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Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I

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The Project Gutenberg eBook of Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I

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Title: Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I

Editor: Thomas Wright

Release date: September 14, 2012 [eBook #40763]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif, Eleni Christofaki
and the Online Distributed Proofreading Team at
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES CENT NOUVELLES NOUVELLES, TOME I ***

Note sur la Transcription

L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. Une liste d'autres corrections faites se trouve à la fin du livre. A l' original, les Notes, le Glossaire, la Table des Matières et les Errata sont imprimés à la fin du deuxième tome.


LES

CENT NOUVELLES

NOUVELLES


Paris, imprimé par Guiraudet et Jouaust, 338, rue S.-Honoré, avec les caractères elzeviriens de P. Jannet.


LES CENT
NOUVELLES
NOUVELLES
Publiées d'après le seul manuscrit connu
AVEC INTRODUCTION ET NOTES
Par
M. THOMAS WRIGHT
Membre correspondant de l'Institut de France

Tome I

logo

A PARIS

Chez P. Jannet, Libraire

MDCCCLVIII


INTRODUCTION.

L e recueil de contes publié sous le titre des Cent Nouvelles Nouvelles est tellement connu, que nous croyons pouvoir nous dispenser de parler ici de sa valeur littéraire. Par un hasard singulier, qui ne s'explique pas facilement, on n'en connoissoit pas un seul manuscrit, et toutes les éditions d'un ouvrage qu'on considère avec raison comme l'un des modèles de la vieille prose françoise n'ont été jusqu'à présent que la reproduction plus ou moins correcte des éditions imprimées dans les dernières années du quinzième siècle. Cependant, on voit des indications assez exactes de deux manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles. Dans le Catalogue de la bibliothèque de Gaignat, publié par De Bure en 1769, en deux volumes in-8, nous trouvons, sous le nº 2214: «Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles composées pour l'amusement du roi Louis XI, lorsqu'il n'étoit encore que Duc de Bourgogne (sic), manuscrit sur vélin, du quinzième siècle, en lettres gothiques, daté de l'année 1432 et décoré de petites miniatures assez jolies, petit in-folio, mar. cit.» Vendu 100 liv. 1 sol. Un autre catalogue, mais beaucoup plus ancien, l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, publié dans la Bibliothèque protypographique (Paris, 1830, in-4, p. 283), nous indique un manuscrit du même ouvrage qui en étoit probablement l'exemplaire original. On y lit: «Nº 1261. Ung livre tout neuf escript en parchemin, à deux coulombes, couvert de cuir blanc de chamoy, historié en plusieurs lieux de riches histoires, contenant cent nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que de plusieurs autres de son hostel, quemanchant le second feuillet, après la table, en rouges lettres: celle qui se baignoit, et le dernier: lit demanda

Voilà tout ce qu'on savoit des manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles, et on les croyoit tous les deux irréparablement perdus, quand, par un heureux hasard, durant une courte visite à Glasgow, j'ai trouvé un beau manuscrit de cet ouvrage dans la précieuse bibliothèque du Musée Huntérien, et qui répondoit assez bien à la description du manuscrit du catalogue de 1769 d'un côté, et à celle du manuscrit des ducs de Bourgogne de l'autre. Ma première idée fut que les trois manuscrits n'en faisoient qu'un, et que j'avois devant les yeux l'exemplaire original de ce célèbre recueil. En effet, je me suis bientôt convaincu que j'avois entre les mains le manuscrit même qui avoit figuré dans le catalogue de Gaignat.—Non-seulement la description de ce Catalogue s'appliquoit parfaitement bien à notre manuscrit, mais la date 1432 s'y trouvoit. La chose s'explique sans difficulté: le docteur Hunter, à qui l'Université de Glasgow doit le musée et la bibliothèque qui portent encore son nom, né en 1728, s'établit à Londres en 1763 et y est mort en 1793. Le catalogue de Gaignat est précisément de l'époque à laquelle le docteur Hunter s'occupoit le plus activement de l'achat des manuscrits. C'est sans doute lui qui acheta pour 100 francs l'exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles indiqué dans le catalogue de 1769.

Je ne pouvois donc plus douter que je tenois entre les mains le manuscrit de Gaignat; mais je me suis également convaincu que notre manuscrit n'étoit pas celui de l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, dont on avoit facilité l'identification, selon la manière usuelle au moyen âge, en donnant les premiers mots du second et du dernier feuillet. En effet, nous savons que le second feuillet du manuscrit appartenant au duc de Bourgogne commençoit par les mots celle qui se baignoit. Nous trouvons bien sur la première page de notre manuscrit (le premier feuillet manque), dans le titre du premier conte, les mots: «trouva celuy qui se baignoit avec sa femme»; mais ils ne sont pas les premiers mots de la page, et par conséquent du feuillet. L'auteur de l'Inventaire a voulu sans doute nous informer que l'avant-dernier feuillet finissoit par les mots lict, demanda, et nous trouvons dans notre manuscrit (tom. II, p. 248, de notre édition) les mots: «la vit couchée au lict, demanda si pour ung seul, etc.»; mais les deux mots en question ne sont ni au commencement ni à la fin du feuillet. Le manuscrit de la bibliothèque des ducs de Bourgogne étoit évidemment un exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles différent de celui de Glasgow.

Mais, en comparant ainsi les manuscrits, une autre circonstance a fixé mon attention. Les mots qui commençoient le second feuillet de l'exemplaire appartenant aux ducs de Bourgogne sont identiques dans les deux manuscrits (car je regarde le celle de l'Inventaire comme une simple erreur du compilateur), mais pas dans l'édition imprimée par Verard, qui a changé un peu la phrase: «le trouvoit qui se baignoit avec sa femme.» Nous devons conclure de cette conformité assez importante dans le peu de mots conservés du manuscrit des ducs de Bourgogne que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez exactement représenté dans le manuscrit de Glasgow, et par conséquent que le texte de Verard et des éditions subséquentes est très imparfait et très incorrect, car on n'a qu'à comparer quelques pages du texte de notre manuscrit de Glasgow avec celui des éditions imprimées pour se convaincre que le premier leur est très supérieur. Nous avons le droit même de supposer que non-seulement Verard a tiré son texte d'un mauvais manuscrit, mais encore qu'il l'a laissé imprimer avec beaucoup de négligence; qu'on a continuellement changé les phrases qui sentoient le dialecte picard plutôt que l'idiome parisien; qu'on a remplacé des expressions vieilles ou triviales par d'autres plus modernes ou plus en vogue; enfin, qu'on a fait des omissions assez considérables, quelquefois par accident ou négligence, mais plus souvent pour abréger le texte. Ces omissions deviennent beaucoup plus nombreuses et plus importantes vers la fin de l'ouvrage qu'au commencement, et dans l'édition de Verard, comparée avec le texte du manuscrit, le dernier conte est abrégé presque d'un tiers. Le manuscrit de Glasgow nous permet donc de donner le texte des Cent Nouvelles Nouvelles beaucoup plus complet et plus correct que celui de toutes les éditions qui ont précédé la nôtre.

Maintenant, qu'il me soit permis d'appeler l'attention des lecteurs sur une autre circonstance qui me paroît d'une grande importance pour l'histoire littéraire de l'ouvrage remarquable que nous publions. On sait que, pour échapper aux poursuites de son père, Louis XI, alors Dauphin de France, se retira, au milieu de l'année 1456, à la cour du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et qu'il y resta jusqu'à la mort de Charles VII, en 1461. Philippe le Bon lui assigna pour sa demeure le château de Génappe, et on prétend que c'étoit à la petite cour que le Dauphin réunit autour de lui dans ce séjour qu'on répétoit les divers contes que plus tard le duc de Bourgogne faisoit mettre en écrit pour en conserver la mémoire. Telle étoit, selon ce qu'on dit, l'origine du recueil des Cent Nouvelles Nouvelles; mais on n'a jamais nié que le seul fondement de tous ces prétendus faits se trouve dans la dédicace placée en tête de l'édition imprimée par Verard, à la fin de laquelle nous lisons les mots suivants: «Et notez que par toutes les Nouvelles où il est dit par Monseigneur, il est entendu par Monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succédé à la couronne et est le roy Loys unsieme; car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne.» Ce passage remarquable ne paroît pas dans notre manuscrit, et il faut avouer qu'il présente tout le caractère d'une addition émanant de Verard lui-même. Il me paroît évident aussi que ce passage manquoit également au manuscrit original indiqué dans l'ancien Inventaire des livres de la bibliothèque des ducs de Bourgogne déjà cité, qui parle du manuscrit de cet ouvrage comme «contenant cent nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que de plusieurs autres de son hostel.» Je n'ai pas besoin de dire que la phrase «que Dieu pardonne» indique que celui dont on parle étoit alors mort, et qu'elle s'applique ici nécessairement à Philippe le Bon, mort en 1467; et, certainement, si on devoit finir par avouer que les contes attribués à Monseigneur étoient du Dauphin, on n'auroit pas commencé par dire qu'ils étoient du duc Philippe. Du reste, il me paroît certain que, dans un ouvrage composé à la cour de Bourgogne et par un sujet du duc, ayant rapport spécialement à des circonstances arrivées dans ses Etats, le titre de Monseigneur, sans autre qualification, ne pouvoit désigner que le duc de Bourgogne. Notre livre même le prouve suffisamment. Les deux premiers contes de notre recueil sont donnés, comme de raison, au duc Philippe. On ne donne le nom du conteur du premier que dans la table; mais le second, que la table donne également à «Monseigneur le Duc», porte, dans le texte du livre, qu'il étoit raconté «par Monseigneur». Verard a donc eu tort de dire que le titre de Monseigneur s'appliquoit ici à Louis XI, et nous pouvons déclarer qu'il ne se trouve pas un seul mot dans le livre des Cent Nouvelles Nouvelles qui puisse faire croire que Louis XI étoit un des conteurs. Tout ce que dit son auteur, c'est qu'à la «requeste et advertissement» du duc Philippe, il avoit composé «ce petit œuvre» en imitation de la collection italienne des Cento Novelle, qui, publiée au commencement du quatorzième siècle, étoit devenue célèbre, et qui lui avoit donné l'idée de limiter son recueil au même nombre de cent Contes et de lui donner le titre de Cent Nouvelles Nouvelles. Il ajoute seulement que ces Nouvelles Nouvelles ne sont pas arrivées, comme celles du conteur italien, en Italie, mais «ès parties de France, d'Allemaigne, d'Angleterre, de Haynault, de Brabant et autres lieux», et qu'elles sont toutes «d'assez fresche mémoire». C'étoit sans doute pour plaire au duc Philippe que l'auteur a mis les différents contes dans la bouche de lui et des individus les plus familiers de sa maison. Nous savons, du reste, que cette habitude de s'amuser en racontant de telles «nouvelles» entroit profondément dans les mœurs du temps, et que Louis XI, qui y avoit sans doute participé souvent à la cour de Bourgogne, dans sa jeunesse, en avoit conservé l'habitude toute sa vie. Nous n'avons aucune raison de supposer que les contes de notre recueil étoient véritablement racontés par ceux dont les noms y sont attachés; mais le goût bien connu de Louis XI pour ces contes, en général assez libres, et son long séjour à la cour de Bourgogne, pouvoient faire croire à Antoine Verard que ce roi étoit l'un des conteurs, celui qui se présente si souvent sous le titre de Monseigneur, un titre que le Dauphin auroit porté en France; mais, sans doute, il auroit été distingué en Bourgogne par le titre de Monseigneur le Dauphin.

Je regarde cet ouvrage, donc, simplement comme un recueil de contes composé à la cour de Bourgogne, à la «requeste», comme dit la dédicace, de Philippe le Bon.

Qui en étoit l'auteur? Nous savons seulement qu'il s'attribue cinq de ces Nouvelles, les 51e, 91e, 92e, 98e et 99e, et qu'ainsi il a dû être attaché à la cour de Bourgogne. J'avoue que je me sens porté à partager l'opinion émise par M. Le Roux de Lincy, que cet auteur est Antoine de La Sale, déjà bien connu par deux ouvrages remarquables, le roman du Petit Jehan de Saintré et les Quinze Joies de Mariage; et cette opinion me paroît confirmée par une circonstance que M. Le Roux de Lincy n'a pas observée: La Nouvelle cinquante est attribuée à monseigneur de La Sale, et la cinquante-et-unième porte le nom de «l'acteur» (l'auteur). Comme ses autres Nouvelles se présentent ensemble deux à deux, il me paroît assez vraisemblable que l'auteur a voulu faire la même disposition ici, et qu'ayant mis son nom à la première, il s'est contenté de se désigner modestement dans les autres par le seul titre de «l'auteur». «Monseigneur de La Sale» se désigne, en supposant que c'est lui qui a composé cet ouvrage, par le titre de «premier maistre d'hostel de monseigneur le duc». En effet, Antoine de La Sale, né en 1398, en Bourgogne ou en Touraine, après un séjour en Italie (il étoit à Rome en 1422), s'établit en Provence, où il fut attaché à Louis III, comte d'Anjou et de Provence, et nommé viguier d'Arles. Plus tard, La Sale passa en Flandres, où il fut accueilli favorablement par le duc Philippe le Bon. La date de son arrivée à la cour de Bourgogne n'est pas connue. C'étoit probablement durant son séjour en Italie qu'il avoit eu connoissance des Cento Novelle, ouvrage beaucoup plus ancien, dont la compilation des Cent Nouvelles Nouvelles est (par le propre aveu de l'auteur) une imitation, ainsi que des Facéties du Pogge, dont l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles a tiré plusieurs de ses récits, et qui avoient dû être publiées tout récemment, quand La Sale étoit à Rome, et du Decameron de Boccace. On trouve dans les Cent Nouvelles Nouvelles quelques allusions historiques qui se rapportent principalement aux temps des guerres entre les Armagnacs et les Bourguignons. La Nouvelle soixante-deux raconte des circonstances de la conférence tenue en juillet 1440, au château d'Oye, entre Calais et Gravelines; et la Nouvelle quarante-deux commence par ces mots: «L'an cinquante derrenier passé», d'où l'on peut conclure que ce livre a été composé dans l'intervalle de 1450 à 1460, et probablement pas longtemps après la première de ces années. Cette date s'accorde parfaitement avec celle des autres ouvrages d'Antoine de La Sale; car la date des Quinze Joies est rapportée à 1450, et celle du Petit Jehan de Saintré à 1459. Le premier de ces deux ouvrages est cité directement dans les Cent Nouvelles Nouvelles.

De même que la plupart de celles qui figurent dans toutes les collections de contes, les Cent Nouvelles Nouvelles ne sont pas toutes nouvelles. La collection de Boccace et celle du Pogge y ont certainement contribué assez largement, et, des récits que notre auteur donne comme des anecdotes contemporaines, plusieurs sans doute sont empruntés aux fabliaux des treizième et quatorzième siècles. Cependant on a remarqué avec justice que notre recueil se distingue de tous les autres par un bon nombre d'histoires qu'on ne trouve dans aucun des recueils plus anciens. Cette partie des Cent Nouvelles Nouvelles est sans doute la plus intéressante, et paroît être composée d'anecdotes que l'auteur savoit ou croyoit être arrivées dans la première moitié du quinzième siècle. En revanche, nul conteur n'a été si généralement mis à contribution par les compilateurs qui l'ont suivi que l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles. J'ai déjà eu occasion de dire que la première édition imprimée de ce recueil est sortie de l'imprimerie d'Antoine Verard; elle date du mois de décembre 1486, et on peut supposer que la publication fut accueillie assez favorablement, puisque Verard lui-même l'a réimprimée. Cette seconde impression est sans date. Un autre imprimeur parisien, Nicolas Desprez, a donné une troisième édition des Cent Nouvelles Nouvelles, achevée d'imprimer le 3e jour de février 1505; et une quatrième, sans date, porte le nom du célèbre imprimeur Michel Le Noir. On connoît encore une édition de Paris, sans date, et une autre imprimée à Lyon en 1532. Nous ne connoissons pas d'autre édition de cet ouvrage avant le commencement du siècle dernier. Il fut imprimé à Cologne, en 2 volumes in-12, avec des gravures d'après les dessins de Romain de Hooge. Cette édition, qui porte la date de 1701, a été suivie d'une autre imprimée à La Haye en 1733, et, comme l'autre, en 2 volumes. J'ai déjà dit que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez mal représenté par celui des éditions de Verard, qui a été encore détérioré dans les éditions subséquentes; mais le texte de celles de Cologne et de La Haye est détestable, et ces éditions n'ont aucun intérêt littéraire; on les prise seulement pour les gravures.

Dans l'édition que nous offrons à nos lecteurs, nous avons reproduit littéralement le texte du manuscrit de Glasgow, sauf quelques exceptions rares. Le manuscrit est en général très correct; mais, de temps en temps, l'écrivain a fait des omissions de quelques mots, et même de deux ou trois lignes, en passant, par négligence, d'un mot dans une ligne au même mot répété dans la ligne suivante ou deux ou trois lignes plus bas. J'ai été obligé de suppléer à ces lacunes d'après le texte de Verard, qui a été reproduit avec soin dans l'excellente édition de M. Le Roux de Lincy. J'ai indiqué les variantes les plus importantes du texte de Verard dans mes notes.

Nous publions ainsi un texte de cet ouvrage remarquable qui est entièrement nouveau, et qui en est probablement le seul bon texte qu'aujourd'hui l'on puisse retrouver, et en même temps nous lui rendons pour la première fois sa véritable place dans l'histoire littéraire du quinzième siècle. Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles n'est plus, comme on croyoit autrefois, un souvenir de la visite du Dauphin de France à la cour de Bourgogne. C'est un recueil de contes faits probablement par Antoine de La Sale, auteur spirituel et bien connu, en imitation des conteurs italiens, dont il avoit eu connoissance durant son séjour à Rome. Notre auteur a composé son livre à la cour de Bourgogne, sous le duc Philippe le Bon, qui, par un caprice sans doute, a voulu qu'on mît les diverses nouvelles dans la bouche de ses courtisans; car la forme de la collection, le style uniforme qui y règne partout, les termes dans lesquels l'auteur en parle lui-même dans sa dédicace, rendent très peu vraisemblable l'idée qu'il a voulu nous rapporter une véritable scène de la vie intime de cette brillante cour. On se trompe grandement si l'on croit que c'étoit seulement à la Cour de Bourgogne qu'existoit l'usage d'égayer les loisirs de la vie féodale par le récit de telles «nouvelles»; mais en Antoine de La Sale, en supposant que ce recueil lui appartient, nous avons un des plus anciens, et, sous beaucoup de rapports, le plus intéressant des vieux conteurs françois.

Thomas WRIGHT.



a mon trèschier et trèsredoubté seigneur
monseigneur
LE DUC DE BOURGOIGNE, DE BRABANT
ETC.


C omme ainsi soit qu'entre les bons et prouffitables passe-temps, le trèsgracieux exercice de lecture et d'estude soit de grande et sumptueuse recommendacion, duquel, sans flaterie, mon trèsredoubté Seigneur, vous estes trèshaultement doé, Je, vostre trèsobéissant serviteur, désirant, comme je dois, complaire à toutes vos trèshaultes et trèsnobles intencions en façon à moy possible, ose et presume ce present petit œuvre, à vostre requeste et advertissement mis en terme et sur piez, vous présenter et offrir; suppliant trèshumblement que agréablement soit receu, qui en soy contient et tracte cent histoires assez semblables en matère, sans attaindre le subtil et trèsorné langage du livre de Cent Nouvelles. Et se peut intituler le livre de Cent Nouvelles nouvelles. Et pource que les cas descriptz et racomptez ou dit livres de Cent Nouvelles advindrent la pluspart ès marches et metes d'Ytalie, jà long temps a, neantmoins toutesfoiz, portant et retenant nom de Nouvelles, se peut trèsbien et par raison fondée en assez apparente verité ce présent livre intituler de Cent Nouvelles nouvelles, jà soit ce que advenues soient ès parties de France, d'Alemaigne, d'Angleterre, de Haynau, de Brabant et aultres lieux; aussi pource que l'estoffe, taille et fasson d'icelles est d'assez fresche memoire et de myne beaucop nouvelle.

De Dijon, l'an m.iiiic.xxxii.



Sensuyt la table de ce present livre, intitulé des Cent Nouvelles, lequel en soy contient cent chapitres ou histoires, ou pour mieulx dire nouvelles.

Compté par monseigneur le duc.

La première nouvelle traicte d'un qui trouva façon d'avoir la femme de son voisin, lequel il avoit envoyé dehors pour plus aisément l'avoir; et luy, retourné de son voiage, trouva celuy qui se baignoit avec sa femme. Et, non sachant que ce fust elle, la volut voir; et permis luy fut de seullement veoir le derrière: et alors jugea que ce luy sembla sa femme, mais croire ne l'osa. Et, sur ce, se partit et vint trouver sa femme à l'ostel, qu'on avoit boutée hors par une posterne; et luy compta son imaginacion.

Par monseigneur le duc.

La secunde nouvelle, comptée par monseigneur le duc Philipe, d'une jeune fille qui avoit le mal de broches, la quelle creva à ung cordelier qui la vouloit médiciner ung seul bon œil qu'il avoit; et du procés qui en fut.

Par monseigneur de la Roche.

La tierce nouvelle, de la tromperie que fist ung chevalier à la femme de son musnier, à laquelle bailloit à croire que son con luy cherroit, si luy recoingna plusieurs fois. Et le musnier, de ce adverty, pescha ung dyamant que la femme au chevalier avoit perdu; et dedans son corps le trouva, comme bien sceut le chevalier depuis; si l'appela pescheur, et le musnier cuigneur le nomma.

Par monseigneur.

La quatriesme nouvelle, d'un archier escossois qui fut amoureux d'une belle gente damoiselle, femme d'un eschopier, laquelle, par le commandement de son mary, assigna jour au dit Escossois; et de fait y comparut et besoigna tant qu'il voult, le dit eschopier estant caiché en la ruelle de son lit, qui tout povoit veoir et oyr.

Par Philipe de Loan.

La cinquiesme nouvelle, par Philipe de Loan, de deux jugements de monseigneur Talebot, c'est assavoir, d'un François prins par ung Anglois soubz son sauf-conduict, qui d'aguillettes à aorner se defendit contre le François, qui d'une espée le feroit, présent Talebot; et d'un qui l'Eglise avoit robée, auquel il fist jurer de non jamais plus entrer en l'Eglise.

La sisiesme nouvelle, par monsieur de Launoy, d'un yvroigne qui au prieuré des Augustins de La Haye en Hollendre se voult confesser, et après sa confession, disant que son bon estat estoit, vouloit mourir. Et cuida avoir la teste trenchée et estre mort, et par ses compaignons fut emporté, qui luy disoient qu'ilz l'emportoient en terre.

La septiesme nouvelle, par Monseigneur, de l'orfevre de Paris qui fist le charreton coucher avec luy et sa femme; et comment le charreton par derrière se jouoit avec elle, dont l'orfevre se parceut et trouva ce qui estoit; et des parolles qu'il dist au charreton.

La huictiesme, par monsieur de la Roche, d'un compaignon picard demourant à Bruxelles, qui engrossa la fille de son maistre; et à ceste cause print congié de haulte heure et vint en Picardie se marier. Et tost après son partement, la mère de la fille se parceut de l'encloueure de sa fille, laquelle, à quelque meschief que ce fust, confessa le cas tel qu'il estoit. La mère la renvoya devers le dit compaignon; et depuis leur espousée, par ung accident qui au compaignon advint le jour de ses nopces.

La nefviesme nouvelle, par Monsieur le Duc, d'un chevalier de Bourgoigne, amoureux d'une des chambrières de sa femme. Cuidant coucher avecques celle, cogneut que c'estoit mesmes sa femme, qui ou lieu de sa chambrière s'estoit boutée. Et comment ung aultre chevalier, son voisin, par son ordonnance, avecques sa femme aussi avoit couschié, dont il fut bien mal content, jà soit ce que sa femme n'en sceut oncques riens, et ne cuidoit avoir eu que son mary.

La dixiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'un chevalier d'Angleterre, qui, puis qu'il fut marié, voult que son mignon, comme paravant son mariage, de belles filles luy fist finance; laquelle chose il ne voult faire, et s'excusoit; mais son maistre à son premier train le ramena par le faire servir de pastés d'anguilles.

La onziesme nouvelle, par Monseigneur, d'un paillard jaloux qui, après beaucop d'offrandes faictes à divers sainz pour le remède de sa maudicte maladie, fist offrir une chandelle au deable qu'on mect communement desoubz saint Michel; et du songe qu'il songea, et de ce qui luy advint au reveiller.

La dousiesme nouvelle parle d'ung Hollandois qui nuyt et jour, à toute heure, ne cessoit d'assaillir sa femme au jeu d'amours; et comment d'aventure il la rua par terre, en passant par ung bois, soubz un grand arbre sur lequel estoit ung laboureur qui avoit perdu son veau. Et, en faisant inventoire des beaux membres de sa femme, dist qu'il véoit tant de belles choses et quasi tout le monde; à qui le laboureur demanda s'il véoit point son veau qu'il cherchoit, quel il disoit qu'il lui sembloit en veoir la queue.

La tresiesme nouvelle, comment le clerc d'ung procureur d'Angleterre deceut son maistre pour luy faire accroire qu'il n'avoit nulz coillons, et à ceste cause il eut le gouvernement de sa maistresse aux champs et à la ville, et se donnèrent bon temps.

La quatorsiesme nouvelle, de l'ermite qui deceut la fille d'une povre femme, et lui faisoit accroire que sa fille auroit ung filz de luy qui seroit pape, et adonc, quant vint à l'enfanter, ce fut une fille, et ainsi fut l'ambusche du faulx hermite descouverte, qui à ceste cause s'enfouit du païs.

La quinsiesme nouvelle, d'une nonnain que ung moyne cuidoit tromper, lequel en sa compaignie amena son compaignon, qui devoit bailler à taster à elle son instrument, comme le marchié le portoit, et comme le moyne mit son compaignon en son lieu, et de la response que elle fist.

La seiziesme nouvelle, d'ung chevalier de Picardie, lequel en Prusse s'en ala; et tandiz ma dame sa femme d'ung autre s'accointa; et, à l'eure que son mary retourna, elle estoit couchée avec son amy, lequel, par une gracieuse subtilité, elle le bouta hors de sa chambre, sans ce que son mary le chevalier s'en donnast garde.

La dix et septiesme nouvelle, d'ung president de parlement qui devint amoureux de sa chamberière, laquelle à force, en bulletant la farine, cuida violer, mais par beau parler de lui se desarma et lui fist affubler le bulleteau de quoy elle tamisoit, puis ala querir sa maistresse, qui en cet estat son mary et seigneur trouva, comme cy après vous orrez.

La dix et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'ung gentilhomme de Bourgoingne, lequel trouva façon, moyennant dix escuz qu'il fit bailler à la chamberière, de couchier avecques elle; mais, avant qu'il voulsist partir de sa chambre, il eut ses dix escuz et se fit porter sur les espaules de la dicte chamberière par la chambre de l'oste. Et, en passant par la dicte chambre, il fist ung sonnet tout de fait advisé qui tout leur fait encusa, comme vous pourrez ouyr en la nouvelle cy dessoubz.

La dix neuviesme nouvelle, par Phelippe Vignieu, d'ung marchant d'Angleterre, du quel la femme, en son absence, fist ung enfant, et disoit qu'il estoit sien; et comment il s'en despescha gracieusement comme elle luy avoit baillé à croire qu'il estoit venu de neige, aussi pareillement au soleil comme la neige s'estoit fondu.

La vingtiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung lourdault Champenois, lequel, quant il se maria, n'avoit encores jamais monté sur beste crestienne, dont sa femme se tenoit bien de rire. Et de l'expédient que la mère d'elle trouva, et du soudain pleur du dit lourdault à une feste et assemblée qui se fit depuis après qu'on lui eut monstré l'amoureux mestier, comme vous pourrez ouyr plus à plain cy après.

La vingt et uniesme nouvelle, racomptée par Philippes de Loan, d'une abesse qui fut malade par faulte de faire cela que vous savez, ce qu'elle ne vouloit faire, doubtant de ses nonnains estre reprouchée; et toutes lui accordèrent de faire comme elle; et ainsi s'en firent toutes donner largement.

La vingt et deusiesme nouvelle racompte d'ung gentilhomme qui engroissa une jeune fille, et puis en une armée s'en ala. Et, avant son retour, elle d'ung autre s'accointa, auquel son enfant elle donna. Et le gentilhomme, de la guerre retourné, son enfant demanda; et elle lui pria que à son nouvel amy le laissast, promettant que le premier qu'elle feroit sans faulte lui donneroit, comme cy dessoubz vous sera recordé.

La vingt et troisiesme nouvelle, d'ung clerc de qui sa maistresse fut amoureuse, la quelle à bon escient s'i accorda, pourtant qu'elle avoit passé la raye que le dit clerc lui avoit faicte. Ce voyant son petit filz dist à son père, quant il fut venu, qu'il ne passast point la raye: car, s'il la passoit, le clerc lui feroit comme il avoit fait à sa mère.

La vingt et quatriesme nouvelle, dicte et racomptée par monseigneur de Fiennes, d'ung conte qui une trèsbelle, jeune et gente fille, l'une de ses subjectes, cuida decevoir par force; et comment elle s'en eschappa par le moyen de ses houseaux; mais depuis l'en prisa trèsfort, et l'aida à marier, comme il vous sera declairé cy aprés.

La vingt et cinquiesme nouvelle, racomptée et dicte par Monseigneur de Saint Yon, de celle qui de force se plaignit d'ung compaignon, lequel elle avoit mesme adrecié à trouver ce qu'il queroit; et du jugement qui en fut fait.

La vingt et siziesme nouvelle, racomptée et mise en terme par monseigneur de Foquessoles, des amours d'ung gentilhomme et d'une damoiselle, laquelle esprouva la loyauté du gentilhomme par une merveilleuse et gente façon, et coucha troys nuytz avec lui sans aucunement savoir que ce fust elle; mais pour homme la tenoit, ainsy comme plus à plein pourrez ouyr cy après.

La vingt et septiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, des amours d'ung grant seigneur de ce royaume et d'une gente damoiselle mariée, laquelle, affin de baillier lieu à son serviteur, fist son mary bouter en ung bahu par le moyen de ses chamberières, et léans le fist tenir toute la nuyt, tandis qu'avec son serviteur passoit le temps; et des gaigeures qui furent faictes entre elle et son dit mary, comme il vous sera recordé cy après.

La vingt et huitiesme nouvelle, dicte et racomptée par messire Michault de Changy, de la journée assignée à ung grand prince de ce royaume par une demoiselle servante de chambre de la Royne; et du petit exploit d'armes que fist le dit prince, et des faintises que la dicte demoiselle disoit à la royne de sa levrière, la quelle estoit tout à propos enfermée dehors de la chambre de la dicte royne, comme orrez cy après.

La vingt et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur, d'ung gentilhomme qui, dès la première nuyt qu'il se maria, et aprés qu'il eut heurté ung coup à sa femme, elle luy rendit ung enfant; et de la manière qu'il en tint, et des paroles qu'il en dist ses compagnons qui lui apportoient le chaudeau, comme vous orrez cy aprés.

La trentiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, François, de troys marchans de Savoye alans en pelerinage à saint Anthoine en Viennois, qui furent trompez et deceuz par trois cordeliers, lesquelz couchèrent avec leurs femmes, combien qu'elles cuidoient estre avec leurs mariz; et comment, par le rapport qu'elles firent, leurs maryz le sceurent, et de la manière qu'ilz en tindrent, comme vous orrez cy après.

La trente et uniesme nouvelle, mise en avant par Monseigneur, de l'escuier qui trouva la mulette de son compaignon et monta dessus, laquelle le mena à l'uis de la dame de son maistre; et fist tant l'escuier qu'il coucha léans, où son compaignon le vint trouver; et pareillement des paroles qui furent entre eulz, comme plus à plain vous sera declairé cy dessoubz.

La trente et deusiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Villiers, des cordeliers d'Ostelleric en Castelongne qui prindrent le disme des femmes de la ville; et comment il fut sceu, et quelle punicion par le seigneur et ses subjetz en fut faicte, comme vous orrez cy après.

La trente et troisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil seigneur qui fut amoureux d'une damoiselle, dont se donna garde ung autre grant seigneur, qui lui dist; et l'autre tousjours plus lui celoit et en estoit tout affolé; et de l'entretenement depuis d'eulz deux envers elle, comme vous pourrez ouyr cy après.

La trente et quatriesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'une femme mariée qui assigna journée à deux compaignons, lesquelz vindrent et besoingnèrent; et le mary tantost après survint; et des paroles qui après en furent, et de la manière qu'ilz tindrent, comme vous orrez cy après.

La trente et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung chevalier du quel son amoureuse se maria, tandis qu'il fut en voyaige; et à son retour, d'aventure la trouva en mesnage, la quelle, pour couchier avec son amant, mist en son lieu couchier avec son mary une jeune damoiselle, sa chamberière; et des paroles d'entre le mary et le chevalier voyaigeur, comme plus à plain vous sera recordé cy après.

La trente et sisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche, d'ung escuier qui vit sa maistresse dont il estoit moult feru, entre deux autres gentilzhommes, et ne se donnoit de garde qu'elle tenoit chascun d'eulz en ses laz; et ung autre chevalier qui savoit son cas le lui bailla à entendre, comme vous orrez cy après.

La trente et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jaloux qui enregistroit toutes les façons qu'il povoit ouyr ne savoir dont les femmes ont deceu leurs mariz, le temps passé; mais à la fin il fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sa dicte femme getta par une fenestre sur elle, en venant de la messe, comme vous orrez cy après.

La trente et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur le seneschal de Guienne, d'ung bourgois de Tours qui acheta une lamproye qu'à sa femme envoya pour appointer, affin de festoier son curé, et la dicte femme l'envoya à ung cordelier son amy; et comment elle fist couchier sa voisine avec son mary, qui fut bastue, Dieu sçait comment, et de ce qu'elle fist accroire à son dict mary, comme vous orrez cy dessoubz.

La trente et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Saint-Pol, du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la chamberière qu'elle avoit envoyée pour entretenir le dit chevalier, afin que trop ne luy ennuyast; et depuis besoingna troys fois avec la dame; et comment le mary sceut tout par la chamberière, comme vous orrez.

La quarantiesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung Jacopin qui abandonna sa dame par amour, une bouchière, pour une autre plus belle et plus jeune; et comment la dicte bouchière cuida entrer en sa maison par la cheminée.

La quarante et uniesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung chevalier qui faisoit vestir à sa femme ung haubergon quand il lui vouloit faire ce que savez, ou compter les dens; et du clerc qui lui apprint autre manière de faire, dont elle fut à pou prés par sa bouche mesmes encusée à son mary, se n'eust esté la glose qu'elle controuva subitement.

La quarante et deusiesme nouvelle, par Meriadec, d'ung clerc de villaige estant à Romme, cuidant que sa femme fust morte, devint prestre et impetra la cure de sa ville; et, quand il vint à sa cure, la première personne qu'il rencontra ce fut sa femme.

La quarante et troisiesme nouvelle, par Monseigneur de Fiennes, d'ung laboureur qui trouva un homme sur sa femme, et laissa à le tuer pour gaingner une somme de blé; et fut la femme cause du traictié, affin que l'autre parfist ce qu'il avoit commencé.

La quarante et quatriesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung curé de villaige qui trouva façon de marier une fille dont il estoit amoureux, la quelle lui avoit promis, quant elle seroit mariée, de faire ce qu'il vouldroit; laquelle chose le jour de ses nopces il luy ramentéust, ce que le mary d'elle ouyt tout à plain, à quoy il mit provision, comme vous orrez.

La quarante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jeune Escossois qui se maintint en habillement de femme l'espace de quatorze ans, et par ce moyen couchoit avec filles et femmes mariées, dont il fut puny en la fin, comme vous orrez cy après.

La quarante et siziesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Thienges, d'ung Jacopin et de la nonnain qui s'estoient boutez en ung préau pour faire armes à plaisance, dessoubz ung poirier où s'estoit caiché un qui savoit leur fait tout à propos, qui leur rompit leur fait pour ceste heure, comme plus à plain vous orrez cy après.

La quarante et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung president saichant la deshonneste vie de sa femme, la fist noyer par sa mulle, la quelle il fit tenir de boire par l'espace de huit jours; et pendant ce temps lui faisoit bailler du sel à mengier, comme il vous sera recordé plus à plain.

La quarante et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, de celle qui ne vouloit souffrir qu'on la baisast, mais bien vouloit qu'on lui rembourrast son bas; et habandonnoit tous ses membres fors la bouche, et de la raison qu'elle y mettoit.

La quarante et nefviesme nouvelle, racomptée par Pierre David, de celui qui vit sa femme avec ung homme auquel elle donnoit tout son corps entierement, excepté son derrière, qu'elle laissoit à son mary, lequel la fist habiller ung jour, présens ses amys, d'une robe de bureau et fit mettre sur son derrière une belle piéce d'escarlate; et ainsi la laissa devant tous ses amys.

La cinquantiesme nouvelle, racomptée et dicte par Anthoine de la Sale, d'ung père qui voulut tuer son fils pource qu'il avoit voulu monter sur sa mère grand, et de la reponse du dit filz.

La cinquante et uniesme nouvelle, racomptée par l'acteur, de la femme qui départoit ses enfans au lit de la mort, en l'absence de son mary, qui siens les tenoit; et comment ung des plus petiz en advertit son père.

La cinquante et deusiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche, de trois enseignemens que ung père bailla à son fils, lui estant au lit de la mort, lesquelz le dit filz mist à effet au contraire de ce qu'il lui avoit enseigné. Et comment il se deslia d'une jeune fille qu'il avoit espousée, pource qu'il la vit couchier avec le prestre de la maison la première nuyt de leurs nopces.

La cinquante et troisiesme nouvelle, racomptée par monseigneur l'amant de Brucelles, de deux hommes et deux femmes qui attendoient pour espouser à la première messe bien matin; et, pource que le curé ne véoit pas trop cler, il print l'une pour l'autre, et changea à chascun homme la femme qu'il devoit avoir, comme vous orrez.

La cinquante et quatriesme nouvelle, racomptée par Mahiot, d'une damoiselle de Maubeuge qui se abandonna à ung charreton et refusa plusieurs gens de bien; et de la response qu'elle fist à ung noble chevalier, pource qu'il lui reprouchoit plusieurs choses, comme vous orrez.

La cinquante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'une fille qui avoit l'épidimie, qui fit mourir troys hommes pour avoir la compaignie d'elle; et comment le quatriesme fut saulvé et elle aussi.

La cinquante et sixiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung gentilhomme qui attrappa en ung piege qu'il fist le curé, sa femme et sa chamberière, et un loup avec eulz; et brula tout là dedans, pour ce que le dit curé maintenoit sa femme.

La cinquante et septiesme nouvelle, par Monseigneur de Villiers, d'une damoiselle qui espousa ung bergier, de la manière du traictié du mariage, et des paroles qu'en disoit ung gentilhomme frère de la dicte damoiselle.

La cinquante et huitiesme nouvelle, par Monseigneur le Duc, de deux compaignons qui cuidoient trouver leurs dames plus courtoises vers eulz; et jouèrent tant du bas mestier que plus n'en pouvoient; et puis dirent, pource qu'elles ne tenoient compte d'eulz, qu'elles avoient comme eulz joué du cymier, comme vous orrez cy après.

La cinquante et nefviesme nouvelle, par Poncelet, d'ung seigneur qui contrefist le malade pour couchier avec sa chamberière, avec laquelle sa femme le trouva.

La soixantiesme nouvelle, par Poncelet, de troys damoiselles de Malignes qui accointées s'estoient de troys cordeliers, qui leur firent faire couronnes et vestir l'abbit de religion, afin qu'elles ne fussent apperceues, et comment il fut sceu.

La soixante et uniesme nouvelle, par Poncelet, d'ung marchant qui enferma en sa huche l'amoureux de sa femme; et elle y mist un asne secrettement, dont le mary eut depuis bien à souffrir et se trouva confuz.

La soixante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, de deux compaignons dont l'ung d'eulz laissa ung diamant ou lit de son hostesse et l'autre le trouva, dont il sourdit entre eulz ung grant debat, que le mary de la dicte hostesse appaisa par trèsbonne façon.

La soixante et troisiesme nouvelle, d'ung nommé Montbleru, lequel, à une foire d'Envers, desroba à ses compaignons leurs chemises et couvrechiefs qu'ilz avoient baillées à blanchir à la chamberière de leur hostesse; et comme depuis ilz pardonnèrent tout au larron; et puis ledit Montbleru leur compta le cas tout au long.

La soixante et quatriesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung curé qui se vouloit railler d'ung chatreur nommé Trenchecouille; mais il eut ses genitoires coupez par le consentement de l'oste.

La soixante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur le prévost de Vuatènes, de la femme qui ouyt compter à son mary que ung hostellier du mont Saint-Michiel faisoit raige de ronciner, si y alla cuidant l'esprouver; mais son mary l'en garda trop bien, dont elle fut trop mal contente, comme vous orrez cy après.

La soixante et sixiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung tavernier de Saint Omer qui fist une question à son petit filz, dont il se repentit après qu'il eut ouy la response, de laquelle sa femme en fut trèshonteuse, comme vous orrez plus à plain cy après.

La soixante et septiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung chapperon fourré de Paris qui une courdouennière cuida tromper; mais il se trompa lui mesme bien lourdement, car il la maria à un barbier, et, cuydant d'elle estre despesché, se voulut marier ailleurs; mais elle l'en garda bien, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.

La soixante et huitiesme nouvelle, d'ung homme marié qui sa femme trouva avec ung autre, et puis trouva manière d'avoir d'elle son argent, ses bagues, ses joyaux, à tout jusques à la chemise; et puis l'envoya paistre en ce point, comme cy après vous sera recordé.

La soixante et neuviesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier de la comté de Flandres, marié à une trèsbelle et gente dame, lequel fut prisonnier en Turquie par longue espace, durant laquelle sa bonne et loyale femme, par l'amonestement de ses amys, se remaria à ung autre chevalier; et tantost après qu'elle fut remariée elle ouyt nouvelles que son premier mary revenoit de Turquie, dont par deplaisance se laissa mourir, pource qu'elle avoit fait nouvelle aliance.

La septantiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier d'Alemaigne, grant voyaigier en son temps, lequel, aprés ung certain voyaige par lui fait, fist veu de jamais faire le signe de la croix, par la trèsferme foy et credence qu'il avoit ou saint sacrement de baptesme, en laquelle credence il combastit le dyable, comme vous orrez.

La septante et uniesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung chevalier de Picardie qui en la ville de Saint-Omer se logea en une hostellerie, où il fut amoureux de l'ostesse de léans, avec laquelle il fut trèsamoureusement; mais en faisant ce que savez, le mary de la dicte hostesse les trouva, lequel tint manière telle que cy après pourrez ouyr.

La septante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, d'ung gentilhomme de Picardie qui fut amoureux de la femme d'ung chevalier son voisin, lequel gentilhomme trouva façon par bons moyens d'avoir la grace de sa dame, avec laquelle il fut assiegé, dont à grand peine trouva manière d'en ysser, comme vous orrez cy après.

La septante et troisiesme nouvelle, par maistre Jehan Lambin, d'ung curé qui fut amoureux d'une sienne paroichienne, avec laquelle le dit curé fut trouvé par le dit mary de la gouge, par l'advertissement de ses voisins; et de la manière comment le dit curé eschappa, comme vous orrez cy après.

La septante et quatriesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung prestre boulenois qui eleva par deux fois le corps de nostre Seigneur, en chantant une messe, pource qu'il cuidoit que monseigneur le seneschal de Boulongne fust venu tard à la messe; et aussy comment il refusa de prendre la paix devant monseigneur le seneschal, comme vous pourrez ouyr cy après.

La septante et cinquiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Talemas, d'ung gentil galant demy fol et non guères saige, qui en grant aventure se mist de mourir et estre pendu au gibet, pour nuyre et faire desplaisir au bailly, à la justice et autres plusieurs de la ville de Troyes en Champaigne, desquelz il estoit hay mortellement, comme plus à plain pourrez ouyr cy après.

La septante et sixiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung prestre chapellain à ung chevalier de Bourgoingne, lequel fut amoureux de la gouge du dit chevalier; et de l'aventure qui lui advint à cause de ses dictes amours, comme cy dessoubz vous orrez.

La septante et septiesme nouvelle, racomptée par Alardin, d'ung gentilhomme des marches de Flandres, lequel faisoit sa residence en France; mais, durant le temps que en France residoit, sa mère fut malade ès dites marches de Flandres; lequel la venoit tressouvent visiter, cuidant qu'elle mourust; et des paroles qu'il disoit et de la manière qu'il tenoit, comme vous orrez cy dessoubz.

La septante et huitiesme nouvelle, par Jean Martin, d'ung gentilhomme marié, lequel s'avoulenta de faire plusieurs loingtains voyaiges, durant lesquelz sa bonne et loyale preude femme de troys gentilz compaignons s'accointa que cy après pourrés ouyr; et comment elle confessa son cas à son mary, quand des ditz voyaiges fut retourné, cuidant le confesser à son curé; et de la manière comment elle se saulva, comme cy après orrez.

La septante et neuviesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung bonhomme de Bourbonnois, lequel ala au conseil à ung saige homme du dit lieu, pour son asne qu'il avoit perdu, et comment il croioit que miraculeusement il retrouva son dit asne, comme cy après pourrez ouir.

La huitantiesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'une jeune fille d'Alemaigne qui de l'aage de xv à xvi ans, ou environ, se maria à ung gentil galant, laquelle se complaignit de ce que son mary avoit trop petit instrument à son gré, pource qu'elle véoit ung petit asne qui n'avoit que demy an, et avoit plus grand ostil que son mary, qui avoit xxiii ou xxvi ans.

La huitante et uniesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Vaulvrain, d'un gentil chevalier qui fut amoureux d'une trèsbelle jeune dame mariée, lequel cuida bien parvenir à la grâce d'icelle et aussi d'une autre sienne voisine; mais il faillit à toutes deux, comme cy après vous sera recordé.

La huitante et deusiesme nouvelle, par monseigneur de Lannoy, d'ung bergier qui fit marchié avec une bergière qu'il monteroit sur elle afin qu'il véist plus loing, par tel si qu'il ne l'embrocheroit non plus avant que le signe qu'elle même fist de sa main sur l'instrument du dit berger, comme cy après plus à plain pourrez ouyr.

La huitante et troisiesme nouvelle, par monseigneur de Vaulvrain, d'ung carme qui en ung vilaige prescha; et comment, après son preschement, il fut prié de disner avec une damoiselle; et comment, en disnant, il mist grant peine de fournir et emplir son repoint, comme vous orrez cy après.

La huitante et quatriesme nouvelle, par monseigneur le marquis de Rothelin, d'ung sien mareschal qui se maria à la plus douce et amoureuse femme qui fut en tout le pays d'Alemaigne. S'il est vray ce que je dy sans en faire grant serment, affin que par mon escript menteur ne soye réputé, vous le pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.

La huitante et cinquiesme nouvelle, d'ung orfevre marié à une trèsbelle, doulce et gracieuse femme, et avec ce trèsamoureuse, par especial de son curé leur prochain voisin, avec lequel son mary la trouva couchée par l'advertissement d'ung sien serviteur, et ce par jalousie, comme vous pourrez ouyr.

La huitante et sisiesme nouvelle racompte et parle d'ung jeune homme de Rouen qui print en mariaige une belle et gente jeune fille, de l'aage de quinze ans ou environ, lesquelz la mère de la dicte fille cuida bien faire desmarier par monseigneur l'official de Rouen; et de la sentence que le dit official en donna, après les parties par luy ouyes, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain, en la dicte nouvelle.

La huitante et septiesme nouvelle racompte et parle d'ung gentil chevalier, lequel s'enamoura d'une trèsbelle, jeune et gente fille, et aussi comment il luy print une moult grande maladie en ung œil; pour laquelle cause lui convint avoir ung medecin, lequel pareillement devint amoureux de la dicte fille, comme vous ourrez; et des paroles qui en furent entre le chevalier et le medecin, pour l'emplastre qu'il luy mist sur son bon œil.

La huitante et huictiesme nouvelle, d'ung bon simple homme païsan, marié à une plaisante et gente femme, laquelle laissoit bien le boire et le mangier pour aymer par amours; et de fait, pour plus asseurement estre avec son amoureux, enferma son mary ou coulombier par la manière que vous orrez.

La huitante et nefviesme nouvelle, d'ung curé qui oublia par negligence, ou faulte de sens, à annoncer le karesme à ses paroichiens, jusqu'à la vigille de Pasques fleuries, comme cy après pourrez ouyr; et de la manière comment il s'excusa devers ses paroichiens.

La nonantiesme nouvelle, d'ung bon marchant du pays de Brebant qui avoit sa femme trèsfort malade, doubtant qu'elle ne mourust, après plusieurs remonstrances et exortacions qu'il lui fist pour le salut de son ame, lui crya mercy, laquelle luy pardonna tout ce qu'il povoit luy avoir meffait, excepté tant seulement ce qu'il avoit si peu besoingnié en son ouvroir, comme en la dicte nouvelle pourrez ouyr plus à plain.

La nonante et uniesme nouvelle parle d'ung homme qui fut marié à une femme laquelle estoit tant luxurieuse et tant chaulde sur le potaige que je cuide qu'elle fut née ès estuves, ou à demie lieue prés du soleil de midy: car il n'estoit nul, tant bon ouvrier fust il, qui la peust refroidir; et comment il la cuida chastier, et de la reponse qu'elle lui bailla.

La nonante et deusiesme nouvelle, d'une bourgeoise mariée qui estoit amoureuse d'ung chanoine, laquelle, pour plus couvertement aller vers le dit chanoine, s'accointa d'une sienne voisine; et de la noise et debat qui entre elles sourdit pour l'amour du mestier dont elles estoient, comme vous orrez cy après.

La nonante et troisiesme nouvelle, d'une gente femme mariée qui faignoit à son mary d'aler en pelerinaige pour soy trouver avec le clerc de la ville, son amoureux, avec lequel son mary la trouva; et de la manière qu'il tint quant ensemble les vit faire le mestier que vous savez.

La nonante et quatriesme nouvelle, d'ung curé qui portoit courte robe comme font ces galans à marier; pour laquelle cause il fut cité devant son juge ordinaire, et de la sentence qui en fut donnée; aussi la deffense qui lui fut faicte, et des autres tromperies qu'il fist après, comme vous orrez plus à plain.

La nonante et cinquiesme nouvelle, d'ung moyne qui faignit estre trèsfort malade et en dangier de mort, pour parvenir à l'amour d'une sienne voisine, par la manière qui cy après s'ensuit.

La nonante et sisiesme nouvelle, d'ung simple et riche curé de villaige, qui par sa simplesse avoit enterré son chien ou cymetière; pour laquelle cause il fut cité par devant son evesque; et comme il bailla la somme de cinquante escuz d'or au dit evesque; et de ce que l'evesque luy en dit, comme pourrés ouyr cy dessoubz.

La nonante et septiesme nouvelle, par monseigneur de Launoy, d'une assemblée de bons compaignons faisant bonne chère à la taverne et buvans d'autant et d'autel, dont l'un d'iceulx se combatit à sa femme, quant en son hostel fut retourné, comme vous orrez.

La nonante et huitiesme nouvelle, par l'acteur, d'un chevalier des marches de France, lequel avoit de sa femme une fille, belle damoiselle eagée de xv à xvij ans ou environ; mais, pour ce que son père la vouloit marier à ung ancien chevalier, elle s'en alla avec ung aultre jeune chevalier, son serviteur en amours, en tout bien et honneur. Et comment, par merveilleuse fortune, ilz finirent tous deux piteusement, comme vous orrez.

La nonante et nefviesme nouvelle, par Philipe de Loan, d'un evesque d'Espaigne qui par defaulte de poisson mengea deux perdriz en ung vendredi; et comment il dist à ses gens qu'il les avoit convertiz par parolles de char en poisson, comme cy dessous vous sera recordé.

La centiesme et derrenière de ces nouvelles, par l'acteur, d'un riche marchant de la cité de Jennes, qui se maria à une belle et jeune fille, laquelle, pour la longue absence de son mary, et par son mesme advertissement, manda quérir ung sage clerc pour la secourir de ce dont elle avoit mestier; et de la response qu'il luy donna, comme cy après pourrez ouyr.


LA PREMIÈRE NOUVELLE.

E n la ville de Valenciennnes eut naguères ung notable bourgois, en son temps receveur de Haynau, lequel entre les autres fut renommé de large et discrète prudence, et entre ses loables vertuz celle de liberalité ne fut pas la maindre, car par icelle vint en la grace des princes, seigneurs et aultres gens de tous estaz. En ceste eureuse felicité Fortune le maintint et soustint jusques en la fin de ses jours. Devant et après que la mort l'eust destaché de la chayne qui à mariage l'accouploit, le bon bourgois cause de ceste histoire n'estoit point si mal logé en la dicte ville que ung bien grand maistre ne se tenist pour content et honoré d'avoir ung tel logis. Et entre les desirez et loez edifices, sa maison descouvroit sur pluseurs rues; et de fait avoit une petite posterne vis à vis de laquelle demouroit ung bon compaignon qui trèsbelle femme et gente avoit et encores en meilleur point. Et, comme il est de coustume, les yeulx d'elle, archiers du cueur, descochèrent tant de flèches en la personne dudit bourgois que sans prochain remède son cas n'estoit pas maindre que mortel. Pour laquelle chose seurement obvier, trouva par pluseurs et subtiles fassons que le bon compaignon, mary de ladicte gouge, fut son amy trèsprivé et familier; et tant que pou de disners, de souppers, de bancquetz, de baings d'estuves, et aultres telz passetemps, en son hostel et ailleurs, ne feissent jamais sans sa compaignie. Et à ceste occasion se tenoit nostre compaignon bien fier et encores autant eureux. Quand nostre bourgois, plus subtil que ung regnard, eust gaigné la grace du compaignon, bien pou se soucya de parvenir à l'amour de sa femme; et en pou de jours tant et si trèsbien laboura que la vaillant femme fut contente d'oyr et entendre son cas. Et, pour y bailler remède convenable, ne restoit mais que temps et lieu; et fut à ce menée qu'elle luy promist que, tantost que son mary iroit quelque part dehors pour sejourner une nuit, elle incontinent l'en advertiroit. A chef de peche, ce desiré jour fut assigné, et dist le compaignon à sa femme qu'il s'en alloit à ung chasteau loingtain de Valenciennes environ trois lieues, et la chargea de bien se tenir à l'ostel et garder la maison, pource que ses affaires ne povoient souffrir que celle nuyt il retournast. S'elle en fut bien joyeuse, sans en faire semblant en paroles, en manière, ne aultrement, il ne le fault jà demander. Il n'avoit pas cheminé une lieue quand le bourgois sceut ceste adventure de pieça desirée. Il fist tantost tirer les baings, chauffer les estuves, faire pastez, tartres et ypocras, et le surplus des biens de Dieu, si largement que l'appareil sembloit ung droit desroy. Quand vint sur le soir, la posterne fut desserrée, et celle qui pour la nuit le guet y devoit saillit dedans; et Dieu scet s'elle ne fut pas trèsdoulcement receue. Je passe en bref, et espère plus qu'ilz ne firent pluseurs devises d'entre ceulx qui n'avoient pas eue ceste eureuse journée à leur première volunté. Après ce que en la chambre furent descenduz, tantost se boutèrent ou baing, devant lequel le beau soupper fut en haste couvert et servy. Et Dieu scet qu'on y beut d'autant et souvent et largement. Des vins et viandes parler ne seroient que redittes; et, pour trousser le compte court, faulte n'y avoit que du trop. En ce trèsglorieux estat se passa la pluspart de ceste doulce et courte nuyt: baisiers donnez, baisiers renduz, tant et si longuement que chacun ne desiroit que le lit. Tandiz que ceste grande chière se faisoit, et veez cy jà retourné de son voyage bon mary, non querant ceste sa bonne adventure, qui heurte bien fort à l'huys de la chambre. Et, pour la compaignie qui y estoit, l'entrée du prinsault luy fut refusée jusques ad ce qu'il nommast son parain. Adonc il se nomma hault et cler, et bien l'entendirent et cogneurent sa bonne femme et le bourgois. Elle fut tant fort esserrée à la voix de son mary que à pou que son loyal cueur ne failloit; et ne savoit jà plus sa contenance, si le bon bourgois et ses gens ne l'eussent reconfortée. Le bon bourgoys, tout asseuré, et de son fait trèsadvisé, la fist bien à haste coucher, et au plus près d'elle se bouta, et luy chargea bien qu'elle se joignist près de luy et caichast le visage qu'on n'en puisse rien appercevoir. Et, cela fait au plus bref qu'on peut, sans soy trop haster, il commenda ouvrir la porte. Et le bon compaignon sault dedans la chambre, pensant en soy que aucun mistère y avoit, qui devant l'huys l'avoit retenu. Et, quand il vit la table chargée de vins et de grandes viandes, ensemble le beau baing très bien paré, et le bourgois en très beau lit encourtiné avec sa secunde personne, Dieu scet s'il parla hault et blasonna bien les armes de son bon voisin. Or l'appelle ribauld, après loudier, après putier, après yvroigne; et tant bien le baptise que tous ceulx de la chambre et luy avec s'en rioient bien fort. Mais sa femme à ceste heure n'avoit pas ce loisir, tant estoient ses lèvres empeschées de se joindre près de son amy nouvel. «Ha! dist-il, maistre houllier, vous m'avez bien celée ceste bonne chére; mais, par ma foy, si je n'ay esté à la grande feste, si fault-il bien qu'on me monstre l'espousée.» Et à cest cop, tenant la chandelle en sa main, se tire près du lit; et jà se vouloit avancer de hausser la couverture soubz laquelle faisoit grand penitence en silence sa très parfecte et bonne femme, quand le bourgois et ses gens l'en gardèrent; dont il ne se contentoit pas, mais à force, malgré chascun, toujours avoit la main au lit. Mais il ne fut pas maistre lors, ne creu de faire son vouloir, et pour cause. Mais ung appoinctement trèsgracieux et bien nouveau au fort le contenta, qui fut tel: le bourgois fut content que luy monstrast à descouvert le derrière de sa femme, les rains et les cuisses, qui blanches et grosses estoient, et le surplus bel et honeste, sans rien decouvrir ne veoir du visage. Le bon compagnon, tousjours la chandelle en sa main, fut assez longuement sans dire mot. Et, quand il parla, ce fut en loant beaucop la trèsgrande beaulté de ceste sa femme; et afferma par ung bien grand serment que jamais n'avoit veu chose si trèsbien ressembler le cul de sa femme; et, s'il ne fust bien seur qu'elle fust à son hostel à ceste heure, il diroit que c'est elle! Elle fut tantost recouverte, et il se tire arrière, assez pensif; mais Dieu scet si on luy disoit bien, puis l'un, puis l'aultre, que c'estoit de luy mal cogneu, et à sa femme pou d'honneur porté, et que c'estoit bien aultre chose, comme cy après il pourra veoir. Pour refaire les yeulx abusez de ce pouvre martir, le bourgois commenda qu'on le feist seoir à la table, où il reprint nouvelle ymaginacion par boire et menger largement du demourant du soupper de ceulx qui entretant ou lit se devisoient à son grand prejudice. L'eure vint de partir, et donna la bonne nuyt au bourgois et à sa compaignie; et pria moult qu'on le boutast hors de leans par la posterne, pour plustost trouver sa maison. Mais le bourgois lui respondit qu'il ne saroit à ceste heure trouver la clef; pensoit aussi que la serure fust tant enrouillée qu'on ne la pourroit ouvrir, pour ce que nulle foiz ou pou souvent s'ouvroit. Il fut au fort content de saillir par la porte de devant et d'aller le grand tour à sa maison; et, tantdiz que les gens du bourgois le conduisoient vers la porte, tenant le boc en l'eaue pour deviser, la bonne femme fut vistement mise sur piez, et en pou d'heure habillée et lassée de sa cotte simple, son corset en son bras, et venue à la posterne; ne fist que ung sault en sa maison, où elle attendoit son mary, qui le long tour venoit, trésadvisée de son fait et de ses manières qu'elle devoit tenir. Véez cy nostre homme, voyant encores la lumière en sa maison, hurte à l'huys assez rudement. Et sa bonne femme, qui mesnageoit par léans, en sa main tenant ung ramon, demande ce qu'elle bien scet: «Qui est-ce là?» Et il respond: «C'est vostre mary.—Mon mary! dist-elle: mon mary n'est-ce pas; il n'est pas en la ville.» Et il hurte de rechef et dit: «Ouvrez, ouvrez, je suis vostre mary.—Je cognois bien mon mary, dit-elle; ce n'est pas sa coustume de soy enclorre si tard, quand il seroit en la ville; allez ailleurs, vous n'estes pas bien arrivé; ce n'est point séans qu'on doit hurter à ceste heure.» Et il hurte pour la tierce, et l'appella par son nom, une foiz, deux foiz. Et adonc fist-elle aucunement semblant de le cognoistre, en demandant dont il venoit à ceste heure. Et pour response ne bailloit aultre que: «Ouvrez, ouvrez!»—«Ouvrez, dit-elle, encores n'y estes-vous pas, meschant houllier? Par la force sainte Marie, j'aymeroie mieulx vous veoir noyer que séans vous bouter. Alez coucher en mal repos dont vous venez.» Et lors bon mary de se courroucer; et fiert tant qu'il peut de son pié contre la porte, et semble qu'il doit tout abatre, et menace sa femme de la tant batre que c'est rage, dont elle n'a guères grand paour; mais au fort, pour abaisser la noise et à son aise mieulx dire sa volunté, elle ouvrit l'huys, et, à l'entrée qu'il fist, Dieu scet s'il fut servy d'une chére bien rechignée, et d'un agu et bien enflambé visage. Et, quand la langue d'elle eut povoir sur le cueur trèsfort chargé d'ire et de courroux, par semblant les parolles qu'elle descocha ne furent pas mains trenchans que rasoirs de Guingant bien affillez. Et entre aultres choses fort luy reproucha qu'il avoit par malice conclu ceste faincte allée pour l'esprouver, et que c'estoit fait d'un lasche et recreant courage d'homme, indigne d'estre allyé à si preude femme comme elle. Le bon compaignon, jà soit ce qu'il fust fort courroucé et mal meu par avant, toutesfoiz, pour ce qu'il voit son tort à l'œil et le rebours de sa pensée, refraint son ire, et le courroux qu'en son cueur avoit conceu, quand à sa porte tant hurtoit, fut tout à coup en courtois parler converty. Car il dit pour son excuse, et pour sa femme contenter, qu'il estoit retourné de son chemin pource qu'il avoit oublyé la lettre principale touchant le fait de son voyage. Sans faire semblant de le croire, elle recommence sa grande legende dorée, luy mettant sus qu'il venoit de la taverne et des estuves et des lieux deshonnestes et dissoluz, et qu'il se gouvernoit mal en homme de bien, maudisant l'eure qu'oncques elle eut son accointance, ensemble et sa trèsmaudicte allyance. Le pouvre désolé, cognoissant son cas, voyant sa bonne femme trop plus qu'il ne voulsist troublée, helas! et à sa cause, ne savoit que dire. Si se prend à meiser, et, à chef de sa meditacion, se tire près d'elle, plorant, ses genoulz tout en bas sur la terre, et dist les beaulx motz qui s'ensuyvent: «Ma trèschère compaigne et trèsloyale espouse, je vous requier et prie, ostez de vostre cueur tout courroux que avez vers moy conceu, et me pardonnez au surplus ce que je vous puis avoir meffait. Je cognois mon tort, je cognois mon cas, et viens naguères d'une place où l'on faisoit bonne chère. Si vous ose bien dire que cognoistre vous y cuidoye, dont j'estoye trèsdesplaisant. Et pour ce que à tort et sans cause, je le confesse, vous avoie suspessonnée d'estre aultre que bonne, dont me repens amerement, je vous supplie et de rechef que tout aultre passé courroux, et cest icy, vous obliez, vostre grace me soit donnée, et me pardonnez ma folie.» Le maltalant de nostre bonne gouge, voyant son mary en bon ploy et à son droit, ne se monstra meshuy si aspry ne si venimeux: «Comment, dist-elle, villain putier, si vous venez de vos trèsinhonestes lieux et infames, est-il dit pourtant que vous devez oser penser ne en quelque fasson croire que vostre preude femme les daignast regarder?—Nenny, par Dieu; helas! ce sçay-je bien, m'amye; n'en parlez plus, pour Dieu», dist le bon homme. Et de plus belle vers elle s'incline, faisant la requeste pieça trop dicte. Elle, jasoit qu'encores marrye et enragée de ceste suspicion, voyant la parfecte contrition du bon homme, cessa son dire, et petit à petit son troublé cueur se remist à nature, et pardonna, combien que à grand regret, après cent mille seremens et autant de promesses, à celuy qui tant l'avoit grevé. Et par ce point à mains de crainte et de regret se passa maintesfois depuis ladicte posterne, sans ce que l'embusche fust jamais descouverte à celuy à quy plus touchoit. Et ce souffise quant à la première histoire.


LA SECUNDE NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR.

E n la maistresse ville d'Angleterre, nommée Londres, assez hantée et congneue de pluseurs gens, n'a pas long temps demouroit ung riche et puissant homme qui marchant et bourgois estoit, qui entre ses riches bagues et tresors innombrables s'esjoissoit plus enrichy d'une belle fille que Dieu luy avoit envoyée que du bien grand surplus de sa chevance, car de bonté, beaulté, et genteté, passoit toutes les filles d'elle plus eagées. Et ou temps que ce très eureux bruyt et vertueuse renommée d'elle sourdoit, en son quinziesme an ou environ, Dieu scet si pluseurs gens de bien desiroient et pourchassoient sa grace par plusieurs et toutes fassons en amours acoustumées, qui n'estoit pas ung plaisir petit au père et à la mère d'elle. Et à ceste occasion de plus en plus croissoit en eulz l'ardent et paternel amour que à leur trèsbelle et trèsamée fille portoient. Advint toutesfois, ou car Dieu le permist, ou car Fortune le voult et commenda, envieuse et mal contente de la prosperité de celle belle fille, ou de ses parens, ou de tous deux ensemble, ou espoir par une secrète cause et raison naturelle, dont je laisse l'inquisition aux philosophes et medicins, qu'elle cheut en une desplaisante et dangereuse maladie que communement l'on appelle broches. La doulce maison fut trèslargement troublée, quand en la garenne que plus chère tenoient lesdictz parens, avoient osé lascher les levriers et limiers à ce desplaisant mal, et que plus est, toucher sa proye en dangereux et dommageable lieu. La pouvre fille, de ce grand mal toute affolée, ne scet sa contenance que de plourer et souspirer. Sa trèsdolente mère est si trèsfort troublée que d'elle il n'est rien plus desplaisant; et son trèsennuyé père destort ses mains, ses cheveux detire, pour la grand rage de ce nouvel courroux. Que vous diray-je? toute la grand triumphe qui en cest hostel souloit comblement abunder est par ce cas abatue et ternye, et en amère et subite tristece à la male heure converty. Or viennent les parens, amys et voisins de ce dolent hostel visiter et conforter la compaignie; mais pou ou rien y prouffite, car de plus en plus est aggressée et opprimée la pouvre fille de ce mal. Or vient une matrone qui moult et trop enquiert de ceste maladie; et fait virer et revirer puis çà, puis là, la trèsdolente paciente, à trèsgrand regret, Dieu le scet, et puis la medecine de cent mille fassons d'herbes; mais riens; plus vient avant et plus empire; c'est force que les medicins de la ville et d'environ soient mandez, et que la pouvre fille descouvre son trèspiteux cas. Or sont venuz maistre Pierre, maistre Jehan, maistre cy, maistre là, tant de phisiciens que vous vouldrez, qui veullent veoir la paciente ensemble, et les parties du corps à descouvert où ce maudit mal de broches s'estoit, helas! longuement embusché. Ceste pouvre fille, autant prinse et esbahie que si à la mort fust adjugée, ne se vouloit accorder nullement qu'on la meist en fasson que son mal fust apperceu, mesmes amoit plus cher morir que ung tel secret fust à nul homme decelé. Ceste obstinée volunté ne dura pas gramment, quand père et mère vindrent, qui pluseurs remonstrances luy firent, comme de dire qu'elle pourroit estre cause de sa mort, qui n'est pas ung petit peché, et pluseurs aultres mistères trop longs à racompter. Finablement, trop plus pour à père et à mère obéir que pour crainte de sa mort vaincue, la pouvre fille se laissa ferrer; et fut mise sur une cousche, les dens dessoubz, et son corps tant et si trèsavant descouvert que les medicins virent apertement le grant meschef qui fort la tormentoit. Ilz ordonnèrent son regime, font faire aux apothicaires clistères, pouldres, oignemens, et le surplus que bon leur sembla; et elle prend et fait tout ce qu'on voult pour recouvrer santé. Mais rien n'y vault, car il n'est tour ne engin que les dictz medecins sachent pour alleger quelque pou de ce destresseux mal, ne en leurs livres n'ont veu ne accoustumé, que si trèsfort la pouvre fille empire avecques l'ennuy qu'elle s'en donne que autant semble morte que vive. En ceste aspre doleur et langueur forte se passèrent mains jours. Et comme le père et la mère, parens et voisins s'enqueroient par tout pour l'allegence de la fille, fut rencontré ung ancien cordelier qui borgne estoit, et en son temps avoit veu moult de choses, et de sa principale science se mesloit fort de medicine, dont sa presence fut plus agreable aux parens de la paciente, laquel, helas! à tant de regret que dessus, regarda tout à son beau loisir, et se fist fort de la garir. Pensez qu'il fut trèsvoluntiers oy, et tant que la dolente assemblée, qui de lyesse pieça bannye estoit, fut à ce point quelque pou consolée, esperant l'effect sortir tel que à sa parolle le touchoit. Il part de léans, et prend jour à demain de retourner pourveu et garny de medicine si trèsvertueuse qu'elle en pou d'heure effacera la grand douleur et le martire qui debrise et gaste la pouvre paciente. La nuyt fut beaucop longue, attendant ce jour desiré; neantmains passèrent tant d'heures à quelque peine que ce fust, que nostre bon cordelier fut acquitté de sa promesse par soy rendre devers la paciente à l'heure assignée. S'il fut bien doulcement et autretant joyeusement receu, pensez que oy. Et quand vint l'heure qu'il voult besoigner et la paciente mediciner, on la print comme autrefois, et sur la cousche tout au plus bel qu'on peut fut à bouchons couschée, et son derrière descouvert assez avant, lequel fut incontinent par matrones d'ung beau blanc drap de linge garny, tapissé et armé; et à l'endroit du secret mal fut fait ung beau pertus, par le quel damp cordelier le povoit apertement choisir. Il regarde ce mal puis d'un costé, puis d'aultre; maintenant le touche d'un doy tant doulcement, une aultre foiz y souffle la pouldre dont mediciner la vouloit; or regarde le tuyau dont il voult souffler ladicte pouldre par dessus et dedans le mal; ore retourne arrière et jette l'œil de rechef sur ce dit mal, et ne se peut saouler de assez regarder. A chef de peche, il prend sa pouldre à la main gauche, mise en ung beau petit vaisseau plat, et de l'aultre son tuyau que emplir vouloir de la dicte pouldre, et comme il regardoit trèsententivement et de trèsprès par ce pertus et à l'environ le destresseux mal de la pouvre fille, si ne se peut elle contenir, voyant l'estrange fasson de regarder à tout ung œil de nostre cordelier, que force de rire ne la surprint, qu'elle cuida longuement retenir; mais si mal, helas! luy advint, que ce ris à force retenu fut converty en ung sonnet dont le vent retourna si très à point la pouldre que la pluspart il fist voler contre le visage et sur l'œil de ce bon cordelier, lequel sentent ceste doleur, habandonna tantost et vaissel et tuyau; et à peu qu'il ne cheut à la renverse, tant fut fort effrayé. Et quand il reut son sang, il met tout à haste la main à son œil, soy plaignant durement, disant qu'il estoit homme deffait et en dangier de perdre ung bon œil qu'il avoit. Il ne mentit pas, car en pou de jours la pouldre, qui corrosive estoit, luy gasta et mengea l'œil, et par ce point aveugle fut et demoura. Si se fist guider et mener ung jour jusques à l'ostel où il conquist ce beau butin; et firent tant ses guides qu'ilz parlèrent au maistre de léans, auquel il remonstra son piteux cas, priant et requerant, ainsi que droit le porte, qu'il luy baille et assigne, ainsi que à son estat appartient, sa vie honnorablement. Le bourgois luy respondit que de ceste son adventure beaucop luy desplaisoit, combien que en rien il n'en soit cause, n'en quelque fasson que ce soit chargé ne s'en ient. Trop bien est il content pour pitié et aumosne luy faire quelque gracieuse aide d'argent, pource qu'il avoit entrepris de garir sa fille, ce qu'il n'a pas fait; car à luy ne veult en riens estre tenu; luy veult bailler autant en somme que s'il eust sa fille en santé rendue, non pas, comme dit est, qu'il soit tenu de ce faire. Damp cordelier, non content de ceste offre, demande qu'il luy assigne sa vie, remonstrant tout premier comme la fille l'avoit aveuglé en sa presence et d'aultres pluseurs, et à ceste occasion estoit privé de la digne et trèssaincte consecracion du precieux corps de Jhésus, du saint service de l'Eglise, et de la glorieuse inquisicion des docteurs que escript ilz ont sur la saincte Escripture; et par ce point de predicacion plus ne povoit servir le peuple, qui estoit sa totale destruction, car mendiant estoit, et non fondé sinon sur aumosnes, que plus conquester il ne povoit. Quelque chose qu'il allègue ne remonstre, il ne peut finer d'aultre response que ceste presente. Si se tira par devers la justice du parlement du dit Londres, devant lequel fut baillé jour à nostre homme dessus dit. Et quand vint l'heure de plaider sa cause par ung bon advocat bien informé de ce qu'il devoit dire, Dieu scet que pluseurs se rendirent au consistoire pour oyr ce nouvel procès, qui beaucop pleut aux seigneurs du dit parlement, tant pour la nouvelleté du cas que pour les allegations et argumens des parties devant eulz debatans, qui non accoustumées mais plaisantes estoient. Ce procès tant plaisant et nouveau, affin qu'il fust de pluseurs gens congneu, fut en suspens tenu et maintenu assez et longuement; non pas que à son tour de rolle ne fust bien renvoyé et mis en jeu, mais le juger fut differé jusques à la fasson de cestes. Et par ce point celle qui auparavant par sa beauté, bonté et genteté congneue estoit de pluseurs gens, devint notoire à tout le monde par ce mauldit mal de broches, dont en la fin fut garie, ainsi que puis me fut compté.


LA TROYSIESME NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

E n la duché de Bourgoigne eut naguères ung gentil chevalier dont l'ystoire presente passe le nom, qui maryé estoit à une belle et gente dame. Et assez près du chasteau où le dit chevalier faisoit residence demouroit ung musnier, pareillement à une belle, gente et jeune femme marié. Advint une fois entre les aultres que comme le chevalier, pour passer temps et prendre son esbatement, se pourmenast à l'environ de son hostel et du long de la rivière sur laquelle estoient assis lesdictz hostel et molin du dit musnier, qui à ce coup n'estoit pas à l'ostel, mais à Dijon ou à Beaune, il perceut et choisit la femme du dit musnier portant deux cruches et retournant de la rivière de quérir de l'eaue. Si s'avança vers elle et doulcement la salua; et elle, comme sage et bien aprinse, luy fist honneur et la reverence comme il appartenoit. Nostre chevalier, voyant ceste musnière très-belle et en bon point, mais de sens assez escharsement hourdée, s'approucha de bonnes et luy dist: «Certes, m'amye, j'apperçoy bien que vous estes malade et en grand péril.» Et à ces parolles la musnière s'approucha et dist: «Helas! monseigneur, et que me fault il?—Vrayement, m'amye, j'apperçoy bien que si vous cheminez guères avant, que vostre devant est en trèsgrand dangier de cheoir; et vous ose bien dire que vous ne le porterez guères longuement qu'il ne vous chiège, tant m'y cognois-je.» La simple musnière, oyant les parolles de monseigneur, devint très ebahie et courroucée, ebahie comment monseigneur povoit savoir ne veoir ce meschef advenir, et courroucée d'oyr la perte du meilleur membre de son corps; et dont elle se servoit le mieulx, et son mary aussi. Si respondit: «Helas! monseigneur, et que dictes vous et à quoy congnoissez vous que mon devant est en dangier de cheoir? Il me semble qu'il tient tant bien.—Dya, m'amye, respondit monseigneur, suffise vous à tant, et soiez seure que je vous dy la verité, et ne seriez pas la première à qui le cas est advenu.—Helas! dist-elle, monseigneur, or suis je bien femme deffaicte, deshonorée et perdue; et que dira mon mary, nostre Dame! quand il saura ce meschef? Il ne tiendra plus comte de moi.—Ne vous desconfortez que bien à point, m'amye, dist monseigneur; encores n'est pas le cas advenu: aussi il y a de beaulx remèdes.» Quand la jeune musnière oyt qu'on trouveroit bien remède en son fait, le sang luy commence à revenir; et, ainsi qu'elle scet, prie à monseigneur, pour Dieu! que de sa grace luy veille enseigner qu'elle doit faire pour garder ce pouvre devant de cheoir. Monseigneur, qui trèscourtois et gracieux estoit, mesmement tousjours vers les dames, luy dist: «M'amye, pource que vous estes belle fille et bonne, et que j'ayme bien vostre mary, il me prend pitié et compassion de vostre fait; si vous enseigneray comment vous garderez vostre devant.—Helas! monseigneur, je vous en mercy, et certes vous ferez une euvre bien meritoire, car autant me vauldroit non estre que de vivre sans mon devant. Et que doy je dont faire, monseigneur?—M'amye, dist-il, affin de garder vostre devant de cheoir, le remède si est que plus tost et souvent que pourrez le facez recoigner.—Recoigner, monseigneur? et qui le saroit faire? A qui me fauldroit il parler pour bien faire ceste besoigne?—Je vous diray, m'amye, respondit monseigneur, pource que je vous ay advertye de vostre meschef, qui trèsprochain et gref estoit, et aussi du remède necessaire pour obvier aux inconveniens qui sourdre pourroient à l'occasion de vostre cas, dont je suis seur que bon gré m'en saurez, je suis content, affin de plus en plus nourrir amour entre nous deux, vous recoigner vostre devant, et le vous rendrai en tel et si trèsbon estat que par tout le pourrez seurement porter, sans avoir crainte ne doubte que jamais il vous puisse cheoir; et de ce me fais je bien fort.» Si nostre musnière fut bien joyeuse, il ne le fault pas dire ne demander, qui mettoit trèsgrand peine du peu de sens qu'elle avoit de souffisaument mercier monseigneur. Si marchèrent tant, monseigneur et elle, qu'ilz vindrent au molin, où ilz ne furent guères sans mettre la main à l'euvre, car monseigneur, par sa courtoisie, d'un oustil qu'il avoit recoigna en peu d'heure troys ou quatre foiz le devant de nostre musnière, qui trèslyée et joyeuse en fut. Et après que l'euvre fut ployé, et de devises ung millier, et jour assigné d'encores ouvrer à ce devant, monseigneur part, et tout le beau pas s'en retourna à son hostel. Au jour nommé se rendit monseigneur vers la musnière, et, en la fasson que dessus, le mieulx qu'il peut il s'employa à recoigner ce devant; et tant et si bien y ouvra, par continuacion de temps, que ce devant fut trèstout asseuré et tenoit trèsferme et bien. Pendent le temps que nostre chevalier recoignoit et chevilloit le devant de ceste musnière, le musnier retourna de sa marchandise et fist grand chère, et aussi fist sa femme. Et comme ilz eurent devisé de leurs affaires et besoignes, la trèssage musnière va dire à son mary: «Par ma foy, sire, nous sommes bien tenuz à monseigneur de ceste ville.—Voire, m'amye, dist le musnier, en quelle fasson?—C'est bien raison que le vous dye, affin que le sachez remercier, car vous y estes bien tenu. Il est vray que tantdiz qu'avez esté dehors, monseigneur passoit par devant nostre maison une foiz que à tout deux cruches alloye à la rivière; il me salua, si feis je luy, et comme je marchoie, il apperceut, ne sçay comment, que mon devant ne tenoit comme rien, et qu'il estoit en trop grand adventure de cheoir; et le me dist de sa grace, dont je fus si trèsesbahie, voire, par Dieu! autant courroucée que si tout le monde fust mort. Le bon seigneur, qui me veoit en ce point lamenter, en eut trèsgrand pitié; et de fait il m'enseigna ung bon remède pour me garder de ce mauldit dangier. Et encores me fist il bien plus, ce qu'il n'eust pas fait à une aultre, car le remède dont il m'advertit, qui estoit de faire recoigner et recheviller mon devant, affin de le garder de cheoir, lui mesmes le mist à execucion; qui luy fut trèsgrand peine et en sua pluseurs foiz, pource que mon cas requeroit d'estre souvent visité. Que vous diray je plus? il s'en est tant bien acquitté que jamais ne luy saurions desservir. Par ma foy, il m'a tel jour de ceste sepmaine recoigné les trois, les quatre fois, ung aultre deux, ung aultre trois; il ne m'a jamais laissée tant que j'aye esté toute garie; et si m'a mise en tel estat que mon devant tient à ceste heure aussi bien et fermement que celui de femme de nostre ville.» Le musnier, oyant cette adventure, ne fist pas semblant par dehors tel que dedans son cueur portoit, mais, comme s'il fust bien joyeux, dist à sa femme: «Or çà, m'amye, je suis bien joyeux que monseigneur nous a fait ce plaisir, et se Dieu plaist, quand il sera possible, je feray autant pour luy. Mais toutes foiz, pource que vostre cas n'estoit pas bien honeste, gardez vous bien d'en rien dire à personne, et aussi, puis que vous estes bien garie, il n'est jà mestier que vous traveillez plus monseigneur.—Vous n'avez garde, dist la musnière, que j'en sonne jamais ung mot, car aussi le me deffendit bien monseigneur.» Nostre musnier, qui estoit gentil compaignon, ramentevoit souvent en sa teste la courtoisie que monseigneur luy avoit faicte, et se conduisit si bien et si sagement que oncques mon dit seigneur ne se perceut qu'il se doubtast de la tromperie qu'il luy avoit faicte, et cuidoit en soy mesmes qu'il n'en sceust rien. Mais, helas! si faisoit, et n'avoit ailleurs son cueur, son estude, ne tous ses pensers, que à se venger de luy, s'il savoit, en fasson telle ou semblable qu'il deceust sa femme. Et tant fist par son engin, qui point oyseux n'estoit, qu'il advisa une manière par laquelle bien luy sembloit, s'il en povoit venir à chef, que monseigneur raroit beurre pour œufs. A chef de peche, pour aucuns affaires qui survindrent à monseigneur, il monta à cheval et print de madame congé bien pour ung moys, dont nostre musnier ne fut pas moyennement joyeux. Ung jour entre les aultres, madame eut volunté de se baigner, et fist tirer le baing et chauffer les estuves en son hostel à part, ce que nostre musnier sceut trèsbien, pource qu'il estoit assez familier léans; si s'advisa de prendre ung beau brochet qu'il avoit en sa fosse, et vint au chasteau pour le presenter à madame. Aucunes femmes de madame vouloient prendre le brochet, et de par le musnier en faire present à madame; mais le musnier trèsbien les en garda, et dist qu'il le voloit luy mesme à madame presenter, ou vraiement qu'il le remporteroit. Au fort, pource qu'il estoit comme de léans et joyeux homme, madame le fist venir, qui dedans son baing estoit. Le gracieux musnier fist son present, dont madame le mercya, et le fist porter en la cuisine et mectre à point pour le soupper. En entretant que madame au musnier devisoit, il apperceut sur le bout de la cuve ung trèsbeau dyamant et gros qu'elle avoit osté de son doy, doubtant de l'eaue le gaster. Si le crocqua si simplement qu'il ne fut de ame apperceu; et quand il vit son point, il donna la bonne nuyt à madame et à sa compaignie, et s'en retourne à son molin, pensant au surplus de son affaire. Madame, qui faisoit grand chère avecques ses femmes, voyant qu'il estoit desjà bien tard et heure de soupper, abandonna le baing et en son lit se bouta. Et comme elle regardoit ses braz et ses mains, elle ne vit point son dyamant; si appella ses femmes et leur demande ce dyamant, et à laquelle elle l'avoit baillé. Chacune dist: «Ce ne fut pas à moy.—Ne à moy.—Ne à moy aussi.» On cherche hault et bas, dedans la cuve, sur la cuve, et partout; mais rien n'y vault, on ne le peut trouver. La queste de ce dyamant dura longuement, sans qu'on en sceust oyr nouvelle, dont madame se donnoit bien mauvais temps, pource qu'il estoit meschantement perdu et en sa chambre. Et aussi monseigneur luy donna le jour de ses espousailles, si l'en tenoit beaucop plus cher. On n'en savoit qui mescroire, ne à qui le demander, dont grand dueil sourd par léans. L'une des femmes s'advisa et dist: «Ame n'est céans entré que nous qui y sommes et le musnier; si me sembleroit bon qu'il fust mandé.» On le mande, et il y vint. Madame, si trèscourroucée et si desplaisante que plus ne povoit, demanda au musnier s'il n'avoit pas veu son dyamant. Et il, autant asseuré en bourdes que ung aultre à dire vérité, s'excusa trèshaultement, mesmes osa bien dire à madame s'elle le tenoit pour larron; à quoy elle respondit doulcement: «Certes, musnier, nenny; aussi ce ne seroit pas larrecin si vous aviez par esbatement mon dyamant emporté.—Madame, dist le musnier, je vous promectz par ma foy que de vostre dyamant ne sçay je nouvelles.» Adonc fut la compaignie bien simple, et madame specialement, qui en est si trèsdesplaisante qu'elle ne scet sa contenance que de gecter larmes à grande abundance, tant a regret de ceste verge. La triste compaignie se met au conseil pour savoir qu'il est de faire. L'une dit qu'il fault qu'il soit en la chambre, l'aultre dit qu'elle a serché par tout, et que impossible est qu'il y soit qu'on ne le trouvast, attendu que c'est une chose qui à ceste heure bien se monstre. Le musnier demande à madame s'elle l'avoit à l'entrée du baing, et elle dit que si. «S'il est ainsi, certainement, madame, veue la grande diligence qu'on a faicte de le querir sans en savoir nouvelle, la chose est bien estrange. Toutesfoiz, il me semble que s'il y avoit homme en ceste ville qui sceust donner conseil pour le retrouver, que je seroye celuy; et, pource que je ne vouldroye pas que ma science fust descouverte ne cogneue de pluseurs, il seroit expedient que je parlasse à vous à part.—A cela ne tiendra pas», dist madame. Si fist partir la compaignie, et au partir que firent les femmes dirent dame Jehanne, dame Ysabeau et Katherine: «Helas! musnier, que vous serez bon homme si vous faictes revenir ce dyamant.—Je ne m'en fays pas fort, dist le musnier; mais j'ose bien dire, s'il est possible de jamais le trouver, que j'en apprendray la manière.» Quand il se vit à part avec madame, il luy dist qu'il se doubtoit trèsfort et pensoit certainement, puisque à l'arriver au baing elle avoit son dyamant, qu'il ne fust sailly de son doy et cheut en l'eaue, et dedans son corps se bouté, attendu qu'il n'y avoit ame qui le voulsist retenir. Et la diligence faicte pour le trouver, si fist madame monter sur son lit, ce qu'elle eust voluntiers refusé si ce ne fust pour mieulx faire. Et après ce qu'il l'eut assez avant descouverte, fist comme manière de regarder çà et là, et dist: «Seurement, madame, le dyamant est entré en vostre corps.—Et dictes vous, musnier, que l'avez appercéu?—Oy, vrayement.—Helas! dit-elle, et comment le pourra l'on tirer?—Trèsbien, madame; je ne doubte pas que je n'en vienne bien à chef, s'il vous plaist.—Ainsi m'ayde Dieu, il n'est chose que je ne face pour le ravoir, dist madame; or vous avancez, beau musnier.» Madame, encores sur le lit couschée, fut mise par le musnier tout en telle fasson que monseigneur mettoit sa femme quand il luy recoignoit son devant, et d'un tel oustil fit il la tente pour querir et pescher le dyamant. Après les reposées de la première et deuxiesme queste que le musnier fist du dyamant, madame demande s'il l'avoit point senty. Et il dist que oy, dont elle fut bien joyeuse, et luy pria qu'il peschast encores tant qu'il l'eust trouvé. Pour abreger, tant fist le bon musnier qu'il rendit à madame son trèsbeau dyamant, dont trèsgrand joye vint par léans; et n'eut jamais musnier tant d'honneur ne d'avancement que madame et ses femmes luy donnèrent. Ce bon musnier, en la trèsbonne grace de madame après la trèsdesirée conclusion de sa haulte entreprinse, part de léans, et vint en sa maison sans soy vanter à sa femme de sa nouvelle adventure, dont il estoit plus joyeux que s'il eust tout le monde gaigné. La Dieu mercy, petit de temps après, monseigneur revint en sa maison, où il fut doulcement receu et de madame humblement bienvenu, laquelle, après pluseurs devises qui au lit se font, luy compta la trèsmerveilleuse adventure de son dyamant, et comment il fut de son corps par le musnier repesché; et, pour abregier, tout du long luy compta le procès, la fasson et la manière que tint le dit musnier en la queste du dit dyamant, dont il n'eut guères grand joye, mais se pensa que le musnier luy avoit baillée belle. A la première fois qu'il rencontra le bon musnier, il le salua haultement et dist: «Dieu gard, Dieu gard ce bon pescheur de dyamant!» A quoy le bon musnier respondit: «Dieu gard, Dieu gard ce recoigneur de cons!—Par nostre Dame! tu dis vray, dist le seigneur; tays toy de moy et si ferai-je de toy.» Le musnier fut content, et jamais plus n'en parla; non fist le seigneur, que je sache.


LA QUARTE NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR.

L e roy estant naguères en sa ville de Tours, ung gentil compaignon escossois, archier de son corps et de sa grand garde, s'enamoura trèsfort d'une trèsbelle et gente damoiselle mariée et mercière, et, quand il sceut trouver temps et lieu, le mains mal qu'il peut compta son trèsgracieux et piteux cas, auquel ne fut pas bien respondu à son avantage, dont il n'estoit pas trop content ne joyeux. Neantmains, car il avoit la chose fort au cueur, ne laissa pas sa poursuite, ainçois de plus en plus et trèsaigrement pourchassa tant que la damoiselle, le voulant enchasser et donner le total congié, luy dist qu'elle advertiroit son mary du pourchaz deshoneste et damnable qu'il s'efforçoit d'eschever, ce qu'elle fist tout au long. Le mary, bon et sage, preu et vaillant, comme après vous sera compté, se courroussa amerement encontre l'Escossois qui deshonorer le vouloit et sa trèsbonne femme aussi; et, pour bien se venger de luy et à son aise et sans reprinse, commenda à sa femme que s'il retournoit plus à sa queste, qu'elle luy baillast et assignast jour, et, s'il estoit si fol que d'y comparoir, le blasme qu'il luy pourchassoit luy seroit cher vendu. La bonne femme, pour obéir au bon plaisir de son mary, dist que si feroit elle. Il ne demoura guères que le pouvre Escossois amoureux fist tant de tours qu'il vit en place nostre mercière, qui fut par luy humblement saluée, et de rechef d'amours si doulcement priée que les requestes du par avant devoient bien estre enterinées par la conclusion de ceste piteuse et derrenière; qui le oyoit, jamais femme ne fut plus loyalement obéye ne servye qu'elle seroit, si de sa grace vouloit passer sa trèshumble et raisonnable requeste. La belle mercière, recordant de la leczon que son mary luy bailla, voyant aussi l'heure propice, entre aultres devises et pluseurs excusations servans à son propos, bailla journée à l'Escossois au lendemain au soir de comparoir personnellement en sa chambre, pour en ce lieu luy dire plus celéement le surplus de son intencion et le grand bien qu'il luy vouloit. Pensez qu'elle fut haultement merciée, doulcement escoutée, et de bon cueur obéye de celuy qui, après ces nouvelles bonnes, laissa sa dame le plus joyeux que jamais il avoit. Quand le mary vint à l'ostel, il fut servy de prinsault comme l'Escossois fut léans, des parolles et grandes offres qu'il fist; et en conclusion, qui mieulx vault, comment il se rendra demain au soir devers elle en sa chambre. «Or le laissez venir, dist le mary; il ne fist jamais si folle entreprise, que je luy cuide monstrer avant qu'il parte, voire et son grant tort faire confesser, pour estre exemple aux aultres folz oultrecuidez et enragez comme luy.» Le soir du lendemain approucha, très désiré du pouvre Escossois amoreux pour venir et joir de sa dame, trèsdésiré du bon mercier pour accomplir la trèscriminale vengence qu'il veult executer en la personne de celuy qui veult estre son lieutenant; trèsredoubté aussi de la bonne femme, qui, pour obéir à son mary, attend de veoir ung grand hutin. Au fort, chascun s'appreste: le mercier se fait armer d'un grand, lourd et vieil harnois, prend sa salade, ses ganteletz, et en sa main une grand hache. Or est il bien en point, Dieu le set, et semble bien que aultres fois il ait veu hutin. Comme ung champion venu sur les rencs de bonne heure et attendant son ennemy, en lieu de pavillon se va mectre derrière ung tapis en la ruelle de son lit, et si trèsbien se caicha qu'il ne povoit estre apperceu. L'amoureux malade, sentent l'heure trèsdesirée, se met au chemin devers l'ostel à la mercière; mais il n'oblya pas sa grande, forte et bonne espée à deux mains. Et comme il fut venu léans, la dame monte en sa chambre sans faire effroy, et il la suyt tout doulcement. Et quand il s'est trouvé léans, il demande à sa dame si en sa chambre y avoit aultre qu'elle. A quoy elle respondit assez laschement et estrangement, et comme non trop asseurée, que non. «Dictes verité, dist l'Escossois; vostre mary n'y est il pas?—Nenny, dist-elle.—Or le laissez venir; par sainct Trignan! s'il y vient, je luy fendray la teste jusques aux dens; voire par Dieu! s'il estoient trois, j'en seray bien maistre hardiment.» Et après ces criminelles parolles, vous tire hors du fourreau sa grande et bonne espée, et si la fait brandir trois ou quatre foiz, et auprès de luy sur le lit la cousche, et ce fait, vistement baiser et accoler, et le surplus qu'après s'ensuyt tout à son bel aise et loisir acheva, sans ce que le pouvre coux de la ruelle s'osast oncques monstrer, mais si grand paour avoit qu'à pou qu'il ne mouroit. Nostre Escossois, après ceste haulte adventure, prend de sa dame congé jusques une aultre fois, et la mercye comme il scet de sa grand courtoisie, et se met au chemin et descend les degrez de la chambre. Quand le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois enseur de luy, ainsi effrayé qu'il estoit, sans à peine savoir parler, sault de son pavillon, et commence à tenser sa femme de ce qu'elle avoit souffert le plaisir de l'archier. Et elle luy respondit que c'estoit sa coulpe et sa faulte, et chargié luy avoit luy bailler jour. «Je ne vous commenday pas, dist-il, de luy laisser faire sa volunté.—Comment, dit-elle, le povois je refuser, voyant sa grand espée, dont il m'eust tuée en cas de refus?» Et à cest cop veez cy bon Escossois qui retourne et monte arrière les degrez de la chambre, et sault dedans et dit tout hault: «Qu'est cecy!» Et bon homme de se sauver, et dessoubz le lit se boute pour estre plus seurement, beaucop plus esbahy que par avant. La dame fut reprinse et de rechef par l'amoureux enferrée trèsbien et à loysir, en la fasson que dessus, tousjours l'espée au près de luy. Après ceste rencharge et pluseurs aultres devises entre l'Escossois et la dame, l'heure vint de partir, si luy donna bonne nuyt et picque et s'en va. Le pouvre martir estant soubz le lit, à peu s'il s'osoit tirer de là, doubtant le retourner de son adversaire, ou, pour mieulx dire, son compaignon. A chef de pièce, il print courage, et, ou l'ayde de sa femme, la Dieu mercy, il fut remis sur piez. S'il avoit bien tansé et villannée sa femme auparavant, encores recommença il plus dure légende; car elle avoit consenty après sa defense le deshonneur de luy et d'elle. «Helas! dit-elle, et où est la femme tant asseurée qui osast dedire ung homme ainsi eschauffé et enragé que cestuy est, quand vous, qui estes armé, embastonné, et si vaillant que c'est rage, à qui il a trop plus meffait que à moy, ne l'avez osé assaillir ne moy defendre?—Ce n'est pas response, dist-il, dame; si vous n'eussiez voulu, jamais ne fust venu à ses attainctes. Vous estes mauvaise et desloyale.—Mais vous, dit-elle, lasche, meschant, et reprouché homme, par qui je suis deshonorée, car pour vous obéir j'assignay le mauldit jour à l'Escossois, et oncques n'avez eu tant de courage que d'entreprendre la defence de celle où gist tout vostre bien et honneur. Et ne pensez pas, j'eusse trop mieulx amé la mort que d'avoir de moy mesmes consenty ne accordé ce meschef. Et Dieu scet le dueil que j'en porte et en porteray tant que je vivré, quand celuy de qui je doy avoir et tout secours attendre, en sa presence et par son advis m'a bien souffert deshonorer!» Il fait assez à croire et penser qu'elle ne souffrit pas la volunté de l'Escossois pour plaisir qu'elle y prensist, mais elle fut ad ce contraincte et forcée par non resister, laissant la resistence en la proesse de son mary, qui s'en estoit très bien chargé. Chacun d'eulx cessa son dire et sa querelle après pluseurs argumens et repliques d'une costé et d'aultre; mais en son tort evident fut le mary conclu, qui demoura trompé de l'Escossois en la fasson et manière que avez oy.


LA CINQUIESME NOUVELLE,
PAR PHILIPE DE LOAN.

M onseigneur Talebot, à qui Dieu pardoint, capitaine anglois si preux, si vaillant, et aux armes si eureux, comme chacun scet, fist en sa vie deux jugemens dignes d'estre recitez et en audience et memoire perpétuelle amenez; et, affin que aussi en soit fait d'iceulx jugemens en brefs motz ma première nouvelle, ou renc des aultres la cinquiesme, j'en fourniray et diray ainsi. Pendant le temps que la mauldicte et pestilencieuse guerre de France et d'Angleterre regnoit, et qui encores n'a prins fin, comme souvent advient, ung François, homme d'armes, fut à ung aultre Anglois prisonnier; et puis qu'il se fut mis à finance, soubz le saufconduit de monseigneur Talebot, devers son capitaine s'en retournoit pour faire finance de sa renson, et à son maistre l'envoyer ou la porter. Et comme il estoit en chemin, fut par un Anglois sur les champs rencontré, lequel, le voyant François, tantost luy demande dont il venoit et où il alloit. L'aultre respondit la verité. «Et où est vostre saufconduit? dist l'Anglois.—Et il n'est pas loing», dit le François. Lors tire une petite boyte pendant à sa couroye, où son saufconduit estoit, et à l'Anglois le tendit, qui d'un bout à l'aultre le leut; et, comme il est de coustume de mettre en toutes lettres de saufconduit: Reservé tout vray habillement de guerre, l'Anglois note sur ces motz, et voit encores les aguilletes à armer pendans au pourpoint du François. Si va juger en soy mesmes qu'il avoit enfraint son saufconduit, et que aguillettes sont vray habillement de guerre, et luy dit: «Amy, je vous fays prisonnier, car vous avez rompu vostre saufconduit.—Par ma foy, non ay, dist le François, sauve vostre grace; vous voiez en quel estat je suis.—Nenny, nenny, dist l'Angloys, par sainct Jehan! vostre saufconduit est rompu. Rendez vous, ou je vous tueray.» Le pouvre François, qui n'avoit que son paige et qui estoit tout nu et de ses armes desgarny, voyant l'autre armé et de trois ou quatre archiers acompaigné pour le deffaire, à luy se rendit. L'Anglois le mena en une place assez près de là et en prison le bouta. Le François, voyant ce party, tout son estat à grand haste au capitaine manda; lequel, oyant le cas de son homme, fut à merveilles esbahy; si fist tantost escripre lettres à monseigneur Talebot, et par ung hérault les envoya, bien enditté et informé de la matière que l'homme d'armes prisonnier avoit au long au capitaine rescript, c'est assavoir comment ung tel de ses gens avoit prins ung tel des siens soubz son saufconduit. Le dit hérault, bien informé et aprins qu'il devoit dire et faire de son maistre, partit, et à monseigneur Talebot ses lettres presenta. Il les lysit, et par ung sien secretaire en audience, devant pluseurs chevaliers et escuiers et aultres de sa rote, de rechef les feist relire. Si devez savoir que tantost il monta sur son chevalet, car il avoit la teste chaude et fumeuse, et n'estoit point bien content quand on faisoit aultre chose que à point, et par especial en matière de guerre, et d'enfraindre son saufconduyt, il enrageoit tout vif. Pour abreger le compte, il fist venir devant luy l'Anglois et le François, et dist au François qu'il deist son cas. Il dist comment il avoit esté prisonnier d'ung tel de ses gens et s'estoit mis à finance. «Et soubz vostre saufconduit, monseigneur, je m'en aloye devers ceulx de nostre party pour querir ma renson. J'ay encontré ce gentil homme cy, aussi de voz gens; il m'a demandé où je alloye, et se j'avoie saufconduyt. Je luy dys que oy et luy monstre, et, quand il l'eut leu, il me dist que je l'avoye rompu, et je luy respondy que non avoie et qu'il ne le saroit monstrer. Bref, je ne peuz estre oy, et me fut force, si je ne me vouloye laisser tuer en la place, de me rendre. Et ne sçay cause nulle par quoi il me doive avoir retenu; si vous en demande justice.» Monseigneur Talebot, oyant le Françoys, n'estoit pas bien à son aise; néantmains, quand il eut dit, il dist à l'Anglois: «Que respons-tu à cecy?—Monseigneur, dist-il, il est bien vray, comme il a dit, que l'encontray et voulu veoir son saufconduit, lequel de bout en bout et tout au long je leyz, et perceu tantost qu'il l'avoit enfraint et rompu, et autrement je ne l'eusse arresté.—Comment le rompit-il? dist monseigneur Talebot; dy tost.—Monseigneur, pource que en son saufconduit a et avoit «reservé tout vray habillement de guerre»; et il avoit et a encores ses aguillettes à armes, qui sont ung habillement de guerre, car sans elles on ne se peut armer.—Voire, dist monseigneur Talebot, si aguillettes sont donc vray habillement de guerre? Et ne scez-tu aultre chose par quoy il puisse avoir enfraint son saufconduyt?—Vrayement, monseigneur, nenny, respond l'Angloys.—Voyre, villain, de par vostre dyable! dist monseigneur Talebot, avez vous retenu ung gentilhomme sur mon saufconduyt pour ses aguillettes? Par saint George, je vous feray monstrer si ce sont habillemens de guerre.» Alors, tout eschaufé et de courroux trèsfort esmeu, vint au François, et de son porpoint print deux aguillettes et à l'Angloys les bailla, et au François une bonne espée d'armes fist en la main livrer, et puis la belle et bonne sienne du fourreau tira, et à l'Anglois va dire: «Defendez vous de cest habillement de guerre que vous dictes, se vous savez.» Et puis dist au François: «Frappez sur ce villain qui vous a retenu sans cause et sans raison; on verra comment il se defendra de vostre habillement de guerre. Si vous l'espergnez, je frapperay sur vostre teste, par saint George!» Alors le François, voulsist ou non, fut contraint de ferir sur l'Anglois de l'espée toute nue qu'il tenoit, et le pouvre Angloys s'en couroit par la chambre le plus qu'il pouvoit, et Talebot après, qui tousjours faisoit ferir par le François sur l'aultre, et luy disoit: «Defendez vous, villain, de vostre habillement de guerre.» A la verité, l'Anglois fut tant batu que presque jusques à la mort, et crya mercy à Talebot et au Françoys, qui par ce moien fut delivré, et de sa renson par monseigneur Talebot acquitté, et, avecques ce, son cheval et son harnoys et tout son bagaige que au jour de sa prinse avoit luy fist rendre et bailler. Veez là le premier jugement que fist le bon seigneur Talebot. Reste à compter l'aultre, qui fut tel: Il sceut que l'un de ses gens avoit desrobé en une eglise le ciboire où l'on met corpus Domini, et à bons deniers contens l'avoit vendu, je n'en sçay pas la juste somme; mais il estoit bel et grand et d'argent doré, et trèsgentement esmaillé. Monseigneur Talebot, quoy qu'il fust terrible et cruel, et en la guerre très criminel, si avoit il en grand reverence tousjours l'eglise, et ne voloit que nul en nesun moustier le feu boutast ne desrobast; et où il savoir qu'on le feist, il en faisoit merveilleuse discipline de ceulx qui, en ce faisant, son commendement trespassoient. Or fist il devant luy mener, et vint celuy qui ce ciboire avoit en l'eglise robé. Et quand il le vit, Dieu scet quelle chère il luy fist! Il le voloit à toute force tuer, se n'eussent esté ceulx qui entour luy estoient, qui tant luy prièrent que la vie luy fut sauvée. Mais néantmains si le vouloit-il punir et luy dist: «Traistre ribauld, comment avez-vous osé rober l'eglise oultre mon commendement et ma defense?—Ha! monseigneur, pour Dieu, mercy! dist le pouvre larron; je vous crye mercy; jamais ne m'adviendra.—Venez avant, villain», dist-il. Et l'aultre, aussi voluntiers qu'on va au guet, devers monseigneur s'avance. Et monseigneur Talebot, de son poing, qui estoit gros et lourd, de charger sur la teste de ce bon pelerin, et luy disoit: «Ha! larron, avez-vous desrobé l'eglise!» Et l'autre de crier: «Monseigneur, je vous crye mercy; jamais ne le feray.—Le ferez-vous?—Nenny, monseigneur.—Or, jurez donc que jamais en eglise, quelle qu'elle soit, n'entrerez. Jurez, villain.—Et bien! monseigneur», dist l'aultre. Et lors luy fist jurer que jamais en eglise pié ne mettroit, dont tous ceulx qui là estoient eurent grand ris, quoy qu'ilz eussent pitié du larron, pource que monseigneur Talebot luy defendoit l'eglise à tousjours, et luy faisoit jurer de non jamais y entrer. Et croiez qu'il cuidoit bien faire et à bonne intencion lui faisoit. Ainsi avez oy les deux jugemens de monseigneur Talebot.


LA SIXIESME NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.

E n la ville de La Haye, en Hollandre, comme le prieur des Augustins naguères se pourmenast disant ses heures, sur le serain, assés près de la chapelle Saint-Anthoine, située au bois près la dicte ville, il fut rencontré d'un grand lourd Hollandois si trèsyvre que merveilles, qui demouroit en ung village nommé Stevelinghes, à deux lieues près d'illec. Le prieur, de loing le voyant venir, cogneut tantost son cas par les desmarches lourdes et malseures qu'il faisoit tirant son chemin, et, quand ils vindrent pour joindre l'un à l'aultre, l'ivroigne salua premier le prieur, qui luy rendit son salut tantost et puis passe oultre, continuant son service, sans en aultre propos l'arrester ne interroguer. L'yvroigne, tant oultré que plus ne povoit, retourne et poursuit le prieur, et luy requiert confession. «Confession! dist le prieur; va-t-en, va-t-en! tu es bien confessé.—Helas! sire, respond l'yvroigne, pour Dieu, confessés-moy: j'ay à ceste heure très fresche memoire de mes pechez et parfecte contricion.» Le prieur, desplaisant d'estre empesché à ce cop par cest yvroigne, respond: «Va ton chemin, il ne te fault aultre confession, car tu es en trèsbon estat.—Ha dya! dist l'yvroigne, par la mort bieu, vous me confesserez, maistre curé, car j'ay devocion.» Et le saisit par la manche et le voult arrester. Le curé n'y voloit entendre, mais avoit tant grand fain que merveille d'eschapper de l'aultre; mais rien n'y vault, car il est ferme en la ruse que d'estre confessé, ce que le curé tousjours refuse, et si s'en cuide desarmer, mais il ne peut. La devocion de l'yvroigne de plus en plus s'enforce, et, quand il voit le curé refusant de oyr ses peschez, il mect la main à sa grand coustille, et de sa gayne la tira, et dist au curé qu'il l'en tuera si bientost il n'escoute sa confession. Le curé, doubtant le cousteau et la main perilleuse qui le tenoit, ne sçet que dire, si demande à l'aultre: «Que veulx-tu dire?—Je veil confesser, dit-il.—Or avant, je le veil», dit le curé, avance-toy. Nostre yvroigne, plus estourdy que une grive partant d'une vigne, commença, s'il vous plaist, sa devote confession, laquelle je passe: car le curé point ne la revela, mais vous pouvez bien penser qu'elle fut bien nouvelle et estrange. Quand le curé vit son point, il couppa le chemin aux lourdes et longues parolles de nostre yvroigne et l'absolucion luy donne; et congé luy donnant luy dist: «Va-t-en, tu es bien confessé.—Dictes-vous, sire? respond-il.—Oy vrayemement, dist le curé, ta confession est trèsbonne. Va-t-en, tu ne peuz mal avoir.—Et puis que je suis bien confessé et que j'ay l'absolution receue, si à ceste heure je mouroye, n'yrois-je pas en paradis? dit l'yvroigne.—Tout droit, tout droit, sans faillir, dit le curé, n'en fay nulle doubte.—Puis qu'ainsi est, dit l'yvroigne, que je suis en bon estat maintenant, je veil morir tout dès maintenant, affin que je y aille.» Si prend et baille son cousteau à ce curé, en lui priant et requerant qu'on luy trenche la teste, affin qu'il voist en paradis.—«Ha dya! dit le curé tout esbahy, il n'est jà mestier d'ainsi faire, tu iras bien en paradis par aultre voye.—Nenny, respond l'yvroigne, je y veil aller tout maintenant, et cy morir par voz mains; avancez-vous et me tuez.—Non feray pas, dit le curé; ung prestre ne doit ame tuer.—Si ferez, sire, par la mort bieu, et, si bientost ne me despeschez et ne me mettez en paradis, je mesme à mes deux mains vous occiray.» Et à ces motz brandit son grand cousteau, et en fait monstre aux yeulx du pouvre curé, tout espoenté et assimply. Au fort, après qu'il eut ung peu pensé, affin d'estre de son yvroigne despeschié, qui de plus en plus l'aggresse et parforce qu'il luy oste la vie, il saisist et prent le cousteau et si va dire: «Or ça, puisque tu veulx par mes mains finer affin d'aller en paradis, mets-toy à genoulz cy devant moy.» L'yvroigne ne s'en fist guères prescher, mais tout à coup du hault de lui tumber se laissa, et à chef de piece, à quelque meschef que ce fust, sur ses genoulz se releva, et à mains joinctes le cop de l'espée, cuidant mourir, attendoit. Le curé, du doz du Cousteau, fiert sur le col de l'yvroigne ung grand et pesant cop, et à terre l'abbat bien rudement. Mais vous n'avez garde qu'il se reliève, mesme cuide vrayement estre en paradis. En ce point le laissa le curé, qui, pour sa seureté, n'oublia pas le cousteau. Et, comme il fut ung peu avant, il rencontra ung chariot chargé de gens, mesmes de la pluspart, vint si bien, de ceulx qui avoient esté prescris où nostre yvroigne se chargea, auxquelz il racompta bien au long tout le mystère, en leur priant qu'ilz le levassent et en son hostel le voulsissent rendre et conduire, et puis leur bailla son cousteau. Ilz promissent de l'emmener et charger avec eulx, et puis le curé s'en va. Ilz n'eurent guères cheminé qu'ilz perceurent ce bon yvroigne couché comme s'il fust mort, les dents contre la terre; et, quand ilz furent près de lui, tréstous à une voiz par son nom l'appelèrent; mais ilz ont beau hucher, il n'a garde de respondre; ilz recommencent à crier, mais c'est pour neant. Adonc descendirent les aucuns de leur chariot, si le prindrent par teste, par piez et par jambes, et tout en air le sourdèrent et tant huchèrent qu'il ouvrit ses yeulx, et quand il parla il dist: «Laissez-moy, laissez, je suis mort.—Non estes, non, dirent ses compaignons; il vous en fault venir avecques nous.—Non feray, dist l'yvroigne, où yrois je? Je suis mort et desjà en paradis.—Vous vous en viendrez, dirent les aultres; il nous fault aler boire.—Boire! dit l'aultre; jamais je ne buray, car je suis mort.» Quelque chose que ses compaignons luy deissent ne fissent, il ne vouloit partir ne mettre hors de sa teste qu'il ne fust mort. Ces devises durèrent beaucop, et ne savoient trouver les compaignons fasson ne manière d'emmener ce fol yvroigne: car, quelque chose qu'ilz dissent, tousjours respondoit: «Je suis mort.» En la fin, ung entre les aultres s'avisa et dit: «Puis que vous estes mort, vous ne voulez pas demourer icy, et comme une beste aux champs estre enfouy; venez, venez avecques nous, si vous porterons en terre sur nostre chariot, ou cimeitére de nostre ville, ainsi qu'il appartient à ung crestian; autrement n'yrés pas en paradis.» Quand l'yvroigne entendit que encores le falloit enterrer, ains qu'il montast en paradis, il fut tout content d'obéyr; ci fut tantost troussé et mis dessus le chariot, où guères ne fut sans dormir. Le chariot estoit bien atelé, si furent tantost à Stevelinghes, où ce bon yvroigne fut descendu tout devant sa maison. Sa femme et ses gens furent appelez, et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort dormoit que, pour le porter du chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s'esveilla, et là fut il ensevely entre deux linceux sans s'esveiller bien de deux jours après.


LA SEPTIESME NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR.

U ng orfévre de Paris, naguères, pour despescher pluseurs besoignes de sa marchandise à l'encontre d'une feste de Lendit et d'Envers, fist large et grand provision de charbon de saulx. Advint ung jour, entre les aultres, que le charreton qui ceste denrée livroit, pour la grand haste de l'orfévre, fist si grand diligence qu'il amena deux voictures plus que nul des jours par avant; mais il ne fut pas si tost à Paris à sa derrenière charetée, que la porte à ses talons ne fust fermée. Il fust trèsbien venu et receu de l'orfévre, et, après que son charbon fut deschargé et les chevaulx mis en l'estable, il voult soupper tout à loysir, et firent trèsgrande chère, qui pas ne se passa sans boire d'autant et d'autel. Quand la brigade fut trèsbien repeue, la cloche sonna xij heures, dont ilz se donnèrent grans merveilles, tant plaisaimmant s'estoit le temps passé à ce soupper. Chacun loa Dieu comme il savoit, faisans trèspetitz yeulx, et demandent le lit; mais, pource qu'il estoit tant tard, l'orfévre retint au couscher son chareton, doubtant la rencontre du guet, qui l'eust en Chastellet logié si à ceste heure le trouvast. Pour cest cop nostre orfévre avoit tant de gens qui pour luy ouvroient que force luy fut le chareton avec luy et sa femme en son lit heberger; et, comme sage et non suspeçonneux, fist sa femme entre luy et le chareton couscher. Or vous fault-il dire que ce ne fut pas sans grand mystère, car le bon chareton refusoit de tout point ce logis, et à toute force vouloit dessus le bang ou en la grange couscher; force luy fut d'obéir, et, après qu'il fut despoillé, dedans le lit pour dormir se boute, ou quel desjà estoient l'orfévre et sa femme en la fasson que j'ay jà dicte. La femme, sentant le chareton, à cause du froit et de la petitesse du lit, d'elle approucher, tost se vira vers son mary, et, en lieu d'aureillier, sa teste mist sur sa poictrine, et ou geron du chareton son gros derrière reposoit. Sans dormir ne se tint guères l'orfévre, ne sa femme sans en faire le semblant; mais nostre chareton, jasoit qu'il fust las et traveillé, n'en avoit garde. Car, comme le poulain s'eschauffe sentant la jument, et se dresse et demaine, aussi faisoit le sien, levant la teste contremont si très prochain de l'aurfauveresse, et ne fut pas en la puissance du chareton qu'à elle ne se joignist et de trèsprès. Et cest estat fut assez longue espace sans que la femme s'esveillast, voire ou au mains qu'elle en fist semblant. Non eust pas fait le mary, si n'eust esté la teste de sa femme sur sa poictrine reposant, qui par l'assault et hurt de ce poulain luy donnoit si grand branle que assez tost il s'en reveilla. Il cuidoit bien que sa femme songeast, mais car trop longuement duroit, et qu'il oyoit le chareton se remuer et trèsfort souffler, tout doulcement leva sa main en hault, et si trèsbien à point en bas la rabatit qu'en dommage et en sa garenne le poulain au chareton trouva, dont il ne fut pas bien content, et ce pour l'amour de sa femme. Si l'en fist à haste saillir, et dist au chareton: «Que faictes-vous, meschant coquart? Vous estes, par ma foy, bien enragé, qui à ma femme vous prenez; n'en faictes plus, je vous en prie. Par la mort bieu! s'elle se fust à cest cop eveillée que vostre poulain ainsi la harioit, je ne sçay que vous eussiez fait: car je suis tout certain, tant la cognois-je, qu'elle vous eust tout le visage egratigné, et à ses mains les yeulx de vostre teste esrachez; vous ne savez pas qu'elle est merveilleuse depuis qu'elle entre en sa manière, et si n'est chose ou monde qui plustost l'y boutast. Le chareton à peu de motz s'excusa qu'il n'y pensoit pas; et, quant le jour fut, il se leva, et, après le bon jour donné à son hoste et à son hostesse, s'en va et au charroier se remect. Pensez, si la bonne femme eust sceu le fait du chareton, qu'elle l'eust fort plus grevé que son mary ne disoit. Combien que depuis le chareton le racompta en la façon que avez oye, sinon qu'elle ne dormoit point: non pas que le veille croire, ne ce rapport faire bon.


LA HUITIESME NOUVELLE,
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

E n la ville de Bruxelles, où maintes adventures sont en nostre temps advenues, demouroit n'a pas long temps à l'ostel d'un marchant ung jeune compaignon picard qui servit trèsbien et loyaument son maistre assez longue espace. Et entre aultres services à quoy il obligea son dict maistre vers luy, il fist tant par son gracieux parler, maintien, et courtoisie, que si avant fut en la grace de la fille qu'il couscha avec elle, et par ses euvres elle devint grosse et enceincte. Nostre compaignon, voyant sa dame en cest estat, ne fut pas si fol que d'actendre l'heure que son maistre le pourroit savoir et appercevoir; si print de bonne heure ung gracieux congié pour pou de jours, combien qu'il n'eust nulle envye de jamais retourner, faignant aller en Picardie visiter son père et sa mère et ses aultres parens. Et quand il eut à son maistre et à sa maistresse dit le derrain adieu, le trèspiteux fut à la fille sa dame, à laquelle il promis tantost retourner, ce qu'il ne fist point et pour cause. Luy estant en Picardie, en l'ostel de son père, la pouvre fille de son maistre devenoit si trèsgrosse que son piteux cas ne se pouvoit plus celer, dont entre les aultres sa bonne mère, qui au mestier se cognoissoit, s'en donna garde la première. Si la tira à part et luy demanda, comme assez on le peut penser, dont elle venoit en cest estat et qui l'y avoit mise. S'elle se fist beaucop presser et menacer avant qu'elle en voulsist rien dire, il ne le fault jà demander; mais au fort en fin elle fut ad ce menée qu'elle cogneut son piteux cas, et dist que le picard varlet de son père naguères party l'avoit seduicte et en ce trèspiteux point laissée. Sa mère, toute enragée, forcenée et tant marrie qu'on ne pourroit plus, la voyant ainsi deshonorée, si prend à la tenser, et tant d'injures luy va dire que la pacience qu'elle eut de tout escouter, sans mot sonner ne riens luy contredire, estoit assez suffisante d'estaindre le crime qu'elle avoit commis par soy laisser engrosser du Picard. Mais, helas! ceste pacience n'esmeut en rien sa mère à pitié, mesmes luy dit: «Va-t-en, va-t-en ensus de moy, et fay tant que tu trouves le Picard qui t'a fait grosse et luy dy qu'il te defface ce qu'il t'a fait, et ne retournes jamais vers moy jusques ad ce qu'il ara deffait tout ce que par son oultrage il t'a fait.» La pouvre fille, en cest estat, marrie, Dieu le scet, et desolée, part de sa cruelle et tumeuse mère et se met à la queste de ce Picard qui l'engrossa. Et croiez avant qu'elle en peust oyr nouvelle ce ne fut pas sans avoir peine et du malaise largement. En la parfin, comme Dieu le voulut, après mains gistes qu'elle fist en Picardie, elle arriva par ung jour de dimenche en ung gros village en Artois. Si trèsbien luy vint, ce propre jour son amy le Picard faisoit ses nopses, dont elle fut bien joyeuse, et ne fut pas si peu asseurée pour à sa mère obéir qu'elle ne se boutast par la presse des gens, ainsi grosse qu'elle estoit, et fist tant qu'elle trouva son amy et le salua, lequel tantost la recogneut, et en la recognoissant son salut luy rendit, et luy dit: «Vous soyez bien venue! Qui vous ameine à ceste heure, m'amye?—Ma mère, dit-elle, m'envoye vers vous, et Dieu scet que vous m'avez bien fait tanser. Elle m'a chargée et commendé que vous me deffacez ce que m'avez fait, et s'ainsi ne le faictes que jamais je ne retourne vers elle.» L'aultre entendit tantost la folie et au plustost qu'il peut il se deffist d'elle et luy dit: «M'amye, je feray trèsvoluntiers ce que me requerez et que vostre mère veult que je face, c'est bien raison; mais à ceste heure, je n'y puis bonnement entendre: si vous prie que aiez pacience meshuy, et demain je besoigneray à vous.» Elle fut contente, et alors il la fist garder et en une chambre mener, et là trèsbien penser, dont elle avoit bon mestier, à cause des grans labours et travaulx qu'elle avoit eu en ceste queste. Vous devez savoir que l'espousée se donna trèsbien garde et perceut son mary parler à nostre fille grosse, dont elle n'estoit en riens contente, mais trèstroublée et marrye en estoit. Si garda ce courroux sans en rien dire jusques ad ce que son mary s'en vint coucher, et quand il la cuida accoler et baiser et au surplus faire son devoir et gaigner le chaudeau, elle se vire puis d'ung costé puis d'aultre, tellement qu'il ne peut parvenir à ses attainctes, dont il est trèsebahy et courroucé, et luy va dire: «M'amye, pourquoy faictes vous cecy?—J'ay bien cause, dit-elle, et aussi quelque manière que vous facez, il ne vous chault guères de moy: vous en avez bien d'aultres dont il vous chault plus que de moy.—Et non ay, par ma foy! m'amye, dit-il; je n'ayme en ce monde aultre femme que vous.—Helas! dit-elle, et ne vous ay-je pas bien veu après disner tenir voz longues parolles à une femme en la sale en bas? On voit trop bien que c'est, vous ne vous en sariez excuser ne sauver.—Cela, dit-il, nostre dame! vous n'avez cause de vous en rien jalouser.» Et adonc luy va tout compter, comment c'estoit la fille à son maistre de Bruxelles, et qu'il coucha avecques elle et l'engrossa, et que à ceste cause il vint par deçà; comment aussi après son departement elle devint si trèsgrosse qu'on s'en perceut, et comme elle confessa à sa mère qu'il l'avoit engrossée, et qu'elle l'envoyoit vers luy affin qu'il luy deffist ce qu'il luy avoit fait, ou aultrement vers elle ne retournast. Quand nostre homme eut tout au long compté, sa femme ne reprint que l'ung de ses poinz et dist: «Comment, dit-elle, dictes-vous qu'elle dist à sa mère que vous aviez couché avec elle?—Oy, par ma foy! dit-il, elle luy cogneut tout.—Par mon serment! dist-elle, elle monstra bien qu'elle estoit beste; le charreton de nostre maison a couché avecques moy plus de quarante nuiz, mais vous n'avez garde que j'en deisse oncques ung seul mot à ma mère: je m'en suis bien gardée.—Voire, dit-il, de par le deable! dame, estes-vous telle? Le gibet y ait part! Or allez à vostre charreton, si vous voulez, car je n'ay cure de vous.» Si se leva tout à coup et se vint rendre à celle qu'il engrossa, et abandonna l'autre. Et quand lendemain on sceut ceste nouvelle, Dieu scet la grand risée d'aucuns, et le grant desplaisir de pluseurs, especialement du père et de la mère!


LA NEUFIESME NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.

P our continuer le propos de nouvelles histoires, comme les adventures adviennent en divers lieux et diversement, on ne doit pas taire comment naguères ung gentil chevalier de Bourgoigne, faisant residence en ung sien chasteau bel et fort, fourny de gens et d'artillerie, comme à seigneur de son estat appartenoit, devint amoureux d'une damoiselle de son hostel, voire et la première après madame sa femme. Et car amours si fort le contraignoit, jamais ne savoit sa manière sans elle, tousjours l'entretenoit, tousjours la requeroit, et bref nul bien sans elle avoir il ne povoit, tant estoit-il au vif feru de l'amour d'elle. La damoiselle, bonne et sage, voulant garder son honneur, que aussi cher elle tenoit que sa propre ame, voulant aussi garder la loyauté que à sa maistresse elle devoit, ne prestoit pas l'oreille à son seigneur toutesfoiz qu'il eust bien voulu; et si aucunes foiz force luy estoit de l'escouter, Dieu scet la trèsdure response dont il estoit servy, luy remonstrant sa trèsfole entreprinse, la grand lascheté de son cueur, et au surplus bien luy disoit que, si ceste queste il continue plus, que à sa maistresse il sera decelé. Quelque manière ou menace qu'elle face, il ne veult laisser son emprinse, mais de plus en plus la pourchasse, et tant en fait que force est à la bonne fille d'en advenir bien au long sa maistresse. La dicte dame, advertie des nouvelles amours de monseigneur, sans en monstrer semblant, en est très malcontente; mais non pourtant elle s'advisa d'ung tour, ainçois que rien luy en dist, qui fut tel. Elle charge à sa damoiselle que à la première foiz que monseigneur viendra pour la prier d'amours, que, trestous refuz mis arrière, elle luy baille jour à lendemain se trouver devers elle dedans sa chambre et en son lict: «Et s'il accepte la journée, dit madame, je viendray tenir vostre place, et du surplus laissez moy faire.» Pour obéir comme elle doit à sa maistresse, elle est contente d'ainsi faire. Si ne tarda guères après que monseigneur ne retournast à l'ouvrage, et s'il avoit auparavant bien fort menty, encores à ceste heure il s'en efforce beaucop de l'affermer, et qui à ceste heure l'oyst, mieulx luy vauldroit la mort que sans prochain remède vivre en ce monde. Qu'en vauldroit le long compte? La damoiselle de sa maistresse est escollée et advoée que mieulx on ne pourroit, baille au bon seigneur à demain l'heure de besoignier, dont il est tant content que son cueur tressault tout de joye, et dit bien en soy mesmes qu'il ne fauldra pas à sa journée. Le jour des armes assignées, survint au soir ung gentilhomme chevalier, voisin de monseigneur et son trèsgrand et bon amy, qui le vint veoir, auquel il fist trèsgrande et bonne chère, comme trèsbien le savoit faire; si fait madame aussi, et le surplus de la maison s'efforçoit fort de luy complaire, saichant estre le bon plaisir de monseigneur et de madame. Après les trèsgrandes chères et du soupper et du bancquet, et qu'il fut heure de retraire, la bonne nuyt donnée et à madame et à ses femmes, les deux bons chevaliers se mettent en devises de pluseurs et diverses matères, et entre aultres propos le chevalier estrange demanda à monseigneur si en son village avoit rien de beau pour aler courre l'aguillette, car la devocion luy en est prinse après ces bonnes chères et le beau temps qu'il fait à ceste heure. Monseigneur, qui rien ne luy vouldroit celer, pour la grand amour qu'il luy porte, luy va dire comment il a jour assigné de coucher ennuyt avecques sa chambrière, et pour luy faire plaisir, quand il aura esté avecques elle aucune espace, il se levera tout doulcement et le viendra querir pour le surplus parfaire. Le chevalier estrange mercya son compaignon, et Dieu scet qu'il luy tarde bien que l'heure soit venue! L'oste prend congé de luy et se retrait en sa garderobe, comme il avoit de coustume, pour soy deshabiller. Or devez vous savoir que tantdiz que les chevaliers se devisoient, madame se alla mettre dedans le lict où monseigneur devoit trouver sa chambrière, et droit là attendoit ce que Dieu luy vouldra envoyer. Monseigneur mist assez longue espace à soy deshabiller tout à propos, pensant que desjà madame fust endormie, comme souvent faisoit, pource que devant se couchoit. Il donne congé à son varlet de chambre, et à tout sa longue robe s'en va au lict où madame l'attendoit, cuidant y trouver aultry; et trestout coyement de sa robe se desarme, et dedans le lit se boute, et car la chandelle est estaincte et madame mot ne sonne, il cuide avoir sa chambrière. Il n'y eut guères esté sans faire son devoir, et si trèsbien s'i acquitta que les trois, les quatre foiz guères ne luy coustèrent, que madame print bien en gré, qui tost après, pensant que ce soit tout, fut endormye. Monseigneur, trop plus legier que par avant, voyant que madame dormoit et recordant de sa promesse, tout doulcement se lève, et puis vient à son compaignon, qui n'attendoit que l'heure d'aller aux armes, et luy dist qu'il aille tenir son lieu, mais qu'il ne sonne mot, et qu'il retourne quand il aura bien besoigné et tout son saoul. L'aultre, plus esveillé qu'un rat et viste comme ung levrier, part et s'en va, et auprès de madame se loge sans qu'elle en sache rien. Et quand il est tout rasseuré, si monseigneur avoit bien besoigné, voire et à haste encores fist-il mieulx, dont madame n'est pas ung peu esmerveillée, qui après ce bel passetemps, qui aucunement traveil luy estoit, arrière s'endormit. Et bon chevalier de l'abandonner, et à monseigneur s'en retourne, qui comme paravant emprès madame se vint relogier, et de plus belle aux armes se ratoille, tant bien luy plaist ce nouvel exercice. Tant d'heures se passèrent, tant en dormant comme en aultres choses faisant, que le trèsbeau jour s'apparut; et comme monseigneur se retournoit, cuidant virer l'œil sur la chambrière, il voit et congnoist que c'est madame, qui à ceste heure luy va dire: «N'estes-vous pas bien putier, creant, lasche et meschant, qui, cuidant avoir ma chambrière, par tant de foiz et oultre mesure m'avez accolée pour acomplir vostre desordonnée volunté, dont vous estes, la Dieu mercy! bien deceu, car aultre que moy, pour ceste heure, n'aura ce qui doit estre mien.» Se le bon chevalier fut esbahy et courroucé se voyant en ce train, ce n'est pas de merveilles. Et quand il parla, il dist: «M'amye, je ne vous puis celer ma folie, dont beaucop il me poise que jamais l'entreprins; si vous prie qu'en soyez contente et n'y pensez plus, car jour de ma vie plus ne m'adviendra: cela vous prometz-je, et sur ma foy. Et affin que n'aiez occasion d'y penser, je donneray congé à la chambrière qui me bailla le vouloir d'envers vous faire cette faulte.» Madame, plus contente d'avoir eu l'adventure de ceste nuyt que sa chambrière, et oyant la bonne repentence de monseigneur, assez legièrement s'en contenta, mais ce ne fut pas sans grans langages et remonstrances. Au fort trestout va bien, et monseigneur, qui a des nouvelles estoupes en sa quenoille, après qu'il est levé, s'en vient devers son compaignon, auquel il compte tout du long son adventure, luy priant de deux choses: la première si fut qu'il celast trèsbien ce mistère et sa trèsdesplaisant adventure; l'autre si est que jamais il ne retourne en lieu où sa femme sera. L'autre, trèsdesplaisant de ceste male adventure, conforte le chevalier au mieulx qu'il peut, et promect d'accomplir sa trèsraisonnable requeste, et puis monte à cheval et s'en va. La chambrière, qui coulpe n'avoit au meffait desusdit, emporta la punicion par en avoir congié. Si vesquirent depuis assez longtemps monseigneur et madame assez paisiblement ensemble, sans qu'elle sceust jamais qu'elle eust eu afaire au chevalier estrange.


LA DIXIESME NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

P luseurs aultres haultes et dures adventures ont esté demenées et à fin conduictes ou royaume d'Angleterre, dont la recitacion à present de la pluspart ne serviroit pas à la continuacion de ceste hystoire presente. Neantmains ceste presente hystoire, pour son propos continuer, et le nombre de ces histoires accroistre, fera mencion comment ung grand seigneur dudit royaume d'Angleterre entre les mieulx nez, riche, puissant, et conquerant, entre les aultres ses serviteurs avoit parfecte fiance, confidence et amour en ung jeune et gracieux gentil homme de son hostel, pour pluseurs raisons, tant pour sa beauté, diligence, subtilité et prudence; et, pour le bien qu'en lui avoit trouvé, ne luy celoit rien de ses amours; mesmes par succession de temps, pour mieulx s'entretenir en la grace de son maistre, le dit gentil homme estoit celuy qui procuroit la plus part des bonnes adventures qu'en amour il avoit, et ce pour le temps que son dit maistre encores estoit à marier. Advint certain espace après, que, par le conseil de pluseurs ses parens, amis et bien veillans, monseigneur se marya à une trèsbelle, bonne, et riche dame, dont pluseurs furent trèsjoyeux; et entre les aultres nostre gentil homme, qui mignon se povoit bien nommer, n'en fut pas le mains contant, sentant en soy que c'estoit le bien et honneur de son maistre, qui le retireroit de pluseurs menues folies, ausquelles espoir trop se donnoit. Si dist ung jour à monseigneur qu'il estoit trèsjoyeux qu'il avoit si trèsbelle et bonne dame espousée, car à ceste cause il ne seroit plus empesché de faire queste ça et là pour luy, comme il avoit de coustume. A quoy monseigneur respondit que pourtant ne se remuoit droit, et, jasoit qu'il soit marié, si n'est-il pas pourtant du gracieux service d'amours osté, mesmes de bien en mieulx s'i veult employer et donner. Son mignon, non content de ce vouloir, luy respondit que sa queste en amours doit estre bien finée, quand amours l'ont party de la nonpareille des aultres, de la plus belle, de la plus sage, de la plus loyalle et toute bonne; et quand à luy, face Monseigneur ce qu'il luy plaist, mais, de sa part, jour de sa vie à aultre femme parolle ne portera au prejudice de sa maistresse. «Je ne scay quel prejudice, dit le maistre, mais il vous fault trop bien remettre en train mes besoignes à telle, et à telle, et à telle, rop long-temps sans pourchaz abandonnées. Et ne pensez pas qu'encores ne m'en soit autant que quand vous en feiz premier parler.—Ha dea! monseigneur, dit le mignon, je ne sçay trop emerveiller de vostre fait; il faut dire que vous prenez plaisir à abuser femmes, qui par ma foy n'est pas bien fait: car vous savez mieulx que nul aultre que toutes celles que vous avez cy nommées ne sont pas à comparer en beauté ne aultrement à madame, à qui vous ferez mortel desplaisir s'elle savoit vostre desordonné vouloir. Et, qui plus est, vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous ne damnez votre ame.—Cesse ton prescher, dit monseigneur, et va dire ce que je te commende.—Pardonnez-moy, monseigneur, dit le mignon; un mot pour tous, j'aymeroie mieulx mourir que à mon pourchaz sourdist noise ou debat entre vous et madame, mesmes pour vous la mort eternelle; si vous prie estre content de moy, s'il vous plaist, car je n'en feray rien plus.» Monseigneur, qui voit son mignon enhurté, pour ce cop ne le presse. Mais à chef de pièce de trois ou quatre jours, sans faire en rien semblant des parolles precedentes, entre aultres devises à son mignon demande quelle viande il mengoit plus voluntiers. Et il luy respondit que nulle viande tant ne luy plaisoit que pastez d'anguilles. «Saint Jehan, c'est bonne viande, ce dist le maistre, vous n'avez pas mal choisy.» Cela se passe, et monseigneur se trait arrière et mande venir vers luy ses maistres d'ostel, auxquelx il charge si cher qu'ilz luy veulent obeir que son mignon ne soit servy d'aultre viande que de pastez d'anguille, pour rien qu'il dye. Et ilz respondent et promectent d'accomplir son commendement, ce qu'ilz feirent trèsbien: car, comme le dit mignon fut assis à table pour menger en sa chambre, le propre jour du commendement, ses gens luy apportèrent largement de beaulx et gros pastez d'anguilles qu'on leur delivra en la cuisine, dont il fut bien joyeux. Si en menga tout son saoul. Au lendemain pareillement, et cinq ou six jours ensuyvans tousjours revenoient ces pastez en jeu, dont il estoit desjà tout ennuyé; si demanda à ses gens si on ne servoit léans que de pastez. «Ma foy, Monseigneur, dient-ilz, on ne vous baille autre chose; trop bien voyons-nous servir en sale et ailleurs d'aultres viandes; mais pour vous, il n'est memoire que de pastez.» Le mignon, sage et prudent, que jamais sans grand cause pour sa bouche ne feroit plainte, passa encores pluseurs jours tousjours usant de ces ennuyeux pastez, dont il n'estoit pas bien content. Si s'advisa, ung jour entre les aultres, d'aller disner avec les maistres d'ostel, qui le firent servir comme paravant de pastez d'anguilles. Et quand il vit ce, il ne se peut plus tenir de demander la cause pour quoy on le servoit plus de pastez d'anguilles que les aultres, et s'il estoit pasté. «Par la mort bieu! dist-il, j'en suis si treshodé que plus n'en puis; il me semble que je ne voy que pastez. Et pour vous dire, il n'y a point de raison, vous le m'avez fait trop longuement; il y a plus d'un mois que vous me faictes ce tour, dont j'en suys tant maigre que je n'ay force ne puissance; et ne saroye estre content d'estre ainsi gouverné.» Les maistres d'ostel dirent que vrayement ilz ne faisoient chose que monseigneur n'eust commendé, et que ce n'estoit pas par eulz. Nostre mignon, plain de pastez, ne porta guères sa pensée sans la deceler à monseigneur, et luy demanda à quel propos il l'avoit fait servir si longuement de pastez d'anguilles, et defendu, comme disoient les maistres d'ostel, qu'on ne luy baillast aultre chose. Et Monseigneur, pour response, luy dist: «Ne m'as-tu pas dit que la viande qu'en ce monde plus tu ames ce sont pastez d'anguilles?—Saint Jehan! monseigneur, dist le mignon, oy.—De quoy te plains-tu donc? dist monseigneur; je te fais bailler ce que tu aymes.—Aime! dit le mignon, il y a manière: j'ayme trèsbien voirement pastez d'anguilles pour une foiz, ou pour deux, ou pour trois, ou de fois à aultre, et n'est viande que devant je preisse; mais de dire que tous les jours les voulsisse avoir sans menger aultre chose, par nostre Dame, non feroye; il n'est homme qui n'en fut rompu et rebouté: mon estomac en est si traveillé que, tantost qu'il les sent, il a assez disné. Pour Dieu! monseigneur, commendez qu'on me baille aultre viande pour recouvrer mon appetit, aultrement je suis homme deffait.—Ha dya, dit monseigneur, et te semble-il que je ne soye ennuyé, qui veulx que je me passe de la char de ma femme; tu peuz penser, par ma foy, que j'en suys aussi saoul que tu es de pastez, et que aussi voluntiers me renouvelleroye d'une aultre, jasoit que point tant ne l'aymasse, que tu feroies d'aultre viande que point tant n'aymes que pastez. Et, pour abreger, tu ne mengeras jamais aultre viande jusques à ce que tu me serves ainsi que souloyes; et me feras avoir des unes et des aultres, pour moy renouveller, comme tu veulx changer de viande.» Le bon mignon, quand il entendit le mystère et la subtille comparaison que monsieur a faicte, fut tout confus et se rendit, et promect à son maistre de faire tout ce qu'il voudra affin qu'il soit quitte de ses pastez. Et pour ce point monseigneur, pour changer voire et madame espergnier, au pourchaz du mignon, passa le temps comme il souloit avecques les belles et bonnes; et nostre bon mignon fut delivré de ses pastez et à son premier mestier ratellé.


LA XIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.

U ng lasche paillard et recreant, jaloux, je ne dy pas coulx, vivent à l'ayse ainsi comme Dieu scet et que les entachez de ce mal pevent sentir et les aultres pevent appercevoir et oyr dire, ne savoit à qui recourre ne soy rendre pour trouver garison de sa dolente, miserable et bien pou plaincte maladie. Il faisoit huy ung pelerinage, demain ung aultre, et aussi le plus souvent par ses gens ses devocions et offrandes faisoit faire, tant estoit assoté de sa maison, voire au mains du regard de sa femme, qui miserablement son temps passoit avecques son trèsmaudit mary, le plus suspessonneux hoignard que jamais femme accointast. Ung jour, comme il pensoit qu'il fait et fait faire pluseurs offrandes à divers sains de paradis, et entre aultres à monseigneur saint Michel, il s'advisa qu'il en feroit une aultre à l'ymage qui est dessoubz ses piez, qui est la representacion d'un deable. Et de fait commenda à ung de ses gens qu'il luy allumast et feist offre d'une grosse chandelle de cyre, en luy priant pour son intencion. Son commendement fut fait et accomply par le varlet, qui luy fist son rapport. «Or ça, dist-il en soy mesmes, je verray si Dieu ou deable me pourroit garir.» En son accoustumé desplaisir, après ceste nouvelle offrande, se va coucher ce trèspaillard jaloux auprès de sa trèsbonne femme; et, jasoit ce qu'il eust en sa teste des fantasies et pensées largement, si le contraingnit nature qu'elle eust ses droiz. Et de fait bien fermement s'endormit; et, comme il estoit au plus parfont de son somme, celuy à qui ce jour la chandelle avoit fait offrir par vision à luy s'apparut, qui le remercya de l'offrende que naguères luy envoya, affermant que pieçà telle offrande ne luy fut donnée. Dist au surplus qu'il n'avoit pas perdue sa peine, et qu'il obtendroit ce dont il l'avoit requis. Et, comme à l'aultre sembla, en ung doy de sa main ung anel y bouta, disant que, tant que cest anel y fust, jaloux il ne seroit, ne cause aussi jamais venir ne luy pourroit qui de ce le tentast. Après l'esvanuissement de ceste vision, nostre jaloux se reveilla, et si trouva l'un des doiz de sa main bien avant ou derrière de sa femme bouté, dont il et elle furent bien esbahiz. Mais du surplus de la vie au jaloux, de ses affères et manières et maintiens, ceste histoire se taist.


LA XIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

E s metes du païs de Hollande, ung fol naguères s'advisa de faire le pis qu'il pourroit, c'est assavoir se marier; et, tantost qu'il fut affublé du doulx manteau de mariage, jasoit que alors il fust yver, il fut si fort eschaufé que on ne le savoit tenir. Les nuiz, qui pour ceste saison duroient et neuf et dix heures, n'estoient point assez souffisantes ne d'assez longue durée pour estaindre le trèsardent desir qu'il avoit de faire lignée; et de fait, quelque part qu'il encontrast sa femme, il l'abbatoit, fust en sa chambre, fust en l'estable; en quelque lieu que ce fust, tousjours avoit ung assault. Et ne dura pas ceste manière ung moys ou deux seullement, mais si trèslonguement que pas ne le vouldroye escripre, pour l'inconvenient qui sourdre en pourroit si la folie de ce grant ouvrier venoit à la cognoissance de pluseurs femmes. Que vous en diray-je plus? Il en fist tant que la memoire jamais estaincte ne sera ou dit païs. Et à la verité, la femme qui naguères au bailly d'Amiens se complaignit de son mary pour le trèsgrand traveil qu'il luy donnoit de semblable cas n'avoit pas si bien matère de soy douloir que ceste cy. Quoy que fust, jasoit que de ceste plaisante peine aucunes foiz se fust trèsbien passée, pour obéir comme elle devoit à son mary, jamais ne fut rebourse à l'esperon. Advint ung jour après disner que trèsbeau temps faisoit, et que le soleil ses raiz envoyoit et departoit par la terre paincte et brodée de belles fleurs, si leur print volunté d'aller jouer au bois eulx deux tant seullement, et si se misrent au chemin. Or ne vous fault il pas celer ce qui sert à l'ystoire: A la foiz que noz bonnes gens eurent ceste devocion, ung laboureur avoit perdu son veau qu'il avoit mis paistre dedans un pré marchissant au dit bois; lequel il vint veoir et ne le trouva pas, dont il ne fut pas moyennement courroussé, et se mist à la queste, tant par le bois comme ès prez, terres et places voisines d'environ; mais il n'en scet trouver nouvelles. Si s'advisa que à l'adventure il s'estoit bouté dedans quelque busson pour paistre, ou dedans aucun fossé herbu, dont il pourroit bien saillir quand il auroit le ventre plain. Et, affin qu'il puisse mieulx veoir et à son aise, sans courre çà ne là son veau où il est, comme il pensoit, il choisist le plus hault arbre et mieulx houssé du bois, et monte dessus. Et quand il se trouve au plus hault de cest arbre, qui toute la terre d'environ descouvroit, il luy est bien advis que son veau est à moitié trouvé. Tantdiz que ce bon laboureur gectoit ses yeulx de tous costés après son veau, véezcy nostre homme et sa femme qui se boutent ou boys, chantans, jouans, et devisans, et faisans feste, comme font les cueurs gaiz quand ilz se trouvent ès plaisans lieux. Et n'est pas merveille si le vouloir luy creut et desir l'enorta d'accoler sa femme en ce lieu si plaisant et propice. Pour executer ce vouloir à sa plaisance et à son beau loisir, tant regarda à dextre et à senestre qu'il apperceut le trèsbel arbre dessus lequel estoit le laboureur, dont il ne sçavoit rien; et soubz cest arbre il disposa et conclut ses gracieuses armes accomplir. Et quand il fut au lieu, il ne demoura guères après la semonce de son desir, tenant le lieu de mareschal, qu'il ne mist main à la besoigne, et vous assault sa femme, et la porte par terre, et car alors il estoit bien degois, et sa femme aussi d'autre part, il la voult voir devant et derrière, et de fait prend sa robe et la luy osta, et en cotte simple la mect. Après il la haussa bien hault malgré elle, comme efforcée, et n'est pas content de ce, mais, pour le bien veoir à son aise et sa beaulté regarder, la tourne, et sus son gros derrière par trois, par quatre foiz sa rude main il fait descendre; il la revire d'aultre; et comme il avoit son derrière regardé, aussi fait il le devant, ce que la bonne simple femme ne veult pour rien consentir; mesmes avec la grant résistence qu'elle fait, Dieu scet que sa langue n'estoit pas oyseuse! Or l'appelle malgracieux, fol, et enragé, aultre foiz deshoneste, et tant luy dit que c'est merveille; mais riens n'y vault, il est trop plus fort qu'elle, et si a conclu de faire inventoire de tout ce qu'elle a; si est force qu'elle obéisse, mieulx aymant, comme sage, le bon plaisir de son mary que par refus son desplaisir. Toute defense du costé d'elle mise arrière, ce vaillant homme va passer temps à ce devant regarder, et, si sans honneur on le peut dire, il ne fut pas content si ses mains ne descouvroient à ses yeulx les secrez dont il se devoit bien passer d'enquerre. Et comme il estoit en ce parfond estude, il disoit maintenant: «Je voy cecy, je voy cela, encores cecy, encores cela.» Et qui l'oyoit, il voyoit tout le monde et beaucop plus. Et, après une longue pause, estant en ceste gracieuse contemplacion, dist de rechef: «Saincte Marie, que je voy de choses!—Helas! dist lors le laboureur sur l'arbre juché, et ne véez-vous pas mon veau, beau sire? il me semble que j'en voy la queue.» L'aultre, jasoit qu'il fust bien esbahy, subitement fist sa response et dist: «Ceste queue n'est pas de ce veau.» Et à tant part et s'en va, et sa femme le suyt. Et qui me demanderoit qui le laboureur mouvoit à faire ceste sa question, le secretaire de ceste histoire respond que la barbe du devant de ladite femme estoit assez et beaucop longue, comme il est de coustume à celles de Hollande; si cuidoit bien que ce fust la queue de son veau; attendu aussy que le mary d'elle disoit qu'il voyoit tant de choses, voire à pou tout le monde, si pensoit en soy mesmes que son veau ne pouvoit guères estre esloigné, et que avec aultres choses léans pourroit-il bien estre embusché.


LA XIIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE CASTREGAT, ESCUIER DE MONSEIGNEUR.

A Londres en Angleterre, tout dedans avoit naguères ung procureur en parlement qui entre aultres ses serviteurs avoit ung clerc habile et diligent et bien escripvant, qui trèsbeau filz estoit, et, qu'on ne doit pas oblier, pour ung homme de son eage il n'en estoit point de plus subtil. Ce gentil clerc, frez et viveux, fut tantost picqué de sa maistresse, que trèsbelle, gente et gracieuse estoit; et si trèsbien luy vint, que, ainçois qu'il luy osast oncques dire son cas, le Dieu d'amours l'avoit ad ce menée qu'il estoit le seul homme ou monde qui plus luy plaisoit. Advint qu'il se trouva en place ramonnée; et de fait, toute crainte mise arrière, à sa dicte maistresse son trèsgracieux et doulx mal racompta, laquelle, pour la grand courtoisie que Dieu en elle n'avoit pas obliée, desja aussi attaincte comme dessus est dit, ne le fist guères languir: car après plusieurs excusacions et remonstrances qu'elle en bref luy troussa, qu'elle eust à aultre plus aigrement et plus longuement demené, elle fut contente qu'il sceust qu'il luy plaisoit bien. L'aultre, qui entendoit son latin, plus joyeux que jamais il n'avoit esté, s'advisa de batre le fer tantdiz qu'il estoit chault, et si trèsroidde sa besoigne poursuyt qu'en pou de temps joyt de ses amours. L'amour de la maistresse au clerc et du clerc à elle estoit et fut longtemps si trèsardente que jamais gens ne furent plus esprins, et n'estoit en la puissance de Malebouche, de Dangier, ne d'aultres telles maudictes gens, de leurs bailler ne donner destourbier. En ce trèsglorieux estat et joyeux passetemps se passèrent pluseurs jours qui guères aux amans ne durèrent, qui tant donnez l'un à l'aultre estoient qu'à pou à Dieu eussent quitté leur paradis pour vivre au monde leur terme en ceste fasson. Et comme ung jour ensemble estoient, après les trèshaulx biens que amour leur souffrit prandre, et se devisassent, en pourmenant par une sale, comment ceste leur joye impareille continuer se pourroient seurement, sans que l'embusche de leur dangereuse entreprinse fust descouverte au mary d'elle, qui du renc des jaloux se tiroit trèsprès du hault bout, pensez que plus d'un advis leur vint au devant, que je passe sans plus au long escripre. La finale conclusion et derrenière résolution que le bon clerc emprint sur luy de la trèsbien conduire et à sa seure fin terminer, à quoy point ne faillit, veezcy comment. Vous devez savoir que l'accointance et alliance que le clerc eut à sa maistresse, à laquelle diligemment servoit et complaisoit, qu'il n'estoit pas mains diligent de servir et complaire à son maistre, jasoit que en toutes fassons aultres ce fust, et ce pour mieulx couvrir son fait et aveugler les jaloux yeulx de celuy qui pas tant ne se doubtoit qu'on luy en forgeoit bien la matère. Ung jour, nostre bon clerc, voyant son maistre assez content de luy, emprint de parler et tout seul trèshumblement, et doulcement et en grand révérence luy dist qu'il avoit en son cueur ung secret que voluntiers luy decelast s'il osoit. Et ne vous fault pas celer que comme pluseurs femmes ont larmes à commendement qu'elles espandent toutesfoiz ou le plus souvent qu'elles veulent, si eut à cest cop nostre bon clerc, car grosses larmes, en parlant, luy descendoient en très grand abundance; et n'est homme qui ne cuidast qu'elles ne fussent ou de contricion, de pitié ou de très bonne intencion. Le pouvre maistre abusé, oyant son clerc, ne fut pas ung peu esbahy n'esmerveillé, mais cuidoit bien qu'il y eust aultre chose que ce que après il sceut. Si luy dist: «Que vous fault-il, mon filz, et qu'avez vous à plorer maintenant?—Helas! sire, et j'ay bien cause plus que nul aultre de douloir; mais helas! mon cas est tant estrange, et non pas mains piteux sur tous requis d'estre celé, que jasoit que j'aye eu vouloir de le vous dire; si m'en reboute crainte quand j'ay au long à mon maleur pensé.—Ne plorez plus, mon filz, respond le maistre, et si me dictes qu'il vous fault, et je vous asseure, s'en moy est de vous aider, je m'y emploiray comme je doy.—Ha! mon maistre, dit le renard clerc, je vous mercie; mais j'ay bien tout regardé, je ne pense pas que ma langue eust la puissance de descouvrir la trèsgrand infortune que j'ay si longuement portée.—Ostez-moy ces propos et toutes ces doléances, ce dist le maistre; je suis celuy à qui rien ne devez céler; je veil savoir que vous avez; avancez vous et le me dictes.» Le clerc, sachant le tour de son baston, s'en fist beaucop prier, et a trèsgrand crainte par semblant, et à grand abundance de larmes et à volunté se laisse ferrer, et dit qu'il dira, mais qu'il luy veille promettre que par luy jamais ame n'en sçaura nouvelle, car il aymeroit autant ou plus cher morir que son maleureux cas fust cogneu. Ceste promesse par le maistre vouée, le clerc mort et descoloré comme ung homme jugié à pendre, si va dire: «Mon trèsbon maistre, il est vray que jasoit que pluseurs gens et vous aussi pourriez penser que je fusse homme naturel comme ung aultre, ayant puissance d'avoir compaignie avecques femme, et de faire lignée, je vous ose bien dire et monstrer que point je ne suis tel, dont, hélas! trop je me deulz.» Et, à ces paroles, asseurément tira son membre à perche et luy fist monstre de la peau où les coillons se logent, lesquelx il avoit par industrie fait monter en hault vers le petit ventre, et si bien les avoit cachez qu'il sembloit qu'il n'en eust nul. Or va il dire: «Mon maistre, vous veez mon infortune, dont de rechef vous prie qu'elle soit celée; et oultre plus, trèshumblement vous requier, pour tous les services que jamais vous féis, qui ne sont pas telz que j'en eusse eu la volunté, si Dieu m'eust donné le povoir, que me facez avoir mon pain en quelque monastère dévot, où je puisse le surplus de mes jours au service de Dieu passer, car au monde ne puis-je de rien servir.» L'abusé et deceu maistre remonstre à son clerc l'aspreté de religion, le pou de mérite qui luy en viendroit quand il se veult rendre comme par desplaisir de son infortune, et foison d'aultres raisons luy amena, trop longues à racompter, tendans à fin de l'oster de son propos. Savoir vous fault aussi que pour rien ne l'eust voulu abandonner, tant pour son bien escripre et diligence que pour la fiance que doresenavant à luy adjoustera. Que vous diray-je plus? Tant luy remonstra, que ce clerc au fort pour une espace en son estat et en son service demourer luy promet. Et comme ouvert luy avoit son secret, le sien luy voult deceler, et dist: «Mon filz, de vostre infortune ne suis je pas joyeux, mais, au fort, Dieu, qui fait tout pour le mieulx et scet ce qui nous duyt et vault trop mieulx que nous mesmes, en soit loé! vous me pourrez doresenavant trèsbien servir, que à mon povoir vous meriteray. J'ay jeune femme assés legière et volage, et je suis, ainsi que vous véez, desjà ancien et sur eage, qui aucunement peut estre occasion à pluseurs de la requerre de deshonneur; et à elle aussi, s'elle estoit aultre que bonne, me bailler matière de jalousie; et, pour eviter ce danger et aultres pluseurs, je la vous baille et donne en garde, et si vous prie que ad ce tenez la main que je n'aye cause d'en trouver aucune matère de jalousie.» Par grand deliberacion fist le clerc sa response; et quand il parla, Dieu scet s'il loa bien sa trèsloyalle et bonne maistresse, disant que sur tous aultres il l'avoit belle et bonne, et qu'il s'en devoit tenir content. Neantmains, en service et autres choses, il est celuy qui s'i veult du tout son cueur employer, et ne laissera, pour rien que luy puist advenir, qu'il ne l'advertisse de tout ce que loyal serviteur doit faire à son maistre. Le maistre, lye et joyeux de la nouvelle garde de sa femme, laisse l'ostel et en la ville à ses afaires va entendre. Et le bon clerc incontinent fault à sa garde, et, le plus longuement que il et sa dame osèrent, n'espergnèrent pas les membres qui en terre pourriront; et ne firent jamais grigneur feste, puisque la dame fut advertie de la fasson subtile qui son mary abuseroit. Assez et longue espace dura le joieux passetemps de ceulx qui tant bien s'entramoyent. Et si aucunes fois le bon mary alloit dehors, il n'avoit garde d'emmener son clerc; plustost eust emprunté ung serviteur à ses voisins que l'aultre n'eust gardé l'ostel; et si la dame avoit congié d'aller en aucun pelerinage, plustost allast sans chambrière que sans le trèsgracieux clerc. Faictes vostre compte: jamais clerc vanter ne se peut d'avoir eu meilleure adventure, qui point ne vint à cognoissance, voire au mains que je sache, à celuy qui bien s'en fust desesperé s'il en eust sceu le demene.


LA XIIIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE CRÉQUY, CHEVALLIER DE L'ORDRE DE MONSEIGNEUR.

L a grande et large marche de Bourgoigne n'est pas si despourveue de pluseurs adventures dignes de memoire et d'escripre, que, à fournir les histoires qui à present courent, je n'ose bien avant mettre et en bruyt ce que naguères y advint. Assez près d'un gros et bon village assis sur la rivière d'Ouches avoit et encores a une montaigne où ung hermite tel que Dieu scet faisoit sa residence, lequel, soubz umbre du doulx manteau d'ypocrisie, faisoit des choses merveilleuses qui pas ne vindrent à congnoissance ne en la voix publicque du peuple, jusques ad ce que Dieu plus ne vouloit son trèsdamnable abus permettre ne souffrir. Ce saint hermite, qui de son coup à la mort se tiroit, n'estoit pas mains luxurieux que ung vieil cinge est malicieux; mais la manière du conduire estoit si trèssubtille qu'il fault dire qu'elle passoit les termes des engins communs. Veez cy qu'il fist: Il regarda qu'entre aultres femmes et belles filles ses voisines, la plus digne d'estre aimée et desirée estoit la fille à une simple femme vefve, trèsdevote et bien ausmosnière; si va conclure en soy, si son sens ne lui fault, qu'il en chevira bien. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit noir et rude temps, il descendit de sa montaigne et vint à ce village, et tant passa de voies et sentiers que soubz le toit de la mère à la fille, sans estre oy, seul se trouva. L'ostel n'estoit pas si grand, ne si pou de luy hanté tout en devocion, qu'il ne sceust bien les engins. Si va faire ung pertuys en une paroy non guères espesse, à l'endroit de laquelle estoit le lict de ceste simple vefve; et prent ung long baston percé et creux dont il estoit hourdé, et, sans la vefvette esveiller, auprès de son oreille l'arresta, et dit en assez basse voix par trois foiz: «Escoute moy, femme de Dieu; je suis ung angel du Createur, qui devers toy m'envoye toy annuncer et commender, par les haulx biens qu'il a volu en toy enter, qu'il veult par ung hoir de ta chair, c'est à savoir ta fille, l'Eglise son espouse reunir, reformer, et à son estat deu remettre. Et veez cy la fasson: Tu t'en yras en la montaigne devers le saint hermite, et ta fille luy meneras, et bien au long luy compteras ce que à present Dieu par moy te commende. Il congnoistra ta fille, et d'eulx viendra ung filz eleu de Dieu et destiné au saint siege de Romme, qui tant de bien fera que à saint Pierre et à saint Pol le pourra l'on bien comparer. Atant m'en vois, obéy à Dieu.» La simple femme, trèsebahie, souprinse aussi et à demy ravye, cuida vrayement et de fait que Dieu luy envoiast ce message; si dit bien en soy mesmes qu'elle ne desobeira pas; si se rendort une grand pièce après, non pas trop fermement, attendant et beaucop desirant le jour. Et entretant le bon hermite prend le chemin devers son reclusage en la montaigne. Ce trèsdesiré jour à chef de piece fut annuncé par les raiz du soleil, qui, malgré les voirrières des fenestres, vindrent descendre enmy la chambre, firent mère et fille bien à haste lever. Quand prestes furent et sur piez mises, et leur pou de mesnage mis à point, la bonne mère si demande à sa fille s'elle n'a rien oy en ceste nuyct, et elle luy respond: «Certes, mère, nenny.—Ce n'est pas à toy, dit-elle aussi, que de prinssault ce doulx message s'adresse, combien qu'il te touche beaucop.» Lors luy va dire tout au long l'angelicque nouvelle que en ceste nuyt Dieu luy manda; demande aussi qu'elle en veut dire. La bonne fille, comme sa mère simple et devote, respond: «Dieu soit loé; ce qu'il vous plaist, ma mère, soit fait.—C'est trèsbien dit, respond la mère. Or en allons à la montagne à la semonce du bon angel devers le saint preudomme.» Le bon hermite, faisant le guet quand la deceue veille sa simple fille amenroit, la voit venir; si laisse son huys entreouvert, et en prière se va mettre enmy sa chambre, affin qu'en devocion fust trouvé. Et comme il desiroit il advint, car la bonne femme et sa fille, voyans l'huys entreouvert, sans demander quoy ne comment, dedans entrèrent. Et, comme elles parceurent l'ermite en contemplacion, comme s'il fust Dieu l'onnorèrent. L'ermite, à voix humble et casse, les yeulx vers la terre enclinez, de Dieu salue la compaignie. Et la veillote, desirant qu'il sceust l'occasion qui l'amenoit, le tire à part et luy va dire de bout en bout tout le fait, qu'il savoit trop mieulx qu'elle. Et, comme en grand reverence faisoit son rapport, le bon hermite gettoit ses yeulx en hault, joignoit les mains au ciel; et la veille ploroit, tant avoit et joye et pitié. Quand ce rapport fut au long achevé, dont la veillotte attendoit la response, celuy qui la doit faire ne se haste pas. Au fort, à chef de pièce, quand il parla ce fut: «Dieu soit loé! Mais, m'amye, dist-il, vous semble-il à la vérité, et à vostre entendement, que ce que droit cy vous me dictes ne soit point fantosme ou illusion? Que vous en juge le cueur? Sachez que la chose est grande.—Certainement, beau père, j'entendiz la voix qui ceste joieuse nouvelle apporta aussi plainement que je faiz vous, et croiez que je ne dormoye pas.—Or bien, dit-il, non pas que je veille contredire au vouloir de mon createur, si me semble-il que vous et moy dormions encores sur ce fait; et, s'il vous appert de rechef, vous reviendrez icy vers moy, et Dieu nous donnera bon conseil et advis. On ne doit pas trop legierement croire, ma bonne mère; le dyable, aucunesfois envieux d'aultruy, bien treuve tant de cautelles et se transforme en angel de lumière. Creez, ma mère, que ce n'est pas pou de chose de ce fait cy; et, si je y mectz ung pou de refus, ce n'est pas merveille: n'ay je pas à Dieu voué chasteté? Et vous m'apportez la romptture de par lui. Retournez en vostre maison, et priez Dieu, et au surplus demain nous verrons que ce sera; et à Dieu soiez.» Après ung grand tas d'agyos, se part la compagnie de l'ermite, et vindrent à l'ostel devisant. Pour abreger, nostre hermite à l'heure accoustumée et deue, fourny du baston creux en lieu de crochette, revint à l'oreille de la simple femme, disant les propres motz, ou en substance, de la nuyt precedente; et, ce fait, vistement retourne en son manoir. La veille, de joye emprise, cuidant Dieu tenir par les piez, lève de haulte heure, à sa fille racompte ses nouvelles sans doubte, confermans la vision de l'autre nuyt passée. Il n'est que d'abreger: «Or allons devers le saint homme.» Elles s'en vont, et il les voit approucher, si va prendre son breviaire, et son service à recommander, et en cest estat devant l'huys de sa maisonnette se fait des bonnes femmes saluer. Si la veille hier luy fist ung grand prologue de sa vision, celuy de maintenant n'est de rien maindre, dont le preudomme se signe et emerveille, disant: «Et vray Dieu, qu'est cecy? Fay de moy tout ce qu'il plaist, combien que, si n'estoit ta large grace, je ne suys pas digne d'executer ung si grand euvre.—Or regardez, beau père, dist lors la bonne femme, vous voiez bien que c'est à certes quand de rechef à moy s'est apparu l'angel.—En verité, m'amye, ceste matère m'est si haulte et si trèsdifficile et non accoustumée que je n'en sçay bailler, dist l'ermite, que doubtive response. Non mye affin que vous entendez sainement qu'en attendant la tierce apparition je veille que vous tentez Dieu; mais on dit de coustume: A la tierce foiz va la luycte; si vous prie et requier qu'encores se peust passer ceste nuyt sans aultre chose faire, attendant sur ce fait la grace de Dieu; et, si par misericorde il nous demonstre ennuyt comme les aultres precedentes, nous ferons tant qu'il en sera loé.» Ce ne fut pas du bon gré de la bonne veille qu'on tarda tant d'obeyr à Dieu, mais au fort l'ermite fut creu comme le plus sage. Comme elle fut couchée, ou parfond pensemens des nouvelles qui en teste luy revient, l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu, luy mect son baston creux à l'oreille, en luy commendant de par Dieu, comme son ange, une foiz pour toutes, qu'elle meine sa fille à l'ermite pour la cause que dicte est. Elle n'oblya pas tantost qu'il fust jour ceste charge: car, après les graces à Dieu de par elle et sa fille rendues, se mettent à chemin par devers l'ermitage, où l'ermite leur vient au devant, qui de Dieu les salue et beneist. Et la bonne mère, trop plus que nulle aultre joyeuse, ne luy cela guère sa nouvelle apparicion, dont l'ermite, qui par la main la tient, en sa chapelle les convoye, et la fille les suyt, et leans font les trèsdevotes oroisons à Dieu le tout puissant, qui ce trèshault mystère leur a daigné monstrer. Après ung pou de sermon que fist l'ermite touchant songes, visions, apparicions et revelacions, qui souvent aux gens adviennent, il cheut en propos de toucher leur matière pour laquelle estoient assemblés. Et pensez que l'ermite les prescha bien et en bonne devocion, Dieu le scet: «Puis que Dieu veult et commende que je face lignée papale, voire et le daigne reveler non pas une foiz ou deux seullement, mais bien la tierce d'abundance, il fault croire, dire et conclure que c'est ung hault bien qui de ce fait en ensuyvra. Si m'est advis que mieulx on ne peut faire que d'abreger l'execution en lieu de ce que trop espoir j'ay differé de baillier foy à la saincte aparicion.—Vous dictes bien, beau père; comment vous plaist-il faire? respond la veille?—Vous laisserez ceans vostre belle fille, dit l'hermite, et elle et moi en oroisons nous mettrons, et après au surplus ferons ce que Dieu nous apprendra.» La bonne veille fut contente, si fut sa fille pour obeir. Quand damp hermite se treuve à part avec la belle fille, comme s'il la voulsist rebaptiser toute nue la fist despoiller; et creez qu'il ne demoura pas vestu. Qu'en vauldroit le long compte? Il la tint tant et si longuement avec luy, en lieu d'aultre clerc, tant ala aussi et vint à l'ostel d'elle, pour la doubte des gens, que le ventre luy commença à bourser, dont elle fut si trèsjoyeuse qu'on ne vous le saroit dire. Mais, si la fille s'esjoissoit de sa portée, la mère d'elle en avoit à cent doubles; et le mauldit bigot faignoit aussi s'en esjoir, mais il en enrageoit tout vif. Ceste pouvre mère abusée, cuidant de vray que sa belle fille deust faire ung trèsbeau filz pour le temps advenir de Dieu eleu pape de Romme, ne se peut tenir que à sa plus privée voisine ne le comptast, qui aussi esbahie en fut comme si cornes luy venissent, non pas toutesfois qu'elle ne se doubtast de tromperie. Elle ne cela pas longuement aux aultres voisins et voisines comment la fille d'une telle est grosse, par les œuvres du saint ermite, d'un filz qui doit estre pape de Romme. «Et ce que j'en sçay, dit-elle, la mère d'elle le m'a dit, à qui Dieu l'a voulu reveler.» Ceste nouvelle fut tantost espandue par les villes voisines. Et en ce temps pendant la fille acoucha, qui à la bonne heure d'une belle fille se delivra, dont elle fut trèsesmerveillée et courroucée, et sa trèssimple mère et les voisines aussi, qui attendoient vrayement le saint Père advenir recevoir. La nouvelle de ce cas ne fut pas mains tost sceue que celle precedente; et entre aultres l'ermite en fut des premiers servy et adverty, qui tantost s'en fuyt en aultre païs, ne sçay quel, une aultre femme ou fille decevoir, ou ès desers d'Egipte de cueur contrit la penitence de son peché satisfaire. Quoy que soit ou fust, la pouvre fille fut deshonorée, dont ce fut grand dommage, car belle, gente et bonne estoit.


LA QUINZIÈME NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

A u gentil pays de Brabant, lez ung monastère de blancs moynes, est situé ung aultre de nonnains, qui trèsdévotes et charitables sont, dont l'ystoire taist le nom et la marche particulière. Ces deux maisons voisines estoient, comme l'on dit de coustume, la grange et les bateurs: car, Dieu mercy, la charité de la maison des nonnains estoit si trèsgrande que pou de gens estoient esconduis de l'amoureuse distribucion, voire si dignes estoient d'icelle recevoir. Pour venir au fait de ceste histoire, ou cloistre des blancs moynes avoit ung jeune et bel religieux qui devint amoureux si fort que c'estoit rage d'une nonnain sa voisine; et de fait eut bien le courage, après les prémisses dont ces amoureux scevent les femmes abuser, luy demander à faire pour l'amour de Dieu. Et la nonnain, qui bien par renommée congnoissoit ses oustilz, jasoit qu'elle fust bien courtoise, luy bailla trèsdure et aspre response. Il ne fut pas pourtant enchassé, mais tant continua sa trèshumble requeste que force fut à la belle nonnain ou de perdre le bruit de sa trèslarge courtoisie, ou d'accorder au moyne ce que à pluseurs sans prier avoit accordé. Si luy va dire: «En vérité, vous poursuyvez et faictes grand diligence d'obtenir ce que à droit ne sariés fournir; et pensez vous que je ne sache bien par oyr dire quelz oustilz vous portez? croiez que si faiz; il n'en y a pas pour dire grans merciz.—Je ne sçay, moy, qu'on vous a dit, respond le moyne; mais je ne doubte point que vous ne soiez bien contente de moy, et que je ne vous monstre que je suis homme comme ung aultre.—Homme, dit-elle, cela croy je assez bien; mais vostre chose est tant petit, comme l'on dit, que, si vous l'apportez en quelque lieu, à peu on se perçoit qu'il y est.—Il va bien aultrement, dit le moyne; et si j'estoye en place je feroye, par vostre jugement, menteurs tous ceulx ou celles qui bruyt me donnent.» Au fort, après ce gracieux debat, la courtoise nonnain, affin d'estre quitte de l'ennuyant poursuitte que le moyne faisoit, aussi qu'elle sache qu'il vault et qu'il scet faire, et aussi qu'elle n'oblye le mestier qui tant luy plaist, elle luy baille jour, à douze heures de nuyt, devers elle venir et heurter à sa treille; dont mercyée elle fut haultement. «Toutesfoiz, dit-elle, vous n'y entrerez pas que je ne sache à la verité quelz oustilz vous portez, et se je m'en saroie aider ou non.—Comme il vous plaist», respond le moyne. A tant s'en va et laisse sa maistresse, et vint tout droit devers frère Courard, l'un de ses compaignons, qui estoit oustillé Dieu scet comment! et à ceste cause avoit ung grand gouvernement ou cloistre des nonnains. Il luy compta son cas tout du long, comme il a prié une telle, la response et le refus qu'elle fist, doubtant qu'il ne soit pas bien solier à son pié, et en la parfin comment elle est contente qu'il entre vers elle, mais qu'elle sente et sache premier de quelles lances il vouldra jouster encontre son escu. «Or est-il ainsi, dit-il, que je suis mal fourny de grosse lance telle que j'espere et voy bien qu'elle desire d'estre rencontrée. Si vous prie tant que je puis que anuyt vous venez avecques moy, à l'heure que me doy vers elle rendre, et vous me ferés le plus grand plaisir que jamais homme fist à aultre. Je sçay qu'elle vouldra, moy là venu, sentir et taster la lance dont je entens à fournir mes armes; et, à la coup qui me fauldra ce faire, vous serez derrière moy sans dire mot, et vous mettrez en ma place, et vostre gros bourdon ou poing luy mettrez. Elle ouvrera l'huys cela fait, je n'en doubte point, et vous en irez, et dedans j'entreray; et du surplus laissez moy faire.» Frère Courard, desirant à complaire à son compaignon, accorde ce marché, et à l'heure assignée se met avec luy par devers la nonnain; et quand ilz sont à l'endroit de la fenestre, maistre moyne, plus eschaufé qu'un estalon, de son baston ung coup heurta; et la nonnain n'attendit pas l'autre hurt, mais ouvrit sa fenestre et dist en basse voix: «Qui est là?—C'est moy, dit-il; ouvrez tost l'huys, qu'on ne nous oye.—Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré, n'escript, que premier ne serez pas à monstre, et que je ne sache quel harnois vous portez. Approuchez prè set me monstrez que c'est.—Très voluntiers, dit-il.» Adonc tire frère Courard, qui s'avançoit pour faire son personnage, qui en la main de madame la nonnain mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. Et tantost comme elle le sentit, comme si nature luy en baillast la congnoissance, elle dist: «Nenny, dist-elle, je congnois bien cest ycy; c'est le bourdon de frère Courard. Il n'y a nonnain céans qui bien ne le cognoisse; vous n'avez garde que j'en soye deceue: je le cognois trop. Allez quérir ailleurs vostre adventure.» Et à tant sa fenestre referma bien courroussée et mal contente, non pas sur frère Courard, mais sur l'autre moine, lesquelz, après ceste adventure, s'en retournèrent vers leur hostel, tout devisant de ceste advenue.


LA SEIZIÈME NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.

E n la conté d'Artoys naguères vivoit ung gentil chevalier, riche et puissant, lyé par mariage avecques une trèsbelle dame et de hault lieu. Ces deux ensemble par longue espace passèrent pluseurs jours paisiblement et doulcement. Et car alors, la Dieu mercy, le trèspuissant duc de Bourgoigne, conte d'Artois, et leur seigneur, estoit en paix avec tous les bons princes chrestians, le chevalier, qui trèsdevot et craignant Dieu estoit, delibera à Dieu faire sacrifice du corps qu'il luy avoit presté bel et puissant, assouvy de taille desirée autant et plus que nul de sa contrée, excepté que perdu avoit ung œil en ung assault où avec son prince s'estoit trèsvaillamment porté. Et pour faire son oblacion en lieu eleu et de luy desiré, après les congez à madame sa femme prins et de pluseurs ses parens et amys, se mect à voye devers les bons seigneurs de Perusse, vraiz champions et defenseurs de la trèssaincte foy chrestiane. Tant fist et diligenta qu'en Perusse, après pluseurs adventures que je passe, sain et sauf se trouva, où il fist assez et largement de grans proesses en armes, dont le grand bruyt de sa vaillance fut tantost espandu en pluseurs marches, tant à la relacion de ceulx qui veu l'avoyent, en leur pais retournez, que par lettres que les demourez rescripvoient à pluseurs, qui grand gré leur en sceurent. Or ne vous fault pas celer que madame, qui demourée est, ne fut pas si rigoreuse que à la pryère d'un gentil escuier, qui d'amours la requist, elle ne fust tantost contente qu'il fust lieutenant de monseigneur, qui aux Sarrazins se combat. Tandiz que monseigneur jeune et fait penitence, madame fait gogettes avecques l'escuier; le plus des foiz monseigneur se disne et souppe de biscuit et de la belle fontaine, et madame a de tous les biens de Dieu si largement que trop; monseigneur au mieulx se couche en la paillace, et madame en ung trèsbeau lit avec l'escuyer se repose. Pour abreger, tantdiz que monseigneur aux Sarrazins fait guerre, l'escuier à madame combat, et si trèsbien s'i porte, que, si monseigneur jamais ne retournoit, elle s'en passeroit trèsbien, et à pou de regret, voire tant qu'il ne fasse aultrement qu'il a commencé. Monseigneur voyant, la Dieu mercy, que l'effort des Sarrazins n'estoit point si aspre que par cy devant a esté, sentant aussi que assez longue espace a laissié son hostel et sa femme, que moult le regrette et desire, comme par pluseurs ses lettres elle luy a fait savoir, dispose son partement, et avec le pou de gens qu'il avoit se mect en chemin; et si bien exploicta à l'ayde du grand desir qu'il a de se trouver en sa maison et es braz de madame, que en pou de jours en Artois se trouva. Il, à qui ceste haste plus touche que à nul de ses gens, est tousjours le premier descouchez, trestout le premier prest et le devant au chemin. Et de fait sa trop grande diligence le fait bien souvent chevaucher seul devant ses gens, aucunesfoiz ung quart de lieue ou plus. Advint ung jour que monseigneur, estant au giste, environ à six lieues de sa maison où il doit trouver madame, se descoucha si matin et monta à cheval que bien luy semble que son cheval à sa maison le rendra ains que madame soit descouchée, qui rien de ceste sa venue ne scet. Ainsi comme il le proposa il advint, et comme il estoit en ce plaisant chemin dist à ses gens: «Venez tout à vostre aise, et ne vous chaille jà de moy suyvir; je m'en iray tout mon train pour trouver ma femme au lict.» Ses gens hodez et traveillez, et leurs chevaulx aussi, ne contredirent pas à monseigneur, qui picque son courtaut et fait tant en peu d'heure qu'il est en la basse court de son hostel descendu, où il trouva ung varlet qui le deffist de son cheval. Ainsi housé et tout ainsi que descendu estoit, s'en va tout sans ame rencontrer, car encores matin estoit, devers sa chambre, où madame encores dormoit, ou espoir faisoit ce qui tant a fait monseigneur traveiller. Creez que l'huys n'estoit pas ouvert, à cause du lieutenant, qui tout fut ebahy, et madame aussi, quand monseigneur heurta de son baston ung trèslourd coup: «Qui est-ce? dist madame.—C'est moy, c'est moy, ce dit monseigneur; ouvrez, ouvrez.» Madame, qui tantost a congneu monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées; neantmains fait habiller incontinent son escuier, qui mect peine de soy advancer le plus qu'il peut, pensant comment il pourra eschaper sans dangier. Madame, qui fainct d'estre encore toute endormie et non recognoistre monseigneur, après le second hurt qu'il fait à l'huys demande encores: «Qui est ce là?—C'est vostre mary, dame; ouvrez bien tost, ouvrez.—Mon mary! dit-elle; helas! il est bien loing d'icy; Dieu le ramaine à joye et bref!—Par ma foy, dame, je suis vostre mary, et ne me cognoissez vous au parler? Si tost que je vous oy respondre, je cogneu bien que c'estiez vous.—Quand il viendra, je le sçaray beaucop devant, pour le recevoir ainsi que je doy, et aussi pour mander messeigneurs ses parens et amys pour le festoier et convier à sa bien venue. Allez, allez, et me laissez dormir.—Saint Jehan! je vous en garderay! ce dit monseigneur; il fault que vous ouvrez l'huys; et ne voulez-vous cognoistre vostre mary?» Alors l'appelle par son nom; et elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derrière l'huys, et puis va dire: «Ha! monseigneur, est-ce vous? Pour Dieu, pardonnez moy, et estes vous en bon point?—Oy, la Dieu mercy, ce dist monseigneur.—Or loé en soit Dieu! ce dit madame; je vien incontinent vers vous et vous mettray dedans, mais que je soye un peu habillée et que j'aye de la chandelle.—Tout à vostre aise, dit monseigneur.—En verité, ce dit madame, tout à cest coup que vous avez hurté, monseigneur, j'estoye bien empeschée d'un songe qui est de vous.—Et quel est-il, m'amye?—Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon escient que vous estiez revenu, que vous parliez à moy, et si voiez tout aussi cler d'un oeil comme de l'autre.—Pleust ores à Dieu! dit monseigneur.—Nostre Dame, ce dit madame, je croy que aussi faictes-vous.—Par ma foy, dit monseigneur, vous estes bien beste; et comment ce seroit-il?—Je tien, moy, dit elle, qu'il est ainsi.—Il n'en est riens, non, dit monseigneur, et estes-vous bien si fole que de le penser?—Dya, monseigneur, dit-elle, ne me créez jamais s'il n'est ainsi, et, pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l'esprouvons.» Et à cest coup elle tenoit l'huys, tenant la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste epreuve, souffrit bien que madame luy bouchast son bon oeil d'une main, et de l'autre elle tenoit la chandelle devant l'oeil de monseigneur qui crevé estoit; et puis luy demanda: «Monseigneur, ne voiez vous pas bien, par vostre foy?—Par mon serment, nenny, m'amye, ce dit-il.» Et entretant que ces devises se faisoient, le lieutenant de monseigneur sault de la chambre sans qu'il fust apperceu de luy. «Or attendez, monseigneur, ce dit-elle, et maintenant vous me voiez bien, faictes pas?—Par Dieu! m'amye, nenny, dit monseigneur, comment vous verroie je? vous avez bouchié mon dextre oeil, et l'autre est crevé passé a dix ans.—Alors, dist-elle, or voy-je bien que c'estoit songe voirement qui ce rapport me fist; mais, toutesfoiz, Dieu soit loé et gracié que vous estes cy!—Ainsi soit-il», ce dit monseigneur. Et à tant s'entreacolèrent et baisèrent moult de foiz, et feirent grand feste, et n'oblya pas à compter comment il avoit laissé ses gens derrière, et que pour la trouver ou lit il avoit fait telle diligence. «Et vrayement, dit madame, encores estes vous bon mary.» Et à tant vindrent femmes et serviteurs qui bien beneirent monseigneur et le deshousèrent, et de tous poins le deshabillèrent. Et ce fait se bouta ou lit avecques madame, qui le repeut du demourant de l'escuier, qui s'en va son chemin, lye et joieux d'estre ainsi eschappé. Comme vous avez oy fut le chevalier trompé, et n'ay point sceu, combien que pluseurs gens depuis le sceurent, qu'il en fust jamais adverty.


LA DIX-SEPTIÈME NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.

N 'aguères que à Paris presidoit en la chambre des comptes ung grand clerc chevalier assez sur eage, mais très joyeux et plaisant homme estoit, tant en sa manière d'estre comme en ses devises, où qu'il les adressast, ou aux hommes ou aux femmes. Ce bon seigneur avoit femme espousée desja ancienne et maladive, dont il avoit belle lignée. Et entre aultres damoiselles, chambrières et servantes de son hostel, celle où nature avoit mis son entente de la faire trèsbelle, meschine estoit, faisant le mesnage commun, comme les litz, le pain et aultres telz affaires. Monseigneur, qui ne jeunoit jour de l'amoureux mestier tant qu'il trouvast rencontre, ne cela guères à la belle meschine le grant bien qu'il luy veult, et lui va faire ung grand prologue d'amoureux assaulx que incessamment amour pour elle luy envoye, continue aussi ce propos, promettant tous les biens du monde, monstrant comme il est bien en luy de luy faire tant en telle manière, en telle et en telle. Et qui oyoit le chevalier, jamais tant d'eur n'advint à la meschine que de luy accorder son amour. La belle meschine, bonne et sage, ne fut pas si beste que aux gracieux motz de son maistre baillast response en rien à son advantage, mais s'excusa si gracieusement que monseigneur en son courage trèsbien l'en prise, combien qu'il amast mieulx qu'elle tenist aultre chemin. Motz rigoreux vindrent en jeu par la bouche de monseigneur, quand il perceust que par doulceur il ne fasoit rien; mais la trèsbonne fille et entière, amant plus cher morir que perdre son honneur, ne s'en effraya guères, ains asseurement respondit, dye et face ce qu'il luy plaist, mais jour qu'elle vive de plus près ne luy sera. Monseigneur, qui la voit ahurtée en ceste opinion, après ung gracieux à Dieu, laisse ne sçay quans jours ce gracieux pourchaz de la bouche tant seulement; mais regards et aultres petiz signes ne luy coustoyent guères, qui trop estoient à la fille ennuyeux. Et si elle ne doubtast mettre male paix entre monseigneur et madame, il ne luy chauldroit guère de la desloyaulté de monseigneur; mais au fort elle conclud se deceler au plus tard qu'elle pourra. La devocion que monseigneur avoit aux sains de sa meschine de jour en jour croissoit, et ne luy suffisoit pas de l'amer et servir en cueur seullement, mais d'oroison, comme il a fait cy devant, la veult arrière resservir. Si vient à elle, et de plus belle recommença sa harengue en la fasson comme dessus, laquelle il confermoit par cent mille sermens et autant de promesses. Pour abreger, rien ne luy vault: il ne peut obtenir ung tout seul mot, et encores mains de semblant qui luy baille quelque pou d'espoir de jamais non pervenir à ses attainctes. Et en ce point se partit, mais il n'oblya pas à dire que, s'il la rencontre en quelque lieu marchant, ou elle obeyra, ou elle fera pis. La meschine guères ne s'en effraya, et sans plus y gueres penser va besoigner à sa cuisine ou aultre part. Ne sçay quans jours après, par ung lundi matin, la belle meschine, pour faire des pastez, thamisoit de la fleur. Or devez vous savoir que la chambrette où se faisoit ce mestier n'estoit guère loing de la chambre de monseigneur, et qu'il oyoit trèsbien le bruyt et la noise qui se faisoit. A ce coup savoit aussi trèsbien que c'estoit sa chambriere qui de thamis jouoit; si s'avisa qu'elle n'aroit pas seule ceste peine, mais luy vouldroit aider, voire et fera au surplus ce qu'il luy a bien promis, car jamais mieulx à point ne la pourroit trouver. Dit aussy en soy mesmes: «Quelque refus que de la bouche elle m'ayt fait, si en cheviray je bien si je la puis a graux tenir.» Il regarda que bien matin encores estoit, et que madame n'estoit pas encores eveillée; il sault tout doulcement hors de son lit, à tout son couvrechef de nuyt, et prent sa robe longue et ses botines, et descend de sa chambre si celeement qu'il fut dedans la chambrette où la meschine tamisoit qu'elle oncques n'en sceut rien tant qu'elle le vit tout dedans. Qui fut bien esbahie, ce fut la pouvre chambrière, qui à pou trembloit, tant estoit afferrée, doubtant que monseigneur ne luy ostast ce que jamais rendre ne luy saroit. Monseigneur, qui la voit effraiée, sans plus parler luy baille ung fier assault, et tant fist en pou d'heure qu'il avoit la place emportée s'il n'eust esté content de parlamenter. Si luy va dire la fille: «Helas! monseigneur, je vous cry mercy, je me rends à vous; ma vie et mon honneur sont en vostre main, aiés pitié de moy.—Je ne scay quel honneur, dit monseigneur, qui trèseschaufé et esprins estoit; vous passerez par là.» Et à ce coup recommence l'assault plus fier que devant. La fille, voyant qu'eschapper ne pouvoit, s'advisa d'ung bon tour, et dist: «Monseigneur, j'ayme mieulx vous rendre ma place par amours que par force; donnez fin, s'il vous plaist, aux durs assaulx que me livrez, et je feray tout ce qu'il vous plaira.—J'en suis content, dist monseigneur; mais créez que aultrement vous n'eschapperez.—D'une chose vous requier, dist lors la fille. Monseigneur, je doubte beaucop que madame ne vous oye et ait oy, et s'elle venoit d'adventure, et droit cy vous trouvast, je seroie femme perdue, car du mains elle me feroit batre ou tuer.—Elle n'a garde de venir, non, dit monseigneur; elle dort au plus fort.—Helas! monseigneur; je la doubte tant que je n'en scay estre asseurée; si vous prie et requier, pour la paix de mon cueur et plus grande seureté de nostre besoigne, que vous me laissés aller veoir s'elle dort ou qu'elle fait.—Nostre Dame, tu ne retournerois pas, dit monseigneur.—Si feray, par mon serment, dit-elle, trestout tantost.—Or je le veil! dit-il, avance toy.—Ha! monseigneur, se vous voulez bien faire, dit-elle, vous prendrez ce thamis et besoignerez comme je faisoie, affin d'adventure, se madame est esveillée, qu'elle oye la noise que j'ay devant le jour encommancée.—Or monstre ça, je feray bon devoir, et ne demoure guère.—Nenny, monseigneur; tenez aussi ce buleteau, dit-elle, sur vostre teste, vous semblerez tout à bon escient estre une femme.—Or ça, dit-il, pardieu ça.» Il fut affublé de ce buleteau, et si commence à thamiser, que c'estoit belle chose tant bien lui siet. Et entretant la chambrière monta en la chambre et esveilla madame, et luy compta comment monseigneur par cy devant d'amours l'avoit priée et qu'il l'avoit assaillie à ceste heure où elle tamisoit. «Et s'il vous plaist veoir comment j'en suis eschappée et en quel point il est, venez en bas, vous le verrez.» Madame tout à coup se lève, et prend sa robe de nuyt, et fut tantost devant l'huys de la chambre où monseigneur tamisoit diligemment. Et quand elle le voit en cest estat, et affublé du buleteau, elle luy va dire: «Ha! monseigneur, et qu'est cecy? et où sont vos lettres, vos grands honeurs, vos sciences et discretions?» Et monseigneur, qui deceu se voit, respondit tout subitement: «Au bout de mon vit, dame, là ay je tout amassé aujourd'uy.» Lors très-marry et courroucé sur la meschine se desarma du thamis et du buleteau, et en sa chambre remonte; et madame le suyt, qui son preschement recommence, dont monseigneur ne tient guères de compte. Quand il fut prest, il manda sa mule, et au palais s'en va, où il compta son adventure à pluseurs gens de bien qui en risirent bien fort. Et me dist l'on depuis, quelque courroux que le seigneur eust de prinsault à sa belle meschine, si l'ayda il depuis de sa parolle et de sa chevance à marier.


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