Les joies du pardon: Petites histoires contemporaines pour la consolation des coeurs chrétiens
39.—DIEU A SES ÉLUS PARTOUT.
Une actrice a adressé au P. de Ravignan le récit suivant de sa conversion, une des plus admirables de notre siècle. «Lorsque j'étais tout enfant, ma mère se trouvait seule à Paris, sans argent, sans état, sans protection. Elle n'avait pas cette religion qui fait supporter toutes les adversités que Dieu nous envoie, mais seulement une foi très vive en Marie. Dès ma plus tendre enfance, elle me fit dire cette petite prière que je n'ai lue dans aucun livre: «Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon esprit, mon coeur, ma vie; je me donne toute à vous. Faites-moi la grâce de mourir plutôt que de vous offenser mortellement. Ainsi soit-il.»
«Vers l'âge de cinq ans à peu près, j'allais très souvent avec une vieille femme à la messe, et surtout adorer Jésus dans un sépulcre. Je rentrais à la maison, malade d'avoir vu Notre Seigneur mort pour nous; je pleurais. Ma mère grondait la vieille femme d'exciter à ce point ma sensibilité, et même elle ne voulut plus absolument que je retournasse à l'église. J'étais très fière de m'appeler Marie. On me donnait le nom de Joséphine à la maison; mais quand on me demandait comment je m'appelais: «Marie, répondais-je aussitôt; j'ai le nom de la Vierge.»
«Ma mère me mit au théâtre à l'âge de six ans pour apprendre à danser. On la pria de me laisser jouer, elle se laissa tenter. Je jouai, j'eus un très grand succès. Cependant j'entendais les petites filles parler de la première communion, ma mère ne m'en parlait pas; je voulais absolument la faire, mais aucun prêtre ne put m'y admettre parce que j'étais au théâtre.
«Je priais toujours, je travaillais sans cesse; en dehors du théâtre, je faisais de petits ouvrages à l'aiguille que je vendais. J'étais entourée de vices dans les femmes même que j'aimais le plus; je les plaignais. Ma mère m'avait donné des principes que la misère la plus affreuse n'avait pu détruire. J'étais mal vêtue, je mangeais des pommes de terre, mais j'étais heureuse avec ma mère. Je me disais: «Dieu me voit, lui; il me trouve bien avec mon vilain chapeau; il ne se moque pas de la pauvre Maria.» Car on se moquait de moi; on me disait: «Si vous vouliez, vous auriez des cachemires.—Oui, disais-je, mais je ferais mourir ma mère de chagrin.» J'étais une des premières du théâtre, par conséquent très admirée. Si je vous dis cela, c'est pour que vous compreniez bien la haute protection de ma céleste patronne au milieu de ce gouffre.
«Ma mère tomba malade. J'étais obligée de passer toutes les nuits, je n'avais pas de domestique; je jouais, je répétais dans la journée; je n'avais le temps d'apprendre mes rôles que la nuit, près du lit de ma pauvre mère. C'est ici que Dieu a été bon et indulgent pour moi. J'avais fort peu d'appointements, quoique première. Eh bien! mon Père, malgré cela, pendant quatre mois et demi, ma mère étant au lit, dépensant beaucoup d'argent que je n'avais pas, je n'ai pas fait de dettes, et je m'en suis tirée. Je devais tomber malade de fatigue et de chagrin, pas du tout: c'est que je priais Dieu, et Dieu aide ceux qui prient de tout leur coeur.
«La dernière nuit que je passai près de ma mère, je ne comprenais pas que ce fût l'agonie. Enfin sa dernière parole fut: «Maria, je t'aime!» et elle rendit le dernier soupir. Oh! mon Père, quelle nuit! Je n'avais pas quitté ma mère un seul instant de ma vie, et je me trouvais à vingt ans, seule, sans parents, sans soutien, sans fortune, sans Dieu, car je ne le possédais pas encore. Je jurai à ma mère, sur ce corps inanimé, sur cette main qui m'avait bénie, que toujours je serais digne d'elle. J'allais tous les jours au cimetière Montmartre, et, en rentrant, je me mettais à genoux au milieu de ma chambre; j'avais le portrait de ma mère là devant moi; j'avais un Christ qui avait été posé sur son corps; je baisais ce Christ, je baisais le portrait, et ma vie se passait entre ces deux images.
«Enfin j'allai vous entendre, mon Père; vous éclaircissiez des idées confuses dans ma tête. Je suis bien ignorante encore en matière de religion; j'aime avec amour Jésus et Marie. Pourquoi? comment? je n'en sais rien; je les aime et voilà tout.
«Là seulement je compris ma position. «Sainte Vierge, dis-je alors, le théâtre sans vous, ou vous sans le théâtre. Ah! mon choix est fait. Mais pour arriver à vous, ô Marie, comment faire?» Le dimanche de la Quasimodo, je vous vis de plus près; je m'étais mise au pied de la chaire. «Je vais écrire à M. de Ravignan, dis-je; il est impossible qu'il n'obtienne pas cette grâce de Mgr l'archevêque: il faut que je communie.» Je vous écrivis, mon Père, vous savez le reste; mais ce que vous ne savez pas, c'est que mon esprit n'est plus le même, mon coeur non plus: les pieuses femmes que vous m'avez fait connaître ont changé tout mon être.
«Oh! merci, mon Dieu! merci, mon Révérend Père! Votre zèle a tout fait. J'ai communié, c'est vous dire que je suis la plus heureuse des femmes, et j'étais entourée de Mmes de Gontaut, Levavasseur et d'Auberville. Ah! autrefois je croyais aimer Dieu, mais non; c'est lui qui m'aimait. J'aimais Marie, mais ce n'était pas de ce saint amour qu'elle a pour nous. Je ne sais pas ce que Dieu me réserve; mais s'il veut me rendre heureuse, il peut m'envoyer tous les malheurs qu'il voudra: je tâcherai de les porter avec mon coeur qui est tout à lui. Si Dieu me conserve cette foi qu'il m'a envoyée, je peux tout faire pour lui. Aujourd'hui seulement je comprends les martyrs.
«Je vous demande pardon, mon Père, de la longueur de mon récit; mais je ne suis pas très versée dans l'art d'écrire. C'est pour vous obéir que je vous donne ces détails. En parlant de ma mère, je ne m'arrêterais point.
«Mon premier acte, en sortant du théâtre, a été une première communion. Dieu veuille qu'en sortant de cette vie je sois agenouillée à la sainte table! À Dieu, à Jésus, à Marie, à ces dames, à vous, mon Père, ma vie entière. Maria.»
La jeune actrice eut le courage de rompre complètement avec le théâtre. Après six années d'épreuves et de privations, devenue mère de famille, elle écrivait au P. de Ravignan pour le remercier, et elle ajoutait: «Oh! mon Père, que de misères! que de maladies! Mais Dieu était au fond de mon coeur. Que de joies ignorées! et c'est à vous que je les dois.
«Ah! comme je plains ceux qui ne pensent jamais à Dieu! Dans l'amour qu'il nous donne nous trouvons tout pour nos besoins d'ici-bas. Cette vie de l'âme a des charmes qu'on ignore si complètement dans le monde!
«Priez, mon Révérend Père, pour que mon âme reste toujours attachée à ce Dieu de miséricorde qui a daigné me prendre si bas! Ah! que ma vie passée m'a éclairée sur l'amour de Dieu pour ses créatures! Aussi, je ne veux que ce mot dans mon coeur: Amour pour Jésus dans la joie et la tristesse, amour pour Jésus!» Cette âme séraphique se consuma rapidement dans un douloureux martyre: l'ancienne actrice mourut en prédestinée.
40.—LA ROSE BÉNITE.
Un dimanche vers les trois heures, rapporte un homme du monde, je passais rue de Vaugirard, à Paris. Une pluie torrentielle inondait les rues et faisait chercher un abri aux malheureux piétons. Je regardais machinalement à droite et à gauche, lorsque la petite église des Carmes m'apparut comme lieu de refuge. Arrivé dans la cour, je vois son intérieur tout resplendissant de fleurs et de lumières; une foule immense la remplissait, et c'est à peine si je pus parvenir à me placer sous son portique.
Quelle fête célébrait-on? voilà ce que je demandai à une bonne femme qui, à genoux près de moi, égrenait son chapelet. Elle releva la tête d'un air étonné: «Comment! monsieur, vous ne savez pas? c'est la fête du Saint-Rosaire, et, pour en conserver le souvenir, les révérends pères vont distribuer à tous ceux qui sont dans l'église une rose bénite.» J'ai une passion pour les fleurs et une prédilection toute particulière pour les roses; je voulais profiter de celles que la Providence semait (avec intention peut-être) sur ma route: elles sont si rares, hélas! Je suis le courant qu'un mouvement de chaises opère, et je me trouve transporté je ne sais comment près de la balustrade de l'autel. Le R. P. qui venait de donner la bénédiction, en montait les degrés. Il fit signe qu'il allait parler; je me sentis attiré vers lui par un sentiment que je ne pus définir: son pâle et noble visage inspirait le respect, une joie toute céleste l'animait, et l'immense quantité de bougies qui brûlaient autour du tabernacle lui faisaient comme une auréole lumineuse. Son regard doux et pénétrant se portait avec bonheur sur les nombreux fidèles qui l'entouraient et l'écoutaient. Il fit une allocution simple et touchante, sans phrases préparées ni oratoires; on sentait que c'était le coeur qui débordait avec tous ses trésors, la source qui coulait limpide et transparente pour chacun.
«Je vais vous distribuer de petites roses bien modestes, dit-il, parce que nous sommes pauvres. Vous les trouverez parfumées comme l'était Marie, la reine du ciel, et leur parfum vous pénétrant, vous désirerez lui ressembler. Vous les trouverez bénites, afin qu'elles apportent dans vos maisons la bénédiction de Marie. Mères, ornez-en le berceau de votre petit enfant pour le protéger. Femmes, montrez-la à votre mari; dites-lui qu'elle sera son prédicateur, son égide, lorsqu'il devra vous quitter. Jeunes filles, suspendez-la au Christ placé à votre chevet, afin que votre premier regard, la première élévation de votre coeur soient pour Jésus et Marie confondus dans un même amour.» Ce serait trop long de raconter les belles et bonnes choses que dit encore le révérend Père. La distribution commença; lorsque je m'approchai pour recevoir ma rose, un léger sourire se dessina sur les lèvres du religieux: il semblait lire au fond de ma pensée ce mot hasard qui m'avait amené là. Je m'inclinai et sortis de l'église beaucoup plus grave que je n'y étais entré.
Une fois dehors, je me trouvai très embarrassé: je dînais en ville et j'avais disposé de ma soirée; mais la pensée de porter dans une maison profane ma petite rose bénite me fit rougir intérieurement. Je rentrai chez moi, je la suspendis au portrait de ma mère. Pauvre mère! il me sembla qu'elle me regardait plus tendrement. Peut-être étaient-ce ses prières qui, du haut du ciel, avaient guidé mes pas. Toujours est-il que j'étais resté chez moi par une force d'attraction plus puissante que ma volonté. Je passai mon temps à méditer sur les petites choses qui amènent souvent de grands effets. Je ne puis pas dire tout ce que je confiai de pensées tumultueuses à ma rose mystique: c'était presque une confession, et la petite goutte de rosée bénie qui reposait au fond de son calice était le baume consolateur que j'appliquais sur les blessures orageuses de mon coeur. «Qui sait, murmurai-je en m'endormant, si je ne retournerai pas dans cette église, et si, te tenant a la main, je n'irai pas trouver ce bon religieux? Elle m'amène à vous repentant et converti!» lui dirai-je.
41.—UN SOUVENIR DU BAGNE.
Un religieux plein de zèle, qui venait de remplir son saint ministère auprès des forçats de Rochefort, le P. Lavigne, ne pouvait se lasser d'admirer les merveilles de la grâce sur ces pauvres âmes si chères au Bon Pasteur. Prêchant dans la chapelle d'une Maison religieuse, à Paris, il racontait un fait admirable qui atteste l'étonnante bonté de Dieu en faveur d'un pécheur pénétré d'un sincère repentir.
«Il y a un homme, dit-il, dont le souvenir s'est empreint dans mon âme d'une manière ineffaçable, un homme que je place au-dessus de tous les religieux et de toutes les religieuses: c'est un saint que je vénère, et cet homme, ce saint, c'est un forçat.
«Un soir, il vint me trouver au confessionnal, et, après sa confession, je lui adressai quelques questions, comme j'avais assez souvent coutume de le faire avec ces infortunés. Cependant, cette fois, un motif plus particulier m'engageait à interroger celui-ci. J'avais été frappé du calme répandu sur ses traits. Je n'y fis pas d'abord grande attention, car j'avais eu l'occasion de remarquer la même chose chez plusieurs de ces malheureux. Néanmoins, la précision avec laquelle il s'exprimait, l'exactitude rigoureuse et le laconisme de ses réponses piquaient de plus en plus ma curiosité.
«Il me répondait sans affectation, ne disant pas un mot inutile, et n'allant jamais au delà de ce que je lui demandais. Aussi ce ne fut qu'en le poussant et en le pressant par mes questions, que je parvins à savoir, en quelques mots bien simples, sa touchante histoire.
—Quel âge avez-vous? lui dis-je d'abord.
—Quarante-cinq ans, mon père.
—Combien y a-t-il que vous êtes ici?
—Il y a dix ans.
—Devez-vous y rester encore longtemps?
—À perpétuité, mon père.
—Quelle est donc la cause de votre condamnation?
—Le crime d'incendie.
—Sans doute, mon pauvre ami, vous avez beaucoup regretté d'avoir commis cette faute.
—J'ai beaucoup offensé Dieu, mon père, mais je n'ai point commis ce crime. Toutefois, je suis justement condamné; mais c'est Dieu qui m'a condamné.
Cette réponse piquant plus vivement encore ma curiosité, je repris:
—Mais que voulez-vous donc dire, mon ami? expliquez-vous.
Alors il me répondit:
—J'ai beaucoup offensé le bon Dieu, mon père; j'ai été bien coupable, mais jamais envers la société. Après une foule d'égarements, le bon Dieu toucha mon coeur.
«Je résolus de me convertir, de réparer le passé; mais depuis ma conversion, il me restait une inquiétude, un poids énorme sur le coeur. J'avais tant offensé le bon Dieu? pouvais-je croire qu'il eût tout oublié? Et puis, je ne trouvais rien qui fût de nature à réparer ces iniquités malheureuses de ma jeunesse, et je sentais un besoin immense de réparation! Sur ces entrefaites, un incendie éclata près de ma demeure. Tous les soupçons tombèrent sur moi; on m'arrêta, et on me mit en jugement. Pendant la procédure, je fus beaucoup plus calme que je ne l'avais jamais été; je prévoyais bien que je serais condamné, mais j'étais prêt à tout. Enfin arriva le jour où on devait prononcer ma sentence. Le jury quitta la salle pour aller délibérer sur mon sort, et dans ce moment, il me sembla entendre une voix intérieure qui me disait: Si je te condamne, je me charge aussi de faire ton bonheur et de te rendre la paix. À cet instant, je ressentis effectivement une paix délicieuse. Les jurés revinrent bientôt, apportant leur verdict, qui me déclarait convaincu du crime d'incendie, avec circonstances atténuantes; j'étais condamné aux travaux forcés à perpétuité. Je fus obligé de me contenir pour ne pas verser des larmes, qu'on aurait sans doute attribuées à tout autre motif qu'à celui du sentiment de bonheur que j'éprouvais. On me conduisit à mon cachot, et là, tombant sur la paille qui me servait de lit, je me mis à répandre un torrent de larmes si douces que l'homme le plus voluptueux aurait été heureux d'acheter, au prix de toutes les jouissances, le seul bonheur de les verser. Une paix ineffable remplissait enfin toute mon âme. Elle ne me quitta pas pendant la route que je parcourus pour arriver au bagne, et ne m'a jamais abandonné jusqu'ici. Depuis cette époque, je tâche de remplir tous mes devoirs, d'obéir à tout et à tous. Je ne vois dans ceux qui commandent, ni le commissaire, ni les adjudants, ni leurs subalternes, je ne vois que Dieu. Je prie partout, dans les travaux, à la prison; je prie toujours, et le temps passe si vite que je puis à peine m'en apercevoir; les heures s'écoulent comme des minutes, les jours comme des heures, les mois comme des jours, les années comme des mois. Personne ne me connaît; on me croit condamné justement et cela est vrai.
«Vous ne me connaîtrez pas non plus, mon père; je ne vous dis ni mon nom ni mon numéro; priez seulement pour moi, je vous en conjure, afin que je fasse la volonté de Dieu jusqu'à la fin.»
42.—CE QUE LE ZÈLE PEUT INSPIRER À UN ENFANT.
Il y a quelques années, le Carême était prêché dans une grande ville de France par deux saints missionnaires. Un soir, tandis que la foule empressée se rendait à l'église, la petite Mathilde de C***, enfant de dix ans, jouait sur le balcon de sa maison; tout à coup, poussée comme par une inspiration divine, elle abandonne la poupée qu'elle tenait à la main et, courant à son père qui lisait un journal: «Oh! papa, que je serais heureuse!...—Que faudrait-il pour cela, mon enfant?—Je n'ose pas... dites, me l'accorderez-vous?—Oui, ma fille!—Ah! bon! eh bien! j'étais tout à l'heure sur le balcon et j'ai vu beaucoup de messieurs qui allaient au sermon; il y en a même plusieurs qui y conduisaient leurs petites filles; et vous, papa, vous ne m'y menez jamais! Ce soir...—Tu veux que je t'y conduise, n'est-ce pas?—Oui! je le désire beaucoup.»
Bientôt l'heureuse Mathilde entrait dans l'église avec son père. Il la plaça près d'une dame de sa connaissance, parce que, dit-il, une petite fille ne reste pas avec les messieurs; et... faisant semblant d'aller du côté des hommes, il sortit.
Mathilde, qui le suivait des yeux, s'en aperçut, mais ne dit rien; le lendemain elle voulut, comme par un caprice d'enfant, rester parmi les messieurs avec son père. Le prêtre chargé de maintenir l'ordre, voyant cette petite fille: «Mon enfant, lui dit-il, ce n'est point là votre place.—Monsieur, répondit-elle tout bas, laissez-moi ici, je garde papa!»
M. de C*** entendit cette parole, il fut ému et resta au sermon. Le bon Dieu l'attendait, et la grâce, se servant des paroles du prédicateur, pénétra dans son âme. Il voulut aller tous les soirs au sermon; il fit mieux, il s'approcha de la sainte Table le jour de Pâques.
43.—UNE CONQUÊTE DU SACRÉ-COEUR.
Dans une petite ville assez populeuse, près de Liège, une personne dirigeait un café, où elle s'efforçait bien plus de conquérir des âmes à Jésus-Christ que de grossir sa fortune. On y voyait en abondance les publications les plus édifiantes, les cadres et les scapulaires du Sacré-Coeur. Cette propagande fut bénie de Dieu et devint le principe d'un grand nombre de conversions; nous allons reproduire ici la relation de plus remarquable, en conservant au style sa naïve simplicité.
«Un jour, la maîtresse de la maison voit entrer chez elle un inconnu en haillons, de haute taille, ayant une longue barbe et une figure portant l'empreinte d'une profonde misère. Cet homme inspire à la zélatrice une grande compassion, il lui semble que Notre-Seigneur lui envoyait une âme à gagner. J'ai toujours eu, dit-elle, le désir de faire du bien, mais depuis que je suis zélatrice, il me semble en avoir contracté l'obligation, de sorte que cela me donne du courage pour vaincre ma timidité. Elle fit donc bon accueil à son nouvel hôte, qui ne disait pas un mot, et le servit de son mieux, en priant le Coeur de Jésus de l'inspirer. Croyant le moment favorable, elle entama la conversation: «Ne vous étonnez pas, Monsieur, lui dit-elle, de ce que je vais vous demander; je fais cette question a toutes les personnes qui viennent ici, et je vous vois, je crois, pour la première fois: avez-vous fait vos Pâques?—Non, répondit-il, je ne fais pas mes Pâques, je suis libre-penseur.—Mais ce n'est pas une religion, cela.—C'est ma religion à moi, je n'en ai pas d'autre.—N'avez-vous pas été catholique autrefois?—Oui, j'ai fait ma première communion; depuis, j'ai tout laissé: j'ai quitté ma femme, mes enfants, j'ai été en Afrique... Je ne veux pas des prêtres, pas plus qu'ils ne voudraient de moi.—Au contraire, Monsieur, ce serait un grand bonheur pour eux de vous ramener à Dieu; dans l'Évangile, n'y a-t-il pas la parabole de l'enfant prodigue où le père fête le retour de son fils?—Ne me dites rien, répond-il avec animation, je ne veux pas changer, vous ne me convertirez pas, vous dis-je; pensez-vous mieux réussir que ma femme et mes enfants qui m'ont supplié de toutes les façons? Non, vous ne me changerez pas, je devrais parler à des prêtres, et je déteste les prêtres; quand ils arrivent, je m'en vais d'un autre côté pour ne pas les voir.»
«Il ajouta encore beaucoup d'autres choses contre la religion. J'étais toute tremblante en l'entendant, dit la zélatrice, et je priais intérieurement le Coeur de Jésus. Quand il eut fini, j'allai chercher un scapulaire du Sacré-Coeur.—Monsieur, lui dis-je, ne voudriez-vous pas, avant de partir, accepter ceci? j'aimerais à vous le donner; voyez, l'image est bien belle. Lisez, ajoutai-je, ce qui est écrit dessous, ce sont de si bonnes paroles! Il le fait, puis se lève et tenant le scapulaire des deux mains, il le baise, pleure et dit: «Coeur de Jésus, je suis un des plus grands pécheurs, oui, un grand pécheur.» Ses larmes coulaient en abondance, l'émotion l'oblige à s'asseoir.—Un prêtre! dit-il, je veux me confesser. Qui êtes-vous, pauvre femme, pour me convertir ainsi? car je suis converti.—C'est le Coeur de Jésus qui a tout fait, dit la zélatrice, et elle le fait entrer dans une chambre voisine, pendant qu'elle allait avertir le vicaire. Celui-ci vint aussitôt, s'entretint avec le pauvre pécheur, puis l'engagea à se rendre à l'église pour préparer sa confession. En y allant, cet homme priait, et dès qu'il fut arrivé, il alla se prosterner au pied d'un autel de la sainte Vierge; il pleurait et disait à haute voix: «Vierge sainte, ayez pitié d'un grand pécheur qui vous demande sa conversion.» Il fit le chemin de la croix, et, lorsqu'il fut arrivé à la douzième station, il mit les bras en croix sans s'occuper des personnes présentes, en disant: Jésus-Christ, je vous demande pardon de mes péchés, oui, de tous mes péchés. La contrition débordait de son âme, il était inondé par la grâce. Il alla à la sacristie, et, quand il en sortit avec le prêtre, tous deux pleuraient. Il ne reçut pas ce jour-là l'absolution: on préféra lui laisser quelques jours pour se préparer. Il passa ce temps dans le recueillement, vint prendre ses repas chez la zélatrice qui lui fournit des lectures pieuses pour occuper ses loisirs, car il évitait même de travailler pour ne pas se distraire des pensées de foi qui nourrissaient son âme. Lorsqu'il rencontrait le vicaire, il lui serrait la main en lui exprimant son désir de recevoir l'absolution. Le temps d'épreuve fut abrégé, et la brebis perdue rentra dans le bercail du Bon Pasteur, qui se donna à elle dans la sainte communion. C'était la seconde de ce nouvel enfant prodigue qui n'avait plus reçu son Dieu depuis cinquante ans.
«Il fut dès lors un modèle de piété, et son exemple en ramena plusieurs qui travaillaient dans un atelier irréligieux où il conduisit le prêtre qui l'avait réconcilié avec Dieu.»
Ah! si tous les bons catholiques avaient le zèle et le courage de cette généreuse chrétienne, combien de pauvres pécheurs seraient ramenés à la pratique de la religion! Le prêtre, hélas! n'a aucun moyen d'atteindre ces infortunés qui ne viennent plus à l'église et lui ferment leur porte. Qui les sauvera, qui les arrachera aux flammes de l'enfer, si les pieux laïques de leur entourage ne s'intéressent pas à l'oeuvre de leur conversion, la plus grande, la plus capitale de toutes les oeuvres?...
44.—PUISSANCE DU CHAPELET.
Imbu dès sa jeunesse des maximes de l'école voltairienne, Arthur Grant était impie; mais son impiété n'avait rien du cynisme des libres-penseurs du siècle. C'était un impie de bon ton. Son éducation aristocratique, l'aménité de son caractère, la distinction de ses manières le rendaient agréable dans le commerce du monde, et le venin de son irréligion se cachait sous des dehors attrayants et des formes polies. C'était un majestueux vieillard à la figure noble, dont la barbe blanche tombait à flots d'argent sur sa poitrine. Initié, jeune encore, aux mystères absurdes de la franc-maçonnerie, après en avoir subi les ridicules épreuves, il avait été promu au grade de chevalier kadosch. C'était un aimable viveur qui se faisait chérir dans son village, dont il était le plus riche propriétaire, et en quelque sorte le seigneur. Il secourait les indigents et se faisait gloire d'être philanthrope. Les glaces de l'âge n'avaient pas encore éteint en lui les flammes des passions. La corruption du coeur avait perverti son intelligence. Cependant sa fille, Irma, gémissait en secret, sur les dérèglements et l'irréligion de son vieux père. On la voyait souvent répandre des larmes abondantes sur les marches de l'autel de Marie, à laquelle elle adressait de ferventes prières pour sa conversion.
Un zélé missionnaire étant venu prêcher une retraite dans le village qu'habitaient Irma et son père, la jeune fille, sous les inspirations de la grâce, redoubla de ferveur et de supplications pour obtenir la conversion de celui qu'elle aimait de l'amour le plus tendre, et résolut de tenter un effort suprême. Elle consulta le missionnaire sur les moyens à prendre pour convertir son vieux père.
—Il faut prier, mon enfant, et prier sans cesse, lui dit le saint prêtre: ne désespérez pas, Dieu est plus fort que le diable. Voyons, quelles sont les habitudes de Monsieur votre père, quel est son genre de vie?
—Il se lève tous les jours à neuf heures, répond la jeune fille, déjeune à dix, se rend ensuite à un kiosque situé à un kilomètre au couchant du village, au pied d'une riante colline. C'est là qu'il passe le reste de la journée, se promenant dans son jardin ou s'enfermant dans son cabinet de travail.
—J'en sais assez, mon enfant. Pendant trois jours, à onze heures et quart, vous réciterez un chapelet pour la conversion de votre père.
Le lendemain, après s'être livré aux occupations de son ministère, le saint prêtre s'acheminait vers le kiosque. Quand il fut à quelques pas du vieillard, après l'avoir salué gracieusement, il s'arrêta comme pour lui parler.
—Que signifie ceci, monsieur l'abbé? dit Arthur étonné et presque fâché.
—Monsieur, je vous demande pardon si je vous ai offensé, répond le missionnaire; mais la vue de votre jardin m'a charmé, je voulais vous adresser mes félicitations.
Ce compliment adoucit le vieillard, qui lui dit:
—Si je ne suis pas trop indiscret, monsieur l'abbé, puis-je vous inviter à m'accompagner à mon kiosque?
—Avec plaisir, répondit le prêtre.
Et chemin faisant, en parlant de la pluie et du beau temps, on arriva au kiosque. On entra dans le jardin, on admira les fleurs, les ombrages, les bassins, les berceaux de verdure, les cascades, et on pénétra dans le pavillon. Le missionnaire, que les travaux de son ministère appelaient au village, prend congé du vieillard; celui-ci, charmé de la simplicité, de l'esprit et des manières polies de l'abbé, lui fait promettre de se retrouver le lendemain à la même heure dans son pavillon.
Irma avait récité son premier chapelet, à l'heure prescrite, avec une ferveur extraordinaire.
Le lendemain, le prêtre était fidèle au rendez-vous. Et Irma récitait son second chapelet avec la même ferveur.
Arthur et l'abbé se promenèrent dans le labyrinthe, sous les berceaux de noisetiers et les larges avenues de platanes, et parlèrent longuement de la littérature contemporaine et des nouvelles politiques. Le prêtre, en se séparant du vieillard, pour aller s'enfermer dans le confessionnal, fut encore invité pour le lendemain.
Le troisième jour, au moment où la pieuse jeune fille commençait son troisième chapelet, le missionnaire se dirigea vers le kiosque. Il y fut accueilli par Arthur, avec une amabilité charmante et des marques de déférence tout à fait exceptionnelles. On entra dans le pavillon, ensuite dans le cabinet de travail. Ce qui frappa les regards du missionnaire, ce fut un prie-Dieu surmonté d'un magnifique crucifix d'ivoire, près duquel était un tabouret. Le vieillard sourit.
—Vous comprenez, monsieur l'abbé!
—Oui, mon ami, répond le prêtre, heureux de voir que Marie avait favorablement accueilli les prières d'une âme pure et innocente.
—Monsieur l'abbé, dit Arthur d'une voix vibrante, j'ai longtemps combattu; mais, après une lutte longue et terrible, je m'avoue vaincu. La grâce triomphe; vous avez devant vous un vieux pécheur qui renonce à ses égarements, un impie qui reconnaît et abjure les erreurs d'une philosophie menteuse. Oui, la divinité de la religion catholique m'apparaît dans toute sa splendeur. Comme Augustin, j'ai cherché le bonheur dans les vaines jouissances de la terre, et, comme lui, je n'ai trouvé le repos que lorsque je les ai eu foulées aux pieds, et que les aspirations de mon coeur se sont dirigées vers le ciel. Tout n'est que vanité et affliction d'esprit, dit avec raison l'auteur du livre de la Sagesse. Mon père, je me jette entre vos bras: aidez un pauvre naufragé à regagner le port; ramenez dans le bercail sacré de l'Église catholique une brebis errante et vagabonde; purifiez-moi de mes souillures.
Le prêtre et le vieillard restèrent longtemps embrassés; des larmes abondantes coulèrent de leurs yeux...
Quelques jours après, quand fut clôturée la retraite, on voyait agenouillé à la Table-Sainte, à côté de sa fille rayonnante de bonheur, le vénérable vieillard, dont le maintien noble, pieux et modeste réjouissait une population éminemment chrétienne qu'avaient autrefois attristée ses écarts.
Enfants, si vos parents oublient le chemin de l'église, s'ils se laissent entraîner par les séductions de l'erreur, il dépend de vous de les arracher à la fureur du dragon infernal, de sauver ces âmes pour lesquelles Jésus-Christ est mort sur la croix. La Providence a placé entre vos mains une arme puissante: c'est la prière. Adressez-vous à Marie, qu'on n'invoque jamais en vain, Marie, la Mère de miséricorde et le refuge des pécheurs. Elle touchera le coeur de vos parents bien-aimés et les amènera repentants aux pieds de son divin Fils.
45.—LA CROIX D'ARGENT.
Une pauvre enfant du nom de Jane, errait un soir d'hiver dans les rues de Londres par un froid glacial. Sans asile, sans pain, elle ne savait où porter ses pas, car son père et sa mère étaient morts, laissant l'infortunée dans la plus cruelle détresse. Tout à coup elle voit briller un morceau de métal entre deux pavés de la rue; elle le ramasse: c'était un petit crucifix en argent. «Je vais aller le vendre, se dit Jane; avec ce qu'on m'en donnera, j'achèterai un peu de pain.»
Vite elle chercha une boutique d'orfèvre, et, au coin d'une rue, elle en vit une, petite et faiblement éclairée. Jane entra. Une femme était assise au comptoir, vêtue de deuil; elle avait une figure d'une expression pure et pieuse; elle leva sur la pauvre fille un bon regard, et lui dit d'une voix douce:
«Que désirez-vous?
—Voulez-vous acheter ceci?» répondit brusquement Jane, en tendant le crucifix.
La femme le prit avec respect, et jetant un coup d'oeil sur Jane, dont la figure malheureuse et sauvage ressortait sur ses vêtements délabrés, elle lui dit:
«Ma fille, nous achetons les objets d'or et d'argent; mais, dites-moi, savez-vous ce qu'est ceci?
—C'est de l'argent, je le sais bien!
—Ce n'est pas là ce que je vous demande: savez-vous quel est cet homme étendu sur la croix?
—Est-ce que je sais, moi!
—Quoi! pauvre enfant, vous ignorez que cet homme est le Fils de Dieu, qu'il est mort sur la croix pour nous sauver?
—Personne ne m'a jamais parlé de cela.
—Vous ne connaissez pas Jésus-Christ, notre bon Sauveur?
—De quoi nous a-t-il sauvés?
—De l'enfer, et il nous a ouvert le paradis.
—Je n'en savais rien.»
La marchande regarda plus attentivement la pauvre créature debout devant elle: elle embrassa d'un regard ce visage jeune et flétri, ces vêtements sordides, et, mal plus terrible, cette stupeur de l'âme peinte sur ses traits. Sa charité s'émut, ses entrailles de chrétienne et de mère tressaillirent. Elle dit à Jane:
«Avez-vous des parents, une maison?
—Rien. Mon père est mort sous un buisson, loin d'ici; ma mère est morte aussi. Comment suis-je venue a Londres? je n'en sais rien. Comment ai-je vécu? je n'en sais rien non plus; ce que je sais, c'est que je voudrais bien être au fond de la Tamise, car alors je n'aurais plus ni froid ni faim.
—Mon enfant, dit la marchande, et ce mot, prononcé avec une indicible bonté, fit monter les larmes aux yeux de la pauvre Jane, mon enfant, voulez-vous que je vous conduise dans une maison où vous n'aurez plus ni faim ni froid et où vous apprendrez à servir le bon Dieu?
—Ni faim ni froid? répéta Jane; ce sera donc le paradis?
—Non, mais le chemin qui y conduit.
La marchande fit entrer dans sa boutique la pauvre fille, lui donna à souper, la revêtit d'une robe neuve; bientôt Jane dormait dans un lit sous ce toit hospitalier où le Père céleste l'avait amenée.
Quelque temps après, une des orphelines de la maison du Bon Pasteur, de Londres, recevait le baptême. Sa joie, sa ferveur attendrissaient l'assemblée; cette heureuse néophyte était la pauvre Jane, qui avait pour marraine la bonne marchande, l'instrument des miséricordes du Seigneur.
46.—UN COUP DE FILET DE LA SAINTE VIERGE.
En se rendant à l'une de nos stations thermales, un officier supérieur causait avec un compagnon de voyage:—Si nous nous arrêtions à Lourdes? lui dit ce dernier. —Pourquoi donc?—Nous y trouverions le pèlerinage national. —Voilà cinquante ans que je n'ai pas mis les pieds dans une église!...—Qu'à cela ne tienne, tout se passe en plein air.—Alors, c'est différent.
Ils s'arrêtèrent a Lourdes; ils virent les ardentes prières des pèlerins. Elles étonnèrent d'abord, subjuguèrent ensuite cette âme droite et loyale: l'officier pria avec les autres, aussi longtemps que les autres.
—Il fait chaud, lui dit son compagnon; si nous buvions un verre d'eau de la grotte?—Volontiers; ce prêtre-là m'a rendu tout rêveur...
Il rêva, il pria, il monta jusqu'à la crypte, il en redescendit priant et heureux.—Si vous voulez aller aux eaux, dit-il à son compagnon, allez-y; moi, j'ai trouvé les miennes.
47.—UNE CONVERSION EN MER.
Le héros de cette histoire a rapporté lui-même dans la lettre suivante la grâce signalée dont il a été l'objet.
«Après avoir failli périr avec mon navire, sur la barre de Bayonne pendant l'été dernier, je me rendais de Livourne à Dunkerque et Rouen, lorsque le 28 décembre, au matin, je fus obligé de mouiller devant Malaga, ne pouvant y entrer. Bientôt le temps devint affreux, et, dès huit heures du matin, toute la population massée sur les quais, malgré une pluie torrentielle, nous regardant chasser sur les ancres, nous faisait comprendre quel péril nous menaçait. Le pavillon fut mis en berne, mais en vain: ni remorqueur, ni pilotes, pas même la canonnière de l'État n'osaient se risquer à nous secourir; Dieu seul pouvait nous sauver. Impossible de se jeter à la mer: nous aurions été brisés sur les rochers de la jetée en construction ou contre les récifs de la côte.
Je pensai alors à ma mère, je me rappelai le projet de me faire catholique que j'avais eu autrefois. Me jetant à genoux devant le vieux christ en bronze dominant le compas de route, je priai avec foi le Dieu des chrétiens et Notre-Dame de Montenero, dont j'avais visité, le 8 septembre dernier, le pèlerinage célèbre, en Toscane.
La journée se passa en craintes; la mer augmentait de furie, et le fleuve, en face de nous, jetait devant le navire ses eaux jaunes débordées. Le consul de France, qui avait tenté l'impossible pour nous faire secourir, nous écrivit le soir au moyen d'une bouteille jetée dans les flots: il nous avouait tristement que les autorités de Malaga reconnaissaient l'impossibilité d'arriver jusqu'à nous, en face d'une situation si périlleuse, et qu'on attendrait que la nuit fût achevée pour prendre une décision. Pour moi, cette décision c'était la mort et la perte de mon navire! Je voulus mourir catholique romain; je suppliai avec foi Notre-Dame de la Salette et je me sentis plein de courage.
Mon équipage affolé menaçait de ne plus m'obéir; il voulait filer les chaînes et jeter le navire à la côte. Plein de confiance dans le secours de Dieu et de la sainte Vierge, je résistai énergiquement à tous et la nuit arriva. Les ouvriers qui couvraient la côte et le quai nous dirent, dans leur âme, adieu pour toujours... Je fis reposer successivement mes hommes, et, pensant à la mort, je me tenais sur la dunette en priant Dieu.
Cette nuit fut épouvantable; l'orage augmentant sans cesse de violence, le navire se mit à talonner avec force, et à chaque instant il était menacé de s'entr'ouvrir et de se briser sur la jetée en construction. Les malheureux marins raidissaient à chaque instant les chaînes.
Le jour arriva enfin, mais pour nous montrer l'horreur de notre situation. La foule garnissait les quais, assistant, émue et impuissante, à ce terrible drame. Je pris un vieux catéchisme, oublié à bord par un marin, je lus les Litanies de la sainte Vierge, et je promis alors solennellement d'abjurer aussitôt arrivé en France et de me faire baptiser.
À huit heures, apparut devant Malaga un steamer; malgré le découragement de tous les matelots de l'équipage et contre leur avis, je fis mettre le pavillon en berne et jeter à la mer une bonbonne renfermant une demande de secours; je la plaçai sous la protection de la Vierge. La bouteille arriva à terre, puis le steamer disparut au large.
Ce fut alors parmi l'équipage un cri d'immense douleur: toute espérance s'évanouissait... Pour moi, j'espérais quand même, priant, sondant l'horizon avec une longue-vue. Je promis un ex-voto à Notre-Dame de la Salette et à trois autres pèlerinages. Toutefois, je me préparai à mourir catholique et j'en plaçai la déclaration écrite de ma main sur ma poitrine.
Tout à coup, vers dix heures, je découvre une fumée noire dans le lointain: j'entends un coup de sifflet strident, et, au milieu des vagues énormes qui nous couvraient, le steamer qui apparaissait. Le navire sauveur, détachant sa grande chaloupe, nous envoie vingt-quatre hommes. Après des peines inouïes, plusieurs fois sur le point d'être engloutis, ces braves finissent par nous accoster. Il était temps; nous allions attendre la mort dans la mâture élevée, car notre vaisseau était sur le point de s'entr'ouvrir. On sacrifia les ancres, les chaînes, etc., il fallait se hâter.
Le brave capitaine Corno, malgré une mer épouvantable, manoeuvra tellement bien avec son énorme steamer, qu'à midi il nous amenait dans le port. Nous étions sauvés, grâce à la sainte Vierge. Par une faveur providentielle, le navire et la cargaison n'avaient aucune avarie.
Aussitôt à terre, je me rendis à la cathédrale pour remercier Dieu et Notre-Dame et renouveler ma promesse d'abjuration. En attendant que je puisse la réaliser, j'apprends ma religion dans un vieux catéchisme oublié à bord...»
48.—LA MORT D'UN SEPTEMBRISEUR.
Vers le milieu de l'année 1826, un homme du peuple, alors sexagénaire, tenait le petit hôtel de Dijon, au n° 211 de la rue Saint-Jacques, à Paris. Atteint depuis longtemps d'une maladie grave, il avait en vain appelé à son secours les plus célèbres médecins de la capitale: le mal n'avait fait qu'empirer avec les années; enfin, de violents accès de colère, auxquels il se livrait presque tous les jours, l'avaient rendu incurable. Cependant, ne pouvant se résoudre à mourir, il tenta un dernier essai en faisant demander le docteur Descuret, qui jouissait d'une grande réputation. Celui-ci, voyant le malade à la veille de succomber, se contenta de lui prescrire quelques légers adoucissements usités en pareille circonstance: il ne comptait plus le revoir.
Mais le lendemain, vers six heures du soir, on vint l'appeler encore; cette fois ce n'était point pour le vieillard, mais pour sa femme, que le misérable avait presque tuée dans un de ses emportements.
Après les premiers soins donnés à cette pauvre femme, le docteur se disposait à se retirer sans avoir adressé une seule parole à l'incorrigible mari. Celui-ci le remarqua, l'arrêta par l'habit et lui dit d'un air piteux: «Eh quoi! monsieur le docteur, vous vous en allez sans daigner seulement me regarder?—Pourquoi m'inquiéter d'un malade qui fait l'impossible pour rendre mes soins inutiles? Au reste, ajouta-t-il d'un ton sévère, vous avez grossièrement injurié vos premiers médecins, dont l'un vous a abandonné parce que vous avez même osé lever la main sur lui. Ajoutez à ces ingratitudes la brutalité dont vous venez d'user envers votre femme, et jugez si je ne dois pas faire comme eux.—Vos reproches ne sont que trop justes, reprit le malade d'un accent pénétré; oui, je suis bien coupable d'avoir maltraité ainsi ma femme; mais aussi, monsieur, si vous saviez ce qu'elle exigeait de moi! Ne voulait-elle pas que je fisse appeler un prêtre, moi qui les ai toujours eus en horreur!—L'intention de votre femme n'avait rien que de louable: en vous proposant de mettre en paix votre conscience, elle vous donnait une nouvelle preuve de son affection, et si cela était entièrement opposé à vos idées, vous deviez vous borner à un simple refus et non la frapper.—Mais enfin, monsieur le docteur, vous qui avez fait des études, que feriez-vous si vous étiez à ma place et qu'on vous proposât pareille chose?—Moi, je n'hésiterais pas à mettre en paix ma conscience, d'abord par conviction, en second lieu, parce que le calme de l'âme contribue puissamment à alléger nos souffrances et même à dissiper la maladie.—C'est bien singulier, qu'ayant fait des études, vous ayez cette manière de voir!—Au contraire, mes convictions religieuses sont en grande partie le fruit de mes études.»
Le vieillard était vaincu par ces paroles pleines de raison et de foi: une lumière soudaine avait frappé son esprit. Il venait de se réveiller en lui des idées, des sentiments, des remords qu'il avait étouffés peut-être depuis bien longtemps, car il avait vécu dans un temps de stupide délire où les jeunes hommes de son âge et les beaux esprits affichaient le plus insultant mépris pour toute pensée religieuse, en disant: «La religion!... c'est bon pour les enfants et les femmes.» Ce préjugé infernal venait de s'évanouir à la parole du docteur, et, après un instant de silence, le malade dit d'un accent qu'on ne lui avait jamais connu: «Eh bien! qu'on fasse venir un prêtre; aussi bien, depuis longtemps j'en ai lourd sur la conscience!»
Ici commence l'histoire touchante de sa conversion, de sa douleur, de sa reconnaissance, de sa joie, de sa confusion, de son amour, de son bonheur, de son salut ... Ici, nous allons voir comment Dieu s'est servi d'une femme chrétienne, d'un médecin et d'un prêtre, pour faire d'un assassin un élu, un saint!... Heureuse de ce changement subit, la pauvre femme, elle qui avait tant parlé, prié et souffert pour cette âme rebelle, envoie à la hâte chercher un des vicaires de la paroisse Saint-Jacques.
À peine le vieillard l'a-t-il aperçu qu'il lui dit d'une voix tremblante de honte et de remords:
«Tenez, monsieur, enlevez-moi ce coutelas que j'avais mis sous mon oreiller.—Que vous êtes imprudent, mon ami! mais vous couriez risque de vous blesser!—Eh! monsieur l'abbé, je m'en étais armé pour vous le plonger dans le coeur, si vous fussiez venu sans mon consentement... Oui, ajouta-t-il devant tous les assistants, en septembre 93, j'ai massacré dix-sept ecclésiastiques, et peu s'en est fallu que vous ne fussiez le dix-huitième! Mais rassurez-vous: Dieu a eu pitié de moi; un regard de sa grâce a suffi pour m'éclairer.»
Le vicaire, stupéfait autant que touché, s'empare de l'énorme couteau: puis il s'enferme avec le pénitent pour laisser agir Dieu sur cette âme dans le mystère du sacrement de la réconciliation. Jamais, dans l'exercice de son saint ministère, il n'avait goûté des consolations comme celles qu'il trouva au chevet de ce malheureux qui avait été jadis le bourreau de dix-sept de ses confrères, et qui, à l'heure de la grâce, parlait et agissait comme le bon larron de la croix.
Déjà le bon Samaritain, qui venait de guérir cette âme si profondément blessée par le crime, se retirait en annonçant à l'heureuse famille qu'il allait apporter au converti les derniers sacrements de l'Église, quand tout à coup le vieillard s'écria d'une voix étouffée par les sanglots:
«Revenez, monsieur l'abbé, revenez bientôt auprès de moi; j'ai bien besoin de vos consolations; mais, je vous en conjure, n'approchez pas de mes lèvres le divin Rédempteur, dont tout à l'heure encore je blasphémais le nom; je suis trop indigne d'un tel bonheur!—Dieu est rempli de miséricorde, lui dit le vicaire profondément attendri; on répare ses fautes quand on les pleure amèrement, et votre repentir me paraît trop sincère pour que j'hésite a vous administrer les sacrements que réclame immédiatement votre triste position.—Je les recevrai, monsieur l'abbé, puisque vous me l'ordonnez, reprit le malade, mais seulement après avoir fait amende honorable devant ceux que j'ai autrefois scandalisés par mes forfaits.»
Tandis que le vicaire part pour chercher le saint viatique, le moribond fait appeler aussitôt ses voisins, témoins de sa vie criminelle, ses anciens camarades, les complices de ses fautes; il leur demande, avec larmes, pardon des affreux exemples qu'il leur avait donnés, surtout a l'Abbaye et aux Carmes, lors du massacre des prêtres; puis il fait de même envers sa femme, un des instruments de sa conversion.
Le prêtre arrive portant l'auguste sacrement. Le vieillard, déjà glacé par la mort, se lève aussitôt, se met à genoux et reçoit ainsi les derniers sacrements avec une piété angélique: les traits de son visage baigné de larmes en étaient tout transfigurés. Après cette auguste action, il reste toujours à genoux, appuyé sur le chevet de son lit, tenant en main un crucifix, qu'il couvre de ses baisers et de ses larmes.
Son confesseur, à plusieurs reprises, l'engagea à se coucher, vu sa grande faiblesse: c'était imposer à son coeur un pénible sacrifice, c'était lui ôter une trop douce consolation. Aussi l'exprima-t-il au prêtre: «Je sens, dit-il, qu'il ne me reste que peu d'instants à vivre; je ne puis rien offrir à Dieu que mes prières et mes larmes; laissez-moi du moins la consolation de mourir à genoux; c'est faire bien peu pour expier tous mes crimes!»
Et il resta ainsi en prière: son âme éclairée, renouvelée, sanctifiée, paraissait comme dans une sorte d'extase. Vers minuit, on entendit le moribond pousser un profond soupir; il s'était endormi dans le Seigneur avec le calme d'un élu, toujours à genoux et les lèvres collées sur le crucifix qu'il n'avait cessé d'arroser de ses larmes!!!
«Seigneur, que vous êtes admirable dans vos oeuvres! qu'elles sont profondes vos voies, qu'elles sont immenses vos miséricordes!»
(L'abbé Hoffmann, Extraits.)
49.—RENCONTRE PROVIDENTIELLE.
Au commencement de ce siècle, un personnage assez marquant, M. de G***, était tombé dans l'impiété la plus affreuse. C'était une sorte de frénésie d'irréligion. Le blasphème sortait à chaque instant de sa bouche, et il semblait n'avoir à coeur que de couvrir d'ignominie la sainte Église et ses ministres.
Un jour, M. de G*** entend raconter que dans une petite ville voisine de son château, on allait donner une mission. Sa malice sembla prendre un nouveau degré de perversité à cette nouvelle. Il se proposa de se rendre lui aussi à la mission, et de suivre les exercices, pour contrecarrer les missionnaires et pour empêcher, à force d'avanies, le fruit qu'ils devaient en attendre. On le vit donc arriver, suivi d'une escorte de vauriens, qui tous ensemble se rendirent à l'église paroissiale. Le chant des cantiques fut plus d'une fois interrompu par de grossiers lazzis et des rires indécents; mais le silence s'établit, quand le Père supérieur des missionnaires parut dans la chaire. C'était un homme de quarante ans environ, au visage pâle et amaigri, aux traits expressifs, au regard inspiré, tel en un mot que l'Écriture nous dépeint les prophètes de l'ancienne loi. Il n'avait pas achevé l'exorde de son discours, que déjà M. de G*** l'avait reconnu. C'était un des compagnons de son enfance, un des rivaux de ses études et qui lui avait disputé souvent avec avantage les couronnes académiques. Comment lui, qui pouvait briller dans le monde et parvenir aux postes les plus importants, avait-il pu se décider a embrasser la carrière pauvre et pénible du ministère évangélique, c'est ce que la tête frivole de M. de G*** ne pouvait expliquer. Il l'écouta donc avec toute l'attention dont il était capable, et il trouva qu'il justifiait par son éloquence les hautes prévisions de ses professeurs; mais ses pensées n'allèrent pas plus loin.
Après le sermon, il renvoya ses amis et vint faire visite au missionnaire. Dès qu'il se fut nommé, le bon père courut à lui, et l'embrassant tendrement: «Ô mon ami, lui dit-il, que je suis heureux de vous voir, et que je remercie Dieu de vous retrouver avec des sentiments si chrétiens! sans doute vous avez toujours été fidèle aux préceptes de religion que nous avons reçus ensemble? Et, en vous livrant avec tant d'empressement aux premiers exercices de la mission, vous voulez...» M. de G*** ne le laissa pas achever; emporté par l'irascibilité de son caractère et par le sentiment d'impiété dont il s'était fait une longue habitude, il s'oublia, jusqu'à lever la main sur le prêtre du Seigneur: «Impertinent, s'écria-t-il avec l'accent de la rage, garde pour d'autres tes sots conseils et ton insidieux prosélytisme! Je venais te féliciter de ton éloquence hypocrite et non pas réclamer tes avis.» Mais le missionnaire, impassible et tranquille, lui répondit avec cette douceur angélique que Dieu peut seul inspirer à l'homme: «Mon frère, peut-être, il y a vingt ans, quand j'étais encore dans le monde, et que la religion ne m'avait pas appris à dompter mes passions, peut-être un pareil outrage eût-il coûté la vie à l'un de nous, et jeté un damné de plus aux pieds de l'Éternel; mais Dieu m'a fait depuis longtemps la grâce d'être chrétien! Ma longue expérience dans la conduite des âmes me montre à quelle horrible extrémité est descendue la vôtre: ô mon frère! je tremble pour vous; qu'allez-vous devenir?»
Mais déjà M. de G*** était aux pieds du prêtre; il baisait sa main en l'arrosant de ses larmes, et il s'écriait; «Pardonnez-moi, mon père, car je ne sais ce que je fais!» Et il se tordait dans d'effrayantes convulsions, jetant des phrases inarticulées, des exclamations sans suite, des accents de désespoir que l'oreille avait peine à saisir, mais que devinait le coeur du missionnaire. «Où suis-je?... Quelle soudaine clarté brille à mes yeux?... Grâce, grâce!...» Et cet orage nouveau dans le coeur de l'impie, cette tempête de la conscience, frappait d'effroi le missionnaire lui-même, tout accoutumé qu'il était aux misères humaines. Tout à coup, reprenant la sublime autorité de son ministère: «Relevez-vous, mon fils, lui dit-il, relevez-vous, déjà le remords vous a fait chrétien!» Et M. de G*** se relevait tremblant, ses genoux se dérobaient sous lui. Le prêtre l'emporta dans ses bras, et le plaçant devant un prie-Dieu: «Dans un instant, mon fils, toutes vos peines seront calmées.» Puis la confession commença.
Trois heures entières ils restèrent enfermés ensemble; l'on entendait du dehors de longs sanglots et d'étranges gémissements; on n'aurait pu dire lequel versait de plus abondantes larmes, ou du prêtre ou du pénitent. Tous deux confondaient leurs soupirs, tous deux mêlaient l'expression de leur douleur, tous deux s'humiliaient devant la grandeur du Très-Haut et bénissaient ses miséricordes. M. de G*** était justifié devant Dieu. Il partit et ne voulut plus rentrer dans son château. Il se choisit en ville une modeste retraite; et, malgré les railleries de ses anciens amis, il suivit avec une piété exemplaire toutes les prédications et les moindres exercices de la retraite. Tous les jours il voyait le saint prêtre, et se confirmait dans la grâce. Enfin, le jour de la communion générale, il eut le bonheur de s'approcher de la sainte table, au grand étonnement de toute la ville, dont il avait été si longtemps le scandale et l'effroi.
50.—LE BON FILS CONSOLÉ.
Un pieux jeune homme écrivait la lettre suivante, qui doit inspirer une bien grande confiance en saint Joseph, surtout lorsqu'il s'agit d'obtenir des graces de conversion.
«J'ai reçu cette année un grand nombre de faveurs par la puissante intercession du glorieux Époux de Marie. La première a été la conversion de mon excellent père.
Il ne s'était pas confessé depuis plus de quarante ans. Il y avait une douzaine d'années qu'il n'était pas entré dans l'église paroissiale; et, pour comble de difficultés, il était plein de préjugés contre notre sainte religion qu'il n'avait jamais bien connue. Pour ramener dans les bras de Dieu cette brebis égarée, il fallait un grand coup de lumière et de miséricorde. J'avais essayé de le convaincre par le raisonnement, j'avais prié et fait prier beaucoup pour lui: tout avait été inutile. Il y a quelques semaines, je me sentis pressé d'aller solliciter auprès de saint Joseph cette conquête si difficile.
C'était la première fois que j'implorais du saint Patriarche une faveur particulière. J'allai donc me prosterner devant sa statue, et je lui promis que, s'il m'accordait ce que je lui demandais, j'aurais pendant toute ma vie une dévotion toute spéciale pour lui, et que je m'efforcerais de répandre son culte autant que je le pourrais. À peine ma prière terminée, je me sentis la plus grande confiance.
Je fis alors une première neuvaine avec toute la ferveur dont j'étais capable. En même temps, j'écrivis à mon père pour tâcher de le décider à porter un Cordon de saint Joseph que j'envoyai avec ma lettre. Il eût été impossible de le lui faire accepter comme objet religieux; mais, à ma demande, il consentit a le porter comme un petit souvenir de moi.
Ma première neuvaine achevée, j'en commençai une nouvelle, et incontinent je pus me rendre ce doux témoignage que mon espérance n'avait pas été vaine. Béni soit à jamais le très bon et très puissant saint Joseph!... La grâce était accordée. Dès le commencement de cette seconde neuvaine, je reçus de mon père une touchante lettre, où il m'exprimait, en des termes brûlant, la joie et la paix qui inondaient son âme. Une lumière nouvelle venait de briller dans son coeur et dans son intelligence. Le respect humain, les objections et les préjugés contre la religion étaient tombés d'eux-mêmes, et une petite occasion ménagée par saint Joseph s'étant présentée, mon père était allé se confesser, comme poussé par une main invisible. Le lendemain, avec des sentiments ineffables de bonheur et de tendresse, il recevait dans son coeur le Dieu, si plein de miséricorde, qui venait réjouir sa vieillesse, comme il avait autrefois réjoui sa jeunesse. La conversion a été parfaite; saint Joseph ne fait pas les choses à demi. Depuis ce jour de bénédiction, mon père prit part à tous les exercices de piété de la paroisse. Tous ceux qui le connaissaient furent profondément édifiés de cet heureux changement, et déclarèrent qu'il avait fallu une main puissante pour opérer cette merveille. Et cette main puissante, c'est la vôtre, ô grand et très-puissant saint Joseph! Je vous remercierai pendant toute ma vie de cette grâce signalée...»
Après cela, pourrait-on recommander avec trop d'instances aux jeunes gens la dévotion envers saint Joseph? Puissent-ils recourir à lui dans tous leurs besoins spirituels et ceux de leurs proches! S'ils prient avec ferveur et persévérance, ils ressentiront infailliblement les effets de sa paternelle protection.
51—COMMENT ON RETROUVE LE BONHEUR.
Passant un jour sur la place des Capucins, à Lyon, une zélatrice du rosaire y vit une petite fille âgée de six à sept ans, qui, après avoir brisé la glace d'une fontaine, plongeait quelque chose dans l'eau. La dame s'approcha et dit:
—«Que fais-tu là, mon enfant?—Je lave ma robe.—Quel est ton nom?—Marie.—Où est ta mère?—À Loyasse (cimetière de Lyon).—Et ton père?—Il est malade et triste là-bas...—Eh bien! conduis-moi à ta maison.».
L'orpheline regarda l'inconnue avec une sorte de crainte, puis, rassurée sans doute par l'affectueux sourire qui répondait à son regard, elle mit sa petite main glacée dans celle que lui tendait sa nouvelle amie, et se dirigea vers une de ces affreuses demeures, ordinairement habitées par le vice ou par le malheur.
Arrivée au dernier étage, l'enfant ouvre une porte et dit:—Papa, voilà une dame qui veut vous voir.—Me voir!... moi!... une dame!... allons donc!... C'est, sans doute pour jouir du spectacle de ma misère! Je suis chez moi; et, bien que je sois pauvre, malheureux, je ne souffrirai pas que les riches viennent insulter à ma misère! Donc, vous pouvez vous en aller,» s'écria-t-il en désignant du doigt la porte restée entr'ouverte.—Je venais vous offrir des secours,» murmura timidement la visiteuse, un peu effrayée.—Je n'ai besoin de rien, que de rester tranquille chez moi, sans qu'on vienne se moquer de ma pauvreté, reprend l'homme; et il lance par la porte de la mansarde une pièce de monnaie qui vient d'être déposée sur la table.
Il n'y avait rien à faire... La charitable zélatrice embrassa la petite fille et lui dit tout bas: «Viens me trouver quand tu auras besoin de quelque chose.» Puis elle sortit.
Plusieurs semaines s'écoulèrent sans que la douce Marie reparût, bien qu'on allât souvent, pour l'y rencontrer, à l'endroit où on l'avait trouvée.
Mme L, l'aperçut enfin, un jour, amaigrie et toute en larmes; son père, qui manquait d'ouvrage et par conséquent de pain, l'envoyait mendier dans la rue. Elle l'emmena chez elle et lui fit raconter son histoire, histoire bien simple et bien touchante, imprimée dans son jeune coeur.
«Maman était très bonne; soir et matin, elle me faisait dire Notre Père et Je vous salue, Marie... Mon père était bon, lui aussi, alors; mais depuis qu'ils ont emporté maman à Loyasse, il est devenu triste, s'est mis à lire de grandes feuilles et ne parle plus de Dieu ou des riches qu'en se fâchant bien fort.»
Ce récit fut un trait de lumière pour Mme L. Elle fit promettre à la chère petite de dire, tous les jours, une fois, «Notre Père,» et dix fois, «Je vous salue, Marie...» pour obtenir que son père devînt très heureux, et la renvoya munie d'abondantes provisions.
Un mois après, l'enfant revint chez sa bienfaitrice, mais, cette fois, avec un visage tout joyeux: «Madame, dit-elle, papa voudrait bien vous voir; seulement il n'ose pas venir...»
La difficulté fut vite tranchée; Mme L... accourut à la mansarde, et y trouva l'ouvrier. Si l'aspect du pauvre réduit était le même, on lisait sur le visage du malheureux père l'expression humble et douce du changement opéré dans son âme.
«Madame, dit-il avec respect, je ne sais comment cela est arrivé, mais je ne peux plus me reconnaître... En entendant la petite réciter tant de fois son Notre Père et son Je vous salue, je me suis d'abord impatienté, parce qu'elle le répétait trop... Puis j'ai fini par le dire machinalement avec elle, en me rappelant que ma pauvre femme le disait aussi... Alors, j'ai pleuré, j'ai senti le regret de ma mauvaise vie, et je me suis reproché mon insolence envers la dame qui a été si bonne pour nous... C'est pourquoi je voulais la voir, pour lui demander pardon.»
Ce pardon fut accordé sans peine, et Dieu, après avoir purifié, soulagé la misère de l'âme et du corps, par l'entremise de sa généreuse servante, sauva aussi par elle le père et l'enfant.
52.—LE SOUVENIR DE LA PREMIÈRE COMMUNION.
Mous devons à un homme du monde le récit suivant, qui contient plus d'une instruction utile et fournit un nouvel exemple des ineffables tendresses de la miséricorde divine.
J'étais à Paris en 1841, et je faisais partie d'une Conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Quelques-uns des jeunes gens qui la composaient avaient la pieuse habitude de visiter une ou deux fois par semaine les pauvres malades des hôpitaux du quartier.
L'hôpital Necker, dans la rue de Sèvres, m'était échu en partage. Je commençais toujours mes visites par la chapelle, et j'allais demander au Seigneur de bénir l'oeuvre que, pour l'amour de lui, je venais accomplir, d'accompagner de sa bénédiction les paroles, les conseils que j'allais donner à mes malades; et quand j'avais fini ma tournée dans les salles, je venais encore en déposer le succès aux pieds de ce bon Maître.
Je fus obligé de quitter Paris au printemps, et je me rappellerai toujours le trait touchant dont j'ai été le témoin à ma dernière visite aux malades de Necker.
La salle que je devais visiter ce jour-là était confiée aux soins d'une Soeur de Charité vieillie dans cet admirable métier, et non moins infatigable pour soulager les souffrances de ses malades que zélée pour le salut de leurs âmes. En arrivant, j'allai, selon mon habitude, prendre les ordres de cette bonne Soeur. Elle me recommanda spécialement six ou sept malades: l'un, Étienne, nouvel arrivé, et encore inconnu d'elle; l'autre, comme moribond, ayant besoin d'être fortifié et consolé; un autre comme ébranlé déjà, et prêt à se convertir, etc.
«Et puis, ajoute-t-elle, allez donc au n° 39; c'est un homme de trente-deux ou trente-trois ans, poitrinaire au dernier degré, qui sera mort dans trois jours. J'ai eu beau faire, je n'ai pu rien en tirer; il m'a envoyée promener trois ou quatre fois, et n'a jusqu'ici reçu M. l'aumônier qu'avec des paroles grossières. Un de vos confrères de Saint-Vincent-de-Paul, qui l'a déjà visité plusieurs fois, n'a pas mieux réussi que nous. Il est probable qu'il vous enverra promener aussi; mais enfin il ne faut rien épargner. Il s'agit ici de la gloire de Dieu et d'une pauvre âme à sauver.
—«Eh! mon Dieu, ma bonne Soeur, répondis-je, s'il m'envoie promener, j'irai me promener, voilà tout; cela ne me fera pas grand mal. Dites seulement pour ce pauvre homme un Ave Maria pendant que j'irai lui parler.»
Je fis ma visite; et de lit en lit j'arrivai à mon n° 39. Je fus tout saisi en le voyant. La mort était peinte sur son visage. Trois ou quatre coussins le soutenaient assis sur son lit; sa face était hâve et d'un blanc jaunâtre, et son affreuse maigreur donnait à ses yeux noirs une apparence étrange...
Je m'approchai de son lit. Il me regarda fixement sans rien dire.
Je lui demandai de ses nouvelles: «La soeur m'a appris, mon pauvre ami, que vous souffriez beaucoup, et qu'il y avait bien longtemps déjà que vous étiez malade.»
Pas de réponse; seulement le regard de mon homme devenait de plus en plus dur, et il semblait me dire: «Je n'ai que faire de vos condoléances; donnez-moi la paix.» Je fis semblant de ne pas m'en apercevoir: «Souffrez-vous beaucoup en ce moment, et pourrais-je vous soulager en quelque manière?»
Pas un mot.
«Que voulez-vous, mon pauvre enfant! il faut faire de nécessité vertu, et offrir vos souffrances au bon Dieu en expiation de vos fautes; comme cela du moins elles vous seront utiles.»
Toujours même silence et même accueil. La position commençait à devenir embarrassante. L'oeil du malade était de plus en plus menaçant, et je voyais le moment où il allait me dire quelque injure... La Providence de Dieu m'envoya tout à coup une inspiration. Je me rapprochai vivement du malheureux, et je lui dis à demi-voix: «Avez-vous fait une bonne première communion?»
Cette parole produisit sur lui l'effet d'une commotion électrique. Il fit un léger mouvement; sa figure changea d'expression, et il murmura plutôt qu'il ne dit: «Oui, Monsieur.»
—Eh bien! repris-je, mon ami, n'étiez-vous pas heureux dans ce temps-la?—Oui, Monsieur, me répondit-il d'une voix émue; et au même instant je vis deux grosses larmes couler sur ses joues. Je lui pris les mains.—Et pourquoi étiez-vous heureux alors, sinon parce que vous étiez pur, chaste, aimant et craignant Dieu, en un mot, bon chrétien? Mais ce bonheur peut revenir encore, et le bon Dieu n'a pas changé! Il continuait à pleurer: N'est-ce pas, ajoutai-je, que vous voulez bien vous confesser?
—Oui, Monsieur, dit-il alors avec force; et il s'avança vers moi pour m'embrasser. Je le fis de grand coeur, comme vous pouvez penser, et je lui donnai quelques petits conseils pour faciliter l'exécution de son bon dessein. Je le quittai ensuite, et j'annonçai à la Soeur le succès inespéré de ma visite. Je ne sais ce qui s'ensuivit; mais ce qui m'est resté profondément gravé dans l'esprit ou plutôt dans le coeur, c'est la force merveilleuse de la miséricorde de Dieu, qui changea en un instant, et à l'aide d'une seule parole, ce coeur si endurci!
Le seul souvenir de sa première communion suffit pour convertir et probablement pour sauver ce pauvre malade, heureux de l'avoir bien faite; car s'il eût accompli, comme plusieurs, hélas! avec négligence, ce grand acte de la vie chrétienne, le souvenir que je lui en rappelai n'eût fait sans doute sur son coeur qu'une impression insignifiante!...
Ainsi le bien produit le bien, et avec Dieu rien ne demeure perdu.
53.—L'ORPHELINE ET LE VÉTÉRAN.
Une pauvre orpheline avait été recueillie par un vieux soldat qu'elle nommait son père. D'une piété simple, mais sérieuse, elle s'était attiré une telle estime, qu'il y avait autour d'elle comme une auréole de vénération. Le vieux soldat lui-même s'était laissé prendre à son influence. Il appelait sa petite orpheline, sa petite sainte. Jamais il ne fumait devant elle, il jurait encore moins.
La pieuse enfant était arrivée à faire prier son père adoptif, ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps.
Un jour qu'il passait devant l'église du village, je ne sais quelle inspiration secrète le pousse à y entrer. Il va s'agenouiller dans un coin et commence son signe de croix. Mais tout à coup il s'arrête, ses yeux ont rencontré une enfant qui, recueillie au pied de l'autel, les mains jointes, paraît comme dans une extase. Il regarde, il reconnaît sa fille. La pensée lui vient aussitôt qu'elle demande à Dieu sa conversion; elle lui a dit tant de fois que c'était là l'unique objet de toutes ses prières. Une larme monte de son coeur à ses yeux et coule le long de ses joues sur sa vieille figure cicatrisée. Cette larme est efficace et décide de son retour à Dieu.
Quelque temps après, aux Pâques, le vieux militaire pleinement converti, bien heureux, communiait à côté de sa petite fille. Et, comme, au sortir de l'église, quelques-uns de ses vieux camarades le regardaient étonnés: «Vous ne vous attendiez pas à cela, leur dit-il, mais que voulez-vous? Je ne puis résister à la petite sainte, elle convertirait le démon lui-même, si le démon pouvait être converti.»
Voilà l'influence de la vraie piété. Puisse-t-elle devenir le partage de tous ceux qui liront ce petit livre! En même temps qu'elle assurera leur propre salut, elle les aidera merveilleusement à travailler au salut des autres!
TABLE DES MATIÈRES.
1.—Le capitaine de navire et le mousse.
4.—Un jeu où l'on gagne le ciel.
5.—La vengeance d'un étudiant chrétien.
6.—Un père converti par son enfant.
8.—Les trois actes d'un drame contemporain.
9.—Le remède est dur, mais il est bon.
12.—Une première communion à quatre-vingts ans.
14.—Une méprise qui porte bonheur.
15.—Héroïsme d'un jeune néophyte.
17.—Tel est pris qui croyait prendre.
18.—Comment on obtient un miracle.
20.—La plus grande victoire d'un vieux général.
22.—Un épisode de la Révolution.
27.—Un fils qui tombe dans les bras de son père.
28.—Le rosier du mois de Marie.
29.—La statuette de saint Antoine.
34.—Un voyage de cent lieues en Australie.
35.—Rien n'est impossible à Dieu.
37.—Un pécheur moribond assisté par un prêtre mourant.
42.—Ce que le zèle peut inspirer à un enfant.
43.—Une conquête du Sacré-Coeur.
46.—Un coup de filet de la sainte Vierge.
48.—La mort d'un septembriseur.
51.—Comment on retrouve le bonheur.