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Le Tour du Monde; Afrique Orientale: Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860

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The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Afrique Orientale

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Title: Le Tour du Monde; Afrique Orientale

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release date: September 11, 2007 [eBook #22575]
Most recently updated: February 4, 2008

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; AFRIQUE ORIENTALE ***


Note au lecteur de ce fichier digital:

Ce fichier est un extrait du recueil du journal "Le Tour du monde: Journal des voyages et des voyageurs" (2ème semestre 1860).

Les articles ont été regroupés dans des fichiers correspondant aux différentes zones géographiques, ce fichier contient les articles sur l'Afrique Orientale.

Chaque fichier contient l'index complet du recueil dont ses articles sont originaires.

LE TOUR DU MONDE

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

LE TOUR DU MONDE

NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES

PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTON
ET ILLUSTRÉ PAR NOS PLUS CÉLÈBRES ARTISTES

1860
DEUXIÈME SEMESTRE

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
PARIS, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77
LONDRES, KING WILLIAM STREET, STRAND
LEIPZIG, 15, POST-STRASSE

1860

TABLE DES MATIÈRES.

Un mois en Sicile (1843.—Inédit.), par M. Félix Bourquelot.

Arrivée en Sicile. — Palerme et ses habitants. — Les monuments de Palerme. — La cathédrale de Monreale. — De Palerme à Trapani. — Partenico. — Alcamo. — Calatafimi. — Ruines de Ségeste. — Trapani. — La sépulture du couvent des capucins. — Le mont Éryx. — De Trapani à Girgenti. — La Lettica. — Castelvetrano. — Ruines de Sélinonte. — Sciacca. — Girgenti (Agrigente). — De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l'enlèvement de Proserpine. — De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini. — Syracuse. — De Syracuse à Catane. — Lentini. — Catane. — Ascension de l'Etna. — Taormine. — Messine. — Retour à Naples.

Voyage en Perse, fragments par M. le comte A. de Gobineau (1855-1858), dessins inédits de M. Jules Laurens.

Arrivée à Ispahan. — Le gouverneur. — Aspect de la ville. — Le Tchéhar-Bâgh. — Le collége de la Mère du roi. — La mosquée du roi. — Les quarante colonnes. — Présentations. — Le pont du Zend-è-Roub. — Un dîner à Ispahan. — La danse et la comédie. — Les habitants d'Ispahan. — D'Ispahan à Kaschan. — Kaschan. — Ses fabriques. — Son imprimerie lithographique. — Ses scorpions. — Une légende. — Les bazars. — Le collége. — De Kaschan à la plaine de Téhéran. — Koum. — Feux d'artifice. — Le pont du Barbier. — Le désert de Khavèr. — Houzé-Sultan. — La plaine de Téhéran. — Téhéran. — Notre entrée dans la ville. — Notre habitation.

Une audience du roi de Perse. — Nouvelles constructions à Téhéran. — Température. — Longévité. — Les nomades. — Deux pèlerins. — Le culte du feu. — La police. — Les ponts. — Le laisser aller administratif. — Les amusements d'un bazar persan. — Les fiançailles. — Le divorce. — La journée d'une Persane. — La journée d'un Persan. — Les visites. — Formules de politesses. — La peinture et la calligraphie persanes. — Les chansons royales. — Les conteurs d'histoires. — Les spectacles: drames historiques. — Épilogue. — Le Démavend. — L'enfant qui cherche un trésor.

Voyages aux Indes Occidentales, par M. Anthony Trollope (1858-1859); dessins inédits de M. A. de Bérard.

L'île Saint-Thomas. — La Jamaïque: Kingston; Spanish-Town; les réserves; la végétation. — Les planteurs et les nègres. — Plaintes d'une Ariane noire. — La toilette des négresses. — Avenir des mulâtres. — Les petites Antilles. — La Martinique. — La Guadeloupe. — Grenada. — La Guyane anglaise. — Une sucrerie. — Barbados. — La Trinidad. — La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama. — Costa Rica: San José; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.

Voyage dans les États scandinaves, par M. Paul Riant. (Le Télémark et l'évêché de Bergen.) (1858.—Inédit.)

Le Télémark. — Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen. — De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères. — Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité des gaards et des sæters. — Une sorcière. — Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute du Rjukan. — Légende de la belle Marie. — Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvège. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.

Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.

L'évêché de Bergen. — La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord. — Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord. — De Vikoër à Sammanger et à Bergen.

Voyage de M. Guillaume Lejean dans l'Afrique orientale (1860.—Texte et dessins inédits.)—Lettre au Directeur du Tour du monde (Khartoum, 10 mai 1860).

D'Alexandrie à Souakin. — L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddah.

Voyage au mont Athos, par M. A. Proust (1858.—Inédit.)

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas. — Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos. — Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon. — Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.

Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes. — Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroukolakas. — Les bibliothèques. — Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'Indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.

La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le Jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares: Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos. — Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.

Voyage d'un naturaliste (Charles Darwin).—L'archipel Galapagos et les attoles ou îles de coraux.—(1838).

L'Archipel Galapagos. — Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L'île Chatam. — Colonie de l'île Charles. — L'île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d'îles. — Mammifères; souris indigène. — Ornithologie; familiarité des oiseaux; terreur de l'homme; instinct acquis. — Reptiles; tortues de terre; leurs habitudes.

Encore les tortues de terre; lézard aquatique se nourrissant de plantes marines; lézard terrestre herbivore, se creusant un terrier. — Importance des reptiles dans cet archipel où ils remplacent les mammifères. — Différences entre les espèces qui habitent les diverses îles. — Aspect général américain.

Les attoles ou îles de coraux. — Île Keeling. — Aspect merveilleux. — Flore exiguë. — Voyage des graines. — Oiseaux. — Insectes. — Sources à flux et reflux. — Chasse aux tortues. — Champs de coraux morts. — Pierres transportées par les racines des arbres. — Grand crabe. — Corail piquant. — Poissons se nourrissant de coraux. — Formation des attoles. — Profondeur à laquelle le corail peut vivre. — Vastes espaces parsemés d'îles de corail. — Abaissement de leurs fondations. — Barrières. — Franges de récifs. — Changement des franges en barrières et des barrières en attoles.

Biographie.—Brun-Rollet.

Voyage au pays des Yakoutes (Russie asiatique), par Ouvarovski (1830-1839).

Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine. — Mon premier voyage. — Killæm et ses environs. — Malheurs. — Les Yakoutes. — La chasse et la pêche. — Yakoutsk. — Mon premier emploi. — J'avance. — Dernières recommandations de ma mère. — Irkoutsk. — Voyage. — Oudskoï. — Mes bagages. — Campement. — Le froid. — La rivière Outchour. — L'Aldan. — Voyage dans la neige et dans la glace. — L'Ægnæ. — Un Tongouse qui pleure son chien. — Obstacles et fatigues. — Les guides. — Ascension du Diougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d'Oudskoï. — La pêche à l'embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible. — Boroukan. — Une halte dans la neige. — Les rennes. — Le mont Byraya. — Retour à Oudskoï et à Yakoutsk.

Viliouisk. — Sel tricolore. — Bois pétrifié. — Le Sountar. — Nouveau voyage. — Description du pays des Yakoutes. — Climat. — Population. — Caractères. — Aptitudes. — Les femmes yakoutes.

De Sydney à Adélaïde (Australie du Sud), notes extraites d'une correspondance particulière (1860).

Les Alpes australiennes. — Le bassin du Murray. — Ce qui reste des anciens maîtres du sol. — Navigation sur le Murray. — Frontières de l'Australie du Sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge. — La colonie de l'Australie du Sud. — Adélaïde. — Culture et mines.

Voyages et découvertes au centre de l'Afrique, journal du docteur Barth (1849-1855).

Henry Barth. — But de l'expédition de Richardson. — Départ. — Le Fezzan. — Mourzouk. — Le désert. — Le palais des démons. — Barth s'égare; torture et agonie. — Oasis. — Les Touaregs. — Dunes. — Afalesselez. — Bubales et moufflons. — Ouragan. — Frontières de l'Asben. — Extorsions. — Déluge à une latitude où il ne doit pas pleuvoir. — La Suisse du désert. — Sombre vallée de Taghist. — Riante vallée d'Auderas. — Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d'oeil sur les moeurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan; le Damergou. — Architecture. — Katchéna; Barth est prisonnier. — Pénurie d'argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson. — Arrivée à Kouka. — Difficultés croissantes. — L'énergie du voyageur en triomphe. — Ses visiteurs. — Un vieux courtisan. — Le vizir et ses quatre cents femmes. — Description de la ville, son marché, ses habitants. — Le Dendal. — Excursion. — Angornou. — Le lac Tchad.

Départ. — Aspect désolé du pays. — Les Ghouas. — Mabani. — Le mont Délabéda. — Forgeron en plein vent. — Dévastation. — Orage. — Baobab. — Le Mendif. — Les Marghis. — L'Adamaoua. — Mboutoudi. — Proposition de mariage. — Installation de vive force chez le fils du gouverneur de Soulleri. — Le Bénoué. — Yola. — Mauvais accueil. — Renvoi subit. — Les Ouélad-Sliman. — Situation politique du Bornou. — La ville de Yo. — Ngégimi ou Ingégimi. — Chute dans un bourbier. — Territoire ennemi. — Razzia. — Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l'armée. — Dikoua. — Marche de l'armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l'homme. — Erreur des Européens sur le centre de l'Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin. — Entrée dans le Baghirmi. — Refus de passage. — Traversée du Chari. — À travers champs. — Défense d'aller plus loin. — Hospitalité de Bou-Bakr-Sadik. — Barth est arrêté. — On lui met les fers aux pieds. — Délivré par Sadik. — Maséna. — Un savant. — Les femmes de Baghirmi. — Combat avec des fourmis. — Cortége du sultan. — Dépêches de Londres.

De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L'émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d'une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d'industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger. — La ville de Say. — Région mystérieuse. — Orage. — Passage de la Sirba. — Fin du rhamadan à Sebba. — Bijoux en cuivre. — De l'eau partout. — Barth déguisé en schérif. — Horreur des chiens. — Montagnes du Hombori. — Protection des Touaregs. — Bambara. — Prières pour la pluie. — Sur l'eau. — Kabara. — Visites importunes. — Dangereux passage. — Tinboctoue, Tomboctou ou Tembouctou. — El Bakay. — Menaces. — Le camp du cheik. — Irritation croissante. — Sus au chrétien! — Les Foullanes veulent assiéger la ville. — Départ. — Un preux chez les Touaregs. — Zone rocheuse. — Lenteurs désespérantes. — Gogo. — Gando. — Kano. — Retour.

Voyages et aventures du baron de Wogan en Californie (1850-1852.—Inédit).

Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception. — La solitude. — Mineur et chasseur. — Départ pour l'intérieur. — L'ours gris. — Reconnaissance des sauvages. — Captivité. — Jugement. — Le poteau de la guerre. — L'Anglais chef de tribu. — Délivrance.

Voyage dans le royaume d'Ava (empire des Birmans), par le capitaine Henri Yule, du corps du génie bengalais (1855).

Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords. — La ville de Magwé. — Musique, concert et drames birmans. — Sources de naphte; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants. — La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura. — Paysage. — Arrivée à Amarapoura.

Amarapoura; ses palais, ses temples. — L'éléphant blanc. — Population de la ville. — Recensement suspect. — Audience du roi. — Présents offerts et reçus. — Le prince héritier présomptif et la princesse royale. — Incident diplomatique. — Religion bouddhique. — Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.

Comment on dompte les éléphants en Birmanie. — Excursions autour d'Amarapoura. — Géologie de la vallée de l'Irawady. — Les poissons familiers. — Le serpent hamadryade. — Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d'Ava. — Les femmes chez les Birmans et chez les Karens. — Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d'Amarapoura et retour à Rangoun. — Coup d'oeil rétrospectif sur la Birmanie.

Voyage aux grands lacs de l'Afrique orientale, par le capitaine Burton (1857-1859).

But de l'expédition. — Le capitaine Burton. — Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite. — Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée. — Coup d'oeil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse. — Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. — Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi. — Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie. — Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. — Ravissements. — Kaouélé.

Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji; leur cérémonial. — Autres riverains du lac. — Ouatata, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité. — Installation à Kaouélé. — Visite de Kannéna. — Tribulations. — Maladies. — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya. — Le chef Kanoni. — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. — Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.

Fragment d'un voyage au Saubat (affluent du Nil Blanc), par M. Andrea Debono (1855).

Voyage à l'île de Cuba, par M. Richard Dana (1859).

Départ de New-York. — Une nuit en mer. — Première vue de Cuba. — Le Morro. — Aspect de la Havane. — Les rues. — La volante. — La place d'Armes. — La promenade d'Isabelle II. — L'hôtel Le Grand. — Bains dans les rochers. — Coolies chinois. — Quartier pauvre à la Havane. — La promenade de Tacon. — Les surnoms à la Havane. — Matanzas. — La Plaza. — Limossar. — L'intérieur de l'île. — La végétation. — Les champs de canne à sucre. — Une plantation. — Le café. — La vie dans une plantation de sucre. — Le Cumbre. — Le passage. — Retour à la Havane. — La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l'esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Adolphe Joanne (1850-1860).

Le pic de Belledon. — Le Dauphiné. — Les Goulets.

Les gorges d'Omblèze. — Die. — La vallée de Roumeyer. — La forêt de Saou. — Le col de la Cochette.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Élisée Reclus (1850-1860).

La Grave. — L'Aiguille du midi. — Le clapier de Saint-Christophe. — Le pont du Diable. — La Bérarde. — Le col de la Tempe. — La Vallouise. — Le Pertuis-Rostan. — Le village des Claux. — Le mont Pelvoux. — La Balme-Chapelu. — Moeurs des habitants.

Liste des gravures.

Liste des cartes.

Errata.

Le marché aux grains.

Le marché aux grains.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

VOYAGE DE M. GUILLAUME LEJEAN,
DANS L'AFRIQUE ORIENTALE
[1].
1860.—TEXTE ET DESSINS INÉDITS.

LETTRE AU DIRECTEUR DU TOUR DU MONDE.
Khartoum, 10 mai 1860.

D'ALEXANDRIE À SOUAKIN.

L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddha.

Mon cher Directeur,

Je pars après-demain pour l'intérieur de la Nubie, et je viens régler avec vous un premier compte de souvenirs de voyage que j'aurai bien vite oubliés, si je ne vous les écris, tant j'ai l'esprit préoccupé de cette Éthiopie mystérieuse que je vais aborder.

Je n'ai guère fait que traverser l'Égypte, qui est aujourd'hui, grâce à la transformation opérée par Méhémet-Ali, une sorte de tête de pont de la civilisation européenne. Je ne vous reparlerai pas d'Alexandrie, du Caire, et des Pyramides après l'excellent livre de Maxime Du Camp, mais laissez-moi vous dire, au courant de la plume, mes impressions morales sur ce beau pays d'Égypte et sur quelques aspects de sa situation actuelle.

Vous connaissez cette curieuse légende du roi Chilpéric à qui une vision prophétique montre ses descendants sous la forme successive de lions, de loups et de petits chiens. Je crois que le père de Méhémet-Ali eût pu avoir une pareille vision, et que son rêve n'eût guère menti. Le lion, ç'a été le grand pacha, l'un des plus puissants pétrisseurs de nations que les temps modernes aient vus. Méhémet-Ali a eu un grand malheur, c'est d'avoir eu pour panégyristes ses fonctionnaires européens, qui, n'ayant pas la liberté de blâmer certains faits et certains hommes, ont eu, à mon sens, le tort de ne pas se taire à propos. Le public d'Europe a répondu à un excès de louanges par une incrédulité excessive. J'avais besoin de voir l'Égypte pour apprécier Méhémet-Ali. Les trois piles du pont de Trajan, que j'ai admirées il y a trois ans en descendant le Danube, étonnent le voyageur plus encore peut-être que ne le ferait le monument s'il était resté entier: l'œuvre colossale du destructeur des mameluks impose encore une admiration du même genre, même après les ruines entassées par Abbas et Saïd-Pacha.

Méhémet-Ali a été par moments un souverain d'Orient; c'est dans un de ces moments-là qu'il a exterminé les mameluks, qui d'ailleurs le méritaient bien et qui avaient le tort de la provocation: ils avaient essayé de l'assassiner dans l'Hedjaz. On lui a reproché l'oppression des fellahs et les violences qui ont parfois signalé ses réformes, et deux grands écrivains, MM. de Chateaubriand et de Lamartine, sous l'impulsion d'une indignation plus généreuse qu'impartiale, ont dénoncé à l'Europe ce prétendu réformateur qui broyait les peuples sous prétexte de les civiliser. Je ne veux pas excuser ces violences, surtout envers ces doux et laborieux fellahs, qui sont vraiment les Bulgares de l'Afrique; mais il faut bien se dire que l'Égypte n'a jamais été gouvernée autrement depuis les Pharaons; qu'aujourd'hui, sous le philanthrope Saïd-Pacha, le fellah vit exactement sous le même régime que sous le vieux, et que le courbach sera longtemps encore, je le crains bien, une nécessité gouvernementale pour la race indolente et passive de l'Égypte. C'est dans ses admirables institutions qu'il faut étudier Méhémet-Ali; dans ses écoles d'où sont sortis ces médecins et ces savants qui honorent la jeune Égypte; dans ses établissements de bienfaisance, dans ses lois dont je ne citerai qu'une seule: «Quiconque achètera un esclave devra, au bout de neuf ans, lui donner la liberté, après lui avoir fait apprendre au moins à lire

Après le lion, le loup, qui est Abbas-Pacha; puis est venu un charmant homme, tout imprégné de civilisation, doux, pacifique, d'humeur gaie et d'habitudes indolentes, fait pour vivre d'un million de rentes dans un palais du Nil, mais l'homme le moins propre au gouvernement d'un État en crise de transition. J'ai nommé Saïd-Pacha. Sous son règne, l'émancipation de l'Égypte a reculé, le commerce et le crédit public ont décliné, le budget a été mis au pillage pendant que les traitements des employés de tout grade, devenus flottants et illusoires, ont obligé nombre de fonctionnaires à vivre de concussion; le Soudan, la plus belle, comme avenir, des conquêtes de Méhémet-Ali, a été désorganisé et presque abandonné; les Abyssins et les bandits de toute nation insultent impunément les frontières, et l'Égypte va doucement à sa ruine sous la main d'un brave homme qui joue au soldat, donne des fêtes, et semble, en affaires, avoir pris pour devise la maxime anglaise: «Les soucis tueraient un chat.»

N'ayant pas un livre à faire sur l'Égypte, je me hâte de vous dire que le 7 février au matin je quittai le Caire, par la gare de Bal-el-Had, en compagnie de Georges, ce compatriote avec lequel j'avais d'abord projeté le voyage de la basse Nubie. Vous avez entrevu à Paris ce charmant garçon dont l'esprit ouvert à toute belle impression, la cordialité et l'inaltérable bonne humeur ont réalisé pour moi le type véritable du Français en voyage. Nous prenons nos billets et nous sommes poursuivis dans la gare par un employé arabe qui nous demande un bakchich pour nous avoir passé nos billets; déjà ruinés de pourboire, nous refusons et nous recevons, dans le pur arabe d'Égypte, une malédiction que je me fais consciencieusement traduire: «Que les os de leurs pères brûlent en enfer!» Georges est tout fier d'avoir été maudit dans la langue des kalifes, et dit avec raison que ce souhait est sinon plus aimable, du moins plus poétique que celui d'un cocher parisien en pareil cas.

Nous voilà, cinq minutes après, lancés en plein désert, à la vitesse très-modérée de six lieues à l'heure. Les chameliers arabes qui conduisent le long de la voie leurs lentes bêtes chargées de guerbes d'eau ou de couffes de sésame, n'en regardent pas moins avec stupéfaction cette file de quarante wagons emportés rapidement vers la mer Rouge par une force invisible et murmurent: «Blis (le diable)!» Pour nous plus encore peut-être que pour eux, il y a dans ces chars de feu qui sillonnent le plus désolé et le plus immobile des déserts, une antithèse que toutes les phrases du monde ne feraient qu'affaiblir. Je me récite à demi-voix, comme une musique, les admirables strophes des Orientales qui commencent ainsi:

L'Égypte! elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs bariolés comme un riche tapis.
Plaine que des plaines prolongent;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent,
Se disputent l'Égypte: elle rit cependant
Entre ces deux mers qui la rongent....

Georges regarde le désert avec une attention silencieuse et passionnée que je ne tarde pas à partager. Ceux qui n'ont jamais vu le désert se figurent quelque chose comme une immense grève, et rien de plus inexact que cette comparaison. C'est bien une surface plate et sablonneuse, mais solidifiée par les pluies et balayée par les vents: elle présente au regard une croûte grise ou noirâtre que mon compagnon comparait assez justement à un immense dallage en bitume. Les lits de torrents desséchés (ouadi) qui rayent cette surface ne sont pas plus profonds que les sillons dessinés par la pluie sur la poussière de nos chemins. Partout, du reste, la stérilité et le silence formidable du néant. Les vrais voyageurs se sont justement moqués du lion du désert et autres images de la même force: on ne conçoit guère que le lion habite de préférence des lieux où il ne trouverait pas à croquer un scarabée.

Pour compléter la mise en scène, le vent fraîchit, des nuages de sable s'élèvent des montagnes couleur de cendre qui bornent l'horizon au nord, une nuée d'un rouge de brique, coupée par le panache blanc de la locomotive, enveloppe la terre et le ciel, des milliers de petits cailloux viennent grésiller contre les portières du wagon: c'est un coup de simoun qui nous arrive. Confortablement pelotonnés sur nos banquettes, nous sommes à l'abri des dangers du fameux vent-poison si redouté des caravanes; mais à la place du danger, qui a au moins de belles émotions, nous avons les inconvénients vulgaires qui ne donnent que l'impatience. Le sable entre par nos portières closes, comme si elles étaient grandes ouvertes; nos malles, bien fermées, sont remplies, nos vêtements en sont tout imprégnés. Les Arabes disent de ce sable «qu'il traverse la coque d'un œuf.» M. Du Camp affirme qu'il en a trouvé dans les rouages de sa montre fermée à double boîtier. Le spirituel voyageur aura probablement ouvert sa montre pendant le coup de vent, sans y faire grande attention.

Cependant la route devient sinueuse, et nous voyons se profiler sur notre droite la masse noire-violette du superbe Djebel-Attaka, dont le pied baigne dans la mer Rouge. Un quart d'heure après, nous nous arrêtons sur la grève même, en face du «transit,» et nous courons, tête baissée, fouettés au visage par le sable, la pluie et les cailloux, nous réfugier à l'hôtel de France, sur la place du Marché aux grains. À l'extérieur, cet hôtel est une sorte d'échoppe arabe dont l'aspect ferait reculer le touriste le plus intrépide; mais à l'intérieur, l'industrie de l'hôtelier actuel a créé une locanda assez confortable. Nous constatons avec une volupté plus aisée à comprendre qu'à décrire que la salle à manger, grâce à des croisées vitrées, est parfaitement à l'abri de tous les simoun possibles. C'est une particularité assez rare en Égypte pour être signalée, et au risque de paraître faire une réclame à l'hôtel de France, j'ajouterai que la table est satisfaisante et que les prix le sont encore plus.

Nous sortons pour jeter un coup d'œil sur la ville dont le nom, grâce à M. de Lesseps, retentit aux oreilles de tous les politiques européens depuis trois ans. Suez, sans le canal qui n'existe pas encore, mais qui y amène à flots des touristes anglais, des ingénieurs et des commerçants français, ne serait qu'une ruine fort désagréable à habiter. Elle a une enceinte irrégulière qu'un homme vigoureux renverserait à coups de pied, quelques habitations modernes confortables, toutes voisines de la gare et du port, notamment l'agence anglaise du transit (Peninsular Company), quelques mosquées sans caractère monumental et deux ou trois places, dont la plus petite et la plus pittoresque est celle du Marché aux grains, dont j'ai pris le croquis joint à ces notes. À l'angle d'une ruelle qui mène au bazar, ruelle obscure et sale, mais d'un ton superbe pour un admirateur des effets vigoureux de lumière, s'élève une maison d'un riche négociant (grec, si je ne me trompe) aussi curieuse dans son genre que le sont chez nous les vieilles maisons de Gand ou de Nuremberg.

Une dernière curiosité de Suez, c'est la maison qu'habitait le général Bonaparte quand il vint à la mer Rouge. C'est une habitation qui fait face à la mer, sans aucun caractère monumental et que Clot-Bey trouva, il y a plusieurs années, en possession d'un brave musulman passionné pour la mémoire de son illustre locataire d'un jour. «Abounarberdi, dit-il au docteur, était assez puissant pour brûler toutes les mosquées; il ne l'a pas fait; que son nom soit béni! Les rois du Garb (d'Occident) l'ont enfermé dans une île où il est mort; mais on dit que la nuit son âme vient se poser sur le fil de son sabre.»

Suez a succédé à une ancienne ville romaine dont nous cherchons les ruines; elles se réduisent à une grosse colline de sable et de poteries sans valeur archéologique, véritable Monte Testaccio égyptien appelé aujourd'hui la colline de Mouchelet-Bey, du nom d'un ingénieur qui y a établi sa tente. Pour nous dédommager, je propose à Georges une excursion aux ruines indiquées par la carte de M. Linant-Bey, comme étant celles d'une antique ville juive, à deux bonnes heures au nord-est et au delà de la baie. Des ruines juives! Il y a de quoi affriander des amateurs même beaucoup plus étrangers aux antiquités hébraïques que M. de Saulcy. Nous voilà partis le matin, traversant le port à mer basse, et arpentant, les jambes nues, la vaste plage coupée de flaques limpides. Le but semble s'éloigner toujours; ces plages unies sont si trompeuses à la vue. Nous nous décidons à rétrograder; mais à la première flaque où je mets le pied, je constate un courant de menaçant augure.... Il faut savoir que dans cette baie étranglée de Suez, la marée monte comme un vrai mascaret: on dirait nos grèves du mont Saint-Michel. Nous pressons le pas pour arriver en vue de la ville, de manière à pouvoir héler une barque. Si nous n'y réussissons pas, nous sommes rejetés vers le désert montagneux de la côte d'Asie, et cela peut devenir inquiétant. Georges se livre, sur le sort de l'armée de Pharaon, à des plaisanteries que je trouve un peu inopportunes; mais tout en riant, il trouve un passage, et nous gagnons un îlot d'où nous hélons les barques du port. La canaille arabe qui encombre le divarf fait de grands gestes et semble discuter vivement la taille, l'âge et le sexe des deux êtres égarés sur l'îlot; mais nul ne bouge. À un appel plus furieux, un batelier démarre sa barque, et met le cap sur nous. L'eau monte, l'îlot décroît, l'homme arrive.... il n'est que temps. Nous sautons à bord: le fils d'Ismaël tend la main: «El felous, haouagh (l'argent, seigneurs)!» Georges veut payer sans compter; je trouve amusant de discuter le prix de notre sauvetage, et nous nous arrangeons à six piastres courantes (vingt-deux sols). On ne peut pas sauver les gens à meilleur marché.

Port de Suez.

Port de Suez.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Georges part le surlendemain pour remonter le Nil; j'ai encore trois jours à passer à Suez avant le départ du vapeur Hedjaz, qui doit m'emmener à Souakin. Je passe ces trois jours à flâner au désert et à observer pour la première fois des effets de mirage assez curieux. Tous les jours, dans l'après-midi, je suis certain de trouver le fort d'Aggeroud reflété dans les eaux d'un lac imaginaire. Un train vient à passer, la ligne noire des wagons, la ligne blanche de la fumée se réfléchissent également dans la nappe limpide. J'ai vu assez fréquemment se former le mirage; on voit d'abord passer un nuage invisible,—ici le lecteur m'arrête: voir passer un nuage invisible? Oui, et je vais tâcher de me faire comprendre par une image très-familière. Avez-vous vu quelquefois, au-dessus d'une marmite en ébullition, la vapeur d'eau parfaitement translucide et invisible signaler sa présence par le flottement qu'elle semble imprimer aux objets devant lesquels elle passe? Voilà le commencement du mirage. Quand ce nuage, à la fois invisible et ondé, devient opaque, son mouvement cesse, et vous n'avez plus sous les yeux qu'une belle nappe argentée qui réfléchit les objets les plus voisins, arbres, villages, rochers. Voilà le mirage simple. Quant à celui qui nous met sous les yeux des villes ou des forêts, soit imaginaires, soit hors de la portée de la vue, je n'ai jamais eu la chance d'en être témoin.

Cimetière européen à Suez.

Cimetière européen à Suez.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Enfin, le 14, je monte à bord de l'Hedjaz, beau bateau à vapeur de la compagnie Medjidié, que je trouve encombré de hadjis allant à la Mecque; principalement de la suite de la princesse Nezli, tante du vice-roi et veuve du fameux Defterdar, dont j'aurai plus tard occasion de parler. Cette suite se compose de cent vingt à en grande majorité. La vertu du troupeau est sous la garde d'une douzaine d'eunuques noirs, et le kirlar-aga (capitaine des filles) est à la fois le chef de cette garde indispensable et le premier officier de la petite cour; c'est un long nègre de plus de six pieds, d'une laideur inouïe, mais se faisant pardonner le scandale de son importance par ses allures bon enfant. Nous mettons de longues heures à sortir de la baie-impasse de Suez; le 15, au matin, nous fouillons d'un regard curieux et admiratif les dures arêtes des derniers contre-forts du Sinaï, qui se perdent et se volatilisent en quelque sorte dans un ciel de saphir. Pas un brin d'herbe, du reste, sur ces côtes qui entourent, nous dit-on, quelques vallées intérieures d'un charme d'autant plus saisissant qu'il est plus inattendu. Le mont divin, vu de loin, n'a rien de cet aspect sourcilleux et formidable que l'imagination, pleine des récits de Moïse, aimerait à lui prêter: il a les lignes pures, froides et fières que j'ai admirées ailleurs, en Albanie par exemple.

Qosséir.

Qosséir.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Djeddah.

Djeddah.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Port de Souakin.

Port de Souakin.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

À l'entrée de la baie se voit une petite ville, Tor, habitée par des Coptes (et non par des Grecs, comme l'a dit par inadvertance M. Charles Didier). Les deux peuples n'ont guère de commun que le culte et la finesse mercantile. À première vue et à part le costume, un habitant de l'Orient ne confondra jamais la longue figure à lame de couteau du paisible et un peu servile descendant des Pharaons avec le profil d'aigle des fils de Thémistocle. La population de Tor vit principalement d'un assez singulier commerce: elle vend aux pèlerins l'eau qu'elle tire des fontaines de Moïse et du Sinaï.

L'Hedjaz a le temps de flâner et ne le prouve que trop en s'arrêtant successivement à Qosséir et à Djambo. Qosséir est une petite ville de mine assez peu engageante, mais elle a beaucoup de barques, et quelques arbres qui ombragent un village voisin reposent l'œil fort agréablement. C'est, avec Suez, le seul port que possède l'Égypte sur la mer Rouge, depuis qu'elle a perdu l'Arabie. Méhémet-Ali avait de grands desseins sur Qosséir: il voulait en faire le débouché de toute la haute Égypte par Khéné, et avait commencé à faire creuser des puits entre les deux villes, mais on ne trouva que de l'eau saumâtre et le projet fut abandonné.

J'ai moins encore à dire de Djambo, où nous perdons un jour entier. Djambo est en terre arabe, même en terre sainte, et j'avoue que je ne vois pas sans émotion sortir des flots cette côte basse et un peu verdoyante, foyer d'une des plus brillantes civilisations qui aient éclairé le globe. Hélas! qu'est devenue l'Arabie des kalifes? Il ne reste aujourd'hui que les Arabes, c'est-à-dire une race belle, distinguée, brave, spirituelle, intelligente, romanesque, paresseuse et passablement anarchique. Aussi les Turcs, peuple d'esprit plus lourd, mais de bon sens pratique, ont mis la main sur le peuple arabe et l'ont soumis partout où ils s'en sont donné la peine. L'Égypte moderne est arabe, mais la forte main qui l'a lancée dans la brillante voie qu'elle parcourt aujourd'hui est celle d'un Turc de Macédoine, ce qui n'empêche pas d'ailleurs que l'impulsion une fois donnée, beaucoup d'Arabes (et j'en connais) ne soient les agents les plus énergiques et les plus intelligents de cette civilisation.

Terre sainte, ici, c'est malheureusement terre de fanatiques: on nous avertit de ne pas descendre à terre, ou nous serons assommés, même sous les yeux des kavas du gouverneur. Le Français étant, comme on sait, le brave des braves, un des nôtres, M. M..., se costume en Robinson, empistoletté de la tête aux pieds et veut descendre. Il est obligé de rentrer à bord, sans avoir occis de croquemitaines musulmans. Ceci nous fait faire des réflexions peu rassurantes sur Djeddah, la fameuse ville du massacre, où nous arrivons le lendemain. Nous jetons l'ancre à une heure de la ville, en dehors de récifs coralliques, et nous nous empressons de déballer la princesse et son noir bétail qui a empesté l'arrière depuis huit jours. Un de nos officiers, un jeune et aimable Vénitien, que l'irruption de ces dames a chassé de sa cabine, a voulu poser sa couchette près d'un réduit où cinq de ces femmes ont établi leur chambre à coucher avec des châles tendus le long du bastingage. Je ris encore de la grimace effroyable qu'il fait en emportant son lit loin de cette niche odorante: bestie, non donne, s'écrie-t-il en jurant.

Suivant le rite consacré, les hadjis revêtent, pour toucher la terre sacrée, un costume d'une éclatante blancheur, symbole de la pureté de l'âme. C'est un usage dont on ne peut s'affranchir qu'en payant un mouton, qui est donné aux pèlerins pauvres. Le médecin de la princesse, homme instruit et distingué dont la conversation a été une de nos meilleures distractions de voyage, musulman très-voltairien du reste, est le seul à payer le mouton. À Qosséir, le docteur a présenté un verre de vin à un noir takrouri, à dents aiguisées en pointe, venu par curiosité, je crois, visiter la barque du feu; il lui a offert cinq piastres s'il voulait en boire. «Tu pourrais bien m'en offrir vingt-cinq, a répondu le noir, que je n en boirais pas davantage.» Je ne discuterai point l'importance de ces prescriptions d'abstinence, mais j'aime à constater tout triomphe de l'esprit sur les appétits, et à qui connaît la pauvreté des noirs, d'une part, et de l'autre leur passion pour les spiritueux, ce jeune nègre presque nu qui obéit à sa foi sans phrase et sans pose héroïque, doit paraître plus spiritualiste que le joyeux docteur. J'aurai plus tard occasion de dire comment les noirs, assez récemment convertis à l'islamisme, s'y attachent avec une ferveur devenue beaucoup plus rare chez les Turcs et les Arabes.

Nous débarquons donc à Djeddah, et la première chose qui frappe nos yeux, en touchant le quai, ce sont des notables indigènes à barbe blanche, qui semblent venus là pour préparer une ovation à quelqu'un. Ce n'est pas à la princesse déjà débarquée; ce n'est pas à nous à coup sûr. Nous avons bientôt la clef du mystère: nous avions à bord, sans nous en douter, quatre des accusés du fameux massacre, revenus acquittés de Constantinople, faute de preuves.

C'est un début fort inquiétant; mais je dois déclarer que j'ai passé huit jours à Djeddah, et que j'ai circulé fort librement sans être jamais insulté. Les voyageurs n'ont guère à visiter, dans cette ville et dans les environs, que le cimetière où l'on montre le tombeau de notre mère Ève (Turbe ommou Aoua); ce sont deux sépultures insignifiantes qui, selon les indigènes, marquent l'emplacement de la tête et des pieds de la première femme. Si vous leur objectez que, vu la distance de ces deux turbés, Ève aurait été assez grande pour franchir le Nil en cinq enjambées et saisir délicatement un crocodile entre deux doigts, ils vous répondront que la mère du genre humain avait bien le droit d'avoir une stature un peu supérieure à celle de leur femme ou de la vôtre. C'est assez logique pour des Arabes.

Je quitte Djeddah le 28 février, et le lendemain, mes yeux fatigués des sables rougeâtres se reposent avec bonheur sur une plage basse, verdoyante, où la mer vient presque baigner des tapis de hautes graminées. Une jolie baie s'ouvre devant nous, le bateau double un cap où s'élève le dôme blanc d'un santon, et une demi-heure après nous débarquons sur le quai du Mufti, à Souakin, où la curiosité a attiré une foule de spectateurs à tuniques aussi blanches que leur peau est foncée.

Guillaume Lejean.

VOYAGE AU MONT ATHOS,
PAR M. A. PROUST.
1858.—INÉDIT

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas.

À l'extrémité de la péninsule Chalcidique, entre Orfano et le cap Felice, s'élève au-dessus de la mer une montagne, connue chez les anciens sous le nom d'Athos, et appelée depuis Αγιονορος ou Monte-Santo, à cause de sa population exclusivement composée de religieux. Ces religieux, sous les empereurs byzantins, ont aidé au mouvement des lettres et des arts qui prépara la Renaissance, et possèdent encore aujourd'hui de riches bibliothèques et une école de peinture.

J'avais formé, pendant mon séjour en Grèce, le projet de visiter leurs couvents, et, le 9 mai 1858, après m'être muni à Constantinople de lettres patriarcales, sans lesquelles on court le risque d'être mal accueilli des moines, je quittai Pera avec mon ami Schranz et le drogman Voulgaris. Schranz devait m'aider à reproduire les peintures par la photographie; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine. Notre projet était de toucher à Salonique, et de là de gagner l'Athos par terre.

Le 10 nous entrions dans le golfe Thermaïque, et le lendemain nous doublions la pointe de Kara-Bournou.

Derrière cette pointe, au fond d'une large baie paisible comme un lac, Salonique[2], ceinte d'un cordon de murs bastionnés, s'étage en amphithéâtre sur les flancs arides du Cortiah. Cette ville, déchue de sa splendeur, a un air de coquetterie surannée assez étrange; ses maisons décrépites, ridées et replâtrées, semblent se pencher complaisamment pour refléter leur image dans la mer; agaceries perdues, car, à part quelques vieux courtisans qui viennent là par habitude chercher les soies de Serrès et le tabac de Yenidjé, la rade est vide. Nulle part le proverbe grec: Là où l'Osmanli met le pied, la terre devient stérile, ne trouverait une application plus juste. Le sol est sans culture, coupé de flaques d'eaux croupissantes, l'air chargé de miasmes putrides. Aussi, pendant les chaleurs de l'été, un grand nombre des habitants, fuyant les fièvres, se retirent à l'ouest de la ville dans un faubourg appelé Kalameria (beaux lieux). De ce côté, en effet, de joyeuses touffes de platanes, groupées selon le caprice des pentes, dessinent le cours du Vardar et respirent la vie, tandis qu'au levant de maigres cyprès cachent mal les cimetières, ce qui indique bien clairement que c'est de là que vient la mort.

La ville est partagée en deux par une rue qui s'étend de l'est à l'ouest, parallèlement à la mer. Cette rue est grande, régulière, bordée de boutiques à auvents, et terminée à chacune de ses extrémités par un arc de triomphe. C'est là l'endroit vivant, le quartier animé de la ville; ailleurs le silence est complet, les rues sont désertes, étroites et taillées à pic dans le rocher. On ne s'explique cette préférence pour la ville basse que par la difficulté d'atteindre les quartiers hauts; car les immondices entraînées par la pente naturelle font de la première un véritable égout, et il n'est rien de plus sale que cette large rue et le bazar qui l'avoisine, si ce n'est la population qui l'anime. Cette population est en grande partie composée de juifs. «Le grand nombre de juifs, dit naïvement Hadji-Kalfa[3], est une tache pour la ville, mais le profit qu'on retire de leur commerce fait fermer les yeux aux vrais croyants.»

Au milieu des Bulgares et des Grecs, confondus par un costume noir comme un vêtement de deuil, on reconnaît les juifs à leur coiffure faite d'un mouchoir de coton roulé en turban, à leur veste bordée de fourrures, et surtout à ce nez proéminent qu'ils ont conservé.

Zanzibar vue de la mer.

Zanzibar vue de la mer.—Dessin de E. de Bérard d'après nature.

VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON.
1857-1859
AVANT-PROPOS.

But de l'expédition. — Le capitaine Burton.

Détendue à l'est et à l'ouest par une côte aux effluves mortels, et par une population que démoralise un commerce infâme, l'Afrique est restée jusqu'à ces derniers temps ce qu'elle était pour les anciens: une terre mystérieuse dont les tribus centrales sont encore retranchées de la grande famille humaine. En vain la civilisation antique s'est épanouie dans l'une de ses vallées fertiles, en vain Carthage et Rome y ont établi leur puissance, l'Arabe ses mosquées, le traitant ses comptoirs, cet isolement s'est maintenu jusqu'à nos jours. Au delà du littoral conquis, le vainqueur ou le négociant a trouvé le Sahara, le colon du sud les Karrous, et les chasseurs de la Cafrerie se sont arrêtés aux marches du Kalahari. De tous ces récits du désert qui, depuis l'anéantissement de l'armée de Cambyse, se continuent chaque année au retour des caravanes, il résulte que toutes les fois qu'on nomme l'Afrique, c'est un espace entièrement nu, un flot de sable, une terre anhydre que l'on évoque dans la pensée de l'auditeur: l'habitat du chameau et de l'autruche a fait oublier celui de l'hippopotame et du crocodile; aussi accueillit-on avec surprise, il y a quatre ans, l'annonce d'une mer intérieure, dont les missionnaires de Mombaz avaient entendu parler dans leurs voyages[4]. Bien que l'existence de grands lacs équatoriaux en Afrique eût été soupçonnée depuis deux mille ans, cette communication n'en eut pas moins tout l'attrait de la nouveauté, et le mémoire que publièrent à ce sujet le révérend Erhardt et le docteur Rebmann reportèrent l'attention des géographes sur la partie est de l'Afrique, située entre l'équateur et le quinzième degré de latitude méridionale. Les hommes les plus compétents d'Europe ne crurent pas à la réalité de cette Caspienne de trente mille lieues carrées, et pensèrent que M. Erhardt confondait en un seul plusieurs lacs distincts, désignés sur les anciennes cartes portugaises, et mentionnés par les nôtres. Toutefois la question offrait trop d'intérêt pour qu'on ne cherchât pas à la résoudre. D'ailleurs le problème toujours pendant des sources du Nil, celui des neiges contestées du Kénia et du Kilimandjaro se rattachaient à la vérification du rapport des révérends. Une expédition fut donc résolue.

En 1856, la Société géographique de Londres confia au capitaine Burton, officier à l'armée du Bengale, la mission d'atteindre les grands lacs africains, d'en relever la position, de décrire le pays situé entre la côte et les vastes nappes d'eau qu'il s'agissait de reconnaître, d'en étudier l'ethnographie et les ressources commerciales. Un voyage en Arabie, où l'aventureux capitaine avait fait preuve d'autant de savoir que d'intrépidité, un séjour dans la ville d'Harar, interdite jusqu'à lui aux chrétiens, un projet d'exploration au centre de l'Afrique, arrêté au début par une attaque des Somalis, avaient désigné Burton au choix de la Société, qu'il justifiait amplement. Le capitaine, ne se dissimulant pas les difficultés de l'entreprise, demanda qu'on lui adjoignît le capitaine Speke, attaché, comme lui, à l'armée des Indes; et le 16 juin 1857, à midi, ces courageux explorateurs se dirigeaient vers la côte africaine, à bord d'une corvette de dix-huit canons, appartenant au saïd Méjid, fils de l'iman de Mascate, allié de la France et de l'Angleterre. Voici le récit du capitaine Burton.

RÉCIT.

Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite.

«Après la dépense de poudre qui, dans ces parages, annonce tout ce qui fait événement, depuis la naissance d'un prince jusqu'au départ d'un évêque, nous quittons le port de Zanzibar. Plus sûre que rapide, l'Artémise nous permet de contempler pendant longtemps les mosquées et les maisons blanches des Arabes, les cases des indigènes, les cocotiers du rivage, et les plantations de girofliers qui zèbrent les collines rutilantes. Le souffle embaumé de l'océan Indien pousse le navire, le soleil fait étinceler autour de nous l'azur des flots où la mer est profonde, et le vert brillant des canaux, situés entre les îles de Koumbéni et de Choumbi, la première chargée de grands bois, la seconde couverte d'un épais fourré. Puis la grève se confond avec l'océan, la bande rouge des récifs disparaît sous les vagues, la terre passe de l'émeraude au brun et au violet, la cime des arbres paraît flotter sur l'onde, et, quand arrive le soir, une ligne obscure, pareille au contour vaporeux d'un nuage, est tout ce que nous apercevons de Zanzibar.

«Le lendemain (17 juin 1857), vers six heures de l'après-midi, l'Artémise jetait l'ancre à la hauteur de Wale-Point, promontoire effilé, bas et sablonneux, situé à cent trente-cinq kilomètres de la petite ville de Bagamayo, par six degrés vingt-trois minutes de latitude sud. Il y a quelque chose qui vous intéresse dans l'aspect de la Mrima, ainsi que les habitants de Zanzibar appellent cette portion de la côte d'Afrique. L'océan Indien, que brise au couchant une raie d'écume, chargée de détritus de coralines et de madrépores, découpe le rivage, y forme des criques, des bayous, des marigots, où après avoir épuisé leur furie contre des diabolitos, des banquettes de sable et de rochers noirs, des masses d'un conglomérat bruni par le soleil, et de fortes estacades disposées en croissant, les vagues s'endorment au sein d'eaux mortes, pareilles à des nappes d'huile. Bien qu'à peine au-dessus du niveau de la mer, les pointes et les îlots, formés par ces courants, n'en sont pas moins chargés d'une végétation luxuriante. Des forêts de mangliers couvrent les bords des lagunes; à la marée basse, l'amas conique de racines qui supporte chaque arbre est mis à nu, et montre les jeunes scions terminés par des grappes d'un vert brillant. Les fleurs lilas, et les feuilles charnues d'une espèce de convolvulus retiennent le sable qui est d'un blanc pur, et des huîtres sont appendues à la base des palétuviers. Au-dessus de l'océan, le rivage forme une épaisse muraille de verdure, et des groupes de vieux arbres chauves, inclinés par les moussons, indiquent la position des établissements qui s'éparpillent sur la côte. Çà et là des monticules dénudés percent le manteau vert du sol, en varient la couleur uniforme de leur teinte rubigineuse, et derrière l'alluvion qui, sur une largeur de trois à cinq milles, compose le littoral, se dresse une ligne bleue qu'on aperçoit même de Zanzibar: ce sont les dunes qui constituaient jadis le fond de la baie, et qui maintenant servent de frontière aux indigènes. À cette esquisse, ajoutez le bruit des vagues, le cri des oiseaux de mer, le bourdonnement perpétuel des insectes, qui s'apaise au coucher du soleil; et dans le profond silence des nuits du tropique, le mugissement du crocodile, le cri du héron nocturne, les clameurs et les coups de feu des habitants, qui, aux grognements qui se font entendre, reconnaissent que l'hippopotame franchit la berge, pour aller visiter leurs récoltes.

«Vous abordez au milieu des exclamations des hommes, des cris aigus des femmes, des remarques naïves des enfants; un chemin étroit, frayé au travers d'une jungle épaisse, entremêlée de champs de millet, gravit une côte escarpée et vous conduit à une palissade; à l'intérieur de cette enceinte, vous trouvez une douzaine de cases faites avec de la boue et des branches de mangliers, divisées en plusieurs compartiments, et séparées de leurs voisines par une série de grandes cours, soigneusement closes, occupées par les enfants et par les femmes. Il n'y a pas de fenêtres à ces cases, mais le toit, composé de nattes grossières, est assez élevé pour que l'aération des chambres soit tolérable; un hangar, formé à l'extérieur par la projection de la couverture, abrite un large banc en pisé, recouvert de nattes, et sert d'atelier, de boutique et de parloir. Autour des habitations les plus considérables, une masse de cabanes constitue les communs. Tel est Kaolé, type du village maritime de cette partie de la côte, où depuis Mombaz, jusqu'au sud de Quiloa, chaque établissement n'a d'autre édifice en maçonnerie qu'un fort quadrangulaire, bâti avec de la coraline, et dont la partie basse, employée comme magasin par les Banians, est couronnée d'une terrasse à créneaux, où veillent les gens du guet.

«Dans les villes de garnison, la majeure partie des habitants se compose de soldats et de leurs familles. Descendants de Béloutchis qui vinrent s'établir à Maskate, mais pour la plupart natifs de l'Oman, où ils étaient fakirs, marins, journaliers, portefaix, barbiers, mendiants et voleurs, ces vauriens furent enrégimentés par Ben-Hamed, l'aïeul du saïd actuel, et depuis lors ils sont employés à contenir la partie la plus remuante des sujets de Sa Hautesse. Braillards et turbulents, ces garnisaires, qui ont conservé le nom de Béloutchis, sont une copie effacée des Bachi-Bouzouks, et bien inférieurs, comme enfants perdus, aux Arnautes et aux Kourdes. Leur vie se passe à boire tant qu'ils peuvent, à fumer, à jaser, à se disputer; les plus jeunes se battent entre eux, brûlent de la poudre, et jouent tout ce qu'ils possèdent; les barbes blanches racontent les merveilles du Béloutchistan, dont les neiges, les fruits savoureux, les eaux transparentes ne trouvent que des incrédules. Le reste de la population est composée de Ouamrima[5], tribu de sang mêlé arabe et africain, dont la vie s'écoule au milieu d'une abondance relative ayant deux sources: le détroussement à l'amiable des caravanes qui reviennent de l'intérieur, et le rapport de vastes champs de légumes et de céréales dont les produits alimentent l'île de Zanzibar et s'exportent jusqu'en Arabie[6].

Carte.

Carte du voyage de Burton et Speke
aux grands lacs de L'AFRIQUE ORIENTALE
(Itinéraire de Zanzibar á Kazeh.)
1re. Partie.

«Les Ouamrima sont gouvernés par des chefs dépendant de Zanzibar, et dont le nombre est partout en raison inverse de l'importance des localités qu'ils exploitent. Ces tyranneaux jouissent, à l'égard des trafiquants, du privilége d'exaction dans toute son étendue, et le concèdent à leurs administrés, qui pillent les caravanes déjà mises à rançon, d'où l'horreur des étrangers qui, en modifiant les bases du négoce, pourraient porter atteinte à ce régime lucratif. Il en résulte qu'à peine étions-nous dans Kaolé, notre escorte fut saisie d'effroi en pensant aux difficultés du voyage, et déclara qu'il ne nous fallait pas moins de cent gardes, plusieurs canons et cent cinquante mousquets pour pénétrer dans l'intérieur. Je ne partageais pas les craintes de mes braves, mais je savais que nous entrerions sur cette terre inconnue dans une saison fatale; chaque minute de retard augmentait les chances de fièvre; et malgré cela nous n'étions, le 2 juillet, qu'à notre première étape. Enfin, après avoir commencé avant le jour nos préparatifs de départ, et cela pour la troisième fois, nous nous trouvâmes, à huit heures du matin, sur un sentier qui traverse des jungles, des champs de millet, des bourbiers noirs, couverts de riz ou de roseaux, et qui, dans les endroits où le terrain s'élève, serpente sur un sable rouge et copalifère. Des kraals, fortifiés par une clôture d'épines, et la crainte que les caravanes ont de camper dans les villages, témoignent du peu de sécurité du chemin. Le sentier s'élargit, devient moins rude, quitte l'ancien littoral de la baie, descend dans la vallée du Kingani, et remonte pour atteindre l'établissement de Nzasa, premier district de l'Ouzaramo indépendant. Nous y perdons trois jours. Le lendemain nouvelle halte à Kiranga-Ranga. J'en profite pour visiter les environs. Partout une fertilité incroyable: du riz, du maïs, du manioc en abondance, et dans les endroits non cultivés, du smilax, des buissons de carissa, des mûriers, des hibiscus. Près de la rivière, le mparamousi (taxus elongatus) élève sa ramée dont la brise agite les tresses noueuses, tandis que plus bas tout est paisible; des souches de bombax portent jusqu'à cinq tiges, ayant chacune trois mètres de circonférence; le msoukoulio, inconnu à Zanzibar, forme un amas de verdure auprès duquel les plus beaux chênes d'Europe ne paraîtraient que des nains.

Portrait.

Portrait de feu l'iman de Zanzibar.
Dessin de E. de Bérard d'après nature.

«À Kiranga, débutèrent les ondées qu'on essuie régulièrement entre les deux saisons pluvieuses, et je refusai de m'y arrêter plus d'un jour, malgré les instances des chefs, dont Saïd-ben-Sélim, qui dirigeait notre caravane, satisfaisait tous les désirs. Le lendemain nous entrions sur le territoire de Mouhogoué, l'un des plus redoutés de l'effrayant Ouzaramo. Toutefois, notre passage n'eut d'autre résultat que de faire accourir les femmes, très-curieuses de nous voir, et très-surprises de notre aspect. «Voudriez-vous de ces blancs pour maris? leur demanda notre orateur.—Avec de pareilles choses sur les jambes! Fi donc!» répondaient-elles à l'unanimité.

«Après Mouhogoué, on ne sort des jungles que pour trouver des grands arbres qui s'élèvent d'un sable rouge, et l'on ne débouche de la forêt qu'en arrivant au district de Mouhonyéra, c'est-à-dire au bord du plateau qui forme la terrasse méridionale du Kingani. L'homme est rare dans cette région malsaine où abondent les animaux sauvages. Les hyènes se font entendre aussitôt que le soleil est couché, et nos guides se préoccupent des lions. Pendant le jour, de petits singes gris, à face noire, nous regardent avec un sérieux imperturbable; puis leur curiosité satisfaite, ils glissent de la branche où ils étaient immobiles, et s'éloignent en bondissant comme des lévriers qui jouent. La plaine, d'un vert sombre, et qui se déploie sous la brume, offre les pires couleurs du Gujerat et du Téraï; à l'ouest un cône peu élevé brise l'horizon qui est d'un bleu livide, et au nord de ce monticule se dresse une muraille, coiffée de nuages, où l'œil fatigué se repose.

Port de Zanzibar.

Port de la ville de Zanzibar.—Dessin de E. de Bérard d'après nature.

«L'endroit où nous arrivons le jour suivant est désigné par les Arabes sous le nom de vallée de la mort et de séjour de la faim. Nous descendons à travers un hallier où s'éparpillent quelques champs de sorgho, et nous gagnons, après trois heures de marche, un affluent à demi desséché du Kingani; l'eau en est détestable, une odeur putride s'échappe de la terre brune et moite; de gros nuages, fouettés par un vent furieux, lancent d'énormes gouttes de pluie qui s'enfoncent comme des balles dans le sol détrempé; les arbres gémissent, en se courbant sous la tempête, les oiseaux s'éloignent avec des cris perçants, et les bêtes fauves se précipitent dans leurs tanières. Le capitaine Speke a la fièvre; plusieurs de nos hommes sont malades, nous sommes tous épuisés; cependant, en dépit de notre fatigue, nous marchons le lendemain pendant sept heures. À la croisée de la route de Mbouamaji, cinquante indigènes nous barrent le chemin, et sont appuyés d'une réserve qu'on entrevoit sur la gauche. L'affaire s'arrange, nous passons, et je ne peux qu'admirer les formes pures et athlétiques de ces jeunes guerriers qui, dans l'attitude la plus martiale, tiennent leur arc d'une main, et de l'autre un carquois rempli de flèches dont le fer aigu vient de recevoir une nouvelle couche de poison.

«Après une nuit passée à Tounda, au milieu d'une végétation excessive, je m'éveille abattu, la tête me fait mal, les yeux me brûlent, j'ai dans les extrémités des frémissements douloureux; la fatigue, le froid, le soleil, la pluie, la mal'aria, l'inquiétude, se réunissent pour m'accabler. Saïd-ben-Sélim, pris d'un violent accès de fièvre, implorait quelques heures de repos; un instant de plus à Tounda pouvait nous être fatal; je fis placer le malade sur un âne, et donnai l'ordre de ne s'arrêter qu'à Dégé-la-Mhora, village où fut assassiné le premier Européen qui ait pénétré aussi avant sur cette côte meurtrière. En 1845, M. Maizan débarquait à Bagamayo, en face de Zanzibar; de là il se rendit presque seul à Dégé. Fort bien accueilli d'abord par le chef Mazoungéra, celui-ci, quelques jours après, le fit arrêter, et, lui reprochant les dons qu'il avait faits à d'autres chefs, lui déclara qu'il allait mourir à l'instant même. L'intrépide voyageur fut attaché à un baobab; Mazoungéra lui coupa les articulations pendant que retentissait le chant de guerre, et que le tambour battait une marche triomphale. Puis entamant la gorge de sa victime, et trouvant que son couteau était émoussé, l'infâme s'arrêta pour en aiguiser le tranchant, se remit à l'œuvre, et arracha la tête avant que la décollation fût complète. Ainsi mourut à vingt-six ans un homme plein de cœur, de savoir et d'avenir, dont le seul défaut était la témérité, ainsi qu'on appelle trop souvent l'esprit d'initiative, quand la fortune ne sourit pas au courage.

«Malgré les efforts du saïd, pour satisfaire aux justes réclamations de la France, on ne parvint pas à saisir le coupable. Mais dans la croyance des indigènes, après la mort de M. Maizan, le chemin de la côte à Déjé-la-Mhora fut intercepté par un dragon animé de l'esprit du martyr, et le cruel Mazoungéra est, depuis lors, accompagné du spectre de sa victime. Les tourments qu'il en éprouve l'ont poussé à fuir la scène du meurtre; il erre maintenant sur les bords du grand lac, où il a traîné sa folle douleur; et sa tribu, qui n'a cessé de décliner depuis la mort du jeune Français, marche rapidement à une ruine complète.»

Arrivés le 13 juillet sur un territoire où les Ouazaramo, se confondant avec diverses tribus, ne sont plus à craindre, nos voyageurs poursuivirent leur marche sous des averses diluviennes, des brumes pénétrantes, déchirées par des coups de soleil foudroyants; ils franchirent des halliers, des fondrières où l'on enfonce jusqu'aux genoux, parfois jusqu'aux épaules, quittèrent le marécage pour des savanes entrecoupées de ravines profondes, retrouvèrent la forêt et les jungles, et accablés de fatigue, bourrelés d'inquiétudes, n'en continuèrent pas moins leur route périlleuse. «Chaque matin, dit Burton, m'apportait de nouveaux tourments, chaque jour me faisait penser que le lendemain serait pire encore, mais l'espérance est au fond du désespoir, et nous ne renonçâmes pas un instant à la mission que nous avions acceptée.»

C'est ainsi que la caravane traversa le district de Douthoumi, arrosé par la rivière du même nom, qui tombe dans le Mgazi. Une chaîne de montagnes, dont la crête dentelée et les pics voilés de nuages annoncent la formation primitive, s'élève au nord du district, et va rejoindre, à quatre journées de marche, les montagnes de l'Ousagara. Le vent du nord-est, comme celui du nord-ouest, se refroidit en balayant cette crête nuageuse, et tombe en rafales glacées dans la plaine, où le thermomètre descend à 18° pendant la nuit. Plus malsains, dit-on, que la vallée même, les cônes situés au pied de la montagne ne sont pas habités; la forêt en garnit le sol rocailleux, et tout ce que le voyageur a pu rêver d'horrible sur l'Afrique, se réalise: c'est un mélange confus de buissons épineux et de grands arbres, couverts de la racine au sommet par de gigantesques épiphytes; un amas d'herbes tranchantes, un réseau de lianes énormes qui rampent, se courbent, se dressent dans tous les sens, étreignent tout, et finissent par étouffer jusqu'au baobab.

«La terre exhale une odeur d'hydrogène sulfuré, et l'on peut croire, en maint endroit, qu'un cadavre est derrière chaque buisson. Des nuages livides, chassés par un vent froid, courent et se heurtent au-dessus de vous, et crèvent en larges ondées; ou bien un ciel morne couvre la forêt d'un voile funèbre; même par le beau temps, l'atmosphère est d'une teinte blafarde et maladive. Enfin, pour compléter cet odieux tableau qui, du centre du Khoutou, se déploie jusqu'à la base des monts de l'Ousagara, de misérables cases, groupées au fond des jungles, abritent quelques malheureux, amaigris par un empoisonnement continu, et dont le corps ulcéré témoigne de l'hostilité de la nature envers la race humaine.

«Dans le Zoungoméro, où commence la grande vallée de la Mgéta, les premières lueurs du jour apparaissent à travers un brouillard laiteux. Des cumulus et des nimbes viennent de l'est, envahissent les hauteurs de Douthoumi, et quand la pluie est imminente, une ligne épaisse de stratus coupe la montagne et s'étend au-dessus de la plaine. À toutes les phases de la lune, il pleut deux fois par vingt-quatre heures, et lorsque les nuages éclatent, un soleil ardent aspire la putridité du sol. L'humidité imprègne, oxyde, corrode tout, depuis le papier jusqu'au métal; le bois pourrit, le fer se ronge, les habits se trempent, la poudre se délite, le cuir devient gélatineux et le carton se liquéfie. Le Zoungoméro n'en est pas moins un centre commercial important, et plusieurs milliers d'hommes le traversent chaque semaine. Ses bourgades y sont formées de cases où l'eau s'infiltre, où l'on est en compagnie de volailles, de pigeons, de rats, de souris, de serpents, de lézards, de sauterelles, de blattes, de moustiques, de mouches, d'araignées hideuses, sans parler des essaims d'abeilles qui souvent en chassent les habitants, et de l'incendie que l'on peut toujours y craindre. Mais le sorgho y abonde, par conséquent la bière; le chanvre et le datura y croissent naturellement, et ajoutent leur charme à ceux de l'ivresse. Il n'en faut pas davantage pour que le Zoungoméro soit le rendez-vous d'une armée de flibustiers qui, le sabre ou la lance au poing, l'arc tendu, ou le mousquet à l'épaule, s'établissent dans les maisons, prennent les femmes, les enfants, s'emparent de tout, mettent le feu aux villages et en vendent les habitants à la première caravane qui passe. On est sur le sentier de la traite, et quel que soit le degré de misère des indigènes, le voyageur ne peut pas leur témoigner sa pitié: il ne trouve d'aliments à aucun prix; s'il n'entre pas de vive force dans une case, il restera sans abri malgré l'orage; s'il n'impose pas de corvée, on ne lui prêtera nul secours; enfin, s'il ne brûle et ne pille, il mourra de faim au milieu de l'abondance. Telle est la réaction de ce trafic odieux, qui détruit tout ce qu'il y a de bon dans le cœur de l'homme.»

Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée.

«Au moment de quitter le Zoungoméro, je passe en revue tous nos gens; que le lecteur me permette de les lui présenter. Ils se composent de Saïd-ben-Sélim, métis arabe de Zanzibar, qui a été chargé, malgré lui, par Sa Hautesse, de conduire notre caravane. Il est suivi de quatre esclaves, sans compter la jeune Halimah, dont l'embonpoint excessif et la physionomie carline absorbent la pensée de notre chef, toutes les fois que par hasard il la détourne de lui-même. Vient ensuite Mabrouki, mon valet de pied, esclave d'un chef arabe qui me l'a prêté moyennant cinq dollars par mois. C'est le type du nègre à encolure de taureau: front bas, petits yeux, nez épaté, large mâchoire, pourvue de cette force musculaire qui caractérise les puissants carnivores. Il est à la fois le plus laid et le plus vain de toute la bande, et sa passion pour la parure est sans borne; maladroit et paresseux, d'un caractère détestable, il passe d'un excès de colère ou d'orgueil à un excès d'abattement et de servilisme. Bombay, son compatriote, après des lubies infiniment trop prolongées, revint à ce qu'il était au début: un serviteur actif et honnête. Valentin et Gaétano, métis hindous et portugais, appartiennent à cette race de parias qui, dès leur enfance, s'en vont gagner quelques roupies en qualité de bonnes d'enfants et de marmitons dans les cités opulentes de l'Inde anglaise. Ces deux hybrides ont pour défauts un orgueil de caste et un mépris des hérétiques et des infidèles, qui les mettent souvent en péril, le besoin de paraître et de dominer, un penchant irrésistible au vol et au mensonge, une prodigalité du bien d'autrui excessive et une ténacité particulière à tout ce qui leur appartient, une faiblesse physique déplorable et une voracité qui les conduit à l'indigestion quotidienne. Mais tous deux ont leur mérite: il n'a fallu que quelques jours à Valentin pour connaître la langue du pays, pour apprendre à se servir du chronomètre et du thermomètre, de manière à nous être utile; et non moins adroit qu'intelligent, il fait aussi bien une couture qu'une sauce au carri. Gaétano a des soins curieux auprès d'un malade, et un mépris absolu du danger; il retournera seul, pendant la nuit, chercher sa clef qu'il aura laissée dans les jungles; il se jette dans une mêlée d'indigènes, sans s'inquiéter de leur fureur et ne manque jamais de transformer leur colère en gaieté. Certes il m'a causé bien de l'exaspération; mais il avait eu d'horribles accès de fièvre, qui avaient pris la forme cérébrale; et comme il devenait chaque jour plus étourdi, plus sale, plus prodigue, plus enclin à faire prendre le feu, et à l'entretenir avec mon beurre fondu, objet précieux et rare, je ne peux m'empêcher de l'absoudre en mettant ses torts sur le compte de la fièvre.

«Sa Hautesse nous a donné huit Béloutchis qui sont responsables de nos jours et de nos biens. Ils portent l'ancien mousquet, le sabre du Katch, le bouclier hindou, orné de son clinquant, une dague acérée, une provision de mèches, de briquets, de poudre et de plomb, judicieusement distribuée sur leur personne. Leur chef, le jémadar Mallok, est privé d'un œil, et justifie le proverbe qui suspecte la loyauté des borgnes. Il a de beaux traits, mais quelque chose autour des lèvres qui inspire la défiance, un œil qui ne regarde jamais en face, et qui répand des larmes de crocodile. Parmi les Béloutchis sont deux vétérans. Sans barbes grises, une caravane se considère comme n'étant pas en règle; mais je ne sais pas à quoi servent les nôtres, si ce n'est à paralyser l'élan de notre jeunesse. De plus, j'ai huit esclaves appartenant à M. Ramji, qui me les a loués, et qui nous servent d'interprètes, de guides et de soldats; ils ne quittent jamais leurs mousquets, ni leurs vieux sabres qui ont appartenu jadis à la cavalerie allemande. Tous les huit s'intitulent mouinyi, c'est-à-dire maîtres, parce que dans le principe ils ont été donnés en gage au banian Ramji par leurs familles, et que si leurs parents ont oublié de les racheter, ils n'ont cependant pas été vendus. Mal-appris et vaniteux, ils refusent toute besogne, excepté l'achat des vivres; s'arrogent le droit de commander aux porteurs, et le privilège de voler tout ce qui les tente. Ils boivent sec, nous ont mis plus d'une fois dans l'embarras par leurs façons cavalières avec les femmes, et ne répondent à la moindre observation que par la menace de déserter.

«Nos cinq âniers sont encore de plus tristes sujets.

«Au dernier rang, fort peu au dessus des ânes, même de leur propre aveu, sont les trente-cinq Ouanyamouézi qui forment le corps des porteurs; garçons efflanqués pour la plupart et difficiles à bâter. Chacun d'eux a son caprice, tous ont horreur des caisses, à moins qu'elles ne soient assez légères pour qu'on puisse en mettre une à chaque bout d'une longue perche, ou bien assez lourde pour exiger deux hommes, et se balancer entre eux. Du calicot, de l'indienne, des étoffes de soie et coton aux couleurs voyantes, des grains de verre et de porcelaine[7], du fil de laiton forment la majeure partie du chargement.

Un village.

Un village de la Mrima, page 306.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

«Enfin, au départ, trente ânes, cinq de selle, vingt cinq de bât, complétaient la caravane. Il n'en reste plus que vingt, et leur décroissement rapide commence à nous inspirer de graves inquiétudes. Ce n'est pas qu'il soit agréable de les monter; en Afrique, maître aliboron joint à son entêtement proverbial les quatre péchés capitaux de la race chevaline: il bronche, s'effraye, se cabre et se dérobe. Saisi d'impatience dès qu'il vous a sur le dos, il rue, pirouette, s'emporte, se gonfle et se dresse jusqu'à ce qu'il ait rompu ses sangles; il est affolé par le vent, et se précipite sous les arbres dès que le soleil prend de la force. Livré à lui-même, il dédaigne le sentier, recherche les trous avec obstination, et si vous avez besoin de faire plus de deux milles à l'heure, ce n'est pas assez de l'homme qui le tire par la bride, il en faut un second pour le frapper jusqu'à ce que l'on arrive. La rondeur de ses flancs, la brévité de son échine, son manque d'épaules, joints à la roideur de ses jambes droites, et au maigre bât sur lequel vous êtes perché, en font bien la plus détestable monture qu'on puisse imaginer. Ce n'est rien encore auprès des tribulations que nous causent les ânes de somme. Mal chargés par les esclaves, qui ne se donnent pas la peine d'équilibrer les fardeaux, ces derniers tombent dans chaque fondrière, roulent au fond de chaque ravin; et les Béloutchis s'asseyent en murmurant au lieu de venir à notre aide.»

Le 7 août 1857, l'expédition se remettait en marche, et se dirigeait vers les montagnes dont le premier gradin est à cinq heures du Zoungoméro central. À quatre ou cinq milles, sur la gauche de la route, s'élèvent des cônes disposés en ligne irrégulière; au pied de l'un de ces cônes jaillit une source thermale, désignée sous le nom de Fontaine qui bout. L'eau jaillit d'un sable blanc, çà et là tacheté de rouille, parsemé de gâteaux et de feuillets de tuf calcaire, et où gisent des blocs erratiques, noircis probablement par les vapeurs de la source. Le terrain environnant est brun, jonché de fragments de grès et de quartzite. Un rideau boisé ferme à l'horizon une vaste plaine, dont le sol bourbeux, tapissé d'herbe, est aussi mobile que l'onde. L'aire de la fontaine a environ soixante mètres de diamètre, et la chaleur et la mobilité du sol empêchent d'approcher du point d'ébullition. D'après les indigènes, il arrive parfois que l'eau s'élance en jets puissants, et que des pierres calcaires sont projetées à une grande hauteur.

Jihoué la Mkoa.

Jihoué la Mkoa ou la roche ronde.—D'après Burton.

«Après avoir fait trois longues étapes, laissé derrière elle les pauvres villages du Khoutou, salué le dernier cocotier, franchi neuf fois le lit sableux, ou traversé les eaux bourbeuses de la Mgéta, la caravane gravit le premier degré de la chaîne de l'Ousagara. Aucune voix humaine, aucun vestige d'habitation: l'infernal trafic de l'homme a fait de ces lieux un désert, où l'on n'entend que les cris et les rugissements des bêtes sauvages, la transformation du climat est cependant merveilleuse; la force et la santé nous revenaient comme par magie. Plus de bourrasques fouettant des pluies diluviennes, plus de brouillards voilant un sol putréfié, plus de vapeurs fétides: un ciel bleu, un air balsamique à la fois doux et vivifiant, une végétation d'un vert franc et varié, un horizon baigné d'azur. De beaux arbres, parmi lesquels se remarque le tamarin, succèdent aux fourrés d'épines. Le soleil est radieux, sa clarté s'épanche sur des blocs de quartz blancs, jaunes et rouges, et la brise de mer agite le feuillage, où des plantes grimpantes ont suspendu leurs girandoles. Une foule de singes babillent et jouent à cache-cache derrière les troncs élancés, tandis que l'iguane expose à la chaleur son armure écailleuse. Les colombes roucoulent dans les bosquets, des faucons planent auprès des nues, et, dans les airs au versant des collines au fond des plis de terrain, la vie éclate et se révèle par des myriades de voix joyeuses. Le soir, le murmure de l'eau se mêle aux soupirs de la brise, et le mugissement de la grenouille-taureau, le jappement du renard, le cri du héron nocturne retentissent de loin en loin à travers un silence d'une mélancolie indicible; la lune répand sa douce lumière sur des collines rougeâtres; des étoiles sans nombre scintillent au-dessus du paysage endormi; et pour mieux faire sentir le charme de ce tableau paisible, on entrevoit la ligne fangeuse du Zoungoméro, surplombé d'un ciel morne, voilé de brume, tourmenté par le vent, inondé par des nuages qui n'osent pas approcher de la montagne.»

Le lendemain, nos voyageurs reprennent leur course; le sentier se dévide sur des coteaux escarpés, au sol rouge, parsemés de roches, maigrement tapissés d'herbe, et dont l'aloès, le cactus, l'euphorbe, l'asclépias géante et les mimosas rabougris annoncent l'aridité; cependant le baobab y est encore majestueux, et l'on y voit de beaux tamarins, qui ont donné leur nom à ce district. Des squelettes parfaitement nettoyés, ça et là des cadavres tuméfiés de porteurs, qui sont morts de faim ou de la petite vérole, attristent la route.

Quatre jours après, l'expédition atteignait le plateau qui couronne la montagne, en descendait les douze étages, et retrouvait bientôt les ravins fangeux, le sol fétide, les ondées et la fièvre, tandis que la désertion se mettait dans les rangs des porteurs.

La fontaine qui bout.

La fontaine qui bout. Source thermale dans le Khoutou.—D'après Burton.

Le 21 août, les voyageurs traversaient la plaine longitudinale qui, s'inclinant à l'ouest, sépare le Roufouta de la chaîne du Moukondokoua. Le 22, ils étaient frappés de l'un de ces contrastes qui vous surprennent en Afrique, «où il est rare que la beauté et la grâce ne soient pas brusquement remplacées par le hideux et le grotesque. Cette fois de grandes lignes d'azur, brisées par les cimes castellées des rocs, fermaient l'horizon; la plaine, dorée par le soleil, ressemblait à un parc ayant ses feuilles d'automne; des groupes d'indigènes s'occupaient d'agriculture, et quelques-uns de charmer les nuages pour attirer la pluie. Des baobabs, des palmyras, des tamarins, des sycomores[8] s'élevaient du milieu des massifs, entretenus par la rosée; des tourterelles gémissaient sur les branches, des pintades émaillaient la prairie; le pipit babillait dans les chaumes; la plus mignonne, la plus jolie des hirondelles rasait la terre, et opposait son vol rapide aux orbes du vautour. Des bandes de zèbres, des troupeaux d'antilopes regardent curieusement la caravane, et, terrifiés tout à coup, bondissent et s'enfuient comme dans un rêve. Au détour du chemin, nous tombons au milieu d'une masse de roseaux fétides, et le sentier, perçant le fouillis des jungles, traîne ses replis tortueux vers le Myombo, qui vient des highlands du Douthoumi. En sortant d'un hallier, nous trouvons les débris d'un village; les huttes en sont fumantes; le sol est jonché de filets, de tambours, d'ustensiles. Deux spectres, cachés dans les broussailles, errent aux environs de ces ruines, où la veille était leur demeure, et qu'ils n'osent plus visiter: le démon de l'esclavage règne dans cette solitude qu'il a faite.

Sycomore africain.

Sycomore africain.—D'après Burton.

«La rosée nous transit; la fange du sentier permet à peine de se soutenir, et bêtes et gens sont affolés par la morsure d'une fourmi noire qui a plus de vingt-cinq millimètres de longueur; sa tête de bouledogue est pourvue de mâchoires puissantes qui lui donnent la faculté de détruire les rats, les serpents et les lézards. Elle habite les lieux humides, creuse ses galeries dans la vase, infeste les chemins, et, comme toutes ses congénères, elle ne connaît ni la crainte ni la fatigue. Rien ne peut lui faire lâcher prise lorsque, ramassée sur elle-même, elle vous tord les chairs et vous transperce de ses mandibules, qui vous lardent comme une aiguille rougie. La tsétsé habite ces jungles; nous la rencontrerons jusqu'au bord du Tanganyika, et son suçoir aigu traverse la toile de nos hamacs. Le nombre de nos ânes diminue rapidement; nos bagages sont moisis, les provisions manquent, la maladie s'aggrave; c'est tout ce que nous pouvons faire que de nous tenir sur nos montures; bientôt il faudra qu'on nous porte.»

Au bout de huit jours, la caravane ayant gagné la Roubého, troisième rampe de la chaîne de l'Ousagara, trouve un endroit salubre, à sept cent soixante mètres au-dessus des vallées pestilentielles; plus haut la dyssenterie et la pleurésie affectent les indigènes. Mais, excepté pour les termites, qui semblent n'être qu'une masse d'eau organisée, la sécheresse ne permet pas qu'on y séjourne. Il faut poursuivre sa marche; la lune est levée depuis longtemps lorsqu'on arrive exténué, la figure lacérée par les épines, les membres coupés par le tranchant des herbes, les pieds rompus et foulés par les chutes au fond des trous de rats et d'insectes.

Le jour suivant, on fait encore double étape, et l'on gagne le bassin d'Inengé, un entonnoir où s'engouffrent tantôt les rayons d'un soleil dévorant, tantôt les vents glacés qui passent au-dessus des crêtes brumeuses. «Tremblants de fièvre, saisis de vestige, nous contemplons avec abattement le sentier perpendiculaire: une échelle dont les racines et les quartiers de roche forment les degrés. Mon compagnon est si faible qu'il lui faut trois personnes pour le soutenir; je n'ai encore besoin que d'un seul appui. Les porteurs ressemblent à des babouins escaladant les murs d'un précipice, les ânes tombent à chaque pas; la soif, la toux et l'épuisement nous forcent à nous coucher, tandis que le cri de guerre retentit de colline en colline, et que des indigènes, armés de flèches et de lances, affluent comme un essaim de fourmis noires. Après six heures d'efforts inouïs, le faîte de la Passe terrible est gagné, et nous reprenons haleine au milieu de plantes aromatiques et d'arbrisseaux verdoyants.»

Le 12 septembre, nouvelle ascension, moins longue mais aussi rude; elle conduit au sommet du Petit-Roubého, qui s'élève à dix-sept cent quarante mètres au-dessus du niveau de la mer, et qui forme la séparation des eaux de cette région.

Le surlendemain, commença la descente de la chaîne; la piste borde une côte boisée, franchit une savane, émaillée d'arbres plus sombres que les ifs des cimetières. La vue s'étend sur des rochers, des crêtes, des ravins; elle découvre l'Ougogo, et le désert qui le précède. Au couchant sont des plaines brûlées par le soleil; une atmosphère épaisse et mouvante les fait ressembler à une mer jaune, parsemée d'îles, et zébrée par la ligne noire des jungles. «Rien d'attrayant dans l'aspect de l'Ougogo: une terre sauvage, habitée par une population menaçante, dont la pensée rembrunit l'horizon. Nos Béloutchis sont d'une humeur atroce; gais comme des grives quand l'air est tiède et qu'ils sont rassasiés, ils deviennent bourrus et querelleurs dès qu'ils ont faim et froid, et nous sommes toujours entre ces deux extrêmes: des journées étouffantes, des nuits glaciales; un ciel de feu, un vent de bise qui vous transperce.»

Le district d'Ougogi, où entrait la caravane, forme la partie orientale du plateau d'Ougogo, et se trouve à mi-chemin de la côte et de la province d'Ounyanyembé. Sa population mixte est formée de Ouahéhé, de Ouagogo et de Ouasagara, qui prétendent à la propriété du sol. Le grain y abonde, ainsi que le bétail, quand les razzias ne l'ont pas enlevé. On s'y procure facilement des vivres; mais le beurre y est rance, le lait tourné, le miel aigri, l'œuf gâté par suite de l'incurie des naturels. Située à huit cent quarante mètres au-dessus du niveau de la mer, cette province jouit d'un climat chaud et salubre, qui, après le froid pénétrant et les coups de soleil de l'Ousagara, parut délicieux à nos voyageurs. L'appétit leur revint, les malades se débarrassèrent de la fièvre et des affections de poitrine; mais le pays est sec, le manque d'eau ramena les marches forcées, et les épines reparurent avec l'aridité du sol: les unes molles et vertes, les autres droites et rudes, et qui servent d'aiguilles aux indigènes; celles-ci courbées en croissant, dos à dos comme les bras d'une ancre, celles-là courtes et trapues, barbelées comme des hameçons, accrochent, déchirent, retiennent les habits les plus forts, pénètrent les étoffes les plus épaisses.

Le 26 septembre, après une longue journée de marche, le capitaine arrivait au Zihoua, dont le nom signifie étang[9]; on le lui avait dépeint comme pouvant porter un vaisseau de ligne, il n'y trouva qu'une nappe d'eau peu profonde, ayant environ deux cent cinquante mètres de large, et dont le lit argileux est percé d'un côté par le granit. L'année suivante, quand l'expédition repassa au mois de décembre, le Zihoua n'offrait qu'un sol profondément craquelé par la sécheresse. Toutefois c'est un lieu de rendez-vous pour les caravanes, et le pays qui l'environne est plein d'éléphants, de girafes, de zèbres, qui vont s'y abreuver la nuit. Dans le jour, des rémipèdes s'y rassemblent, et le soir une quantité d'oiseaux le visitent. Lorsqu'il est desséché, on en est réduit à une eau crue et bourbeuse, que l'on puise à un ou deux milles dans des trous de six à huit mètres de profondeur. Tant qu'il n'est pas à sec, on ne peut y boire qu'en payant un droit assez élevé, et à dater de ses bords, le tribut qu'on exige des voyageurs est frappé rigoureusement, d'après le caprice du chef.

Comme elle débouchait sur le plateau d'Ougogo, l'expédition fut saluée par le son du tambour et des clochettes, et par les cris frénétiques de deux caravanes, arrêtées à Kifoukourou. L'une d'elles était composée de mille porteurs, dirigés par quatre esclaves appartenant à un Arabe; la seconde était celle de Saïd-Mohammed, qui avait rencontré nos amis deux jours auparavant, et qui les attendait.

L'Ougogo.

L'Ougogo.—D'après Burton.

«Ces Arabes de la côte voyagent d'une façon confortable. Les chefs avaient avec eux leurs femmes, beautés opulentes, vêtues, comme les tulipes, d'étoffes jaunes panachées de rouge, et qui, lorsque nous passions, tiraient leurs voiles sur des joues que nous n'avions nulle envie de profaner. Une multitude d'esclaves portaient une masse d'effets, de médicaments, de provisions de toute espèce; une avant-garde nombreuse, toujours la pioche et la cognée à la main, dressait les tentes, qu'elle entourait d'un fossé d'écoulement et d'un rideau de feuillage. Leur literie était complète, et leurs volailles mêmes les suivaient, portées dans des cages d'osier.»

Dès l'instant où nos voyageurs entrèrent dans l'Ougogo, ils furent assaillis par un essaim de curieux; hommes, femmes et enfants se pressaient sur leurs pas. «Quelques-uns, dit Burton, nous suivaient pendant plusieurs milles en poussant des cris animés, parfois en nous prodiguant les injures, et dans le costume le plus inconvenant. J'ai su plus tard que des métis arabes, qui nous avaient précédés, avaient répandu sur nous des propos qui nous valaient ces invectives. Suivant nos détracteurs, nous laissions derrière nous la sécheresse, nous jetions des sorts au bétail, nous semions la petite vérole, et nous devions revenir l'année suivante prendre possession du pays. Heureusement pour nous que plusieurs petits Ouagogo vinrent au monde sains et saufs, pendant notre passage; si par malheur un enfant ou un veau fût mal venu, je ne sais pas comment se serait opéré notre retour.

«Le 5 octobre, nous partions de Kifoukourou et nous arrivions au centre du Kanyényé, défrichement qui peut avoir dix milles de diamètre; c'est une aire d'argile rouge, émaillée de petits villages, d'énormes baobabs, de mimosas rabougris, où les troupeaux abondent, où le sol est aussi cultivé que le permet son caractère nitreux, et où l'eau potable est rare, la majeure partie de celle qu'on y trouve étant imprégnée de soufre. Nous y passâmes quatre jours, dont la caravane profita pour faire provision de sel, et le capitaine Speke pour tuer quelques antilopes, des pintades et des perdrix. De nombreux éléphants habitent la vallée qui sépare l'Ougogo des montagnes des Ouahoumba; mais c'est en général un triste pays de chasse. Dans tous les endroits cultivés la grosse bête a fui devant les flèches et la cognée des habitants; elle abonde, il est vrai, dans les plaines boisées du Douthoumi, dans les jungles et les forêts de l'Ougogi, les steppes de l'Ousoukouma, les halliers de l'Oujiji; mais sans parler des miasmes putrides qui s'y exhalent, le manque de nourriture, la difficulté d'y avoir de l'eau ne permettent pas de séjourner dans ces régions mortelles. Pas de chariots qui servent à la fois d'abri, de véhicule et de magasins, comme dans les plaines du sud; pas de vaisseaux du désert, pas d'autre moyen de transport que l'homme, indocile, entêté, défiant et peureux, dont il faut supporter la sottise et flatter les caprices; enfin vous ne trouvez pas dans l'Afrique orientale cette variété qui distingue la faune du Cap. La liste des animaux que nous rencontrâmes n'est pas longue: nous avons aperçu les cornes du pazan, le caama, le steinbok, le springbok et le pallah, qui furent tués de loin en loin; toutefois le souyia, une petite antilope fauve, à cornes minuscules et de la taille d'un lièvre, et le souangoura, un peu plus gros que le springbok, sont moins rares. L'ornithologie ne se montre pas beaucoup plus riche; les oiseaux qui la composent ont, pour la plupart, une livrée sombre, et leur ramage, plus bruyant qu'harmonieux, est peu agréable pour un Européen, peut-être parce qu'il lui est étranger.

Burton et ses compagnons.

Burton et ses compagnons en marche.—Dessin de Eug. Lavieille d'après un croquis humoristique de Burton.

«Le 10 octobre, nous nous trouvâmes sur une grande plaine herbeuse, rayée de cours d'eau ensablés qui se dirigent vers le sud, et que borde une végétation aromatique; le soir nous entrions sur un terrain mouvementé qui limite la plaine à l'ouest, et gravissant une côte pierreuse et couverte d'épines, nous nous arrêtions sur le plateau qui la couronne. Les ânes tombaient, les gens maugréaient, la soif et le manque d'eau avaient aigri tout le monde. Transis par le froid (le thermomètre marquait à peine douze degrés centigrades), nous repartîmes au point du jour, et nous nous arrêtâmes dans une clairière du district de Khokho. Les Béloutchis refusaient d'escorter nos bagages, et confiaient aux échos leurs griefs en quatre langues différentes, pour que personne ne pût en ignorer; ils allaient même jusqu'à parler de désertion.

«Suivant les Arabes, ce territoire est l'un des plus difficiles à franchir, en raison des caprices de Mana-Miaha, son chef. Quand ce tyranneau est à jeun, c'est un bourru intraitable; quand la boisson l'a déridé, il ne veut plus s'occuper d'affaires. L'une de ses manies est de faire travailler, à ses champs, les caravanes qui passent à l'époque des semailles; il nous fit grâce de cette corvée; mais il fallut cependant subir le délai de rigueur: l'étiquette s'opposait à ce que nous pussions voir le despote le jour de notre arrivée; le lendemain matin sa femme était souffrante; plus tard Sa Hautesse faisait ses libations. Le troisième jour le sultan accorda une audience à nos délégués, les reçut de très-mauvaise grâce, et me taxa, pour ma part, à six charges de marchandises. La quatrième journée fut employée par les Arabes à discuter le prix de leur passage avec les courtisans; le tribut apporté, distribué, selon la coutume, en lots séparés, ayant chacun leur destinataire, Sa Hautesse indignée du peu de valeur d'un morceau d'indienne qu'on osait lui offrir, saisit une grande cuiller de bois, et chassa les marchands de son auguste présence. Le cinquième jour s'écoula dans une noble oisiveté; on vint nous dire que Leurs Seigneuries étaient en face de leurs pots de bière, et nous comprîmes que toute la cour était ivre, depuis le sultan jusqu'aux ministres. Le lendemain on essaya du même procédé, mais comme je déclarai que nous partirions le jour suivant, quelle que fût la décision de Sa Hautesse, nos présents furent acceptés, et deux ou trois coups de mousquet nous apprirent que nous étions libres de continuer notre route. Je fus heureux de quitter cet endroit maudit: pendant le jour nous souffrions d'une chaleur suffocante, nous étions harcelés par la tsétsé, par des abeilles et des taons d'une persistance incroyable, et assaillis par des légions de fourmis noires que l'eau bouillante parvenait seule à écarter. Les nuits étaient froides; chaque matin nous trouvions quelque objet de prix endommagé par les termites, et ma pauvre monture, la seule qui eût survécu aux fatigues de la route, fut tellement lacérée par une hyène que je fus obligé de m'en défaire. Enfin quinze des porteurs que nous avions loués et payés, à Ougogi, désertèrent en nous laissant, il est vrai, la charge qui leur était confiée.

Chaîne côtière.

Chaîne côtière de l'Afrique occidentale.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

«La marche suivante fut longue, et ce fut à grand'peine que nous atteignîmes le kraal où nous dressâmes nos tentes; nous étions sur la frontière du Mdabourou, le premier district important de l'Ounyanzi. Le Mdabourou est une dépression fertile d'un rouge de brique, traversée par une rivière profonde, coulant au sud, et où l'on trouve cinq réservoirs, qui fournissent une eau copieuse, même en été. Au-dessus des jungles qui entourent ce district, apparaissent des cônes de médiocre hauteur, et plus loin à l'horizon, la crête ondulée d'une rampe que la distance vaporise et fait ressembler à une mer d'azur.

«De Mdabourou trois lignes principales traversent le désert qui sépare l'Ougogo de l'Ounyamouézi, et qui a reçu des indigènes le nom de plaine embrasée. On n'y trouve pas d'eau, si ce n'est après les pluies; mais la torche et la cognée diminuent rapidement les souffrances qu'il impose. Il fallait, il y a quinze ans, douze marches ordinaires et plusieurs marches forcées pour le franchir; actuellement on le traverse en une semaine. La première moitié est la plus sauvage, et l'on dit que, même en cet endroit, des hameaux de Ouakimbou s'élèvent tous les jours au nord et au sud de la route. C'est le 20 octobre que nous commençâmes le transit de ce plateau brûlant, dont la largeur est d'environ deux cent vingt-cinq kilomètres de l'est à l'ouest, et que nous apercevions depuis notre départ de Khokho. Dès les premiers pas, nous nous trouvâmes dans un fouillis de gommiers et de mimosas, auxquels se mêlent le cactus, l'aloès, l'euphorbe, une herbe rigide, que broutent les bestiaux quand elle est verte, et que brûlent les caravanes quand elle est sèche, pour favoriser la pousse nouvelle[10]. Le second jour nous atteignîmes le ravin de Maboungourou, déchirure profonde, jonchée de blocs de syénite, qui renferme parfois un torrent infranchissable; même à l'époque de sécheresse où nous nous y arrêtâmes, elle contient des auges remplies d'eau de pluie, où les crustacés abondent, ainsi que plusieurs espèces de silures. On voit au midi cet horizon bleu qui ressemble à l'océan; plus près de nous la preuve incontestable de l'action plutonnienne qui se révèle dans toute la partie orientale de l'Ounyamouézi, et qui se montre au nord jusqu'aux rives du lac Nyanza. Des roches en dos d'âne, ayant tantôt quelques mètres de circonférence, et tantôt plus d'un mille; des masses coniques, des tours solitaires, formant de longues avenues, ou composant des groupes nombreux, quelques-unes, droites et minces, sont plantées ça et là comme des quilles de géants; quelques autres, fendues par la moitié, surgissent de la plaine même, ou comme il arrive dans les formations gypseuses, elles hérissent de petites crêtes ondulées, formées de rocailles. L'une de ces aiguilles rendit, sous le choc, un son métallique, et de nombreux quartiers de roche, placés en équilibre, me rappelèrent la tradition des pierres branlantes. De loin, à travers le hallier, on croit voir des édifices de construction cyclopéenne, et quand la clarté de la lune se joue parmi ces roches couronnées de cactus, dorées par le soleil, zébrées de noir par la pluie, entourées de lianes rampantes, ces masses granitiques ajoutent puissamment à l'effet du paysage.

«Nous marchions depuis le matin; c'était tout au plus si nous avions pris deux ou trois heures de repos; l'ombre des collines s'allongea sur la plaine, le soleil se coucha dans des flots de pourpre et d'améthyste, la lune argenta le réseau de brindilles et d'épines que déchire le sentier, nous franchîmes une clairière; peut-être aurions-nous trouvé asile près d'un étang, où les grenouilles chantaient l'hymne du soir; mais les cors et les cris des porteurs nous annonçaient toujours que nous étions loin de l'avant-garde. Enfin, doublant un amas fantastique de rochers, et franchissant une petite crête rocailleuse, nous trouvâmes à sa base un tembé, ou village quadrangulaire, près duquel brillaient les feux de la caravane.

«Jihoué la Mkoa, dont le nom signifie roche ronde (c'est là que nous étions arrivés), est la plus volumineuse des masses de syénite grise que l'on trouve dans ce désert. Son grand axe n'a pas moins de trois kilomètres, et le point culminant de son sommet, en dos d'âne, s'élève à quatre-vingt-dix mètres au-dessus de la plaine. On trouve de l'eau de mare au pied de son versant méridional; des trappes à éléphants, recouvertes avec soin, entourent ces fosses, et le chef de nos garnisaires y disparut comme par magie.

«Le lendemain, en dépit de la fatigue de la veille, le chef de la caravane qui nous accompagnait proposa une marche forcée; les nuages qui venaient de l'ouest présageaient de l'eau, et, disait-il, annonçaient l'approche de la grande masika, ou saison pluvieuse. Nous franchîmes donc la roche ronde, et, traversant une forêt parsemée de quartz, nous atteignîmes, après trois heures de marche, quelques villages nouvellement bâtis, où les caravanes s'approvisionnent à des prix fabuleux. Nous étions le 25 à Mgongo-Thembo, nouveau défrichement, où le commerce attire une population croissante; il fallut s'y arrêter un jour; plusieurs de nos gens ne pouvaient plus marcher, nos ânes ne se relevaient que sous le bâton, et nos mangeurs les plus intrépides aimaient mieux le repos que la nourriture.

«Le 27, nous atteignîmes une grande plaine tapissée d'un pâturage jauni, où l'avant-garde nous attendait, afin que la caravane apparût dans toute sa puissance. Nous traversâmes une clairière émaillée de grands villages, enclos d'euphorbe, entourés de champs de maïs, de manioc, de millet, de gourdes, de pastèques, et dont les nombreux troupeaux se rassemblaient autour des mares. Les habitants sortirent en foule de leurs demeures, vieux et jeunes se coudoyèrent pour mieux nous voir: l'homme abandonna son métier, la jeune fille suspendit son piochage, et nous fûmes suivis d'une escorte nombreuse, qui piaillait, criait, hurlait sur tous les tons. Les hommes presque nus, les femmes vêtues d'une courte jupe, de la taille à mi-cuisse, la pipe à la bouche et les mamelles flottantes, frappaient sur leurs houes avec des pierres, demandaient des colliers, et manifestaient leur surprise par un feu roulant d'exclamations aiguës: spectacle dégoûtant fait pour vous rendre anachorète.

«Enfin le kirangosi agita son drapeau rouge, et les tambours, les cors, les larynx de ceux qui le suivaient commencèrent un affreux charivari. À mon grand étonnement (j'ignorais que ce fût la coutume dans cette province), le guide entra sans façon dans le premier de ces villages, et y fut suivi de tous les porteurs. Chacun se précipita dans les divers logements qui divisaient le tembé, et s'y installa avec autant d'égards pour soi-même que de mépris pour les propriétaires peu satisfaits. Quant à nous, placés sous une remise ouverte à tous les vents, nous remplîmes du matin jusqu'au soir le rôle de bêtes curieuses.»

Coup d'œil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Le plateau que l'expédition venait de franchir s'étend de la vallée d'Ougogi (trente-trois degrés cinquante-quatre minutes longitude est) au district de Toula, qui constitue la marche orientale de l'Ounyamouézi (trente et un degrés trente-sept minutes longitude est). Située sous le vent d'une rampe, dont l'altitude force le mousson du sud-est à déposer les vapeurs qu'il transporte, et placée trop loin des grands lacs pour en ressentir l'influence, cette région est d'une aridité qui rappelle les Karrous et la plaine du Kalahari. Pas de rivières dans l'Ougogo; les eaux pluviales y sont emportées par de larges noullahs, dont les bords d'argile se fendent pendant la sécheresse, et forment des polygones pareils à ceux du basalte. Les salines nitreuses et les plaines torréfiées y présentent quelques-uns des effets de mirage observés dans l'Arabie déserte; les chemins n'y sont que des pistes, frayées à travers les buissons et les champs; les kraals de petits enclos malpropres, autour d'un arbre où s'appuient les marchandises; les cabanes de ces kraals, de pauvres hangars faits d'épines et couverts de chaume; le manque de bois empêche qu'il en soit autrement, et, par le même motif, c'est la bouse de vache qui sert de combustible dans le pays.

Le sous-sol y est presque partout composé de grès, souvent couvert d'un sable rutilant, parfois d'une couche d'humus peu épaisse, et en général d'une argile ferrugineuse, jonchée de nodules de quartz, diversement colorées de masses de carbonate de chaux, ou de détritus siliceux, qui offrent plus de ressemblance avec le sable d'une allée qu'avec le riche terreau de la zone précédente. La manière dont l'eau s'y distribue, ou plutôt s'y conserve après la saison des pluies, divise cette région en trois grands districts: à l'est le Marenga-Mkali, épais fourré, où de misérables villages s'éparpillent au nord et au sud de la route. Au centre, l'Ougogo, le plus populeux et le mieux cultivé de la province, divisé en nombreux établissements, séparés les uns des autres par des buissons et des taillis, rempart verdoyant dans la saison pluvieuse, épineux pendant la sécheresse, et qui, dans tous les temps, s'oppose à la circulation de l'air. Enfin le Mgounda-Mkali, partie déserte, où la végétation n'est abondante que sur les collines, moins arides que les plaines.

Le vent d'est, qui vient des montagnes, souffle avec violence dans l'Ougogo pendant presque toute l'année, et la température y change brusquement sous l'influence des vents froids qui alternent avec des courants d'une chaleur singulière. «En été, le climat ressemble à celui du Sind: même ciel embrasé, mêmes nuits d'une fraîcheur pénétrante, mêmes ouragans poudreux. Quand le vent du nord, passant au-dessus de la chaîne des Ouahoumba, rencontre les rafales de l'Ousagara, échauffées par un sol brûlant, les molécules argileuses et siliceuses de cette terre désagrégée, les détritus des plantes carbonisées par le soleil surgissent en puissants tourbillons, qui parcourent la plaine avec la rapidité d'un cheval au galop, et qui, chargés de sable et de cailloux, frappent comme la grêle tout ce qu'ils rencontrent. Vers le milieu de novembre quelques ondées préliminaires, accompagnées de bourrasques furieuses, s'abattent sur cette région calcinée, et la vie qui paraissait éteinte renaît et déborde: c'est la saison des semailles, des fleurs, des chants et des nids.

«La caravane qui passe pour la première fois dans l'Ougogo se plaint des trombes, des nuées d'insectes, des revirements de température qu'elle y rencontre; mais l'air y est salubre, et ceux qui reviennent de l'intérieur prodiguent leurs éloges au climat qu'ils avaient maudit.

«Dans l'est et dans le nord de la province, la race est vigoureuse et de couleur aussi claire que les Abyssiniens. La petitesse de la partie postérieure de la tête, relativement à la largeur de la face, jointe à la distension du lobe des oreilles, donne aux Ouagogo une physionomie particulière. Ils s'arrachent les deux incisives du milieu de la mâchoire inférieure; quelques-uns se rasent la tête, la plupart se font une masse de petites nattes comme les anciens Égyptiens, et les enduisent, ainsi que tout leur corps, de terre ocreuse et micacée; une couche de beurre fondu, brochant sur le tout, fait l'orgueil des puissants et des belles. Le haut du visage est souvent bien; mais les lèvres sont épaisses et d'une expression brutale; le corps est heureusement proportionné jusqu'aux hanches, le reste est défectueux. Même chez les femmes la physionomie est sauvage, la voix forte, stridente, impérieuse, et les paupières sont rougies et souvent altérées par l'ivresse.

«Comparé à ceux de leurs voisins, le costume des Ouagogo leur donne un certain air de civilisation; il est aussi rare de voir parmi eux un vêtement de pelleterie, que de rencontrer plus à l'ouest quelque lambeau de cotonnade. Enfin leur curiosité; même impudente, prouve qu'ils sont perfectibles; le voyageur n'excite pas cette émotion chez les peuplades abruties, dont rien n'excite l'intérêt.

«Bien qu'il soit occupé par les Ouakimbou, le district de Toula, où entra la caravane au sortir de l'Ougogo, est regardé comme faisant partie de l'Ounyamouézi, dont il forme la frontière orientale.

«Après les fourrés épineux du Mgounda-Mkali, dont les jungles vous enserrent de tous côtés, cette vaste plaine, où se succèdent les bourgs et les champs de légumes et de céréales, apparaît comme une terre promise; le village insignifiant où nous arrivâmes fit à nos hommes l'effet d'un paradis, et le 1er novembre ils se sentaient de force à traverser le hallier qui nous séparait de Roubouga.

«Nous venions de nous arrêter à l'ombre, après avoir franchi ce dernier territoire, lorsque je vis arriver Maoula, chef d'un gros village voisin. Dans ses prétentions à l'homme policé, il ne pouvait pas permettre à un blanc de passer sur ses domaines sans lui soutirer un peu d'étoffe, sous prétexte de lui offrir un bouvillon. Comme la plupart des chefs de la Terre de la Lune, c'était un grand vieillard décharné, anguleux, ayant de gros membres, la peau noire, huileuse et ridée; une quantité de petits tortillons enduits de graisse, de beurre fondu, d'huile de ricin, pendillaient autour de sa tête chauve; une odeur d'encens bouilli s'exhalait du vieux morceau d'indienne qui lui enveloppait les hanches et de l'espèce de manteau qui lui tombait des épaules. Une quantité d'anneaux de fil de laiton roulé autour d'une masse de poil de buffle ou de zèbre, lui couvraient les deux jambes; et quatre petits disques, taillés dans une coquille blanche, ornaient les cothurnes de ses sandales. Il nous salua d'un air bienveillant, nous conduisit à son village, donna des ordres pour qu'on nettoyât des cases à notre intention, et nous quitta pour aller chercher son bouvard. Il revint quelques instants après, nous faisant amener l'un de ses taureaux, qui s'échappa, furieux comme un buffle, et dispersa tout le monde sur sa route, jusqu'au moment où deux balles du capitaine Speke l'étendirent sur le sable. Le vieux Maoula reçut en échange un morceau d'étoffe rouge, deux pièces de calicot, et demanda tout ce qu'il aperçut, y compris des capsules, bien qu'il n'eût pas de fusil; en outre, il fit tous ses efforts pour nous retenir, dans l'espérance que je guérirais son fils de la fièvre, et que je jetterais un sort à l'un des chefs du voisinage, qui lui était hostile. Le soir, on vint me dire que la palissade était entourée d'une troupe de nègres furieux; je sortis du village, et découvris en dehors de l'estacade une longue rangée d'hommes paisiblement assis, bien qu'ils fussent armés en guerre. Je fis déposer nos marchandises en lieu sûr, et me promis de quitter le lendemain notre vieux chef, sans plus me mêler de ses querelles du voisinage que de la santé de son fils.

Paysage.

Paysage dans l'Ousagara.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

Depuis Zangomero jusqu'aux frontières de l'Ounyanyembé, sur une ligne de plus de cent vingt lieues, nous avions traversé bien des têtes de vallées s'ouvrant au sud, et portant leurs eaux au Loufidji, ce fleuve que, dès 1811, le capitaine Hardi, de la marine de Bombay, a signalé comme une des grandes artères de l'Afrique centrale. Que de fatigues seront épargnées à ceux de nos successeurs qui pourront profiter de cette voie naturelle!

Traduit par Mme H. Loreau.

(La suite à la prochaine livraison.)

Paysage.

Paysage dans l'Ouanyamouézi.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON
[11].
1857-1859

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse.

«Avant d'arriver dans l'Ounyanyembé, nous avions à franchir une forêt que de nombreux vols et d'horribles assassinats ont rendue l'effroi des caravanes. On y dévalisa l'un de nos porteurs qui était resté en arrière, puis on lui cassa la tête à coups de bâton. Si triste que fût l'événement, c'était nous en tirer à peu de frais, si l'on considère qu'un seul Arabe se plaignait d'avoir perdu, à différentes reprises, cinquante charges d'étoffes et cinquante porteurs.

«De cette forêt nous entrâmes dans les rizières des districts de l'Ounyanyembé; et après avoir couché dans un sale petit village, appelé Hanga, il ne nous resta plus que deux marches à faire pour nous rendre à Kazeh.

«Quatre mois et demi après notre départ de la côte, le 7 novembre 1857, j'arrivai à Kazeh, principal établissement des Arabes dans ces parages, et chef-lieu de l'Ounyanyembé.

«Nous étions partis au point du jour; les Béloutchis avaient leur costume d'apparat, sans lequel il est rare qu'un Oriental voyage; mais on devait bientôt remballer cette belle parure pour l'échanger plus tard contre un nombre plus ou moins grand d'esclaves. À huit heures nous fîmes halte près d'une petite bourgade, afin que les traînards pussent nous rejoindre, et lorsque, drapeau au vent, la caravane serpenta dans la plaine au son des cors, au bruit des voix, ou plutôt des clameurs qui dominaient l'artillerie, elle présenta un coup d'œil vraiment splendide. La foule, qui se pressait aux deux côtés du chemin et qui rivalisait avec nous d'acclamations bruyantes, était vêtue avec un luxe auquel nous n'étions plus habitués. Quelques Arabes se trouvaient au bord de la route; ils me saluèrent avec la gravité musulmane, et nous accompagnèrent pendant quelques instants. Parmi eux étaient les principaux négociants de l'endroit: Snay ben Amir, Seïd ben Medjid, bel et jeune Omani de noble race, Mouhinna ben Soliman, qui, malgré son éléphantiasis, pénétrait à pied, tous les ans, jusqu'au centre de l'Afrique; enfin Seïd ben Ali qui, la taille mince, les formes grêles, mais bien proportionnées, les traits fins, la barbe blanche, la tête chauve, surmontée d'un fez rouge, offrait le type accompli du vieil Arabe. Au lieu de nous conduire au tembé qui avait été mis à ma disposition, le guide alla tout droit chez un négociant indien pour lequel le Saïd de Zanzibar m'avait donné des lettres. L'Indien était absent, mais Snay ben Amir vint à ma rencontre, et m'installa dans la maison d'Abaïd, qui se trouvait en voyage. Après m'avoir laissé un jour de repos, afin que je pusse régler avec mes porteurs, dont l'engagement était fini, tous les marchands de Kazeh, au nombre de dix ou douze, vinrent me faire une visite.

Comme le Zoungoméro dans le Khoutou, l'Ounyanyembé est un lieu de réunion pour les trafiquants, et le point de départ des caravanes qui, de là, se répandent dans l'intérieur. Sa position au centre de l'Ounyamouézi (la célèbre Terre de la Lune), dont il forme le district principal, la sécurité relative qu'il offre à ses habitants, ont déterminé les Omanis à y fonder un entrepôt. Quelques-uns même y séjournent parfois pendant plusieurs années, tandis que leurs agents battent la campagne pour recueillir des marchandises.

«On m'avait prédit un mauvais accueil de la part de ces Arabes; la façon dont ils me reçurent fut au contraire des plus encourageantes; nous rencontrions enfin des cœurs de chair, après n'avoir trouvé que des cœurs de roche. Tout ce dont j'avais besoin, tout ce que j'indiquai, même d'une façon indirecte, me fut immédiatement envoyé, et la moindre allusion au payement aurait été considérée comme une injure. Snay ben Amir, surpassant tous les autres, joignit aux citrons, au café, aux douceurs que dans ce pays on ne trouve que chez les Arabes, deux chèvres et deux bœufs. Il avait commencé par être confiseur à Mascate, et à l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire seize ans après ce début, il était l'un des plus riches négociants de l'Afrique orientale. Contraint par sa santé de renoncer à la vie active, il s'était fixé à Kazeh, où il remplissait les fonctions d'agent commercial et de procureur civil, et ses magasins d'étoffes, de rassade et d'ivoire, ses baracons à esclaves, composaient un village. D'une extrême obligeance, ce fut lui qui me procura des porteurs, qui les enrôla, qui se chargea de mes marchandises et fit tout préparer pour mon départ; enfin je dois à sa conversation instructive, une foule de renseignements sur la contrée que j'avais à parcourir. Il avait navigué sur le Tanganyika, visité les royaumes de Karagouah et d'Ouganda, situés au nord du lac, et l'ethnologie, les mœurs, les différents idiomes de cette région ne lui étaient pas moins familiers que ceux de l'Oman, son pays natal. C'était un homme pâle, entre deux âges, avec de grands traits, les yeux caves, le regard perçant, la taille haute, les membres décharnés: l'ensemble de Don Quichotte. Il avait beaucoup lu; sa mémoire était miraculeuse, sa pénétration excessive, et sa parole d'une facilité, d'une élégance dont j'étais surpris et charmé; bref, il était du bois dont on fait les amis; généreux et discret, à la fois plein de courage et de prudence, toujours prêt à risquer sa vie pour sauvegarder l'honneur, et ce qui est rare en Orient, aussi honnête que brave.

«Les Omanis ont, dans l'Ounyanyembé, une existence beaucoup plus facile et plus large qu'on ne pourrait le croire; leurs maisons, bien qu'à un seul étage, sont grandes et solidement construites; leurs jardins spacieux et bien plantés; on leur envoie régulièrement de Zanzibar, non-seulement tout ce qui est nécessaire à la vie, mais une quantité d'objets de luxe. Ils vivent au milieu d'une foule de concubines et d'esclaves parfaitement dressés au service; d'autres esclaves de toutes les professions leur viennent de la côte avec les caravanes; et comme en Orient les hommes les mieux élevés savent tous manier l'aiguille, il est rare que le besoin d'un tailleur se fasse sentir à Kazeh.

«L'habitation des Arabes, dans la Terre de la Lune, est tout simplement le tembé africain, modifié d'après les exigences de la vie musulmane. La verandah profonde et ombreuse, qui en ceint l'extérieur, abrite une large banquette où les hommes vont jouir de la fraîcheur du matin et de la sérénité du soir; c'est là qu'ils font la prière, qu'ils travaillent et qu'ils reçoivent leurs connaissances; sous la verandah est une porte semblable à une herse, qui donne accès dans un vestibule, où deux divans en terre battue, ayant des coussins de même matière, composent tout le mobilier; des nattes en recouvrent l'argile et sont remplacées par des tapis lorsqu'on attend des visites. Un couloir, qui tourne immédiatement pour tromper le regard des curieux, conduit de ce vestibule dans une cour, entourée de chambres et qui, chez les indigènes, est fermée par une estacade ou une palissade de roseaux. Pas de fenêtres à ces chambres, où l'air pénètre seulement par de petits œils de bœuf, qui au besoin font l'office de meurtrières. De la pièce d'honneur, où couche le maître du logis, on passe dans une salle complètement noire qui sert de magasin; le harem et les servitudes complètent ce genre d'habitation, le plus triste assurément qu'ait inventé les hommes. De l'intérieur des cellules qui le composent, le regard n'aperçoit que des murailles, et la petite cour où l'eau ruisselle durant la saison des pluies. Pendant le jour, une clarté douteuse contraste péniblement avec le rayon qui jaillit de la porte; et le soir il n'est pas de luminaire qui puisse éclairer ces murs terreux, gris ou rougeâtres. On y suffoque, ou l'on y subit les rafales du vent qui s'y engouffre. Chez les indigènes, la toiture laisse passer l'eau, et chaque solive du plafond, chacune des fentes de la muraille est habitée par des myriades d'insectes.

«Toutefois, pour des hommes qui vivent sous la verandah, et qui ont introduit le luxe dans la partie qui leur est personnelle, on conçoit que le tembé ne soit pas désagréable; je me suis trouvé fort bien dans celui d'Abaïd; et maintenant que le lecteur me sait confortablement installé à un jet de pierre de mon ami Snay ben Amir, il ne sera peut-être pas fâché d'avoir un aperçu des chemins que nous avons suivis pour en arriver là. Depuis son enfance, il entend parler des chameaux, des litières, des mules ou des ânes qui composent une caravane; mais le transport à dos d'homme qui caractérise un voyage dans cette partie de l'Afrique a été moins souvent décrit.

«Les routes, cette première attestation du progrès chez un peuple, n'existent pas dans l'Afrique orientale; les plus fréquentées ne sont que des pistes de vingt ou trente centimètres de large, tracées par l'homme dans la saison des voyages, et qui, suivant l'expression africaine, meurent pendant la saison des pluies, c'est-à-dire s'effacent sous une végétation opulente. Dans la plaine déserte, le sentier se divise en quatre ou cinq lignes tortueuses; dans les jungles c'est un tunnel, dont la voûte branchue arrête le porteur en accrochant son fardeau; près des villages, il est barré par une haie d'euphorbe, une estacade, un amas de fascines. Où la terre est libre, il s'allonge de moitié par mille détours. Dans l'Ouzarama et le Khoutou, il se traîne au milieu de grandes herbes, versées pendant la saison des pluies, brûlées pendant la sécheresse; il contourne des enclos, traverse des marécages, des rivières au lit vaseux, aux berges escarpées où l'eau vous monte jusqu'à la poitrine; partout il est miné par les insectes et les rongeurs qui le transforment en un piège perpétuel. Dans l'Ousagara, il disparaît au fond des ravins, s'arrête en face de montagnes abruptes, où il se métamorphose en échelle de racines et de quartiers de roche, que ne peuvent ni monter ni descendre les bêtes de somme. Le plus mauvais est encore celui qui borde les rivières, ou celui qui serpente sur le sol pierreux et déchiré qu'on trouve à la base des collines; le premier, envahi par une herbe touffue, est un repaire de voleurs; le second est une série de crevasses profondes, renfermant un ruisseau engourdi, brisé par des flaques de vase, et plus difficile à franchir qu'un torrent. De l'Ousagara jusqu'à l'Ounyamouézi, le chemin perce des halliers, parcourt des forêts, où les fondrières l'interrompent, et où la plupart du temps on ne le reconnaîtrait plus sans les arbres écorcés ou brûlés qui en marquent les bords. Ici est une barricade, plus loin une plate-forme soutenue par des souches; là-bas un petit arbre, arraché et replanté, couronné d'un croissant d'herbe, est coiffé d'énormes coquilles d'escargots, et de tout ce que peut inventer une imagination barbare. Dans l'Ouvinza et près de l'Oujiji, la piste cumule tous les inconvénients à la fois; ruisseaux, ravins, halliers, grandes herbes, rochers à pic, marais, crevasses et cailloux. On ne sait laquelle choisir des voies transversales qui pullulent dans les endroits habités; où elles n'existent pas, la jungle est impénétrable, et le conseil donné au voyageur, de préférer les lieux élevés pour y camper le soir, devient une ironie dans cette partie de l'Afrique; il lui serait plus facile de se creuser un terrier que de s'ouvrir un chemin dans ce réseau d'épines et de troncs d'arbres.

«On croit généralement dans l'île de Zanzibar que les caravanes ne traversent pas cette région; l'idée est juste, si on entend par caravanes ces longues files de chameaux et de mulets qui franchissent les déserts de l'Arabie et de la Perse; elle est fausse, si l'on applique cette qualification à une bande d'individus qui voyagent dans un but commercial. Les Ouanyamouézi ont toujours visité la côte, et lorsque la guerre ou les discordes de tribu à tribu leur en ont coupé la route, une nouvelle ligne s'est ouverte sur un point différent. Chez un peuple dont tout le confort et le luxe dépendent de l'échange, le trafic ne s'étouffe pas plus que la vapeur ne se comprime. Jusqu'à ces dernières années, tous les négociants faisaient porter leurs marchandises par des mercenaires de la côte ou de l'île de Zanzibar; le transport en est maintenant effectué par les Ouanyamouézi, qui considèrent le portage comme une preuve de virilité. On les voit, dès l'âge le plus tendre, se charger d'un petit morceau d'ivoire: porteurs de naissance, comme les chiens chassent de race. «Il couve ses œufs,» disent-ils en parlant d'un homme dont la vie est sédentaire; et «qui a vu le monde n'est pas vide de sens,» est de tous leurs proverbes celui qu'ils répètent le plus souvent. Néanmoins, en dépit de cet amour des voyages, ils ont la passion du sol natal, et rien ne prévaut contre le désir du retour, quand une fois il s'est emparé de leur esprit. Un Mnyamouézi débattra son engagement avec l'opiniâtreté d'un juif, et après deux ou trois mois de fatigues, s'il rencontre une caravane qui revienne à son village, un mot l'entraîne et lui fait abandonner tous les fruits de son travail. Au départ, quel qu'ait été l'empressement qu'ils aient mis à s'engager, la présence de nos hommes ne tient qu'à un fil tant qu'ils ne sont pas loin de chez eux; ils ont toutefois leur point d'honneur, et celui qui déserte laisse honnêtement à terre le fardeau qui lui a été confié.

«Trois sortes de caravanes parcourent l'est de l'Afrique; les unes se composent uniquement de Ouanyamouézi, d'autres sont dirigées et accompagnées par des métis ou par des esclaves de confiance, tandis que les troisièmes sont commandées par les Arabes. Dans les premières, qui sont de beaucoup les plus nombreuses, il n'y a pas de désertion, pas de murmures, et le trajet s'accomplit aussi vite que possible. On marche depuis le lever du soleil jusqu'à dix ou onze heures du matin; quelquefois même on continue la route dès que la grande chaleur est passée. L'épaule des porteurs est mise au vif par le poids du fardeau, leurs pieds sont déchirés; ils n'en vont pas moins, parfois tout à fait nus, à travers les épines et les herbes tranchantes, réservant leurs habits pour se parer en arrivant. Ils n'ont pas de couvertures, et la plupart couchent par terre. Ceux qui ont le plus besoin de confort emportent, en surcroît de leur charge et de leurs armes, une peau de bête qui leur sert de tapis, une marmite, une caisse d'écorce où leurs vêtements sont pliés, un tabouret et une petite calebasse de beurre fondu. Ils ont à souffrir du climat, de la mauvaise nourriture, de l'excès de fatigue; d'affreuses épidémies, surtout la petite vérole, les déciment lorsqu'ils approchent de la côte, et cependant, malgré leur aspect décharné, ils supportent mieux le voyage qu'on ne pouvait s'y attendre.

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