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Les Musardises
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1892.
XIII
L'AMOUREUX DE MARGARIDON
«Vierge au regard loyal, fleur de notre campagne,
Si je puis être aimé de vous, Margaridon,
Demain même, je veux, pour vous en faire don,
Acheter un foulard au colporteur d'Espagne.
«Si nous nous accordons sans trop tarder, je crois
Que je ne saurai pas vous refuser la montre
Qu'un bijoutier gascon dans sa boîte nous montre
Au milieu de cœurs d'or, de bagues et de croix!
«Si nous nous marions aux premières pervenches,
J'irai jusqu'à donner du ruban de velours
Pour que le capulet même de tous les jours
Soit aussi bien bordé que celui des dimanches.
«Sans être un grand Crésus, j'ai mon petit avoir.
J'ai des bœufs. J'ai le champ que m'a laissé mon père.
Un potager. Enfin, la maison est prospère,
Et vous aurez du linge à porter au lavoir.
«Et si vous ne voulez que goûter le jeune âge,
Vous vivrez sans rien faire, aussi blanche de peau
Que les dames d'Albi qui portent un chapeau,
Car la mère est vaillante et fait tout le ménage.
«La chambre est belle. Elle a trois mètres de hauteur.
Moi-même j'ai taillé la poutre et les lambourdes.
J'ai pendu deux portraits sous la Vierge de Lourdes:
L'un, c'est Monsieur Hugo; l'autre, Monsieur Pasteur.
«De l'huile de mon bras la commode est luisante.
Le lit est grand, profond: c'était le lit des vieux.
La mère l'a cédé pour que nous soyons mieux.
Tout ça sera bien beau quand vous serez présente!
«Les rideaux ont été passés à l'amidon;
Et j'ai fait faire un cadre avec les coquillages
Que l'oncle a rapporté de ses lointains voyages,
Pour le petit miroir de ma Margaridon.
«J'ai, pour vos pots de fleurs, élargi d'une planche
La fenêtre où bientôt vous viendrez vous asseoir…
Et lorsque je suis seul, je regarde, le soir,
La place où vous mettrez votre main sur ma manche.»
1889.
XIV
LES BŒUFS
C'est l'heure où la nuit pose, en montant vers les cieux,
Son pied sur chaque mont comme sur une marche;
Et, déchirant le soir du cri de ses essieux,
Un char de foin a l'air d'une meule qui marche.
Deux bœufs trament ce char, et, de leur front têtu,
Ils poussent en avant, les cornes abaissées;
Chacun d'un tablier de toile est revêtu,
Qu'on voit en bas frangé de ficelles tressées.
Cette frange descend sur leurs genoux noirauds
Pour éloigner, pendant les chaudes matinées
Où des bourdonnements s'échappent des sureaux,
Le harcèlement bleu des mouches obstinées.
Ils avancent, coiffés de peaux d'agneaux, les bœufs,
Flanquant des coups de queue à leur croupe écailleuse,
Et sans paraître voir le tournant trop bourbeux,
Ni qu'après le tournant la côte est rocailleuse.
Lorsque le char s'enfonce et qu'il faut l'arracher,
Dans le marbre gluant des naseaux noirs et roses,
Ils soufflent un instant, puis, sans daigner broncher,
Ils partent à nouveau, les paupières mi-closes.
Et tandis qu'ils sont là peinant, poussant plus fort,
Les bœufs mystérieux, énormes et timides,
Comme s'ils demeuraient étrangers à l'effort,
Gardent, sous leurs cils durs, toujours, leurs yeux humides.
Un attendrissement semble être en eux monté
Que ne peut plus troubler la présente détresse;
Et, les voyant souffrir avec cette bonté,
J'ai compris quelle était leur profonde sagesse.
Ils ne s'étonnent plus, les paisibles bœufs roux,
Car ils ont longuement réfléchi sur les choses;
Et ce sont devenus des philosophes doux,
Patients rumineurs des effets et des causes.
Ils ne s'étonnent plus, ils ne s'indignent plus,
Sachant qu'on perd son temps en révoltes superbes,
Quand la route implacable ouvre ses deux talus,
Et qu'il vaut mieux songer en remâchant des herbes!
Ils savent qu'à leur sort ils ne changeraient rien,
Mais que chaque moment des plus ingrates vies
Peut posséder le rêve, insaisissable bien,
Secrète liberté des races asservies!
Qu'importent l'aiguillon cruel, le taon haineux,
L'accouplement au joug, les cornes qu'on attache!
Ils ne souffrent de rien, ne vivant plus qu'en eux,
Et machinalement accomplissant leur tâche.
Qu'importe la charrue et d'avoir entendu
Le cri que le bouvier pousse à la capvirade!…
Chacun, posant sans bruit son large pied fendu,
Rêve, et sent près de lui rêver son camarade.
Ils vont, sans s'occuper des coups ni des faux pas,
Trouvant que pour rêver, déjà, la vie est brève.
Et que, si grands qu'ils soient, des maux ne valent pas
De détourner le sage, un moment, de son rêve!
C'est pourquoi, quand, la ronce accrochant les moyeux,
L'ornière sous la roue hostilement se creuse,
Au plus fort de la lutte ils gardent dans leurs yeux
Cette belle douceur de la pensée heureuse.
1889.
XV
LES GENETS
Sur ces balais—stupidement—dressés du sol
S'est abattu tout un doux vol.
Pour se poser—sur ces balais,—dans la campagne,
Des papillons viennent d'Espagne.
Des papillons—qui sont des fleurs,—des fleurs qui sont
Des papillons! Essaim? Buisson?
Sont-ils des fleurs?—Sentez leur souffle!—Ou bien sont-elles
Des papillons? Voyez leurs ailes!
Papillons-fleurs;—ces papillons—se sont, légers,
Sur chaque brindille étagés!
Les gros en bas,—et, tout en haut—de chaque tige,
Le plus petit de tous voltige!
Et tout ce vol—de papillons—tout palpitants
S'installe là pour quelque temps.
Et maintenant,—les vieux balais—ont une housse,
Et répandent une odeur douce:
Ça sent si bon—que c'est toujours—comme si on
Attendait la procession!
Et cette odeur—s'en va troubler—toute la lande,
Car le vent fait la propagande.
Balais! balais!—qui vous eût dit,—balais piteux,
Que vous seriez si capiteux?
Et tout d'un coup—(mais quel besoin—des fleurs ont-elles
Étant des fleurs, d'avoir des ailes?)
L'essaim doré,—qui se souvient—d'être espagnol,
Prend au vent d'Espagne son vol!
Que reste-t-il—de l'or vivant,—des ailes douces?
Quelques noires petites gousses!
Vous n'avez plus—qu'à frissonner,—genêts frileux,
En nous offrant, des balais bleus,
Des balais bleus—pour balayer—devant nos portes
L'amas prochain des feuilles mortes!
Balais! balais!—pauvres genêts,—vous êtes laids!
Vous n'êtes plus que des balais!
Et vainement—vous murmurez,—ne pouvant croire
A la fuite de tant de gloire:
«Qu'est-ce que c'est—que ces fleurs-là—qui fuient aux vents
Il faut consulter les Savants!»
«Que voulez-vous!»—vous répondront—leurs voix cassées,
«C'est des papilionacées!
«Il faut avoir,—quand on a peur—de ces douleurs,
Des fleurs qui ne soient que des fleurs!
«Mais quand on veut—des fleurs en or—ayant des ailes,
On sait à quoi s'attendre d'elles!»
XVI
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
On entend encor fuser quelques trilles.
La couleur du ciel commence à muer.
Des coups d'ailes font encor remuer
La vigne des murs, le lierre des grilles.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Les échanges vifs que faisaient les branches
D'oiselets lancés comme des volants
Deviennent plus mous, deviennent plus lents.
La lune, au ciel clair, met ses cornes blanches.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Le doux crépuscule a jeté sa cendre;
Les lointains sont bleus et vont se noyant;
Et la feuille d'or, tout en tournoyant,
Du grand peuplier se met à descendre.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Une cloche tinte, une chèvre bêle.
Une fille passe, et chante, et suit l'eau.
Le chant que l'on chante à cette heure est beau;
La fille qui passe à cette heure est belle.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Les pas des marcheurs attardés se pressent.
Un rameau, quitté par son chanteur fol,
Est encor tremblant de l'élan du vol.
Où vont ces oiseaux qui tous disparaissent?
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
La clarté s'esquive, et déjà l'on doute
Si l'objet qu'on voit est loin ou tout près.
S'en revenant seul, lentement, des prés,
Un poney velu traverse la route.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Un alignement de petites meules
Donne aux champs l'aspect de camps endormis.
L'heure est aux amants, et non aux amis.
Les cœurs vont par deux, les âmes vont seules.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
La vie est soudain comme une inconnue
Qui fixe sur vous de trop larges yeux.
Il semble que tout soit insidieux.
On s'entend parler d'une voix émue.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
On s'entend parler d'une voix de songe
Dont on ignorait la sonorité.
C'est l'heure charmante où la vérité
A tout à fait l'air d'être du mensonge.
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
Et si maintenant la rainette chante
Aux bords ébréchés des petits bassins,
C'est que, sur ton cœur ayant des desseins,
Cette heure a besoin d'être trop touchante…
Derniers petits chants et derniers ébats
Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas.
1891.
XVII
L'OURS
Martin, ours. Une bête énorme. Un plantigrade
Que l'on n'aimerait pas avoir pour camarade.
Touffu, férocement espiègle, et reniflant.
Un ours qui jetterait un homme sur le flanc
D'un seul revers de patte, et, de deux coups de griffes,
Mettrait toutes ses chairs palpitantes en chiffes;
Un ours dont un géant ne viendrait pas à bout,
Et qui, s'il se montrait soudainement debout,
Ferait, comme devant la nuit le crépuscule,
S'évanouir Samson et se dissoudre Hercule:
Car Hercule, l'athlète aux puissantes sueurs,
Et Samson, le plus grand parmi les grands tueurs,
Ne seraient, dans les bras de la bête assaillie,
Malgré leur corps trapu, leurs muscles en saillie,
Leurs intrépides reins, leur imployable dos,
Qu'un giclement de sang et qu'un craquement d'os.
Et cet ours, au regard terriblement oblique,
Danse la mazurka sur la place publique.
L'homme qui tout petit à sa mère le prit,
Son montreur, l'apostrophe en faisant de l'esprit,
Dit qu'on peut l'approcher, le toucher, sans qu'il morde,
Et roule du tambour, et tire sur la corde
Qui s'attache à l'anneau de la narine en sang,
Et lui chante un refrain monotone et dansant;
Et docile, et craignant de perdre la cadence,
Le formidable ours brun de la montagne danse…
Soulevant le gros rire épais des hommes saouls,
Il danse, sous la pluie insultante des sous.
Une bosse de chair et de fourrure sale
Lui ballotte au sommet de l'épine dorsale;
Et de peur de déplaire à cet homme, cet ours
Fait, devant l'honorable assistance, des tours.
L'homme n'a qu'à parler, et l'ours obéit vite.
L'ours ne se fait jamais prier. L'homme l'invite,
Sitôt que la mazurke est dansée, à polker:
Et l'ours polke; à valser: l'ours valse; à mieux marquer
La mesure: l'ours marque avec sa patte, et volte,
Gracieux comme un ours qui fait le désinvolte;
A s'asseoir: l'ours se met, grave, sur son séant;
A manier un peu sa trique de géant:
L'ours a l'air, s'escrimant dans le vide qu'il rosse,
Sa trique entre les bras, d'un gros guignol féroce;
A montrer «comment l'ours marche en montagne»: l'ours
Marche, allongeant des pas silencieux et lourds;
A faire le bourgeois riche qui se promène:
Et l'ours, caricature horriblement humaine,
Se lève sur ses pieds; puis, plein de dignité,
Déposant sur sa tête énorme, de côté,
Un tout petit chapeau de paille ridicule,
L'ours vient faire un salut au public—qui recule!
Et puis, l'ours roule et tangue et feint d'être un peu gris;
Et puis, l'ours fait le mort, et les coups et les cris
Et les piétinements le laissent immobile…
Et puis, l'homme à chacun va tendre sa sébile,
Grommelle en la sentant légère dans sa main,
Relève l'ours encor couché sur le chemin
En donnant à l'anneau deux coups de corde brusques,
Lance à la bête un coup de pied, reprend ses frusques,
Ramasse son gourdin, rajuste son tambour,
Et part, suivi d'enfants.
Ainsi de bourg en bourg,
Ainsi de ville en ville.
Et je n'ai pas, en somme,
Compris pourquoi cet ours ne mangeait pas cet homme.
Saint-Béat, 189…
XVIII
TOUT D'UN COUP
Les clartés qui, là-bas, piquant les ombres bleues,
Révèlent qu'un menu village, à bien des lieues,
Doit au flanc rond de quelque colline s'asseoir,
Les clartés, tout d'un coup, que nous voyons, ce soir,
Du haut d'un col, avant de descendre les rampes,
Luire,—et qui sont, là-bas, les chandelles, les lampes,
Les feux d'une gaîté, d'un travail, d'un souci,—
Ces clartés, tout d'un coup, nous rappellent que si
L'on rêve au bord des ciels, on vit au ras des terres;
Que si l'on rêve un peu sur les monts solitaires,
On vit, dans les vallons, on vit, on vit beaucoup;
De sorte que nos cœurs, oubliant, tout d'un coup,
Que les feux du méchant, ses lampes, ses chandelles,
Ne font pas, au lointain, des lumières moins belles
Que les lampes, les feux, les chandelles du bon,
Et que l'affreux signal qu'allume un vagabond
Et la douce fenêtre au seul rideau de serge
Qu'éclaire saintement le coucher d'une vierge
Sont deux étoiles d'or identiques,—nos cœurs,
Pour lesquels, tout d'un coup, ces petites lueurs
Ne sont plus, dans la nuit, que d'autres existences,
Nos cœurs qui, tout d'un coup, sentent qu'à ces distances
Vous ne différez guère, ô pires, des meilleurs,
Aiment également tous ces lointains veilleurs!
XIX
LE MENDIANT FLEURI
Il n'est pas du pays. D'où peut-il être?… d'où?
On ne sait pas. C'est un mystérieux bonhomme.
Sur le bord du chemin parfois il fait un somme.
Il porte un vieux chapeau qui paraît être—comme
Ceux que portent les champignons—en amadou.
Eut-il un nom? Lequel? On l'ignore. On le nomme
Le Mendiant Fleuri. C'est tout.
Il a cette folie, il a cette jolie
Folie: il se fleurit. Il se déguise en Mai.
Son chapeau d'amadou porte un phlox pour plumet.
Dès qu'il découvre un trou dans sa veste, il y met
Du lilas, un pavot. Si c'est une folie,
Cet affreux vagabond des routes se permet
La même que vous, Ophélie!
Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux
Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières.
A ses poches il a des touffes printanières
Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières.
Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux,
Des boutons d'or. Au lieu des pailles coutumières,
Il a du thym dans ses sabots.
Il reprise sa cape en ajonc qui s'accroche,
Reborde un vieux revers avec des serpolets,
Pique de la tremblette aux fentes des ourlets,
Enrichit de bleuets roses et violets
Sa pauvre barbe dont le chanvre s'effiloche;
Puis, fume, luxueux, parmi tous ces bleuets,
Une pipe d'aristoloche!
Qu'il est beau quand il va de maison en maison,
Chamarré d'herbe-aux-gueux, d'airelle et de spargoutte!
La flore du moment sur lui frissonne toute.
Qu'il est beau quand il passe, en fleurs, et qu'il s'ajoute,
Comme un calendrier vivant, à l'horizon!
De sorte qu'il suffit de le voir sur la route
Pour savoir quelle est la saison!
Il réussit parfois des toilettes charmantes.
Je lui connus un col d'aspérule, un camail
De scabieuse ayant un chardon pour fermail.
Qu'il est beau quand il va de portail en portail,
Et que, chargé de coquelourdes et de menthes,
On le voit, rouge et vert comme un saint de vitrail,
Passer dans les herbes fumantes!
O bizarre bonhomme, ô vagabond falot,
Misère dont toujours embaumait le passage,
Vieillesse où le muguet attachait un grelot,
O Mendiant Fleuri, gueux parfumé, fou, sage!
Brave pauvre, qui, loin d'être un pauvre honteux,
Marques la déchirure avec une jonquille,
On t'est reconnaissant, presque, d'être boiteux,
Tant la guirlande est belle autour de ta béquille!
Cynique éblouissant, héroïque et finaud,
Je ne saurais assez préférer, quand j'y pense,
Tes courageuses fleurs au facile tonneau,
Diogène charmant de nos routes de France!
Inconscient donneur d'une grande leçon,
Merci, fou gracieux, poète et philosophe,
D'oser, sous le soleil, enseigner la façon
D'accommoder de fleurs les restes de l'étoffe!
Il nous apprend, ton humble et rustique talent,
Ce qu'on peut faire avec quelques fleurs, quelques-unes!
Alors, pourquoi traîner sa vie en étalant
Des misères, des trous, des tares, des lacunes?
Pourquoi ne pas avoir un iris au chapeau
Qu'on tend vers le passant—ou qu'on tend vers la gloire?
Ah! Mendiant Fleuri, quand rentre le troupeau,
Ils font bien, les bergers, de te verser à boire!
Que ton moyen me plaît! Tous mes accrocs d'hier
Vont aujourd'hui, du moins, servir à quelque chose.
Si tu fais le faraud, moi je ferai le fier.
Ton gilet a son lys? Mon cœur aura sa rose!
J'ai compris qu'il ne faut, qu'on ne peut, qu'on ne doit
Présenter au prochain nulle image cruelle,
Puisqu'on n'a qu'à rouvrir sa blessure du doigt
Pour y mettre la fleur qui va la rendre belle!
Bonhomme, j'ai compris qu'il faut être coquet
De sa blessure, au lieu que d'en être malade,
Et que, même, parfois, pour y mettre un bouquet,
Il convient d'élargir la simple estafilade.
On n'a plus peur de rien lorsqu'on prend ce parti.
Et l'on acquiert bientôt la grâce, et la manière
D'être reconnaissant au buisson qui, gentil,
Pour la fleur qu'il vous tend vous fait la boutonnière!
Dès qu'on est décousu par un poignard nouveau,
Il faut en profiter pour se fleurir encore.
Plus on est malheureux, plus on doit être beau!
Faisons tous nos malheurs en corolles éclore!
Servons-nous du malheur.—Un jour, un jardinier
M'a dit cette parole ingénue et profonde:
«Si Job avait planté des fleurs sur son fumier,
Il aurait eu les fleurs les plus belles du monde!»
1891.
XX
LE CONTREBANDIER
Ayant longtemps suivi le sentier de montagne,
Distrait, j'avais gagné la frontière d'Espagne,
Et j'avais pris, au bout du pont,
La place où bien souvent, près du troupeau qui broute,
J'écoute ce que dit le douanier, et j'écoute
Ce que le muletier répond.
Toujours la même scène ingénument éclate:
Le petit gabelou galonné d'écarlate,
Avec un sourire entendu,
Écoute le récit que l'autre lui rabâche,
Puis va vers la charrette, et, sous un cuir de bâche.
Trouve le flacon défendu.
Ce jour-là, c'était l'heure où s'enflamment les vitres.
Le grillon, dont l'amour fait chanter les élytres,
Avec le grillon alternait
Comme un berger d'églogue avec un autre alterne.
Déjà le voiturier allumait sa lanterne.
Tout le soir sentait le genêt.
Parfois, de ces garçons passaient qui, sans rien dire,
Glabres, la cigarette au coin de leur sourire,
Vont à pas souples et prudents;
De ces filles riaient, si brunes, sous les branches,
Que, dans l'ombre, on ne peut voir que deux choses blanches:
Leurs espadrilles et leurs dents.
Et j'aperçus venir un vieillard maigre et brusque,
Un de ces paysans dont le regard s'embusque
Sous un béret qui se rabat.
Feignant de ramasser des pompons de platane,
Il trottinait, courbé, derrière un petit âne
Qui portait un sac sur son bât.
L'âne disparaissait sous le grand sac champêtre.
—Au moment où le vieux allait passer peut-être,
Inoffensif et toussotant,
Le douanier n'ayant eu vers lui qu'un regard vague,
L'âne fit un écart. Et soudain une dague
Tomba sur le sol en tintant.
Une très vieille dague espagnole.—Et puis, comme
L'âne faisait, malgré les efforts du pauvre homme,
Des bonds de poulain andalou,
On vit un ancien casque en forme d'astrolabe
Et deux longs éperons de style presque arabe
Tomber aux pieds du gabelou.
Et comme l'âne, ému par ces nouveaux vacarmes,
Ruait,—chaque ruade éparpilla des armes!
Et, tout le sac s'ouvrant dans l'air,
Ce fut, pendant qu'au bruit accouraient des marmailles,
Un envol de rivets, de tassettes, de mailles,
Un feu d'artifice de fer!
Quoi! c'étaient, dans ce sac, sous une avoine fourbe,
Des armes que cachait ce vieillard qui se courbe
Et craintivement s'amoindrit?
Prépare-t-on la guerre au fond de la vallée?
Ou bien veut-on passer une armure volée
A l'Armeria de Madrid?
Quelle armure est-ce là qui tombe et se bosselle?
La courroie a souvent fait place à la ficelle,
Les boucles n'ont plus d'ardillons.
Quelle est cette rapière?… Oh! comme elle est usée!
La coquille brimballe autour de la fusée!
La garde est veuve de quillons!
Une jambe de fer dont le genou se rouille
En rencontrant le roc un instant s'agenouille;
Et, de ce fantastique sac,
On croit voir, sur le sol rose de crépuscule,
Tomber un chevalier qui se désarticule
Avec un bruit de bric-à-brac!
La rondache, roulant comme un cerceau superbe,
S'échappe. Un gantelet crispe ses doigts sur l'herbe
Où le rejoint un vieux houseau.
L'âne bondit toujours. Et cependant, à terre,
Une cuirasse a l'air d'un grand coléoptère
Vidé par le bec d'un oiseau.
Enfin, de ce ballot que chaque bond déballe
Jaillit un cuivre étrange, une vieille cymbale,
Une sorte d'astre échancré,
On ne sait quel plateau de balance fantasque,
Luisant, plat comme un plat, martelé comme un casque,
Fourbi comme un vase sacré!
Et quand tout eut roulé devant lui, de l'air digne
Qu'on prend quand on observe à regret la consigne,
Le douanier recula d'un pas.
Puis—que pouvaient avoir de terrible ces armes
Qu'un vieillard ramassait en les couvrant de larmes?—
Puis il dit: «Ça ne passe pas!»
Chacun aida le vieux. Une fille d'auberge
Ramassa la rondache, un enfant la flamberge;
Et, lorsque tout fut ramassé,
Le vieux, s'étant laissé sur les bras tout remettre,
Car l'âne en bondissant avait fui loin du maître,
S'éloigna, pesant et cassé.
Et le douanier s'en fut boire avec une fille
L'anisette espagnole où trempe une brindille
Qu'entoure du sucre candi.
Moi, je suivis le vieux.—Il allait, le dos triste.
Bientôt, il se crut seul sous le ciel d'améthyste.
—Et je vis qu'il avait grandi.
Oui, l'homme, maintenant, haussant sa silhouette,
Droit,—comme s'il savait aussi bien qu'un poète
Que, lorsqu'on se retrouve seul,
Il n'est pas de fierté que l'on ne récupère,
—N'avait plus l'air d'un paysan et d'un grand-père,
Mais d'un seigneur et d'un aïeul.
Le vent du sud soufflait sa brûlante caresse.
Et je suivais ce vieux en murmurant: «Serait-ce?…»
Et, tout d'un coup, je dis:
«Mais c'est!…» Et me mis à courir à travers la campagne,
Pâle de voir que, plus il entrait en Espagne,
Plus le vieil homme grandissait.
Il jeta son béret, hocha sa tête grise;
Puis, comme s'il avait entendu dans la brise
Le nom que je n'avais pas dit,
Il posa sur le sol ses armes en silence,
Se coiffa fièrement du plateau de balance,
Et, se retournant, m'attendit.
Nous étions seuls, tous deux, au milieu d'une lande.
Basse sur l'horizon, la lune était si grande
Que tout prenait un air sorcier.
Et le vieux, dépouillant sa cape paysanne,
M'apparut, sec, vêtu d'une stricte basane,
Et jambé comme un échassier.
Alors, je reconnus sa pauvre soubreveste,
La beauté de son front, la largeur de son geste,
Et la jeunesse de ses yeux.
Et je crus que j'allais trouver des mots sans nombre:
Mais, tremblant, je ne pus que m'incliner dans l'ombre
En disant le nom de ce vieux!
A son nom, il grandit encor, mit sur sa lèvre
Un long doigt sarmenteux qui grelottait de fièvre,
Sourit un peu de mon émoi,
Puis, avec le plus noble et touchant savoir-vivre,
Il ôta gravement sa cymbale de cuivre,
Et me dit: «Eh bien! oui, c'est moi.»
Je vis sa tête, avec l'auréole immortelle
Que lui font, en tournant sans cesse derrière elle,
Les ailes des moulins à vent!
Mais: «Seigneur bachelier…», prononça-t-il, tandis que,
Très digne, il remettait sur sa tête le disque,
Pardonnez à votre Servant
«Si la profession qu'il exerce l'oblige
A demeurer coiffé d'un armet. Armet, dis-je,
Car je doute qu'un bachelier
—Le fût-il de Paris, qui vaut bien Salamanque!—
Prenne un armet auquel la mentonnière manque
Pour l'obscur bassin d'un barbier!»
Il se tut un instant. Puis, parlant par saccades,
En ce langage où la sierra mit ses cascades
Et l'Alhambra ses rossignols:
«Seigneur!…» et je renonce à traduire le flegme,
La morgue qui redonde, et le ton d'apophtegme,
Et les jeux de mots espagnols;
«Seigneur! mon œil vous scrute au moment qu'il vous toise:
Vous n'êtes pas bien grand, mais votre âme courtoise
Est de celles que nous aimons.
Eh bien?… prétendra-t-on encor que j'exagère
Quand je dis que je suis Chevalier Errant?—J'erre
Depuis soixante ans dans ces monts.
«Je les ai parcourus de la Rhune à Vénasque,
Des pays catalans jusqu'à ce pays basque
Dont les pommiers sont pleins de gui.
Là, j'ai des Douze Pairs vu les douze ombres tristes,
Et j'ai causé, du temps des batailles carlistes,
Avec Zumalacarrégui.
«Fredonnant le vieil air des Rois de Pampelune,
Buvant le lait de chèvre et le rayon de lune
Au creux de l'âme et de la main,
Dormant contre la meule où l'on plante une perche,
J'erre, j'erre, Seigneur, dans ces monts où je cherche
Un passage, un col, un chemin!
«Je voudrais les franchir. Car la brise m'apporte
Je ne sais quelle odeur de conscience morte
Que n'aimerait pas Amadis.
Moi qui ne vieillis pas, je sens vieillir l'Europe.
Je devine combien s'épaissit et sirope
Le sang latin, si clair jadis!
«Oui, ce morne géant qu'il faut tuer, ce terne
Caraculiambro de l'époque moderne,
L'Égoïsme, père d'Ennui,
Fait régner sur le monde une nuit si grognonne
Que les coiffes de la duègne Quintagnone
Sont moins noires que cette nuit!
«Je veux franchir ces monts. Je veux, puisqu'il m'oublie,
Aller remettre un peu le siècle à la folie!
Il a besoin de me revoir
Et de reboire une eau qu'il n'a plus guère bue.
Ma lance doit piquer l'humanité fourbue
Pour la pousser à l'abreuvoir!
«Et quant aux vils ruisseaux où l'on se désaltère,
Je dois, dans leur eau grise où roule tant de terre
Qu'ils ne sont jamais lumineux,
Je dois, dans leur eau fade où s'affaiblit la race,
Aller jeter un clou de ma vieille cuirasse
Pour les rendre ferrugineux!
«En vérité, Seigneur bachelier de mon âme,
Je ne suis pas content d'une Europe qui blâme
Les héroïsmes superflus.
Il est temps que j'y entre, et c'est à quoi je pense.
Mais on n'y peut entrer qu'en passant par la France,
Et la France ne m'aime plus!
«Je ne dis pas cela parce qu'elle me raille.
Jadis, elle raillait tendrement ma ferraille.
Elle s'en méfie aujourd'hui.
Des gens, pour nous brouiller, veulent lui faire croire
Qu'un redresseur de torts n'est qu'un chercheur de gloire
Dont le geste au gouffre conduit.
«Ah! je voudrais sortir d'Espagne, où je me ronge,
Pour m'en aller rapprendre au vieux monde le songe,
L'oubli de soi, l'amour féal,
Et la façon dont on se fait des Dulcinées!
Mais, hélas! il y a toujours des Pyrénées
Pour les colporteurs d'idéal!
«Dès qu'elle me verrait j'aurais la France entière.
Et comme on le sait bien, on veille à la frontière;
Et toujours, quand je veux sortir,
Quand, déguisé, baissant le front, je me dépêche,
La grande armure me trahit, que rien n'empêche
De briller ou de retentir!
«C'est en vain qu'enlevant ma chère carapace
Je la mets dans un sac, parfois, pour qu'elle passe,
Ou sous des branches de genêt:
De maudits enchanteurs habitant des guérites
Savent percer de l'œil les formes hypocrites,
Et toujours on la reconnaît!
«Je sais, vous me direz qu'on croit que je trafique.
Que j'exporte une armure ancienne et magnifique
Sans la déclarer!… C'est ainsi
Que toujours, quand le Sort injuste me querelle,
On veut me l'expliquer de façon naturelle.
Mais je ne suis pas fou. Merci!
«Que n'ai-je, pour franchir la douane et sa baraque,
Le zèbre sur lequel chevauchait Muzaraque!
J'aurais vite joué le tour.
Mais je n'ai qu'un ânon. Car Votre Grâce ignore…»
Il s'arrêta. Sa voix soudain fut moins sonore.
«… Que Rossinante est mort, un jour!
«Un jour, on me l'a pris. On m'a fait cette peine.
Et savez-vous la fin que réservait leur haine
A la monture d'un héros?
Elle qu'à voir la mort j'avais habituée,
Elle est morte les yeux bandés!—On l'a tuée
Dans une course de taureaux!»
Une larme coula sur la Triste Figure.
«Voilà pourquoi, Seigneur bachelier, j'inaugure
Une chevalerie à pied,
Mais qui rendrait jaloux Palmerin d'Angleterre;
Et Roland reviendrait qu'il mettrait pied à terre,
Vive Dieu! pour me copier!
«Jusqu'à ce que je puisse à travers ces montagnes
Passer pour aller faire en France des campagnes,
Je jure de ne plus m'asseoir.
Je n'ai plus d'autre but, d'ailleurs. Car Votre Grâce
Ne sait pas…» Et sa Voix soudain devint plus basse.
«… Que Dulcinée est morte, un soir.
«Depuis qu'en son cercueil j'ai disposé sa robe,
Mon existence à moi ne vaut plus une arrobe
De raisin sec de Malaga!
Mais il faut qu'un talon écraseur de couleuvre
Sonne aux chemins du monde. Il faut accomplir l'œuvre
Pour laquelle on vous délégua.
«Je dois rapprendre aux gens des choses en grand nombre!
Car vous ne savez pas…» Sa voix devint plus sombre.
«… Que Sancho vit encore. Il vit!
Celui-là ne meurt pas. Et même il monte en grade.
J'eus tort d'aimer jadis comme un bon camarade
Le gros homme qui me servit!
«On l'a laissé passer, lui qui n'avait pas d'armes!
Tandis que contre moi la peur met ses gendarmes
Qu'elle voudrait qu'on centuplât!
Et partout, à présent, le Pança sur le monde
A si soigneusement roulé sa panse ronde
Qu'à présent, partout, tout est plat!
«Sancho règne! Il raconte en farce mon histoire.
On l'acclame quand il crache dans l'écritoire
De Gid-Hamed-Ben-Engeli.
Sur ses genoux cagneux la Beauté se dégrafe.
Il promulgue sa loi, qui n'a qu'un paragraphe:
«L'enthousiasme est aboli!»
«On ne reconnaît plus le drôle. Il a du linge.
Les ciseaux ont passé dans sa barbe de singe.
Il se lave. On le décrassa.
Il soupe avec des rois chez les femmes superbes.
Il fait des mots au lieu de dire des proverbes.
Mais c'est toujours Sancho Pança!
«Il amuse les gens assez vils pour permettre
Qu'il trahisse à la fois le grand Manchois son maître,
Et son père le grand Manchot!
Mais il tremble toujours, pendant qu'il les fait rire,
De me voir sur le seuil paraître pour lui dire:
«Taisez-vous. Vous êtes Sancho!»
«Il le sait bien, qu'il l'est! C'est ce qui l'importune.
Car on profite mal d'une bonne fortune
Quand on s'en étonne tout bas.
Il sait bien quelles sont les choses éternelles,
Et qu'on peut s'amuser à démoder les ailes:
Les pattes ne voleront pas!
«Mais, hélas! triste et long j'erre sur la colline!
Triste comme une nuit sans bruit de mandoline
Et long comme un jour sans combat!
Je ne peux pas aller interrompre son règne!
Et sans cesse je sens, à mon vieux cœur qui saigne,
Que quelque rêve au loin s'abat!
«Je ne pourrais passer qu'en laissant mon armure!
Mais ce serait faiblir, admettre une entamure.
Mon armure est comme mon nom.
Et j'en irais là-bas prendre une autre, peut-être?
Non, car je rougirais de ne plus reconnaître
La forme de mon ombre! Non,
«Car à sa silhouette on doit rester fidèle!
La mienne me convient si c'est à cause d'elle
Qu'à la sottise je déplus!
Qui me dessinerait un bon harnois de guerre?
Je n'ai pas confiance au goût de l'antiquaire,
Et Gustave Doré n'est plus!
«Ah! pour porter là-bas tout l'attirail en fraude,
Il me faudrait un page, un complice qui rôde,
Par les rocs, le long des ruisseaux…
Veux-tu faire avec moi, fils, de la contrebande?
Puisque pour la passer mon armure est trop grande,
Nous la passerons par morceaux!
«En un pareil combat la ruse est exemplaire!
Il ne laisserait pas, Seigneur, de me déplaire
Que Votre Grâce me blâmât
D'oser requérir d'elle une souplesse adroite,
Car tout le monde sait que j'ai l'âme aussi droite
Qu'un fuseau de Guadarrama!
«Ce n'est qu'un rôle obscur qu'ici je vous propose.
Mais, Seigneur, vous aurez à quelque grande cause
Peut-être un service rendu
Quand, passé par tronçons que nul n'aura vu luire,
On verra tout d'un coup, là-bas, se reconstruire
Un paladin inattendu!
«Si vous faites cela pour la moustache blanche
Du Très Ingénieux Hidalgo de la Manche,
Si vous me consacrez un peu
De cette jeune ardeur que le ciel vous octroie,
Je jure, bachelier, qu'avec bien plus de joie
Vous regarderez le ciel bleu!
«Allons, donne ta main! A moi tu t'affilies!
Quoi? Tu ne sais, dis-tu, que chanter des folies
Et cueillir les fleurs du buisson?
Chante, et cueille des fleurs d'un air de nonchalance!
On peut dans un bouquet passer un fer de lance,
Un signal dans une chanson!
«Voici l'heure! La nuit paillette sa basquine!
Mes armes, qu'un reflet d'étoiles damasquine,
Sont là, d'argent, d'or et d'airain!
A quoi fais-tu passer aujourd'hui la frontière?
Veux-tu le soleret? Veux-tu la cubitière?
Ou bien veux-tu le gorgerin?»
Il ouvrait ses longs bras à l'immense envergure!
J'hésitais… Mais je vis sur la Triste Figure
Une telle déception Que:
«Perle de l'honneur! Miroir de la bravoure!»
M'écriai-je, en prenant un air d'Estramadoure,
«A votre disposition!»
—«Choisis donc!…» Un rayon toucha comme un doigt pâle
Le plateau de balance—ou la vieille cymbale—
Ou l'espèce d'astre échancré,
La chose qui luisait sur le crâne fantasque,
L'objet plat comme un plat, martelé comme un casque,
Fourbi comme un vase sacré!
Et je dis: «Par le cor de Roland! par la griffe
De Pantafilando! par le bonnet d'Alquife
Et par l'âme de Galaor!
Je choisis—car la seule illusion m'enivre,
Et l'objet qui de tous était le plus en cuivre
Pour moi sera le plus en or!—
«Je choisis, Chevalier, ce qui, de ton armure,
A soulevé le plus de rire et de murmure!
C'est ton armet. Donne-le-moi!
Puisque tu l'as couvert d'un ridicule immense,
Il convient que ce soit par lui que je commence!
Je n'ai pas peur. Et j'ai la foi.
«Je jure que ceci n'est pas un plat à barbe!
Donne!» Et le long des rocs tout fleuris de joubarbe
Dont parfois j'arrachais un brin,
Le soir même, furtif, et de ma veste brune
L'empêchant d'accrocher quelque rayon de lune,
J'emportais l'armet de Mambrin!
Et depuis lors, dans l'ombre où passe un vent morisque,
Intéressé par l'œuvre, égayé par le risque,
Je suis toujours sur le sentier;
Je cueille des bouquets, je marche, je m'arrête,
Et je chante… Et je dis que je suis un poète;
Mais je suis un contrebandier.
Frontière d'Espagne, 189…
TABLE
IMPRIMÉ
PAR
PHILIPPE RENOUARD
19, rue des Saints-Pères
PARIS
PHILIPPE RENOUARD
19, rue des Saints-Pères
PARIS
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