Les caquets de l'accouchée: nouvelle édition revue sur les pièces originales
The Project Gutenberg eBook of Les caquets de l'accouchée
Title: Les caquets de l'accouchée
Editor: Edouard Fournier
Author of introduction, etc.: Le Roux de Lincy
Release date: August 30, 2010 [eBook #33580]
Language: French
Credits: Produced by Laurent Vogel, Pierre Lacaze, Chuck Greif and
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LES
CAQUETS DE L'ACCOUCHÉEParis. Impr. Guiraudet et Jouaust, 338, rue S.-Honoré.
LES CAQUETS
DE L'ACCOUCHÉENOUVELLE ÉDITION
Revue sur les pièces originales et annotée
PAR M. ÉDOUARD FOURNIER
AVEC UNE INTRODUCTION
PAR M. LE ROUX DE LINCY
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
——
MDCCCLV
| TABLE ANALYTIQUE. TABLE DES MATIÈRES |
INTRODUCTION.
L'ouvrage dont nous donnons une édition complète, revue sur les originaux, est une des satires les plus remarquables du dix-septième siècle. Publiés pour la première fois dans le cours de l'année 1622, par petits cahiers de quelques feuillets, les Caquets de l'Accouchée furent, dès l'année suivante, réunis dans un seul volume, dont il y eut plusieurs éditions, sous le titre de Recueil général des Caquets de l'Accouchée[1].
Pendant le cours du dix-huitième siècle, ce livre n'a jamais cessé d'être fort apprécié des bibliophiles, qui payoient très cher les exemplaires bien conservés des éditions originales. De nos jours, les Caquets de l'Accouchée ont conservé la même valeur, et, cette fois, l'engoûment des amateurs peut se justifier: ce n'est pas seulement la rareté de l'ouvrage, c'est encore l'esprit qu'on y trouve, qui les pousse à se le procurer. Voyons d'abord ce qu'il faut entendre par Caquets de l'Accouchée.
§ I.—Caquets de l'Accouchée.
Au moyen âge, la naissance d'un enfant étoit entourée de soins et de cérémonies qui n'existent plus maintenant. Chez les grands et chez les riches, on se préparoit à cet événement solennel par des attentions touchantes qui se rattachoient aux croyances et aux superstitions de cette époque. La chambre de la gisante étoit tendue des étoffes et des tapisseries les plus belles; une petite couchette, connue encore de nos jours sous le nom de lit de misère, étoit placée auprès du grand lit nuptial; un bon feu brûloit incessamment dans la vaste cheminée; des linges de toutes sortes, tirés des grands bahuts, séchoient à l'entour. Dans certaines provinces, on mettoit devant la cheminée une petite table couverte de linge très fin; sur cette table, trois coupes, un pot de vin ou d'hippocras, trois pains de fleurs de farine et deux flambeaux qui restoient allumés durant la nuit. Ce repas frugal étoit destiné aux fées, qui, d'après les croyances, devoient venir répandre leurs dons sur le nouveau-né. On lit dans le roman de Guillaume au Courtné, qui remonte à la seconde moitié du XIIe siècle:
«Il y avoit alors en Provence, et dans plusieurs autres pays, une coutume qui consistoit à placer sur la table trois pains blancs, trois pots de vin, et trois hanaps ou verres à côté; on posoit le nouveau-né au milieu, puis les matrones reconnoissoient le sexe de l'enfant, qui ensuite étoit baptisé.
«Le fils de Maillefer fut donc ainsi exposé, et les matrones, après l'avoir vu, s'éloignèrent. Tout dormoit dans la chambre quand cette aventure eut lieu. Le temps étoit beau, la lune brillante. Alors trois fées entrèrent, prirent l'enfant, le réchauffèrent, le couvrirent et le placèrent dans son berceau. Prenant ensuite le pain et le vin, elles soupèrent, et chacune d'elles fit au nouveau-né présent d'un beau souhait[2].»
Dans un ouvrage de la fin du quinzième siècle intitulé, les Honneurs de la Cour, on trouve des détails précieux sur le même sujet. Aliénor de Poitiers, vicomtesse de Furnes, auteur de cet ouvrage, parle des cérémonies et des usages observés à la cour et dans la noblesse au moment des couches, du baptême et des relevailles.
«J'ai vu, dit-elle, plusieurs grandes dames faire leurs couches à la cour; elles avoient un grand lit et deux couchettes, dont l'une étoit à un coin de la chambre, et l'autre devant le feu. La chambre étoit tendue de tapisseries à verdure ou à personnages, mais les rideaux du lit et le ciel étoient de soie, les couvertures du grand lit et des couchettes fourrées de menu vair; le drap étoit de crêpe bien empesé; le dressoir, à trois degrés, tout chargé de vaisselle: on l'éclaire avec deux grands flambeaux de cire, on garnit d'un tapis de velours le plancher de la chambre; les oreillers du grand lit et des couchettes doivent être de velours ou de drap de soie, aussi bien que le dais du dressoir; à chaque bout de ce dressoir, il faut placer un drageoir tout plein, couvert d'une serviette fine. Les femmes de simples seigneurs bannerets ne devroient pas avoir de couchette devant le feu; toutesfois, depuis dix ans, quelques dames du pays de Flandres l'y ont eue. L'on s'est moqué d'elles, et avec raison, car du temps de Madame Isabelle, nulle ne le faisoit; mais aujourd'hui, chacun agit à sa guise. Aussi est-il à craindre que tout n'aille mal, car le luxe est trop grand, comme chacun dit.
«Dans la chambre d'une accouchée, le plus grand prince du monde s'y trouvât-il, nul ne peut servir vin ou épices, excepté une femme mariée. Si quelque princesse vient rendre visite à la malade, c'est à la première dame d'honneur de sa suite qu'il appartient de lui présenter le drageoir[3].»
De chez les grands, une partie de ces usages ne tarda pas à se répandre chez les bourgeois des bonnes villes devenus riches et puissants. Christine de Pisan, cette femme poète, historien de Charles V, a parlé, dans son livre du Trésor de la Cité des Dames, du luxe étalé par les bourgeoises, et principalement par celles de Paris. «Ce n'est pas, dit-elle, aux marchands de Venise ou de Gennes, qui vont oultre-mer et dans tous les pays du monde, qui ont leurs facteurs, achettent en gros et font grands frais, que ces remontrances s'adressent: ceux-là envoyent leurs marchandises dans toutes les contrées, amassent de grandes richesses, et sont appelés nobles marchands; mais la femme dont je veux parler achette en gros et vend au détail pour quatre sous de denrées, si besoin est, quoique très riche. Il n'y a pas longtemps qu'elle fut en couche. Avant de parvenir à sa chambre, on passoit par deux autres chambres très belles, où se trouvoient des grands lits richement encourtinés; dans la seconde chambre, un grand dressoir étoit couvert, comme un autel, de vaisselle d'argent; de là, on entroit dans la chambre de l'accouchée. Cette chambre étoit grande et belle, toute tendue de tapisserie faite à la devise de la dame, ornée très richement de fin or de Chippre; le lit, grand et beau, encourtiné d'un riche parement; les tappis tout alentour sur lesquels on marchoit étoient d'étoffe d'or; les grands draps de parement qu'on appercevoit par dessous la couverture étoient d'une toile de Reims si fine, qu'on la prisoit plus de trois cents francs; par dessus cette couverture, toute tissue d'or, étoit un grand drap de lin, aussi delié que soye, tout d'une pièce et sans couture, ce qui est une invention nouvelle et d'un grand prix, qu'on estimoit plus de deux cents francs. Ce drap étoit si grand et si large, qu'il couvroit de tous côtés le grand lict de parement, et passoit les bords de la couverture. Dans cette chambre de l'accouchée, il y avoit un grand dressoir tout paré, couvert de vaisselle dorée. Dans ce beau lit étoit la gisante accouchée, vêtue d'une grande robe de soye cramoisie, appuyée sur des oreillers de soye pareille, ornés de gros boutons en perles. Dieu sait les dépenses superflues en fêtes, bains, qui, suivant les usages de Paris, eurent lieu pendant ces couches! Elles furent tellement extraordinaires, quelles méritent d'être citées dans un livre. Il en fut parlé dans la chambre de la reine, et, à cette occasion, quelques uns dirent que les gens de Paris avoient trop de sang; qu'il seroit bon que le roi les chargeât de certains impôts, afin que leurs femmes n'allassent plus se comparer, par leur luxe, à la reine de France[4].»
Au milieu du XVe siècle, il y avoit déjà longtemps que l'usage étoit établi parmi les bourgeoises de Paris et des autres bonnes villes de se rendre visite pendant que l'une d'entre elles étoit en couches. Cet usage avoit donné lieu à des abus qui n'ont pas échappé à la verve railleuse des écrivains satiriques de ce temps. Le premier en date est l'auteur des Quinze joyes de Mariage. Voici en quels termes il a signalé ces abus dans le troisième chapitre de son livre: «Or approche le temps de l'enfantement; il faut que le mari cherche les commères, les nourrices et les matrones, suivant le bon plaisir de la dame. Or il a grand souci de rassembler toutes ces commères, qui boiront du vin autant comme il en contiendroit dans une botte. Or double sa peine, or se voue la dame en sa douleur à plus de vingt pelerinages, et le pauvre homme aussi la voue à tous les saints. Les commères arrivent de toutes pars. On convient que le pauvre homme face tant qu'elles soient contentes. Les dames et les commères parlent, plaisantent, disent de bonnes choses et prennent de l'aise, quiconques en ait la peine et quelque temps qu'il fasse. S'il pleut, gelle ou grèle, et que le mari soit dehors, l'une d'elles pourra bien dire: Helas! mon compère, qui est dehors, a maintenant beaucoup de mal à endurer. Mais une autre repond qu'il est bien heureux. S'il arrive que quelque chose deplaise à ces commères, une d'elles ira dire à l'accouchée: Vraiment, ma commère, je m'emerveille bien, ainsi que toutes mes commères qui sont ici, de ce que votre mari fait si peu de compte de vous et de votre enfant. Regardez ce qu'il feroit si vous en aviez cinq ou six! On voit bien qu'il ne vous aime guères, et cependant, vous lui avez fait en l'épousant plus d'honneurs qu'il n'en advint jamais à nul homme de son lignage.—Par mon serment, dit une autre, si mon mari agissoit ainsi, j'aimerois mieux qu'il n'eût œil en tête, etc., etc., et tant d'autres discours du même genre[5].»
A la fin du chapitre, l'auteur représente le pauvre mari contraint de donner à dîner aux bonnes commères et de les festoyer. «Il y travaille bien, dit-il, et il y mettra moitié plus qu'il ne se l'étoit proposé, afin d'obéir aux désirs de sa femme. Bientôt arrivent les commères; le bonhomme va au devant d'elles et leur fait bon visage. Il est sans chapperon, va, vient par la maison, et semble fou, bien qu'il ne le soit guères. Après avoir presenté les commères à sa femme, il les conduit dans la salle pour les faire manger. Elles dejeunent, elles dînent, elles mangent à se rassasier; elles portent la santé maintenant au lit de la commère, maintenant à la cave du patron, et gaspillent plus de denrées et de vins qu'il n'en tiendroit dans une botte. Le pauvre homme, qui a tout le souci, se lève bien souvent pour voir combien il reste de vin, qui coule beaucoup trop vite. Les commères le taquinent: l'une lui dit un brocard, l'autre lui jette une pierre dans son jardin. Bref, tout se depense. Les commères, bien repues, bien joyeuses, s'en vont en se moquant, peu soucieuses de l'avenir du pauvre homme.»
Guillaume Coquillart, official de l'église de Reims, qui fut un des poètes satiriques les plus hardis de la seconde moitié du XVe siècle, trace un tableau comique et peu flatteur des caquets de l'accouchée. Son langage est très libre et ne se ressent pas du caractère sacré dont l'auteur étoit revêtu. Seulement, il emprunte au sacrifice de la messe et aux prières de l'église ses termes de comparaison. «Au chevet du lit, dit-il, il y a un benitier tout rempli d'eau bénite de cour. Une des commères commence les leçons, une autre chante les réponses. Dans cette messe il y a préface, mais de Confiteor jamais.» Puis il cite quelques uns des caquets en termes assez crus, que nous croyons inutile de reproduire ici[6].
Un autre poète de la même époque, religieux bénédictin, parle aussi contre les caquets de l'accouchée, mais dans un langage plus mesuré. Jean du Castel, chroniqueur de France, abbé de Saint-Maure, fils de Christine de Pisan, dans son Miroir des Pécheurs, décrit en ces termes la chambre d'une accouchée: Il y a là caquetoire paré, tout plein de fins carreaux pour asseoir les femmes qui surviennent, et près du lit une chaise ou faudesteuil garni de fleurs. L'accouchée est dans son lit, plus parée qu'une épousée, coiffée à la coquarde, tant que diriez que c'est la tête d'une marote ou d'une idole. Au regard des brassières, elles sont de satin cramoisi, paille ou blanc, de velours ou de toile d'or et d'argent, que les femmes excellent à choisir. Elles ont colliers autour du cou, bracelets d'or, et sont plus couvertes de bijoux que des idoles ou des reines de cartes; leur lit est garni de draps de Hollande ou de toile de coton de la plus grande finesse, et si bien apreté que pas un pli ne passe l'autre; le bois est taillé à l'antique et orné de marqueteries et de devises[7].»
Gratien du Pont, au commencement du seizième siècle, dans son poème satirique contre le sexe féminin, a tracé un tableau du même genre; seulement, il y ajoute plusieurs détails qui appartiennent à l'époque où il écrivoit. En reproduisant les discours que les muguettes ou femmes à la mode avoient entre elles, il leur fait tenir ces propos: «Helas! commère, avez-vous vu la pompe et la braguerie d'une telle, qui est en couche? C'est une vraie moquerie: elle a deux lits, la popine accouchée! et celui qu'elle occupe est admirablement dressé, un lit à l'antique peint d'or et d'azur, incrusté de nacre. Près d'elle est un muguet, beau parleur et poëte; un prothonotaire qui entretient la dame de ses beaux discours. Il est assis sur une des chaises de drap d'or ou de soie qui parent la chambre au nombre de cinq ou six. La couchette, et même la chambre, sont tendues de même étoffe; enfin cette chambre, toute parfumée, est aussi riche que celle d'une duchesse ou d'une reine. L'accouchée est vêtue d'un corsage d'un fin drap d'or, fourré de martre, qu'elle change chaque dimanche. Des musiciens, joueurs habiles de toutes sortes d'instruments, font entendre une si douce mélodie, qu'on désireroit les écouter sans cesse. De plus, on se divertit par des danses de tous les genres[8].»
Un poète de la même époque, Roger de Collerye, dans un dialogue composé l'année 1512, parle aussi du luxe des accouchées, de leurs colliers, de leurs riches accoutrements, et les représente pompeuses et rogues comme les figures du portail d'une église[9]. Cette mode avoit aussi frappé le satirique par excellence, Henry Estienne; il dit: «qu'on avoit donné à Paris le nom de caquetoires aux siéges sur les quels estans assises les dames (et principalement si c'estoit autour d'une gisante), chacune vouloit monstrer n'avoir point le bec gelé[10].» De même Estienne Pasquier, dans ses Ordonnances d'amour, n'oublie pas de parler des caqueteuses qui bourdonnoient autour du lit des accouchées. En sage législateur qui permet ce qu'il ne peut empêcher, il leur donne licence pour toutes sortes de commérages[11].
Courval Sonnet, poète satirique assez connu, dont les œuvres ont été publiées cette même année, 1622, où parurent les premiers Caquets de l'accouchée, fait allusion, dans une pièce dirigée contre le mariage, au luxe déployé par les femmes dans cette circonstance:
| Les toilettes de nuict et les coiffes de couche, |
| Brassières de satin, quand Madame est en couche, |
| La robbe de damas avec tous ses atours[12]. |
Enfin, Coulange, dans une de ses chansons, célèbre le vieux lit où ses aïeules faisoient leurs couches et en recevoient compliment[13].
§ II.—Recueil général des Caquets de l'Accouchée.
On a pu juger, d'après les détails précédents, que la fable imaginée par l'auteur des Caquets de l'Accouchée est excellente et empruntée aux vieux usages de la bourgeoisie parisienne. Voyons comment elle est mise en œuvre. L'auteur suppose que, relevé naguère d'une grande maladie, il va consulter deux médecins différents d'âge et d'humeur, afin de savoir quel régime il doit suivre pour retrouver toute sa santé. Le plus jeune lui donne le conseil de s'en aller souvent à sa maison des champs, de s'y livrer au jardinage, de boire un peu de vin clairet, puis de remonter sur sa mule et de s'en revenir souper à Paris. Le plus vieux l'engage à se rendre souvent à la comédie, ou bien, s'il le préfère, à chercher une parente, une amie ou une voisine récemment accouchée, à lui demander la permission de se glisser dans la ruelle de son lit, afin d'y écouter tous les propos tenus par les commères réunies autour de l'accouchée. Ce dernier conseil est celui qui sourit le plus à notre auteur. Dès le lendemain il s'empresse de le mettre à exécution. Il s'en va donc rue Quincampoix, autrement dit rue des Mauvaises-Paroles, chez une de ses cousines, où il est bientôt installé sur une chaise tapissée, caché sous les rideaux de la ruelle. «Incontinent après, à une heure attendant deux, arrivèrent de toutes parts toutes sortes de belles dames, damoiselles, jeunes, vieilles, riches, mediocres, de toutes façons, qui, après avoir faict le salut ordinaire, prindrent place chacun selon son rang et dignité, puis commencèrent à caqueter comme il s'ensuit.» (12.) La scène ainsi décrite, l'auteur y introduit ses personnages, qui viennent tour à tour y débiter le rôle qu'il leur prête.
Dans la première journée, l'auteur passe en revue différentes classes de la bourgeoisie parisienne: les officiers de justice, tels qu'avocats, procureurs, notaires au Châtelet; les officiers municipaux, tels que le prévôt des marchands, les échevins et autres; les partisans, les prêteurs sur gages, les financiers, sont mis tour à tour sur la sellette, et assez maltraités. L'auteur ne craint pas de dire le nom des usuriers, des enrichis célèbres de cette époque. Il lance plusieurs traits acérés aux partisans de la réforme, contre lesquels il écrira plus loin une page très éloquente. Il excelle à faire tenir aux acteurs qu'il met en scène un langage en harmonie avec leur caractère, et disposé de telle sorte qu'ils se chargent de faire leur propre satire. Dans ce genre, rien de plus ingénieux que le récit de la marchande qui le matin même avoit vendu la robe de noce à la fiancée d'un petit trésorier de province. (Voir plus loin, p. 17.)
La seconde journée est principalement consacrée aux affaires de la politique et de la religion. L'auteur parle en termes assez durs du connétable de Luynes et de ses deux frères. Il cite quelques vers injurieux qui couroient contre le premier (p. 66). Au sujet de la chute rapide du marquis d'Ancre et du connétable de Luynes, une dame de la cour tient ce propos: «Pour trois pelerins qui alloyent en Emaüs, on vit aussitost naistre quatre evangelistes dans le conseil.» (P. 67.) Les trois pèlerins d'Emaüs, ce sont les frères de Luynes, ainsi qu'on peut le comprendre d'après ce qui est dit plus haut; mais les quatre évangélistes, qui sont-ils? Henri, IIe du nom, prince de Condé, en est un bien certainement, puisque la dame de cour ajoute: «Maintenant on ne faict plus rien que par l'advis de M. le prince de Condé, etc.» (P. 67.) Mais quels sont les trois autres évangélistes? C'est une question qui, pour être complétement résolue, nous entraîneroit un peu loin; nous nous contenterons de la signaler.
Quant aux affaires de la religion, elles avoient assez d'importance en 1622 pour exercer la langue de nos commères. L'auteur débute par quelques détails sur les réjouissances qui eurent lieu dans Paris au sujet de la canonisation de sainte Thérèse; puis, après avoir parlé des Cordeliers, des Carmélites, des pères de l'Oratoire et des Jésuites, il met en scène une vieille bourgeoise chaperonnée à l'antique, qui, interpellant une réformée, fait observer qu'elle a lu Calvin, Clément Marot et Bèze, et une infinité de grands philosophes. «Mercy de ma vie, reprend la religionnaire piquée au vif, oui, je les ai lus; qu'en voulez-vous dire, vieille sans dents? Continuant ce propos, elle déclare que les gens de sa secte ne cherchent que concorde, fraternelle amitié, et ne veulent que réformation.—C'est bien à faire à vous de nous reformer! reprend la vieille; il y a douze cens ans que la France a quitté son erreur pour s'enroller sous les drappeaux de la vraye eglise; et aujourd'huy une femme voudra la reformer! Il ne faut qu'un Calvin, qu'un Luther, et deux autres moines reniez et appostatz pour faire refleurir l'ancienne majesté de l'Eglise!»
Ici l'auteur interrompt cette vive querelle pour lancer contre les réformés un trait d'autant plus vif qu'il est inattendu. «Un petit chien, dit-il, qu'une certaine damoiselle de la rue S.-Paul portoit pour passe-temps, entendant parler de Calvin, leva sa teste, croyant qu'on l'appellast, car c'estoit son nom, ce qui fust assez remarqué de la compagnie; mais sa maistresse le resserra sous sa cotte, de peur de faire deshonneur aux saintz.» Puis, reprenant son propos, il fait tenir à la vieille bourgeoise ce discours: «D'où sont venues toutes les guerres civilles qui ont miné et deserté toute ceste monarchie depuis quatre-vingt ou cent ans? Vostre religion n'a-t-elle pas allumé le feu aux quatre coins de la France? N'avons-nous pas vu, au moins mon père me l'a dit cent fois, depuis l'avenement du roy Henry II à la couronne jusqu'à maintenant, tout ce royaume bouleversé pour vostre subjet? On vous a veu naistre tous armez comme les gens d'armes de la Toison-d'Or, que Jason deffit; à peine eustes-vous sucé la doctrine impie de Calvin et de Luther, que vous minutastes dès lors la ruine de ceste couronne. N'avez-vous pas fait des extorsions estranges où vostre fureur et vostre rage a peu avoir le dessus? Combien de provinces, de villes, de bourgades et de bonnes maisons ont été ruinées par vos partisans! La Guienne, le Languedoc, les plaines de Jarnac, de Moncontour, de Dreux, et une infinité de fleuves, sont empourprés de sang, et jamais, toutesfois, la fortune ne vous a esté favorable en toutes les rencontres et batailles qui se sont données contre vous; le Ciel n'a jamais secondé vos monopoles; vos gens y ont tousjours laissé les bottes, et aujourd'huy il y en a entre vous de si acharnez qu'ils en recherchent les eperons. Il s'agissoit alors de la religion, c'estoit à vous à vous deffendre; mais maintenant que le roy veut proteger tous ses sujets en paix, sous l'authorité de ses edits..., ceux de la religion luy ferment les portes, font des assemblées et monopoles contre son service, tranchent du souverain en leurs factions, disposent des provinces et deniers royaux, constituent gouverneurs où bon leur semble, partagent tout ce royaume à leur volonté, bref, se persuadent que la France ne doive plus respirer que par leur moyen. Vous voilà tantost à la fin de la carrière. Le Roy tient le haut bout. Plusieurs viendront collationner en Grève pour aller soupper en l'autre monde.» (P. 85.)
On nous pardonnera cette citation, bien qu'un peu longue, en faveur de l'éloquente indignation dont l'auteur a fait preuve; on y retrouve cette haine invétérée des habitants de Paris contre la religion nouvelle. Il suffit de se reporter à l'histoire de nos guerres de religion du seizième au dix-septième siècle pour comprendre la portée de ce discours.
Dans la troisième journée, la conversation roule principalement sur la bourgeoisie parisienne, dont les différentes classes sont censurées avec une verve impitoyable des plus amusantes. Ce sont d'abord les gens de finance et de robe: trésoriers, greffiers, notaires et plusieurs autres; les médecins et les apothicaires viennent après eux, et ne sont pas épargnés. L'auteur trouve le moyen de faire une petite digression sur les livres et opuscules nouveaux qui se débitoient et sur les bévues commises par les imprimeurs. Il cite entre autres deux Vies de sainte Thérèse, dans l'une desquelles on fait dire à l'auteur que cette sainte avait eu deux pères. Les femmes et les filles de la bourgeoisie fournissent aussi leur bonne part aux caquets de l'assemblée; on y raconte, en les amplifiant beaucoup, nous aimons à le croire, les tromperies que les unes faisoient à leurs maris, ou les autres à leurs parents.
Ces trois journées composent la première partie, et la plus originale, du recueil d'opuscules connu sous le nom de Caquets de l'Accouchée. Elles seules ont été publiées sous ce titre, et elles doivent sortir de la même plume. Les autres pièces, imprimées, chacune avec un titre différent, aussi pendant l'année 1622, sont, nous le croyons, de plusieurs mains[14]. Du reste, ceux qui les ont écrites ont suivi le même plan que l'auteur des trois Caquets, c'est-à-dire que, tout en devisant des nouvelles du jour, ils ont consacré chaque pièce à un sujet particulier. Ainsi, dans la quatrième assemblée, il est surtout question des mariages que les différentes classes de la bourgeoisie parisienne contractoient les unes avec les autres, et des mésalliances que faisoit trop souvent la noblesse pour s'enrichir. On y raconte plusieurs aventures tragiques ou scandaleuses, telles que l'histoire de la comtesse de Vertus, contrainte par son mari d'assister au meurtre de son amant (p. 139); celle du soufflet donné par un gentilhomme à un conseiller dans la galerie du Palais (p. 142). Entre les noms restés plus ou moins célèbres donnés par l'auteur à la fin de cette assemblée, je citerai celui de la duchesse de Chevreuse, qui, à cette époque, venoit d'épouser en secondes noces Claude de Lorraine. Une maîtresse des comptes s'exprime ainsi: «Je pense qu'elle n'a pas grand credit, encore qu'elle se veuille faire appeler Madame la Princesse. Je sçay bien qu'il y eut l'autre jour un grand bruict au Louvre pour cela, et qu'on lui fit de bonnes reprimandes.»
Au commencement de la cinquième assemblée, les affaires de la religion et de la politique reviennent de nouveau sur le tapis. Les exactions commises durant les siéges de Montauban, de Montpellier et de La Rochelle, par des fournisseurs infidèles, sont impitoyablement signalées. Nos commères parlent tout d'abord d'un certain Desplan, qui, de laquais du prince de Condé, s'éleva, par la faveur du connétable de Luynes, au grade de maréchal de France; viennent après les maréchaux de Bassompierre et de Créqui et le connétable de Lesdiguières, qui tous trois sont assez rudement traités.
Avant de parler de ces illustres personnages, l'auteur introduit dans la chambre de l'accouchée deux femmes célèbres des règnes de Henri IV et de Louis XIII, la duchesse de Verneuil (Henriette de Balzac d'Entragues) et Mathurine, folle de la reine Marie de Médicis. En 1622, cette duchesse de Verneuil, qui, vingt années auparavant, put se croire un instant reine de France, n'avoit encore que quarante-trois ans. Ce n'étoit plus cette femme séduisante au point que, même après son mariage et malgré des trahisons de toute sorte, Henri IV resta plusieurs années son amant. Il ne rompit avec elle que vers l'année 1608. «Alors, dit Tallemant des Réaux, elle se mit à faire une vie de Sardanapale ou de Vitellius; elle ne songeoit qu'à la mangeaille, qu'à des ragoûts, etc. Elle devint si grasse qu'elle en étoit monstrueuse; mais elle avoit toujours bien de l'esprit.[15]» Bassompierre avait eu long-temps pour maîtresse Marie d'Entragues, sœur de la duchesse de Verneuil. En 1609, il eut d'elle un fils, Louis de Bassompierre, mort évêque de Saintes. Marie d'Entragues avoit obtenu de son amant une promesse écrite de mariage, et lui en avoit fait une autre de ne jamais s'en servir. Elle prenoit quelquefois le nom de madame de Bassompière. Au Cours-la-Reine, son carrosse fut arrêté devant celui de Marie de Médicis, qui étoit accompagnée du maréchal: «Ah! dit la reine, voici madame de Bassompierre.—Ce n'est que son nom de guerre, reprit assez haut le maréchal pour être entendu.—Vous êtes un sot, Bassompierre, lui dit Marie d'Entragues.—Il n'a pas tenu à vous, Madame.» Et les deux carrosses de s'éloigner. On comprend pourquoi la duchesse de Verneuil n'étoit pas d'humeur à entendre parler de Bassompierre; aussi la voyons-nous s'éloigner au plus tôt.
Quant à Mathurine, c'étoit une femme d'assez bas étage, qui jouoit à la cour de Marie de Médicis le rôle de folle du logis, et qui, sous ce prétexte, avoit acquis le droit de dire à chacun toutes ses vérités. Du Perron, contre lequel cette femme dispute dans le premier chapitre du deuxième livre de la Confession de Sancy, lui reproche toutes sortes de vilenies, dont quelques unes pourroient bien être vraies. Il est certain qu'elle touchoit une pension de la reine, et que les petits enfants couroient après elle dans la rue, en criant: Aga! Mathurine la folle! Plusieurs pièces satiriques de ce temps furent publiées sous son nom. Sa présence, dans la chambre de l'accouchée à ce cinquième Caquet, donna l'idée à quelque esprit libre et facétieux d'écrire une petite pièce intitulée les Essais de Mathurine. On y trouve plusieurs traits piquants et spirituels, mais ils sont gâtés par un cynisme de langage que n'excuse même pas l'état de folie du personnage à qui on le prête. Nous y avons remarqué, du reste, un curieux détail sur la vogue obtenue par les Caquets de l'Accouchée: «Vous autres lisarts, n'avez-vous point leu certain petit fatras qui se nomme le Caquet de l'Accouchée? Si avez, sans doute, si avez, car il s'en est vendu plus que d'epistres familières ou d'oraisons des saincts.» Malgré tout, cette pièce ne peut nullement entrer en comparaison avec les Caquets, qu'elle semble avoir pour but de censurer.
Nos bourgeoises terminent cette cinquième assemblée par des propos méchants dirigés contre leurs voisines. C'est un tableau de mœurs assez piquant et assez joliment esquissé. Le tout est couronné par un caquet sur le comte de Mansfeld[16].
La sixième assemblée est consacrée à une apologie railleuse fort amusante du sexe féminin; elle est écrite avec autant de verve que de malice. Nous avons remarqué que l'auteur, à propos du courage déployé par les femmes, s'exprime ainsi sur Jeanne d'Arc: «N'avons-nous pas cette généreuse guerrière en France, la Pucelle d'Orléans, qui s'est signalée en tant de combats, rencontres, en tant d'assauts et batailles, sans aller en Thrace chercher les antiques Amazones?»
Nous n'avons rien à dire des deux dernières assemblées, dans lesquelles il n'est question que d'aventures privées et de commérages de quartier. On y parle à plusieurs reprises du bruit que faisoient dans Paris les premiers Caquets de l'Accouchée. Les petits cahiers sont lus et examinés soigneusement par nos commères, qui ne tardent pas à reconnoître le portrait et l'historique des unes et des autres, et à se les signaler entre elles impitoyablement. Dans la septième journée, l'auteur explique comment il a pris soin de se déguiser en apothicaire, de ne pas prendre sa place accoutumée dans la ruelle de sa cousine, et de se mettre au bout de la tapisserie. C'est le moment qui a été choisi par Abraham Bosse dans cette gravure où il nous a si bien représenté la chambre de l'accouchée. Une des commères, femme d'un huissier à verge, propose à ses compagnes de rédiger une lettre de désaveu, que l'on trouve jointe à la sixième journée. Enfin, dans l'Anti-Caquet, sous prétexte de répondre aux accusations différentes portées contre les diverses classes de la bourgeoisie parisienne, l'auteur ajoute de nouveaux détails à ceux qu'il a donnés, et cite plusieurs noms, tant parmi les médecins que parmi les gens de robe ou de finance. Cette petite pièce, écrite sur le même ton et dans le même style que les quatre premières, paroît être sortie de la même plume.
Nous avons signalé précédemment les principaux personnages et les événements historiques dont il est question dans les Caquets de l'Accouchée; nous ajouterons qu'on y trouve aussi, sur l'histoire physique et morale de Paris, des détails nombreux, qu'il seroit trop long d'énumérer ici. Nous indiquerons seulement, dans le premier Caquet, ceux qui ont rapport au Pont-Neuf et au charlatan (p. 10), au feu de la Saint-Jean (23), à l'hôpital Saint-Germain (p. 25), à la construction du Pont-au-Double (p. 41); dans le second, la fête de la canonisation de sainte Thérèse (p. 48), l'incendie du Pont-au-Change et la cherté du loyer des maisons (p. 58), les voleurs (p. 70), les revenants et mauvais esprits; la statue de Cérès du couvent des Carmélites (p. 74), les Pères de l'Oratoire (p. 78) et les Jésuites (p. 82).
Nous devons encore signaler la dernière des trois pièces que nous avons jointes aux Caquets de l'Accouchée; elle a pour titre: Sentence par corps obtenue par plusieurs femmes de Paris contre l'auteur des Caquets. C'est une facétie très spirituelle écrite dans le style du Palais, qui attribue la composition des Caquets au baron de Grattelart, un des farceurs de ce temps. Mondor, Tabarin et sa femme portent plainte devant Gautier Garguille; celui-ci fait faire une enquête par Gros-Guillaume, Jean Farine et La Vigne, autres farceurs de la même époque, qui demandent et obtiennent jugement contre le coupable. Cette pièce, des plus rares, est une nouvelle preuve du succès de vogue obtenu par l'auteur de ces satires, aussi mordantes que hardies.
§ III. Auteur des Caquets de l'Accouchée.—Editions originales et réimpressions.—Méthode suivie dans cette nouvelle édition.
Non seulement l'auteur des Caquets de l'Accouchée a gardé le plus strict anonyme, mais encore il a eu soin de ne rien dire qui pût faire deviner à quelle classe de la société parisienne il appartenoit. Cette phrase de l'avis au lecteur dans l'édition de 1623: Quand tu sçaurois quel je suis, volontiers agrerois-tu davantage cet œuvre, voyant qu'estant ce que Dieu m'a faict naistre et colloqué en un rang qui me separe du vulgaire, etc., paroît se rapporter plutôt au caractère de l'auteur qu'à sa condition. D'ailleurs, nous ne pensons pas que l'anonyme réviseur de l'édition collective de 1623 soit l'auteur des pièces originales publiées l'année précédente. Nous n'en voulons pour garant que les mutilations maladroites qu'il a fait subir à ces pièces sans aucune nécessité. Il est facile de comprendre pourquoi l'auteur des Caquets a pris tant de précautions afin de rester inconnu. Les hardiesses de ses satires, l'audace avec laquelle il nommoit tous ses personnages, l'eussent sans nul doute exposé à toutes sortes de désagréments. Le titre des quatre premières pièces originales ne porte aucun nom de ville ni d'imprimeur; dans celles où le nom de Paris est indiqué, imprimeur et libraire ont eu soin de se cacher sous un facétieux pseudonyme, tel que: De l'imprimerie de Lucas Joffu, comédien ordinaire de l'Isle du Palais.
On a pensé que Deslauriers, comédien de l'hôtel de Bourgogne, qui, sous le nom de Bruscambille[17], a publié plusieurs ouvrages facétieux, pourroit bien avoir écrit les Caquets de l'Accouchée. Le judicieux auteur de l'Analectabiblion, qui émet cette opinion sous toutes réserves, trouve entre les Fantaisies de Bruscambille et les Caquets une certaine conformité de tour d'esprit et d'historiette[18]. Il est possible que des historiettes racontées dans les Caquets soient empruntées aux œuvres de Deslauriers. Malgré tout, entre le style et le genre d'esprit de l'auteur des Caquets et le comédien de l'hôtel de Bourgogne nous trouvons une différence trop grande pour accepter ce rapprochement. Nous croyons plutôt que c'est dans la magistrature parisienne qu'il faut chercher l'auteur anonyme. Quel que soit le rang qu'il ait eu, quelle que soit la profession qu'il ait exercée, on ne peut lui refuser une grande connoissance des affaires politiques et religieuses de son temps. Plusieurs des opinions qu'il émet sont dans un tel accord avec celles que professoit le cardinal de Richelieu qu'il est impossible de chercher l'auteur anonyme autre part que dans les serviteurs du célèbre ministre. Un heureux hasard fera peut-être un jour découvrir ce petit mystère, resté jusqu'à présent impénétrable.
Les Caquets de l'Accouchée, avons-nous dit plus haut, furent publiés dans le cours de l'année 1622, sous des titres différents. Voici ces titres, que nous copions sur les originaux:
1º Le Caquet de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 24 pages, y compris le titre.
2º La seconde Après-Disnée du Caquet de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 32 pages, y compris le titre.
3º La troisiesme Après-Disnée du Caquet de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 32 pages, y compris le titre.
4º La dernière et certaine Journée du Caquet de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 24 pages, y compris le titre.
5º Le Passe-Partout du Caquet des Caquets de la nouvelle Accouchée. MDCXXII, in-8 de 32 pages avec le titre.
6º La Responce aux trois Caquets de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 16 pages, y compris le titre. En tête de la page 3 on lit: La Responce des Dames et Bourgeoises de la ville de Paris au Caquet de l'Accouchée. Une autre édition de la même pièce porte le titre suivant: La Responce des Dames et Bourgeoises de Paris au Caquet de l'Accouchée, par mademoiselle E. D. M. A Paris, chez l'imprimeur de la Ville, à l'enseigne des Trois-Pucelles.
7º Les dernières Parolles ou le dernier Adieu de l'Accouchée.—Ensemble ce qui c'est passé en la dernière visite et quatriesme Après-Disnée des Dames et Bourgeoises de Paris. A Paris, de l'imprimerie de Lucas Joffu, comédien ordinaire de l'Isle du Palais. MDCXXII, in-8 de 16 pages, y compris le titre.
8º Le Relevement de l'Accouchée. A Paris, MDCXXII, in-8 de 16 pages, y compris le titre.
A ces huit pièces il faut en joindre trois autres qui ont été publiées cette même année 1622, et qui sont un complément nécessaire du recueil:
1º L'Anti-Caquet de l'Accouchée. MDCXXII, in-8 de 14 pages, y compris le titre.
2º Les Essais de Mathurine. S. L., S. D., in-8 de 16 pages, y compris le titre.
3º La Sentence par corps obtenue par plusieurs femmes de Paris contre l'autheur des Caquets de l'Accouchée. A Paris, etc., MDCXXII, 16 pages, y compris le titre.
L'année 1623, les huit premières pièces seulement servirent à la composition d'un recueil au sujet duquel nous allons donner quelques détails. Voici le titre de la première édition:
Recueil général des Caquets de l'Accouchée, ou Discours facétieux où se voit les mœurs, actions et façons de faire des grands et petits de ce siècle; le tout discouru par Dames, Damoiselles, Bourgeoises et autres, et mis par ordre en VIII après-dinées qu'elles ont faict leurs assemblées, par un secretaire qui a le tout ouy et escrit, avec un discours du Relevement de l'Accouchée.
Imprimé au temps de ne se plus fascher. (Paris,) 1623, petit in-8.
Cette édition du Recueil général est la plus recherchée; elle a 200 pages, précédées de 4 feuillets qui contiennent un frontispice gravé, un titre, un avis au lecteur et des vers de l'auteur anonyme, que nous avons reproduits.
Il a été fait en 1624 deux éditions de ce recueil, petit in-8, qui sont aussi très recherchées. L'une contient 3 feuillets préliminaires, 198 pages et un frontispice gravé; l'autre comprend 180 pages, sans compter les feuillets préliminaires et le frontispice gravé.
Il y a aussi une édition de 1625, avec un titre gravé portant le millésime de l'année précédente.
Citons encore, ajoute M. Brunet dans son Manuel du Libraire, t. 4, p. 45, les éditions de Poitiers, par Abr. Mounin, 1630, petit in-8.—De Troyes, Claude Bridon, ou Nicolas Oudot, 1630, petit in-8 de 94 feuillets non chiffrés et 2 feuillets préliminaires (sous le titre de Recueil général des quaquets [sic]).—De Troyes, Denis Clément (sans date), petit in-8 de 95 feuillets non chiffrés, signés A. M.—De Troyes, Nic. Oudot (sans date), petit in-8 de 2 et 72 feuillets non chiffrés.
Nous avons comparé plusieurs de ces éditions les unes avec les autres: elles reproduisent toutes le texte de l'édition de 1623; seulement, plus elles s'éloignent de cette date, plus elles contiennent de fautes. En 1847, une réimpression textuelle du Recueil général des Caquets de l'Accouchée, d'après l'édition de 1625, fut faite à Metz, petit in-8 carré, et tirée seulement à soixante-seize exemplaires. Cette réimpression est suivie d'une notice de l'éditeur, signée L. H. F.
Il faut signaler entre les pièces originales et les éditions collectives des différences notables que le réviseur a cru devoir introduire afin de donner au livre une plus grande uniformité. Ces changements sont faits avec assez de maladresse, comme on peut en juger d'après le début et la fin du sixième Caquet. (Voir page 195 et page 210.)
Nous n'avions qu'une marche à suivre pour cette nouvelle édition: réimprimer textuellement les pièces originales, en y joignant les principales variantes d'après l'édition collective de 1623; ajouter les trois pièces l'Anti-Caquet, les Essais de Mathurine et la Sentence par corps, qui, depuis l'année 1622, n'ont jamais été réimprimées; ajouter au texte le plus d'éclaircissements possible sur les événements et les personnages dont il est question dans les Caquets de l'Accouchée. M. Edouard Fournier, connu par des travaux excellents sur l'histoire de la ville de Paris, s'est chargé de cette dernière partie, aussi longue que difficile. A force de recherches dans les documents des règnes de Henri IV et de Louis XIII, presque tous les points importants traités par l'auteur des Caquets ont été éclaircis, et presque tous les noms propres, souvent obscurs, ont été les objets de notices biographiques. Cependant plusieurs noms et plusieurs faits sont restés impénétrables: M. Fournier a préféré garder le silence que d'émettre des conjectures. Un index de tous les noms cités dans ce Recueil nous a paru nécessaire pour faciliter les recherches, car nous espérons que ce livre, qui n'a été considéré jusqu'à présent que comme une facétie divertissante, sera classé dorénavant parmi les ouvrages historiques, échos fidèles des préjugés et des opinions d'une époque.
Le Roux de Lincy.
APPENDICE.
I.
Car, puisque nous sommes à parler des marchandes, ne fut-ce pas voirement grand oultraige à cette femme de marchand de vivre voire comme marchant. Ce n'est mie comme ceulx de Venise ou de Gennes, qui vont oultre-mer et par tous pays ont leurs facteurs, achaptent en gros et font grandz fraiz, et puis semblablement envoyent leurs marchandises en toutes terres, à grandz fardeaulx, et ainsi gaignent grandz richesses, et tels sont appellez nobles marchantz; mais celle dont nous disons achapte en gros et vend en detail pour quatre souz de denrées, se besoing est, ou pour plus ou pour moins, quoiqu'elle soit riche et portant trop grand estat. Elle fist une gesine d'ung enfant qu'elle eut n'a pas longtemps. Ains qu'on entrast dans sa chambre, on passoit par deux autres chambres moult belles, où il y avoit en chascune un grand lict, bien et richement encourtiné; et, en la deuxiesme, ung grand dressoir, couvert comme ung autel, tout chargé de vaisselle d'argent; et puis, de celle-là on entroit en la chambre de la gisante, laquelle estoit grande et belle, toute encourtinée de tapisserie faicte à la devise d'elle, ouvrée très richement de fin or de Chippre; le lict grand et bel, encourtiné d'ung moult beau parement, et les tappis d'entour le lict mis par terre, sur quoy on marchoit, tous pareilz à or. Et estoient ouvrez les grandz draps de parement, qui passoient plus d'un espan par soubz la couverture, de si fine toille de Reims, qu'ils estoient prisez à trois cens frans; et tout par dessus le dict couvertouer à or tissu estoit ung autre grand drap de lin aussi délié que soye, tout d'une pièce et sans cousture, qui est une chose nouvellement trouvée à faire et de moult grand coust, qu'on prisoit deux cens frans et plus, qui estoit si grand et si large qu'il couvroit de tous lez le grand lict de parement, et passoit le bort du dict couvertouer qui traisnoit de tous les costez; et en cette chambre estoit ung grand dressoir tout paré, couvert de vaisselle dorée; et en ce lict estoit la gisante, vestue de drap de soye tainct en cramoisy, appuyée de grandz oreillez de pareille soye, à gros boutons de perles, atournée comme une damoyselle. Et Dieu scet les autres superfluz despens de festes, baigneries, de diverses assembleez, selon les usaiges de Paris à accouchées, les unes plus que les autres, qui là furent faictes en celle gesine! Et pour ce que cest oultraige passa les autres (quoy qu'on en face plusieurs grandz), il est digne d'estre mis en livre. Si fust ceste chose rapportée en la chambre de la Royne, dont aucuns dirent que les gens de Paris avoient trop de sang, dont l'abondance aucunes fois engendroit plusieurs maladies. C'estoit à dire que la grand habondance de richesses les pourroit bien faire desvoyer; et pour ce seroit le mieulx que le roy les chargeast de aucun ayde, emprunt ou taille; par quoy leurs femmes ne se allassent plus comparer à la royne de France, qui guères plus n'en feroit. (Fº 107 de le Trésor de la cité des dames, selon dame Christine, de la cité de Pise, livre très utile et prouffitable pour l'introduction des roynes, dames, princesses et autres femmes de tous estats, auquel elles pourront veoir la grande et saine richesse de toute prudence, saigesse, sapience, honneur et dignité dedans contenue.—Avec privilége.—1536, in-8.)
II.
Or approche le temps de l'enfantement; or convient qu'il ait compères et commères à l'ordonnance de la dame; or a grand soussy pour querir ce qu'il faut aux commères et nourrisses et matrones qui y seront pour garder la dame tant comme elle couchera, qui beuvront de vin autant comme l'en en bouteroit en une bote. Or double sa peine; or se voue la dame en sa douleur en plus de vingt pelerinages, et le pauvre homme aussi la voue à tous les saincts. Or viennent commères de toutes pars; or convient que le pauvre homme face tant que elles soient bien aises. La dame et les commères parlent et raudent et dient de bonnes chouses, et se tiennent bien aises, quiconques ait la peine de le querir, quelque temps qu'il face; et s'il pleut, ou gelle, ou grelle, et le mary soit dehors, l'une d'elles dira ainsi: Hellas! mon compère, qui est dehors, a maintenant mal endurer! Et l'autre repond qu'il n'y a force et qu'il est bien aise. Et s'il avient qu'il faille aucune chose qui leur plaise, l'une des commères dira à la dame: Vraiment, ma commère, je me merveille bien, si font toutes mes commères qui cy sont, dont vostre mary fait si petit compte de vous et de vostre enfant! Or, regardez qu'il feroit si vous en aviez cinq ou six. Il appert bien qu'il ne vous ayme guères: si lui feistes-vous le plus grand honneur de le prendre qu'il avenist oncques à pièce de son lignage.—Par mon serment, fait l'autre des commères, si mon mary le me faisoit ainsi, je ameroye mieux qu'il n'eust œil en teste.—Ma commère, fait l'autre, ne lui accoustumez pas ainsi à vous lesser mettre sous les piez, car il vous en feroit autant ou pis, l'année à venir, à vos autres accouchemens, etc., etc. . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Or de sa part, le proudomme fait aprester à diner selon son estat, et y travaille bien, et y mettra plus de viande la moitié que au commencement propousé n'avoit, par les ataintes que sa femme lui a dites. Et tantoust viennent les commères, et le proudomme va au devant, qui les festoye et fait bonne chière, et est sans chapperon par la meson, tant est jolis, et semble un foul, combien qu'il ne l'est pas. Il maine les commères devers la dame en sa chambre et vient le premier devers elle, et lui dit: M'amie, voyez cy vos commères qui sont venues.—Ave Maria, fait-elle, je amasse mieulx qu'elles fussent à leur meson, etc. Lors les commères entrent; elles desjunent, elles disnent, elles menjent à raassie; maintenant boivent au lit de la commère, maintenant à la cuve, et confondent des biens et du vin plus qu'il n'en entreroit en une bote; et à l'aventure il vient à barrilz où n'en y a que une pipe. Et le pouvre homme, qui a tout le soussy de la despense, va souvent voir comment le vin se porte quand il voit terriblement boire. L'une lui dit ung brocart, l'autre li gette une pierre dans son jardin. Briefvement, tout se despend; les commères s'en vont bien coiffées, parlant et janglant, et ne s'esmoient point dont il vient...., etc. (26 des Quinze Joyes de mariage; nouvelle édition, conforme au manuscrit de la Bibliothèque de Rouen, etc. Paris, Bibliothèque elzevirienne de P. Jannet, 1853.)
Le passage suivant, des Ténèbres de Mariage, complète le tableau:
| Quand vient à l'enfant recevoir, |
| Il fault la sage-femme avoir, |
| Et des commères un grand tas. |
| L'une viendra au cas pourvoir; |
| L'autre n'y viendra que pour veoir |
| Comme on entretient telz estatz. |
| Vous ne vistes oncq tel caquet: |
| Çà ces drapeaux, çà ce paquet, |
| Çà ce baing, ce cremeau, ce laict |
| Et voilà le povre Jaquet |
| Qui luy servira de naquet, |
| De chamberière et de varlet. |
III.
(Guillaume Coquillart, Poëmes des droits nouveaux, t. 1, p. 134, des œuvres complètes (publiées par M. Tarbé). Reims-Paris, 1847, in-8, 2 vol.)
IV.
(Controverses des sexes masculin et fœmenin. Paris, Denis Janot, etc. 1540, pet. in 8, fº 32, Rº [par Gratien du Pont].)
V.
(Dyalogue composé l'an mil cinq cent douze pour jeunes enfans [Œuvres de maistre Roger de Collerye, etc. Paris, Bibliothèque elzevirienne de P. Jannet, 1855, in-16].)
VI.
«17.—Deffendons de faire le procès extraordinaire à quelques personnes que ce soit, si ce n'est chez les accouchées ou autres bureaux solennels à ce expressement dediez, ausquels lieux seront traictez et decidez tous affaires d'Estat, et signamment ceux qui concernent les mariages inegaux, soit pour le regard de l'aage, des mœurs ou des biens; et pareillement les bons ou mauvais traictements des maris à l'endroict de leurs femmes, et au reciproque, des femmes envers leurs maris; les entreprinses qui se font par unes et autres dames au pardessus de leurs puissances et dignitez, et, à peu dire, toutes telles matières qui regardent tant la police que le criminel. En quoy nous enjoignons et très expressément commandons à toutes dames, damoiselles et bourgeoises, de quelque état et condition qu'elles soient, vuider sommairement et de plein telles matières, sans aucun respect ou acception de personnes.»
(Est. Pasquier, Ordonn. générales
d'amour... Paris, 1618, in-8, p. 8.)
VII.
Sur un vieux lit de famille retrouvé à Susy, chez madame Amelot.
Sur l'air: Enfin, grâce au dépit.
(Recueil de Chansons [par Coulanges].
Paris, 1694, in-8, p. 72.)
RECUEIL GENERAL
DES CAQUETS
DE L'ACCOUCHÉE
Ou discours facecieux où se voit les mœurs, actions et façons de faire de ce siècle,
Le tout discouru par Dames, Damoiselles,
Bourgeoises et autres,
Et mis par ordre en viij. après-dinées, qu'elles
ont faict leurs
assemblées, par un Secretaire
qui a le tout ouy et escrit;
Avec un discours du relevement de l'Accouchée.
Imprimé au temps de ne se plus fascher
M.DC.XXIII.
AU LECTEUR CURIEUX[19].
Quelques critiques (m'asseuray-je), voyant que le frontispice de ces diverses journées du Caquet de l'Accouchée n'est decoré d'aucun tiltre autre que celuy que la qualité de la chose luy donne, riront à gorge desployée du secretaire qui a ramassé une chose infructueuse pour en faire part au public, et d'une imposture s'efforceront à ternir sa reputation. Mais je ne veux en cela arrester leur ordinaire regime, m'estant une chose indifferente ce qu'ils en pourront dire, pardonnant aussi librement à leur calomnie comme l'on pardonne aux corbeaux croassans, parce qu'ils ont ce langage de nature: jamais les corps des cyones n'ont esté plus invulnerables aux traicts des centaures que mon ame l'est au langage des langues mesdisantes. Ce n'est à eux ny pour eux que je me suis adonné à ceste occupation, ains pour les esprits vuides de passion, et qui, desireux de ronger la moelle des escrits, ne s'arrestent à l'escorce. La chose, pour naïfve qu'elle soit, contient en soy de l'enphaze, et, sous des apparences basses, il y a des effects relevez dignes de contenter les ames les plus difficiles. Voy donc, amiable lecteur, cest ouvrage de bon œil; il n'a esté mis au jour que pour reformer les mœurs, reigler les actions et retrancher les abus. Cet escrit ne retient rien de la flatterie; il publie murement les choses comme elles sont, retenant de la liberté de vivre des anciens, qui preferoient le supplice à la complaisance. Quand tu sçaurois quel je suis, volontiers agrerois-tu davantage cet œuvre, voyant qu'estant ce que Dieu ma faict naistre, et colloqué en un rang qui me separe du vulgaire, tu croirois qu'il y auroit apparence que je ne me fusse appliqué à ce travail s'il n'estoit profitable. Je cache mon dessein aussi bien que mon nom pour ce coup, me contentant de t'asseurer qu'aucune intention de mesdire ne m'a faict prendre tant de peine, mais seulement afin que plusieurs qui se recreront en la lecture de ceste pièce profitent de mon labeur. Lis attentivement cet abregé de la vicissitude humaine, et tu trouveras quelque chose propre à assouvir ton appetit, si au moins, desbauché et despravé, toutes sortes de viandes ne luy sont à cœur. Adieu.
VERS DE L'AUTHEUR[20]
LE CAQUET
DE L'ACCOUCHÉE
M.DC.XXII[21].
Nouvellement relevé d'une grande et penible maladie, de laquelle j'avois esté fort bien pensé, me donna le subject de me gouverner doresnavant par le regime de vivre que l'on m'en donneroit: pour quoy je fis assembler deux medecins de divers aages et diverses humeurs, qui, après m'avoir veu en bon estat, chacun d'eux dict son advis sur mon futur gouvernement et pour retourner en ma pristine santé.
Le plus jeune oppina le premier, et me dit qu'il donnoit conseil à autruy selon qu'il se gouvernoit luy-mesme, qui estoit d'aller souvent en sa maison des champs pour secoüer l'oreille de la tulippe et du martigon, faire cinq ou six tours de jardin, prendre la dragme du vin clairet, puis monter sur son mulet et s'en revenir soupper à Paris, et qu'ainsi l'air des champs divertissoit les mauvaises humeurs, restauroit les membres et reveilloit l'esprit.
L'autre medecin, plus vieil, fut d'advis que ce plaisir estoit trop court, et que, souvent reyteré, en fin il ennuyoit plus qu'il ne donnoit de plaisir; pour son regard, qu'il ne trouvoit point un plus grand divertissement d'esprit que la comedie, la tragedie et la farce, et que souvent il la faisoit joüer en sa presence, et par ses enfans mesmes[22], sans avoir esgard à ce vieux dicton: Corrumpunt mores colloquia prava, et quoy que, parmy ces jeux, les enfans impriment mille astuces et fallaces en leurs ames, se mocquans ordinairement de toutes personnes sans suject. Mais passe, c'est pourtant un des plaisirs que je vous conseille de prendre, plaisir qui est à present ordinaire dans Paris; et, tout ainsi (Dieu mercy da) que la religion catholique, apostolique et romaine sort de France pour habiter au Perou et terres estrangères, ainsi l'Italie commence à se purger de telles folies de jeux publics, qu'ils nous renvoyent à Paris[23] pour nous rendre encore plus vicieux qu'eux, estans bien informez que les officiers qui ont le pouvoir de donner telles punitions ou de l'empescher n'en font aucune difficulté, ny de faire observer les ordonnances de sainct Louys, qui de son temps avoit chassé toutes ces canailles hors de France.
Le second plaisir que vous prendrez (et qui est le meilleur), c'est de tascher à accoster quelqu'une de vos parentes ou amies, ou voisines, accouchées, pour vous permettre vous glisser à la ruelle du lict une apresdinée, pour entendre les nouvelles qui se racontent par la multitude des femmes qui la viennent voir, et en tenir bon registre; et par ainsi vous aurez non seulement dequoy contenter vostre esprit, mais aussi cela vous fera rajeunir et remettre en vostre pristine santé.
Advis que je trouve assez bon, qui fut cause que, d'une pleine liberalité, je leur donne à chacun leur droict de consultation, avec promesse de loüange si ma santé en augmentoit.
Or, pour l'executer dès le lendemain, je me fais conduire sur le Pont-Neuf, où je taschois à aller le petit pas; mais il me fut impossible, pour estre poussé et foullé par une multitude de petit peuple de toutes sortes d'estats, qui avoient quitté leur boutique pour venir voir le charlatan[24]: les uns y menoyent leurs enfans plus soigneusement qu'au sermon, les autres estoient huyez par leurs femmes, qui se lamentoyent de n'avoir point de pain à la maison; et neantmoins que leur meschant mari s'amusoit à la farce plus qu'à sa besongne; et bref, quant je fus arrivé sur le lieu, j'y vis une si grande confusion, meslée de querelles et de batteries, pour les couppe-bourses qui s'y rencontrent, que je n'eus le loisir que d'entendre trois ou quatre mots de leur science, qui m'estonnèrent de prime face, parce que le charlatan promettoit de guarir toutes sortes de maux en vingt-quatre heures pour une pièce de huict sols.
Je suis bien miserable, ce di-je alors, d'avoir despencé tant d'argent à me faire medeciner, et avoir eu tant de mal, puis qu'avec si peu d'argent on peut recouvrer sa santé! Et comme je me plaignois, marmotant entre mes dents, un homme de la trouppe, qui m'escoutoit, me toucha sur l'espaule et me dit: Ne vous faschez point de n'avoir usé de ses drogues: j'en ay acheté plusieurs fois, et pour beaucoup d'argent, pour me guarir le mal d'estomach, les dents et les caterres; j'ay trouvé, pour en avoir usé, mon mal estre augmenté, et ce qui estoit mal procedant de chaleur voire augmenté en chaleur, et ce qui estoit trop froid s'estre converty en mauvaise humeur. C'est pourquoy je l'abandonne et le donne au diable avec mon argent.
Je disois qu'en cela l'advis du medecin ne me plaisoit plus, et que, si celuy de l'accouchée estoit pareil, que j'avois perdu mon argent aussi mal à propos que celuy qui avoit acheté les drogues du charlatan.
Le lendemain, pour executer l'advis tout entier, je fus adverty qu'une mienne cousine demeurant ruë Quimquempoix, autrement dicte ruë des Mauvaises Paroles[25], estoit accouchée il n'y avoit que deux jours, laquelle j'alay voir, et, après avoir congratulé l'accouchée, je la priay me donner ce contentement de me cacher à la ruelle du lict aux apresdinées, pour entendre le discours des femmes qui la venoient voir; ce qu'elle m'octroya facilement, à la charge de l'en dispenser si j'estois antiché de la maladie de la toux, parce que pour rien elle ne voudroit cela estre descouvert.
Or, pour le faire court, le lendemain vingt-quatriesme avril, je m'y transporte sur le midy, où, comme l'on m'avoit promis, je trouve à la ruelle du lict une chaire tapissée pour me seoir, et une petite selle pour mettre mes pieds. L'on ferme le rideau, et tout incontinent après, à une heure attendant deux, arrivèrent, de toutes parts, toutes sortes de belles dames, damoiselles, jeunes, vieilles, riches et mediocres, de toutes façons, qui, après avoir faict le salut ordinaire, prindrent place chacun selon son rang et dignité, puis commencèrent à caqueter comme il s'ensuit.
Qui commença la querelle, ce fut la mère de l'accouchée, qui estoit assise proche le chevet du lict, à costé droict de sa fille, qui respondoit à une damoiselle qui lui demandoit combien sa fille avoit d'enfans, et si c'estoit le premier? La fille accouchée rioit et n'osoit parler, luy ayant esté deffendu, à cause de la fièvre causée de la multitude de son laict, et la mère respond: Vramy, Madamoiselle, c'est le septiesme, dont je suis fort estonnée. Si j'eusse bien pensé que ma fille eust esté si viste en besongne, je luy eusse laissé gratter son devant jusques à l'aage de vingt-quatre ans sans estre mariée; je ne fusse pas maintenant à la peine de voir tant de canailles à ma queuë.—Eh! Madame, ce dit la damoiselle, resjouyssez-vous, ce n'est que benediction!—Par S. Jean, dit la mère, ce sont biens de Dieu, mais ce ne sont pas des meilleurs, maintenant que l'on a tant de peine à marier les filles et pourvoir les garçons; il faudra à la fin, bon gré mal gré qu'ils en ayent, qu'ils soyent moynes et religieuses, car les offices et les mariages sont trop chers.
—C'est la vérité ce que Madame dit, ce fit une damoiselle de haut parage: je resens bien en moy-mesme ceste incommodité, et toutes les financières de mon calibre qui s'estoient deliberez de pourvoir leurs filles à de la noblesse, pour avoir du support cy-après, en cas de recherche des financiers.[26] J'ay veu que nous estions quittes de tels mariages pour cinquante ou soixante mil escus; mais à present que l'un de nos confrères a marié sa fille à un comte, avec doüaire de cinq cens mil livres comptant, et vingt mil escus d'or pour les bagues, toute la noblesse en veut avoir autant à present, et cela nous recule fort; je voy bien que, pour en marier une doresnavant, il faut que mon mary entre en charge deux ou trois années davantage qu'il ne pensoit.
Sa damoiselle de chambre, qui estoit derrière sa maistresse, s'advança de parler, et luy dit avec humeur: Madamoiselle, je ne sçay comment me plaindre, puis que vous vous plaignez, qui avez acquis soixante mil livres de rente en trois ans. Mon père, que vous sçavez estre procureur, et qui a des moyens assez honestement, a marié au commencement ses premières filles à deux mil escus, et a trouvé d'honnestes gens. A present, quant il auroit douze mil livres comptant, il ne pourroit trouver party pour moy, occasion qui a meu ma mère de convertir ma souffrance en supercession, et me donner la coiffe et le masque pour servir de servante et avoir la superintendance sur le pot à pisser et sur la vaisselle d'argent.
—Et moy donc, se dit une servante qui estoit assise sur ses genoux près de la porte, je suis plus à plaindre que vous autres: car autrefois, quand nous avions servy huict ou neuf ans, et que nous avions amassé un demy ceint d'argent, et cent escus comptant, tant à servir qu'à ferrer la mule[27], nous trouvions un bon officier sergent en mariage, ou un bon marchand mercier[28]. Et à present, pour nostre argent, nous ne pouvons avoir qu'un cocher ou un palfrenier, qui nous fait trois ou quatre enfans d'arrache-pied, puis, ne les pouvant plus nourrir, pour le peu de gain qu'ils font, sommes contrainctes de nous en aller reservir comme devant, ou de demander l'aumosne; on ne voit autre chose par ces ruës.
—Et vous, Madame, à ce coing, vous ne dites mot? Le temps ne vous importe-il point comme aux autres?—Je vous asseure, Madamoiselle, que je ne m'estonne nullement de vos discours: car, ce qui est cause en partie de ce desordre, je recognois que ce sont les bombances d'aucuns; car moy qui suis marchande, je le cognois à la vente. Il est aujourd'huy venu à nostre boutique un nombre de bourgeoises, conduisant une fiancée pour achepter des estoffes, le fiancé present, qui menoit la fiancée par dessous le bras; et comme je leur ay demandé quelles estoffes ils vouloyent, ils se regardoyent l'un l'autre, et se disoient: Parlez, Madame.—Moy, je m'en rapporte aux parens les plus proches.—Et comme je ne pouvois avoir raison d'aucun d'eux de le dire, je demande quel estat avoit le fiancé. Une bonne vieille respond: Il est d'un grand estat; il est tresorier et receveur, et payeur des gages des conseillers et juges presidiaux de Montfort[29].—Tresorier, ce dis-je alors, il faut doncques des plus belles estoffes. Incontinent je desploye un velours à la turque[30], un satin à fleurs, un velours à ramage, un damas meslé et autres grandes estoffes; puis je demande au fiancé si ces estoffes luy plaisoient. Il n'osoit respondre. Je m'en rapporte, dit-il, à ma maistresse. La fiancée dit que c'estoit bien son cas; luy, au contraire, se hazarde de parler, et dit que ces estoffes estoient de trop grand pris pour sa qualité; qu'il n'avoit que cent livres de gages à son office, et qu'il ne pourroit pas entretenir si grande vogue. Mais la mère de la fille, qui n'a nul esgard à cela, dit qu'elle veut que sa fille soit brave, et partant que l'on couppe: si bien que j'ay delivré pour douze cens livres à monsieur le tresorier.
—Ho, ho! ce fit la femme d'un notaire, S. Gry! mon mary n'a point de gages, et si je porte bien de pareilles estoffes, et si on ne m'en donnoit j'en trouverois bien; je ne veux pas estre moindre que ma cousine, encores que son mary soit officier du roy.
—Nous serions bien sottes, dit la femme d'un petit advocat du Chastelet, de porter de moindres estoffes que cela; ce que nous en faisons donne davantage de courage à nos maris de travailler, et plumer la fauvette sur le manant pour nous entretenir[31], et si faut que nos maris portent la soustane de damas pour nous honorer davantage, et non pas un saye, comme au temps passé, qui ne passe pas la braguette, pour les distinguer d'avec les conseillers.
—Madame, ce dit une autre, quelquefois cela ne dure pas; le temps n'est pas tousjours propre à gaigner, les hommes ont de la peine.
—Hé! Madame, ce dit-elle, quand ils ont trop de peine, il faut leur donner des aydes pour les soulager.
—Ha, ha, ha! ce fit une jeune bourgeoise qui avoit espousé un vieillard de cinquante-six ans, qui estoit au milieu de la troupe, je me ris de vos plaintes, mes dames; pour moy, je ne me puis plaindre, car ce dont j'ay le plus de besoin, c'est ce que j'aurois tout à l'instant si je le voulois: il y a assez de jeunes gens qui m'en font l'offre.
Alors l'accouchée s'azarde de parler tout doucement, et dit qu'autrefois elle avoit esté ainsi curieuse d'estre brave; mais maintenant qu'elle avoit tant d'houërs et ayant cause, qu'elle faisoit servir ses vieilles besongnes[32] à habiller ses enfans. Et moy, je me passe à peu; mais voulez-vous que je dise la vérité? ce n'est pas de bonne volonté, ains par force, car je suis aussi ambitieuse que jamais.
Or, comme l'accouchée eust prononcé un arrest, on fit un silence, qui fut cause qu'on entendoit au pied du lict une petite bourgeoise qui parloit bas à sa voisine; et toutes deux sembloient se resjouyr, dont la compagnie fut jalouse, pour participer à quelqu'autre nouvelle, qui fut cause qu'une damoiselle proche leur dit: Mes dames, vous avez quelque contentement en l'ame, puisque, mesprisans nos premiers discours, vous vous estes entretenues vous deux sous un plus beau sujet.
—Madamoiselle, ce sont petites affaires particulières de nos maisons qui ne touchent à personne.
L'autre dit:—Ma voisine, vous n'en serez pas deshonnorée pour dire ce qui en est. La chose est honneste et profitable; tous ceux qui le meritent ne le sont pas: c'est que le mary de madame brigue l'echevinage; c'est ce dont elle se resjoüit.
—Ho, ho! il est donc fort aagé, monsieur vostre mary?—C'est vostre grace, madamoiselle, il n'a pas plus de trente-cinq ou quarante ans; mais c'est qu'il prend son temps: il a veu que ceux qui y sont à present, ce sont gens (au moins quelques uns, da) de si petite estoffe, et que trois ou quatre taverniers commencent à briguer pour y entrer, qu'il s'est hazardé comme les autres, encore qu'il ne soit que procureur du Chastelet. Il espère y faire ses affaires, s'il y entre.
—Et y gaigne-on donc quelque chose? ce dit une bonne mère qui avoit son chaperon destroussé à la mode ancienne[33]. Par le vray Dieu, mon mary deffunct, monsieur Dambray[34], qui a esté trois fois prevost des marchands, n'a jamais profité à l'Hostel-de-Ville que d'un pain de succre par an, aux estrennes; encore faisoit-il difficulté de le prendre, et quand il est mort il a laissé par testament que l'on mist la valeur de trois pains de succre au tronc de l'Hostel-Dieu de Paris, que sa conscience et son ame n'en fussent en peine.
—Vramy, si ceux qui ont esté depuis luy, et qui ont mis tant d'estats de charbonniers[35], gaigne-deniers[36], jurez-racleurs[37], porteurs de foin et autres officiers de la ville, en leur bourse, estoient damnez, il y en auroit bien. Et à present, quand les eschevins sortent de charge, ils se font payer cinq ou six mil livres de vieux arrerages de rentes sur toutes natures de deniers pour leur dernière main; et s'ils n'ont point de rentes, ils acheptent des arrerages de la vefve et de l'orfelin à six escus pour cent, et se font payer de tout comme ayant droict par transport.
—Nostre-Dame! et où prennent-ils cet argent-là? On dit que c'est sur les deniers du domaine de la ville et autres fonds que nous ne sçavons pas; il n'est que d'estre en charge pour le sçavoir. J'espère bien que, si mon mary peut gaigner les voix à force de briguer, qu'il viendra bien à bout de tout aussi bien que les autres.
—Et voyez-vous, Madame (ce dit l'ancienne), au temps passé, le prevost des marchands et eschevins avoyent plus d'esgard au proffit public qu'au particulier. Tout cest argent que l'on mange à present en banquets (car on y disne tous les jours), en estrennes, en superfluitez du feu de la Sainct-Jean[38], en payement d'arrerages de rentes et autres choses que nous ne sçavons pas, s'emploioit à fortifier la ville, à refaire les quais rompus, dont l'argent se prend à present sur l'escu cinq sols qui a esté imposé sur le vin des bourgeois, et qui jamais ne sera cassé[39]; plus, à faire travailler les pauvres valides, à remuer la terre des fossés de la ville[40] et autres choses nécessaires. Et de fait, on ne voyoit point de pauvres; car, pour les vieux et impotens, on les nourrissoit à l'hospital S.-Germain[41]; toutesfois, si depuis la mort de mon mary ils ont obtenu lettres patentes du roy pour faire leur profit particulier de ce qui appartient au public, à la verité je ne le sçay pas.
—J'ay ouy murmurer que le roi avoit donné commission à deux maistres des requestes pour faire la recherche[42] de ceux qui prennent des droicts qui ne leur sont point attribuez; mais je pense qu'ils ne s'attaqueront pas à ces gens-là: ils ont trop d'amis et de faveur. Et toutesfois il n'y auroit point de danger de s'informer pourquoy on prend dix sols tournois pour les frais de chacune voye de bois, et pourquoy les eschevins permettent que le bois se vende plus que le taux que l'on y met: car autrement nous n'avons que faire d'eschevins, s'ils ne servent qu'à faire vendre les denrées plus chères qu'il ne faut.
—Là, là, Madame; vous avez fait vostre temps, laissez faire les affaires aux jeunes gens, et ne ramentevez point le chat qui dort[43].
—Je m'estonne pourtant que la cour de parlement n'y met ordre.
—M'amie, cela n'est pas de leur justice; chacun a son cas à part: la reformation de la justice leur appartient, et non pas du bois. Sçavez-vous pas bien que ces jours passez monsieur le president Chevalier[44] a ressemblé à celuy qui pour faire peur aux souris avoit escorché un rat? Depuis qu'il a fait faire le procez au procureur general de sa justice, tous les commissaires ont tremblé, et si on frippe quelque chose, c'est en cachette.
—Mais, Madamoiselle, disons la vérité sans faintise: s'il y a eu du desordre, nous sçavons bien en nostre particulier d'où il procède. Comment seroit-il possible d'entretenir les garçons de ce temps si on ne desroboit? Il n'y a fils ne petit-fils de procureur, notaire ou advocat, qui ne vueille faire comparaison en toutes choses avec les enfans des conseillers, maistres des comptes, maistres des requestes, presidens et autres grands officiers. L'on ne les peut distinguer ny en habit, ni en despence superfluë. Ils hantent les banquets à deux pistoles[45] pour teste; ils empruntent argent[46], joüent aux dets, au picquet, à la paulme, à la boule, vont à la chasse, et font le mesme exercice des grands. Ils empruntent à usure de Traversier, de Dobillon et de l'Italien Jacomeny[47], qui sont les receleurs de la jeunesse. Et puis qu'en advient-il enfin? Ils sont contraints de faire l'amour à la vieille, ou d'anjoler la fille d'une bonne maison, leur faire un enfant par advance, à fin d'estre condamnez à l'espouser.
Une vieille qui estoit à la trouppe respond: Amen. Ce que vous trouvez mauvais, je le trouve bon: quand les vieilles peuvent trouver quelque jeune gars pour leur argent (pourveu qu'il soit bien morigené), c'est un bon heur; il y a de plaisir pour l'un et pour l'autre: l'un prend la courtoisie, et l'autre la commodité; cela faict subsister la jeunesse selon son ambition, et faict vivre la vieillesse plus long-temps. Et que servent les biens que pour cela?
—O Madame! ce que vous dictes est le suject d'un grand peché: car, sous ombre d'une nuict ou deux que vous en prendrez contentement, il en vient un grand malheur: on ne voit que bastars[48], que filles desbauchées; et toutes les autres qui sont honnestes, qui pourroyent enjandrer une belle race par un legitime mariage, fait de pareil à pareil, demeurent en friche, et n'ont pour toute retraicte que la religion[49].
Et puis qu'en advient-il quand ils ont dequoy despendre[50]? Une feneantise, hommes sans soucy, sans travail, plus apres à chasser un lièvre que de servir leur roy et la republicque. Et si d'avanture vous les faictes entrer par vostre argent à quelque office, si c'est à la cour de parlement, il faut estudier à monsieur Mozan; si c'est à la chambre des comptes, à Robichon avec son calpin. Et puis, quand ils sont receus, cahin, caha, ils ne sçavent par quel bout commencer la justice; et par ainsi les cours souveraines sont remplies de beaux fils et bien peignez, logez à l'enseigne de l'Asne.
L'accouchée avoit la teste rompuë de ces discours et commence à dire: Mesdames, vous me faictes apprehender le temps advenir; je n'ay que vingt-quatre ans et demy, et sept enfans: si je faits ma portée selon nature, et que toutes choses augmentent comme ils font, j'envieilliray de soin, et non d'aage.
—Hé! ma fille, ne songez point à cela; j'y songe assez pour vous. Prenez courage: le grand desordre qui est à present engendrera un bon ordre; l'on fera des edicts qui regleront toutes choses; l'on cognoistra le marchand d'avec le noble, l'homme de justice avec le mechanique, le fils de procureur avec le fils de conseiller, et puis vostre mary mettra bon ordre à pourvoir ses enfans selon ses moyens, et si vous avez encores à heriter de moy pour plus de deux mil cinq cents livres pour une fois payer; est-ce pas un beau denier à Dieu? De quoi vous mettez-vous en peine?
—Ma mère, vous estes du bon temps; vous avez accoustumé de ne manger du roty qu'une fois la sepmaine, encore n'est-ce qu'un aloyau; mais nous ne sommes pas accoustumez à cela, et si je croy qu'il nous y faudra accoustumer, si la chair est tousjours si chère.
—Sainct Gry! j'avois accoustumé par sepmaine de ne despendre à la boucherie que quatre livres dix sols; maintenant je donne à nostre chambrière cent sols, et si nous mourons de faim. Il faudra doresnavant manger le potage le matin, et la chair le soir, pour observer l'ordonnance de Philippe le Bel[51].
—Je voy bien que Madamoiselle, qui n'est pas de ceste ville, se rit de nostre petitesse; mais que voulez-vous? chacun selon ses moyens.—Et la damoiselle respond: Madame, chacun se sent de cherté et du peu de proffit qui se fait à present aux offices, pour le trop grand nombre d'officiers qu'il y a. Et n'estoit qu'en nostre chambre des comptes de Normandie, d'où je suis, les officiers s'allient avec les comptables, et meslent leur gain ensemblement, nous ne pourrions, non plus que vous à Paris, entretenir nostre grandeur; mais, Dieu mercy, ils s'entendent bien ensemble.—Et, Madamoiselle, je pensois que la Chambre des Comptes fussent les juges des comptables?—Hé, Madame, autrefois la linotte et le chardonneret estoient à part en diverses cages; mais à present tout est en mesme vollière.
—Je vous asseure, ce dit une femme qui n'avoit encores point parlé, maigre, pasle, melancolique et pleine d'inquietude, mon mary, qui est advocat à la Cour, gaigne ce qu'il veut, fait les affaires de tous ceux de la Religion (comme en estant aussi, da); mais il me semble que tout ce qu'il gaigne fond en ses mains; je ne voy autre chose en nostre maison que des demandeurs: l'un vient querir la taille ordinaire du corps du tresor de la Religion, l'autre la cure[52] de monsieur de Rohan et de Soubize, l'autre le nouvel entretenement des ministres, la cure des espions de France, d'Espagne, d'Angleterre, d'Italie, de Flandres, et de toutes les contrées. Bref, j'ay compté qu'en ceste année j'en ay pour plus de cent escus à ma part; moy, si cela dure, j'aime bien mieux que mon mary face le papelart, et qu'il aille à la messe, que de continuer. Pour cela, ny luy ny moy ne croirons que ce que nous voudrons; au moins nous serons dispensez de telle taille. Aussi bien dit-on que les excommunications que font nos ministres contre ceux qui se retournent n'ont non plus de force et de vigueur que le soleil de janvier.
—Hé! Madame, quand vous ne croyez à rien qu'à vostre fantaisie, vous n'estes pas cheute de haut: car tous ceux de vostre religion ont pris à ferme à vil pris l'ateysme; et qui est cause qu'il n'y a ny enchère ni tiercement[53], c'est qu'il n'y a rien à gaigner, ny en ce monde, ny en l'autre: et cela vous demeurera, et si en jouyrez long-temps, si par la loy du droict canon on ne vous force à mieux faire.
—Madamoyselle, ceste Religion est si douce à supporter, que tous ceux qui y entrent, ils en sortent difficilement. Et pour mon regard, lorsque j'en sortiray ce sera à mon grand regret, car, que je face ce que je voudray, je ne suis point obligée de le confesser; que mes père, mère et parens meurent, je me resjouys au lieu de pleurer, car je croy qu'ils sont sauvez; que le caresme et jeusnes viennent, je suis dispensée pour manger de la chair; que nous mourions subitement, nous n'avons point peur du purgatoire; et bref, que les anges, les saincts et sainctes ayent du pouvoir par leurs prières envers Dieu, nous supprimons tout cela et vivons en liberté d'esprit; que si ceste taille estoit aussi bien supprimée, nous nous mocquerions de tout le monde.
—Vrayment, c'est une mauvaise police, de permettre qu'il y ait en France des subjects qui contribuent pour faire la guerre contre leur roy legitime! Je vous prie, Madame, cachez vostre vice, et parlons d'autres choses. Avez-vous beaucoup d'enfans?—Elle respond: J'avois trois garçons et deux filles; mais le mal'heur m'en a voulu qu'un de mes garçons, qui estoit à la suitte de: monsieur de Soubise[54], a esté pris prisonnier, et mené aux gallères avec les autres; un autre fut l'autre jour tué en revenant de soupper de la ville, pour vouloir sauver son manteau: excusez si je ne vous ay fait prier de l'enterrement; nous n'avons point fait de ceremonies, nous l'avons mis en nostre jardin au pied d'un saux[55].—C'est donc là vostre cymetière, ce dit la dame?—Et elle respond: Toute terre est bonne à cela.—Et quelle raison avez-vous eue de ceste mort?—Mon mary a poursuivy et fait prendre plusieurs volleurs; mais par ce qu'il ne s'est pas voulu rendre partie, on les a eslargis. Il est bien besoin que Dieu face la vengeance des meurtres, car les prevosts criminels ne la font que pour de l'argent.
—M'amie, c'est qu'il faut qu'il se remboursent de la vente de leurs offices, lesquels anciennement on donnoit, speciallement le chevalier du guet[56], le prevost des mareschaux[57], le prevost de l'Isle[58], le prevost de la connetablie[59], et autres de justice criminelle; et tandis que l'on leur vendra, jamais ne feront rien qui vaille. Le messager d'Estempes fut l'autre jour vollé de quatre-vingts ou cent escus; comme il fit sa plainte, et qu'il demandoit que l'on courut après, le prevost des mareschaux luy demande cent escus d'avance pour sa chevauchée, et, voyant que c'estoit double perte, il a mieux aymé laisser la poursuitte du vol que d'en perdre d'avantage.
—O Dieu! quel desordre! Je ne croy pas que le roy sçache la moitié de ce qui se passe, car, s'il le sçavoit, il y mettroit ordre: il feroit observer les loix. A quoy servent tant d'huissiers et sergens? A faire monstre au mois de may[60], et à piller le manan; tant de prevosts de mareschaux? à faire pendre ceux qui n'ont point d'argent; tant de juges criminels? à bien prendre pour acquitter les debtes qu'ils contractent pour achepter leurs offices; tant de commissaires de Chastelet? à prendre pension des garses[61], des maquerelles, des boulengers et de tous ceux qui vendent viandes[62], car à present tout est permis.
—Je ne sçay si ces gens-là enrichissent, et si leurs biens durent long-temps, car mon père, de son vivant, me disoit: Ma fille, les biens que je te laisse viennent de mes grands-pères et bisayeuls, et profiteront à tes enfans, s'ils sont gens de bien et qu'ils facent la raison à la vefve et à l'orfelin, qu'ils ne prennent rien qu'ils ne l'ayent bien gaigné. C'est pourquoy, disoit-il, on ne voit point ès maisons des financiers d'anciens héritages, car, quand ils font bastir maisons, fermes et chasteaux, ils sont plustost hypotecqués qu'ils ne sont couverts, plustost vendus qu'ils ne sont achevés, ou, s'ils viennent à deperir, les grandes debtes sont causes qu'ils tombent en masure.
—Aussi vray, Madame, à propos de cela, la pluspart de mes parens estoyent financiers, et qui avoyent grande vogue de leur temps, et si j'ay esté long-temps si beste que je m'attendois à leur succession: j'avois mon oncle le Hou, premier commis de l'espargne, mon cousin Regnault, tresorier de l'extraordinaire, mon cousin Regnard, receveur general de Paris, mon cousin Puget[63], les Bourderets, les Salvancy, et un tas d'autres ou il n'est pas resté du fil à lier un boudin.
—Il y en a bien d'autres: et Montescot[64], Sancy[65], Geperny, Des-Ruës, la Bistrade[66], et ce grand fermier Louvet[67]. Vramy! il n'y a point de faute de torcheculs sur leurs heritages, car il y a bien des placarts; je ne sçay plus à qui on se fiera.
—Pour moy, j'ay envie de me mettre du party de celuy qui a entrepris le pont au Double[68], car luy et ses associez sont de bons compagnons; ils ont trompé la cour de parlement et le public: ils ont fait semblant de commencer un pont de pierre, qu'ils n'acheveront jamais[69]; et ce pendant, avec un double de chacun homme, un sol du carrosse et de la charette, le tribut des vidanges que l'on y porte, l'impost du bois flotté, et autres imposts qu'ils prennent, ils tirent par jour plus de soixante livres, et sont plus que remboursez des frais qu'ils ont faits; et cependant font accroire que cela ne vaut rien, et continuent à prendre le jour et la nuict, et s'entendent avec les volleurs, qui, à une heure induë, pour un escu de tribut passent la rivière.
—M'amie, c'est faute de le faire entendre à monsieur le procureur general de la Cour: c'est un homme qui n'entend point de raillerie; s'il le sçavoit, il y mettroit bon ordre; il empescheroit bien que trois ou quatre partisans trompassent ainsi le public.
Toute la compagnie ne s'ennuioit point de ces discours; et cependant l'accouchée, qui avoit envie de pisser, poussoit sa mère pour donner congé à tous; et moy, qui estois à la ruelle, qui manquois de papier et d'encre, me faschois de ne pouvoir tenir plus long registre de ce qui se passoit, pour en advertir ceux qui y peuvent mettre ordre, remettant le tout à une autre après-disnée.
LA SECONDE APRÈS-DISNÉE
DU CAQUET DE L'ACCOUCHÉE[70].
Comme ordinairement, aux maladies froides et humides, la melancholie y tient le premier rang, et que le seul remède de dissiper tous ses nuages, c'est de prendre une heure de passe-temps pour se rasserener les esprits debilitez et attenuez par la longueur de l'indisposition, ayant veu ces jours passez que j'avois repris une partie de mon embonpoint à entendre les devis recreatifs des femmes qui estoyent venuës visiter ma cousine, accouchée depuis peu à la ruë de Quinquempoix, je me resolus, puis que l'occasion m'avoit esté si favorable, et que tout avoit tellement reüssy à mon advantage, d'y retourner pour la seconde fois, esperant, si le caquet de la première après-disnée m'avoit apporté quelque vigueur et quelque accroissement de santé, que les gaillards entretiens de la seconde journée ne m'apporteroyent pas moins de force et de soulagement à dissiper le reste de l'humeur melancholique que la maladie me pouvoit avoir laissé imprimé en la puissance imaginative.
Cette resolution, excitée plustost d'une consideration interne de reprendre mes premières forces, que d'une curiosité particulière que j'aye d'entendre leurs discours (sçachant trop bien, selon ce que j'avois peu voir auparavant, que les entreprises des femmes ne sont fondez le plus souvent que sur des choses inutiles et de peu de consequence), esveilla en moy un desir d'en voir la fin aussi bien que le commencement. Je m'y rencontray donc à l'heure precise, où je trouvay madame l'accouchée qui commençoit un peu à se bien porter. Je m'enquestay de sa maladie, et elle reciproquement de ma disposition; je luy dis qu'à la verité depuis l'autre jour qu'elle m'avoit fait ce bon heur que de m'insinuer dans la ruelle de son lict, et que j'avois entendu les discours des femmes qui l'estoyent venu voir, que ma maladie s'estoit de beaucoup diminuée.—Vramy, mon cousin, respondit-elle, vous en orrez bien tantost d'autres: car on m'a adverti que je recevray ceste après-disnée la plus jovialle compagnie qui se puisse imaginer; mais, afin que vous y preniez du contentement et que vous ne soyez descouvert, derrière le chevet de mon lict il y a une petite estude, où l'on peut entrer par une petite porte: de là vous entendrez facilement et sans aucune doute.
Je fus quelque temps, depuis une heure jusqu'à deux, à discourir avec elle sur diverses particularitez qui se presentoyent; enfin, sur les deux heures on commença de frapper à la porte: cela me fit resserrer subtilement dans l'estude prochaine, qui respondoit sur le chevet du lict, d'où je pouvois facilement et contempler les actions des femmes et entendre leurs discours. La chambre bien parée, et les siéges dressez, la compagnie entre, chacun prend sa place, on se saluë, et demeurèrent quelque temps sans rien dire, comme par ceremonie et par respect l'une de l'autre; toutesfois, comme les langues des femmes ne peuvent demeurer arrestées, n'y ayant rien de plus mobile qu'elles, une damoyselle d'auprez de la porte Sainct-Victor s'avança de dire: Vramy, Mesdames, vous estes bien ceremonieuses; s'il vous arrivoit ce qui m'arriva l'autre jour, sur les onze heures du soir, devant les Carmes deschaussez, vous ne parleriez jamais de ceremonies: j'y fus entièrement bruslée; c'est la raison pourquoy je n'ai pas deffait mon masque en entrant[71], car je ne suis pas encor guarie tout à fait.
—Comment, ma cousine, respondit une jeune mariée, estiez-vous à ce feu? Je ne vis jamais un tel desordre ny tant de degasts; un de mes frères y a eu aussi toute la face emportée, et n'y a encor aucune apparence de guarison.
—Mais à quoy bon toutes ces superfluitez? dit alors une vieille edentée? De mon jeune temps je n'oüis jamais parler de canoniser les saincts de la façon[72]; c'est plutost les canonner que les canoniser[73].
—Tout beau, tout beau, ma tante, dit une marchande de la rue Sainct-Denis: on en a bien fait davantage à Rome. Ce sont des resjouyssances publicques, il n'y a point de danger de faire quelques fois ces superfluitez, quand on y est porté d'une pure et sincère affection. Et puis, ce que les Carmes deschaussez en ont fait, ce n'a esté que par le commandement de la reyne, qui a fourni ceste despence, à cause que saincte Therèse estoit d'Espagne[74].—Il n'importe, on y a plus offencé Dieu mille fois que lui faire honneur, dit une bourgeoise d'auprès Saint-Leu. Je vous promets, pour moy, que je n'approuve aucunement ces choses. Combien pensez-vous qu'il y ait eu de filles enlevées? Tous les bleds des environs sont renversez et bruslez; il ont trouvé le mois d'août plustost que celuy de juillet.—Pour moy, dit la femme d'un advocat du grand conseil, j'eusse esté d'avis de mettre toutes ces superfluitez à la decoration de leur eglise; à tout le moins cela leur fust demeuré, et les eust-on estimé d'avantage, sans faire evaporer tant de richesses en fumée; cela eust allumé le feu de devotion dans le cœur de ceux qui les eussent visité, où, au contraire, tout l'air voisin et les champs des environs ont esté embrasez de leur fuzées; j'ay encore un colet monté à cinq estages[75] qui est entièrement gasté. Encor si on eust allumé le feu à huict heures, on n'y eust perdu tant de manteaux: tous les escoliers y estoyent en armes.
—Mais ce qui est plus à rire, ma commère (dit la femme d'un procureur de la paroisse Sainct-Germain), c'est qu'en allant à l'eglise des Carmes deschaussez, j'entendis crier la Vie et miracles de madame saincte Therèse. J'en voulus acheter une, afin de pouvoir gaigner les indulgences; mais comme je fus retournée au logis, mon mary commença à lire, et fust estonné qu'on avoit attribué deux pères à saincte Therèse[76]: le premier, le roy dom Bermude, et le second, Alonse Sanchez de Cepède; il n'y a peut-estre personne d'entre nous autres qui y eut pris garde.
—C'est peut-estre la faute de l'imprimeur, dit la femme d'un libraire de la ruë Saint-Jacques; cela est excusable: c'est une chose qui arrive souvent; on rapporta l'autre jour un livre à mon mary, où il y avoit autant de fautes que de mots.—Une femme du palais, que tout le monde cognoist assez bien, luy respondit: Ma commère, il ne se faut pas esmerveiller: l'autre jour nous avions fait faire un factum chez un certain imprimeur, demeurant en l'université, qui est bon compagnon; mais je ne vis jamais tant de fautes: en tous les lieux où il falloit un V, il y avoit mis un Y grec[77]; je ne sçais pas si c'est pour declarer à tout le monde que mon mary porte les cornes.
—Porter les cornes, dit la femme d'un conseiller de la Cour! il y a plus de dix ans que mon mari en porte quelques unes, qui l'accompagneront en fin jusques au tombeau; aussi bien a-il desjà un pied dans la fosse; rien ne luy servira d'avoir une barbe reverende et une calotte à l'antique.
—Tout beau, ma cousine, dist la femme d'un Maistre des Comptes: il ne faut jamais scandaliser son mary, principalement en une bonne compagnie. Il faut empescher tant qu'on peut les langues de mal parler, et particulièrement d'un bon vieillard comme vostre mary; cela est mal seant: le bon homme n'y songe pas peut-estre; encor faut-il porter quelque respect à sa barbe.
—Mais à propos de barbe, dit une de la rue Sainct-Honoré, je vois quelquefois passer un prelat, je ne sçay s'il est evesque ou archevesque[78], mais je ne vis jamais une telle barbe; on dit qu'il est tous les jours pour le moins deux heures à la peigner et attifer; il n'y a point de ferremens assez à Paris pour la friser; il en fait venir de Normandie.—N'en sçavez-vous que cela? dit une dame de la Cour. Je cognois de nom et de surnom celuy dont vous parlez. Mais il fait bien d'avantage: il a esté si curieux qu'il s'est fait peindre en cinq ou six endroicts de ceste ville, et a envoyé des coppies de son pourtraict à Rome, pour ravir les cardinaux de la beauté de sa barbe. Mon fils m'a dit l'avoir veu en plus de six endroicts depeint dans Rome.—C'est de quoy le reprenoit dernièrement un abbé vestu de rouge (dit la vefve d'un Maistre des Requestes); mais il ne s'en soucie pas beaucoup, car, avec le temps, il espère que sa barbe parlera grec, comme celuy qui la porte.—Ho! ho! grec! dit une bossüe qui avoit leu la Bible, ce seroit pire que l'asne de Balaam, qui parloit hebreu.—Vous avez leu la Bible, luy dit une boiteuse qui estoit assise contre le pied du lict.—A la verité, Madame, j'en ai leu quelque chose; quelques fois j'y passe une heure de temps.—Mais est-ce à faire aux femmes à lire et manier un livre si hazardeux, qui tuë et occist ceux qui le veulent expliquer et manier trop indiscrettement? Voilà d'où viennent tant de ministres et tant d'errans que nous voyons aujourd'huy, qui tourneboulent, couppent, rongnent et disposent de l'Escriture selon leur plaisir. Si est-ce qu'ils ont beau feuilleter, on ne trouvera jamais dans la Bible qu'il faille se rebeller contre son roy, et se partialiser contre l'authorité de son souverain.—La bossüe alloit respondre, mais l'Accouchée, levant un peu sa teste, ce pendant qu'on relevoit son oreiller: Mais, dit-elle, Mesdames, vous ne dictes rien de l'armée; n'y a-il rien de nouveau? Il y a long-temps que je n'en ay entendu aucun bruit.
La femme d'un courrier extraordinaire, de la ruë aux Ours, prenant la parole: Je receus, dit-elle, des lettres hyer au soir de la Cour, par où on me mandoit que tout succedoit entièrement selon la volonté du roy: les rebelles ne furent jamais si mal menez. Montauban est aux abbois[79], la Rochelle enclose et fermée par mer et par terre[80]. Il ne reste plus qu'à bien servir sa Majesté, comme font quelques uns; mais il y en a d'autres qui veulent faire leur main, aussi bien que le connestable deffunct, qui en un jour mettoit dix ou douze mille hommes dans sa pochette: il y a de la tromperie partout[81].
—Tromperie! dit une sculptrice de la ruë Sainct-Martin. Mercy de ma vie! je vois là tous les jours devant ma porte mille sortes d'inventions pour attraper l'argent du roy. Il ne suffit pas aux tresoriers de gaigner cent mille escus en un an, ils veulent faire leurs commis et partisans aussi riches qu'eux: s'il faut mener une voye d'argent à Sa Majesté[82], on prendra quatre cens hommes à qui l'on baillera tous les jours un escu ou deux pour gages, de sorte que devant que l'argent soit à l'armée, on trouvera, si on veut bien conter, qu'il couste quinze ou seize mil escus à le mener. Et cela se fait tous les mois. Encor si ceux qui conduisent les chariots se contentoient de cela; mais par où ils passent, ils ruynent et gastent tout (je ne dis pas qu'il ne faille accompagner l'argent qu'on envoye à Sa Majesté par un bon nombre de soldats; mais il y a moyen de les treuver à meilleur marché).
—J'entendois l'autre jour chez M. le prince qu'il s'en plaignoit grandement (dit une fille de chambre).—Aussi y a-il de l'interest, respondit sa sœur: car il est un peu avaricieux; il a bien pris son temps: voicy une belle occasion, où il se garnira comme il faut. Quant je pense à ses liberalitez, je ne peux me tenir de rire. Il me souvient que j'estois un jour à la messe aux Enfans-Rouges, où de fortune il arriva. Comme il entendoit chanter un Salve, il demanda à celuy qui chantoit combien il prenoit.—Dix-huict deniers, Monsieur, luy respondit-il, car il ne le cognoissoit pas, tant son train est grand.—Tiens, dit-il, chantes-en un pour moy, je te donne trois sols. N'estoit-ce pas se mettre en frais?
—C'est à faire à M. de Soubize (dit une autre qui estoit freschement revenuë de Poictou) de se mettre en frais; il y entre jusques aux reins, et sans son cheval, qui estoit fort et massif, il y eust entré pour jamais; aussi l'a-on placé et enroollé dans la Chronologie et le martyrologe des rebelles[83], qui est grossi depuis un an de trois volumes entiers.
Une certaine de Languedoc: On n'a garde d'y mettre M. de Rohan (dit-elle), ny de l'enchroniquer si avant dans les Annales: car il ne s'est jamais trouvé aux meslées; il sçait mieux escrimer de l'espée à deux jambes que d'une picque. Ne l'a-il pas fait paroistre à Saint-Jean-d'Angely[84] et en tant d'autres lieux, où sa poltronnerie l'a signalé par dessus tous ceux de son party? Pour M. de la Force, il a joüé un tour de son mestier: car quand il a veu qu'il estoit forcé, et que toute sa force avoit perdu sa pointe devant Thonins, Clerac et autres places, il s'est rendu quasi comme en reculant, et a attrappé de bon argent[85].
—Il ne le tient pas encore (dit une grande dame qui a esté mariée depuis peu à un homme de soixante ans); je sçay de bonne part qu'il n'a encorerien touché, sinon la promesse que M. de Chomberg[86] luy a faicte; mais il faut qu'il face voir les effects de la sienne auparavant.
—Pour mon regard (dit alors une marchande du Palais), c'est une estrange chose que nous ne faisons plus rien: il n'y a plus de curiosité à Paris; depuis que le roy est party[87], nous n'avons fait aucun trafic; la boutique, qui souloit estre remplie, est vague; les courtisans et la noblesse s'en sont allez avec le roy, de sorte que nous perdons infiniment; et encor, qui pis est, les loüages des boutiques nous ruynent.
—Comment, loüage! respondit une gantière de dessus le pont Nostre-Dame. Vramy, vous devez bien vous plaindre! Je ne sçay comme on n'y met ordre: il n'y a pas un petit trou sur le pont, depuis le bruslement[88] et l'incendie du feu qui arriva en octobre dernier, qui ne soit rehaussé de la moitié; nous ne gaignons pas le loüage de nos chambres; encor, depuis que la mode est venuë de porter des gans à l'Occasion et à la Negligence[89], toute la marchandise que nous avions à la Guimbarde[90] a perdu sa vente et n'est plus en credit. Mais patience! puisque c'est la mode, il faut vivre à l'Occasion.
Sur ce mot de mode et d'occasion, une jeune brunette qui vend de l'encre nouvelle[91] sur le pont: Hélas! dit-elle, ma mie, c'est bien à nous à nous plaindre des destins si cruels, et à vivre à l'occasion! La fortune nous a bien tourné le dos; depuis que le roy est party, nous n'avons pas gaigné un teston en nostre boutique. Si ce n'estoit le petit trafic que nous faisons au logis, je ne sçay comment il nous seroit possible de vivre. Ce n'est pas faute de marchands, nostre boutique est tousjours assez garnie: vous y en trouverez tousjours trois ou quatre; mais leur bourse est si sterile qu'il n'y a point moyen de tirer ny d'arracher une pistolle d'eux.
Sa sœur alloit advancer quelque propos; mais sa mère, interrompant son discours, bien que d'un front ridé, dit ces paroles: Mes enfans, il faut prendre patience; nous sommes en un temps miserable, où le vice a tellement pris pied dans la nature que la vertu s'en est bannie et exilée d'elle-mesme; on ne parle que de coupeurs de bourses, que de Grisons[92] et Rougets[93]; et mesme c'est une chose estrange que les archers, qui devroient empescher le desordre, au lieu d'y prendre garde, s'endorment et s'assoupissent sur la venaison.
—Et moy, dit une jeune marchande d'auprès le Chastelet qui dès le lendemain de ses nopces à emmoysé[94] et acteonisé son mary, le plaçant dans le zodiaque au signe du Capricorne, arrive ce qu'il pourra, je ne peux plus manquer; il ne m'en chaut que nous ayons guerre ou paix, je suis asseurée sur un bon et ferme pillotis; mes enfans ont des benefices dès l'instant de leur conception, et mesme devant que l'embrion soit formé.
—Je ne m'estonne plus pourquoy les femmes ont tant de mal à se descharger de leur fruict, dit la mère de l'accouchée, veu que leurs enfans sortent avec la crosse et la mittre en teste.
—Mes enfans, repliqua la marchande, n'ont ni crosse ni mittre, mais j'espère que celuy en qui j'ay fondé ma confiance en aura bien-tost; à tout le moins on m'a dit que l'evesché[95] est en grand bransle, et qu'il sent bien la resinée. Si cela est, je vous laisse à penser du succez de mes affaires, et comme je m'accommoderay, pourveu qu'il me face tousjours participante de ses affections et de sa faveur.—Mais vous n'en dictes mot, de la faveur, dit une fille de chambre qui aymoit à parler des affaires d'estat.
—Ne parlez point de choses qui nous sont indifferentes, repliqua sa maistresse: les murailles ont des oreilles; on ne sçait quelque fois devant qui on parle.
—Il est vray, Madame, dit la femme d'un advocat du Chastelet: on me disoit l'autre jour qu'une honneste compagnie estant venuë voir madame l'accouchée, qu'il y avoit derrière son lict un certain quidam qui tenoit registre de tout ce que la compagnie disoit; ce qui ne tourne qu'à nostre desavantage, car chacun nous appelle caqueteuse. Si d'avanture il y estoit maintenant, il nous luy faudroit bailler son change.
Et moy qui entendois toutes ces plaintes, je me resjouyssois de n'avoir pris ma première place, car sans doute on m'eust faict un affront.
—Nostre Dame! dit alors une damoiselle de marque, parlant à l'accouchée, y auroit-il bien quelqu'un de si hardy que de nous jouër ce tour-là?
—Je vous promets, madamoiselle, que je n'en ay ouy parler aucunement.
Une vieille ridée alors se leva: Je vous jure saincte Brigide (dit-elle) que j'en sçauray la verité. Et de ce pas elle alla en la ruelle du lict, où elle trouva le nid; mais l'oyseau s'estoit envolé. Et moy, qui m'esclattois de rire, je ne peus jamais mettre en ligne de compte tout ce que deux ou trois bourgeoises se disoyent secrettement à l'oreille. Là, là, Madame, en bonne compagnie il ne faut rien celer: est-ce de la faveur que vous parlez?
—Comment parlerions-nous de la faveur? il n'en a plus.
—Il y a deux ans que le feu connestable faisoit bien ses affaires devant Sainct-Jean-d'Angely, dit l'autre[96]: il avoit la solde pour 40,000 hommes, et n'en entretenoit pas vingt-cinq mille. C'est la cause qu'on n'a pas pris Montauban l'an passé, ma commère: il n'avoit pas seulement dix mille hommes là devant. N'est-ce pas une volerie? Mais il a trouvé le terme de ses pilleries dans Monheur[97].
—Je voudrois que vous eussiez veu la prediction du curé de Mil-Monts[98] sur ce sujet, dit la femme d'un astrologue de l'Université; vous l'eussiez admiré. Il y a bien dix mois qu'il l'apporta en nostre logis[99]; elle estoit ainsi:
| Quand L. sera changé en R. |
| Et Loys changé en vray roy, |
| Lors nous verrons ce vice-roy, |
| Ce connestable de Luyne, |
| Qui s'esvanoüira en LaiR, |
| Et sera changé en Ruyne[100]. |
Jamais il ne fit prediction[101] plus certaine; mais de ses deux frères on n'en parle plus. Que font-ils?
Lors la femme d'un certain secretaire porte-calotte dit: Madame, depuis que la teste est à bas, tout le reste ne vaut plus rien. Je l'ay bien remarqué en nous depuis la mort de feu Mgr. le connestable: nous y perdons plus de cent mil escus; ses deux frères[102] n'y perdent pas moins. Il y en eut un l'autre jour qui pensa mourir à Saumur de despit: il voulut jouër en trois rafles avec un certain de la cour; mais de malheur il ne sceut amener qu'une rafle de quatre, et l'autre luy donna une rafle de cinq. Aussi il ne faut jamais s'adresser à des mareschaux: ils sont du naturel des chevaux, ils ruent.
—Mamie, dit une dame de la cour, la decadence de l'un, c'est l'eslèvement de l'autre: le marquis d'Ancre est tombé, Luyne a pris sa place; Luyne est tombé. Pour trois pelerins qui alloyent en Esmaü, on vit aussitost naistre quatre evangelistes dans le conseil. Maintenant on ne faict plus rien que par l'advis de M. le prince de Condé, c'est le ressort de la guerre[103]; mais le roi commence à s'ingerer dans les affaires plus avant qu'il n'avoit encore faict; luy-mesme il veut assister à tout ce qui se delibère. Cela sera cause que plusieurs n'oseront desrober si hardiment que l'an passé.
Une femme de Tresorier d'auprès l'hostel de Guise, voulant mettre son nez en cette cause: Arrive, dit-elle, ce qui pourra, Monsieur de Joinville ne s'en soucie pas; il est maintenant remplumé[104], il a l'oyseau et les plumes. Qu'il le faict beau voir avec les diamans du connestable! Comme il se rit du soing et du travail que ce pauvre deffunct a eu d'acquérir tant de richesses! On luy demandoit l'autre jour quelque debte qui estoit sur le registre dès long temps: Ouy da, dit-il, il est raison que je vous paye: ma femme, outre son bien, m'a donné cent mille escus pour payer mes debtes.
—Que voulez-vous, ma commère! dit une rousse du mesme cartier, ainsi va la fortune: l'un monte, l'autre descend. Pour moy, je ne l'ay jamais esprouvé favorable à mes désirs: j'ay dix enfans en nostre logis, dont le plus grand n'a que xij. ans; il me met hors du sens; j'avois fait venir un pedan de l'université pour le tenir en bride, mais il y a perdu son latin. Ils seront en fin contraints d'aller demander l'aumosne, si le temps dure.
—Il y a tant de pauvres maintenant, dit une bourgeoise de qualité, que nous en sommes mangez. Je ne sçay comment on ne fait pas un reiglement sur le desordre; mais ceux qui ont charge des bureaux sont bien aises de pescher en eau trouble.
—Il y a un moyen très facille d'y remedier, dit la veufve d'un eschevin. Du temps que mon mary estoit en charge, il y voulut apporter un expedient; mais les gros bonnets n'y voulurent jamais songer. Premierement, ou les pauvres sont impuissans, ou habiles à faire quelque chose: si impuissans de bras, il les faut employer aux reparations de la ville, ils ont bon dos; si impuissant des jambes, il les faut mettre en un lieu à part, et leur apprendre à travailler des mains[105]. S'ils peuvent faire quelque chose, à quoy est bon de voir tant de gueux par les ruës? Mercy de ma vie! j'en parle comme sçavante, car dernierement ils en pensèrent voller en mon logis. Il seroit besoin d'y remedier pour les viellards. A quoy sert de nous taxer et cottiser pour les pauvres enfermez, si on ne les y renclost?—Chacun approuvoit assez son dire, quand une tavernière de l'Université se leva: Ce n'est pas tant aux gueux qu'il faut prendre garde, dit-elle, qu'à une infinité de vagabonds et de courreurs de nuict, qui pillent, vollent, destroussent mesmes tous nos marchands ordinaires, et, qui pis est, ils empruntent le nom des escoliers, et font semblant d'estre de leur caballe; mon mary y pensa perdre la vie l'autre jour, près des Cordeliers[106].
—Mais on ne parle plus des Cordeliers[107], dict une vieille de la paroisse de Sainct-André; on ne sçait plus quel party ils tiennent, on n'y recognoist plus rien. Il y en a encor quelques uns qui portent des souliers fendus; mais je crois que c'est plustost pour la chaleur que pour l'austerité ou le bon desir qu'ils ayent de reprendre la reforme, car ils ont desjà la plus part quitté le manteau.
—Tout beau, Madame, dit une devote qui estoit en un coin! il ne faut jamais mal juger de son prochain: il y a encor de fort bons religieux là dedans. Ne sçavez-vous pas qu'on voit toujours quelque grain de zisanie parmy le froment? Il est impossible autrement, car on ne recognoistroit par les bons d'avec les meschans, ny le vice de la vertu.
—Je ne plains en cela que le pauvre père general, dit la femme d'un advocat de la cour, de n'avoir peu faire entheriner ses lettres au parlement; mon mary y a travaillé en ce qu'il a peu, et toutesfois il n'a rien effectué. N'est-ce point une chose estrange que ce bon père, qui est l'humilité mesme et le miroir où tous les religieux de son ordre devroient mouler leurs actions, aye tant pris de peine et travaux de venir en France pour trouver ses enfans rebelles? Je ne sçay, pour moy, où le monde d'aujourd'hui a l'esprit.
Une de la ruë Sainct-Anthoine, qui n'avoit point encor parlé, oyant discourir d'esprit: Par sainct Jean, Madame, je vous vay conter le plus plaisant conte que jamais vous ayez entendu d'un esprit[108] (mais il estoit domestique et familier). Un bon compagnon, depuis quinze jours en çà, s'est mis en cervelle de faire l'esprit, de sorte qu'il espouventoit tous les petits enfans de nuict. Ce pendant il disoit au maistre du logis que l'esprit s'estoit apparu à luy, et qu'il falloit faire un service à un costé et un pelerinage à l'autre: on lui fournissoit l'argent, dont il s'accommodoit fort bien. En fin il pria un jour son maistre de le laisser coucher dedans son estude, et qu'infailliblement il feroit en sorte, par ses inventions, qu'on n'entendroit plus d'esprit, ce qu'il fit: car, estant dans l'estude, il print huict cens livres à son maistre, et depuis on n'a point ouy parler d'esprit.
—Il n'y a pas long temps que la mesme chose arriva en nos cartiers, dit une femme d'auprès Sainct-Jacques de la Boucherie; mais l'esprit ne peut jouer si bien son personnage que celuy dont vous parlez, car il fut mené prisonnier au Chastelet.
—Saincte Barbe! n'en sçavez-vous que cela? dit une femme du faux-bourg Sainct-Germain; vramy, on en dit bien d'autres en nos cartiers: on tient qu'il revient un esprit dans les Carmes deschaussez (je ne sçay si ce n'est point celuy qui s'est fait enterrer en son jardin). L'autre jour la reyne en voulut sçavoir des nouvelles certaines[109]: elle y envoya un gentil-homme, qui sur ce suject fut prié de disner au refectoir; mais il n'eust pas loisir de manger: car l'esprit, bien qu'invisible, luy deschira son collet et son pourpoint.
—N'est-ce point aussi la deesse Cerès[110], qui est sur l'eglise des Carmelines, qui demande ses interests sur les bleds et les terres qui ont esté gastées dernierement? dit une du faux-bourg Sainct-Michel.
—Madame n'a pas trop mauvaise raison, dit une autre jeune fille qui avoit les pasles couleurs: car, comme on a desjà dit, il y eut un grand degast, et encor toute ceste estenduë appartient à de pauvres particuliers, qui d'autre part estoient assez en disette sans souffrir ceste perte. Vous sçavez qu'un escu à un pauvre qui en a besoin vaut autant que dix escus à un riche qui n'en a aucune indigence; mais on tient que les Chartreux deffendront leur cause, car les terres des environs où fut fait ce degast leur appartiennent, c'est leur propre.
—Je vous responds, ma commère, dit la femme d'un clerc, quand ils se mettroyent en procez, je ne sçay si l'affaire leur succederoit selon leurs desirs, car tout est aujourd'huy corrompu, l'argent fait tout; il y a tant de tours de souplesse entre ceux qui plaident, tant de destours, ambiguitez, labyrinthes et faux chemins, qu'il est bien difficile de parvenir au vray temple de la Justice. On ne fait maintenant trophée que de tromper son prochain; tel aujourd'huy vous monstre beau visage, qui en son cœur vous voudroit avoir mangé[111].
—Et vous, Madame, à ce coin, vous ne dites mot, dit une jeune femme de la ruë du Coq. Il semble, à vous voir, que vous ayez de la tristesse: est-ce point qu'on vous a mariée contre vostre volonté? (Elle parloit à une jeune femme de la ruë Sainct-Marceau[112], qu'on avoit mariée depuis peu, mal-gré l'inclination qu'elle avoit, à un certain[113] partisan du père Denis.) Il a pourtant des commoditez, et il peut en bref vous rendre dame d'honneur; plusieurs montent aujourd'huy de la cave à la première chambre.—Vous ne dictes jamais rien plus vray, Madame: il a des moyens, à la verité. Mais vous, qui estes toute fraiche, vous sçavez bien que ce n'est pas là la consequence; les premiers feux sont tousjours plus cuisans, et les premières flammes plus poignantes que les dernières[114].
—Comment, se dit une de ces anciennes voisines, vous avez donc aymé quelque autre, qui avoit preoccupé vostre cœur devant le mariage?
—Ouy, Madame; mais la consideration des biens a aveuglé mes parens[115] à me faire embrasser un party où je n'ay eu d'affections[116].
—Là, là, Madame, dit une autre, vous estes dans les biens jusques aux yeux; cela vous doit porter à passer vostre printemps parmi les delices du monde.—Si nous avons du bien, replicqua-elle, nous ne l'avons pas acquis, encor nous faut-il soustenir de grands procez[117] pour l'usurper; mais à tout le moins il se faut resouldre: tout ce qu'est bon à prendre, comme on dit, sera bon à rendre.
—Encor vaut-il mieux faire restitution que de se laisser excommunier, dit une vieille qui avoit fait son temps.
—Mais que diriez-vous d'une rencontre où je me trouvay l'autre jour? dit une sage-femme. Une certaine de nos voisines[118], sur l'esperance qu'elle avoit d'une succession, accoucha de deux enfans; mais c'est bien le pis qu'ils ne partageront aucunement au gasteau[119]. Je vous laisse à penser combien le père est fasché maintenant d'avoir si fort avancé sa besogne: il pensoit tromper les autres, il s'est trouvé trompé[120].
—Voylà mon conte, dit la première. Pour le jourd'huy on ne tasche qu'à envahir le bien d'autrui. N'avez-vous point ouy parler des Pères de l'Oratoire[121], qui ont fait mille tours et ambassades pour s'installer dans Sainct-Louys de Rome, disans que cela leur appartenoit[122]?
—J'en ay ouy quelque mot en passant, dit la femme d'un certain Italien de la ruë Sainct-Honoré; mais on dit qu'ils vouloyent bannir et chasser tous les pauvres prestres françois qui se retirent en ce lieu, pour y prendre leurs places et en recevoir les usufruicts[123].
—Voylà comme ils font dans Sainct-Honoré: ils veulent supprimer toutes les chanoineries, dit une autre, et s'installer en leurs places, afin qu'au temps advenir ils ayent tout le revenu[124]; mais ils en pourront bien torcher leur bouche, aussi bien que des six mille escus de rente qu'ils pretendoient d'avoir à Rome en l'eglise Sainct-Louys.
—Mon mary me conta l'autre jour la plus belle plaisanterie du monde, dit la femme d'un conseiller du conseil privé. Quand on les va voir, ils font apporter une carte.—Messieurs, disent-ils, voicy nostre plan[125]: voilà le grand autel, icy sera la porte, icy la sacristie; voilà les chappelles.—Ouy; mais, mon père, vous n'aurez guères de veuë de ce costé-là[126].—Nous aurons bonne veuë, Monsieur: il ne nous faut point de lunettes pour voir les benefices. Voicy la chappelle de monsieur un tel, voilà la chappelle de son frère.—Mais qui sont toutes ces petites entrées que je vois dans vostre plan?—Ce sont des oratoires, Monsieur: à chasque chappelle il y en aura deux. Cela coustera, à la verité, mais les bonnes gens nous ayderont: monsieur un tel nous baille cinq cens escus pour sa chappelle, l'autre autant, et son cousin autant; pour les oratoires, on ne les vend que deux cens escus.—Et ainsi, ma commère, tout leur bastiment est payé devant que d'avoir faict les fondemens.
—Si est-ce pourtant que je les trouve bonnes personnes (dit une autre): ils sont si doux, si affables! Il semble à voir que la courtoisie soit peinte dans leur visage.
—Je n'en vois pas au contraire, respondit la conseillère; ils sont très pieux et très devots: il est permis à tout le monde de songer à son profit. Je voudrois que leur eglise fut desjà bastie: il n'y a rien que j'affectionne tant que d'ouyr leur musique et leur chant melodieux[127]. Ce n'est que la forme de recreation ce que j'en dis; je ne crois pas les offenser, ni personne qui soit en la compagnie.
Sur ce mot de compagnie, on commença à entendre un bourdonnement par la chambre: les unes disoyent qu'elle entendoit parler des Pères de la societé, les autres en parloyent ambiguement et à l'oreille, de sorte qu'à peine pouvois-je entendre ce qu'elles disoient. Une entr'autres, relevant ceste assistance, comme assoupie dans ces discours, et extravaguée tantost deçà, tantost delà, reprit la parole pour madame l'accouchée: Mais vous ne dictes rien (dit-elle) de Madame: la voilà desormais guarie et en bon poinct.
—Elle n'en aura que le mal avec le temps, respondit la mère; encore est-ce un plaisir quand on a de beaux enfans qui ne sont point contrefaits ni deffigurez; cela apporte du contentement et au père et à la mère.
—La beauté externe du corps (dit une autre, femme d'un certain advocat qui fait le philosophe) est souvent un signe de la beauté de l'esprit: car l'ame, qui de soy est capable de tout sçavoir et de tout comprendre, faict des effects bien plus admirables quand elle se trouve en un corps bien organisé, et qui a ses parties mieux disposées à exercer ses fonctions.
—Holà! Madame, ne passez pas plus outre, dit une vieille chapperonnière à l'antique: car nous n'entendons pas la moitié de vostre discours; il n'y a personne en la compagnie qui entende et puisse comprendre des choses si hautes et relevées, sinon Madame qui est à ce bout, car elle a leu Calvin, Clement Marot, Beze et une infinité de grands philosophes.
—Mercy de ma vie (dit-elle), ouy, je les ay leus! qu'en voulez-vous dire, vieille sans dents?
La compagnie se retourna pour la voir, car la colère luy estoit montée au visage et luy avoit marqué le front d'un vermeillon empourpré.
—N'est-ce pas une estrange chose (dit-elle) qu'on en veut tant à nostre pauvre religion? On nous appelle libertins, cruels, acariastres, imposteurs, semeurs de zisanies, la peste des Estats et l'origine de tous les malheurs qui ont inondé par toute la France, et toutesfois il n'y a rien de plus simple que nous: nous ne demandons que la paix; nous ne cherchons que concorde et fraternelle amitié; tout nostre but ne tend qu'à la reformation.
—Par le vray Dieu, c'est bien à faire à vous à nous reformer! dit la vieille; il y a douze cens ans que la France a quitté son erreur pour s'enrooller sous les drappeaux de la vraye Eglise, et aujourd'huy une femme voudra la reformer! Il ne faut qu'un Calvin, qu'un Luther et deux autres moynes reniez et appostats pour faire refleurir l'ancienne majesté de l'Eglise!
Un petit chien, qu'une certaine damoiselle de la rue Sainct-Paul portoit pour passe-temps, entendant parler de Calvin, leva la teste, croyant qu'on l'appelast, car c'estoit son nom, ce qui fut assez remarqué de la compagnie; mais sa maistresse le reserra sous sa cotte, de peur de faire deshonneur aux saincts.
L'autre ne discontinua pas pourtant son discours: Et venez ça (dit-elle), m'amie; si vous voulez parler avec verité et sans passion, d'où sont venus toutes les guerres civiles qui ont miné et deserté toute ceste monarchie depuis quatre-vingt ou cent ans? Vostre religion n'a-elle pas allumé le feu aux quatre coins de la France? N'avons nous pas veu (au moins mon père me l'a dit cent fois), depuis l'advenement du roy Henry II à la couronne jusqu'à maintenant, tout ce royaume bouleversé de fond en comble pour votre subject[128]? On vous a veu naistre tous armez comme les gensdarmes de la Toison-d'Or que Jason deffit; à peine eustes-vous succé la doctrine impie de Calvin et de Luther que vous minutastes dès lors la ruine de ceste couronne. N'avez-vous pas fait des extorsions estranges, où vostre fureur et vostre rage a peu avoir le dessus? Combien de provinces, de villes, de bourgades et de bonnes maisons ont esté ruinées par vos partisans! La Guienne, le Languedoc, les plaines de Jarnac, de Moucontour, de Dreux, et une infinité de fleuves sont encore empourprez de sang, et jamais, toutefois, la fortune ne vous a esté favorable en toutes les rencontres et batailles qui se sont données contre vous; le Ciel n'a jamais secondé vos monopoles; vos gens y ont tousjours laissé les bottes, et aujourd'huy il y en a entre vous de si acharnez qu'ils en recherchent les esperons[129]. Il s'agissoit alors de la religion; c'estoit à vous à vous deffendre. Mais maintenant que le roy veut protéger tous ses sujects en paix, sous l'authorité de ses edits; qu'il ne demande que l'entrée de ses villes, et qu'il ne requiert autre tesmoignage de l'affection et de l'hommage que vous luy devez que l'obeyssance en tous les lieux qui sont du ressort de son domaine, ceux de la religion luy ferment les portes, font des assemblées et monopoles contre sa volonté, portant opiniastrement les armes contre son service, tranchent du souverain en leurs factions, disposent des provinces et deniers royaux, constituent gouverneurs où bon leur semble, partagent tout ce royaume à leur volonté; bref, se persuadent que la France ne doive plus respirer que par leur moyen. Vous voilà tantost à la fin de la carrière: le roy tient le haut bout; plusieurs en bref viendront collationner en Grève pour aller soupper à l'autre monde.—Elle disoit ces paroles d'un cœur enflammé pour le service du roy, qu'elle voit estre profané par telles gens; d'autre costé, l'autre, qui avoit la bouche ouverte pour luy respondre, confuse de la verité, luy alloit chanter injure, si la compagnie ne l'eut retenuë; une entre autres, voulant mettre le hola, monstra de quelle estoffe estoit sa robbe: Ce n'est pas, dit-elle, aux femmes à s'entremesler si avant dans les affaires, et principalement où il s'agit de religion: car, outre que notre sexe est imbecille à proposer les raisons de part et d'autre, nous nous laissons incontinent emporter à la colère. Si du Moulin estoit icy, peut-estre qu'il deffendroit le party de Madame.
—Du Moulin, dit la femme d'un musnier, c'est un grand docteur! il quitte la bergerie et les oüailles au temps de la persecution. Vramy! voilà bien comme il faut faire; au lieu de songer au troupeau que le Seigneur luy a donné en garde, il s'enfuit pour eviter les coups. Calvin ny Luther ne faisoient point cela du temps de la primitive Eglise.
—Que voulez-vous! dit une demoiselle assez jovialle, c'est un moulin qui tourne à tous vents: il a veu qu'il n'y avoit plus rien à moudre à Charanton, il a quitté la praticque et a pris ses aisles pour s'envoller à Sedan[130].
Comme on estoit sur ce discours, voicy une nouvelle compagnie qui entre. On s'estonna de les voir si tard, et principalement l'accouchée, car le temps approchoit qu'elle desiroit congedier l'assistance. Ce fut qu'on recommença les reverences. Ma cousine (elle parloit à l'accouchée), nous venons du Landy, où nous n'avons pas veu grandes raretez; je vous asseure que les marchands n'y gaigneront pas chascun dix mil escus.—Si est-ce pourtant qu'il y en a quelques uns qui y font bien leur besongne, dit une gantière.—On fait d'aussi bons coups au Landy qu'à la foire Sainct-Germain, repliqua l'autre; les jeunes gens font des parties avec leurs maistresses et sont bien ayses d'avancer la besongne devant le mariage, de peur d'estre renvoyez à la cour des aydes. Demandez-en vostre advis à deux jeunes marchandes d'auprès Saincte-Opportune: nous les avons veuës faire leurs quinze tours dans Sainct-Denis, puis elles sont allées achever le reste de leur voyage dans le bois de Nostre-Dame-des-Vertus, où je me recommande.
—Ainsy va le temps d'aujourd'huy, dit la mère de l'accouchée; les filles donnent tant de privauté aux jeunes gens, que bien souvent ils empruntent un pain sur la fournée, et puis, quand quatre mois après le mariage madame vient à accoucher, c'est à se plaindre entre nous: Helas! ma pauvre fille n'a point porté son fruict à terme, elle a faict quelque effort! Et tous les efforts qu'elles font, c'est qu'elles marchent quelquefois sur la platte d'une orange, et glissent dans un lieu infame.
—Il y en a qui ne sont point en ceste peine (dit une dame d'honneur), car dès l'aage de six ans, ils placent leurs filles en religion, sans sçavoir si elles y sont propres ou non, et bien souvent il faut sauter les murailles.
—Aussi vray, Madame, dit sa voisine, vous ne rencontrastes jamais mieux; la pluspart le font pour agrandir leurs maisons, les autres pour des considerations particulières; mais tous en general, et les parents et les religieuses, ne songent qu'à leur profit.
—Pour faire bien maintenant son profit, dit la femme d'un certain receveur, il faut s'associer avec ceux qui tiennent la ferme du sel[131] et avec les commissaires des guerres: les premiers font leur profit et desrobent par mer, et les autres pillent et vollent par terre; on fait passer des batteaux chargez de sel soubs main, et puis ils font les rencheris. D'autre costé, les tresoriers et commissaires des guerres sont en saison; s'il leur faut faire un payement de deux ou trois mil livres: Monsieur, diront-ils à un capitaine, nostre argent n'est pas encore arrivé; s'il vous plaist d'avoir un petit de patience... L'autre, qui est pressé, les quitte pour la moitié, et ainsi monsieur le tresorier se trouve aussi riche tout seul que ceux à qui, en general, il aura fait son payement[132], sans les passe-vollans[133] qu'ils admettent dans les compagnies.—M'amie, cela ne sera pas long-temps ainsi: le roy y mettra bon ordre. Quand il en aura chastié deux ou trois, les autres n'y retourneront plus.
Tandis, le temps s'escouloit insensiblement. La nourrisse eut bien désiré de dire un mot devant que de partir, mais sa maistresse la remit à un autre jour et pria sa mère de congedier la compagnie, ce qui m'apporta du contentement[134], car, si elle y eut sejourné plus long-temps, il m'eut fallu faire comme le diable que vit un jour sainct Martin, qui, tenant registre derrière le pillier d'une eglise de tout ce que trois ou quatre femmes disoyent, et voulant allonger le papier qui luy manquoit avec les dents, de mal'heur il se frappa la teste contre le pillier. Moy, de peur que le mesme accident ne m'arrivast, j'ay mieux aymé remettre le tout à une autre fois.
LA
TROISIÈME APRÈS-DISNÉE
DU
CAQUET
DE L'ACCOUCHÉE
[135].
Depuis hier j'ay appris d'un certain medecin de mes amis que les potages blancs estoient grandement profitables aux accouchées, et que l'on ne pouvoit leur apprester aucun assaisonnement ou viande plus propre, d'autant qu'elles ont besoin de restringens propres pour arrester le grand flux qui arrive aux femmes lors de leur accouchement, outre qu'il est besoin de les resserrer; ce qui me fit songer aussi tost à ce que j'ay ouy dire d'un drosle qui, le jour de l'accouchement de sa femme, s'escrioit devant la porte de la maison: Largesse, largesse! Je fis mon profit de ce que me dit le medecin, pour le dire le lendemain à ma cousine, que je fus visiter pour pouvoir escouter tout ce que celles qui la visiteroient rapporteroient, tant des affaires particulières de leurs maisons que de celles de dehors, et, m'estant rendu au logis à l'heure accoustumée, je vis l'accouchée, laquelle n'estoit pas trop contente de la visite qu'elle avoit eu le jour d'auparavant, d'autant (disoit-elle) qu'il pourra sembler à la compagnie que, pour luy faire moins d'honneur, l'on y avoit fait trouver des fruictières, des femmes de meuniers[136] et autres racailles, qui estoient si impudentes et effrontées que de parler avec des femmes de Messieurs des Comptes, de secretaires, de tresoriers et autres de qualité.
Après luy avoir dict ce que j'avois apris de ce medecin, je me plaçay dans le cabinet qui est au chevet de son lict, et me mis là en estat d'escrire; et songeant à ce que je commancerois, la femme d'un commissaire des guerres, qui porte l'attour de damoiselle, combien qu'elle soit cousine germaine de M. I. G.[137], entre, et, après avoir faict la reverence assez bien, car elle est courtisane il y a fort long-temps, s'assit et dit que le temps estoit fort inconstant, et que le bon-heur luy en avoit bien voulu depuis un an en çà, car son mary avoit eu suject de revenir de la guerre, ayant eu les jambes cassées, où il faisoit assez bien ses affaires, mais que pour ce suject il estoit dispensé de servir, et ne laisseroit de recevoir ses gages par deçà, tout ainsi que s'il y estoit.—Pour moy, dit l'accouchée, encores est-ce un contentement quand hors d'exercice l'on est bien payé, veu que pendant iceluy on a toutes les peines d'estre payé des thresoriers, qui font passer tant de passe-volans que c'est merveille, et en disant qu'ils n'ont point d'argent font faire composition d'ordinaire à la moitié, à la confusion du pauvre soldat et au profit de monsieur le tresorier.—Veritablement, Madame, dit la damoiselle, vous avez touché au but, car cela est vray; et ils font bien pis: ils font à toute heure croire au roy qu'il n'y a point d'argent dans ses coffres, et l'obligent par ce moyen à trouver de nouvelles inventions pour en avoir, ce qui ne se fait jamais qu'à la foule du pauvre peuple, lequel est à present aux plus grans abbois du monde.—Mais encores, dictes-moy, Madamoiselle, quels sont les plus communs profits de Messieurs les commissaires des guerres, veu que ces estats sont tant recherchez aujourd'hui, que beaucoup de tresoriers, conseillers, presidens, advocats, procureurs et autres y placent leurs enfans et parens? Pour mon regard, il me prend envie de dire à mon mary qu'il en aye un pour vivre plus à son aise.—Madame, dit la damoiselle, le gain est si grand que (s'ils veulent) ils peuvent mettre trois ou quatre livres de poudre dans leurs pochettes autant de fois et à chaque coup de canon que l'on tire; ainsi des boulets, ne faisant mettre assez souvent que de la bourre dans les canons, comme ont fait plusieurs au premier voyage du roy vers Montauban.—Pendant ces discours, plusieurs damoiselles et bourgeoises entrèrent en la chambre, lesquelles prirent place.
Une damoiselle, femme d'un autre tresorier des guerres qui se trouva là, prenant la parole, dit comme en cholère: Madamoiselle, puisque Monsieur vostre mary est de l'artillerie, vous ne devriez pas parler si ouvertement. Ne sçavez-vous pas qu'il est besoin de celer le secret des charges de nos maris, lesquels ne nous les disent qu'avec grande difficulté, de peur que l'on n'en face quelque rapport au roy, lequel est assisté de flatteurs qui nous font ronger les ongles d'assez près? Et tant s'en faut qu'il faille en parler, qu'au contraire il se faut toujours plaindre. Croyez-vous que nostre cuisine fust si grasse qu'elle est, et que nous aurions tant de suitte de valets et servantes, si le roy voyoit bien clair en nos affaires? Et pour empescher la recherche que l'on voulut faire, il y a quelques années, des tresoriers de la France, ne composa-on pas avec les partisans? Et asseurez-vous que l'on ne fera pas autrement si l'on les recherche de nouveau, comme l'on en murmure.
—Madamoiselle, ce dit la femme d'un secretaire, je vous prie de croire que MM. les tresoriers de France ne seront pas recherchez, car ils sont trop grands seigneurs, et que si l'on entreprenoit ceste affaire, ce ne seroit que pour tirer quelque pièce d'argent[138]; mais toutesfois, pour que l'on ne descouvre leurs affaires à tout le monde, je pense qu'il n'y a rien meilleur que de courir au devant, et de jetter, comme on dit, à la gueule une somme d'argent pour n'en estre point parlé. Mais je sçay bien que l'on en veut fort aux greffiers, qui reçoivent plus que leurs droicts, et s'ingèrent de faire des charges qui sont deües à d'autres, ou au moins prennent des charges en tel nombre que six ou sept jeunes hommes seroient honnorablement employez, lesquels, au moyen de ce, perdent leur jeunesse faute d'offices et d'exercice; outre qu'ils sont cause que les offices sont très chers et se vendent à si haut prix[139] que bien souvent aussi on n'en peut avoir, car ils en cèlent le revenu.
La femme d'un conseiller dit: Mes damoiselles, voulez-vous que je vous die ce que mon mary me disoit l'autre jour à propos des greffiers? Il me dit qu'il s'estonnoit de ce qu'une place de greffe du Chastelet de ceste ville de Paris a esté venduë dix mille escus, laquelle place, à son avenement à son office de conseiller, ne se vendoit que mil escus. N'est-ce pas pour s'estonner avec raison? Car quelle apparence de gaigner l'interest de ceste somme? Il dict qu'il est impossible, et que l'affluence des affaires et les droits ne sont si grands; pour le regard du tour de baston[140], on le faict aussi grand[141] que l'on veut. L'on ne sçauroit juger de la volonté des hommes et de leur intention; mais sçay-je (comme dict mon mary) que l'on ne sçauroit faire son salut en cest exercice, et qu'il faut de necessité exiger plusieurs droicts qui ne leur sont deubs.
—La femme d'un greffier qui estoit là dict: Madamoiselle, vous parlez bien des greffiers, mais vous ne sçavez pas la recherche que l'on veut faire des conseillers; et l'on dict qu'ils ne doivent faire faire des comparitions en leurs maisons, car les arrests de la Cour les leur deffendent. Vramy, Madamoiselle, vous devriez bien prendre garde à vos affaires; vous serez peut-estre plustost en peine que nous, car l'on commencera premierement par vous et non que par nous.
L'accouchée, levant la teste, dit alors: Là, Mesdames, je vous prie de prendre ce qui se dit icy par forme de devis, et non pas au point d'honneur, car c'est à faire aux hommes de le debattre, et prevoir ce que nous pouvons dire. Parlons, s'il vous plaist, d'autres choses. N'avez-vous veu et leu les questions de Tabarin[142].
—Ouy, Madame, dit la femme d'un secretaire du roy, je les ay leuës il n'y a pas un mois; mais je n'y prends pas beaucoup de plaisir, car l'on m'a dit qu'il y a bien à dire de ce que dit Tabarin et de ce que l'on a escrit sous son nom, et qu'il n'y a rien de tel que de l'ouyr.
—Vramy, Madamoiselle, dit la femme d'un medecin, je l'ay ouy dire ainsi à mon mary; mais il trouve que Mont-d'Or dit beaucoup confusement, et s'estonne de la facilité des bourgeois de Paris, qui se laissent persuader si legerement à ses discours[143], qu'à le voir debiter aujourd'huy sa marchandise il semble qu'il arrive tout nouvellement en ceste ville: car il la departit en si grande quantité que rien plus.
La femme d'un des tresoriers repliqua: Madame, c'est peut-estre la bonne mine de Mont-d'Or qui luy fait debiter sa marchandise si promptement: car il y a des personnes qui m'obligeroient plustost à prendre quelque chose d'eux que non pas les autres.
Peut-estre que la bonne façon de son commis[144] luy faisoit tenir ce discours, car on dit quelle luy porte quelque affection. J'en appris des nouvelles il n'y a pas long-temps; mais, sans la scandaliser, elle ne va guères aux champs sans luy, faisant croire à son mary qu'elle craint les rencontres mauvaises. Mais oserois-je dire qu'une femme d'un procureur de la Cour de parlement ne fait rien que par la volonté de son clerc? Et le plus souvent, quand elle veut prendre un collet monté, il faut prendre l'advis du clerc pour sçavoir s'il est bien empezé ou non; et, s'il ne le trouve bien, il le rompt et froisse entre les mains, en disant qu'il ne veut pas qu'elle le porte, et si elle pense dire qu'il couste de l'argent, il repond que ce n'est pas grand chouse d'un teston.
La femme du medecin, reprenant la parole à propos de Mont-d'Or, dit: C'est vray que la bonne mine provoque quelquefois à prendre de la marchandise, encore bien que l'on n'en aye affaire[145]; mais l'on n'en peut pas dire autant de Desiderio des Combes, que l'on nomme Charlatan[146], car il n'a pas bonne trongne[147], et de bien dire il luy en manque autant; on dit aussi qu'il le sçait bien confesser. Pleust à Dieu que chacun fust aussi libre de confesser sa naïfveté! En cela l'on peut croire qu'il n'est pas charlatan, si ce n'est que l'on veut dire qu'il use de mots estranges pour mieux vendre et debiter ses drogues, et par ce moyen en baille à garder aux uns et aux autres; toutefois il faut sçavoir qu'en la medecine il y a des mots fort obscurs, et de l'art (comme l'on dit), et si cela n'avoit lieu, il faudroit dire que les apotiquaires et medecins, pour oster la commodité au menu peuple de composer de soy-mesme quelques medecines, usent de mots barbares, combien que les choses et drogues qu'ils signifient soient très communes.
—Je l'ay ouy dire ainsi, dit la femme d'un secretaire, qui ayme fort à ouyr parler de la medecine et pharmacie, car son premier mary estoit empirique et distillateur de la royne, et dit luy avoir ouy dire plus, sçavoir, qu'il y a des herbes dans nos jardins dont nous pourrions bien ayder et servir pour notre santé, si nous en avions la cognoissance, et que le plus souvent l'on s'en sert à la medecine et pharmacie, et les apotiquaires les nomment par mots grecs, latins ou arabes, de façon qu'à cause des noms, le plus souvent ils font croire qu'ils viennent des Indes-Orientales ou Occidentales, etc.
La femme d'un notaire qui estoit là dit: Pour mon regard, j'ai demeuré il y a jà quelque temps chez un apotiquaire; mais je ne luy ay veu employer que des herbes que l'on racle souvent dans nos jardins, et me souviens qu'un jour, comme j'estois à la boutique, l'on envoya commander une medecine: l'apotiquaire ne prit pas d'autres herbes ny ingrediens que ces meschantes herbes. Depuis j'ay veu les parties pour celuy auquel on porta la medecine, lesquelles sont pleines de tant de discours estranges, que pour moy je n'y cognois que le haut alleman, car il y avoit Or, Occ, Arab, et toutefois je cognoissois tout ce qui estoit entré en ceste medecine, et je jure la foy qu'il n'y entra jamais que de meschantes herbes.
—Vramy, Madame, dit la femme de ce secretaire cy-dessus, il ne s'en faut pas estonner, car s'ils ne faisoient ainsi, ils n'enrichiroient pas leurs enfans comme ils font. Ne sçavez-vous pas qu'à S.-Germain un apotiquaire a laissé des moyens suffisamment à son fils pour avoir un office de payeur, qui vaut huict mil escus et plus? Mais qui vous diroit qu'ils font aujourd'hui leurs enfans conseillers de la Cour, dont y a eu un grand bruict entre Messieurs du Parlement, qui ne les veulent recevoir, à cause de la qualité? Mais il y a un bon remède à cela: c'est qu'il se font recevoir au Parlement de Bretagne le plus proprement du monde.
—Madamoiselle, dit la femme de ce medecin, je ne sçay si vous sçavez qu'un apotiquaire à quitté la moitié de sa boutique pour acheter un office de secretaire; et qui plus est, sçavés-vous que femme et fille pleurent ses pechez tous les jours, et n'ont autre resjoüyssance que de prier Dieu en son logis ou dans les eglises? Mais que ne diray-je pas des chirurgiens, qui donnent des offices de controoleurs, ou semblables, qui valent quinze à seize mil francs, à leurs fils? et quant à leurs filles, il ne leur manque que le masque[148] que l'on ne les prenne pour damoiselles: elles osent bien aussi faire comparaison avec elles à cause de leurs moyens.
La femme de ce secretaire dit: Je vous jure, Madame, que jamais je ne fus plus estonnée. J'estois en une fort honneste compagnie l'autre jour, où il arriva un jeune muguet vestu à l'adventage, avec l'habit de satin decoupé, le manteau doublé de panne de soye, le chappeau de castor et le bas de soye[149], lequel se mit à cajoler une bonne heure entière, et usoit de toutes sortes de complimens. Après qu'il fust sorty, je m'enquestay quel il estoit: l'on me dit qu'il estoit fils d'un chirurgien; mais jamais je ne vis rien de plus leste, car il a mine de quelque courtisan. Aujourd'huy l'on ne cognoist plus rien aux habits: tout est permis, pourveu que l'argent marche; quant on parle à quelqu'un, on ne sçait si l'on doit dire Monseigneur ou Monsieur simplement.
—Mais que dira-on de l'apotiquaresse qu'un chacun cognoist bien? dit la femme du notaire. Elle contrefaict si bien la belle, qu'il luy semble bien qu'ouy. N'avez-vous pas ouy dire qu'elle va souvent en la cour du Palais, et que l'on est bien receu chez elle pourveu qu'on luy porte? Quant à elle, elle n'est nullement ceremonieuse.
Sur ces entrefaittes le medecin et le chirurgien entrent, qui fut cause que l'on changea de discours, et toutes les damoiselles et dames qui estoient presentes leur demandèrent s'il y avoit de l'amendement en l'accouchée, et si elle avoit encores la fièvre qui l'avoit tourmentée les jours precedens. Ils dirent qu'elle en avoit encores quelque reliqua, mais que, Dieu aydant, elle seroit bientost à son aise; et incontinent ils sortirent. Après, l'accouchée dit à la compagnie: Sur quels discours estiez-vous demeurez, Mesdames?
La femme d'un conseiller, prenant la parole, dit que l'on parloit des enfans des medecins et apotiquaires de Paris, et qu'il n'y avoit que trop à dire sur eux, mais qu'il y avoit encores plus à redire sur les orfévres: Car j'en cognois, dit-elle, un qui a plus de suject de vacquer à fermer sa boutique que non pas à l'ouvrir, d'autant qu'il y en entre plus qu'il n'en sort: je dis des marchands; aussi a-il une assez jolye femme; je ne dis pas qu'elle face l'amour, car il y a long-temps qu'il est fait, outre qu'elle est prescritte et ne sert plus qu'à un, dit-on, qu'elle nomme son frère.
La femme du medecin replicqua: Quoy! Madamoiselle, seroit-il possible qu'elle fust entretenue par son frère?—Madame, dit la damoiselle, on le dit ainsi, proche la ruë aux Ours.—Madamoyselle, ils meriteroyent donc tous deux d'estre punis, car c'est un grand peché[150].
Mais, dit la damoiselle, que doit-on juger d'une femme qui descouche quelquefois au desçeu de son mary, comme elle fait?—Vramy, Madamoiselle, dit la femme d'un medecin, c'est pour donner suject de mal parler d'elle, beaucoup plus que ces filles qui avoyent esté perduës l'espace de vingt-quatre heures, car elles ont esté emmenées contre leur volonté, et non pas elle, qui ne pouvoit pas estre forcée.—Il est vray, dit la damoiselle.
—A propos de monstre, dit la femme d'un conseiller, il me souvient que la femme d'un orfévre avoit attrapé d'un jeune homme une belle monstre pour jouyr de ses beaux yeux chassieux, qu'elle a esté depuis contraincte rendre, mesmes en la presence de son mary, qui feignoit n'en sçavoir rien. La feinte fut bonne aussi de la part de l'orfevaresse, car elle dit que le jeune homme l'avoit oubliée le jour de devant, et que l'on ne la luy vouloit pas retenir.
L'on apporta pendant ces discours un panier de cerises très belles à confire à l'accouchée, de la part d'un sien parent orfèvre, qui fut cause que l'on changea de discours, et que la femme du medecin dict qu'elle s'estoit trouvée depuis huict jours en çà en compagnie vers la rue de la Coustellerie, où l'on faisoit confire des cerises, et avoit remarqué que l'on en mettoit à part pour Monsieur un tel, à cause de la sollicitation d'un procez qu'elle avoit gaigné: car son mary ne dit mot, fait le tacet en sa presence, et elle court partout.
—Je fus il n'y a pas long-temps en la ruë Sainct-Jacques, dit la mesme femme du conseiller, pour y acheter des pots à confiture; mais j'y appris de belles nouvelles: on disoit qu'une certaine jeune femme avoit esté emmenée à Roüen, et que son mary l'estoit allé querir, et qu'il l'avoit fait mettre prisonnière, ensemble celuy qui l'enmenoit; que cet affaire avoit esté accordé moyennant cinq ou six cens livres.
La femme d'un advocat, qui estoit en la compagnie, dit: Mesdames, je l'ai ouy dire ainsi à mon mary, qui plaida la cause; et, bien d'avantage, celuy qui a payé cet argent a bien eu encores du différend avec eux: car ils ont plaidé au criminel pour des injures; le mary a eu des deffenses contre ce tel de mesfaire ny mesdire.
—Que dira-on, dit la femme d'un conseiller, de la belle vitrière? A propos de pots de verre, je ne sçay s'il est vray qu'elle fait benir ses verres par un P. (sans offenser l'ordre); mais à la Tournelle on en parle fort, comme aussi de sa sœur, qui va voir quelquesfois madame de la Pille.
L'accouchée fit le holà pour parler de l'imprimerie, et commença elle-mesme à dire: Mesdames, ceste sœur dont Madamoyselle a parlé a bien advancé son mary par le moyen de Monsieur un tel, qui a bien du credit chez les libraires, principalement sur ceux proche le Puis-Certain[151] et de la ruë Sainct-Jacques.
La femme du conseiller dit qu'elle en cognoissoit bien une, laquelle court et va souvent au marché neuf avec une jeune passementière de dessus le pont, et la femme d'un advocat, au quartier de l'Université, pour satisfaire à des assignations qu'elles donnent au Coq, où se débroüillent plusieurs affaires dont leurs maris ne sont capables: car elles n'y vont qu'à leur desçeu, deux ou trois fois seulement par semaine.
—Il est bien à craindre (dit la femme du medecin) que la nécessité ne face joüer quelques amours entre une femme de ce cartier-là et un jeune homme, tous deux de l'Université, ou bien le peu d'amitié qu'elle a pour son mary; je sçay bien au moins qu'il y a bien du soubçon, et peut-estre avec raison.
—Il y a bien pis, dit la femme du conseiller: on dict que deux jeunes femmes de la ruë Sainct-Jacques se vont pourmener à deux lieuës de cette ville, en la compagnie de deux jeunes hommes qui leur assignent heure, jour et rencontre par un mot de lettre, et que par mal'heur la lettre ayant esté veuë par les maris, ils simulèrent n'en rien sçavoir, et le jour venu dirent à leurs femmes qu'ils alloient aux champs, dont elles furent bien ayses, croyans par ce moyen avoir le temps libre pour aller à leurs assignations, où elles ne manquèrent non plus que leurs maris, qui se desguisèrent et entrèrent à l'hostellerie où se passoient les affaires, et d'une chambre proche qu'une simple cloison separoit de la leur, ils entendirent faire la feste à la façon de la beste à deux dos, dont ils demeurèrent bien estonnez, et avec leur courte honte s'en reviennent en ceste ville, se consolans en eux-mesmes contre l'infortune qu'ils disoient estre commune à plusieurs, disans que leurs femmes n'en avoient apporté la mode en France. Je vous demande si ces maris-là ne meritent pas bien cela? Je sçay bien qu'il n'y a point de soubçon de ce costé-là, car l'affaire est toute certaine.
—Madame, dit la femme du medecin, les livres sont de grand prix, et si j'ay ouy dire à mon mary qu'il y a des temps que certains livres qui ne valent par cinq sols pièce, valent pistolles, de sorte que ceste marchandise augmente souvent et ne diminuë guères, et ainsi ils s'enrichissent fort, ce que ne peuvent pas faire ceux qui impriment ou font imprimer tant de nouveautez ou phantasies qui se publient et debitent tous les jours.
—A propos de nouveautez, dit la femme du conseiller, on fit present l'autre jour à mon mary d'un petit discours intitulé l'esprit de la Cour qui va de nuict[152]; mais d'autant que la matière ne respond en façon du monde au titre, je voudrois que celui qui l'a faict eust un esprit de jour, et non pas de nuict, obscur et perdu, afin qu'il peust recognoistre ce qu'il veut escrire, car on n'y cognoist rien.
—Mais que vous semble, dit la femme du medecin, de ceste relation generale des conquestes et victoires du roy sur les rebelles[153]?
—C'est du papier mal employé, dit la femme du conseiller, car il n'y a rien de remarquable, qui soit de l'histoire; l'ordre n'y est pas bien gardé, et, qui plus est, l'on escrit par là que Clerac a esté pris et reduit à l'obeyssance de Sa Majesté depuis la ville de Negrepelisse, qui a esté renduë au roy depuis quinze jours seulement[154]. Je ne m'estonne pas de toutes ces fautes, et des faussetez qui se passent aux escrits d'aujourd'huy.
—J'ay veu, dit la femme du maistre des requestes, un discours de la prise de Sainct-Antonin[155] qui est fort mal faict aussi, car l'autheur met à la fin ce qu'il doit mettre au commencement, sçavoir, la sommation aux habitans de se rendre, après avoir escrit la reduction, qui est posterieure.
—J'ay veu aussi, dit la femme du medecin, deux discours de la vie de la dame Therèse[156], en l'un desquels il est escrit qu'elle a eu deux pères, en l'autre qu'elle n'en a eu qu'un; mais je pense que l'imprimeur n'a peu lire l'escriture de l'autheur, ou bien qu'il ne l'a pas releu. Au moins, il semble que l'autheur ait voulu dire qu'au monastère dont est question, il y avoit deux filles du nom de Therèse, l'une desquelles estoit fille d'un nommé Bermude, et l'autre (qui est la veritable mère et saincte Therèse) estoit fille d'un nommé Sanchez: car je l'ay appris ainsi. Toutesfois l'on a eu tort de faire ceste faute en l'impression, car il y a de la peine de faire sçavoir les erreurs au menu peuple, qui est par trop grossier et lourd d'esprit.
—J'ay veu aussi, dit la femme du conseiller, un discours du Courtisan à la mode, imprimé il n'y a pas long-temps, lequel n'estoit autre chose qu'un extraict ou transcrit de l'Espadon satyrique[157] mot pour mot, ce qui ne se devroit tolerer: car c'est tromper et abuser le monde. J'ay ouy dire, mais je ne sçay s'il est vray, qu'un petit libraire reformé de la ruë Sainct-Jacques est fort ordinaire de ce faire: c'est pourquoy l'on ne veut plus rien acheter de ce qui se vendra sous son nom.
La femme du medecin dit: Et pourquoi, Mademoiselle, ne veut-on plus acheter de ce qui se vend souz son nom? N'est-il pas libraire? ne luy est-il pas permis de faire imprimer et vendre comme les autres? ne fait-il pas des apprentifs? bref, n'est-il pas bien capable?
—Ouy-dà, dit la damoiselle femme du conseiller, il est bien capable; mais c'est qu'il ne se veut pas donner la peine de travailler quand il trouve la besongne toute faite, comme les pourceaux (sauf la chrestienté), qui mangent, par reverence, la merde, pource qu'elle est toute maschée. Il est quelquefois temps de rire.
La femme d'un notaire dit: Mesdames, j'estois, il n'y a pas long-temps, en une compagnie où on se plaignoit fort de ce libraire-là; je me doute quel il est sans le nommer. On disoit que le jour il faict imprimer ce qu'il songe la nuict, et un honneste homme de qualité, je vous jure, le disoit ainsi; et plus, il dit que le roy n'avoit point de plus valeureux guerrier que luy en tout son royaume: car on est tout estonné que, luy ayant donné le bon soir bien tard, le lendemain, avant qu'il s'esveille, il a mis à bas dix-huict mil hommes, tantost des dix mille, quelquesfois cinq cens tout à la fois, et au premier jour d'après l'on crie par la ville des deffaictes plus grandes que celles d'un Pompée.
—Je ne m'estonne pas de ces escrits, dit la femme du conseiller; qui est celle d'entre nous qui n'a point veu son nom escrit dans quelques pasquins, attendu que l'envie ou mal-veillance? du monde est si grande aujourd'huy, qu'à peine la plus femme de bien se peut-elle garentir de tels escrits scandaleux et injurieux? Mesmes les plus grands n'en sont pas seulement exceptez: c'est pourquoy les vertueux et vertueuses ne se ressentent pas autrement des injures qu'on leur impose, ne plus ne moins que la palme que l'on essaye abbaisser et atterrer, et plus neantmoins elle se relève.
La femme du notaire dit: L'on appelle ouvertement un partisan monopoleur, à cause qu'un clerc qui anciennement avoit servi dix ans estoit maistre, et qu'aujourd'huy, après avoir servy ce temps-là, il est contrainct de vendre son patrimoine, et encores emprunter pour achepter un meschant estat, qui ne le peut nourrir six mois en un an s'il ne desrobe.
—Ne parlons plus, dit l'accouchée, de ces libelles diffamatoires; parlons des belles papetières. Quand à moy, je vous diray qu'au cloistre[158], l'une y a tant de crédit, qu'elle y pourra faire mettre un enfant pour servir au chœur quand il luy plaira: car elle est bien venuë de monsieur un tel.
La femme du notaire dit qu'il y avoit deux filles panetières et lingères, toutes deux assez proches voisines, lesquelles sont d'humeur fort courtoise, et que bien souvent elles font partie avec des jeunes hommes pour aller à Sainct-Cloud et à Vaugirard pour y passer le temps, sans que leur père et mère leur en osent dire mot, ce qui est de mauvais exemple.
—C'est chose de bien plus mauvais exemple, dît la femme d'un secrétaire, de voir qu'une fille retient sa mère prisonnière sous couleur qu'elle la tance de ses complexions, et de ce qu'elle luy reproche qu'elle a attrapé tout son bien par l'artifice de son mary, et que tous deux ils ne la veulent plus voir, aujourd'huy qu'ils l'ont despoüillée: encores dit-on que ceste pauvre femme ne s'affligeroit point tant si sa fille se retiroit de sa mauvaise vie, et ne donnoit exemple de faire mal à sa fille, qui est fort jeune.
—Les exemples des inimitiez d'entre les parens sont si ordinaires, que de les citer icy les uns après les autres (dit la femme d'un procureur), ce ne seroit jamais faict; parlons plustost des bons maris: sçavez-vous point qui est ce libraire lequel porte tant de respect à sa femme, qu'il prend cinquante escus en cachette d'elle pour payer les espices d'un procez contre les Normands (Dieu benisse la chrestienté!) qu'il a perdu, et qu'il luy fait croire qu'il a gaigné?—Madamoiselle, j'en ay bien ouy parler; mais je ne me puis souvenir de son nom; au moins je sçay qu'il porte une grande barbe, et la perte de son procez provient peut-estre de ce que son solliciteur n'y voyoit qu'à demy, ou bien que l'on a sonné la diane et la retraicte promptement.
La femme du notaire dit: Veritablement, Mesdames, j'estime ces femmes-là heureuses desquelles les maris sont tant respectueux et doux. Pour mon regard, je me puis vanter d'avoir un bon mary, car il n'est point jaloux de moy; il me laisse baigner et pourmener avec mes voisines, et d'ordinaire je demeure, pendant qu'il s'en va coucher, à la porte avec de mes voisins et voisines à deviser quesquesfois jusques à minuict, et s'il sçait que je presente la collation, il ne m'en dit mot.
—Pleust à Dieu, dit la femme d'un conseiller, que mon mary me fust aussi facile, et qu'il ne me tinst point de si court! Quand il luy prend quelque ombrage, il m'enferme soubs la clef et s'en va; à quoy toutesfois j'ay bien donné ordre, faisant faire une autre clef, que ma servante porte, avec laquelle je me mets en liberté quand bon me semble.
—Je me suis laissé dire, disoit la femme d'un advocat, que la femme d'un C. estoit grandement aise de ce que son mary faisoit la despence du logis, et achetoit jusques à un balai à balayer la maison, et qu'il seroit bien marry de bailler un sol pour un carolus[159]; aussi y regarde-il de bien près. Quant à sa femme, elle n'a autre soing que de prier Dieu, se lever, boire, manger et dormir, ce qui est bien difficile à faire, comme je croy.
—Une autre, dit la femme d'un conseiller, doit bien estre aussi aise, car son mary est si soigneux de la cuisine, qu'il espargne les gaiges d'un cuisinier et ceux d'un sommelier, faisant bouillir luy-mesme la marmitte, et accommodant le couvert de la table; sa femme luy sçait bien dire que ce n'est pas sa qualité.
L'accouchée, voulant prendre congé de la compagnie et lui donner le bon soir, dict: Mesdames, quand l'on a parlé tantost de l'imprimerie, j'avois peine de me souvenir de ce qui me vient à présent en memoire, sçavoir que, l'autre jour, un de mes amis ayant un factum à faire imprimer, il s'adressa à un certain quidam qui affiche à sa boutique: «Ceans y a imprimerie, où l'on imprime factum et autres œuvres», combien qu'il n'en ayt point, et qu'il n'y cognoist que bien peu, s'addressant aux imprimeurs pour les faire imprimer, comme font la pluspart desdits preneurs de factum à imprimer, essayant ainsi à gaigner quelque chose, tant avec ceux qui donnent à imprimer, qu'avec les imprimeurs. Mais le malheur en voulut tant pour ce mien amy, qu'à faute d'avoir eu à l'heure promise ledit factum, il perdit son procez. Cela advint par la contention d'entre l'imprimeur et le libraire qui avoit entrepris de le faire; et certainement il y a plus perdu que gaigné, à ce qui m'en a esté rapporté, car, n'ayant eu fait en temps et lieu qu'on lui avoit demandé, on ne l'a pas voulu recompenser de la perte qu'il dit avoir soufferte. Je croy que cela luy apprendra une autre fois.
—Vrayement, Madame, dit une de la compagnie, je m'estonne que les imprimeurs n'y mettent ordre, sans se laisser usurper ainsi le gain qui leur appartient!—Il est vray (respond celle-là qui avoit encommencé le discours) qu'ils devroyent bien y donner ordre; mais aujourd'huy tout va à la renverse, chacun en tire et prend où il peut, et, avec le temps, chacun aura la cognoissance de l'imprimerie. Ainsi, restant sur ces derniers discours, chascune se lève de son siége, donnant le bon soir à l'accouchée[160].
LA
DERNIÈRE ET CERTAINE JOURNÉE
DU
CAQUET DE L'ACCOUCHÉE.
M. DC. XXII[161].
Arrière toute melancolie! je ne demande plus qu'à rire et passer mon temps. Je faisois partie avec nos voisines pour aller à Fontainebleau, quand on m'est venu advenir que, l'après-dinée, des dames d'importance se devoient rendre chez ma cousine l'accouchée. Je coureus incontinent chez elle pour[162] clorre ma dernière journée, nonobstant l'Anti-caquet de nos idiots, qui ne parlent françois ny latin, quoy qu'ils feignent revenir de l'autre monde. Quand ils auront corrigé leur plaidoyé et escriront en termes recevables, je leur respondray de mot à mot. Ce sont des sots qui ne sçavent point de nouvelles que celles de la basse-court, que je laisse pour le commun. Ma cousine me receut à bras ouverts; nous nous entretinsmes long-temps des discours facetieux qui s'estoient faits à nostre dernière entreveuë, de la deffiance des dames, du conte que l'on leur avoit fait que quelqu'un se cachoit en la ruelle du lict, et mesme de leur curieuse recherche. Nous en rismes à gorge desployée. Elle s'informa des nouvelles du Palais. Je luy dis la plus commune, du pelerinage des deux mercières. Elle me pria de luy en faire le conte. Je luy rapporte fidelement comme tout s'estoit passé: que les deux bourgeoises, feignant de se vouloir acquitter d'un vœu qu'elles avoient faict d'aller à Nostre-Dame-des-Vertus, auroient demandé congé à leurs maris; qu'après leur avoir accordé, ils seroient entrez en ombrage, et, pour sçavoir la verité, les auroyent suivies, l'un avec un habit de moyne emprunté des religieux de Sainct-Martin, l'autre avec le sien ordinaire de père de l'Oratoire, et rencontrées à my-chemin, conduites par deux jeunes advocats; comme ils les suivirent de loing, entrèrent en mesmes logis que nos amoureux choisirent sans estre recognus, et, s'estans glissez subtilement soubs un lict de leur chambre, virent en leur presence balotter leurs femmes, sans y pouvoir apporter remede; leur retraitte sur le soir, le nouveau courage des maris, qui doublèrent le pas et les abordèrent, la fuitte de nos galands, et finalement comme nos cocus menèrent leurs femmes dans une saulsaye prochaine pour partager en leur communauté la miserable fortune d'Acteon. Ils se reservèrent les cornes, et donnèrent à leurs paillardes les decouppures et diaprures gentilles.—Veux-tu que je te die, cousin? me dit-elle, je ne sçaurois m'empescher de plaindre le sexe; je ressens un extrême desplaisir de la mauvaise fortune de ces pauvres femmes, car, sur ma foy, ces sots méritent bien de porter le ramage. Sçachez, mon amy, qu'il y a trois choses qu'à l'heure qu'on les recherche le plus curieusement, on voudroit les trouver le moins: le fond de sa bourse, de la viande à un privé, et sa femme faisant l'amour. Ces curiositez trop grandes sont grandement blasmables, et n'apportent enfin que toutes sortes de desplaisirs. Mais il me semble que J'ai apperceu quelque esmotion en ton visage au recit que tu m'as fait de ceste histoire; en conscience, si tu estois marié, ne serois-tu point jaloux?—Je luy respondis hardiment que non. Elle me pressa pourtant encores, et me demanda laquelle des deux conditions je voudrois choisir, ou d'estre cocu, ou abstraint à ne jamais faire l'amour. Je lui fis la mesme response que fit autrefois ce grand capitaine à Tholoze, le souprieur de la nation Bourbonnoise, que, prenant le certain pour l'incertain, j'aymerois mieux que tous les laquais de la Cour courussent sur le ventre de ma femme, que d'estre abstraint à ne point faire l'amour.—Je t'aime de cette humeur, cousin, me dit-elle, et veritablement tu as raison: aussi bien dois-tu croire qu'il y a quelque fatalité qui accompagne ce ramage que l'on ne sauroit esviter, et semble qu'on y est destiné. Larcher, notre procureur en Parlement, ce mangeur de pâtés de pheniceaux, m'a advoüé qu'auparavant son mariage ses cornes commençoient à pointer, et que plusieurs fois, faisant faire son poil, il les avoit fait voir à L'Ange, son chirurgien.—Nous entrions bien avant en lice, quand une fille de chambre, accoudée sur une fenestre, nous advertit que les dames estoient sur le seuil de la porte. Je me retire incontinent au cabinet, où je n'eus pas plustost prins place, que la compagnie entra; chacune prit son siége selon son rang. Une maistresse des requestes, qui conduisoit la troupe, commença à parler la première. Hé bien, ma mignonne, dit-elle à l'accouchée, comme t'en va? Il me semble que je ne t'ay point veuë en meilleur estat. Sans mentir, je te trouve plus belle que jamais. Asseurement, les enfans t'embellissent: je te conseille d'en recommencer un bien tost, si tu n'y as desjà travaillé.—Helas! Madame, que me dites-vous! dit l'accouchée; je suis bien résoluë au contraire, et de faire plustost lict à part pour m'en garantir. Je suis desjà chargée de cinq petites canailles, qui crient continuellement; je ne puis prendre ny repos ny patience; ils me tourmentent nuict et jour. Hé, bon Dieu, que deviendrois-je si j'en avois davantage?—Ma fille, tu es bien folle, dit alors la maistresse des requestes; ce ne sont que gentillesses; auparavant qu'ils soient en estat de te donner beaucoup de peine, tu en auras perdu la moitié, ou peut-estre tout. Si tu estois comme moy, veritablement tu serois à plaindre. J'ay quatre grandes filles, la plus jeune aagée de dix-huict ans, desquelles je ne me puis deffaire. C'est une grande pitié aujourdhuy, que, quelque gentilles et bien conditionnées qu'elles soient, l'on ne sçauroit les pourvoir si on ne leur donne des miliers d'escus. Un conseiller de la Cour, ni un maistre des comptes, n'espouseront point une fille si elle ne paye leur office, qu'ils achètent pour la pluspart à la bource d'autruy. J'en suis quelquefois au desespoir.—Madame, je sçay un bon remède, dit la femme d'un conseiller des requestes du Palais, de la ruë Montorgueil: il faut faire comme nostre voisin, marier ses filles dans les petites villes; il a rencontré, avec dix mil escus qu'il a promis à sa fille, un jeune homme de bonne mine, des meilleures familles de Moulins, bien, qualifié, qui luy rend des effects pour quatre vingts quatre mil livres.—Madamoiselle, dit une changeuse du pont Nostre-Dame, permettez-moi que je vous die qu'il n'y a que de se frotter à l'herbe qu'on cognoist, et que mon oncle a esté grandement attrapé, puisque l'on reduit les quatre vingts quatre mil livres à huict mil escus de bien pour le plus.—Vous estes une moqueuse, dit la conseillère; son office seul vaut plus de soixante mil livres. Comme se pourroit faire cela? Vostre oncle est trop fin pour se laisser dupper de la sorte.—Asseurez-vous, Madamoyselle, dit la changeuse, que je vous dis la verité, à mon très grand regret, et qu'en estant bien informée, je vous diray la fourbe que l'on luy a faicte, si vous voulez prendre la patience de l'entendre. L'office que vous tirez en ligne de conte, il l'a acheté veritablement, depuis qu'il est accordé à ma cousine, soixante mil livres, et cent pistolles outre trois mil livres qu'il a promis par promesse separée, qu'il ne veut pas que mon oncle sçache; mais il en doit encore quarante huict mil livres; le surplus, il l'a payé des deniers de mon oncle, et mesme son quart denier. Je le sçay asseurement, monsieur Benoist et mon mary luy ayant presté l'argent; le Breton en porta une partie: c'est ce qui mit ma tante en si grande alarme, et qui fit partir ce gentil officier en si grande diligence pour se rendre auprès d'elle pour accommoder cet affaire, et l'empescher de declamer comme elle avoit commencé. Le reste du bien consiste en une maison à Moulins, une maison aux champs, assez plaisante, size pourtant au territoire le plus ingrat et infertile de tout le Bourbonnoys, des vignes à la campaigne, une rente de trois cens livres constituée pour seize cens escus, quelques meubles, et un office de conseiller au presidial, qu'il a vendu treize mil cinq cens livres[163]. Tout cela se doit partager entre luy, deux frères, et sa sœur, mariée au bailly de Montegu; et pour vous faire voir que ce que je vous dis est très veritable, ledit sieur bailly son beau-frère, ayant obtenu lettres royaux pour faire restituer sa femme contre son contract, d'autant qu'on ne lui a donné que douze mil livres en mariage, depuis lequel un des frères s'est rendu jesuite, a fait voir l'inventaire de tout leur bien à son conseil, un des intimes amis de mon mary, qui nous a dit confidamment que ledit inventaire ne monte que quatre vingt deux mille livres, sur lequel il faut defalquer douze mille livres de debtes; que l'action en seroit desjà intentée, sans la prière qu'en a faict le jesuite audit sieur bailly. Il dit que ce pauvre religieux, pour l'esmouvoir d'avantage, se jetta à ses genoux en sa presence, et le conjura, les larmes aux yeux, de surseoir toutes poursuites jusques à ce que le mariage de leur frère fust achevé; qu'autrement sa fortune seroit perduë; qu'il feroit en sorte qu'il luy donneroit contentement; qu'il luy en avoit desja parlé plusieurs fois, et representé le grand tort qu'il faisoit particulierement au jeune frère, de faire faire toutes les années des descentes sur leurs heritages, supposant quelque gelée ou gresle pour se faire estrousser les fruicts à bonne condition, ou à personnes interposées, et tromper le pauvre mineur; que, pour toutes raisons, il ne luy respondit autre chose, sinon qu'estant l'aisné, il avoit tousjours esté obligé à faire une grande despence, mesme depuis la mort de sa femme; que, son revenu n'y pouvant suffire, il avoit esté contrainct d'emprunter dix mil livres de son premier beau-père, et plusieurs autres parties à perte de finances, avec son bon compère son voisin, estant très asseuré que soubs son nom on ne luy eust pas presté un teston; qu'il ne seroit raisonnable que luy tout seul portast cette despence, qui absorberoit la moitié de la legitime, puisqu'il l'a faicte, poussé du courage de leur mère, pour relever le nom de la maison; que, neantmoins, il luy promettoit qu'après son mariage il leur rendroit toute sorte de satisfaction, pourveu que monsieur le bailly, leur beau-frère, permist à leur sœur malade de se faire voir à son medecin ordinaire, sans soupçon. L'artifice duquel il a usé pour faire voir à mon oncle qu'il avoit du bien est admirable: il luy a fait croire, contre la coustume du pays, que la maison des champs luy est substituée, que le jésuite lui a donné tout son bien, que les rentes qu'il a renduës du mariage de sa première femme luy appartiennent. Jugez si le pauvre homme avoit l'esprit perdu. Il luy mit ses contracts entre les mains, il les leut, et ne cognut pas qu'ils avoient desja changé de main depuis que ce bon gendre les avoit rendus à son premier beau-père, qui les avoit cedez au procureur du roy, son autre gendre, et que mesme ils estoient apostillez de sa main; enfin on luy fit voir quantité d'obligations personnelles conceuës soubs son nom, desquelles les creanciers ne seront jamais poursuivis: aussi n'ont-ils jamais rien deu. Mon oncle, ensorcelé, comme je croy, prit tout pour argent comptant. Hé! pleust à Dieu qu'auparavant que signer les articles il eust consulté l'oracle que vit d'autrefois le receveur des tailles son beau-frère pour recouvrer ses pierres d'or! peut-estre eust-il descouvert quelque chose de la verité de ce mistère; mais le malheur veut que ce qui nous touche le plus, c'est de quoy nous sommes les derniers advertis. Croiriez-vous que chacun s'en rioit en ces quartiers, et en alloit à la moutarde[164], et que le greffier du bureau des finances ne se put empescher de dire à monsieur Feuillet que tous les Messieurs de leur compagnie s'en mocquoient, et soustenoient affirmativement qu'il n'eust jamais huict mil escus de bien, avec les advantages de sa première femme. Quel desplaisir pensez-vous, Madame, que mon oncle en reçoive? Il seiche de regret d'avoir esté ainsi trompé, et ne s'en oze plaindre, puisque luy tout seul l'a voulu. Je ne sçay qu'il n'a point fait pour advancer ceste nouvelle mariée, et rendre son mariage meilleur: il a forcé son autre fille d'entrer en religion; il a donné des maisons dedans Paris par le contrat de mariage, et a promis, par promesse séparée, de les retirer dans un temps, pour tromper mon cousin, fils de sa première femme, supposant que ce seroit acquisitions qu'il auroit fait avec celle-cy.
—Madame, que je vous arreste, dit la femme d'un advocat au chastelet; je ne sçaurois souffrir cette injustice; j'en advertiray monsieur le conseiller Le Bret, qui y mettra bon ordre. N'est-ce pas une grande ingratitude à vostre oncle, ayant receu tout son bien de sa première femme, de vouloir aujourd'huy frustrer son fils de sa succession par des voyes obliques damnables? Ne sçavez-vous pas qu'elle le prit par amourette, contre le gré de tous les siens, la plupart desquels l'ont desavoüée depuis, et qu'il n'estoit, en ce temps-là, que simple mercier et ferreur d'esguillettes? Contentez-vous que, pour votre respect, je n'en diray pas davantage.
—Madame, respondit la changeuse, si nous ne sommes de noble extraction, nous sommes pourtant issus de bonne race, et n'avons jamais fait tort à personne.
—Je ne vous dis rien là-dessus, dit l'advocate; je renvoye l'esteuf au bon homme Rossignol, qui jure qu'on ne se doit jamais fier à ces chatemittes, et soustien que vostre oncle a trompé plusieurs fois son nepveu, l'associant en de mauvaises fermes pour supporter la moitié de la folle-enchère, mais aux bonnes affaires où l'on peut gaigner quelque chose, il ne veut point de compagnon: il me suffit de deffendre le party de mon parent, jusqu'à ce que monsieur son oncle venge sa querelle et fasse regorger son bien à ceux qui l'ont injustement usurpé, et, ne se contentant du revenu, veulent faire perdre le fonds.
—Mesdames, je vous prie, pour l'amour de moy, dit la maistresse des requestes, et le respect que nous devons à ce lieu, que tout se tourne en raillerie. Pour moi, je veux croire que l'on a choisi ce monsieur le thresorier pour sa suffisance et capacité, et veritablement il a tesmoigné qu'il avoit de l'esprit, d'avoir si dextrement conduict son affaire.
—Madame, repart incontinent la changeuse, qui ne se pouvoit taire, s'il n'y eust eu que luy qui s'en fust meslé, asseurément nous ne serions en ceste peine; c'est pourquoy il ne l'eust jamais entrepris sans l'assistance de son premier beau-père, qui est l'un des braves hommes les plus desliez et habilles qui se rencontrent en ceste province. Il faut que je vous avouë que c'est le plus gros buffle que l'on ayt jamais veu; on le receut l'autre jour à la chambre par grande pitié et avec beaucoup de peine. Croyez-vous que l'on ne sçeut jamais entendre un mot, ny de son harangue, ny de ses responses, si bien que celuy qui l'interrogea le moins en fut le plus satisfaict, et ne peut s'empescher de dire, opinant à sa reception, qu'il avoit de la bonne fortune de se présenter en la belle saison du mois de juin, que les asnes passent partout.
—Mais, Madame, dit la femme d'un procureur en Parlement, il me semble qu'ayant esté conseiller, il doit sçavoir du latin.
—Madame, reprit la changeuse, chacun s'accordera à ce que vous dites; mais je suis contrainte, à sa confusion et la nostre, puisqu'il est entré en nostre alliance, de vous confesser qu'il ne sçait rien du tout, et qu'il a tousjours exercé si negligemment ceste charge, que son bon voisin le procureur, pour le soulager et l'empescher de rougir, dressoit ordinairement les sentences des procez qui lui estoient distribuez. Et puis Messieurs de la chambre ne les pressent point de ce costé-là, et se contentent quand on leur parle bon françois. Il eust esté aussi habile homme que celuy qui passa après luy, par un malheur extraordinaire, le pouvant et devant preceder par toute sorte de raisons, puisqu'il luy a tousjours offert, et mesme devant ses juges, de vuider ce different de presceance par la capacité, asseurement il eust mieux satisfaict.