Les fleurs animées - Tome 2
LE THÉ & LE CAFÉ
La Fleur de Café voulut un jour faire le voyage de Chine pour aller rendre visite à sa sœur la Fleur de Thé. Celle-ci la reçut avec une bienveillance dans laquelle perçait un léger sentiment de supériorité.
Pour la Fleur de Thé, en effet, le Café n’était qu’une Fleur barbare avec laquelle elle consentait à entrer en relations, malgré la distance qui sépare une Chinoise civilisée d’une étrangère encore plongée dans les ténèbres de l’ignorance.
Mais la Fleur de Café avait trop de finesse et de pénétration pour ne pas s’apercevoir de cet accueil, et en même temps trop de fierté pour le supporter.
—Ma chère, dit-elle à la Fleur de Thé, quand elles se trouvèrent seules, vous prenez avec moi des airs qui ne me conviennent nullement; sachez que je n’ai pas besoin d’être protégée et que je vous vaux bien de toutes les façons.
La Fleur de Thé haussa dédaigneusement les épaules.
—Ma noblesse, répondit-elle, est de six mille ans plus vieille que la vôtre; elle date de la fondation même du royaume de Chine, qui est le plus ancien des royaumes connus.
—Qu’est-ce que cela prouve?
—Que vous me devez du respect.
Il faut vous dire que cette conversation avait lieu autour d’une petite table en laque sur laquelle étaient déposées une cafetière et une théière. Les deux Fleurs avaient fréquemment recours à l’excitant déposé dans ce récipient pour animer leur verve.—Vous êtes si fade, s’écria le Café, que les Chinois eux-mêmes ont été obligés de vous abandonner pour l’opium. Vous n’êtes plus pour eux un excitant, père de doux rêves, mais une simple boisson de table, comme chez nous le cidre ou la petite bière.
—J’ai conquis, répliqua le Thé avec vivacité, un peuple qui a vaincu les Chinois. Je règne en Angleterre.
—Et moi en France.
—J’ai inspiré Walter Scott et lord Byron.
—J’ai animé la verve de Molière et de Voltaire.
—Vous êtes un poison lent.
—Et vous un vulgaire digestif.
La Fleur de Thé reprit:—Dans l’harmonieux murmure de la bouilloire, on croit entendre chanter les esprits du coin du feu, ma couleur ressemble aux cheveux d’une blonde: je suis la poésie du Nord, mélancolique et tendre.
—J’ai le teint noir des filles du Tropique, répondit la Fleur de Café; je suis ardente comme elles, je me glisse dans les veines comme une flamme subtile: je suis l’amour du Midi.
—Tu brûles, moi je console.
—Je fortifie, tu fais languir.
—A moi le cœur.
—A moi la tête.
Les deux Fleurs, exaspérées, allaient se prendre aux feuilles, lorsqu’elles convinrent de s’en rapporter à un tribunal mi-parti de buveurs de Thé et de Café. Ce tribunal siége depuis des siècles, il n’a pu encore formuler un jugement.
LA MUSIQUE DES FLEURS
Ceux qui aiment les fleurs aiment aussi la musique. Quels sont les rapports qui lient entre eux ces deux instincts?
L’harmonie des tons ne répond-elle pas à l’harmonie des couleurs? Qu’on nous laisse croire que le résultat, l’air de cette double harmonie, c’est le parfum.
Ne vous est-il pas arrivé bien souvent, en écoutant une mélodie, de voir naître en vous le souvenir de certaines fleurs? Weber nous transporte au fond des bois, parmi les pudiques marguerites et les chastes violettes. Rossini au milieu d’un parterre où s’étalent les cent variétés de la rose. L’harmonieux Beethoven semble sortir d’une de ces haies où l’aubépine, le seringa, le sureau, le genévrier mêlent leurs fleurs variées et leurs odeurs.
Lorsqu’on chante devant nous un opéra de Donizetti, ne croyez-vous pas voir s’élever une de ces pivoines éclatantes qui brillent un moment et dont les fleurs sont si vite flétries?
La musique d’Halévy rappelle le camélia. Celle d’Auber rappelle ces convolvulus si flexibles, si gracieux, qui se plient à toutes les exigences, qui flottent au gré de tous les vents. En entendant une mélodie de Schubert, il semble qu’on se promène le soir au clair de lune sur un coteau tapissé de bruyères. De même, en respirant une fleur, vous sentez s’élever dans votre cœur de vagues réminiscences musicales. Il est impossible de se promener longtemps seul au milieu des fleurs, sans avoir envie de chanter. Une femme trouve qu’elle chante mieux quand elle a un bouquet à la main.
Qui de nous, dans le recueillement d’une belle nuit, au milieu des bruits étouffés, des murmures mystérieux qui s’élèvent du sein des eaux, de la terre et des bois, n’a pas démêlé distinctement le chant varié des Fleurs, la cavatine brillante de la Rose racontant ses amours, le saint cantique du Lis, la chaste romance de la Violette? Aux chansons isolées succédait un concert, toutes les Fleurs unissaient leurs voix dans un chœur aérien qui se perdait peu à peu dans les profondeurs du feuillage, sous les herbes frissonnantes, dans l’espace où la brise venait les recueillir. Le son est invisible, insaisissable, comme le parfum. Le parfum flotte, pénètre, s’échappe comme le son: l’un est la musique de l’homme, l’autre est la musique de la nature, la voix des Fleurs. Il y a des gens qui ont rêvé une gamme de parfums. Tous les rêves sont dans la nature et dans le cœur de l’homme.
Pour celui qui a entendu une seule fois le concert dont nous venons de parler, les concerts ordinaires n’ont pas grand charme. Le chant humain ne lui paraît qu’un faible et terne reflet des mélodies de la nature. La musique ordinaire ne sert plus qu’à lui faire souhaiter plus ardemment les beautés idéales et mystérieuses de la musique des Fleurs.
LE JOUR DU LILAS
Le Lilas s’est levé de bonne heure ce matin; il a mis sa robe de fête, il s’est entouré de guirlandes: voyez les jolies fleurs qui brillent dans ses cheveux! Il n’y a pas de fleur plus aimable que le Lilas; un léger incarnat colore ses joues blanches, il a la taille souple et flexible: sa physionomie candide a cependant un petit air espiègle qui fait plaisir.—Bonjour, charmante fleur. Où vas-tu, joli petit Lilas?—Le printemps est venu ce matin me dire: Réveille-toi; tu dors encore, paresseux! N’entends-tu pas le chant de l’alouette? Viens m’aider dans mes travaux. Que de choses nous avons à faire ensemble! Le ruisseau emprisonné par la glace va redevenir libre; ne faut-il pas qu’il retrouve ses bords couverts de mousse? A sa vue, la mousse a reverdi; la rose, piquée d’émulation, s’est entr’ouverte; le saule s’est paré de feuilles verdoyantes; le rossignol est venu se poser sur une de ses branches, et de ses chants joyeux il a salué le Lilas. Le Lilas attire les jeunes gens et les jeunes filles: c’est la fleur confidente de la jeunesse. Que de secrets on laisse envoler sous son ombre! Mais le Lilas est discret; il ne trahit jamais les secrets qu’on lui confie. Qui s’est jamais repenti d’avoir ouvert son cœur au Lilas? Sa présence vient d’être signalée dans les champs. Aussitôt la porte des chaumières s’ouvre, mille figures joyeuses paraissent aux fenêtres. On court au-devant de la fleur; c’est à qui la saluera des premiers. Les vieillards lui sourient de loin; filles et garçons s’empressent autour d’elle. C’est une grande fête dans la campagne, c’est le jour du Lilas. Les cœurs se sentent plus à l’aise depuis que la Fleur est de retour. C’est le moment de tenir la promesse donnée. Le Lilas leur a rapporté à tous leurs engagements; il a rempli l’air d’un parfum de paix, de bienveillance et d’amour. Il a séché toutes les larmes; personne ne pleure en présence du Lilas. La Fleur cependant continue sa course. Partout elle réveille les Lilas ses sœurs, les autres Fleurs ses compagnes. Des grappes d’un rose bleuâtre pendent le long des murs, se balancent au milieu des haies, frémissent au fond des bosquets. Le lilas veut consoler tout le monde. Un Lilas blanc se penchait le matin sur le front d’Arnold, lorsqu’il est venu prier sur la tombe de la pauvre Maria. Il n’y a qu’un jour du lilas dans l’année. On danse jusqu’au soir, on chante la fleur qui donne la gaieté, la consolatrice printanière, la fleur qui inspire les douces pensées et fait naître l’amour. L’ombre s’étend sur le village, les danses et les chants ont cessé. Où vas-tu, petite Lotchen? Pourquoi quittes-tu furtivement ta chaumière? Tu cherches, dis-tu, le Lilas? Qu’as-tu donc de si pressé à lui dire? Le Lilas a beaucoup travaillé aujourd’hui; il est fatigué, il s’est endormi heureux: Fais comme le Lilas, Lotchen: demain, à son réveil, tu lui diras ton secret; mais je crois, pauvre petite, que la Fleur le connaît déjà.
LA TUBÉREUSE
ET
LA JONQUILLE
La Jonquille et la Tubéreuse causaient ensemble de bonne amitié. La Jonquille s’était appuyée au rebord d’une fenêtre, la Tubéreuse assise sur un banc de gazon. Une vigne tapissait le mur et s’arrondissait sur la tête des deux Fleurs. Un Ramier chéri, élevé par la Tubéreuse, se trouvait partager cet entretien.
—L’autre jour, disait la Jonquille, mon maître, en me montrant à un de ses amis, s’est écrié: Voyez cette jolie fleur! c’est le Désir.—Moi, répondit la Tubéreuse, je suis la Volupté.—J’aime bien mieux être le Désir.—Cela vous plaît à dire, mais tout le monde n’est pas de votre avis.—Vous ne venez qu’après moi.—Mais je vous fais oublier.—Sans moi vous n’existeriez pas: je vous fais naître.—Moi, je vous ressuscite.
La conversation, comme on le voit, avait pris une tournure assez métaphysique. Le champ était vaste, et les deux Fleurs pouvaient disputer longtemps avec des avantages égaux. Entre le Désir et la Volupté, entre la Jonquille et la Tubéreuse, ce n’est pas nous qui oserons décider. Heureusement, le Ramier n’éprouvait pas les mêmes scrupules.
—Tout beau, mesdames, ne vous échauffez pas, dit-il, je vais juger le différend.—Vous! s’écrièrent dédaigneusement les deux interlocutrices.—Moi-même, répondit le Ramier; je ne manque pas d’expérience, malgré mon air simple, et j’ai longtemps réfléchi sur l’essence des choses. Vous allez voir.—Voyons.
La Tubéreuse et la Jonquille ne purent parvenir à réprimer entièrement un sourire ironique.
—Pour vous juger, reprit le Ramier, je n’ai qu’à voir la manière dont les hommes vous traitent; la nature a pris soin de multiplier la Jonquille: elle abonde dans les prés, elle s’épanouit à côté des fleurs les plus simples. Son parfum est doux sans être enivrant. Sa tête penchée qui semble cachée sous un voile blanc, sa robe vert d’espérance charment le regard. L’homme aime à s’entourer de jonquilles. Sur la fenêtre du pauvre, sur la cheminée du riche, partout elle est bien accueillie. C’est que le désir plaît.—Quant à vous, madame la Tubéreuse, c’est autre chose. Vous êtes originaire de l’Inde, vous êtes fille de la terre d’où nous viennent tous les poisons. Vos grandes fleurs blanches lavées de rose séduisent, il est vrai, par leur beauté; mais leur parfum ne peut se sentir longtemps. En vous voyant pour la première fois, un charme puissant s’empare des sens, on voudrait se livrer tout entier au plaisir de vous respirer; mais bientôt une fatigue étrange remplace cet enivrement passager. On vous éloigne, on vous évite, on craint de vous approcher. C’est que la volupté tue.
Il y a longtemps qu’on a donné la préférence à la Jonquille sur la Tubéreuse. Nous souscrivons de grand cœur à ce jugement, mais nous craignons bien qu’on n’en conteste la validité. Les sages seuls sont de l’avis du Ramier. Le reste des hommes hésite encore entre le Désir et la Volupté.
LE BAL DES FLEURS
De joie de se trouver réunies après tant de vicissitudes, les premières Fleurs de retour se décident à donner un bal avant de reprendre leur forme primitive. La Fée aux Fleurs avait fait construire une salle de bal magnifique; mais nous nous dispenserons d’en donner la description, attendu que les Fleurs n’y entrèrent pas. Elles préférèrent danser en plein air.
Il est vrai que le plein air au pays des Fées ne ressemble nullement à celui de nos climats. Le ciel est si rapproché de la terre qu’il ressemble à un plafond parsemé d’étoiles; le vent est caressant et léger: on dirait une gaze invisible. Les Fleurs d’ailleurs craignaient, en se retrouvant dans un salon, d’être obligées de se rappeler la terre.
Des milliers de Lucioles, girandoles vivantes, traînaient partout comme une mouvante illumination. Rien n’était joli comme de voir ces insectes gracieux décrire sur la tête des danseuses leurs courbes lumineuses.
Enfin, l’orchestre commença; il était entièrement composé de Rossignols, membres du Conservatoire de la Fée de la musique. L’Oiseau bleu le dirigeait en marquant la mesure avec un bâton d’or incrusté de diamants.
Les musiciens jouèrent d’abord une contredanse, puis une polka, puis une valse, ainsi que cela se pratique maintenant dans les salons du grand monde.
Au bout de deux contredanses, les Fleurs se sentirent fatiguées. Comment avons-nous pu voir un plaisir dans la danse? se disaient-elles avec étonnement. La Belle-de-Nuit elle-même ne comprenait pas la passion qu’elle avait eue pour les bals masqués.
—Tous ces pas, disait le Lis, ne valent pas le doux balancement que m’imprime le Zéphire.
—Elle a raison, répétèrent toutes ses compagnes, plus de danse; allons supplier la Fée de mettre fin à notre métamorphose, et de nous rendre au doux balancement du Zéphire.
La Reine-Marguerite présidait en ce moment un immense galop; il fallut le rompre et se joindre aux autres Fleurs qui s’avançaient vers la Fée.
En reconnaissant leur ancien asile, le premier sentiment qu’elles éprouvèrent fut un sentiment de joie auquel succéda bientôt la crainte. Quel accueil allait leur faire la Fée?
Elles étaient parties malgré elle, sans vouloir écouter ses sages avertissements. Maintenant, les trouverait-elle assez punies? consentirait-elle à les recevoir?
Aucune d’elles n’osait s’avancer pour sonner et se faire ouvrir la grille du jardin.
Tout à coup la porte s’ouvrit comme d’elle-même à deux battants, et l’on vit paraître la Fée. Les Fleurs tombèrent à ses genoux en versant des larmes, mais elle les releva avec bonté.
—Entrez, leur dit-elle, pauvres enfants; venez reprendre auprès de moi la place que vous n’auriez jamais dû quitter.
L’Oiseau bleu était perché sur l’épaule de la Fée.
—Va, reprit-elle, gentil messager, retourne sur la terre, et guide vers moi les pauvres égarées qui ne savent plus retrouver le chemin de la patrie.
L’Oiseau bleu agita ses ailes de turquoise et prit son essor.
Pendant toute la journée, la grille du jardin s’ouvrit et se referma plus de vingt fois. Les Fleurs rentraient par bandes nombreuses. Le soir, deux ou trois retardataires seulement manquaient à l’appel.
Le Bleuet et le Coquelicot se présentèrent ensemble, suivis du Liseron, qui avait beaucoup de peine à marcher. L’Aubépine guidait la marche de la Belle-de-Nuit, dont les yeux faibles ne pouvaient supporter la clarté du jour. Le Lis, la Rose, la Capucine, le Jasmin, le Chèvrefeuille, l’Œillet, l’Oranger, la Pervenche, l’Aubépine, le Grenadier, la Violette, la Pensée, la Tulipe, la Guimauve, l’Églantine, le Myrte, le Laurier, le Narcisse, l’Anémone, toutes les fleurs dont nous avons raconté l’histoire avaient éprouvé le besoin de cesser d’être femmes; elles étaient venues en même temps solliciter le pardon de leur souveraine.
Pas une qui ne revît avec délices les lieux où elle était née; pas une qui ne se rappelât, avec une terreur mêlée de honte, les heures qu’elle avait passées sur la terre.
Bleuette et Coquelicot, les deux bergères, songeaient à la trahison dont elles avaient été victimes de la part des deux bergers si langoureux, mais si infidèles.
La Pensée maudissait les hommes qui, à l’envi les uns des autres, semblaient se faire un plaisir de la repousser. L’Aubépine frissonnait en pensant au Sécateur. La Tulipe se demandait comment elle avait pu s’habituer aux ennuis du sérail.
L’Églantine tremblait intérieurement qu’en punition de son escapade, la Fée ne la forçât à lire les livres qu’elle avait composés du temps qu’elle figurait parmi les bas-bleus.
La Capucine, libre en plein air, plaignait du fond de l’âme les pauvres jeunes filles qu’on condamne à vivre dans un couvent. Ainsi de suite des autres Fleurs.
La Fée, cependant, ne songeait pas à se venger, ainsi que l’Églantine et quelques autres Fleurs paraissaient le craindre, surtout en voyant qu’elle ne se hâtait pas trop de leur faire quitter leur costume terrestre. La Fée avait son projet. Nous le révélerons tout à l’heure.
Lorsque la fraîcheur commença à descendre du ciel avec l’ombre, la Fée réunit toutes les Fleurs dans son palais.
—Mes filles, leur dit-elle, je pourrais vous faire de la morale, mais je m’en dispense. Je lis au fond de votre cœur et je vois qu’il vous adresse lui-même une semonce que toutes les miennes ne vaudraient peut-être pas. Vous vous contenterez désormais d’être Fleurs, j’en suis certaine; si cependant quelqu’une d’entre vous voulait devenir femme tout à fait, elle n’a qu’à le dire. Je donne ma parole de Fée que son souhait sera exaucé à l’instant.
Un silence universel accueillit cette proposition.
—Maintenant, reprit la Fée, allez vous reposer. Demain commenceront les fêtes par lesquelles je veux célébrer votre retour. C’est pour cela que je vous ai laissé conserver vos vêtements humains. Tous les Sylphes du voisinage y seront invités.
Les Fleurs crièrent: Vive la Fée! et défilèrent devant elle. Il y eut un baisemain général.
ERRATUM
Voici un chapitre que nous n’entamons qu’en tremblant. Méfions-nous des errata. On sait quand on les commence, et on ne sait pas quand on les finit.
Cependant les droits de la vérité sont imprescriptibles. Il faut que nous nous accusions de nos erreurs. Encore si nous pouvions les rejeter sur un prote distrait; mais les fautes que nous avons commises ne sont pas des fautes d’impression.
Elles touchent au fond même des choses; elles faussent leur signification morale, elles blessent la vérité historique, philosophique, mystique, que sais-je encore?
Aussi n’avons-nous pas hésité un seul instant à nous exécuter de bonne grâce. Nous ne voulons pas, dans un ouvrage de cette importance, rester en arrière des idées progressives, et nous faire traiter d’écrevisse littéraire par la critique.
La critique est sévère quand elle s’y met!
Une foule de lettres anonymes nous ont été adressées dans le cours de cette publication. Les unes nous portaient aux nues, les autres nous accablaient de malédictions. La dernière de ces lettres était foudroyante; le lecteur pourra en juger:
«Téméraire, craignez le courroux de Flore!»
Nous nous sommes empressé d’apaiser la déesse par des sacrifices convenables. Serons-nous aussi heureux auprès de la critique?
Nous savons qu’on nous a reproché, dans une des dernières séances de l’Académie des sciences morales et politiques, d’avoir usé d’un symbolisme rétrograde pour caractériser le Myrte et le Laurier. Nous nous empressons de reconnaître la vérité de ces observations. Le lecteur est prié de considérer comme non avenus les deux dessins représentant le Myrte et le Laurier. Grâce aux lumières qui lui ont été fournies par l’analogie, et après deux mois de conférence avec un professeur de myrtes indien, Grandville a fini par trouver que le Myrte ne pouvait pas mieux se représenter que par un vieux roué, et le Laurier par un vieux mousquetaire.
Dans le congrès scientifique de France qui a eu lieu cette année, plusieurs séances ont été consacrées à l’examen des Fleurs animées.La section de botanique, tout en constatant les services que ce livre est susceptible de rendre à la science, n’a point hésité à signaler une erreur de détail commise par nous. Le portrait que Grandville a donné de la Belle-de-Nuit dans la 20e livraison, est celui d’une Fleur qui appartient évidemment à la famille des Liserons. Dans le dessin ci-joint, on trouvera la véritable Belle-de-Nuit telle qu’elle est décrite par Linné, Tournefort, de Jussieu et de Candolle. Trop heureux si nous nous montrons digne, par cette rectification, de la bienveillance et des éloges du congrès scientifique!
Un impardonnable oubli nous avait fait négliger, à côté du Myrte et du Laurier, de placer l’Olivier. Il était digne cependant de figurer dans notre galerie allégorique. L’Olivier est l’arbre de Minerve; il représente la sagesse et la paix. Le lecteur le reconnaîtra sans peine sous son bonnet de coton.
Dans cette jeune fille à l’allure vive et dégagée qui fume avec tant d’intrépidité le havane de la régie, nous avons personnifié le Tabac, dont nous n’avions donné dans les livraisons précédentes que les attributs. Pour aller au-devant de toutes les objections, nous avons appliqué à l’Immortelle le même procédé qu’au Myrte, au Laurier et au Tabac. De l’emblème mort nous avons fait une créature vivante. Le dessin de l’Immortelle, qui figure dans le groupe joint à cette livraison, a été copié par Grandville dans les cartons de Phidias, récemment découverts à Athènes par un voyageur français. L’artiste grec comptait sans doute en faire une statue de l’Éternité.
Maintenant que nous avons réparé les fautes et comblé les lacunes signalées par la critique, il ne nous resterait plus qu’à nous féliciter d’avoir mené à bonne fin un ouvrage de cette importance morale, philosophique et littéraire. Le crayon peut se reposer en paix, lui du moins n’a pas de remords. L’esprit, la verve, la grâce, la finesse ne lui ont pas fait défaut un seul instant; mais, hélas! la plume ne peut en dire autant; pardonnez-lui, pauvres Fleurs! qu’avait-elle besoin de vous faire parler, vous, si éloquentes dans votre silence! La plume, c’est la bavarde du livre; le poète, c’est le crayon.
Taxile DELORD.
BOTANIQUE
DES DAMES
INTRODUCTION
PAR
ALPHONSE KARR
Arrêtez-vous ici,—charmantes lectrices,—n’allez pas plus loin,—posez le livre,—on vous trompe.—M. Grandville, avec ses ingénieux et gracieux caprices; M. Delord, avec ses pages spirituelles, sont tout simplement deux traîtres: à travers des sentiers fleuris et parfumés, ils vous conduisent dans un piége; ils veulent vous livrer aux savants,—et à quels savants! aux botanistes,—à ces hommes qui sont vos ennemis, comme ils sont ceux des fleurs.
Pauvres fleurs!—voyez le sort qu’ils leur font subir: ils arrachent la pervenche aux bords des haies,—les wergiss-mein-nicht aux rives des fleuves,—le réséda au pied des vieux murs;—puis, comme nous l’avons dit dans notre monologue, ils les assassinent, les aplatissent, les écrasent, les dessèchent, leur ôtent leur parfum et leur couleur;—puis, sur ces tombes qu’ils appellent des herbiers, ils gravent de ridicules et prétentieuses épitaphes;—ils les rendent laides d’abord, et enfin ennuyeuses.
Prenez garde!—ils veulent vous rendre savantes.—Défiez-vous d’eux comme des hommes qui veulent vous faire fumer des cigarettes.—Au nom du ciel,—au nom de votre beauté, au nom de notre amour, restez femmes,—n’espérez pas devenir rien de mieux.
Vous devez savoir quelque gré à l’éditeur des Fleurs animées de ce qu’il a fait dans votre intérêt.
Il n’a pas osé ne pas mettre un petit traité de botanique dans son ouvrage; mais il a voulu écrire devant: Ici est un piége; ici est l’ennui.
A qui a-t-il demandé une introduction?—Certes, il n’avait pas besoin de moi.—M. Delord lui a fait un livre spirituel, et dix autres mieux que moi lui auraient écrit son introduction; dix autres qui demeurent à Paris comme lui,—qui sont ses voisins,—qu’il rencontre tous les jours.
Eh bien! il est allé me chercher aux bords de la mer, loin de Paris,—au lieu de dire à M. Delord: Monsieur Delord, finissez le livre, tout le monde y trouvera son compte.
Au lieu de dire à un botaniste: Monsieur le botaniste, faites-moi ici un éloge de votre science.
Il s’est adressé à moi,—parce qu’il sait que moi, qui suis jardinier,—que moi, qui aime toutes les fleurs, et que les fleurs aiment un peu, j’ai écrit bien des pages contre des gens qui ont dit que la rose à cent feuilles est un monstre.
Il n’osait pas ne pas joindre à son ouvrage un traité de botanique, mais il a placé à la porte une sentinelle vigilante pour vous crier: Au large! si vous tentez de franchir le seuil de ce petit temple élevé à l’ennui.
En France, on aime le plaisir, mais on respecte, on vénère l’ennui;—on lui élève des temples et on lui fait des sacrifices,—comme les anciens sans doute en faisaient aux Euménides, à la fièvre, à la peste et à la guerre; les places, les honneurs, les dignités, sont pour les auteurs des gros livres ennuyeux.—On enferme les livres d’abord dans de magnifiques reliures,—puis dans une bibliothèque.
On gorge les auteurs de tout ce qu’ils peuvent désirer,—on tâche de les apaiser; puis alors on lit les charmants poètes,—et les historiens de cœur.
Peut-être aussi vous trompe-t-on—et me trompe-t-on en même temps.
Peut-être suis-je aussi,—mais sans le savoir,—un des complices des embûches qui vous sont tendues ici.
Peut-être, après avoir cherché les moyens de vous faire lire la botanique,—après vous y avoir fait amener tout doucement par les deux traîtres que je vous ai dénoncés; après avoir confié la machine infernale à un ouvrier adroit et spirituel, qui en a habilement déguisé la forme, a-t-on encore eu peur que vous ne lisiez pas le traité de botanique,—et a-t-on pensé que le seul attrait sérieux qu’on pût lui donner était d’en faire quelque chose de défendu.
Et c’est alors qu’on est venu me chercher.
Pour moi, si je suis complice de cette trahison, c’est, je le répète, à mon insu,—et je vous dis encore: Arrêtez-vous.—N’allez pas plus loin par le livre, on vous trompe!
Alphonse KARR.
PREMIÈRE PARTIE

PHYSIOLOGIE
Les savants sont des tyrans impitoyables. Voyez ce qu’ils ont fait de la botanique, cette charmante et gracieuse science! Ils avaient à dire l’histoire des arbres, des plantes, des fleurs! Leur mission principale paraissait être de faire répéter cette histoire par de jolies et fraîches lèvres, sur lesquelles il semble qu’on ne doive mettre que des perles et des feuilles de rose. Eh bien! sans pitié ni merci, ils se sont brutalement emparés de ces frêles et suaves filles du ciel et de la rosée; ils les ont froissées, mutilées; ils les ont jetées dans le creuset de l’étymologie, et après toutes ces effroyables tortures, et comme pour s’assurer l’impunité, ils ont caché leurs victimes sous un monceau de noms barbares. Ainsi, grâce à eux, l’aubépine, ce symbole d’espérance et de virginité, gémit sous l’affreux nom de mespilus oxyacantha; le chèvrefeuille, ce doux lien d’amour, s’appelle lanicera caprifolium; la giroflée des murailles, charmante consolatrice du pauvre, est à jamais marquée de ce double stygmate cheirantus chieri; puis, ce sont des chrysanthemum leucanthemum (grande marguerite), des lyriodendron tulipifera, vaccinium oxycocus, etc. Nous en passons des plus terribles.
Tout cela est affreux, n’est-ce pas?... Malheureusement tout cela est nécessaire. Admirer n’est pas connaître, et pour connaître, l’ordre et la méthode sont indispensables. Comment, en effet, étudier les vingt mille espèces de plantes connues sans les diviser en groupes, familles, classes, etc.? Comment, au milieu de cette multitude, se passer des secours de l’étymologie? Pardonnons donc aux savants, qui n’ont fait qu’obéir à la nécessité, et entrons dans ce beau domaine dont ils ont dissipé les ténèbres.
Le règne végétal ne tient pas, comme on le croit communément, le milieu entre les règnes minéral et animal; il se rapproche beaucoup plus de ce dernier que de l’autre; les végétaux, comme les animaux, naissent, vivent, s’accroissent, se reproduisent et meurent; quelques plantes même semblent douées de sentiment. On a donné à l’étude de ce règne le nom de botanique.
Semence ou graine.—Le but que s’est proposé la nature dans la création des êtres animés, est la reproduction de l’espèce. C’est pour elle qu’elle a varié à l’infini ces enveloppes protectrices destinées à garantir les fleurs des injures de l’air; c’est pour elle qu’elle mûrit les fruits dont les sucs alimentaires contribuent au développement et à l’accroissement de la semence, qui est à la fois la terminaison et le point de départ du grand œuvre de la végétation.
La graine a des analogies très-marquées avec l’œuf des animaux: c’est d’elle que doit sortir une plante parfaitement semblable à celle qui l’a portée. Le prolongement filiforme qui attache la graine à son enveloppe est destiné à lui transmettre des sucs nourriciers. L’embryon contenu dans la graine est la plante entière en miniature. C’est lui qui, se développant, deviendra un végétal semblable à celui dont il tire son origine.
L’embryon est essentiellement formé de quatre parties: le mésofite ou la tigelle, la radicule, la plumule et les cotylédons.
Le mésofite est la partie de l’embryon qui unit la radicule à la plumule; la radicule s’échappe la première des enveloppes de la semence; c’est le rudiment de la plante; la plumule est la partie de l’embryon qui représente la tige; les cotylédons forment la partie la plus considérable de l’embryon, ce sont des lobes ou corps charnus; leur nombre varie selon les plantes; quelquefois ils manquent tout à fait. C’est sur leur présence, leur absence et leur nombre que l’on a établi les trois grandes tribus du règne végétal:
Les plantes acotylédones, qui n’ont point de cotylédons;
Les monocotylédones, qui n’ont qu’un seul cotylédon;
Les dicotylédones, qui ont plusieurs cotylédons.
Germination.—Ainsi, dans toute graine réside le principe de la vie, du développement, de la grâce ou de la majesté. Mais ce principe dort, et son sommeil peut être éternel, si une main amie ne lui vient en aide. Il est vrai que la plupart des embryons enfermés dans ces œufs végétaux peuvent attendre sans péril la circonstance favorable qui leur permettra d’en briser la coquille. Quelques graines, en effet, conservent pendant fort longtemps la faculté germinative: pour plusieurs, cette faculté existe encore plus d’un siècle après la maturité, et l’on assure que des graines trouvées à Herculanum et à Pompéi, deux mille ans après que ces cités eurent été ensevelies sous le sol, ont germé facilement.
Et puis, à défaut de la main de l’homme, la nature, cette tendre mère, use de toutes sortes d’ingénieux moyens pour assurer la propagation des espèces; c’est ainsi qu’elle a doué certains fruits, tels que ceux de la balsamine, du sablier, d’un mouvement élastique qui lance au loin les semences: l’air, les vents, les eaux de la mer, des fleuves, servent aussi à transporter les semences à des distances prodigieuses. Il n’est pas rare que la mer jette sur les côtes de la Norvége divers fruits de l’Amérique qui ont conservé leur propriété germinative, malgré l’espace de temps considérable qu’a nécessité cette longue traversée. Certaines graines sont aussi transportées d’un lieu dans un autre par des oiseaux, et déposées sur un terrain favorable à la germination. Enfin, une foule de circonstances fortuites aident encore à la propagation. C’est ainsi que les habitants de l’île de Guernesey se trouvèrent dotés d’une des plus belles fleurs du Japon: un vaisseau venant de ce dernier pays en France, apportait plusieurs caisses d’oignons d’une très-belle espèce de liliacée, connue depuis sous le nom d’amaryllis de Guernesey. Ce vaisseau fit naufrage sur les côtes de l’île; les caisses se brisèrent contre des rochers, et les oignons furent disséminés sur le sable; ils s’y enracinèrent, s’y naturalisèrent, et devinrent, pour les habitants, un objet de commerce très-lucratif.
Beaucoup de graines périssent cependant; mais c’est là une nécessité, à raison de leur abondance, qui est réellement prodigieuse; ainsi, on en a compté jusqu’à trente-deux mille sur un seul pied de pavot, et l’on a calculé que si toutes ces semences réussissaient, elles couvriraient notre globe tout entier à la cinquième génération.
Trois choses sont essentiellement nécessaires à la germination: la chaleur, l’air et l’humidité. Confiée à la terre dans ces conditions, la graine ne tarde pas à se gonfler; la vie commence: l’embryon déchire son enveloppe, et livre passage à la plumule à travers ses cotylédons écartés. La radicule se tourne vers la terre et produit en tous sens des fibrilles. La radicule devient et reste le pivot de la racine; les fibrilles en forment le chevelu. La plumule s’élève, nourrie par les cotylédons dont la substance se liquéfie, devient laiteuse, et qui remplissent l’office de véritables mamelles.
L’enfant est né, il grandit chaque jour; ses traits se dessinent, ses formes se dégagent; on voit encore un peu ce qu’il fut, et l’on commence à deviner ce qu’il sera.
ORGANES DE LA VÉGÉTATION
Racines.—Presque tous les végétaux sont formés de deux parties distinctes, la tige et la racine; la première, brillante de parure et de beauté, s’élève dans l’atmosphère; l’autre, dépourvue d’éclat, s’enfonce dans la terre pour y accomplir obscurément ses fonctions, véritable image des destinées diverses des grands et du peuple: ayant une même origine, l’un travaille et souffre au profit de l’autre qui s’étend et domine.
C’est par les racines que les végétaux vivent: qu’elles cessent de fonctionner, ils s’étiolent et meurent. Il y a des racines dont l’existence ne dure qu’un an, d’autres vivent deux ans, d’autres encore de trois à douze ans; la durée d’un certain nombre est illimitée. C’est ce qui a fait diviser les plantes en annuelles, bisannuelles, vivaces et ligneuses.
On divise les racines en trois classes: les fibreuses (fig. 1re)[*], qui sont composées d’une multitude de jets longs et filamenteux; les tubéreuses (fig. 2), qui présentent des masses tuberculeuses irrégulières, charnues, contenant souvent une fécule abondante, et les pivotantes (fig. 3), qui s’enfoncent perpendiculairement dans la terre.
Ces formes variées ne sont point un effet du hasard; elles sont, pour l’observateur, une preuve de la prévoyance de notre bonne mère commune, prévoyance qui se manifeste partout et toujours, et qui a donné naissance à ce proverbe:
A brebis tondue, Dieu mesure le vent.
Ainsi, sur les montagnes, sans cesse assaillies par les vents, on ne trouve que des racines fibreuses, dont les ramifications pénètrent dans les anfractuosités, s’y cramponnent et permettent aux tiges de braver les orages; les racines pivotantes se logent dans les terres fortes, profondes, et les racines tubéreuses s’étendent dans les terrains maigres et sablonneux.
Comme on vient de le voir, la durée de la vie des végétaux est subordonnée à celle des racines; mais celles-ci, à leur tour, sont soumises à l’influence de la température. Le ricin, par exemple, qui dans les pays chauds forme des arbres ligneux, n’est dans notre climat qu’une plante annuelle; et nos plantes potagères, transportées dans les contrées méridionales, y deviennent vivaces et ne peuvent plus y être mangées.
L’analogie est si grande entre les parties du végétal qui s’étendent sous le sol et celles qui s’élèvent au-dessus, que ces dernières peuvent devenir racines; par exemple, les filets pendants des branches du figuier des pagodes tombent jusqu’à terre, s’y enracinent en très-peu de temps: ce sont des enfants qui reviennent au sein maternel.
Tiges.—Les tiges présentent une grande diversité de formes: il en est qui rampent sur le sol sans y jeter de racines; d’autres, au contraire, poussent des drageons qui s’enracinent et produisent de nouvelles tiges; d’autres encore, trop faibles pour atteindre seules l’élévation qu’elles ambitionnent, entourent de leurs circonvolutions les troncs des grands arbres, les unes s’enroulant constamment de gauche à droite, les autres toujours de droite à gauche. Ainsi, si l’on plante au pied d’un arbre une tige de haricot et une de houblon, elles s’enrouleront en sens inverse et se croiseront; que l’on essaye de changer leur direction, elles la reprendront, et si l’obstacle qu’on leur aura opposé est insurmontable, elles mourront.
Les tiges sont ou cylindriques, ou cannelées, ou triangulaires. Dans un grand nombre de végétaux, la tige est unie, sans poil ni duvet; dans beaucoup d’autres, elle est couverte de petites écailles garnies de poil, et elle porte des bulbilles à l’aisselle des feuilles. Les tiges sont herbacées lorsqu’elles sont tendres, molles, et elles meurent après une année d’existence; elles sont vivaces s’il croît une nouvelle tige l’année suivante; elles sont sous-ligneuses quand la base résiste à l’hiver; enfin, elles sont ligneuses quand elles se convertissent en bois.
Maintenant, supposons que de la graine soumise à la germination sorte une plante herbacée, à tige; elle s’élèvera plus ou moins rapidement, sa tige aura des feuilles, mais aux aisselles de ces feuilles il n’y aura point de boutons, et la plante ne vivra que de un à trois ans. De la graine qui doit produire un arbuste, la tige prendra une consistance ligneuse, mais les aisselles des feuilles seront également dépourvues de boutons. Elle résistera aux hivers, et produira des fruits et des fleurs chaque année. La tige de l’arbrisseau sera plus vigoureuse et portera des boutons; mais elle se divisera, à sa base, en un certain nombre de rameaux ligneux. Enfin, la tige qui doit devenir un arbre s’élèvera d’un seul jet à une certaine hauteur. Cette tige, de la racine à ses premiers rameaux, s’appelle tronc (fig. 4). Les rameaux sont divisés en quatre ordres, selon leur force.
Examinons maintenant la structure de la tige, et prenons pour cela celle d’un végétal ligneux qui est le plus complet. En la tranchant transversalement, nous trouverons d’abord l’écorce, recouverte d’un mince épiderme; sous l’écorce est le liber, partie essentiellement vivante et organique du végétal, et qui doit son nom à la facilité avec laquelle on peut le séparer en feuillets semblables à ceux d’un livre; vient ensuite l’aubier, puis le bois proprement dit, et ensuite la moelle.
La partie concentrique du bois qui entoure la moelle est composée de vaisseaux poreux, suivant une direction parallèle dans toute la longueur des tiges, et dans lesquels circule la séve, principe vital de tous les végétaux. Une partie de ces vaisseaux se prolongent latéralement, entraînant une portion de la moelle. Ces vaisseaux, qu’on nomme prolongements médullaires, ont dans l’écorce leur partie essentiellement vivante, d’où il résulte que l’on voit souvent des arbres dont la végétation est encore très-vigoureuse, bien que leur partie ligneuse soit anéantie, et qu’ils en soient réduits à leur écorce, ainsi que cela se présente fréquemment dans les saules.
Voici maintenant la marche de l’accroissement: chaque année, les feuilles déliées du liber se solidifient et s’unissent aux dernières couches de l’aubier, qui n’est encore qu’un bois imparfait, mais qui passe à l’état de bois au fur et à mesure que le liber passe à l’état d’aubier. Il en résulte que les couches concentriques se superposant annuellement, elles indiquent parfaitement l’âge du végétal. Ce n’est pas là toutefois une règle sans exception; cette règle, qui s’applique aux tiges dicotylédones, la plus nombreuse des tribus végétales, n’est pas applicable aux monocotylédones, dont la structure présente un sens inverse. Par exemple, que l’on examine la coupe transversale d’un palmier, on ne trouve plus d’écorce, d’aubier, de couches concentriques, de prolongements médullaires; le tissu le plus solide et le plus ancien dans cette tige est à l’extérieur, par la raison que l’accroissement vient de l’intérieur. Ainsi, un palmier, à sa naissance, forme une touffe de feuilles sans tige; un an après, il naît de nouvelles feuilles du centre des premières, et celles-ci, repoussées vers la circonférence, tombent en vieillissant; mais leurs bases se soutiennent et forment un anneau qui est l’origine de la tige; l’année suivante, un second anneau se forme de la même manière au-dessus du premier, de telle sorte que l’âge du palmier peut se calculer par ses anneaux.
Branches et rameaux.—Les branches et les rameaux ont une organisation parfaitement semblable aux tiges; ils forment, avec la tige, un angle qui s’ouvre davantage à mesure que l’arbre vieillit, et les branches finissent souvent par devenir pendantes.
Les tiges de quelques végétaux croissent avec une grande rapidité et atteignent une prodigieuse longueur: les chênes, dans nos forêts, atteignent souvent une hauteur de quarante mètres, et les palmiers des Cordillères dépassent quelquefois soixante mètres.
La grosseur des tiges de certains végétaux n’est pas moins remarquable; on montre, au village d’Allouville, près d’Yvetot, un chêne qui n’a pas moins de neuf mètres de circonférence, et dans l’intérieur duquel on a construit une chapelle et une salle assez vaste. Le châtaignier de l’Etna, qu’on appelle dans le pays l’albero a centicavalli, a près de quatorze mètres de tour, et cent cavaliers peuvent se mettre à l’abri sous ses rameaux, ce qui n’est rien cependant en comparaison de quelques baobabs du Sénégal, qui ont jusqu’à trente mètres de circonférence à la naissance du tronc.
Il est bien dur d’être forcé d’en convenir, mais il faut de la franchise avant tout: les végétaux, qui n’ont peut-être de moins que nous que la faculté de la locomotion, nous sont bien supérieurs sous d’autres rapports: ainsi, ce n’est pas seulement par les graines que les végétaux se reproduisent, mais encore par la greffe, par les boutures, le marcottage, les éclats de racines, etc.
Boutons.—Ces moyens de reproduction ont démontré que, dans chacun des boutons espacés sur un rameau, se trouve renfermée une plante entière, pourvue de tous ses organes. Ces boutons sont de petits corps entourés d’écailles qui se développent dans l’aisselle des feuilles et à l’extrémité des rameaux. Ils commencent assez généralement à se montrer en été, et on leur donne alors le nom d’yeux. Pendant l’automne, ils grossissent: ce sont les boutons proprement dits. Au retour du printemps, les écailles tombent, les boutons se développent, et ils prennent le nom de bourgeons (fig. 5).
Il y a trois espèces de boutons: ceux qui produisent des branches, et qu’on appelle boutons à bois; ceux qui produisent des feuilles, nommés boutons à feuilles, et ceux qui produisent des fleurs, qu’on nomme boutons à fleurs ou boutons à fruits. Les racines des plantes vivaces portent des boutons qui, en se développant, produisent des tiges annuelles. Ces boutons, qu’on appelle turions, se distinguent des boutons proprement dits en ce que leur origine est constamment souterraine.
Feuilles.—La pousse des feuilles, ou la foliation, commence immédiatement après l’apparition du bourgeon. Leur naissance est le signe d’une vie nouvelle pour tous les êtres de la création: dans les bois si longtemps silencieux retentissent les chants des oiseaux; les champs se couvrent de fleurs; les hommes se sentent meilleurs; le cœur s’épanouit, et de même que la séve, le sang circule plus vite. Les feuilles contribuent de deux manières à la production de ce sentiment universel de bien-être: d’abord, en charmant la vue, elles font naître les plus douces émotions; puis elles versent dans l’espace des flots d’air vital, en même temps qu’elles absorbent les émanations putrides, les germes de destruction et de mort.
La plupart des feuilles sont soutenues par une queue mince et légère nommée pétiole, et elles se terminent par une expansion membraniforme appelée disque. Les feuilles qui n’ont point de pétiole s’étendent en lames dès leur séparation de la tige. On appelle les premières feuilles pétiolées, et les secondes feuilles sessiles. Elles restent attachées à la tige et aux branches jusqu’aux premiers froids de l’hiver; alors elles tombent, à moins qu’elles ne soient vivaces, et elles rendent avec usure à la terre les sucs qu’elles en avaient reçus pour se produire et s’étendre; cette chute se nomme effeuillaison. Dans les arbres qu’on nomme toujours verts, les feuilles périssent en tout temps.
C’est sur le disque que l’on peut observer l’arrangement des nervures et toutes les subtiles ramifications, veines, veinules, dont une substance pulpeuse, appelée parenchyme, remplit les intervalles (fig. 6). Le bord de la feuille opposé au pétiole se nomme sommet, on appelle côtés les deux extrémités latérales; les deux faces de la feuille sont recouvertes d’un épiderme très-mince: la face supérieure est ordinairement lisse et brillante, la face inférieure est mate et moins colorée.
Il y a trois sortes de feuilles: les simples (fig. 7), les composées (fig. 8), et les composées articulées. La feuille simple est formée d’une seule expansion; le pétiole n’a point de division sensible. La feuille composée est un assemblage de petites feuilles ou folioles fixées au sommet ou sur les parties latérales d’un même pétiole par un pétiole particulier; lorsque ces folioles sont douées de certains mouvements, comme dans la sensitive, on dit que la feuille est articulée.
Le vert est la couleur ordinaire des feuilles; mais la nuance en est infiniment variée depuis le vert tendre jusqu’au vert brun et presque noir; quelques plantes portent pourtant des feuilles rouges, jaunes ou panachées; mais alors on peut les considérer comme n’étant point dans leur état normal. La lumière est le principe de la coloration des feuilles, ainsi que l’on peut s’en convaincre en faisant germer des graines dans une cave: si l’on éclaire quelques-unes des jeunes plantes qui se produiront au moyen de lampes et de miroirs à réflexion, les feuilles qui recevront les rayons lumineux se coloreront en vert; celles qui seront demeurées dans l’obscurité seront blanchâtres.
L’irritabilité des feuilles, leur sommeil, leur réveil, sont des phénomènes qui ne peuvent manquer d’attirer vivement l’attention; ils sont extrêmement remarquables dans la sensitive, qui se contracte rapidement, et en même temps toutes ses feuilles, pour se soustraire au contact des corps étrangers. L’attrape-mouche, plante de l’Amérique septentrionale, exécute un mouvement non moins remarquable: chacune de ses feuilles est divisée à son sommet en deux lobes réunis par une charnière le long de la nervure médiane; qu’un insecte, attiré par la liqueur dont elles sont enduites, vienne se placer sur un de ces lobes, ils se rapprochent aussitôt, et retiennent l’insecte prisonnier. Les feuilles du sainfoin oscillant, plante du Bengale, sont douées de mouvements plus extraordinaires encore. Ces feuilles se composent de trois folioles attachées sur un pétiole commun. La foliole terminale est très-grande, les deux autres sont très-petites. Ces dernières exécutent un mouvement continuel de torsion, et décrivent continuellement un arc de cercle. Ce mouvement continue même alors que l’on a détaché la feuille de la tige, ce qui prouve qu’il appartient à la feuille, et est tout à fait indépendant de la plante mère. Que la grande foliole soit agitée par une cause quelconque, aussitôt le mouvement des deux petites cesse.
On doit l’observation de ce phénomène à Linné, qui lui donna le nom de sommeil des plantes. Quelques naturalistes en ont cherché la cause dans l’absence de la lumière, et ils sont parvenus à changer les heures de sommeil de la sensitive en l’éclairant artificiellement; mais, pour que cette expérience fût concluante, il faudrait qu’elle eût le même résultat sur beaucoup d’autres végétaux, et il a été impossible de l’obtenir sur le plus grand nombre.
Ainsi, les plantes sentent: elles dorment, elles se meuvent; chez quelques-unes se manifeste un sentiment de crainte: qui oserait dire que tout cela ne soit que purement mécanique? Le mouvement de locomotion qui leur manque n’empêche pas qu’elles tiennent dans la création une place bien supérieure à celle occupée par un grand nombre d’individus du règne animal.
Le sommeil des plantes se manifeste de quatre manières dans celles dont les feuilles sont simples: 1o les feuilles s’appliquent face à face, comme dans l’arroche des jardins; 2o elles enveloppent la tige, comme dans l’onagre molle, pour protéger les boutons et les fleurs; 3o étendues horizontalement pendant le jour, elles se roulent en cornet, et renferment les jeunes pousses, comme la mauve du Pérou; 4o elles se penchent vers la terre et forment une espèce de voûte au-dessus des fleurs inférieures, comme la balsamine.
Les feuilles composées affectent six positions différentes dans les heures de sommeil: 1o elles viennent se placer l’une contre l’autre, comme les feuilles d’un livre: telles sont celles du pois de senteur, du baguenaudier; 2o en s’écartant à leur partie moyenne, elles forment un petit pavillon au-dessus des fleurs, comme le lotier pied-d’oiseau, le trèfle; 3o elles sont réunies à la base et séparées à leur sommet, comme dans le mélilot commun; 4o les folioles se courbent pour couvrir les bourgeons, comme dans le lupin blanc; 5o elles s’abaissent en tournant sur elles-mêmes, tandis que le pétiole commun s’élève, et elles s’appliquent ensuite l’une sur l’autre par leur face supérieure, bien qu’elles pendent vers la terre, comme dans les casses, et ce retournement est d’autant plus remarquable que si l’on voulait l’opérer artificiellement pendant le jour, on ne pourrait y parvenir sans briser les vaisseaux des pétioles particuliers; 6o enfin, elles recouvrent entièrement le pétiole commun à la manière des tuiles d’un toit, comme la sensitive.
Que d’admirables choses! et à quoi bon chercher au loin des émotions quand à chaque pas tant de merveilles s’offrent aux regards de qui veut les voir!
Stipules, vrilles, griffes, suçoirs, épines, aiguillons, poils, glandes.—Indépendamment des organes principaux, un grand nombre de végétaux sont pourvus d’organes accessoires que Linné désignait sous le nom générique de fulcra. Les uns, tels que les aiguillons (fig. 9), les épines (fig. 10), ne sont en quelque sorte, pour certaines plantes, que des armes défensives; d’autres, comme les poils (fig. 11) et les glandes, sont chargés de fonctions sécrétoires, et quelques-uns, comme les vrilles (fig. 12), servent d’auxiliaires aux végétaux qui en sont armés, pour les aider à quitter le sol sur lequel la faiblesse de leurs tiges semblait les avoir condamnés à ramper.
Le pétiole est parfois accompagné de deux petites feuilles qui diffèrent tout à fait de la forme des autres: ce sont les stipules; si on les rencontre à la base d’une fleur, elles prennent le nom de bractées. Leurs fonctions consistent à protéger les feuilles; elles les enveloppent dans la jeune pousse, elles les accompagnent dans leur développement, et périssent dès qu’elles sont devenues inutiles.
Les griffes sont des espèces de racines par lesquelles certaines plantes s’accrochent à d’autres végétaux ou aux corps environnants. Lorsque ces griffes, indépendamment du soutien qu’elles prêtent aux plantes, leur procurent les aliments nécessaires à leur nourriture, on les nomme suçoirs.
Fleurs.—Les fleurs sont les organes destinés à accomplir le grand œuvre de la reproduction: couleurs séduisantes, parfums suaves, élégance dans les contours, délicatesse dans le tissu, grâces dans le développement et le port, tous ces attributs, prodigués aux fleurs même les plus communes, font du temps de la floraison un moment de parure, de triomphe, et l’époque la plus brillante, la plus éclatante de leur vie. L’enfance est passée, nous touchons au temps de la jeunesse et de la beauté.
La fleur se compose de quatre parties principales: le calice (fig. 13), la corolle (fig. 14), les étamines (fig. 15), et les pistils (fig. 16); on appelle fleur complète celle qui possède ces quatre parties, et fleur incomplète celle à laquelle il en manque une ou plusieurs. Les fleurs peuvent se composer simplement d’étamines et de pistils réunis sur le même support, ou placés sur la même plante, dans des fleurs distinctes, ou situés sur des individus séparés, ce qui forme les fleurs hermaphrodites, monoïques et dioïques. Ces deux derniers genres sont également compris sous la dénomination de déclives ou d’unisexuelles.
Le diamètre des fleurs est très-variable: quelques-unes sont si petites qu’elles échappent à la vue; d’autres, comme l’aristoloche d’Amérique, par exemple, ont quelquefois au delà d’un mètre de circonférence. Leur durée, variable aussi, est également très-courte: nées pour accomplir les fonctions de la reproduction, bientôt elles perdent leur éclat, leurs formes s’altèrent, les grâces s’envolent, la jeunesse s’éteint et la maturité commence.
Les fleurs sont sessiles ou pédonculées: elles sont sessiles lorsqu’elles sont posées sur la tige sans intermédiaire; elles sont pédonculées lorsqu’elles sont soutenues par un support plus ou moins étendu qu’on nomme pédoncule; c’est le plus grand nombre. C’est au sommet du pédoncule, qui va s’élargissant, que paraissent les parties de la fructification. Les formes de cet organe sont très-variées: il est droit ou incliné, parfois il se roule en spirale; il peut être simple ou composé de plusieurs parties que l’on nomme pédicelles. Lorsqu’il part immédiatement de la racine, on le nomme hampe. La partie qui soutient les fleurs sessiles ou pédiculées s’appelle axe.
INFLORESCENCE
L’arrangement, la disposition générale des fleurs sur la tige ou les autres organes qui les supportent se nomment inflorescence. Les fleurs sont toujours placées à l’aisselle d’une feuille, mais elles affectent diverses dispositions: les unes sont solitaires, les autres sont réunies plusieurs ensemble. C’est ce qui constitue l’inflorescence simple et l’inflorescence composée, lesquelles se subdivisent en inflorescences qui ont reçu des noms particuliers, tels que ceux de panicule, thyrse, grappe, épi, spadice, verticille, ombelle, corymbe, cyme, capitule. L’inflorescence est panicule lorsque l’axe commun se ramifie, et que ses divisions secondaires sont allongées et laissent entre elles une certaine distance, comme dans les graminées (fig. 17). Le thyrse est une sorte de grappe dont l’axe est très-allongé et dont les rameaux forment de petites cimes. Lorsque le pédoncule commun se ramifie plusieurs fois et régulièrement, l’inflorescence prend le nom de grappe, comme dans le marronnier d’Inde (fig. 18). Lorsque les fleurs sont disposées sur un axe commun, simple, non ramifié, elles forment l’épi, comme le blé, l’orge, le plantin (fig. 19). Dans l’inflorescence spadice, le pédoncule commun est couvert de fleurs sans calice. L’inflorescence est verticille lorsque les fleurs naissent à l’aisselle des feuilles, et forment une espèce d’anneau autour de la tige. Les fleurs sont en ombelle lorsque tous les pédoncules étant égaux, l’ensemble des fleurs présente une surface bombée, telle est la carotte (fig. 20). Dans le mode d’inflorescence appelé corymbe, l’axe central forme une inflorescence terminée et les rameaux latéraux des inflorescences indéfinies, comme dans la millefeuille (fig. 21). Lorsque la fleur terminale est environnée de trois bractées ou plus, et que chaque rameau peut offrir un développement égal au précédent, on nomme cette inflorescence cyme; cette inflorescence est celle de la centaurée (fig. 22). Enfin, on donne le nom de capitule à l’inflorescence qui est particulière aux plantes de la famille des cynanthérées: tels sont le chardon, l’artichaut (fig. 23).
L’inflorescence, en général, peut encore être modifiée par des influences diverses, telles que certains modes de culture: de là résultent les fleurs doubles, pleines et polifères. La culture est aux fleurs ce que l’éducation est aux jeunes filles; elle augmente leur beauté en les douant de grâces particulières, en les préservant de mille dangers, en leur conservant le plus longtemps possible tout leur éclat.
Dans les fleurs doubles, le nombre des pétales est plus considérable que celui que leur avait primitivement donné la nature. Les fleurs pleines sont entièrement formées de pétales. Les fleurs polifères sont celles du centre desquelles naît une seconde fleur semblable à la première. Tout cela est dû à l’art de l’horticulture, et, pour quelques amateurs sévères, ces fleurs devenues si belles ne sont que des êtres monstrueux. C’est là une ridicule exagération, condamnée par la sagesse des nations qui a formulé ce proverbe:
Et toujours la parure embellit la beauté.
Cela n'est pas très-grammatical, mais cela est vrai.
Calice.—Nous avons vu plus haut que la fleur se compose de quatre parties principales; examinons maintenant chacune de ces parties.
Le calice peut être considéré comme le protecteur de la fleur; il se compose d’une espèce d’épanouissement de l’écorce à l’extrémité du pédoncule. Sa couleur est toujours verte, à peu d’exceptions près. Ainsi elle devient jaune dans la capucine, et rouge dans la grenade, mais toujours elle est verte d’abord. Quelquefois il est d’une seule pièce, et quelquefois il est composé de plusieurs qui affectent la forme de petites écailles, comme dans l’œillet. Le plus ordinairement il est de forme cylindrique. Lorsqu’il ne renferme qu’une seule fleur, on le nomme calice propre, et calice commun lorsqu’il en renferme plusieurs; il est simple quand il ne forme qu’une seule enveloppe; double quand il se compose de plusieurs.
Nous éviterons ici, comme précédemment, les termes scientifiques qui n’ajoutent rien à la connaissance des choses, et qui n’auraient d’autre résultat que de faire grimacer de jolies bouches. Qu’importe, en effet, que l’on sache que les savants nomment monophylle le calice qui se compose d’une seule pièce, et polyphylle celui qui en a plusieurs? Qu’importent les supères, les infères, les embriqués, les caliculés, etc., qui n’indiquent que des modifications insignifiantes?
Le calice a beaucoup d’analogie avec la feuille, non-seulement par sa forme, mais encore par sa contexture et les fonctions qu’il remplit. On y remarque des nervures, des trachées, etc., absolument comme dans la feuille, et dans quelques fleurs même, le calice se transforme en véritables feuilles; enfin, comme les feuilles, il absorbe et exhale certains fluides.
Corolle.—C’est la corolle qui continue la beauté de la fleur: grâce, coloris, parfum, tout lui est réservé. Comme le calice, elle peut être formée d’une seule ou de plusieurs pièces; c’est ce qui a fait croire à plusieurs botanistes qu’elle n’était qu’une modification du calice; plusieurs ont même confondu le calice et la corolle, grossière erreur, relevée à bon droit par les savants naturalistes dignes de ce nom.
Chacune des pièces qui composent la corolle se nomme pétale; on dit qu’elle est monopétale quand elle est formée d’un seul pétale, et polypétale quand elle se compose de plusieurs. On appelle onglet la partie par laquelle le pétale tient à la fleur, et lame sa partie supérieure. De la base au sommet, elle forme le tube, divisé en deux parties: l’orifice, qui est la partie supérieure, et le limbe, qui comprend toute la partie dilatée.
Hélas! il est bien douloureux de l’avouer, mais l’analyse de cette charmante chose, la corolle, que la nature a si richement ornée, est affreusement aride! Nous lisons dans un ouvrage moderne: «Il est bien fâcheux que l’étude des végétaux nécessite la connaissance d’une multitude de termes dont l’emploi doit souvent précéder la définition.» Oh! oui, cela est fâcheux, cela est déplorable! mais Dieu a voulu qu’il n’y ait pas, sur cette terre périssable, de joie, de plaisir sans mélange... Encore quelques pas dans ce sentier épineux! S’il faut souffrir un peu pour être belles, comme on le dit communément, c’est aussi la condition expresse pour être... non pas savantes, mesdames, mais instruites, ce qui est bien différent! Donc, nous reprenons courage, n’est-ce pas? et nous n’aurons pas une trop grande peur des vilains mots, c’est convenu. Ainsi, j’oserai vous dire qu’il y a six espèces de corolles régulières, savoir:
La campanulée, qui se dilate vers sa base et s’évase en forme de cloches. Exemple: le liseron des champs (fig. 24);
L’infundibuliforme, qui ressemble quelque peu à un entonnoir;
L’hypocratériforme, qui a le tube court, la fleur plane, comme le phlox (fig. 25);
La corolle en roue, dont le tube se voit à peine et qui est dentelée;
La tubulée, dont le tube est allongé et peu ouvert à son orifice;
L’urcéolée, dont le tube est plus resserré à son orifice que dans ses autres parties.
Les corolles monopétales irrégulières les plus remarquables sont les labiées et les personnées; les premières offrent deux divisions inégales et ouvertes qu’on nomme lèvres, et qui sont placées l’une au-dessous de l’autre. Dans les personnées, les deux lèvres sont rapprochées, forment une proéminence.
Cette diversité de formes dans les corolles monopétales se reproduit dans les polypétales, dont les régulières comprennent: les rosacées, les caryophyllées et les cruciformes. Les irrégulières sont nommées papillonacées, à cause de leur ressemblance avec le papillon.
Viennent ensuite la corolle ligulée et la corolle tubuleuse, qui appartiennent aux fleurs composées, et qui, en se combinant, forment les floculeuses, les semi-floculeuses et les radiées.
Certains produits minces et colorés se trouvent quelquefois entre la corolle et les étamines, auxquels Linné a donné le nom de nectaires, à cause du liquide visqueux et sucré qu’ils sécrètent.
Non-seulement la corolle, ainsi que nous l’avons dit, est presque toujours parée des plus riches couleurs, mais il arrive souvent qu’elle en change: il y a même des corolles coquettes qui changent jusqu’à trois fois de parure en un jour; telle est celle du gladiolus venicolor: le matin, sa couleur est brune, c’est un négligé qu’elle quitte bientôt; à midi, elle revêt une fraîche robe verte, et, vers la fin du jour, elle étale avec complaisance sa parure d’un admirable bleu clair...
En vérité, je vous le dis, au risque de paraître trivial à force d’être vrai, jamais il n’y eut, il n’y aura jamais plus d’analogie entre deux choses diverses qu’il n’en existe entre les femmes et les fleurs. Il est vrai que ces dernières sont muettes; mais nous ne disons pas heureusement.
Indépendamment des riches couleurs qui la parent, la corolle a encore l’avantage d’être un foyer d’émanations délicieuses. Cela est vrai comme règle, mais nous devons avouer qu’elle souffre d’assez nombreuses exceptions: d’abord, il est une assez grande quantité de fleurs qui ne sentent absolument rien, et de ce nombre sont quelques-unes des plus riches en parure, comme les dahlias, les camélias; il en est, en outre, dont l’odeur est insupportable, comme certaine espèce de géranium, l’arum dracunculus, etc.
Étamines, Pistils.—Les étamines et les pistils sont les organes de la fructification; c’est par eux que s’accomplit le grand, l’inexplicable mystère de la reproduction des plantes: privée de ces organes essentiels, la fleur est stérile. D’une partie de l’étamine, nommée anthère, s’échappe, dans un temps propice, une poussière fécondante nommée pollen; ce sont de petits corps jaunes, blancs, rouges ou violets, qui se répandent sur le ou les pistils, et dès lors la plante est fécondée.
Ce grand secret de la fécondation des plantes a été découvert par Linné. Nous avons déjà montré que les plantes sentent; Linné dit qu’elles aiment, et il le prouve, l’audacieux! Nous le répétons, les savants sont capables de tout!
FRUCTIFICATION
C’est alors que commence cette maturité dont nous avons parlé plus haut: les pistils et étamines se flétrissent, les pétales tombent, le fruit se montre soutenu par le calice, ce père nourricier dont la tâche n’est pas encore entièrement remplie.
Fruit.—Le fruit se compose toujours de deux parties principales: le péricarpe et la graine.
Le péricarpe est une enveloppe parfois sèche ou membraneuse, le plus souvent épaisse et charnue, laquelle contient dans son intérieur une ou plusieurs graines.
Le péricarpe est quelquefois si ténu et semble si bien identifié avec la graine, qu’on ne l’en distingue que difficilement; aussi quelques auteurs ont-ils émis l’opinion que, dans certains fruits, le péricarpe n’existait pas; mais c’est une erreur aujourd’hui bien reconnue: le péricarpe existe constamment, et il est toujours composé de trois parties, savoir: une membrane extérieure ou épiderme, nommée épicarpe; une substance charnue (sarcocarpe), et une membrane intérieure (endocarpe)... N’avions-nous donc pas trois fois raison en disant, au commencement de ce traité, que les savants sont des suppôts de tyrannie! Nous leur accordons l’épicarpe, le sarcocarpe, l’endocarpe; nous convenons avec eux que, arrivés à l’époque de leur maturité, les péricarpes ont la complaisance de s’ouvrir pour livrer passage aux graines; nous voulons même bien que ces complaisants péricarpes se nomment déhiscents, et toujours animés du même esprit de paix, nous convenons volontiers qu’ils sont bien plus estimables que les péricarpes indéhiscents, qui ne laissent échapper les graines que lorsqu’ils tombent en pourriture. Alors nous croyons en avoir fini sur ce point... Hélas! les savants commencent et ne finissent jamais: pour eux, il y a toujours quelque chose de nouveau sous le soleil... Et les valves, s’il vous plaît?... et les cloisons, et les loges, et la suture? Nous nous bornerons à dire que ces quatre derniers noms représentent des choses destinées à retenir les graines prisonnières jusqu’à ce que l’heure de la liberté ait sonné pour elles.
Les fruits se présentent sous douze formes principales que l’on divise en deux grandes classes: les fruits à péricarpes secs, qui sont au nombre de neuf, et les fruits à péricarpes charnus, divisés en quatre espèces.
Dans les péricarpes secs, le plus commun est la capsule, dont la boîte est d’une forme et d’une capacité très-variables; elle est elliptique, ou orbiculaire, ou en croissant, ou bien elle offre la forme d’une silique, comme la grande chélidoine (fig. 26).
Le péricarpe appelé follicule se compose ordinairement de deux follicules dressées ou divergentes, fusiformes ou cylindriques; les semences sont contenues dans la follicule, et le plus souvent enveloppées d’une substance cotonneuse (fig. 27).
Le péricarpe appelé la samare est une espèce de capsule membraneuse, plus ou moins comprimée, divisée en une ou deux loges.
Le légume ou gousse est un fruit membraneux à deux valves qu’on nomme cosses, réunies par deux sutures opposées; les graines sont attachées le long de la suture inférieure, et placées alternativement sur l’une et l’autre valve ou cosse, ainsi que cela se voit dans le pois, la vesce (fig. 28).
La silique ne diffère de la gousse que par une cloison longitudinale qui divise les deux valves.
Le cône est composé d’écailles ligneuses, comme la pomme de pin (fig. 29).
La nucule ou noisette est un péricarpe osseux qui ne contient qu’une graine et ne s’ouvre pas.
La cariopse est un fruit sec à une seule graine, dont le péricarpe est tellement adhérent à la graine proprement dite, qu’il ne peut s’en séparer que par l’opération du blutage, comme pour le blé, le seigle, etc.
Le péricarpe nommé achaine est un peu moins adhérent à la graine que le précédent. Il est simple ou composé.
Voyons maintenant les péricarpes des fruits charnus; ils sont, comme nous l’avons dit, au nombre de quatre: la baie, le drupe, la pomme et le pépon.
La baie ne s’ouvre point naturellement à la maturité; elle renferme une ou plusieurs semences, et ses graines et ses loges sont disposées dans un ordre apparent, comme dans la groseille, le raisin (fig. 30).
Le drupe est un péricarpe charnu, composé de deux substances de différente nature: l’une extérieure, charnue, pulpeuse; l’autre intérieure, ligneuse, comme dans les pêches, cerises, noix, marrons (fig. 31).
La pomme est un péricarpe charnu, couronné par le limbe du calice, partagé en plusieurs loges dont la paroi interne est cartilagineuse. Exemple: la pomme d’api (fig. 32 et 33).
Le pépon est un fruit charnu, régulier, qui fait corps avec le calice et renferme plusieurs graines. Ce fruit est particulier à la famille des cucurbitacées (fig. 34 et 35).
Le volume des fruits est souvent bien disproportionné avec celui des végétaux qui les produisent: ainsi la courge, plante rampante et herbacée, porte des fruits énormes, et le chêne n’en a que de très-petits. Les physiologistes cherchent vainement la raison de cette anomalie; nous leur conseillons de consulter La Fontaine, fable IV, livre IX.
Et pourtant, nous osons affirmer que La Fontaine avait très-peu étudié les péricarpes; il était certainement moins savant, sur ce point, que M. de Jussieu; mais, d’un autre côté, les fables de M. de Jussieu sont beaucoup moins amusantes que celles de La Fontaine. Évidemment, il n’y a pas compensation.
HABITATION DES VÉGÉTAUX
Les climats divers ne conviennent point indistinctement aux végétaux. Il faut presque à chaque plante un terrain particulier, une atmosphère différente. Les unes ne se plaisent que dans les champs incultes, tandis que d’autres ne peuvent germer que dans des terres cultivées. Plusieurs naissent dans les sables; un certain nombre se plaisent sur les rochers. Il en est qui ne peuvent vivre qu’au fond des marais, d’où elles s’étendent à la surface des eaux. Enfin, la mer a aussi sa végétation, végétation luxuriante, qui ne le cède en puissance à aucun des terrains les plus favorisés.
Il n’est presque aucune portion de la terre où la végétation ne puisse s’établir; mais elle présente des différences immenses entre les contrées équatoriales, les régions tempérées et les régions polaires. C’est entre les tropiques qu’elle se montre dans toute sa puissance et sa majesté; c’est là qu’on trouve le baobab, ce colosse du règne végétal, dont le tronc, ainsi que nous l’avons dit, atteint quelquefois jusqu’à trente mètres de circonférence; c’est là que vit et se multiplie cette admirable famille de palmiers avec lesquels nos plus beaux arbres ne sauraient soutenir la comparaison. Dans ces contrées, les graminées deviennent arborescentes; les fougères s’élèvent jusqu’à huit ou neuf mètres: c’est la patrie des fruits les plus exquis, des parfums les plus suaves. C’est surtout dans les régions équatoriales, comme aux bords du Gange, où la température, constamment humide et chaude, est entretenue par les feux du soleil et le débordement des grands fleuves, que la végétation montre une vigueur prodigieuse.
Mais cette exubérance de vie, qui augmente la puissance des forts, tuerait les faibles. Que l’on transporte sous ce ciel de feu une frêle et légère Parisienne, elle s’étiolera promptement, et rien ne pourra la sauver d’une prompte destruction... C’est toujours cette éternelle comparaison entre les deux règnes, comparaison née de ce que d’une seule, unique et admirable chose sortie de la main de Dieu, notre orgueil a voulu faire trois choses distinctes. Qui donc, en effet, pourrait dire avec précision où finit l’un des trois règnes et où commence l’autre?
L’histoire naturelle est une immense chaîne à laquelle il ne manque pas un anneau, et c’est en vain que les princes de la science y ont cherché une solution de continuité. Il y a sur les confins du règne minéral des individus qui végètent, et sur les confins du règne végétal des individus qui vivent...
L’extrême chaleur sans humidité n’est pas favorable à la végétation. Aussi, quelle différence entre les contrées dont nous venons de parler et les déserts sableux de l’Afrique, desséchés par les ardeurs brûlantes du soleil, où l’homme, en y entrant, semble se dévouer à la mort! Là, de quelque côté qu’on jette les yeux, on n’aperçoit que des images de destruction et de néant.
L’excessive chaleur n’est pourtant pas un obstacle à toute végétation; il est des plantes qui résistent à quatre-vingts et même cent degrés de chaleur (température de l’eau bouillante). Aux eaux thermales de Dax, on a vu croître et se développer une tremella dans une fontaine dont l’eau est constamment chaude de soixante-dix à soixante-douze degrés.
Si la végétation des pays tempérés n’a pas cette beauté, cette magnificence des plantes des tropiques, elle ne leur cède en rien pour la grâce des formes et l’abondance des produits. Le Nord lui-même n’est pas déshérité sous ce rapport; c’est là que les robustes pins et sapins élèvent vers les nues leurs troncs vigoureux. Mais, au-dessus de deux mille mètres d’élévation, on ne les trouve plus; ils sont remplacés par les aliziers, les bouleaux, qui bravent un froid de quarante degrés, froid capable de faire éclater les sapins les plus vigoureux.
Ce dernier phénomène a souvent été remarqué par nos soldats pendant la désastreuse campagne de Russie; alors que ces malheureux s’asseyaient sur la neige pour y prendre quelque repos, il arrivait que de violentes explosions se faisaient entendre autour d’eux: «Encore l’ennemi! se disaient-ils; toujours, toujours sur nos pas! Un ciel de fer sur nos têtes, et devant nous des déserts de glace sans horizon!» Ils reprenaient leurs armes avec désespoir et marchaient vers le lieu d’où l’explosion s’était fait entendre, et ils ne trouvaient rien, rien que des arbres que l’intensité du froid avait fait éclater avec un bruit semblable à celui du canon.
Plus on s’approche des pôles, plus le nombre des végétaux diminue; au Spitzberg, au Groënland, au Kamtschatka, le nombre des espèces ne dépasse pas trente.
De même qu’elle se montre sur les plus hautes montagnes, la végétation pénètre aux plus grandes profondeurs, dans les entrailles de la terre, dans les cavernes, dans les mines les plus profondes; mais à ces deux extrémités, il n’y a que des champignons et des lichens.
On trouve sur une haute montagne, en la parcourant de sa base à son sommet, à peu près tous les changements de végétation que l’on pourrait observer en voyageant de l’équateur au pôle nord. Au pied de la montagne végètent les plantes des plaines et des contrées méridionales de l’Europe. Les chênes occupent le premier plan; cinq ou six cents pieds au-dessus sont les hêtres; plus haut, les ifs, pins et sapins; puis viennent les aliziers, les bouleaux, les rhododendrons; plus haut encore, on trouve les daphnés, les globulaires, les cistes ligneux. Dans la région des glaces se montrent les saxifrages, les primevères; puis enfin les lichens.
La végétation qui n’existe que faiblement dans un lieu peut y devenir abondante et vigoureuse; tout se modifie, tout change: les marais se dessèchent, les rochers que nous voyons nus et arides porteront peut-être quelque jour des arbres majestueux. Dans les marais, la surface des eaux se couvre d’abord d’une écume verdâtre; ce sont des conferves, frêles plantes auxquelles succèdent des carex, des roseaux, des typhas; puis viennent les sphaignes, qui se multiplient d’une manière prodigieuse. A mesure que ces plantes végètent, leur détritus exhausse le fond du marais, qui finit par se dessécher entièrement. Il en est de même des rochers: des lichens crustacés viennent d’abord marbrer leur surface; de leur décomposition naissent des lichens d’un autre ordre sur le détritus desquels paraissent plus tard des graminées; puis, enfin, la terre végétale augmentant sans cesse, les végétaux ligneux se montrent.
Ainsi que nous venons de le voir, il est, dans les végétaux, des familles particulières à certaines contrées; une seule famille, les céréales, peut s’habituer à tous les climats; œuvre admirable de la Providence, qui, en donnant la terre à l’homme, a voulu qu’il pût trouver à chaque pas une preuve de sa paternelle sollicitude!
MALADIES, MORT ET DÉCOMPOSITION DES VÉGÉTAUX
Les maladies des végétaux peuvent être divisées en deux classes: celles qui n’affectent qu’une partie du végétal, comme les ulcères, les excroissances qui résultent presque toujours de blessures, et les maladies générales qui envahissent toute la plante.
Les plaies faites par un instrument tranchant se guérissent plus facilement que celles produites par un instrument contondant. Lorsqu’une portion d’écorce a été enlevée à un arbre, la cicatrisation s’opère par l’extension des bords de l’écorce qui se rapprochent en bourrelets.
Les plaies contuses doivent être enlevées par le fer, afin que les lèvres en soient nettes; sans quoi elles donneraient lieu à des exostoses, des tumeurs, qui deviendraient incurables.
Lorsque les blessures ont pénétré jusqu’au cœur du tronc, il s’ensuit un écoulement sanieux qui détermine promptement l’ulcère, la carie, la mort. Ces plaies ne sont pourtant pas absolument incurables, et l’on parvient quelquefois à les faire disparaître par le fer ou par le feu.
De toutes les maladies générales, la mieux caractérisée est l’étiolement, qui a pour cause ordinaire la privation de la lumière. Les plantes atteintes de cette maladie sont faibles, grêles, blafardes. Pour la guérir, il suffit, lorsque le mal n’est pas trop avancé, de rendre la lumière à la plante qui en est atteinte; mais cela ne doit se faire que graduellement: le passage trop brusque d’un état à un autre serait plus nuisible qu’efficace.
La panachure, la jaunisse, qui atteignent un grand nombre de végétaux, sont presque toujours causées par l’abondance de la séve et l’extravasation des sucs.
Le froid exerce une grande influence sur les plantes. Dilatés par la congélation des liquides, les vaisseaux, les tissus cellulaires se déchirent, et le végétal meurt. Lorsque le déchirement se fait du centre à la circonférence, il se nomme cadron; s’il s’opère en séparant l’une de l’autre les couches ligneuses, il s’appelle roulure; si le froid détruit seulement la couche du liber, on nomme la maladie qui en résulte gelivure.
Les pêchers et les abricotiers ont quelquefois leurs feuilles couvertes d’une substance blanchâtre, mielleuse; c’est le résultat d’une maladie nommée meurier ou blanc mielleux. On opère la guérison de l’arbre qui en est attaqué en enlevant les feuilles qui ne sont point dans leur état normal, et changeant la terre au pied de l’arbre.
Les plantes parasites et certains insectes sont très-souvent une cause de maladie pour les plantes.
Les céréales sont sujettes à plusieurs maladies qui leur sont particulières: le froment peut être atteint de la carie, du charbon, de la rouille. La carie attaque l’intérieur du grain; l’écorce en est sèche, et en la rompant, on trouve à l’intérieur une poussière fine, noire et fétide.
Une espèce de champignon microscopique, nommé uredo segetum, réduit les semences en une poussière d’un brun verdâtre; c’est la maladie nommée charbon. Un autre champignon microscopique, l’uredo linearis, donne naissance à la rouille. Le seul préservatif contre les diverses maladies des céréales consiste à secouer les plantes au moyen d’une corde tendue, que deux hommes, séparés par le champ, promènent sur toute sa superficie. Cette opération suffit pour détruire, au moins en grande partie, les germes de ces maladies.
La cloque ou roulure des feuilles provient de la piqûre d’insectes; les bédéguars, pelotes filamenteuses qui se trouvent sur les rosiers, les galles arrondies des chênes, la laque, la cochenille, n’ont pas d’autre cause.
Après avoir langui pendant un temps, la vie s’éteint entièrement dans le végétal; il devient la proie de tous les agents extérieurs, qui le décomposent entièrement.
Les arbres meurent ordinairement par portions; le plus souvent la mort commence par le sommet; on dit alors que l’arbre est couronné. La racine subit la même altération, dans le même temps, à son extrémité. L’arbre qui est dans cet état peut vivre encore longtemps, mais il ne croît plus.
La décomposition des plantes est un des phénomènes les plus intéressants de la nature; elle présente des différences selon qu’elle s’opère dans le feu, à l’air libre ou dans l’eau.
L’analyse d’un végétal par le feu y démontre la présence de la lumière et du calorique, qui se dégagent entraînant avec eux des matières salines, huileuses; dans cet état, ils constituent la fumée; mais si on les condense dans un tuyau étroit, ils déposent le long des parois une partie des matières qu’ils enlevaient; celles-ci forment la suie, qui contient une huile empyreumatique, du carbone, du fer. Il reste une masse assez considérable qu’on appelle cendres, et qui est une des bases de la terre végétale.
Les plantes exposées à l’air libre se décomposent rapidement: l’eau et l’air qu’elles contiennent déterminent la fermentation, et, par suite, le dégagement des fluides gazeux. Les parties non volatiles, principalement composées de matières salines, forment le terreau, substance très-variable.
Lorsque la décomposition des plantes s’opère dans l’eau, les résultats ne sont plus les mêmes; on obtient alors des produits auxquels on donne le nom de tourbes: les tourbes des marais, presque entièrement formées de jeunes plantes herbacées, mêlées à une certaine quantité de limon, et les tourbes ligneuses, qui constituent la houille ou charbon de terre. Ces dernières sont formées par des masses d’arbres dont plusieurs sont quelquefois assez bien conservés pour qu’on puisse en déterminer l’espèce. Dans la production des tourbes, l’eau est le principal et peut-être le seul agent de la décomposition des plantes, qui sont garanties par ce fluide du contact immédiat de l’air et du soleil.
Ici se termine l’histoire physiologique des plantes; nous avons vu comment elles naissent, s’accroissent, vivent, se reproduisent, meurent et se décomposent; nous les avons vues se mouvoir, veiller, dormir, sentir, aimer, souffrir. Il nous reste à peindre les mœurs de chaque tribu, de chaque famille, leurs goûts, leurs usages, leurs lois; ce sera l’objet de notre seconde partie.
SECONDE PARTIE

MÉTHODES-FAMILLES
Dieu seul sait quel est le nombre des espèces de plantes qui couvrent notre globe; quant à nous, chétifs, nous n’en connaissons qu’un peu plus de vingt mille. Il est vrai que ce nombre augmente tous les jours, et que, les savants aidant, il continuera à augmenter jusqu’à la fin des siècles; car, je l’ai déjà dit, les savants commencent et ne finissent jamais.
En attendant, vingt mille nous paraît un assez joli chiffre, et s’il nous fallait faire l’histoire de chaque individu, ce ne serait pas trop de l’assistance de trois ou quatre de ces savants, laborieux et patients, bénédictins qui ont enfanté tant d’in-folio dont l’aspect seul suffit pour jeter la terreur dans l’âme du lecteur le plus intrépide. Heureusement nous avons les méthodes, qui simplifient singulièrement cette tâche immense.
D’abord la botanique fut le patrimoine de quelques hommes laborieux qui, recueillant le peu de connaissances acquises sur ce sujet, en firent un tout s’élevant à peine à sept cents espèces, et ils considérèrent ce commencement de science comme une branche de la médecine. Dès les premiers pas, ils sentirent le besoin de classer ces espèces, et ils eurent recours à l’ordre alphabétique. Vint Conrad Gesner, qui conçut l’idée de ranger les plantes par classes, selon les caractères fournis par la fleur et le fruit. A ce dernier succéda Césalpin, médecin du pape Clément VIII, qui tira la botanique du chaos en établissant sa méthode sur l’absence, la présence et le nombre des cotylédons. Plusieurs lui succédèrent jusqu’à Linné, qui fit faire à la science un pas de géant, et divisa les grandes tribus acotylédone, monocotylédone et dicotylédone en vingt-quatre classes. Puis, avant et après beaucoup d’autres, vint de Jussieu, auteur de la méthode dite naturelle, que nous avons adoptée.
M. de Jussieu divise les trois tribus en quinze classes, savoir: les plantes cotylédones, une classe, huit familles;
Les plantes monocotylédones, trois classes, dix-neuf familles;
Les plantes dicotylédones, onze classes, soixante-dix-sept familles.
En tout, quinze classes et cent quatre familles rangées dans cet ordre:
PLANTES ACOTYLÉDONES
| PREMIÈRE CLASSE ACOTYLÉDONIE |
|
| 1. Algues. | 5. Mousses. |
| 2. Champignons. | 6. Fougères. |
| 3. Lichénées. | 7. Cycadées. |
| 4. Hépatiques. | 8. Rhizospermes. |
PLANTES MONOCOTYLÉDONES
| DEUXIÈME CLASSE ACOTYLÉDONIE |
17. Commélinées. |
| 18. Alismacées. | |
| 19. Colchicacées. | |
| 9. Naïadées. | 20. Liliacées. |
| 10. Aroïdées. | 21. Broméliées. |
| 11. Typhacées. | 22. Narcissées. |
| 23. Iridées. | |
| TROISIÈME CLASSE MONOPÉRIGYNIE |
|
| QUATRIÈME CLASSE ÉPISTAMINIE |
|
| 12. Cypéracées. | |
| 13. Graminées. | 24. Musacées. |
| 14. Palmiers. | 25. Amomées. |
| 15. Asparagées. | 26. Orchidées. |
| 16. Joncées. | 27. Hydrocharidées. |
PLANTES DICOTYLÉDONES
| CINQUIÈME CLASSE PÉRISTAMINIE |
44. Personnées. |
| 45. Solanées. | |
| 46. Borraginées. | |
| 28. Aristolochiées. | 47. Convolvulacées. |
| 48. Polémoniacées. | |
| SIXIÈME CLASSE MONOÉPIGYNIE |
49. Bignoniées. |
| 50. Gentianées. | |
| 51. Apocynées. | |
| 29. Éléagnées. | 52. Sapotées. |
| 30. Daphnoïdes. | |
| 31. Protéacées. | NEUVIÈME CLASSE PÉRICOROLLIE |
| 32. Lauroïdées. | |
| 33. Polygonées. | |
| 34. Atriplicées. | 53. Diospyrées. |
| 54. Rhodoracées. | |
| SEPTIÈME CLASSE HYPOSTAMINIE |
55. Ericoïdes. |
| 56. Campanulacées. | |
| 35. Amarantées. | DIXIÈME CLASSE SYNANTHÉRIE |
| 36. Plantaginées. | |
| 37. Nyctaginées. | |
| 38. Plombaginées. | 57. Chicoracées. |
| 58. Cyranocéphales. | |
| HUITIÈME CLASSE HYPOCOROLLIE |
59. Corymbifères. |
| ONZIÈME CLASSE CORISANTHÉRIE |
|
| 39. Primulacées. | |
| 40. Achantées. | |
| 41. Jasminées. | 60. Dispacées. |
| 42. Verbénacées. | 61. Rubiacées. |
| 43. Labiées. | 62. Caprifoliées. |
PLANTES DICOTYLÉDONES
— SUITE —
| DOUZIÈME CLASSE ÉPIPÉTALIE |
85. Cistées. |
| 86. Qutacées. | |
| 87. Caryophyllées. | |
| 63. Araliées. | |
| 64. Ombellifères. | QUATORZIÈME CLASSE PÉRIPÉTALIE |
| TREIZIÈME CLASSE HYPOPÉTALIE |
|
| 88. Portulacées. | |
| 89. Saxifragées. | |
| 65. Renonculacées. | 90. Crassulées. |
| 66. Papavéracées. | 91. Cactoïdes. |
| 67. Crucifères. | 92. Onagrées. |
| 68. Capparidées. | 93. Mirtées. |
| 69. Sapindées. | 94. Mélastomées. |
| 70. Acéridées. | 95. Lythrées. |
| 71. Malpighiacées. | 96. Rosacées. |
| 72. Hypéricées. | 97. Légumineuses. |
| 73. Guttifères. | 98. Térébinthacées. |
| 74. Hespéridées. | 99. Rhamnides. |
| 75. Méliacées. | |
| 76. Sarmentacées. | |
| 77. Géraniées. | QUINZIÈME CLASSE DICLINIE |
| 78. Malvacées. | |
| 79. Magnoliers. | |
| 80. Anonées. | 100. Euphorbiées. |
| 81. Ménispermées. | 101. Cucurbitacées. |
| 82. Berbéridées. | 102. Urticées. |
| 83. Hermanniées. | 103. Amentacées. |
| 84. Liliacées. | 104. Conifères. |
Le nombre des familles a été porté par d’autres auteurs à cent douze, à cent quarante, à cent quatre-vingt-quatre. Ce n’est pas qu’ils aient trouvé de nouvelles familles, mais ils en ont fractionné quelques-unes, et ils ont élevé arbitrairement certains genres à la dignité de familles. Nous ne voyons pas que cela serve beaucoup à la science. Ne pouvant faire mieux, les derniers venus ont tenté de faire autrement. Il faut bien trouver quelque aliment à cet insatiable amour-propre qui tourmente les faiseurs de livres.
La méthode de M. de Jussieu est évidemment la plus rationnelle de toutes; il n’a fait des plantes acotylédones qu’une seule classe, par la raison qu’elles ne présentent ni fleurs ni fruits. Les monocotylédones sont classées selon que les étamines sont disposées. Les étamines sont nommées épigynes lorsqu’elles sont attachées sur le pistil; hypogynes, si elles sont placées à la base de l’ovaire, et périgynes, quand elles sont placées sur le calice; ce qui explique les noms donnés aux trois classes des plantes monocotylédones: monohypogynie, monopérigynie et monoépigynie.
Les onze classes de dicotylédones sont établies sur l’absence, la présence de la corolle, et sur le nombre de ses pièces: d’où sont résultées les dicotylédones apétales, formant trois classes, d’après le mode d’insertion des étamines; les dicotylédones monopétales, formant quatre classes, suivant que la corolle staminifère est hypogyne, périgyne, épigyne à anthères soudées, épigyne à anthères libres; les dicotylédones polypétales, divisées en trois classes également, d’après leur mode d’insertion. Enfin, la quinzième classe, diclinie, est composée de plantes diclines, c’est-à-dire irrégulières.
Mon Dieu! nous savons que cela est peu plaisant, mais nous espérons l’avoir rendu clair, et c’est en vérité tout ce qu’il est humainement possible de faire en pareille matière. Qu’on n’oublie pas, de grâce, qu’il n’est point de plaisir, même parmi les plus petits, qui ne coûte une peine, et que les mots les plus rudes s’adoucissent sur de jolies lèvres. Et puis, nous voici tout à l’heure hors de ces ronces; nous allons visiter ces nombreuses familles, et là nous attendent les anecdotes de toute nature, les révélations, les épisodes gais ou terribles, etc.
PREMIÈRE CLASSE
ACOTYLÉDONIE
La famille des algues, la première de cette classe, est placée sur la dernière limite du règne végétal. Ce sont d’abord les conferves, ces filaments verdâtres que l’on voit sur les mares, les eaux stagnantes en général. Ces filaments, qui semblent au premier aspect une sorte de limon flottant, sont pourtant doués de certains mouvements spontanés; ils s’entrelacent et se rapprochent intimement à certaines époques. Puis viennent les fucus ou varechs, qui peuplent les eaux de la mer, et parmi lesquels on remarque d’abord le fucus sacré, qui se couvre d’efflorescences blanches et sucrées, que les Irlandais mangent avec un grand plaisir après les avoir soumises au feu. Mais le genre le plus remarquable de cette famille est le fucus géant et nageant, immense lanière dont la longueur est souvent de plusieurs centaines de pieds, et qui, sur les mers équatoriales, arrête quelquefois les vaisseaux. C’est ce qui arriva à Christophe Colomb, marchant à la découverte d’un nouveau monde. Déjà ses compagnons épouvantés faisaient entendre des menaces et voulaient obliger leur chef à revenir en Europe, Colomb insiste pour aller en avant; il demande quelques jours, promettant qu’on ne peut tarder à voir la terre qu’il cherche, parce que son génie l’a devinée. Tout à coup, les caravelles s’arrêtent au milieu de l’Océan; la sédition va éclater. De toutes parts, on n’aperçoit qu’une vaste forêt flottante. Mais enfin, le vent qui était tombé s’élève; les caravelles glissent à travers ces algues immenses; le nouveau monde est découvert!
Après les algues viennent les champignons, qui n’ont guère de ressemblance avec les familles dont ils sont environnés, mais dont la place est marquée par les caractères négatifs communs à toute cette classe. Cette famille, qui n’a ni feuilles, ni fleurs, ni aucun organe qui y ressemble, présente à la fois des mets délicats et des poisons terribles: à côté de la truffe parfumée, de la morille, de l’excellent champignon comestible, croissent les espèces les plus vénéneuses!
Dans la famille des champignons sont comprises ces moisissures, ces sortes de duvets poudreux, cotonneux, que l’humidité fait naître sur le vieux bois et les végétaux à demi pourris dont ils hâtent la destruction. Cette famille nombreuse présente quelques genres d’un aspect agréable, comme l’oronge, dont le globe, d’un rouge éclatant, tranche sur les tapis de verdure. Mais quand on pense au venin mortel que renferment quelques espèces, la beauté des autres disparaît: qu’importe l’enveloppe, quand le cœur ne recèle que fiel et corruption!
Nous remarquerons encore dans cette classe les lichens, qui naissent partout où l’on pourrait croire la végétation impossible, sur la tête nue des rochers, sur le sommet des monuments, la surface polie des pierres. D’abord, les lichens apparaissent chétifs, souffreteux; mais ce sont de pauvres enfants qui vivent de si peu qu’ils grandissent partout. A force de persévérance, ils creusent la pierre, s’y font une demeure; les générations se succèdent, et la végétation devient vigoureuse là où elle semblait ne pouvoir s’établir. Le lichen est l’aliment du renne, qui lui-même est la seule ressource du Lapon. Le lichen d’Islande se transforme, par la cuisson, en une gelée abondante qui est la nourriture principale de plusieurs peuplades de l’Amérique du Nord; d’une autre espèce, commune en Suède, on tire une sorte de cire dont on fait des bougies, et plusieurs autres contiennent des principes colorants d’un assez grand prix: tant il est vrai qu’il ne faut pas dédaigner le faible, et que dans l’ordre des choses la place qu’occupent les infiniment petits est presque toujours la plus légitimement conquise!
La famille des mousses est la plus élégante, la plus jolie de cette classe. Les mousses sont de charmants petits arbres en miniature qu’on ne peut se lasser d’admirer; les tapis qu’elles forment à l’ombre des forêts rivalisent d’éclat avec les plus beaux velours; et non-seulement elles sont vivaces pour la plupart, mais elles possèdent la singulière propriété de reverdir et de revivre lorsqu’on les humecte, même après qu’elles ont été desséchées depuis plusieurs années. Cette famille contient un grand nombre de genres. Les plus remarquables sont les polytrichs, dont le Lapon, à l’exemple de l’ours, se fait un lit fort doux; les bries, les hypnes, les phasques, dont on se sert pour le calfat des bateaux.
Nous ne dirons rien des hépatiques, petites plantes herbacées qui naissent dans les lieux humides, non plus que des cycadées, petite famille qui tient le milieu entre les palmiers et les fougères, et qu’on ne trouve que dans l’Inde et au Japon; nous passerons également sur les rizospermes, petite plante aquatique à laquelle on ne connaît aucune propriété.
Quant aux fougères, dont les espèces sont assez nombreuses, c’est dans leurs cendres que l’on a su trouver un produit intéressant: elles contiennent abondamment de la potasse qu’on en extrait pour la fabrication du verre, et c’est en faisant allusion à l’origine de cette potasse, que les poètes ont célébré le vin qui rit dans la fougère.
DEUXIÈME CLASSE
MONOHYPOGYNIE
Cette classe ne renferme que trois familles: celle des naïadées est assez nombreuse; elle se compose, ainsi que l’indique son nom mythologique, de plantes qui croissent dans l’eau; l’espèce la plus remarquable est la vallisnère-spirale. Elle est assez commune dans le Rhône; elle porte ses fleurs sur une longue tige roulée en spirale, qui reste constamment sous les eaux pendant six mois, après quoi la spirale se déroule, et la plante s’élève au-dessus de la surface. C’est cette singularité qui a inspiré ces vers à un poète botaniste:
Les aroïdées, qui forment la deuxième famille de cette classe, ne sont pas moins remarquables. D’une racine ordinairement charnue et tuberculeuse s’élèvent de magnifiques feuilles palmées ou en fer de flèche, d’un vert plus ou moins foncé, quelquefois même diaprées du plus beau pourpre, et rivalisant alors d’éclat avec les fleurs elles mêmes. Au milieu de ces feuilles, et sur une hampe élancée, se déroule une spathe colorée en forme de cornet, enveloppant une colonne florifère à laquelle succède une belle grappe de baies colorées du plus brillant vermillon. Du cornet d’une aroïdée, la calle d’Ethiopie, s’échappe une odeur des plus suaves, tandis que des émanations fétides et cadavéreuses s’exhalent d’une autre espèce, l’arum serpentaire. Il est si rare de trouver réunies la beauté et la bonté!
La famille des typhacées ne se compose que de deux genres: le typha ou massette, et le rubanier ou ruban d’eau, dont on emploie les tiges et les feuilles pour tresser des paillassons, et dont le fruit contient une poudre inflammable.
TROISIÈME CLASSE
MONOPÉRIGYNIE
C’est dans la première famille de cette classe, les cypéracées, plantes herbacées, naissant dans des lieux marécageux, que se trouve le souchet papyrier, qui croît en abondance sur les bords du Nil, et avec lequel les anciens fabriquaient leur papier appelé papyrus. C’était en découpant, étalant et collant ensuite côte à côte les lames desséchées de son tissu, sur lesquelles on collait une autre couche de lames en croisant les fibres à angles droits, et passant la pierre ponce sur le tout, qu’on faisait ce grossier papier dont de nombreux restes ont cependant, malgré leur fragilité, traversé les siècles, et offrent aujourd’hui à notre curiosité les écritures autographes des Égyptiens, des Grecs et des Romains.
A cette classe aussi appartient l’immense et abondante famille des graminées. Les formes sveltes et élancées des graminées, qui permettent à un grand nombre d’occuper très-peu de place, s’harmonient si bien avec les formes variées des autres végétaux, que ce contraste et cette opposition ne lassent jamais. Mais des qualités plus précieuses rendent cette famille bien autrement intéressante: ces frêles végétaux portent la nourriture du monde; dans toutes les contrées, sous tous les climats, des semences de graminées forment l’aliment principal des hommes. C’est ainsi qu’en Europe, les céréales, le blé (fig. 36), le seigle, l’orge, ces antiques compagnons du genre humain, ces plantes si anciennement domestiques, qu’on ne les retrouve presque plus dans l’état sauvage, et qu’elles ne peuvent plus vivre loin de la tutelle de l’homme, sont la base de sa nourriture. Dans l’Inde, et dans tous les pays facilement submergés, le riz les remplace et suffit presque seul à la substantation de nations entières. Enfin, c’est encore dans la famille des graminées que se trouve la canne à sucre, originaire de la Chine, et qui, transportée à Saint-Domingue en 1506, fut ensuite répandue dans une grande partie de la région équatoriale de l’Amérique. Il est remarquable qu’elle a perdu la faculté de donner des graines; c’est par les rejetons qu’on la perpétue maintenant. La matière sucrée est contenue dans la tige. Pour l’en retirer on écrase les tiges, on met sur le feu la liqueur qu’on en obtient, et on l’épure par une série de procédés, jusqu’à en faire du beau sucre blanc et cristallisé, source de si nombreuses jouissances gastronomiques.
Après la famille des graminées, il n’en est pas de plus importante que celle des palmiers. Presque tous les palmiers sont de grands et admirables arbres dont la tige, qu’on appelle stipe, égale dans toute sa longueur, et ne se ramifiant point, forme une colonne élancée, terminée par une couronne toujours verdoyante de feuilles ailées ou en éventail. Les fleurs, qui se changent en grappes appelées régimes, sortent, entre les feuilles, d’une enveloppe particulière qu’on nomme spathe. Les palmiers sont tous habitants des contrées chaudes du globe et étrangers à l’Europe, à l’exception d’une seule espèce. C’est parmi eux que se trouvent les plus élevés des végétaux, comme le palmier cirier des Cordillères, qui produit une cire abondante propre à l’éclairage, et dont la hauteur dépasse souvent deux cents pieds: mais cette grandeur n’est rien en comparaison de leur utilité, des bienfaits qu’ils répandent autour d’eux, et qui en font un objet de respect et d’admiration. C’est parmi eux qu’un seul arbre, comme le cocotier, le sagoutier, suffit à tous les besoins de l’homme qui vit à ses pieds. Il n’est aucune des parties du palmier, à quelque espèce qu’il appartienne, qui ne serve à la nourriture ou à la conservation de la santé de l’homme. La tige de plusieurs, particulièrement celle du sagoutier, offre dans sa moelle, convertie par la vieillesse en une espèce de farine, un aliment éminemment nutritif, appelé sagou. Dans plusieurs autres, les feuilles non encore développées, rassemblées en bourgeon terminal, se mangent sous le nom de chou-palmiste. Leur séve, que l’on recueille au moyen d’incisions faites aux spathes, et qui fermente aisément à cause de la grande quantité de sucre qu’elle contient, fournit une liqueur excellente qu’on appelle vin de palmier, et dont on tire, par la distillation, une espèce d’eau-de-vie appelée rack. Mais c’est surtout à cause de leurs fruits que les palmiers sont éminemment précieux pour l’homme, et ces fruits délicieux, ils les portent en abondance. Le dattier offre aux habitants de la Syrie et de plusieurs autres contrées ses longs régimes de dattes savoureuses, nourriture tellement indispensable pour un grand nombre de tribus arabes, que ces peuples ne peuvent croire qu’il y ait au monde des pays habités où l’on ne trouve point de dattier. Le cocotier fournit aux Indiens une nourriture aussi agréable qu’abondante, et le lontar des Sechelles abandonne tous les ans aux flots ses fruits d’une forme bizarre, les plus gros qui soient portés par un arbre. Cette espèce de flotte vient aborder régulièrement aux îles Maldives. La singulière apparition de ces fruits, dont on ignorait autrefois l’origine, avait fait penser qu’ils étaient produits par des plantes sous-marines. Enfin, des tiges souples du palmier on fait des cordages, des nattes, des siéges, des cannes, etc.; et telle est la beauté de ce végétal, les bienfaits qu’il répand ont éveillé dans le cœur de l’homme un si vif sentiment de reconnaissance, que l’on a fait des feuilles du palmier l’emblème des plus hautes récompenses et le symbole de la victoire.
La quatrième famille de cette classe est celle des asparagées, famille composée de genres qui paraissent bien divers. Ainsi, elle comprend les asperges, le muguet, le fragon épineux, les ignames, etc.
Après cette dernière se placent les joncées, qui ont beaucoup de rapports avec les cypéracées (voir plus haut); puis les commélinées et les alismacées, qui sont peu importantes, bien qu’elles offrent quelque ressemblance avec les liliacées; les colchicacées, parmi lesquelles se trouvent quelques plantes magnifiques, telles que les méthoniques, vulgairement appelées superbes du Malabar; les érithrones, les hélanias, la mérendère des Pyrénées. En automne, nos prairies se couvrent d’une grande quantité de fleurs roses charmantes: c’est le colchique, qui donne son nom à la famille.
Nous voici arrivés à la famille des liliacées, une des plus nombreuses et des plus brillantes du règne végétal, famille glorieuse, ainsi que l’appelait le célèbre botaniste Ventenat, qui la considérait comme la plus grande gloire de l’empire de Flore, appréciation mythologique qui, pour être bien vieille, n’en est pas moins juste. Nulle autre famille, en effet, n’égale celle des liliacées en richesse de couleurs, en élégance de formes, en suavité de parfums. Nommer quelques-unes des plantes qui la composent, suffit pour faire naître les pensées les plus riantes et les plus poétiques que le spectacle de la nature puisse inspirer. A la tête de cette splendide famille, il est juste de placer le lis blanc; puis, aux premiers rangs, le lis turban, dont les fleurs du plus beau rouge écarlate ou d’un jaune admirable ont la forme d’un turban; le lis martagon; le lis de Chalcédoine, aux couleurs purpurines éclatantes; le lis superbe (fig. 37), dont la magnifique girandole est portée sur une tige de près de cinq pieds de hauteur.
Plus humble dans son port, mais non moins riche de coloris, la tulipe suit immédiatement; elle est, sans contredit, un des plus beaux ornements de nos jardins par l’inépuisable variété de ses couleurs; du blanc le plus pur au brun le plus sombre, du rose tendre au violet, du jaune d’or au rouge le plus éclatant, il n’est aucune nuance qu’elle ne puisse offrir, et lorsque, pour la première fois, on jette un coup d’œil sur une plate-bande de tulipes bien choisies, on est tenté de pardonner les folies qu’on a faites, il y a un siècle, pour s’en procurer: à cette époque, certains oignons de tulipes furent payés jusqu’à vingt mille francs; on appela les amateurs exagérés qui faisaient de tels sacrifices des fous-tulipiers. Les fous-tulipiers ne sont pas encore rares de nos jours, et nous devons à M. Alphonse Karr, auteur de l’introduction de nos Fleurs animées, cette charmante anecdote qu’il a publiée ailleurs sous ce titre:
HISTOIRE VÉRITABLE D’UNE TULIPE
Un amateur de tulipes faisait l’exhibition de ses fleurs:—il s’était livré à tous les exercices usités en pareil cas,—entre autres, l’exercice de la baguette, qui consiste à appuyer la baguette de démonstration sur la tige de la tulipe, en feignant d’employer toutes ses forces, sans pouvoir réussir à la courber,—et à dire: «Je vous recommande la tenue de celle-ci: c’est une tringle, messieurs, c’est une barre de fer.»
En effet, il est convenu entre ces messieurs qu’une tulipe qui ne pèse pas le quart d’une once doit être portée par une barre de fer,—de même que, vers 1812, je crois,—il a été défendu aux tulipes d’être jaunes.
Il avait montré Gluck, cette plante si méritante,—à fond blanc strié de violet;—et Joseph Deschiens,—un vrai diamant, également blanc et violet;—et Vandaël, cette perle du genre, toujours blanche et violette;—et Czartoriski, fleur de 5e ligne, blanche et rose, remarquable par l’extrême blancheur des onglets;—et Napoléon Ier, et le Pourpre incomparable, et seize cents autres,—lorsqu’il arriva à une tulipe devant laquelle il s’arrêta avec un sourire ineffable, la désignant du geste,—mais sans parler;—un des visiteurs demanda si cette tulipe n’avait pas un nom comme les autres.
Le maître des tulipes mit un doigt sur sa bouche,—comme eût fait Harpocrate, le dieu du silence,—puis il dit: Voyez quelle magnificence de coloris,—quelle forme,—quels onglets, quelle tenue, quelle pureté de dessin,—quelle netteté dans les stries,—comme c’est découpé,—comme c’est proportionné!—C’est une tulipe sans défaut.
—Et vous l’appelez?
—Chut! c’est une tulipe qui, à elle seule, vaut tout le reste de ma collection; il n’y en a que deux au monde, Messieurs.
—Mais son nom?
-Chut!... son nom... je ne puis le prononcer sans forfaire à l’honneur...—Je serais bien fier et bien malheureux de dire son nom, de le dire à haute voix,—de l’écrire en lettres d’or au-dessus de sa magnifique corolle; c’est un nom connu et respecté.
—Pardon, Monsieur, je n’insiste pas,—cela paraît tenir à la politique; peut-être est-ce le nom de quelque fameux proscrit;—je ne veux pas me compromettre... D’ailleurs, nous ne partageons pas peut-être les mêmes opinions...
—Nullement, Monsieur, ce nom n’a rien de politique; mais j’ai juré sur l’honneur de ne pas la faire voir sous son vrai nom;—elle est ici incognito, sous l’incognito le plus sévère;—peut-être même en ai-je trop dit... Mais avec tout le monde, avec les gens pour qui je n’ai pas l’estime que vous m’inspirez,—je ne vais pas aussi loin;—je n’avoue même pas que c’est une tulipe, la reine des tulipes; je passe devant avec une indifférence,—une indifférence jouée,—comprenez bien.—Je la désigne sous le nom de Rebecca, mais ce n’est pas son nom...
Les amateurs partirent et moi avec eux; mais je retournai le lendemain, et je lui dis:
—Mais, enfin, c’est donc un mystère bien terrible?
—Vous allez en juger. Cette tulipe... que nous continuerons à appeler Rebecca... était en la possession d’un homme qui l’avait payée fort cher,—surtout parce que, sachant qu’il y en avait une autre en Hollande, il était allé l’acheter, et l’avait écrasée sous les pieds pour rendre la sienne unique.—Tous les ans elle excitait l’envie des nombreux amateurs qui vont voir sa collection; tous les ans, il avait soin de détruire les caïeux qui se formaient autour de l’oignon et qui auraient pu la reproduire.—Pour moi, Monsieur, je n’ose pas vous dire ce que je lui avais offert pour l’un de ces caïeux qu’il pile tous les ans dans un mortier; j’aurais engagé mon bien, compromis l’avenir de mes enfants!
Je ne regardais plus ma collection; mes plus belles tulipes ne pouvaient me consoler de ne pas avoir celle... que je ne dois pas nommer. En vain mon ami...—dois-je appeler ainsi un homme qui me laissait dépérir sans pitié?—en vain mon ami me disait: Venez la voir tant que vous voudrez. J’y allais,—je m’asseyais devant des heures entières; on ne me laissait jamais seul avec elle,—on eût craint sans doute ma passion.—En effet... je l’aurais peut-être volée,—je l’aurais peut-être arrosée d’une substance délétère pour la faire périr; au moins, elle n’aurait pas existé, et je n’aurais pas eu de remords!
Quand Gygès tua Candaule pour avoir sa femme, tout le monde donna tort au roi Candaule, qui avait voulu la faire voir à Gygès, toute nue, sortant du bain.—On n’a qu’à ne pas montrer la tulipe.—J’arrivai à un tel état de désespoir,—qu’une année je ne plantai pas mes tulipes,—mes chères tulipes.—Mon jardinier eut pitié d’elles et peut-être de moi,—et le rustre... je le lui pardonne,—car il les a sauvées,—les planta au hasard,—dans une terre vulgaire.
—Mais enfin, comment avez-vous eu cette tulipe?
—Voilà la chose... Je n’ai pas tout à fait imité Gygès, quoique mon ami ne se soit pas montré plus délicat que Candaule, mais cependant j’ai fait un crime: j’ai fait voler un caïeu.—Candaule a un neveu... Ce neveu, qui attend tout de son oncle, lequel est fort riche, l’aide à planter et à déplanter ses tulipes, et affecte pour ces plantes une admiration qu’il n’a pas, le malheureux! mais sans laquelle son oncle ne supporterait même pas sa présence.—L’oncle est riche, mais il n’est pas d’avis que les jeunes gens aient beaucoup d’argent... Le neveu avait contracté une dette qui le tourmentait beaucoup... Son créancier menaçait de faire sa déclaration à son oncle.—Il s’adressa à moi et me supplia de le tirer d’embarras.—Je fus cruel, Monsieur, je refusai net.—Je me plus à lui exagérer la colère où serait son oncle quand il aurait appris l’incartade. Je le désespérai bien,—puis je lui dis: Cependant, si tu veux, je te donnerai l’argent dont tu as besoin.
—Oh! s’écria-t-il, vous me sauvez la vie.
—Oui, mais à une condition.
—A mille, si vous voulez.
—Non, une seule:—tu me donneras un caïeu de la... tulipe en question.
Il recula d’horreur à cette proposition.
—Mon oncle me chassera, s’écria-t-il,—me chassera et me déshéritera!
—Oui, mais il ne le saura pas,—tandis qu’il saura certainement que tu as fait des dettes.
—Mais s’il le savait jamais!
—A moins que tu ne le lui dises...
—Mais vous...
Enfin, je le pressai, j’effrayai le malheureux jeune homme; il promit de me donner un caïeu quand on déplanterait les tulipes,—mais il exigea mon serment sur l’honneur de ne jamais nommer... celle que j’appelle Rebecca, à personne—et de lui donner un autre nom—jusqu’à la mort de son oncle.
En échange de cette promesse, je lui donnai l’argent dont il avait besoin. Depuis, nous avons tenu tous deux nos serments: j’ai eu la tulipe, et je ne l’ai nommée à personne.—La première fois qu’elle a fleuri ici,—chez moi,—étant à moi,—l’oncle est venu voir mes tulipes.—C’est une politesse qu’on échange entre amateurs.—Il l’a regardée et a pâli.—Comment appelez-vous ceci? m’a-t-il dit d’une voix altérée.
Ah! Monsieur, je pouvais lui rendre tout ce qu’il m’avait fait souffrir!—Je pouvais lui dire le nom... que vous ne savez pas... Je me suis rappelé ma promesse, ma promesse sur l’honneur, et le neveu était là, il me regardait avec angoisse,—et j’ai dit: Rebecca.
Cependant, il trouvait bien quelque ressemblance;—aussi il est resté préoccupé;—il a beaucoup loué le reste de ma collection, et n’a rien dit de celle qui est la perle, le diamant de ma collection.—Il est revenu le lendemain,—puis le surlendemain,—puis tous les jours tant qu’elle a été en fleur;—puis il a réussi à se tromper lui-même: il a cru voir entre Rebecca et... l’autre... des différences imaginaires. Alors il a dit: Elle ressemble un peu à... vous savez?
Eh bien, Monsieur, j’ai aujourd’hui la tulipe que j’ai tant désirée—et je ne suis pas heureux.—A quoi cela me sert-il, puisque je ne puis le dire à personne?
—Quelques amateurs,—forts,—la reconnaissent à peu près:—mais je suis forcé de nier,—et je n’en rencontre pas un assez sûr de lui pour me dire:—Vous êtes un menteur!—Je souffre tous les jours d’affreux tourments:—j’entends ici faire l’éloge de la tulipe que j’ai comme lui.—Quand je suis seul, je m’en régale, je l’appelle de son vrai nom, auquel je joins les épithètes les plus tendres et les plus magnifiques.—L’autre jour, j’ai eu un peu de plaisir:—je l’ai prononcé, ce nom mystérieux,—tout haut, à un homme.—Mais je n’ai pas manqué à mon serment:—cet homme est sourd à ne pas entendre le canon.
Eh bien! cela m’a un peu soulagé;—mais c’est incomplet.—On ne sait pas que je l’ai,—elle...—Tenez... ayez pitié de moi,—mon serment me pèse... Jurez-moi sur l’honneur, à votre tour, de ne pas répéter ce que je vais vous dire... Je vous dirai alors son vrai nom,—le vrai nom de Rebecca,—de cette reine déguisée en grisette.—Votre serment à vous ne sera pas difficile à tenir,—vous n’aurez pas à lutter comme moi, Monsieur. C’est affreux,—mais je désire que cet homme, que ce Candaule soit mort,—pour dire tout haut que j’ai... Tenez, faites-moi le serment que je vous demande.
J’eus pitié de lui, et je lui promis solennellement de ne pas répéter le nom de la fameuse tulipe.
Alors, avec une expression d’orgueil intraduisible,—il toucha la plante de sa baguette, et me dit:—Voici...
Mais, à mon tour, je suis engagé par un serment:—je ne puis dire le nom qu’il fut si heureux de prononcer.
—Croyez-vous qu’on invente ces choses-là?
On remarque encore dans cette famille la majestueuse fritillaire, ou couronne impériale, l’un des ornements les plus pittoresques des jardins; les hémérocalles, dont les fleurs sont presque aussi belles que celles du lis; les yucca, charmants arbrisseaux qui ressemblent un peu au palmier; et une foule d’autres genres qui seuls suffiraient pour justifier le titre de glorieuse donné à cette si belle et si nombreuse réunion.
Auprès de cette superbe famille, dont nous n’avons pu dire toutes les beautés, vient s’en grouper une autre toute petite, celle des broméliées, formée seulement de trois genres, l’ananas ou bromelia, le pitcairnia et la tillandrie. L’ananas est le genre le plus remarquable des trois, et il est assez connu par la délicieuse saveur de son fruit.
Après cette petite famille en vient une immense et belle, celle des narcissées, qui disputent aux liliacées le prix de la beauté des fleurs, de l’élégance du port et de la suavité des parfums. En tête de cette famille se placent les amaryllis, genre si nombreux et si varié, que nous n’en saurions ici énumérer les espèces. Parlons de la plus remarquable, de l’amaryllis gigantesque, qui est peut-être la plus belle des fleurs connues: son oignon, d’une grosseur énorme, pousse, au milieu d’une touffe de feuilles de la plus grande dimension, une tige de trois pouces de diamètre et de plus de deux pieds de hauteur, du sommet de laquelle, et en tous sens, s’étalent au moins soixante pédicules fort longs, terminés chacun par une fleur d’un rose vif, rayée d’un rose plus foncé, et de trois pouces de longueur. Qu’on se figure l’éclat de cette magnifique couronne de plus de six pieds de circonférence, et dont on chercherait en vain dans tout le règne végétal un second exemple! Cette plante si belle a fleuri en France pour la première fois dans le cours de l’année 1820.
C’est à la famille des narcissées qu’appartiennent en outre la jonquille (fig. 38), le narcisse de Constantinople, celui de Chypre, le lis des Incas, les hémantes, les galantines, les perce-neige et l’agavé, dont la floraison est un objet d’admiration: après une croissance d’un grand nombre d’années, l’agavé, ayant acquis toutes ses forces, accomplit ce phénomène: du milieu de ses feuilles s’élève, ou plutôt s’élance, tant son développement est rapide, une tige nue, haute de quinze à vingt pieds, terminée par une immense quantité de fleurs jaune verdâtre, disposées en une magnifique pyramide. Cet accroissement subit s’exécute en quinze jours environ; puis bientôt les fleurs passent, la tige se flétrit, et la plante meurt en laissant un nombre infini de graines et quelques rejetons qui offrent un moyen plus prompt de la propager.
La dernière famille de la classe MONOPÉRIGYNIE se compose des iridées, dont les iris sont le genre principal et le plus nombreux; les deux autres genres les plus importants sont les ixia, dont les fleurs offrent toutes les couleurs et toutes les nuances imaginables, et les glaïeuls, dont les fleurs, aussi fugaces que belles, ne vivent que quelques heures.
QUATRIÈME CLASSE
MONOÉPIGYNIE
Quatre familles seulement composent la quatrième classe: la première est celle des musacées, peu nombreuses en genres, mais qui comptent parmi eux les bananiers, ce qui suffit à son illustration. On croirait aisément, en voyant ce beau et vigoureux végétal, dont la tige a communément trois pieds de circonférence et quinze pieds de hauteur, que c’est un arbre d’une grande solidité et d’une existence durable. Ce n’est pourtant qu’une plante herbacée dont la vie, dans les contrées voisines de l’équateur, ne dure jamais une année entière. Dans les climats tempérés, où, pour la faire croître et fructifier, il faut que l’art vienne au secours de la nature, sa vie se prolonge pendant une assez longue suite d’années; elle peut même être d’un siècle; mais il ne peut éviter sa destinée, qui est de périr dès qu’il a donné ses fruits.
Tout récemment, alors que la fièvre de la commandite était dans toute sa violence, des spéculateurs s’en étaient pris au bananier; ils prétendaient pouvoir faire du papier avec la tige de cette plante. Vite, la prétendue découverte est mise en actions au capital de plusieurs millions: les actionnaires vinrent... Où n’en viendrait-il pas? On fit réellement du papier de bananier; mais il était fort mauvais, et il revenait à un prix quadruple de celui fabriqué par les procédés et avec les matières ordinaires. Il est vrai que les actionnaires avaient le droit d’aller contempler deux bananiers rabougris, souffreteux, qui s’étiolaient dans les salons du gérant, rue Montmartre, no 171, et que ce plaisir ne leur a coûté que quelques centaines de mille francs!... En vérité, quand on pense au genre actionnaire et à quelques autres, on est forcé de convenir que notre orgueil seul a pu nous faire placer le règne auquel nous appartenons au-dessus de celui où se trouvent tant de si belles et si bonnes choses qui ne mentent pas, qui ne volent pas, et dont le muet et doux langage ne passe par les yeux que pour réjouir le cœur... Décidément les fous-tulipiers ne sont pas si fous qu’ils le paraissent!
Les amomées, deuxième famille de cette classe, comprennent le basilier, plante d’ornement, haute de quatre pieds, dont les feuilles sont tournées en cornet avec tant de perfection, que les eaux de la pluie y séjournent comme dans des vases. Dans cette famille sont rangés l’amome gingembre, le curcuma, la zédoaire, et quelques autres genres moins importants.
La bizarrerie est le caractère principal de la famille des orchidées. L’orchis militaire, par exemple, et l’orchis singe présentent, dans chacune de leurs fleurs, l’apparence d’une figure humaine suspendue. Il est vrai que l’imagination aide quelque peu à ces ressemblances; mais elle n’ajoute rien à l’illusion que produisent les fleurs des autres genres de cette famille, qui figurent, les unes des mouches, les autres des taons et plusieurs autres insectes. A cette singularité, la famille des orchidées joint l’avantage de compter parmi ses membres la vanille, qui fournit le plus suave des parfums du règne végétal.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire la dernière famille de cette classe, les hydrocharidées, herbes aquatiques que quelques auteurs ont rangées à tort parmi les naïadées.
CINQUIÈME CLASSE
ÉPISTAMINIE
Cette classe ne contient qu’une seule famille, les aristolochiées, plantes qui habitent ordinairement les pays chauds. C’est dans cette famille que se trouvent les plus grandes fleurs connues: le célèbre voyageur de Humboldt a vu, dans l’Amérique méridionale, des fleurs d’aristoloche qui avaient quatre pieds de circonférence.
SIXIÈME CLASSE
PÉRISTAMINIE
La plupart des genres de la première famille de cette classe, les éléagnées, viennent de l’Inde et de l’Amérique septentrionale. On remarque parmi ces plantes le grignon de Cayenne, l’argousier, les badamiers, et, plus particulièrement, le badamier au vernis, d’où découle la matière résineuse qui forme le célèbre vernis avec lequel les Chinois recouvrent les meubles connus en Europe sous le nom d’objets en laque de Chine.
Les daphnoïdes ne sont pas une famille bien importante; cependant c’est au nombre des genres dont elle se compose que se trouve le bois-dentelle. C’est un arbuste de la Jamaïque dont l’écorce intérieure est formée de fils entrelacés qu’on peut étendre avec un peu de précaution, et qui offre alors une ressemblance frappante avec la dentelle la plus belle, à supposer pourtant que la dentelle soit une jolie chose. On rapportait à une dame de beaucoup d’esprit que cet arbrisseau pouvait parfaitement s’acclimater en Europe, ce qui serait un grand bonheur pour les dames, qui pourraient désormais avoir de très-belle dentelle à bon marché.
—Eh! Monsieur, répondit la dame au nouvelliste mal avisé, ne comprenez-vous pas que les femmes ne font cas de cette laide chose qu’on appelle dentelle, que parce qu’elle coûte un prix fou? Viennent vos arbustes, et personne n’en voudra.
La famille des protéacées se compose de très-beaux arbres qui croissent naturellement en Afrique; le genre le plus remarquable est l’arbre d’argent, dont les feuilles en fer de lance, et d’un éclat presque métallique, reflètent les rayons du soleil d’une manière éblouissante.
Les espèces du genre laurier, qui a donné son nom à la quatrième famille de cette classe, les lauroïdes, sont fort nombreuses et trop connues pour que nous en parlions longuement. Le plus important du genre est le cannellier, espèce de laurier cultivé à Ceylan, et dont l’écorce, enlevée et exposée au soleil, se roule et forme ce que nous appelons la cannelle. Une autre espèce du même genre est le muscadier, dont la graine est connue sous le nom de muscade.
Les polygones, les patiences et les rhubarbes sont les principaux genres de la famille des polygonées. Le blé noir ou sarrasin est le plus important; les patiences et les rhubarbes sont d’une utilité douteuse.
Les atriplicées, sixième et dernière famille de cette classe, sont des plantes potagères, la bette blanche, la betterave, etc. La betterave a acquis depuis trente ans une haute importance. En 1812, on ne connaissait que le sucre de canne, qui valait quatorze francs le kilogramme en France, par suite de la guerre avec l’Angleterre. Des essais furent faits pour obtenir du sucre de quelques plantes indigènes. Les Parisiens se moquèrent beaucoup de ces tentatives; on chansonna le sucre indigène et ses fabricants, et nous nous rappelons avoir vu aux vitres de Martinet, ce musée en plein vent de la rue du Coq, une caricature représentant le roi d’Angleterre et Napoléon, tous deux couronne en tête; l’Anglais lançait à l’Empereur une énorme betterave, en s’écriant: Va te faire sucre! Et voilà qu’aujourd’hui le sucre de betterave, aussi beau, aussi bon, aussi et même plus abondant que le sucre de canne, met en péril les plantations de nos colonies! Les Anglais, qui ont beaucoup ri du mot, trouveraient sans doute, en cas de guerre, la chose fort peu plaisante.
SEPTIÈME CLASSE
HYPOSTAMINIE
Les propriétés des amarantées, première famille de cette classe, sont nulles ou inconnues. Les genres les plus remarquables sont l’amarante tricolore et la queue-de-renard, qu’on cultive dans les jardins.
Les plantaginées sont une petite famille composée des genres plantain (fig. 39) et littorelle; ce sont des plantes herbacées qui croissent sous presque toutes les latitudes.
Les nyctaginées sont ainsi nommées parce que, dans la plupart des espèces de cette famille, les fleurs ne s’épanouissent que pendant la nuit. L’espèce la plus commune est la belle-de-nuit, qu’on appelle aussi merveille du Pérou, parce qu’elle est originaire de ce pays.
La quatrième et dernière famille de cette classe se compose des plombaginées. Ce sont de petites plantes comme le gazon d’Olympe, et d’autres petits gazons employés en bordure dans les jardins.
HUITIÈME CLASSE
HYPOCOROLLIE
La primevère et l’oreille-d’ours sont les principaux genres de la famille des primulacées, la première de la huitième classe. Ces fleurs sont fort connues et peu remarquables.
Les acanthées, qui forment la deuxième famille, sont surtout remarquables à cause de l’élégance de leurs feuilles, qui ont été adoptées pour ornement par les sculpteurs de l’antiquité. Callimaque fut le premier qui s’en servit pour décorer le chapiteau de l’ordre corinthien dont il est regardé comme l’inventeur.
Parure élégante des jardins, les espèces composant la famille des jasminées forment autour d’elles une atmosphère de parfums s’exhalant du lilas et de toutes les espèces de jasmin. Mais le genre le plus important de cette famille est l’olivier, source de prospérité pour la Provence et les contrées méridionales de l’Europe.
On attribuait autrefois aux espèces de la famille des verbénacées des propriétés prodigieuses: ainsi, le genre gattilier passait pour être le remède le plus efficace contre les tourments de l’amour; et la verveine, autre genre de la même famille, jouait un grand rôle dans les enchantements et la sorcellerie. Aujourd’hui il n’y a plus guère que les médecins qui reconnaissent quelque vertu à cette plante, mais ils n’en sont pas plus sorciers pour cela.
Les jolies plantes composant la famille des labiées, plantes dont les caractères sont aussi naturels que les propriétés, habitent plus particulièrement les collines et les lieux exposés au soleil; tels sont le thym, la sarriette, la sauge, qui forment un si agréable assaisonnement. Un phénomène curieux s’observe dans une espèce de cette famille, le dracocephalum variegatum: les fleurs, au nombre de quatre, sont presque droites et sessiles; elles sont susceptibles d’être mues horizontalement dans l’espace d’un demi-cercle, et restent immobiles dans la position qu’on leur a fait prendre.
On a donné le nom de personnées aux plantes composant la sixième famille de cette classe, parce que la configuration de leurs fleurs représente assez bien un masque. Elles sont d’un grand usage en médecine; quelques-unes contiennent un poison très-actif.
Les plantes de la famille des solanées ont en général une teinte sombre et livide, une odeur fétide, qui semblent indiquer leurs propriétés dangereuses; telles sont la belladone, la mandragore, la jusquiame, la pomme épineuse, etc. Mais, par compensation, cette famille compte au nombre de ses membres la pomme de terre, qui est du pain tout fait, et grâce à laquelle il ne peut plus y avoir de famine en Europe. Cette plante fut apportée en 1590 du Pérou en Europe, où elle s’est multipliée à l’infini, non sans peine pourtant! Pendant près de deux siècles, le peuple n’en voulait faire d’autre usage que de la donner pour nourriture aux pourceaux, et il fallut des efforts inouïs pour déraciner le préjugé qui l’empêchait d’être admise sur la table du pauvre. Le célèbre Parmentier fut le plus infatigable propagateur de la pomme de terre. Désespéré pourtant du peu de succès qu’il obtenait, il s’avisa de s’adresser au roi Louis XVI.—«Sire, lui dit-il, c’est dans trois jours la fête de Votre Majesté (Saint-Louis, 25 août): si vous consentiez à porter ce jour-là une fleur de pomme de terre à la boutonnière de votre habit, je suis persuadé que cela ferait plus que tous les écrits possibles pour faire adopter cette plante.» Le roi y consentit, et il ordonna en même temps qu’à partir de ce moment on servît chaque jour sur sa table un plat de pommes de terre. L’expédient eut un résultat prodigieux: bien en cour, les pommes de terre firent fureur à la ville, et le peuple accepta enfin un bienfait qu’il avait si longtemps repoussé.
C’est encore dans la famille des solanées que se trouve le tabac. Jean Nicot, ambassadeur de France en Portugal l’apporta en 1559 à la reine Catherine de Médicis. L’usage du tabac est une lèpre qui va s’étendant sans cesse; aussi n’a-t-il pas fallu de grands efforts pour le propager.
Dans la famille des borraginées, les changements de couleurs sont presque universels. C’est ainsi, par exemple, que les fleurs du tournefort, d’un blanc verdâtre d’abord, passent, avant de se flétrir, à une couleur noire très-foncée: d’autres plantes de la même famille, telles que la pulmonaire, la consoude, ont les fleurs rouges à leur épanouissement, et bleues dans leur vieillesse. A cette famille appartiennent les héliotropes, dont quelques espèces sont très-recherchées, et l’orcanette, dont la racine contient un principe colorant d’un rouge plus ou moins foncé, et dont les dames athéniennes se servaient comme de fard, pensant sans doute qu’il devait leur être permis d’emprunter quelque chose aux fleurs auxquelles on les comparait.
La famille des convolvulacées se compose de plusieurs genres de liserons d’une forme élégante. A cette famille appartient la patate, qui offre un aliment presque aussi substantiel que la pomme de terre.
Presque toutes les plantes de la famille des polémoniacées, qui vient ensuite, sont originaires de l’Amérique septentrionale. L’un des genres les plus remarquables de cette famille est le phlox, qui présente une grande variété de couleurs. Le genre des cobæa est aussi fort joli. A Paris, dans les quartiers populeux, les cobæa tapissent une grande partie des fenêtres, et la beauté de leurs fleurs fait un contraste frappant avec la malpropreté des rues. C’est la fleur du pauvre; comme lui, elle vit de peu, sa jeunesse passe vite et ses joies sont courtes.
Entièrement exotique, la famille des bignoniées porte de très-belles fleurs. La principale espèce est le catalpa, bel arbre originaire d’Amérique, qui forme dans quelques-uns de nos jardins de magnifiques allées. La bignone toujours verte, qu’on nomme aussi jasmin odorant de la Caroline, et la bignone droite, ou jasmin de la Virginie, sont aussi de fort belles plantes. A la même famille appartient le sésame d’Orient; c’était le sésame des anciens: ses graines contiennent un principe oléagineux dont on tire une huile excellente.
Après la famille des gentianées, entièrement composée de plantes herbacées donnant de très-belles fleurs, vient celle des apocynées, plus nombreuse et plus brillante, qui comprend les lauriers-roses, les frangipaniers et les pervenches, ces douces et modestes fleurs que Rousseau affectionnait et qu’il préférait même à la rose. C’est aussi aux apocynées qu’appartient le genre des asclépias, qui est très-nombreux, et la plante appelée gobe-mouche, dont nous avons parlé dans notre première partie.
Les sapotées, qui forment la dernière famille de cette classe, sont toutes plantes exotiques dont plusieurs sont cultivées dans les pays chauds, tant à cause du parfum de leurs fleurs que pour leurs fruits, qui ont une saveur très-agréable. Celui du sapotillier est un mets délicieux pour les habitants des Antilles.
NEUVIÈME CLASSE
PÉRICOROLLIE
Les diospyrées, première famille de la neuvième classe, sont des arbres résineux; le styrax est une de ses espèces les plus remarquables: la résine qu’on en retire par incision dans quelques contrées de l’Asie, se nomme storax; le benjoin, résine précieuse, est produit par un autre arbre de la même famille.
On doit au genre rhododendron, le plus remarquable de la famille des rhodoracées, plusieurs belles espèces qui font l’ornement des jardins; l’azalée est aussi une fort jolie plante de la même famille. On assure que le miel des abeilles qui ont butiné sur les fleurs de cette plante est dangereux.
La famille des éricoïdes diffère peu de la précédente: le genre bruyère est le principal de cette famille; il renferme un grand nombre d’espèces originaires du cap de Bonne-Espérance; telles sont la bruyère en arbre, la bruyère cendrée, la bruyère élégante et celle de la Méditerranée.
La plupart des plantes de la famille des campanulacées sont cultivées à cause de leur brillante corolle en forme de clochette; le nombre des campanules est considérable, et leurs fleurs rivalisent de beauté. Un autre genre de cette famille, les lobélies, porte un suc vénéneux, et la lobelia tupa, qu’on trouve au Chili, est un des poisons les plus actifs que l’on connaisse.
DIXIÈME CLASSE
ÉPICOROLLIE—SYNANTHÉRIE
Cette classe ne se compose que de trois familles; la première est celle des chicoracées, dont les fleurs ne s’épanouissent que par un beau temps. A cette famille appartient la laitue, la romaine, la chicorée sauvage, que l’on a si ridiculement essayé de substituer au café, la scorsonère et le salsifis.
A la famille des cyranocéphales appartiennent les artichauts, les cardons, le chardon, et au milieu de beaucoup d’autres plantes, la plus précieuse pour les dames, celle à l’aide de laquelle elles font disparaître la pâleur produite par l’insomnie, les plaisirs et les fatigues du bal, le carthame, enfin, qui est la base du rouge végétal, grâce auquel tant de belles ajoutent l’éclat et la fraîcheur de la rose à la blancheur du lis (vieux style).
La plus grande partie des plantes appartenant à la famille des corymbifères produisent de jolies fleurs; tel est le genre aster, qui comprend l’œil-de-Christ, l’aster en feuilles de cœur, la reine-marguerite. Viennent ensuite les chrysanthèmes (fig. 40), les soleils et les immortelles, qui doivent ce nom à leur longue durée.
ONZIÈME CLASSE
ÉPICOROLLIE—CORISANTHÉRIE
Après les dispacées, première famille de cette classe, dont les valérianes sont le genre principal, viennent les rubiacées, nombreuse famille qui doit surtout son importance à l’efficacité des remèdes produits par quelques-unes de ses espèces; tels sont le quinquina et l’ipécacuanha. C’est aussi aux rubiacées qu’appartient le végétal qui fournit le café. Cet arbrisseau, originaire de l’Arabie, fut transporté par les Hollandais à Batavia, et de là à Amsterdam. Un pied fut envoyé à Paris, où il prospéra dans les serres du Jardin des Plantes. Plusieurs pieds furent, de là, envoyés à la Martinique; mais un seul y arriva vivant. Telle est l’origine de toutes les plantations qui existent aujourd’hui aux Antilles.
Le principal genre des caprifoliées, troisième et dernière famille de la onzième classe, est le chèvrefeuille, dont les fleurs exhalent un parfum si délicieux; viennent ensuite le sureau, le gui, le manglier et quelques autres peu importants.
DOUZIÈME CLASSE
ÉPIPÉTALIE
Deux familles seulement composent cette classe, les araliées, petite famille à laquelle est dû le genseng, dont l’origine a été longtemps douteuse, et qu’on a confondu avec l’angélique, et la famille des ombellifères, à laquelle appartiennent la carotte, le panais, le céleri, le persil, l’anis, la coriandre, l’angélique, etc.
TREIZIÈME CLASSE
HYPOPÉTALIE
Cette classe est la plus nombreuse du règne végétal; vingt-trois familles la composent. La première est celle des renonculacées, famille aussi dangereuse que belle, dont presque tous les individus ont des propriétés vénéneuses; telles sont la renoncule âcre, la rampante, appelée bouton-d’or, la renoncule aquatique, la scélérate, la clématite brûlante, appelée vulgairement herbe aux gueux, parce que les mendiants s’en servent souvent pour se donner des ulcères factices.
Cela n’empêche pas qu’un grand nombre de renonculacées soient cultivées dans les jardins à cause de la beauté de leurs fleurs. Les plus remarquables sont le gant de Notre-Dame, le pied-d’alouette, toutes les variétés d’anémones, les pivoines, etc. C’est aussi à cette famille qu’appartiennent les aconits, dont une espèce, l’aconit napel, servait à empoisonner les flèches dans l’antiquité. Bien que le suc de cette dernière plante soit encore une substance très-dangereuse de nos jours, il est permis de penser qu’elle a perdu quelque chose de sa violence, de même que la ciguë, qui, au témoignage de l’histoire, était, dans l’antiquité, un poison des plus violents et des plus infaillibles, et qui est maintenant, dans nos contrées, une plante presque anodine. Le meilleur est pourtant de ne pas s’y fier.
La famille des papavéracées n’est pas moins remarquable que la précédente: les sucs de ces plantes offrent des colorations diverses, à l’aide desquelles les sauvages de l’Amérique se teignent le corps. Presque tous les genres de papavéracées jouissent de propriétés narcotiques; mais c’est surtout dans le pavot d’Orient (papaver somniferum), très-cultivé dans nos jardins, que cette propriété se trouve à un haut degré. La meilleure espèce est celle de Perse; c’est d’elle qu’on tire l’opium, qui est d’un usage si général parmi les Orientaux, chez lesquels il remplace les liqueurs spiritueuses, proscrites par la loi de Mahomet. L’opium, dans ces contrées, se prend en infusion ou il se fume mêlé avec du tabac. Pris à petite dose de l’une ou de l’autre manière, l’opium excite la gaieté et plonge dans une douce ivresse; à une dose plus forte, il détermine l’assoupissement, le délire, la mort. L’abus que font les Orientaux de cette substance est la seule cause de l’espèce d’engourdissement moral dans lequel ces peuples sont constamment plongés. Il faut qu’il soit bien difficile de renoncer à l’usage de l’opium quand on en a l’habitude, puisque la peine de mort prononcée par la loi, en Chine, contre tout fumeur, mangeur, vendeur ou acheteur de cette substance, n’a pu y faire renoncer la population. L’empereur, voulant absolument détruire ce déplorable usage, a tenté d’interdire l’accès de ses États aux navires anglais chargés d’opium. Mais les Anglais, marchands avant tout, lui ont fait la guerre, et le grand souverain du Céleste Empire a dû se résigner à laisser empoisonner ses sujets. Il y a des gens qui voient là un progrès de la civilisation!
La famille des crucifères comprend les ravenelles, les giroflées, les juliennes, charmantes fleurs qui ornent et embaument nos parterres; le genre raifort, rave, radis, cresson, appartient aussi à la famille des crucifères, de même que le genre chou, dont les variétés sont innombrables, le colza, le turneps, le navet, le pastel, dont on retire l’indigo, la moutarde, etc.
Les capparidées forment une famille beaucoup moins nombreuse et moins importante; on y remarque pourtant le câprier, dont les fruits se mangent confits dans du vinaigre, et le réséda, modeste fleur dont l’odeur est si agréable.
Les sapindées forment la cinquième famille de cette classe. Toutes les plantes de cette famille sont exotiques; la principale est le savonnier: ses fruits sont revêtus d’une écorce savonneuse dont on se sert en Amérique et aux Indes pour blanchir le linge.
La famille des acéridées est aussi fort restreinte, puisqu’elle ne se compose que des érables, des marronniers et des frênes. L’érable produit le sucre en assez grande abondance; il suffit, pour obtenir cette substance, de faire une incision à l’arbre; il en découle un sirop que l’on cristallise facilement. C’est du frêne à fleurs qu’on obtient la manne. A voir ces énormes marronniers d’Inde qui font l’ornement de nos plus belles promenades, on pourrait croire que quelques-uns sont âgés de plusieurs siècles; il n’en est rien pourtant, car le premier individu de ce genre ne fut apporté en France qu’en 1615; on le planta à l’hôtel Soubise, et ce fut encore bien longtemps après que la beauté de ses fleurs le fit adopter comme arbre d’ornement.
Les malpighiacées ont beaucoup d’analogie avec les acéridées. On doit la découverte de cette famille au célèbre botaniste Malpighi, qui lui donna son nom. Quelques genres de malpighiacées donnent des fruits assez estimés dans les îles de l’Amérique et du Pérou.
Les hypéricées, dont les genres sont vulgairement appelés millepertuis, doivent ce nom à la grande quantité de points glanduleux, transparents, dont leurs feuilles sont souvent parsemées. Plusieurs genres de cette famille donnent un suc résineux connu sous le nom de gomme-gutte d’Amérique.
Il en est de même de la plupart des genres de la famille des guttifères.
Les hespéridées sont aussi des végétaux exotiques, dont beaucoup sont cependant cultivés avec succès en Europe. Ornements majestueux de nos jardins, les hespéridées séduisent nos yeux par la beauté de leurs fleurs et de leurs fruits, comme elles charment notre odorat par les délicieux parfums qu’elles exhalent. C’est à cette belle famille qu’appartiennent l’oranger, le citronnier, le camélia, le thé, etc.
La famille des méliacées donne aux arts plusieurs bois précieux, entre autres l’acajou.
Celle des sarmentacées, qui vient ensuite, n’a qu’un seul genre important, la vigne; mais ses innombrables variétés sont une source immense de richesse. La vigne habite un grand nombre de contrées; mais c’est dans les pays méridionaux et surtout dans les terroirs volcaniques qu’elle déploie toute la vigueur et la beauté de sa végétation.
«Je me rappelle encore, dit un voyageur, l’impression que produisit sur moi l’aspect enchanteur de l’immense jardin du Vésuve; de toutes parts s’élevaient de longs sarments de vigne qui, s’entrelaçant de mille manières différentes, offraient leurs grappes magnifiques au voyageur brûlé par les ardeurs du soleil. Point d’épiderme ni de graines coriaces comme dans la plupart des raisins de nos contrées: peau, pulpes, semences, tout se résolvait en un suc délicieux. Après avoir franchi ce nouvel Éden et dépassé la demeure de l’ermite, la végétation, jusqu’alors si brillante, ne s’annonça plus que par quelques arbres; bientôt elle cessa entièrement, et ma vue n’eut plus à se reposer que sur de vastes champs de lave. Le chemin devenait roide et escarpé; mais une fois arrivé au sommet, je fus bien dédommagé de mes fatigues par l’imposant spectacle qui s’offrit à mes regards. A gauche, je contemplais le cap Sorrento, les îles de Caprée, de Procita, Portici, Torre del Greco et la mer. A droite se dessinait le beau bassin du golfe de Naples, l’immense amphithéâtre formé sur ses bords par la ville, la côte du Pausilippe, Pouzzoles et le promontoire de Misène. Derrière moi j’avais les montagnes de la Calabre et la ville de Pompeïa; enfin les Camaldules terminaient ce magnifique paysage. L’admiration que me causait ce tableau était souvent interrompue par les bruits qu’on entendait dans l’intérieur de la montagne, et qui précédaient les longues colonnes de feu qu’on voyait s’élever dans les airs, retomber en gerbes immenses, ou se répandre comme un torrent sur les flancs du Vésuve, qui ressemblait à une mer de feu. Je quittai ce lieu de merveilles, l’âme pleine de ces grandes émotions qu’un tel spectacle peut seul faire naître. En descendant la montagne, le guide me montra plusieurs endroits où la vigne est d’une fertilité prodigieuse. Lorsque la lave d’une éruption l’a détruite, il suffit du plus petit rejet pour qu’elle repousse avec la plus grande rapidité, et dans l’espace d’un an, elle se couvre d’une récolte supérieure à celle de l’année précédente. Cette extrême fertilité explique l’insouciance de l’habitant du Vésuve pour les dangers sans cesse renaissants dont il est entouré.»
La famille des géraniées est une de celles qui renferment le plus de plantes d’agrément; à elle appartiennent les géraniums, dont il existe plus de deux cents variétés, depuis le géranium écarlate, dont l’odeur est fétide, jusqu’au géranium triste, qui exhale pendant la nuit un si délicieux parfum. A cette famille appartiennent également la vive capucine, la tendre balsamine et la timide violette, ce doux symbole de discrétion et de modestie.
A la famille des malvacées appartiennent les mauves, ces belles roses trémières aux mille couleurs dont il se fait maintenant de si charmantes et si nombreuses collections; le cacaoyer, avec le fruit duquel se fait le chocolat, et le baobab ou calebassier, ce colosse du règne végétal, dont le tronc a souvent plus de cent pieds de circonférence. Le célèbre Adanson a observé en Afrique quelques-uns de ces arbres dont l’existence, d’après ses calculs, remontait à plus de quatre mille ans.
Les magnoliées sont une famille dont le genre badiane est le plus important; c’est à lui que l’on doit ces semences connues sous le nom d’anis étoilé de la Chine.
Les anonées croissent, pour la plupart, dans l’Amérique septentrionale; plusieurs fournissent des fruits délicieux, comme la pomme de cannelle, la cherimoya, qu’on cultive maintenant avec succès en Espagne.
Les ménispermées, qui viennent ensuite, croissent dans l’Inde et sont peu remarquables.
Les berbéridées, auxquelles appartient l’épine-vinette, ne le sont pas davantage, non plus que les hermanniées, dont tous les genres sont exotiques.
Les liliacées ne forment pas non plus une famille bien nombreuse; mais elle comprend des arbres remarquables, les tilleuls, dont les fleurs, les baies, le bois, l’écorce, sont d’une si grande utilité.
Les cistées, les rustacées sont deux familles peu importantes de cette même classe; mais il n’en est pas de même de la vingt-troisième et dernière famille de l’hypopétalie, celle des cariophyllées, comprenant ces belles et nombreuses variétés d’œillets qui charment les yeux et embaument les airs: la bourbonnaise, la croix-de-Jérusalem ou de Malte, les agrostèmes, les béhens, la nielle des blés, et enfin le lin, si utile à la santé des hommes.
QUATORZIÈME CLASSE
PÉRIPÉTALIE
Les portulacées, première famille de cette classe, doivent leur nom au genre pourpier, le principal de cette famille, qui n’offre rien de remarquable.
Les saxifragées forment une famille nombreuse dont quelques espèces contribuent à l’embellissement des jardins, comme la mignonnette, le gazon de Sibérie, deux charmantes petites plantes dont on fait de jolies bordures, et le rossolis à feuilles rondes, autre petite fleur dont les feuilles sont si irritables, qu’elles se crispent à l’instant au contact du corps le plus léger. Malheur à l’insecte qui vient s’y poser! il périt, retenu par le suc glutineux qui les recouvre.
Les crassulées, que Linné appelait plantes succulentes, et auxquelles on a aussi donné le nom de plantes grasses, comprennent les crassules proprement dites et les joubarbes. Le premier genre n’offre de remarquable et digne des soins de l’horticulteur que la crassule écarlate, originaire d’Afrique, jolie fleur très-recherchée des amateurs, et le rhodiola rosea, d’un aspect peu séduisant, mais dont les racines exhalent une délicieuse odeur de rose. Les joubarbes forment un genre très-nombreux. On cultive peu cette plante, qui n’offre rien d’agréable à la vue. Cependant, dans certaines contrées, on mange les feuilles de plusieurs espèces de joubarbes, et deux autres espèces, l’orpin et le poivre des murailles, ont été pendant fort longtemps et sont encore quelque peu de nos jours employées en médecine; mais quelle est la plante qui n’a pas eu cet avantage ou ce malheur? Le règne végétal tout entier n’a-t-il pas été la proie de ces prétendus guérisseurs? Est-il une pauvre petite plante qui ait échappé à leur barbarie; une contre laquelle ils n’aient employé le fer et le feu; une seule qu’ils n’aient hachée, disséquée, broyée? Heureusement cette férocité s’est amoindrie depuis quelques années; les médecins mutilent moins de plantes et leurs malades meurent un peu moins vite: que le ciel les fasse persévérer dans cette voie!
La famille des cactoïdes est aussi presque entièrement composée de plantes grasses. Rien n’est plus bizarre que les différents genres de cette famille. C’est à elle qu’appartiennent les cierges ou cactiers, plantes admirables par la diversité de leurs formes, l’éclat, la beauté de leurs fleurs, l’abondance de leurs sucs rafraîchissants, qui leur a fait donner, par Bernardin de Saint-Pierre, le nom de sources végétales du désert. Le nopal est l’espèce la plus intéressante de cette famille: c’est sur lui qu’habite et qu’on recueille la cochenille, insecte précieux à cause de la belle couleur écarlate qu’on en tire. La tige du cierge du Pérou qu’on cultive au Jardin des Plantes, à Paris, est ronde, droite, et s’élève à quarante pieds de haut; dans le cierge à grandes fleurs, la tige est rampante, disposition qui lui a fait donner par les amateurs le nom de grand cierge serpentaire. Enfin, c’est dans cette famille que se trouve la plante appelée glaciale, ou licoïde cristallin, nom qu’elle doit à la transparence des vésicules dont elle est couverte, qui la font ressembler à de la glace.
Un des principaux genres des onagrées, cinquième famille de la quatorzième classe, sont les épilobes, remarquables par le mouvement de leurs étamines à l’époque de la fécondation. C’est à ce genre qu’appartiennent le laurier de saint Antoine et l’épilobe à feuilles étroites, dont les racines sont un mets fort recherché dans certaines contrées. Un autre genre de cette famille, l’onagre bisannuelle, concourt à l’ornement des jardins par deux belles fleurs, l’onagre à fleur rose, originaire du Pérou, et l’onagre à grandes fleurs, qui vient de l’Amérique septentrionale. Enfin, à cette famille importante appartiennent encore le santal, dont le bois aromatique est employé dans les parfums, et la macre, connue en France sous le nom de châtaigne d’eau, fruit d’un goût très-agréable.
Les myrtées, sixième famille de cette classe, comprennent quelques arbres et arbrisseaux dont les fruits sont délicieux; le grenadier, le goyavier-poivre, le jambosier, sont de ce nombre. Le grenadier, qui croît naturellement en Afrique, a été cultivé avec succès dans le midi de l’Europe, où il s’est parfaitement naturalisé, particulièrement dans les contrées méridionales de la France. Il faut mettre aussi au nombre de ces précieux végétaux l’angolan du Malabar, qui atteint souvent plus de trente mètres de hauteur, et dont les fruits sont des plus savoureux; et puis encore le giroflier, dont les fleurs non écloses, connues sous le nom de clous de girofle, tiennent un rang si honorable dans les laboratoires du distillateur, du confiseur et de l’artiste culinaire. Enfin, à cette famille appartiennent le syringa, dont on cultive deux espèces, l’odorante et l’inodore, et le myrte, pauvre petit arbrisseau bien inoffensif, bien modeste, dont on a fait le symbole de l’amour heureux, pour exprimer apparemment que l’amour satisfait est une chose assez triste, maussade, à laquelle conviennent l’ombre et le sommeil.
La famille des mélastomées, celle des lythrées sont peu remarquables; mais après elles viennent les rosacées. Un volume ne suffirait pas pour faire l’histoire de la rose, et nous serions bien pâle auprès de l’artiste et du biographe qui ont si heureusement réuni leurs efforts pour donner une âme à cette belle reine. Mais, pour être moins brillante, notre tâche n’en est pas moins douce: s’ils ont fait un délicieux portrait du plus bel enfant de la famille, ils n’ont rien dit des autres: ils ont usé de leur esprit, de leur admirable talent; ils ont fait de l’art et dédaigné la science; ils ont laissé au savant les miettes de leur table; mais ce sont des miettes abondantes et savoureuses, car les rosacées comprennent les fraisiers, les framboisiers, les pêchers, pruniers, abricotiers, amandiers, cerisiers, pommiers, poiriers. Ainsi, les rosacées ne sont pas seulement l’honneur de nos jardins, elles sont aussi l’honneur de nos tables; c’est la beauté et l’abondance: nulle part le parfum et la saveur ne sont plus délicieusement et plus intimement unis. N’est-il pas vrai que les couleurs veloutées de la pêche le disputent à la rose pour l’éclat? Que de charmes, de volupté dans ces formes arrondies!... Et la pêche n’a point d’épines; et la framboise fait pardonner les siennes, non-seulement par son parfum, mais aussi par sa délicieuse saveur... Ah! roses, que ne devez-vous pas au savant qui vous a mises en si bonne compagnie! Vous voyez bien, mes belles, que la science est bonne à quelque chose: grâce à elle, nul n’a le droit de vous exclure de cette brillante et somptueuse réunion; vous êtes, comme la pêche, comme la cerise, comme la fraise, etc., de jolies dicotylédones polypétales périgynes. Vos titres de noblesse sont palpables, authentiques, nul ne peut les contester. Allez, soyez flattées, vantées, chantées, et surtout ne faites pas fi de vos sœurs dont les traits sont moins brillants que les vôtres, mais dont le cœur est plus doux!
Après les rosacées se placent immédiatement les légumineuses, nombreuse et bienfaisante famille qui comprend les pois, les fèves, les haricots, les lentilles, le caroubier, les bois de teinture dits du Brésil, l’acacia, les genêts, les tamariniers, la pistache de terre, dont les gousses, après la fécondation, s’enfoncent dans le sol pour y mûrir.
L’indigotier, membre de la même famille, mérite une mention particulière; c’est de lui qu’on obtient cette belle couleur bleue qui donne aux vêtements des dames une grâce, une élégance que ne comporte aucune autre couleur. L’indigotier est un charmant petit arbuste, originaire des Indes orientales, et qu’on cultive avec succès aux Antilles et dans l’Amérique méridionale. Lorsque les fleurs de l’indigotier commencent à paraître, ce qui arrive trois mois après qu’on l’a semé, on en coupe les feuilles; quarante ou cinquante jours après on en fait une seconde récolte, puis une troisième, qui est ordinairement la dernière, et alors on coupe tiges et feuilles. De ces feuilles et tiges on obtient, par le lavage, une fécule qu’on laisse fermenter, puis on la fait sécher, et elle forme ce beau bleu auquel la plante a donné son nom.
Napoléon, ce génie universel, voulant, par tous les moyens, ruiner le commerce anglais, tenta de faire remplacer l’indigo par le pastel, comme il avait remplacé la canne à sucre par la betterave. Le pastel donne en effet une belle couleur bleue, mais elle ne saurait être comparée à l’indigo: il n’est pas donné, même aux plus grands génies, de faire tous les jours des miracles.
D’autres plantes de cette famille fournissent d’excellents fourrages; tels sont les sainfoins, les trèfles, les luzernes, etc., qui ont en outre la propriété de végéter sans altérer la terre qui les nourrit.
C’est aussi à la famille des légumineuses qu’appartient le genre mimosa, plantes qui présentent au plus haut degré les phénomènes du sommeil et de l’irritabilité des végétaux. C’est dans le genre mimosa que sont placées les sensitives proprement dites, l’acacia de Constantinople, celui de Farnèse, la sensitive grimpante, dont les gousses atteignent quelquefois la hauteur d’un homme, et l’acacia du Nil, qui produit la gomme arabique, unique nourriture des Maures et des Arabes dans leurs longs voyages à travers les déserts. Un morceau de cette gomme, gros comme une noix, et quelques gouttes d’eau, cela suffit pour vingt-quatre heures à la nourriture d’un enfant du désert. Et puis on s’étonne que ces peuplades, malgré leur ignorance, soient indomptables! Les Espagnols sont le seul peuple de la terre dont la sobriété approche de celle des Arabes. C’était un objet de risée pour nos soldats, en Espagne, pendant la guerre de l’indépendance (1808 à 1814), de voir, à l’arçon de la selle des chevaux montés par les officiers espagnols, une chocolatière en guise de pistolets; pourtant cette chocolatière nous était plus funeste que ne l’eussent été les meilleures armes offensives. Grâce à sa chocolatière et aux tablettes de chocolat contenues dans son portemanteau, l’Espagnol n’avait pas à s’occuper de sa subsistance; il n’avait besoin ni de rations de pain, ni de rations de viande, riz, sel, etc. Pendant une halte de dix minutes, il battait le briquet, mettait le feu à quelques broussailles, et faisait son chocolat, qu’il avalait aussitôt; cela terminé, il pouvait se battre pendant vingt-quatre heures sans que son estomac l’obligeât à s’occuper d’autre chose. Il est donc bien vrai que l’estomac et le cœur sont antipathiques; le dernier peut entraîner à bien des folies, le premier ne fait faire que des sottises.
Le cachou est encore un produit de la même famille, qui compte aussi parmi ses membres l’arbre de Judée et le baguenaudier commun, deux des principaux ornements des jardins d’une certaine étendue.
Enfin, la famille des légumineuses compte parmi ses membres le lotier pied-d’oiseau et le sainfoin oscillant. Ce fut le premier de ces végétaux qui fit soupçonner à Linné les changements qu’éprouvaient les plantes pendant la nuit. Cet homme de génie ayant remarqué un soir, en se promenant dans son jardin, à Upsal, que les fleurs du lotier avaient disparu, pensa d’abord qu’elles avaient été arrachées, et il passa outre; mais quelle fut sa surprise lorsque le lendemain, dans le cours de la journée, il les retrouva sur la plante, aussi belles et aussi fraîches qu’avant leur disparition! Il comprit qu’il s’opérait dans ces plantes un phénomène inconnu jusqu’alors, et pendant trois nuits entières il se tint en observation près des lotiers. Ce fut ainsi qu’il déroba à la nature son secret, et qu’il découvrit l’intéressant et étonnant phénomène du sommeil des plantes, que quelques-uns de ses devanciers avaient seulement soupçonné.
Le sainfoin oscillant n’est pas moins remarquable sous ce rapport que le lotier. Cette plante, originaire des Indes, a des mouvements singuliers: les deux folioles latérales, continuellement agitées, décrivent un arc de cercle dans l’espace de deux minutes. Le plus ordinairement, l’une se porte vers le haut, tandis que l’autre s’abaisse. Ce mouvement se continue dans les feuilles détachées de la plante, et il peut même exister pendant plusieurs jours, si l’on a soin de mettre le pétiole dans l’eau. Chose plus remarquable encore, le mouvement cesse dès que l’époque de la fécondation de la plante est passée. Les Indiens attribuent à ces folioles des propriétés extraordinaires, et ils en composent des philtres... Ne nous en moquons pas trop: ces philtres-là pourraient être des cousins germains de nos tisanes.
Les térébinthacées forment aussi une famille d’une grande utilité à cause des beaux vernis qu’elles produisent; c’est à cette famille qu’appartient le pistachier, dont les amandes vertes sont si fort en honneur chez les confiseurs et les glaciers.
On cultive, dans les contrées méridionales de l’Europe, deux espèces du genre pistachier, le lentisque et le pistachier térébinthe. C’est du premier de ces arbres que provient le mastic du commerce; l’autre donne la térébenthine la plus recherchée, celle dite de Chio: les Orientaux la mâchent habituellement pour se parfumer la bouche.
Une espèce importante des térébinthacées, les balsamiers, fournit des baumes précieux, dont l’action stimulante sur l’économie animale est très-active. Les plus importants sont le baume de la Mecque, ou baume blanc, et la résine élémi.
Deux autres résines non moins connues appartiennent à cette famille: la première est l’encens qu’on retire du boswellia serata; la seconde est le baume de tolu.
Ce sont encore les térébinthacées qui produisent la résine connue sous le nom de myrrhe, substance si précieuse dans l’antiquité, qu’aux dieux seuls s’offraient l’encens et la myrrhe.
Enfin, on cultive dans les jardins, comme objets d’agrément, le sumac amarante, le traçant et le glabre, tous trois de la même famille. L’écorce du glabre passa pendant quelque temps pour avoir des qualités fébrifuges presque aussi actives que le quinquina. Cette plante a-t-elle perdu ses qualités, ou bien ne les a-t-elle jamais possédées? C’est ce que nous ne saurions dire; mais toujours est-il qu’on ne l’emploie plus comme médicament. Nous l’avons dit: c’est, hélas! le sort des plus beaux végétaux comme des plus humbles; tous y ont passé, y passent ou y passeront, mais tous en sortiront. Ne voilà-t-il pas que l’on renonce à l’emploi du quinquina lui-même!... Oui, mesdames, le quinquina, sur lequel on a écrit de si belles choses; le quinquina, qu’on a chanté sur tous les tons, sur tous les rythmes, le quinquina est détrôné... détrôné par l’arsenic!...
—Mais, disait-on au savant auteur de cette substitution, l’arsenic n’est donc plus un poison?
—C’est toujours un des poisons les plus actifs, répondit le docteur, et c’est justement pour cela qu’il guérit...
—De la fièvre?
—Et de beaucoup d’autres choses!
Les rhamnides, dernière famille de cette classe, diffèrent peu des térébinthacées; c’est à elles qu’appartiennent les jujubiers et les houx.
Dans le genre nerprun, de cette famille, se trouve le nerprun, dont les baies servent à faire le vert de vessie, employé par les peintres; les fruits d’une autre espèce appartenant à ce genre donnent la graine dite d’Avignon, avec laquelle on fabrique une belle couleur jaune. Le bois du nerprun bourgène est préféré à tout autre pour la fabrication de la poudre à canon.
Le genre jujubier est exotique à l’Europe; l’espèce cultivée est depuis longtemps acclimatée dans la Provence et le Languedoc: c’est cette espèce qui produit les jujubes, fruit assez peu estimé parmi nous, mais dont on fait une assez grande consommation en Égypte. Ce doit être aussi dans ce dernier pays un fruit très-substantiel, puisque l’histoire rapporte que l’armée d’Orphellus, traversant l’Afrique pour se rendre à Carthage, ne vécut que de jujube pendant ce long trajet.
QUINZIÈME CLASSE
DICLINIE
La première famille de cette classe se compose des euphorbiées, plantes généralement suspectes. Elles varient beaucoup dans leur port, et contiennent la plupart un suc laiteux, âcre, caustique, qui peut donner la mort. Toutefois, ce principe se volatilise aisément, et les plantes qu’on a desséchées peuvent ensuite être employées sans inconvénient. C’est ainsi que la racine du manioc devient très-salubre lorsqu’on a séparé sa fécule abondante du suc vénéneux dont elle est imprégnée; on fait de cette fécule d’assez bon pain dans toute l’Amérique et dans une partie de l’Asie et de l’Afrique.
Le ricin, dont l’huile est employée à divers usages, appartient à la même famille. Le ricin commun, que l’on appelle palma-christi, est un bel arbre de dix mètres de hauteur, dont les feuilles palmées sont d’un très-bel effet sur les côtes de Barbarie, d’où il est originaire; mais, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, cultivé en Europe, le ricin n’offre plus qu’une plante herbacée annuelle. Cependant, si on l’abrite convenablement dans une orangerie quand viennent les grands froids, la tige, au lieu de mourir, durcit, persiste et devient ligneuse, ce qui prouve que la température seule a pu la réduire à la condition de plante herbacée. Mais ce n’est pas la seule singularité que présente le ricin: ses semences sont composées d’une substance blanche, ferme, laiteuse, analogue à celle des amandes; ces semences recèlent une huile abondante, et cette huile peut être un comestible très-agréable ou un poison très-actif, selon le procédé qu’on emploie pour l’obtenir. Voici l’explication de cette espèce de phénomène: la partie supérieure des grains, le tégument, contient une substance émulsive, oléagineuse et douce; mais la partie intérieure, où se trouve le germe de la plante, contient un suc essentiellement vénéneux qui peut causer les accidents les plus graves.
Si donc on presse cette graine modérément, on obtient une huile délicieuse; mais si la pression atteint le germe de manière à en exprimer le suc, l’huile qu’on en tire n’est plus qu’un médicament dont on ne peut faire usage qu’avec toutes les précautions usitées pour les substances vénéneuses... Et remarquez, Mesdames, que nous disons médicament pour ne pas avoir l’air, nous profanes, de nous jeter un peu trop à corps perdu dans l’opposition à l’endroit de messieurs de la Faculté, gens fort peu plaisants de leur nature; toutefois, nous ne sommes pas de ceux qui pensent que la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, et nous pensons qu’il est toujours sage de se défier de ces gens dont les lèvres sont enduites de miel et qui n’ont que le fiel dans le cœur.
Les cucurbitacées forment la deuxième famille, qui comprend les pastèques, potirons, concombres et melons... famille bien innocente, n’est-ce pas? les melons surtout; chair fade trop souvent, il est vrai, aqueuse, débilitante, d’une odeur nauséabonde, mais, au demeurant, d’une parfaite innocuité.
Telle est l’opinion que nous formulions, il y a quelque temps, dans une réunion de naturalistes où l’on avait admis quelques profanes.
—Monsieur, nous dit un de ces derniers, je respecte votre opinion, mais je suis heureux de pouvoir le déclarer solennellement, j’exècre les melons.
Comme cela se passait vingt minutes avant l’heure fixée pour le banquet, ces paroles produisirent une certaine émotion, car c’était au mois de juillet, et l’odeur d’excellents melons, formant une partie des hors-d’œuvre, pénétrant jusque dans la salle de nos conférences, affectait agréablement les nerfs olfactifs de la majeure partie des savants réunis.
—Je vois bien que cela vous surprend, messieurs, reprit l’anti-meloniste, eh bien, écoutez: J’avais un frère, c’était une nature d’élite, il était fort comme Hercule, penseur comme Montaigne et beaucoup plus savant qu’Aristote. C’était en 1824; il venait d’être reçu avocat et de se marier presque simultanément, et il avait établi son domicile à Paris, dans le quartier latin, rue Percée, no 12. Le 23 août de cette fatale année, il allait se mettre à table avec sa jeune femme, lorsque celle-ci témoigna le désir de manger du melon.
—Mais je veux que tu l’achètes toi-même, dit-elle à son mari; je n’en ai jamais mangé de bons que ceux que tu m’as apportés.
Mon malheureux frère était superstitieux, comme tous les gens d’un esprit supérieur: l’année précédente, à pareil jour, une voiture lui avait passé sur le corps, rue Dauphine, et, heureusement guéri, il s’était promis de ne pas sortir de chez lui le jour anniversaire de cet événement; mais sa jeune femme insista et fit si bien qu’il sortit tête nue pour aller au bout de la rue... A peine avait-il franchi le seuil de la porte cochère, qu’une masse énorme, lancée d’un cinquième étage, l’atteignit à la tête et le renversa. Quand on le releva, il était mort!... Et voici la cause de cet affreux malheur: un ouvrier, rentrant chez lui, avait acheté pour quelques sous un melon d’une énorme dimension; mais arrivé à sa mansarde, et ayant mis le couteau dans le monstrueux cucurbitacé, il s’en était exhalé une odeur infecte; furieux de sa mésaventure, le malheureux avait lancé le melon par la fenêtre... Si le melon trop mûr n’était pas une horrible chose, je n’aurais pas à déplorer ce malheur, dont tout Paris s’est entretenu pendant vingt-quatre heures, pour n’y plus songer ensuite. Donc, les cucurbitacées sont en général de laides, monstrueuses et dégoûtantes choses; et qu’attendre d’ailleurs de ces tiges si lâchement rampantes, qu’il faut les arrêter violemment pour les obliger à produire quelque chose?...
Viennent au troisième rang les urticées, qui comprennent le houblon, cette plante dont on fait une si détestable liqueur connue sous le nom de bière; le poivrier, plante ardente et généreuse.
Et pourtant c’est un pauvre arbrisseau, délié comme la vigne, comme elle ayant besoin d’appui pour se développer, s’attachant aux arbres, serpentant le long de leurs branches, et laissant pendre ses fruits en petites grappes pressées. Cet arbrisseau, au feuillage sombre, à l’apparence pauvre, est devenu, sous la main de l’homme, une production de haute importance et l’objet d’un immense commerce; c’est un aromate précieux pour l’art culinaire; il figure sur toutes les tables. C’est un stimulant énergique, bien supérieur au café sous ce rapport; mais il ne fait pas rêver comme le café, et il est de si doux rêves!
Le poivre n’est pas une découverte nouvelle, car Horace parle de cet aromate; mais on ne le trouvait autrefois qu’aux Indes orientales; depuis un siècle seulement il a été importé dans les colonies d’Amérique, en même temps que le muscadier et le giroflier, et, chose étrange! l’auteur de cette importation s’appelait Poyvre, ce qui a fait croire à tort qu’il avait donné son nom à cette substance.
En vérité, c’est quelque chose de honteux que notre ingratitude envers les hommes utiles qui ont rendu le plus de services à notre pays. Ainsi, nous savons les faits et gestes d’Alexandre et de Néron; Cartouche et Mandrin ont trouvé des historiens, et c’est à peine si nos biographies ont daigné admettre le nom de M. Poyvre dans les longues colonnes de leurs fastidieuses nomenclatures. On peut affirmer pourtant qu’il n’est pas de citoyen dont la vie ait été mieux remplie, et qui ait montré à la fois plus de dévouement à sa patrie et un désintéressement plus grand. C’est tout un drame que la vie de cet homme, et les péripéties terribles n’y manquent pas.
Né à Lyon en 1719, Poyvre, à vingt ans, ayant terminé de longues et fructueuses études, se rendit en Chine et de là en Cochinchine. Son premier soin, dans ces pays, fut d’en apprendre la langue. Il y parvint en peu de temps, grâce à sa haute intelligence et au zèle qu’il apporta à cette étude. Il s’appliqua ensuite à recueillir une foule d’observations qui devaient être précieuses pour son pays; puis, impatient de doter la France de ses découvertes, il s’embarqua pour y revenir. Le navire qui le ramenait était encore dans la mer des Indes, près du détroit de Banca, lorsqu’il fut attaqué par un bâtiment anglais de force supérieure. Le canon gronde, le capitaine français donne des armes à tous les passagers; Poyvre refuse celles qu’on lui offre.
—Vous êtes donc un lâche? s’écria le capitaine indigné.
—J’espère vous prouver le contraire, répondit le jeune homme sans s’émouvoir.
Aussitôt, il jette son habit, son chapeau, et, muni d’une petite pharmacie portative qui faisait partie de son bagage, il s’élance sur le pont: les balles et les boulets frappent et renversent tout ce qui l’environne, son calme ne se dément pas; il va, sous le feu le plus terrible, ramasser les blessés; il les panse sous une grêle de mitraille. Bientôt il est couvert de blessures, le sang coule de toutes les parties de son corps.
Le capitaine court à lui:
—Pardon! s’écria-t-il en lui serrant la main; vous êtes le plus brave de tous... mais nous allons tenter l’abordage; descendez, je vous en conjure!...
Pour toute réponse, Poyvre s’élance vers un canonnier qui vient de tomber, au même instant, un boulet lui emporte un bras. Une heure après, il était prisonnier des Anglais.
Conduit à Batavia, puis renvoyé à Pondichéry, Poyvre put enfin s’embarquer de nouveau, et il était heureusement arrivé en vue des côtes de France lorsqu’il tomba une seconde fois au pouvoir des Anglais; il ne recouvra sa liberté qu’en 1745.
Au milieu de toutes ces vicissitudes sur mer comme sur terre, manquant de tout et en butte à tous les périls, Poyvre, animé par le patriotisme le plus pur, n’avait jamais négligé une occasion d’ajouter au trésor de ses connaissances, et d’étudier particulièrement tout ce qui se rattachait à l’histoire naturelle et au commerce des colonies. De retour dans sa patrie, il s’empressa de communiquer au gouvernement deux projets de la plus haute importance qu’il avait conçus: le premier était d’ouvrir un commerce direct entre la France et la Cochinchine; le second était d’enrichir les îles de France et de Bourbon des épiceries dont la culture avait été concentrée jusqu’alors dans les Moluques. On adopta ces projets, et Poyvre fut chargé de les accomplir.
Le premier projet réussit parfaitement; le second était en voie d’exécution, et déjà le muscadier, le giroflier et le poivrier prospéraient à l’île de France, lorsque l’homme infatigable auquel on devait ces résultats fut fait prisonnier une troisième fois par les Anglais, qui le retinrent jusqu’à la paix conclue en 1761.
De retour à Paris, Poyvre fut nommé intendant des colonies, et le roi lui donna le cordon de Saint-Michel avec des lettres de noblesse. De 1767 à 1773, il administra les îles de France et de Bourbon, et il en répara tous les désastres. Parmi les hommes qui ont rempli un rôle éminent dans l’administration, il en est peu qui aient laissé une mémoire plus digne de vénération. En lui les vertus privées étaient la source des vertus publiques: au plus parfait désintéressement il joignait une équité scrupuleuse, une fermeté calme et une persévérance à toute épreuve: les travaux publics, les établissements de charité, d’agriculture; les finances, les expéditions maritimes, l’administration de la justice, tout fut organisé par ses soins, conduit et perfectionné par son zèle. La science devrait lui être reconnaissante de ses efforts pour avancer ses progrès, et l’humanité, de ceux qu’il fit pour adoucir le sort des esclaves.
L’introduction des précieuses cultures de l’Inde dans les îles de France et de Bourbon n’est pas le moindre des bienfaits dont ces îles lui soient redevables. La France en recueille encore les fruits à l’île Bourbon et à la Guiane, où les plantes aromatiques sont autant de conquêtes pacifiques et fécondes qui doivent faire bénir la mémoire de Poyvre.
Revenu en France en 1773, ce grand homme se retira dans une maisonnette qu’il possédait sur les bords de la Saône, et y mourut en 1786, presque entièrement oublié de la génération sur laquelle il avait répandu tant de bienfaits.
Combien de prétendus savants se sont fait des noms retentissants et des fortunes colossales avec dix fois moins de connaissances acquises et de génie que n’en possédait Poyvre!... Le véritable homme de mérite se contente de sa propre estime; il a la conscience de ce qu’il est, et cela lui suffit.
Mais nous voici bien loin de la famille des urticées, qui comprend encore les mûriers, qu’on pourrait appeler arbres à soie, et les figuiers, dont le fruit est un des plus répandus sur la surface du globe: on le trouve dans tous les climats chauds, et là il se présente sous la forme d’un arbre élevé. Dans nos climats tempérés, ce n’est qu’un arbrisseau touffu; dans les pays froids, c’est un arbuste de serre chaude.
La culture du figuier est très-ancienne; on en cultivait en Italie avant la fondation de Rome, et de temps immémorial on a récolté des figues dans le midi de la France. Parmi les nombreuses variétés de figuiers, on remarque le figuier des Indes; c’est un arbre immense, des branches duquel pendent de longs jets qui s’enfoncent dans la terre, y prennent racine, deviennent des arbres semblables au premier, lancent à leur tour d’autres jets qui ont le même résultat et qui, envahissant le terrain, étouffent tous les végétaux qu’ils rencontrent.
D’une autre espèce appelée figuier du Bengale on obtient, par incision, une gomme élastique très-recherchée.
Mais le plus généralement cultivé est le figuier commun; c’est celui auquel on accorde la préférence dans tous les pays méridionaux de l’Europe. Il donne deux récoltes par an, et comme tout le fruit d’une récolte ne mûrit pas simultanément, un seul figuier, s’il est fort, peut donner du fruit pendant toute la saison.
La figue est un fruit fort sain quand il a atteint toute sa maturité. On consomme une grande quantité de figues fraîches, mais la quantité qu’on en fait sécher est bien plus considérable; il est vrai que c’est le fruit qui, à l’état de conservation, présente le plus de qualités nutritives. La quantité de figues que l’on fait sécher en Provence est immense, et pourtant elle ne suffit pas à la consommation de la France, qui en tire encore de l’Espagne et du royaume de Naples.
Les anciens, qui faisaient d’autant plus de cas de la figue qu’ils ne connaissaient pas tous les excellents fruits que nous possédons aujourd’hui, ont fait des guerres terribles pour conquérir des pays par la seule raison qu’on y trouvait l’olivier, la vigne et le figuier. Il paraît pourtant qu’alors, comme aujourd’hui, l’opinion générale souffrait d’assez nombreuses exceptions, et que les Grecs n’en faisaient point grand cas, ainsi que le prouve cette anecdote historique: Un riche Athénien se rendit un jour sur la place publique; il y fit rassembler le peuple, puis, du haut de la tribune où il s’était placé, il s’écria: «O Athéniens! j’ai à ma campagne, tout près des murs de la ville, un énorme figuier où plusieurs citoyens de cette ville se sont pendus. Si donc quelques-uns d’entre vous voulaient suivre cet exemple, je leur donne avis qu’ils aient à se hâter, car dans trois jours le figuier sera coupé et jeté au feu.»
De nos jours, Brillat-Savarin disait qu’il donnerait un melon pour une figue, et une figue pour un melon. Que les gastronomes tirent la conclusion.
La quatrième famille de cette classe est celle des amentacées, à laquelle appartiennent les plus beaux arbres de nos forêts: chênes, châtaigniers, charmes, aunes, peupliers, bouleaux.
Tous les arts sont tributaires des amentacées; ils sont la richesse et la prospérité des États, et l’existence de ceux-ci y est même attachée. Cette observation n’avait pas échappé au ministre Colbert, qui disait souvent que la destruction des bois amènerait la perte de la France.
Le chêne est certainement une des productions les plus belles et les plus utiles de notre globe. S’il y a des arbres plus élevés et plus gros, il n’en est pas un seul qui offre un bois à la fois plus solide et plus facile à tailler; aussi de tout temps a-t-il été l’emblème de la force. On reconnaît ses feuilles dentelées sur les plus anciennes médailles. Il croît lentement, à peine au bout d’un siècle son tronc a-t-il un mètre de circonférence, et cependant on en voit souvent dont la circonférence est de onze à douze mètres, ce qui suppose onze à douze cents ans d’existence. De vieilles traditions révèlent que, dans les temps de barbarie, les hommes vivaient du fruit du chêne, qu’on nomme gland. Cela ne serait pas impossible, puisque parmi les variétés du chêne il en est dont le fruit est doux; mais il ne faut pas, sur ce point, prendre à la lettre le rapport des historiens, car les anciens donnaient le nom de gland à tous les fruits des arbres de haute taille. La faîne s’appelait le gland du hêtre, la noix, le gland de Jupiter, etc.
Une variété remarquable du chêne est celle dont l’écorce épaisse et spongieuse est connue sous le nom de liége. Tous les neuf ou dix ans, cette écorce se fend, se détache d’elle-même, et elle est remplacée par une autre qui se forme en dessous. Un arbre peut donner ainsi jusqu’à quinze récoltes avant d’être épuisé. Le chêne-liége croît spontanément dans les parties méridionales de l’Europe: on en trouve beaucoup dans le midi de la France.
Le châtaignier mérite aussi d’être placé au premier rang des arbres les plus beaux et les plus utiles. Non-seulement son bois est excellent pour la charpente, mais ses fruits forment la principale nourriture des habitants de beaucoup de pays. Dans plusieurs parties de la France, telles que le Limousin, le Périgord, les Cévennes, la Corse, les habitants des campagnes ne mangent pas d’autre pain que celui de châtaignes. Il en est de même dans les montagnes des Asturies, en Espagne; dans les Apennins, en Italie, et dans plusieurs cantons de la Sicile. La récolte des châtaignes est presque toujours très-abondante, et elle ne manque jamais entièrement.
Sous le rapport de la beauté, le châtaignier ne le cède à aucun autre: son port est majestueux, et il arrive à une grosseur prodigieuse. Tel est celui que les voyageurs vont visiter sur le mont Etna, dont nous avons parlé plus haut, et qui n’a pas moins de quatre mille ans. On en voit un en France, près de Sancerre, dont le tronc a plus de dix mètres de circonférence, et qui est âgé de plus de mille ans; il y a plus de six cents ans qu’on l’appelait déjà le gros châtaignier.
Les aunes sont aussi d’une utilité générale. Les saules forment une division considérable. L’espèce la plus remarquable est le saule pleureur, dont les branches, en retombant, font de si belles arcades de verdure.
Parmi les peupliers, qui sont aussi fort nombreux, on distingue le peuplier d’Italie, celui du Canada, celui d’Athènes, et le peuplier baumier, dont on tire une substance odorante connue sous le nom de tacamahaca.
Les bouleaux se trouvent jusque vers le pôle arctique, où ils sont les derniers vestiges de la végétation ligneuse. Leur séve est, pour les Kamtschakales, une boisson délicieuse. Dans l’Amérique septentrionale, les habitants emploient l’écorce du bouleau pour faire des barques et des pirogues. En France, on en fait des sabots et des balais.
Enfin, c’est aussi aux amentacées qu’appartient le cirier, arbrisseau originaire de l’Amérique, dont le fruit contient une assez grande quantité de cire. Il s’est parfaitement naturalisé dans le midi de la France; mais jusqu’à présent il n’a été considéré que comme plante d’agrément, et l’on n’a pas tenté d’en tirer un parti avantageux.
La dernière famille est celle des conifères, ou arbres toujours verts, à la tête de laquelle il faut placer le cèdre majestueux qui élève sa tête dans les nues; le second rang appartient aux sapins, ces fiers enfants du Nord; le pin se place ensuite, puis les mélèzes, les cyprès, les ifs et l’éphédra, derniers et humbles enfants de cette famille de géants.
Ici finit la tâche du botaniste, que nous quittons pour entreprendre celle de l’horticulteur. Après avoir tenté de faire connaître les plantes, nous essayerons de dire comment naissent les plus jolies, l’éducation qui leur convient, les dangers dont il faut les garantir, les défauts dont il importe de les corriger. Nous ferons de l’hygiène, de la pathologie, de la thérapeutique de parterre, et là, au moins, nous ne serons pas forcé d’avoir recours à un langage barbare pour raconter et faire comprendre de douces et gracieuses choses.