarque de Borel.
On lit dans le Roman de Lancelot: «Qu'il ne fut [p.291] jour que Lancelot, ou hiver ou été, n'eût au matin un chapeau de fresches roses sur la tête, fors seulement au vendredi et aux vigiles des haultes fêtes, et tant que le karême duroit.» Peu de personnes s'aviseroient aujourd'hui de chercher le mérite de la mortification dans une pareille abstinence.
L'auteur, un peu plus loin, parlant de Déduit, dit que:
Li ot s'amie fet chapel
De Roses qui moult li sist bel.
(Lantin de Damery.)
MM. Méon et Francisque Michel traduisent mûre, M. Littré opine pour more. Nous avons adopté l'opinion de ce dernier. Ici, à vrai dire, la traduction mûre nous séduisait assez à cause du voisinage du vers:
Dont li fruit iert mal savorés.
Toutefois nous ferons remarquer qu'à la page suivante, le poète dit que le fût et le fer des flèches était plus noir que déables d'enfer; puis au vers 8873 Jehan de Meung, faisant parler le Jaloux, dit:
Vous en aurés le vis pali,
Voire certes plus noir que more.
Dans ce dernier vers nous n'avons pas hésité à traduire: more. Enfin remarquons en passant que Guillaume de Lorris parle plus haut deux fois des [p.292] Sarrasins et de la Palestine, et qu'il emploie, pour désigner le fruit, more et meure. Nous devons dire pourtant que Marot, dans ces deux endroits, écrit ou plutôt traduit: meures, Nous ne nous appesantissons tant sur une chose si peu importante que pour montrer avec quel soin nous avons conduit notre travail.
Et cet où li meillor penon
Furent entés, Biautés ot non.
Et le plus beau pour la couleur
Et les plumes de son enture
Était Beauté.
Enture. Ce mot se trouve également au vers 1779.
M. Littré ne donne que quatre signifiations à ce mot: 1° la fente où l'on met l'ente ou la greffe. Les trois autres sont spéciales à certains métiers. A notre avis, le mot enture dut prendre insensiblement la place d'ente dans le langage usuel et populaire, car il y est encore beaucoup plus employé, non pas dans le sens de fente où l'on introduit l'ente, mais pour l'ente elle-même. Ainsi, pour ne citer qu'une exemple, dans la carrosserie, on nomme aujourd'hui brancard la pièce de bois cintré qui va d'un bout à l'autre de la voiture et lui sert de charpente; mais on nomme enture le brancard que, la voiture terminée, on vient enter sur le devant et qui n'en fait partie qu'une fois fixé.
Nous aurions préféré abandonner ce mot, que le lecteur pourra prendre dans ce sens ou dans celui d'ente. Ce dernier est très-admissible au vers 965: [p.293] Les plumes de son enture, ces plumes étant fixées dans une fente. Au vers 1783, enture signifie le fût tout entier, soit en acceptant l'interprétation ci-dessus, soit en prenant la partie pour le tout. Que le lecteur n'oublie pas les immenses et surtout innombrables difficultés que nous avons eues à surmonter pour terminer une oeuvre si longue qu'elle en était parfois désespérante.
Mès qui de près en vosist traire.
Si de près on le voulait traire.
Traire. Nous avons conservé ce mot pour tirer, lancer.
C'est un de ces mots que nous n'avons pas cru devoir sacrifier ici pour deux raisons: la première, c'est qu'il a permis de reproduire à peu près absolument le vers de Guillaume de Lorris; la seconde, c'est qu'il est facile à comprendre sans être d'un archaïsme exagéré. Le mot trait en indique suffisamment, du reste, la signification. Traire signifie tirer, lancer. On dit encore tirer de l'arc, du pistolet, etc.
Traire était encore usité au XVIIe siècle. On le trouve dans Molière: «Mon Dieu, je sais l'art de traire les hommes.» M. Littré lui donne en cette circonstance le sens de tirer, obtenir de quelqu'un. Au XVIe siècle, il était d'un usage continuel: «Ils s'encoururent, dit Amyot, çà et là, les épées traictes au poing, ravir et enlever les filles des Sabins.» Il nous reste encore les composés: soustraire, retraire, extraire, etc.
NOTE 21, pages 64-65. [p.294]
Vers 996-993. Novel-Penser, inconstance, infidélité, nouvelles amours.
Vers 1022-1019. Teches, qualités bonnes ou mauvaises.
M. Francisque Michel traduit ce mot par manières. C'est une erreur. Remarquons en passant, et nous aurons maintes occasions de le signaler, qu'il est assez léger dans ses traductions.
Vers 1076-1070. Poignent, piquent, percent. On connaît le proverbe:
Poignez vilain, il vous oindra,
Oignez vilain, il vous poindra.
Vers 1077-1071. Dusques as os, jusques aux os.
Ici nous avons sacrifié l'harmonie à la fidélité. Nous avons tenu à conserver cette cacophonie caractéristique. Le lecteur nous excusera sans doute en observant que nous n'avons fait que reproduire la faute de l'original. Une bonne traduction, à notre avis, doit, tout en essayant de reproduire les qualités, ne pas chercher à atténuer quand même tous les défauts. Nous aurons l'occasion de le faire remarquer, malheureusement bien souvent, dans le poème [p.295] de Jehan de Meung, qui a trop sacrifié la forme au fond.
M. Francisque Michel traduit ce mot par: représentations figurées. C'est une glose vraisemblable, mais non la traduction du mot. Estoire n'a jamais signifié qu'histoire, ou dans une autre acception: flotte de guerre, du latin storium.
Richesse avait riche ceinture.
On trouve souvent, dans les anciens comptes, des mentions de ceintures aussi précieuses que celle de Richesse. Pour n'en citer qu'une seule, dans un rôle des Archives royales d'Angleterre, relatif aux noces de Jeanne, troisième fille d'Edouard Ier, il est question d'une ceinture magnifique, toute d'or, avec rubis et éméraudes, achetée à Paris par l'ordre du roi et de la reine, pour la somme de trente-sept livres sterling douze schillings. (Francisque Michel.)
Du bon roi Artus de Bretaigne.
Artus, roi de la Grande-Bretagne, surnommé le Bon, étoit fils d'Uterpandragon et de la reine Yvergne. [p.296] Il épousa Genièvre, fille de Léodogand, roi de Tamélide. Cette princesse, qui passoit pour un modèle de sagesse, ne put résister aux charmes du fameux Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Benoist. Cette folle amour coûta la vie à plus de cent mille hommes et au bon roi Artus, l'an 541. Il portoit d'azur à treize couronnes d'or. Son épée, dont il est si souvent parlé dans le Roman de Lancelot, s'appeloit Escalibor, qui en hébreu signifie tranche fer et acier. (Lantin de Damery.)
Et n'avait pas nez d'Orléan.
Les Camus d'Orléans sont mentionnés dans un catalogue de proverbes publié, d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale n° 1830, par Legrand d'Aussy, dans son Histoire de la vie privée des Français, édition de 1815, tome III, pages 403-405. En lisant auparavant, pages 3 et 15, ce qui s'y trouve sur le vin de Rebrechien, localité de cette province, célèbre sous ce rapport, on est tenté de penser que nos ancêtres expliquaient ce nom par l'ancien adjectif rebrichiè, mais il semble qu'au contraire il ait voulu dire retroussé. Dans un portrait du démon tracé par un trouvère:
Lonc ot le nés et rebrichiès en son.
C'est-à-dire retroussé à son extrémité. (Voir le Roman d'Auberi de Bourgoing, manusc. de la Bibliothèque nationale, n° 72275, f° 247 verso.) (Francisque Michel.)
Simon Rouzeau dans son poème [p.297]: L'hercule guespin, donne à Rebrechien l'étymologie de: Area Bacchi, champ de Bacchus.
Ci parle l'Aucteur de Courtoisie
Qui est courtoise et de tous prisie.
Ces deux vers sont faux, chose rare dans l'édition de Méon. Il est probable qu'il y avait au premier vers: Ci dict, et au second: Moult courtoise et de tous prisie. Toutefois nous avons tenu à ne rien changer, quoique le sens ne soit pas douteux.
Est avers les autres estoiles
Qui ne resemblent que chandoiles.
Cette comparaison, qui déjà figure quelques chapitres auparavant, est une négligence que l'auteur n'eût pas manqué de faire disparaître s'il eût pu réviser son oeuvre.
NOTE 32, pages 88-89. [p.298]
Or me gart Diex de mortel plaie!
Ici nous ferons remarquer combien il est essentiel de bien étudier ce qu'on lit. Presque tous les commentateurs du Roman de la Rose font cette réflexion: «Malgré le danger qui le menace et l'épouvante, l'Amant ne s'en étend pas moins avec complaisance sur toutes les beautés du parc de Déduit. Il énumère tous les arbres, animaux et plantes qui peuplent ce beau jardin.» Évidemment ces auteurs n'avaient pas lu le vers 1368, car ils eussent compris que cette exclamation n'était qu'un cri de terreur poussé par le poète au moment où il se rappelle le danger qu'il a couru.
Que bon mengier fait après table.
Accoutumés à des nourritures d'une digestion difficile, nos ancêtres croyaient que leur estomac avait besoin d'être aidé dans ses fonctions par des stimulants [p.299] qui lui donnassent du ton. Au chapitre III, section VII de son Histoire de la vie des Français (Paris, Simonnet, 1815, in-8°, t. II, p. 308), Legrand d'Aussy rapporte deux passages d'anciens écrivains qui nous montrent cet usage en vogue jusque sous Henri III, et il fait remarquer qu'aujourd'hui encore, dans leurs voyages de mer, les Hollandais, par le même motif, mangent après leurs repas des clous de girofle confits.
Un passage d'Athis et de Prophélias que nous avons cité dans les notes de notre édition de la Chronique de Guillaume Anelier, p. 359, nous montre, parmi les provisions d'un navire, des épices pour corriger les mauvaises odeurs de la mer. (Francisque Michel.)
Li leus qui ere de tel aire,
... Le beau site dont l'aire.
Dans l'original le mot aire veut dire air, manière.
Comme le mot aire moderne signifie toute surface plane: l'aire d'une maison, d'un plancher, d'un pont, et qu'il pouvait parfaitement s'employer ici pour désigner le sol, nous avons été heureux de pouvoir le conserver.
NOTE 37, pages 113. [p.300]
Ci dit l'aucteur coment Amours
Trait à l'Amant, qui pour les flours
S'estoit el vergier embatu,
Four le bouton qu'il a sentu;
Qu'il en cuida tant aprochier,
Qu'il le péust à lui sachier;
Mès ne s'osoit traire en avant,
Car Amours l'aloit espiant.
M. Francisque Michel traduit trait à l'Amant par vient à l'Amant. Si nous acceptions cette version, il en résulterait que l'Amant aurait aperçu le Dieu d'Amours qui le poursuivait, et alors la rage de décrire l'emportant sur le danger, l'Amant serait ridicule, et sa situation perdrait tout intérêt. Mais notre opinion émise dans la note des vers 1364-1363 subsiste tout entière; nous la maintenons, et nous sommes très-étonné que M. Francisque Michel soit tombé dans une si grosse erreur. Il est vrai que quelques lignes plus bas: «L'Amant qui ne s'osoit traire en avant,» c'est-à-dire se traîner en avant (une fois blessé), semblait justifier cette interprétation. Mais s'il avait lu ce passage avec attention, il eût certainement corrigé cette faute. En effet, au vers 1761, il traduit trait à moi par tire sur moi ou contre moi sa flèche. Ce vers ne peut du reste se comprendre autrement, et tel est le sens exact du mot dans ces deux circonstances, d'où il résulte que l'Amant ne s'aperçut de la présence du Dieu d'Amours qu'en sentant ses atteintes.
On voit par cette note combien il faut être circonspect [p.301] dans une traduction, et qu'une erreur de cette nature, au début surtout, peut jeter une défaveur sur l'oeuvre entière; or, comme les interprétateurs qui veulent trop précipiter leur travail se laissent généralement prendre à leur première impression, il en résulte des opinions exagérées et fausses, d'autant plus pernicieuses que celui qui les émet a plus d'autorité.
Ainçois remest li fers dedans,
Toujours le fer dedans restait.
Nous aurions aussi bien pu mettre le dard comme nous l'avons fait plus loin; mais nous avons tenu à traduire textuellement, parce que c'est une faute. L'auteur, en effet, nous affirme plus haut qu'en ces ces cinq flèches:
... Rien que d'or ne fût,
Sauf les ailerons et le fût.
C'est pourquoi aussi nous avons cru pouvoir mettre quatre vers plus haut:
Le dard de fer barbelé.
C'est encore une négligence que certainement l'auteur eût corrigée s'il eût vécu.
Desous ung olivier tamé.
On trouve également, dit M. Francisque Michel, [p.302] la mention d'un olivier dans le Roman des aventures de Frègus, page 75, vers 5, dont la scène se passe en Écosse. Il est douteux que cet arbre ait jamais pu venir dans les contrées du nord de l'Europe. Comme cependant il est nommé dans plusieurs autres ouvrages analogues, par exemple dans un des romans de Tristan, où ce chevalier est représenté portant un chapeau d'olivier, à la cour du roi Marc, son oncle, il faut croire que ce nom se donnait à quelque arbre des pays froids. (Francisque Michel.)
Cette note est ici déplacée. Guillaume de Lorris a eu soin de nous dire que Déduit avait peuplé son jardin de plantes venues de la terre des Sarrasins.
Mès espoir ce n'iert mie tost.
Mais de bien longs délais s'imposent.
La traduction littérale de ce vers est: «Mais vraisemblablement ce ne sera pas tôt.» Dans cette hypothèse, ce vers doit se terminer par une virgule, et le vers suivant lui fait naturellement suite. C'est l'opinion que nous avons adoptée, malgré l'avis contraire de M. Francisque Michel, qui met un point à la fin de ce vers et le traduit ainsi: «Mais j'espère que ce ne sera pas bientôt.» Cette phrase serait ainsi le complément du vers précédent. Nous préférons la première interprétation.
NOTE 41, pages 136-137. [p.303]
Grans biens ne vient pas en poi d'ore;
La fortune est lente à venir,
Longa mora est nobis quae gaudia differt.
(Ovid. ep. 19, vers 3.)
(Lantin de Damery.)
NOTE 43, pages 140-141. Vers 2173-2175.
Après te garde de retraire
Chose des gens qui face à taire;
..... Gravis est culpa tacenda hqui,
(Ovid. Art. Am., iib. II, vers 604.)
(LANTIN DE DAMEREY)
Toutes les citations latines que nous reproduisons sont tirées de l'édition de Méon.
NOTE 44, pages 140-141. Vers 2176-2179.
En Keux le seneschal te mire.
Keux, le sénéchal, étoit fils d'Anthor, père nourricier du roi Artus, qu'il avoit fait nourrir comme [p.304] son propre fils par sa femme, ayant donné à Keux une autre nourrice; voilà pourquoi Anthor disoit à Artus: «Si Keux est félon et dénaturé, souffrez-en ung petit, car pour vous nourrir il est tout dénaturé.» (Roman de Merlin, tome I, chap. 95.) Quoique Keux eût la réputation d'être le plus médisant de la cour du roi Artus, on ne trouve cependant dans le Roman de Lancelot, où il est souvent parlé du sénéchal, guère de ces traits de son caractère médisant. Le plus marqué est celui qu'il lâcha contre Perceval, qui venait d'être reçu compagnon de Table-Ronde.
«Artus fit Keux son sénéchal par tel convenant, que tant qu'il vivroit il seroit maître gouffanier du royaume de Logres.» (Roman de Merlin, chap. 100.)
Par cette commission, Keux réunissoit en sa personne les deux plus grandes charges de l'État: comme gonfanier, il portoit la grande bannière, et comme sénéchal, il étoit le grand maître de la maison du roi, ce que l'on appeloit Dapifer et princeps coquorum, ou grand-queux.
Cette charge de grand maître était considérable, puisque ceux qui en étoient revêtus signoient les actes de conséquence, comme on le voit dans plusieurs chartres.
Keux étoit encore maître-d'hôtel, ce qui se prouve par un passage du Roman de Merlin, chap. 107:
«Et lors vecy venir Keux le sénéchal, et le villain le veit, et lui dit: damps sénéchal, tenez ses oyseaux, si les donnez ce soir à souper à vostre roi.»
Sénéchal se prenoit aussi pour un pourvoyeur.
Judas estoit sénéchaux des apôtres,
dit un autre roman de Merlin. [p.305]
Juda Schariot era camerlingo et despenciere de beni loro (les apôtres) dati per Dio,» dit un auteur italien.
Aujourd'hui le sénéchal est la même chose que le grand-bailli. Sénéchal vient du mot celtique seniesscalc ou senikschal, c'est-à-dire officier de la famille expérimenté dans le gouvernement d'une maison.
Cette charge se donnoit anciennement à des chevaliers déjà âgés. (Lantin de Damery.)
Tant cum Gauvains li bien apris.
Gauvain, un des chevaliers de la Table-Ronde, dont les hauts faits sont écrits au roman de Lancelot du Lac. Il étoit fils du roi Loth, et neveu du roi Artus; il naquit en Orcanie, dans la ville de Lordelone, au IIIe siècle de l'ère chrétienne.
«Il aima pouvres gens, et fit voulentiers bien aux meseaux (ladres) plus qu'aux autres: il ne fut médisant ne envieux; il fut toujours plus courtois que nul, et pour sa courtoisie l'aimèrent plus dames et damoiselles que pour sa chevalerie où il excelloit. Telle étoit sa coutume que toujours empiroit sa force entour midy; et sitôt comme midy étoit passé, si lui revenoit au double le coeur, la force et la vertu. Il se vantoit d'avoir tué plus de quarante chevaliers dans les courses qu'il avoit faites tout seul.»
L'auteur du Roman de Lancelot remarque que Gauvain alloit à confesse rarement, et qu'ayant passé quatre ans sans s'acquitter de ce devoir, comme on lui conseilloit de faire pénitence, il disoit: «Que de pénitence ne pouvoit-il la peine souffrir.»
Il mourut en partie [p.306] des blessures que lui fit Lancelot: il portoit d'or au lion de gueule. (Lantin de Damery.)
Lave tes mains et tes dens cure.
Curer signifiait aussi bien nettoyer que soigner. On disait curer un fossé et curer son esprit.
Pour tout ce passage, il est intéressant de consulter Ovide, L'Art d'aimer, livre I.
..............Careant rubigine denies
Nu vagus in laxâ pes tibi pelle natet.
Nec malé deformet rigidos tonsura capillos
Sit coma, sit docta barba resecta manu;
Et nihil eminicat, et sint sine sordibus ungues.
Cetera lascivoe faciant, concede, puellae
Et si quis maie vir quaerit habere virum.
Au vers suivant:
Mais ne te farde ne ne guigne,
que nous traduisons par:
Mais le clin d'yeux, le fard dédaigne,
M. Francisque Michel traduit guigner par observer. [p.307] Cette traduction est insuffisante. Guigner veut dire: regarder du coin de l'oeil, cligner de l'oeil. La véritable traduction moderne serait plutôt: faire de l'oeil, voire encore: lorgner.
Se tu as la voiz clere et saine.
Si vox est, canta; si mollia brachia, salta.
(Ovid., De Arte amandi, lib. II.)
Qui en mains leus son cuer départ,
Partout en a petite part;
Deficit ambobus qui vult servire duobus.
Vers 2364. Douloir, se douloir. Ce mot se trouve encore dans Beaumarchais: «On l'entendit se douloir d'une façon lamentable.»
Plus alume son cuer et larde.
Plus allume son coeur et l'arde.
Arde, brûle, d'arder, arde et ardoir. On lit encore dans La Fontaine:
Haro! la gorge m'art!
(Le Paysan et son Seigneur.)
Il dient ung, et pensent el.
Traduction littérale: «Ils disent une chose, et pensent autre chose.»
Il nous a été impossible de traduire en deux vers masculins les deux vers de l'original. Nous avons, après bien des hésitations, adopté cette traduction, si peu satisfaisante qu'elle nous paraisse.
NOTE 56, pages 162-163. [p.309]
Lors feras chatiaus en Espaigne.
On voit que ce proverbe date de loin.
Mès ce m'amort qui poi me dure.
Nous ne savons trop pourquoi, dans ses errata, Méon veut changer m'amort pour m'a mort, c'est-à-dire me mord pour m'a tué; car m'a mort pour m'a mordu devrait s'écrire m'a mors (féminin morse). Nous préférons et maintenons la première version, malgré l'opinion contraire de M. Francisque Michel.
Se s'amie est pucele ou non.
Doit-on traduire ici pucele par jeune fille ou soubrette?
Dans le doute, nous avons maintenu le mot sans le traduire.
Au Rosier qui l'avoit chargié.
Charger fruit, porter du fruit. On disait: arbre chargant, arbre portant fruit.
Nous avons déjà trouvé ce verbe aux vers 1374 et 1379.
M. Francisque Michel n'a pas cru devoir traduire ce mot. C'était cependant nécessaire.
Dehait ait, fors vous solement
Qui en ce porpris l'amena!
Traduction littérale: «Malheur sur lui! non sur vous cependant qui l'avez amené en ce pourpris.» [p.311]
Nous ne savons pourquoi M. Francisque Michel traduit ici porpris par enceinte. Ce n'est pas une traduction.
A une maçue à son col:
Si resemblait et fel et fol.
Ici M. Francisque Michel se croit encore obligé de faire de l'érudition. Il paraît, dit-il, que dans les XIIe et XIIIe siècles, les fous avaient toujours une massue ou pieu au cou, sans doute pour les gêner dans leur marche, comme le bétail, et les empêcher de se ruer sur les gens sains. (Voyez à ce sujet une note de notre Tristan, etc., Londres, Guillaume Pickering, 1835, in-12, tome II, pages 209-210.)
En ce qui concerne ces deux vers, nous ne partageons pas l'opinion de M. Francisque Michel. Nous ne pouvons nous faire à l'image grotesque de Danger traînant à son cou un gros morceau de bois. Ce serait absurde. Une massue au col veut dire, selon nous, que Danger tenait à la main une massue, qualifiée un peu plus loin de bâton d'épine ou bâton noueux, et qu'il appuyait cette massue sur son épaule auprès de son cou. Au surplus,nous en trouvons la preuve au chapitre LXXXV, quand le poète nous dépeint Hercule s'élançant à la rencontre de Cacus: «A son col sa maçue.»
NOTE 66, pages 208-209. [p.312]
Il se set bien amoloier
Par chuer et par soploier.
Actes in principio, in fine frangentur.
Cette note de l'édition de Méon, reproduite par M. Francisque Michel, n'est guère à sa place ici. Certes, on trouve dans tout le roman de nombreuses réminiscences d'Ovide; mais il ne faut pas voir des imitations partout; car enfin, à bien prendre, tout a été dit, et il serait impossible aux modernes d'écrire un seul mot sans le voir revendiquer au profit d'un auteur que peut-être ils n'auraient jamais lu, et qui, somme toute, n'y aurait probablement pas plus droit qu'eux.
Cortoisie est que l'en sequeure
Celi dont l'en est au desseure.
Toute âme généreuse doit
Secourir plus petit que soi.
Regia crede succurrere lapsis.
(Ovid., Ex Pont., lib. II, ep. IX, vers II.)
On pourrait appliquer ici la réflexion de la note ci-dessus.
Nous continuerons toutefois à reproduire les notes latines des deux éditions sus-mentionnées. Le lecteur jugera par lui-même si notre observation est juste, au moins pour un certain nombre d'entre elles.
NOTE 68, pages 234-235. [p.313]
Vers 3645-3653. Irese. Ce mot est ainsi écrit pour la rime.
Il est deux manières de le restituer et partant de le traduire. M. Francisque Michel n'hésite pas; il le traduit par Irlandaise, en vieux français Irois, Iroise, et il cite à l'appui de sa version un passage de Pierre de l'Estoile en 1606, c'est-à-dire 360 ans et plus après la mort du romancier. Voici, du reste, sa note:
«Les Irlandais ont toujours eu chez nous la plus détestable réputation, même avant les événements qui en jetèrent sur notre sol un si grand nombre. Pierre de l'Estoile écrit à la date de 1606: «Le samedi 2 mai, furent mis hors de Paris tous les Irlandois, qui estoient en grand nombre, gens experts en fait de gueuserie, et excellents en cette science par dessus tous ceux de cette profession, qui est de ne rien faire et vivre aux dépens du peuple, et aux enseignes du bonhomme Peto d'Orléans; au reste habile de la main et à faire des enfants, de la maignée desquels Paris est tout peuplé.»
C'est encore de l'érudition pour le plaisir d'en faire. Les Irlandais pouvaient être fort nombreux à Paris du temps d'Henri IV et être à peu près inconnus du temps de saint Louis. Nous préférons ne voir dans Irese que l'altération d'ireuse, féminin d'ireux, coléreux, acariàtre, mot fort employé aux XIIe et XIIIe siècles, et qu'on rencontre souvent dans Guillaume Guiard, poète Orléanais du XIVe siècle. C'est, du reste, l'opinion de Lantin de Damerey et de Méon. (Voir au Glossaire.)
Vers 3682. Garçons desréé, un gars perdu, dans le sens, employé encore aujourd'hui, de fille perdue.
Vers 3827. Vers faux. Il devrait être restitué probablement ainsi:
Estiés-vous donc ore couchiés?
Vers 4000-4012. Arbalètes à tour, à manivelle.
Nous avons traduit tourière, féminin de tourier, [p.315] gardien d'une tour. Ce mot est encore cité par Littré. Ces arbalètes n'étaient employées qu'à la défense des tours et des portes. Elles étaient placées aux meurtrières et fixes.
Male-Bouche, que Diex maudie!
Qui ne pense fors à boidie.
Dans le plus grand nombre des manuscrits, au lieu de ce second vers, on lit celui-ci:
Ot sodoiers de Normendie.
Dans d'autres, on trouve de Lombardie, etc. ... d'où on peut inférer avec raison que les copistes prenaient souvent la liberté de faire les changements qui leur plaisaient. (Méon.)
M. Francisque Michel profite de l'occasion pour ajouter une assez longue note tendant à prouver que les Normands, tous gens de sac et de corde, auraient plus de droits que les Lombards, etc. ... de figurer ici. Nous n'avons pas cru devoir la reproduire.
Cependant il est bon d'ajouter que la seule raison plausible en faveur de son opinion, mais dont il ne parle pas, c'est que, d'après Jehan de Meung, lorsque Faux-Semblant et Contrainte-Abstinence surprennent le poste de Malebouche, ils massacrent les soldats normands, qui l'occupaient, ivres-morts.
NOTE 76, pages 260-261.[p.316]
Autrefois dit à la fléuste
C'onques fame ne trova juste.
D'autres fois sur la flûte il dit
Qu'oncques femme chaste il ne vit.
Casta quem nemo rogavit.
Fin cuers ne lest à amer
Por batre ne por mesamer.
Un fin coeur aime avec constance
Et brave haine et violence.
Qui plus castigat, plus amore ligat.
Et si l'ai-ge perdu, espoir.
A poi, que ne m'en desespoir.
La traduction littérale est: «Et je l'ai perdue (votre bienveillance) vraisemblablement, et c'est ce qui me désespère.»
Si en fis ainssi com du mien
Qu'il n'i ot contredit de rien.
J'en fis comme du mien, c'est-à-dire comme s'il [p.317] fût à moi.
Mès de ce fumes moult grevé
Que si tost fu la départie.
Dans notre étude, nous avons déjà démontré que cette pièce de vers ne pouvait être de Guillaume de Lorris et nous semblait être d'un style plus jeune. Le vieux romancier eût certes écrit fust au subjonctif, et non fu, qui n'est que le prétérit.
TABLE DES MATIÈRES.
Le XIXe siècle et l'Amour
Hommage à M. Cougny
Introduction au Roman de la Rose
Notice sur les deux auteurs du Roman de la Rose
Analyse du Roman de la Rose
Conclusion
Opinions des critiques
Vie de Jehan de Meung, par André Thévet
TITRES DES CHAPITRES.
CHAPITRE I.—Du vers 1 au vers 130.
Ci est le Rommant de la Rose
Où l'art d'Amors est tote enclose.
CHAPITRE II.—Du vers 131 au vers 538.
Ci raconte l'Amant et dit
Des sept ymaiges que il vit
Pourtraites el mur du vergier,
Dont il li plest à desclairier
Les semblances et les façons
Dont vous porrez oïr les nons.
L'ymaige première nommée
Si estoit Haïne apelée.
CHAPITRE III.—Du vers 531 au vers 742 [p.320]
Comment dame Oyseuse feist tant
Qu'elle ouvrit la porte à l'Amant.
CHAPITRE IV.—Du vers 743 au vers 796.
Ci parle l'Amant de Liesce:
C'est une Dame qui la tresce
Maine volentiers et rigole,
Et ceste menoit la karole.
CHAPITRE V.—Du vers 797 au vers 890.
Ci endroit devise l'Amant
De la karole le semblant,
Et comment il vit Cortoisie
Qui l'apela par druerie,
Et il monstra la contenance
De cele gent, et de lor dance.
CHAPITRE VI.—Du vers 891 au vers 1044.
Ci dit l'Amant des biax atours
Dont iert vestus li Diex d'Amours.
CHAPITRE VII.—Du vers 1045 au vers 1264.
Ci parle l'Amant de Richesse,
Qui moult estoit de grant noblesse;
Mès de si grant boban estoit,
Que nul povre home n'adaignoit,
Ainz le boutoit tousjors arriere:
Si l'en doit-l'en avoir mains chiere.
CHAPITRE VIII.—Du vers 1265 au vers 1300.
Ci parle l'Aucteur de Courtoisie
Qui est courtoise et de tous prisie,
Et par tout fet moult à loer:
Chascun doit Courtoisie amer.
CHAPITRE IX.—Du vers 1301 au vers 1328.
Ici parole de Jonesce
Qui tant est sote et jengleresce.
CHAPITRE X.—Du vers 1329 au vers 1486. [p.321]
Comment le Dieu d'Amors suivant,
Va au Jardin en espiant
L'Amant, tant qu'il soit bien à point
Que de ses cinq flesches soit point.
CHAPITRE XI.—Du vers 1487 au vers 1538.
Ci dit l'Aucteur de Narcisus,
Qui fu sorpris et décéus
Pour son ombre qu'il aama
Dedens l'eve où il se mira
En ycele bele fontaine.
Cele amour li fu trop grevaine,
Qu'il en morut à la parfin
A la fontaine sous le pin.
CHAPITRE XII.—Du vers 1539 au vers 1740.
Comment Narcisus se mira
A la fontaine, et souspira
Par amour, tant qu'il fist partir
S'ame du corps, sans départir.
CHAPITRE XIII.—Du vers 1741 au vers 1950.
Ci dit l'Aucteur coment Amours
Trait à l'Amant qui pour les flours
S'estoit el vergier embatu,
Pour le bouton qu'il a sentu,
Qu'il en cuida tant aprochier,
Qu'il le péust à lui sachier;
Mez ne s'osoit traire en avant,
Car Amours l'aloit espiant.
CHAPITRE XIV.—Du vers 1951 au vers 2028.
Comment Amours, sans plus attendre,
Alla tost courant l'Amant prendre.
En lui disant qu'il se rendist
A luy; et que plus n'attendist.
CHAPITRE XV.—Du vers 2029 au vers 2076.
Comment, après ce bel langage,
L'Amant humblement fist hommage,
Par Jeunesse qui le déçoit,
Au Dieu d'Amours qui le reçoit.
CHAPITRE XVI.—Du vers 2077 au vers 2158. [p.322]
Comment Amours très-bien souef
Ferma d'une petite clef
Le cuer de l'Amant, par tel guise,
Qu'il n'entama point la chemise.
CHAPITRE XVII.—Du vers 2159 au vers 2852.
Comment le Dieu d'Amours enseigne
L'Amant, et dit qu'il face et tiengne
Les reigles qu'il baille à l'Amant,
Escriptes en ce bel Rommant.
CHAPITRE XVIII.—Du vers 2853 au vers 2876.
Comment l'Amant dit cy qu'Amours
Le laissa en ses grans doulours.
CHAPITRE XIX.—Du vers 2877 au vers 3028.
Comment Bel-Acueîl humblement
Offrit à l'Amant doucement
A passer pour véoir les Roses
Qu'il désirait sor toutes choses.
CHAPITRE XX.—Du vers 3029 au vers 3040.
Comment Dangier villainement
Bouta hors despiteusement
L'Amant d'avecques Bel-Acueil
Dont il eut en son coeur grant dueil.
CHAPITRE XXI.—Du vers 3041 au vers 3072.
Ci dit que le villain Dangier
Chaça l'Amant hors du vergier,
A une maçue à son col
Si resembloit et fel et fol.
CHAPITRE XXII.—Du vers 3073 au vers 3178.
Comment Raison de Dieu aymée
Est jus de sa tour dévalée,
Qui l'Amant chastie et reprent
De ce que fol amour emprent.
CHAPITRE XXIII.—Du vers 3179 au vers 3218.
Ci respond l'Amant à rebours
A Raison qui luy blasme Amours.
CHAPITRE XXIV.—Du vers 3219 au vers 3236. [p.323]
Comment, par le conseil d'Amours
L'Amant vint faire ses clamours
A Amis, à qui tout compta,
Lequel moult le réconforta
CHAPITRE XXV.—Du vers 3237 au vers 3264.
Comment Amys moult doucement
Donne reconfort à l'Amant.
CHAPITRE XXVI.—Du vers 3265 au vers 3364.
Comment l'Amant vint à Dangier
Luy prier que plus ledangier
Ne le voulsist, et par ainsi
Humblement luy crioit mercy.
CHAPITRE XXVII.—Du vers 3365 au vers 3474.
Comment Pitié avec Franchise
Allerent par très-belle guise
A Dangier parler por l'Amant
Qui estoit d'amer en torment.
CHAPITRE XXVIII.—Du vers 3475 au vers 3596.
Comment Bel-Acueîl doucement
Maine l'Amant joyeusement
Au vergier pour véoir la Rose
Qui lui fut doulcereuse chose.
CHAPITRE XXIX.—Du vers 3597 au vers 3662.
Comment l'ardent brandon Venus
Aida à l'Amant plus que nus,
Tant que la Rose ala baiser
Por mieulx son amours apaiser.
CHAPITRE XXX.—Du vers 3663 au vers 3800.
Comment par la voix Male-Bouche
Qui des bons souvent dit reprouche,
Jalousie moult asprement
Tence Bel-Acueil pour l'Amant.
CHAPITRE XXXI.—Du vers 3801 au vers 3932.[p.324]
Comment Honte, et Paor aussy
Vindrent à Dangier, par soucy
De la Rose, le ledangier
Que bien ne gardist le vergier.
CHAPITRE XXXII.—Du vers 3933 au vers 4202.
Comment, par envieux atour
Jalousie fist une tour
Faire au milieu du pourpris
Pour enfermer et tenir pris
Bel-Acueil, le très-doulx enfant,
Pource qu'avoit baisé l'Amant.
Vers qui, dans certains manuscrits, terminent la partie de
Guillaume de Lorris
Notes