Le Téléphone, le Microphone et le Phonographe
Fig. 43.
Il essaya ensuite différentes combinaisons de ce genre présentant plusieurs solutions de continuité, et une chaîne d'acier lui fournit d'assez bons résultats; mais les légères inflexions, c'est-à-dire le timbre de la voix, manquaient, et il dut chercher d'autres dispositions. Il essaya d'abord d'introduire aux points de contacts des poudres métalliques; la poudre de zinc et d'étain connue dans le commerce sous le nom de bronze blanc, améliora beaucoup les effets obtenus; mais ils n'étaient pas stables à cause de l'oxydation des contacts, et c'est en essayant de résoudre cette difficulté, ainsi qu'en cherchant la disposition la plus simple pour obtenir une pression légère et constante sur ces contacts, que M. Hughes fut conduit à la disposition des charbons mercurisés décrite précédemment[24], laquelle donna les effets maxima.
L'importance de l'effet obtenu dans le microphone dépend du reste, d'après M. Hughes, du nombre et de la perfection des contacts, et c'est sans doute pour cela que certaines positions du crayon, dans l'appareil qui a été décrit plus haut, sont plus favorables que d'autres.
Pour concilier les résultats de ses expériences avec les idées qu'il s'était faites, M. Hughes pensa que si les différences de résistance provenant des vibrations du conducteur n'étaient pas produites quand ce conducteur était entier, c'est que les mouvements moléculaires se trouvaient arrêtés par des résistances latérales égales et contraires, mais qu'il suffisait qu'une de ces résistances n'existât pas pour que le mouvement moléculaire put se développer librement. Or un mauvais contact équivalait, selon lui, à la suppression de l'une de ces résistances, et du moment où ce mouvement pouvait se produire, les dilatations et contractions moléculaires qui étaient la conséquence des vibrations, devaient correspondre à des accroissements ou à des affaiblissements de résistance du circuit. Nous ne suivrons pas davantage M. Hughes dans cette théorie, qui serait assez longue à développer, et nous allons continuer notre examen des différentes propriétés du microphone[25].
Le charbon, comme nous l'avons déjà dit, n'est pas la seule substance qu'on peut employer à composer l'organe sensible de ce système de transmetteur, M. Hughes a essayé d'autres substances et même des corps très-conducteurs, tels que les métaux. Le fer lui a donné d'assez bons résultats, et l'effet produit par des surfaces de platine dans un grand état de division a été égal, sinon supérieur, à celui fourni par le charbon mercurisé. Toutefois, comme avec ce métal on rencontre plus de difficultés dans la construction des appareils, il donne la préférence au charbon qui, comme lui, jouit de l'avantage de l'inoxydabilité.
Nous avons dit en commençant que le microphone pouvait être employé comme thermoscope: mais il doit avoir alors la disposition particulière que nous avons représentée fig. 40. Dans ces conditions, la chaleur, en réagissant sur la conductibilité de ces contacts, peut faire varier dans de si grandes proportions la résistance du circuit, qu'en approchant la main du tube, on peut annuler le courant de trois éléments Daniell. Il suffit, pour apprécier l'intensité relative de différentes sources de chaleur, exposées devant l'appareil, d'introduire dans le circuit des deux électrodes A et B, fig. 40, une pile P de un ou deux éléments Daniell et un galvanomètre un peu sensible G. Un galvanomètre de cent vingt tours est suffisant pour cela. Quand la déviation diminue, c'est que la source calorifique est supérieure à la température ambiante; quand elle augmente c'est qu'elle est inférieure. «Les effets résultant de l'intervention du soleil et de l'ombre se traduisent sur cet appareil, dit M. Hughes, par des variations considérables dans les déviations du galvanomètre. Il est même impossible de le tenir en repos, tant il est sensible aux moindres variations de la température.»
J'ai répété avec un seul élément Leclanché, les expériences de M. Hughes et j'ai pour cela, employé un tuyau de plume rempli de cinq fragments de charbon, provenant d'un des charbons cylindriques de petit diamètre que fabrique M. Carré pour la lumière électrique. J'ai bien obtenu les résultats qu'il indique; mais je dois dire que l'expérience est assez délicate. En effet, quand les fragments de charbon sont trop serrés les uns contre les autres, le courant passe avec trop de force pour que les effets calorifiques puissent faire varier la déviation galvanométrique; quand ils sont trop peu serrés, le courant ne passe pas. Il est donc un degré moyen de serrage qui doit être effectué pour que les expériences réussissent, et quand il est obtenu, on observe en approchant la main du tube, qu'une déviation qui était de 90° diminue au bout de quelques secondes et semble être en rapport avec le rapprochement plus ou moins grand de la main. Mais c'est l'haleine qui produit les effets les plus marqués, et je ne serais pas éloigné de croire que les déviations plus ou moins grandes que provoquent les émissions des sons articulés quand on prononce séparément les différentes lettres de l'alphabet, proviendraient d'une émission plus ou moins grande et plus ou moins directe des gaz échauffés sortant de la poitrine. Ce qui est certain, c'est que ce sont les lettres qui provoquent les sons les plus accentués telles que, A, F, H, I, K, L, M, N, O, P, R, S, W, Y, Z, qui déterminent les plus fortes déviations de l'aiguille galvanométrique.
Dans mon mémoire sur la conductibilité des corps médiocrement conducteurs, j'avais déjà signalé cet effet de la chaleur sur les corps divisés, et j'avais de plus montré que, après une certaine déviation rétrograde qui se produisait toujours au premier moment, il se manifestait un mouvement en sens inverse de l'aiguille galvanométrique qui accusait, au bout de quelques instants de chauffage, une déviation bien supérieure à celle indiquée primitivement.
Dans une note publiée dans le Scientific American du 22 juin 1878, M. Edison donne quelques détails intéressants sur l'application de son système de transmetteur téléphonique à la mesure des pressions, des dilatations et autres forces capables de faire varier la résistance du disque de charbon de cet appareil par suite d'une compression plus ou moins forte. Comme les expériences qu'il fit à ce sujet remontent au mois de décembre 1877, il en conclut encore qu'il a la priorité de l'invention du microphone employé comme thermoscope; mais nous devons lui faire observer que, d'après la manière dont M. Hughes a disposé son appareil, l'effet produit par la chaleur est précisément inverse de celui qu'il signale. En effet, dans le dispositif adopté par M. Edison, la chaleur agit par une augmentation de conductibilité qu'acquiert le charbon sous l'influence d'une augmentation de pression déterminée par la dilatation d'un corps sensible à la chaleur; dans le système de M. Hughes, la chaleur provoque un effet diamétralement opposé, parce qu'elle n'agit alors que sur des contacts et non par effet de pression. Aussi la résistance du microphone thermoscope se trouve augmentée sous l'influence de la chaleur au lieu d'être diminuée. Cet effet différent tient à la division du corps médiocrement conducteur, et j'ai démontré que, dans ces conditions, ces corps, quand ils ne sont chauffés que faiblement, déterminent toujours un affaiblissement dans l'intensité du courant qu'ils transmettent. Je crois du reste, que la disposition de M. Edison est meilleure comme appareil thermoscopique et permet de mesurer des sources calorifiques beaucoup moins intenses. S'il faut l'en croire, on pourrait avec son appareil non-seulement mesurer la chaleur du rayonnement lumineux des étoiles, de la lune et du soleil, mais encore les variations de l'humidité de l'air et de la pression barométrique.
Fig. 44.
Cet appareil, que nous représentons figure 44 avec ses différents détails et la disposition rhéostatique employée pour les mesures, se compose d'une pièce métallique A fixée sur une planchette C et sur l'un des côtés de laquelle est adapté le système de disques de platine et de charbon D décrit page 77. Une pièce rigide G munie d'une crapaudine soutient extérieurement ce système, et on introduit dans cette crapaudine l'une des extrémités effilées d'un corps susceptible d'être impressionné par la chaleur, l'humidité ou la pression barométrique. L'autre extrémité est soutenue par une seconde crapaudine I adaptée à un écrou H susceptible d'être plus ou moins serré par une vis de réglage. Si on introduit ce système dans un circuit galvanométrique a b c i g muni de tous les instruments de mesure électrique, les variations de longueur du corps interposé se traduisent par des déviations de l'aiguille galvanométrique plus ou moins grandes, qui sont la conséquence des différences de pression résultant de l'allongement ou du raccourcissement du corps dilatable interposé dans le circuit sur l'appareil.
Les expériences du microphone faites à la séance de la Société des ingénieurs télégraphistes de Londres, le 23 mai dernier, ont admirablement réussi et ont été l'occasion d'un article intéressant dans l'Engineering du 31 mai, dans lequel on constate que toute l'assemblée a pu entendre parler le téléphone, dont la voix se rapprochait beaucoup de celle du phonographe. Quand on annonça que ces paroles avaient été prononcées à une distance assez grande du microphone, le duc d'Argyle, présent à la séance, tout en admirant l'importance de la découverte, ne put s'empêcher de s'écrier que cette invention pourrait avoir des conséquences terribles, «ainsi, par exemple, dit-il, nous sommes à Downing-street, et je ne puis m'empêcher de penser que si un des appareils du professeur Hughes était placé dans la pièce où les ministres de Sa Majesté sont en conférence, nous pourrions entendre d'ici tous les secrets de cabinet. Si un de ces petits appareils pouvait être mis dans la poche de mon ami Schouvaloff ou bien dans celle de lord Salisbury, nous serions tout à coup en possession de ces grands secrets que tout ce pays et toute l'Europe attendent avec une si grande anxiété. Si l'assurance qu'on donne que ces appareils sont susceptibles de répéter toutes les conversations qui peuvent se faire dans une pièce où ils sont placés, cela pourrait constituer un véritable danger, et je pense que le professeur Hughes qui a inventé ce magnifique et en même temps si dangereux instrument, devrait rechercher maintenant un antidote à sa découverte.» D'un autre côté, le docteur Lyon-Playfair pense que le microphone devrait être appliqué à l'aérophone, pour qu'en plaçant ces instruments dans les deux chambres du parlement, les discours des grands orateurs puissent être entendus par toute une population sur une étendue de quatre à cinq milles carrés.
Les essais du microphone faits récemment à Harlifax et qui ont été rapportés dans les journaux anglais, montrent que les prévisions du duc d'Argyle étaient parfaitement justifiées. Il paraîtrait en effet qu'un dimanche un microphone ayant été placé sur la devanture de la chaire d'un prédicateur à l'église d'Harlifax, et cet instrument étant relié par un fil de 3 kilomètres à un téléphone placé près du lit d'un malade, habitant un château voisin, ce malade a pu entendre toutes les prières, les cantiques et le sermon. M. Hughes, qui m'avait communiqué cette nouvelle, m'assurait qu'elle lui avait été donnée par des personnes dignes de foi, et nous apprenons maintenant qu'il y a sept abonnés pour jouir de l'avantage d'écouter les offices d'Harlifax, sans se déranger.
Le microphone a été aussi appliqué dernièrement à la répétition à distance d'un opéra tout entier, et voici ce que dit à cet égard le Journal télégraphique de Berne du 25 juillet:
«Le 19 juin dernier a eu lieu à Billenzona (Suisse) une curieuse expérience micro-téléphonique. Une troupe italienne de passage devait donner ce jour-là, au théâtre de cette ville, l'opéra de Donizetti, Don Pasquale. M. Patocchi, inspecteur-adjoint du VIe arrondissement télégraphique de la Suisse, a eu l'idée de profiter de cette occasion, pour expérimenter les effets combinés du microphone à charbon de Hughes comme appareil transmetteur et du téléphone de Bell comme appareil récepteur. À cet effet, il installa dans une loge de premier rang, à côté du proscenium, un microphone Hughes qu'il relia au moyen de deux fils de 1.1/2 millimètres de diamètre à quatre récepteurs Bell disposés dans une salle de billard, au-dessus du vestibule du théâtre même, salle où ne parvient aucun des bruits de l'intérieur du théâtre. Dans le circuit, et près du microphone de Hughes, était intercalée une petite pile de deux éléments du modèle ordinaire de l'administration suisse.
«Les résultats ont été aussi heureux et aussi complets que possible. Les téléphones reproduisaient exactement, avec une clarté et une netteté merveilleuse, aussi bien les sons de l'orchestre que le chant des artistes. Plusieurs spectateurs ont constaté, avec M. Patocchi, que l'on ne perdait pas une note des instruments ou des voix, qu'on distinguait parfaitement les mots prononcés, que les airs étaient reproduits dans leur ton naturel, avec toutes leurs nuances, les piano comme les forte, les motifs doux comme les passage de force, et plusieurs dilettanti amateurs ont même assuré à M. Patocchi que, par cette seule audition au moyen des téléphones, l'on pouvait apprécier les beautés musicales, les qualités des voix des artistes et généralement juger de la pièce elle-même, comme pouvaient le faire les spectateurs à l'intérieur du théâtre.
«Les résultats ont été les mêmes en introduisant dans le circuit des résistances jusqu'à 10 kilomètres sans augmenter le nombre des éléments de la pile. C'est, croyons-nous la première expérience de ce genre qui ait été faite, en Europe du moins, dans un théâtre et sur un opéra complet; et ceux qui connaissent toute la légèreté et la grâce des mélodies de Don Pasquale, apprécieront à quelle sensibilité doit atteindre la combinaison du microphone de Hughes et du téléphone de Bell, pour ne rien laisser perdre des délicatesses de cette musique.»
Les expériences avec le microphone, quoique à leur début, ont été cependant très-variées, et nous voyons dans les journaux anglais, entre autres expériences curieuses, qu'on a voulu établir sur le même principe un appareil sensible téléphoniquement aux variations d'une source lumineuse. On sait que certains corps et particulièrement le sélénium sont impressionnables électriquement à la lumière, c'est-à-dire que leur conductibilité peut varier dans d'assez grandes proportions suivant la quantité plus ou moins grande de lumière qui les éclaire. Or si on fait passer brusquement un circuit dans lequel est interposé un corps de cette nature, de l'obscurité à un éclairement un peu intense, il doit résulter de l'augmentation subite de résistance qui en est la conséquence, un son énergique dans un téléphone interposé dans le circuit. C'est en effet ce que l'expérience a démontré, et M. Willoughby-Smith en tire la conséquence que, conformément à ce que nous avons dit plus haut, les effets produits dans le microphone sont la conséquence de variations de résistance dans le circuit par suite de contacts plus ou moins intimes entre conducteurs imparfaits.
Pour obtenir l'effet précédent dans ses meilleures conditions, M. Siemens emploie deux électrodes composées par des réseaux de fils de platine très-fins enchevêtrés les uns dans les autres, à la manière de deux fourchettes dont les dents seraient intercalées dans leurs intervalles réciproques. Ces électrodes sont introduites entre deux lames de verre, et une goutte de sélénium versée au centre de ces réseaux, les réunit sur une surface circulaire assez étendue pour établir une conductibilité suffisante dans le circuit. Or c'est sur cette goutte ainsi étendue qu'on doit projeter le rayon de lumière.
Une jolie expérience que l'on peut faire encore avec le microphone est celle-ci: vous placez sur une planche en bois un peu grande, une planchette à dessin par exemple, un microphone à charbon vertical dont les extrémités sont bien pointues et qui est placé tout à fait verticalement. On dispose dans le circuit un ou plusieurs téléphones, et si on les renverse sur la planche de manière que leur membrane soit en regard de celle-ci, on entend un roulement continu qui ressemble tantôt à un son musical, tantôt au bruissement de l'eau bouillant dans une chaudière, et ce bruit qui peut être entendu à distance, dure indéfiniment tant que la source électrique est en activité. M. Hughes explique ce phénomène de la manière suivante.
La moindre secousse qui mettra le microphone en action, aura pour effet d'envoyer des courants plus ou moins interrompus à travers les téléphones qui les transformeront en vibrations sonores, et celles-ci étant transmises mécaniquement par la planche au microphone, entretiendront son mouvement qui sera même amplifié et provoquera de nouvelles vibrations sur les téléphones; d'où il résultera une nouvelle action sur le microphone et ainsi de suite indéfiniment. D'un autre côté, en plaçant sur la même planche un second microphone correspondant à un autre circuit téléphonique, on peut en faire un appareil réagissant comme un relais télégraphique, c'est-à-dire répétant à distance les bruits transmis à la planche, et ces bruits répétés peuvent constituer soit un appel, soit les éléments d'une dépêche dans le langage Morse, si l'on place dans le circuit du premier microphone un manipulateur Morse. «J'ai fait, dit M. Hughes, avec cette disposition d'appareils, plusieurs expériences qui ont produit beaucoup d'effet, quoique n'ayant employé qu'une pile de Daniell de six éléments sans bobine d'induction. En adaptant au téléphone récepteur un cornet en carton de 40 centimètres de longueur, on a pu entendre dans toute une grande salle le bruit continu du relais, les battements d'une pendule et le bruit fait par la plume en écrivant. Je n'ai pas essayé de transmettre la parole parce que, dans ces conditions, elle n'aurait pas été reproduite avec netteté.»
L'idée d'employer le microphone comme relais était, du reste, venue à l'esprit de plusieurs personnes et entre autres de M. Latimer-Clark qui proposait pour cela de faire réagir l'armature d'un électro-aimant introduit dans le circuit du microphone, sur un tube disposé comme on l'a vu fig. 40 et réagissant lui-même sur le second circuit, c'est-à-dire sur le circuit du téléphone. MM. Houston et Thomson en ont fait également un dernièrement.
D'un autre côté lord Lindsay a imaginé d'adapter au microphone une membrane résonnante, et il a obtenu par ce moyen une reproduction excellente des sons musicaux produits par un piano; mais lorsque les vibrations de cet instrument concordaient avec les vibrations fondamentales de la membrane, un bruit très-fort se faisait entendre dans le téléphone, et dans ce bruit, on distinguait non-seulement la note fondamentale de cette membrane, mais encore toutes les vibrations sympathiques déterminées par les cordes du piano réagissant les unes sur les autres.
Fig. 45.
En raison de son extrême sensibilité, cet appareil pourrait permettre de constater les bruits produits à l'intérieur du corps humain et servir par conséquent de stéthoscope pour l'auscultation des poumons et des battements du cœur. Le Dr Richardson en Angleterre, conjointement avec M. Hughes, s'occupe en ce moment de rendre pratique cette importante application; mais jusqu'à présent les résultats obtenus n'ont pas été très-satisfaisants. On espère toutefois y parvenir. En attendant M. Ducretet a construit un microphone stéthoscopique que nous représentons fig. 45 et qui est d'une extrême sensibilité. C'est un microphone à charbon CP, à simple contact, dont le charbon inférieur P est adapté à un tambour à membrane vibrante de M. Marais T. Ce tambour est relié par un tube de caoutchouc CC' à un autre tambour T' qui est destiné à être appliqué sur les différentes parties du corps à ausculter, et que l'on appelle en conséquence tambour explorateur; la sensibilité de l'appareil est réglée au moyen d'un contrepoids PO, qui se visse sur le bras d'un levier bascule LL, auquel est fixé le second charbon C. Tout le monde connaît la grande sensibilité des tambours de M. Marais pour la transmission des vibrations, et cette sensibilité étant encore augmentée par le microphone, l'appareil acquiert une impressionnabilité extrême, peut-être même une trop grande, car il révèle tout espèce de bruits qu'il est très-difficile de distinguer les uns des autres. Du reste, cet appareil ne peut donner de bons résultats que confié à des mains expérimentées, et il faudra évidemment une éducation auditive particulière pour qu'on puisse en tirer parti.
Comme application de ce genre, la plus importante est celle que vient d'en faire, conjointement avec M. Hughes, M. Henry Thompson célèbre chirurgien anglais, pour l'exploration de la vessie dans la maladie de la pierre. Au moyen de cet appareil, on peut en effet constater la présence et préciser le siège des calculs pierreux qui peuvent s'y trouver, quelques petits qu'ils soient d'ailleurs. On emploie pour cela une sonde exploratrice composée d'une tige de Maillechort un peu recourbée par le bout et qui est mise en communication avec un microphone sensible à charbon. Quand, en promenant cette sonde dans la vessie, la tige en question rencontre des particules pierreuses, fussent-elles de la grosseur d'une tête d'épingle, le frottement qui en résulte détermine des vibrations qui se distinguent parfaitement, dans le téléphone, de celles qui se produisent par la simple friction de la tige sur les tissus mous des parois de la vessie. Toutefois, M. Thompson prétend que pour obtenir de bons résultats de cette méthode, il faut prendre certaines précautions. Il faut que l'instrument ne soit pas trop sensible afin que la nature des bruits soit bien distincte, la pile ne doit pas être trop forte, pour éviter les sons qui pourraient résulter des bruits extérieurs. L'appareil est du reste disposé comme on le voit fig. 46. Le microphone est placé dans le manche qui porte la sonde et n'est autre que celui que nous avons représenté fig. 39, mais avec de plus petites dimensions, et les deux fils conducteurs e allant au téléphone, ressortent du manche par le bout a opposé à celui bb où la sonde dd est vissée. Comme cet appareil n'est pas destiné à reproduire la parole, on emploie des charbons de cornue au lieu de charbons de bois.
Fig. 46.
On a pu encore par un moyen basé sur le principe du microphone, faire entendre certains sourds dont l'oreille n'était pas encore tout à fait insensibilisée. Pour obtenir ce résultat, on adapte devant les deux oreilles du malade deux téléphones, reliés entre eux par une couronne métallique appuyée sur l'os frontal, et on met les deux téléphones en rapport avec un microphone muni de sa pile, lequel pend à l'extrémité d'un double fil conducteur. Le malade conserve dans sa poche ce microphone, et il le présente comme un cornet acoustique à son interlocuteur quand il veut converser avec lui. Le microphone est alors constitué par le parleur de M. Hughes représenté fig. 39.
Le microphone peut avoir encore beaucoup d'autres applications, et voici ce que nous lisons à cet égard dans l'English Mechanic du 21 Juin 1878: «Au moyen de cet instrument, les ingénieurs pourront apprécier les effets des vibrations occasionnées sur les édifices anciens et nouveaux par le passage de lourdes charges; un soldat pourra reconnaître l'approche de l'ennemi à plusieurs milles de distance et distinguer même s'il aura affaire avec de l'artillerie ou de la cavalerie; la marche des navires dans le voisinage des torpilles pourra même être annoncée à la côte, et on pourra dès lors, à coup sûr, en déterminer l'explosion.»
On a aussi proposé d'appliquer le microphone comme un avertisseur des fuites de gaz dans les mines à charbon. Le gaz s'échappant des crevasses de charbon, produit un son sifflant qui par le moyen du microphone et du téléphone pourrait être entendu au haut des puits. D'un autre côté, on a eu l'idée que le microphone pourrait être utilement employé comme Séismographe pour signaler les bruits souterrains qui précèdent généralement les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, et qui se trouveraient de cette manière notablement amplifiés. Cet appareil pourrait même être d'un usage utile à M. Palmieri pour ses études à l'observatoire du Vésuve.
Comme on devait s'y attendre, des réclamations de priorité devaient être la conséquence de la grande faveur qui a accueilli l'invention de M. Hughes, et même en dehors de la réclamation de M. Edison sur laquelle nous avons exprimé notre opinion[26], nous en trouvons plusieurs autres qui montrent que, si quelques effets du microphone ont été découverts à différentes époques avant M. Hughes, on n'y avait prêté qu'une très-médiocre attention puisqu'ils n'ont même pas été publiés. De ce nombre sont celles de M. Wentwork Lacelles-Scott enregistrées dans l'Electrician du 25 mai 1878, et celle de M. Weyher présentée à la Société de Physique de Paris au mois de juin dernier; mais elles n'ont guère d'importance, attendu que les dates auxquelles remontent les expériences de ces savants sont encore postérieures à celles des premières expériences de M. Hughes; celles-ci datent, en effet, du commencement de décembre 1877, et ont même été montrées en janvier 1878 aux fonctionnaires de la Submarine Telegraph Company, ainsi que le publie M. Preece dans une lettre adressée aux différents savants.
Avant de terminer avec le microphone, je crois devoir rappeler ici deux expériences intéressantes de M. Hughes, qui tout en montrant que l'attraction magnétique n'entre pour rien dans la reproduction de la parole, prouve que les effets électro-magnétiques peuvent se combiner aux effets microphoniques.
1o Si une armature de fer doux est appliquée sur les pôles d'un électro-aimant à deux branches solidement fixé sur une planche, et qu'on interpose entre cette armature et les pôles magnétiques des morceaux de papier afin d'éviter les effets de magnétisme condensé, on peut, en reliant cet électro-aimant à un microphone parleur du modèle de la fig. 39, entendre sur la planche servant de support à l'électro-aimant les mots prononcés dans le parleur.
2o Si on oppose par leurs pôles de noms contraires deux électro-aimants mis en rapport avec un microphone, en ayant soin de séparer ces pôles par des morceaux de papier, on obtiendra clairement la reproduction de la parole, sans qu'il y ait besoin d'armature ni de diaphragme. Ces deux faits peuvent encore être opposés à la théorie soutenue par M. Navez.
3o Si au lieu de faire passer le courant actionné par un microphone à travers l'hélice d'un téléphone servant de récepteur, on lui fait traverser directement le barreau aimanté de ce téléphone dans le sens de son axe, c'est-à-dire d'un pôle à l'autre, on peut entendre distinctement les paroles prononcées dans le microphone. Cette expérience, qui est de M. Paul Roy, indiquerait, si elle est exacte, que les ondulations électriques qui parcoureraient longitudinalement un aimant, en modifieraient l'intensité magnétique. Cette expérience est toutefois à vérifier.[Table des Matières]
EFFETS DES ACTIONS EXTÉRIEURES SUR LES TRANSMISSIONS TÉLÉPHONIQUES.
Les obstacles qu'on rencontre dans les transmissions téléphoniques proviennent de trois causes; 1o de l'affaiblissement des sons par suite des pertes de courant sur les lignes, pertes beaucoup plus grandes avec les courants d'induction qu'avec les courants de pile; 2o des mélanges produits par les dérivations des courants voisins; 3o de l'induction des fils les uns sur les autres. Cette dernière influence est beaucoup plus grande qu'on ne se le figure ordinairement. Placez côte à côte deux fils parfaitement isolés, l'un en correspondance avec un circuit de sonnerie trembleuse, l'autre avec un circuit de téléphone: ce dernier répétera les bruits de la sonnerie avec une intensité souvent assez grande pour fournir lui-même un appel sans qu'on ait l'appareil à l'oreille. MM. Pollard et Garnier, dans leurs intéressantes expériences avec les courants induits de la bobine de Ruhmkorff, ont reconnu qu'on pouvait obtenir de cette manière, non-seulement les sons en rapport avec les courants induits résultant de l'action du courant traversant l'hélice primaire, mais encore ceux qui résultent de l'action des courants secondaires sur d'autres hélices et qu'on a désignés sous le nom de courants de second ordre. Ce sont ces différentes réactions qui font que les transmissions téléphoniques faites sur les lignes télégraphiques se trouvent souvent troublées par des bruits insolites qui viennent des transmissions électriques sur les fils voisins; mais elles paraissent subir ces influences sans s'éteindre, et il arrive que l'on peut entendre à la fois une conversation parlée en langage ordinaire et une dépêche transmise dans le langage Morse.
À l'école d'artillerie de Clermont, on a établi à titre d'expériences une communication téléphonique entre cette école et le champ de tir qui est à une distance de 14 kilomètres. Une autre communication du même genre est établie entre l'Observatoire de Clermont et celui du Puy-de-Dôme à 15 kilomètres de distance. Ces deux lignes sont portées par les mêmes poteaux sur un parcours de 10 kilomètres, et dans ce trajet sur ces poteaux, se trouve un fil télégraphique ordinaire; enfin dans cet espace, les poteaux pendant 300 mètres portent aussi sept autres fils télégraphiques. Les deux fils téléphoniques sont d'ailleurs éloignés de 0m,85 l'un de l'autre. Dans ces conditions on a constaté:
1o Que le téléphone de l'école lit très-bien, par le son, les dépêches Morse qui passent dans le télégraphe sur les deux fils qui l'avoisinent, mais que le tic-tac de l'appareil ne gêne en rien le passage ni l'audition de la communication verbale du téléphone;
2o Que les deux lignes téléphoniques voisines, quoique ne se touchant pas, et sans communication entre elles, mélangent cependant leurs dépêches, et il est arrivé qu'on a pu entendre à l'école par le fil venant du champ de tir, des dépêches du Puy-de-Dôme, et qu'on a pu y répondre, sans que nulle part la distance entre les fils des deux lignes fut moindre que 85 centimètres.
On a pu remédier un peu à ces inconvénients en interposant dans le circuit de fortes résistances, ou en établissant des dérivations à la terre à une certaine distance des postes téléphoniques.
Suivant M. Izarn, professeur de physique au lycée de Clermont, les courants électriques téléphoniques pourraient très-bien se dériver par la terre, surtout quand ils rencontreraient sur leur passage des conducteurs métalliques comme des conduites d'eau ou de gaz. Voici ce qu'il dit dans une note adressée à l'académie des sciences le 13 mai 1878. «J'ai installé au lycée de Clermont un téléphone sur un fil unique d'une cinquantaine de mètres, qui, traversant la grande cour du lycée, va du laboratoire de physique où il s'accroche à un bec de gaz, à une pièce placée près de la loge du concierge où il s'accroche à un autre bec de gaz. En appliquant l'oreille au téléphone, j'entends très-nettement les signaux télégraphiques Morse ou autres qui proviennent soit du bureau télégraphique de Clermont, soit du bureau téléphonique fonctionnant entre l'école d'artillerie de Clermont et le polygone de tir, établi à 14 kilomètres de la ville au pied du Puy-de-Dôme. J'entends même des paroles et surtout des commandements militaires émis dans le téléphone du polygone et destinés à être entendus à l'école. Or mon fil est absolument indépendant de ceux où circulent ces signaux; il en est même très-éloigné; mais comme les prises de terre du bureau télégraphique et de l'école d'artillerie se font à une petite distance des tuyaux de gaz, il n'est pas douteux que le phénomène ne soit dû à une dérivation du courant produite à travers mon fil par l'intermédiaire du sol et du réseau métallique des tuyaux.»
Cette remarque avait été déjà faite par M. Preece dans sa notice: Sur quelques points physiques en rapport avec le téléphone. D'un autre côté, nous lisons dans le Telegraphic journal du 15 juin 1878, que dans un concert téléphonique, transmis de Buffalo à New-York, les chanteurs de Buffalo ont été entendus dans un bureau particulier placé en dehors du circuit télégraphique sur lequel s'opérait la transmission. Après informations, on reconnut que le fil à travers lequel la transmission téléphonique s'effectuait dans ce bureau, se rapprochait en un point de son parcours de celui qui transmettait directement les sons musicaux; mais la distance entre les deux fils n'était pas moindre de dix pieds.
Avec les circuits entièrement métalliques, les effets des mélanges sont beaucoup moins à craindre, et suivant M. Zetzche, on n'entend que très-peu et seulement par instants, les sons provenant d'autres fils; on entend donc beaucoup mieux et plus aisément avec cette disposition qu'avec la disposition ordinaire. «Ce ne sont pas d'ailleurs, dit-il, les résistances des fils, mais bien plutôt les dérivations de courant près des poteaux qui présentent des obstacles pour les correspondances téléphoniques échangées sur de longues lignes aériennes. J'ai pu en avoir la preuve dans les expériences suivantes: Ayant relié la ligne télégraphique de Dresde à Chemnitz à l'une des lignes de Chemnitz à Leipzig (87 kil.), ce qui fournissait un circuit de 167 kilomètres communiquant à la terre à ses deux extrémités, Dresde et Leipzig n'ont pu s'entretenir, tandis que Dresde et Chemnitz le pouvaient très-bien malgré la plus grande étendue de la ligne. Ayant fait supprimer la communication à la terre, d'abord à Leipzig, puis à Leipzig et à Dresde simultanément, j'ai constaté les effets suivants: Avec l'isolation effectuée à Leipzig seulement, les stations de Dresde, de Riesa, Wurzen purent bien s'entendre au moyen du téléphone; mais avec l'isolation de la ligne aux deux extrémités, les deux dernières stations communiquèrent bien entre elles, mais la station intermédiaire fit remarquer qu'elle entendait mieux les mots prononcés à Wurzen que l'on n'entendait à Wurzen les paroles dites à Riesa. Dans les deux cas, le téléphone reproduisait distinctement les signaux télégraphiques émis sur les fils parallèles à celui de la ligne d'essai. Or, comme Wurzen, n'est qu'à 26,6 kilomètres de Leipzig, tandis que Riesa se trouve à une distance de 49 kilomètres de Dresde, et qu'il y a, par conséquent, sur ce dernier parcours à peu près une fois autant de poteaux offrant aux courants des dérivations à la terre, j'ai cru pouvoir en conclure que c'était par les dérivations qu'on pouvait expliquer la possibilité de correspondre sur une ligne isolée et la perception plus distincte des sons à la station de Riesa, laquelle provenait de la plus grande intensité de courant restant encore sur la ligne.»
Il est aussi certaines vibrations résultant de l'action des courants d'air sur les fils télégraphiques et qui leur font émettre ces bourdonnements bien connus sur certaines lignes, qui peuvent encore réagir sur le téléphone; mais elles sont alors le plus souvent propagées mécaniquement, et on peut les distinguer des autres, quand les sons qui en résultent sont entendus après qu'on a exclu le téléphone du circuit par une fermeture à court circuit, et après avoir supprimé la communication à la terre établie en arrière du téléphone.
Les réactions d'induction exercées par les fils de ligne les uns sur les autres ne sont pas les seules qui puissent être accusées sur un circuit téléphonique: toute manifestation électrique produite dans le voisinage d'un téléphone peut déterminer des sons plus ou moins forts. Nous en avons déjà eu la preuve dans les expériences de M. d'Arsonval, et voici quelques expériences de M. Demoget qui le démontrent de la manière la plus notoire. En effet si devant l'un des téléphones d'un circuit téléphonique, on place un petit électro-aimant droit muni d'un trembleur, et que, pour écarter l'influence du son produit par le trembleur, on enlève la lame vibrante du téléphone, on entend parfaitement sur le second téléphone du circuit le bourdonnement du trembleur, qui atteint son maximum quand les deux extrémités de l'électro-aimant sont le plus rapprochées possible du téléphone sans diaphragme, et son minimum quand cet électro-aimant lui est présenté suivant sa ligne neutre. D'après M. Demoget, l'action exercée dans cette circonstance pourrait être considérée comme celle d'un aimant exerçant deux actions inductrices opposées et symétriques, dont le champ serait limité par un double paraboloïde, ayant pour grand axe, dans ses expériences, 0m,55 de longueur au delà du noyau magnétique, et pour grand diamètre perpendiculaire, 60 centimètres. Il croit que par ce moyen on pourrait aisément télégraphier dans le système Morse, et qu'il suffirait pour cela d'adapter une clef à l'électro-aimant inducteur.
Pour surmonter les difficultés que présentent les réactions d'induction des fils les uns sur les autres dans les transmissions téléphoniques, M. Preece indique trois moyens:
1o Augmenter l'intensité des courants transmis de manière à les faire prédominer notablement sur les courants induits, et réduire la sensibilité du téléphone de réception;
2o Mettre le fil téléphonique à l'abri de l'induction.
3o Neutraliser les effets d'induction.
Le premier moyen peut être réalisé par le système à pile d'Edison, et nous avons vu qu'il a fourni des résultats avantageux.
Pour mettre à exécution le second moyen, M. Preece considère qu'il y a lieu de se préoccuper des deux sortes d'inductions qui se développent sur les lignes télégraphiques: de l'induction électro-statique, analogue à celle qui se produit sur les câbles immergés, et en second lieu de l'induction électro-dynamique résultant de l'électricité en mouvement. Dans le premier cas, M. Preece propose d'interposer entre le fil téléphonique et les autres fils, un corps conducteur en communication avec la terre, et susceptible de former écran à l'induction en absorbant lui-même les effets électro-statiques produits. Ce problème pourrait être résolu, suivant lui, en entourant les fils télégraphiques avoisinant le fil téléphonique, d'une enveloppe métallique, ou en les immergeant dans l'eau. «Bien que par ce dernier moyen, dit-il, on n'élimine pas complétement les effets d'induction statique, en raison de la mauvaise conductibilité de ce corps, on peut les réduire considérablement, ainsi que mes expériences entre Dublin, Holyhead, Manchester et Liverpool l'ont démontré.» Dans le second cas, M. Preece admet qu'une enveloppe de fer est susceptible de paralyser les effets électro-dynamiques déterminés, en les absorbant; de sorte qu'en employant des fils isolés recouverts d'une garniture de fer mise en communication avec le sol, on annulerait les deux réactions d'induction. Nous ne suivrons pas M. Preece dans la théorie qu'il donne de ces effets, théorie qui nous paraît tout au moins discutable, et nous nous contenterons de l'indication du moyen d'atténuation qu'il propose.
Pour mettre à exécution le troisième moyen, on pourrait croire qu'il suffirait de supprimer les communications avec la terre et d'employer un fil de retour, car dans ces conditions, les courants d'induction déterminés sur l'un des fils devraient se trouver neutralisés par ceux qui résulteraient de la même induction sur le second fil, et qui se trouveraient alors agir dans un sens opposé; mais ce moyen ne peut être efficace qu'autant que la distance entre les deux fils téléphoniques est très-petite et que leur éloignement des autres fils est considérable. Quand il n'en est pas ainsi et qu'ils se trouvent tous très-rapprochés, comme cela a lieu dans les câbles sous-marins ou souterrains à plusieurs fils, ce moyen est tout à fait insuffisant. En prenant comme ligne aérienne un petit câble renfermant deux conducteurs isolés avec de la gutta-percha, on peut obtenir de très-bons résultats.
L'emploi de deux conducteurs a encore l'avantage d'éviter les inconvénients des dérivations sur la ligne et à travers le sol qui, quand les communications à la terre ne sont pas parfaites, permettent au courant d'une ligne de passer plus ou moins facilement à travers la ligne téléphonique.
En outre des causes de perturbation que nous venons d'énumérer, il en est d'autres qui sont également très-appréciables dans les transmissions téléphoniques, et, parmi elles, nous devrons citer les courants accidentels qui se produisent constamment sur les lignes télégraphiques. Ces courants peuvent provenir de bien des causes, tantôt de l'électricité atmosphérique, tantôt du magnétisme terrestre, tantôt d'effets thermo-électriques produits sur les lignes, tantôt de réactions hydro-électriques déterminées sur les fils et les plaques de communication avec le sol. Ces courants sont toujours très-instables, et ils doivent, par conséquent, en réagissant sur les courants transmis, les altérer plus ou moins et déterminer par cela même des sons sur le téléphone. Suivant M. Preece, le bruit provenant des courants telluriques se rapproche un peu de celui d'une cascade. Les décharges d'électricité atmosphérique, même quand l'orage est éloigné, déterminent un son plus ou moins sec suivant la nature de la décharge. Quand elle est diffuse et qu'elle éclate à peu de distance, le bruit produit ressemble, d'après le docteur Channing de La Providence, à celui que produit une goutte de métal en fusion quand elle tombe dans de l'eau, ou bien encore à celui d'une fusée volante tirée à distance; dans ce cas, il paraîtrait que le son serait perçu avant l'apparition de l'éclair, ce qui démontre bien que les décharges électriques atmosphériques ne se produisent qu'à la suite d'un mouvement électrique déterminé dans l'air. «Quelquefois, dit M. Preece, on entend un son lamentable, un son que l'on a comparé au cri d'un oiseau naissant, et qui doit provenir des courants induits que le magnétisme terrestre doit déterminer dans les fils télégraphiques quand ils sont mis en mouvement vibratoire par les courants d'air.»
Dernièrement M. Gressier, dans une communication faite à l'Académie des sciences le 6 mai 1878, a mentionné quelques-uns de ces bruits, mais il s'est tout à fait trompé sur l'origine qu'il leur a supposée.
«Indépendamment du grésillement dû aux appareils télégraphiques mis en action sur les lignes voisines, dit-il, il se produit dans le téléphone un bruissement très-confus, un froissement assez intense parfois pour faire croire que la plaque vibrante va se déchirer. C'est plutôt le soir que le jour qu'on entend ce bruissement qui devient même insupportable et empêche de se comprendre au téléphone, alors qu'on n'est plus troublé par le travail des bureaux. On entend ce bruit quand on ne fait usage que d'un seul téléphone. Un bon galvanomètre interposé dans le circuit a montré la présence de courants assez sensibles, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.»
Ces courants que j'ai étudiés pendant longtemps avec le galvanomètre et qui ont été l'objet de quatre mémoires présentés par moi à l'académie des sciences en 1872, n'ont généralement aucun rapport avec l'électricité atmosphérique, comme le croit M. Gressier, et proviennent soit d'actions thermo-électriques, soit d'actions hydro-électriques. Ils se manifestent toujours et en tous temps sur les lignes télégraphiques, qu'elles soient isolées à l'une de leurs extrémités ou en contact avec la terre par les deux bouts. Dans le premier cas, les électrodes polaires du couple sont constituées par le fil télégraphique et la plaque de terre, ordinairement de la même nature, et le milieu conducteur intermédiaire est représenté par les poteaux souteneurs du fil et le sol qui complètent le circuit. Dans le second cas, le couple est constitué à peu près de la même manière, mais la différence de composition chimique des terrains aux deux points où les plaques de terre sont enterrées, et souvent leur différence de température, exercent un effet prédominant. Si l'on ne considère que le premier cas, il arrive le plus souvent, par les beaux jours de l'été, que les courants produits pendant la journée sont inverses de ceux qui sont produits pendant la nuit, et varient avec la température ambiante dans l'un et l'autre sens. La présence ou l'absence du soleil, le passage des nuages, les courants d'air, entraînent même des variations très-brusques et très-caractérisées que l'on peut suivre facilement sur le galvanomètre et qui engendrent des sons plus ou moins accentués dans le téléphone.
Pendant le jour, ces courants sont dirigés de la ligne télégraphique à la plaque de terre, parce que le fil est plus échauffé que la plaque, et ces courants sont alors thermo-électriques. Pendant la nuit, le contraire a lieu parce que le serein, en tombant, provoque sur le fil un refroidissement et y détermine une oxydation plus grande que celle qui est effectuée sur la plaque de terre, et les courants sont alors surtout hydro-électriques.
J'ai insisté un peu sur ces courants parce que, par suite d'une fausse interprétation de leur origine, on a cru que le téléphone pourrait servir à l'étude des variations de l'électricité atmosphérique répandue normalement dans l'air; or, cette application du téléphone serait dans ces conditions, non-seulement inutile, mais encore pourrait égarer les observateurs en leur faisant faire des recherches sur des phénomènes très-compliqués, dont l'étude ne conduirait à rien de plus que ce que j'ai dit dans mes différents mémoires sur cette question.
Il est aussi certaines actions locales qui peuvent déterminer des sons sur le téléphone. Ainsi la distension du diaphragme sous l'influence de la chaleur humide de la respiration, quand on porte l'appareil devant la bouche pour parler, détermine un bruissement qui est facile à percevoir.
En raison des réactions électro-statiques si énergiques déterminées sur les câbles sous-marins par suite des transmissions électriques, on pouvait craindre que l'on ne pût correspondre facilement à travers ces sortes de conducteurs au moyen du téléphone, et pour s'en assurer, on fit une expérience entre Guernesey et Darmouth à travers un câble de soixante milles de longueur. On reconnut avec surprise et satisfaction que les articulations de la parole étaient parfaitement effectuées, seulement un peu voilées. D'autres expériences entreprises par MM. Preece et Willmot sur un câble sous-marin artificiel placé dans des conditions analogues à celui des États-Unis, démontrèrent que sur une longueur de cent milles, on pouvait facilement entretenir une correspondance téléphonique, bien que les effets d'induction fussent manifestes. Sur une longueur de cent cinquante milles, il devint assez difficile de s'entendre, et les sons étaient considérablement affaiblis; il semblait qu'on parlait à travers une épaisse cloison. Les sons diminuèrent rapidement jusqu'à deux cents milles, et à partir de là, la parole devint complétement indistincte, quoique le chant pût être encore perçu. On put même l'entendre sur toute la longueur du câble, c'est-à-dire sur une longueur de trois mille milles; mais cela tenait, suivant M. Preece, à l'induction du condensateur sur lui-même; néanmoins M. Preece croit que le chant peut être entendu à une bien plus grande distance que la parole, en raison de la plus grande régularité dans la succession des ondes électriques.
«J'ai expérimenté aussi, dit M. Preece, des câbles souterrains entre Manchester et Liverpool sur une longueur de trente milles, et je n'ai rencontré aucune difficulté dans la correspondance que j'ai échangée; il en a été de même sur le câble de Dublin à Holyhead ayant soixante-sept milles de longueur. Celui-ci avait 7 fils conducteurs, et quand le téléphone était réuni à l'un des fils, on pouvait entendre la répétition des sons à travers tous les autres, mais à un degré plus faible. Quand les fils fonctionnaient avec les courants des appareils télégraphiques, l'induction était manifeste, mais elle ne suffisait pas pour empêcher les communications téléphoniques.»[Table des Matières]
INSTALLATION D'UN POSTE-TÉLÉPHONIQUE.
Bien que le système télégraphique par le téléphone soit très-simple, il exige pourtant, pour le service qu'on peut demander à cet instrument, certaines dispositions accessoires qui sont indispensables. Ainsi, par exemple, il est nécessaire que l'on soit appelé au moyen d'un appareil d'alarme pour qu'on puisse savoir quand l'échange des correspondances doit avoir lieu, et il faut également que l'on soit prévenu si l'appel a été entendu. Une sonnerie électrique est donc le complément indispensable du téléphone, et comme le même circuit peut être employé pour les deux systèmes d'appareils à la condition de se servir d'un commutateur, on dut, pour conserver au système sa simplicité de manipulation qui en faisait le principal mérite, rechercher un moyen de faire réagir ce commutateur automatiquement et, pour ainsi dire, à l'insu de ceux appelés à faire usage de l'appareil.
Système de MM. Pollard et Garnier.—Dès le mois de mars dernier, MM. Pollard et Garnier avaient imaginé dans ce but un dispositif qui leur a parfaitement réussi et qui utilisait le poids de l'instrument comme moyen d'action sur le commutateur.
À cet effet, ils suspendaient l'instrument à l'extrémité d'une lame de ressort fixée entre les deux contacts du commutateur. Le fil du circuit correspondait à cette lame, et les deux contacts correspondaient l'un avec le téléphone, l'autre avec la sonnerie. Quand le téléphone pendait au-dessous du ressort-support, c'est-à-dire quand il n'était pas mis en action, son poids faisait abaisser la lame de ressort sur le contact inférieur, et la communication de la ligne avec la sonnerie était établie; quand, au contraire, le téléphone était soulevé pour s'en servir, la lame de ressort venait toucher le contact supérieur, et la communication était établie entre la ligne et le téléphone. Pour faire fonctionner la sonnerie, il ne s'agissait donc que d'établir sur le fil de liaison de la ligne avec le contact de sonnerie du commutateur, un interrupteur de courant à la fois conjoncteur et disjoncteur, mis en rapport d'un côté avec le contact de sonnerie, de l'autre avec la pile de cette sonnerie. Un simple bouton de sonnerie électrique ordinaire pouvait suffire pour cela en y adaptant un second contact; mais MM. Pollard et Garnier ont préféré que cette action se fît aussi automatiquement, et ils ont en conséquence combiné le dispositif que nous représentons fig. 47.
Fig. 47.
Dans ce système, comme du reste dans ceux qui ont été combinés depuis, on met à contribution deux téléphones: l'un que l'on applique constamment contre l'oreille, l'autre que l'on tient devant la bouche pour être en mesure de parler tout en écoutant. Ces téléphones sont soutenus par trois fils dont deux contiennent des conducteurs souples; le troisième ne joue d'autre rôle que celui de soutien.
Des quatre fils des deux téléphones, deux sont réunis l'un à l'autre, et les deux autres sont reliés à deux boutons d'attache du commutateur t, t'; les cordons sans conducteurs sont suspendus aux extrémités des deux lames flexibles l, l' qui correspondent à la terre et à la ligne.
Au repos, le poids des téléphones fait appuyer les deux lames l, l' sur les contacts inférieurs S, S'; mais lorsqu'on prend à la main ces appareils, ces lames appuient contre les contacts supérieurs.
Les deux fils de la sonnerie aboutissent aux contacts inférieurs, ceux des téléphones aux contacts supérieurs, et les pôles de la pile sont reliés, l'un au contact inférieur de gauche S', l'autre au contact supérieur de droite T.
Au repos, le système est sur sonnerie, et le courant envoyé de la station opposée, suivrait le circuit LlSS'S'l'T'; on pourrait donc être appelé; mais si on prend les deux téléphones à la main, le circuit est coupé à travers la sonnerie et établi à travers les téléphones; de sorte que le courant suit le trajet LlTtt'T'l'T. Si on ne soulève qu'un téléphone à la fois, le courant est envoyé à la sonnerie du poste opposé, et suit la route +PtLTtl'S'P-. On fait donc ainsi, sans s'en douter, les trois manœuvres nécessaires pour appeler, correspondre et mettre l'appareil en position de fournir un appel.
Fig. 48.
Système de MM. Bréguet et Roosevelt.—Dans le système établi par la compagnie Bell à Paris, le dispositif est à peu près semblable au précédent, seulement il n'y a qu'un commutateur à ressort, et c'est avec un bouton de sonnerie ordinaire qu'on provoque les appels. Sur une planchette d'acajou suspendue à la muraille, sont disposées d'abord une sonnerie trembleuse ordinaire au-dessous de laquelle est fixé un bouton transmetteur, et en second lieu deux fourches servant de support aux deux téléphones et dont une est adaptée à la bascule d'un commutateur disposé comme une clef de Morse. Les deux téléphones sont reliés, par deux fils conducteurs disposés de manière à être extensibles, à quatre boutons d'attache dont deux sont reliés directement l'un à l'autre et les deux autres à la ligne, à la terre et à la pile par l'intermédiaire du commutateur, du bouton transmetteur et de la sonnerie. La figure 48 montre ce dispositif.
Le commutateur A se compose d'une bascule métallique ac portant au-dessus de son point d'articulation, la fourche de suspension F' de l'un des téléphones; elle se termine par deux taquets a et c au-dessous desquels sont fixés les deux contacts du commutateur, et un ressort presse le bras inférieur de la bascule de manière à faire appuyer constamment l'autre bras contre le contact supérieur. Pour plus de sûreté, une languette d'acier ab adaptée à l'extrémité inférieure de la bascule, frotte contre une colonnette b munie de deux contacts isolés qui correspondent à ceux de la planchette. La bascule est en communication avec le fil de ligne par l'intermédiaire du bouton d'appel, et les deux contacts dont nous venons de parler, correspondent l'un, le supérieur, avec l'un des fils des téléphones qui sont intercalés dans le même circuit, l'autre avec la sonnerie S, qui elle-même communique à la terre. Il résulte de cette disposition, que quand le téléphone de droite appuie de tout son poids sur son support, la bascule du commutateur est inclinée sur le contact inférieur, et, par conséquent, la ligne est mise directement en rapport avec la sonnerie, ce qui permet d'appeler la station. Quand, au contraire, le téléphone est enlevé de son support, la bascule est sur le contact supérieur, et les téléphones sont reliés à la ligne.
Pour appeler la station en correspondance, il suffit d'appuyer sur le bouton transmetteur; alors la liaison de la ligne avec les téléphones est brisée et établie avec la pile du poste, laquelle envoie un courant à travers la sonnerie du poste correspondant. Pour obtenir ce double effet, le ressort de contact du bouton transmetteur appuie en temps ordinaire contre un contact adapté à une équerre qui l'enveloppe par sa partie antérieure, et, au-dessous de ce ressort, se trouve un second contact qui communique avec le pôle positif de la pile du poste. L'autre contact correspond au fil de ligne, et une liaison est établie entre le fil de terre et le pôle négatif de la pile du poste, ce qui fait que ce fil de terre est commun à trois circuits:
- 1o Au circuit des téléphones;
- 2o Au circuit de la sonnerie;
- 3o Au circuit de la pile locale.
La seconde fourche qui sert de support au téléphone de droite est fixée sur la planchette et n'a aucun rôle électrique à remplir.
Il est facile de comprendre que ce dispositif peut être varié de mille façons différentes, mais nous nous bornerons au modèle que nous venons de décrire qui est le plus pratique.
Système de M. Edison.—Avec les téléphones à pile, le problème est plus complexe, à cause de l'emploi d'une pile qui doit être commune à deux systèmes d'appareils, et de la bobine d'induction qui doit être intercalée dans deux circuits distincts. La figure 49 représente le modèle qui a été adopté pour le téléphone de M. Edison. Dans ce dispositif, la planchette d'acajou porte au milieu une petite étagère C pour y poser les deux téléphones par leur partie plate. La sonnerie S est mise en action par un parleur électro-magnétique P qui peut servir, par l'adjonction d'une clef Morse M au système, à l'échange d'une correspondance en langage Morse, si les téléphones faisaient défaut, ou pour l'organisation de ces téléphones eux-mêmes.
Au-dessous de ce parleur, est disposé un commutateur à bouchon D pour mettre la ligne en transmission ou en réception, avec ou sans sonnerie, et enfin au-dessous de la planchette étagère C, est disposée, dans une petite boîte fermée E, la bobine d'induction destinée à transformer les courants voltaïques en courants induits.
Fig. 49.
Quand le commutateur est placé sur réception, la ligne correspond directement soit au parleur, soit au téléphone récepteur, suivant le trou dans lequel le bouchon est introduit; quand, au contraire, il est placé sur transmission, la ligne correspond au circuit secondaire de la bobine d'induction. Dans ces conditions, la manœuvre ne peut plus être automatique; mais comme ce genre de téléphone ne peut être appliqué avec avantage que pour la télégraphie et que ce sont alors des personnes habituées aux appareils électriques qui en font usage, cette complication ne peut présenter d'inconvénients.[Table des Matières]
SONNERIES D'APPEL ET AVERTISSEURS.
Les sonneries d'appel appliquées aux services téléphoniques ont été combinées de diverses manières. Quand on emploie les sonneries trembleuses, comme dans les cas dont il a été question précédemment, il devient nécessaire d'employer une pile, et le grand avantage que présente le téléphone à courants induits se trouve ainsi notablement amoindri. On a donc cherché à se passer de pile et on a imaginé d'employer des sonneries magnéto-électriques.
Ce sont généralement deux timbres entre lesquels oscille un marteau, dont le support est constitué par l'armature polarisée d'un électro-aimant. Au-dessous de ce système, est disposé l'appareil magnéto-électrique qui, étant tourné à l'aide d'une manivelle, envoie les courants alternativement renversés, nécessaires pour communiquer au marteau un mouvement vibratoire, et ce mouvement est suffisant pour faire carillonner les deux timbres. Au-dessous de la manivelle de ce système magnéto-électrique, se trouve un commutateur à deux contacts qui dispose l'appareil pour la réception ou la transmission.
Dans un autre système imaginé en Allemagne, on utilise le téléphone lui-même pour l'avertissement, et voici comment.
À l'état de repos, le téléphone transmetteur est remplacé par un système semblable qui est terminé par un cornet allongé en forme de porte-voix. Au poste opposé se trouve un timbre en acier de 12 centimètres environ de diamètre, qui peut être frappé aisément par un marteau en bois dur monté sur un ressort. Perpendiculairement à la direction du choc et un peu au-dessous du timbre, est placé, en face de son ouverture, un barreau aimanté qui est en communication avec la ligne téléphonique par des bobines d'induction. Lorsque le timbre frappé par le marteau entre en vibration en rendant un son strident, le barreau aimanté est influencé, et transmet à l'autre station ce son qui a une intensité beaucoup plus grande que la voix humaine, et le pavillon du porte-voix concentrant les vibrations aériennes résultantes, fait entendre ce son dans toute l'étendue de l'appartement où est l'expérimentateur; on est ainsi dispensé de l'emploi de la sonnerie électrique et de sa pile qui sont étrangères au téléphone.
La Compagnie du téléphone Bell à Paris a disposé encore un petit système d'appel, qui est bien suffisant et qui a l'avantage de servir de téléphone eu même temps. C'est un modèle analogue à celui que nous avons désigné sous le nom de téléphone à tabatière, et qui possède un commutateur à bouton au moyen duquel la ligne est mise en rapport avec le système électro-magnétique de l'appareil, ou avec une pile capable de faire vibrer assez énergiquement ce genre de téléphone. Quand on appelle, on presse le bouton, et le courant de la pile est envoyé à travers l'appareil correspondant qui se met à vibrer sous l'influence d'un cri que l'on émet, et quand on est prévenu que le signal est reçu, on abandonne le bouton, ce qui permet de parler et de recevoir comme avec des téléphones ordinaires.
Fig. 50.
Système de M. de Weinhold.—M. Zetzche parle avec éloge d'un avertisseur, combiné par le professeur A. de Weinhold qui est, du reste, analogue à celui de M. Lorenz que nous représentons fig. 50, et dont l'organe sonore est un timbre d'acier T de 13 à 14 centimètres de diamètre accordé à environ 420 doubles vibrations par seconde. «Ce diamètre et cet accordement, dit-il, ne semblent pas sans quelque importance, et l'on ne peut s'en éloigner beaucoup sans nuire à l'effet. Le timbre a son orifice tourné en bas, et est fixé par son milieu sur un support. Ce dernier est traversé par une barre aimantée recourbée légèrement, pourvue à ses deux extrémités d'appendices en fer entourés de bobines d'induction N, S. Le barreau aimanté du téléphone se termine également par un appendice en fer renfermé dans une bobine. Dans les deux cas, les changements qui se produisent dans l'état magnétique, paraissent être plus intenses que dans les aimants dépourvus d'appendices. La barre aimantée est placée à l'intérieur de la cloche dans le sens d'un de ses diamètres, de sorte que les appendices en touchent presque la paroi.
«Lors donc que le timbre vient à être frappé à un endroit distant d'environ 90° de ce diamètre, au moyen d'un battant en bois M, mu par un ressort et que la main ramène en arrière en tendant le ressort (comme avec les timbres de table) pour le relâcher ensuite, les vibrations qui lui sont communiquées envoient des courants dans les bobines, et ces courants produisent dans la plaque de fer du téléphone des vibrations identiques, qu'un résonnateur conique adapté au téléphone renforce suffisamment, pour qu'on puisse encore les entendre facilement à quelques pas de distance. Pour les usages ordinaires, la bobine du timbre est fermée à court circuit au moyen d'un ressort métallique R, et par conséquent, lorsqu'on frappe le timbre, ce ressort doit être baissé pour faire cesser cette fermeture à court circuit. Un appareil du même genre a encore été combiné par M. W. E. Fein à Stuttgart.»
Fig. 51. et 52.
Système de MM. Dutertre et Gouhault.—Une des plus jolies solutions du problème de l'avertissement téléphonique, est celle qu'ont présentée récemment MM. Dutertre et Gouhault et que nous représentons fig. 51 et 52, l'appareil étant vu sur ses deux faces opposées. C'est une sorte de téléphone en tabatière analogue à celui que nous avons représenté fig. 25 et qui est disposé de manière à transmettre ou à recevoir l'avertissement, suivant la manière dont il est posé sur son support, lequel n'est autre qu'une petite console ordinaire pendue à la muraille. Quand il est posé sur cette console de manière à présenter extérieurement l'embouchure téléphonique, il est dans la position de réception, et alors il peut fournir l'appel. Quand, au contraire, il est renversé sur son support de bas en haut, il fournit l'appel à l'autre station en déterminant, sous l'influence d'une pile, les vibrations d'un trembleur, et ces vibrations se trouvent assez fortement répercutées dans l'appareil en correspondance pour fournir l'appel. En appuyant alors le doigt sur un petit bouton à ressort, et en le prenant à la main, on peut s'en servir comme d'un téléphone ordinaire.
Dans cet appareil, l'aimant NS, fig. 51, est disposé en forme de limaçon, comme ceux dont il a déjà été question, mais le noyau de fer doux S sur lequel est adaptée la bobine E peut déterminer à ses deux extrémités deux effets différents. D'un côté, il réagit sur la lame vibrante LL de l'appareil téléphonique, comme dans les appareils ordinaires, de l'autre, il réagit sur une petite armature adaptée à l'extrémité d'une lame vibrante C, fig. 52, qui, étant tendue contre un contact fixé au pont B, constitue un trembleur électro-magnétique. À cet effet, ce pont communique métalliquement avec le fil de la bobine dont l'autre bout correspond au fil de ligne, et le ressort C est monté sur une pièce A qui porte en même temps un autre ressort DG agissant sur deux contacts, l'un situé en G et qui correspond au fil de terre, l'autre situé en H et qui est réuni au pôle positif de la pile. Un petit bouton mobile qui dépasse le couvercle de la boîte en passant à travers un trou, est fixé en G, et toute cette partie de l'appareil fait face au fond de la boîte. La lame vibrante et son embouchure constituent la partie supérieure, de sorte que tout les mécanismes que nous venons de décrire sont montés sur une cloison intermédiaire entre les deux fonds de la boîte.
Quand cette boîte est appuyée sur son fond, du côté de la fig. 52, le petit bouton adapté en G appuie sur le ressort DG et en le soulevant rompt la communication avec la pile; la bobine de l'appareil est alors simplement réunie au circuit, et elle peut en conséquence recevoir les courants transmis qui suivent le chemin suivant: le fil de ligne, bobine E, pont B, ressort C, ressort DG, contact de terre. Si ces courants sont transmis par un trembleur, ils sont assez forts pour déterminer un bruit capable d'être entendu de tous les points d'une pièce, et en conséquence l'avertissement peut être donné de cette manière. Si ces courants résultent d'une transmission téléphonique, on place l'appareil à l'oreille en ayant soin de pousser avec le doigt le bouton en G, et l'échange des correspondances se fait comme avec les appareils ordinaires; mais il est plus simple d'avoir pour cet usage un second téléphone intercalé dans le circuit et qui est plus maniable. Quand la boîte est renversée sur son embouchure, le bouton G ne pressant plus le ressort DG, le courant de la pile réagit sur le trembleur de l'appareil et transmet l'appel à la station correspondante en suivant la route: I D A C B E, ligne, terre et pile, et cet appel subsiste jusqu'à ce que le correspondant ait coupé le courant en prenant lui-même son appareil, ce qui prévient l'autre qu'on est prêt à entendre.
Système de M. Puluj.—Voici encore un système avertisseur proposé par le docteur Puluj. Il se compose de deux téléphones sans embouchure, reliés entre eux et dont les bobines sont placées en face des branches de deux diapasons, accordés le plus exactement possible sur le même ton. Une sonnette en métal est adaptée à la face opposée de chacun des diapasons, et un fil suspendu à leur portée, est munie d'une petite boule en contact avec leurs branches. Dès que, à la station de départ on fait vibrer le diapason en le frappant avec un marteau de fer recouvert de peau, le diapason de l'autre station se trouve mis en vibration, et sa boule fait retentir la sonnette. Dès que la première station a reçu le même signal de la seconde, on adapte aux téléphones des embouchures à membranes de fer, et l'on entame la correspondance. On peut, paraît-il, en se servant d'un résonnateur, renforcer le son parvenu à la station de réception au point de le rendre perceptible dans une grande salle, et le signal par la sonnerie peut être entendu dans une pièce attenante, même à travers une porte fermée.[Table des Matières]
APPLICATIONS DU TÉLÉPHONE.
Les applications du téléphone sont beaucoup plus nombreuses qu'on l'aurait pensé à première vue. Au point de vue du service télégraphique, son usage ne peut être évidemment qu'assez restreint, puisqu'il ne laisse pas de traces des dépêches transmises, et que sa vitesse de transmission est moins grande que celle des télégraphes perfectionnés; mais il est une foule de cas où son emploi peut être précieux, même comme système télégraphique, car pour le faire fonctionner il n'est pas besoin d'une éducation télégraphique spéciale. Le premier venu peut transmettre et recevoir avec le téléphone, ce qu'on ne pourrait certainement pas faire avec les appareils télégraphiques, même les plus simples. Aussi ce système est-il employé maintenant pour le service des établissements publics et industriels, pour les services des mines, pour les travaux sous-marins, pour la marine militaire, surtout lorsque plusieurs vaisseaux marchent de conserve dans les mêmes eaux et à la remorque les uns des autres, enfin, pour les opérations militaires, soit pour les transmissions d'ordres à divers corps d'armée, soit pour les correspondances à échanger dans les écoles de tir. En Amérique, le service des télégraphes municipaux et des télégraphes privés à l'intérieur des villes est effectué de cette manière, et il est probable que ce système sera prochainement adopté en Europe. Déjà en Allemagne un service de cette nature est établi depuis l'automne dernier aux bureaux télégraphiques de certaines villes, et le Post-office de Londres s'occupe en ce moment de l'établir en Angleterre. Il est à supposer que le réseau municipal de notre administration française sera un jour ou l'autre desservi ainsi. Mais indépendamment des services qu'il peut rendre comme appareil de correspondance, le téléphone peut être d'un grand secours aux services télégraphiques eux-mêmes en fournissant un moyen des plus simples d'obtenir un grand nombre de transmissions télégraphiques simultanées à travers un même fil et même d'être associés en Duplex avec des télégraphes Morse. Ses applications sous la forme de microphone sont incalculables, et le proverbe qui dit que les murs ont des oreilles pourra devenir de cette manière matériellement vrai. On est effrayé des conséquences que pourrait avoir un organe aussi indiscret. MM. les diplomates devront évidemment redoubler de réserve, et les tendres confidences ne pourront plus se faire avec le même abandon. Y gagnera-t-on? nous n'osons le croire, mais en revanche le médecin pourra vraisemblablement un jour en tirer parti pour étudier avec une plus grande facilité tout ce qui se passe dans notre corps.[Table des Matières]
APPLICATION DU TÉLÉPHONE AUX TRANSMISSIONS TÉLÉGRAPHIQUES SIMULTANÉES.
L'une des plus curieuses et des plus importantes applications du téléphone est celle qu'on peut en faire aux appareils télégraphiques pour transmettre simultanément plusieurs dépêches à travers le même fil, et nous avons vu que c'était cette application qui avait conduit MM. Gray et Bell à leurs téléphones parlants que nous admirons tant aujourd'hui, et qui ont fait perdre un peu de vue les conceptions primitives, bien qu'elles aient peut-être une plus grande importance pratique. Ce sont de ces systèmes dont nous allons maintenant nous occuper.
Pour obtenir la transmission simultanée, il n'est pas besoin d'un téléphone articulant; les téléphones musicaux imaginés par MM. Pétrina, Elisha Gray, Froment, etc., peuvent parfaitement suffire, et pour qu'on puisse le comprendre, il me suffira d'en exposer brièvement le principe: Qu'on imagine aux deux stations en correspondance sept vibrateurs électro-magnétiques accordés sur les différentes notes de la gamme et d'après un même diapason, et admettons qu'une touche analogue à une clef de télégraphe Morse permette, par son abaissement, de faire réagir électriquement chaque vibrateur; on comprendra aisément que ces vibrateurs pourront faire réagir par le même moyen les vibrateurs correspondants de la station opposée, mais il faudra qu'ils soient accordés sur la même note, et la durée des sons émis sera en rapport avec la durée de l'abaissement des touches. On pourra donc, au moyen d'un abaissement court ou prolongé, obtenir des sons longs et brefs qui pourront constituer les éléments du langage télégraphique usité dans le système Morse, et, par conséquent, se prêter à une transmission télégraphique auditive. Admettons maintenant que, devant chacun des vibrateurs dont nous avons parlé, soit placé un employé télégraphiste façonné à ce genre de transmission, et que ces employés transmettent en même temps par ce moyen des dépêches différentes: le fil télégraphique se trouvera instantanément traversé par sept courants interrompus et superposés qui, à la station d'arrivée, sembleraient ne devoir fournir sur tous les vibrateurs qu'un mélange de bruits confus, mais qui, en raison de l'accord existant entre les vibrateurs en correspondance, n'influenceront d'une manière sensible que ceux de ces vibrateurs auxquels ils sont destinés. La prédominance des sons ainsi reproduits, pourra d'ailleurs être accentuée davantage en adaptant à chaque vibrateur un résonnateur d'Helmholtz[27], c'est-à-dire un appareil acoustique susceptible de ne vibrer que sous l'influence d'une seule note sur laquelle il aura été accordé. Par ce moyen, il deviendra donc possible de trier les sons transmis et de ne faire arriver aux oreilles de chaque employé que les sons qui lui sont destinés. Conséquemment, que les sons soient mêlés ou non sur les vibrateurs d'arrivée, l'employé du do ne recevra que des do, l'employé du sol ne recevra que des sol, etc., de sorte que tous les employés pourront correspondre entre eux comme s'ils avaient chacun un fil spécial.
Tel qu'il vient d'être exposé, ce système télégraphique ne permettrait que des transmissions auditives, et l'on ne pourrait pas, par conséquent, obtenir aucune trace des dépêches envoyées. Pour obvier à cet inconvénient, on a imaginé de faire réagir les vibrateurs du poste de réception sur des enregistreurs, en disposant ceux-ci de manière que leur organe électrique présentât assez d'inertie magnétique pour que, étant mis en action sous l'influence des vibrations sonores, il put maintenir l'effet produit tout le temps de la vibration. L'expérience a montré qu'un récepteur Morse, animé par le courant d'une pile locale, suffisait parfaitement pour cela; de sorte qu'en faisant réagir le vibrateur musical comme relais, c'est-à-dire sur un contact en rapport avec la pile locale et le récepteur, on pouvait obtenir sur celui-ci les traces longues et courtes qui sont les éléments constituants du langage Morse.
D'après ces principes, et en considérant les espaces musicaux séparant les différentes notes de la gamme comme suffisants pour être facilement distingués par le résonnateur, on pourrait donc obtenir sept transmissions simultanées à travers le même fil; mais l'expérience a montré qu'il fallait se contenter d'un moins grand nombre. Toutefois, comme on peut appliquer à ce système les moyens de transmission en sens contraire, on peut doubler ce nombre facilement.
Suivant M. G. Bell, l'idée de l'application du téléphone aux transmissions électriques multiples serait venue simultanément à MM. Paul Lacour de Copenhague, à M. Elisha Gray de Chicago, à M. C. Varley de Londres et à M. Edison de New-Marck; mais nous croyons qu'il a fait confusion, car nous voyons déjà, les brevets en mains, que le système de M. Varley date de 1870, que celui de M. Paul Lacour date de septembre 1874, que celui de M. Elisha Gray date de février 1875, et que ceux de MM. Bell et Edison sont postérieurs; mais si on se reporte aux caveats de M. Elisha Gray, on voit que c'est lui qui, le premier, a conçu et exécuté des appareils de ce genre. En effet, dans un caveat rédigé le 6 août 1874, il exposait nettement le système que nous avons décrit précédemment et qui fut la base de ceux dont nous parlerons plus loin. Ce caveat n'était d'ailleurs lui-même qu'un complément de deux autres remplis en avril et en juin 1874. Quant au système de M. Varley, il ne se rapportait que très-indirectement à celui que nous avons exposé. Du reste, M. Bell lui-même semble avoir abandonné maintenant toute prétention à cette invention. Voici, toutefois, ce qu'il disait à cet égard dans son mémoire lu à la Société des ingénieurs télégraphistes de Londres:
«Ayant été frappé de l'idée que la durée plus ou moins grande d'un son musical pouvait représenter le point et la barre de l'alphabet télégraphique, je pensai qu'au moyen d'un clavier de diapasons (analogue à celui d'Helmholtz) adapté à l'une des extrémités d'une ligne télégraphique et disposé de manière à réagir électriquement à l'autre bout de la ligne sur des appareils électro-magnétiques frappant sur des cordes de piano, on pourrait obtenir, par des combinaisons convenables de sons longs et courts, des transmissions télégraphiques simultanées, dont le nombre ne pourrait être limité que par la délicatesse de l'ouïe. Il ne s'agissait pour cela que d'affecter au service de la transmission un employé pour chaque touche du clavier, et de faire en sorte que son correspondant ne put distinguer, au milieu de tous les sons transmis, que celui qui lui était propre. Cette idée envahit tellement mon esprit que je ne m'occupai plus que de résoudre le problème ainsi posé, et c'est ce qui m'a conduit à mes recherches sur la téléphonie.
«Pendant plusieurs années, je cherchai le meilleur moyen de reproduire, à distance, les sons musicaux au moyen de Rhéotomes à trembleur; celui qui m'a donné les meilleurs résultats était une lame d'acier vibrant entre deux contacts et dont les vibrations étaient provoquées et entretenues électriquement au moyen d'un électro-aimant et d'une batterie locale. Par suite de sa vibration, les deux contacts se trouvaient alternativement touchés, et il en résultait des fermetures alternatives de deux circuits, l'un local qui entretenait le mouvement de la lame, l'autre en rapport avec la ligne, et qui réagissait à distance sur le récepteur de manière à lui faire accomplir des vibrations isochrones. Une clef Morse était adaptée dans ce dernier circuit près de l'appareil transmetteur, et quand elle était abaissée, les vibrations étaient transmises à travers la ligne; quand elle était relevée, ces vibrations cessaient, et l'on comprend aisément qu'en abaissant plus ou moins longtemps la clef, on pouvait obtenir les sons brefs et longs nécessaires aux différentes combinaisons du langage télégraphique. De plus, si la lame vibrante de l'appareil récepteur avait été réglée de manière à vibrer à l'unisson de celle de l'appareil transmetteur correspondant, elle devait vibrer beaucoup mieux avec ce transmetteur qu'avec un autre qui n'aurait pas eu sa lame ainsi accordée.
«Il est facile de comprendre, d'après cette disposition d'interrupteur, comment on peut obtenir avec plusieurs lames de sons différents des transmissions simultanées, et comment, au poste de réception, il est possible de distinguer les sons qui sont destinés à chaque employé, puisque c'est celui qui se rapporte au son fondamental de chaque lame vibrante qui est reproduit le plus fortement par cette lame. Conséquemment, les sons provoqués par la lame vibrante du do, par exemple, ne seront bien perceptibles à la station d'arrivée que sur l'appareil dont la lame aura été accordée sur le do, et il en sera de même pour les autres lames; de sorte que les sons arriveront à destination, sinon sans confusion, du moins suffisamment clairement pour être distingués par les employés.
«Sans entrer dans les détails de cette disposition, je dirai seulement qu'il existait dans ce système plusieurs défauts qui peuvent se résumer ainsi:
«1o L'employé qui devait recevoir les dépêches devait avoir une bonne oreille musicale afin de bien distinguer la valeur des sons.
«2o Les signaux ne pouvant être produits qu'autant que les courants transmis sont dans la même direction, il fallait employer deux fils pour échanger les dépêches dans les deux directions.
«Je surmontai la première difficulté en adaptant au récepteur un appareil auquel je donnai le nom d'interrupteur de circuit vibratoire et qui permettait d'enregistrer automatiquement les sons produits. Cet interrupteur était disposé dans le circuit d'une pile locale qui pouvait actionner un appareil Morse sous certaines conditions. Quand les sons émis par l'appareil ne correspondaient pas à ceux pour lesquels il avait été accordé, l'interrupteur restait sans action sur l'appareil télégraphique; au contraire il agissait sur lui quand les sons émis étaient ceux qui devaient être interprétés, et naturellement cette action durait plus ou moins, suivant que ces sons étaient brefs ou longs. Dès lors, on obtenait sur l'appareil télégraphique les points et les traits qui correspondaient aux signaux transmis.»
M. Bell dit encore qu'il a appliqué ce système aux télégraphes électro-chimiques, mais nous n'insisterons pas davantage sur cette partie de l'invention, puisque, ainsi que nous l'avons dit, il semble l'avoir abandonnée.
Système de M. Paul Lacour de Copenhague.—Le système de M. Paul Lacour a été breveté le 2 septembre 1874, mais les premières expériences ont été faites dès le 5 juin de la même année. À cette époque, comme M. Lacour craignait que les vibrations ne fussent pas perceptibles sur de longues lignes, les essais ne furent entrepris que sur une ligne assez courte; mais au mois de novembre 1874, de nouvelles expériences furent entreprises entre Frédériccia et Copenhague, sur une ligne dont la longueur était de 390 kilomètres, et on put constater que les effets vibratoires pouvaient être transmis facilement, même sous l'influence d'une pile assez faible.
Fig. 53.
Dans le système de M. P. Lacour, l'appareil transmetteur est un simple diapason soutenu horizontalement et dont l'un des bras réagit sur un interrupteur de courant qui peut produire à travers la ligne un nombre d'émissions de courants exactement égal à celui des vibrations du diapason. Si un manipulateur Morse est interposé dans le circuit, on comprend aisément qu'en le manœuvrant de manière à produire les traits et les points de l'alphabet Morse, on pourra reproduire ces sortes de signaux à la station opposée, et ces signaux s'y manifesteront par des sons longs et courts, si un récepteur électro-magnétique est disposé en conséquence. Ce transmetteur est indiqué fig. 53.
Fig. 54.
La fig. 54 représente le récepteur de M. Lacour. C'est un diapason F non plus en acier comme le diapason transmetteur, mais en fer doux et dont chacune des branches est introduite dans le tube d'une bobine électro-magnétique CC; deux électro-aimants particuliers M, M réagissent très-près de l'extrémité antérieure de ces branches et de telle manière que les polarités développées sur ces branches sous l'influence des bobines CC, se trouvent être de noms contraires à celles des électro-aimants M, M. Si ce double système électro-magnétique est interposé dans un circuit de ligne, il arrivera que, pour chaque émission de courant qui sera transmise, il se produira une attraction correspondante des branches du diapason, d'où naîtra une vibration, et par suite un son si ces émissions sont nombreuses. Ce son sera naturellement bref ou long, suivant la durée d'action du transmetteur, et il sera le même que celui du diapason de cet appareil. De plus, si l'une des branches du diapason réagit sur un contact P introduit dans le circuit d'une pile locale correspondant à un récepteur Morse, il pourra se produire sur ce récepteur des traces qui seront longues ou courtes suivant la durée des sons reproduits, car l'électro-aimant du Morse se trouvera, si promptement actionné par ces fermetures successives de courant, qu'il ne changera pas de place pendant toute la durée de chaque vibration. «Je n'ai pu encore, dit M. Lacour, à l'Académie des sciences de Danemark, en 1875, calculer le temps nécessaire pour produire dans le diapason du récepteur des vibrations d'un ordre déterminé. Ce temps est fonction de divers facteurs, mais l'expérience a montré que le temps qui s'écoule avant la fermeture du circuit local est une fraction de seconde si petite, qu'elle est presque inappréciable, même quand le courant est très-faible.
«Comme les courants intermittents n'agissent sur un diapason qu'à la condition que ce diapason vibre à l'unisson de celui qui produit ces courants, il en résulte que, si on dispose à l'une des extrémités d'un circuit une série de diapasons transmetteurs accordés sur différentes notes de l'échelle musicale, et que l'on dispose à l'autre extrémité une série semblable de diapasons électro-magnétiques accordés exactement sur les autres, les courants intermittents qui seront transmis par les diapasons transmetteurs, se superposeront sans se confondre, et chacun des diapasons récepteurs électro-magnétiques ne sera impressionnable qu'aux courants lancés par le diapason vibrant à son unisson. De cette façon, les combinaisons de signaux élémentaires représentant un mot, pourront être télégraphiées au même instant.»
M. Lacour énumère de la manière suivante les applications que l'on peut faire de ce système: «si les clefs reliées aux diapasons transmetteurs sont placées les unes à côté des autres et abaissées successivement ou simultanément en nombre plus ou moins grand, il suffira de jouer de ces clefs comme on joue de celles d'un instrument de musique pour jouer un air à distance, ou bien encore les signaux transmis simultanément pourront appartenir chacun à une dépêche différente. Ce système permettra donc à la station extrême d'une ligne de communiquer avec une ou plusieurs stations intermédiaires et vice-versâ, sans troubler en rien l'installation des autres postes. Ainsi deux des stations pourront s'envoyer des signaux sans que les autres s'en aperçoivent. Cette faculté de transmettre beaucoup de signaux à la fois donne un moyen avantageux de perfectionner le télégraphe autographique. Dans les appareils qui existent actuellement, tels que ceux de Caselli, de d'Arlincourt et autres, il n'y a qu'un seul style traceur, et, pour obtenir la copie d'un télégramme, il faut que ce style passe sur toute sa surface; mais avec le téléphone, on peut placer un certain nombre de styles à côté les uns des autres de manière à figurer un peigne, et il suffit de tirer ce peigne dans un sens pour qu'il parcoure la surface du télégramme. On obtiendra ainsi en moins de temps une copie plus fidèle.»
M. Lacour fait remarquer également que son système offre cet avantage déjà signalé par M. Varley, que ses appareils laissent passer les courants ordinaires sans en accuser la présence, d'où il résulterait que les courants accidentels qui troublent généralement les transmissions télégraphiques, seraient sans action sur les systèmes télégraphiques dont il vient d'être question.
Dans l'origine, M. Lacour n'avait pas adapté au transmetteur de son appareil un système électro-magnétique pour entretenir le mouvement du diapason; mais il n'a pas tardé à reconnaître que cet accessoire était indispensable, et il a dû faire de ses diapasons des électro-diapasons. D'un autre côté, il a pensé à transformer les courants transmis en courants ondulatoires en interposant dans le circuit, comme l'avait fait du reste M. Elisha Gray, une bobine d'induction. Enfin, pour obtenir la mise en action immédiate des diapasons et la cessation également immédiate de leur action, il les construisit de manière à rendre leur inertie aussi petite que possible. Le moyen qui lui a le mieux réussi a été d'introduire d'abord les deux branches du diapason dans une même bobine, et de prolonger en arrière le pied du diapason de manière qu'après s'être recourbé, il passât à travers une seconde bobine, se divisant en deux branches et embrassant sans les toucher les deux branches vibrantes. Lorsqu'un courant traverse les deux bobines, il produit dans ces deux systèmes qui constituent une sorte d'électro-aimant en fer à cheval, des polarités contraires qui provoquent une double réaction sur les branches vibrantes, réaction par répulsion exercée par ces deux branches en raison de leur même polarité, réaction par attraction par les deux autres branches en raison de leurs polarités contraires, et cette action est renouvelée par le jeu d'un interrupteur de courant adapté à l'une des branches vibrantes du diapason.
Système de M. Elisha Gray.—Dans le système breveté primitivement, chacun des transmetteurs dont nous représentons fig. 55 la disposition, se compose d'un électro-aimant M M soutenu au-dessous d'une petite tablette de cuivre BS, de manière que ses pôles traversant cette tablette viennent affleurer la surface supérieure de celle-ci. Au dessus de ces pôles se trouve fixée une lame d'acier AS qui peut être tendue plus ou moins au moyen d'une vis S, et contre laquelle vient appuyer une autre vis c, mise en rapport électrique avec une pile locale R' par l'intermédiaire d'une clef Morse. Au-dessous de cette lame AS se trouve un contact d relié au fil de ligne L, lequel contact, étant rencontré par la lame au moment de son attraction par l'électro-aimant, forme le courant d'une pile de ligne P qui agit sur le récepteur de la station opposée. Enfin des communications électriques établies entre la pile locale R' et l'électro-aimant, comme on le voit sur la figure, permettent de déterminer à chaque abaissement de la clef, et à la manière des trembleurs ordinaires, des vibrations de la part de la lame d'acier AS, vibrations qui, par une tension convenable de cette lame et une intensité donnée de la pile R', peuvent fournir une note musicale déterminée. De plus, comme à chaque vibration, cette lame AS rencontre le contact d, des émissions du courant de ligne sont produites à travers la ligne L et peuvent réagir sur l'appareil récepteur en lui faisant reproduire exactement les mêmes vibrations que sur l'appareil transmetteur.
Fig. 55.
L'appareil récepteur que nous représentons fig. 56 est exactement semblable à celui que nous venons de décrire, seulement le contact d manque au-dessous de la lame vibrante AS, et le contact c, au lieu de correspondre au fil de ligne, est relié électriquement à un enregistreur E et à une pile locale P. Or il résulte de cette disposition que quand la lame AS vibre sous l'influence des courants interrompus traversant l'électro-aimant MM, des vibrations semblables sont transmises à travers l'enregistreur; mais si l'organe électro-magnétique de cet enregistreur est convenablement réglé, ces vibrations ne pourront produire que l'effet d'un courant continu, et dès lors les traces laissées sur l'appareil seront plus ou moins longues suivant la durée des sons produits; on aura donc de cette manière l'enregistration des traits et des points qui composent les signaux du vocabulaire Morse.
Fig. 56.
Si l'on considère maintenant que la lame AS peut vibrer d'autant plus facilement, sous l'influence des attractions électro-magnétiques, que le nombre de ces attractions se rapproche davantage de celui des vibrations correspondantes au son fondamental qu'elle peut émettre, on comprend immédiatement qu'en accordant cette lame sur celle de l'appareil transmetteur correspondant de manière à lui faire produire le même son, elle deviendra particulièrement impressionnable aux vibrations transmises par le transmetteur, et les autres vibrations qui pourraient l'affecter n'agiront que faiblement. De plus, un résonnateur placé au-dessus de cette lame pourra encore augmenter dans une grande proportion cette prédisposition; de sorte que si plusieurs systèmes de ce genre, accordés sur des tons différents, fournissent des transmissions simultanées, les sons en rapport avec les différentes vibrations transmises, se trouveront en quelque sorte triés et distribués, malgré leur mélange, sur les récepteurs qui leur sont spécialement appropriés, et chacun d'eux pourra conserver les traces des sons émis, par l'adjonction de l'enregistreur qui pourra être d'ailleurs un récepteur Morse ordinaire convenablement disposé. Suivant M. Elisha Gray, il peut y avoir autant d'appareils transmetteurs et de circuits locaux indépendants qu'il y a de tons et de demi-tons dans deux octaves, ou plus, pourvu que chaque lame vibrante soit accordée sur une note différente de l'échelle musicale. Les instruments pourront être placés les uns à côté des autres, et leurs clefs locales respectives, disposées comme les touches d'un piano, permettront de jouer facilement un air composé de notes et d'accords; on pourra encore espacer les appareils et même les éloigner assez les uns des autres pour que chaque employé ne soit pas importuné par des sons autres que ceux qui sont propres à l'appareil dont il est chargé.
Dans une nouvelle disposition qui a figuré à l'Exposition universelle de 1878, M. Elisha Gray a modifié assez notablement le mode de fonctionnement des divers organes électro-magnétiques que nous venons de décrire; cette fois les lames sont constituées par de véritables diapasons à une branche qui vibrent continuellement aux deux stations, et les signaux ne sont perçus que par des renforcements dans l'intensité des sons produits. Cette disposition a été la conséquence de la nécessité dans laquelle on se trouve, pour des transmissions multiples de ce genre, de maintenir le circuit de ligne toujours fermé, afin de réagir avec des courants ondulatoires, les seuls qui, ainsi qu'on l'a vu page 39, peuvent conserver à plusieurs sons transmis simultanément leur caractère individuel.
Fig. 57.
Dans ces conditions, le transmetteur se compose, comme on le voit fig. 57, d'une branche de diapason a munie d'une rainure dans laquelle peut courir un curseur pesant afin d'accorder le diapason sur la note voulue, et qui oscille entre deux électro-aimants e et f et deux contacts I et G. Ces électro-aimants ont une résistance très-différente; celle de l'un f est de 3 kilomètres de fil télégraphique, et celle de l'autre ne dépasse pas 400 mètres. Les communications électriques étant établies ainsi qu'on le voit sur la figure, voici ce qui se passe: le courant de la pile locale BL étant fermé à travers les deux électro-aimants e et f par le contact de repos de la clef Morse H, la lame a se trouve sollicitée par deux actions contraires; mais comme l'électro-aimant f a plus de spires que l'électro-aimant e, son action est prépondérante, et la lame a se trouve attirée du côté de f, déterminant avec le ressort G un contact qui ouvre une issue moins résistante au courant; celui-ci passant alors presqu'entièrement par G, b, 1, 2, B, permet à l'électro-aimant e d'exercer à son tour son action; la lame a se trouve alors attirée vers e et, déterminant un contact sur le ressort I, peut transmettre à travers la ligne télégraphique le courant de ligne BP, si la clef H est en ce moment abaissée sur le contact de transmission; si elle ne l'est pas, aucun effet n'a lieu de ce côté, mais comme la lame a a abandonné le ressort G, le premier effet attractif de l'électro-aimant f se renouvelle et tend à attirer de nouveau la lame vers f, et les choses se renouvelant ainsi indéfiniment, la vibration de la lame a se trouve entretenue, déterminant des émissions de courants de ligne en rapport avec ces vibrations, toutes les fois que la clef H se trouve abaissée. Ces vibrations sont d'ailleurs facilitées par l'élasticité de la lame qui doit d'ailleurs être mise en vibration mécaniquement au début.
Fig. 58.
Le récepteur que nous représentons fig. 58, consiste dans un électro-aimant M, monté sur une caisse sonore C et dont l'armature est constituée par une lame de diapason LL solidement fixée sur la caisse avec arqueboutement par une traverse T. Cette armature porte un curseur P, mobile dans une rainure, qui permet d'accorder ses vibrations propres sur la note fondamentale de la caisse sonore C, laquelle doit vibrer à l'unisson avec elle et est disposée en conséquence. Par conséquent, quand la lame LL vibre, l'intensité de la note fondamentale est amplifiée suivant les lois bien connues des résonnateurs, et un son ne pourra être reproduit par elle qu'à la condition de vibrer à l'unisson avec elle. Dans ces conditions, la caisse aussi bien que le diapason agira donc comme un analyseur des vibrations transmises par les courants, et pourra faire fonctionner l'enregistreur en réagissant elle-même sur un interrupteur de courant local. Pour obtenir ce résultat, il suffit de tendre devant l'ouverture de la caisse une membrane de baudruche ou de parchemin et d'y adapter un contact de platine disposé de manière à rencontrer, quand la membrane entre en vibration, un ressort métallique relié à un enregistreur quelconque, soit un appareil Morse. Toutefois, comme en Amérique les dépêches sont généralement reçues au son, on n'emploie pas ce complément du système.
On règle l'appareil non-seulement au moyen du curseur P mais encore d'une vis de réglage V qui permet de placer l'électro-aimant M dans une position convenable; ce réglage est assuré au moyen de la petite vis v, et l'appareil est relié à la ligne par le bouton d'attache B. Ce double dispositif est naturellement établi pour chacun des systèmes de transmission.
Comme je le disais, on pourrait à la rigueur transmettre simultanément de cette manière sept dépêches différentes à la fois, mais jusqu'à présent M. Elisha Gray n'a disposé ses appareils que pour quatre; il leur a appliqué toutefois la combinaison en duplex, ce qui lui a permis de doubler le nombre des transmissions; de sorte que huit dépêches peuvent être transmises en même temps, quatre dans le même sens, quatre en sens contraire.
D'après l'Engineering et du reste d'après ce que m'a affirmé M. Haskins, ce système aurait fonctionné avec le succès le plus complet sur les lignes de la Western-Union Telegraph Company, de Boston à New-York et de Chicago à Milwaukee. Mais depuis ces expériences, de nouveaux perfectionnements ont permis de transmettre un beaucoup plus grand nombre de dépêches.
M. Elisha Gray a combiné encore, conjointement avec M. Haskins, un système dans lequel il peut effectuer des transmissions téléphoniques sur un fil déjà desservi par des appareils Morse. C'est un problème qu'avait résolu avant lui M. Varley; mais le système de M. Elisha Gray paraît avoir fourni des résultats très-importants, et à ce titre il mérite de fixer l'attention. Nous ne le décrirons pas toutefois ici, car nous sortirions du cadre que nous nous sommes tracé, et nous nous réservons d'en parler dans les appendices que nous ajouterons à notre exposé des applications de l'électricité. En attendant, ceux que cette question pourra intéresser trouveront tous les détails nécessaires dans un travail inséré dans le journal de la Société des ingénieurs télégraphistes de Londres, tome VI, p. 506.
Système de M. Varley.—Ce système est évidemment le premier en date, puisqu'il a été breveté en 1870 et que ce brevet indique en principe la plupart des dispositifs adoptés depuis par MM. Paul Lacour, Elisha Gray et G. Bell. Il est basé sur l'emploi du téléphone musical du même auteur que nous avons décrit p. 25 et dont il a, du reste, varié la disposition de plusieurs manières qu'il indique, en le rapportant plus ou moins au système de Reiss.
En fait, le but que s'était proposé M. Varley était de faire fonctionner son appareil téléphonique concurremment avec des instruments à courants ordinaires, par la superposition d'ondes électriques rapides, incapables d'altérer pratiquement le pouvoir mécanique ou chimique des courants formant les signaux ordinaires, mais susceptibles de produire des signaux distincts perceptibles à l'oreille et même à l'œil. «Un électro-aimant, dit-il, offre au premier moment une grande résistance au passage d'un courant électrique, et, par suite, peut être regardé comme un corps partiellement opaque eu égard à la transmission de courants inverses très-rapides ou d'ondes électriques. En conséquence, si on place à la station de transmission un diapason ou un instrument à lame vibrante accordé sur une note déterminée et disposé de manière à avoir son mouvement sans cesse entretenu par des moyens électriques, on pourra, en faisant passer le courant qui l'anime à travers deux hélices superposées constituant l'hélice primaire d'une bobine d'induction, obtenir dans deux circuits distincts deux séries de courants rapidement interrompus qui correspondront aux deux sens de la vibration du diapason, et l'on aura encore les courants induits déterminés dans l'hélice secondaire par ces courants, qui pourront animer un troisième circuit. Ce troisième circuit pourra d'ailleurs être mis en rapport avec une ligne télégraphique déjà desservie par un système télégraphique ordinaire, si on y adapte un condensateur, et l'on pourra obtenir deux transmissions simultanées différentes[28].»
Fig. 59.
La figure 59 représente le dispositif de ce système, D est la lame vibrante du diapason appelée à fournir les contacts électriques pour l'entretien de son mouvement. Ces contacts sont en S et S', et les électro-aimants qui l'actionnent sont en M et M'; la bobine d'induction est en I, et les trois hélices qui la composent sont indiquées par les lignes circulaires qui l'entourent. En A se trouve un manipulateur Morse; un autre est en A', et en P et P' se trouvent les deux piles destinées à animer le système. Le condensateur est en C et le téléphone T à l'extrémité de la ligne L.
Quand la vibration de la lame D se porte à droite et que le contact électrique est effectué en S', le courant de la pile P', après avoir traversé la première hélice, arrive aux électro-aimants M, M' qui l'actionnent en lui donnant une impulsion en sens contraire. Quand au contraire elle se porte vers la gauche, le courant est envoyé à travers le second circuit primaire qui sera équilibré avec le premier. Il en résultera donc dans le circuit induit correspondant à la clef A', une série de courants renversés qui chargeront et déchargeront alternativement le condensateur C, envoyant ainsi sur la ligne une série correspondante d'ondulations électriques qui réagiront sur l'appareil téléphonique placé à l'extrémité de la ligne, et comme ces courants peuvent être transmis avec des durées plus ou moins longues suivant le temps d'abaissement de la clef A', on pourra obtenir sur cet appareil téléphonique une correspondance en langage Morse en même temps qu'une autre correspondance sera échangée avec la clef A et les récepteurs Morse ordinaires.
Pour rendre sensibles à la vue les signaux vibratoires, M. Varley propose d'employer, pour la reproduction des vibrations, un fil d'acier fin, tendu à travers une hélice, en regard d'une fente très-étroite. On place derrière la fente une lumière qui est interceptée par le fil. Mais aussitôt qu'un courant passe, le fil vibre et une lumière apparaît. Une lentille placée en avant projette une image agrandie de la fente lumineuse sur un écran blanc tant que le fil est en vibration.[Table des Matières]
APPLICATIONS DIVERSES DU TÉLÉPHONE.
Applications aux usages domestiques.—Nous avons vu que le téléphone pouvait être employé avec beaucoup d'avantages aux services des établissements publics et privés; ils sont en effet d'une installation beaucoup moins dispendieuse que les tubes acoustiques, et peuvent s'appliquer dans des cas où ceux-ci ne pourraient jamais être employés. Grâce aux avertisseurs dont nous avons parlé, ils présentent les mêmes avantages, et la liaison des appareils entre eux peut être beaucoup mieux dissimulée. La différence du prix d'installation est d'ailleurs environ dans le rapport de 1 à 7.
Pour ce genre d'application, les téléphones magnéto-électriques sont évidemment ceux auxquels on doit donner la préférence, car ils ne nécessitent pas de pile, et sont toujours prêts à fonctionner. On les emploie déjà dans la plupart des bureaux des ministères, et il est probable que d'ici à peu de temps, ils seront l'accompagnement des sonneries électriques pour le service des hôtels et des grands établissement publics et privés; on pourra même les employer dans les maisons particulières pour donner des ordres aux domestiques éloignés ou aux concierges qui, par leur intermédiaire, pourront éviter aux visiteurs la fatigue de monter inutilement plusieurs étages. Dans ce cas, ces appareils devront être accompagnés de commutateurs et de boutons d'appel dont la disposition se devine du reste aisément.
Dans les établissements industriels, les téléphones remplaceront évidemment prochainement les systèmes télégraphiques déjà installés dans beaucoup d'entre eux. Ils pourront alors servir non-seulement à la transmission des ordres ordinaires, mais encore aux services de secours en cas d'incendie, et ils feront partie intégrante des divers systèmes déjà établis dans ce but.
Dans les pays qui ont la liberté de communication télégraphique, le téléphone a déjà remplacé en grande partie les appareils de télégraphie privée jusque-là en usage, et si nous jouissons un jour de ce privilége, il est évident qu'on n'emploiera pas d'autre moyen de correspondance. Espérons que d'ici à peu de temps ce desiderata exprimé depuis si longtemps aux divers gouvernements qui se sont succédé, sera enfin accompli, et le téléphone sera venu juste à point pour inaugurer cette ère nouvelle.
Application aux services télégraphiques.—Les avantages que le téléphone peut rendre aux services télégraphiques est assez restreint, car au point de vue de la célérité de la transmission des dépêches, il aurait évidemment une moindre valeur que beaucoup de nos appareils télégraphiques actuellement en usage, et les dépêches qu'ils fourniraient ne seraient pas susceptibles d'être contrôlées. Néanmoins dans les bureaux municipaux peu chargés de dépêches, ils pourraient présenter des avantages en ce sens que l'on n'aurait pas besoin de former des employés. Mais sur les lignes un peu longues, leur emploi serait évidemment moins avantageux. Le Journal télégraphique de Berne a publié à cet égard des considérations d'un grand intérêt sur lesquelles nous appellerons l'attention du lecteur et qu'il résume ainsi:
«1o Pour transmettre une dépêche avec tous les avantages que comporte le système, il faudrait que l'expéditeur pût parler directement au destinataire sans l'intermédiaire d'employés. Et tous ceux qui connaissent l'organisation des réseaux savent que cela n'est pas possible, qu'il faut nécessairement des bureaux intermédiaires de dépôt, et que le public ne peut être admis dans les bureaux de transmission et de réception; par conséquent l'expéditeur devra remettre sa dépêche écrite.
«2o L'employé une fois chargé de ce soin, l'appareil a déjà perdu un de ses principaux avantages, car cet employé va lire la dépêche et devra la prononcer à son correspondant; mais si cette dépêche est écrite dans une langue étrangère, cela devient évidemment impossible.
«3o Enfin, aujourd'hui les administrations possèdent des instruments qui permettent d'expédier les dépêches avec une vitesse plus grande que celle qu'on obtiendrait en les expédiant par la voix.»
Cependant on a installé en Allemagne dans différents bureaux télégraphiques un service téléphonique, et pour qu'on puisse comprendre les avantages qu'on peut y trouver, il suffira de se reporter à la circulaire administrative qui a créé l'établissement de ces services. Voici cette circulaire:
Les bureaux qui seront ouverts au public pour le service des dépêches téléphoniques en Allemagne, seront considérés comme des établissements indépendants; mais ils seront en même temps rattachés aux bureaux télégraphiques ordinaires, lesquels se chargeront de la transmission, sur leurs fils, des télégrammes envoyés au moyen du téléphone.
«La transmission aura lieu de la manière suivante: le bureau qui aura un télégramme à expédier invitera le bureau de destination à mettre l'appareil en place. Dès que les cornets auront été ajustés, le bureau de transmission donnera le signal de l'envoi de la dépêche verbale.
«L'expéditeur devra parler lentement d'une manière claire et sans forcer la voix; les syllabes seules seront nettement séparées dans la prononciation, on aura soin surtout de bien articuler les syllabes finales et d'observer une pause après chaque mot, afin de donner à l'employé récepteur le temps nécessaire à la transcription.
«Lorsque le télégramme a été reçu et transmis, l'employé du bureau de destination vérifie le nombre de mots envoyés; puis il répète, à l'aide du téléphone, le télégramme entier rapidement et sans pause, afin de constater qu'aucune erreur n'a été commise.
«Pour assurer le secret des correspondances, les instruments téléphoniques sont installés dans des locaux particuliers, où les personnes étrangères au service ne peuvent entendre celui qui envoie la dépêche verbale, et il est interdit aux employés de communiquer à qui que ce soit le nom de l'expéditeur ou celui du destinataire.
«Les taxes à percevoir pour les dépêches téléphoniques sont calculées à tant par mot, comme sur les lignes télégraphiques ordinaires.»
Application aux arts militaires.—Depuis la découverte du téléphone, de nombreuses expériences ont été entreprises dans les différents pays, pour reconnaître les avantages que pourrait fournir son emploi à l'armée pour les opérations militaires. Jusqu'à présent ces expériences n'ont été que médiocrement satisfaisantes à cause des bruits qui existent toujours dans une armée et qui empêchent le plus souvent d'entendre; et on recherche avec empressement tous les moyens de rendre les bruits du téléphone plus accentués. Au moment de la découverte du microphone, on avait cru un instant le problème résolu, et plusieurs écoles militaires m'avaient demandé des renseignements à cet égard; mais je ne vois pas jusqu'ici que la question ait bien avancé sous ce rapport. Quoi qu'il en soit, le téléphone a été un instrument excessivement utile dans les écoles de tir et sur les polygones d'artillerie. Avec la grande portée qu'ont aujourd'hui les armes à feu, il devenait nécessaire pour juger de la justesse du tir d'être prévenu télégraphiquement de la position des points frappés des cibles, et on avait même imaginé pour cela, des cibles télégraphiques; mais le téléphone est bien préférable, et on l'emploie aujourd'hui avec un grand succès.
Si le téléphone présente des inconvénients pour le service de la télégraphie volante en campagne, en revanche il peut être d'un grand secours pour la défense des places, pour la transmission des ordres du commandant aux différentes batteries et même pour l'échange des correspondances avec des ballons captifs lancés au-dessus des champs de bataille.
Malgré les difficultés de son emploi à l'armée, des essais ont été tentés par les Russes à la dernière guerre; le câble des fils de communication était assez léger pour être posé par un seul homme et avait de quatre cents à cinq cents mètres. «Le mauvais temps, dit le Telegraphic Journal du 15 mars 1878, ne troubla pas le fonctionnement des appareils, mais le bruit empêchait d'entendre, et on était obligé de se couvrir la tête avec le capuchon d'un grand manteau pour intercepter les sons extérieurs.» Les résultats n'ont donc pas été très-satisfaisants. Toutefois le téléphone peut rendre à l'armée de grands services, en permettant d'intercepter au passage les dépêches de l'ennemi; ainsi un homme résolu muni d'un téléphone de poche pourra, en se plaçant dans un endroit écarté, établir des dérivations entre le fil télégraphique de l'ennemi et son téléphone et saisir parfaitement, ainsi qu'on l'a vu, toutes les dépêches transmises. Il pourra même obtenir ce résultat en prenant ses dérivations à la terre ou sur un rail de chemin de fer. Bien des recherches sont du reste encore à tenter dans cet ordre d'idées et il est probable que l'on arrivera quelque jour à des combinaisons tout à fait pratiques.
Applications à la marine.—L'un des plus grands avantages du téléphone est celui qu'il peut rendre à la marine pour le service des électro-sémaphores, des forts en mer, et des navires mouillés en rade. «Les essais faits entre la préfecture maritime de Cherbourg, les sémaphores et les forts de la digue, dit M. Pollard, ont fait ressortir les avantages qu'il y aurait à munir ces postes de téléphones, ce qui assurerait une communication facile entre les bâtiments d'une escadre et la terre ou entre ces navires eux-mêmes. En mouillant de petits câbles qui viendraient à la surface de la mer le long des chaînes des corps-morts et aboutiraient aux bouées ou coffres disposés en permanence dans la rade, les navires de guerre en s'amarrant se mettraient de cette manière en relation avec la préfecture maritime, et en mouillant temporairement des câbles légers d'un bâtiment à l'autre, l'amiral entrerait en communication intime avec les bâtiments de son escadre.»
On a essayé l'application du téléphone à bord des navires pour la transmission des ordres, mais le bruit qui existe toujours sur un bâtiment empêche d'entendre, et les résultats ont été négatifs.
C'est surtout pour les torpilles sous-marines que l'usage du téléphone peut être utile. Nous avons déjà vu le genre de service qu'il peut rendre quand il est accompagné d'un microphone. Mais il peut encore être très-utile pour la mise à feu des torpilles, lorsqu'il s'agit de connaître la position exacte du navire ennemi d'après deux visées faites en deux points différents de la côte.
D'un autre côté, M. Trève a montré qu'on pouvait encore employer avec avantage le téléphone pour relier télégraphiquement des navires marchant à la remorque l'un de l'autre, et M. des Portes en a fait une très-heureuse application pour les recherches que l'on est souvent appelé à faire au fond de la mer à l'aide du scaphandre. Dans ce cas, on remplace une glace du casque par une plaque en cuivre dans laquelle est enchâssé le téléphone, ce qui fait que le scaphandrier n'a qu'un léger mouvement de tête à faire soit pour recevoir des communications de l'extérieur, soit pour en adresser. Avec ce système, on peut visiter les carènes des navires et rendre compte de tout ce que l'on voit, sans qu'il soit besoin de ramener les scaphandriers hors de l'eau, comme on était obligé de le faire jusque-là.
Applications industrielles.—L'une des premières et des plus importantes applications qui ont été faites du téléphone est celle qui a été tentée des l'automne de 1877 en Angleterre et en Amérique pour le service des mines. Les galeries de mines sont, comme on le sait, souvent bien longues, et les transmissions des ordres de services avaient déjà nécessité l'emploi de télégraphes électriques; mais les mineurs sont loin d'être exercés à la manœuvre de ces appareils, et ce service laissait beaucoup à désirer. Grâce au téléphone qui permet au premier venu de transmettre et de recevoir, rien ne s'oppose plus maintenant à un échange facile de communications entre les galeries et le dehors.
On a pu aussi à l'aide du téléphone surveiller la ventilation dans les mines. Un téléphone étant placé près d'une roue mise en mouvement par l'air servant à la ventilation et étant relié à un autre téléphone placé dans le bureau de l'ingénieur, celui-ci pourra constater par le bruit qu'il entendra, si la ventilation se fait dans les conditions convenables et si la machine fonctionne régulièrement.
Application aux recherches scientifiques.—Les expériences de M. d'Arsonval que nous avons rapportées p. 149, nous ont montré qu'on pouvait employer le téléphone comme un galvanoscope des plus sensibles; mais comme cet appareil ne peut fournir des sons que sous l'influence de courants interrompus, il faut que le circuit sur lequel on expérimente soit coupé à des intervalles plus ou moins rapprochés. Il n'est même pas nécessaire, comme on l'a vu, que le téléphone soit interposé dans le circuit; il peut être impressionné à distance, soit directement, soit par l'induction du courant interrompu sur un autre circuit placé parallèlement à côté du premier, et on peut augmenter la puissance de ces effets par la réaction d'un noyau de fer autour duquel on enroule le circuit inducteur. L'inconvénient de ce système est que l'on n'obtient pas le sens du courant et qu'il ne peut être employé comme instrument mesureur; mais, en revanche, il est tellement sensible, tellement facile à installer et si peu coûteux, qu'employé comme galvanoscope, il peut rendre les plus grands services.
Lors des essais que l'on a faits du téléphone entre Calais et Boulogne, on a constaté un résultat qui semblerait indiquer une application avantageuse de cet appareil à l'étude de la balistique. En effet, des expériences de tir étant faites sur la plage de Boulogne, on a placé près de la pièce de canon un téléphone, et l'on a perçu la détonation à trois kilomètres (point de chute). En mesurant le temps écoulé entre la sortie du projectile et sa chute, on a pu calculer sa vitesse. Cette appréciation se fait ordinairement par l'observation visuelle de la flamme qui accompagne la sortie du projectile; mais dans certaines circonstances telles que le brouillard ou le tir à longue portée, le téléphone remplacerait peut-être l'observation visuelle. Sur le champ de bataille, un observateur muni d'un téléphone et placé sur une éminence, pourrait, à distance, rectifier le tir de sa batterie établie généralement dans un endroit abrité et moins élevé.[Table des Matières]
LE PHONOGRAPHE.
Le phonographe de M. Edison qui a tant préoccupé les esprits depuis quelques mois, est un appareil qui, non-seulement enregistre les diverses vibrations déterminées par la parole sur une lame vibrante, mais qui reproduit encore la parole d'après les traces enregistrées. La première fonction de cet appareil n'est pas le résultat d'une découverte nouvelle. Depuis bien longtemps les physiciens avaient cherché à résoudre le problème de l'enregistration de la parole, et, en 1856, M. Léon Scott avait combiné un instrument bien connu des physiciens sous le nom de phonautographe qui résolvait parfaitement la question; cet appareil est décrit dans tous les traités de physique un peu complets; mais la seconde fonction de l'appareil d'Edison n'avait pas été réalisée ni même posée par M. L. Scott, et nous nous étonnons que cet intelligent inventeur ait vu dans l'invention de M. Edison un acte de spoliation commis à son préjudice. Nous regrettons surtout pour lui, à qui, quoiqu'il en dise, tout le monde a rendu justice, qu'il ait à cette occasion publié, en termes amers, une sorte de pamphlet qui ne prouve absolument rien, et qui n'apprend que ce que tous les physiciens savent déjà. Si quelqu'un pouvait élever des prétentions à l'égard de l'invention du phonographe, du moins dans ce qu'il a de plus curieux, c'est-à-dire la reproduction de la parole, ce serait bien certainement M. Ch. Cros; car dans un pli cacheté déposé à l'Académie des sciences, le 30 avril 1877, il indiquait en principe un instrument au moyen duquel on pouvait obtenir la reproduction de la parole d'après les traces fournies par un enregistreur du genre du phonautographe[29]. Le brevet de M. Edison dans lequel le principe du phonographe est indiqué pour la première fois, ne date en effet que du 31 juillet 1877, et encore ne s'appliquait-il qu'à la répétition des signaux Morse. Dans ce brevet, M. Edison ne fait que décrire un moyen d'enregistrer ces signaux par des dentelures effectuées par un style traceur sur une feuille de papier enveloppant un cylindre, et ce cylindre était creusé sur sa surface d'une rainure en spirale. Les dentelures ou gaufrages ainsi produits devaient être utilisés, d'après le brevet, pour transmettre automatiquement la même dépêche, en repassant sous un style capable de réagir sur un interrupteur de courant. Il n'est donc dans ce brevet nullement question de l'enregistration de la parole ni de sa reproduction; mais, comme le fait observer le Telegraphic journal du 1er mai 1878, l'invention précédente lui donnait les moyens de résoudre ce double problème aussitôt que l'idée lui en serait venue. S'il faut en croire les journaux américains, cette idée ne tarda pas à se faire jour, et elle aurait été le résultat d'un accident. Pendant des expériences qu'il faisait un jour avec le téléphone, un style attaché au diaphragme lui piqua le doigt au moment où le diaphragme entrait en vibration sous l'influence de la voix, et cette piqûre avait été assez forte pour que le sang en jaillit; il pensa alors que, puisque les vibrations de ce diaphragme étaient assez fortes pour percer la peau, elles pourraient bien produire sur une surface flexible des gaufrages assez caractérisés pour représenter toutes les inflexions des ondes provoquées par la parole, et il put croire que ces gaufrages pourraient même reproduire mécaniquement les vibrations qui les avaient provoquées, en réagissant sur une lame capable de vibrer à la manière de celle qu'il avait déjà employée pour la reproduction des signaux Morse. Dès lors le phonographe était découvert, car de cette idée à sa réalisation, il n'y avait qu'un pas, et, en moins de deux jours, l'appareil était exécuté et expérimenté.
Cette petite histoire est assez ingénieuse et fait bien dans le tableau, mais nous aimons à croire que cette découverte a été faite un peu plus sérieusement. En effet, un inventeur comme M. Edison, qui avait découvert l'électro-motographe, et qui l'avait appliqué au téléphone, se trouvait par cette application même sur la voie du phonographe, et nous estimons trop M. Edison pour ajouter foi au petit roman américain. D'ailleurs le phonautographe de M. L. Scott était parfaitement connu de M. Edison.
Ce n'est qu'au mois de janvier 1877, que le phonographe de M. Edison a été breveté. Par conséquent, au point de vue du principe de l'invention, M. Ch. Cros paraît avoir une priorité incontestable; mais son système tel qu'il est décrit dans son pli cacheté et tel qu'il a été publié dans la Semaine du clergé du 10 octobre 1877, aurait-il été susceptible de reproduire la parole?... Nous en doutons fort, et notre doute pourrait être légitimé par les essais infructueux tentés par M. l'abbé Leblanc qui avait voulu réaliser l'idée de M. Cros. Quand il s'agit de vibrations aussi accidentées, aussi complexes que celles qui sont exigées pour la reproduction des mots articulés, il faut que leur clichage soit en quelque sorte moulé par elles-mêmes, et leur reproduction artificielle doit forcément laisser échapper les nuances qui distinguent les fines liaisons du langage; d'ailleurs, les mouvements déterminés par une pointe engagée dans une rainure suivant une courbe sinusoïde, ne peuvent s'effectuer avec toute la liberté nécessaire au développement des sons, et les frottements exercés sur les deux bords opposés de la rainure, seraient d'ailleurs souvent de nature à les étouffer. Un membre distingué de la Société de physique disait avec raison, quand j'ai présenté le phonographe à cette Société, que toute l'invention de M. Edison résidait dans la feuille métallique mince sur laquelle les vibrations se trouvent inscrites, et effectivement, c'est grâce à cette feuille qui a permis de clicher directement les vibrations d'une lame vibrante, que le problème a pu être résolu; mais il fallait penser à ce moyen, et c'est M. Edison qui l'a trouvé; c'est donc lui qui est bien l'inventeur du phonographe.
Après M. Ch. Cros, et encore avant M. Edison, MM. Napoli et Marcel Deprez avaient cherché à construire un phonographe; mais leurs essais avaient été si infructueux qu'ils avaient cru un moment le problème insoluble, et quand on annonça à la Société de physique l'invention de M. Edison, ils la mirent en doute. Depuis, ils ont repris leurs travaux et nous font espérer qu'un jour ils pourront nous présenter un phonographe encore plus perfectionné que celui de M. Edison; c'est ce que la suite nous dira.
En définitive, c'est M. Edison qui le premier a reproduit, mécaniquement la parole, et a réalisé par ce fait, une des plus curieuses et des plus importantes découvertes de notre époque; car elle a pu nous montrer que cette reproduction est beaucoup moins compliquée qu'on pouvait le supposer. Cependant il ne faut pas s'exagérer les conséquences théoriques de cette découverte qui n'a pas du tout démontré, suivant moi, que nos théories sur la voix fussent inexactes. Il faut, en effet, établir une grande différence entre la reproduction d'un son émis et la manière de déterminer ce son. La reproduction pourra être effectuée d'une manière très-simple, comme le disait M. Bourseul, du moment où l'on aura trouvé un moyen de transmettre les vibrations de l'air, quelque compliquées qu'elles puissent être; mais pour produire par la voix les vibrations compliquées de la parole, il faudra la mise en action de plusieurs organes particuliers, d'abord des cordes du larynx, en second lieu, de la langue, des lèvres, du nez, des dents mêmes, et c'est pourquoi une machine réellement parlante est forcément très-compliquée.
On s'est étonné que la machine parlante qui nous est venue, il y a deux ans d'Allemagne, et qui a été exhibée au Grand-Hôtel, fut d'une extrême complication, alors que le phonographe résolvait le problème d'une manière si simple: c'est que l'une de ces machines ne faisait que reproduire la parole, tandis que l'autre l'émettait, et l'inventeur de cette dernière machine avait dû, dans son mécanisme, mettre à contribution tous les organes qui dans notre organisme concourent à la production de la parole. Le problème était infiniment plus complexe, et on n'a pas accordé à cette invention tout l'intérêt qu'elle méritait.
Il est temps de décrire le phonographe et les diverses applications qu'on en a faites et qu'on pourra en faire dans l'avenir.