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Les Jeudis de Madame Charbonneau

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XVII

Savez-vous quel est le plus grand ennemi de ces journées pures, radieuses et triomphales, comme le fut celle de mon installation? C'est le lendemain. J'eus un lendemain; hélas! j'en eus même plusieurs: et voyez l'influence de ma prédestination! Ce fut par la littérature que mes tribulations commencèrent: ma première persécutrice fut Marguerite de Bourgogne.

Ceci mérite explication.

A peine établi dans ma dictature municipale et rustique, j'avais fait maison nette. C'est l'usage en pareil cas, et les royautés qui commencent sont obligées de satisfaire à la fois les ambitions et les rancunes de ceux qui veulent les places contre ceux qui les ont. Ceci avait même donné lieu à un singulier quiproquo pendant la période d'irritation populaire qui s'était terminée par la chute de mon prédécesseur. Un paysan peu lettré étant venu me dénoncer un des innombrables abus qui exaspéraient la population, je lui avais répondu d'un air superbe:

«Que Simon Breloque ne m'échauffe pas la bile! s'il en fait trop, j'irai voir le sous-préfet, et je balayerai les écuries d'Augias!»

A ces derniers mots, le paysan me contempla avec une expression de stupeur que je ne remarquai pas d'abord. Or, justement, il y avait dans la commune un petit fermier qui s'appelait Auzias, nom assez commun dans le Midi. Cet Auzias possédait une écurie comme tous les cultivateurs quelque peu aisés. Mon propos lui fut redit, et l'agita si terriblement, qu'il passa deux nuits sans fermer l'œil. Le surlendemain, il vint me trouver, un énorme balai à la main, et me dit confidentiellement: «Monsieur, si vous trouvez mon écurie malpropre, ayez la bonté de me le dire; mais ne me faites pas l'affront de la balayer vous-même.»

Quoi qu'il en soit, je congédiai entre autres le garde champêtre, qui m'avait été signalé comme l'âme damnée de mon prédécesseur, et qui, trois mois auparavant, avait dressé un procès-verbal contre l'oncle d'une de mes servantes. Il fut impitoyablement sacrifié à mes ressentiments domestiques. En même temps j'écrivis à M. le préfet pour lui demander un garde champêtre qui fît honneur à ma commune, un garde qui ne ressemblât pas au premier venu. Je ne fus que trop bien servi.

Quelques jours après, au moment où nous venions de régler, mon adjoint et moi, les économies sévères à introduire dans notre budget, nous vîmes entrer un grand gaillard de cinq pieds huit pouces, maigre, nerveux, découplé, évidé comme un chien de chasse, et dont la tête semblait avoir été moulée dans une poire à poudre. Il arrivait droit de la préfecture pour exercer à Gigondas les fonctions de garde champêtre, et m'exhiba ses papiers, qui étaient en règle. Il se nommait Jacques Cauvin: je lui adressai sur ses antécédents quelques questions auxquelles il répondit avec un sourire de satisfaction intérieure. Il avait été successivement zouave, marchand de bretelles, geôlier d'une maison centrale, décorateur, pître dans une troupe de saltimbanques, bedeau dans un temple protestant, chanteur ambulant, grande utilité à Carcassonne, et agent de police. A son tour, il s'informa des avantages de son nouveau poste, et, quand je lui dis que nous ne donnions que quatre cents francs de traitement, son visage piriforme exprima un dédain ineffable. Il me regarda comme le cocher de M. de Rothschild regarderait l'impertinent qui lui offrirait une place de palefrenier. Cependant il parut se résigner, et je ne tardai pas à avoir le secret de cette résignation méritoire. A peine mon adjoint fut-il sorti, que Jacques Cauvin me prit à part, et, se mettant au port d'armes, m'avoua, avec une sérénité qui prouvait la puissance de l'habitude, que toutes ses hardes, nippes, draps, linge, vêtements, étaient au mont-de-piété à Avignon, et qu'il ne lui restait plus absolument que ce qu'il avait sur le corps; que, de plus, il devait à un cabaretier d'Orange une somme de cent quarante-cinq francs, et que, pour garantir sa créance, le tavernier avait eu l'inhumanité de retenir en gage la femme dudit Cauvin, plus une bague en brillants, souvenir de leur mariage (Cauvin paraissait regretter beaucoup la bague); enfin quelques petites dettes criardes, contractées pendant une longue maladie de son épouse (ici une larme d'attendrissement), élevaient le chiffre total de son passif à six-cent quatre-vingts francs: faute de cette modique somme, Cauvin était obligé de renoncer aux fonctions publiques et de retomber dans ces professions aventureuses où la dignité de l'homme et de la femme reste rarement intacte. Si, au contraire, je lui avançais ces quelques centaines de francs, d'abord Cauvin s'obligeait religieusement à me les rendre sur ses économies futures; puis il dégageait ses nippes, sa bague, sa femme; il payait ses dettes jusqu'au dernier sou, et, pénétré de reconnaissance, il donnait, en sa personne, à la commune de Gigondas et à son maire un garde champêtre comme on n'en avait jamais vu.

Je fus atterré! J'avais encore dans ma poche le compte des frais de mon ovation; ma sœur Ursule s'était récriée, remarquant, non sans raison, que, si nous allions de ce train-là, nos vignes, nos prés et nos moissons ne tarderaient pas à s'envoler dans un pli de mon écharpe. Ce nouvel impôt forcé, conséquence logique de mes grandeurs, m'ouvrait une de ces perspectives vagues, qui n'en sont que plus effrayantes. Mon premier mouvement fut négatif. D'autre part, pourtant, me convenait-il que mon garde champêtre fût un pensionnaire du mont-de-piété? Était-il de ma dignité que cet homme pût dire, en s'en allant, qu'il avait compté sur le maire de Gigondas et que le maire de Gigondas n'avait pas eu d'entrailles? Était-il moral de le tenir séparé de sa femme et de sa bague? Premier magistrat de la commune, n'avais-je pas charge d'âmes? Ne serait-ce pas pour moi un éternel remords si je rencontrais, un jour de foire, sur un vil tréteau, devant la tente d'un banquiste, Jacques Cauvin, en costume de paillasse ou de queue-rouge, subissant une grêle de calembours et de coups de pied? Ces réflexions me désarmèrent: je vidai mon tiroir, tout en me disant que mes plus besoigneux confrères de la république des lettres ne m'avaient pas emprunté en dix ans ce que cet ex-zouave me coûtait en un jour. Je joignis à mon bienfait une remontrance paternelle que Cauvin écouta avec la componction la plus édifiante, et son service commença.

Je fus, à cette époque, obligé de m'absenter pour quelques jours: à mon retour, je trouvai sur mon passage des figures horriblement allongées et sur ma table une liasse de procès-verbaux qui n'attendaient que ma signature. Voici ce qui était arrivé: Cauvin, regardant son traitement fixe comme indigne de ses talents, avait résolu d'y suppléer par le casuel. Les plus minces délits, les contraventions les plus impalpables, étaient devenus pour lui matière à procès-verbal et couchés sur papier timbré. Pour grossir le chiffre de ses bénéfices, Cauvin, à cette heure douteuse qui n'est pas encore la nuit, mais qui n'est plus le jour, était allé se poster sur la grande route qui passe derrière le village; et là, tout voiturier ayant oublié, comme le singe de Florian, d'allumer sa lanterne, tout charretier endormi sur son véhicule, tout berger laissant une de ses brebis s'égarer dans le champ voisin, étaient immédiatement arrêtés, appréhendés, interrogés, condamnés. Mon adjoint ayant formellement refusé de contre-signer ces verbaux, c'est à moi que Cauvin avait réservé l'honneur de livrer les coupables à la justice; et quels coupables! deux marguilliers, trois conseillers municipaux et le cousin de l'adjoint. Aussi, dans quel état de consternation ma pauvre commune de Gigondas se présentait à mes regards effarés! une terreur morne avait succédé aux espérances éveillées par ma nomination. On s'abordait en tremblant; les tourterelles se fuyaient; le café était désert. Cauvin ayant organisé, disait-on, une police secrète, chacun se méfiait de son voisin comme d'un dénonciateur: les femmes mêmes se taisaient. Le mot sinistre de prison circulait de bouche en bouche. On se serait cru à Venise au plus formidable moment du conseil des Dix. Quant à moi, je n'avais fait qu'un saut du Capitole à la roche Tarpéienne. J'étais devenu en quelques semaines plus impopulaire que mon prédécesseur. «Que nous sert, disait-on, d'avoir pour maire un bonhomme (bonhomme, un membre de la Société des gens de lettres!), si nous sommes opprimés, ruinés, persécutés, emprisonnés par le garde champêtre!» Cette fois je me mis en colère. Je fis venir Cauvin, et je lui infligeai une verte semonce. Il me répondit sans se déconcerter qu'il faisait son devoir et que tout le monde peut-être ne pourrait pas en dire autant. Puis, comme sa réponse m'exaspérait encore plus, le drôle me déclara, toujours avec le même sang-froid, qu'il ne pouvait pas vivre, lui et sa femme, avec ses quatre cents francs de traitement, et que je devais, par conséquent, trouver tout simple qu'il essayât de battre monnaie ailleurs.

J'éclatai.

—Mais, malheureux, osez-vous bien me parler encore de ces éternels quatre cents francs? Je vous en ai donné sept cents pour payer vos dettes: vous m'avez soutiré du bois, de l'huile, du blé, des légumes; je paye votre logement: bref, dans un mois, vous m'avez coûté près de mille francs; douze mille francs par an! il me semble que ce n'est pas mal pour un garde champêtre! Savez-vous, misérable, que les députés au Corps législatif n'en ont pas autant, et ils sont cependant l'élite de la nation, les élus du suffrage universel, les défenseurs des libertés publiques!...

J'étais furieux.

—Puisque monsieur le maire, qui est si bon, se fâche contre moi, me dit tout à coup Cauvin avec un mauvais sourire, c'est qu'il aura été influencé par monsieur le curé.

—Monsieur le curé!...

—Oui, et, pas plus tard que demain, j'irai le dénoncer à l'évêché... Je dirai qu'il s'est fait jouer la Tour de Nesle...

Celte fois je crus Cauvin tout à fait fou, et je me préparais, de peur d'un malheur, à lui faire rendre sa plaque et sa carabine, quand mon adjoint m'expliqua cet inexplicable mystère. Pendant les premiers jours de sa lune de miel avec la commune, Cauvin, ci-devant zouave et comédien ambulant, s'était amusé à déployer ses talents devant un auditoire peu blasé en fait d'émotions dramatiques. Les représentations avaient lieu chez l'adjoint lui-même, lequel était très-lié avec le curé. Celui-ci, jeune prêtre d'une vertu austère, d'une piété presque ascétique, avait une candeur d'enfant. Irlandais d'origine, naturalisé Français et élevé au séminaire de Sainte-Garde, jamais il n'avait entendu parler ni de la pièce de MM. Dumas et Gaillardet, ni même du très-apocryphe épisode que ces messieurs ont dramatisé à leur façon. Or, un soir que le curé se chauffait les pieds à un bon feu de fagots d'olivier chez son ami l'adjoint, Cauvin avait annoncé qu'il allait leur jouer la Tour de Nesle.

Ces mots magiques avaient excité la curiosité générale, et tous les habitués de la veillée étaient accourus pour prendre leur part de la fête. Cauvin avait une manière de jouer la Tour de Nesle, qui en atténuait singulièrement les énormités historiques et morales. D'abord il jouait à lui tout seul ce drame, qui ne compte pas moins de vingt-deux acteurs. Ensuite il le réduisait à une scène, que sa prose et surtout son accent rendaient incompréhensible. Il se faisait attacher à une chaise, sur un tas de paille fraîche, au milieu de la salle; puis sa femme, laide et noire à faire peur, arrivait avec un papier et une chandelle. Elle figurait la reine Marguerite de Bourgogne. Cauvin-Buridan lui tenait à peu près ce langage:

—Margaritou, zé vè té raconter une pétite histoire: Té souviens-tu dé ton papa, lé duc Robert? C'était zun vieillard bien respectable, qué zé bien souvent révu én sonze; car zé l'étranglai pour té faire plésir, fiçue coquine!...

Ainsi de suite: c'est ce que Cauvin appelait la grande scène de la prison: les villageois n'y avaient vu que du feu, et le curé n'y comprit absolument rien. N'importe! Tout en estropiant les phrases de M. Gaillardet, Cauvin gardait par-devers soi un fonds de méchanceté diabolique, et il ne lui en fallait pas davantage pour échafauder là-dessus tout un système de dénonciation contre mon brave curé.

Le lendemain matin, au petit jour (on était en plein mois de décembre), je partis tout grelottant pour l'évêché, afin de prévenir les effets de cette incroyable accusation. Mais le drôle m'avait devancé, et, quand j'ouvris la porte du secrétariat, un irritant spectacle frappa mes regards: Cauvin, en grande tenue, orné d'un képi et d'un baudrier dont je lui avais fait cadeau, déclamait et gesticulait devant les deux grands vicaires, entremêlant aux formules de sa dénonciation les tirades de son rôle:

—Oui, messieurs, aussi vrai que zé suiz un bon catholique, môsieur le curé dé Gigondas il sé fé zoué la Tour de Nesle, une pièce ous'qu'on parle très-mal de la rélizion et des reines de France... «C'était zun vieillard bien respectable qué zé bien souvent revu en sonze: car zé l'étranglai pour té faire plésir, fiçue coquine!»

Les deux grands vicaires, vieux et infirmes, n'avaient plus la force de faire taire cet énergumène, qu'ils croyaient échappé des petites-maisons.

Je me précipitai comme une trombe.

—Misérable! m'écriai-je à demi suffoqué de colère, sortez, sortez à l'instant... Messieurs, pardon... je vous expliquerai... je suis le maire de Gigondas... Ce scélérat... mes bienfaits... C'est moi qui lui ai donné ce képi... La Tour de Nesle!... Ce n'est pas vrai... M. le curé est innocent comme l'enfant qui vient de naître... C'est ce Buridan... non, ce Cauvin, non, ce Mélingue, non, cette Marguerite de Bourgogne... Mais, malheureux, sortiras-tu, à la fin?...

Mon apparition, au lieu de rassurer ces pieux vieillards, acheva de les terrifier: ils se demandaient s'ils avaient affaire à deux fous au lieu d'un, et si la commune de Gigondas était une ménagerie. Quant à Cauvin, il ne bougea pas, et me répondit effrontément:

—Monsieur le maire, ici vous n'êtes pas plus que moi: c'est à ces messieurs à me dire si je dois sortir.

La colère décuplait mes forces; la porte du secrétariat était encore ouverte: d'un bond je m'élançai sur Cauvin, qui me faisait face; je le retournai comme une omelette, et, lui allongeant le plus beau coup de pied qu'il eût jamais reçu dans sa carrière dramatique, je le jetai dehors. Il ne perdit pas la tête (ce n'était point à la tête que je l'avais frappé): entr'ouvrant la porte, et passant au travers son visage perpendiculaire, il dit en accentuant chaque syllabe:

—Coups et outrages à un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions: délit prévu par la loi.

Puis il referma la porte.

On eut pitié de moi; on poursuivit Cauvin dans la cour de l'évêché; on le ramena: hélas! ce moment de vivacité, comme il l'appela par un euphémisme ironique, avait complétement changé nos situations respectives: de créancier de Cauvin j'étais devenu son débiteur. L'affaire fut arrangée, grâce à l'intervention amicale des témoins de cette étrange scène: on chiffra le coup de pied; quand j'en eus soldé le compte, quand j'eus congédié Cauvin, dont j'obtins le renvoi, quand j'eus payé les nouvelles dettes qu'il laissait à Gigondas, quand j'eus derechef dégagé sa bague et sa femme et mis un peu d'argent dans sa poche, il se trouva que cette unique représentation de la Tour de Nesle, à laquelle je n'avais pas assisté, me revenait au même prix que trois cent soixante-cinq stalles du théâtre de la Porte-Saint-Martin au beau temps de Bocage et de mademoiselle Georges.

C'était un peu cher.

XVIII

A présent, veuillez me permettre une petite description préliminaire, que je crois indispensable à la clarté de mon récit.

Le village de Gigondas, situé ou plutôt perché sur une colline argileuse dont il occupe le point culminant, domine une plaine fertile et riante qu'arrose la jolie rivière de l'Ouvèze. Ma maison, que mes flatteurs seuls appellent un château, est tapie, tout au bas de la côte, sous des massifs de marronniers et de platanes. Ce petit coin de terre offre en miniature le contraste des pays de plaines et des pays de montagnes. En bas, tout est fraîcheur, verdure, eaux jaillissantes, gazouillements d'oiseaux, luzernes fleuries, ruisseaux caressant l'herbe des prés et les iris aux longs corsages; en haut, des rochers, des cailloux, des safras, la stérilité, la sécheresse, des landes incultes, de maigres garrigues, quelques épis de seigle, quelques pieds d'olivier croissant péniblement sur un sol avare. Ce plateau aux aspects mélancoliques s'étend jusqu'à la grande route et va rejoindre d'autres collines non moins pauvres, où des troupeaux affamés cherchent le thym et le serpolet.

Gigondas, groupé sur ce plateau, serré derrière sa vieille église, communique avec la plaine par une rampe très-roide qui monte en zigzag jusqu'à l'entrée du village et fait le désespoir des charretiers. Quand arrive la saison des foins ou celle des moissons, c'est pitié de voir de malheureuses bêtes,—c'est des chevaux que je parle,—essoufflées, haletantes, ruisselant de sueur, gravir cette pente formidable sous une grêle de cris et de coups de fouet, et plier sous le poids de leurs charrettes chargées de fourrage ou de blé. Tous les ans quelque catastrophe lamentable, un cheval abattu, un paysan blessé, un âne assommé sur place, un attelage roulant avec fracas le long du précipice, vient mettre à l'épreuve cette résignation villageoise que l'on pourrait appeler le stoïcisme de la routine.

Mais ce qu'il y avait de plus pénible pour mes administrés, c'est que, par suite de ce contraste même entre tant de fraîcheur et tant de sécheresse, la fontaine et le lavoir du village se trouvaient au bas de la côte, derrière ma maison, qui n'en avait nul besoin, et à vingt minutes du reste de la population. Tout ce qui en résultait de fatigue et d'ennui pour ces bons paysans, je vous le laisse à penser. Les femmes et les filles de Gigondas passaient la moitié de leurs journées à monter et à descendre du village à la fontaine, portant les cruches brunes sur leurs coiffes blanches, avec des attitudes très-pittoresques, mais très-incommodes. Pendant nos longues chaleurs, cette eau fraîche devenait brûlante; l'hiver, il fallait la faire dégeler. Et les chevaux! Lorsque, après une rude journée d'août ou de septembre, on les ramenait, moites et fumants, du labourage, et qu'on leur imposait cette corvée supplémentaire, plusieurs refusaient de boire. Et puis, que de temps perdu! que de cruches cassées! Pour supporter cet état de choses qui durait depuis des siècles, il fallait que ce génie de la routine dont je parlais tout à l'heure eût pétrifié les habitants de Gigondas comme l'argile de leurs collines.

C'est pourquoi Simon Breloque, mon prédécesseur, homme essentiellement progressif, avait aisément compris à quel point cette situation, compatible tout au plus avec les temps d'ignorance et de servage populaires, s'accordait mal avec une époque d'amélioration et de lumière. Il s'était dit qu'à lui, maire du progrès, ennemi du statu quo et de l'ornière, il appartenait d'attacher son nom à un bienfait impérissable, de doter sa commune d'une fontaine qu'elle ne fût plus forcée d'aller chercher à une demi-lieue, mais qui vînt la trouver à domicile, et qui coulât jour et nuit, sur la place publique, devant la porte de la mairie. Pour cela que fallait-il? Pas grand'chose: une machine hydraulique et une souscription volontaire. La souscription, il se chargeait de l'arracher à l'enthousiasme plus ou moins spontané de ses concitoyens; la machine, il savait à qui la demander, et cela en associant ses affections domestiques à sa gloire administrative. Il connaissait, dans la ville voisine, un jeune ingénieur civil, plus riche de dessin linéaire que de billets de banque, lequel semblait fort désireux de mettre sa science et ses diplômes aux pieds de mademoiselle Catherine Breloque, fille du maire, douce et charmante enfant, très-pieuse et parfaitement élevée; car, par une heureuse inconséquence dont les maires de village n'ont pas le monopole, Simon Breloque, tout en taquinant son curé et en mangeant du lapin le vendredi, avait voulu que ses écus frais éclos lui servissent à faire donner à sa fille une excellente éducation dans un des meilleurs couvents de la ville. M. Jules Mayran,—c'était le nom de l'ingénieur,—encouragé dans ses espérances matrimoniales et consulté par son futur beau-père sur la grande question de la fontaine, se garda bien de le contredire: il accourut à Gigondas, muni de ses instruments hydrographiques, contempla les beaux yeux de mademoiselle Catherine: puis, après avoir jaugé la vieille source dans tous les sens, il jura ses grands dieux qu'elle donnerait huit litres d'eau par seconde, c'est-à-dire deux fois plus qu'il n'en fallait pour abreuver, laver, baigner tous les habitants, y compris les chevaux, les moutons et les ânes, et pour arroser, par-dessus le marché, toutes les garrigues situées derrière le village; qu'il suffirait, pour réaliser ce prodige, de ménager une chute d'eau suffisant à faire mouvoir un piston et tourner une roue, puis d'y adapter cent mètres de tuyaux de plomb qui remonteraient en serpentant le long du coteau jusque sur la place: après quoi l'on n'aurait plus qu'à y construire un réservoir, un abreuvoir et un lavoir. Ensuite, à un moment donné, moment de triomphe pour le maire et de liesse pour la commune! on ouvrirait un robinet, et une eau limpide, abondante, jaillirait en gerbe, s'épandrait en nappe aux yeux des habitants émerveillés. M. Jules Mayran calcula scrupuleusement les frais par mètres et centimètres, et, tout compté, maçonnerie, mécanique, tuyaux, main-d'œuvre et fournitures, il constata que la dépense totale ne s'élèverait pas au delà de quatre mille francs: encore espérait-on bien pouvoir en détacher deux ou trois cents pour réparer le clocher de l'église.

Armé de ce plan et de ce devis, Breloque mena l'affaire avec son activité habituelle. Il se mit en règle à la préfecture; il eut réponse à tout: les huit litres d'eau par seconde devinrent sur ses lèvres quelque chose de pareil au sans dot d'Harpagon. Quant au bon vouloir des habitants, il en était d'autant plus sûr qu'il ne leur laissait pas l'embarras du choix. Quelques retardataires, quelques pessimistes avaient hoché la tête et prétendu que la source serait plus fine que M. le maire, que les anciens avaient eu leurs raisons pour la laisser au bas de la côte, et que l'on n'en serait pas quitte à si bon marché. Je ne sais comment cela se fit, mais quinze jours ne s'écoulèrent pas sans que ces prophètes de malheur fussent châtiés de leur témérité: l'un fut officieusement averti que sa maison n'était pas dans l'alignement et qu'il aurait à la reculer; l'autre, qui avait un fils sous les drapeaux, se vit refuser un certificat d'infirmité, de vieillesse et d'indigence qui aurait pu lui faire rattraper le jeune conscrit; un troisième enfin apprit avec terreur que ses moutons avaient été vus tondant la largeur de leur langue dans un pré, et que le procès-verbal, dressé et contre-signé, allait partir pour le chef-lieu d'arrondissement. Devant ces signes de la colère céleste, toute opposition cessa, et Breloque acheva de triompher des récalcitrants en annonçant aux plus pauvres que le maire payerait très-probablement pour eux: il ne croyait pas dire si vrai!

Bref, les derniers obstacles furent levés, et la liste de souscription volontaire se couvrit spontanément de croix en guise de signatures.

Telle était la situation quand la chute de Simon Breloque vint prouver une fois de plus l'inanité des grandeurs de ce monde, l'instabilité des choses terrestres et le néant des projets de la sagesse humaine. Le maire disparu, l'affaire de la fontaine disparaîtrait-elle avec lui? That is the question, disaient en patois les Hamlet de Gigondas. Les avis se partagèrent: du moment que cette fontaine était un bienfait pour la commune, m'attribuer l'idée de la laisser tomber dans l'eau, c'eût été me faire injure. D'autre part, on ne pouvait nier que ma position personnelle vis-à-vis de ce fameux projet n'était pas tout à fait la même que celle de mon prédécesseur. D'abord, je n'en étais pas l'inventeur; ma gloire y était engagée de moins près que la sienne; ensuite je n'y avais aucun intérêt, au contraire, puisque ma maison se trouvait au bas de la colline et possédait sa fontaine; tandis que, selon les mauvaises langues, Breloque n'avait été si vif dans cette affaire que parce qu'il espérait pouvoir arroser son jardin avec le trop-plein de la fontaine nouvelle. Enfin, disaient les plus malins, notre nouveau maire a-t-il les mêmes raisons que Breloque pour compter sur le zèle et le concours de M. Jules Mayran? N'est-il pas positif d'ailleurs que les devis sont toujours dépassés de moitié? Et, si ce malheur nous arrive, où prendra-t-on l'excédant, à présent que la commune est épuisée, et que nous rentrons, Dieu merci, dans la voie sévère des économies?

Je levai toutes ces difficultés, je dissipai tous ces doutes en annonçant que j'entendais accepter sans réserve la succession de mon devancier; qu'au premier rang figurait ce projet de fontaine, regardé comme un bienfait pour mes administrés; que ce mot seul me traçait mon devoir, que toutes les pièces venaient de m'être renvoyées de la préfecture, et que ce grand travail allait commencer. Ces paroles soulevèrent une explosion de bravos, une tempête d'enthousiasme qui me rendit toutes les joies de la popularité: quinze jours après les habitants de Gigondas purent se convaincre que mes promesses n'étaient pas une vaine amorce jetée à la crédulité publique.

Par malheur, les éléments et les hommes, les pierres, le sable, la chaux, le plomb, le bois, l'acier, tout sembla conjuré pour me rendre cette œuvre plus pénible, cette onde plus amère qu'elle ne l'eût été sans doute à mon prédécesseur. Le hasard me fit mettre la main sur le plus mauvais maçon qui pût se rencontrer à dix lieues à la ronde. Au bout d'une semaine il y eut rixe et gourmades réglées entre ses ouvriers et les habitants. La population, qui payait de ses deniers, prétendait avoir droit de conseil et de contrôle. Du matin au soir, cinq ou six paysans et dix ou douze paysannes, transformés en ingénieurs honoraires, stationnaient sur le chantier, critiquaient ceci, blâmaient cela, gourmandaient l'un, raillaient l'autre, et oubliaient à qui mieux mieux le vers célèbre sur les facilités de la critique et les difficultés de l'art. Alors les maçons leur jetaient des pierres, les femmes criaient, les enfants pleuraient, et ma fontaine, comme je commençais à l'appeler, ressemblait provisoirement à la tour de Babel gouvernée par le roi Pétaud. Au milieu de ces tiraillements, les travaux n'avançaient pas. On mettait trois mois pour creuser le bassin où devait fonctionner la roue; c'étaient dix semaines de plus que n'en indiquait le devis. Le chiffre des journées s'accumulait d'une manière effrayante. Le maçon, criblé de dettes, me demandait de continuels à-compte. Quant à M. Jules, ce n'était plus le même homme: on eût dit une eau bouillante changée subitement en eau glacée. Sa foi robuste semblait chancelante: la certitude des huit litres par seconde n'était plus qu'une probabilité. Il ne faisait que de rares apparitions sur le théâtre de mes ennuis, regardait négligemment, grondait les maçons du bout des lèvres, promenait sa toise au hasard, puis tournait invinciblement les yeux vers une certaine fenêtre, festonnée de vigne et de houblon, où apparaissait de temps à autre une gracieuse et virginale figure. Le dirai-je? je soupçonnais parfois M. Jules de se faire un bouquet de mes soucis pour le présenter à sa jolie fiancée: pouvais-je lui en vouloir, moi qui, avant d'être maire, avais écrit des romans? Rien de plus équitable: j'étais puni par où j'avais péché.

Trois autres mois s'écoulèrent. Les contrariétés, les accidents, les retards, les suppléments, se multipliaient à l'infini; c'étaient tantôt un conduit qui s'éboulait, tantôt un pan de mur qui s'écroulait, tantôt un tuyau qui éclatait. Il semblait que chaque lendemain fût occupé à détruire l'ouvrage de la veille. Bientôt il devint manifeste que ce qui avait été estimé quatre mille francs en coûterait dix mille. Ma pauvre sœur Ursule jetait les hauts cris. Ce n'était plus une brèche, c'était une ruine. Cette fontaine devenait un gouffre où allait se précipiter une grosse moitié de notre revenu. D'un autre côté, comment faire? Ne pas entreprendre, passe encore! mais reculer, c'était bien pis! D'ailleurs, la roue hydraulique était commandée, et le mécanicien n'entendait pas qu'elle lui restât sur les bras. Mes administrés,—mes enfants!—n'auraient-ils pas éternellement le droit de me demander compte de leurs espérances déçues, de leur souscription gaspillée? Ils attendaient; ils avaient soif; et, en attendant, l'ancienne fontaine étant bouleversée par les maçons, la nouvelle n'existant pas encore, c'était chez moi que bêtes et gens venaient s'abreuver. Il y avait là de quoi faire prendre la campagne en horreur! Les faunes et les sylvains, la paix et la rêverie, s'enfuyaient au bruit de cette incessante cohue qui piétinait, criait, jurait, obstruait mes allées, brisait mes arbustes, salissait mon lavoir, écrasait mes fleurs, regardait derrière mes vitres et changeait mon jardin en place publique. Tout n'était-il pas préférable à ce provisoire? Ne valait-il pas mieux se jeter, comme Décius, dans l'abîme béant? Je me remémorais les noms de tous les grands bienfaiteurs de l'humanité, et je rougissais de honte en songeant au prix de quels sacrifices—souvent de quels martyres—ils avaient acheté ce titre glorieux. Je me reprochai mes hésitations comme un reste d'égoïsme littéraire ou mondain, et je me déterminai à passer outre.

Je pus croire que mon héroïsme allait avoir sa récompense. Tout finit en ce monde, même les ouvrages interminables. Au bout d'un an la roue était placée, les tuyaux posés, les constructions achevées, la fontaine bâtie, le bassin creusé; le robinet, flambant neuf, ne demandait plus qu'à tourner pour nous verser ses trésors. L'ingénieur vint d'un air triomphant me prévenir que je n'avais qu'à fixer le jour de l'inauguration. Il fut décidé que ce serait le jour anniversaire de mon avénement à la mairie. Souvenir radieux, double fête, qui mêlerait toutes les ivresses du passé à toutes les joies de l'avenir!

Une fois résigné sur la question d'argent, j'avais résolu de faire grandement les choses, et voici comment je réglai le programme de la journée: un bal champêtre aurait lieu sur la place; je danserais le premier quadrille avec la fille du percepteur des contributions, et, à un signal donné par le chef d'orchestre, la fontaine se mettrait à couler pendant que nous exécuterions, ma danseuse et moi, une brillante pastourelle. Je ne prétendais pas copier les magnificences du troisième acte de la Juive et changer en vin le premier tribut de la source de Gigondas; mais du moins j'aurais soin que les bons villageois eussent constamment, pendant ce jour mémorable, du vin à mettre dans leur eau. Puis, après les premiers ébats, nous descendrions chez moi avec les notables du pays et l'élite de mes invités: un bon dîner nous attendrait, suivi, si nous étions en nombre, d'une sauterie au piano dans mon salon tapissé de toutes les fleurs de l'automne, comme un reposoir de procession.

Ces riantes perspectives avaient achevé de me rasséréner. Les plaies d'argent se cicatrisaient à vue d'œil; je ne songeais plus qu'à ma gloire et au bonheur de mon peuple. Un seul nuage passait parfois sur ma félicité: que dis-je? ce qui m'inquiétait, au contraire, c'était l'absence de tout nuage, un ciel obstinément bleu depuis le commencement de l'été, une sécheresse implacable qui tarissait les rivières, épuisait les torrents, supprimait les sources, et m'inspirait sur le volume d'eau de ma fontaine des doutes invraisemblables, mais poignants. Quoique bien appauvri par mes profusions municipales, j'aurais donné dix écus d'une averse et dix louis d'une trombe. Vœux inutiles! Les jours succédaient aux jours, l'azur à l'azur, les vingt-cinq degrés Réaumur aux trente degrés centigrade. Je voyais bien une roue, des pistons, des tuyaux; mais tout cela ne fonctionnait pas encore; rien ne me prouvait que la chute d'eau fût assez forte pour que les pistons jouassent, pour que la roue tournât, pour que les tuyaux se remplissent; une ou deux fois je questionnai M. Jules: mais pouvais-je en obtenir une réponse catégorique? Il pressait la publication des bans et achetait la corbeille. «Alea jacta est!» avait dit un grand poëte en se préparant à noyer son pays. «Alea jacta est!» disais-je en m'apprêtant à désaltérer le mien.

XIX

Je sus bientôt que l'inauguration de ma fontaine prenait dans le pays les proportions d'un événement. La province n'est pas difficile en fait de distractions et de commérages, et, depuis un an, il était clair que je préoccupais l'attention publique. Déjà ma nomination avait fort diverti les beaux esprits et les belles dames, curieux de savoir comment je concilierais le culte des Muses avec mes fonctions municipales. Un journaliste du chef-lieu n'avait pas peu contribué à ces flatteuses rumeurs en publiant sur mon installation triomphale un article fulgurant, où il peignait entre autres les vieillards de Gigondas éperdus d'émotion, ivres de joie, enflammés de vin de Tavel, embrassant, faute de mieux, le tronc de mes marronniers, que leurs grands-pères avaient plantés. Cette accolade donnée au règne végétal par le règne animal avait fait fortune, et d'écho en écho était arrivée jusqu'à mes confrères parisiens, qui en avaient ri aux larmes. Cette fois, ce même journaliste, ami et camarade de Jules Mayran, notre jeune ingénieur, tailla de nouveau sa plume des dimanches et écrivit l'article suivant:

«Sursum! sursum! le grand œuvre de la décentralisation littéraire et artistique, scientifique et industrielle, fait chaque jour de nouveaux progrès. Déjà nous avons failli avoir cet hiver un opéra en deux actes, dont les paroles, la musique et les décors sont dus, comme on sait, à trois de nos compatriotes. Si cette solennité dramatique et musicale a été retardée, c'est que notre Laruette, engagé pour les secondes basses-tailles, a cru devoir résilier son engagement, et que la chanteuse à roulades, idole de notre intelligent parterre, n'a pas voulu s'abaisser à chanter un rôle de Dugazon. Mais tout nous fait croire que ces légères difficultés seront levées pour la saison prochaine, et ce jour-là nos dilettanti n'auront plus rien à envier à la moderne Babylone. Espérons-le, grand Dieu! espérons-le! Nous avons vu paraître, ce printemps, chez notre libraire à la mode, un roman, la Bergère du Ventoux, écrit par un membre de notre Académie, et qui laisse bien loin derrière lui les productions indigestes des Balzac, des George Sand, des Dumas, aussi affligeantes pour la morale que pour le goût. Enfin nous savons tous qu'une des plus modestes communes de notre département, la commune de Gigondas, a, depuis un an, pour maire un écrivain distingué, M. Georges de Vernay, qui, chargé des palmes parisiennes, est venu en apporter le tribut à son pays natal. Il signe aujourd'hui les actes administratifs de cette même plume qui a signé tant de fines critiques et d'intéressantes nouvelles. Que dis-je? il prépare en ce moment à sa chère commune un bienfait qui doit attirer éternellement sur son nom les bénédictions de ses administrés. Secondé par un ingénieur habile de notre ville, M. Jules Mayran, il a fait construire une machine qui élèvera jusque sur le plateau du village une eau que, de temps immémorial, les malheureux habitants étaient obligés de venir chercher au bas de leur montagne. Ce magnifique travail est maintenant terminé. C'est dimanche prochain, 15 octobre, qu'aura lieu l'inauguration de cette belle œuvre de décentralisation aquatique. Une fête champêtre sera offerte à cette occasion par M. le maire, dont l'imagination poétique ménagera, nous en sommes sûrs, de charmantes surprises à ses visiteurs. Utile dulci! Nous présumons assez bien de nos lecteurs et de nos lectrices pour être certains que l'élite de notre fashion, les dames les plus haut placées, notre brillante jeunesse, nos plus éminents fonctionnaires, nos savants et nos artistes, se feront une fête de prendre leur part de cette splendide journée. Oui, nous répondrons tous à cet appel du talent descendu de ses sphères idéales pour devenir le bienfaiteur de l'humanité. Sursum! sursum!»

On le voit, si les grands acteurs de mélodrame font précéder leur entrée par un tremolo de violoncelles et de violons, l'entrée en fonctions de ma fontaine était aussi annoncée par une assez belle ritournelle.

Le grand jour arrivé, je me levai avant l'aurore: la persistance du beau temps avait redoublé mes inquiétudes. Non-seulement il n'était pas tombé une goutte d'eau depuis six mois, mais le soleil d'août, attardé en plein octobre, donnait à la campagne un faux air d'Arabie Pétrée. Pas un nuage, pas un souffle d'air; le ciel était d'un bleu de turquoise, et le thermomètre marquait dix-huit degrés à sept heures du matin. Nous devions faire avec le mécanicien et ses ouvriers une répétition générale, afin d'être sûrs que notre prima donna—l'eau—ne manquerait pas sa réplique.

En ce moment le fils Chapuzot,—c'est le nom du mécanicien,—jeune garçon de quatorze à quinze ans, accourut tout essoufflé, et, après m'avoir tiré par la manche de mon habit, il me dit à demi-voix en me prenant à part:

—Nous n'avons que deux litres par seconde: il n'y a pas de quoi faire tourner la roue!...

Avez-vous vu au théâtre, dans certaines pièces modernes, un caissier venir annoncer à son maître que sa maison est en faillite, au moment où s'allument les lustres du bal et où l'on entend le roulement des premières voitures? Ma situation était tout aussi tragique, et je sentis un horrible frisson courir de la racine de mes cheveux à la plante de mes pieds. Comment faire? Il était sept heures; mes invités devaient arriver à onze, et la fête commencer à midi.

—Il faut que la roue tourne! m'écriai-je avec cette énergie du désespoir qui ne calcule pas ses paroles.

—Mais, monsieur le maire, c'est impossible.

—Impossible, petit malheureux! Tu veux donc me déshonorer?... Écoute... qu'il y ait de l'eau jusqu'à ce soir, et puis... la sécheresse, la soif, le néant, la tombe. Demain n'existe pas pour les désespérés! Il n'y a pas assez d'eau, dis-tu, pour que la roue tourne toute seule?... eh bien! fais-la tourner... recrute tous les gamins du village; qu'ils s'y attellent à tour de rôle; je serai grand et généreux... promets-leur de l'argent, beaucoup d'argent... De l'eau à tout prix! sauve-moi du ridicule et de la honte: songe que j'attends dans quelques heures le préfet, le général et les plus belles dames de la ville... va... va!... Ah! s'il ne s'agissait que de livrer ma tête!

Chapuzot s'inclina avec un sourire narquois et courut exécuter mes ordres. J'étais pâle; une sueur froide mouillait mes tempes; et cependant je fus beau de dissimulation stoïque; je me retournai vers mon adjoint et mes conseillers, et, couvrant mes douleurs d'un masque marmoréen, je leur dis:

—Ce n'est rien, messieurs; tout va bien.

Pendant les trois heures qui suivirent, ma fermeté ne se démentit pas un instant; mais j'enviai les jeunes Lacédémoniens, qui n'avaient à cacher qu'un renard dans leur poitrine.

Nous assistâmes à une grand'messe en musique, qui mit tout le monde d'accord—excepté les chantres—pour remercier Dieu des bienfaits de cette journée. A la sortie, j'interrogeai du regard mon ami Chapuzot: il me fit signe que mes ordres s'exécutaient et que nos pompes vivantes s'étaient mises à l'ouvrage. Bientôt nous vîmes poindre les premières voitures, et, si j'avais pu, dans ce moment de crise, être accessible aux fumées de l'amour-propre, j'aurais eu lieu d'être satisfait. Évidemment Gigondas, sa fontaine et son maire avaient ce jour-là un succès de vogue. C'était en diminutif le tout Paris des premières représentations. Autorités, notabilités, beautés, élégances, tout affluait. Les plus jolies femmes du pays donnaient le bras à ses dignitaires les plus huppés. Elles furent d'une grâce charmante pour le critique changé en maire, que la plus lettrée de ces dames appela le loup devenu berger. Elles voulurent—notez ce fait important—descendre, en se promenant, jusqu'à mon château, faire connaissance avec le salon, la salle à manger et la bibliothèque, situées au rez-de-chaussée. La table était dressée d'avance, et elles daignèrent approuver les nappes damassées, d'une éclatante blancheur, les fleurs et les fruits artistement groupés dans des vases de Chine, le vin de l'Hermitage dans des buires de Bohême. Puis elles se passèrent en minaudant mes livres de main en main, et admirèrent les reliures de Durut et de Bauzonnet, avec force compliments pour le propriétaire. Elles entrèrent ensuite au salon: l'une d'elles essaya le piano de Pleyel, qu'elle déclara excellent; et comme la chaleur allait croissant, mes belles visiteuses se débarrassèrent de leurs châles, de leurs écharpes, de leurs fourrures, de leurs mantelets, qu'elles déposèrent sur les divans. C'étaient des gazouillements joyeux, de frais sourires, d'aimables propos, auxquels, malgré tous mes efforts, je répondais avec une préoccupation visible qu'elles eurent la bonté d'attribuer aux fatigues administratives ou aux distractions poétiques.

Midi approchait; nous remontâmes sur la place, qu'avait envahie une foule compacte. Les musiciens préludaient sur leurs instruments: la salle de bal, recouverte d'une tente, décorée de lauriers et de buis, attendait les danseurs. L'adjoint, le garde champêtre, le doyen de la fabrique, se tenaient près de la fontaine, où il ne manquait plus que de l'eau. C'était à ma danseuse que j'avais réservé l'honneur de tourner le robinet. Je voulus prouver que ma gloire ne m'avait pas fait oublier mon premier engagement, et je présentai galamment ma main gantée de blanc à mademoiselle Eugénie Blanchard, fille du percepteur des contributions. Le général et la préfète voulurent bien nous faire vis-à-vis. J'avais l'œil fixé sur l'horloge de la mairie, dont l'aiguille marquait midi moins deux minutes. Mon cœur palpitait; ma danseuse rougissait comme une pivoine. C'était un de ces instants solennels qui sont à la vie ordinaire ce que l'Himalaya est à nos collines.

L'orchestre joua la chaîne des dames. Au moment où je battais un triomphant six-quatre devant la préfète, midi sonna. Je m'arrêtai net; un long frémissement parcourut la foule: l'émotion, l'attente, le désir, l'enthousiasme étaient à leur zénith. Mademoiselle Eugénie, passée de l'écarlate au ponceau, s'approcha de la fontaine et tourna le robinet.... L'orchestre jouait déjà les premières mesures de l'air: Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?...

Rien ne coula. Rien! RIEN! RIEN! En ce moment, il me sembla que Shakspeare s'était trompé, et que Banquo s'appelait Desmousseaux de Givré.

Un même cri, à grand'peine étouffé, vibra et mourut dans toutes ces poitrines. Mes courtisans se hâtèrent d'affirmer que l'eau n'avait pas eu le temps de monter et que nous allions la voir jaillir. L'adjoint se pencha sur le tuyau, et, y collant son oreille, il nous assura qu'il entendait distinctement le bouillonnement de l'eau qui montait. Je me penchai à mon tour, et j'entendis en effet quelque chose comme un bruit souterrain, pareil à celui que produit la pioche d'un mineur. Nous vécûmes encore cinq minutes sur ce bruit et sur cette espérance. Ces cinq minutes envolées, les visages s'allongèrent d'une façon effrayante. Il fallut bien convenir que ce bruit consolateur, au lieu de se rapprocher, s'éloignait. Dix autres minutes effleurèrent mon front brûlant de leurs ailes de plomb et blanchirent plusieurs mèches de mes cheveux. Je n'osais plus regarder autour de moi; ma main serrait convulsivement la main de ma danseuse, qui ne soufflait mot; je croyais lire ma honte inscrite sur toutes les figures. Un silence de glace avait succédé au joyeux murmure de la fête. L'orchestre se taisait; mes administrés étaient au désespoir, et mes invités réprimaient une forte envie de rire. Atterré, hébété, stupide, j'appelais tout bas une catastrophe, une révolution, une attaque d'apoplexie, un coup d'épée, un coup de tonnerre qui vînt rompre, fût-ce en m'écrasant, cette situation intolérable.

Je fus exaucé: le coup de tonnerre demandé se personnifia dans ma servante, qui se précipita haletante sur la place, en criant:

—Monsieur! Monsieur! il y a une fontaine dans votre salon!

A ces mots magiques, l'espèce d'enchantement qui nous tenait immobiles comme Bartholo dans le finale du Barbier de Séville cessa subitement. Nous descendîmes, nous roulâmes comme une avalanche au bas de la côte. Un poignant spectacle nous y attendait.

Voici ce qui était arrivé.

L'eau, aussi capricieuse que les nymphes et les naïades, ses mythologiques patronnes, avait déjoué traîtreusement les efforts de la science. Délogée du bassin où elle coulait depuis des siècles, violentée par une force motrice insuffisante, qui l'avait contrariée sans la dompter, elle s'était ouvert une issue, pendant que nous ajustions les tuyaux neufs destinés à la recevoir, et cette issue souterraine l'avait peu à peu conduite jusqu'au mur de mon rez-de-chaussée. Ce mur était vieux comme tout le reste de la maison: cependant l'irruption n'aurait pas été si soudaine, si les gamins du village, excités depuis le matin par mes ordres et par mes promesses, n'avaient tourné la roue avec une vigueur et un entrain dignes d'un meilleur sort. Cédant à cette impulsion énergique, mais s'obstinant à ne pas monter, l'eau avait suivi sa pente naturelle, et, élargissant une voie déjà frayée, elle était venue battre de sa masse poussée par le jeu des machines un mur lézardé. Quelques heures lui avaient suffi pour y faire sa trouée, et, par un redoublement d'ironie, à l'instant même où, d'après mon programme, elle devait jaillir dans la fontaine officielle, elle me donnait, à domicile, une représentation extraordinaire. La trouée s'était faite, à cinq pieds au-dessus du parquet, à travers une tapisserie des batailles d'Alexandre. Deux gravures, l'Entrée d'Henri IV à Paris et Atala, violemment décrochées, nageaient pêle-mêle avec les femmes de Darius. Le piano, les tables à jeu, renversés sens dessus dessous, ressemblaient à des noyés dont on n'aperçoit plus que les jambes. Les albums, les cahiers de musiques, les keepsakes, les tapis, les potiches, les cadres, les tentures, se confondaient dans un inexprimable chaos. De cette première station l'eau était arrivée dans la salle à manger et dans la bibliothèque, y exerçant des ravages plus cruels encore. Là où l'on avait salué, le matin, l'ordre, l'arrangement et l'élégance, on ne voyait plus qu'une confusion inouïe, de tristes épaves flottant au gré de l'onde. Adieu mon beau linge, si religieusement soigné par ma pauvre Ursule! Adieu les fruits et les fleurs! Adieu les vases et les buires! Mon bon vin, échappé de ses bouteilles brisées, se mêlait à cette eau inhospitalière; mes dressoirs faisaient l'effet d'îles battues par la vague. Les jambons, les galantines, les volailles, le gibier, les soufflés, les compotes, les crèmes, prenaient un bain, côte à côte avec mes beaux livres et mes belles reliures. Mais, hélas! tout cela n'était rien encore, et j'aurais eu à me féliciter d'en être quitte à si bon marché. Les divans du salon avaient été renversés comme les autres meubles, et vous n'avez pas oublié que mes élégantes visiteuses y avaient déposé une partie de leur toilette, afin d'être plus lestes et plus champêtres. J'entendis de petits cris de douleur et de colère auprès desquels une condamnation capitale doit ressembler à un madrigal. «Grand Dieu! le mantelet de madame la préfète!—Ciel! le cachemire de madame la baronne!—Bonté divine! l'écharpe en dentelle de madame la marquise!—Maman, mon boa!—Maman, mon chapeau de paille d'Italie!»—Toutes ces merveilles d'élégance féminine nageaient ou se noyaient dans cette miniature du Déluge.

Je n'ai plus gardé qu'un vague souvenir des moments qui suivirent. Je ne pensais plus, je ne sentais plus, je ne voyais plus. Ursule offrait une image de la statue du désespoir habillée de soie puce. J'avais de l'eau jusqu'à mi-jambe, et je ne m'en apercevais pas. Il me sembla que j'entendais des exclamations, des éclats de rire, puis mes invités demandant d'une voix brève leurs voitures, puis le bruit de ces voitures qui s'éloignaient. Il y avait là un médecin qui eut pitié de moi. Il me prit la main, me tâta le pouls, déclara que j'avais un violent accès de fièvre, donna ordre que l'on me hissât dans ma chambre, que l'on me fît mettre immédiatement au lit, que l'on me servît une potion calmante et qu'on fermât hermétiquement mes fenêtres. Ses ordres furent exécutés comme sur une machine inerte. Toutefois, comme le sens littéraire résiste chez moi aux plus terribles catastrophes, j'eus le temps, avant d'être emporté, d'ouïr les deux mots suivants, qui furent comme l'oraison funèbre de mon programme:

—On ne peut pas dire que M. le maire de Gigondas nous ait reçus sèchement, murmura le préfet.

—C'est tout à fait une hospitalité d'homme de lettres, dit la Philaminte: chez lui la fontaine ne pouvait être qu'une fable.

XX
COMME QUOI IL N'EST PAS NÉCESSAIRE POUR FAIRE UN FOUR,
D'ÊTRE AUTEUR DRAMATIQUE

Il me fallut, après cette catastrophe qui fit du bruit, quatre ou cinq mois pour me remettre le moral en équilibre. Quant aux avaries matérielles, elles ne sont pas encore réparées. Tout compte fait, et sans même compter l'immense déception administrative, il se trouva que le désastre absorbait au moins deux années de mon revenu. Nous nous promîmes, Ursule et moi, de redoubler d'économie. Le voyage en Italie fut ajourné jusqu'à la fusion définitive de l'élément piémontais et de l'élément napolitain, et le voyage en terre sainte jusqu'à la réconciliation radicale des Églises grecque et latine.

Nous avions de la marge, et je commençais à me rasséréner, lorsque l'on vint m'annoncer que le four de la commune allait être vacant. Ce n'est pas une affaire sans importance que la direction du four communal. Il concentre, deux fois par semaine, la vie politique, intellectuelle et mondaine du village tout entier: il s'y débite, comme de juste, beaucoup de fagots; les commérages s'échauffent à cette température, et souvent des réputations de rosières ont été démolies entre deux fournées. Le boulanger ou fournier est un personnage considérable, presque un fonctionnaire: il dépend des caprices de sa montre ou de son humeur de réveiller en sursaut, avant le chant du coq, la femme de l'adjoint, ou de brûler le gâteau à l'huile de la fille du marguillier. Il s'agissait donc de faire un bon choix qui réunît l'utile à l'agréable, et obtînt l'assentiment populaire; car je ne pouvais me dissimuler que, soit par suite de la mobilité proverbiale des masses ignorantes (en cela bien différentes des esprits cultivés), soit plutôt à cause de mes dernières mésaventures, ma popularité avait prodigieusement baissé. Or la voix publique me désignait unanimement, comme le plus digne, un jeune mitron de vingt à vingt et un ans, de la plus belle espérance, natif de Gigondas, mais ayant étudié à Avignon les secrets les plus délicats de la boulangerie. Ses parents étaient au nombre de mes administrés les plus pauvres: mais, justement fiers de leur fils qui ne devait pas manquer de donner du pain à sa famille, ils chuchotaient des paroles mystérieuses dont je n'ai compris le sens que plus tard. On me présenta le jeune homme qui s'appelait Hippolyte (familièrement Polyte), et que je n'avais pas vu depuis sa plus tendre enfance. C'était un beau garçon joufflu, haut en couleur, large d'épaules, ayant l'air heureux d'être au monde et enchanté de sa robuste personne; le type complet d'un Rodrigue de village pour qui tout Gigondas aurait eu les yeux de Chimène. Il me montra complaisamment ses bras musculeux, qui, sans doute, enfournaient son pain avec autant de grâce que Pourceaugnac en mettait à manger le sien. Fasciné par la superbe encolure et les façons victorieuses du beau Polyte, qui s'était fait escorter de toutes les commères de l'endroit, je lui annonçai que je le nommais fournier de la commune; il reçut cette faveur en homme à qui un refus ne semblait pas possible. «Voilà donc enfin, me disais-je, une affaire réglée sans encombre!»

Bientôt, pourtant, je m'aperçus qu'Ursule était soucieuse. Elle avait avec le curé et avec la mère de Polyte de fréquentes conférences où paraissaient s'agiter de graves intérêts. Un jour que le curé dînait avec nous, je le vis faire un signe d'intelligence à ma sœur: puis il me prit à part, et me dit que le retour et le séjour de Polyte dans la paroisse l'inquiétait fort pour la partie la plus aimable, mais la plus fragile de ses ouailles. Déjà il était moins content de sa congrégation; la veille, un dimanche à l'issue des vêpres, il avait vu trois ou quatre de ses plus vertueuses choristes rire et folâtrer avec le superbe mitron, qui les criblait de coups de poing dans le dos; ce qui est, comme on sait, la plus haute expression de la galanterie villageoise. Ce jeune homme était trop beau, trop déluré, trop séduisant: il rapportait au bercail quelque chose des civilisations dangereuses de la ville; bref, on redoutait un malheur, et si ce malheur arrivait, quel désespoir pour le curé! quel chagrin pour le maire!

—Eh bien! dis-je gaiement, puisqu'il y a péril en la demeure, puisque Polyte est si redoutable, nous avons un moyen de neutraliser ce Lovelace: le voilà avec un état, un four et une petite maison que je lui loue pour rien: trouvons-lui une femme! Marions Polyte!

—C'est ce que nous allions vous demander, mademoiselle votre sœur et moi, répliqua le curé un peu tranquillisé.

Il était donc décidé que nous marierions Polyte. Avec qui? ce détail ne m'inquiétait guère: j'avais lieu de croire que le gaillard n'aurait que l'embarras du choix. Je lui en touchai quelques mots auxquels il répondit vaguement, mais d'un petit air guilleret et sournois qui me donnait beaucoup à penser.

Pour le moment, l'essentiel, d'après Ursule et le curé, était de le piquer d'honneur, de le mettre au pied du mur matrimonial, en préparant d'avance le logement des deux époux; ce qui, en y ajoutant mes bontés, le four et les avantages personnels de Polyte, suffirait à faire de lui un des meilleurs partis du village.

Ursule, en cette circonstance, se relâcha de sa parcimonie habituelle: on acheta du linge, une commode, un lit, une crédence; on fit recrépir au lait de chaux la chambre de l'escalier; le tout sur la cassette particulière du maire, qui, depuis longtemps, hélas! n'avait plus de cassette. Enfin, quand tout fut prêt, les draps pliés, les chemises marquées, les serviettes ourlées, les cloisons blanchies, quand je croyais n'avoir plus qu'à jouir de mon ouvrage et à calculer intérieurement le nombre de blanches colombes arrachées aux pattes de ce ramier, une idée foudroyante me traversa de part en part: Polyte n'avait pas tiré à la conscription!...

Je le fis venir, et lui dis avec une sévérité tout administrative:

—Mais, malheureux! vous nous avez laissés faire des préparatifs qui me coûtent les yeux de la tête, et vous n'avez pas encore tiré au sort!...

—C'est vrai, monsieur le maire, répondit-il en se dandinant; mais je suis bien tranquille: j'ai toujours eu du bonheur; je suis sûr de tirer le meilleur numéro de la classe.... D'ailleurs, ajouta-t-il finement, quand même je tirerais mauvais, tout le monde sait... qu'il dépend de monsieur le maire... de me faire exempter.

Ici Polyte, malgré son aplomb, s'arrêta terrifié par l'expression de fureur qui se peignit tout à coup sur mon visage. Il faut savoir que les paysans du Midi, et probablement de toute la France, ont une superstition dont rien ne peut les guérir: c'est qu'il suffit d'avoir une certaine position sociale, d'occuper des fonctions quelconques, fût-ce les plus modestes, pour disposer arbitrairement de toutes les consciences administratives, chirurgicales et militaires, de qui dépend le sort des conscrits. J'ai beau me fâcher, m'emporter, sauter au plafond, rien n'y fait: les solliciteurs s'en vont bien convaincus que mon pouvoir est sans bornes, et que si je refuse de leur donner un petit coup de main, c'est faute de bonne volonté. Or, j'aimerais mieux, s'il le fallait absolument, commettre un vol à main armée ou croire au génie de M. de Pongerville, que tenter de faire réformer un conscrit aux dépens d'un autre, lequel pourrait avoir du malheur à la guerre ou à l'hôpital et laisser sa famille dans le désespoir ou la misère. Cette idée seule me fait frémir; aussi, toutes les fois qu'un de mes incorrigibles remet la question sur le tapis, je suis plus furieux que si l'on me lisait une tragédie. Je réussis pourtant à me contenir, pour ne pas trop compromettre ma dignité magistrale devant mon inférieur, et je dis froidement à Polyte:

—Vous avez donc des cas d'exemption?

—Oui, monsieur le maire: un rhumatisme à la jambe gauche, un commencement d'anévrisme au cœur et la poitrine attaquée....

Notez que, dans son empressement, il était accouru en costume de four, et qu'à travers sa chemise entr'ouverte j'admirais un torse d'Hercule Farnèse.

—Allez, mon ami, lui dis-je avec un calme très-mal joué, allez enfourner votre pain; quand le moment viendra, nous nous occuperons de vos infirmités.

Le jour du tirage, Polyte se présenta devant l'urne, les épaules effacées et la bouche en cœur, comme un ténor qui va chanter son air. Hélas! son étoile lui fit faillite: il amena triomphalement le numéro deux.

La consternation à Gigondas fut générale. Ce diable de Polyte était de ces gens qui ont, comme Létorières, la clef des cœurs: toutes les filles fondaient en larmes, comme si toutes avaient eu l'espoir de l'épouser. Leur douleur était aussi touchante que bavarde. Les parents du conscrit malheureux rôdaient sans cesse autour de moi, et recommençaient à l'envi ce duo mystérieux qui m'avait déjà si fort intrigué. On affectait de parler de mon crédit auprès du préfet, de mon ami le général, que je n'avais jamais vu. Les insinuations, les sollicitations, les prières, muettes ou formulées, m'arrivaient de toutes parts et sous toutes les formes. Il était clair que si je ne faisais rien pour tirer Polyte de ce mauvais pas, ma popularité, déjà fort en baisse, tomberait au-dessous de zéro. Pourtant je tenais bon, me bornant à répéter gravement que le drame se dénouerait le jour de la séance du conseil de révision.

Ce jour fatal arriva, et le dénoûment fut tel que je l'avais prévu. Quand Polyte parut en costume de mitron du paradis terrestre, et que le conseil procéda à la révision de sa constitution, il y eut parmi ses juges un long murmure d'enthousiasme; je crus un moment que le général—un vieux de la vieille—allait se jeter sur lui comme un ogre affamé de chair fraîche. Ce gracieux embonpoint, uni à cette riche musculature, plongea le chirurgien-major en extase. Aussi, lorsque Polyte essaya d'alléguer ses infirmités, l'admiration se changea en une explosion d'hilarité. Le rictus du lieutenant de gendarmerie s'ouvrit comme celui d'un crocodile, et le conseiller de préfecture fit un calembour. Le trop superbe numéro deux fut déclaré d'une voix unanime bon à partir. Mais il eut une compensation: on le proclama le plus bel homme de son canton, et le général lui affirma qu'avec un peu de protection il pourrait entrer dans les cent-gardes.

XXI

Le lendemain de cette journée mémorable, Polyte entra chez moi de bon matin; il était cette fois en grande tenue, et sa figure exprimait une foule de sentiments complexes:

—Monsieur le maire, me dit-il, si je suis obligé de partir, je manque ma fortune...

—Votre fortune! répliquai-je, pas précisément... mais enfin nous aurions fait de notre mieux pour vous assurer les moyens de vivre honnêtement dans votre état.

—Il s'agit bien de mon état! reprit-il avec un dédain magnifique; je veux parler de Lise Trinquier.

—Lise Trinquier!... qu'est-ce que c'est que Lise Trinquier?

—Lise Trinquier! vous ne connaissez pas Lise Trinquier? Mais c'est la fille du plus riche vétérinaire d'Avignon, proche voisin du boulanger chez qui j'étais apprenti... Lise a perdu sa mère, qui lui a laissé trente mille francs, déposés chez M. Girard, notaire, rue Banasterie. Son père vient de se remarier avec une femme de quarante-cinq ans, qui n'aura pas d'enfant; sa fille aura encore mieux de vingt-cinq mille francs de ce côté-là. Enfin, monsieur le maire, Lise a une tante... une vieille tante qui est sa marraine, qui l'aime comme sa fille, et dont elle sera l'unique héritière.... Cette tante, madame Cuminal, est immensément riche: elle possède une maison à Montheux, un moulin, trois olivettes, un pré, un clos, un jardin potager; elle récolte, bon an, mal an, douze salmées de blé et quarante quintaux de garance... elle a une vigne, monsieur, et quelle vigne!... une vigne de deux hectares!

—J'aimerais mieux que ce fût d'un hectare (du nectar), dis-je étourdiment, oubliant qu'un maire ne doit pas se permettre de paillettes.

Polyte ne comprit pas: il était plongé jusqu'aux oreilles dans le Pactole de la tante Cuminal.

—Enfin, poursuivit-il, sa fortune est évaluée à quatre-vingt mille francs; et tout cela sera pour sa nièce, pour Lise Trinquier!

—Et Lise Trinquier est...

—Folle de moi, fit Polyte en donnant à ces trois mots la valeur d'un long poëme.

—Et on vous la donne, comme cela, tout uniment, sans que vous ayez à apporter autre chose que votre bonnet de coton?

—Ah! pardon... on exige avant tout que je sois réformé ou... exonéré.

Ceci méritait considération: on a vu des rois épouser des bergères; le roman nous a montré des filles de ducs et de marquis amoureuses de simples artisans. Pourquoi Polyte, me disais-je, ne serait-il pas adoré par Lise Trinquier? Évidemment les distances étaient moindres. D'une autre part, ce on me semblait un peu vague. Qu'était-ce, en réalité, que ce on? le père, la fille ou la tante? Séparément ou tous les trois ensemble?

—Mon ami, dis-je à Polyte, je prendrai des renseignements, et s'ils me prouvent que vous m'avez dit la vérité... eh bien! nous verrons, nous aviserons.... Réformé, il n'y faut plus songer... exonéré, c'est un peu cher: deux mille cinq cents francs... et vous n'avez guère d'autres répondants que vos deux bras. Mais enfin, si réellement Lise Trinquier vous aime, et si la tante Cuminal ne vous voit pas de trop mauvais œil, nous tâcherons d'arranger tout cela... Je n'ai certainement pas le cœur assez sec pour laisser un de mes conscrits manquer, faute d'un peu d'aide, ce parti californien.

Cet adjectif si neuf (pour Gigondas) dépaysa un peu Polyte, qui ne s'en répandit pas moins en effusions de reconnaissance.

Je me mis immédiatement en campagne, et averti par de pénibles expériences, je déployai cette fois tout le machiavélisme dont je me croyais pourvu. Mon vieux cheval tomba malade juste à point; je l'envoyai en pension chez Trinquier, le vétérinaire, afin d'avoir des intelligences dans la place; mes émissaires firent jaser les ouvriers et les voisins, et bientôt je sus, à n'en pas douter, que les renseignements fournis par Polyte étaient parfaitement exacts. Trinquier était riche; il avait eu de sa première femme une fille unique, qui s'appelait bien Lise, et à laquelle sa mère avait laissé, disait-on, une trentaine de mille francs. Je m'arrangeai pour voir moi-même Lise Trinquier au sortir de la messe: c'était une fille fort laide, très-brune et même passablement noire, dont les yeux, le teint, les sourcils abondants et la bouche ornée d'un commencement de moustache dénotaient le caractère inflammable. Mis en goût par ces premiers résultats, j'allai de ma personne à Montheux, le bourg habité par la tante Cuminal. Le percepteur des contributions me confirma tous les détails que Polyte m'avait donnés touchant les immeubles possédés par cette tante, qui passait à Montheux pour une marquise de Carabas. J'appris que Lise était en effet sa filleule et serait très-probablement son héritière. Enfin, je me transportai chez maître Girard, le notaire, que je connaissais de vieille date: il me répéta que les trente mille francs légués par la mère Trinquier et placés au cinq pour cent sur première hypothèque, seraient intégralement comptés à Lise le jour de son mariage. On le voit, tout s'ajustait admirablement au récit de Polyte. Cependant je ne fus pas satisfait: je voulais tout prévoir, tout calculer, n'avoir pas à me repentir plus tard de trop de précipitation et de confiance; je dis à Polyte:

—Mon garçon, tout cela est bel et bien: Lise existe, les chiffres sont exacts, la tante Cuminal a la physionomie de l'emploi; mais qui me garantit la nature du sentiment que vous avez inspiré à cette jeune fille? Est-ce une amourette, un caprice, une passion? Est-ce son cœur qui a parlé? est-ce seulement sa tête! Nous autres romanciers psychologistes, nous tenons grand compte de ces différences!...

Polyte écarquilla de gros yeux, se demandant sans doute si je parlais turc ou iroquois. Puis sa face vermeille reprit son expression de contentement et de fatuité villageoise. Évidemment mes doutes l'humiliaient, non pas pour lui, mais pour moi et pour ma commune. Il gémissait d'avoir un maire aussi peu certain des moyens de séduction de ses administrés.

—Monsieur, me dit-il enfin, c'est dimanche prochain le bal du Corps-Saint (quartier populaire d'Avignon). J'y serai, Lise y sera; vous pourrez la questionner vous-même: elle vous connaît (qui ne connaît pas M. le maire de Gigondas?); elle vous aime déjà comme mon bienfaiteur, et elle aura confiance en vous.

Ces paroles, assez adroitement tournées, furent dites d'un ton de sécurité qui devait achever de me convaincre. Le dimanche, je ne manquai pas d'aller à ce bal, où dansaient gaiement toutes les grisettes et toutes les petites bourgeoises du quartier: Lise, en grande toilette, y figurait au premier rang; les galants affluaient; Polyte les dépassait de toute la tête, et les joues de sa danseuse, quand il battait devant elle un victorieux entrechat, offraient un heureux assemblage de coquelicot et de noir de fumée. Il me ménagea, entre deux quadrilles, une courte conversation avec elle; mais j'avais compté sans la pudeur et la timidité virginales. A toutes mes questions, insidieuses ou directes, Lise répondit par des monosyllabes dont un juge d'instruction aurait eu grand'peine à tirer parti. Aussi bien, pouvait-elle me répondre autrement? Ses yeux, tendrement fixés sur le beau Polyte, ne parlaient-ils pas pour elle? Lui demander davantage, n'était-ce pas méconnaître les susceptibilités féminines, attenter à une sensitive, porter une main brutale sur ces ailes de papillon qu'on appelle les rêves de jeune fille, manquer en un mot à toutes les traditions de cette littérature des délicats, à laquelle j'avais eu un moment la prétention d'appartenir? Je me condamnai, pour ma pénitence, à venir en aide à Polyte. Mes renseignements n'étaient-ils pas complets? N'avais-je pas épuisé et même dépassé tout ce que pouvait exiger la plus minutieuse prudence?

Je m'exécutai donc de bonne grâce. Trois jours après, j'empruntai, à l'insu de ma sœur, les deux mille cinq cents francs et je les comptai à Polyte, qui me fit un billet bien en règle sur un papier dont je payai le timbre. Je lui adressai, sur les conséquences formidables qu'aurait pour lui son insolvabilité, un speech qu'il écouta avec une scrupuleuse attention. Il m'appela son sauveur, emporta les rouleaux et s'en alla en sifflotant l'air de Fernand dans la Favorite.

Quinze jours s'écoulèrent, puis six semaines, puis deux mois. Polyte continuait d'enfourner son pain à la satisfaction générale. Je profitai de notre première rencontre pour lui demander où en étaient ses préparatifs de mariage.

—Ah! voilà... me dit-il d'un air un peu embarrassé; si la chose dépendait de Lise, ce serait déjà fait!... elle m'aime tant! ajouta-t-il en levant les yeux au ciel. Mais le père et la tante Cuminal ne veulent pas en entendre parler: ce sont des ambitieux, des orgueilleux, des vaniteux, qui me méprisent parce que je n'ai rien, et qui ont rêvé pour Lise un grand mariage: ils espèrent lui faire épouser le greffier Malingray...

—Mais enfin le père Trinquier est remarié; sa fille a le bien de sa mère; elle est maîtresse de sa personne, et si elle vous aime véritablement...

—Ah! c'est qu'elle est mineure, reprit Polyte en se grattant l'oreille, et...

—Mineure, juste ciel! mais elle a de la barbe!... Je lui donnais vingt-trois ou vingt-quatre ans.

—Monsieur le maire, elle aura dix-huit ans aux prunes...

—Aux prunes, grand Dieu!... Allons, j'ai fait une sottise; ce ne sera ni la première ni la dernière. Mais vous, petit malheureux, vous avez singulièrement abusé de ma confiance!

Je ne voulus pas me tenir pour battu. La pureté de mes intentions, le désir de rattraper mes deux mille cinq cents francs, un certain goût de romanesque que j'avais gardé de ma vocation primitive, me donnèrent une hardiesse que je n'aurais jamais eue pour moi-même. Je demandai un rendez-vous à Lise Trinquier, et je l'obtins. J'interrogeai l'intéressante mineure avec un mélange d'autorité paternelle, de gravité municipale et de paradoxe sentimental. Ses réponses trahirent un défaut absolu d'énergie et d'initiative, et même, hélas! un certain penchant à sacrifier au Veau d'or, aux vanités de ce monde, à ce luxe effréné qui est la plaie de notre époque... Elle aimait bien Polyte, mais le greffier Malingray avait un joli pavillon à un demi-kilomètre de la ville, et il promettait de l'y conduire en voiture!

Au reste, je n'eus pas le temps de m'abandonner aux réflexions mélancoliques que me suggérait cette nouvelle preuve de l'appauvrissement de l'esprit romanesque en France. A peine étions-nous ensemble, Lise et moi, depuis dix minutes, que la porte s'ouvrit avec fracas, et le père Trinquier parut, une énorme trique à la main... Rassurez-vous, mesdames, je dois ajouter bien vite que cette trique ne m'était point destinée.

—Ah! monsieur le maire, me dit-il d'un ton où le respect et la colère se combinaient à des doses très-inégales, il est heureux pour vous que je ne sois pas aveugle; car je vous aurais tapé comme un sourd... Je croyais ma fille enfermée avec ce gueux de Polyte... Quant à vous, je vous respecte, parce qu'au fond vous n'êtes pas un méchant homme, et que, de père en fils, j'ai toujours ferré votre famille... mais vous faites-là un vilain métier. Vous qui avez mis le nez dans tous les livres, vous avez lu sans doute le Code pénal; vous savez, en cas de détournement de mineure, à quoi s'exposent les complices... Je ne vous dis que ça.—Et toi, malheureuse, poursuivit-il en se tournant vers sa fille avec un geste de mélodrame, si tu ne veux pas que ce bâton te brise comme verre, tu vas me jurer devant Dieu et devant monsieur le maire de ne plus revoir ton infâme Polyte!

—Oui, papa, oui, papa!... se hâta de répondre Lise en sanglotant.

—Et d'épouser mon excellent ami, M. Simonin Malingray...

Nouveaux sanglots.

—Oui, papa, oui, papa... dit-elle enfin moins distinctement.

Je compris que toute espérance était perdue, et je ne songeai plus qu'à sauver ma sortie.

J'abaissai sur le père Trinquier un regard olympien; puis je dis à sa fille:

—Mademoiselle, la poésie est morte, le roman se meurt; vivent les greffiers, et soyez heureuse!... Mais si jamais votre imagination avide d'idéal se débat, captive et meurtrie, dans les étreintes de la réalité; si jamais votre regard, un moment tourné vers les perspectives radieuses de l'infini, se reporte avec douleur sur l'étroit horizon d'un ménage vulgaire; si votre front, desséché par cette lourde atmosphère, appelle en vain des brises plus fraîches et plus douces; si votre cœur, rivé à sa chaîne, regrette les ardeurs et les délicatesses du véritable amour, souvenez-vous que vous avez fermé vous-même, à dix-huit ans, de vos mains fébriles, le livre à peine entr'ouvert du sentiment, de la rêverie, de l'enthousiasme et de la jeunesse! Souvenez-vous, mademoiselle, que vous aviez le goût du bonheur et que vous n'en avez pas eu le courage!!...

Et je sortis majestueusement, laissant Lise et son père occupés à méditer le sens de mes paroles.

Très-peu de temps après, Polyte s'arrachait les cheveux en apprenant le mariage de Lise avec M. Malingray, qui fit magnifiquement les choses. La corbeille arriva tout droit de Paris, et le dîner de noces fut un des chefs-d'œuvre de Campé, ce cuisinier merveilleux qui a décentralisé la gastronomie.

Cinq mois plus tard, je vis entrer dans mon salon le curé par une porte et Ursule par une autre; tous deux étaient pâles, mornes, effarés, suffoqués. Une horrible catastrophe se lisait d'avance dans leur attitude.

—Ah! monsieur le maire, je vous l'avais bien dit, s'écria le digne homme, il faut marier Polyte, il le faut! Ce n'est plus seulement nécessaire, c'est urgent, très-urgent...

—Très-urgent, répéta Ursule, les yeux baissés.

—Marier Polyte? et avec qui? demandai-je.

—Avec Madeleine Tournut, une de mes congréganistes, bredouilla le pauvre abbé en rougissant jusqu'aux oreilles.

Madeleine Tournut était une assez jolie fille, mais pauvre comme le fut Job avant d'être duc.

—Il le faut?

—Il le faut.

—Il le fallait, bégaya Ursule, qui, par cette variante, acheva d'éclaircir la situation.

—Absolument?

—Absolument.

—Et promptement.

Ces deux adverbes joints ne suffisaient pas pour servir de dot à Madeleine. Le jeune couple, riche d'amour, mais ne possédant pas d'autre richesse, fut marié gratis. Ursule, qui se reprochait sans doute de ne pas avoir fait assez bonne garde, se punit aux dépens de sa bourse et de la mienne. Nous payâmes tout.

Moyennant une indemnité annuelle dont je me reconnus débiteur envers la commune, j'assurai à Polyte pour dix ans la propriété de son four.—Quant à moi, mon four était complet.

XXII

Ces trois épisodes peuvent vous donner une juste idée de mes succès administratifs et de mes économies municipales. Je pourrais encore vous en raconter huit ou dix du même genre; mais à quoi bon? Le cadre est trop étroit pour que les tableaux soient bien variés, et vous finiriez, mesdames, par me trouver très-ennuyeux si vous n'avez commencé par là: l'essentiel est de constater, en guise de moralité, que l'écharpe de maire ne m'a pas mieux réussi que la férule de critique: c'est que là-bas comme ici, à Paris comme au village, l'homme est toujours le même. Pour se gouverner à travers ses passions et ses vanités, il faut une habileté que je n'ai pas. Je m'étais brisé sur les récifs du boulevard Montmartre; j'ai échoué sur les écueils de ma pauvre commune de Gigondas.

—Puissamment raisonné! dit M. Toupinel qui, malgré son tempérament sanguin, avait écouté ce long récit sans donner trop de marques d'impatience: mais, monsieur le maire ou monsieur le critique, il ne suffit pas d'être modeste; tout homme de lettres le serait autant que vous,—c'est une des qualités inhérentes à la profession,—il faut encore être clair et honnête; clair pour nous, pauvres Athéniens de Thèbes-la-Gaillarde, sur qui vos pseudonymes, à la la Bruyère ou par à-peu-près, produisent exactement l'effet de la lanterne magique du singe de Florian; honnête pour messieurs les Parisiens, qui, si vous publiez jamais vos Mémoires, ne manqueraient pas de vous accuser de ne pas avoir mis d'étiquette à vos transparents. Entre nous qui ne comprenons pas assez et ceux qui comprendraient trop, vous n'avez qu'un moyen de tout concilier: c'est de nous donner, dès ce soir, le trousseau de clefs que vous avez sans doute dans votre poche...

—Rien de plus juste, répliqua George de Vernay; ces diables de noms propres sont si terribles à manier, que je les ai momentanément ajustés à ma commodité particulière; mais, à présent, je suis à vos ordres; établissons, si vous le voulez, un dialogue par demandes et par réponses, comme dans le catéchisme: ce sera une sorte de table des matières...


  • —Eh bien, attention! je commence:—Qui entendez-vous par Eutidème?
  • —M. Jules Sandeau.
  • —Et Théodecte?
  • —M. Louis Veuillot.
  • —Et Euphoriste?
  • —M. Ernest Legouvé.
  • —Et Iphicrate?
  • —M. de Falloux.
  • —Et Théonas?
  • —Lacretelle.
  • —Et Argyre?
  • —M. Edmond About.
  • —Et Colbach?
  • —M. Louis Ulbach.
  • —Et Porus Duclinquant?
  • —M. Taxile Delord.
  • —Et Clistorin?
  • —Le docteur Véron.
  • —Et Molossard?
  • —M. Barbey d'Aurevilly.
  • —Et Schaunard?
  • —Henry Mürger.
  • —Et Caméléo?
  • —M. Paulin Limayrac.
  • —Et Marphise?
  • —Madame Émile de Girardin, née Delphine Gay.
  • —Et Lélia?
  • —George Sand. (Alcade, saluez!)
  • —Et Caritidès?
  • —M. Sainte-Beuve.
  • —Et Polycrate?
  • —Gustave Planche.
  • —Et Polychrome?
  • —M. Théophile Gautier.
  • —Et Bernier de Faux-Bissac?
  • —M. Granier de Cassagnac.
  • —Et Poisonnier?
  • —M. Vivier.
  • —Et Massimo?
  • —M. Maxime du Camp.
  • —Et Lorenzo?
  • —M. Laurent Pichat.
  • —Et Falconey?
  • —Alfred de Musset.
  • —Et Olympio?
  • —M. Victor Hugo.
  • —Et Julio?
  • —M. Jules Janin.
  • —Et Raphaël?
  • —M. de Lamartine.
  • —Et Bourimald?
  • —M. Méry.
  • —Et Hermagoras?
  • —M. de Balzac.

—A la bonne heure! maintenant vous avez mon estime: reste à savoir si votre récit a ému la sensibilité de ces dames...

On entoura, on applaudit, on plaignit George de Vernay; mais tout à coup, au milieu de cette ovation de province, une voix solennelle s'éleva pour protester: c'était celle de M. Margaret, vieux magistrat en retraite, qui passait pour le Nestor de la contrée:

—Jeune homme! dit-il (George a cinquante ans), j'ai été intimement lié avec votre excellent père; ma vieille amitié vous a suivi, à votre insu, à travers toutes vos mésaventures parisiennes; et si j'ai, grâce à mon âge, mon franc parler avec tout le monde, ce n'est pas une raison pour que je vous épargne vos vérités. Rien, absolument rien, dans votre histoire, ne mérite l'intérêt qu'on vous témoigne. Tous vos malheurs viennent d'un défaut absolu de réflexion et de prévoyance, d'un manque d'équilibre intellectuel que je résume en ces termes: Vous aviez trop d'imagination pour un critique, pas assez pour un romancier: c'est pourquoi vous avez perpétuellement flotté entre vos impressions mobiles qui ôtaient à vos jugements littéraires toute solidité et toute fermeté, et vos lubies aristocratiques qui gâtaient à plaisir les créations de votre cerveau. Vous avez fait de la critique avec vos passions et du roman avec vos systèmes. Il en est résulté que vos appréciations des œuvres et des hommes ont sans cesse dépassé la mesure en bien ou en mal, et que vos fictions romanesques ont péri dans le faux et dans l'ennui. Vous, un critique! oh! que non pas! Il faut au critique de la gravité, et vous êtes léger; de la profondeur, et vous êtes superficiel; du savoir, et vous êtes ignorant; de l'Antiquité, et vous ne savez pas le latin!...

—Oh! s'écria George avec un soubresaut, comme si on avait marché sur ses cors...

—Non, vous ne le savez pas, reprit M. Margaret avec plus de force: Voyons! scandez-moi seulement ces trois mots: Urit fulgore suo!...

Urit, deux longues, bredouilla le patient, semblable à un aspirant au baccalauréat que son examinateur embarrasse; fulgo, deux longues; re su, deux brèves; o, une longue; cet hémistiche ne peut entrer dans un hexamètre...

—Et vous l'y avez mis, ignare que vous êtes! vous avez oublié, enim: Urit enim fulgore suo, ignorantus!

Ignoranta, ignorantum; dignus est intrare; cabricias arci thurum, Catalamus singulariter, exclama George pour se rattraper.

—Oui, vous savez le latin de Molière; mais vous ne savez pas celui de Cicéron et de Virgile; voilà qui est dit!...

—Mais j'ai eu, au concours général, un prix de vers latins, un prix de narration latine, un prix de discours latin et un prix de dissertation latine!

—C'est possible; mais cela date de si loin! Moi aussi, j'ai dansé la gavotte, en 1807, comme Trénis; et aujourd'hui je ne saurais pas mettre un pied devant l'autre. Non, mon cher, vous n'êtes pas un critique; vous seriez tout au plus un causeur, si vous aviez su mener côte à côte vos défauts et vos qualités. Hélas! monsieur tranche du grand; monsieur a voulu se lancer dans le morceau d'apparat: ah! mon pauvre ami, qu'alliez-vous faire dans cette galère? Tenez, il y a dans vos volumes,—non pas, comme on l'a dit, en tête du premier, mais du quatrième—une grosse tartine philosophique et déclamatoire que je n'ai jamais pu digérer: cela s'appelle, je crois: la Littérature et les Honnêtes gens. Vilain titre, jeune homme, vilain titre! J'en ai vu un à peu près pareil, il y a quarante-trois ans, dans le Conservateur, qui n'a rien conservé du tout. Les Honnêtes gens! mais c'est donner à entendre qu'il y a des gens qui ne le sont pas; c'est médire de la société actuelle, qui du reste est au-dessus de semblables médisances. Vous avez, messieurs, de ces manières exclusives qui établissent des classes, des catégories, des camps, là où il ne devrait y avoir que de bons Français, appréciateurs éclairés des bonnes et belles choses. Ainsi vous dites encore: Nous autres catholiques. Quelle arrogance! mais tout le monde est catholique, excepté les protestants, les juifs et les Turcs; seulement, il y a ceux qui vont à la messe, et ceux qui n'y vont pas; et ceux-là ont peut-être droit à plus d'égards que les autres: leur religion est en dedans, et vous n'êtes pas sans savoir que les sentiments contenus sont les plus vivaces. Votre titre était donc détestable, et vous en avez été cruellement puni. Grand Dieu! quel amphigouri! quel jargon métaphorique! «Telles sont les questions que je veux effleurer ici, comme on plante un jalon à l'entrée d'une route.»—Effleurer et planter dans la même phrase! Vraiment, vous méritez que je vous effleure la joue et que je vous plante là dès les premières lignes: ceci n'est rien. Voici qui enlève la paille: «Cette philosophie à la fois si destructive et si stérile, cette révolution si radicale et si impuissante, avaient montré l'homme réduit à lui-même dans un état de misère, de crime et de nudité: il ramenait sur sa poitrine les lambeaux de ses croyances, déchirées à tous les angles du chemin qui l'avait conduit des bosquets du paganisme-Pompadour aux marches de l'échafaud.» Ouf! ouf! ô Cathos! ô Madelon! ô Gali! ô Thomas!

George baissait la tête, et j'ai su, depuis, qu'il était, sur ce malheureux morceau, si horriblement rempli de cartilages, tout à fait de l'avis de son critique: M. Toupinel vint à son secours:

—Permettez, monsieur! dit-il au formidable octogénaire: est-il bien juste de prendre dans un ensemble de sept volumes le chapitre le plus mal réussi, et, dans ce chapitre, huit ou dix lignes qui, séparées du reste, n'en paraissent que plus boursouflées et plus grotesques? Quel ouvrage serait de force à résister à ce procédé? Voulez-vous un exemple? Je me souviens qu'en 1840 M. de Balzac se livra, vis-à-vis du premier volume de Port-Royal, de M. Sainte-Beuve, à un échenillage du même genre, et il fit rire tout Paris aux dépens de l'auteur et de l'œuvre. Et cependant l'œuvre a survécu, parce qu'elle est charmante, et aujourd'hui les mêmes gens de goût admirent à la fois Sainte-Beuve et Balzac: grande leçon, soit dit en passant, contre les querelles littéraires!...

—Dont les gens de lettres ne profiteront pas, grommela entre ses dents M. Verbelin.

—Je n'ai pas tout dit! je n'ai pas tout dit! reprit M. Margaret en se redressant: et l'histoire, jeune homme! l'histoire! Quand vous étudiez le livre d'un historien, il semble,—le mot est de vous,—que vous apprenez, en le lisant, ce que vous êtes censé enseigner à vos lecteurs: vous êtes à la merci de votre auteur; vous ne réagissez pas contre lui; vous ne lui résistez pas!

—Juste ciel! Je ne lui résiste pas! je ne leur ai que trop résisté, et c'est pour cela que l'on m'a assassiné: J'ai résisté à M. de Chalambert, racontant l'histoire de la Ligue, si méchamment mise à mort par Henri IV; j'ai résisté à M. Nicolardot, ministre des finances de Voltaire, et j'y ai attrapé quelques bonnes égratignures; j'ai résisté à M. Roselly de Lorgues, le colossal historien de Christophe Colomb, et j'y ai perdu quatre majuscules; j'ai résisté à M. d'Haussonville, sacrifiant un peu trop, dans son excellent livre, Louis XIV et la France à la Lorraine et à ses ducs; j'ai résisté à M. Cousin, non pas au Cousin de madame de Longueville et de madame de Hautefort, mais au Cousin de mademoiselle de Scudéry, de Clélie et de Cyrus: j'ai résisté...

—Assez! assez! personne n'ignore, mon pauvre ami, que vous n'excellez pas dans les morceaux de résistance. Ce que je veux aussi vous reprocher,—et ici, mesdames, je vous prierai d'envoyer vos filles dans la salle à manger pour préparer les sandwiches,—c'est l'impudicité de votre style. Ceci, mon cher, tient à votre chasteté exagérée. Il n'y a rien de tel, en effet, que ces esprits chastes pour se complaire dans certains détails croustilleux, certaines images alléchantes, certaines expressions lascives, qui... que... enfin je m'entends: c'est au point qu'on rencontre à chaque pas, dans vos écrits, le mot immondices et le mot souillures...

Souillures! immondices! quelle horreur! dit en minaudant une femme un peu mûre, très-décolletée pour une mère de famille: Aglaé, mon enfant! il est dix heures; va-t'en vite! Pélagie doit t'attendre au bas de l'escalier...

Immondices! souillures! poursuivit M. Margaret: ceci me confond et me révolte chez un écrivain vertueux. Que l'auteur de Mademoiselle de Maupin nous montre... que l'auteur de Madame Bovary nous décrive... que l'auteur de Fanny nous fasse voir... ce n'est rien, ils sont dans leur droit; l'art, le grand art excuse et purifie tout; la morale, la grande morale leur pardonne et leur sourit: mais souillures et immondices! Fi donc! Votre main n'a pas tremblé, votre front n'a pas rougi, votre cœur ne s'est pas soulevé, quand vous écriviez ces syllabes sales! Ah! messieurs les dévots! ce sont là de vos inconséquences! Encore et toujours Tartufe rudoyant le sein de Dorine et chiffonnant le genou d'Elmire!

—Monsieur, vous êtes impitoyable! s'écria madame Charbonneau; vous traitez bien mal M. de Vernay, qui va nous accuser de trahison...

—Laissez-moi faire, madame! reprit le vieux magistrat: il vaut mieux que ses vérités lui soient dites par moi que par ses ennemis. J'ai encore à demander à George pourquoi, lui qui se pique de politesse et de bonnes manières, lui, le chevalier français, l'aristocrate, le troubadour de pendule, il s'abandonne à des violences, à des invectives, à des acrimonies incroyables. Comment se fait-il que ces gentilshommes, dès qu'ils se mettent à écrire et qu'ils font de la critique, enveniment si aisément leur plume, et en viennent, dès les premiers mots, à dire des choses?...

—Sacrebleu! je voudrais bien vous y voir! interrompit George en éclatant: vous me paraissez d'une humeur peu endurante; vous en seriez vite aux gros mots. Quant à moi, je puis vous dire, en toute conscience, que je n'étais pas venu au monde comme ça. Mais il faut être juste pour tous, même pour ceux qui ont le désagrément de posséder un de devant leur nom. Quand on supporte, depuis quinze ans, le poids du jour et de la chaleur, quand on a eu à ses trousses les plus rudes jouteurs de la critique à coups de stylet ou à coups d'épingle, quand on a été immolé cent fois sur les autels de la démocratie et les tables d'estaminet, quand on a été traité d'idiot, de crétin, d'hypocrite, d'énergumène, d'intrigant, de méchant, de grotesque, on perd patience à la fin, on sort de son caractère, et l'on est tout étonné, un beau matin, de parler à peu près le même langage que ceux qui vous font la vie si dure. Ce n'est pas de l'impolitesse, c'est de l'épidémie. Croyez bien que, lorsqu'on m'attaque avec talent, avec finesse, avec malice, voire avec une malveillance ingénieuse et habile, je redeviens moi-même et rentre dans le ton: mais comment M. de Coislin en personne s'y serait-il pris pour répondre à des gens qui vous impatientent à la fois par la grossièreté de leurs opinions, la brutalité de leurs injures et la vulgarité de leur style? Sans doute il serait plus poli, plus chevaleresque, de dire, chapeau bas, à celui-ci: Monsieur, vous êtes un des premiers écrivains du siècle, et j'ai fort goûté, dans le temps, vos calembours. Permettez-moi cependant de prendre la liberté de vous faire observer humblement que votre cause n'était peut-être pas si intimement liée à celle de Béranger, que votre colère contre moi ne pût s'exprimer avec un peu plus de modération; modération dont j'aurais d'autant mieux senti le prix, que je suis, monsieur, au rang de vos admirateurs les plus sincères et de vos plus dévoués serviteurs; et à celui-là: Monsieur, votre tendresse paternelle pour Marcomir vous fait le plus grand honneur; on sait que les vrais cœurs de pères sont toujours enclins à préférer ceux de leurs enfants qui naissent avec des infirmités précoces. Toute la presse doit vous savoir gré de vos efforts désintéressés pour venger Marcomir des rigueurs du colportage tout en rappelant Marcomir à l'ingrate mémoire des lecteurs de Marcomir, qui pourraient n'avoir pas assez de souci de Marcomir. Maintenant, me trouverez-vous trop osé si je me plains qu'un homme de tant d'esprit, de tant de talent et de tant de Marcomir, affirme, sans en être assez sûr (oh! pardon! pardon!), que mes livres se vendent au poids chez l'épicier; plainte, monsieur, dont la vivacité, peut-être excessive, vous prouvera du moins le cas tout particulier que je fais de Marcomir et de vous. Et ainsi de suite. Assurément, cela vaudrait mieux: il vaudrait mieux aussi être un saint; je ne suis pas un saint, c'est positif, et quand ma bile s'amasse, il faut que je me dégonfle: et puis, voyez-vous? le métier n'est pas gai: il n'y a rien qui aigrisse le caractère, à la longue, comme d'être trente-deux ans parmi les battus, trente-deux ans, monsieur! depuis le seuil de la première jeunesse jusqu'à l'extrême déclin de l'âge mûr! Et encore il y a battus et battus: de votre temps, c'était tout profit et tout plaisir. Sous le premier empire, les écrivains des Débats, Féletz et Saint-Victor [6] par exemple, pouvaient, moyennant quelques hommages bien sentis à la gloire et à la victoire, dire leur fait aux révolutionnaires et aux philosophes, éreinter Voltaire, abîmer Rousseau, bafouer la Décade et le Publiciste, qui valaient bien le Siècle et l'Opinion nationale, persifler Garat, Ginguené, Morellet, qui valaient bien M. Arsène Houssaye et M. Edmond About: ils avaient pour eux le succès, le public, la vogue, le gros bataillon des rieurs. Et plus tard, sous la Restauration, quel bon état que celui de battu! On payait quelquefois l'amende, c'est vrai; mais la popularité nous remboursait au centuple: à l'aide d'un bon procès de presse, plaidé par Mes Dupin, Barthe ou Berville, M. Cauchoix-Lemaire et M. de Jouy passaient d'emblée au rôle de grands hommes, de héros, d'idoles populaires: on allait gaiement en prison boire le vin de Champagne et manger les pâtés de foie gras prodigués aux heureux martyrs de la cause libérale. Les persécutions se traduisaient en couronnes civiques, en chars de triomphe et en actions du Constitutionnel, plus productives que les meilleures terres de la Beauce ou de la Brie. Et sous ce pauvre Louis-Philippe! que d'aubaines pour quiconque avait le bon esprit d'attaquer le gouvernement! Il suffisait d'inventer quelque grosse bêtise, la paix à tout prix, l'abaissement continu, le gouvernement à bon marché, la halte dans la boue, pour recevoir immédiatement de l'admiration publique un brevet d'homme de génie et de grand citoyen. Un littérateur pur et simple, aurait-il eu la grâce de Nodier, la finesse de Sainte-Beuve ou le charme d'Alfred de Musset, n'eût été qu'un zéro auprès de M. de Genoude. Aujourd'hui les choses se passent autrement: on est tout à la fois très-battu et très-impopulaire: on écrit dans des journaux avertis ou suspendus; et en même temps la démocratie, triomphante sous ses airs de défaite simulée, vous crible de sarcasmes et d'invectives: l'on a contre soi les bohèmes, les réalistes, les journaux à cent mille abonnés, les auteurs de livres à vingt-cinq éditions, le gros public,—et le monsieur à cravate blanche, précurseur aussi poli que funèbre des avertissements et des suspensions; on est écrasé tout doucettement, sans bruit, entre deux portes, celle qui ouvre du côté des palais et celle qui ouvre du côté de la foule; et l'immense majorité trouve que c'est bien fait, que l'on a ce que l'on mérite, qu'il sied d'en finir avec les incorrigibles, les fanatiques, les ennemis de la patrie et de la liberté, les partisans acharnés de l'ancien régime, des priviléges, de l'inquisition, du droit du seigneur et de la corvée. Et si, par désintéressement, on persiste à écrire dans les journaux pauvres, si l'on se résigne à vivre chichement, à aller à pied ou en omnibus plutôt que de vendre sa plume, des gens qui touchent vingt mille francs par an pour manger chaque matin du chanoine et du prêtre, vous taquinent là-dessus en petit français, et calculent d'après le chiffre de vos sacrifices la somme de votre talent. Comment, au milieu de ces mortifications variées, ne tournerait-on pas à l'aigre? Je suis aigri, je ne m'en cache pas, aigri contre mes adversaires, contre mes amis peut-être, et il n'est pas étonnant que mon style parfois s'en ressente; c'est, je crois, à propos de Chateaubriand que l'on a comparé certaines fidélités politiques, prolongées et moroses, à la vertu de ces femmes mariées à des hommes beaucoup plus âgés qu'elles, très-décidées à rester sages, mais toujours portées à croire qu'on ne leur en sait pas assez de gré, que l'on n'apprécie pas suffisamment les mérites et les difficultés de leur sagesse. Au fait, elles n'ont pas tout à fait tort. Elles sont jeunes, elles sont belles; leurs yeux brillent, leur cœur bat, un sang rose colore leurs joues; leur blanche poitrine bondit sous le corsage sévère. Elles ouvrent la fenêtre: sous leur regard, par un joyeux soleil de mai, passent des couples amoureux, des fiancés du même âge, de brillantes amazones, escortées de hardis cavaliers; au loin retentissent des cris de plaisir et de fête; dans la maison voisine, un orchestre de bal leur envoie l'écho adouci de ses mélodies et de ses fanfares: toutes les voix du printemps et de la jeunesse les appellent à vivre, à aimer, à prendre leur part de ces enchantements et de ces ivresses. Elles se retournent vers leur foyer: un mari, noble et vénérable entre tous, mais tourmenté de rhumatismes, leur demande sa tasse de tisane ou sa table de tric-trac: dans les grandes occasions, trois ou quatre voltigeurs de la même date viennent faire sa partie de whist et comblent sa jeune femme de madrigaux contemporains de leurs ailes de pigeon. Elle est fidèle, c'est convenu, mais elle n'est pas toujours de bonne humeur; ne me pardonnez pas, mais pardonnez-lui!...

—Tudieu! mon cher, comme vous y allez! s'écria M. Margaret; et quelle bouffée de mistral a fait grincer votre girouette? Mais à quoi bon vous mettre en frais d'éloquence? Vos belles phrases ne répondent pas à mon réquisitoire: ce qui a causé la plupart de vos infortunes, c'est d'avoir suivi, au lieu de la morale naturelle et humaine, une morale de convention, une morale aristocratique...

—Ah! prenez garde, mon vieil ami! riposta M. Verbelin, je suis à peu près de votre avis sur les romans de George de Vernay: tout roman où se trahit le système est jugé, et je n'en voudrais pour preuve que les romans socialistes ou humanitaires de madame Sand, comparés à André, à Mauprat ou à Valvèdre. M. de Vernay a eu d'ailleurs le tort de se préoccuper beaucoup trop, dans ses fictions romanesques, du goût des salons qui ont admiré pendant vingt-cinq ans, tout en pouffant de rire, le vicomte d'Arlincourt, et qui n'ont pas permis à un seul des leurs d'expliquer tout ce qui se mêlait de moquerie intime à cette admiration burlesque. Il ne faudrait pas cependant aller trop vite; il siérait de se demander si cette morale de convention, cette morale aristocratique, ne peut pas être, en certains cas, proche parente et presque synonyme de l'idéal: idéal qui varie nécessairement d'après la position sociale, les sentiments, l'éducation, les antécédents des personnages, sans qu'il soit juste d'accuser l'auteur d'être tombé uniformément et de propos délibéré dans l'artificiel et le convenu. Prenons un exemple, un seul; car la discussion traîne en longueur, et madame Charbonneau regarde la pendule. Le roman moderne, abusant du droit du plus fort, avait singulièrement défiguré et noirci les gentilshommes et les patriciennes: je n'insiste pas, je n'aurais, en fait de preuves, que l'embarras du choix. Survient M. de Vernay, qui se propose de nous offrir des types contraires. Il peint ou plutôt il esquisse un gentilhomme doué d'une grande délicatesse d'esprit et de cœur, une exception si vous voulez, qui a le malheur d'être le mari d'une femme célèbre par l'éclat de ses ouvrages et de sa vie. M. d'Ermancey, c'est son nom, est le voisin de campagne d'un autre gentilhomme, le marquis d'Auberive, plus riche et plus noble que lui, et qui peut, privilége bien rare! remonter aussi loin que possible à travers ses parchemins sans y rencontrer la tache la plus légère. M. d'Ermancey a une fille, Aurélie, adorable enfant, pure comme les anges. Le marquis d'Auberive a un fils, Emmanuel, beau, romanesque et passionné. Emmanuel et Aurélie s'aiment; ils sont faits l'un pour l'autre: mais d'une part les commérages de la ville voisine et des châteaux d'alentour font subir à Aurélie le contre-coup des brillants désordres de sa mère; de l'autre, les journaux apportent jusque dans la solitude habitée par M. d'Ermancey l'écho mal étouffé de la vie bruyante de sa femme. Qu'arrive-t-il? ce qui doit logiquement arriver, étant donnés les deux caractères et les situations respectives. Le marquis demande à M. d'Ermancey Aurélie pour son fils, et M. d'Ermancey la lui refuse [7]: ce scrupule est exagéré, j'en conviens; il fait le malheur de deux êtres charmants, innocentes victimes de fautes qu'ils n'ont pas commises; mais il complète et couronne le type que l'auteur a voulu peindre et qui ne représente pas, selon lui, la morale universelle, ni l'accomplissement d'un devoir absolu, mais une certaine façon de comprendre cette morale et ce devoir. Convention, dites-vous? soit; mais, pour cette âme délicate et timorée, cette convention s'appelle l'honneur: elle est contraire à la loi de nature, de cette douce et bienfaisante nature que vous aimez tant? soit; mais cette morale naturelle, si tous la laissiez faire, pourrait vous mener loin; elle vous dirait: Mangeons chaud, buvons frais, aimons les jolies femmes et les bonnes truffes, soyons toujours du parti du succès, et nargue du qu'en dira-t-on!—Appliquez cette théorie à l'art tout entier, à la poésie, au drame, au roman, et vous condamnez à mort des œuvres que vous admirez, des œuvres tout autres que cette pauvre Aurélie, dont je fais d'ailleurs bon marché. Vous détruisez d'un seul coup cet élément essentiel de toute émotion pathétique et élevée; la lutte de la passion contre la conscience, de la conscience contre les entraînements du cœur, de l'imagination et des sens. Hernani arraché aux bras de dona Sol et se tuant pour rester fidèle à son serment, morale de convention! Le Richard de Jules Sandeau, fuyant la jeune fille qu'il aime quand il découvre qu'elle est la sœur de l'homme qui a aimé et déshonoré sa mère, morale de convention! Convention, le Cid, Polyeucte et le vieil Horace et son fils! Convention, archi-convention, le Maxime et la Marguerite de M. Octave Feuillet, qui ont fait couler tant de larmes! Vous vous réduisez au répertoire de M. Ernest Feydeau et de M. Champfleury, à Sylvie et aux Amants de Sainte-Périne. Qu'en résulte-t-il? Lorsque l'on a bien saturé le public de cette littérature; lorsqu'au théâtre et ailleurs on a bien installé sur les ruines de la morale de convention cette morale de nature qui commence à la glorification des appétits et finit à l'exhibition des jambes, si l'on essaye de nous offrir une œuvre d'allure plus fière et plus haute, elle tombe au milieu des sifflets, des bâillements et des éclats de rire, et nous redemandons du Pied de Mouton. Donc, si cet éternel spiritualisme dans l'art, dont j'avoue que nous avons un peu abusé, vous impatiente et vous ennuie, laissez du moins à l'idéal un dernier refuge, comme on laisse un coin de terre à un souverain exilé de son empire. Ne lui disputez pas son île d'Elbe ou sa principauté de Monaco! Cultivez dans vos serres chaudes, amassez dans vos vases de Chine les camellias et les roses, les jacinthes et les tubéreuses; mais n'écrasez pas du talon de votre botte la pauvre fleur de violier ou de clématite qui végète sous les ruines!

—Amen! dit M. Toupinel; mais, à présent, pour qu'il soit bien avéré que le récit de M. George de Vernay nous laisse à tous une impression salutaire, j'ai l'honneur, mesdames et messieurs, de vous proposer un toast et un serment, avant de clore les jeudis de madame Charbonneau.—A la province! et, tous tant que nous sommes ici, jurons de lui être fidèles, de ne plus la quitter, de ne demander qu'à elle seule nos sujets d'études, le but de nos ambitions, la récompense de nos travaux, nos plaisirs, nos peines, nos illusions, nos enthousiasmes, nos rêves, nos émotions mondaines, artistiques et littéraires! Jurons de ne jamais remettre les pieds dans cet affreux Paris que j'appellerais la moderne Babylone, si la nouveauté de cette expression ne me semblait un peu hardie; ce Paris, sphinx redoutable, dont chaque énigme coûte si cher aux téméraires qui essayent d'en trouver le mot; minotaure insatiable qui dévore, en guise de chairs virginales, tant de génies inédits, de songes radieux et de juvéniles espérances: meurtrière courtisane, dont les sourires trompent, dont les caresses tuent, dont la beauté décevante n'est que fard et maquillage, et qui passe ses cruels loisirs à se faire des colliers de perles avec les larmes de ses victimes: ce Paris enfin, que notre compatriote et ami, George de Vernay, a eu tant de raisons de maudire et dont il a si spirituellement échangé la vie fiévreuse contre la douceur et l'innocence des champs, les soins paisibles d'une mairie de village, les sages calculs d'une économie prévoyante et les satisfactions délicieuses du devoir accompli... Haine et anathème à Paris! Jurons encore une fois de n'y retourner jamais!

L'effet de ce discours fut électrique.

—Nous le jurons! s'écrièrent tous les assistants, avec autant d'ensemble que les Suisses d'Uri et de Schwitz au second acte de Guillaume Tell.

—Nous le jurons! répétèrent bravement M. et madame Charbonneau!

—Je le jure! dit George de Vernay plus violemment que tous les autres.

—Je le jure! ai-je ajouté de toutes mes forces, cédant à l'entraînement général.

Un mois après, M. et madame Charbonneau, George de Vernay, maire démissionnaire, et moi, nous nous retrouvions ensemble dans le même wagon, sur le chemin de fer de Marseille à Paris. Madame Charbonneau, aussi jolie et plus Parisienne que jamais, ne perd pas son temps: elle a déjà l'oreille de deux ou trois chefs de division, ses grandes et petites entrées dans deux ou trois ministères, et l'on assure qu'elle possède des recettes particulières pour faire obtenir par son mari une recette générale. Moi, je suis au comble de mes vœux; j'ai un drame en sept actes reçu à corrections au théâtre de Belleville, et je serai joué au mois d'août prochain, dès que le thermomètre aura atteint trente degrés de chaleur. Quant à George de Vernay, il a héroïquement repris cette vie littéraire contre laquelle tous les serments ressemblent à des serments d'ivrogne ou de joueur. Ce gaillard-là a toujours eu de la chance, et je ne sais vraiment pas où il s'arrêtera! A peine au sortir de la première jeunesse (cinquante ans, huit mois et dix-sept jours), il a, dit-on, le vague espoir de remplacer, à l'Académie française, le successeur de l'homme éminent qui succédera au successeur du successeur de M. Viennet.

285

NOTE

Ces quinze dernières pages ne peuvent être tout à fait intelligibles que si l'on a lu (mais qui ne l'a pas lu?) l'article de M. Sainte-Beuve dans le Constitutionnel du 3 février. Je ne saurais en parler sans un certain embarras. Si j'en crois les échos de la petite presse et les susceptibilités de quelques-uns de mes amis, il paraîtrait que l'illustre critique m'a éreinté. Or je dois déclarer que son article m'avait causé une impression toute différente: j'y avais vu l'œuvre d'un adversaire ingénieux, fin, poli, malin, cherchant les points vulnérables (ce qui est de bonne guerre), et, en somme, sauf quelques légères injustices de détail, me faisant à peu près la part à laquelle je puis raisonnablement prétendre. Je m'y étais vu surtout, pour la première fois depuis que je suis entré dans la vie littéraire, apprécié, discuté, évalué, serré de près par un écrivain supérieur, et cela d'une façon qui ne ressemblait ni aux complaisances faciles de l'amitié, ni aux gamineries de la bohème, ni aux violences de la haine. Cependant, après avoir admiré et même remercié son juge, il n'est pas défendu de recourir à l'appel et de plaider encore. Dans le dialogue qui termine le présent volume, les interlocuteurs de George de Vernay (qui n'est autre que moi-même) débattent à leur manière la plupart des chefs d'accusation si spirituellement développés par M. Sainte-Beuve: sur quelques-uns, je me tiens pour battu; sur d'autres, je crois qu'un bon avocat aurait beaucoup à répliquer. Je ne me permettrai, en finissant, qu'une seule remarque,—et une remarque d'après coup,—à propos de cette pauvre Aurélie, que je croyais morte et enterrée, et à laquelle M. Sainte-Beuve a donné, en y insistant, une sorte de nouvelle vie. M. Verbelin, le défenseur officieux d'Aurélie (page 279), la défend fort mal, et cela par une bonne raison, c'est que je l'avais complétement oubliée. En réalité, ce n'est pas M. d'Ermancey, le père d'Aurélie, qui refuse sa fille à Emmanuel, le fils du marquis d'Auberive: c'est Aurélie qui, ayant entendu toute la conversation entre son père et le marquis, se refuse elle-même: elle cède à un scrupule peut-être excessif, mais qui tient aux plus intimes délicatesses du cœur, et n'a dès lors rien de commun ni avec la morale de convention, ni surtout avec «ces duretés, ces férocités antiques, sacerdotales, féodales et patriciennes qu'ont brisées les révolutions.»—Ici, je l'avoue (bien qu'on soit mauvais juge dans sa propre cause), je n'ai pas reconnu l'exquise justesse de ton dont M. Sainte-Beuve nous a donné tant de preuves. Non-seulement il tombe dans l'emphase au moment où il vient de me la reprocher; mais l'idée même porte à faux: c'est justement parce que les révolutions,—que nous ne maudissons pas toutes,—ont fait rentrer dans le droit commun les privilégiés d'autrefois, c'est justement parce qu'il ne leur reste rien de leurs anciens priviléges, qu'ils doivent en conserver un seul, celui de se montrer plus scrupuleux, plus ombrageux même dans les questions tout idéales d'honneur et de sentiment. Cette vérité ne serait-elle reconnue et pratiquée que par l'imperceptible minorité de gentilshommes français, le roman de bonne compagnie aurait le droit d'y chercher ses types, de même que le roman en vogue a cherché les siens parmi les gentilshommes tarés et les patriciennes déclassées. En toute autre circonstance, cette nuance n'eût pas échappé à l'esprit si fin de M. Sainte-Beuve: tant il est difficile, dans notre malheureux métier, malgré les plus belles résolutions d'équité et de sagesse, de ne pas s'échauffer outre mesure, de ne pas risquer l'ut de poitrine, ou bien de se borner à chanter juste!

Cette remarque tardive m'est suggérée, au moment de mettre sous presse cette dernière feuille, par un article de l'excellente Revue de Bretagne et de Vendée (février 1862), article signé Edmond Dupré. Je remercierais plus vivement M. Edmond Dupré si j'étais moins son obligé, et je le louerais davantage si, depuis bien des années, il ne me comblait des témoignages de la plus flatteuse sympathie. Il vient de me prouver qu'il se souvenait de mes romans mieux que moi-même; et bien souvent il lui est arrivé de compléter ma pensée par son interprétation aussi bienveillante que délicate, de comprendre ce que j'avais tenté de faire plutôt, hélas! que ce que j'avais fait. Que M. Edmond Dupré (est-ce bien son vrai nom?) reçoive ici l'expression de ma reconnaissance! Rendre un légitime hommage à un écrivain de province qui n'aurait eu qu'à vouloir pour réussir à Paris, n'est-ce pas la meilleure manière de terminer un petit livre où j'ai raconté les malheurs d'un écrivain de Paris qui eût mieux fait de rester en province?

A. P.

Mars 1862.

FIN.


NOTES:

[1] Je maintiens cette introduction comme morceau littéraire.

[2] A dater de ce moment, George de Vernay a jugé sans doute convenable de gazer légèrement les noms propres, et peut-être de composer des types à l'aide de souvenirs épars dans sa mémoire.

(Note de l'auteur.)

[3] Ceci est un odieux mensonge: tout le monde sait que Louis-Philippe n'a jamais étranglé Charles X.

(Note de l'auteur.)

[4] Elsie Venner, by Oliver Œendell Holmes; voir la Revue des Deux-Mondes des 15 juin et 1er juillet 1861.

[5] Textuel: On n'invente pas ces choses-là, et elles n'auraient plus de sens, si l'on y changeait une seule syllabe. (Note de l'auteur.)

[6] Le père de Paul de Saint-Victor, un de nos plus charmants écrivains.

[7] Voir la note à la fin du volume.

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