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Les Phénomènes Psychiques Occultes: État Actuel de la Question

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The Project Gutenberg eBook of Les Phénomènes Psychiques Occultes: État Actuel de la Question

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Title: Les Phénomènes Psychiques Occultes: État Actuel de la Question

Author: Albert Coste

Release date: May 30, 2013 [eBook #42852]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES OCCULTES: ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

La page de couverture, créée expressément pour cette version électronique, a été placée dans le domaine public.

LES PHÉNOMÈNES
PSYCHIQUES OCCULTES
ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION

LES PHÉNOMÈNES
PSYCHIQUES OCCULTES
ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION

PAR
le Dr Albert COSTE

DEUXIÈME ÉDITION
REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE

Les possibilités de l'Univers sont infinies comme son étendue physique.

O.-J. Lodge.

Nous sommes si éloignés de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d'action, qu'il serait peu philosophique de nier l'existence de phénomènes, uniquement parce qu'ils sont inexplicables dans l'état actuel de nos connaissances.

Laplace.

MONTPELLIER
CAMILLE COULET, LIBRAIRE-ÉDITEUR
5, Grand' Rue, 5
PARIS
G. MASSON, LIBRAIRE-ÉDITEUR
Boulevard Saint-Germain, 120


1895

PRÉAMBULE

Qu'entend-on par «Phénomènes psychiques occultes?»

Ce sont des phénomènes contraires, en apparence, à toutes les lois connues de la nature, inexplicables par les données actuelles de la Science, et qui se produisent, tantôt spontanément, tantôt par l'intermédiaire de certaines personnes.

On le voit, ce terme de Phénomènes psychiques occultes n'est que la dénomination scientifique de ce qui s'était appelé jusqu'ici le Merveilleux et le Surnaturel.

Or, ces phénomènes ont-ils une existence réelle, objective, en dehors de toute hallucination, de toute supercherie?

Nous n'hésitons pas à répondre, avec M. le Professeur Charles Richet:

«Nous avons la ferme conviction qu'il y a, mêlées aux forces connues et décrites, des forces que nous ne connaissons pas; que l'explication mécanique, simple, vulgaire, ne suffit pas à expliquer tout ce qui se passe autour de nous; en un mot, qu'il y a des phénomènes psychiques occultes, et si nous disons occultes, c'est un mot qui veut dire simplement inconnus[1]

Et maintenant, nous allons tâcher de prouver ce que nous venons d'affirmer.

LES PHÉNOMÈNES
PSYCHIQUES OCCULTES


INTRODUCTION

Il y a seulement une dizaine d'années, la soutenance, devant une Faculté de médecine, d'une thèse sur les Phénomènes psychiques occultes, autrement dit presque un Essai d'officialisation du Merveilleux[2], aurait été une tentative impossible.

A cela, plusieurs causes:

D'abord, il faut bien l'avouer, la répugnance singulière dont tous—même les meilleurs cerveaux—nous sommes plus ou moins dupes envers ce qui dérange nos habitudes mentales, ce que Lombroso a nommé le Misonéisme.

Ensuite, l'immense discrédit, la réputation plus que suspecte dont «jouissait», depuis la fin du siècle dernier, tout ce qui, de près ou de loin, touchait au Surnaturel.

Enfin, et c'est ici le motif principal—sa suppression devant entraîner celle de tous les autres—l'indigence où se trouvait la doctrine occulte de ce qui peut susciter et justifier un intérêt scientifique sérieux, c'est-à-dire des faits d'observation exacte, méthodique, en nombre suffisant, étudiés et garantis par des expérimentateurs impartiaux, rompus à tous les secrets de la véritable méthode scientifique.

L'histoire du Merveilleux offre cette particularité qu'après avoir, sous des formes diverses, joué dans l'évolution mentale de l'homme un rôle considérable, non seulement ses origines et son essence, mais encore son existence elle-même, ont été, jusqu'à nos jours, l'objet de débats passionnés: croyances fanatiques ou négations irréductibles.

Et cela s'explique aisément par ce fait que, chez l'homme, la notion du surnaturel affecte cette partie de son âme qui est à la fois la plus impressionnable et pour lui la plus chère: ses sentiments qu'elle exalte ou qu'elle accable, ses croyances que, pour une bonne part, elle détermine.

Il est donc probable que nous saurions depuis longtemps à quoi nous en tenir sur ce qu'il faut croire des phénomènes du Merveilleux, si les considérations d'ordre politique, religieux, sentimental ou même simplement esthétique et littéraire, ne s'étaient opposées à leur étude désintéressée.

Il est probable que, sans ces scrupules de divers genres, auxquels se joint encore la crainte d'être dupe, le Surnaturel sorti du domaine de l'empirisme, à l'exemple des sciences positives, formerait maintenant une branche de l'une de ces sciences: Physique ou Psycho-physiologie.

A moins que, affirmant d'éclatante façon sa nature supraterrestre, il n'ait—souhaitable et inespéré bienfait—assuré à l'âme humaine l'indestructible soutien d'une indiscutable Foi.

Or, de nos jours, grâce à un mouvement spécial d'idées, de croyances et de sentiments, sorte de réaction à laquelle on a voulu donner le nom de Nouveau Mysticisme[3], on peut, sans crainte de susciter trop de colères ou des oppositions systématiques, se pencher de nouveau sur les mystères du Surnaturel, sur ces phénomènes étranges, dont on parle depuis l'origine de l'homme, et qui, heurtant violemment nos habitudes d'esprit, ont, par excellence, le don d'exciter, d'irriter même la curiosité.

On a d'autant plus de titres à le faire que la Science, armée de ses instruments de précision, s'est enfin décidée à s'occuper de ces faits absurdes en apparence et contraires à toutes les lois qu'elle a établies jusqu'ici; elle a commencé, à leur sujet, une enquête qui, espérons-le, va permettre de faire un peu de jour en cet obscur fouillis du Merveilleux.

Comme le dit M. Paulhan dans la substantielle étude qu'il a consacrée aux hallucinations véridiques[4]: «Faire entrer le Merveilleux dans la science, ce serait satisfaire à la fois notre goût, jamais dompté pour le Merveilleux, et notre respect toujours croissant pour la Science. C'est ce que l'on essaie de faire, et cette application des méthodes exactes et précises à des sujets qui paraissaient ne relever que de la Foi est un des caractères importants et originaux de notre science psychologique. Nous ne voulons plus nous contenter, pour nier ou pour croire, d'impressions personnelles ou de raisons instinctives et vagues.»

Et cette hardiesse dans l'investigation de l'Au-delà est d'autant plus légitime qu'il serait du fait d'une étroite présomption de regarder, comme déjà connues et désormais enfermées dans les catégories de nos sciences, toutes les modalités de la Force et de la Matière. Qui pourrait soutenir que, dans notre terrestre atmosphère, n'agissent pas—dissimulées et pourtant puissantes—des forces échappant à tous nos concepts? Serait-il donc absurde de supposer des états de la matière différents de ceux dont nos sens ont la notion familière?

Absurde au contraire serait la négation a priori, en ce temps où les applications des données de la Science ont possibilisé l'Invraisemblable.

N'est-ce pas ici ou jamais le lieu de se rappeler la prudence intellectuelle de Montaigne: «La raison m'a instruit que de condamner ainsi résolûment une chose pour faulse et impossible, c'est se donner l'advantage d'avoir dans la teste les bornes et limites de la volonté de Dieu et de la puissance de notre nature, et qu'il n'y a point de plus notable folie au monde que de les ramener à la mesure de notre capacité et suffisance.»

Quelles seront maintenant les conséquences de cette enquête scientifique? Nul ne saurait le dire d'une façon certaine. Pour notre compte, nous les prévoyons nombreuses et graves et capables de provoquer d'inattendus et singuliers bouleversements dans l'Ame contemporaine...

Quoi qu'il en soit, cette tardive mais louable curiosité de la Science pour les inquiétantes énigmes de l'Occulte aura peut-être, entre autres résultats imprévus, celui de dissiper bien des erreurs, bien des calomnies, dont furent victimes ces sciences d'un autre âge: Magie, Alchimie, Kabbale, etc., qui, toutes, faisaient de l'existence des forces occultes de l'homme et de la nature comme la base de leurs enseignements.

Dans les pages suivantes, nous négligerons ce côté de la question, ainsi que tous ceux du même genre, pour nous en tenir exclusivement aux résultats positifs que l'enquête, commencée par des hommes d'une intelligence aussi amplexive que courageuse, a donnés jusqu'ici.

Ce travail n'a d'autres prétentions que d'être, pour ainsi dire, le procès-verbal de l'état actuel de la question, car, on ne saurait trop le répéter, il est désormais acquis que la question du Merveilleux existe et que son étude s'impose.

Par malheur pour nous, malgré une expérimentation de deux années, nous n'apportons en ces matières aucune lumière nouvelle. Les résultats que nous avons obtenus, quoique non négligeables et même encourageants, ne nous ont pas semblé accompagnés de suffisantes garanties de contrôle pour que nous les puissions admettre.

C'est qu'ici l'expérimentation est encore plus délicate, plus épineuse que partout ailleurs. Les causes d'erreur sont infiniment multiples et elles ne sont pas seulement extérieures à l'observateur; il les porte aussi en lui-même: en tous ses sens que peuvent abuser de multiples hallucinations, en son cerveau que des suggestions puissantes ou simplement de séduisantes analogies peuvent entraîner à d'erronées conclusions. On ne les compte plus ceux qui, en ces régions périlleuses, ont déjà perdu pied. Aussi, ne saurait-on trop insister sur l'absolue nécessité, en Psychologie occulte, d'une méthode rigoureuse; ce n'est pas sur la seule production des Phénomènes que doit s'exercer le contrôle de l'observateur, c'est encore et surtout sur le témoignage de ses propres sens.

Et qui sait même si les méthodes scientifiques normales sont applicables à de pareilles recherches?

Comme se le demande M. le professeur Richet, si nous n'avançons pas davantage dans cette étude hérissée de tant d'obstacles, «qui sait si ce n'est pas la méthode d'investigation elle-même qui est à trouver[5]

Une des objections que l'on entend le plus fréquemment formuler contre la réalité des faits de Psychologie occulte, «c'est qu'il est impossible de les reproduire à volonté.» Nous avouons qu'elle nous a toujours paru un peu naïve. En effet, est-ce que la moindre expérience de physique ou de chimie n'exige pas, pour réussir, toute une série de conditions spéciales, à défaut desquelles elle échoue fatalement? Or, notre ignorance des conditions nécessaires et suffisantes pour la production des Phénomènes occultes est à peu près complète; nous ne savons qu'une chose: c'est qu'elles sont encore plus délicates, plus difficiles à réaliser intégralement que celles de n'importe quels autres phénomènes; un rien suffit à les contrarier. Dès lors, comment pourrions-nous, en Psychologie occulte, reproduire, à volonté et à coup sûr, telle ou telle expérience? Notre tâche est justement la recherche et la détermination exacte des conditions des Phénomènes, de l'atmosphère nécessaire à l'expérience, pour ainsi dire. Et pour l'instant, elle est suffisante.

Ceci dit, nous allons exposer d'abord un résumé de l'histoire du Merveilleux, histoire précieuse pour nous, surtout en ce qu'elle montre comment des faits, dont on faisait l'apanage du Surnaturel, sont parvenus, sous le nom d'Hypnotisme, à se faire admettre par la Science officielle, préparant ainsi la voie à d'autres....

«Est-ce à dire en effet, ainsi que l'écrit M. Charcot, que nous connaissions tout dans ce domaine du Surnaturel qui voit, tous les jours, ses frontières se rétrécir sous l'influence des acquisitions scientifiques? Certainement non. Il faut, tout en cherchant toujours, savoir attendre. Je suis le premier à reconnaître, avec Shakespeare, «qu'il y a plus de choses dans le Ciel et sur la Terre qu'il n'y a de rêves dans votre philosophie[6]

Ensuite, nous examinerons séparément chaque classe de Phénomènes psychiques occultes, en ayant soin de choisir les observations les plus caractéristiques, les plus propres à fournir les éléments d'une opinion raisonnée.

Quant à ce qui est des théories explicatives, nous nous bornerons à exposer brièvement celles des autres. Pour nous, persuadé que les faits dont nous allons nous occuper ne peuvent encore comporter l'ombre d'une théorie qui ne soit prématurée, nous nous abstiendrons sagement de toute tentative de ce genre.

«Tâchons de constater des faits. Les théories viendront plus tard, et, hélas! elles ne feront pas défaut[7]

Ne réussirions-nous, par ce système d'exactitude positive, à faire naître chez nos lecteurs, non pas la conviction—nous ne visons pas si haut,—mais seulement une sorte de doute, plutôt contraire à la négation a priori, une sorte d'état réceptif plutôt favorable à l'objet de nos études, que nous nous estimerions satisfait.

A cet égard, nous ne saurions mieux faire, en terminant ces quelques lignes d'avant-propos, que de citer les paroles suivantes de M. de Rochas:

«Nous ne demandons certes pas une foi aveugle, mais seulement une foi provisoire équivalente à celle qu'on accorde aux historiens, aux voyageurs, aux naturalistes, pour les faits dont ils ont été les témoins et qu'ils peuvent, comme nous, avoir mal vus ou mal interprétés, ainsi que pour les récits rapportés d'après les indigènes, qui ont pu se tromper ou les tromper, comme nos sujets peuvent s'halluciner ou nous induire en erreur.

»Qu'on n'exige pas des preuves absolues, irréfutables; il ne saurait y en avoir pour des phénomènes qui ne dépendent pas de nous ou qui ne se produisent que dans des circonstances non encore déterminées.

»Celui qui rejette a priori nos observations ressemble à l'homme qui nierait César parce qu'il ne l'a pas vu, l'électricité parce qu'il n'a pu tirer une étincelle de la machine par un temps humide, l'harmonie parce que son oreille est incapable de discerner une consonance d'une dissonance[8]

COUP D'ŒIL SUR L'HISTOIRE
DU MERVEILLEUX

Dans ce résumé historique, nous passerons rapidement sur le Merveilleux dans l'Antiquité et au Moyen-Age, non pas que les documents fassent défaut, mais ils n'ont pas encore été soumis à une critique suffisante pour que nous les puissions faire figurer dans ce travail qui, répétons-le, ne doit et ne veut admettre que des faits donnant prise le moins possible aux objections du doute.

Nous l'avons dit, le Merveilleux est aussi vieux que l'homme et il est «un aliment, si nécessaire à l'esprit humain» que son intervention figure dans les œuvres initiales de toutes les littératures, depuis les livres sacrés et les épopées de l'Inde, jusqu'aux Sagas scandinaves[9].

Cette intervention est essentiellement polymorphe: tantôt ce sont des êtres d'essence supérieure à celle de l'homme, ou tout au moins différente (dieux, anges, démons, génies de toute espèce et en nombre incalculable), qui interviennent de façon miraculeuse dans les destinées de l'humanité; tantôt, au contraire, ce sont des créatures humaines qu'une faculté spéciale et une initiation mystérieuse ont douées de pouvoirs surhumains, dont elles usent pour le bien ou pour le mal des hommes (mages, thaumaturges, sorciers, etc., etc.). C'est ainsi que l'histoire du Merveilleux touche d'un côté à celle des religions, de l'autre à l'histoire des occultes (Magie, Alchimie, Kabbale, etc.).

Comme notre but n'est d'étudier que le Surnaturel qui se manifeste par un agent humain, nous allons nous attacher uniquement aux personnages que la tradition nous montre revêtus de pouvoirs extraordinaires, et nous citerons, de préférence, les faits qui auront plus d'analogie avec ceux que l'on peut observer de nos jours.

Notons encore ceci, qui, pour nous, offre un intérêt spécial, c'est que de tout temps, depuis les formules magiques des sanctuaires d'Asclépios[10] jusqu'au baquet de Mesmer, en passant par les onguents sympathiques de Paracelse et la cure magnétique des plaies de Van Helmont, le Merveilleux a été considéré comme un des agents les plus actifs, les plus précieux de l'art de guérir.

L'Inde a toujours été, et elle l'est encore de nos jours, la terre d'élection du Surnaturel. C'est là que, d'après les travaux des occultistes contemporains dont nous parlerons plus loin, aurait pris naissance la Science occulte, c'est-à-dire un corps de doctrine qui, entre autres enseignements, affirme l'existence d'une force spéciale et mystérieuse, inhérente au corps humain et aux autres corps de la nature. Elle dériverait d'une Force unique, sorte de «fluide et de vibration perpétuelle», à la fois «substance et mouvement»; et c'est à elle que seraient dus tous les phénomènes d'apparence surnaturelle.

Des sanctuaires indiens, où les thaumaturges la tenaient secrète, cette Science ésotérique, mère de toutes les sciences occultes, serait passée d'abord en Chaldée, dans les temples de Mithrâ, puis en Égypte, dans ceux d'Osiris et d'Isis; et l'on peut lire dans Jamblique, Porphyre et Apulée, le très curieux récit des épreuves physiques et morales auxquelles étaient soumis les adeptes, lors de leur initiation.

Tous les grands réformateurs religieux ou philosophes auraient été initiés[11] à la doctrine occulte, et Moïse lui-même en aurait enfermé l'essence dans la Genèse. La Kabbale, avec ses deux livres fondamentaux, le Sepher Iesirah et le Zohar, ne serait que la clé qui permettrait de découvrir, sous le sens ordinaire, sous le sens littéral de la Bible, la signification secrète[12].

Toutefois, au point de vue exclusivement positif et scientifique qui est le nôtre, nous sommes mal renseignés sur les miracles que pouvaient produire les thaumaturges de l'Inde, de la Chaldée, de l'Égypte, etc. On n'a qu'à lire les très savants ouvrages d'Eusèbe Salverte et de M. de Rochas, pour voir que beaucoup de ces prétendus miracles n'étaient dus qu'à la connaissance anticipée, et tenue soigneusement cachée, de quelques lois de nos sciences positives. Il n'y aurait rien d'étonnant, cependant, à ce que des hommes qui consacraient leur vie à l'étude des forces occultes de l'organisme humain et de la nature ne fussent arrivés à des résultats dont nous commençons à peine à entrevoir la possibilité.

Dans l'Antiquité grecque et latine, on connaît les prêtres et les devins qui prédisaient l'avenir, les pythonisses qui rendaient des oracles, en s'agitant sur leur trépied, les sibylles qui, elles, prophétisaient avec calme, sans convulsions.

En général, on ne sait pas assez à quel point les Grecs étaient superstitieux[13]; pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire les récits d'Hérodote: ce ne sont que prodiges plus merveilleux les uns que les autres, si merveilleux même que, quelquefois, l'auteur se refuse à les croire.

On lira aussi, dans Théophraste, le portrait, qui ne paraît pas trop chargé, de l'Athénien superstitieux[14].

Les plus célèbres thaumaturges furent d'abord Pythagore, l'auteur des Vers Dorés; il avait été initié, dans l'Inde, à la doctrine occulte; il était, paraît-il, visité par les dieux, il savait se faire écouter des bêtes, etc. Un jour, par la seule force de sa volonté, il aurait arrêté le vol d'un aigle!... Puis viennent Apollonius de Thyane et Simon le Magicien, deux initiés eux aussi.

«Apollonius, comme le dit M. Chassang[15], a été, de son vivant même, non seulement honoré comme un sage, mais redouté par les uns comme un magicien, adoré par les autres comme un dieu, ou tout au moins vénéré comme un être surnaturel.»

Parmi bien d'autres faits miraculeux que raconte avec complaisance son biographe Philostrate, on voit qu'il put prédire d'Éphèse, en Asie-Mineure, où il se trouvait, l'assassinat de l'empereur Domitien, à Rome, à l'instant où cet assassinat se produisait. Une autre fois, il fut transporté subitement de Smyrne à Ephèse, etc., etc.

Quant à Simon de Samarie, dit le Magicien, non seulement il fut aussi adoré comme un être divin par le peuple et le Sénat de Rome, mais plusieurs Pères de l'Eglise, et saint Justin entre autres, ne sont pas éloignés de le considérer, eux aussi, comme un dieu. Cependant, tous les Pères ne sont pas à ce point favorables au célèbre magicien, et l'on sait que ce fut, grâce aux prières de saint Pierre, que le thaumaturge fut précipité du haut des airs, où il s'était élevé «par la puissance de deux démons». Les miracles qu'on lui attribue sont innombrables: il crée des statues qui ont la propriété de marcher; il change les pierres en pain. Enfin, un jour, il dirige la foudre sur le palais de Néron.

D'ailleurs, pendant le siècle où vécut cet homme et pendant ceux qui suivirent, à cette époque si confuse qui vit l'agonie du Paganisme, le triomphe du Christianisme, et où pullulèrent les sectes hérésiaques[16], toutes les sciences occultes, toutes les pratiques de la superstition la plus vulgaire furent en grand honneur. Alors, déjà, on parlait des tables tournantes et des esprits frappeurs. Tertullien, au milieu du IIe siècle, affirmait, devant le Sénat romain, l'existence de la divination[17] par les tables, et il en parlait comme d'une pratique courante. A la fin du IVe siècle, c'est Ammien Marcellin qui nous conte l'histoire de deux païens, Patricius et Hilarius, accusés de magie, pour avoir recouru à la divination par les tables et par l'anneau suspendu, telle que la pratiquent encore les modernes spirites.

Quant aux esprits frappeurs, c'est pour eux qu'a été faite la prière suivante, qu'on lit dans les anciens rituels de l'Eglise: «Mettez en fuite, Seigneur, tous les esprits malins, tous les fantômes et tout esprit qui frappe (spiritum percutientem[18].

Pendant les premiers siècles de notre ère, nous trouvons, comme dépositaires de la doctrine occulte, et par conséquent comme faiseurs de miracles, les Gnostiques, les Néo-Platoniciens de l'Ecole d'Alexandrie, chez lesquels, depuis Plotin jusqu'à Proclus, la philosophie s'associait aux pratiques de la théurgie, de l'évocation des esprits, etc.[19].

Porphyre raconte que Plotin, séparé de lui, sentit cependant l'intention où était son disciple de se donner la mort.

Au Moyen-Age, les diverses sciences occultes, Magie, Alchimie, Kabbale, ont, quoique mal vues par l'Eglise, de nombreux et brillants représentants. Et ici, nous passerons plus rapidement encore sur les théories et les pouvoirs surnaturels des Albert le Grand, des Raymond Lulle, des Nicolas Flamel, des Paracelse, des Van Helmont, etc., etc.

L'enquête commencée sur eux par quelques esprits curieux et impartiaux est de date encore trop récente[20]. Contentons-nous de dire que, lorsqu'on aura bien voulu vérifier, en les rapprochant des résultats obtenus par la science moderne, les enseignements de ces maîtres d'autrefois, on sera forcé de rendre justice, sur ce point comme sur bien d'autres, à ce grand Moyen-Age, souvent méconnu par la pédante et partiale incompréhension de notre époque.

Au XVIe et au XVIIe siècle, la croyance au Surnaturel était universelle en Europe. Jamais temps ne comptèrent plus de sorciers de toute sorte, plus de possessions démoniaques et d'exorcismes. Alors les «juges civils admettent la sorcellerie et la magie comme des faits indubitables, qu'ils ne songent pas même à expliquer autrement que par l'action du démon»[21].

Citons seulement, pour mémoire, l'affaire des Ursulines de Loudun, dont fut victime Urbain Grandier, celle des paysans du Labourd. Ajoutons aussi, à titre de curiosité, que Descartes, le sceptique le plus déterminé en apparence, tomba plusieurs fois en extase, alors qu'il avait 24 ans; dans l'une d'elles, il entendit une explosion, il vit «des étincelles briller par toute la chambre»; il perçut une voix du Ciel qui lui promettait de lui enseigner le vrai chemin de la science, etc.

A la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, nous rencontrons un grand nombre de théosophes, de visionnaires, de mystiques, d'illuminés, etc. C'est l'époque où les petits pâtres protestants, en proie à un alluminisme extatique, prophétisent dans les Cévennes; où les Convulsionnaires jansénistes invoquent les prodiges accomplis sur le tombeau du diacre Pâris; où, d'un autre côté, Jacques Aymar, Mlle Olivet, Mlle Martin, font des miracles au moyen de la baguette divinatoire, tandis que l'abbé Guibourt célèbre la messe noire[22].

Parmi les mystiques de cette époque, on distingue surtout Mlle Bourignon et Mme Guyon. Celle-ci, la malheureuse amie de Fénelon[23], prétendait être en communion avec les saints, avait des visions, jouissait du vol d'esprit et de l'extase, opérait des cures merveilleuses, etc. Ainsi que le dit M. Matter[24], «sa vie offre un ensemble de phénomènes psychologiques d'un intérêt infini et dignes d'une étude sérieuse.» Ajoutons qu'à notre connaissance, cette étude n'a pas été faite et que Mme Guyon attend encore un historien impartial.

Le plus illustre des théosophes du XVIIIe siècle est le Suédois Swedenborg (1688-1772), savant, philosophe, écrivain, qui, après une brillante carrière scientifique, eut, à l'âge de 56 ans, à Londres, une vision qui changea complètement l'orientation de ses idées et de sa vie. Dès lors, il dit adieu à la science et, en proie à une sorte d'illuminisme poétique, fonda une religion nouvelle, qui s'éloigne du luthéranisme, encore plus du catholicisme, et qui est du «mysticisme tout pur»[25]. Cette doctrine du Nouvel Avènement eut bientôt d'innombrables adeptes.

Pour nous, nous n'avons qu'à retenir que Swedenborg prétendait conférer avec les patriarches, les prophètes, les philosophes de l'Antiquité, que son âme pouvait, à travers toute distance, se mettre en contact avec celle de ses adeptes, que, de Gothembourg, il vit l'incendie de Stockolm, qu'enfin il prédit le moment exact de sa mort, etc.[26].

Malgré son éducation scientifique—il s'était notamment occupé d'anatomie et de minéralogie,—Swedenborg, comme tous les théosophes dont nous avons cité les noms, n'avait jamais songé à rapporter aux forces de la nature la cause des prodiges qu'il produisait ou dont il était témoin.

Pour tous ces mystiques, ces miracles étaient produits par des puissances divines, par de bons ou de mauvais esprits, par les âmes des morts, etc.

Mesmer, le premier, quoique hanté, lui aussi, de préoccupations mystiques, essaie de rapporter à une cause un peu plus naturelle la production de ces phénomènes. Dans sa thèse intitulée: De l'influence des astres, des planètes, sur la guérison des maladies, le médecin allemand prétendait «que les corps célestes exercent, par la force qui produit leurs attractions mutuelles, une influence sur les corps animés, spécialement sur le système nerveux, par l'intermédiaire d'un fluide subtil qui pénètre dans tous les corps et qui remplit tout l'univers». C'est ainsi qu'il fonde la doctrine du Magnétisme animal, doctrine qui, en réalité, n'était point nouvelle. Sans remonter aux théories des anciens orientaux, dont nous avons parlé plus haut, on en trouve des traces très nettes dans Paracelse, Burgraëve, le Père Kircher, etc.[27].

On connaît l'existence accidentée de l'inventeur du fameux «baquet» et les pratiques charlatanesques auxquelles il eut recours pour attirer la clientèle; ce furent elles qui jetèrent tant de discrédit sur les théories du Magnétisme animal. Pourtant, ainsi que le dit M. Bernheim[28], «tout n'était pas nul dans les folles et orgueilleuses conceptions du Mesmerisme». Pour en donner une idée, citons seulement cette proposition de Mesmer:

«On trouve, dit-il, dans le corps humain, des propriétés analogues à telles de l'aimant, on y distingue des pôles également divers et opposés»[29].

Voilà mentionnée la polarité humaine, retrouvée de nos jours par Reichenbach[30], Durville, Chazarain, de Rochas, etc.

Nous avons dit, au début de cet aperçu historique, que l'un des caractères essentiels du Merveilleux était son polymorphisme. C'est cette grande variété dans ses modes de manifestation qui rend son histoire confuse et difficile à exposer, surtout lorsqu'on arrive à la fin du siècle dernier et au nôtre. Alors, en effet, l'attention est sollicitée par une foule de noms divers qui la déconcertent: Occultisme, Magie, Magnétisme, Somnambulisme, Hypnotisme, Spiritisme, etc., etc.

Disons donc, pour fixer les idées, qu'au XVIIIe siècle, Mesmer, ayant fait connaître au grand public, sous le nom de Magnétisme animal, une partie des phénomènes que, seuls jusqu'alors, connaissaient et revendiquaient les adeptes des sciences occultes, on peut distinguer, dans l'histoire du Merveilleux, deux courants:

D'un côté, les diverses écoles d'occultisme et les sociétés secrètes, Rose-Croix, Hermetistes, continuent l'antique tradition.

De l'autre, le Magnétisme animal évolue, à travers bien des fortunes diverses, du Mesmerisme jusqu'au moderne Hypnotisme.

Or, nous n'étudions ici que des phénomènes qui, tout en ayant peut-être quelque lien caché avec ceux de l'Hypnotisme, en sont pourtant tout à fait différents.

C'est pourquoi nous rappellerons seulement que le Magnétisme animal, perfectionné en quelque sorte par le marquis de Puységur, qui découvre le somnambulisme provoqué par le baron du Potet, l'inventeur du miroir magique, et par bien d'autres encore, ne put cependant se concilier la faveur des corps savants. Bien au contraire, après un nombre infini de recherches, de discussions, de rapports, l'Académie de médecine de Paris conclut, en 1837, à sa négation entière, absolue. Mais on sait comment son étude, reprise par l'Anglais Braid, qui lui donna le nom d'Hypnotisme, continuée par Azam, par Durand de Gros[31] (un adepte de la première heure, dont on ne saurait trop rappeler l'active et courageuse propagande), aboutit enfin aux beaux travaux des Liebeault, des Charcot, des Richet, des Grasset, des Bernheim et d'une foule d'autres auteurs.

Dès lors, le Magnétisme animal, sous son nom nouveau d'Hypnotisme, est définitivement admis et triomphe avec éclat.

On peut donc dire que des phénomènes que l'on attribuait en propre au Merveilleux viennent de se faire reconnaître par la science officielle.

Or, notre travail se propose de montrer qu'à la suite d'autres chercheurs qui, dans la région du Mystère, ont voulu pousser plus loin que l'hypnotisme, cette même science officielle va, sans doute, être forcée d'admettre aussi les autres modalités du Surnaturel, celles qui formaient jusqu'ici l'apanage des Sciences occultes, Magie, Kabbale, Alchimie, etc.

Mais, au préalable, un mot sur ces dernières.

Nous avons dit que, d'après les occultistes, l'initié Moïse aurait renfermé, dans les deux livres fondamentaux de la Kabbale, le Sepher Iesirah et le Zohar, l'essence de l'antique doctrine ésotérique de l'Orient. Or, la transmission jusqu'à nous de cette doctrine se serait faite par les diverses écoles d'occultisme qui, toutes, dérivent de la Kabbale, et, par conséquent, de l'Esotérisme de l'antiquité.

Comme lui, en effet, toutes reposent sur un même principe: l'existence d'un Agent unique universel, d'une Force fluidique, origine de toutes choses et à qui elles ont donné les noms les plus divers. C'est l'Od des Hébreux, l'Aour des Kabbalistes, le Mercure universel de l'Alchimie, la Lumière astrale des Mages[32].

De même, tous les occultistes professent, et ceci nous intéresse spécialement, que l'une des modalités de cette Force unique est inhérente à l'organisme humain et aux autres corps de la nature; elle est mystérieuse, le plus souvent à l'état latent, mais peut, dans certains cas et sous certaines conditions, donner lieu à des phénomènes inexplicables par les données ordinaires de la science, tels que le soulèvement spontané du corps au-dessus du sol ou Lévitation, les mouvements d'objets matériels sans cause appréciable, la transmission de la pensée à distance, les apparitions, etc.

Pour les Mages, cette force est le Corps astral, troisième principe de l'homme, sorte d'intermédiaire entre l'âme et le corps organique[33].

Pour Mesmer, c'est le Fluide magnétique; nous verrons plus loin que, pour la Science, c'est la Force psychique. Les personnes qui l'émettent en quantité sont les médiums.

Enfin, tous les occultistes, après avoir affirmé la persistance du Moi conscient après la mort et même la réincarnation, admettent l'existence d'Êtres invisibles, d'essence trop subtile pour être perceptibles à nos sens, en un mot d'Esprits, qui sont de plusieurs hiérarchies. La Magie les distingue, suivant leur rang, en: «1o Élémentals, forces inconscientes des Éléments; 2o Élémentaires, restes des défunts; 3o Larves, vestiges vitaux des morts-nés, des suicidés, incessamment guidés par des désirs inassouvis.»

Ajoutons que tous les initiés, quels qu'ils soient, Mages, Kabbalistes, Alchimistes, prétendent pouvoir, au moyen de leur volonté exaltée par des pratiques cérémonielles spéciales, exercer une action puissante sur toute cette population de l'Invisible et posséder ainsi des pouvoirs inconnus des autres hommes. Aussi, toutes les Écoles accordent-elles, dans leur enseignement, la première place au développement et, pour ainsi dire, à l'entraînement de la volonté[34].

Nous n'avons fait que nommer les plus grands occultistes du Moyen-Age, Albert le Grand, Raymond Lulle, Nicolas Flamel, etc., l'enquête commencée sur leurs théories et leurs pouvoirs extraordinaires étant encore loin d'être suffisante.

Au XVIIIe siècle, tandis que Mesmer jetait les pratiques du magnétisme en pâture au public, l'occultisme eut pour adeptes les membres de diverses sociétés secrètes: Templiers, Rose-Croix, Hermetistes; puis le Mystérieux: Comte de Saint-Germain, Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu, fondateur de la secte des Martinistes[35], Cagliostro, etc.

Au commencement de ce siècle, après l'époque troublée de la Révolution et de l'Empire, vers 1820, la Science occulte renaît partout, et l'on doit reconnaître que les diverses Ecoles sont représentées par des hommes de grande et originale valeur, quoique tenus à l'écart par les Académies[36].

Ce sont le Polonais Hœne Wronsky, mathématicien et kabbaliste, Fabre d'Olivet[37], auquel nous devons la restitution presque entière des Sciences enseignées dans les Sanctuaires de l'Inde et de l'Egypte, Eliphas Lévy[38], le plus savant de tous les occultistes contemporains, Louis Lucas[39], disciple des alchimistes, qui «ébauche la première synthèse scientifique, en alliant la Science occulte à nos Sciences expérimentales.»

De nos jours enfin, surtout depuis 1880, l'Occultisme a pris un essor extraordinaire. Toutes les Écoles comptent de nombreux et brillants adeptes; parmi eux, citons le docteur Encausse, chef de clinique du docteur Luys, qui applique avec succès aux sciences modernes la méthode analogique de l'Occultisme, et qui, sous le pseudonyme de Papus, a publié un Traité de Science occulte très documenté; il dirige en outre la plus sérieuse des Revues d'occultisme, l'Initiation, qui est l'organeGroupe indépendant de recherches ésotériques. Citons encore l'hermétiste Stanislas de Guayta[40], successeur direct d'Eliphas Lévy; Joséphin Péladan, qui soutient, dans ses livres—avec le talent que l'on sait—les théories de la Magie la plus transcendantale; puis le marquis de Saint-Yves d'Alveydre[41], la duchesse de Pomar, etc...

Terminons ces quelques mots sur l'Occultisme contemporain en disant que ce qui le caractérise, c'est l'emploi qu'il fait, dans ses recherches, de la méthode analogique et le but qu'il se propose de «ramener à un même principe toutes les sciences, toutes les philosophies et toutes les religions, de trouver le lien qui unit la Métaphysique à la Physique, la Science et la Foi.

»Au point de vue pratique, il étudie une série de forces encore mal connues, en partant de ces deux principes: le Hasard n'existe pas, le Surnaturel n'existe pas[42]

Or, ce sont ces «forces mal connues», productrices de phénomènes prodigieux, que quelques savants éminents, diplômés à souhait, les Croockes, les Zœllner, les Richet, les Gibier, les Dariex, ont eu le courage, plus grand qu'il ne semble, de soumettre à des investigations rigoureusement scientifiques, et, comme nous le disions plus haut, c'est grâce à leurs travaux que la Science officielle sera peut-être forcée, dans un avenir plus ou moins prochain, d'admettre, après les phénomènes de l'Hypnotisme, les autres modalités du Merveilleux.

Nous allons voir, maintenant, à la suite de quelles circonstances ces chercheurs furent amenés à aborder ce genre d'études jusque-là si suspectes, et c'est ici que nous nommerons pour la première fois le Spiritisme, qui, s'il n'a pas d'autres mérites, a du moins celui d'avoir attiré sur les phénomènes qui avaient formé jusqu'à présent l'apanage exclusif des Sciences occultes l'attention de pareilles autorités.

On peut dire de lui qu'il a rendu à la cause des Phénomènes psychiques occultes le même service que rendit le Mesmerisme à celle de l'Hypnotisme. De même que Mesmer, Allan Kardec et ses adeptes ont, à travers bien des rêveries sans valeur, fait pourtant entrevoir à quelques esprits pénétrants la possibilité de recherches sérieuses et fécondes.

Racontons donc rapidement les origines du Spiritisme et ensuite de ce que l'on peut nommer l'Occultisme scientifique ou officiel.

En 1847, on commença de signaler, dans le nord de l'Amérique, des phénomènes étranges, mystérieux, qui se passaient à Hydesville, dans l'Etat de New-York. Une famille de ce village, la famille Fox, entendait des coups frappés dans les murs, sur le plancher de la maison qu'elle habitait. Les meubles «étaient agités d'un mouvement d'oscillation, comme s'ils avaient été balancés sur les flots; on entendait marcher sur le parquet sans qu'on vît personne[43].» Des recherches minutieuses et une surveillance sévère ne firent découvrir aucune fraude, aucune supercherie. Quant à une hallucination possible, les faits étaient constatés par un trop grand nombre de témoins et se renouvelaient trop fréquemment pour qu'on pût y penser. Bientôt, les bruits parurent produits par des forces intelligentes, qui répondaient, au moyen de coups frappés, quand on les interrogeait. Dès lors, tous ces prodiges furent—comme de juste—attribués à des esprits, qui, affirma-t-on, étaient les âmes des morts.

On le voit, l'explication n'était pas précisément neuve.

On ne tarda pas à s'apercevoir que certains sujets avaient particulièrement le don de communiquer avec ces esprits, et on leur donna le nom de médiums.

«Dès lors, le moderne Spiritisme était fondé. Des médiums innombrables se révélèrent, les pratiques spirites se répandirent comme une traînée de poudre, les différents clergés des mille sectes américaines s'en mêlèrent, et la confusion devint indescriptible... Peu s'en fallut que le Spiritisme, à ses débuts, ne comptât pour martyrs ses premiers apôtres[44]».

Bientôt l'épidémie spirite sévit en Europe. Partout on fait tourner, parler, tables et guéridons. On s'entretient avec l'âme de tous les grands personnages du passé, avec les puissances divines elles-mêmes, et Dieu sait ce qu'on leur fait dire[45]!

Allan Kardec, de son vrai nom Rivail, écrit des ouvrages qui sont, comme l'Évangile, des Spirites français.

Sans plus nous occuper des destinées du Spiritisme, disons que les premiers chercheurs sérieux qui essayèrent, au moyen de procédés scientifiques, de faire un peu de jour sur les Mystères spirites, furent:

En Amérique, Mapes, professeur de chimie, qui, «après avoir repoussé dédaigneusement ces choses», fut obligé de convenir «qu'elles n'ont rien de commun avec le hasard, la supercherie ou l'illusion.»

Puis le docteur Hare, qui institua une série d'expériences très ingénieuses, ressemblant beaucoup à celles du professeur Croockes, dont nous aurons à parler longuement.

Enfin, M. Robert Dale Owen a publié, en Angleterre, un livre sur le même sujet, dont les conclusions sont identiques à celles de Mapes.

En France, à la même époque, Babinet déclare, dans un article de la Revue des Deux-Mondes, de mai 1854, que les prodiges nouveaux qu'on raconte, les phénomènes surnaturels, sont d'impossibilité et d'absurdité.

En 1859, Jobert de Lamballe, Velpeau, Cloquet, Schiff, attribuent les bruits spirites (coups, craquements, etc.) au «déplacement réitéré du tendon du muscle long péronier, de la gaine dans laquelle il glisse en passant derrière la malléole interne

C'était se satisfaire à bon compte.

Mentionnons pour mémoire l'article que Dechambre fit paraître sur la doctrine spirite, dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (1859), dans lequel il a la sagesse de ne point se prononcer sur la réalité des phénomènes psychiques occultes[46].

Mais deux de ses collaborateurs au Dictionnaire des Sciences médicales, MM. Han et Thomas, loin de suivre son exemple, ne veulent voir, dans tous les faits spirites, que le résultat de l'hallucination et surtout de l'escroquerie (article Spiritisme).

Nous arrivons enfin à la période actuelle et à celle qui l'a précédée immédiatement.

C'est en 1870 que le professeur William Croockes[47], qui, parmi bien d'autres titres de gloire, a celui d'avoir découvert un nouveau corps simple métalloïde, le Thallium, et un nouvel état de la matière, la matière radiante, voulut savoir enfin à quoi s'en tenir sur les phénomènes dont les spirites affirmaient la réalité avec une bonne foi absolue et même une conviction de fanatiques. Se défiant du témoignage de ses propres sens, et pour qu'on ne pût prétendre qu'il avait été dupe d'une hallucination, il eut recours aux instruments enregistreurs dont il usait dans ses recherches scientifiques ordinaires.

Les résultats qu'il a obtenus et consignés dans son livre de la Force Psychique sont tels que, bien que l'on soit intimement persuadé de la haute valeur et de l'honorabilité absolue de l'observateur, l'esprit hésite cependant à les admettre sans réserves.

Nous aurons à en parler longuement dans le courant de cette étude.

Disons seulement qu'à la suite des travaux de Croockes, qui ne trouvèrent aucune créance auprès des Académies, il s'est formé en 1822, en Angleterre, une Société des Recherches Psychiques (Society for psychical Researches), qui se consacre à l'étude des phénomènes de psychologie occulte. Elle a pour président Henry Sydgwick et compte parmi ses membres honoraires Croockes, Gladstone, John Ruskin, Alfred Russel Wallace[48]. Ajoutons qu'au dernier Congrès de l'Association britannique pour l'avancement des Sciences, M. Lodge, président de la section des sciences mathématiques et physiques, vient, en un très beau langage, de reconnaître officiellement la nécessité de l'étude des Phénomènes psychiques occultes.

Les expériences de Croockes sur la force psychique furent reprises en Allemagne par l'astronome Zœllner, professeur à l'Université de Leipzig, assisté de plusieurs de ses collègues: Braune, Weber, Scheibner et Thiersch. Le médium avec lequel il expérimenta était l'Américain Slade, et les conclusions du savant allemand[49] sont aussi catégoriques que celles du savant anglais.

En France, c'est le docteur Gibier, ancien interne des hôpitaux de Paris, et que ses recherches de Pathologie expérimentale avaient familiarisé avec les procédés d'investigation des Sciences positives, qui est le premier à aborder, en 1886, l'étude des phénomènes de Psychologie occulte; il est, du moins, le premier qui ose en parler ouvertement. Il expérimente avec le médium Slade et obtient des résultats aussi positifs que ceux de ses devanciers étrangers. Dans son premier livre, le Spiritisme, il se borne à enregistrer des faits et se garde sagement de tout essai de théorie explicative. Dans le second, Analyse des choses, il est moins prudent.....

Puis, tandis que le docteur Luys et M. Ochorowicz étudient, l'un l'action des médicaments à distance et le transfert des maladies, l'autre la Suggestion mentale, le colonel de Rochas d'Aiglun, administrateur de l'Ecole polytechnique, se livre à ses belles études sur les Forces non définies de la nature et les Etats profonds de l'Hypnose[50].

Enfin, il était réservé à l'homme, dont l'intelligence aussi largement compréhensive que prudemment méthodique avait déjà tant fait pour le triomphe de l'Hypnotisme, d'être encore le premier à reconnaître officiellement l'existence et l'intérêt scientifique des phénomènes psychiques occultes.

Après avoir accueilli, dans la grande Revue qu'il dirige, les documents concernant l'Occultisme scientifique et publié sur ce sujet de nombreuses études, M. le professeur Charles Richet vient, en 1891, d'accepter, pour ainsi dire, la direction honoraire de la première publication sérieuse consacrée à ce genre d'études.

Les Annales des Sciences Psychiques, que dirige, avec un tact scientifique bien rare en ces matières, M. le docteur Dariex, ont pour but de «rapporter, avec force, preuves à l'appui, toutes les observations sérieuses qui leur sont adressées relativement aux faits soi-disant occultes de télépathie, de lucidité, de pressentiment, d'apparitions objectives

Disons, en terminant, que la Society for psychical Researches a pour membres correspondants français: MM. Beaunis, Bernheim, Féré, Janet, Richet, Taine, Liébeault, Ribot, et que la Société de Psychologie Physiologique a nommé une commission, composée de MM. Sully-Prudhomme, président, Ballet, Beaunis, Richet, de Rochas, etc., qui se propose l'étude des phénomènes de Psychologie occulte, et en particulier des hallucinations télépathiques.

Nous voici parvenu à la fin de ce long, quoique bien incomplet historique.

Peut-être aura-t-il paru un peu fastidieux. Il était cependant indispensable, ne fût-ce que pour poser les jalons de l'évolution, à travers les âges, des idées relatives au Merveilleux; ne fût-ce encore que pour suggérer une opinion des Sciences occultes[51] plus exacte et, partant, moins défavorable que celle qui a cours en général.

Et puis, en mettant sous nos yeux l'histoire du Magnétisme animal, «cette histoire qui aurait dû nous guérir des négations a priori, si nous n'étions incorrigibles[52]», les pages précédentes ne nous permettent-elles pas d'espérer pour la cause de la Psychologie occulte le même définitif triomphe?

DIVISION DU SUJET

Nous avons déjà dit que les expériences de Psychologie occulte, que nous avions instituées soit seul, soit avec le concours de quelques chercheurs, ne nous avaient malheureusement pas donné des résultats assez positifs, assez probants, pour que nous les puissions présenter ici.

Aussi nous voyons-nous contraint d'emprunter aux divers expérimentateurs qui se sont occupés de ces phénomènes les observations et les expériences qui nous paraîtront devoir satisfaire à la plus rigoureuse critique.

Nous avons nommé tout à l'heure les Annales des Sciences Psychiques. Comme cette publication est la seule vraiment scientifique qui paraisse sur le sujet qui nous occupe, comme elle contient, méthodiquement classées et rigoureusement analysées, un nombre considérable d'observations, comme enfin nous ne saurions mieux faire que de mettre notre travail sous la haute protection de deux personnalités aussi sérieuses que celles de MM. Richet et Dariex, nous nous permettrons de faire, à cette Revue, les plus larges emprunts.

Nous puiserons aussi dans les savants ouvrages de MM. Croockes, Gibier, Lepelletier, de Rochas, etc.

Dans la lettre-préface que M. Richet a mise en tête du premier numéro des Annales, nous trouvons une bonne classification des divers Phénomènes occultes.

Nous ne saurions mieux faire que de l'adopter; nous allons diviser donc notre étude en cinq groupes de faits distincts:

«1o Les faits de Télépathie; c'est-à-dire ceux dans lesquels un phénomène a été ressenti par A, alors que B éprouvait le même phénomène (ou un phénomène analogue) sans que A ait pu en être averti. Les hallucinations véridiques rentrent dans le groupe des phénomènes télépathiques;

»2o Les faits de Lucidité; c'est-à-dire la connaissance par un individu A d'un phénomène quelconque, non percevable et connaissable par les sens normaux, en dehors de toute transmission mentale, consciente ou inconsciente.—Par exemple, une somnambule A voit un incendie qui se passe à 25 kilom. de là, alors que, parmi les assistants, personne ne connaît l'incendie;

»3o Les faits de Pressentiment; c'est-à-dire la prédication d'un événement plus ou moins improbable qui se réalisera dans quelque temps et qu'aucun des faits actuels ne permet de prévoir;

»4o Mouvements d'objets matériels, non explicables par la mécanique normale, tels que: déplacement des objets sans contact, soulèvement de tables, etc.;

»5o Fantômes et apparitions se manifestant objectivement, c'est-à-dire de telle manière que l'on ne puisse les expliquer par la simple hallucination du percipient. Dans ce groupe rentrent les photographies de fantômes, les hallucinations collectives, etc.

»Les trois premiers groupes, Télépathie, Lucidité, Pressentiment, ne sont au fond qu'un seul et même phénomène, c'est-à-dire une perception de faits, inaccessibles à nos sens normaux par des procédés psychiques, qui nous sont encore absolument mystérieux.»


Ces phénomènes «révèlent une faculté profondément inconnue encore de l'âme humaine: celle de voir et de connaître des événements lointains, dans le temps comme dans l'espace, sous une forme plus ou moins hallucinatoire[53]

Le quatrième et le cinquième groupe comprennent, comme on l'a vu, les Phénomènes physiques occultes. M. Richet déclare qu'il n'y croit pas, «tout en étant prêt, ajoute-t-il, à se laisser convaincre, si on lui apporte quelque bonne preuve.»

Or, dans les derniers numéros parus des Annales, M. Dariex rapporte des faits à lui personnels qui ne laissent qu'une bien petite place au doute.

De notre côté, nous citerons d'autres faits de ce genre, empruntés aux différents auteurs, et l'on nous permettra de dire que s'il s'agissait des phénomènes moins étranges, moins contraires à nos habitudes mentales, on n'aurait aucune difficulté à en admettre dès maintenant la réalité absolue.

PREMIÈRE PARTIE
Ire CLASSE.—PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES
OCCULTES

PREMIER GENRE
Télépathie

Qu'entend-on par Télépathie?

Si nous nous reportons aux paroles de M. Richet, c'est la transmission à distance, et sans aucun intermédiaire appréciable, d'une impression ressentie par un organisme A à un autre organisme B, sans que cet organisme B soit en rien averti.

De tous les phénomènes psychiques occultes, ce sont ceux de la Télépathie qui ont été jusqu'ici étudiés avec le plus de soin; ils ont donné lieu à de nombreux et sérieux travaux.

Les premières études scientifiques sur ce sujet furent entreprises par la Society for psychical Researches de Londres, qui fit sur les hallucinations télépathiques une enquête dans le monde entier. Les résultats en ont été consignés dans deux gros volumes par MM. Gurney, Myers et Podmore. Ce sont les Phantasms of the Living dont M. Marillier a donné une traduction abrégée[54].

Les faits de télépathie ont ensuite été étudiés par MM. Ochorowicz, Richet, Héricourt, Beaunis, Janet, etc.

Le premier degré, et pour ainsi dire la base expérimentale de la télépathie, c'est la Suggestion mentale, la transmission de la pensée—à des distances variables et sans aucun intermédiaire—d'une personne à une autre, toutes deux à l'état de veille.

Or, cette suggestion mentale est-elle scientifiquement démontrée?

Non, la preuve rigoureusement scientifique de la transmission de la pensée n'a pas encore été faite. Mais cette transmission est infiniment probable et, pour quelques-uns même, elle est certaine.

Dans l'étude très soignée et d'une critique magistrale qu'il en a faite, le docteur Ochorowicz conclut que, si elle n'est pas aussi fréquente qu'une expérimentation superficielle pourrait le faire croire, la suggestion mentale existe cependant et peut même s'effectuer à des distances considérables[55].

Telle est aussi l'opinion de M. Pierre Janet[56] et du docteur Gibert qui, en 1885-86, ont institué au Havre une série d'expériences fort importantes. Sans en faire le récit, disons que ces messieurs, après avoir pris les précautions les plus minutieuses pour se garantir de toute cause d'erreur, surtout de la suggestion involontaire et de l'auto-suggestion, parvinrent à endormir de loin (à une distance de 500 mètres), par un ordre mental, une femme, Madame B..., sujette à des accès de somnambulisme naturel. Le fait se renouvela si souvent, que la supposition d'une coïncidence fortuite dut être complètement écartée. Du reste, ces expériences furent reprises, sur le même sujet, par MM. Ochorowicz, Marillier, Richet, etc., et donnèrent des résultats identiques[57].

Disons encore que, sur une série de 2,997 expériences de transmission de pensée, M. Richet obtint 789 succès, alors que le chiffre fourni par le calcul des probabilités était de 732[58].

Mais on ne tarda pas à découvrir que ce n'est pas seulement la pensée qui est transmissible; ce seraient aussi, toujours d'après MM. Janet et Gibert et les travaux de la Society for psychical Researches, les sentiments et les sensations qui pourraient se communiquer sans aucun intermédiaire apparent. Ce fait avait été déjà signalé et revendiqué par les magnétiseurs, notamment par Lafontaine[59]; mais il était loin d'avoir reçu une confirmation sérieuse. Or, voici ce que raconte à ce sujet M. Janet:

Madame B... semble éprouver la plupart des sensations ressenties par la personne qui l'a endormie. Elle croyait boire quand cette personne buvait. Elle reconnaissait toujours exactement la substance que je mettais dans ma bouche et distinguait parfaitement si je goûtais du sel, du poivre ou du sucre... Le phénomène se passe encore, même si je me trouve dans une autre chambre... Si même, dans une autre chambre, on me pince fortement le bras ou la jambe, elle pousse des cris et s'indigne qu'on la pince ainsi au bras ou au mollet.

Enfin, mon frère qui assistait à ces expériences et qui avait sur elle une singulière influence, car elle le confondait avec moi, essaya quelque chose de plus curieux. En se tenant dans une autre chambre, il se brûla fortement le bras, pendant que Madame B... était dans la phase de somnambulisme léthargique où elle ressent les suggestions mentales. Madame B... poussa des cris terribles, et j'eus de la peine à la maintenir. Elle tenait son bras droit au-dessus du poignet et se plaignait d'y souffrir beaucoup. Or je ne savais pas moi-même où mon frère avait voulu se brûler...

Quand Madame B... fut réveillée, je vis avec étonnement qu'elle serrait encore son poignet droit et se plaignait d'y souffrir beaucoup, sans savoir pourquoi. Le lendemain, elle soignait encore son bras avec des compresses d'eau froide.

Il faut, ce nous semble, rapprocher de ces faits certains cas où l'on voit des somnambules «éprouver les douleurs, les souffrances physiques ou morales d'une personne avec qui on les met en relation, en leur faisant, par exemple, toucher de ses cheveux et en déduire un jugement sur son état[60]». De tout temps on a parlé de faits semblables, et les ouvrages des premiers magnétiseurs sont pleins de récits où des somnambules voient l'intérieur du corps de certains malades, décrivent les lésions morbides et indiquent même les remèdes, etc.[61].

On attribuait, autrefois, cette sorte de divination à la lucidité, à la seconde vue, à la faculté de voir dans l'intérieur de l'organisme.

D'après les travaux contemporains, il est probable que l'on se trouve plutôt en présence d'une transmission des sensations.

L'une des premières observations de ce genre, faite par des expérimentateurs dignes de foi, est consignée dans le rapport que Husson, assisté de Bourdois de la Motte, Guéneau de Mussy, etc., présenta à l'Académie de médecine de Paris, en juin 1831, et dans lequel il concluait à l'existence du magnétisme animal. Comme on le sait, ce rapport n'influa en rien sur les opinions de l'Académie, qui n'osa même pas l'imprimer.

Or, on y lit ceci:

Nous n'avons rencontré qu'une seule somnambule qui ait indiqué les symptômes de la maladie de trois personnes avec lesquelles on l'avait mise en rapport. Nous avions, cependant, fait des recherches sur un assez grand nombre.

..... La commission trouva parmi ses membres quelqu'un qui voulut bien se soumettre à l'exploration de la somnambule: ce fut M. Marc... Mlle Céline appliqua la main sur le front et la région du cœur, et au bout de trois minutes, elle dit que le sang se portait à la tête; qu'actuellement M. Marc avait mal dans le côté gauche de cette cavité; qu'il avait souvent de l'oppression, surtout après avoir mangé; qu'il toussait fréquemment, que la partie inférieure de la poitrine était gorgée de sang, que quelque chose gênait le passage des aliments, que cette partie (et elle désignait la région de l'appendice xyphoïde) était rétrécie; que, pour guérir M. Marc, il fallait qu'on le saignât largement, etc., etc., etc...

M. Marc nous dit, en effet, qu'il avait de l'oppression lorsqu'il marchait en sortant de table; que souvent il avait de la toux et qu'avant l'expérience il avait mal dans le côté gauche de la tête, mais qu'il ne ressentait aucune gène dans le passage des aliments.

Nous avons été frappés de cette analogie entre ce qu'éprouve M. Marc et ce qu'annonce la somnambule; nous l'avons soigneusement annoté et nous avons attendu une autre occasion pour constater de nouveau cette singulière faculté.

D'autres auteurs relatent des faits analogues: nous les laisserons de côté pour nous en tenir à ceux qu'a observés M. Richet dans ses récentes expériences avec une Somnambule habituée aux consultations[62]. M. Paulhan les cite dans son article de la Revue des Deux-Mondes, et c'est d'après lui que nous les rapportons:

«Je suis avec Héléna, dit M. Richet, chez Mme de M..., qui l'interroge sur divers malades. Il va de soi que je recommande à Mme de M... de ne rien dire dans le cours de cet interrogatoire, et elle se conforme rigoureusement à ma recommandation, de sorte que c'est moi seul qui parle à Héléna et j'ignore absolument quels sont les malades dont il est question.—Pour le premier malade, Héléna dit: «J'ai mal aux nerfs. Je suis très agitée. Je ne peux me soutenir. J'ai mal à la tête et dans le derrière de la tête, mais moins qu'à la poitrine, les jambes faibles. Je suis presque sans connaissance.» Le diagnostic est relativement exact: il s'agissait d'une femme atteinte d'une grande irritation bronchique chronique. Elle tousse depuis plusieurs années; en outre, elle a un peu d'hystérie et un état de spleen et de tristesse presque insurmontable, avec une grande irritation nerveuse. La consultation continue. Pour le second malade, Héléna dit: «Fièvre, mal dans les reins, j'ai chaud et je souffre dans les reins.» En disant les reins, elle montre uniquement le foie. «Le diagnostic est exact. Il s'agissait de M. B..., qui souffre, depuis deux ans, d'une affection hépatique rebelle, avec un teint bilieux et des douleurs vives dans la région hépatique.» Enfin, pour un troisième malade, Héléna dit: «J'ai mal à la tête, je ne puis définir ma sensation. Je suis à bout de forces, sur le point de m'évanouir, minée par la fièvre. Ce n'est pas un mal violent, c'est un mal languissant, un malaise indescriptible; j'ai mal partout et mal nulle part.» Ici encore, d'après M. Richet, le diagnostic est exact. Il s'agit de M. C..., jeune homme qui, après un séjour de quelques mois dans les pays chauds, a un état fébrile vague, sans localisation précise, une fatigue permanente et un affaiblissement général des forces[63]».

Cette observation présente ceci de particulier que la somnambule ne se trouve pas en présence des malades: l'intermédiaire probable serait donc Mme B...

Sans nous lancer dans aucune tentative de théorie, disons que le cas précédent se rapproche de ceux où des somnambules ont deviné et décrit les symptômes morbides d'un sujet par le seul contact d'un objet ayant appartenu à ce sujet.

Dans un ordre de faits connexes, le docteur Babinski a opéré, à la Salpétrière, à l'aide d'un aimant, le transfert d'anesthésies, de paralysies, d'une coxalgie, d'une hystérique à une autre, placée à peu de distance.

A la Charité, le docteur Luys, qui avait déjà découvert l'action des médicaments à distance, a obtenu des résultats fort singuliers: après avoir posé quelques instants un aimant en fer à cheval sur la tête d'un malade ordinaire, il le pose sur la tête d'un sujet légèrement endormi, placé dans une pièce voisine, et communique à celui-ci les symptômes morbides—quels qu'ils soient—du premier[64].

De l'ensemble de ces faits et d'une foule d'autres, sur lesquels les dimensions de ce travail ne nous permettent pas d'insister, il résulte que, si la preuve dernière, absolue, irréfutable, l'experimentum crucis des alchimistes reste encore à faire au sujet de la possibilité des relations occultes d'un être à un autre, on se trouve, du moins, en présence de phénomènes qui semblent «nécessiter la projection d'un élément sensible hors du corps, soit de l'individu qui fait percevoir, soit de celui qui perçoit.»

Cette proposition recevrait une éclatante confirmation si, comme tout le fait espérer, la découverte que vient de faire M. de Rochas, de l'extériorisation de la sensibilité, était reconnue scientifiquement exacte[65].

De la télépathie expérimentale, «de celle où l'expérimentateur et le sujet prennent part, consciemment et volontairement, à l'expérience, passons à la télépathie spontanée; ici, l'agent n'exerce aucune action consciente ni volontaire, et la personne qui éprouve l'impression ne s'attend pas d'avance à l'éprouver[66]».

Cette transition entre les deux genres de phénomènes est loin d'être rigoureusement légitimée par les faits. Dans la transmission de pensées, de sentiments, de sensations, etc., l'impression ressentie à distance par le sujet a été voulue, imaginée fortement par l'agent. Dans les hallucinations véridiques, dont nous allons parler et qui constituent la télépathie spontanée, l'objet qui apparaît n'est pas celui sur lequel s'était concentrée la pensée de l'agent.

Ainsi, A meurt loin de B et son image apparaît à B; il est fort peu probable que A, au moment de mourir, ait pensé fortement à sa propre image et en même temps à B.

Néanmoins, il existe quelques expériences dans lesquelles l'agent a voulu apparaître au sujet, et, bien que «l'aspect extérieur d'une personne tienne relativement peu de place dans l'idée qu'elle se fait d'elle-même», ces expériences de dédoublement volontaire et de projection du double peuvent, à la rigueur, servir d'intermédiaire entre les faits de télépathie expérimentale et ceux de télépathie spontanée.

Voici une de ces expériences, empruntée à la traduction du Phantasms of the Living:

IV (13). Le sujet de l'expérience est notre ami, le Rev. W. Stainton Moses; il croit posséder un récit contemporain de l'événement, mais il n'a pu encore le retrouver au milieu de ses papiers. Nous connaissons un peu l'agent. Son récit a été écrit en février 1879, et on n'y a fait, en 1883, que quelques changements de mots, après l'avoir soumis à M. Moses, qui l'a déclaré exact.

Un soir, au commencement de l'année dernière, je résolus d'essayer d'apparaître à Z..., qui se trouvait à quelques milles de distance. Je ne l'avais pas informé d'avance de l'expérience que j'allais tenter, et je me couchai un peu avant minuit, en concentrant ma pensée sur Z. Je ne connaissais pas du tout sa chambre ni sa maison. Je m'endormis bientôt et je me réveillai le lendemain matin, sans avoir eu conscience que rien se fût passé.

Lorsque je vis Z.. quelques jours après, je lui demandai: «N'est-il rien arrivé chez vous, samedi soir?»—«Certes oui, me répondit-il, il est arrivé quelque chose. J'étais assis avec M... près du feu, nous fumions en causant. Vers minuit et demi il se leva pour s'en aller et je le reconduisis moi-même. Lorsque je retournai près du feu, à ma place, pour finir ma pipe, je vous vis assis dans le fauteuil qu'il venait de quitter. Je fixai mes regards sur vous et je pris un journal pour m'assurer que je ne rêvais point; mais lorsque je le posai, je vous vis encore à la même place. Pendant que je vous regardais, sans parler, vous vous êtes évanoui. Je vous voyais, dans mon imagination, couché dans votre lit, comme d'ordinaire à cette heure, mais cependant vous m'apparaissiez vêtu des vêtements que vous portiez tous les jours». «C'est donc que mon expérience semble avoir réussi, lui dis-je. La prochaine fois que je viendrai, demandez-moi ce que je veux; j'avais dans l'esprit certaines questions que je voulais vous poser, mais j'attendais probablement une invitation à parler.»—Quelques semaines plus tard, je renouvelai l'expérience, avec le même succès. Je n'informai pas, cette fois-là non plus, Z..., de ma tentative. Non seulement il me questionna sur un sujet qui était à ce moment une occasion de chaudes discussions entre nous, mais il me retint quelque temps par la puissance de sa volonté, après que j'eus exprimé le désir de m'en aller. Lorsque le fait me fut communiqué, il me sembla expliquer le mal de tête violent et un peu étrange que j'avais ressenti le lendemain de mon expérience. Je remarquai, du moins, alors, qu'il n'y avait pas de raison apparente à ce mal de tête inaccoutumé. Comme la première fois, je ne gardai pas de souvenir de ce qui s'était passé la nuit précédente, ou du moins de ce qui semblait s'être passé.

Citons encore en ce cas de télépathie expérimentale, remarquable en ceci que deux personnes ont éprouvé l'hallucination:

Le récit a été copié sur un manuscrit de M. S. H. B.; il l'avait lui-même transcrit d'un journal qui a été perdu depuis.

V (14). Un certain dimanche du mois de novembre 1881, vers le soir, je venais de lire un livre où l'on parlait de la grande puissance que la volonté peut exercer et je résolus, avec toute la force de mon être, d'apparaître dans la chambre à coucher du devant, au second étage d'une maison située, 22, Hogarth Road, Kewington. Dans cette chambre couchaient deux personnes de ma connaissance: Mlle L. S. V... et Mlle C. E. V..., âgées de vingt-cinq et de onze ans. Je demeurais en ce moment, 23, Kildare Gardens, à une distance de trois milles à peu près de Hogarth Road, et je n'avais pas parlé de l'expérience que j'allais tenter à aucune de ces deux personnes, par la simple raison que l'idée de cette expérience me vint ce dimanche soir en allant me coucher. Je voulais apparaître à une heure du matin, très décidé à manifester ma présence.

Le jeudi suivant, j'allai voir ces dames et, au cours de notre conversation (et sans que j'eusse fait aucune allusion à ce que j'avais tenté), l'aînée me raconta l'incident suivant:

«Le dimanche précédent, dans la nuit, elle m'avait aperçu debout, près de son lit et en avait été très effrayée, et lorsque l'apparition s'avança vers elle, elle cria et éveilla sa petite sœur, qui me vit aussi».

«Je lui demandai si elle était bien éveillée à ce moment; elle m'affirma très nettement qu'elle l'était. Lorsque je lui demandai à quelle heure cela s'était passé, elle me répondit que c'était vers une heure du matin».

Sur ma demande, cette dame écrivit un récit de l'événement et le signa.

C'était la première fois que je tentais une expérience de ce genre, et son plein et entier succès me frappa beaucoup.

Ce n'est pas seulement ma volonté que j'avais fortement tendue; j'avais fait aussi un effort d'une nature spéciale qu'il m'est impossible de décrire. J'avais conscience d'une influence mystérieuse qui circulait dans mon corps et j'avais l'impression distincte d'exercer une force que je n'avais pas encore connue jusqu'ici, mais que je peux à présent mettre en action à certains moments, lorsque je le veux.

S. H. B.

Voici maintenant comment Mlle Verity raconte l'événement:

Le 18 janvier 1893.

Il y a à peu près un an qu'à notre maison de Hogarth Road, Kewington, je vis distinctement M. B... dans ma chambre, vers une heure du matin. J'étais tout à fait réveillée et fort effrayée; mes cris réveillèrent ma sœur, qui vit aussi l'apparition.

Trois jours après, lorsque je vis M. B..., je lui racontai ce qui était arrivé. Je ne me remis qu'au bout de quelque temps du coup que j'avais reçu, et j'en garde un souvenir si vif qu'il ne peut s'effacer de ma mémoire.

L. S. Verity.

En réponse à nos questions, Mlle Verity ajoute:

Je n'avais jamais eu aucune hallucination.

Mlle E. C. Verity dit:

Je me rappelle l'événement que raconte ma sœur, son récit est tout à fait exact. J'ai vu l'apparition qu'elle voyait au même moment et dans les mêmes circonstances.

E. C. Verity.

Mlle A. S. Verity dit:

Je me rappelle très nettement qu'un soir ma sœur aînée me réveilla en m'appelant d'une chambre voisine. J'allai près du lit où elle couchait avec ma sœur cadette, et elles me racontèrent toutes les deux qu'elles avaient vu S. H. B... debout dans la pièce. C'était vers une heure; S. H. B... était en tenue de soirée, me dirent-elles.

A. S. Verity.

M. B.... ne se rappelle plus comment il était habillé cette nuit-là.

Mlle E. C. Verity dormait quand sa sœur aperçut l'apparition, elle fut réveillée par l'exclamation de sa sœur: «Voilà S...» Elle avait donc entendu le nom avant de voir l'apparition et son hallucination pourrait être attribuée à une suggestion. Mais il faut remarquer qu'elle n'avait jamais eu d'autre hallucination et qu'on ne pouvait, par conséquent, la considérer comme prédisposée à éprouver des impressions de ce genre. Les deux sœurs sont également sûres que l'apparition était en habit de soirée, elles s'accordent aussi sur l'endroit où elle se tenait. Le gaz était baissé et l'on voyait plus nettement l'apparition que l'on n'eût pu voir une figure réelle.

Nous avons examiné contradictoirement les témoins avec le plus grand soin. Il est certain que les demoiselles V... ont parlé tout à fait spontanément de l'événement de M. B... Tout d'abord, elles n'avaient pas voulu en parler, mais quand elles le virent, la bizarrerie de l'affaire les poussa à le faire.

Mlle Verity est un témoin très exact et très consciencieux; elle n'aime nullement le merveilleux, et elle craint et déteste surtout cette forme particulière du merveilleux.

Sans plus nous arrêter sur ces cas intermédiaires, dont on trouvera d'autres exemples dans la traduction de M. Marillier, nous allons aborder tout de suite ceux des phénomènes de télépathie spontanée qui offrent le caractère le plus étrange et l'intérêt le plus profond, puisqu'on a pu dire d'eux que les étudier, c'était étudier le lendemain de la mort.

C'est sur ces Hallucinations véridiques qu'a surtout porté l'enquête de la Society for psychical Researches, enquête que poursuivent la Société de Psychologie physiologique et les Annales de M. Dariex[67].

Tout le monde a plus ou moins entendu parler de ces apparitions, de ces fantômes qui se manifestent, de ces voix qui se font entendre à une personne, au moment même ou, sans qu'elle s'en doute le moins du monde, un être qui lui est cher meurt loin d'elle ou court quelque danger.

Jusqu'ici on croyait ces cas assez rares, et quand l'apparition et l'événement avaient concordé d'indéniable façon, on attribuait cela à une hallucination coïncidant fortuitement avec le fait réel.

Mais les récents travaux dont nous avons parlé ont révélé que ces hallucinations véridiques sont bien moins rares qu'on ne pensait.

Certes, tous les documents que l'on a réunis (plus de huit cents) sont de valeur très inégale, et l'on comprend qu'il ne puisse en être autrement en des matières aussi délicates. Tantôt le narrateur n'exerce pas sur le témoignage de ses sens une critique suffisamment rigoureuse, l'imagination déforme le souvenir: on soutient avoir vu ce qu'on désire avoir vu; tantôt l'hallucination n'a pas coïncidé, autant qu'on veut bien le dire, avec l'événement.

Le malheur, en ces questions, est—on ne saurait trop le répéter—que l'ignorance à peu près absolue où nous sommes de la plupart des conditions des phénomènes empêche de les reproduire à volonté. Et même—comme dit M. Héricourt—«quand nous les connaissons, ces conditions, nous voyons que ce sont précisément celles qui échappent le plus à l'expérimentation. Deux éléments se retrouvent, en effet, dans presque toutes les observations: d'une part, une sympathie étroite entre les personnes mises en communication, d'autre part, un événement de nature à faire vibrer à l'excès cette sympathie préalable. Or, c'est précisément ce second élément qui, naturellement, échappe aux expérimentateurs. On n'installe pas un drame comme on fait une démonstration de physiologie[68]

C'est ainsi que l'on ne peut démontrer, par l'expérimentation, la valeur des documents.

«Le jour, et il ne peut être lointain, dit M. Richet, où l'on aura fourni une preuve expérimentale de la télépathie, la télépathie ne sera plus discutée et elle sera admise comme un phénomène naturel, aussi évident que la rotation de la terre autour de son axe ou que la contagion de la tuberculose[69]».

Pour l'instant, nous en sommes réduits à soumettre: 1o chacun des cas qu'on nous signale à la plus rigoureuse des analyses; 2o le total de ces cas au calcul des probabilités, et, lorsque cette analyse et les mathématiques nous ont révélé, d'un côté la bonne foi et la sagacité de l'observateur, de l'autre l'impossibilité d'invoquer constamment une coïncidence fortuite, nous devons, sous peine de refuser toute valeur au témoignage humain, admettre sinon la réalité absolue, du moins la probabilité très grande des faits de télépathie.

Voici les résultats que le calcul des probabilités a fournis à M. Dariex[70]:

1o L'hypothèse de la réalité d'une action télépathique visuelle serait quatre millions cent quatorze mille cinq cent quarante-cinq fois plus probable que celle de la coïncidence fortuite. 2o L'hypothèse de la réalité d'une action télépathique auditive serait un million quatre cent quatre vingt-treize mille cent quatre-vingt-dix fois plus probable que celle de la coïncidence fortuite.

Evidemment, il ne faut pas exagérer la valeur de ces chiffres, car rappelons-nous que les données du problème sont singulièrement multiples et délicates.

Comme le dit sagement M. Paulhan, dans la substantielle étude qu'il a consacrée aux hallucinations télépathiques: «Les mathématiques sont une science très belle et relativement très sûre; mais il faut se méfier un peu des applications qu'on en veut faire[71]

Quoi qu'il en soit, ces chiffres ont leur intérêt, ne fût-ce que pour indiquer «que l'action du hasard seul est tout à fait invraisemblable.»

Les hallucinations véridiques sont de plusieurs sortes, suivant qu'elles impressionnent, séparément ou à la fois, les divers sens: la vue, l'ouïe et même le toucher; suivant que le sujet qui les perçoit est dans un sommeil plus ou moins profond ou en état de veille; suivant qu'elles sont plus ou moins nettes, plus ou moins complètes, etc.

Dans toute hallucination véridique, on distingue deux facteurs: l'agent dont l'image ou la voix se manifeste à distance, et le sujet qui perçoit ces manifestations.

Au moment du phénomène, l'agent, on le sait, se trouve presque toujours en danger de mort, si même il ne meurt pas. Ce sont là les cas les plus fréquents. Mais il en existe d'autres où, lors de la production du phénomène, l'état de l'agent n'offre rien d'anormal. Il ne sait pas que le sujet a perçu son image. Comment se rendre compte alors que ce dernier n'a pas eu une simple hallucination subjective? par certaines coïncidences: «Ainsi, une personne peut éprouver une hallucination qui représente un de ses amis, dans un costume avec lequel elle ne l'a jamais vu et ne se l'est jamais imaginé; et il arrive qu'il portait réellement ce costume, au moment où il lui est apparu... Il est clair que l'on pourrait difficilement considérer comme accidentelles une série de coïncidences de cette espèce. Ce type d'hallucinations pourrait servir à résoudre la question de savoir si c'est de l'état mental de l'agent ou de celui du sujet que dépendent les impressions télépathiques, ou bien si ce n'est pas plutôt (comme il est probable) de tous les deux à la fois[72]».

C'est cette nécessité de la coïncidence d'un état mental spécial, chez le sujet et chez l'agent, qui expliquerait la faible proportion des phénomènes télépathiques, par rapport au nombre des morts.

Or, si l'on ignore, à peu près absolument, quelle est la nature de cet état chez l'agent, on n'est guère plus renseigné sur ce qui concerne le sujet.

Tout ce que nous savons, c'est que l'on peut éprouver des hallucinations véridiques à tout âge, même dans l'enfance, et dans un état de santé parfaite; que le tempérament ni le sexe ne semblent influer en rien sur leur production; qu'il est rare que le même sujet en ait plusieurs dans sa vie; qu'enfin, au moment où elles se manifestent, on ressent presque toujours une sorte de souffle froid sur le visage, en même temps qu'une émotion fort vive; on a le sentiment qu'un événement triste vient d'arriver: la mort d'un ami ou d'un parent[73].

Quant aux apparitions elles-mêmes, elles sont le plus souvent rapides, se manifestent dans le moment même de la crise ou de la mort de l'agent, ou dans ceux qui suivent; elles sont, en général, lumineuses, ne sont formées que d'une seule figure humaine, partielle ou totale, et ne laissent aucune trace physique de leur passage, ce qui les distingue des autres apparitions, des matérialisations, dont nous aurons à parler plus loin.

On le voit, les hallucinations de nature télépathique ont beaucoup de points de ressemblance avec les hallucinations ordinaires[74].

Ce qui les en différencie réellement (outre, bien entendu, leur coïncidence avec un fait réel), c'est, «d'une part, le fait que les hallucinations visuelles télépathiques sont beaucoup plus fréquentes que les hallucinations auditives (le contraire a lieu dans les hallucinations ordinaires)[75]; c'est, d'autre part, la proportion considérable d'apparitions non reconnues parmi les hallucinations subjectives, apparitions que l'on ne rencontre que rarement dans les cas de télépathie[76]

Laissant de côté les cas qui se produisent pendant le sommeil (rêves véridiques)[77] ou dans un état intermédiaire au sommeil et à la veille, nous allons nous occuper de celles de ces hallucinations véridiques que le sujet perçoit dans un état de veille parfaite et qui lui donnent l'illusion absolue de la réalité.

Nous les diviserons en visuelles, auditives et tactiles.

Dans un second groupe, nous étudierons les hallucinations réciproques, celles, beaucoup plus rares, où deux personnes s'apparaissent l'une à l'autre en même temps.

Et enfin les hallucinations collectives qui affectent plusieurs sujets à la fois.

A.Hallucinations télépathiques visuelles

Comme nous l'avons dit, ce sont les plus nombreuses, contrairement à ce qui arrive pour les hallucinations ordinaires. Elles présentent tous les degrés de netteté possibles, depuis celui où le sujet hésite sur le degré d'extériorité qu'il convient d'attribuer à la vision, jusqu'à l'illusion de la réalité la plus complète, jusqu'à l'objectivation absolue.

Voici un cas où l'illusion semble avoir été complète. Nous l'empruntons, comme tous ceux qui suivront, à l'excellente traduction que M. Marillier a publiée du Phantasm of the Living[78]:

LXXI (28). N. J. S., bien qu'on parle de lui à la troisième personne dans ce récit, en est le véritable auteur; nous le connaissons personnellement. Il occupe une position qui fait souhaiter que son nom ne soit pas publié; mais nous sommes autorisés à le faire connaître aux personnes qui voudraient examiner le cas de plus près. Ce récit nous est parvenu peu de semaines après l'événement.

N. J. S. et F. L. étaient employés dans le même bureau; ils avaient noué des relations intimes qui continuèrent pendant environ huit ans. Ils s'estimaient l'un l'autre beaucoup. Le lundi 19 mars 1883, lorsque F. L. vint au bureau, il se plaignit d'avoir souffert d'une indigestion. Il alla consulter un pharmacien, qui lui dit qu'il avait le foie un peu malade et qui lui donna un médicament. Le jeudi, il semblait ne pas aller beaucoup mieux. Samedi, il ne vint pas et N. J. S. a appris que F. L. s'était fait examiner par un médecin qui lui avait conseillé de se reposer deux ou trois jours, mais qui ne pensait pas qu'il eût rien de sérieux.

Le samedi 24 mars, vers le soir, N. J. S., qui avait mal à la tête, était assis dans sa chambre. Il dit à sa femme qu'il avait trop chaud, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des mois. Après avoir fait cette remarque, il se renversa en arrière sur la chaise longue et, à la minute suivante, il vit son ami F. L. qui se tenait devant lui, habillé comme d'habitude. N. J. S. remarqua les détails de sa toilette: il avait un chapeau entouré d'un ruban noir, son pardessus était déboutonné, il avait une canne à la main. Il fixa son regard sur N. J. S., puis s'en alla. N. J. S. se cita à lui-même les paroles de Job: «Et un esprit passa devant moi et le poil de ma chair se hérissa.» A ce moment, un froid glacial le traversa et ses cheveux se dressèrent. Puis, il se tourna vers sa femme en lui demandant l'heure qu'il était: «9 heures moins 12 minutes», répondit-elle. Sur quoi, il lui dit: «Je vous demandais l'heure, parce que F. L. est mort. Je viens de le voir.» Elle tâcha de lui persuader que c'était une imagination, mais il lui assura positivement qu'aucun argument ne pourrait changer son opinion.

Le lendemain dimanche, vers 3 heures de l'après-midi, A. L., frère de F. L., vint chez N. J. S., qui lui ouvrit la porte. A. L. dit: «Je suppose que vous savez ce que je viens de vous dire?» N. J. S. répliqua: «Oui, votre frère est mort.» A. L. dit: «Je pensais que vous le saviez.» «Pourquoi?» répliqua N. J. S. A. L. répondit: «Parce que vous aviez une grande sympathie l'un pour l'autre.» Plus tard, N. J. S. s'assura que A. L. était venu voir son frère le samedi soir, et qu'en le quittant, il avait vu à l'horloge de l'escalier qu'il était 9 heures moins 25 minutes. La sœur de F. L., qui vint le voir à 9 heures, le trouva mort; il était mort de la rupture d'un anévrisme.

C'est un simple exposé des faits, et la seule théorie que N. J. S. a sur le sujet est la suivante: Au moment suprême de sa mort, F. L. a éprouvé le vif désir de communiquer avec lui; par la force de sa volonté, il a donc imprimé sa propre image dans le sens de N. J. S.

En réponse à nos demandes, M. S. nous dit:

11 mars 1883.

Ma femme était assise à une table, au milieu de la chambre, au-dessus d'un lustre à gaz. Elle lisait ou elle travaillait à quelque ouvrage de couture. J'étais assis sur une chaise longue, placée contre le mur, dans l'ombre. Ma femme ne regardait pas dans la même direction que moi. Je m'appliquai à parler tranquillement pour ne pas l'alarmer; elle ne remarqua rien de particulier en moi.

Je n'ai jamais eu d'apparitions avant cette époque; je n'y croyais pas, parce que je ne voyais pas de raisons d'y croire.

M. A. L... me raconta que, tandis qu'il était en route pour m'annoncer la mort de son frère, il cherchait quelle serait la meilleure manière de m'apprendre la nouvelle. Mais, tout d'un coup, et sans autre raison que la connaissance de grande affection que nous avions l'un pour l'autre, l'idée lui vint que je pourrais le savoir.

Il n'y avait pas d'exemple de transmission de pensée entre nous. Il y a encore beaucoup de petits détails qu'il est impossible de donner en écrivant. Je suis donc tout à fait disposé à causer avec vous de tout cela et à répondre à toutes les questions, lorsque vous viendrez à la ville.

Il y a surtout un fait dont l'étrangeté me frappe, c'est la certitude profonde que j'ai qu'avant la mort de mon ami rien ne pouvait m'amener à cette idée. Je semblais cependant accepter tout ce qui se passait sans ressentir de surprise et comme si c'était chose toute naturelle.

N. J. S.

Mme S... nous envoie la confirmation suivante:

18 septembre 1883.

Le 29 septembre dernier, au soir, j'étais assise à une table et je lisais, mon mari était assis sur une chaise longue placée contre le mur de la chambre; il me demanda l'heure, et, sur ma réponse qu'il était 9 heures moins douze minutes, il me dit: «La raison pour laquelle je vous demande cela, c'est que S... est mort. Je viens de le voir.» Je lui répondis: «Quelle absurdité! Vous ne savez même pas s'il est malade; j'affirme que vous le verrez tout à fait bien portant lorsque vous irez en ville mardi prochain.» Cependant mon mari persista à déclarer qu'il avait vu S... et qu'il était sûr de sa mort; je remarquai alors qu'il avait l'air très inquiet et qu'il était fort pâle.»

Maria S...

Nous trouvons dans la nécrologie du Times que la mort de M. F. L. eut lieu le 24 mars 1883.

Dans une communication postérieure, M. S... dit:

23 février 1885.

Comme vous me l'avez demandé, j'ai prié M. A. L.. de vous écrire ce qu'il sait relativement au moment de la mort de son frère.

Depuis ce temps, j'ai souvent réfléchi sur cet incident: je ne suis pas à même de satisfaire mon propre esprit quant au pourquoi de l'apparition, mais j'affirme encore l'exactitude de chaque détail, je n'ai rien à ajouter ni à retrancher.

Le frère de M. L... confirme le fait de la manière suivante:

Banque d'Angleterre, 24 février 1885.

M. S.... m'a informé du désir que vous aviez de voir confirmer par écrit ce qu'il vous a raconté de la mort subite de mon frère Frédéric; je le prie en conséquence de vous communiquer les détails suivants: Mon frère n'était pas venu à son bureau le 24 mars 1883; j'allai, vers 8 heures du soir, le voir et je le trouvai assis dans sa chambre à coucher. Lorsque je le quittai, il se trouvait en apparence beaucoup mieux et je descendis vers 8 heures 40 à la salle à manger, où je restai avec ma sœur, à peu près une demi-heure. Aussitôt que je fus parti, elle monta à la chambre de mon frère, qu'elle trouva étendu sur le lit: il était mort. Le moment exact de sa mort ne sera par conséquent jamais connu. Lorsque je me rendis, le lendemain, chez M. S... pour lui apporter la nouvelle, l'idée me vint—je connaissais la forte sympathie qui existait entre eux—qu'il pourrait bien avoir eu un pressentiment de cette mort. Lorsqu'il vint à ma rencontre près de la porte, son regard me prouva qu'il savait tout; je lui dis donc: «Vous savez pourquoi je viens?» Il me raconta alors que, dans la soirée précédente, il avait vu mon frère Frédéric dans une vision, un peu avant 9 heures. Je dois vous dire que je ne crois pas aux visions et que je n'ai pas toujours vu les pressentiments se vérifier, mais je suis parfaitement convaincu de la véracité du récit de M. S... On me demande de le confirmer: je le fais volontiers, quoique je sache que je fortifie ainsi une doctrine dont je ne suis pas le disciple.

A. T. L.

Voici un second cas, encore plus typique. On remarquera la longue durée de l'apparition, et aussi cette expression qui se retrouve dans quelques autres observations: Je marchai à travers l'apparition.

Capitaine G. F. Russell Calt, Cartltierrie, Coatbridge, N. B.

Je passais mes vacances à la maison, je demeurais avec mon père et ma mère, non pas ici, mais dans une autre vieille résidence de famille, dans le Mid-Lothian, construite par un ancêtre au temps de Marie, reine d'Ecosse, et appelée Inveresk House. Ma chambre à coucher était une vieille pièce curieuse, longue et étroite, avec une fenêtre à un bout et une porte à l'autre. Mon lit était à gauche de la fenêtre et regardait la porte. J'avais un frère qui m'était bien cher (mon frère aîné), Oliver; il était lieutenant dans le 7e Royal Fusiliers. Il avait à peu près 19 ans et il se trouvait à cette époque, depuis quelques mois, devant Sébastopol. J'entretenais une correspondance suivie avec lui.

Un jour, il m'écrivit dans un moment d'abattement, étant indisposé; je lui répondis de reprendre courage, mais que, si quelque chose lui arrivait, il devait me le faire savoir en m'apparaissant dans ma chambre où, petits garçons encore, nous nous étions si souvent assis, le soir, fumant et bavardant en cachette. Mon frère reçut cette lettre (comme je l'appris plus tard) lorsqu'il sortait pour aller recevoir la sainte cène; le clergyman qui la lui a donnée me l'a raconté. Après avoir communié, il alla aux retranchements, d'où il ne revint pas; quelques heures plus tard, commença l'assaut du Redan. Lorsque le capitaine de sa compagnie fut tombé, mon frère prit sa place, et il conduisit bravement ses hommes. Bien qu'il eût déjà reçu plusieurs blessures, il faisait franchir les remparts à ses soldats, lorsqu'il fut frappé d'une balle à la tempe droite. Il tomba parmi les monceaux d'autres; il fut trouvé dans une sorte de posture agenouillée (il était soutenu par d'autres cadavres), 36 heures plus tard. Sa mort eut lieu, ou plutôt il tomba, peut-être sans mourir immédiatement, le 8 septembre 1855.

»Cette même nuit, je me réveillai tout d'un coup. Je voyais en face de la fenêtre de ma chambre, près de mon lit, mon frère à genoux, entouré, à ce qu'il me semblait, d'un léger brouillard phosphorescent. Je tâchai de parler, mais je ne pus y réussir. J'enfonçai ma tête dans les couvertures; je n'étais pas du tout effrayé (nous avons tous été élevés à ne pas croire aux esprits et aux apparitions), mais je voulais simplement rassembler mes idées, parce que je n'avais pas pensé à lui, ni rêvé de lui, et que j'avais oublié ce que je lui avais écrit une quinzaine avant cette nuit-là. Je me dis que ce ne pouvait être qu'une illusion, un reflet de la lune sur une serviette ou sur quelque autre objet hors de sa place. Mais lorsque je levai les yeux, il était encore là, fixant sur moi un regard plein d'affection, de supplication et de tristesse. Je m'efforçai encore une fois de parler, mais ma langue était comme liée; je ne pus prononcer un son. Je sautai du lit, je regardai par la fenêtre et je m'aperçus qu'il n'y avait pas de clair de lune: la nuit était noire et il pleuvait serré, à en juger d'après le bruit qu'on entendait contre les carreaux; je me retournai, et je vis encore le pauvre Oliver: je fermai les yeux, marchai à travers l'apparition et arrivai à la porte de la chambre. En tournant le bouton, avant de sortir, je regardai encore une fois en arrière. L'apparition tourna lentement la tête vers moi et me jeta encore un regard plein d'angoisse et d'amour. Pour la première fois, je remarquai alors à la tempe droite une blessure d'où coulait un filet rouge. Le visage avait un teint pâle comme de la cire, mais transparent; transparente était aussi la marque rouge. Mais il est presque impossible de décrire l'apparence de la vision. Je sais seulement que je ne l'oublierai jamais. Je quittai la chambre et j'allai dans celle d'un ami, où je m'installai sur le sofa pour le reste de la nuit; je lui dis pourquoi. Je parlai aussi de l'apparition à d'autres personnes de la maison; mais, lorsque j'en parlai à mon père, celui-ci m'ordonna de ne pas répéter un tel non-sens, et surtout de n'en rien dire à ma mère.

Le lundi suivant, il reçut une note de Sir Alexandre Milne annonçant que le Redan avait été pris d'assaut, mais sans donner des détails. Je dis à mon ami de me le faire savoir, s'il voyait avant moi le nom de mon frère parmi les tués et les blessés. Environ une quinzaine plus tard, il entra dans la chambre à coucher que j'occupais dans la maison de sa mère, à Athole Crescent, Edinburgh.

Je lui dis, l'air très grave: «Je suppose que vous venez pour me communiquer la triste nouvelle que j'attends.» Il répondit: «Oui.» Le colonel du régiment et un officier ou deux, qui avaient vu le cadavre, confirmaient le fait que l'apparence du corps s'accordait très bien avec ma description. La blessure mortelle était exactement là où je l'avais vue. Mais personne ne put dire s'il était vraiment mort tout de suite. Son apparition, dans ce cas, devait avoir eu lieu quelques heures après sa mort, car je l'avais vue quelques minutes après 2 heures du matin. Quelques mois plus tard, on renvoya à Inveresk un petit livre de prières et la lettre que je lui avais écrite. Les deux objets avaient été trouvés dans la poche intérieure de la tunique qu'il portait au moment de sa mort; je les ai encore.

Le récit de la London Gazette Extraordinary, du 22 septembre 1855, prouve que l'assaut du Redan commença dans l'après-midi du 8 septembre et qu'il dura au moins une heure et demie. Le rapport de Bunell nous apprend «que les morts, les moribonds et les non blessés étaient empilés pêle-mêle.» L'heure exacte de la mort du lieutenant Oliver Calt n'est pas connue.

Le capitaine Calt dit dans une autre communication:

Mon père reçut la lettre de l'amiral Milne juste au moment où nous partions en voiture pour visiter des ruines situées à une distance de quelques milles. Mon père conduisait, j'étais assis à côté de lui, et il fit l'observation: «J'ai bien fait de vous dire de ne pas parler à votre mère de l'apparition de votre frère Oliver. J'espère que vous défendrez à toutes les personnes auxquelles vous en avez parlé de mentionner cet incident, parce que, à présent, depuis cette nouvelle, votre mère serait doublement tourmentée.»

Le capitaine Calt nous a nommé plusieurs personnes qui pourraient confirmer son récit. Sa sœur, Mme Halpe, de Fermey, nous a envoyé la lettre suivante:

Le 12 septembre 1882.

Dans la matinée du 8 septembre 1855, mon père, M. Calt, nous a raconté, à moi, au capitaine Ferguson, du 42e régiment, qui est mort depuis, au major Dorwick, de la Rifle Brigade (qui vit encore), et à d'autres, qu'il s'était réveillé pendant la nuit et qu'il avait vu, lui avait-il semblé, mon frère aîné, le lieutenant Oliver Calt, des Royal Fusiliers (alors en Crimée), qui se tenait debout entre le lit et la porte. Il avait vu que Oliver avait été blessé de plusieurs balles; je me souviens qu'il nous a parlé d'une blessure à la tempe. Mon frère s'était levé; il s'était précipité, les yeux fermés, vers la porte et, en se retournant, il avait vu l'apparition, qui se tenait entre lui et le lit. Mon père lui ordonna de ne plus parler de cela pour ne pas effrayer ma mère; mais, bientôt après, arrive la nouvelle de la chute du Redan et de la mort de mon frère.

Deux années plus tard, mon mari, le colonel Hape, invita mon frère à diner. Mon mari n'était alors encore que lieutenant aux Royal Fusiliers, et mon frère, enseigne aux Royal Welsh Fusiliers. Ils parlèrent à diner de mon frère aîné. Mon mari indiquait quel était l'aspect de son cadavre, quand on l'avait trouvé, lorsque mon frère décrivit, ce qu'il avait vu. A l'étonnement de toutes les personnes présentes, la description des blessures correspondait aux faits.

Mon mari était l'ami le plus intime de mon frère aîné; il était parmi ceux qui virent le cadavre immédiatement après qu'on l'eut retrouvé.

On remarquera que cette confirmation diffère du récit précédent en deux points qui, cependant, n'affectent pas grandement sa valeur. La date de l'apparition était, en réalité, le 9 septembre et non le 8, mais il est très naturel que la vision a été associée à la date mémorable, c'est-à-dire le 8 septembre, et la figure était à genoux et non pas debout.

Citons maintenant un exemple d'hallucination véridique, où l'agent est dans un état parfaitement normal.

XCIV (256) Mlle Hopkinson, 37, Wolcem place, WC, Londres.

26 février 1886.

«Dans le cours de ma vie, j'ai été accusée quatre fois d'apparaître aux gens. Je ne puis donner aucune explication de ces visites supposées.»

Nous avons demandé à Mlle Hopkinson des détails et la confirmation des faits qu'elle avançait: elle nous a répondu:

«Vous seriez tout à fait excusable de ne pas croire un mot de mes récits; je ne peux, en effet, vous donner aucun témoignage extérieur pour les confirmer. La jeune femme qui a vu la première apparition est morte peu de temps après; ses parents, eux aussi, sont morts. Lors de la seconde apparition, j'ai donné à entendre au monsieur à qui j'étais apparue qu'il s'était trompé; je ne puis rien lui demander maintenant. Dans le troisième cas, bien que la dame qui m'a vue m'ait encore raconté les faits, il y a un ou deux jours, elle se refuse absolument à m'en écrire le récit ou à me permettre de me servir de son nom. Elle pense, en effet, et c'est une idée assez répandue, qu'il est contraire à la religion de s'occuper de ces sortes de choses. Le quatrième cas diffère des autres à certains égards, mais la jeune femme dont il s'agit, dans cette circonstance, mourut peu de temps après; je dois dire que, dans tous ces cas, ma pensée était fort occupée des personnes qui crurent me voir. Voici des détails plus circonstanciés:

Premier cas.—C'était, il y a bien des années déjà: une jeune fille qui couchait dans une chambre contiguë à la mienne, déclara que, pendant la nuit, j'étais allée la voir; elle était réveillée et je lui avais rendu, disait-elle, quelques légers services. Elle maintint ses affirmations avec tant d'énergie que, malgré toutes mes dénégations, ceux qui l'entouraient ne me crurent pas. J'étais absolument certaine de ne pas avoir quitté ma chambre, je n'aurais pu le faire sans qu'on s'en fût aperçu. Je n'aurais pas confiance en ma mémoire pour d'autres détails; après un si long laps de temps, je pourrais me tromper.

Deuxième cas.—Il y a sept ans, j'étais allée dans la cité (endroit que j'évite toujours), ayant à m'occuper d'une petite affaire qui concernait un de mes parents. Je tenais beaucoup à ce qu'il ne sût rien de ma démarche. Mes pensées étaient donc concentrées sur lui. Je fus tirée de ma rêverie par l'horloge de Bow Church qui sonnait 3 heures. Le soir, je vis mon parent, et la première chose qu'il me dit fut: «L..., où êtes-vous allée aujourd'hui? Je vous ai vu venir chez moi, vous avez passé devant mon bureau, et je ne sais ce que vous êtes devenue.» Je lui répondis: «A quel moment avez-vous été assez ridicule pour penser que j'aurais pu aller vous voir»?—«Au moment où la pendule sonnait 3 heures», répliqua-t-il.

Je changeai de sujet, et depuis je ne suis pas revenue là-dessus. Ce monsieur me connaissait fort bien et savait comment je m'habillais d'ordinaire. Il va de soi que je n'allais pas le voir, si ce n'est pour affaires et lorsqu'il me donnait rendez-vous.

Troisième cas.—C'était il y a environ 6 ans: j'habitais une maison de province à 100 milles de Londres. On était fort occupé dans la maison et d'esprit fort positif. Il y avait aussi beaucoup de jeunes gens très gais. Un matin, je descendis pour déjeuner, comme pressée par une sensation que je ne pouvais ni comprendre ni secouer. L'après-midi, cette sensation fut remplacée par l'idée obsédante d'une de mes parentes de Londres. Je lui écrivis pour lui demander ce qu'elle faisait, mais sa lettre se croisa avec la mienne; elle m'adressait la même question. Quand je la vis, elle m'a dit ce qu'elle m'a encore répété la semaine dernière: elle était assise et travaillait tranquillement, lorsque la porte s'ouvrit et j'entrai, ayant mon air habituel. Bien qu'elle me sût fort loin, elle conclut, en me voyant, que j'étais revenue. Elle ne s'aperçut du contraire que lorsque je me fus retournée et que je fus sortie de la chambre.

Quatrième cas.—Il y a quatre ans, une jeune fille m'affirma que je m'étais tenue au pied de son lit (elle était souffrante à ce moment-là) et que je lui avais dit distinctement de se lever, de s'habiller, que je la croyais suffisamment bien pour le faire; elle obéit. Je lui dis qu'elle s'était tout à fait trompée et que je n'avais rien fait de pareil. Elle pensa évidemment que je niais le fait pour un motif quelconque. A ce moment-là, j'étais à une distance de 20 minutes de marche de la chambre de cette jeune fille. Elle était sûre de ce qu'elle affirmait et je n'aurais pas voulu discuter la question avec elle.

Sa maladie n'était pas une maladie mentale.»

Louisa Hopkinson.

Il semblerait que des cas semblables dussent aider à découvrir le mécanisme de la production des hallucinations télépathiques; en réalité, on le voit, il n'en est rien. Bien mieux, des faits de ce genre semblent obscurcir encore la genèse du phénomène.

Le livre anglais contient plus de cent observations d'hallucinations visuelles analogues à celles que nous venons de citer.

B.Hallucinations télépathiques auditives

Les hallucinations véridiques auditives sont moins nombreuses que les visuelles.

Comme ces dernières, elles présentent divers degrés d'intensité et de netteté.

Du côté du sujet, tantôt ce n'est qu'un son inarticulé, un simple bruit qu'il perçoit, tantôt (et c'est le cas le plus fréquent) c'est une voix humaine qui est reconnue ou non. Cette voix pousse un simple cri, ou bien prononce des paroles.

Du côté de l'agent, dans les cas qui n'ont pas été suivis de mort, et où la vérification est possible, il arrive que les cris ou les mots n'ont été qu'à demi-émis, et même simplement imaginés.

Ces diverses classes d'hallucinations auditives indiquées, voici quelques observations empruntées toujours au livre de MM. Gurney, Myers et Podmore.

Dans la suivante, il s'agit d'un cri terrible d'agonie poussé par l'agent et entendu par le sujet qui ne reconnaît pas la voix.

CIX (34). Ce récit est dû à un homme fort honorable que nous désignerons par les initiales de A. Z... Il nous a donné les noms véritables de toutes les personnes dont il est question dans son récit, mais il désire qu'ils ne soient pas publiés, en raison du caractère douloureux des faits qui y sont rapportés.

Mai 1885.

«En 1876, je demeurais dans une petite paroisse agricole de l'est de l'Angleterre.

J'avais pour voisin un jeune homme S. B... qui possédait, depuis peu, une des grandes fermes du pays. Pendant qu'on arrangeait sa maison, il logeait, avec son domestique, à l'autre bout du village. Son logement était fort éloigné de ma maison; il en était distant d'un demi-mille au moins, et il en était séparé par beaucoup de maisons et de jardins, par une plantation et des bâtiments de ferme. Il aimait les exercices du corps et la vie en plein air, et passait une bonne partie de son temps à chasser. Ce n'était pas pour moi un ami personnel, mais une simple relation; je ne m'intéressais à lui que comme à l'un des grands propriétaires du pays. Par politesse, je l'ai invité à venir me voir, mais autant que je m'en souviens, je ne suis jamais allé chez lui.

Une après-midi du mois de mars 1876, comme je quittais la gare, avec ma femme, pour rentrer chez moi, S. B... nous aborda. Il nous accompagna jusqu'à la porte d'entrée; il resta encore quelques instants à causer avec nous, mais il n'y eut rien de particulier dans cette conversation. Il faut noter que la distance entre cette porte et les fenêtres des salles à manger est, par le chemin, à 60 yards; mais les fenêtres de ces pièces donnent au nord-est sur le chemin à voitures.

Après que S. B... eut pris congé de nous, ma femme me dit: «Evidemment, le jeune B... désirait que nous lui disions d'entrer, mais j'ai pensé que vous ne vous souciez pas de vous laisser déranger par lui.» Une demi-heure plus tard environ, je le rencontrai de nouveau, et, comme je voulais jeter un coup d'œil sur un travail que l'on faisait tout au bout du domaine, je lui demandai de faire la route avec moi. Sa conversation n'eut rien de particulier, ce jour-là; toutefois, il semblait être un peu ennuyé par le mauvais temps et le bas prix des produits agricoles. Je me rappelle qu'il me demanda des cordages en fil de fer, pour faire un treillage dans sa ferme, et que je lui promis de lui en donner. Au retour de notre promenade et à l'entrée du village, je m'arrêtai au chemin de traverse pour lui dire bonsoir; le chemin qui conduisait chez lui tombait à angle droit sur le mien. Et à ma grande surprise, je l'entendis dire: «Venez fumer un cigare chez moi, ce soir.» Je lui répondis: «Ce n'est guère possible, je suis engagé ce soir.» «Venez donc!» me dit-il. «Non, lui répliquai-je, je viendrai un autre soir.» Sur ce mot, nous nous séparâmes.

Nous étions peut-être à 40 yards l'un de l'autre, lorsqu'il se retourna vers moi et me cria: «Alors, puisque vous ne viendrez pas, bonsoir.» Ce fut la dernière fois que je le vis vivant.

Je passai la soirée à écrire dans ma salle à manger. Je puis dire que, pendant quelques heures, il est fort probable que la pensée du jeune homme B... ne me vînt pas à l'esprit. La nuit était brillante et claire, et la lune était pleine ou peu s'en fallait; il ne faisait pas de vent. Depuis que j'étais rentré, il avait un peu neigé, tout juste assez pour blanchir la terre.

A 10 heures moins 5 environ, je me levai et je quittai la chambre; je pris une lampe sur la table du vestibule et je la mis sur un guéridon placé dans l'embrasure de la fenêtre de la salle à déjeuner. Les rideaux des fenêtres n'étaient pas fermés. Je venais de prendre dans la bibliothèque un volume de l'ouvrage de Macgillivray sur les Oiseaux d'Angleterre, pour y chercher un renseignement. J'étais en train de lire le passage, le livre approché tout près de la lampe et mon épaule appuyée contre le volet; j'étais dans une position où je pouvais entendre le moindre bruit du dehors. Tout à coup, j'entendis distinctement qu'on avait ouvert la grande porte de devant et qu'on l'avait refermée en la faisant claquer. Puis, j'entendis des pas précipités qui s'avançaient sur le chemin. Les pas étaient d'abord fort distincts et très sonores; mais, quand ils arrivèrent en face de la fenêtre, la pelouse qui était au-dessous de la fenêtre en amortit le son, et, au même moment, j'eus la conscience que quelque chose se tenait tout près de moi, en dehors, séparé seulement de moi par la mince jalousie et le carreau de verre. Je pus entendre la respiration courte, haletante, pénible du messager, ou de quoi que ce fût, qui s'efforçait de reprendre haleine avant de parler. Avait-il été attiré par la lumière qui filtrait à travers les volets? Mais, subitement, pareil à un coup de canon, retentit en dedans, en dehors, partout, le plus épouvantable cri, un gémissement, une plainte prolongée d'horreur qui glaça le sang dans mes veines. Ce ne fut pas un seul cri, mais un cri prolongé, qui commença sur une note très élevée, puis qui s'abaissa et qui allait s'égrenant, s'éparpillant en gémissements vers le Nord; il devenait de plus en plus faible, comme s'il s'évanouissait dans les sanglots et les affres d'une horrible agonie. Impossible de décrire mon épouvante et mon horreur, augmentées dix fois lorsque je retournai dans la salle à manger et que j'y trouvai ma femme, tranquillement assise à son travail, près de la fenêtre, située sur la même ligne que celle de la salle à déjeuner, et qui était éloignée seulement de 10 à 12 pieds. Elle n'avait rien entendu. Je vis cela du premier coup d'œil; d'après la position où je la trouvai assise, je pouvais conclure qu'elle aurait dû entendre le moindre bruit qui se serait produit au dehors et surtout le bruit des pas sur le sable. S'apercevant que quelque chose m'avait alarmé, elle me demanda: «Qu'y-a-t-il?» «Il y a seulement quelqu'un dehors», lui dis-je. «Alors, pourquoi ne sortez-vous pas pour aller voir? Vous le faites toujours, quand vous entendez quelque bruit extraordinaire.» Je dis: «Il y a quelque chose de si étrange et de si terrible dans ce bruit, que je n'ose pas le braver. Ce doit être la banshee (la fée) qui a crié.»

Le jeune S. B..., après avoir pris congé de moi, était rentré chez lui. Il avait passé la plus grande partie de la soirée sur le sofa, lisant un roman de Whyle Melville. Il avait vu son domestique à 9 heures et lui avait donné des ordres pour le lendemain. Le domestique et sa femme, qui habitaient seuls la maison avec S. B..., allèrent se coucher. A l'enquête, le domestique déclara qu'au moment où il allait s'endormir, il avait été brusquement réveillé par un cri. Il courut dans la chambre de son maître qu'il trouva expirant sur le sol. On constata que le jeune B... s'était déshabillé en haut et qu'il était descendu dans son salon, vêtu seulement de sa chemise de nuit et de son pantalon; il s'était versé un demi-verre d'eau, dans lequel il avait vidé un flacon d'acide prussique (il se l'était procuré le matin, sous prétexte d'empoisonner un chien; en réalité, il n'avait pas de chien). Il était remonté et, après être rentré dans sa chambre, il avait vidé le verre, en poussant un cri: il s'était abattu mort par terre. Tout cela s'était passé, autant du moins que je puis le savoir, exactement au même moment où j'avais été si effrayé chez moi. Il est tout à fait impossible qu'aucun bruit, sauf peut-être celui d'un coup de canon, ait pu arriver à mon oreille, depuis la maison de B... Les fenêtres et les portes étaient fermées; il y avait entre sa maison et la mienne un grand nombre d'obstacles: des maisons, des jardins, des fermes, des plantations, etc.

Forcé de partir par le premier train, j'étais sorti le lendemain matin de bonne heure, et, examinant le terrain au-dessous de la fenêtre, je ne trouvai aucune trace de pas sur le sable ou le gazon: le sol était encore couvert de la légère couche de neige tombée le soir précédent.

Tout l'incident avait été un rêve d'un moment, une imagination, appelez-le comme vous voudrez; je raconte simplement les faits comme ils se sont passés, sans essayer d'en fournir une explication, qu'en vérité je suis tout à fait incapable de donner. Tout l'incident est un mystère et restera toujours un mystère pour moi. Je n'appris les détails de la tragédie que dans l'après-midi du lendemain, parce que j'étais parti par le premier train. On disait que le motif du suicide était un chagrin d'amour.»

Dans une lettre ultérieure, datée du 12 juin 1885, M. A. Z... nous dit:

«Le suicide a eu lieu dans cette paroisse, le jeudi 9 mars 1876, vers 10 heures du soir. L'enquête a eu lieu le samedi 11; elle fut faite par.... alors coroner. Il y a quelques années qu'il est mort, autrement j'aurais peut-être obtenu de lui une copie des notes qu'il a prises alors; vous trouverez probablement quelques détails de l'enquête, dans le.... du 17 mars.

Moi-même, je n'appris les détails de l'événement qu'à mon retour, dans l'après-midi du vendredi, c'est-à-dire dix-sept heures plus tard.

La légère couche de neige tomba vers 8 heures, pas plus tard. A partir de ce moment, la nuit fut claire et belle et très silencieuse; il gela assez dur; j'ai des preuves de tout cela qui pourraient satisfaire n'importe quel magistrat.

Le lendemain matin, de bonne heure, avant de quitter la maison pour toute la journée, j'allai voir sous la fenêtre s'il y avait des traces de pas. Peut-être n'est-il pas tout à fait exact de dire qu'il avait neigé. Il était tombé plutôt un peu de grêle et de grésil, et l'on voyait à travers les brins d'herbe, mais cela suffisait pour que personne ne pût passer par là sans laisser de traces.

Je n'assistai pas moi-même à l'enquête, de sorte que je n'en sais que ce que j'ai entendu dire. Dans mon récit, j'ai dit que le domestique avait été réveillé par un cri. J'ai interrogé cet homme (dont M. Z... donne le nom) et je l'ai serré de près, en le contre-interrogeant sur ce détail de sa déclaration: il est plus exact de dire qu'il fut réveillé par une série de bruits, qui se terminèrent par un fracas ou une «lourde chute». Cela est probablement plus exact, car le fils du fermier (suit le nom), qui demeurait dans la maison voisine, fut réveillé par la même sorte de bruits, qui arriva de la maison de B... à travers le mur, jusqu'à la chambre où il couchait.

Cependant, je ne veux pas que l'on pense que des bruits matériels quelconques, entendus dans la maison de B... aussi bien que dans celle du voisin, aient pu avoir quelques relations avec le bruit et le cri particulier qui m'ont tant effrayé. Toute personne, connaissant la localité, doit admettre l'impossibilité absolue que de pareils bruits puissent traverser tous les obstacles interposés. Je veux seulement dire que la scène qui se passa dans l'une des deux maisons coïncida avec mon alarme et avec les phénomènes qui se passaient dans l'autre maison.

J'apprends par un renseignement, puisé dans le livre de.... (suit le nom), pharmacien de..., que le jeune S. B.. s'était procuré le poison le 8 mars. Ci-joint, en réponse à votre demande, une note de Mme A. Z...»

La note ci-jointe, signée par Mme A. Z... et aussi datée du 12 juin 1885, dit ce qui suit:

«Je puis attester que, dans la nuit du 9 mars 1876, vers dix heures, mon mari, qui était allé dans la chambre attenante, pour consulter un livre, fut fortement alarmé par des bruits qu'il entendit. A ce qu'il me dit, il avait entendu la grande porte claquer, puis des pas sur le chemin et sur la pelouse, puis une respiration haletante près de la fenêtre, et enfin un cri terrible.

Je n'entendis rien du tout. Mon mari ne sortit pas pour regarder autour de la maison, comme il aurait fait en tout autre moment. Et lorsque je lui demandai ensuite pourquoi il n'était pas sorti, il me dit: «Parce que j'ai senti que je ne pouvais pas.» Lorsqu'il alla se coucher, il monta son fusil, et lorsque je lui demandai pourquoi, il me répondit: «Parce qu'il doit y avoir quelqu'un par ici.»

Le lendemain matin, il partit de bonne heure, et il n'entendit pas parler du miracle de M. S. B... avant l'après-midi du même jour.»

M. A. Z... nous a dit qu'il n'avait jamais éprouvé d'impression semblable.

Un article d'un journal local, que nous avons lu, donne une relation du miracle et de l'enquête qui confirme le récit donné par M. A. Z...

Dans le cas suivant, le sujet a entendu une phrase tout entière, qui probablement a été prononcée par l'agent ou tout au moins fortement imaginée:

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