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Les Merveilles de la Locomotion

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Fig. 41.—Une station, en Amérique.

C'est pour franchir la montagne du Sommering, avec des pentes de 25 millimètres, que l'ingénieur autrichien Engerth a construit la puissante locomotive qui porte son nom et dans laquelle il a réuni sur dix roues le tender et la machine, de manière à profiter de toute l'adhérence possible, en laissant aux deux parties du système la possibilité de se mouvoir et de s'inscrire dans des courbes de 190 mètres de rayon.

Fig. 42.—Machine Jefferson.

Le problème de la locomotion, dès qu'il s'agit de fortes pentes, en courbes de faible rayon, présente les plus grandes difficultés. Chaque jour les ingénieurs font un nouveau pas vers la solution, mais celle-ci n'est point encore atteinte et on ne peut prévoir l'époque où la machine de montagne, celle qui se rapprochera le plus de notre scolopendre, par sa force et sa souplesse, sera trouvée.

À côté de ces lourdes machines, aux formes massives et athlétiques, auxquelles incombent les transports les plus importants, se trouvent des machines plus légères, plus rapides à la course: les machines-tenders, qui portent avec elles leur provision d'eau et de combustible pour les courts trajets qu'elles doivent accomplir. Les machines-tenders servent à la traction sur les lignes de banlieue, et sont utilisées dans les gares pour les manœuvres de composition et de décomposition des trains, trop lentes avec des chevaux ou à bras d'hommes.

Tels sont, très en résumé, les divers types de machines nécessaires à l'exploitation des voies ferrées, et que l'on trouve dans le matériel de toutes les Compagnies de France ou de l'étranger, avec les différences naturelles que les conditions locales leur imposent.

Nous avons dit déjà plusieurs fois que l'instrument de transport sur les voies ferrées, si parfait qu'il soit déjà, n'est pas encore, dans tous les cas, tout ce que l'on peut désirer. Il ne faut pas que le chemin qui est à parcourir nous empêche de reconnaître les améliorations accomplies.

On sait que la puissance d'une machine dépend des dimensions de ses entrailles, nous voulons dire de l'étendue de sa surface de chauffe. À l'origine, les machines du chemin de Versailles mesuraient 56 mètres carrés; ce chiffre a été à peu près quadruplé: les grosses machines du chemin de fer du Nord ont jusqu'à 213mc,35 de surface de chauffe. Au lieu de 450 kilogrammes d'eau, elles digèrent ou évaporent dix fois plus, et jusqu'à 5,000 kilogrammes d'eau par heure. Le corps cylindrique, qui n'avait que 2m,43 de longueur dans les anciennes machines Sharp, a aujourd'hui jusqu'à 4m,89 dans les Engerth.

L'augmentation de poids est la conséquence naturelle de l'augmentation des dimensions. La Fusée pesait 4 tonnes 30 et, sans remonter si loin, les anciennes machines Buddicom pesaient 17 tonnes; aujourd'hui, les Engerth, avec leur tender, pèsent 62 tonnes 80. L'adhérence a augmenté avec le poids et, tandis que la charge remorquée par les anciennes machines n'était que de 40 tonnes, à la vitesse de 10 kilomètres à l'heure, elle est aujourd'hui: de 700 tonnes, à une vitesse de 23 kilomètres pour les Engerth, ou de 88 tonnes, à une vitesse de 80 kilomètres, pour les Crampton.

À l'encontre de ce qui arrive pour les chevaux, qui produisent en raison de la nourriture qu'on leur donne (parce que nous n'avons pas encore trouvé le moyen de diminuer leurs facultés digestives et assimilatrices, sans réduire leur quantité de travail, l'œuvre de Dieu étant parfaite), la consommation des machines s'est améliorée: par de meilleures proportions données au foyer, à la chaudière et aux différentes parties du mécanisme, la quantité de combustible brûlée pour transporter une tonne à 1 kilomètre a été réduite de 0k,45 à 0k,032, c'est-à-dire dans la proportion de 14 à 1.

Le travail des ateliers s'est perfectionné, le prix des machines s'est notablement abaissé, et cela en dépit du prix de la main-d'œuvre, qui va constamment en croissant. L'unité-cheval a notablement baissé. Et quelle perfection plus grande dans la construction!

Or, ce cheval, pris pour unité de la mesure des locomotives et des machines à vapeur en général, et qu'on appelle cheval-vapeur, n'est pas l'équivalent du cheval ordinaire de nos voitures. Le cheval-vapeur équivaut à 75 kilogrammètres (c'est-à-dire à la force nécessaire pour élever, par seconde, un poids de 75 kilogrammes à 1 mètre de hauteur), tandis que la force du cheval ordinaire est évaluée à 45 kilogrammètres seulement. Et, comme ce dernier ne peut travailler que huit heures environ sur vingt-quatre, il en résulte qu'il faudrait 5,5 chevaux ordinaires pour faire l'équivalent d'un cheval-vapeur, ou mieux 11 chevaux ordinaires pour remplacer 2 chevaux-vapeur.

Cette définition étant donnée, nous serons compris en disant que les locomotives aujourd'hui en usage développent un travail soutenu de 200 à 300 chevaux-vapeur, ou de 1,100 à 1,650 chevaux ordinaires.

Les Compagnies françaises avaient, au 31 décembre, 11,723 locomotives, et les Compagnies anglaises 8,619.

On compte, en général, pour l'exploitation des chemins de fer, 0,34 locomotives par kilomètre (ou une machine environ pour 3 kilomètres), ce qui donne, pour les 176,000 kilomètres exploités aujourd'hui, environ 59,800 locomotives, produisant un travail de 14,950,000 chevaux-vapeur, ou de 82,225,000 chevaux ordinaires. On est effrayé de ces chiffres et l'esprit se rend difficilement compte des quantités qu'ils représentent. Cependant, si l'on suppose que tous ces chevaux soient attelés en flèche et n'occupent chacun qu'une longueur de 2 mètres, l'attelage aura comme longueur 191 fois la distance de Paris à Marseille, ou sera la moitié environ de la distance moyenne de la terre à la lune!

Nous ne pouvons mieux finir cette courte analyse du chemin de fer, qu'en transcrivant ici les lignes par lesquelles deux des rapporteurs de la classe 63 (matériel du chemin de fer), à l'Exposition universelle de 1867, MM. E. Flachat et de Goldschmidt, terminaient leur exposé économique.

«Quelque découverte qui puisse être faite dans l'industrie et dans les arts, il n'y en a pas qui vaille celle qui a abaissé de 4 à 1 le prix du transport de toutes choses, en augmentant la vitesse dans le rapport de 1 à 5.

«Il y a dix années au plus que ce nouvel état de choses exerce son influence sur l'industrie générale, et déjà l'Exposition universelle nous montre une égalité menaçante pour les uns, consolante pour les autres, providentielle pour tous, dans les moyens de production. C'est comme une abondance qui monte et qui doit enrichir l'humanité sur tous les points du globe. À voir l'ardeur qui nous entraîne et qui nous unit, pour améliorer demain ce qui a été fait hier, qui douterait du mieux qui va suivre et n'aurait confiance dans ce que l'avenir prépare?»

V.—SYSTÈMES DIVERS.

À côté des locomotives dont nous venons d'esquisser l'histoire et de faire connaître les principaux types, se placent un certain nombre de machines diverses: les unes fonctionnent encore au moyen de la vapeur, les autres au moyen de l'air ou de l'eau comprimés, d'autres enfin au moyen de l'électricité: nous allons en faire connaître les dispositions principales.

A.—Multiplication du nombre des cylindres. — Système Verpilleux. — Machines du Nord, Meyer, Dupleix, Flachat.

Nous parlerons d'abord de quelques locomotives remarquables par le nombre de leurs organes propulseurs.

La difficulté qu'éprouvent les constructeurs à conjuguer le mouvement de plusieurs paires de roues sur les lignes à courbes de petit rayon, les a conduits à transmettre d'une manière indépendante aux roues de la machine le mouvement de va-et-vient produit par l'action de la vapeur dans les cylindres et, par suite, à multiplier le nombre de ces derniers,—une paire de cylindres agissant, comme à l'ordinaire, sur les roues d'avant de la machine, une seconde paire agissant sur les roues d'arrière, sur celles du tender ou même sur celles des divers véhicules. Tel est le système, en principe.

Il a été appliqué pour la première fois sur le chemin de Saint-Étienne, par M. Verpilleux qui disposait deux cylindres sous le tender; puis, au chemin de fer du Nord, où de superbes locomotives ont été construites pour les services de petite et de grande vitesse.

Fig. 43.—Machine Petiet (Nord), à quatre cylindres.

La machine à marchandises du Nord est montée sur douze roues, groupées et accouplées par six. Chaque groupe est commandé par deux cylindres, les uns placés en tête, les autres en queue de la machine. Une longue chaudière, surmontée d'un dessiccateur, est couchée sur les six essieux. Autour de ses flancs se trouvent l'eau et le charbon nécessaires à son alimentation, et le tout pèse 59,7 tonnes et est capable de remorquer des charges de 655 tonnes brutes, en rampe de 0m,005, avec une vitesse moyenne de 25 kilomètres à l'heure, ou de 80 tonnes, en rampe de 0,05 par mètre. Ces grandes dimensions, cette grande puissance ont fait donner parfois à cette machine le nom de machine-chameau.

Une machine de même système (4 cylindres), mais avec une paire de roues de moins (5 au lieu de 6), a été construite pour le service des express du Nord, qui sont très-chargés. Les deux paires de roues motrices d'avant et d'arrière ont un diamètre de 1m,60, ce qui ne pourrait suffire à un service de grande vitesse, si l'on n'avait pris soin d'augmenter le nombre des coups de piston et par suite celui des tours de roues par unité de temps.

La locomotive de M. Meyer ne diffère de la locomotive à marchandises du Nord que par l'isolement des deux groupes de six roues, montés sur deux trucks indépendants et non plus sur un même châssis. La chaudière repose sur les deux trucks, comme la caisse des wagons américains sur les trains qui la portent; des tuyaux articulés servent à la distribution de la vapeur dans les quatre cylindres et à son échappement dans la cheminée. Cette disposition donne à la machine la souplesse nécessaire à son passage dans les courbes de petit rayon, sans lui ôter la rigidité et la solidité qui sont la condition vitale de ces grands corps métalliques.

La machine Queensland, du système Fairlie en usage aux colonies anglaises, résout le même problème d'une manière différente.

M. Haswell a construit une machine, à grande vitesse, dite Dupleix, dans laquelle les quatre cylindres, au lieu d'être isolés, comme dans les machines précédentes, sont superposés deux par deux et agissent sur une manivelle à deux bras, de manière à éviter l'emploi des contre-poids: disposition compliquée et insuffisamment justifiée.

Fig. 44.—Machine Fairlie.

Enfin, M. Eugène Flachat, qui a si puissamment, et pendant de si longues années, contribué à la construction et au perfectionnement de nos voies ferrées, a proposé non plus quatre paires de cylindres, mais autant de cylindres que de trucks porteurs de véhicules. La chaudière destinée à engendrer la vapeur nécessaire à tous ces cylindres est placée en avant du train sur deux trucks, et des tuyaux articulés la répartissent dans toute la longueur du train. Le poids et, par suite, les dimensions du véhicule peuvent être augmentés. M. Flachat proposait l'emploi des voitures du système américain à long couloir intérieur.

B.—Systèmes divers. — Locomotive de Jouffroy. — Système Séguier. — Locomotive Fell, du Mont-Cenis. — Machines rotatives. — Système Agudio, funiculaire et à rail central. — Systèmes Larmanjat, Saint-Pierre et Goudal.

Fig. 45.—Machine Jouffroy.

La locomotive de M. de Jouffroy diffère complétement des précédentes, et c'est d'une tout autre manière que cet inventeur a cherché à résoudre le même problème de la locomotion en pays de montagnes. Il place la chaudière sur un châssis porté par deux grandes roues à jante plate, et le mécanisme sur un autre châssis supporté en son milieu par une roue unique en fer, garnie d'une jante en bois destinée à se mouvoir sur un rail strié, qui occupe le milieu de la voie. Cette roue est la roue motrice. Elle est comme la roue d'avant d'un tricycle, portant sur ses deux roues de derrière la chaudière et ses accessoires. Les deux parties dont se compose le châssis de ce tricycle sont réunies au moyen d'une articulation verticale, qui augmente encore sa souplesse propre. On voit que l'inventeur a cherché à obtenir une grande adhérence, en même temps qu'une grande légèreté et une grande flexibilité de son matériel. D'ailleurs, son système de grandes roues à jante plate, mobiles sur des rails à rebords, n'est pas exclusif à sa machine. Ses voitures sont aussi montées sur un seul essieu porté par deux grandes roues et réunies les unes aux autres au moyen d'articulations à axe vertical qui permettent un facile déplacement dans le plan de la voie. C'est là assurément une conception ingénieuse, une solution du problème, mais elle emprunte des moyens dont la pratique a révélé les défauts et n'a pu consacrer l'usage. Aussi n'est-il pas appliqué.

Fig. 46.—Voiture Jouffroy.

Nous retrouvons encore le rail central dans une autre invention, mais non plus ce rail avec ses stries et ses dentelures, qui le font ressembler à une crémaillère, mais un rail semblable à ceux de la voie ordinaire, à la hauteur près à laquelle il se trouve placé au-dessus du ballast. Il ne sert plus au passage d'une roue verticale comme celle de M. de Jouffroy, mais au passage de deux couples de roues horizontales qui le pressent entre elles, comme feraient les extrémités de tenailles dont les mâchoires tranchantes, devenues circulaires, seraient animées d'un mouvement de rotation. Tel est le système de M. le baron Séguier, que différents inventeurs, MM. Duméry, Giraud et Fedit, et enfin M. Fell, ont cherché à rendre pratique.

Nous ne nous arrêterons pas à la description des machines proposées par les premiers, mais nous dirons quelques mots de celle de M. Fell, en raison de l'avenir que des essais heureux paraissent lui réserver.

«On se fera une idée sommaire, mais exacte de cette machine, dit M. Couche dans son rapport sur les locomotives exposées en 1867, en concevant une locomotive à huit roues couplées dont quatre verticales et porteuses et quatre horizontales commandées par les mêmes pistons, au moyen de bielles motrices distinctes et pinçant entre elles un rail central. On a donc, d'une part, l'adhérence ordinaire due au poids entier de l'appareil; et, de l'autre, l'adhérence facultative, en quelque sorte illimitée, due à la pression exercée par des ressorts, et que le mécanicien règle à volonté.»

La machine de M. Fell a fait le service de la ligne de 80 kilomètres établie sur la route du Mont-Cenis, en attendant le percement du souterrain. Elle mettait cinq heures à opérer ce trajet, franchissant des rampes de 0m,08 par mètre, et passant dans des courbes de 40 mètres de rayon, avec un train de trois wagons attelés à sa suite. Rien de plus pittoresque que ce voyage tantôt à ciel ouvert, tantôt sous les longs souterrains en charpente destines à garantir la voie des avalanches.

Fig. 47.—Système Larmanjat.

Deux systèmes ont été proposés pour l'établissement des chemins de fer à bon marché, au moyen d'un seul rail: l'un est le système Larmanjat, l'autre le système uno-rail de MM. Saint-Pierre et Goudal. Tous deux s'établissent sur les accotements des routes, le premier en terrain plat, le second en pays de montagnes plus spécialement.

Les véhicules de M. Larmanjat sont à quatre roues, deux sur l'axe: l'une à l'avant, l'autre à l'arrière et portant sur le rail; deux latérales: une à droite, une à gauche, reposant sur le sol et fonctionnant comme roues d'équilibre. Les premières portent la plus grande partie de la charge et, placées sur le rail, elles réduisent le frottement et par suite l'effort de traction.

On voit que la chaussée parcourue par les trains de M. Larmanjat doit être parfaitement de niveau pour que les voyageurs ne soient pas soumis à des oscillations qui ne manqueraient pas de devenir fatigantes et désagréables. Un essai de ce système a été fait entre le Raincy et Montfermeil, sur une longueur de 5 kilomètres, et a paru donner d'assez bons résultats.

D'après M. Larmanjat, le kilomètre de rail placé sur le côté de la route macadamisée reviendrait à 7,000 francs; placé sur l'un des bas côtés, avec macadam à droite et à gauche, à 10,000, et enfin avec longrines en bois, à 14,000 francs.

Le matériel roulant est aussi à très-bas prix: les machines coûtent de 10,000 à 20,000 francs et les wagons de 2,500 à 3,500 francs. Ces prix peuvent donc rendre possibles un grand nombre de petites lignes à trafic restreint.

Fig. 48.—Machine Saint-Pierre et Goudal (élévation).

Les voitures et la locomotive de MM. Saint-Pierre et Goudal sont portées sur quatre roues à large jante qui se meuvent sur des bandes en asphalte comprimé; ces roues n'ont rien de particulier. En dessous des véhicules se trouvent deux paires de roues presque horizontales, étreignant entre elles le rail central, comme dans le système Fell. Ces roues ont même diamètre que les premières; leur pression sur le rail peut être graduée. Les huit roues reçoivent leur mouvement de deux cylindres placés à l'avant.

Fig. 49.—Machine Saint-Pierre et Goudal (coupe transversale).

D'après les inventeurs, cette locomotive-tender, du poids de 10 tonnes, d'une force normale de 50 chevaux, peut traîner un poids utile de 20 à 22 tonnes, en rampe de 0m,05 par mètre, à une vitesse de 6 à 8 kilomètres.

Il ne nous est pas possible de nous prononcer sur la valeur de ce système. Nous n'avons pas ouï dire qu'il ait encore reçu d'application. Quelle sera la durée des bandes asphaltées? Quelle sera la durée des machines elles-mêmes, dont le mécanisme est compliqué? Comment résisteront-elles aux secousses produites par les imperfections de la voie, si difficile à réparer. Il est impossible de répondre à toutes ces questions.

Les inventeurs et les ingénieurs ne se sont pas seulement préoccupés des améliorations à apporter au mécanisme locomoteur, ils ont cherché aussi à simplifier le mode d'action de la vapeur. C'est ainsi qu'on a essayé d'appliquer des machines rotatives à la mise en mouvement des roues des locomotives. Ces tentatives n'ont pas réussi jusqu'à présent, et on a renoncé à cette application, malgré la simplicité et l'attrait qu'elle présentait. Peut-être faut-il attendre que les machines rotatives se soient perfectionnées; la science, de ce côté, n'a pas dit son dernier mot.

Nous avons parlé déjà des plans inclinés et des machines fixes placées à leur sommet qui opèrent à l'aide d'un câble le remorquage des wagons sur ces plans. De grands inconvénients existent dans l'emploi de ce système. C'est par des modifications profondes que M. Agudio les a surmontés.

Chacun connaît le touage en usage sur les rivières et les canaux: une chaîne couchée dans le fond de la rivière sert d'amarre à un bateau sur le pont duquel de gros tambours sont disposés. Une machine à vapeur fait tourner ces tambours, sur lesquels la chaîne s'enroule deux ou trois fois, pour retomber ensuite dans l'eau à l'arrière du bateau. Cette chaîne, comme on le voit, présente une grande analogie avec le rail central Séguier. M. Agudio a remplacé la chaîne de touage par un câble métallique fixé à ses deux extrémités; ce câble s'enroule deux fois sur les gorges de deux tambours disposés sur le train du locomoteur. La machine à vapeur du bateau-toueur est remplacée par deux machines fixes, l'une en haut, l'autre en bas du plan incliné. Chacune de ces machines tire un des brins du second câble, dont les extrémités ont été réunies après avoir été passées sur deux nouveaux tambours du locomoteur. On comprend le jeu de l'appareil: le câble sans fin transmet, par ses deux brins, aux tambours qui le portent, le mouvement qu'il a reçu des machines. Ces tambours le transmettent à leur tour au tambour qui porte le câble toueur, immobile sur le sol et le long duquel il s'avance, entraînant à sa suite le train tout entier.

Le locomoteur est porté sur deux trucks munis de freins puissants.

Ce système, tel que nous venons de le décrire, présente déjà de sérieux avantages: flexibilité et légèreté de la machine, simplicité des organes de transmission, sécurité à la montée comme à la descente. Mais M. Agudio l'a encore perfectionné en remplaçant son câble toueur fixe par le rail central du système Séguier ou Fell. Les poulies du locomoteur, dans le nouvel appareil, sont disposées horizontalement et étreignent fortement le rail. Enfin, le poids du locomoteur, qui est de 12 tonnes et qui se répartit sur les roues porteuses, donne lieu à une certaine adhérence dont il a aussi tiré parti.

On étudie, en ce moment, l'application du système Agudio-Fell à la traversée du Simplon. Sur le versant nord, où se trouvent des rampes de 0m,10 par mètre, on se propose d'employer le locomoteur Agudio, et sur le versant sud, beaucoup moins abrupt, la locomotive Fell.

C.—L'eau et l'air comprimé. L'électricité. — Locomotives Andraud, Pecqueur. — Chemins éoliques Andraud. — L'air comprimé et raréfié: le chemin de Sydenham. Tunnel sous la Manche. — L'air chaud. — L'eau comprimée: système Girard. — Machines électro-magnétiques.

Jusqu'à présent, la vapeur d'eau a été le seul agent employé dans les machines fixes ou locomotives dont nous avons parlé, mais elle n'a pas été le seul agent essayé.

Nous vivons dans une atmosphère gazeuse, compressible, élastique, que nous pouvons utiliser comme moyen de propulsion. Nous pouvons profiter des chutes ou des cours d'eau improductifs pour comprimer l'air, faire provision de la masse, ainsi réduite à un faible volume, et la faire agir dans les cylindres de la locomotive, au lieu de la vapeur d'eau. C'est le système proposé par M. Andraud.

Deux chiffres font saisir immédiatement les difficultés qui s'opposent à l'emploi de l'air comprimé dans les locomotives: 1 mètre cube d'air et 1 mètre cube de vapeur, à même pression, produisent le même effet dans le cylindre de la machine, mais cette vapeur, à l'état d'eau, n'occupe dans le tender qu'un volume de 3 litres 50, qui est les 0,0035 de celui qu'occuperait l'air;—d'où jaillit l'impossibilité.

M. Andraud propose de comprimer l'air à 30 atmosphères, mais il faut alors un réservoir très-résistant et, par conséquent, très-lourd: nouvelle impossibilité.

L'addition d'un foyer et l'emploi de l'air chaud ne conduisent pas à de meilleurs résultats. On a constaté sur les machines fixes qu'on ne peut guère dépasser la force de quatre chevaux sans augmenter démesurément la masse.

M. Pecqueur, reprenant les idées de M. Andraud, a eu l'idée de disposer, le long de la voie, un long tube servant de réservoir où la machine en marche puiserait l'air comprimé. Mais il suffit d'énoncer un semblable projet pour faire entrevoir toutes les difficultés attachées à sa réalisation. M. Pecqueur, indépendamment de cette locomotive à air comprimé, a inventé aussi un piston locomoteur comme celui que nous avons décrit en parlant du système atmosphérique, mais qu'il fait mouvoir au moyen de l'air comprimé, au lieu de l'air raréfié.

M. Andraud, à qui revient l'idée de la locomotive à air comprimé, a proposé des chemins éoliques, dont le succès nous paraît encore plus problématique. Voici la disposition qu'il propose: Entre les deux files de rails se trouve un madrier et, de chaque côté de ce madrier, un tube en étoffe flexible et imperméable à l'air, une sorte de gros boyau. Ces deux boyaux sont accompagnés d'un gros tube latéral résistant, qui sert de réservoir d'air comprimé.

Que l'on suppose vides, un moment, les deux tubes placés au milieu de la voie, et qu'après les avoir saisis à l'aide de deux rouleaux opposés, faisant mâchoires, on introduise l'air, celui-ci gonflera les tubes flexibles, pressera les rouleaux et les fera avancer. On n'a plus qu'à disposer sur les tubes autant de paires de rouleaux ou de mâchoires qu'on voudra, au-dessus de ces rouleaux des wagons reliés, et le système progressera. Théoriquement, il n'y a rien à dire; mais pratiquement, c'est autre chose. Que coûtera l'ensemble? Et, sans même aborder la question de prix, que dureront ces tubes? Voyez-vous les fuites se produire et les cantonniers, transformés en couturières, chargés de mettre des pièces. Tout cela nous paraît inabordable.

Aussi préférons-nous l'obscurité du tunnel de Sydenham à l'insécurité de semblables systèmes.

Nous résumons un article du Railway News, du 3 septembre 1864, qui rend compte de l'expérience, nouvelle application de l'idée de Vallance, faite entre Londres et Sydenham.

La voie est établie dans un tunnel circulaire en briques de 3m,20 de diamètre, capable de recevoir les grandes voitures du Great-Western. Le véhicule ressemble à un long omnibus et porte un disque au milieu duquel il se trouve placé, comme le serait l'acrobate retenu au centre du cerceau garni de papier qu'il traverse dans les jeux du cirque. Ce disque forme la section du tunnel et fonctionne comme piston. La force qui le fait mouvoir est produite par un grand ventilateur ou éjecteur, à surface concave, de 6m,70 de diamètre, mis en mouvement par une petite machine à vapeur.

La voiture doit-elle descendre. Ses freins sont desserrés, elle s'engage dans le tunnel en passant sur une longue ouverture grillée par laquelle l'air arrive. Le ventilateur tourne. Une porte en tôle ferme l'entrée du tunnel, et la voiture descend, poussée par l'air introduit. Le ventilateur s'arrête avant l'arrivée du wagon, la vitesse acquise suffit à le conduire à la fin de sa course; les freins sont serrés, il s'arrête.—Doit-il remonter? C'est alors par aspiration que fonctionne l'appareil, et le véhicule s'avance dans le souterrain, comme l'eau s'élève aspirée dans un chalumeau.

On voit l'avantage que présente ce système sur le système atmosphérique que nous avons décrit précédemment. Au lieu d'un petit piston, dont la faible surface réclame, pour produire un effet voulu, une pression élevée en chacun de ses points, on n'a plus besoin que d'une faible pression répartie sur la grande surface du nouveau piston. Par suite, les fuites si redoutées dans le premier cas sont bien moindres et bien moins à craindre dans celui-ci. Enfin,—et cet avantage ne sera pas sans intérêt pour certains voyageurs délicats,—l'air circule et se renouvelle dans l'intérieur du souterrain, de manière à dissiper les craintes de ceux qui, comme le grand Arago, redouteraient encore les maladies causées par l'air humide des souterrains.

Quel sera le sort de cette nouvelle application de l'air à la locomotion? Construira-t-on des souterrains sur le versant des montagnes pour les franchir plus aisément? Fera-t-on un tunnel sous la Manche, et l'air comprimé sera-t-il le moteur adopté? On ne peut rien affirmer, mais il résulte évidemment de l'expérience que nous venons de rapporter qu'un nouveau moyen, aussi puissant que simple, a été mis à la disposition des ingénieurs, qui sauront l'utiliser dans les circonstances les plus avantageuses.

Un système, qui a fait beaucoup de bruit dans ces dernières années, est le système hydraulique de M. Girard.

Un sentiment inné porte l'ingénieur à imiter ce qu'il voit dans la nature, et à tirer parti des forces improductives qu'il ne faut que dompter pour les rendre utiles et en faire des sources de profits. C'est à un sentiment de ce genre qu'a obéi M. Girard en imaginant son chemin de fer hydraulique.

Fig. 50.—Système Girard.

Le frottement des véhicules sur les rails est déjà bien faible dans les chemins de fer: M. Girard a cherché à le réduire encore et à le rapprocher de ce qu'il est entre le bateau et l'eau qui le porte. Des chutes d'eau, d'une puissance considérable, se précipitent des montagnes dans les vallées sans que, le plus souvent, on en tire le moindre parti. M. Girard a voulu les utiliser. Pour cela, il dispose, le long de la voie, une conduite d'eau qui, au passage des wagons, fournit le liquide nécessaire à la mise en mouvement. Deux systèmes de turbines agissent sur les roues. Selon que l'eau frappe les turbines de l'un ou de l'autre système, la progression a lieu dans un sens ou en sens contraire. Tel est le premier système proposé par M. Girard. Plus tard, il est revenu sur cette première conception et a remplacé les roues par des patins cannelés portant sur un rail plat. C'est alors, entre le patin et le rail, qu'il introduit de l'eau comprimée, de manière à adoucir le frottement des deux surfaces, et à le réduire, a-t-il prétendu, au millième de la charge.

Mais pourquoi faut-il que la pratique se trouve si souvent en désaccord avec la théorie, et que les faits les plus simples en apparence rencontrent dans l'application de si grandes difficultés? Le système de M. Girard a été essayé à la Jonchère, près de Rueil; une commission a été nommée pour constater les résultats obtenus, et son rapport n'a pas été favorable à cette nouvelle invention. Aux chances de fuites que les moindres mouvements de la voie peuvent produire, et qu'une forte pression, donnée à l'eau pour obtenir de grandes vitesses, peut aggraver, s'ajoute la difficulté d'avoir toujours une grande quantité d'eau et de la conserver liquide dans les conduites en dépit des grands froids. Nous ne croyons donc pas que le système Girard soit appelé à renverser les locomotives.

Nous en dirons autant des machines électro-magnétiques qui, en l'état de la science, doivent être exclues du domaine de la pratique. Les savants sont, à cet égard, d'un avis unanime. Un cheval de force, obtenu au moyen de la vapeur, coûte environ 10 centimes par heure; obtenu par un courant électrique, il coûte 20 francs, disait M. Aristide Dumont à l'Académie des sciences, en 1851. Depuis cette époque, la construction des machines électro-motrices a fait des progrès, mais ils ne sont pas tels qu'on puisse, d'ores et déjà, prévoir leur application prochaine à l'industrie des transports.

Tel est, à cette heure, l'état des découvertes relatives à la locomotion sur les voies ferrées. D'immenses efforts, on le voit, ont été faits depuis l'origine, de la part de tous les hommes et de tous les peuples qui marchent à l'avant-garde de la science. Tous y ont contribué dans la mesure de leur génie et de leurs intérêts; nous ne chercherons pas à qui revient la plus large part de gloire: devant la grandeur du résultat s'efface la petitesse des amours-propres. Et nous ne touchons pas certainement au terme des progrès qui doivent s'accomplir: les grandes voies sont faites, les petites restent à faire, à chacune leur moteur; celui des premières continuera à se perfectionner, celui des secondes est presque à créer. Enfin, il faudra trouver un moteur spécial pour nos routes ordinaires, qui nous permette de tirer de celles-ci le meilleur parti possible.

CHAPITRE VII
LES VOITURES À VAPEUR

A.—Les voitures à vapeur avant l'époque actuelle. — Opinion des ingénieurs sur la locomotive routière.

Nous avons vu, au commencement du chapitre précédent, que l'honneur des premiers essais tentés pour remorquer un véhicule sur une route ordinaire à l'aide de la vapeur, revient à l'officier français Cugnot. Ces essais datent de 1763. Nous avons rapidement décrit sa machine et fait connaître ses nombreuses imperfections. Il était impossible, en effet, de construire, à cette époque, une machine ne laissant rien à désirer. En supposant que l'inventeur ait eu cette puissance créatrice supérieure, qui sait triompher des plus grands obstacles, il n'aurait pu avoir l'art de travailler les métaux, de les forger, de les tourner, de les limer, de les approprier, par des manipulations diverses, aux usages auxquels ils sont destinés, ce que la pratique seule peut donner. Cugnot ne pouvait donc construire qu'une voiture imparfaite.

Trente ans se passent, et c'est seulement en 1801 que Trewithick et Vivian reprennent la question de la locomotion sur les routes.

La voiture pour l'invention de laquelle ces constructeurs ont pris un brevet, était un tricycle comme celle de Cugnot. Entre les roues de derrière, de grand diamètre, se trouvait le foyer entouré d'eau de tous côtés. La vapeur agissait dans un long cylindre, dont le piston mettait en mouvement un système de bielles, de manivelles et de roues dentées, reliées à l'essieu d'arrière. Un volant, monté sur l'arbre de la première roue dentée, aidait à surmonter les obstacles du chemin; un frein, appuyé contre la jante de ce volant, servait à ralentir la marche du véhicule aux descentes rapides.

La roue d'avant était montée sur une fourche à laquelle s'attachait un levier faisant fonction de gouvernail.

La caisse, destinée à contenir les voyageurs, était placée entre les deux roues d'arrière, au-dessus du mécanisme.

Mais cette voiture n'était appelée, comme celle de Cugnot, qu'à marquer une nouvelle étape dans la voie qui devait conduire à l'invention des locomotives. On ne put en tirer parti; il fallut l'abandonner. Les constructeurs trouvèrent plus commode de triompher des difficultés du problème en les négligeant et de surmonter les aspérités des routes en plaçant leurs nouveaux véhicules sur une voie ferrée, unie et résistante.

On alla presque jusqu'à déclarer le problème impossible, et c'est avec un étonnement toujours nouveau que nous relisons ces lignes par lesquelles M. Perdonnet, qui a si puissamment aidé aux progrès des voies ferrées, termine son Traité des Chemins de fer:

«Il faudrait, pour qu'on pût se servir avec quelque avantage des locomotives sur les routes ordinaires: 1o que le tracé en remplît à peu près les mêmes conditions que celui des chemins de fer, ce qui en rendrait l'établissement excessivement coûteux; 2o qu'on les maintînt dans un état d'entretien tel, que la surface en restât presque aussi unie que celle d'un chemin de fer, ce qui serait aussi fort dispendieux, si ce n'était absolument impossible.

«Aussi a-t-on définitivement, en Angleterre comme en France, abandonné les essais tentés dans le but d'employer les locomotives sur les routes ordinaires.»

Il est incontestable que si les locomotives routières ne pouvaient exister qu'aux conditions posées par M. Perdonnet, on ne devrait pas prétendre les voir jamais autre chose qu'un objet de curiosité; mais rien n'implique que le problème de la locomotion routière ne puisse recevoir une autre solution que celui de la locomotive sur voie ferrée, et nous croyons qu'il faut bien se garder de poser des barrières aux conquêtes du génie industriel: ce qui est impossible aujourd'hui peut être reconnu possible demain.

B.—La question reprise. — Nouvelles recherches. — Les machines Lotz, Aveling et Porter, Larmanjat, Feugères et diverses.

Il y a des problèmes qui s'imposent naturellement et dont la solution, pour être tardive, ne demeure pas moins certaine. Le réseau des grandes voies ferrées, dites de premier ordre, est achevé en France et dans les pays avancés du centre de l'Europe; celui des chemins de second ordre est également terminé ou sur le point de l'être; enfin, on a déjà mis la main d'une manière très-active à l'exécution des lignes du troisième réseau. On sait les facilités que la loi a créées pour la construction de ces nouvelles lignes, destinées à répondre plus spécialement aux besoins intercommunaux du pays.

Il reste encore à satisfaire aux besoins locaux, aux besoins de l'agriculture et de l'industrie, aux parcours à petite distance; il reste à utiliser, de la manière la plus profitable, un réseau de voies de communication empierrées, que les voies ferrées ont remplacées sur certains points et qui sont appelées désormais à devenir leurs auxiliaires.

Tel est le problème que les locomotives routières doivent servir à résoudre.

Les transports ne s'opéreront jamais, on ne peut y prétendre, à des prix aussi bas que ceux en vigueur sur les chemins de fer, mais il est permis d'espérer des prix inférieurs à ceux du roulage, attendu que si l'on découvrait un moteur nouveau applicable aux routes et préférable aux locomotives, ce moteur serait immédiatement placé sur des rails et rendrait aux chemins de fer la supériorité qui leur est propre.

Au moment où l'on commençait les travaux de fondation du palais de l'Industrie, au Champ de Mars, en novembre 1865, une machine routière sortit des ateliers de M. Lotz, constructeur à Nantes, et vint à Paris.

Voici comment elle était construite:

Fig. 51.—Locomotive routière Lotz remorqueuse.

La machine présentait trois parties distinctes: 1o la chaudière avec son foyer et sa cheminée; 2o le mécanisme moteur; 3o le train destiné à porter l'ensemble.

1o La chaudière était tubulaire comme celle des locomotives, le tirage était produit par le jet de vapeur dans la cheminée.

2o Le mécanisme moteur se composait essentiellement de deux cylindres placés à la partie supérieure de la chaudière, comme dans les locomobiles, et agissant sur un arbre transversal portant les excentriques de distribution, le volant et enfin un pignon denté qui transmettait le mouvement à la roue de droite au moyen d'une chaîne de Gall. Contrairement à ce qui a lieu dans les locomotives, les roues étaient mobiles sur les essieux, condition indispensable pour que la machine puisse tourner. Une des roues pouvait être rendue solidaire de son essieu au moyen d'un mécanisme spécial.

Fig. 52.—Wagon à voyageurs pour train routier.

3o À l'avant de la machine, sur la partie antérieure du train qui forme la charpente de l'édifice locomoteur, se trouvait le gouvernail. Il consistait en une paire de petites roues (0m,50 environ de diamètre), indépendantes sur un petit essieu relié au véhicule au moyen d'une cheville ouvrière. L'ensemble de ces deux roues était gouverné par un pilote à l'aide d'un système de pignon et de vis sans fin, et servait à diriger le véhicule.

Telle était la première machine routière de M. Lotz.

Un wagon-omnibus à impériale s'attelait à la suite et recevait les voyageurs. Nous avons assisté à un voyage d'essai de cette locomotive.

Le train, composé de la machine et de son wagon, partit du pont de l'Alma et alla bravement franchir la montée du Trocadéro, en rampe de 0m,04 environ par mètre. Il se dirigea vers la gare de Passy, s'arrêta au puits artésien de l'Arc de l'Étoile et redescendit par l'avenue des Champs-Élysées. Là, quelques chevaux, d'une nature trop nerveuse, s'effrayèrent au bruit de la machine, mais le plus grand nombre accueillirent en ami leur nouveau camarade, l'Avenir.

Fig. 53.—Wagon à marchandises pour train routier.

Comme on le voit, il y a loin déjà de ce véhicule au fardier de Cugnot et à la voiture de Trewithick et Vivian. Si le temps écoulé n'a pas produit d'œuvre nouvelle, il a du moins servi à la préparation des perfectionnements qui vont suivre.

La machine l'Avenir avait encore de nombreux défauts: elle était trop lourde, faisait trop de bruit, projetait de petits débris de charbons incandescents, tournait plus volontiers à gauche qu'à droite, etc., mais on ne pouvait plus dire que les locomotives routières étaient impossibles, et le gouvernement, convaincu des services qu'elles pouvaient rendre, prenait, le 20 avril 1866, un Arrêté concernant la circulation des locomotives sur les routes ordinaires.

Les locomotives routières eurent à peine vu le jour, qu'on reconnut la nécessité de créer des types, ainsi qu'on a fait pour les locomotives. M. Lotz a trois types de machines:

1o La locomotive routière remorqueuse;

2o La locomotive routière mixte porteuse;

3o La locomotive routière à voyageurs.

La première peut marcher à des vitesses variables de 4 à 8 kilomètres, en charge, et de 8 à 12 kilomètres, à vide.

La seconde peut prendre les mêmes vitesses. Ses dispositions ne diffèrent de celles de la précédente qu'en ce qu'elle peut recevoir directement une charge variable de 3,000 à 6,000 kilogrammes.

Enfin, la dernière est, à proprement parler, la voiture à vapeur, et porte les voyageurs en même temps que le moteur. Sa vitesse est variable, suivant les conditions, de 10 à 20 kilomètres.

Fig. 54.—Locomotive routière à voyageurs.

En trois ou quatre ans, MM. Lotz ont considérablement modifié leur système primitif de locomotive routière. Ils ont remplacé la chaudière horizontale par une chaudière verticale et les deux cylindres à vapeur par un seul. Ils ont ainsi reporté la plus grande partie de la charge sur les roues motrices et laissé au mécanicien une plate-forme étendue par laquelle il communique aisément avec le pilote, ce qui, dans la première machine, était presque impossible. Trois pignons, de diamètres variables, peuvent donner trois vitesses différentes; un volant régularise la marche de la machine. Ces dispositions permettent de triompher des inégalités du chemin et des obstacles accidentels et de gravir les parties en rampe.

Indépendamment de la pompe et de l'appareil Giffard, qui assurent l'alimentation, une pompe à eau spéciale peut être mise en mouvement par le cylindre moteur, la machine étant en repos, et servir à son approvisionnement en un point quelconque de sa route. Au départ ou à l'arrivée, la force de la machine peut, de même, être appliquée à la manœuvre de grues ou d'appareils de chargement, et, en cas de chômage des transports, à la mise en mouvement d'un atelier mécanique ou de machines agricoles.

Il est très-remarquable assurément qu'à peine la locomotive routière construite, alors qu'elle ne satisfait encore qu'incomplétement aux données du problème qu'elle est appelée à résoudre, on cherche à en faire un instrument aussi souple que le cheval, dont la force se prête à des usages si divers. Le moyen est à coup sûr excellent pour lutter contre les préjugés que rencontre toujours une machine nouvelle. Mais ne vaudrait-il pas mieux chercher tout d'abord la locomotive routière parfaite, ce qui doit être le desideratum des constructeurs, pour l'approprier ensuite aux exigences nouvelles et spéciales auxquelles il conviendra de la soumettre.

Nous ne nous arrêterons pas aux détails, et nous ne dirons rien des roues, des freins, des leviers de sûreté ou de reculement placés à l'arrière de la machine et destinés à arrêter le mouvement de recul de celle-ci, s'il venait à se produire par suite de la rupture d'un de ses organes ou de la négligence de ceux qui la dirigent, alors qu'elle gravit une rampe.

Nous mentionnerons seulement la substitution qui a été faite d'une roue unique directrice au système des deux roues de la première locomotive. Cette roue est plus solidement fixée au bâti de la machine, sa manœuvre est plus facile et les tournants ou les coudes sont franchis aisément.

Telles sont les dispositions principales des machines routières remorqueuses de M. Lotz.

Disons ce qu'elles coûtent:

Tandis que le prix des premières varie de 11,000 à 19,000 francs, celui des dernières n'est que de 4,000 à 5,000 francs.

La comparaison des frais de transport par locomotive routière et par chevaux s'établit aisément. Voici les chiffres fournis par MM. Lotz, en supposant un transport journalier de 50 kilomètres par locomotive routière et de 30 kilomètres par chevaux (ce qu'il est possible de faire sans relai).

MATÉRIEL DE TRACTION.

Une locomotive routière avec tous ses accessoires 15,000 fr. »  
Quatre voitures ou wagons, à 1200 fr. l'un 4,800   4,800 fr.
Installations diverses 500   »  
Seize chevaux, à 700 fr. l'un »   11,200  
Seize harnais et accessoires »   2,800  
  ———   ———  
Total du prix du matériel 20,300 fr. 18,800 fr.

Le prix de premier établissement de la locomotion mécanique est plus élevé que celui de la locomotion animale, mais l'économie ressort de la comparaison des frais annuels: il faut nourrir les chevaux tous les jours et à peu près aussi confortablement les jours de repos que les jours de travail, tandis qu'il n'y a rien à dépenser pour la locomotive lorsqu'elle est sous la remise. Elle ne coûte donc que lorsqu'elle marche.

Voici les chiffres:

FRAIS ANNUELS.

25 p. 100 amortissement et entretien du matériel. 5,075 fr. 4,700 fr.
6 p. 100 intérêt du capital. 1,218   1,128  
Un mécanicien à l'année. 1,800 fr. »  
Un conducteur et un chef de train serre-frein. 2,500 fr. »  
Nourriture de 16 chevaux, à 1000 fr. l'un. » fr. 16,000  
Quatre charretiers à 1200 fr. l'un. » fr. 4,800  
  ———   ———  
Total des frais annuels. 10,593 fr. 26,628 fr.

Pour la traction à vapeur, il faut ajouter par jour de marche:

500 kilogr. de charbon à 36 fr. 18 fr.
Huile, suif, coton, etc. 5  
  ——  
Total 23 fr.

Les données qui précèdent conduisent aux chiffres suivants:

NOMBRE DE JOURS DE SERVICE PENDANT L'ANNÉE. À VAPEUR. PAR CHEVAUX.
20 tonnes, 50 kilomètres. 20 tonnes, 30 kilom.
Par jour. Par tonne et par kilom. Par jour. Par tonne et par kilom.
150 jours, soit 3000 t. 70f,62 + 23f = 93f,62 0f,094 177f,52 0f,295
250 jours, soit 5000 t. 42f,37 + 23f = 65f,37 0f,065 106f,51 0f,177

Il résulte de ce tableau que pour un service de 150 jours (5 mois) seulement par an, et pour un transport de 20 tonnes par jour, ce qui correspond au chargement de 2 à 3 de nos wagons de chemins de fer, le prix de revient de la traction à vapeur est plus de trois fois moindre que celui de la traction par chevaux.

Pour un travail de 250 jours, le prix est encore près de trois fois moins élevé.

Les Anglais ne se sont pas laissés devancer par nous dans la construction des locomotives routières; l'usage de ces machines est aujourd'hui beaucoup plus répandu en Angleterre qu'il ne l'est en France: le charbon, chez nos voisins, remplace les pâturages et le métal se trouve à meilleur compte que les bêtes de traction.

MM. Aveling et Porter, de Rochester (Kent), se sont spécialement occupés de la construction des machines routières et des appareils de culture à vapeur.

Leur machine diffère notablement de celle de M. Lotz, et nous devons en donner la description. Ce n'est plus un tricycle, mais une voiture à cinq roues. La chaudière n'est plus verticale, elle est horizontale et porte à la fois sur les roues motrices placées à l'arrière et sur l'avant-train. Un double système d'engrenages lui permet de marcher à deux vitesses différentes: 3 à 4 kilomètres à l'heure en charge et 5 à 6 kilomètres à l'heure à vide. Elle n'a qu'un seul cylindre comme celle du constructeur français, mais il est horizontal et se trouve placé à l'avant de la chaudière. Les roues motrices ont 1m,974 de diamètre et 0m,457 de largeur de jante. On a ménagé sur ces dernières des trous pour y placer au besoin des chevilles-crampons qui aident à passer sur les terrains mous. Les mouvements de rotation des deux roues motrices sont indépendants, ce qui facilite le passage des tournants très-courts. Un frein puissant se trouve sous la main du mécanicien et un pilote, placé sur l'avant-train formant tricycle, tient la tige directrice à l'aide de laquelle il oriente le disque d'avant. Celui-ci ne porte sur le sol que par son poids, et sa manœuvre est à ce point facile qu'un enfant peut en être chargé.

D'après MM. Aveling et Porter, l'économie résultant de l'emploi de leur machine est de près des deux tiers de la dépense de la traction par chevaux, tout en admettant 30 pour 100 par an, pour intérêt, amortissement et entretien du matériel.

Nous venons de faire connaître sommairement deux des principales locomotives routières, l'une française, l'autre anglaise, qui ont été l'objet des expériences les plus sérieuses de la part des ingénieurs des deux pays et qui ont fourni les meilleurs résultats. Un grand nombre d'autres constructeurs ont exposé, en 1867 et dans les concours de ces dernières années, des machines de leur fabrication, qui se rapprochent plus ou moins de celles que nous avons décrites. Ce sont M. Pilter, MM. Glayson, Shuttleworth et Cie, M. Ransomes, M. Underhill et MM. Albaret et Calla. Nous ne nous y arrêterons donc pas.

Mais nous ne devons pas passer sous silence la machine de M. Larmanjat, en raison des particularités qu'elle présente et qui consistent essentiellement dans un système de leviers, à l'aide duquel on peut faire porter à volonté le véhicule sur les roues du premier ou sur les roues du second essieu, de différents diamètres. Les roues qui ne sont pas en prise à un moment donné fonctionnent comme volants. Il résulte de cette ingénieuse disposition que lorsqu'on est en palier, on utilise les roues de grand diamètre et on marche à la vitesse de 16 à 18 kilomètres à l'heure. Lorsqu'au contraire on gravit une rampe ou un passage difficile, on emploie les petites roues et on marche avec une vitesse de 7 à 8 kilomètres seulement. Mais, on le conçoit, cette disposition n'est applicable qu'à une machine de faible poids, remorquant, par conséquent, de faibles charges. On ne peut donc l'utiliser que dans la construction des locomotives routières, destinées au transport des voyageurs.

Un autre constructeur, M. Victor Feugères, a imaginé une locomotive routière, dite: moteur-porteur, qui diffère essentiellement des précédentes par les principes qui ont présidé à sa conception. D'après cet inventeur, l'adhérence doit toujours être en rapport avec la charge à remorquer, eu égard aux rampes à franchir; la vitesse de la machine doit être en raison inverse de cette charge et le mouvement doit être donné aux roues de l'avant-train et non à celles de l'arrière-train.

M. Fougères compose un avant-train suspendu sur ressorts et porté sur deux roues motrices à action solidaire, ou indépendante à volonté, qui reçoivent le mouvement de quatre cylindres, groupés deux à deux, disposés à effet contraire et actionnant deux arbres contigus, à mouvements indépendants. Selon la vitesse à laquelle on veut marcher, la transmission est directe, ou s'opère au moyen d'une chaîne. Signalons enfin la chaudière, qui est verticale et à système inexplosible, avec retour de flamme et, comme détail intéressant, les barres à crémaillères que le conducteur tient de son siége et manie comme le cocher d'une voiture ordinaire, selon qu'il veut avancer, s'arrêter, reculer ou tourner.

Cette machine est certainement l'une des plus intéressantes de celles qui ont été produites pour résoudre l'intéressant problème de la locomotion routière. Et si elle ne triomphe pas de toutes les difficultés qu'il présente, elle met au jour des idées nouvelles, dont la pratique ne peut manquer de tirer bientôt un parti avantageux.

C.—L'avenir de la locomotion routière à vapeur. — Usages actuels en agriculture, en industrie.

Nous avons fait connaître bien sommairement les principales machines routières aujourd'hui employées et décrit rapidement les organes dont ces machines se composent. Il nous reste à indiquer maintenant les principaux usages auxquels elles ont été jusqu'ici appliquées et ceux auxquels elles conviennent le mieux, puis à faire connaître les causes qui arrêtent, en ce moment, leur perfectionnement et s'opposent à leur prompte adoption par l'industrie.

Fig. 55.—Machine routière avec grue.

En général, les lourds transports à de longues distances sont ceux qui conviennent le mieux aux locomotives routières. Aussi les a-t-on employées avec succès au remorquage des bateaux sur les canaux. Des machines ont circulé ainsi le long des canaux qui réunissent Saint-Omer et Caen à la mer et ont fait un excellent service.

Fig. 56.—Rouleaux-compresseurs.

Les briqueteries, les sucreries, les papeteries et généralement les industries qui mettent en œuvre ou produisent une grande quantité de matières lourdes, ont intérêt à se servir de ces machines, qu'elles utilisent fréquemment, au départ ou à l'arrivée, pour le chargement ou le déchargement des matières transportées. Les mines, les houillères peuvent encore, dans certaines circonstances particulières, utiliser ces précieux engins. En Angleterre, en Irlande, les machines routières sont employées avec avantage pour les travaux d'empierrement de routes. La machine prend dans la carrière les matériaux qu'elle va répandre aux points voulus et dont elle règle ensuite la surface par son passage. Les roues sont alors de larges cylindres compresseurs, placés deux à l'avant, deux à l'arrière du véhicule, et suivant des frayées différentes.

Les locomotives routières ont été appliquées à l'enlèvement des vidanges. La même force, qui enlève les matières de la fosse et les fait monter dans les tonneaux, est employée à remorquer ceux-ci et à les conduire en rase campagne. La désinfection est même rendue inutile par un procédé ingénieux de combustion des gaz méphitiques. L'économie considérable et les avantages de ce système contribueront, il faut l'espérer, à le répandre.

Malheureusement, les vieilles habitudes ont de telles racines qu'on ne peut les détruire qu'avec le temps et à force de persévérance. Aussi, les transports agricoles s'exécuteront-ils pendant longtemps encore par bêtes de trait. Dans la ferme, en effet, on ne peut se refuser à en convenir, le matériel existe et on ne peut atteler une locomotive routière à une charrette, comme on fait d'un cheval, d'un âne ou d'un mulet que l'on tient à l'écurie, pour lequel on a toujours un peu de fourrage, et qui, en échange, donne un fumier précieux. Tout petit agriculteur a, au moins, l'un de ces animaux à son service, mais une locomotive routière ne peut convenir qu'à une grande exploitation, qui a de vastes champs à labourer, d'importants transports, des travaux de battage ou d'une autre nature à opérer. Aussi, croyons-nous que la locomotive routière ne viendra sérieusement en aide à la petite culture que le jour où, dans les campagnes, circuleront des entrepreneurs qui loueront leur matériel pour un temps ou pour un travail déterminé, comme ils louent déjà des machines à battre, des pressoirs ou des appareils de distillation portatifs durant le temps nécessaire à chacune de ces opérations.

Fig. 57.—Labourage à vapeur.

Ainsi donc, en admettant la locomotive routière actuelle parfaite, nous voyons combien d'obstacles il lui faudrait vaincre pour l'emporter sur les moteurs animés, utilisés en agriculture et en industrie. Mais, combien elle est loin de la perfection et que de difficultés encore à surmonter par le constructeur! Nous en ferons connaître quelques-unes pour appeler l'attention sur certains faits pleins d'importance, évidemment trop négligés.

Les locomotives routières sont destinées à remplacer le cheval et les autres bêtes de trait que nous connaissons, c'est-à-dire une grande variété d'animaux, présentant chacun des races aux aptitudes diverses, capables de prendre les uns une allure rapide, en remorquant une charge légère, les autres une marche lente en traînant une grosse charge, ceux-ci ne pouvant marcher que sur une route en bon état, ceux-là habitués aux traverses et aux mauvais chemins, enfin quelques-uns ne pouvant travailler que peu d'heures par jour, d'autres capables, au contraire, de fournir un long travail. Et pour remplacer tous ces animaux, qu'offre-t-on? Le plus souvent, une seule et même machine, munie parfois d'engrenages qui permettent l'emploi de deux ou trois vitesses différentes et de roues dont la jante a une largeur constante et peut être garnie de nervures destinées à faciliter la prise avec le sol. Quelques constructeurs présentent différents types de machines. Tous compliquent le problème en cherchant à construire une machine capable de servir à d'autres usages qu'à la traction proprement dite, et mettent souvent la locomotive de leur fabrication hors d'état de répondre d'une manière satisfaisante à la principale des fonctions qu'elle doit remplir.

Fig. 58.—Les messageries à vapeur.

Simplifier c'est résoudre. Que l'on considère, en effet, les progrès accomplis dans la construction des machines à vapeur, ou mieux encore, dans celle des locomotives, et l'on reconnaîtra que c'est du jour où l'on a créé des types de machines pour telle ou telle nature de transport, sur une voie au profil plat ou accidenté, au tracé rectiligne ou tourmenté, qu'on a perfectionné les machines primitivement employées. Et combien le problème des locomotives routières est-il plus difficile à résoudre que celui des locomotives des voies ferrées, quelle complication résulte de la substitution de la route rugueuse et accidentée à la voie unie des chemins de fer! Aussi, tandis que les types de locomotives sont plus nombreux, doit-on considérer comme très-considérable le nombre des types de locomotives routières?

D'où il suit que l'on ne doit attendre de perfectionnements, dans la construction de ces nouvelles machines, que des compagnies assez puissantes pour entreprendre ces essais multipliés et coûteux qu'une persévérance soutenue fait presque toujours aboutir.

Que des compagnies, comme les Messageries à vapeur, poursuivent la création du type de locomotives routières propres au transport des voyageurs; que la compagnie des Omnibus recherche le type tout particulier de locomotive routière capable de s'accommoder à la circulation des grandes villes, que des compagnies de transport encore à créer perfectionnent le type de la locomotive routière à marchandises, et, dans quelques années, la question sera résolue; mais il n'est pas possible que des industriels risquent des ressources souvent très-limitées dans des essais dont la durée est illimitée.

Voilà, croyons-nous, de quelle manière il faut espérer voir des améliorations sérieuses se produire. Passant de cette considération générale aux questions de détail, qu'il nous soit permis d'appeler l'attention sur certaines dispositions adoptées d'ordinaire par les constructeurs et qui nous semblent tout au moins défavorables.

L'une des plus grandes difficultés de la construction des locomotives routières consiste dans l'établissement des deux mécanismes directeur et propulseur. Sur les locomotives des voies ferrées, ce dernier seul existe, l'action des rails sur les boudins des roues remplaçant le premier. Les moteurs animés, attelés à une voiture, en dirigent la marche en même temps qu'ils en produisent le mouvement. Il y a, de la part des moteurs, simultanéité des deux actions directrice et propulsive. Pourquoi toutes les locomotives routières, à part celle de M. Feugères, ne satisfont-elles pas à cette condition et comment prétend-on obtenir une action efficace d'un système de roues si légèrement chargées que la main du mécanicien seule suffit à le déplacer? Pourquoi ne pas chercher à commander ces deux roues du train d'avant comme un cocher commande ses chevaux, en leur imprimant à volonté des vitesses variables; et pourquoi ne pas faire des roues d'arrière, jusqu'ici motrices, de simples roues porteuses, comme celles des véhicules ordinaires? Nous posons une question, et nous ne la résolvons pas, mais nous croyons qu'avant d'abandonner un système généralement suivi, il faut voir s'il ne satisfait pas mieux que toute conception nouvelle au problème qu'on s'est posé, sauf à y renoncer définitivement si la pratique le démontre inacceptable.

Ce qui rend si difficile la solution cherchée, est un fait que peu de personnes ont remarqué, la différence des nombres de tours effectués par les quatre roues du véhicule, d'où résulte la nécessité d'une indépendance complète des organes transmettant le mouvement et l'accroissement du nombre de ces organes. Ces quatre roues, faisant des nombres de tours différents, marchent avec des vitesses différentes, qu'elles reçoivent d'organes animés des mêmes vitesses, concourant tous à produire comme résultat unique: la progression du véhicule suivant une ligne variable à chaque instant, en raison des obstacles rencontrés.

Que l'on ajoute à cette première difficulté toutes les autres, moins graves à la vérité, de changement de vitesse suivant le profil du chemin ou l'état de sa surface, de maintien du niveau de l'eau dans la chaudière sur une pente quelconque, d'alimentation de la machine, d'arrêt rapide de celle-ci et du train qu'elle remorque, au moment de la rupture subite d'une des pièces du mécanisme, de bruit produit par le tirage dû au jet de vapeur, d'échappement des escarbilles par la cheminée, et on se fera une idée des efforts que doivent encore faire nos constructeurs pour perfectionner la machine routière.

Et encore, quelle masse énorme à remuer pour faire avancer un train relativement peu chargé! Quelle quantité de métal, de charbon et d'eau pour produire l'effet nécessaire! L'esprit admet avec peine que la production de la puissance exige l'accumulation et l'association de si grandes quantités de matières.

CHAPITRE VIII

LES VÉLOCIPÈDES

Instrument raide
En fer battu,
Qui dépossède
Le char tortu;

Vélocipède,
Rail impromptu,
Fils d'Archimède,
D'où nous viens-tu?

Ch. Monselet.

Nous ne pouvons terminer ce petit livre sans dire quelques mots des véloces en général, qui ont été l'objet d'un si grand engouement, pour lesquels on a monté des ateliers considérables, engagé des sommes folles, comme s'il s'agissait d'un véhicule capable de modifier profondément, ou de remplacer, l'un de ceux dont nous nous servons depuis longtemps.

Un écrivain, qui s'appelle le Grand Jacques et dont la plume célèbre les prouesses du vélocipède, écrit:

«Le vélocipède est un des signes du temps.

«Après le coche, la diligence;—après la diligence, le chemin de fer;—après le chemin de fer, le vélocipède....»

Si cette phrase n'était qu'un simple énoncé chronologique, nous n'aurions rien à dire, mais elle vise plus haut. Elle indique plus qu'un perfectionnement dans l'art de la carrosserie, elle annonce un progrès dans la science des moyens de transport.

Fig. 59.—Vélocipède Michaux.

Notre avis est qu'il ne faut pas attribuer à ces légers appareils une vertu si grande. On ne pourra nous contester qu'un véhicule est d'autant plus parfait qu'il réclame pour se mouvoir une arène ou une voie moins parfaite. Or, la condition première d'emploi du vélocipède et des véloces, en général, est l'existence d'une route bitumée ou macadamisée en bon état. Le pavé, qui convient si bien aux voitures, cause une fatigue insupportable aux vélocemen par les cahots incessants qu'il produit. Les ornières rendent la marche impossible. Quelle est la cause de l'infériorité des locomotives? C'est qu'on n'a réussi, jusqu'à présent, à les employer avantageusement que dans les pays plats ou peu accidentés. Quelle est la cause de l'infériorité des locomotives routières? C'est, entre autres choses, qu'elles exigent une voie solide et durcie pour se mouvoir dans de bonnes conditions.

Nous avons commencé par faire le procès du vélocipède, disons maintenant ce qu'il a de bon.

Chacun sait qu'il est plus facile de rouler un fardeau que de le porter sur ses épaules. L'homme est à lui-même son propre fardeau. S'il marche, il se porte; s'il est monté sur un véloce, il se roule.

L'homme pèse, en moyenne, de 65 à 70 kilogrammes et marche avec une vitesse de 1m,50 par seconde. Il développe donc un travail de 100 kilogrammètres environ. (Nous avons dit précédemment le sens de ce mot.) Si l'homme pouvait se rouler sans aucun intermédiaire, l'effort de traction qu'il aurait à fournir sur une route ordinaire, en bon état, serait le 1/30 de son poids, ou 2kil,14 à 2kil,31, et le travail correspondant, en admettant la même vitesse de 1m,50 par seconde, varierait de 3kgm,21 à 3kgm,46.

Mais il faut tenir compte du travail absorbé par le vélocipède lui-même. Nous l'évaluerons à 2 kilogrammètres, la vitesse étant de 1m,50, ou à 8 kilogrammètres, la vitesse étant de 6 mètres par seconde, vitesse normale du vélocipède.

Dans cette nouvelle hypothèse, le travail que doit développer le voyageur pour son propre déplacement, la vitesse étant quadruplée, devient 12kgm,84 à 13kgm,84.

Ces chiffres ajoutés aux 8 kilogrammètres, travail du vélocipède, donnent: 20kgm,84 à 21kgm,84.

Rapprochant ces chiffres du premier que nous avons posé: 100 kilogrammètres, travail de l'homme en marche; nous voyons que le vélocipède bicycle a pour effet de réduire le travail dans le rapport de 20 à 100 ou de 1 à 5, en quadruplant l'effet produit, c'est-à-dire la vitesse obtenue.

On admet dans tout ce qui précède un terrain horizontal et en bon état. Si la route présente des montées ou des accidents, l'avantage du vélocipède disparaît promptement. Par contre, il est vrai, le véhicule devient automoteur aux descentes et le voyageur se laisse entraîner sans fatigue.

Nous bornerons à ces quelques lignes la théorie du vélocipède, ajoutant seulement que, lorsque du bicycle on passe au tricycle, on perd en force dépensée ce que l'on gagne en stabilité.

À quelle époque remonte l'invention du vélocipède?

Nous n'irons pas, comme on l'a fait, fouiller les monuments égyptiens ou passer en revue les fresques des villes enfouies sous la lave, à la recherche des génies ailés ou des amours à cheval sur un bâton monté sur des roues. Autant vaudrait parler de la Fortune, qui, plus adroite que nos vélocemen modernes, a résolu depuis longtemps le problème tant cherché du monocycle.

Il nous suffira de dire que le vélocipède est le perfectionnement du célérifère, construit pour la première fois en 1818. Le célérifère consiste en un bloc de bois de forme allongée, monté sur deux roues en flèche, d'assez faible diamètre pour que le cavalier puisse avoir ses pieds sur le sol. Celui-ci enfourche sa monture de bois et, poussant à droite, poussant à gauche, il s'avance à grandes enjambées ou à grands tours de roue.

Fig. 60.—Célérifère de 1818.

Le tricycle est beaucoup plus ancien que le vélocipède. Depuis bien des années, on voit des amateurs de promenade, désireux de faire l'économie d'un cheval, parcourir les abords des grandes villes sur ces légères voitures, formées essentiellement d'un essieu doublement coudé, mis en mouvement par les pieds ou par les mains, et d'une roue dont le plan, mobile à volonté, forme l'avant-train. Ce n'est pas autre chose que la voiture dont se servent les invalides ou les paralytiques et qu'ils actionnent à la main au moyen de deux leviers.

On nous a raconté qu'un jour un de ces tricycles fut apporté à la maison Michaux, moins connue alors qu'elle ne l'était il y a quelques années, pour y être réparé. Le fils de la maison joue avec l'appareil. Au lieu de trois roues, il n'en met que deux, et il actionne la roue d'avant avec les pieds. Il essaye, il se lance, il tombe. Il se lance encore, sa course devient plus sûre. Chaque chute excite son courage. Le véhicule n'a plus que deux roues. L'homme court sur cet appareil, qui ne peut se tenir droit au repos, et le vélocipède est inventé. La maison Michaux se fonde, puis donne naissance à la Compagnie parisienne. Des vélocipèdes se fabriquent et s'expédient de tous côtés. Des machines sont inventées pour les fabriquer plus promptement et d'une manière plus parfaite. Aussi, ce qui existe aujourd'hui de véloces suffira-t-il à tous les besoins pour de longues années et cette industrie est-elle en ce moment dans le marasme!

La vitesse que l'homme peut atteindre, monté sur un vélocipède, est la cause de l'enthousiasme dont on s'est pris pour ce nouveau moyen de transport. Cette vitesse varie, on le comprend, avec la force du véloceman, avec la nature et l'inclinaison de la voie parcourue, et selon la plus ou moins bonne construction de l'appareil. Le club Bernois évalue à 10 kilomètres la vitesse à l'heure des vélocemen sur les routes qui entourent Berne. À Paris, sur les bonnes promenades, dit le Vélocipède illustré, la vitesse normale est de 15 kilomètres. Dans une grande quantité de courses et sur des pistes accidentées, les vélocipédistes exercés parcourent 1 kilomètre en 2 minutes, soit 30 kilomètres à l'heure. Et sur une piste asphaltée, d'un niveau parfait, la vitesse peut atteindre 40 kilomètres.

Ces derniers chiffres constituent, en réalité, des exceptions. Car 30 kilomètres à l'heure pour un vélocipède à roue motrice d'un mètre de diamètre représentent près de 10,000 tours de pédales: 3 tours environ par seconde! On conçoit qu'il faut un jarret doué d'une vigueur exceptionnelle pour fournir pendant un certain temps un semblable travail.

De longs voyages ont été entrepris sur des vélocipèdes. On cite, entre autres, celui de deux vélocipédistes qui ont accompli en six jours une course de 150 lieues: la distance de Paris à Bordeaux; ce qui donne une vitesse moyenne de 25 lieues, ou 100 kilomètres par jour.

On trouve encore dans les annales de la vélocipédie qu'une course de 250 kilomètres a été faite en vingt heures consécutives, y compris le temps du repos. C'est 500 mètres par minute ou 12kil,5 à l'heure.

Mais ces tours de force, si remarquables qu'ils soient d'ailleurs, au double point de vue de la vitesse obtenue et de la durée de la course, ne doivent être considérés que comme des faits exceptionnels, dus à des circonstances spéciales, et, en premier lieu, à l'excellence du véloceman.

Nous ne saurions trop le répéter: le véloce, d'une manière générale, ne deviendra un véhicule réellement pratique que le jour où il n'exigera plus des voies parfaites. Alors, le facteur rural s'en servira pour faire ses tournées quotidiennes; plusieurs facteurs s'en servent dès à présent d'une manière régulière; des percepteurs, des employés des contributions les ont aussi adoptés; le maraîcher, la laitière, pour porter, celui-ci ses légumes et celle-là son lait à la ville. Le véloce pourra détrôner l'âne, ce cheval du pauvre, car, si élevé que soit resté son prix d'achat, sa nourriture préoccupera moins encore que les chardons, les ronces ou l'herbe vaine qui pousse dans les fossés des chemins.

DES VARIÉTÉS DU VÉLOCE.

Il y a peu d'inventions aussi simples que celle du vélocipède; il y en a peu qui aient été l'objet de plus de brevets pris dans un temps plus court.

Ce que l'on a inventé de soi-disant perfectionnements qui ne sont, pour la plupart, que des complications inutiles, est inimaginable. Ces inventions ont trait les unes à la forme générale du véloce, les autres à telle ou telle de ses parties. On a cherché enfin à employer des moteurs autres que la force de l'homme: le vent, la vapeur, l'électricité. Nous dirons rapidement quelques mots des idées les plus curieuses qui se sont produites.

Mille moyens ont été proposés, chaque constructeur a le sien pour réunir les deux roues du bicycle et poser sur la pièce qui les assemble la selle du cavalier. La roue d'avant est généralement motrice, directrice et porteuse. Certains vélocipèdes reçoivent, au contraire, leur direction par l'arrière, tel est celui dont le dessin est donné ci-dessous. Nous ne croyons pas que cette solution soit avantageuse.

Fig. 61.—Vélocipède-raquette.

Les tricycles varient à l'infini, tantôt ils sont à une place, tantôt à deux places, mus par les pieds ou par les mains, ou par les pieds et les mains à la fois. De là des variétés innombrables.

Nous ne parlerons pas des quatricycles, nous retomberions dans la voiture ordinaire.

Fig. 62.—Monocycle-sphère.

Quant au monocycle, on est encore à le chercher. Placer le véloceman au-dessus de la roue, nous doutons que son équilibre soit bien stable. Le placer au centre, il ne nous semble pas beaucoup plus solide: la roue se trouve réduite à une jante assez facilement déformable, et la transmission de mouvement ne paraît pas devoir être simple. On dit cependant que le problème serait résolu. M. Jackson aurait fait un voyage de Paris à Versailles ou à Saint-Cloud sur un monocycle. Dans ce cas, le véloceman, placé au milieu du cercle, était porté par une circonférence concentrique à la roue, et qui frotte sur des galets. C'est en inclinant le corps, à droite ou à gauche, qu'il dirigeait l'appareil. Il n'y a là rien d'impossible, assurément, mais l'adresse de l'homme nous paraît merveilleuse.

Néanmoins, nous aimons la simplicité du monocycle du Vélocipède illustré: LA SPHÈRE!

Le mode d'actionnement, s'il ne donne pas toute satisfaction, est du moins tellement primitif, qu'il ne le cède à aucun autre.

Le champ reste, d'ailleurs, ouvert aux inventeurs.

Les perfectionnements des différentes parties des véloces ont été généralement plus heureux que ceux qui ont porté sur l'ensemble.

Les manivelles, ou les pédivelles (comme on devrait les nommer), ont été améliorées. Le frein, le gouvernail, la lanterne, les burettes de graissage, la selle, se font aujourd'hui avec un soin et une perfection qui seront difficilement dépassés.

La jante a été d'abord garnie d'un boudin plein, rond ou rectangulaire, en caoutchouc, servant à empêcher les chocs produits par les inégalités et les aspérités du chemin. Aujourd'hui, ce boudin est creux et contient un fil de fer dont les extrémités sont réunies au moyen d'un écrou à deux pas contraires et serrant le caoutchouc contre la jante de la roue.

Les inventeurs ont souvent cherché à simplifier le moyen de transmission du moteur à l'appareil. Ils ont proposé des pédales disposées de diverses manières, dans le but de remplacer le mouvement de rotation des pieds par un simple mouvement de va-et-vient. Aucun de ces moyens n'a réussi. Tous ont été trop compliqués et ont absorbé une telle fraction de la force motrice qu'il n'y avait plus avantage.

Les métaux de la meilleure fabrication et les plus légers ont été employés à la fabrication des vélocipèdes. Le fer a, de bonne heure, remplacé le bois, puis on s'est servi de l'acier. Enfin, on a employé le bronze d'aluminium. Le but que tous les constructeurs se sont proposé a été de fabriquer un appareil qui unisse la plus grande légèreté à la plus grande solidité. On a successivement diminué les dimensions des différentes parties du véhicule jusqu'au moment où elles sont devenues si faibles qu'on a dû s'arrêter, dans la crainte de ne pas les voir résister aux efforts auxquels elles peuvent être soumises.

L'un des changements les plus importants (on ne saurait dire encore si c'est un perfectionnement) consiste dans la substitution des roues métalliques à tension aux roues en bois. Chaque rais se trouve tendu par un écrou rattaché au moyeu et dont l'action se règle à volonté. Les roues, entièrement métalliques, sont garnies de caoutchouc coulé à chaud et vulcanisé sur le fer. Les roues en bois, qu'on ne peut introduire dans les chaudières à vulcaniser, sont cerclées de bandages en caoutchouc ordinaire.

Emprunter à un agent, autre que le cavalier, la force nécessaire à la mise en mouvement de l'appareil, présentait un vif intérêt. On s'est donné libre carrière et on a proposé les moyens les plus excentriques.

La vapeur tout d'abord! Et comme le véloceman aurait dû remplir ses poches de charbon, on a proposé de remplacer ce combustible par le pétrole, d'un transport plus facile. On a reconnu bientôt que la vapeur n'était pas plus possible que l'air comprimé, que l'air chaud. On ne peut se figurer, installé sur un de ces légers appareils, tout le lourd attirail de cylindres, de bielles, de générateurs, de pièces mécaniques qu'exige l'emploi d'un de ces agents. Autant vaudrait charger un canon sur des araignées.

Fig. 63.—Vélocipède à voile.

Nous devons dire cependant qu'un vélocipède à vapeur a fonctionné à Marseille: joujou curieux, mais nullement pratique.

L'électricité, que les Américains ont appliquée à la mise en mouvement des locomotives, deviendra-t-elle quelque jour le moteur des véloces? On ne peut rien affirmer, mais les résultats obtenus jusqu'à présent ne font pas entrevoir cet événement comme prochain.

Un essai a été fait dans les ateliers de la Compagnie parisienne. Le projet semblait promettre un bon résultat; mais l'appareil, construit à moitié, était déjà d'un poids inadmissible. Il a fallu y renoncer.

Le vent reste, seul moteur facilement applicable au vélocipède. Une voile légère peut être ajoutée à l'instrument, sans qu'il en résulte aucun inconvénient pour le cavalier, lorsque le calme ou une direction contraire le forcent à la laisser fermée. Le Vélocipède illustré, que nous avons déjà cité plusieurs fois, rapporte qu'une vitesse de 25 kilomètres à l'heure a pu être obtenue sans fatigue, à l'aide d'une voile, sur un terrain plat; 3 kilomètres ont été parcourus sans que les pieds touchent les pédales.

C'est là, croyons-nous, un auxiliaire précieux qui pourra rendre, dans certains cas, d'utiles services.

Et l'homme désormais, suivant les hirondelles,
Pourra dire aux oiseaux: Me voici, j'ai des ailes!

CHAPITRE IX
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL ET DANS DIVERS SENS

A.—Locomotion au-dessus du sol et à faible hauteur.

a.—Les cordes. — Les échelles. — Les escaliers. — Les ascenseurs. Les échelles et les machines de sauvetage des incendies.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des moyens employés par l'homme pour se mouvoir à la surface de la terre, et nous n'avons rien dit de ceux qu'il emploie pour s'élever au-dessus ou pour s'abaisser au-dessous de sa surface. Tel va être le sujet de ce chapitre, qui comprendra trois divisions.

Nous raconterons, dans un premier paragraphe, les procédés employés pour atteindre aux plus hauts points de la terre; puis, dans un second, les moyens en usage pour pénétrer dans son sein, aux plus grandes profondeurs connues et pour en rapporter les matières précieuses qui y sont cachées.

Enfin, dans une troisième division, nous décrirons le moyen de locomotion tantôt aérien, tantôt souterrain, tantôt sous-marin, employé dans quelques cas particuliers au transport des menus objets et, en particulier, au transport des dépêches.

Nos pères n'avaient que des moyens primitifs pour s'élever au-dessus du sol. De leur temps, il est vrai, les habitations n'avaient pas huit étages! Les maisons ressemblaient aux temples, et le grenier, qui régnait au-dessus du rez-de-chaussée, n'était pas habité. L'échelle était le seul moyen de communication. Elle est conservée dans les campagnes, où le confortable des escaliers est trop coûteux. Son invention remonte aux temps les plus reculés. Elle servait dans l'antiquité, non-seulement aux usages domestiques, mais encore à la guerre pour franchir les remparts ennemis ou pour gravir les passages difficiles. Les hommes des habitations lacustres l'employaient pour monter de leurs bateaux dans leurs demeures, comme certaines peuplades sauvages l'emploient pour atteindre leurs cases construites sur les arbres ou sur de hautes perches.

L'homme des bois a pour s'élever la liane qui pend aux branches du cocotier, le pauvre des campagnes a l'échelle; l'homme aisé, l'escalier aux marches en pente douce; le riche, l'ascenseur.

Nous ne parlons pas du plan incliné. À part quelques cas particuliers, il n'est pas employé. Nous n'en connaissons que deux exemples remarquables, celui de la Giralda de Séville, maravilla octava! et celui de la Tour de la Trinité, à Copenhague. Une rampe douce, pavée en briques, interrompue par vingt-huit paliers, conduit jusqu'à la plate-forme de la vieille tour de Huever, haute de 250 pieds au-dessus du Patio de los Naranjos. Deux cavaliers, marchant de front, peuvent, à cheval, arriver au sommet. Œuvre curieuse, admirable, comme toute la cathédrale qui s'étend à ses pieds, mais absolument dépourvue d'utilité.

L'église de la Trinité, à Copenhague, est flanquée de cette tour célèbre, la Tour ronde, haute de 38 mètres et demi, qui a servi d'observatoire. L'intérieur est disposé en spirale, de manière à permettre d'y monter en voiture, comme l'a fait Pierre le Grand.

Les escaliers n'ont rien de remarquable, au point de vue qui nous occupe, que leur grande hauteur. Les plus hauts monuments sont donc pour nous les plus intéressants, et au premier rang se place la cathédrale de Strasbourg. Ce monument a 142mèt.,112 de hauteur (deux mètres de moins que la plus haute pyramide d'Égypte), et l'escalier, qui se termine à la base de la flèche, compte 360 marches.

L'ascenseur vient enfin prêter son aide aux boiteux et aux paralytiques, aussi bien qu'aux gens riches. Les ascenseurs sont d'espèces variées. Tout moyen de traction mécanique appliqué à une corde ou à une chaîne, portant un plateau guidé verticalement, donnera un ascenseur. Que l'agent producteur du mouvement soit la vapeur d'eau ou l'air dilaté, qu'il soit la pression de l'eau ou toute autre force, ce sera toujours le même ascenseur.

Les premiers appareils de ce genre, établis en France, étaient mis en mouvement par des moteurs à gaz. On connaît ces ingénieuses petites machines, inventées par M. Lenoir, où la force est produite par la dilatation d'un mélange d'air et de gaz d'éclairage enflammé par une étincelle électrique. Le gaz circule aujourd'hui dans toutes les grandes villes; il suffit d'un branchement et d'une pile de quelques éléments pour donner la vie à cette machine. En arrivant sur le plateau de l'ascenseur, on pousse le bouton et l'on s'élève. Veut-on s'arrêter à un étage quelconque, on tire une corde, le robinet se ferme et l'on quitte l'appareil. Veut-on descendre, on s'abandonne à la pesanteur en modérant son action par l'usage d'un frein.

Fig. 64.—Ascenseur mécanique.

Toutes ces manœuvres ont l'inconvénient d'être compliquées et de ne pouvoir être faites par quiconque, sans une instruction préalable. Le concierge ou mieux un mécanicien attitré, ainsi que cela a lieu dans les hôtels importants, est chargé de la direction de l'appareil, mais on comprend qu'une semblable sujétion équivaut souvent à une impossibilité, et qu'une telle machine devient plutôt une charge et une gêne qu'un auxiliaire avantageux.

L'exposition de 1867 a fait faire un pas notable aux ascenseurs, et a vu surgir de nouveaux appareils, autrement pratiques que ceux qui les avaient précédés. M. Edoux en est l'inventeur. Qu'on se figure une longue tige cylindrique de métal, de la hauteur d'une maison, et pouvant disparaître dans un cylindre qui l'enveloppe et s'enfonce dans le sol. L'eau des conduites urbaines est introduite en dessous de cette grande tige cylindrique faisant piston, et sa pression détermine l'ascension du plateau superposé et des personnes qui y sont placées. Ce plateau, guidé dans ses mouvements, est surmonté d'une cage destinée à empêcher la chute des ascensionnistes et, au besoin, garnie de siéges. Une corde passe dans l'angle de la cage; elle s'étend du haut en bas de la tourelle parcourue par l'appareil. Il suffit de la tirer de bas en haut ou de haut en bas, selon qu'on veut monter ou descendre. Dans un cas, on ouvre le robinet d'accès de l'eau; dans l'autre, le robinet d'échappement. La fermeture des deux robinets, amenée par un état de tension convenable de la corde, détermine l'arrêt.

Comme on le voit, cet appareil est d'une manœuvre infiniment plus simple que celui que nous avons décrit tout d'abord, mais son emploi ne laisse pas que d'être encore assez coûteux. Paris possède aujourd'hui un grand nombre de ces appareils.

Il y a loin de ces moyens d'ascension perfectionnés à la corde à nœuds du badigeonneur, à l'échelle de corde du ravaleur, du marin ou du pompier. Chacun de ces engins suffit à la tâche qu'il sert à accomplir, et sa simplicité fait son plus grand mérite. Et puisque nous parlons du pompier, disons un mot des instruments de sauvetage qui servent à fuir le haut des habitations dont l'escalier est devenu inaccessible.

Fig. 65.—Échelles de pompier.

C'est à l'aide d'une simple petite échelle brisée en deux segments, de 2 mètres chacun, et dont les montants se terminent en forme de grands crochets, capables d'embrasser l'épaisseur d'un appui de fenêtre, que les pompiers montent d'étage en étage jusqu'au sommet des habitations. Mais souvent les murs eux-mêmes ne peuvent fournir un appui: la base brûle et il faut atteindre le quatrième, le cinquième étage ou le comble. On fait usage alors d'appareils mobiles que l'on dresse aussi près que possible des lieux à atteindre, et au sommet desquels on peut rapidement monter.

Ces appareils sont de différentes sortes. Nous donnerons une idée de leur construction.

On connaît ces croisillons en bois, figurant une série de losanges juxtaposés, dont les articulations sont formées par de petites chevilles sur lesquelles les enfants fixent des soldats. Selon qu'on rapproche ou qu'on éloigne deux sommets opposés de l'un des losanges, on allonge ou l'on raccourcit le petit appareil, et l'on groupe ou l'on fait marcher en avant le corps d'armée qu'il supporte.

Il en est de même de l'échelle à incendie de Jandeau. Deux systèmes de losanges, dont les plans sont disposés à angle droit pour donner à l'ensemble la rigidité voulue, sont portés sur un chariot. Les losanges, formés de pièces de charpente articulées, sont refermés sur eux-mêmes. Ils s'entr'ouvrent et leur squelette s'élève vers la maison embrasée, lorsque les extrémités des deux branches inférieures sont rapprochées l'une de l'autre. Une plate-forme et une cage, disposées à la partie supérieure, reçoivent les incendiés.

Fig. 66.—Les échelles, le boyau de toile des incendies.

Un autre appareil, qui nous semble beaucoup plus pratique, consiste en une série d'anneaux de charpente, entrés les uns dans les autres comme les anneaux d'un télescope, et dont la succession forme une haute tourelle qui peut atteindre jusqu'au sommet des habitations. Une cage, devant laquelle s'abaisse un petit pont-levis, donne accès aux incendiés, qui sont ensuite descendus à terre. Telle est l'échelle à incendie, inventée par Kermarec, maître de la compagnie des pompiers de la marine, au port de Brest.

Ce sont là les moyens lents de descente, mais il en est de rapides et de beaucoup plus simples dont l'emploi, quand il est possible, est assurément préférable. Un long boyau en fort treillis de toile, attaché au balcon d'une fenêtre, descend sur le sol en s'infléchissant. Les gens et les choses y sont successivement engagés et descendent à l'extrémité inférieure, convenablement soutenus pour éviter tout choc dangereux. Tous les objets précieux sont ainsi rapidement enlevés et soustraits au fléau destructeur.

b.—Les chèvres et les grues à bras, à manége, à vapeur, à eau (système Armstrong). — Les tourelles. — Les monte-charges à vapeur, hydrauliques. — La toile sans fin. — La chaîne à godets. — La vis d'Archimède. — Le tip hydraulique et à contre-poids. — Le drop.

Il faudrait un énorme volume pour décrire les principaux systèmes employés pour élever, non plus l'homme, dont le transport impose des conditions spéciales, mais les fardeaux de toutes sortes. Aussi n'avons-nous pas la prétention de les faire connaître tous dans les quelques pages qui vont suivre. Nous dirons seulement quelques mots des appareils les plus remarquables.

Le poids, le volume, la nature, le nombre des fardeaux qu'on peut avoir à soulever varient à l'infini. La hauteur à laquelle on doit monter ou descendre est aussi très-variable. Il en est de même de la distance horizontale à laquelle le transport doit avoir lieu et de la vitesse avec laquelle les mouvements doivent s'accomplir. C'est donc un problème très-complexe et infiniment varié que celui de la construction de ces appareils locomoteurs.

Les chèvres et les grues sont des assemblages de pièces de charpente, ou de métal, quelquefois de bois et de métal en même temps, tantôt fixes, tantôt mobiles, tantôt roulant, à portée constante, à portée variable, à une, à deux ou à plusieurs vitesses et mues par l'homme, par les animaux, par la vapeur ou par l'eau.

Fig. 67.—Grue roulante, à double volée.

Les grues sont les bras de l'industrie. Si ces appareils venaient à manquer, on verrait en même temps tous les chantiers, tous les ateliers s'arrêter. Les ports se fermeraient, car les bateaux pleins conserveraient leur chargement et les bateaux vides n'en pourraient recevoir de nouveau; les gares de chemins de fer ne pourraient livrer les marchandises arrivées, et n'en pourraient expédier de nouvelles; les chantiers de construction, les ateliers où se forgent ces énormes pièces de machines qui excitent à un si haut point l'admiration, devraient suspendre leurs travaux. Tout s'arrêterait, la force disparaissant.

Fig. 68.—Grue à vapeur.

C'est tantôt la vapeur et tantôt l'eau qui les anime. Dans les grandes machines, des batteries de chaudières, monstres de métal allongés sur la flamme, produisent la vapeur qu'un ensemble de canaux distribue à tous les appareils, prêts à marcher à chaque instant. Dans les ports importants, dans les docks, indépendamment des grues qui portent elles-mêmes leur machine à vapeur, il existe souvent une circulation d'eau à haute pression qui alimente toutes les grues employées au chargement et au déchargement des navires. M. Armstrong est l'inventeur de cet ingénieux système.

Dans Victoria-dock, MM. William Cory et Ce, marchands de charbons à Londres, ont fait une installation de six grues au-dessus du niveau du quai. Le travail de déchargement des charbons amenés par les navires se continue jour et nuit; la cale du steamer est éclairée au moyen du gaz que des tubes flexibles en caoutchouc conduisent dans toutes les directions. En douze heures, une grue décharge 500 tonnes, c'est-à-dire le contenu de cinquante wagons, à l'aide de neuf hommes, dont six sont occupés au remplissage des bennes et trois à la manœuvre de la grue et à celle des wagons. Aussi le prix de revient, par tonne débarquée, n'est-il que de 0f,127.

Dans certaines gares de chemins de fer, à Paris, par exemple, aux deux gares de l'Ouest, et dans les usines métallurgiques, à côté des hauts-fourneaux, on trouve des appareils appelés monte-charges et qui sont destinés à monter les bagages à la hauteur des voies, ou les matières premières: charbon, minerai, castine, au niveau du gueulard[9] du haut-fourneau.

Le monte-charge de la gare Montparnasse a été établi par M. Baude. Les wagonnets chargés de bagages sont amenés sur un grand plateau, qui est élevé par une chaîne s'enroulant sur une poulie à gorge hélicoïdale. Tandis qu'un plateau monte les bagages au niveau du quai du départ, un autre descend à la salle des bagages un wagonnet qui doit recevoir un nouveau chargement. Chacun des plateaux est équilibré par un contre-poids en fonte relié au piston d'un cylindre dans lequel on introduit l'eau de la ville. L'arrivée du liquide, en détruisant l'équilibre, détermine le mouvement de l'appareil.

Le monte-charge de la gare Saint-Lazare, établi par M. Flachat, manœuvre d'une manière différente. Dans un cylindre se meut un piston à double tige. Selon que l'eau est introduite sur l'une ou sur l'autre des faces du piston, le mouvement a lieu dans un sens ou en sens contraire. Il en est de même des deux plateaux qui sont rattachés à chaque extrémité.

Les monte-charges hydrauliques établis pour le montage des matériaux des maisons en construction, à Paris, sont plus simples que les précédents. Les deux plateaux du monte-charge sont des caisses en tôle qui se font équilibre. Quand on veut élever les matériaux placés sur l'un des plateaux, on remplit l'autre de l'eau prise aux conduites de la ville. La descente de ce plateau, devenu plus lourd, détermine l'ascension de l'autre. C'est une véritable balance hydraulique.

Dans les usines métallurgiques où l'eau est abondante, on l'utilise pour faire mouvoir les monte-charges. Dans les établissements où elle est rare, on a recours à la vapeur. Voici comment on procède: on recueille, au gueulard du haut-fourneau, les gaz provenant des actions chimiques qui s'y produisent et qu'on laissait perdre autrefois, et on les dirige vers des générateurs de vapeur. Cette vapeur, à son tour, est conduite à de puissantes machines qui mettent à la fois en mouvement les souffleries et les monte-charges.

À Pont-à-Mousson, on a réuni dans un même bâtiment de 18 mètres de hauteur, l'escalier qui sert à la montée et à la descente des ouvriers, les deux tourelles pour le montage des wagonnets de houille et de minerai, et enfin un monte-charge à plateaux.

Ce dernier appareil est semblable, aux dimensions près, à celui qu'on emploie dans les briqueteries pour monter les briques et les poteries fraîches dans les séchoirs disposés au-dessus des fours. Il est semblable aussi à ces appareils qui servent, dans les raffineries, au transport des pains de sucre. Deux chaînes sans fin, disposées dans des plans parallèles, ont leurs chaînons réunis deux à deux par des tiges transversales qui font articulation et auxquelles on accroche, par des moyens divers, les objets à transporter ou les caisses destinées à les recevoir. Les chaînes s'enroulent sur des tambours auxquels on donne un mouvement de rotation au moyen d'une machine quelconque.

S'il s'agit d'une drague, c'est une puissante machine à vapeur; s'il s'agit simplement d'un monte-plats, c'est un contre-poids ou même une hélice en tôle placée dans la cheminée de la cuisine et que l'échappement des produits de la combustion anime d'un mouvement rapide; s'il s'agit d'une noria, c'est un cheval, un bœuf ou un âne: selon les applications, le moteur varie.

Un moyen de transport fréquemment employé dans la construction des machines et pour le transport des matières premières ou des produits entre deux étages d'une usine, est la vis d'Archimède: une hélice enfermée dans un cylindre et qui reçoit un mouvement de rotation. C'est au moyen d'appareils de ce genre qu'on opère le transport des grains dans les silos et celui du tabac dans les manufactures.

Nous avons déjà parlé des grues hydrauliques employées à l'embarquement des charbons dans les ports anglais. Ce ne sont pas les seuls appareils en usage.

Il n'était certainement pas facile de faire passer, du wagon dans le fond de la cale des bâtiments, le charbon qui, sans être une matière précieuse, perd notablement de sa valeur lorsqu'il se divise, ce qui arrive à chacune des manipulations qu'on lui fait subir.

On a imaginé des appareils appelés drops, à l'aide desquels le charbon est pris dans le wagon et descendu jusqu'au fond du bâtiment. Qu'on se figure une longue bigue ou flèche en bois, articulée à sa base et portant une poulie à sa partie supérieure. C'est le bras qui prend sur le wagon la caisse pleine de charbon, la soulève, l'abaisse et la descend au fond du navire. À son arrivée dans la cale, deux volets à charnières, qui forment le fond de la caisse, s'entr'ouvrent et laissent tomber son contenu. On réduit ainsi la hauteur de chute à son minimum et on évite les déchets autant qu'il est possible.

À côté des drops, s'élèvent souvent d'autres machines appelées tips, et qui servent aussi à l'embarquement des charbons. Le travail de ces machines est encore plus rapide que celui des drops. Un wagon arrive sur la plate-forme du tip, il est soulevé, puis renversé, et le charbon glisse par l'extrémité ou par le fond du wagon dans un long couloir qui s'avance au-dessus du navire. Le wagon reprend sa position horizontale, redescend et s'en va. Un autre le remplace, et toutes ces manœuvres s'opèrent avec une vitesse de 1,000 tonnes en douze heures, soit plus de 83 tonnes à l'heure et au prix surprenant de 0f,025 par tonne.

Tous ces mouvements s'exécutent au moyen de ces moteurs hydrauliques dont nous avons parlé précédemment. Pour faire avancer les wagons sur les voies de garage, on ouvre un robinet: un cabestan se met à tourner et tire la chaîne fixée au crochet d'attelage du wagon. L'eau comprimée distribue la vie à tous les appareils et toutes les manœuvres s'opèrent sans bruit, sans déploiement apparent, de force et comme par enchantement.

B.—Locomotion au-dessous du sol et à toute profondeur.

a.—Les sentiers. — Les échelles. — La corde. — Le panier. — La benne. — La caisse. — Les Fahrkunst.

Lorsque la tarière ou le trépan sont descendus aux profondeurs où l'on trouve les métaux et la houille, après avoir creusé pendant des mois ou des années, il reste à organiser le transport des produits de la mine et tout d'abord celui des ouvriers.

Si l'exploitation est peu profonde et à flanc de coteau, c'est par des sentiers, en pentes plus ou moins rapides, ou par des échelles que vont et viennent les ouvriers. Mais dès que l'exploitation atteint une certaine profondeur, et qu'aucune galerie horizontale ou peu inclinée n'aboutit au jour, il faut avoir recours aux moyens d'ascension verticale les plus simples, les plus sûrs et les plus prompts à la fois.

Que l'on suppose, en effet, un puits de 400 mètres de profondeur, et 300 ouvriers nécessaires à l'exploitation. À la vitesse de 3 mètres par seconde, il faudra 2 minutes pour le trajet et, en comptant le temps nécessaire au départ et à l'arrivée pour monter et descendre, 2 minutes et demie, ce qui permet 20 voyages par heure. Il faudra donc une heure et demie pour descendre les 300 ouvriers au fond du puits, en admettant qu'on en descende 10 à la fois. Et si, comme le fait remarquer M. Burat, la machine d'extraction marche 11 heures par jour, il ne restera que 8 heures pour l'extraction des produits de la mine.

On organise donc à l'orifice des puits de puissantes machines à vapeur qui mettent en mouvement de grandes bobines sur lesquelles s'enroule la corde, la chaîne ou le câble d'extraction. On a des câbles plats, formés de câbles ronds juxtaposés, et qui pèsent de 4 à 7 kilogrammes le mètre courant. Un câble de 500 mètres pèse environ 3,500 kilogrammes, bien qu'il ne doive pas enlever de charge supérieure à 3,000 kilogrammes. Et comme le câble doit être d'autant plus résistant qu'il est plus rapproché de l'orifice, on le fait parfois de forme conique, de sorte qu'il devient plus mince et plus léger à sa partie inférieure. On peut, avec de tels câbles, atteindre des profondeurs de 700 mètres.

C'est tantôt le fil de fer, tantôt le chanvre, tantôt le fer et le chanvre associés, qui servent à leur fabrication. Enfin, on s'est servi du fer feuillard dans une mine de Belgique. On désigne sous ce nom ce fer en mince ruban, semblable à celui dont on cercle les tonneaux.

À l'extrémité du câble on attache le panier, la benne ou la caisse qui doit recevoir les mineurs, et, comme il faut prévoir le cas de la rupture de ce câble, on interpose ce qu'on appelle un parachute, ingénieux appareil dont l'action instantanée immobilise la benne dans le puits, en produisant l'enfoncement dans ses parois ou dans les guides de puissantes griffes de fer aciérées.

Que d'accidents et que de morts ont déjà été évités par ces parachutes! Nous n'en citerons qu'un, qui montre tout le soin que réclament la construction et l'emploi de ces appareils: «Le 20 juillet 1856, un câble se rompit au puits du Magny, près Blanzy, la cage étant un peu au-dessus de l'accrochage, en un point où les guides en bois étaient doublés de tôle; l'appareil ne put mordre sur cette tôle et la cage tomba avec une vitesse effrayante; mais, dès qu'elle arriva sur un point où le bois des guides était à nu, l'appareil agit et la cage s'arrêta après 3 mètres de cette action et malgré le poids de 260 mètres de câble tombé sur la cage. Sur cette hauteur de 3 mètres, l'épaisseur du bois des guides a été réduite de moitié, sans qu'aucune pièce du parachute se soit faussée.»

Les câbles et les bennes sont les moyens le plus communément adoptés pour le transport dans les puits de mine. Cependant, on a imaginé une machine à monter, appelée échelles mobiles ou fahrkunst, et qui sert aux mouvements du personnel des mines. Qu'on se figure deux échelles placées en regard l'une de l'autre et animées toutes deux d'un mouvement d'oscillation alternatif, de sorte que quand l'une monte, l'autre descend. Supposons qu'un homme monté sur la première, l'abandonne, alors qu'elle va descendre, pour passer sur la seconde qui va monter. Il montera avec elle. Supposons encore qu'au moment où celle-ci s'arrête, il la quitte pour repasser sur la première qui va maintenant s'élever. Il montera avec cette seconde échelle et, continuant ainsi cette manœuvre, s'élevant tantôt avec l'une et tantôt avec l'autre, il arrivera à la surface. Des ouvriers peuvent ainsi se placer sur toute la hauteur des échelles et monter d'une manière continue.

Fig. 69.—Les échelles mobiles (fahrkunst).

Les premiers fahrkunst datent de 1833. Ils se composaient de pièces de bois équilibrées, suspendues à des balanciers et portant de petits marchepieds. Puis, on fit des échelles en fil de fer au moyen de câbles dont le diamètre allait en diminuant, à mesure qu'on s'enfonçait. On est descendu ainsi jusqu'à 500 mètres de profondeur.

M. Warocqué de Mariemont a construit un appareil qui se compose de deux longues tiges en bois, descendant dans le puits et portant des paliers à balustrade, de trois mètres en trois mètres. Des tiges métalliques terminent ces échelles à leur partie supérieure et portent chacune un piston mobile dans un cylindre dont la longueur est égale à la course des échelles. Les mouvements des deux pistons sont rendus solidaires l'un de l'autre au moyen d'un certain volume d'eau qui passe d'un cylindre dans l'autre tantôt par le haut, tantôt par le bas. Il suffit donc d'imprimer un mouvement de va-et-vient à l'un des deux pistons pour que l'autre fasse les mêmes mouvements en sens contraire. Le résultat est obtenu au moyen d'un cylindre à vapeur placé au-dessus de l'un des cylindres à eau. Les échelles font 12 à 14 oscillations par minute, et un ouvrier remonte en 6 minutes les 212 mètres qui séparent l'exploitation de l'ouverture.

b.—La roue à chevilles. — La machine à molettes. — Chevalets et bobines. — Chariot, bennes roulantes, berlines, wagonnets et wagons.

Tout le monde connaît la cage où tourne l'écureuil, la roue à l'intérieur de laquelle se meut le chien de l'aiguiseur ou du cloutier, pour tourner la meule ou souffler la forge. C'est au dedans d'une roue semblable que tourne le carrier pour élever au jour les pierres employées à la construction. La roue à chevilles est très-fréquemment employée aux environs de Paris, mais elle ne peut servir que pour une exploitation peu importante et peu profonde.

Dès que l'extraction prend une certaine activité et que les produits sont tirés d'une grande profondeur, la force de l'homme devient insuffisante; il faut employer celle des chevaux, de la vapeur ou des chutes d'eau. Au lieu d'un simple treuil à axe horizontal, on a une machine à molettes avec bobines ou tambours d'enroulement.

Au-dessus du puits d'extraction, deux grandes poulies de renvoi, appelées molettes, portent les deux brins du câble: l'un montant, l'autre descendant, et les dirigent vers deux cônes tronqués rapprochés par leur grande base, mobiles sur un axe vertical et qui servent l'un à l'enroulement, l'autre au dévidage du câble. Deux chevaux donnent le mouvement à cet arbre et complètent la machine, qui a une entière ressemblance avec les manéges des maraîchers.

Les tambours dont nous venons de parler sont souvent remplacés par des bobines. Ces bobines sont des tambours de la largeur du câble et sur lesquels les spires se superposent, au lieu de se juxtaposer, disposition essentiellement favorable à la régularité de l'extraction.

Fig. 70.—Roues à chevilles des carriers.

Telles sont, en abrégé, les dispositions adoptées dans les mines pour le montage des produits. Les véhicules qui servent au transport varient presque à l'infini et si, dans une même localité, on trouve parfois des chariots, des bennes, des berlines, des wagonnets ou des wagons de la même forme, il est rare que cette ressemblance ait lieu dans deux pays un peu éloignés. Un grand nombre de raisons motivent ces différences et les justifient: en premier lieu, l'allure de la couche ou du gisement, sa direction, son épaisseur, puis le mode d'exploitation adopté, la hauteur, la largeur des galeries, etc. L'ingénieur a le champ libre pour le choix des moyens les meilleurs à employer.

À Blanzy, on fait usage, pour le transport de la houille, de chariots en bois de 14 hectolitres, se vidant à l'avant par un panneau mobile sur charnière. Dans les mêmes mines, on se sert aussi de la benne roulante; c'est un tonneau avec un seul fond et monté sur roues en fonte. À Anzin, on emploie le wagon en tôle de M. Cabany, monté bas sur rails et dont la caisse évasée permet un bon chargement, eu égard au poids mort; dans le pays de Liége, des berlines moins perfectionnées portant des crochets à leur partie supérieure, à l'aide desquels on peut les superposer et les accrocher les unes aux autres pour les élever au jour.

Lorsque cet accrochage immédiat des bennes entre elles n'a pas lieu et que la machine est assez puissante pour remonter plusieurs véhicules à la fois, on réunit ceux-ci par deux ou par quatre dans une cage en bois ou en métal, ayant deux ou quatre étages. Pour empêcher les chocs contre les parois du puits, les bennes ou les cages sont guidées par des câbles en fil de fer ou par des longrines verticales en bois de chêne, qu'elles embrassent au moyen de coulisses en fer ou en fonte.

Fig. 71.—Plan automoteur dans une mine.

Outre les manéges et les machines à vapeur destinés à la mise en mouvement des appareils d'extraction, on emploie encore les moteurs hydrauliques et l'on crée, dans certains cas, des chutes d'eau d'une grande puissance. C'est ce qui a lieu dans le Hartz et dans la Saxe. Qu'on suppose un cours d'eau amené près du puits. À quelques mètres au-dessous de l'orifice, on creuse une chambre, où l'on installe une première roue; quelques mètres plus bas, on en installe une seconde; plus bas encore, une troisième, et l'eau qui est introduite passe successivement d'une roue à la suivante et sert d'abord à l'extraction des produits, puis à l'épuisement des eaux de la mine. Les eaux motrices s'échappent par une galerie latérale et s'écoulent ensuite dans la vallée. De la sorte, l'extraction a lieu dans les conditions économiques les plus avantageuses.

Les moyens usités pour les transports dans les galeries très-inclinées des mines sont les mêmes que ceux qu'on emploie dans les puits verticaux; mais, toutes les fois qu'on le peut, on s'arrange de manière à faire descendre les wagons chargés pour n'avoir à remonter que les wagons vides et l'on organise alors des plans automoteurs, le wagonnet roulant directement sur les rails, si l'inclinaison n'est pas trop forte, ou étant porté sur un châssis roulant ou berceau, qui le maintient horizontal et empêche le chargement de se répandre.

C.—Locomotion suivant une ligne horizontale ou inclinée au-dessus du sol.

Chemin à la Palmer. — Chemins funiculaires.

Certaines circonstances ont conduit parfois à l'établissement de transports au-dessus du sol suivant une ligne horizontale ou inclinée; par exemple: la mauvaise nature du sol sur lequel on aurait dû établir une voie, des accidents de terrains trop prononcés, etc. On a adopté, suivant les cas, différents systèmes; des chemins de fer à un rail, appelés chemins à la Palmer, du nom de leur inventeur et des chemins funiculaires, où le rail est remplacé par un câble en fil de fer.

Le chemin à la Palmer se compose d'un rail porté par une longrine qui repose elle-même sur des poteaux. Une roue à gorge se meut sur le rail et porte à droite et à gauche deux caisses entre lesquelles la charge doit se répartir également. Nous ne pouvons mieux donner une idée de la manière dont le véhicule repose sur la voie qu'en comparant ces deux caisses aux deux paniers du bât qu'on met sur le dos des bêtes de somme et qui doivent être également chargés pour qu'il y ait équilibre. Ce moyen de transport n'a été employé que dans l'intérieur d'un petit nombre d'établissements industriels (chemin du bureau des navires à Deptfort, près de Londres); transport de marchandises peu important (chemin des fours à chaux et de la briqueterie de Cheshunt au canal de Lee), service de la briqueterie de Posen; mines de houille (à Rive-de-Gier) et travaux de terrassement (fortifications de Paris au bois de Boulogne).

Fig 72.—Chemin à la Palmer (au jour).

Les cadres en charpente des galeries de mines ont permis de simplifier ce moyen de transport à l'intérieur des exploitations souterraines et, en soutenant latéralement la longrine et le rail, de placer la caisse au-dessous de la voie, ce qui rend inutile la division de la charge. Les bennes, en arrivant au jour, glissent sur leurs patins, ou sont transportées au moyen de trucks sur des voies ordinaires.

Fig. 73.—Chemin à la Palmer (dans une galerie de mine).

Dans certaines exploitations à ciel ouvert, on a parfois à transporter d'un côté à l'autre de la carrière des matières sans valeur, des terres provenant de la découverte, ou des détritus. On pourrait avec un chemin de fer opérer ces transports, mais il faudrait dresser une plate-forme, faire de grands détours, ce qui deviendrait coûteux. On tend un câble au travers de l'exploitation. Avec trois petites poulies assemblées en triangle, on fait une chape, comme celle des bacs à la traversée des rivières, et à la chape on suspend un petit bateau, chargé des matières à transporter. Une corde attachée à chacune des extrémités du batelet règle sa course et les transports s'opèrent rapidement et à peu de frais.

Fig. 74.—Transport par câble métallique (système Hodgson).

Fig. 75.—Boîtes, supports, poulies extrêmes du système Hodgson.

Cet emploi du câble métallique a été généralisé récemment par M. Hodgson, pour le transport du granit sortant des carrières de Bardon-Hill, à trois lieues de Leicester, qui s'opérait entre les carrières et le chemin de fer, sur une distance d'une lieue, au moyen de charrettes et réclamait un nombreux personnel. Une corde métallique sans fin est soutenue sur des poulies qui sont portées par de forts poteaux, éloignés ordinairement de 50 mètres les uns des autres. Cette corde passe à un bout sur une poulie mise en mouvement par une locomobile et reçoit une vitesse de 6 à 9 kilomètres à l'heure. Des caisses sont suspendues au câble par un crampon de forme particulière, qui maintient la charge en équilibre et permet le passage des points d'appui sans difficulté.

Dans le cas où on a de fortes charges, on met deux cordes pour soutiens et une corde sans fin comme moyen de transmission. On conçoit que la nature du terrain sur lequel on passe importe peu; le câble peut se poser aussi aisément que le fil du télégraphe.

Le prix d'établissement pour une ligne à une corde portant 50 tonnes par jour (l'équivalent de 5 grands wagons de chemins de fer) dans des boîtes pesant 25 kilogrammes n'est que de 3,900 francs par kilomètre.

On pressent tous les avantages que l'on pourra tirer de ce nouveau moyen de transport.

D.—Locomotion en tous sens, dans toute direction et dans tout milieu.

C'est vers 1560, à ce que l'on rapporte, que Gutter de Nuremberg inventa le fusil à air comprimé. Philon de Byzance parle même d'un tube construit par Ctésibius, dans lequel l'air comprimé lançait un trait et qu'il nomme aérotone. Peut-être n'est-ce tout simplement que la sarbacane qu'emploient les écoliers pour lancer des boules d'argile aux oiseaux.

Quoi qu'il en soit, l'invention dont nous voulons parler remonte, quant à son principe, aux temps les plus reculés. Les effets qu'on peut obtenir de l'air comprimé, comme propulseur, sont connus depuis longtemps; mais c'est d'une époque toute récente que date son application au transport des petits paquets.

L'Angleterre nous a précédés dans cette voie, nous avons déjà eu l'occasion de le constater. Après avoir rendu hommage à son esprit d'initiative, nous expliquerons de quelle manière s'opère à Paris le transport des dépêches télégraphiques au moyen de l'air comprimé.

Fig. 76.—Appareil de transmission par l'air comprimé.

Un tube de six centimètres et demi de diamètre intérieur, suspendu à la voûte des égouts, réunit entre eux les six bureaux télégraphiques de la rue de Grenelle-Saint-Germain (Administration centrale), de la rue Boissy-d'Anglas, du Grand-Hôtel, de la Bourse, de l'Avenue de l'Opéra (près du Théâtre-Français) et de la rue des Saints-Pères, formant un polygone fermé de 6718m,80 de longueur. Chacun des côtés de ce polygone a de 900 à 1,400 mètres de longueur et se compose d'éléments droits ou courbes, horizontaux, inclinés, parfois même verticaux. Le rayon le plus petit à l'angle de deux rues est de 12 mètres et la pente la plus forte de 0m,05 par mètre, sauf aux abords des bureaux, où ce rayon atteint 3 mètres et où le tube devient vertical. Telle est la voie.

Le matériel de transport se compose d'étuis en fer garnis de cuir, ayant 0m,06 de diamètre et 0m,12 à 0m,15 de longueur. Chacun d'eux porte gravé le nom de la station à laquelle il est destiné. Ce sont les wagons.

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