Le Tour du Monde; Afrique Orientale: Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860
Noirs de l'Ousumboua.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.
«Commandés par les Arabes, ces mêmes porteurs mangent beaucoup, travaillent peu, désertent fréquemment, sont remplis d'insolence, multiplient les haltes et se plaignent sans cesse. Réduits chez eux à ne faire qu'un seul repas, dès que c'est le maître qui paye, ils sont insatiables et emploient mille ruses pour extorquer des aliments. Ils ont des fureurs de viande: on tue un bœuf, le guide réclame la tête, la caravane s'empare du reste, à l'exception de la poitrine, qui est pour le propriétaire. Puis, quand ils sont bien gorgés, les plus hardis prennent la fuite, les autres ne tardent pas à les suivre, et le chef de l'expédition échoue sur la route comme un vaisseau désemparé.
«Entre ces deux extrêmes, sont les caravanes dirigées par les Ouamrima et les esclaves du maître, qui ont avec les porteurs une confraternité réelle. Ces caravanes ne sont jamais affamées comme les premières, ni gorgées d'aliments comme les autres. On y endure moins de fatigues, on y a plus de confort dans les haltes, et moins de mortalité dans les rangs.
«La nôtre se rapproche beaucoup de celle des Arabes, avec cette différence que nous ne sommes pas suivis et soutenus comme ces derniers, par les gens de notre maison. À quatre heures du matin, l'un de nos coqs bat des ailes et salue le point du jour; tous les autres lui répondent. J'appelle mes Goanais pour qu'ils me fassent du feu; ils sont transis (le thermomètre indique à peu près quinze degrés centigrades), et ils s'empressent de m'obéir. Nous prenons du thé, du café quand il s'en trouve, des gâteaux avec de l'eau de riz, ou bien encore un potage qui ressemble à du gruau. Les Béloutchis, pendant ce temps-là, chantent leurs hymnes autour d'un chaudron placé sur un grand feu, et se réconfortent avec une espèce de couscouss ou des fèves grillées et du tabac.
Huttes à Mséné.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«À cinq heures, le murmure des voix commence; c'est un moment critique: les porteurs ont promis la veille de partir de grand matin et de faire une marche pénible; mais, par cette froide matinée, ce ne sont plus les hommes qui avaient trop chaud le soir précédent; peut-être, d'ailleurs, plus d'un a-t-il la fièvre. Puis, dans toutes les caravanes, il y a de ces paresseux à la voix haute, à l'esprit de travers, dont le plus grand plaisir est de contrecarrer toute chose; s'ils ont résolu de ne pas bouger, ils resteront devant les tisons à se chauffer les pieds et les mains, sans détourner la tête, ou à fumer en vous regardant sous cape. Si la bande est unanime, vous n'avez plus qu'à rentrer sous votre tente. Si au contraire il s'y manifeste quelque division, vous parviendrez à galvaniser vos gens; le caquet s'anime, les voix s'élèvent, et bientôt les cris volent de toute part: «Chargeons! en route! en voyage!» et les fanfarons d'ajouter: «Je suis un âne! un bœuf! un chameau!» le tout accompagné du bruit des tambours, des flûtes, des sifflets et des cors. Au milieu de ce vacarme, les Ramji lèvent nos tentes, reçoivent quelques légers paquets et s'enfuient quand ils peuvent. Kidogo me fait l'honneur de me demander le programme du jour, et la caravane se répand dans le village. Nous montons sur nos ânes, mon compagnon et moi, si nous en avons la force; quand il nous est impossible de nous soutenir, deux hommes nous portent dans nos hamacs suspendus à de longues perches. Les Béloutchis, veillant sur leurs esclaves, arrivent les uns après les autres, et ne songent qu'à s'épargner une heure de soleil. Le jémadar a mission de rassembler l'arrière-garde avec le concours de ben Selin, qui, froid et bourru, est tout disposé à faire jouer son rotin. Quatre ou cinq fardeaux déposés à terre par leurs porteurs, qui ont déserté ou sont partis les mains vides, reviennent de droit aux hommes de bon vouloir, c'est-à-dire aux plus faibles.
«Quand tout le monde est prêt, le guide se lève, prend sa charge qui est l'une des plus légères, son drapeau rouge, déchiré par les épines, et ouvre la marche, suivi du timbalier. Notre guide est splendidement vêtu d'une bande écarlate de drap, fendue au milieu pour laisser passage à la tête, et qui flotte au gré du vent. Un bouquet de plumes de hibou, quelquefois de grue couronnée, surmonte la dépouille d'un singe à camail, ou la peau d'un chat sauvage, qui lui couvre le chef et lui retombe sur les épaules, après lui avoir entouré la gorge. La queue d'un animal quelconque, attachée de manière à faire croire qu'elle lui est naturelle, une broche en fer, terminée par un crochet, décorée d'un fil de perles mi-parties, et une quantité de petites gourdes huileuses contenant du tabac, des simples et des charmes, sont les insignes de ses fonctions. Tous ceux qui composent la caravane lui doivent obéissance, et pour s'assurer de leur docilité, il leur a fait présent d'une brebis ou d'une chèvre, dont il ne tardera pas à recouvrer la valeur: on lui doit la tête de chaque animal que l'on tue, soit en chemin, soit au bivac, et tous les cadeaux qui se font à la fin du voyage sont sa propriété exclusive. Quiconque passe devant lui, quand l'expédition est en marche, est passible d'une amende, et il enlève une flèche au délinquant pour le reconnaître à la fin de la journée.
«La caravane s'ébranle. En tête viennent les porteurs d'ivoire, les plus chargés et les plus fiers de tous; à l'une des extrémités de chaque défense est une clochette, à l'autre bout sont les bagages de celui qui la porte. Après l'ivoire, l'étoffe et la rassade; puis la plèbe des porteurs chargés de matières légères: dents de rhinocéros, cuir, sel, tabac, houes en fer, caisses et ballots, etc. Avec ces derniers, marchent les esclaves du Ramji, leur mousquet à l'épaule, les femmes, les enfants qui ont toujours leur petite charge, ne serait-elle que d'une livre; enfin les ânes, qui portent leur faix sur un bât en peau de buffle ou de girafe. Il est rare de trouver une caravane qui n'ait pas son mganga (sorcier, docteur et prêtre); le saint personnage ne dédaigne pas les fonctions de porteur; mais en vertu de son caractère sacré, il sollicite le plus mince de tous les fardeaux; et comme tous ses pareils, mangeant beaucoup, travaillant peu, c'est un homme gras et robuste, au crâne luisant, à la peau fine et douce.
«Tout le monde est mal vêtu; qui voyagerait en toilette serait certainement raillé. S'il vient à pleuvoir, chacun défait la peau de chèvre qui lui sert de manteau, en fait un petit paquet, et la met entre sa charge et son épaule. Au reste il y a dans leur costume beaucoup moins de draperie que d'ornements, et c'est la coiffure qui est leur plus grande préoccupation. Les uns s'entourent la tête de la crinière d'un zèbre, dont les poils roides leur font une auréole; d'autres préfèrent un morceau de queue de bœuf qui se dresse, comme chez la licorne, à trente centimètres au-dessus du front; il y a les coiffes en peau de félin ou de singe, les rouleaux, les bandelettes d'étoffe rouge, blanche ou bleue, les touffes et les couronnes de plumes d'autruche, de grue et de geai. Pour le reste du corps on a les bracelets de toute espèce, les colliers et les ceintures; enfin les petites clochettes, que la fine fleur des élégants porte aux genoux ou à la cheville.
«Une fois en marche, le bruit est la distraction normale; c'est à qui rivalisera avec le tambour et les cornets, et chacun de siffler, de glapir, de hurler, d'imiter le chant des oiseaux, les cris des bêtes féroces, et de proférer des paroles qui ne se disent qu'en voyage; le tout avec redoublement aux environs des bourgades. Mais si en route on fait le plus de bruit possible, afin d'imposer aux voleurs, on garde le silence dans les kraals pour ne pas leur révéler sa présence.
«À huit heures, si l'on découvre une place ombreuse ou un étang, le drapeau rouge se déploie et le son du barghoumi, qui ressemble de loin à celui du cor de chasse, annonce une courte halte. Les fardeaux sont déposés; on se couche ou l'on flâne, on jase, on boit, on fume, on tousse, on crache, on suffoque, ainsi qu'il arrive à tous les fumeurs de chanvre.
«Si la marche se prolonge jusqu'à midi, la caravane s'attarde, elle se débande et souffre cruellement. Dès qu'on s'arrête, les premiers cherchent l'ombre et se pelotonnent sous un buisson. Le murmure des voix grossit; les clochettes, les tambours, les cors annoncent que l'avant-garde est logée; le bourdonnement arrive à son comble, la bande est au complet; on se précipite vers le kraal; les égoïstes s'emparent des meilleures places ou des meilleures cases, si l'on est dans un village; les querelles qui en résultent menacent d'être sérieuses, mais le couteau rentre dans la gaîne sans avoir été rougi, et la lance est employée en guise de bâton. Les plus énergiques, pendant ce temps-là, abattent des arbres et réparent les abris.
«Quand les logements sont prêts, les ânes déchargés, les morceaux de bois entassés pour le feu, les cruches remplies d'eau, on s'occupe du dîner. C'est plaisir d'entendre le chant des marmitons, celui des femmes qui écrasent ou décortiquent le grain, et le bruit que fait l'esclave en pilant le café, dont il croque une bonne part. Trois pierres ou trois mottes d'argile, placées en triangle, forment un fourneau bien supérieur à ceux de nos camps et de nos pique-niques champêtres; ce trépied supporte une marmite qu'entoure un petit groupe de convives, en dépit du soleil. Dans leur pays nos hommes jeûnaient; mais, comme tous les peuples sobres, ils ont la faculté de réparer le temps perdu. La marmite ne s'emplit que pour se vider, se remplir et se revider sans cesse. Ils dévorent en deux jours les provisions de la semaine, puis ils font les mécontents. Je leur donnais double ration, et les misérables, qui avaient l'air de chanoines à côté de leurs confrères, osaient crier famine. Toutefois, quand ils auront la barbe blanche, ils raconteront à la jeunesse surprise les prodigalités de l'homme blanc qui les gorgea de grain pendant un long voyage, ils vanteront ses monceaux d'étoffe et de rassade, parleront de ses largesses, et regarderont en pitié les caravanes de la jeune Afrique.
«Entre leurs douze repas ils fument, chiquent, mâchent des cendres, ou de la terre rouge qui provient d'une fourmilière. Ne leur demandez rien au monde; celui que vous prieriez d'ouvrir un ballot se plaindrait amèrement, et tous ceux qui n'auraient pas la bouche pleine joindraient leurs murmures à ses cris. Donc la journée s'écoule autour de la gamelle, à savourer une pâte épaisse qui colle aux dents, à croquer du sorgho, à manger des rats cuits dans leur jus, des racines grillées, des herbes bouillies, jusqu'à ce que la panse soit gonflée comme le jabot d'une dinde à l'engrais.
«Quant à nous, le capitaine Speke et moi, notre menu alterne et va du bifteck de chèvre et d'un pain détestable détrempé dans du bouillon de haricots, à des tranches succulentes d'une venaison délicate, au riz au lait, aux poulets gras, aux perdrix et aux jeunes pintades.
«Arrive le soir; on parque les vaches, on entrave les ânes, qui s'égarent tous les deux jours, on fait le compte des fardeaux; puis quand les vivres ont été abondants et que la lune brille, le tambour fait rage, les mains battent avec force, et le chant monotone, que la foule dit en chœur, appelle à la danse toute la jeunesse des environs. L'exercice est laborieux; mais ces Africains ne sont jamais las quand il s'agit de plaisir. C'est d'abord une simple ronde, où chacun se balance avec lenteur; peu à peu le cercle s'anime, les bras s'agitent, les corps se baissent, touchent le sol et rebondissent, le groupe se condense, le mouvement s'accélère, et une sorte de galop infernal emporte ce tourbillon satyriaque aux gestes délirants. Lorsque la frénésie est à son comble, le chant s'arrête, et les danseurs éclatant de rire, se jettent par terre pour reprendre haleine et se reposer. Les vieillards regardent ce spectacle avec une admiration profonde, et se rappellent l'époque où ils prenaient part à la fête; trop émus pour applaudir ou pour crier leurs bravos, ils laissent échapper des «très-bien! parfait!» qu'ils profèrent d'une voix attendrie. Quant aux femmes, elles dansent entre elles et refusent de se mêler au cercle des hommes, ce qui est facile à concevoir.
«Lorsqu'on ne danse pas, et qu'il n'y a plus moyen de manger, les porteurs chantent et babillent pendant que les Béloutchis et le reste de l'escorte se disputent et parlent de bombance. À huit heures, le cri «sommeil! sommeil!» se fait entendre, et chacun s'empresse d'obéir, excepté les femmes, qui parfois se relèvent à minuit pour jaser. Peu à peu la caravane s'endort, et le tableau devient imposant; la flamme qui se projette au milieu des ténèbres dont la forêt s'enveloppe, éclaire, parmi les troncs noueux et feuillus, des groupes de bronze variés de forme et d'attitude; un ciel, d'un bleu foncé, pailleté d'or, forme au-dessus de nos têtes une voûte profonde, limitée par la nuit; à l'ouest, un croissant lumineux surmonté d'Hespérus qui étincelle, renferme dans ses bras une sphère grise qu'il entraîne. Tout est calme et revêtu de cette sublimité que la nature imprime à ses œuvres; c'est à de pareilles nuits que le Byzantin a emprunté le croissant et l'étoile de ses armes.
Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi.
«Le lendemain de notre arrivée à Kazeh, les porteurs séparèrent leurs bagages des nôtres, et sans nous dire un mot, sans nous faire un signe, ils partirent pour se rendre dans leurs foyers. Le surlendemain nos Béloutchis, leur jémadar en tête, se présentèrent en grand costume et réclamèrent la gratification qu'ils ne devaient recevoir qu'à la fin du voyage. Sur mon refus d'accéder à leur demande, ils se rabattirent sur le sel et les épices, reçurent de moi plus qu'ils n'avaient jamais possédé, se plaignirent de mon avarice et mendièrent du tabac, une chèvre, de la poudre et des balles. Toutes ces choses obtenues, ils me soutirèrent encore quelques pièces d'étoffe pour payer l'étamage de leur marmite et la réparation de la batterie de deux mousquets; puis n'étant pas contents, ils vendirent un baril de poudre qui leur était confié.
«Les esclaves, à leur tour, établirent leurs prétentions; Ben Sélim et Kidogo s'en mêlèrent; c'était à qui se montrerait le plus avide et le moins soumis. Je réunis les Arabes pour en conférer avec eux; l'affaire entendue, on me conseilla de temporiser. Sur ces entrefaites, la pluie débuta par des torrents d'eau et une averse de pierres; c'est ainsi que la grêle est nommée dans cette région. Tous nos hommes tombèrent malades; j'étais moi-même plus mort que vif, et ne savais plus quand nous pourrions nous en aller. Enfin, le 15 décembre, je me fis placer dans ma litière, et dis adieu à Snay ben Amir, dont les bontés s'étaient accrues en raison de mes embarras. Deux heures après j'arrivais à Yombo, petit village récemment établi et formé de tentes circulaires entourées d'arbres, parmi lesquels je revoyais le palmyra. Cette bourgade pittoresque est située dans un endroit malsain, et l'on ne peut y avoir de vivres qu'à dose homéopathique; mais le soir, toute la population revenait du travail en chantant, et j'écoutais avec plaisir ce récitatif simple et doux. Le coucher du soleil dans la Terre de la Lune est un instant plein de charme; la brise s'épanche en ondes embaumées, comme si elle était produite par un immense éventail, et partout la vie éclate et se révèle avec douceur: les petits oiseaux chantent l'hymne du soir et satinent leur plumage, les antilopes reviennent à leur buisson, le bétail folâtre et bondit, et l'homme se livre au plaisir. Toutes les femmes du village, depuis l'aïeule jusqu'à la jeune fille de douze ans, s'asseyent en rond et prennent leurs grandes pipes à foyer noir; elles paraissent y puiser de profondes jouissances; la fumée qu'elles aspirent lentement s'exhale de leurs narines; de temps à autre elles se rafraîchissent la bouche avec des tranches de manioc, ou un épi de maïs vert, cuit sous la cendre; puis quelque sujet d'entretien fait déposer les pipes, et un babil général brise tout à coup le silence. Parmi ces fumeuses, j'en ai remarqué trois qui auraient été belles en tous pays: le type grec dans toute sa pureté, le regard souriant, des formes sculpturales, le buste de la Venus coulée en bronze. Un jupon court de fibres de baobab est leur unique vêtement, et certes elles ne perdent rien à ignorer l'usage de la crinoline et du corsage. Ces ravissants animaux domestiques me souriaient avec grâce chaque fois que je leur présentais mes hommages; et quelques feuilles de tabac que je me plaisais à leur offrir m'assuraient une place d'honneur dans ce cercle, auquel, comme à beaucoup d'autres mieux vêtus, la fumée du narcotique tenait lieu d'idées, de contenance et de conversation.
«Le 30 décembre nous entrions dans le Mséné, lieu d'entrepôt des Arabes de la côte, qui, par antipathie pour leurs frères de l'Oman, ont déserté l'Ounyanyembé. Comme le nom de cette dernière province, celui de Mséné désigne l'ensemble d'un certain nombre d'établissements qui n'ont de commun entre eux que le voisinage. Au nord se trouvent les bourgs de Kouihanga et d'Yovou, qui appartiennent aux indigènes. Défendus par une forte estacade, un fossé profond et une épaisse haie d'euphorbe, ces villages sont composés de cabanes pareilles à de grandes ruches, et séparées les unes des autres par des champs entourés de palissades.
Nègres porteurs.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.
«Le district de Mséné est doublement insalubre, en raison des eaux stagnantes qui l'environnent et de la malpropreté de ses villages; mais l'humidité du climat rend d'autant plus fertile ce sol gras et noir, formé des débris d'une végétation exubérante; les fleurs y croissent spontanément, les arbres y déploient leur plus riche feuillage, le riz y pousse avec une rapidité inconnue dans l'est de la province, et la quantité de manioc, de sorgho, de maïs et de millet qu'on y récolte permet l'exploitation des grains; les tomates et le piment s'y recueillent à l'état sauvage, ainsi qu'une quantité de fruits prodigieuse; on s'y procure à bon marché des légumes d'espèces diverses, des pastèques, d'excellents champignons, du lait, de la volaille et du tabac. Quant à l'industrie des indigènes, elle se borne à la fabrication de nattes communes, d'un peu de cotonnade, de fourneaux de pipes et d'objets en fer.
«Comme on doit s'y attendre, d'après la population qui l'occupe, Mséné est un lieu de débauche où l'orgie est en permanence. C'est l'unique endroit de cette région où l'on tire du palmyra une boisson fermentée, et chaque jour tout le monde y est ivre, depuis le chef et son conseil, jusqu'au dernier esclave; le tambour ne cesse de battre, et la danse remplit tous les instants que n'absorbe pas le festin. Les gens de la côte ne peuvent pas s'arracher aux délices de cette Capoue africaine, et ce fut avec une difficulté incroyable que je parvins à remettre les nôtres en marche après douze jours de résidence. Chacun d'ailleurs s'effrayait du voyage, et se sentait moins disposé que jamais à en affronter les périls. Sur la route que nous allions suivre, les villages sont plus rares, plus mal construits, et fermés aux caravanes. Comme dans le Guzérat et le Deccan, la terre après la pluie n'est plus qu'une fange noire et visqueuse; le ciel disparaît sous des nuages violacés, qui fondent en averses torrentielles, et au milieu de cette couche d'herbe en décomposition, les sentiers linéaires sont criblés de trous qui, à chaque pas, menacent de vous engloutir.
Noir de l'Ouganda.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.
«Huit jours après notre départ du Mséné, la caravane arrivait à Kajjanjéri, l'effroi des voyageurs. Là, saisi de frisson, le corps paralysé, les membres traversés d'aiguilles brûlantes et me refusant leur concours, le tact perdu, tandis que la douleur s'exaspérait, je vis s'entr'ouvrir les sombres portes qui mènent à l'inconnu. On se procura néanmoins des hommes pour porter mon hamac, et le 3 février nous nous arrêtions à Ougaga, petit bourg où nous avions à débattre le passage du Malagarazi[12].
«Le moutouaré, ou seigneur des eaux, nous demanda un prix exorbitant, renvoya ses pirogues, et finit par nous octroyer le droit que nous réclamions, en échange de quatorze pièces d'étoffe et d'un bracelet d'airain, c'est-à-dire de moitié des objets qu'il avait stipulés d'abord; l'affaire conclue, on nous passa, et nous nous trouvâmes sur la rive droite du Malagarazi.»
Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie.
«Une ancienne tradition nous représente l'Ounyamouézi ou Terre de la Lune, comme ayant formé jadis un grand empire, sous l'autorité d'un seul chef; d'après les indigènes, le dernier de ces empereurs mourut à l'époque où vivaient les grands-pères de leurs grands-pères, c'est-à-dire il y a environ cent cinquante ans, ce qui n'a rien d'impossible. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un territoire morcelé, dont chaque fraction est soumise à un tyranuscule indépendant. Mais si les provinces qui la constituent n'ont plus entre elles de lien politique, la Terre de la Lune n'en est pas moins restée le jardin de cette région, et repose agréablement la vue par sa beauté paisible; les villages y sont nombreux, les champs bien cultivés; de grands troupeaux de bêtes bovines, à bosse volumineuse comme les races de l'Inde, se mêlent à des bandes considérables de chèvres et de moutons, et donnent à la campagne un air de richesse et d'abondance. Il y a peu de scènes plus douces à contempler qu'un paysage de l'Ounyamouézi vu par une soirée de printemps. À mesure que le soleil descend à l'horizon, un calme d'une sérénité indescriptible se répand sur la terre; pas une feuille ne s'agite, l'éclat laiteux de l'atmosphère embrasée disparaît, le jour qui s'éloigne en rougissant couvre d'une teinte rose les derniers plans du tableau que le crépuscule vient enflammer; aux rayons de pourpre et d'or succède le jaune, puis le vert tendre et le bleu céleste qui s'éteint dans l'azur assombri. Le charme de cette heure est si profond, que les indigènes, assis au milieu de leur village, ou couchés dans la forêt, en sont vivement émus.
«La saison des pluies commence plus tôt dans l'Afrique centrale que sur la côte, et débute, dans la Terre de la Lune par des orages d'une violence excessive. Les éclairs d'une intensité aveuglante, s'entre-croisent pendant des heures, dissipent entièrement les ténèbres, et se colorent des nuances les plus vives, tandis que la foudre, en ses roulements continus, semble venir de tous les points du ciel. Quand la pluie doit se mêler de grêle, un bruit tumultueux se fait entendre, l'air se refroidit subitement, et des nuages d'un brun violet répandent une étrange obscurité. Les vents se répondent des quatre coins de l'horizon, et l'orage se précipite vers les courants inférieurs de l'atmosphère. Dans le Mozambique, les Portugais attribuent ces foudres terribles à la quantité de substances minérales qui sont éparses dans la contrée; mais cette région n'a pas besoin d'autre batterie que son sol fumant pour produire ces décharges électriques. On y éprouve dans la saison pluvieuse, la même sensation qu'au bord de la Méditerranée lorsque règne le sirocco. Il est rare que la pluie s'y prolonge plus de douze heures, elle tombe en général pendant la nuit, et les averses du matin n'empêchent pas le jour d'être brûlant et desséché.
«La faune de l'Ounyamouézi est la même que celle de l'Ousagara et de l'Ougogo: le lion, le léopard, l'hyène d'Abyssinie, le chat sauvage en habitent les forêts; l'éléphant, le rhinocéros, le buffle, la girafe, le zèbre, le quagga y parcourent le fond des vallées et les plaines; dans chaque étang de quelque étendue on trouve l'hippopotame et le crocodile; les quadrumanes y sont nombreux dans les jungles; celles de l'Ousoukouma renferment des cynocéphales jaunes, rouges et noirs, de la taille d'un lévrier, et qui d'après les indigènes, sont la terreur du voisinage; ils défient le léopard, et quand ils sont nombreux on assure qu'ils n'ont pas peur d'un lion. Enfin le colobe à camail y fait admirer sa palatine blanche, qu'il peigne et brosse continuellement; très-glorieux de cette parure, dès qu'il est blessé, prétendent les Arabes, il la met en pièces afin que le chasseur n'en profite pas. On parle également de chiens sauvages qui habiteraient les environs de l'Ounyanyembé, et, qui chassant par troupes nombreuses, attaqueraient les plus grands animaux, et se jetteraient même sur l'homme.
«Vers l'époque de l'année qui correspond à notre automne, les étangs et leurs bords, sont fréquentés par des macreuses, des sarcelles grasses, d'excellentes bécassines, des courlis et des grues, des hérons et des jacanas; on trouve quelquefois dans le pays l'oie d'Égypte et la grue couronnée qui paraît fournir aux Arabes un mets favori; plusieurs espèces de calaos, le secrétaire, et de grands vautours, probablement le condor du Cap, y sont protégés par le mépris que les habitants font de leur chair. Le coucou indicateur y est commun; des grillivores et une espèce de grive, de la taille d'une alouette, y sont de passage, et rendent de grands services aux agriculteurs par la guerre qu'ils font aux sauterelles. Un gros bec sociable y groupe ses nids aux branches inférieures des arbres, et une espèce de bergeronnette s'aventure dans les cases avec l'audace d'un moineau de Paris ou de Londres. Différentes espèces d'hirondelles, quelques-unes toutes mignonnes et d'une grâce particulière, y séjournent pendant l'été. L'autruche, le faucon, le pluvier, le corbeau, le gobe-mouche, la fauvette, le geai, la huppe, l'alouette, le roitelet et le rossignol y sont représentés, mais en petit nombre, ainsi que les chauves-souris. Quant aux ophidiens, outre le dendrophis, l'expédition ne rencontra qu'un serpent gris ardoise, à ventre argenté, qui abonde dans les cases, où il détruit les rats, et n'est pas venimeux. Les marécages sont remplis de grenouilles, dont l'affreux concert ressemble à celui qu'on entend dans le nouveau monde; les lacs et les rivières contiennent des sangsues que les indigènes regardent comme habitées par des esprits, et qui par ce motif sont inviolables. Des myriapodes gigantesques sont communs dans les forêts et dans les champs, surtout pendant les pluies, et rien n'est plus hideux que l'aspect de ces articulés noirs à pieds rouges, traînant la masse de parasites dont ils sont couverts. À certaines époques il y a beaucoup de papillons dans le voisinage des eaux, où abondent également les libellules. Des nuées de sauterelles s'abattent de temps à autre sur le pays; mais leur apparition n'a rien de régulier. Au printemps, des vols de criquets à ailes rouges s'élèvent de terre, couvrent les plantes, et disparaissent au commencement des pluies; la variété noire, que les Arabes appellent âne de Satan, n'est pas rare, et sert comme aliment aux indigènes. Une mouche de la taille d'une petite guêpe et fatale aux bestiaux, infeste les bois de l'Ounyamouézi; enfin certaines parties de la contrée sont couvertes de fourmilières, qui en vieillissant acquièrent la dureté du grès.
«Parmi les tribus qui occupent la Terre de la Lune deux seulement méritent de fixer l'attention: les Ouakimbou, venus du sud-ouest, il y a quelque vingt ans, et les Ouanyamouézi, originaires de la province. Les premiers se livrent à l'agriculture, élèvent du bétail, joignent à cela un peu de commerce, et quelques-uns font le voyage de la côte; mais tous ces travaux ne parviennent pas à les enrichir.
«Les Ouanyamouézi, propriétaires du sol, industrieux et actifs, ont sur leurs voisins une supériorité réelle et forment le type des habitants de cette région. Leur peau, d'un brun de sépia foncé, a des effluves qui établissent leur parenté avec le nègre; ils ont les cheveux crépus, les divisent en nombreux tire-bouchons, et les font retomber autour de la tête, comme les anciens Égyptiens; leur barbe est courte et rare, et la plupart d'entre eux s'arrachent les cils. D'une taille élevée, ils sont bien faits et leurs membres annoncent la vigueur; on ne voit de maigres, dans la tribu, que les adolescents, les affamés et les malades; enfin ils passent pour être braves et pour vivre longtemps. Leur marque nationale consiste en une double rangée de cicatrices linéaires, allant du bord externe des sourcils jusqu'au milieu des joues, et qui parfois descendent jusqu'à la mâchoire inférieure; chez quelques-uns une troisième ligne part du sommet du front, et s'arrête à la naissance du nez. Ce tatouage est fait en noir chez les hommes, en bleu chez les femmes; quelques élégantes y ajoutent de petites raies perpendiculaires, placées au-dessous des yeux; toutes s'arrachent deux incisives de la mâchoire inférieure; le sexe fort se contente d'enlever le coin des deux médianes supérieures. Hommes et femmes se distendent les oreilles par le poids des objets qu'ils y insèrent. Quant au costume, les riches ont des vêtements d'étoffe, les autres sont couverts de pelleteries. Les femmes, à qui leur fortune le permet, portent la longue tunique de la côte, le plus souvent attachée à la taille; celles des classes pauvres ont sur la poitrine un plastron de cuir assoupli, et leur jupe, également en cuir, s'arrête au-dessus du genou; chez les jeunes filles la poitrine est toujours découverte, et il est rare que les enfants ne soient pas entièrement nus. Des colliers nombreux, des fragments de coquillages, et des croissants d'ivoire d'hippopotame qui ornent la poitrine, des perles mi-parties, des grains de verre rouge enfilés dans la barbe (quand elle est assez longue pour cela), des anneaux d'airain massif, des bracelets de fil de laiton, de petites clochettes en fer, des étuis d'ivoire, forment les divers compléments de la toilette, et sont quelquefois réunis chez les merveilleux. En voyage, on porte une corne à bouquin en bandoulière; au logis un petit cornet la remplace, et contient des talismans consacrés par le mganga.
«Les Ouanyamouézi ont peu de formalités civiles ou religieuses. Quand une femme est sur le point d'accoucher, elle se retire dans les jungles, et revient au bout de quelques heures avec son enfant sur le dos, et souvent une charge de bois sur la tête. Lorsque la couche est double, ce qui heureusement est plus rare que chez les Cafres, l'un des jumeaux est tué, et la mère emmaillotte une gourde qu'elle met dormir avec le survivant. Si l'épouse meurt sans postérité, le veuf réclame à son beau-père la somme qu'il avait donnée pour l'avoir; si elle laisse un enfant, celui-ci hérite de la somme.
«La naissance, toutes les fois que les parents en ont le moyen, est célébrée par une orgie; du reste, pas de cérémonies baptismales. Les enfants appartiennent au père, qui a sur eux un droit absolu, et peut les tuer ou les vendre sans encourir le moindre blâme. Ce sont les bâtards qui succèdent au père, à l'exclusion des enfants légitimes, qui, suivant l'opinion reçue, ayant une famille, ont moins besoin de fortune. Aussitôt qu'un garçon peut marcher, on commence à lui faire soigner le bétail; quand il a quatre ans on lui donne un arc et des flèches, et on lui apprend à s'en servir; sa dixième année révolue, on lui confie la garde du troupeau; il se considère comme majeur, se cultive un carré de tabac, et rêve de se bâtir une cabane dont il sera le propriétaire; il n'est pas dans la tribu un bambin de cet âge qui ne puisse suffire à ses besoins. La position des filles n'est pas moins remarquable; dès qu'elles ont passé l'enfance, elles quittent la maison paternelle, se réunissent à leurs contemporaines, ce qui fait par village un groupe de huit à douze, et s'occupent en commun de la construction d'une grande case, où elles reçoivent qui bon leur semble. S'il arrive que l'une d'elles soit sur le point d'être mère, le coupable doit l'épouser sous peine d'amende. Si elle meurt en couches avant le mariage, le père de la défunte exige que l'amant lui paye sa fille. Tout jeune homme se marie dès qu'il a le moyen d'acheter une femme, ce qui lui coûte d'une à dix vaches, et l'épouse est tellement sa propriété qu'il a le droit, en cas d'adultère, de réclamer des dommages-intérêts au séducteur; toutefois il ne peut vendre sa femme que lorsque l'état de ses affaires l'exige. Après les bacchanales des épousailles, le mari va s'établir chez la nouvelle épouse, jusqu'à ce qu'il lui plaise d'habiter la demeure d'une autre, car la polygamie est générale parmi ceux qui peuvent s'en donner le luxe. On comprend qu'avec de pareilles mœurs les liens de famille soient assez lâches et qu'il y ait peu d'affection entre les époux; tel revient de la côte chargé d'étoffe, qui refusera un lambeau d'indienne à sa femme; et celle-ci, malgré sa fortune personnelle, laissera, s'il lui plaît, son mari mourir de faim. Dans la gestion des affaires domestiques, l'homme est chargé des troupeaux et de la basse-cour, la femme des champs et des jardins; mais chacun des deux cultive sa provision de tabac, ayant peu d'espoir d'en obtenir de son conjoint. Les veuves qui ont quelque fortune la dépensent gaiement à satisfaire leurs caprices les plus extravagants; elles reçoivent des cadeaux en échange, d'où il résulte que pas un esclave venu de la côte ne possède un chiffon lorsqu'il quitte l'Ounyanyembé.
Habitation de Snay ben Amir à Kazeh.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«Le tembé, remplacé dans l'ouest par la hutte africaine, est l'habitation ordinaire de l'Ounyamouézi oriental. On en trouve de spacieux et d'assez bien construits; mais aucun n'est d'une propreté satisfaisante. Les murs, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, sont décorés de grandes lignes d'ovales faits avec un mortier de cendre, d'argile rouge, ou de terre noire.
«Les Ouanyamouézi fabriquent avec l'argile de grossières figures d'hommes et de serpents; on voit aussi dans leurs villages de rudes essais de sculpture, et des croix dans certains districts; mais ces objets qui au premier abord paraissent être des idoles, ne sont que de pure ornementation. L'ameublement est le même que dans les autres provinces: une couchette, formée de branches dépouillées de leur écorce, soutenues par des fourches et recouvertes de nattes et de peaux de vache, occupe la plus grande partie de la première pièce; le foyer se trouve vis-à-vis de la porte, et à la muraille sont fixés de grands coffres où l'on renferme le grain; on y voit en outre des gourdes et de petites caisses de bois blanc suspendues au plafond, des vases de terre noire, de grandes cuillères de bois, des pipes, des nattes et des armes accrochées au tronc branchu d'un arbre placé dans une encoignure à côté des pierres à moudre le grain. Mais ce qui caractérise surtout les villages de la Terre de la Lune, ce sont deux hiouanzas bâtis en général aux deux extrémités du bourg: l'un appartient aux femmes, et l'on ne peut y pénétrer; l'autre est celui des hommes, et les voyageurs y sont admis.
Jeunes dames à Kazeh.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.
«L'hiouanza est une case plus grande, plus solidement construite que ses voisines, et dont les murailles sont mieux polies, mieux décorées. Des talismans, suspendus au linteau de la porte, en protègent le soleil. On retrouve à l'intérieur le lit de camp, fait cette fois avec des planches, comme celui de nos corps de garde, les trois cônes du foyer et la pierre à moudre; des flèches, des lances, des bâtons sont attachés aux solives et remplissent les coins. C'est là que tous les hommes du bourg vont passer leur journée, souvent la nuit, même après leur mariage, et dépensent le temps à jouer, boire, manger, fumer du tabac et du chanvre, à causer et à dormir entièrement nus, pêle-mêle comme une meute dans un chenil.
«La séparation, comme on le voit, est complète entre les deux sexes; ils ne mangent pas même ensemble; un bambin serait désolé qu'on lui vît partager le repas de sa mère. Avant leurs étroites relations avec les Arabes, les Ouanyamouézi ne goûtaient pas à la volaille, dont ils mettaient la chair au nombre des viandes impures; aujourd'hui encore ils ne mangent pas d'œufs; mais il en est, parmi ces dégoûtés, qui s'accommodent de charogne. Certains d'entre eux, qui ne voudraient pas toucher à du mouton, se repaissent de léopard, de rhinocéros, de chat sauvage et de rat; quant aux scarabées et aux termites, ils sont appréciés de tout le monde. Du reste, il est rare que les Ouanyamouézi mangent de la viande, à moins d'être en voyage; de la bouillie et quelques plantes que leur fournissent les jungles forment leur nourriture ordinaire; ils y ajoutent du miel et du petit-lait pendant la belle saison. Les chefs se vantent néanmoins de ne consommer que des aliments substantiels, entre autres du bœuf; et depuis le premier jusqu'au dernier de la tribu, aucun ne s'avoue rassasié tant qu'il n'est pas abruti par l'excès des aliments.
«L'extension que le commerce a prise depuis quelque temps dans ces parages a modifié la manière de vivre des naturels, mais d'une manière fâcheuse; ils ne sont plus aujourd'hui ni probes, ni hospitaliers, et n'ont acquis aucune qualité en échange, de leurs vertus primitives; leur industrie n'a fait aucun progrès, leur intelligence commerciale ne s'est pas même développée au contact des Arabes, ils emploient l'âne comme bête de somme, et n'ont pas encore eu l'idée de s'en servir comme monture; pas un n'a su adopter la charrue, dont ils connaissent l'usage, et bien que leur idiome soit riche, ils se contentent, dans leurs chansons, d'une douzaine de mots qu'ils répètent à satiété.
Coiffures des indigènes de l'Ounyanyembé.
«Comme nous l'avons dit plus haut, la Terre de la Lune est gouvernée par une foule de petits chefs dont le pouvoir est héréditaire, et qui, assistés d'un conseil, n'en exercent pas moins une autorité despotique. Outre les produits du domaine privé, ces chefs tirent leur revenu des présents que leur font les voyageurs, de la confiscation des biens, dans les cas de félonie et de sorcellerie, de la vente de leurs sujets et du droit d'aubaine. C'est à eux qu'appartiennent l'ivoire que l'on trouve dans les jungles, et tous les effets des esclaves décédés. L'exemple suivant pourra donner un aperçu de leur manière de vivre. Foundikira, l'un des principaux chefs de la province, faisait partie d'une caravane, en qualité de porteur, et se dirigeait vers la côte, lorsqu'il apprit la mort de son père; il déposa immédiatement son fardeau et revint dans son pays, où il hérita des biens paternels, y compris les veuves du défunt, eut trois cents cases pour loger ses esclaves, et se trouva en outre possesseur de dix épouses et de deux mille têtes de gros bétail. Dédaignant de réclamer des étrangers le droit de passage que lui accordait la coutume, et n'en recevant pas moins des cadeaux importants, il vécut avec une certaine pompe jusqu'en 1858; à cette époque la bonne chère et les années l'ayant rendu malade, toute sa famille fut accusée de tramer sa mort par des procédés magiques. On eut recours au mganga. Celui-ci prit une poule, lui tordit le cou, après lui avoir fait boire un philtre mystérieux, l'ouvrit et en examina l'intérieur. Si, en pareille épreuve, la chair noircit près des ailes, ce sont les enfants et les petits-cousins du malade qu'elle dénonce; l'échine vient-elle à s'altérer, prouve la culpabilité de la mère et de la grand'mère; la queue celle de l'épouse; les cuisses accusent les concubines, et les pattes condamnent les esclaves. Lorsque la catégorie qui renferme le criminel est ainsi révélée, on rassemble les prévenus, on administre une nouvelle dose d'élixir à une seconde poule, que le mganga jette au-dessus du groupe incriminé; le malheureux sur qui elle tombe est déclaré coupable, soumis à la torture, et, suivant le caprice du docteur, il est tué à coups de lance, décapité ou assommé; le plus souvent on lui serre la tête entre deux planches, jusqu'à ce que la cervelle ait sauté; il existe pour les femmes un empalement spécial, et d'une horreur sans nom. À la première atteinte du mal de Foundikira, dix-huit individus périrent de la sorte. Si la maladie se prolonge, d'autres victimes sont immolées par vingtaines, et si le chef meurt, le magicien lui-même le suit dans la tombe.
Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. Ravissements. — Kaouélé.
«La route qui se déploie devant nous traverse un pays jadis populeux et fertile, que les Ouatouta ont ravagé, et dont ils ont fait un désert. On m'a prévenu que ce serait une rude épreuve; en effet, le début est peu encourageant. Le district de Mpété, dans lequel nous entrons, sur la rive droite du Malagarazi, est des plus insalubres; les moustiques nous y attaquent, même pendant le jour; au bord de la rivière nous ne traversons que des marécages, et les montagnes que nous escaladons sont séparées les unes des autres par des torrents fangeux. Impossible, néanmoins, de ne pas admirer la puissance féconde de cette terre, toujours inondée de pluie ou de soleil. La province de Jambého, située sur l'autre rive, est certainement l'une des plus fertiles du globe; ses villages, dont les huttes ressemblent à des nids, ses champs de patates et de millet qu'on aperçoit à la sortie des jungles, produisent l'effet du jour après une nuit ténébreuse. Nous passons le Malagarazi, et nous suivons la rive gauche de l'un de ses affluents, le Rousougi, qui, à cette époque de l'année, peut avoir cent mètres de large; un lit de terre rouge en forme le fond; et, comme il arrive en général dans ces parages, les berges en sont profondément déchirées par des ravins qui rendent la marche excessivement pénible. Un gué se présente, nos hommes s'y précipitent avec joie, et leurs cris et leur nombre les protègent contre les crocodiles, qui prennent la fuite. Nous passons, comme à l'ordinaire, assis sur les épaules de deux porteurs, les pieds sur celles d'un troisième; et après avoir franchi de nouveaux marais, de nouveaux torrents, de nouvelles jungles, gravi, descendu, escaladé une quantité de roches, de côtes abruptes, de racines et de troncs d'arbres, nous atteignons l'Ouvoungoué rivière basse et fangeuse, qui entoure une végétation impénétrable. Il faut recommencer la lutte contre les joncs, les roseaux, les herbes tranchantes, auxquels se joint une variété de fougère que nous n'avions pas encore vue: sombre manteau qui recouvre une série d'ondulations monotones, où le sentier s'égare et se brise. Dans tous les endroits où le sol est à découvert, une argile rouge, qui rappelle la surface du Londa, remplace les grès et les granités de l'est, et l'inclinaison vers le lac devient sensible. Des massifs de petits bambous et de rotin rabougri poussent dans ces jungles; le bauhinia et le smilax y abondent; du raisin minuscule, de la saveur la plus acerbe, y apparaît au versant des collines; en certains endroits le sol présente des cavités d'où s'élancent des arbres gigantesques; et bien qu'on n'aperçoive pas une âme, des plantations et des champs de sorgho annoncent que les environs sont habités.
«Le 10 février, vers la fin de l'après-midi, l'expédition, n'en pouvant plus, s'arrêta au flanc d'une colline après avoir traversé un marais. Le ciel, voilé d'un côté de nuées obscures, et de l'autre resplendissant de lumière, nous annonçait un orage; mais à l'horizon apparaissait une rampe azurée, dont le soleil dorait la crête, et qui était pour nous ce qu'un phare est au marin en détresse. Le surlendemain nous traversions une forêt peu épaisse; une montagne pierreuse et maigrement couverte fut escaladée à grand'peine; l'âne de mon compagnon y trouva la mort. Quand nous en eûmes gagné la cime: «Quelle est cette ligne étincelante qu'on voit là-bas?» demandai-je à Sidi-Bombay. «C'est de l'eau,» répondit-il. La disposition des arbres, le soleil qui n'éclairait qu'une partie du lac, en réduisait tellement l'étendue, que je me reprochai d'avoir sacrifié ma santé pour si peu de chose; et maudissant l'exagération des Arabes, je proposai de revenir sur nos pas, afin d'aller explorer le Nyanza. M'étant néanmoins avancé, toute la scène se déploya devant nous et je tombai dans l'extase.
Coiffures des indigènes de l'Oujiji.
«Rien de plus saisissant que ce premier aspect du Tanganyika, mollement couché au sein des montagnes, et se chauffant au soleil des tropiques. À vos pieds des gorges sauvages, où le sentier rampe et se déroule; une bande de verdure, qui ne se flétrit jamais, et s'incline vers un ruban de sable frangé de roseaux, que déchirent les vagues. Par delà cette bordure verdoyante, le lac étend, sur un espace de vingt à vingt-cinq milles, ses eaux bleues, où le vent d'est forme des croissants d'écume. À l'horizon, une muraille d'un gris d'acier, coiffée de brume vaporeuse, détache sa crête déchiquetée sur un ciel profond, et laisse voir entre ses déchirures des collines qui paraissent plongées dans la mer. Au midi, le territoire et les caps de l'Ougouha, dominés au loin par un groupe d'îlots, varient cette perspective océanesque. Des villages, des champs cultivés, de nombreuses pirogues, enfin le murmure des vagues, donnent le mouvement et la vie au paysage. Pour rivaliser avec les plus beaux sites connus, il ne manque à ce tableau que des villas et des jardins, où l'œil puisse se reposer de l'exubérance de la nature.
«J'oubliai tout: dangers, fatigue, incertitude du retour, et chacun partagea mon ravissement. Le jour même je m'assurai d'une embarcation, et le lendemain, 14 février, nous longeâmes la côte orientale du lac, en nous dirigeant vers le district de Kaouélé.
«Impossible de décrire la beauté du paysage, les formes variées et pittoresques des montagnes, que rougissaient les premières lueurs du matin. Mais plus j'approchais de notre destination, plus j'étais étonné de ne rien voir qui indiquât un centre populeux; c'était à peine si je découvrais quelques misérables bouges, entourés de sorgho et de cannes à sucre, et protégés contre le soleil par des massifs d'élaïs et de bananiers. D'après ce que m'avaient dit les Arabes, je m'attendais à trouver un port, un marché plus importants qu'à Zanzibar, et je devais à la carte des missionnaires de Mombaz des idées préconçues, relativement à la ville d'Oujiji. Peu à peu les hippopotames se montrèrent plus timides, et les pirogues plus nombreuses; notre barque fut poussée dans une trouée, faite au milieu d'un fouillis de plantes aquatiques, et s'arrêta sur un fond de galets où elle n'était plus à flots. Tel est le débarcadère, le quai du grand Oujiji.
Maison des étrangers à Kaouélé.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«Nous fîmes à peu près cent pas au milieu d'un tumulte qui défie toute description. Suivis d'une foule d'indigènes à peau noire, si surpris que les yeux leur en sortaient de la tête, nous passâmes à côté du bazar, c'est-à-dire d'un plateau dépouillé d'herbe et flanqué d'un arbre tordu. Là, entre dix et trois heures, lorsque le temps le permet, un certain nombre d'indigènes vendent et achètent en faisant un bruit qui s'entend à plusieurs milles à la ronde, et souvent un coup de dague ou de lame y fait éclater la guerre de tribu à tribu. On y trouve du poisson, des légumes, des bananes, des melons d'eau, surtout du vin de palme, quelquefois des chèvres, des moutons et de la volaille; de temps en temps on y brocante un esclave, ou un morceau d'ivoire. Les gens laborieux y apportent leur ouvrage, et filent ou épluchent du coton en attendant les chalands. De ce plateau, on me conduisit à une maison délabrée, que le propriétaire avait abandonnée aux esclaves et aux tiquets. Toutefois, situé à huit cents mètres du bourg, ce tembé avait le double avantage d'être à portée des vivres et dans une position délicieuse. Le lac est agréable à contempler de ses bords; il n'en est pas de même lorsqu'on navigue sur ses eaux; la monotonie des nuances fatigue le regard, tout y est vert et azur, et la ligne continue de montagnes fait naître une idée de réclusion.
«La capitale de l'Oujiji, qui est une province et non pas une ville, ainsi qu'on l'avait cru d'abord, était en 1857 le bourg de Kaouélé. Les Arabes le visitèrent pour la première fois en 1840, dix ans après qu'ils eurent pénétré dans l'Ounyamouézi; leur intention était d'y établir un centre commercial, mais ils trouvèrent le climat insalubre, la population dangereuse, et l'Oujiji n'est fréquenté que pendant la belle saison, de mai en septembre, par des caravanes qui n'y séjournent pas.»
Traduit par Mme Loreau.
(La fin à la prochaine livraison.)
Navigation sur lac Tanganyika.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE ORIENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON[13].
1857-1859
Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji, leur cérémonial. — Autres riverains du lac. Ouatouta, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité.
«Beaucoup de Ouajiji sont défigurés par la petite vérole; la plupart ont la peau couverte d'ampoules et d'éruptions de différente nature, et ils sont tous victimes d'une démangeaison chronique provenant, d'après les Arabes, de ce qu'ils se nourrissent de poisson gâté. Ils abusent du tatouage, sans doute pour se protéger contre l'humidité de l'atmosphère et la fraîcheur des nuits; quelques-uns des chefs portent les cicatrices d'affreuses brûlures faites avec intention, sans préjudice des lignes, des cercles, des étoiles, qui décorent le dos, les bras et la poitrine de la plèbe. Hommes et femmes mettent leur joie et leur orgueil à ruisseler d'huile, et il est évident qu'ils n'envisagent pas la propreté comme une vertu. Il est rare qu'ils laissent pousser leur chevelure; quelquefois, la tête est complètement nue; mais la suprême élégance est de tailler les cheveux en petites houppes de fantaisie: croissants, pompons, cimiers et crêtes surgissant d'un crâne bien rasé. Divers enjolivements s'ajoutent à ces grains de beauté; une fontange faite d'un parfilage de bois est très-bien portée par les deux sexes. Pas le moindre vestige de moustaches ni de favoris, qui sont arrachés avec des pinces; il paraît d'ailleurs que le climat de cette région ne convient pas à la barbe. Celui qui peut avoir de la terre rouge, homme ou femme, s'en barbouille le visage, et se badigeonne la tête d'une couche de chaux, qui donne à la physionomie un cachet à la fois hideux et grotesque; mais tout le monde n'est pas assez riche pour se procurer ces cosmétiques. Les chefs portent des étoffes coûteuses, qu'ils soutirent aux caravanes; les femmes riches affectionnent la tunique dont se parent celles de la côte; quelques-unes l'ont en drap bleu ou rouge. Dans la classe inférieure le costume des hommes se réduit à une peau de chèvre, de mouton, de léopard, de daim ou de singe, nouée sur l'épaule, et dont la queue et les jambes flottent au gré du vent. Les femmes sans fortune suppléent à l'indienne qu'elles ne peuvent pas acheter par une petite jupe de peau ou d'écorce; quelques-unes se contentent, pour se voiler, d'un paquet de fibres végétales ou d'un rameau feuillu. Toutefois la jupe est d'un usage plus général; c'est même dans l'Oujiji que nous voyons ce vêtement devenir d'un emploi régulier. Fait avec l'écorce intérieure de différents arbres, surtout avec celle du mrimba et du sagouier raphia, on lui donne la teinte chamois en l'aspergeant d'huile de palme, et on y fait des mouchetures noires pour imiter celles de la robe du léopard ou du chat sauvage. C'est surtout de l'Ouvira et de l'Ouroundi que les Ouajiji tirent ce vêtement, qu'ils appellent mbougou. Bien qu'il soit très-solide, il n'est jamais lavé; quand il est par trop sale, on enlève cet excès de crasse avec du beurre ou de la graisse.
«Outre les ceintures et les bracelets de fil de fer et de laiton qui couvrent les bras et les jambes, outre les colliers de rassade de toute grosseur, les anneaux massifs de métal et d'ivoire, communs à toutes ces tribus, les Ouajiji portent des chapelets de petites coquilles roses, et comme tous les riverains du lac, des croissants, des ronds, des cônes enfilés par la pointe, et qui, formés des dents les plus blanches de l'hippopotame, produisent beaucoup d'effet sur leur peau noire.
«Une autre particularité de leur costume est la petite pince en fer ou en bois qu'ils suspendent à leur cou, et dont l'usage est vraiment très-original. Il est rare que ces riverains du lac fument, prisent ou chiquent à l'instar de tout le monde. Chacun d'eux porte une gourde ou un pot minuscule de terre noire, qui renferme du tabac en poudre. Au moment d'en user, le priseur met de l'eau dans son petit pot, l'exprime du tabac qui s'en imprègne, verse le liquide dans sa main et le renifle; c'est alors que la pince devient indispensable pour serrer les narines; autrement on les boucherait avec les doigts. Il faut beaucoup de pratique pour parler d'une manière intelligible avec cette espèce de drogue, que l'on garde pendant quelques minutes.
«Presque amphibies, ces habitants des bords du lac sont parfaits nageurs, pêcheurs habiles, et vigoureux ichthyophages. Il faut les voir à l'air frais du matin, raser l'onde, comme des oiseaux d'eau qui folâtrent, se tenir debout dans leur étroite pirogue, darder leur esquif dans tous les sens, avancer, reculer, tourner, chavirer, disparaître, et se retrouver en équilibre dans leur canot avec une promptitude miraculeuse.
«Pour la pêche, ils ont une grande variété de filets, appropriés à l'espèce et à la grosseur du poisson qu'ils désirent; le crates, particulièrement cité dans un ancien périple, et toujours en usage sur la côte de Zanguebar, se retrouve chez ces lagoniens. Ils emploient la nasse avec succès, mais ils ne paraissent pas narcotiser le poisson comme on le fait dans l'Ouzaramo, et près de la côte, où l'on emploie pour cet objet le suc de l'asclépias et de l'euphorbe.
«Les Ouajiji passent pour les plus intraitables des habitants de cette région; à l'exemple de leurs chefs, ils sont d'une insolence, d'une cupidité révoltante; ils exigent un salaire pour le moindre service, voire pour vous indiquer le chemin; et vous raillant à votre barbe, ils vous singent avec une ironie sanglante. Rien ne se fait parmi eux sans une querelle préliminaire; aussi prompts à frapper qu'à répondre, ils se battent jusque dans leurs canots. Ils n'hésiteront pas à donner un coup de dague ou de lance à un voyageur, à leur hôte même, et n'y regarderont à deux fois, pour frapper un étranger, que si l'effusion du sang peut allumer la guerre.
Le capitaine Burton sur le lac Tanganyika.—D'après lui-même.
«Ils ont néanmoins un curieux cérémonial. Dès que le chef apparaît, il bat des mains, et les applaudissements éclatent parmi tous ceux qui l'entourent. Les femmes se font mutuellement la révérence, et plient le genou jusqu'à terre. Lorsque deux hommes se rencontrent, ils se saisissent par les bras, se les frottent simultanément l'un à l'autre en répétant à diverses reprises: «Es-tu bien? es-tu bien?» Les mains descendent alors sur l'avant-bras, et les salueurs de s'écrier: «Comment vas-tu? comment vas-tu?» Enfin les paumes des mains se rejoignent et se frappent plusieurs fois, ce qui est une marque de respect commune à ces tribus centrales. Les enfants ont les manières et la physionomie peu attrayantes de leurs auteurs; ces affreux bambins dédaignent toute civilité, et, passant leur vie en dispute, ils égratignent et mordent comme des chats sauvages. Au demeurant, c'est une race peu affectueuse, chez qui les relations de famille me paraissent assez froides; la seule marque de tendresse que j'ai observée entre père et fils, est de se gratter et de se pincer mutuellement, sans doute à cause de cette démangeaison pandémique dont j'ai parlé plus haut; comme chez les singes, toutes les fois que les poings se reposent, les ongles s'exercent. Néanmoins, en un jour de tempête, lorsqu'il y a danger de mort, le Mjiji rompt le silence de ses compagnons, qui songent tous à leur foyer, et s'écrie: «Oh! ma femme!»
«En aucun lieu du monde on ne voit autant d'individus des deux sexes parcourir les villages en chancelant et en divaguant d'une langue épaisse; quand ils ne sont pas ivres, c'est qu'ils n'ont rien à boire. À l'ivresse produite par le vin de palme, qui est leur boisson favorite, se joignent les effet du chanvre, dont l'usage est universel, même à bord des pirogues; et la toux, les cris convulsifs qui s'ensuivent, rapprochent beaucoup plus ces fumeurs avinés de la bête que de l'homme.
«Malgré l'extension que le commerce a prise chez eux depuis quinze ou vingt ans, les Ouajiji n'ont fait aucun progrès dans l'art des échanges: ils ignorent les lois les plus simples de la vente et de l'achat, et le crédit est pour eux lettre close. Ils ne marchandent que ce qui frappe leurs regards, et en fixent le prix, non suivant la valeur de l'objet, mais d'après le besoin ou le désir qu'ils en éprouvent. Outre l'ivoire, les esclaves, les cotonnades, les jupes d'écorce et l'huile de palme, on trouve sur leurs marchés des faucilles de la même forme que les nôtres, de petites clochettes de parure, des bracelets» des houes et des couteaux à double tranchant, dont la gaîne en bois est proprement jointe avec des lanières de rotin.
«Au sud des Ouajiji habitent les Ouakaranga, tribu moins énergique et dont la condition sociale est inférieure à celle de leurs voisins, tout en s'en rapprochant beaucoup.
«Les Ouavinza, qui semblent réunir les défauts des Ouanyamouézi à ceux des Ouajiji, forment une peuplade fuligineuse de teint, maigre et de mauvaise mine, pauvrement vêtue de petites jupes de cuir ou d'un tablier infiniment trop étroit. Ils complètent ce costume en y ajoutant par derrière un chasse-mouche, qui fait l'office de caparaçon et leur donne l'air d'avoir une queue.
Habitation au bord du lac Tanganyika.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«Les Ouatouta, dont le nom seul éveille la terreur parmi les riverains du lac, sont une horde pillarde qui s'établit dans l'origine au sud du Tanganyika. Après avoir dévasté le Maroungou et l'Oufipa, dont ils enlevèrent presque tous les bestiaux, ils tournèrent à l'est du lac et se dirigèrent vers le nord. Appelés par le chef de l'Oungou pour combattre le puissant chef des Ouarori, les Ouatouta vainquirent non-seulement ces derniers, mais s'emparèrent du territoire de l'imprudent qui avait imploré leur assistance. Chassés à leur tour de l'Oungou par le fils du dépossédé, ils s'étaient retirés sur la rive méridionale du Malagarazi, lorsqu'en 1855 le chef de l'Ouvinza réclama leur aide pour s'emparer de l'Ouhha, dont le chef venait de mourir. Les Ouatouta s'empressèrent de répondre à cette demande, franchirent le Malagarazi et ravagèrent tout le territoire compris entre le fleuve et la rive nord du lac; puis alléchés par l'espoir du butin, ils attaquèrent le Mséné, l'un des centres commerciaux des Arabes, et il ne fallut rien moins que le feu continu de ceux-ci pendant huit jours pour repousser les assaillants. Malgré cet échec, les Ouatouta se replièrent sur l'Ousoui, qu'ils attaquèrent au commencement de 1858. Quelques mois plus tard, ils marchèrent sur l'Oujiji, après avoir pillé le Goungou, et se disposaient à s'emparer de Kaouélé, dont les Arabes étaient absents. Mais ces derniers revinrent en toute hâte défendre leurs marchandises, et, grâce à leurs nombreux mousquets, triomphèrent des envahisseurs. Aujourd'hui (1859) le territoire de cette race turbulente est limité au nord par l'Outoumbara, au sud par le district de Mséné, à l'ouest par le méridien de l'Ouilyankourou, à l'ouest par les highlands de l'Ouroundi.
«D'après les Arabes, les Ouatouta dédaignent l'agriculture et n'ont pas de résidence fixe. Ils errent d'un lieu à un autre, campent sous les arbres, où ils déroulent tout simplement une natte, et recherchent les pâturages les plus fertiles, afin d'y conduire leurs troupeaux. Un petit nombre portent le vêtement d'écorce, mais ils se bornent en général au plus humble tribut qu'on puisse payer à la décence. Pour exécuter leurs razzias, ils se réunissent par bandes nombreuses, sont suivis d'une quantité de bœufs chargés des femmes, des enfants, des bagages, et dont les cornes sont ornées de bracelets et de fil de laiton qui constituent l'avoir de leurs propriétaires. Les femmes portent les armes de leurs maris et prennent, dit-on, part au combat. D'une bravoure incontestable, ces bandits méprisent la javeline et les flèches; ils se battent de près avec de courtes lances qu'ils gardent à la main, et, suivant l'expression des Arabes, «ils manœuvrent comme «les Francs.» Formant un corps de plusieurs milliers d'individus, ils marchent sur quatre ou cinq lignes de profondeur et s'efforcent d'envelopper l'ennemi. Il est rare qu'ils se débandent; en cas d'échec, ils se retirent, et leur défaite n'est jamais une déroute. Pas de cri de guerre parmi eux, pas de tumulte au moment du combat; les ordres se transmettent par le sifflet, et le silence est observé dans les rangs. Le chef, dont l'enseigne est un tabouret d'airain, s'assied pendant la bataille. Il est assisté d'un conseil de quarante ou cinquante membres qui l'entourent pendant le combat; son pouvoir est du reste fort limité, si l'on en croit la tribu, qui se vante de son autonomie.
«Après la lutte, les Ouatouta ne s'occupent ni des blessés, ni des morts, et n'emportent comme trophée de leur victoire aucun des restes de leur ennemi. Hospitaliers en dépit de leurs brigandages, ils accueillent l'étranger avec honneur, et lui demandent tout d'abord s'il les a vus de loin, c'est-à-dire s'il a entendu parler de leurs prouesses; la réponse négative est, dit-on, un casus belli envers la tribu à laquelle appartient l'ignorant.
Le bassin du Maroro (voir la carte).—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«Citons pour mémoire, parmi cette population lacustre, les habitants de l'Oubouha, gens inoffensifs dont le district est simplement une clairière au milieu des jungles, et qui, malgré leur pauvreté, préfèrent la rassade à toute autre chose. Ils sont laids, crépus et noirs, s'habillent de peaux de bête ou d'écorce, et ne quittent jamais leurs armes, ce qui ne les empêche pas d'être opprimés par leurs voisins. Enfin il faut noter les Ouahha qui, dispersés par les Ouatouta, se sont réfugiés les uns entre l'Ounyanyembé et le Tanganyika, les autres dans les montagnes de l'Ouroundi. Beaucoup mieux de visage que les précédents, la peau infiniment plus claire, ils n'en sont pas moins méprisés. Suivant les Arabes, ils viennent des régions du sud, où la traite a son siége le plus ancien dans l'est de l'Afrique. Du reste, ils se vendent fort cher à Mséné, et leurs chefs de noble origine descendent à ce qu'il paraît des rois de l'Ounyamouézi[14].»
Installation à Kaouélé. — Visite de Kanéna. — Tribulations. — Maladies — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya — Le chef Kanoni, — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.
«Mon premier soin, dès que je fus installé dans la maison d'Hamid, à Kaouélé, fut d'en purifier l'intérieur en y brûlant de la poudre et de l'assa fœtida; j'en réparai la toiture, et avec l'assistance d'un ouvrier de la côte, je me fis en bois deux espèces de divans qui me servirent de siège et de table; enfin j'établis une banquette d'argile tout autour de la chambre. Mais ce dernier meuble ne fut qu'à l'usage des fourmis, dont les légions s'y pressaient chaque matin; la toiture, malgré la couche supplémentaire dont nous l'avions enduite, n'en laissa pas moins filtrer l'eau comme une passoire, le plancher se parsema de flaques profondes, des masses de boue se détachèrent du plafond et des murailles, et la moitié de l'édifice s'écroula par une violente averse.
«Le lendemain de mon installation dans cette demeure, j'avais reçu la visite de Kannéna, chef de Kaouélé, feudataire de Rousimba, sultan de l'Oujiji. Il y avait deux mois que le chef précédent était mort, laissant un fils dans sa dixième année; Kannéna, l'un de ses esclaves, avait su plaire aux nobles veuves et s'était fait adjuger la tutelle du mineur. Il se présenta vêtu de drap fin, coiffé d'un turban de soie, qu'il avait emprunté à l'un de mes Béloutchis, afin de produire sur moi une impression favorable; il en fut pour ses frais; je n'ai jamais vu personne qui me déplût davantage: un courtaud ramassé, bouffi, la peau noire tatouée d'une façon grotesque, les pieds larges et plats, emmanchés de gros moignons, le front bas, étroit, les sourcils froncés, l'air maussade, un nez de silène, des lèvres informes et pendantes, une bouche perfide. Cet ignoble personnage fut néanmoins d'une politesse remarquable; il me présenta, comme délégués du grand Rousimba, pour la perception du tribut, deux gentilshommes couverts de tabliers d'écorce, les plus étroits, les plus crasseux qu'on pût voir, et portant chacun une hache d'arme en miniature.
«Lorsque j'eus expédié le laiton et la rassade qui m'avaient été demandés, et qu'en échange j'eus reçu du grain (environ le dixième de la valeur de mes présents), Kannéna parla de commerce, et pour engager les affaires, il me fit bientôt porter une dent d'éléphant de soixante-dix à quatre-vingts livres. Je la lui renvoyai aussitôt, et lui dis que je ne faisais pas de trafic. J'avais tort; je conseille à mes successeurs de se faire passer pour négociants; c'est la seule manière d'expliquer son voyage aux indigènes, qui autrement se perdent en conjectures à votre égard, et s'effrayent de vos intentions; pas de meilleur prétexte pour pénétrer dans des lieux inconnus, et c'est un motif pour qu'on vous fasse bon accueil, puisqu'on a intérêt à vous attirer dans le pays.
Instruments et ustensiles des Ouajiji.—D'après Burton.
«La réponse que je fis à Kannéna éveilla donc la défiance dans l'esprit des Ouajiji: «Les fainéants!» s'écria ce peuple mercantile; et je fus prié de déguerpir beaucoup plus vite que je ne l'aurais voulu. J'offris de donner, pour ne rien vendre, ce que les autres payaient pour droits de trafic; on exigea quatre bracelets et six pièces de cotonnade; je m'exécutai; Kannéna et ses gens n'en montrèrent pas moins de mauvaise humeur. Un vieillard qui me renseignait sur le pays fut menacé de la verge; les deux ânes qui me restaient reçurent maint et maint coup de lance; tous les effets du jémadar furent volés impunément; les veuves du feu chef, à qui appartenaient les seules vaches qu'il y eût dans le village, nous retirèrent peu à peu la ration de lait qu'elles nous donnaient dans le principe, et l'on en vint à dévaliser les Béloutchis eux-mêmes, pour les punir de nous avoir amenés dans le pays. Nos héros parlèrent d'abord de tout pourfendre, et mirent flamberge au vent; mais la réflexion leur fit sentir les avantages de la paix, et ils finirent par m'importuner, au point que je rachetai les objets qu'on leur avait dérobés.
«Cela ne suffit pas: mes insatiables réclamèrent une gratification; je la leur avais presque promise; d'ailleurs j'étais mécontent de la plupart, et, dans ce pays exceptionnel, toute mauvaise action attend sa récompense. On ne déplaît, disent les Orientaux, qu'à l'individu qu'on a le pouvoir d'offenser, et qui n'a pas celui de vous punir: premier mérite. Secondement, l'offenseur peut être amené à résipiscence par les présents qu'il reçoit, tandis qu'un homme dont vous êtes complétement satisfait ne peut qu'être gâté par les cadeaux et les louanges. Il fallut donc se soumettre: les Béloutchis reçurent quarante-cinq pièces de cotonnade, qui furent immédiatement converties en esclaves; huit jours après, ceux-ci avaient pris la fuite, laissant à leurs propriétaires le regret de les avoir perdus, et le vain désir de les remplacer.
«Dès les premiers jours l'humidité du climat nous éprouva beaucoup; peut-être aussi l'abondance des vivres entraîna-t-elle quelques excès de notre part: toujours est-il que j'étais presque aveugle et d'une faiblesse à ne pouvoir ni parler ni me soutenir; le capitaine Speke joignait à une ophthalmie douloureuse une contraction des muscles du visage qui le forçait à manger latéralement comme un bœuf qui rumine. Valentin avait de même la bouche de travers, et presque perdu la vue; Gaëtano s'était donné la fièvre à force d'indigestions; les Béloutchis, trop paresseux pour se construire une case, se plaignaient de grippe, de douleurs de poitrine, et avaient le caractère aussi malade que les poumons et la gorge; mais nos travaux étaient en souffrance, et il fallait secouer sa léthargie.
Riverains du Tanganyika, côté ouest.—D'après Burton.
«D'après les renseignements qu'on nous avait donnés, les eaux du lac se déchargeaient au nord par le canal d'une rivière importante; et malgré l'effroi qu'inspiraient à Kannéna lui-même les peuplades qui habitent ces parages, j'étais bien résolu à visiter cet intéressant cours d'eau. Je finis par obtenir que le chef nous permît de l'accompagner dans une croisière qu'il se disposait à entreprendre, et je lui promis une récompense considérable s'il nous conduisait jusqu'à l'issue en question; comme gage de cette promesse, je lui jetai sur les épaules deux mètres de drap écarlate, qui firent trembler ses lèvres de joie, en dépit de ses efforts pour cacher son ravissement. J'avais loué deux canots, l'un de soixante pieds de longueur sur quatre de large, l'autre à peu près le tiers de cette dimension; outre la somme exorbitante que j'avais déboursée pour le loyer de ces pirogues, il fallut donner au capitaine et à l'équipage, non-seulement le pain quotidien, mais quatre-vingts pièces de cotonnade, et une profusion de grains de verre bleus et de perles de porcelaine rouge, qui sont les plus estimées dans le pays. Après des querelles sans nombre, il fut décidé que nous aurions trente-trois hommes pour manœuvrer le grand canot, vingt-deux pour le second, beaucoup plus qu'il n'en fallait pour notre agrément personnel; nous y ajoutâmes nos deux Goanais, les deux porte-fusils, et trois Béloutchis. Le 9 avril apparut Kannéna, suivi de ses gardes et de ses mariniers, accompagnés de leurs femmes et de leurs filles, dont l'infernal charivari me grince encore dans les oreilles. Les équipages avaient été réunis, payés et rationnés, mais chacun ne pensant qu'à ses propres affaires, on ne put s'entendre au sujet de la cargaison; il fallut charger et décharger les pirogues, courir après les rameurs qui s'étaient dispersés, attendre qu'on eût fait ses adieux aux parents, aux épouses et au vin de palme, et ce ne fut que le 11, à quatre heures de l'après-midi, que les pagaies nous éloignèrent de l'île de Bangoué, où l'embarquement avait eu lieu. À peine avait-on quitté le rivage que les expérimentés déclarèrent que les canots étaient trop chargés, et nous fûmes ramenés au fond de la crique. On s'installa sur le sable; vint une bourrasque effroyable qui renversa ma tente, sans réveiller mes Goanais, dont ma voix, jointe au bruit du vent, ne put rompre le sommeil, et je me rendormis moi-même en bénissant, sous mon enveloppe imperméable, le nom de Mackintosh.
Riverains du Tanganyika, côté sud.—D'après Burton.
«Le lendemain l'onde était calme, et la flottille se mit en marche à sept heures du matin. Nous côtoyons d'abord un promontoire de terre rouge, où des blocs de grès forment un immense poudingue; la côte s'abaisse peu à peu, est couverte de galets, puis d'un sable doré, et sur la pente qui descend au bord de l'eau apparaissent les bourgades des pêcheurs. Placés à l'embouchure des ravins qui déchirent la montagne, ces chétifs établissements sont loin d'être salubres; la terre y est voilée d'une herbe épaisse et fétide; ici un bourbier noir, là un ruisseau torrentiel, ou à demi desséché, traverse un groupe de six ou huit cases en forme de ruches, crasseuses et humides, dont les trois pierres du foyer, quelques nattes et des engins de pêche composent l'ameublement. On les reconnaît de loin aux palmiers et aux bananiers qui les entourent, et à de grands arbres, dont la cime étalée supporte les filets et abrite les pirogues que l'on a retirées de l'eau, par crainte de la tempête.
«Le 14, nous aperçûmes Ouafanya, situé à la limite méridionale de l'Ouroundi, et qui, dans cette région inhospitalière, est le seul port ouvert aux étrangers; nous y abordâmes, on tira nos canots sur la grève, nos tentes furent plantées sous un arbre, au sommet d'un monticule, et nous fûmes aussi bien que le permettait une foule insolente et curieuse, dont les rires nous éclataient au visage. Comme tous leurs voisins, les gens d'Ouafanya sont adonnés à la boisson, et leur ivresse est querelleuse et violente; ils ont néanmoins pour chef un nommé Kanoni qui les tient en respect, et qui au moment de notre arrivée se rendait à sa case avec une certaine pompe. Il était précédé de son étendard (une poignée de longue filasse attachée à une lance, comme la queue de cheval des Turcs), et suivi de quarante ou cinquante guerriers vigoureux, armés de piques, de fortes dagues à double tranchant, d'arcs roides et lourds, et de flèches aiguës. Nous lui payâmes le tribut d'usage et nous reçûmes en retour l'inévitable chèvre.
«Malgré l'insalubrité du climat, qui passe alternativement d'un froid humide à une chaleur moite et suffocante, les pirogues, dont l'équipage est nombreux et bien armé, s'arrêtent à Ouafanya pour y acheter des provisions; les chèvres et la volaille y sont grasses, le manioc, le sorgho à bas prix, et l'huile de palme abondante. C'est là qu'on trouve les meilleures pagaies, et l'on y achète les jupes d'écorce un tiers de moins que dans l'Oujiji.
Le bassin du Kisanga (voir la carte).—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«L'inhospitalité des peuplades qui habitent plus au nord ne permettant pas d'ouvrir avec elles des relations commerciales, ni de franchir leur territoire, c'est à Ouafanya qu'on s'éloigne de la côte pour traverser le lac. À cette latitude le Tanganyika est divisé par l'île d'Oubouari, celle que probablement a indiquée l'historien portugais de Barros. On découvre cette île deux jours avant d'y arriver, mais à cette distance elle n'est qu'un point vaporeux, en raison de l'humidité de l'atmosphère; d'Ouafanya, elle présente un profil clair et net, dont la direction est au nord-est, et la pointe septentrionale à quatre degrés sept minutes latitude sud. Oubouari est un rocher de vingt à vingt-cinq milles géographiques de longueur, sur quatre ou cinq de large à l'endroit de sa plus grande étendue; le grand axe en est renflé à dos d'âne, et tantôt la roche s'incline en pente douce vers la surface du lac, tantôt elle se dresse en falaise abrupte, déchirée par des gorges plus ou moins étroites; verte du sommet à la base, l'Oubouari est enveloppée d'une végétation peut-être encore plus riche que celle du rivage; en maint endroit le sol y paraît soigneusement cultivé; mais les étrangers n'y abordent qu'avec défiance: ils croient toujours que les fourrés y cachent d'âpres chasseurs en quête de proie humaine. Néanmoins le 19 avril nous en gagnâmes la côte orientale; nous descendîmes sur la ligne étroite de sable jaune qui borde tous les rivages de cette région, et nous étant dirigés vers Mzimou, nous y trouvâmes une foule d'insulaires accourus pour échanger de l'ivoire, des esclaves, des chèvres, du grain et des légumes, contre du sel, des colliers, du cuivre et de l'étoffe. Les Ouabouari forment une race particulière et peu avenante; un manteau d'écorce, imitant la peau du léopard, couvre l'épaule des hommes, dont les cheveux sont retenus par une torsade faite avec de l'herbe, et qui, au lieu du fil de laiton en usage parmi toutes ces tribus, portent des bracelets et des ceintures d'écorce de rotang. Les femmes séparent leur chevelure en deux touffes latérales, et sont vêtues d'une peau de chèvre ou d'un petit jupon d'écorce; celles des chefs sont chargées d'ornements, et comme les dames d'Ouafanya, elles ne sortent pas sans une canne à pomme de bois ou d'ivoire, et qui a cinq pieds de long.
Végétation de l'Ougogi.—Dessin de Lavieille d'après Burton.
«Dans la soirée, nous doublâmes la pointe septentrionale de l'île, et le lendemain, après avoir relâché à Mtouhoua, nous nous dirigeâmes vers la côte occidentale du lac, située environ à quinze milles d'Oubouari. À Mourivoumba, l'endroit où nos canots abordèrent, les montagnes, les crocodiles, la mal'aria et les indigènes sont également redoutés; trop indolent pour tirer parti du sol le plus fertile du monde, ces malheureux sont anthropophages; ils se nourrissent de charogne, de vermine, de larves et d'insectes, plutôt que de se livrer à l'agriculture ou à l'élève du bétail, et poussent la paresse jusqu'à manger l'homme cru; au moins sur la côte les Ouadoé le rôtissent.
«Le 24 avril, nous quittions ces cannibales, que leur faiblesse et leur timidité rendent moins dangereux pour les vivants que pour les morts, et nous continuâmes à longer la côte occidentale du lac. Après dix heures de course nous atteignîmes la partie sud de l'Ouvira, dont les habitants sont polis, et où le négoce reprend son cours. La foule salua notre arrivée par des chants et des acclamations accompagnés du son des cors, des tambours, des flûtes et des timbales. Les capitaines de nos pirogues répondirent à cet accueil flatteur par une danse analogue à celle des ours, qu'ils exécutèrent sur la grève, tapissée de nattes pour la solennité. Nos rameurs, pendant ce temps-là, découvrant leurs mâchoires par une grimace qui voulait être un sourire, frottaient leurs pagaies contre les flancs des pirogues. Cet usage vient sans doute de l'habitude où l'on est dans cette région de se saluer en se frictionnant les côtes avec les coudes.
«Nous avions atteint la dernière station où les marchands arabes aient pénétré. En face de nous, se dressaient les montagnes inhospitalières de l'Ouroundi, qui paraissent se prolonger au delà des bords du lac, et c'est à peine si le Tanganyika avait encore sept ou huit milles de largeur. Les trois fils du chef étant venus me visiter, je les questionnai au sujet de la rivière; ils la connaissaient tous les trois, et voulaient m'y conduire, mais ils m'affirmèrent, avec tous ceux qui étaient présents, que le Rousizi, au lieu de sortir du lac, y apporte ses eaux; ainsi tombait l'espoir que j'avais eu de découvrir en cet endroit la source cachée du Nil. Je ne renonçais pas, cependant, à l'intention d'explorer la côte septentrionale du lac; mais lorsque je voulus réaliser ce désir, personne ne consentit à venir avec moi; les fils du chef se récusèrent quand je les mis en demeure d'exécuter leur promesse, et Kannéna s'enfuit de ma tente dès que je lui rappelai ses engagements. Il fallait s'y résigner et revenir au point de départ.
Passage de l'Ouzagara.—D'après Burton.
«Le 5 mai nous touchions à la côte orientale de l'île. Le 10, le ciel était sombre, la chaleur étouffante, de sourds grondements accompagnés d'éclairs livides s'échappaient des nuages, serrés en ligne vers le nord, et qui, à l'ouest, décrivaient un arc au-dessus des montagnes. Le tonnerre seul interrompait le silence; tout présageait la tempête. Nous n'en quittâmes pas moins la baie de Mzimou au coucher du soleil; pendant deux heures nous côtoyâmes le rivage, puis nos pirogues furent lancées hardiment vers la rive opposée, et les montagnes de l'ouest diminuèrent rapidement à nos yeux. Un vent froid traversa tout à coup l'obscurité croissante, et les éclairs de plus en plus vifs semblèrent rendre les ténèbres palpables; le tonnerre, répété par les mille échos des gorges voisines, éclata et rugit de tous les points du ciel; les faisceaux de lances, plantées dans les pirogues, la pointe haute, appelaient la foudre; les vagues se soulevèrent, la pluie tomba en larges gouttes, puis en nappes torrentielles. Les rameurs, bien qu'aveuglés par les éclairs et l'averse, n'en restèrent pas moins fermes à leur poste; mais de temps à autre le cri: «Oh! ma femme!» proféré d'une voix gémissante, annonçait l'agonie intérieure; Bombay, voltairien quand le ciel était calme, passa la nuit à se rappeler ses prières; et protégé par mon mackintosh, je me demandais avec Hafin quel souci avaient de notre péril ceux qui en toute sécurité dormaient sur le rivage. Par bonheur, la pluie fit tomber le vent et les vagues, sans quoi notre esquif eût infailliblement sombré.
«Le Tanganyika, dont le nom signifie réunion des eaux, s'étend du troisième degré vingt-cinq minutes au septième degré vingt minutes latitude sud. Sa longueur totale est d'environ deux cent cinquante milles géographiques, et sa plus grande largeur de vingt à vingt-cinq milles. D'une forme irrégulière, il suit une ligne parallèle à celle de l'action volcanique, dont l'effet s'est manifesté de Gondar au mont Njésa, paroi extérieure du Nyassa. Les montagnes qui l'entourent forment une enceinte continue, dont l'élévation peut varier de six cents à neuf cents mètres, et dont les versants inférieurs sont couverts d'une végétation épaisse. Situé à cinq cent soixante-quatre mètres au-dessus du niveau de la mer, il se trouve à six cents mètres au-dessous du plateau adjacent (l'Ounyamouézi) et de la surface du Nyanza d'Oukéréoué, différence de niveau qui empêcherait toute connexion entre ces deux lacs, alors même qu'ils ne seraient pas séparés par des montagnes. L'eau du Tanganyika paraît douce et pure au voyageur, qui a été pendant longtemps réduit à l'eau saumâtre ou fangeuse de la route; mais les riverains lui préfèrent celle des fontaines qui sourdent sur ses bords. Ils prétendent que l'eau du lac n'étanche pas leur soif; ils ajoutent qu'elle corrode le cuir et le métal avec une puissance exceptionnelle. La teinte de cette masse transparente est normalement de deux couleurs: l'une, un vert de mer; l'autre, un bleu tendre. Pendant le jour, la nuance en est généralement claire et laiteuse, comme on le remarque dans les mers des tropiques; le vent s'élève-t-il, bientôt les vagues se gonflent, écument, surgissent d'un fond trouble et verdâtre, et l'aspect en est aussi menaçant que possible. Les vents périodiques qui soufflent sur le Tanganyika sont le sud-est et le sud-ouest. La brise de terre et de mer s'y fait sentir presque aussi distinctement que sur les rivages de l'océan Indien. Le vent du matin vient du nord, pendant le jour il est variable, et le soir un souffle léger s'élève des eaux. Les courants de l'atmosphère y sont nombreux, et leur action brusque est souvent désastreuse; les rafales, qui se heurtent en se croisant, gonflent les vagues et les entraînent en certains endroits à six, ou sept mètres du point ordinaire; c'est peut-être ce phénomène que les Arabes ont pris pour des effets de marée. Les indigènes n'ont pas trouvé le fond du lac; les Arabes n'y sont parvenus que près des rives. Ces dernières plongent dans l'eau bleue par une pente rapide et forment sous l'eau des bords une couche de sable et de galets. On aperçoit quelques récifs dans le voisinage de la côte, mais on ne rencontre ni écueils, ni bas-fonds une fois qu'on est en pleine eau; et bien que les îles soient assez nombreuses à la marge du lac, il paraît ne s'en trouver qu'une seule dans la nappe centrale.»
Rocher de l'Éléphant près du cap Gardafui.
Trois jours après, toute la flottille arrivait saine et sauve à Kaouélé, d'où nos voyageurs partaient le 26 mai pour reprendre la route qui les avait amenés de la côte. Le 20 juin ils rentraient à Kazeh, où Snay ben Amir les recevait avec sa générosité ordinaire. Là, tous les membres de la caravane subirent l'influence du climat: fièvre tierce ou quotidienne, maladies de foie et de poitrine, rhumatismes, ophthalmies, surdité, ulcérations, prurigo. Burton, cependant, payant à chacun de ces maux un tribut plus fort qu'aucun de ses compagnons, fut cloué pendant plusieurs mois sur un lit de douleurs. Le délai qui s'ensuivit forcément permit au capitaine Speke de pousser une pointe de trois cent soixante kilomètres, droit au nord, jusqu'au Nyanza d'Oukéréoué, qui, d'après les Arabes, est plus étendu que le Tanganyika. Speke était de retour le 25 août, et le 26 septembre la caravane se remettait en marche à travers les jungles, les marais, les torrents, les forêts, les déserts, les vallées et les montagnes où serpente le sentier que nous connaissons. Enfin le 3 février les voyageurs se retrouvaient au bord de l'Océan, et ils débarquaient à Zanzibar le 4 mars 1859.
Traduit par Mme H. Loreau.
Bien que dans la relation dont nous venons d'offrir un extrait aux lecteurs du Tour du monde, le capitaine Burton, cédant à un sentiment dont nous ne sommes ni les appréciateurs ni les juges, ait cru devoir garder le silence sur les découvertes personnelles, du capitaine Speke, ce sont celles-ci surtout qui ont éveillé l'attention du monde savant; car, plus spécialement que les autres résultats de l'expédition des deux Anglais, elles se rattachent au problème imposé depuis deux mille ans aux investigations des géographes: la recherche des sources du Nil.
Lorsque le 3 août 1858, après vingt-cinq jours de marche pénible, à travers une région que jamais encore n'avait foulée un pied européen, le capitaine Speke, du haut d'une colline, découvrit l'immense nappe d'eau de l'Oukéréoué, il put, d'un seul coup d'œil, reconnaître la véracité des assertions de ses guides arabes. Il avait devant lui un lac beaucoup plus vaste que le Tanganyika, si large, de l'est à l'ouest, qu'on ne pouvait en distinguer les deux rives, et si étendu, du sud au nord, que personne n'en connaissait la longueur.
Le capitaine Speke trouva deux degrés trente minutes pour la latitude de l'extrémité sud de cette mer intérieure, et s'assura que son niveau dépassait de onze cent quarante mètres celui de l'Océan. D'après des renseignements obtenus d'un grand nombre de ces riverains, son extension au nord de l'équateur ne peut être non plus au-dessous de deux degrés et demi, et de cette extrémité septentrionale s'échappe un cours d'eau qui, prolongé d'un degré ou deux encore, doit forcément rejoindre soit le Nil Blanc dans les environs de Kondokoro ou de Bélénia, derniers points atteints par les voyageurs venus d'Égypte et de Nubie, soit un des nombreux canaux encore inexplorés qui viennent rejoindre le Bahr-el-Abiad, dans le voisinage du lac Nu. La relation suivante, qui nous est adressée de Khartoum par notre collaborateur M. Lejean, se relie à cette hypothèse, en réduisant le Saubat, dans lequel pendant longtemps on a voulu voir un des bras principaux du haut Nil, aux proportions d'un affluent assez modeste.
FRAGMENT D'UN VOYAGE AU SAUBAT
(AFFLUENT DU NIL BLANC)
PAR M. ANDRÉA DEBONO[15].
1855
.... Le 23 décembre 1854, je quittai Khartoum avec une duhabié et un sandal montés par soixante-sept personnes, pour tenter la fortune au Saubat, jusqu'alors à peu près inconnu. J'arrivai le 1er janvier, après une navigation absolument dépourvue d'incidents, à l'embouchure de cette rivière. Le vent était favorable, mais le Saubat fait tant de détours qu'il me fallut plusieurs fois marcher à la cordelle. Nous voyageâmes toute la nuit, et le 2 à midi j'atteignais l'établissement que j'avais formé l'année précédente, et où m'attendait mon agent, M. Terranova. Après avoir réglé en cet endroit mes affaires commerciales, je repartis le 4, et naviguai trois jours dans les mêmes conditions que j'ai dites en commençant, tantôt à la voile, tantôt à la cordelle. Les villages des Dinkas, qu'on ne voit pas à l'entrée du fleuve, parce que les marais empêchent les noirs d'habiter sur cette partie du Saubat, commencèrent le 4 et les jours suivants à se montrer sur la droite.
Dernier établissement égyptien dans le Fazogl.—Dessin de Lancelot d'après Russegger.
Le 8, les villages dinkas disparurent pour faire place à ceux des Schelouks, peuples qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui habitent sur le fleuve Blanc. Ceux du Saubat obéissent à un sultan qui demeure dans la tribu même: ils ont des cases en paille et des pirogues faites d'un seul tronc d'arbre, qui leur servent, lors des incursions de leurs terribles voisins les Nouers, à se sauver sur le fleuve avec leurs familles et leur mobilier, tant que dure la razzia.
Le 10, les nombreux détours du fleuve, qui avaient presque cessé depuis deux jours, recommencèrent à ralentir notre navigation. Le lendemain, je trouvai sur la rive gauche un grand rassemblement de Nouers, et comme j'entrai en relation avec eux pour un achat de bétail, ils me proposèrent de me réunir à eux pour écraser toutes les autres tribus du Saubat, leur enlever leurs enfants et leurs troupeaux, et partager les profits. Ils prétendaient former une masse de cinquante mille guerriers, et ajoutaient qu'ils pouvaient sextupler ce nombre, sans compter les femmes et les enfants qui les suivent toujours à la guerre, suivant l'usage du pays. Il est vrai qu'alors le vaincu perd non-seulement la bataille, mais encore sa famille et son bétail. Sans discuter leurs exagérations, je leur répondis que je n'étais pas venu au Saubat pour faire la guerre, mais pour acheter de l'ivoire; et me voyant résolu à refuser leur étrange proposition, ils se bornèrent à me demander ma neutralité dans la guerre qu'ils allaient faire aux Schelouks, ce que je leur promis aisément. Ils étaient persuadés qu'avec le secours d'une troupe d'hommes armés de fusils ils seraient invincibles.
Contrée des Schelouks sur le Saubat.—Dessin de Lancelot d'après Russegger.
Nous continuâmes à voyager sans autres incidents, le cours du fleuve continuant à être sinueux. Le 15, le chef d'un village où je m'arrêtai pour acheter une dent d'éléphant me dit qu'un des hommes du sandal, que j'avais envoyé en avant, avait tué involontairement d'un coup de feu un de ses hommes, et il me pria de donner quelques verroteries au père du défunt, qu'il me présenta. Cet homme me parut médiocrement affligé, et je soupçonnai une fraude, d'autant plus qu'une femme dit à mon drogman que le défunt avait été frappé par les Nouers, et non par mes hommes. Je donnai cependant les verroteries demandées, et le soir, ayant rejoint le sandal, je pris des informations qui me convainquirent que la réclamation était fondée. La femme qui avait dit le contraire avait probablement obéi à un sentiment de jalousie.
15 janvier.—Arrivée chez le Djak ou chef de la tribu; il me fit présent d'une dent d'éléphant du poids de vingt livres, et d'une peau de tigre. Pour ne pas demeurer en reste de politesse, je lui donnai sur-le-champ un habillement complet, c'est-à-dire une chemise, un tarbouch et une paire de chaussures. Je restai quelques jours chez ce chef, qui me pria instamment de lui laisser un poste permanent pour le protéger contre les Nouers. Je lui promis de satisfaire à son vœu lorsque je repasserais en cet endroit, à mon retour, mais j'ajoutai qu'en ce moment j'avais besoin de tout mon monde pour aller en avant. Il m'en dissuada en me disant que plus loin je risquerais de trouver le fleuve à sec; mais, comme je savais le penchant des noirs à mentir à tout propos, je n'en crus rien, et l'on verra plus loin si j'eus raison.
19 janvier.—Départ après midi, avec la dahabié, pour me rendre chez le vieux sultan des Schelouks. Le soir, je laisse à gauche le premier affluent du fleuve, nommé Nùol Dei.
20 janvier.—Nous continuons à marcher tout le jour par un bon vent, en laissant à droite les Nouers, à gauche les villages des Schelouks. Le bras du fleuve appelé Djibba reste sur notre droite. Le lendemain, à onze heures, nous rencontrons le troisième bras, nommé Nikana, et une heure plus loin un village, où nous nous arrêtons un instant pour faire nos achats.
22 janvier.—Nous arrivons chez le vieux sultan Luol Anian, et je trouve le sandal, que j'avais envoyé en avant. Ce n'est que le jour suivant que je puis voir le roi: vers midi, il arrive près de la barque portant à la main une branche verte et suivi de beaucoup de ses gens. Il ne se prête qu'avec défiance à entrer dans la dahabié, n'ayant jamais vu jusque-là de barques de cette espèce. Ici, comme chez le Djak, le chef échangea avec moi quelques présents et me demanda de l'aider contre les Nouers qui faisaient des razzias terribles sur son territoire, enlevant les bœufs et massacrant tout ce qui était capable de porter une lance. J'éludai sa demande, et il me répéta ce qui m'avait déjà été dit de la prochaine baisse des eaux. Mais d'une part il y avait plus de dix pieds d'eau à l'endroit où je me trouvais, et il me semblait impossible qu'un pareil fleuve pût se dessécher tout à coup; d'autre part, je voulais arriver aux montagnes des Berris, qui, selon mon estimation, ne devaient pas être fort loin. Je savais qu'en 1852 le missionnaire D. Angelo Vinco y était allé de Bélénia, et rapportait avoir passé un fleuve étroit et profond, qui ne pouvait être que le Saubat; et ce fut cette idée fixe d'aller chez les Berris qui me décida à partir sans retard.
26 janvier.—Arrivée chez le second sultan, nommé Adam Adaboukadj. Je m'y arrête deux jours, nous échangeons les présents d'usage, et le 28, je continue ma route. Je passe devant un bras du fleuve qui va rejoindre le Nikana; le lendemain, je me trouve en face de deux autres bras considérables, remontant l'un vers les Djebbas, l'autre dans la direction des Bondjaks. Je suis ce dernier.
1er février.—À peine arrivé dans le Bondjak, je rencontrai successivement plusieurs écluses faites par les noirs en travers de la rivière, et garnies de nasses pour prendre le poisson. L'eau avait, dans cette partie, six à sept brasses de profondeur. Les noirs essayèrent de me détourner de franchir les écluses, en me disant qu'avant un mois je me trouverais à sec dans ce canal; mais leur intérêt était trop évident pour me permettre de croire à leur dire. J'aurais voulu éviter de détruire les travaux de ces braves gens: cependant j'avais besoin de passer à tout prix; je fis donc faire à la première écluse une ouverture suffisante pour donner passage aux deux barques et rien de plus, et je la franchis, poursuivi par les clameurs des noirs, qui s'empressèrent de rétablir la clôture derrière nous.
Les écluses suivantes furent franchies de même. Nous naviguâmes ainsi du 1er au 9 février, et à cette dernière date nous atteignîmes les derniers villages des Bondjaks, au delà desquels j'appris qu'il n'y avait plus d'habitations sur le fleuve. J'ouvris des relations avec les chefs de la tribu, et en même temps je fis demander l'autorisation d'envoyer un agent au sultan des Bondjaks, qui demeurait dans l'intérieur, au village de Nikana. Je passai plusieurs jours au même lieu dans une inaction forcée.
1er mars.—Je reçois un chef qui me dit: «Entre nous autres rois, on se fait des présents et non des achats.» Et il m'offrit en effet quelques présents, que je rendis généreusement. Il m'apportait en outre une réponse affirmative à ma demande, et je fis immédiatement choix des gens qui devaient accompagner à Nikana mon agent Terranova.
Mon «ambassadeur» et sa suite se mirent en route au matin, traversèrent plusieurs villages, et le soir ils arrivèrent au village royal. Le sultan leur assigna immédiatement un terrain pour planter leur camp, et fit défense à tous ses sujets d'aller voir les étrangers avant qu'il ne leur eût fait lui-même sa visite. Ils n'en furent pas moins assiégés par des curieux qui n'avaient jamais vu de blancs, et qui exprimaient par leurs gestes à quel point la couleur et le costume des nouveaux venus leur paraissaient étranges et même ridicules; mais le roi, informé de cette curiosité indiscrète, en punit les auteurs par la perte de tous leurs bestiaux.
Au matin, le sultan fit envoyer à Terranova et à ses gens une grande jarre de lait et un bœuf pour leur nourriture, et fit tendre de peaux de panthères tout l'espace compris entre la tente de mes hommes et sa case royale. Puis il arriva avec une suite de deux cents hommes, dont quelques-uns portaient des sièges pour son usage; il s'assit en appuyant ses deux pieds sur deux de ses chefs couchés à terre, et leur cracha à la figure. Bien loin de s'offenser, les deux sièges vivants se frottèrent respectueusement toute la figure avec le royal cosmétique; puis l'autocrate daigna demander à mon agent par quel motif il avait quitté son pays pour venir jusque chez les Bondjaks. Terranova lui répondit qu'il n'avait eu d'autre intention que de venir faire le commerce avec sa tribu. «Les sultans font des présents et pas de commerce,» répondit le roi, comme l'avait déjà fait son subordonné les jours précédents; et il accompagna cette fière parole du don de deux fort belles dents d'éléphant, en retour desquelles Terranova lui fit quelques cadeaux. Mon agent crut l'occasion favorable pour lui demander l'autorisation d'établir dans le village un poste fixe pour le commerce de l'ivoire; le roi lui dit que cette denrée manquerait jusqu'à la saison prochaine, et lui fit comprendre qu'il ne tenait nullement à avoir près de lui un établissement permanent de ce genre.
1er avril.—J'essaye de sortir de l'espèce de prison où la baisse des eaux m'a enfermé; mais à peine avons-nous commencé à marcher que nous touchons à un banc de sable. La barque, remise à flot avec beaucoup de peine, touche une seconde, puis une troisième fois; nous sommes forcés de passer la nuit à l'endroit où nous sommes restés ensablés.
Le lendemain 2, grands débats avec les noirs que j'ai réunis pour dégager les barques; ils demandent à être payés d'avance. L'arrivée d'un chef envoyé par le sultan complique encore les difficultés: ce digne homme va trouver un des chefs réunis en face de nous et l'engage à tomber avec tous ses hommes sur ma troupe pendant qu'elle est dans l'eau, occupée à dégager la barque, lui promettant une victoire facile et de gros profits. Le chef, loin d'écouter ce conseil de brigand, en avertit notre drogman; je fais aussitôt mettre mon monde sous les armes, et pointer ostensiblement un canon chargé à mitraille pour effrayer les groupes, qui, en effet, se reculent un peu, et j'obtiens pour ce jour un peu de tranquillité.
3 avril.—Les noirs, en tenue de guerre, continuent à s'attrouper autour des barques. Je ne voulais nullement ouvrir le feu contre eux, mais d'autre part il m'importait beaucoup de les intimider. Voici le parti auquel je m'arrêtai: je leur fis dire que j'étais venu pour faire le commerce et nullement pour me battre, mais que j'avais des armes à feu plus redoutables que leurs lances, car elles perçaient leurs boucliers; et pour en donner la preuve, je fis poser deux boucliers l'un sur l'autre, et je fis tirer un coup de fusil. La balle les traversa tous deux. Je pus constater avec plaisir que cet avertissement leur inspirait des réflexions salutaires, et je n'eus plus à craindre de trahison. Je maintins cependant bonne garde toutes les nuits; mon agent et moi nous faisions nous-mêmes le quart pour empêcher nos Barbarins de s'endormir, car, musulmans et par conséquent fatalistes, ces gens ne prennent aucune précaution et laissent tout aller, comme ils le disent, «à la garde de Dieu.»
Nous perdîmes en ce lieu plusieurs jours, et ce fut seulement le 8 que je pus faire exécuter, par nos hommes et par les noirs payés à grand renfort de verroteries, un barrage à travers la rivière pour maintenir nos barques à flot. Voici l'opération que j'exécutai, et dont je donne ici le détail pour ne pas avoir à y revenir. Mon dessein était d'arriver, de quelque manière que ce fût, au point de la rivière où les eaux étaient encore assez hautes pour me permettre de passer. Pour cela, je m'imaginai de faire un premier barrage, puis un second au-dessous, et de rompre ensuite le premier pour faire passer par la brèche mes deux barques au courant de l'eau. Du second barrage, je passai à un troisième, et ainsi de suite, comme à travers autant d'écluses. Un travail aussi colossal m'eût été impossible à exécuter dans tout autre pays; mais à cette époque la verroterie n'était pas encore aussi dépréciée parmi les noirs qu'elle l'est aujourd'hui; il ne m'en coûta qu'un certain nombre de caisses de cette denrée, ce qui ne laissa pas que d'être encore extrêmement ruineux pour moi. En outre, tant de dépenses et d'efforts furent en pure perte.
9 avril.—La solitude s'est faite autour de nos barques: je ne vois plus à peu près personne. Je ne tarde pas à en apprendre la cause. Les Nouers ont exécuté une razzia sur les Bondjaks, et leur ont enlevé du bétail; à l'approche de ces terribles ennemis, les Bondjaks se sont retirés sans essayer de résistance. Ces Nouers sont la terreur de tous les riverains du fleuve Blanc, même des Schelouks, et il suffit de deux Nouers pour mettre en fuite la population d'un village tout entier.
12 avril.—Première pluie attendue avec bien de l'impatience: les eaux montent d'une demi-brasse, mais cette hausse ne se soutient pas, les eaux redescendent, et j'en suis pour ma fausse espérance. Les jours suivants se passent dans les mêmes alternatives.
Le 1er mai, je me décide à aller à la découverte; je remonte le fleuve par terre, et au bout d'une demi-heure je trouve un lit parfaitement à sec: le peu d'eau qui fait flotter mes barques n'est retenu que par mon dernier barrage. Je visite nos magasins: nous n'avons de vivres que pour un mois, et nul espoir de sortir de cette impasse avant bien longtemps!
Tel est, en définitive, l'aspect réel du Saubat, de ce fleuve que l'Allemand Russegger, voyageur exact et consciencieux pourtant, a confondu avec le vrai Nil Blanc, et que des géographes encore plus récents regardent comme le cours inférieur du Godjob de l'Énaréa. Il est difficile de concevoir comment ce dernier fleuve, qui roule déjà dans ses montagnes natales une plus grande masse d'eau que le Nil d'Abyssinie, pourrait, après avoir recueilli les tributs que doivent lui verser les hautes régions de Singiro et de Kaffa, devenir, dans les plaines des Schelouks, ce chenal épuisé où mes embarcations sont restées engravées tant de mois!
4 mai.—J'ai reçu une visite inattendue, celle du chef qui, le mois précédent, avait conseillé à ses compatriotes de m'attaquer et de piller mes barques. Il arriva sans armes, dans une barque montée par trois hommes seulement. Je prenais mon repas quand il se présenta, et j'affectai de ne faire aucune attention à lui. Cette réception inaccoutumée l'inquiéta: je le vis changer de couleur, son visage passant du noir à une teinte plombée. Quand j'eus fini, je me tournai vers lui en demandant au drogman ce que pouvait vouloir cet homme. Il prit alors la parole pour me dire qu'il était venu se justifier de certains mauvais bruits et notamment des intentions qui lui avaient été imputées d'avoir voulu me faire la guerre. Je lui répondis que je ne voulais pas entendre parler de semblable chose, que je ne craignais pas la guerre, mais que j'étais venu pour trafiquer paisiblement, et pour lui prouver qu'il n'était pas de taille à m'effrayer, je fis tirer un de mes canons chargé d'une pièce de bois en guise de boulet. Les noirs ayant ramassé ce projectile, que l'explosion avait lancé fort loin, j'interpellai le chef et lui demandai si les lances de ses hommes portaient à pareille distance. Son attitude me prouva qu'il avait compris la leçon et en profiterait.
Il entreprit une longue justification pour me persuader qu'il était resté étranger à un complot tramé par les autres chefs, qu'il révéla à mon drogman, et qui consistait tout simplement à tomber sur nous durant la saison des pluies, lorsque l'humidité empêcherait nos terribles fusils de faire feu, et à nous massacrer sans danger. (Pour parer à ce péril, je fis soigneusement envelopper de peaux les batteries de nos fusils pendant que durèrent les pluies.)
Belénia, village berri sur le fleuve Blanc.—Dessin de Lancelot d'après Werne.
Mon conspirateur avait été trahi de la façon la plus inattendue. Une esclave dinka qu'il avait s'était empressée de tout révéler à mon drogman; c'était le roi lui-même qui avait donné l'ordre de tomber sur nous, de nous égorger tous, sans excepter Terranova, son hôte; de brûler nos corps et d'en jeter les cendres au vent; «afin que nos cadavres ne restassent pas dans sa terre.» Sachant que ces noirs croient à la sorcellerie, je lui déclarai que je savais tout cela par des moyens magiques, et que je voulais bien lui pardonner ses perfidies passées, mais qu'il eût à y regarder à deux fois si, à l'avenir, il s'avisait encore de conspirer contre moi. Il me fit, pour me rassurer, le serment le plus solennel en usage chez ces peuples, «sur la race de ses bœufs,» et nous nous séparâmes assez bons amis pour la forme....
Andréa Debono.
GRAVURES.
- Chapelle de Sainte-Rosalie (près Palerme). Rouargue.
- Types et costumes siciliens. Rouargue.
- Ruines à Girgenti (Agrigente). Rouargue.
- Vue de Syracuse. Rouargue.
- Taormine et l'Etna. Rouargue.
- La Marine à Messine. Rouargue.
- Rocher de Scylla. Rouargue.
- Stromboli. Rouargue.
- Pigeonnier près d'Ispahan. Jules Laurens.
- Pont d'Allah-Verdi-Khan sur le Zend-è-Roud, à Ispahan. Jules Laurens.
- Collége de la Mère du roi, à Ispahan. Jules Laurens.
- Une peinture indienne dans le palais des Quarante-Colonnes, à Ispahan. Jules Laurens.
- Entrée de Kaschan. Jules Laurens.
- Une caravane persane au repos. Jules Laurens.
- Types persans. Jules Laurens.
- Faubourg de Téhéran. Jules Laurens.
- La porte de Schah-Abdoulazim. Jules Laurens.
- Dans une cour, à Téhéran. Jules Laurens.
- Types et portraits persans. Jules Laurens.
- Groupe de Persans. Jules Laurens.
- Dans l'Enderoun (appartement intérieur — Costumes d'intérieur et de sortie). Jules Laurens.
- Choix d'armes, d'instruments et objets divers persans. Jules Laurens.
- Le Démavend. Jules Laurens.
- Vue de l'île Saint-Thomas. de Bérard.
- Saint-Pierre, à la Martinique. de Bérard.
- Cataracte de Weinachts (Guyane anglaise). de Bérard.
- Une sucrerie à la Guadeloupe. de Bérard.
- La Pointe-à-Pître, à la Guadeloupe. de Bérard.
- Le port d'Espagne, à la Trinidad. de Bérard.
- La baie de Panama. de Bérard.
- Vue des Bermudes. de Bérard.
- Costumes norvégiens d'Hitterdal. Pelcoq.
- La vallée de Bolkesjö. Doré.
- Costumes du Télémark. Pelcoq.
- La vallée de Vestfjordal. Doré.
- Intérieur d'auberge à Bolkesjö. Lancelot.
- Église d'Hitterdal. Wormser.
- Le Rjukandfoss. Doré.
- Un chalet à Bamble. Lancelot.
- Vue du lac Bandak. Doré.
- Le lac Flatdal. Doré.
- Fjord de Gudvangen. Doré.
- Église de Bakke. Doré.
- Route de Stalheim. Doré.
- Le Vöringfoss. Doré.
- Vallée de l'Heimdal. Doré.
- Femme du Sogn. Pelcoq.
- Une noce en Norvége. Pelcoq.
- Le marché aux grains (Suez). Karl Girardet.
- Port de Suez. Karl Girardet.
- Cimetière européen à Suez. Karl Girardet.
- Qosséir. Karl Girardet.
- Djeddah. Karl Girardet.
- Port de Souakin. Karl Girardet.
- Mosquée de Salonique. Karl Girardet.
- Femmes albanaises, près d'un arabas, à Vasilika. Villevieille.
- Un Juif de Salonique. Bida.
- Une Juive de Salonique. Bida.
- Sceau du monastère de Kariès.
- Vue générale de mont Athos. Villevieille.
- Le Conseil des Épistates au mont Athos. Boulanger.
- Saint Georges (fresque de Panselinos dans le Catholicon de Kariès). Pelcoq.
- Monastère d'Iveron. Karl Girardet.
- L'higoumène d'Iveron. Pelcoq.
- La Phiale ou le Baptistère du couvent de Lavra. Lancelot.
- Croix sculptée en bois dans le trésor de Kariès. Thérond.
- Coffret dans le trésor de Kariès. Thérond.
- Peinture de la trapeza de Lavra: les trois patriarches. Thérond.
- La confession. Bida.
- Bas-relief du couvent de Vatopédi. A. Proust.
- Albanais, soldat de la garde des Épistates. Villevieille.
- Vue du couvent d'Esphigmenou. Karl Girardet.
- Intérieur de la cour principale du couvent slave de Kiliandari. Lancelot.
- La récolte des noisettes au mont Athos. Villevieille.
- L'île Chatam, dans l'archipel Galapagos. E. de Bérard.
- Baie de la Poste, dans l'île Floriana (archipel Galapagos). E. de Bérard.
- L'île Charles, dans l'archipel Galapagos. E. de Bérard.
- Aiguade de l'île Charles (archipel Galapagos). E. de Bérard.
- Oiseaux et reptile (archipel Galapagos). Rouyer.
- Côtes de l'île Albermale, dans l'archipel Galapagos. E. de Bérard.
- Oeno, dans l'archipel Pomotou (îles à coraux). E. de Bérard.
- Village de Vanou, dans l'île de Vanikoro (îles à coraux). E. de Bérard.
- Baie de Manevai, dans l'île de Vanikoro (îles à coraux). E. de Bérard.
- Récifs et piton de l'île de Borabora (îles à coraux). E. de Bérard.
- Rade et pic de l'île de Borabora (îles à coraux). E. de Bérard.
- Île de Whitsunday, dans l'archipel Pomotou (îles à coraux). E. de Bérard.
- Brun-Rollet. Fath.
- Traîneau yakoute. Victor Adam.
- Une sorcière tongouse. Victor Adam.
- Port d'Okhotsk. Victor Adam.
- Bazar de Nertchinsk. Victor Adam.
- Colonie ou village yakoute. Victor Adam.
- Voyageur russe en Sibérie. Victor Adam.
- Argali (mouton sauvage). Victor Adam.
- Campement de Tongouses. Victor Adam.
- Chamans yakoutes. Victor Adam.
- Femme yakoute. Victor Adam.
- Poteaux des frontières du pays des Yakoutes et de la Chine. Victor Adam.
- Types indigènes (Australie du Sud). G. Fath.
- Sépultures australiennes dans les bois. Lancelot.
- Sépulture australienne au désert. Doré.
- Restes d'un voyageur retrouvés par ses compagnons dans les déserts du lac Torrens. Doré.
- Oasis d'Éderi (Fezzan). Rouargue.
- Mourzouk (capitale du Fezzan). Rouargue.
- Gorge d'Agueri. Lancelot.
- Vallée d'Auderaz. Rouargue.
- Vue d'Agadez. Lancelot.
- Vue de Kano (entrepôt du Soudan central). Lancelot.
- Dendal ou boulevard de Kouka (capitale du Bornou). Lancelot.
- Vue du lac Tchad. Rouargue.
- Village marghi. Rouargue.
- Halte dans une forêt du Marghi. Rouargue.
- Village mosgou. Rouargue.
- Chef mosgovien. Rouargue.
- Intérieur d'une habitation mosgovienne. Rouargue.
- Chef kanembou. Rouargue.
- Entrée du sultan de Baghirmi dans Maséna (sa capitale). Rouargue.
- Une razzia à Barea (Mosgou). Rouargue.
- Vue du marché de Sokoto. Hadamard.
- Bac sur le Niger, à Say. Rouargue.
- Vue des monts Homboris. Lancelot.
- Village sonray. Lancelot.
- Vue de Kabra (port de Tembouctou). Rouargue.
- Camp touareg. Lancelot.
- Arrivée à Tembouctou. Lancelot.
- Vue générale de Tembouctou. Lancelot.
- Portrait en pied du baron de Wogan en costume de voyage. J. Pelcoq.
- Grass-Valley. J. Pelcoq.
- Un claim ou atelier de mineur. J. Pelcoq.
- Forêt de taxodium giganteum ou pins géants. Lancelot.
- Un cañon ou passage de la Sierra-Wah. Lancelot.
- La case du jugement. J. Pelcoq.
- Le poteau de la guerre. J. Pelcoq.
- Types d'Indiennes du Rio-Colorado. J. Pelcoq.
- Grande pagode de Rangoun. Français.
- Bateau à voile sur l'Irawady. Cliché anglais.
- Canot de parade. Cliché anglais.
- Bateau de commerce. Cliché anglais.
- Birmans dans une forêt. J. Pelcoq.
- Pattshaing ou tambour-harmonica. Cliché anglais.
- Pattshaing à baguettes. Cliché anglais.
- Harpe birmane. Cliché anglais.
- Harmonica birman. Cliché anglais.
- Pagode à Pagán. Cliché anglais.
- Représentation théâtrale dans le royaume d'Ava. Hadamard.
- Dagobah ou pagode en forme de cloche. Cliché anglais.
- Intérieur d'une pagode. Cliché anglais.
- Maison de l'ambassade à Amarapoura. Cliché anglais.
- Vallée des puits de bitume. Karl Girardet.
- Types de grands seigneurs et hauts fonctionnaires birmans. Morin.
- Le palais du roi et l'éléphant blanc. Navlet.
- Sculptures comiques dans le monastère royal à Amarapoura. Lancelot.
- Vue du Maha-Toolut-Boungyo (monastère royal à Amarapoura). Lancelot.
- Détails intérieurs du Maha-comiye-peima à Amarapoura. Navlet.
- Une porte à Amarapoura. Cliché anglais.
- Canon birman. Cliché anglais.
- Danse des éléphants. Cliché anglais.
- Canal d'irrigation dans le royaume d'Ava. Cliché anglais.
- Jeunes dames birmanes. Morin.
- Le temple du Dragon. Lancelot.
- Rives de l'Irawady (près des mines de rubis). Cliché anglais.
- Petite pagode à Mengoun. Cliché anglais.
- Grand temple de Mengoun (depuis le tremblement de terre de 1839). Karl Girardet.
- Vallée de l'Irawady au confluent du Myit-Nge. Paul Huet.
- Temple ruiné à Pagán. Lancelot.
- Salces ou volcans de boue à Membo. Cliché anglais.
- Cônes volcaniques dans la plaine de Membo. Cliché anglais.
- Paysans birmans en voyage. Cliché anglais.
- Statue gigantesque de Bouddha à Amarapoura. Lancelot.
- Zanzibar vue de la mer. E. de Bérard.
- Portrait de feu l'iman de Zanzibar. E. de Bérard.
- Port de la ville de Zanzibar. E. de Bérard.
- Un village de la Mrima. Lavieille.
- Jihoué la Mkoa ou la roche ronde. Cliché anglais.
- La fontaine qui bout (source thermale dans le Khoutou). Cliché anglais.
- Sycomore africain. Cliché anglais.
- L'Ougogo. Cliché anglais.
- Burton et ses compagnons en marche. Lavieille.
- Chaîne côtière de l'Afrique occidentale. Lavieille.
- Passe dans l'Ousagara. Lavieille.
- Paysage dans l'Ounyamouézi. Lavieille.
- Noirs de l'Ousumboua. G. Boulanger.
- Huttes à Mséné. Lavieille.
- Nègres porteurs. G. Boulanger.
- Noir de l'Ouganda. G. Boulanger.
- Habitation de Snay ben Amir à Kazeh. Lavieille.
- Jeunes dames à Kazeh. G. Boulanger.
- Coiffures des indigènes de l'Ounyanyembé. Cliché anglais.
- Coiffures des indigènes de l'Oujiji. Cliché anglais.
- Maison des étrangers à Kaouélé. Lavieille.
- Navigation sur le lac Tanganyika. Lavieille.
- Le capitaine Burton sur le lac Tanganyika. Lavieille.
- Habitation au bord du lac Tanganyika. Lavieille.
- Le bassin du Maroro. Lavieille.
- Instruments et ustensiles des Ouajiji. Cliché anglais.
- Riverains du Tanganyika (côté ouest). Cliché anglais.
- Riverains du Tanganyika (côté sud). Cliché anglais.
- Le bassin du Kisanga. Lavieille.
- Végétation de l'Ougogi. Lavieille.
- Passe de l'Ouzagara. Cliché anglais.
- Rocher de l'Éléphant près du cap Gardafui. Cliché anglais.
- Dernier établissement égyptien dans le Fazogl. Lancelot.
- Contrée des Shelouks sur le Saubat. Lancelot.
- Bélénia (village bari sur le fleuve Blanc). Lancelot.
- Habitants de la Havane. Potin.
- Coolies chinois à Cuba. Pelcoq.
- Vue générale de la Havane (capitale de Cuba). Lancelot.
- Avenue de palmiers devant une habitation de Cuba. E. de Bérard.
- Cathédrale de la Havane. Navlet.
- La volante (voiture de la Havane). Victor Adam.
- Vue de Matanzas. Lancelot.
- Paysage dans l'île de Cuba: Loma (coteau) de Candela. Paul Huet.
- Paysage dans l'île de Cuba (Loma de la Givora). Paul Huet.
- Grenoble et les Alpes dauphinoises. Karl Girardet.
- Les Grands Goulets. Karl Girardet.
- Pont-en-Royans. Doré.
- Sainte-Croix et les ruines du château de Quint. Karl Girardet.
- Die et la vallée de Roumeyer (vue prise des hauteurs de Saint-Justin). Français.
- Le Mont-Aiguille (vu de Clelles). Daubigny.
- Pontaix. Karl Girardet.
- Roumeyer et le mont Glandaz. Français.
- Entrée de la vallée de Roumeyer. Karl Girardet.
- La vallée de Léoncel. Karl Girardet.
- La vallée de la Véoure et de la plaine du Rhône (vue prise des hauteurs de la Vacherie). Karl Girardet.
- Beaufort. Français.
- La forêt de Saou. Sabatier.
- Poët-Cellard. Karl Girardet.
- Bourdeaux. Karl Girardet.
- Le Velan et Plan-de-Baix (vue des sources du Ruïdoux). Karl Girardet.
- Cascade de la Druïse. Karl Girardet.
- La gorge de Trente-Pas. Karl Girardet.
- Le mont Viso. Sabatier.
- Le pont du Diable. Sabatier.
- Le lac de l'Échauda. Sabatier.
- Le Pelvoux. Sabatier.
- Le mont Aurouze. Français.
- Les montagnes du Devoluy. Karl Girardet.
- Ruines de la Chartreuse de Durbon. Karl Girardet.
CARTES ET PLANS.
- Carte de la Sicile, par M. A. Vuillemin.
- Carte de la Perse, par M. A. Vuillemin.
- Carte des grandes et petites Antilles, par M. A. Vuillemin.
- Carte du haut Télémark (Norvége méridionale), d'après M. Paul Riant.
- Carte de la presqu'île de Bergen, d'après M. Paul Riant.
- Carte de la Chalcidique, par M. A. Vuillemin.
- Partie du gouvernement d'Yakoutsk, par Piadischeff.
- Carte de l'Australie, par M. A. Vuillemin.
- Carte des voyages du docteur Henri Barth en Afrique (partie orientale) d'après M. de Lanoye.
- Voyage du docteur Barth (Itinéraire de Sokoto à Tembouctou), par M. A. Vuillemin.
- Carte du cours inférieur de l'Irawady comprenant les possessions britanniques et la partie sud du royaume d'Ava, d'après le capitaine H. Yule.
- Plan d'Amarapoura et de sa banlieue, d'après les relevés du major Grant Allan.
- Carte du cours supérieur de l'Irawady et partie nord du royaume d'Ava, d'après le cap. Yule.
- Carte du voyage de Burton et Speke aux grands lacs de l'Afrique orientale (Itinéraire de Zanzibar à Kazeh).
- Carte du voyage de Burton et Speke aux grands lacs de l'Afrique orientale (2e partie).
- Carte de l'île de Cuba, par M. A. Vuillemin.
- Carte du Dauphiné (partie occidentale: Isère et Drôme), par M. A. Vuillemin.
- Carte du Dauphiné (partie orientale: Isère et Hautes-Alpes), par M. A. Vuillemin.
ERRATA.
I. Sous le titre Voyage d'un naturaliste, pages 139 et 146, on a imprimé: (1858.—INÉDIT).—Cette date et cette qualification ne peuvent s'appliquer qu'à la traduction.
La note qui commence la page 139 donne la date du voyage (1838) et avertit les lecteurs que le texte a été publié en anglais.
II. Dans un certain nombre d'exemplaires, le voyage du capitaine Burton aux grands lacs de l'Afrique orientale, 1re partie, 46e livraison, le mot ORIENTALE se trouve remplacé par celui d'OCCIDENTALE.
III. On a omis, sous les titres de Juif et Juive de Salonique, dessins de Bida, pages 108 et 109, la mention suivante: d'après M. A. Proust.
IV. On a également omis de donner, à la page 146, la description des oiseaux et du reptile de l'archipel des Galapagos représentés sur la page 145. Nous réparons cette omission:
1º Tanagra Darwinii, variété du genre des Tanagras très-nombreux en Amérique. Ces oiseaux ne diffèrent de nos moineaux, dont ils ont à peu près les habitudes, que par la brillante diversité des couleurs et par les échancrures de la mandibule supérieure de leur bec.
2º Cactornis assimilis: Darwin le nomme Tisseim des Galapagos, où l'on peut le voir souvent grimper autour des fleurs du grand cactus. Il appartient particulièrement à l'île Saint-Charles. Des treize espèces du genre pinson, que le naturaliste trouva dans cet archipel, chacune semble affectée à une île en particulier.
3º Pyrocephalus nanus, très-joli petit oiseau du sous-genre muscicapa, gobe-mouches, tyrans ou moucherolles. Le mâle de cette variété a une tête de feu. Il hante à la fois les bois humides des plus hautes parties des îles Galapagos et les districts arides et rocailleux.
4º Sylvicola aureola. Ce charmant oiseau, d'un jaune d'or, appartient aux îles Galapagos.
5º Le Leiocephalus grayii est l'une des nombreuses nouveautés rapportées par les navigateurs du Beagle. Dans le pays on le nomme holotropis, et moins curieux peut-être que l'amblyrhinchus, il est cependant remarquable en ce que c'est un des plus beaux sauriens, sinon le plus beau saurien qui existe.
Le saurien amblyrhinchus cristatus, que nous reproduisons ici, est décrit dans le texte, page 147.