Les Phénomènes Psychiques Occultes: État Actuel de la Question
CXI. (284). R. H. K. Killick Greatmeaton Rectory, Northalleston. C'est un extrait d'une lettre adressée au Rev. R. H. Davies de Chelson. Cette lettre ne porte pas de date.
Le Rev. Davies nous a dit, le 15 novembre 1885, qu'il devait l'avoir reçue il y a dix ou douze ans. M. Killick nous a envoyé, le 23 avril 1884, un récit presque identique; nous n'avons pu obtenir de sa femme qui est maintenant infirme, une confirmation directe du récit, mais M. Killick nous a dit que les souvenirs de sa femme étaient d'accord avec les siens. L'événement s'est passé il y a plus de trente ans.
«Une de mes filles bien-aimées (maintenant mariée) était avec toute ma famille à notre presbytère, dans le Wiltshire: j'étais alors à Paris. Un dimanche après-midi, j'étais assis dans la cour de l'hôtel où je prenais mon café, lorsqu'une pensée traversa subitement mon esprit: «Etta est tombée dans l'eau.»
Dans le récit qu'il nous a envoyé plus tard: le passage parallèle est «quand, tout à coup, je crus entendre une voix me dire: «Etta est tombée dans l'étang.»
Je dois vous dire que nous avions une très grande pelouse, une belle pièce d'eau artificielle, avec une allée verte tout autour, une cascade, une grotte, etc. C'était l'endroit préféré.
J'essayai de chasser cette pensée, mais en vain. Je me promenai durant des heures dans Paris, essayant d'effacer cette impression, mais en vain. Je marchai jusqu'à ce que je ne pusse plus aller; je rentrai me coucher, mais sans pouvoir dormir. Le lendemain, j'allai au bureau de poste, dans l'espoir d'y trouver des lettres; il n'y en avait pas. Je ne pouvais plus rester à Paris; j'allai à l'ambassade et je pris un passeport pour Bruxelles.
Je reçus ensuite des lettres où l'on me disait que tout le monde se portait bien; j'achevai mon voyage, sans parler de «mon inquiétude absurde», comme je l'appelais.
Quelques mois plus tard, je dînais chez des amis, lorsque la maîtresse de la maison dit: «Qu'avez-vous pensé d'Etta, quand vous l'avez appris?»
—Appris quoi? dis-je.
—Oh! dit la dame, ai-je trahi un secret?
—Je ne vous quitte pas avant de tout savoir.
Elle me dit: «Ne me faites pas arriver d'ennuis, mais je parlais de sa chute dans l'étang.»
—Quel étang?
—Votre étang.
—Mais quand?
—Lorsque vous étiez sur le continent.»
Comme j'allais partir, je ne parlai plus de cela, mais je me hâtai de rentrer à la maison, je cherchai la gouvernante, et lui demandai ce que tout cela voulait dire.
Elle me répondit: «Oh! que c'est cruel de vous le dire, maintenant que tout est passé. Eh bien! une après-midi de dimanche, nous nous promenions près de l'étang, lorsque Théodore dit: «Etta, c'est si drôle de marcher les yeux fermés.» Elle essaya, et tomba dans l'eau. J'entendis un cri, je regardai et je vis la tête d'Etta sortir de l'eau; je courus, la saisis et la tirai hors l'étang. Oh! c'est affreux! Alors je la portai à sa maman; nous la mîmes au lit et elle se remit bien vite.» Je lui demandai le jour: c'était «le dimanche même où j'étais à Paris et où j'avais eu cette affreuse impression.»
Je demandai l'heure. C'était vers quatre heures! le moment même où cette pensée pénible s'était présentée à mon esprit.
Je dis alors: «Cela m'a été révélé à Paris, au moment même de l'accident,» et, pour la première fois, je lui parlai de la triste impression que j'avais éprouvée à Paris, cette après-midi.»
R. Henry Killick.
M. Killick nous écrit, le 6 mai 1884:
«Vous me demandez si c'est la seule impression de ce genre que j'aie eue; je crois pouvoir répondre que oui. Je ne me rappelle rien de semblable. Vous me demandez si l'étang était dangereux, etc. On ne permettait jamais aux enfants de s'en approcher, si ce n'est avec des personnes sérieuses; l'accès en était défendu, et l'étang était loin de leur terrain de jeu. Nous étions si sévères et si attentifs qu'un accident était impossible. Nous n'avions pas d'inquiétude à ce sujet-là.
A ce moment, dix enfants se trouvaient réunis chez moi; et l'enfant qui faillit se noyer était bien présente à mon esprit à ce moment, et non une autre. La voix semblait dire: «Etta est tombée dans l'étang.»
On trouve dans les Phantasms of the Living le récit de 36 autres cas semblables.
C.—Hallucinations télépathiques tactiles
Les hallucinations tactiles, d'origine télépathique, sont encore plus rares que les auditives.
Il en est de même, du reste, pour les hallucinations du toucher, qui sont simplement subjectives. Dans ce dernier cas même, on peut supposer que, souvent, la sensation a eu pour origine une secousse musculaire involontaire, ce qui réduit encore le nombre des hallucinations tactiles ordinaires.
Rien d'étonnant donc à ce que celles qui sont de nature télépathique soient aussi rares.
Dans ces dernières, tantôt le sens du toucher est seul impressionné, tantôt les autres sens participent aussi à l'impression.
Voici maintenant quelques observations.
—Dans celle-ci, l'hallucination affecte le toucher seul:
CXV (292) M. J. C. Harris, Wellington, Nouvelle-Zélande, propriétaire du New Zealand Times et du New Zealand Mail.
6 juillet 1887.
«Ma femme avait un oncle, capitaine dans la marine marchande, qui l'aimait beaucoup; lorsqu'elle était enfant, et souvent, lorsqu'il était chez lui, à Londres, il la prenait sur ses genoux, et lui caressait les cheveux. Elle partit avec ses parents pour Sydney, et son oncle continua son métier dans d'autres parties du monde.
Environ trois ou quatre ans plus tard, elle était montée s'habiller pour dîner: elle avait défait ses cheveux; tout d'un coup, elle sentit une main se poser sur le sommet de sa tête et caresser rapidement ses cheveux, jusqu'à ses épaules. Effrayée, elle se retourna et dit: «Oh! mère, pourquoi me faire peur ainsi?» Car elle croyait que sa mère voulait lui faire une niche. Il n'y avait personne dans la chambre. Lorsqu'elle raconta l'incident à table, un ami superstitieux leur conseilla de prendre note du jour et de la date.
On le fit. Un peu plus tard, arriva la nouvelle que son oncle William était mort ce jour-là; si l'on tient compte de la différence de longitude c'était à peu près l'heure à laquelle elle avait senti la main se poser sur sa tête.»
Voici le récit de Mme Harris elle-même:
Hill Street, Wellington, Nouvelle-Zélande.
5 décembre 1855.
«Je regrette vivement qu'il ne soit pas en mon pouvoir, tout désireux que nous soyons d'aider, si peu que ce soit, la cause de la science, de vous fournir une confirmation du récit de mon mari. Des amies que j'avais alors, une seule vit encore et elle habite dans le Queensland. Nous n'avons pas considéré les notes prises alors comme assez importantes pour être gardées; et nous n'avons ni lettres de faire part, ni annonce de décès. Par conséquent, mon récit ne peut, je le comprends, avoir une grande valeur, puisqu'aucun témoignage ne vient le confirmer. Toutefois, pour vous être agréable, je vous envoie mon récit, bien assurée que vous le considérerez comme authentique.
Le fait a eu lieu, il y a si longtemps, que, bien que l'incident soit présent à ma mémoire, la date précise (qui n'a jamais été soigneusement prise) m'échappe.
C'était en 1860, au mois d'avril. J'étais alors jeune fille, j'étais debout devant ma toilette, dans ma chambre à coucher, arrangeant quelque détail de ma toilette.
Il était à peu près 6 heures du soir, et à cette époque de l'année, c'est déjà le crépuscule, lorsque, tout à coup, je sentis une main se poser sur ma tête, descendre le long de mes cheveux, et s'appuyer lourdement sur mon épaule gauche. Effrayée par cette caresse inattendue, je me retournais vivement pour reprocher à ma mère d'entrer sans bruit, quand, à ma grande surprise, je ne vis personne. Aussitôt, je pensai à l'Angleterre, où mon père était parti au mois de janvier précédent, et je pensai que quelque chose était arrivé, bien qu'il me fût impossible de rien définir.
Je descendis, et je racontai ma peur à ma mère. Dans la soirée, Mme et Mlle W... vinrent, et comme elles s'informaient des causes de ma pâleur, on les mit au courant de l'affaire. Mme W... dit immédiatement: «Notez la date, et nous verrons ce qui aura lieu.» On le fit, et l'incident cessa de nous troubler, bien que ma famille attendit avec inquiétude la première lettre de mon père. Dans la première lettre que nous reçûmes, il nous raconta qu'à son arrivée en Angleterre, il avait trouvé son frère Henri gravement malade, mourant, à vrai dire. Dans mon enfance, j'étais sa préférée, et à sa mort, mon nom fut le dernier mot qu'il prononça.
En comparant les dates et en tenant compte de la différence de longitude, nous trouvâmes que l'époque de la mort de mon oncle coïncidait exactement avec celle de mon étrange impression. Je me rappelai aussi que mon oncle avait l'habitude de me caresser les cheveux. Ma mère, qui demeure avec moi, est la seule personne qui puisse confirmer l'histoire, et elle signe avec moi ce récit.»
Elisabeth Harris.
Elisabeth Bradford.
En réponse à nos questions, Mme Harris nous dit qu'elle n'a jamais eu d'autres hallucinations.
Dans le Thame Gazette et le Oxford Chronicle, nous voyons que l'oncle de Mme Harris mourut le 12 mai (et non avril) 1860, à l'âge de 51 ans.
L'observation suivante nous présente un cas d'hallucination tactile accompagnée d'hallucination visuelle:
CXVIII.—Mme Randolph Lichfield, Cross Deeps Twickenham. Son mari n'a pu confirmer le récit par écrit parce que des douleurs dans la main l'empêchent d'écrire.
1883.
«J'étais assise dans ma chambre, un soir avant mon mariage, près d'une table de toilette, sur laquelle était posé le livre que je lisais: la table était dans un coin de la chambre, et le large miroir qui était dessus touchait presque le plafond, de sorte que l'image de toute personne qui se trouvait dans la chambre pouvait s'y refléter tout entière. Le livre que je lisais ne pouvait nullement affecter mes nerfs, exciter mon imagination. Je me portais très bien, j'étais de bonne humeur, et rien ne m'était arrivé, depuis l'heure où j'avais reçu mes lettres, le matin, qui eût pu me faire penser à la personne à laquelle se rapporte l'étrange impression que vous me demandez de raconter. J'avais les yeux fixés sur mon livre; tout à coup je sentis, mais sans le voir, quelqu'un entrer dans ma chambre. Je regardai dans le miroir pour savoir qui c'était, mais je ne vis personne. Je pensais naturellement que ma visite, me voyant plongée dans ma lecture, était ressortie, quand, à mon vif étonnement, je ressentis un baiser sur mon front, un baiser long et tendre. Je levai la tête nullement effrayée, et je vis mon fiancé debout derrière ma chaise, penché sur moi, comme pour m'embrasser de nouveau. Sa figure était très pâle et triste au-delà de toute expression. Très surprise, je me levai, et, avant que j'aie pu parler, il avait disparu, je ne sais comment. Je ne sais qu'une chose, c'est que, pendant un instant, je vis bien nettement tous les traits de sa figure, sa haute taille, ses larges épaules, comme je les ai vus toujours, et le moment d'après, je ne vis plus rien de lui.
D'abord, je ne fus que surprise, ou pour mieux dire, perplexe. Je n'éprouvai aucune frayeur, je ne crus pas un instant que j'avais vu un esprit; la sensation qui s'ensuivit fut que j'avais quelque chose au cerveau, et j'étais reconnaissante que cela n'eût pas amené une vision terrible, au lieu de celle que j'avais éprouvée, et qui m'avait été fort agréable. Je me rappelle avoir prié pour ne pas imaginer quelque chose de terrifiant.
Le lendemain, à ma grande surprise, je ne reçus pas ma lettre habituelle de mon fiancé; quatre distributions eurent lieu, pas de lettre; le jour suivant, pas de lettre. Je me révoltais naturellement à l'idée qu'on me négligeait, mais je n'aurais pas eu la pensée de le faire savoir au coupable, de sorte que je n'écrivis pas pour connaître la cause de son silence. Le troisième soir,—je n'avais pas encore reçu de lettre—comme je montais me coucher, ne pensant pas à R..., je sentis tout à coup et avec une grande intensité, dès que j'eus franchi la dernière marche, qu'il était dans ma chambre et que je pourrais le voir comme précédemment. Pour la première fois, j'eus peur qu'il ne lui fût arrivé quelque chose. Je savais fort bien combien serait grand, dans ce cas, son désir de me voir, et je pensais: «Serait-ce vraiment lui que j'ai vu l'autre nuit?» J'entrai droit dans la chambre, sûre de le voir; il n'y avait rien. Je m'assis pour attendre, et la sensation qu'il était là, essayant de me parler et de se faire voir, devint de plus en plus forte. J'attendis jusqu'à ce que je me sentisse si somnolente que je ne pouvais plus veiller; j'allai me coucher et je m'endormis. J'écrivis par le premier courrier, le lendemain matin, à mon fiancé, lui exprimant ma crainte qu'il ne fût malade, puisque je n'avais pas reçu de lettre de lui depuis trois jours. Je ne lui dis rien de ce que je vous raconte. Deux jours après, je reçus quelques lignes horriblement griffonnées, pour me dire qu'il s'était abîmé la main à la chasse et qu'il n'avait pu tenir encore une plume, mais qu'il n'était pas encore en danger. Ce ne fut que quelques jours plus tard, lorsqu'il put écrire, que j'appris toute l'histoire.
La voici: il montait un cheval de chasse irlandais, une bête superbe, mais très vicieuse. Ce cheval était habitué à désarçonner quiconque le montait, s'il lui déplaisait d'être monté, et pour cela, il mettait en jeu une quantité de ruses, se débarrassant des grooms, des chasseurs, de n'importe qui, lorsque l'envie lui en prenait. Lorsqu'il vit que ni ses ruades, ni ses sauts, ni ses écarts ne pouvaient démonter mon fiancé, et qu'il avait trouvé son maître, il devint furieux. Il resta calme un moment, puis il traversa la route à reculons, se redressa tout droit en arrière et pressa son cavalier contre le mur. La pression et la douleur furent telles que R... pensa mourir; il se rappelait d'avoir dit, au moment de perdre connaissance: «May! ma petite May! que je ne meure pas sans te revoir!» Ce fut cette nuit-là qu'il se pencha sur moi et m'embrassa. Il ne fut pas aussi gravement blessé qu'il l'avait d'abord cru, quoiqu'il souffrit beaucoup et qu'il ne pût tenir une plume pendant longtemps. La nuit pendant laquelle je sentis si soudainement que j'allais le voir, et où ne le voyant pas, je sentis si bien qu'il était là, essayant de me le faire savoir, cette nuit même, il se tourmentait de ne pouvoir m'écrire, et il désirait ardemment que je puisse comprendre qu'il y avait un motif grave pour expliquer son silence.
Je racontai tout à ma mère (qui est morte depuis), tel que je l'ai raconté; et elle me conseilla de ne pas lui parler de son apparition jusqu'à ce qu'il fût tout à fait rétabli et que je puisse le faire personnellement. Lorsqu'il vint me voir un peu plus tard, je me fis raconter toute l'histoire, avant de lui parler de l'impression étrange que j'avais éprouvée pendant ces deux nuits.
Je viens de lui lire ceci, et il affirme que j'ai raconté exactement la part qu'il eut dans cette étrange affaire.»
Il est fâcheux que les deux personnes en question n'aient pas fait quelques tentatives de télépathie expérimentale.
Le cas suivant est d'un type plus rare; les hallucinations de la vue et de l'ouïe, au lieu de se combiner en un même événement, ont été séparées par un intervalle de plusieurs heures.
CXXI (302). M. Garling, 12, Westbourne Gardens, Folkestone.
Février 1883.
«Un jeudi soir, vers le milieu d'août, en 1849, j'allai, comme je le faisais souvent, passer la soirée avec le Rev. Harrisson et sa famille, avec laquelle, depuis bien des années, j'avais les rapports les plus intimes. Comme le temps était très beau, nous allâmes passer, avec les voisins, la soirée aux Surrey zoological Gardens. Je note ceci tout particulièrement, parce que cela prouve que Harrisson était incontestablement en bonne santé ce jour-là et que personne ne se doutait de ce qui allait arriver. Le lendemain, j'allai rendre visite à des parents, dans l'Hertfordshire, qui habitaient dans une maison appelée Flamstead Lodge, à 26 milles de Londres, sur la grand'route. Nous dînions d'habitude à 2 heures, et le lundi, dans l'après-midi suivante, lorsqu'on eut dîné, je laissai les dames au salon et je descendis, à travers l'enclos, jusqu'à la grand'route. Remarquez bien que nous étions au milieu d'une journée du mois d'août, avec un beau soleil, sur une grand'route fort large, où il passait beaucoup de monde, à cent mètres d'une auberge. J'étais moi-même parfaitement gai, j'avais l'esprit à l'aise, il n'y avait rien autour de moi qui pût exciter mon imagination. Quelques paysans étaient auprès de là, à ce moment. Tout à coup, un «fantôme» se dressa devant moi, si près, que si c'eût été un être humain, il m'eût touché, m'empêchant, pour un instant, de voir le paysage et les objets qui étaient autour de moi; je ne distinguais pas complètement les contours de ce fantôme, mais je voyais ses lèvres remuer et murmurer quelque chose; ses yeux me fixaient et plongeaient dans mon regard, avec une expression si sévère et si intense que je reculai et marchai à reculons. Je me dis instinctivement et probablement à haute voix: «Dieu juste! c'est Harrisson!» quoique je n'eusse pas pensé à lui le moins du monde à ce moment-là. Après quelques secondes, qui me semblèrent une éternité, le spectre disparut; je restai cloué sur place pendant quelques instants, et l'étrange sensation que j'éprouvai fait que je ne puis douter de la réalité de la vision. Je sentais mon sang se glacer dans mes veines; mes nerfs étaient calmes, mais j'éprouvais une sensation de froid mortel, qui dura pendant une heure et qui me quitta peu à peu, à mesure que la circulation se rétablissait. Je n'ai jamais ressenti pareille sensation, ni avant, ni après. Je n'en parlai pas aux dames, à mon retour, pour ne pas les effrayer, et l'impression désagréable perdit de sa force graduellement.
J'ai dit que la maison était près de la grand'route; elle était située au milieu de la propriété, le long d'un sentier qui mène au village, à 200 ou 300 mètres de toute autre maison; il y avait une grille en fer, de sept pieds de haut devant la façade, pour protéger la maison des vagabonds; les portes sont toujours fermées à la nuit tombante; une allée, longue de trente pieds, toute en gravier ou pavée, menait de la porte d'entrée au sentier. Ce jour-là, la soirée était très belle et très tranquille. Placée comme elle était, personne n'eût pu approcher de la maison, dans le profond silence d'une soirée d'été, sans avoir été entendu de loin. En outre, il y avait un gros chien dans un chenil, placé de manière à garder la porte d'entrée; et, destiné surtout à avertir, dès que l'on entrait à l'intérieur de la maison, un petit terrier qui aboyait contre tout le monde et à chaque bruit. Nous allions nous retirer dans nos chambres, nous étions assis dans le salon, qui est au rez-de-chaussée, près de la porte d'entrée, et nous avions avec nous le petit terrier. Les domestiques étaient allés se coucher dans une chambre de derrière, à 60 pieds plus loin. Ils nous dirent, lorsqu'ils descendirent, qu'ils étaient endormis et qu'ils avaient été éveillés par le bruit.
Tout à coup, il se fit, à la porte d'entrée, un bruit si grand et si répété (la porte semblait remuer dans son cadre et vibrer sous des coups formidables) que nous fûmes tout de suite debout, tout remplis d'étonnement, et les domestiques entrèrent, un moment après, à moitié habillés, descendus à la hâte de leur chambre, pour savoir ce qu'il y avait. Nous courûmes à la poste, mais nous ne vîmes rien et n'entendîmes rien. Et les chiens restèrent muets. Le terrier, contre son habitude, se cacha en tremblant sous le canapé et ne voulut pas rester à la porte, ni sortir dans l'obscurité. Il n'y avait pas de marteau à la porte qui pût tomber, et il était impossible à qui que ce fût d'approcher ou de quitter la maison, dans ce grand silence, sans être entendu. Tout le monde était effrayé, et j'eus beaucoup de peine à faire coucher nos hôtes et nos domestiques; moi-même, j'étais si peu impressionnable que je ne rattachai pas ce fait à l'apparition du «fantôme» que j'avais vu dans l'après-midi, mais que j'allai me coucher, méditant sur tout cela et cherchant quelque explication, bien qu'en vain, pour satisfaire mes hôtes.
Je restai à la campagne jusqu'au mercredi matin, ne me doutant pas de ce qui était arrivé pendant mon absence. Ce matin-là, je rentrai en ville et je me rendis à mes bureaux, qui étaient alors 11, Kings Road Gray's Inn. Mon employé vint à ma rencontre sur la porte et me dit: «Monsieur, un monsieur est déjà venu deux ou trois fois; il désire vous voir de suite, il est sorti pour aller chercher un biscuit, mais il revient de suite.» Quelques instants après, ce monsieur revint; je le reconnus pour un M. Chadwick, ami intime de la famille Harrisson. Il me dit alors, à ma grande surprise: «Il y a eu une terrible épidémie de choléra dans Wandsworth Road», voulant dire chez M. Harrisson; «tous sont partis». Mme Rosco est tombée malade le vendredi et est morte; sa bonne est tombée malade le même soir et est morte; Mme Harrisson a été atteinte le samedi matin et est morte le même soir. La femme de chambre est morte le dimanche. La cuisinière est aussi tombée malade; elle a été emmenée hors de la maison, et il s'en est fallu de très peu qu'elle ne mourût aussi. Le pauvre Harrisson a été pris le dimanche, il a été très malade lundi et hier; on l'a amené du lazaret de Wandsworth Road à Jack Straws' Castle à Hampstead, pour avoir un meilleur air; il a supplié en grâce son entourage, lundi et hier, de vous envoyer chercher, mais l'on ne savait où vous étiez. Prenons vite un cab et venez avec moi, ou vous ne le verrez pas vivant. Je partis avec Chadwick à l'instant, mais Harrisson était mort avant que nous fussions arrivés.»
H.-B. Garling.
La nécrologie du Walchman du 15 août 1849 indique que Mme Rosco est morte du choléra le 4 août, Mme Harrisson le 8 août, et le Rev. T. Harrisson le jeudi (non le mercredi) 9, à Hampstead.
En réponse à quelques questions, M. Garling nous dit:
Les dames étaient âgées et sont mortes, il y a quelque vingt-cinq ans. On a perdu la trace de tous les domestiques.
M. Garling ajouta quelques détails, dans la conversation que nous eûmes avec lui. L'apparition qu'il rencontra sur la grand'route était si près de lui qu'il n'observa, en détail, que la figure. Il a eu une autre hallucination. Il a cru voir la figure de l'un de ses amis, au pied de son lit; mais il venait d'assister à l'enterrement de cet ami qui avait, de plus, l'habitude de s'asseoir à la place où apparut la «vision», et M. Garling s'endormait à ce moment-là. Cette hallucination ne peut pas prouver une tendance aux hallucinations subjectives.
L'observation qui précède est remarquable à plus d'un titre. Mais ce qui la rend pour nous particulièrement précieuse, c'est qu'elle contient une sorte de témoignage assez rare, et dont il semble que l'on n'ait pas jusqu'ici apprécié toute l'importance: c'est le témoignage des animaux. Nous nous bornons à le signaler à l'attention du lecteur, nous proposant de revenir plus loin sur ce sujet.
D.—Hallucinations télépathiques réciproques
Voici une classe d'hallucinations véridiques, très curieuses et très importantes, en ce qu'elles semblent restreindre encore la possibilité d'une coïncidence fortuite, l'annuler presque, et aussi parce que c'est par elles que l'on pourra probablement arriver à élucider les conditions et le mécanisme de ces phénomènes. Mais, pour cela, il faudra posséder un nombre d'observations exactes, qui est loin encore d'avoir été atteint.
Ici, le «sens du courant», qui semblait nettement indiqué, de l'agent au sujet, n'existe plus; chacune des deux parties est, à la fois, sujet et agent: elles s'apparaissent mutuellement l'une à l'autre.
Comme les cas de cette nature sont très rares, nous nous en tiendrons au suivant, que nous empruntons toujours au même ouvrage:
CXXV (304). M. J. T. Milward Pierce Bow Ranche, Knox County, Nebraska (Etats-Unis).
Frettons, Danbury, Chelmsford.
5 janvier 1883.
«J'habite dans le Nebraska (Etats-Unis), où j'ai un élevage de bétail, etc. Je dois épouser une jeune personne qui habite Yankton, Dakota, à 25 milles au nord.
Vers la fin d'octobre 1884, pendant que j'essayais d'attraper un cheval, je reçus un coup de sabot dans la figure, et il ne s'en fallut que d'un pouce ou deux que je n'eusse le crâne brisé; j'eus cependant deux dents cassées et je reçus un rude coup dans la poitrine. Plusieurs hommes se tenaient auprès de moi. Je ne perdis pas connaissance un seul instant, car il fallait se garder d'une seconde ruade. Il s'écoula un moment, avant que quelqu'un ne parlât. Je m'appuyais contre le mur de l'écurie, lorsque je vis, à ma gauche, la jeune personne dont j'ai parlé. Elle était pâle. Je ne fis pas attention à son costume, mais je fus frappé de l'expression de ses yeux: c'était une expression de trouble et d'anxiété. Ce n'était pas seulement son visage que je voyais, mais sa personne tout entière, une forme parfaitement matérielle, qui n'avait rien de surnaturel. A ce moment, mon fermier me demanda si je m'étais fait mal. Je tournai la tête pour lui répondre, et lorsque je regardai de nouveau, l'ombre avait disparu. Le cheval ne m'avait pas fait grand mal, ma raison était parfaitement saine, car, tout de suite après, je rentrai dans mon bureau et je dessinai le plan et j'établis le devis d'une nouvelle maison, travail qui nécessite un esprit très dégagé et très attentif. Je fus tellement obsédé par le souvenir de cette apparition que, le lendemain matin, je partis pour Yankton. Les premières paroles que la jeune fille me dit, lorsque je la vis, furent: «Mais je vous ai attendu, hier, toute l'après-midi. J'ai cru vous voir, vous étiez très pâle et votre figure était toute en sang.» (Je puis dire que mes contusions n'avaient pas laissé de traces visibles). Je fus très frappé de cela et lui demandai quand elle avait cru me voir. Elle dit: «Immédiatement après le déjeuner.» L'accident avait eu lieu juste après mon déjeuner. Je notai les détails. Je dois dire qu'avant d'arriver à Yankton, j'avais peur que quelque accident ne fût arrivé à la jeune fille. Je serai heureux de vous envoyer de plus amples détails, si vous le désirez.»
Jno. T. Milward Pierce.
En réponse à quelques questions, M. Pierce nous dit:
Je crois que la vision dura un quart de minute.
Il n'a pas eu d'autre hallucination visuelle, sauf une fois où, étendu à terre d'un coup de feu qu'un Indien lui avait tiré dans la mâchoire, il crut voir un Indien se pencher sur lui; il pense que ce n'était pas un Indien en chair et en os, parce que, dans ce cas, il eût été scalpé.
M. Pierce nous écrivit le 27 mai 1885:
«J'ai envoyé votre lettre à la personne en question, mais je n'ai pas reçu de réponse avant de quitter l'Angleterre, et, à mon arrivée, j'ai trouvé la jeune fille très malade, et ce n'est que récemment que j'ai pu obtenir les détails que vous désirez. Elle désire que je dise qu'elle se rappelle aussi m'avoir entendu, craignant que quelque chose ne me fût arrivé; ce n'était pas cependant le jour où j'allais la voir d'habitude; mais, bien qu'à cette époque, elle m'eût dit qu'elle m'avait vu avec la figure en sang, maintenant elle ne semble plus s'en souvenir, et je ne lui en ai rien dit, afin de ne pas l'influencer.»
Dans une lettre du 13 juillet 1885, M. Pierce nous dit:
«Je regrette de ne pouvoir faire mieux. Il semble que des événements très importants et la maladie aient fait oublier presque complètement l'incident à Mlle Mac Gregor, qui n'y attachait pas une grande importance au début. J'ai aidé sa mémoire, mais elle dit que, sans doute, j'ai raison, mais qu'elle ne peut plus maintenant se souvenir de rien.»
Yankton, D. T. 13 juillet 1885.
«J'ai lu la lettre que vous avez envoyée à M. Pierce. J'ai peur de ne pouvoir me rappeler les choses assez clairement pour vous donner des détails exacts. Je me rappelle que j'ai senti que quelque accident, était survenu, mais je racontais à M. Pierce alors tout ce qui m'arrivait d'anormal, et les événements qui sont survenus ont, je le crains, effacé de mon esprit tout souvenir des faits.»
Annie Mac Gregor.
Les restrictions de la jeune fille, bien que fâcheuses, ne sauraient cependant affaiblir le témoignage d'un homme qui semble avoir un esprit très positif et beaucoup de sang-froid.
Les Phantasms contiennent une douzaine de cas analoques d'hallucinations réciproques.
E.—Hallucinations télépathiques collectives
Les images hallucinatoires identiques qui affectent à la fois plusieurs sujets, autrement dit les hallucinations collectives ordinaires, sont relativement assez fréquentes, et «les illusions de la vue et de l'ouïe se sont même plusieurs fois montrées sous la forme épidémique; les histoires en contiennent un grand nombre de faits[79].»
Mais les hallucinations véridiques, impressionnant à la fois deux ou plusieurs sujets, sont très rares.
Et ici deux interprétations du phénomène sont possibles.
On peut admettre que l'agent A impressionne, à distance, chacun des deux sujets B et C, ou bien qu'il impressionne le seul B et que celui-ci transmet l'action télépathique à C; en d'autres termes, qu'il y a contagion de l'hallucination. C'est cette contagion qui, dans les cas ordinaires, produit les épidémies d'hallucinations dont parle Brierre de Boismont. Ce qui semblerait indiquer que, dans les hallucinations véridiques collectives, il y a réellement contagion, c'est que, très souvent, l'hallucination a été partagée «par une personne tout à fait étrangère à l'agent et que, d'autre part, il est fort rare que des personnes, étroitement liées avec l'agent les unes et les autres, éprouvent, au même moment, la même hallucination, si elles ne sont pas ensemble[80]».
Pourtant, nous allons citer un cas choisi parmi ceux où les deux sujets B et C ont été impressionnés séparément.
CXXXI (36). M. John Done, Stockley Cottage, Stretton.
«Ma belle-sœur, Sarah Eustance, de Stretton, était à l'agonie et ma femme était partie de Lowton Chapel, où nous demeurions (à 12 ou 13 milles de Stretton), pour la voir et l'assister à ses derniers moments. La nuit avant sa mort (environ 12 ou 14 heures avant qu'elle mourût), je dormais seul dans ma chambre; je me réveillai, j'entendis distinctement une voix qui m'appelait. Je pensai que c'était ma nièce Rosanna, qui habitait seule avec moi la maison; je crus qu'elle était effrayée ou malade. J'allai donc à sa chambre, et je la trouvai réveillée et agitée. Je lui demandai si elle m'avait appelé. Elle répondit: «Non, mais quelque chose m'a réveillée; j'ai entendu quelqu'un appeler.»
Lorsque ma femme revint, après la mort de sa sœur, elle me dit combien elle avait désiré me voir. Elle demandait qu'on envoyât me chercher; elle disait: «Oh! comme je désire voir Done encore une fois!» Bientôt après, elle ne put plus parler. Ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'au moment même où elle me demandait, moi et ma nièce, nous l'avons entendue appeler.»
John Done.
M. Done s'exprime ainsi dans une lettre ultérieure:
«Pour répondre aux questions que vous m'avez faites, sur la voix ou l'appel que j'ai entendu dans la nuit du 3 juillet 1866, je dois vous expliquer qu'une sympathie et une affection puissantes existaient entre ma belle-sœur et moi; nous avions l'un pour l'autre les sentiments d'un frère et d'une sœur. Elle avait la coutume de m'appeler «oncle Done» comme un mari appelle sa femme «mère» quand il y a des enfants dans la famille, ce qui était le cas. Or, comme je m'entendais appeler: oncle, oncle, oncle! je supposai que c'était ma nièce qui m'appelait; c'était la seule personne qui fût, cette nuit-là, à la maison.»
Copie de la lettre de faire part (funeral card):
«En souvenir de feue Sarah Eustance, morte le 3 juillet 1866, âgée de quarante-cinq ans, et enterrée à l'église de Stretton, le 6 juillet 1866.»
«Ma femme, qui était partie, le dimanche en question, de Lowton, pour voir sa sœur, peut attester que la nuit où elle était auprès de Sarah (après le départ du pasteur), Sarah désirait me voir et me demandait avec insistance, répétant à plusieurs reprises: «Oh! que je voudrais voir oncle Done et Rosie, encore une fois avant de m'en aller.» Bientôt après, elle perdit conscience ou du moins elle ne parla plus; elle mourut le lendemain. Je n'appris cela qu'au retour de ma femme, le soir du 4 juillet.
J'espère que ma nièce voudra bien témoigner de l'exactitude des faits. Je puis, en tous cas, affirmer qu'elle m'a dit qu'elle croyait que je l'appelais et qu'elle allait venir auprès de moi, lorsqu'elle m'a rencontré dans le couloir; je puis affirmer aussi que je lui ai demandé si elle m'avait appelé.
Je ne me rappelle pas avoir jamais entendu une autre voix ou un autre appel.»
Le 7 août 1885, M. Done nous a écrit ce qui suit:
Comme ma femme est malade et affaiblie, elle me dicte la déclaration suivante:
«Moi, Elisabeth Done, femme de John Done et tante de Rosanna Done (à présent Sewil), je certifie que, le 3 juillet 1886, j'assistai ma sœur agonisante, Sarah Eustance, à Stretton, à douze milles de ma maison à Lowton Chapel, Newton-le-Willows. Pendant la nuit qui précéda sa mort, elle me sollicitait sans cesse d'envoyer chercher mon mari et ma nièce, parce qu'elle désirait les voir encore une fois avant de s'en aller pour toujours. Elle disait souvent: «Oh! combien je voudrais que Done et Rosie fussent ici! oh! comme je voudrais voir l'oncle Done!» Bientôt après, elle perdit la parole et sembla rester sans conscience; elle mourut le lendemain».
Elisabeth Done.
M. Done ajoute:
«En pensant, parlant et écrivant sur cet étrange incident, je me suis resouvenu de plusieurs détails; en voici un: Le lendemain du jour où j'entendis la voix qui m'avait appelé, je restai inquiet. J'avais le pressentiment que ma chère belle-sœur était morte, et je sortis vers le soir pour voir arriver un train à Newton-Bridge, car il me semblait que ce train devait ramener ma femme, si sa sœur était morte, comme je m'y attendais.»
N.-B.—Nous étions convenus qu'elle resterait à Stretton, pour soigner Mme Eustance, jusqu'au dénouement fatal ou jusqu'à sa convalescence.
Je rencontrai ma femme à quelques centaines de yards de la station, et je devinai, d'après l'expression de ses traits, que mes suppositions étaient vraies. Elle me raconta les détails de la mort de sa sœur. Elle me dit combien elle avait désiré voir Rosanna et moi. Je lui racontai alors que, dans le courant de la nuit précédente, une voix nous avait appelés, qui ressemblait à la sienne; en même temps, ma femme me dit que Mme Eustance avait bien souvent répété nos noms, dans la nuit précédente, avant de perdre conscience.»
Voici de quelle manière la nièce confirme ce récit:
11, Smithdown Lane, Paddington, Liverpool, 21 août 1885.
«Sur la demande de mon oncle et la vôtre, je vous écris pour confirmer l'assertion de mon oncle, au sujet de la voix que j'ai entendue. Sans cause apparente, je fus subitement réveillée et j'entendis une voix qui m'appelait distinctement ainsi: «Rosy, Rosy, Rosy!» Je pensai que mon oncle m'appelait, je me levai et je sortis de la chambre, mais je rencontrai mon oncle qui venait voir si, moi, je l'appelais. Nous étions seuls à la maison, cette nuit-là: ma tante était partie pour soigner sa sœur. C'est dans la nuit du 2 au 3 juillet que je me suis entendu appeler; je ne peux pas dire à quelle heure, mais je sais que le jour commençait à poindre. Je ne me suis jamais entendu appeler auparavant, ni depuis.
Rosanna Sewill.»
Citons à présent un autre cas d'hallucination nettement télépathique, et où l'on peut croire qu'il y a eu contagion. Il s'agit d'une hallucination auditive.
CXLV (340). Ce récit nous a été fourni par le Rev. W. Stainton Moses, ami intime de l'agent. Il a été revu par ses parents qui ont éprouvé l'hallucination. Ils l'ont déclaré exact.
1881.
«Il y a deux ans environ, W. L... quitta l'Angleterre pour l'Amérique. Neuf mois après, il se maria; il espérait amener sa femme dans son pays, pour la présenter à sa mère qu'il aimait tendrement. Le 4 février, il tomba malade subitement; il mourut le 12 du même mois, vers 8 heures du soir. Cette nuit-là, environ trois quarts d'heure après que les parents étaient allés se coucher, la mère entendit clairement la voix de son fils lui parler; son mari, qui entendit aussi cette voix, demanda à sa femme si c'était elle qui parlait. Ni l'un ni l'autre ne s'étaient endormis et elle répondit: «Non, reste tranquille!» La voix continua: «Comme je ne puis venir en Angleterre, mère, je suis venu te voir.» Les deux parents croyaient, en ce moment, leur fils en bonne santé en Amérique, et attendaient chaque jour une lettre annonçant son retour à la maison. Ils prirent note de cet incident qui les avait beaucoup frappés, et lorsqu'une quinzaine de jours plus tard, la nouvelle de la mort du fils arriva, ils virent qu'elle correspondait avec la date à laquelle la voix de «l'esprit» avait annoncé sa présence en Angleterre. La veuve déclara que les préparatifs de départ étaient presque terminés à ce moment-là, et que son mari était très désireux d'aller en Angleterre voir sa mère».
On pourrait faire rentrer dans les cas d'hallucinations collectives ceux où figurent les animaux. A notre avis, le témoignage de ces derniers a été trop négligé jusqu'ici. Recueilli dans de bonnes conditions de contrôle, il pourrait être de la plus haute importance. Or, les observations où est décrite la façon dont les animaux (chiens, chevaux) ont réagi devant une apparition sont assez rares et ne présentent pas toutes les garanties désirables d'exactitude.
Malgré le vif désir que nous aurions de continuer ces citations, persuadé qu'en ces matières, où les preuves expérimentales font à peu près défaut, le seul espoir de convaincre est d'accumuler les documents, nous nous voyons forcé de nous en tenir à ces quelques cas des diverses hallucinations véridiques.
Et maintenant, comment interpréter ces faits étranges?
Les Sciences Occultes, qui de tout temps en ont affirmé la réalité, expliquent les apparitions et les actions à distance par l'existence, dans l'homme, d'un 3e principe, le Corps astral, sorte d'intermédiaire entre l'Ame et le Corps organique. Ce Corps astral pourrait revêtir la forme du corps organique, en être comme un double fluidique, et c'est ce double que l'Initié, par le seul fait de sa volonté exaltée, pourrait projeter à distance. Après la mort, le Corps astral survivrait quelque temps, avant d'être dissous à son tour, et c'est lui qui constituerait les diverses apparitions[81].
Comme on a pu s'en apercevoir dans les pages précédentes, la tendance de la Science moderne est de refuser toute réalité objective au fantôme. Pour elle, il s'agit surtout de l'action à distance d'un cerveau sur un autre cerveau, et non de la projection d'un double. Si A voit l'image de B, c'est que B impressionne le cerveau de A, de façon à ce que celui-ci crée de toutes pièces l'image de B.
C'est donc une suggestion mentale produisant une image hallucinatoire[82].
Nous n'insistons pas sur les objections très fortes que l'on peut faire à cette théorie.
S'il était démontré, par exemple, que les animaux perçoivent l'apparition, comment admettre la possibilité d'une suggestion hallucinatoire chez ces êtres, qui sont si difficilement influencés magnétiquement par l'homme?
Persuadé qu'en ce moment tout essai de théorie explicative de ces phénomènes ne saurait être que de la spéculation vague, échafaudée sur des hypothèses, nous nous en tiendrons au simple récit des faits que nous venons d'exposer, heureux si nous avons pu convaincre de leur réalité.
Pourtant, avant d'en finir avec la Télépathie et la transmission de la pensée, nous voulons citer les paroles suivantes prononcées, en 1891, par le Professeur Lodge, au Congrès de l'Association britannique, pour l'avancement des Sciences:
«.... En tout cas, ne conviendrait-il pas d'attendre de nouveaux faits, avant de nier la possibilité des phénomènes? La découverte d'un nouveau mode de communication par une action plus immédiate, peut être à travers l'éther, n'est nullement incompatible, il faut le dire, avec le principe de la conservation de l'énergie, ni avec aucune de nos connaissances actuelles, et ce n'est pas faire preuve de sagesse que se refuser à examiner des phénomènes, parce que nous croyons être sûrs de leur impossibilité. Comme si notre connaissance de l'univers était complète!
»Tout le monde sait qu'une pensée, éclose dans notre cerveau, peut être transmise au cerveau d'une autre personne, moyennant un intermédiaire convenable, par une libération d'énergie, sous forme de son par exemple, ou par l'accomplissement d'un acte mécanique, l'écriture, etc. Un code convenu d'avance, le langage et un intermédiaire matériel de communication sont les modes connus de transmission des pensées. Ne peut-il donc exister aussi un intermédiaire immatériel (éthéré peut-être)? Est-il donc impossible qu'une pensée puisse être transportée d'une personne à une autre, par un processus auquel nous ne sommes pas accoutumés et à l'égard duquel nous ne savons rien encore? Ici, j'ai l'évidence pour moi. J'affirme que j'ai vu et je suis parfaitement convaincu du fait. D'autres ont vu aussi. Pourquoi alors parler de cela à voix basse, comme d'une chose dont il faille rougir? De quel droit rougirions-nous donc de la vérité[83]?»
DEUXIÈME GENRE
Lucidité ou clairvoyance
Qu'est-ce qu'un fait de lucidité?
«C'est la connaissance, par un individu A, d'un phénomène quelconque, non percevable et connaissable par les sens normaux, en dehors de toute transmission mentale, consciente ou inconsciente.»
C'est ainsi que Apollonius de Thyane voit, de Smyrne, l'assassinat de l'empereur Domitien à Rome, que Swedenborg voit, de Gothenbourg, l'incendie de Stockolm, que la duchesse de Gueldre, devenue religieuse, voit, dans son oratoire la bataille de Pavie et s'écrie: «Mon fils de Lambesc est mort! Le roi de France est prisonnier!»
Les faits de ce genre sont très nombreux dans l'histoire; malheureusement, on ne peut admettre leur exactitude qu'avec les plus prudentes réserves.
Fidèle à notre système, nous ne parlerons ici que des résultats fournis, d'abord par une expérimentation aussi scientifique que possible, ensuite par des observations accompagnées de sérieuses garanties.
En rapprochant les deux définitions de la télépathie et de la clairvoyance, on voit qu'en réalité elles ont entre elles fort peu de différence.
La principale serait que, dans la télépathie, c'est l'influence d'un esprit qui semble impressionner un autre esprit semblable à lui, tandis que, dans la clairvoyance, l'esprit du sujet prendrait, de loin, directement, connaissance de certains faits qu'aucun autre esprit ne reflèterait. Autrement dit, dans la lucidité, l'agent serait supprimé, le sujet existerait seul.
Et il doit arriver que l'on attribue à la télépathie des faits qui ne relèvent que de la lucidité, et, bien plus fréquemment, que l'on regarde comme dus à la lucidité des phénomènes produits par la télépathie.
En outre, dans bien des cas de prétendue clairvoyance, la suggestion involontaire de la part des assistants—qui connaissent, par exemple, les lieux que décrit le sujet, alors qu'il est censé ne les avoir jamais vus,—cette suggestion, mentale ou autre, intervient et détermine plus ou moins les réponses du «clairvoyant».
En réalité—l'on s'en convaincra, en lisant avec attention le travail de Mme Sidgwick sur la lucidité,—la démarcation entre ces divers phénomènes est très difficile à préciser.
Aussi, les cas de lucidité authentique sont-ils beaucoup plus rares que ceux de télépathie, et la certitude est-elle ici encore plus malaisée à acquérir.
Occupons-nous d'abord—comme de juste—des expériences.
Les plus sérieuses sont celles de M. Richet; on en trouvera le détail dans la «Relation de diverses expériences sur la transmission mentale, la lucidité et autres phénomènes non explicables par les données scientifiques actuelles.»
M. Richet enferme des dessins dans une enveloppe opaque, et il les fait ensuite décrire ou même reproduire par une somnambule. Dans certains cas, les personnes présentes n'avaient aucune notion des dessins. Sur 180 expériences de ce genre, 30 ont plus ou moins réussi. D'après M. Richet, «cela indique la moyenne des jours de lucidité soit pour Alice, soit pour Eugénie. Ce n'est qu'un jour sur six qu'elles ont des éclairs de lucidité, et encore, ce jour-là même, cette lucidité est des plus variables et des plus incertaines.»
On voit avec quelle réserve l'habile expérimentateur se prononce. Nous citerons pourtant, tout à l'heure, des expériences connexes de celles-ci et qui lui ont donné de bien singuliers résultats: il s'agit de la vision et de la description, par une somnambule, des états morbides d'une personne étrangère.
Mme Sidgwick a repris les expériences de M. Richet sur la clairvoyance, et elle est parvenue à démontrer, d'une façon presque certaine, la réalité de la lucidité. Comme ces expériences sont fort importantes, nous les citons tout au long, d'après Mme Sidgwick[84].
Expériences de Mme Sidgwick
Je voudrais exposer brièvement une série d'expériences conduites par une de mes amies, qui sont assez encourageantes, à mon avis, pour engager d'autres personnes à essayer d'obtenir des résultats identiques.
Ces expériences consistent simplement à deviner des cartes extraites d'un paquet, sans qu'elles aient été vues par personne. Mon amie a fait environ 2,585 expériences de ce genre, et, dans 187 cas, elle a deviné les cartes exactement, à la fois selon leur nom et leur nombre de points. Pourtant, dans 75 de ces cas, il a fallu faire deux essais (comme, par exemple, pour savoir si c'était le trois de cœur ou le trois de pique). En comptant ces cas comme demi-succès, nous arrivons à un total de 149 succès, trois fois plus grand que le nombre que le calcul des probabilités attribue au hasard.
Toutes les expériences mentionnées plus haut ont été faites alors qu'elle était entièrement seule.
Elle est si habituée à être seule que toute compagnie la trouble, dans tous les genres de travaux qui exigent de la concentration mentale.
C'est pourquoi il n'est pas surprenant que les expériences que nous avons faites ensemble, dans des conditions de grande agitation ou d'excitation relativement ordinaire, n'aient pas réussi. Nous ne désespérons pas, cependant, de réussir dans l'avenir. Seulement, en attendant, nous souhaitons que d'autres se livrent à ces expériences et nous en fassent part, au cas où quelque clairvoyance aurait été constatée: les expériences de ce genre semblent être un moyen de prouver son existence.
D'un autre côté, il est possible que les expériences d'autres personnes expliquent les résultats obtenus par mon amie et les rattachent à des causes connues, ce que nous déclarons ne pouvoir faire.
Par conséquent, dans l'état présent de nos connaissances il est impossible de déterminer le rôle que joue, dans la réussite, le tempérament de l'expérimentateur, mais si, comme certains le pensent, la transmission de la pensée, ou plutôt la lecture par l'esprit, est seulement une forme plus élevée de la clairvoyance.
Dans le but d'aider les personnes qui voudraient se livrer à ces expériences, je vais décrire la manière d'opérer de mon amie. Elle extrait une carte d'un paquet, au hasard, et à mesure les installe devant elle sur la table et les met en un tas compact. Le jeu de cartes est toujours battu. Au début, elle avait continué de prendre chaque carte dans sa main et de la regarder à l'envers, mais il lui vint à l'esprit qu'en opérant ainsi, il lui était peut-être possible, d'une façon inconsciente, de reconnaître les cartes par le revers, et c'est pour cette raison qu'elle substitue à la carte un morceau de carton blanc, comme un objet destiné à fixer ses regards. De cette façon, elle voyait, non pas la véritable carte, mais quelque chose qui lui ressemblait et qui devait l'inspirer dans son expérience (de dénomination). Elle est d'avis qu'on doit éviter de se servir deux fois de suite du même morceau de carton blanc, en raison de la persistance de l'image. Cette façon de procéder n'est pas indispensable à la bonne réussite. Elle pense, en somme, que cela aide au succès; mais, si elle agit ainsi, c'est en raison de la trop grande fatigue qui se produit, quand les yeux fixent trop longtemps quelque chose. Elle a fait chaque fois environ 30 expériences, tantôt plus, tantôt moins.
Pour ce qui concerne les conditions dans lesquelles doivent se trouver l'esprit et le corps, au moment où l'on expérimente, mon amie a peu de choses à dire. Elle est incapable d'indiquer clairement le rapport qu'il y a entre les réussites et certaines conditions de santé ou de dispositions au travail. Elle pense, cependant, qu'elle ne peut pas réussir immédiatement après le repas. Un état d'esprit, exempt de tout souci, semble la condition favorable; c'est ce qu'elle a remarqué dans ses expériences.
Dans les nombres donnés plus haut, nous avons compris toutes les expériences faites du 29 mai au 4 septembre 1889; mais le total de 2,585 est seulement approximatif, parce que le registre qui contenait un certain nombre d'expériences infructueuses a été détruit au début. Ce n'est que plus tard que mon amie pensa qu'il était important de les noter toutes. Elle a des raisons pour penser que 80 expériences au moins ont été ainsi perdues, et c'est ce nombre de 80 que nous avons supposé.
M. Dariex a raison de dire que «si l'expérience avait été faite, non pas avec les mêmes jeux de cartes, mais avec des jeux neufs ou renouvelés, la clairvoyance serait absolument démontrée d'une manière irréprochable.»
Venons-en maintenant aux cas de lucidité spontanée.
Sans remonter loin dans le passé, on trouve, dans les ouvrages des premiers auteurs qui ont écrit sur l'hypnotisme, des exemples de somnambules voyant à distance dans le présent, et même dans le passé, toutes sortes d'événements: des scènes de meurtre, par exemple, les reconstituant, aidant à trouver le coupable; d'autres indiquent la place où l'on retrouvera des objets perdus, les trouvent eux-mêmes, sans aucune hésitation, etc., etc.
Actuellement même, il existerait, paraît-il, un médecin de campagne qui, par l'intermédiaire d'un sujet merveilleux, saurait, sans sortir de chez lui, de quelles maladies sont atteints les clients qui demandent son aide; il emporterait ainsi les remèdes que, d'avance, il saurait leur être nécessaires...
Par malheur, toutes ces observations manquent de contrôle. Il n'en est pas ainsi de celles qu'a réunies, dans sa consciencieuse étude, Mme Henry Sidgwick[85]. Ici, les documents ont été soumis à une critique éclairée et confirmés par des témoignages aussi précis et aussi nombreux que possible. Et de cette analyse vraiment scientifique, il ressort, comme nous le disions plus haut, que les cas de lucidité ou de clairvoyance véritable doivent être infiniment rares. Dans un grand nombre de circonstances, en effet, on attribue à la lucidité ce qui, en réalité, est le fait soit de la télépathie, soit de suggestions involontaires de la part des assistants, soit enfin d'auto-suggestions chez le sujet. Nous répétons d'ailleurs que le départ à faire entre ces diverses causes possibles est très délicat, très malaisé.
Pour fixer les idées, disons encore une fois que le problème de la véritable lucidité se pose ainsi:
Est-il possible à un sujet, dans l'état de veille ou dans l'état de sommeil hypnotique, de décrire exactement des lieux qu'il n'a jamais vus, ou des événements qui se passent loin de lui, alors qu'aucune des personnes qui l'entourent ne connaît ni ces lieux ni ces événements?
Nous répondrons en citant l'observation suivante, empruntée au travail de Mme Sidgwick et qui nous paraît réaliser à peu près les conditions exigées[86]:
Un hypnotiseur, M. Hansen, possède un sujet, M. Balle, avec lequel il tente des expériences de lucidité. Voici, d'après Mme Sidgwick, les documents relatifs à deux de ces expériences.
Notre mère, disent les frères Suhr, habitait, à cette époque, Rœskilde, en Seeland. Nous demandâmes à Hansen d'envoyer Balle la visiter. Il était tard, dans la soirée, et, après avoir un peu hésité, M. Balle fit le voyage en quelques minutes. Il trouva notre mère souffrante et au lit; mais elle n'avait qu'un léger rhume qui devait passer au bout de peu de temps. Nous ne croyions pas que ceci fût vrai, et Hansen demanda à Balle de lire, au coin de la maison, le nom de la rue. Balle disait qu'il faisait trop sombre pour pouvoir lire; mais Hansen insista, et il lut: «Skomagers traede». Nous pensions qu'il se trompait complètement, car nous savions que notre mère habitait dans une autre rue. Au bout de quelques jours, elle nous écrivit une lettre dans laquelle elle nous disait qu'elle avait été souffrante et s'était transportée dans «Skomagers traede».
La soussignée V. B..., femme de Suhr, alors Miss Clara Wilhelmine Chrristensen, fut témoin d'une autre expérience.
«A cette époque, ma femme habitait, à Slora Goothaab, une grande ferme sur la route de Goothaab, près de Copenhague; mais elle était allée à Odense voir un parent et M. Hansen et sa femme qui, comme je l'ai déjà dit, étaient alors établis à Odense. La séance eut lieu dans la pièce ci-dessus mentionnée.
Ma femme désira savoir ce qui se passait à Slora Goothaab, dans la maison de l'ingénieur des télégraphes Schjotz, avec la famille duquel elle habitait, et elle pria donc M. Hansen de faire à M. Balle des questions à ce sujet. Elle savait très bien qu'aucun d'eux n'était jamais allé à l'endroit en question. M. Hansen prit alors une lettre écrite par ma femme et la plaça sur le front de M. Balle hypnotisé, en disant: «Essayez de trouver l'endroit où habite l'auteur de cette lettre.» Balle: «C'est inutile, puisqu'elle est dans cette pièce.» Alors M. Hansen insiste fortement pour que Balle trouvât la maison et après avoir hésité un peu, d'abord parce qu'il fallait traverser l'eau (le Hora Balt), puis parce que, comme il le dit, lorsqu'il atteignit la route de Goothaab, «il fait si noir ici.» «Eclairez votre esprit et voyez», répondit Hansen; et Balle continua à avancer: «M'y voilà», dit-il quelques instants après.
Hansen: «Que voyez-vous?»—Balle: «Cela ressemble à un château.»—H...: «Entrez dans la maison.»—B...: «Il y a de grands escaliers.»—H...: «Très bien! Maintenant il faut aller dans la chambre de la dame.»—B...: «Il n'y a personne.»—H...: «Pas un être vivant?»—B...: «Mais si! un serin dans une cage.»—H...: «Où est-elle posée?»—B...: «Sur une commode.»
Ma femme fit la remarque que ceci n'était pas exact, car la cage était toujours sur la fenêtre; mais Balle persista à l'affirmer.
Il y avait quatre enfants dans la famille, et ma femme voulut savoir comment ils allaient.
—H...: «Allez chez la famille, et voyez comment vont les enfants.»—B...: «En voici deux au lit.»—H...: «Il faut en trouver d'autres.» Balle chercha beaucoup; enfin il s'écria: «En voilà encore un! Eh! non, c'est une poupée», dit-il avec indignation, et il agita la main comme s'il rejetait quelque chose. En dépit de l'insistance de M. Hansen, M. Balle ne put trouver plus de deux enfants, mais il vit dans son lit une dame très malade, presque mourante. Ma femme savait que ceci était exact, c'était une Miss Mary Kruse... Elle était très malade quand ma femme avait quitté Copenhague, et le docteur ne croyait pas qu'elle pût vivre, car elle était phtisique au dernier degré. H...: «Comment va Miss Kruse?»—B...: «Très mal.»—H...: «Mourra-t-elle?»—B...: «Elle se rétablira.»
Lorsque ma femme revint à Slora Goothaab, elle ne dit rien de ce qui était arrivé, mais demanda à une autre sœur de M. Schjotz, Miss Caroline Kruse, si son serin avait toujours été bien portant, pendant son absence, et s'il avait toujours été à sa place accoutumée, excepté un soir où elle l'avait mis sur la commode pour le préserver du froid. Quant aux enfants, elle dit que deux d'entre eux, précisément le jour en question, étaient allés voir le frère de leur père, Schjotz, le manufacturier de tabacs, Kjohmagergade-street, à Copenhague. La dame malade vit toujours et est depuis plusieurs années directrice d'une grande école de filles, dont on dit beaucoup de bien à Iredriksbergs Allé, près de Copenhague.
Ont signé en témoignage de la vérité du récit ci-dessus:
Anton Tilhelm Suhr, photographe.
Ystad (Suède), 30 août 1891.
Valdemar Bloch Suhr, artiste dramatique et peintre.
En réponse à mes questions, M. Anton Suhr m'écrit sur une carte postale, datée du 9 octobre 1891: «Les notes que vous avez sont un abrégé du procès-verbal (mon frère l'a eu en sa possession, et il l'a écrit pendant les expériences du clairvoyant) et exactement dans les mêmes termes.»
Alfred Baikman.
Nous entendîmes parler, pour la première fois, de ce cas de clairvoyance, dit Mme Sidgwick, par M. Hansen, qui a eu l'amabilité, d'écrire pour nous le récit suivant de ses propres souvenirs de cette circonstance, et nous a adressé à M. Anton Suhr, pour en avoir la confirmation. Il s'écoula quelque temps avant que nous n'ayons eu l'occasion de communiquer avec M. Suhr, en Suède.
13 mai 1889.
En causant avec le docteur A. J. Neyers, il m'arriva de mentionner un exemple de ce que je considère comme la clairvoyance indépendante. Le docteur Neyers me demanda alors de le mettre par écrit. C'est ce que je vais faire, et j'essaierai de raconter les faits avec autant de concision que possible, car je crois que ma mémoire les a fidèlement retenus; si cependant je fais quelques erreurs, elles pourront être rectifiées par deux gentlemen présents, dans la circonstance, et dont je donne les noms.
En 1867, j'habitais Odense (Danemark), et je recevais souvent deux jeunes gentlemen, établis dans la ville comme photographes; ils étaient frères, fils d'un fameux jardinier paysagiste et neveux d'un prédicateur alors en vogue, le R. Bloch Suhr, d'Helligertor Thurch, à Copenhague. L'aîné s'appelait Valdemar Bloch Suhr, le plus jeune Anton Suhr. En outre, je voyais souvent chez moi un jeune homme nommé Valdemar Balle, maintenant avocat à Copenhague.
A différentes reprises, j'avais hypnotisé M. Balle, mais j'avais seulement essayé de le mettre dans l'état hypnotique caractérisé par la léthargie et l'anesthésie, ou encore de produire des illusions ou des hallucinations; au fait, les expériences avaient été plutôt faites pour l'amusement de mes deux amis, les frères Suhr, que dans un but de recherche. Cependant, M. Balle qui, à cette époque, étudiait et travaillait beaucoup, se sentait très reposé et fortifié après chaque sommeil magnétique, et me demandait parfois de l'endormir pendant peu de temps; après quoi il était généralement très en train et prenait une part active à la conversation. Dans deux ou trois occasions, il donna, pendant son sommeil, des signes de clairvoyance; j'ai oublié les détails: peut-être M. Bloch Suhr, qui a une excellente mémoire, se les rappelle-t-il. Cependant, j'ai conservé un souvenir très net de ce qui suit:
Un soir, quand j'eus hypnotisé M. Balle, et qu'il fut profondément endormi dans un fauteuil, l'aîné des frères Suhr me demanda d'essayer si Balle pourrait aller mentalement à Roskilde, ville de Seeland, à environ 75 ou 80 milles anglais, dont 16 milles de mer, et voir comment se portait la nièce de Suhr. J'y consentis et j'ordonnai à Balle d'aller à Roskilde. Il y était d'abord peu disposé, il dit ensuite: «Me voilà à Nyborg (ville à 16 milles de distance); mais je n'aime pas à traverser l'eau: il fait si sombre!» Je lui répondis de n'y point faire attention, mais de continuer jusqu'à Roskilde. Peu après il dit: «Je suis à Roskilde.» Ma réponse fut: «Eh bien! alors, trouvez M. Suhr.» Un instant après, il dit qu'il se trouvait près du logis de Mrs. Suhr. Afin de vérifier si c'était exact, je lui demandai: «Où demeure-t-elle?» Il donna le nom de la rue et, si j'ai bonne mémoire, dit que la maison était au coin.
Comme je ne connaissais ni Mrs. Suhr, ni son adresse, j'interrogeai du regard M. Suhr, pour lui demander si c'était exact, mais celui-ci hocha la tête et me fit signe que le clairvoyant se trompait. Je dis à Balle qu'il se trompait et qu'il fallait regarder de nouveau. Mais lui, d'un ton assez indigné, répliqua: «Je ne peux pas lire peut-être? Le nom de la rue est écrit là, vous pouvez lire vous-même.» Je crois que ce nom était Skomagerstraede, mais je n'en suis pas sûr. Je me souviens, cependant, que les deux frères Suhr me dirent que ce n'était pas là la rue où habitait leur mère. Mais, comme le clairvoyant paraissait blessé que j'essayasse de le corriger, je n'insistai pas, et le priai d'entrer dans la maison et de voir si Mrs. Suhr se portait bien. Il y semblait d'abord peu disposé, et il donna pour excuse que la porte était fermée. Je lui dis d'entrer quand même. «Je suis entré», répondit-il ensuite, et alors je lui demandai: «Comment va Mrs. Suhr?» «Elle est au lit un peu souffrante; mais sa maladie n'est pas grave; ce n'est qu'un léger rhume. Elle pense à Valdemar: elle lui écrira une lettre dans laquelle elle lui parlera de trois choses.» Il cita trois choses relatives à des affaires. J'ai oublié ce que c'était. Je le réveillai alors, et les frères Suhr firent observer que les informations qu'il nous avait données n'avaient point de valeur, puisqu'elles contenaient une erreur complète, par rapport à l'adresse de leur mère, qui n'habitait pas là où Balle l'avait dit. Je crois que c'était deux jours après que Valdemar reçut de sa mère une lettre qui prouvait que M. Balle avait eu raison. Mrs. Suhr s'était transportée dans la maison que Balle avait indiquée pendant son état hypnotique, sans que ses fils en eussent aucune idée. Elle avait eu réellement un léger rhume et parlait de trois choses dont Balle avait fait mention, presque dans les mêmes termes qu'il avait employés.
Maintenant, je dois dire que ni M. Balle, ni moi, ne savions rien de Mrs. Suhr. Nous ne l'avions jamais vue; aucun de nous n'était jamais allé à Roskilde, et nous ne connaissions pas le nom des rues de cette ville. Il me semble donc que, dans ce cas, il ne pouvait y avoir de télépathie, attendu que le clairvoyant ne pouvait lire une adresse dont nous n'avions aucune idée, et qui n'avait vraisemblablement pu entrer dans son cerveau par un souvenir inconscient. J'ai considéré le cas à tous les points de vue possibles, et il me semble que la découverte de la ville et de l'adresse sont de la clairvoyance pure, tandis que, à partir du moment où le clairvoyant est entré dans la chambre de Mrs. Suhr, il semble avoir lu dans sa pensée.
Carl. Hansen.
Le clairvoyant a mentionné, dans ce cas, dit Mme Sidgwick, trois faits déterminés, inconnus à tous ceux qui étaient présents et qu'il n'était guère probable de deviner: la rue dans laquelle habitait Mrs. Suhr, l'endroit où était le serin et l'absence des enfants. Et le dernier cas, tel qu'il est décrit, ressemble plus à de la clairvoyance indépendante qu'à aucune sorte de lecture de la pensée, car, si M. Balle avait reçu son information de l'esprit d'une personne de Slora Guothaab, on supposera qu'il aurait dit immédiatement: «Les autres enfants ne sont pas là!», au lieu de les chercher mentalement dans la maison sans les trouver.
Nous pourrions, maintenant, donner plusieurs belles histoires où des somnambules lucides font des prodiges; cela nous serait aisé, car ces histoires sont nombreuses... Nous préférons nous en tenir aux quelques observations que nous venons de rapporter: si elles manquent de pittoresque et d'intérêt émotionnel, elles ont, en revanche, de sérieuses garanties d'exactitude: cela suffit pour le but que nous nous proposons.
TROISIÈME GENRE
Pressentiment
Que devons-nous entendre, en Psychologie occulte, par Pressentiment?
Suivant la définition de M. Richet, «c'est la prédiction d'un événement plus ou moins improbable qui se réalisera dans quelque temps et qu'aucun des faits actuels ne permet de prévoir.»
On le voit, il ne s'agit plus ici de ces sensations internes, plus ou moins vagues, que l'on désigne vulgairement sous le nom de pressentiments.
C'est, au contraire, le sentiment très net, quelquefois la vision mentale d'un événement que le sujet affirme devoir se produire dans un avenir plus ou moins lointain. Ces pressentiments se manifestent, soit dans le sommeil somnambulique, soit, sous forme de rêves, dans le sommeil ordinaire. Ce sont alors des rêves véridiques, se produisant avant l'événement.
Ce qui rend l'opinion à se faire de ces phénomènes particulièrement malaisée, c'est qu'ici—on le comprend tout de suite—il ne saurait plus être question d'expériences.
Si, à la rigueur, on peut concevoir la possibilité d'une expérimentation quelconque en fait de pressentiments, en réalité, jusqu'ici, cette expérimentation n'a pas été instituée, et l'on est contraint, plus encore que pour les phénomènes précédents, de s'en tenir aux seules observations.
Or, si les histoires mirifiques de prédictions, de prophéties réalisées, abondent dans l'histoire du Merveilleux, en revanche, les cas accompagnés de garanties, sinon rigoureusement scientifiques, du moins sérieuses, sont très rares.
Il existe pourtant un curieux document, revêtu de tous les caractères d'authenticité désirables, et qui, si l'on était certain de l'absolue bonne foi des signataires, relaterait un des cas les plus remarquables d'hallucination collective prémonitoire.
C'est le récit, arrangé naguère par Mérimée, sous la forme de conte quasi fantastique, de la vision qu'eurent Charles XI, roi de Suède, son chancelier, deux de ses conseillers et son vaguemestre.
On nous permettra de le citer ici, ne fût-ce qu'à titre de curiosité:
«Moi, Charles XI, roi de Suède, dans la nuit du 16 au 17 septembre, je fus tourmenté plus que de coutume par ma maladie mélancolique. Je me réveillai à onze heures et demie, quand, ayant dirigé mes yeux par hasard vers ma fenêtre, je m'aperçus qu'il faisait une grande lumière dans la salle des Etats. Je dis au chancelier Bjelke, qui se trouvait dans ma chambre: «Qu'est-ce que cette lumière dans la salle des Etats? Je crois qu'il y a le feu.» Mais, il me répondit: «Oh! non, sire, c'est l'éclat de la lune qui brille contre les vitres des fenêtres.» Je fus content de cette réponse et je me retournai contre le mur pour prendre quelque repos, mais il y avait une grande inquiétude en moi; je me retournai de nouveau et j'aperçus encore l'éclat des vitres. Je dis alors: «Il ne se peut pas que cela soit dans l'ordre.» Mon bien-aimé chancelier reprit: «Oui, c'est bien la lune.» Au même instant entra le conseiller Bjelke, pour prendre de mes nouvelles. Je demandai à cet excellent homme s'il savait que quelque malheur, tel qu'un incendie, se fût produit dans la salle des Etats. Il me répondit, après un silence: «Dieu merci, il n'y a rien; seulement le clair de lune fait croire qu'il y a de la lumière dans la salle des Etats.» Je me tranquillisai un peu, mais, comme je regardais de nouveau du côté de la salle, il me parut qu'il y avait là des gens. Je me levai et mis une robe de chambre; j'ouvris alors la fenêtre et je vis qu'il y avait dans la salle des Etats une quantité de lumières.
»Je dis alors:—Bons serviteurs, cela n'est pas dans l'ordre. Vous savez que celui qui craint Dieu ne craint rien autre au monde. Je veux aller voir là-dedans, pour savoir ce que cela peut être.
»J'ordonnai donc aux assistants de descendre chez le vaguemestre pour lui dire de monter les clefs. Quand il fut venu, j'allai vers le passage secret qui est au-dessous de ma chambre, à droite de la chambre à coucher de Gustave Ericson. Quand nous y fûmes, je dis au vaguemestre d'ouvrir la porte, mais par crainte, il me pria de lui faire la grâce de ne point l'exiger; je priai alors le chancelier, mais lui aussi m'opposa un refus. Je priai alors le conseiller Oscenstiana, qui jamais n'eut peur de rien, d'ouvrir cette porte, mais il me répondit:—J'ai, une fois, juré d'exposer pour Votre Majesté mon corps et mon sang, mais non d'ouvrir cette porte.
»Alors, je commençai moi-même à me sentir confondu, mais, reprenant courage, je pris les clefs, j'ouvris la porte, et je trouvai que tout, dans le passage, était tendu de noir, même le parquet. Moi et toute la compagnie nous étions tout tremblants. Nous allâmes vers la porte des Etats. J'ordonnai de nouveau au vaguemestre d'ouvrir la porte, mais il me supplia de l'épargner; je priai alors les autres personnes qui m'accompagnaient, mais ils me demandèrent la faveur de ne pas faire ce que je voulais. Je pris donc les clefs et ouvris la porte, et quand j'eus avancé le pied, je le retirai aussitôt en grande confusion. J'hésitai un instant, puis je dis: «Bons seigneurs, si vous voulez me suivre, nous verrons ce qui se passe ici, peut-être que le bon Dieu veut nous révéler quelque chose.» Ils me répondirent tous à voix basse: «Oui», et nous entrâmes.
»Nous vîmes une grande table, autour de laquelle étaient assis seize hommes d'un âge mûr et d'aspect digne, qui avaient devant eux chacun un grand livre et, au milieu d'eux, un jeune roi de seize, dix-sept ou dix-huit ans, la couronne sur la tête et le sceptre à la main.
»A sa droite était assis un seigneur de haute taille, de belle mine, qui pouvait avoir quarante ans: son visage respirait l'honnêteté, et il avait à ses côtés un homme de soixante-dix ans. Je remarquai que le jeune roi secouait plusieurs fois la tête, tandis que les hommes qui l'entouraient frappaient de la main sur les grands livres qui étaient devant eux. Je détournai les yeux, et je vis alors, près de la table, des billots et des bourreaux qui, les manches retroussées, coupaient une tête après l'autre, si bien que le sang commença à couler sur le plancher. Dieu m'est témoin que j'eus plus que peur. Je regardai à mes pantoufles si le sang venait jusque-là, mais il n'en était rien. Ceux qu'on décapitait étaient, pour la plupart, des gentilshommes. Je détournai les yeux, et je vis, dans un coin, un trône qui était presque renversé, et à côté se tenait un homme qui paraissait être le régent. Il était âgé d'environ quarante ans. Je tremblais et je frissonnais en me retirant vers la porte, et je criai: «Quelle est la voix du Seigneur que je dois entendre? O Dieu! quand tout cela doit-il arriver?» Il ne me fut pas répondu, mais le jeune roi secoua plusieurs fois la tête, tandis que les hommes qui l'entouraient frappaient plus durement sur leurs livres. Je criai encore plus fort: «O Dieu! quand cela doit-il arriver? Fais-nous, ô Dieu, la grâce de nous dire comment il faudra alors nous comporter.»
«Alors, le jeune roi me répondit:
»—Cela ne doit pas arriver de ton temps, mais seulement au sixième souverain depuis ton règne, et il sera de l'âge et de la figure que tu me vois, et celui qui est là montre comment sera son tuteur, et le trône sera prêt d'être ébranlé, dans les dernières années de sa tutelle, par quelques jeunes nobles; mais alors, le tuteur, qui précédemment avait persécuté le jeune roi, prendra sa tâche au sérieux, il raffermira le trône, si bien qu'il n'y aura jamais eu de plus grand roi en Suède que celui-ci, et il n'y en aura pas non plus de plus grand après, et que le peuple sera heureux sous son sceptre, et ce roi atteindra un âge extraordinaire, il laissera le royaume sans dettes et plusieurs millions dans le trésor. Mais avant qu'il soit affermi sur le trône, il y aura des ruisseaux de sang répandus, comme jamais auparavant en Suède, et jamais après. Laisse-lui, comme roi de Suède, de bons avis.»
»Quand il eut dit cela, tout disparut et il n'y eut plus que nous dans la salle avec nos lumières. Nous nous retirâmes dans le plus grand étonnement, comme tout le monde peut l'imaginer, et lorsque nous repassâmes par la chambre garnie de noir, cela aussi était parti et tout se trouvait dans l'ordre habituel. Nous retournâmes dans ma chambre, et aussitôt je m'assis pour consigner cet avertissement aussi bien que je le pus. Et tout ceci est vrai. Je l'affirme de mon serment, aussi vrai que Dieu me soit en aide».
Charles, roi présent de Suède.
«Comme témoins présents sur les lieux, nous avons tout vu, comme Sa Majesté l'a écrit, et nous confirmons le récit de notre serment, aussi vrai que Dieu nous soit en aide».
Charles Bjelke, chancelier; Bjelke, conseiller;
A. Oscenstiana, conseiller;
Pierre Grauslen, vaguemestre.
Si, en bonne critique, il n'était indiqué de supposer que des considérations d'ordre politique ou autre ont influé sur la rédaction de ce document, il constituerait, à coup sûr, l'une des plus remarquables observations que l'on connaisse d'hallucinations collectives prévisionnelles. Malgré les réserves qui s'imposent à son égard, nous avons voulu le citer tout au long, les cas de pressentiments, étayés de quelques garanties, étant fort peu nombreux.
Or, le hasard de nos relations a voulu que nous ayons, sur le cas de rêve-pressentiment dont nous allons parler maintenant, des renseignements très précis qui corroborent le récit que nous trouvons dans un article de M. Rambaud, intitulé: «Le Champ de bataille de Borodino[87].
L'héroïne de cette histoire est une dame russe qui vivait dans la première moitié de ce siècle, et qui était mariée à un officier de l'armée russe, M. Toutchkof. Elle était très nerveuse, très impressionnable, encline à un certain mysticisme. C'est elle qui, après la bataille de Borodino, où périt son mari, fonda le monastère qui s'élève aujourd'hui sur l'ancien champ de bataille. Elle mourut, en 1838, abbesse de ce couvent. Le souvenir du rêve extraordinaire qu'elle eut avant la mort de son mari s'est conservé soigneusement dans sa famille, et c'est à une nièce de Mme Toutchkof que nous avons dû la confirmation, dans tous ses détails, du récit suivant.
Il a été emprunté par M. Rambaud à la biographie de Mme Toutchkof.
Quand arriva 1812 et que son mari se rendit à l'armée, elle dut se résigner, cette fois, dans cette guerre sérieuse contre un Napoléon, à se séparer de lui et à se rendre chez ses parents à Moscou.
Pourtant, comme les régiments de Toutchkof étaient cantonnés à Minsk, les deux époux peuvent faire route quelque temps ensemble, avant de se séparer. Ils n'étaient accompagnés que d'une Française, Mme Bouvier, gouvernante de l'enfant; elle fut la meilleure amie de ceux que la guerre française allait rendre si malheureux. La dernière nuit, toute la compagnie coucha sur le plancher d'une cabane. Cette nuit-là, il arriva à Mme Toutchkof une chose étrange.
Margarita Mikhaïlowna, dit son biographe, fatiguée d'une longue route, s'endormit promptement. Alors elle eut un songe. Elle vit, suspendu devant elle, un tableau sur lequel elle lut, tracés en lettres de sang et en langue française, ces six mots: «Ton sort se décidera à Borodino!» De grosses gouttes de sang se détachaient des lettres et ruisselaient sur le papier. La malheureuse femme poussa un cri et se leva en sursaut. Son mari et Mme Bouvier, réveillés par ce cri, coururent à elle. Elle était pâle et tremblait comme une feuille. «Où est Borodino? dit-elle à son mari, quand elle put respirer; on te tuera à Borodino.» «Borodino? répéta Toutchkof, c'est la première fois que j'entends ce nom.» Et, en effet, le petit village de Borodino était alors inconnu. Margarita Mikhaïlowna raconta son rêve. Toutchkof et Mme Bouvier s'efforcèrent de la rassurer. Borodino n'existait pas, n'avait jamais existé, et d'ailleurs le songe ne disait pas qu'Alexandre y serait tué. L'interprétation de Marguerite était purement arbitraire. «Tout le mal vient, ajouta enfin le mari, de ce que tu as les nerfs un peu surexcités. Recouche-toi, pour l'amour de Dieu, et tâche de dormir.» Son sang-froid la calma un peu. La fatigue triompha de ce qui lui restait de terreur; elle se recoucha et s'endormit. Mais le même songe se renouvela; une seconde fois, elle revit la fatale inscription; elle revit ces gouttes de sang qui, lentement, l'une après l'autre, se détachaient des lettres et ruisselaient sur le papier. De plus, elle vit, cette fois, debout autour du tableau, trois personnages: un prêtre, son frère Cyrille Narychkine, et enfin son père, qui tenait dans ses bras le petit Nicolas, son enfant. Elle s'éveilla en proie à une telle agitation que, cette fois, Alexandre fut sérieusement effrayé. A toutes ses paroles, elle ne répondait que par des sanglots ou par cette question: «Où est Borodino?» Il finit par lui proposer d'examiner les cartes de l'état-major et de se convaincre par elle-même qu'on n'y trouvait pas de Borodino. Il envoya aussitôt réveiller un de ses officiers d'ordonnance et lui demanda la carte. L'officier, surpris d'une demande aussi extraordinaire à pareille heure, l'apporta lui-même. Toutchkof la déploya, peut-être non sans un sentiment secret d'appréhension, et l'étendit sur la table. Tout le monde se mit à rechercher le nom fatal; personne ne le trouva. «Si Borodino existe réellement, dit Toutchkof en se tournant vers sa femme, à en juger par son nom il ne peut être qu'en Italie. Or, il est bien peu probable que les hostilités soient transportées là-bas: tu peux donc te rassurer.» Mais elle ne se rassura point. Le maudit songe la poursuivait; c'est dans un désespoir affreux qu'elle se sépara de son mari. Toutchkof l'embrassa, la bénit pour la dernière fois, elle et son fils, et, debout sur la grande route, contempla longuement la berline qui les emportait, jusqu'à ce qu'elle eût disparu à ses yeux.
Il écrivait souvent à sa femme, qui s'était établie dans une petite ville du district, Kineckma, afin d'être plus à portée de recevoir ses lettres. Elle attendait les jours de poste avec une fiévreuse anxiété. Arriva le 1er septembre, c'était le jour de sa fête. Elle entendit la messe et, revenue de l'église, se mit à sa table de travail; toute pensive, elle appuya sa tête dans ses mains, réfléchissant. Tout à coup, elle entendit son père qui l'appelait. Elle pensa d'abord qu'il était revenu de la campagne, pour passer ce jour avec sa fille; elle leva la tête... Devant elle, était le prêtre, à côté de lui son père qui tenait le petit Nicolas dans ses bras. Tous les détails terribles de son rêve se représentent aussitôt à sa mémoire; il ne manquait que son frère Narychkine pour achever le tableau: «Où est mon frère Cyrille?» s'écria-t-elle d'une voix éclatante. Il se montra sur le seuil. «Tué!» murmura-t-elle, et elle tomba sans connaissance. Quand elle revint à elle, son père et son frère la soutenaient. «On a donné la bataille près de Borodino», lui dit Cyrille, à travers ses larmes.
Alexandre Toutchkof était mort, en effet, et sa veuve ne put même retrouver son corps.
Nous avons tout lieu de croire, répétons-le, que les détails de ce rêve n'ont pas été arrangés, après coup, pour le modeler exactement sur l'événement. Les choses ont dû, en réalité, se passer ainsi, et ce que cette observation présente alors d'extraordinaire, c'est—outre, bien entendu, la divination de ce mot inconnu de Borodino—la persistance de l'image hallucinatoire qui se manifeste à deux reprises différentes.
Nous l'avons dit, en fait de pressentiments, l'expérience n'existe pas, et même c'est à peine si l'on entrevoit la possibilité d'une expérimentation quelconque; aussi en sommes-nous réduits à nous contenter d'observations plus ou moins sûres; celles que nous avons déjà citées offraient—malgré leur étrangeté (pour ne pas dire plus)—des garanties sinon absolues, du moins suffisantes: nous allons terminer par deux autres cas de pressentiment, en faisant remarquer que le nom seul de l'auteur qui les rapporte en atteste la valeur.
Nous les trouvons dans l'intéressant ouvrage du docteur Liebeault: Thérapeutique suggestive, 1891, p. 282[88].
PREMIÈRE OBSERVATION
(Elle est extraite de l'un de mes registres, à son rang, no 339, 7 janvier 1886).
Est venu me consulter aujourd'hui, à 4 heures de l'après-midi, M. S. de Ch... pour un état nerveux sans gravité. M. de Ch... a des préoccupations d'esprit, à propos d'un procès pendant, et des choses qui suivent: En 1879, le 24 décembre, se promenant dans une rue de Paris, il vit écrit sur une porte: Mme Lenormand, nécromancienne. Piqué par une curiosité irréfléchie, il se fit ouvrir la maison et, introduit, il se laissa conduire dans une salle assez sombre. Là, il attendit Mme Lenormand qui, prévenue presque aussitôt, vint le trouver et le fit asseoir devant une table. Alors cette dame sortit, revint, se mit en face de lui, puis regardant la face palmaise de l'une de ses mains, lui dit: «Vous perdrez votre père dans un an, jour par jour. Bientôt vous serez soldat (il avait alors dix-neuf ans), mais vous n'y resterez pas longtemps. Vous vous marierez jeune: il vous naîtra deux enfants et vous mourrez à vingt-six ans.»
Cette stupéfiante prophétie, que M. de Ch... confia à des amis et à quelques-uns des siens, il ne la prit pas d'abord au sérieux; mais son père étant mort le 27 décembre 1880, après une courte maladie et juste un an après l'entrevue avec la nécromancienne, ce malheur refroidit quelque peu son incrédulité. Et lorsqu'il devint soldat—seulement 7 mois—lorsque, marié peu après, il fut devenu le père de deux enfants et qu'il fut sur le point d'atteindre vingt-six ans, ébranlé définitivement par la peur, il crut qu'il n'avait plus que quelques jours à vivre.
Ce fut alors qu'il vint me trouver, pour me demander s'il ne me serait pas possible de conjurer le sort qui l'attendait. Car, pensait-il, les quatre premiers événements de la prédiction s'étant accomplis, le cinquième devait fatalement se réaliser.
Le jour même et les jours suivants, je tentai de mettre M. de Ch... dans le sommeil profond, afin de dissiper la noire obsession gravée dans son esprit: celle de sa mort prochaine, mort qu'il s'imaginait devoir arriver le 4 février, jour anniversaire de sa naissance, bien que Mme Lenormand ne lui eût rien précisé sous ce rapport. Je ne pus produire sur ce jeune homme même le sommeil le plus léger, tant il était fortement agité. Cependant, comme il était urgent de lui enlever la conviction qu'il devait bientôt succomber, conviction dangereuse, car on a souvent vu des prévisions de ce genre s'accomplir à la lettre par auto-suggestion, je changeai de manière d'agir et je lui proposai de consulter l'un de mes somnambules, un vieillard de soixante-dix ans, appelé le prophète, parce qu'ayant été endormi par moi, il avait, sans erreur, annoncé l'époque précise de sa guérison, pour des rhumatismes articulaires remontant à quatre années, et l'époque même de la guérison de sa fille, cette dernière cure due à l'affirmation de recouvrer la santé à une heure fixée d'avance, ce dont son père l'avait pénétrée. M. de Ch... accepta ma proposition avec avidité et ne manqua pas de se rendre exactement au rendez-vous que je lui ménageai. Entré en rapport avec ce somnambule, ses premières paroles furent de lui dire: «Quand mourrai-je?» Le dormeur expérimenté, soupçonnant le trouble de ce jeune homme, lui répondit, après l'avoir fait attendre: «Vous mourrez... vous mourrez... dans quarante-un ans.» L'effet causé par ces paroles fut merveilleux. Immédiatement, le consultant redevint gai, expansif et plein d'espoir; et quand il eut franchi le 4 février, ce jour tant redouté par lui, il se crut sauvé.
Ce fut alors que quelques-uns de ceux qui avaient entendu parler de cette poignante histoire s'accordèrent pour conclure qu'il n'y avait eu rien là de vrai; que c'était par une suggestion post-hypnotique que ce jeune homme avait conçu ce récit imaginaire. Paroles en l'air! le sort en était jeté, il devait mourir.
Je ne pensais plus à rien de cela, lorsque, au commencement d'octobre, je reçus une lettre de faire part, par laquelle j'appris que mon malheureux client venait de succomber, le 30 septembre 1885, dans sa vingt-septième année, c'est-à-dire à l'âge de vingt-six ans, ainsi que Mme Lenormand l'avait prédit. Et pour qu'il ne soit pas supposé que ce que je raconte peut être une illusion extravagante de mon esprit, je garde toujours cette lettre, de même que le registre d'où j'ai tiré, à la suite, l'observation qui précède. Ce sont là deux témoignages écrits, indéniables. Depuis, j'ai appris que cet infortuné, envoyé par son médecin aux eaux de Contrexeville, pour qu'il soit traité pour des calculs biliaires, fut obligé de s'y aliter, à la suite de la rupture d'une poche liquide (vésicule du fiel), rupture qui amena une péritonite.
DEUXIÈME OBSERVATION
(Elle m'a été communiquée par un homme très honorable. M. L..., banquier).
Dans une famille des environs de Nancy, l'on endormait souvent une fille de dix-huit ans, nommée Julie. Cette fille, une fois mise en état de somnambulisme, était portée d'elle-même, comme si elle en recevait l'inspiration, à répéter, à chaque nouvelle séance, qu'une proche parente de cette famille, qu'elle nommait, mourrait bientôt et n'atteindrait pas le 1er janvier. On était alors en novembre 1883. Une telle persistance dans les affirmations de la dormeuse conduisit le chef de cette famille, qui flairait là une bonne affaire, à contracter une assurance à vie de 10,000 fr. sur la tête de la dame en question, laquelle, n'étant nullement malade, obtiendrait facilement un certificat de médecin. Pour trouver cette somme, il s'adressa à M. L..., lui écrivit plusieurs lettres, dans l'une desquelles il racontait le motif qui le portait à emprunter. Et ces lettres, que M. L... m'a montrées, il les garde comme des preuves irréfragables de l'événement futur annoncé. Bref, on finit par ne pas s'entendre sur la question des intérêts, et l'affaire entamée en resta là. Mais, quelque temps après, grande fut la déception de l'emprunteur. La dame X..., qui devait mourir avant le 1er janvier, succomba, en effet, et tout d'un coup, le 30 décembre, ce dont fait foi une dernière lettre du 2 janvier, adressée à M. L..., lettre que ce Monsieur garde aussi avec celles qu'il avait reçues précédemment, à propos de la même personne.
Nous en avons fini avec la première catégorie de Phénomènes psychiques occultes, ceux qui, sous des modalités différentes, Télépathie, Lucidité, Pressentiments, semblent «révéler une faculté profondément inconnue encore de l'âme humaine, celle de voir et de connaître des événements lointains, dans le temps comme dans l'espace, sous une forme plus ou moins hallucinatoire.»
On sait déjà ce que nous pensons des tentatives faites ou à faire pour expliquer cette faculté occulte de l'organisme; nous n'y reviendrons pas.
Disons seulement que les plus récentes découvertes de l'hypnotisme, la variation des états de conscience, le dédoublement de la personnalité, l'extériorisation de la sensibilité (si elle est reconnue vraie), etc., etc., ne sont peut-être, au fond, que des modes d'activité de cette faculté.
M. de Rochas est plus affirmatif: «Au point où est aujourd'hui la science, dit-il[89], on est certainement autorisé à rechercher, dans des phénomènes de cet ordre, l'explication des médiums, des voyants, des envoûteurs et des guérisseurs... L'hypnotisme, jusqu'ici seul étudié officiellement, n'est que le vestibule d'un vaste et merveilleux édifice, déjà exploré en grande partie par les anciens magnétiseurs.»
Nous comptons insister, plus loin—dans une étude comparative des sujets et des médiums,—sur ces rapports très probables de l'Hypnotisme avec la Psychologie occulte.
Terminons cette première partie, où nous venons d'entrevoir les facultés de connaître encore mystérieuses de l'âme humaine, par ces suggestives paroles de Laplace:
«Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si, d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait, dans la même formule, les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome; rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux[90].»
DEUXIÈME PARTIE
IIme CLASSE.—PHÉNOMÈNES PHYSIQUES
OCCULTES[91]
I. De la force psychique
Nous abordons maintenant l'étude d'une classe de phénomènes plus extraordinaires, plus surnormaux encore, du moins en apparence, que ceux que nous venons de passer en revue.
Il s'agit des effets mécaniques, plus ou moins contraires aux lois naturelles, qui se produisent tantôt spontanément, tantôt par le fait de certaines personnes paraissant douées de la faculté d'émettre une force spéciale et nommées Médiums.
Jusqu'à ces dernières années, ces phénomènes, mouvements d'objets sans contact, coups, bruits, soulèvement spontané du corps, etc., etc., étaient désignés sous le nom de Phénomènes spiritiques et revendiqués par les Spirites, qui en attribuaient la production aux âmes des morts, avec lesquelles les médiums se mettent en rapport.
Les premières tentatives scientifiques, faites pour expliquer quelques-uns de ces «prodiges», furent celles de Babinet, de Faraday et de Chevreul, qui, en substance, attribuaient aux mouvements inconscients, à l'automatisme des expérimentateurs et des médiums, les mouvements des objets avec lesquels ils étaient en contact[92].
Cette théorie, complétée par celle de l'Automatisme psychologique, de la dualité cérébrale, soutenue avec un grand talent par M. Pierre Janet[93], peut évidemment suffire pour l'immense majorité des faits que l'on observe dans les séances de tables tournantes, d'écriture automatique, etc.
Mais elle est en défaut quand il s'agit d'expliquer, rationnellement, les faits d'action à distance, les seuls dont nous voulions nous occuper ici.
Si, comme le dit M. Janet, au point de vue psychologique, la pensée du médium est de même nature, qu'il la manifeste au moyen d'un crayon qu'il tient à la main ou au moyen d'un crayon placé loin de lui, il n'en est pas moins certain qu'au point de vue physique, cela est tout différent.
Or, nous le répétons, c'est cette action physique à distance que nous voulons principalement étudier.
Nous ne nions pas, pour cela, l'action possible du médium—indépendamment de tout mouvement musculaire—sur les objets avec lesquels il est en contact. Mais comme, dans ces cas, le doute est toujours légitime, nous préférons nous en tenir aux seuls mouvements provoqués à distance.
Dans le fait, s'il est démontré qu'une force, émanant de l'organisme, peut agir de loin sur des objets matériels, il est presque certain que les Phénomènes physiques occultes reconnaissent une cause identique à celle des Phénomènes psychiques: dans les deux cas, il s'agit de la projection, volontaire ou non, hors du corps, d'un élément particulier dont la nature est encore profondément inconnue.
Sans recourir aux vues des Sciences occultes sur cette force, il nous faut dire un mot cependant des expériences de Reichenbach, reprises et commentées, avec un sens critique très sûr, par M. le colonel de Rochas[94].
D'après Reichenbach, non seulement l'organisme humain, mais tous les corps de la nature seraient pénétrés d'un fluide spécial, dérivé de la Force-substance universelle des Occultistes. Ce fluide, cet Od, comme il l'appelle, pourrait être projeté, volontairement ou non, hors du corps, et, dans certains cas, deviendrait même visible.
Des êtres, doués d'une plus grande finesse de perception, que l'auteur nomme des Sensitifs, auraient le don de voir l'Od se dégager des objets naturels, du corps de l'homme, et surtout des aimants[95].
Ces affirmations de Reichenbach ont été, nous l'avons dit, vérifiées par M. de Rochas, dont la compétence scientifique offre toutes les garanties désirables; cet expérimentateur serait même parvenu à photographier ce que l'on pourrait nommer l'image astrale d'un minéral[96].
Voici maintenant, d'après M. Arnold Boscowitz, qui les a résumées, les recherches de Reichenbach sur l'Od:
«Longtemps avant que le sensitif ait vu la lumière polaire se dégager de l'aimant ou du cristal, il voit briller, à la place où se trouve une personne quelconque, un nuage transparent et phosphorescent. C'est à peine s'il peut distinguer une forme humaine dans l'intérieur du voile lumineux; mais, à mesure que sa pupille se dilate, il voit se dessiner de mieux en mieux les contours du corps auquel des émanations lumineuses donnent des proportions outrées. Les lueurs odiques s'élèvent, bleuâtres et mobiles, au-dessus de la tête, présentent l'aspect d'un géant lumineux qui porterait un casque orné de longues aigrettes. La couleur des flammes qui s'échappent est rouge à gauche, bleue à droite.
»C'est aux mains, surtout aux extrémités des doigts, que le phénomène est le plus marqué. De même, chez tous les animaux, tout le côté gauche dégage la lumière odique rouge, le droit, la lumière bleue, etc., etc.[97].»
Rappelons que le docteur Luys a communiqué à la Société de biologie des expériences qui, faites avec des sujets endormis par l'aimant, lui ont donné des résultats semblables à ceux que nous venons de décrire.
Ajoutons encore que, dans son livre de l'Analyse des choses, le docteur Gibier affirme l'existence de cette «force animique.» Il dit l'avoir vu se dégager dans l'obscurité, sous forme de «matière vaporeuse et lumineuse», du corps de l'un de ses clients. «Elle émane principalement, au niveau de la région épigastrique ou des gros troncs artériels[98]»... «J'ai eu maintes fois l'occasion de voir, chez des sujets bien doués, le dégagement de cette force et sa condensation en plein jour, sous une forme ou sous une autre. Je ne saurais mieux, alors, caractériser son aspect qu'en le comparant à l'état vésiculaire qui précède l'état liquide du gaz acide carbonique, lorsqu'on le liquéfie sous pression dans un tube de verre. A ce propos, je dois dire (non que mon intention soit d'établir aucune comparaison, puisque le gaz s'échauffe par la compression) que, lors du dégagement de cette force du corps des sujets, on éprouve, surtout en été ou dans une atmosphère tiède, une vive impression de fraîcheur[99].»
Admettrons-nous que Reichenbach, de Rochas, Gibier et d'autres encore ont été dupes d'hallucinations?
Mais cette force odique, animique, neurique rayonnante[100], psychique (qu'on l'appelle comme on voudra), ne se manifeste pas seulement par des effets lumineux; elle peut aussi—à des distances variables—provoquer des mouvements d'objets matériels, que la mécanique est impuissante à expliquer.
Comme l'étude la plus sérieuse et la plus démonstrative de l'action mécanique de la force psychique a été faite par le professeur William Croockes, nous allons, sans plus tarder, parler de ses travaux.
En une sorte de profession de foi, mise en tête de son livre, le savant anglais a soin d'indiquer l'esprit dans lequel il commence ses études relatives aux «Phénomènes spiritualistes[101].»
«Le spiritualiste, dit-il, parle de corps pesant 50 ou 100 livres, qui sont enlevés en l'air, sans l'intervention de force connue; mais le savant chimiste est accoutumé à faire usage d'une balance sensible à un poids si petit qu'il en faudrait dix mille comme lui pour faire un grain. Il est donc fondé à demander que ce pouvoir, qui se dit guidé par une intelligence, qui élève jusqu'au plafond un corps pesant, fasse mouvoir, sous des conditions déterminées, sa balance si délicatement équilibrée.
»Le spiritualiste parle de coups frappés qui se produisent dans les différentes parties d'une chambre, lorsque deux personnes ou plus sont tranquillement assises autour d'une table. L'expérimentateur scientifique a le droit de demander que ces coups se produisent sur la membrane tendue de son phonautographe.
»Le spiritualiste parle de chambres et de maisons secouées, même jusqu'à en être endommagées, par un pouvoir surhumain. L'homme de science demande simplement qu'un pendule, placé sous une cloche de verre et reposant sur une solide maçonnerie, soit mis en vibration.
»Le spiritualiste parle de lourds objets d'ameublement se mouvant d'une chambre à l'autre, sans l'action de l'homme. Mais le savant a construit les instruments qui diviseraient un pouce en un million de parties: et il est fondé à douter de l'exactitude des observations effectuées, si la même force est impuissante à faire mouvoir, d'un simple degré, l'indicateur de son instrument.
»Le spiritualiste parle de fleurs mouillées de fraîche rosée, de fruits et même d'êtres vivants apportés à travers les croisées fermées, et même à travers les solides murailles en briques. L'investigateur scientifique demande naturellement qu'un poids additionnel (ne fût-il que la millième partie d'un grain) soit déposé dans un des plateaux de sa balance, quand la boîte est fermée à clef. Et le chimiste demande qu'on introduise la millième partie d'un grain d'arsenic à travers les parois d'un tube de verre dans lequel de l'eau pure est hermétiquement scellée.
»Le spiritualiste parle de manifestations d'une puissance équivalente à des milliers de livres et qui se produit sans cause connue. L'homme de science, qui croit fermement à la conservation de la force, et qui pense qu'elle ne se produit jamais sans un épuisement correspondant de quelque chose pour la remplacer, demande que lesdites manifestations se produisent dans son laboratoire, où il pourra les peser, les mesurer, les soumettre à ses propres essais.
»C'est pour ces raisons et avec ces sentiments que je commence l'enquête dont l'idée m'a été suggérée par des hommes éminents qui exercent une grande influence sur le mouvement intellectuel du pays.»
Les premières expériences de M. Croockes furent faites avec le concours du médium américain Home, qui, après une existence assez accidentée, est mort à Paris dans un état voisin de la misère[102].
Parmi les phénomènes que produisait Home, les plus singuliers et qui se prêtaient le mieux à l'examen scientifique étaient:
1o L'altération du poids du corps.
2o L'exécution d'airs sur des instruments de musique, généralement sur l'accordéon, sans intervention humaine directe et sous des conditions qui rendaient impossible tout contact ou tout maniement des clefs.
Ce furent ces phénomènes que M. Croockes étudia tout d'abord. Nous laissons à penser avec quels soins et avec quelle méthode furent conduites ces expériences: on nota même la température. Elles se faisaient chez le savant lui-même, assisté de quelques-uns de ses collègues et de quelques personnes de sa famille.
Voici le récit qu'en donne M. Croockes:
«Les réunions eurent lieu le soir, dans une grande chambre éclairée au gaz. Les appareils préparés dans le but de constater les mouvements de l'accordéon consistaient en une cage formée de deux cercles en bois, respectivement d'un diamètre de un pied dix pouces, et de deux pieds, réunis ensemble par douze lattes étroites, chacune d'un pied dix pouces de longueur, de manière à former la charpente d'une espèce de tambour, ouvert en haut et en bas. Tout autour, cinquante mètres de fil de cuivre isolés furent enroulés en vingt-quatre tours, chacun de ces tours se trouvant à moins d'un pouce de distance de son voisin. Ces fils de fer horizontaux furent alors solidement reliés ensemble avec de la ficelle, de manière à former des mailles d'un peu moins de deux pouces de large sur un pouce de haut. La hauteur de cette cage était telle qu'elle pouvait glisser sous la table de ma salle à manger, mais elle en était trop près par le haut pour permettre à une main de s'introduire dans l'intérieur, ou à un pied de s'y glisser par-dessous. Dans une autre chambre, il y avait deux piles de Grove, d'où partaient des fils qui se rendaient dans la salle à manger, pour établir la communication, si on le désirait, avec ceux qui entouraient la cage.
»L'accordéon était neuf: je l'avais, pour ces expériences, acheté moi-même chez Wheatstone, conduit-street, M. Home n'avait ni vu, ni touché l'instrument, avant le commencement de nos essais.
»Dans une autre partie de la chambre, un appareil était disposé pour expérimenter l'altération du poids d'un corps. Il consistait en une planche d'acajou de trente-six pouces de long, sur neuf et demi de large, et un d'épaisseur. A chaque bout, une bande d'acajou, d'un pouce et demi de large, était vissée et formait pied. L'un des bouts de la planche reposait sur une table solide, tandis que l'autre était supporté par une balance à ressort, suspendue à un fort trépied. La balance était munie d'un index enregistreur, auto-moteur, de manière à indiquer le maximum du poids marqué par l'aiguille. L'appareil était ajusté de telle sorte que la planche d'acajou était horizontale, son pied reposant à plat sur le support. Dans cette position, son poids était de trois livres; elles étaient indiquées par l'index de la balance.
»Avant que M. Home pénétrât dans la chambre, l'appareil avait été mis en place, et, avant de s'asseoir, on ne lui avait même pas expliqué la destination de quelques-unes de ses parties. Il sera peut-être utile d'ajouter, dans le but de prévenir quelques remarques critiques qu'on pourrait peut-être faire, que, l'après-midi, j'étais allé chez M. Home, dans son appartement, et que, là, il me dit que, comme il avait à changer de vêtements, je ne ferais sans doute pas de difficulté à continuer notre conversation dans sa chambre à coucher. Je suis donc en mesure d'affirmer d'une manière positive que ni machine, ni artifice d'aucune sorte, ne fut en secret mis sur sa personne.
»Les investigateurs présents, à l'occasion de cette expérience, étaient un éminent physicien, haut placé dans les rangs de la Société Royale, que j'appellerai A B; un docteur en droit bien connu, que j'appellerai C D; mon frère et mon aide de chimie.
»M. Home s'assit à côté de la table, sur une chaise longue. En face de lui, sous la table, se trouvait la cage sus-mentionnée, et une de ses jambes se trouvait de chaque côté. Je m'assis près de lui, à sa gauche, un autre observateur fut placé près de lui à sa droite; le reste des assistants s'assit autour de la table, à la distance qui lui convint.
»Pendant la plus grande partie de la soirée, et particulièrement lorsque quelque chose d'important avait lieu, les observateurs, qui étaient de chaque côté de M. Home, tenaient respectivement leurs pieds sur les siens, de manière à pouvoir découvrir le plus léger mouvement.
»La température de la chambre variait de 68° à 70° Farenheit. M. Home prit l'accordéon entre le pouce et le doigt du milieu d'une de ses mains, et par le bout opposé aux clefs. (Pour éviter les répétitions, cette manière de le prendre sera appelée, à l'avenir, «de la manière ordinaire».)
»Après avoir préalablement ouvert moi-même la clef de basse, la cage fut tirée de dessous la table, juste assez pour permettre d'y introduire l'accordéon avec ses clefs tournées en bas. Elle fut ensuite repoussée dessous, autant que le bras de M. Home pût le permettre, mais sans cacher sa main à ceux qui étaient près de lui. Bientôt ceux qui étaient de chaque côté virent l'accordéon se balancer d'une manière curieuse, puis des sons en sortirent, et enfin, plusieurs notes furent jouées successivement.
»Pendant que ceci se passait, mon aide se glissa sous la table et nous dit que l'accordéon s'allongeait et se fermait; on constatait en même temps que la main de M. Home, qui tenait l'accordéon, était tout à fait immobile, et que l'autre reposait sur la table.
»Puis, ceux qui étaient de chaque côté de M. Home virent l'accordéon se mouvoir, osciller et tourner tout autour de la cage, et jouer en même temps. Le docteur A B regarda alors sous la table et dit que la main de M. Home semblait complètement immobile, pendant que l'accordéon se mouvait et faisait entendre des sons distincts.
»M. Home tint encore l'accordéon dans la cage, de la manière ordinaire. Ses pieds tenus par ceux qui étaient près de lui, son autre main reposant sur la table, nous entendîmes des notes distinctes et séparées résonner successivement, et ensuite un air simple fut joué. Comme un tel résultat ne pouvait s'être produit que par les différentes clefs de l'instrument, mises en action d'une manière harmonieuse, tous ceux qui étaient présents le considérèrent comme une expérience décisive. Mais ce qui suivit fut encore plus frappant: M. Home éloigna entièrement sa main de l'accordéon, la sortit tout à fait de la cage et la mit dans la main de la personne qui se trouvait près de lui. Alors l'instrument continua à jouer, personne ne le touchant et aucune main n'étant près de lui.
»Je voulus ensuite essayer quel effet on produirait, en faisant passer le courant de la batterie autour du fil isolé de la cage. En conséquence, mon aide établit la communication avec les fils qui venaient des piles de Grove. De nouveau, M. Home tint l'instrument dans la cage, de la même façon que précédemment, et immédiatement il résonna, et s'agita de côté et d'autre avec vigueur. Mais il m'est impossible de dire si le courant électrique qui passa autour de la cage vint en aide à la force qui se manifestait à l'intérieur.
»L'accordéon fut alors repris sans aucun contact visible avec la main de M. Home. Il l'éloigna complètement de l'instrument et la plaça sur la table, où elle fut saisie par la personne qui était près de lui; tous ceux qui étaient présents virent bien que ses deux mains étaient là. Deux des assistants et moi nous aperçûmes distinctement l'accordéon flotter çà et là dans l'intérieur de la cage, sans aucun support visible. Après un court intervalle, ce fait se répéta une seconde fois.
»Alors M. Home remit sa main dans la cage et prit de nouveau l'accordéon, qui commença à jouer d'abord des accords et des arpèges, et ensuite une douce et plaintive mélodie bien connue, qu'il exécuta parfaitement et d'une manière très belle. Pendant que cet air se jouait, je saisis le bras de M. Home au-dessous du coude et fis glisser doucement ma main jusqu'à ce qu'elle touchât le haut de l'accordéon. Pas un muscle ne bougeait. L'autre main de M. Home était sur la table, visible à tous les yeux, et ses pieds étaient sous les pieds de ceux qui étaient à côté de lui.»
Après avoir obtenu des résultats aussi décisifs avec l'accordéon, M. Croockes expérimenta avec l'appareil de la balance.
Malgré tout le désir que nous aurions de reproduire tout au long ces expériences, qui sont fondamentales, nous nous voyons forcés d'en donner seulement les résultats. Disons donc que M. Croockes constata, au moyen d'appareils enregistreurs très sensibles et construits ad hoc, que Home pouvait, par simple imposition des doigts, sans pression et même sans aucun contact, augmenter de quantités énormes (le 300 p. 100) le poids de divers objets, etc.
En outre, il vit à plusieurs reprises des tables et des chaises enlevées de terre, sans l'attouchement de personne; Home lui-même se souleva, à trois reprises différentes, au-dessus du plancher; enfin, plusieurs apparitions se manifestèrent, mais nous parlerons de celles-ci dans le chapitre suivant.
Répétons-le, le luxe des précautions prises était inouï. «Le pauvre Home était soumis à des épreuves bien offensantes: on lui tenait les pieds et les mains, il n'avait le droit de faire aucun mouvement, sans que plusieurs paires d'yeux méfiants ne fussent braqués sur lui[103].»
Les conclusions que M. Croockes a tirées de ces expériences et d'une foule d'autres sont consignées dans son livre.
Elles sont trop importantes pour que nous ne les citions pas tout au long[104]:
«Ces expériences, dit le savant anglais, mettent hors de doute les conclusions auxquelles je suis arrivé dans mon précédent mémoire, savoir: l'existence d'une force associée, d'une manière encore inexpliquée, à l'organisme humain, force par laquelle un surcroît de poids peut être ajouté à des corps solides, sans contact effectif. Dans le cas de M. Home, le développement de cette force varie énormément, non seulement de semaine à semaine, mais d'une heure à l'autre; dans quelques occasions, cette force peut être accusée par mes appareils, pendant une heure ou même davantage, et puis, tout à coup, elle reparaît avec une grande énergie. Elle est capable d'agir à une certaine distance de M. Home (il n'est pas rare que ce soit jusqu'à deux ou trois pieds), mais toujours elle est plus puissante auprès de lui.
».... Je crois découvrir ce que cette force physique emploie pour se développer. En me servant des termes de force vitale, énergie nerveuse, je sais que j'emploie des mots qui, pour bien des investigateurs, prêtent à des significations différentes; mais, après avoir été témoin de l'état pénible de prostration nerveuse et corporelle dans laquelle quelques-unes de ces expériences ont laissé M. Home, après l'avoir vu dans un état de défaillance presque complète, étendu sur le plancher, pâle et sans voix, je puis à peine douter que l'émission de la force psychique ne soit accompagnée d'un épuisement correspondant de la force vitale.
»Je me suis hasardé à donner à cette nouvelle force le nom de force psychique, à cause de sa relation manifeste avec certaines considérations psychologiques, et parce que j'étais très désireux d'éviter que les conclusions précédentes ne fussent classées sous un titre qui, jusqu'ici, a été considéré comme dépendant d'un terrain d'où les arguments et les expériences sont bannis. Mais, comme j'ai trouvé que c'était du ressort de la recherche scientifique pure, j'ai dû le faire connaître par une appellation qui fût un nom scientifique, et je ne pense pas qu'on pût en choisir un autre qui lui convînt mieux.
»Pour être témoin des manifestations de cette force, il n'est pas nécessaire d'avoir accès auprès des psychistes en renom. Cette force est probablement possédée par tous les êtres humains, quoique les individus qui en sont doués avec une énergie extraordinaire soient sans doute rares. Pendant l'année qui vient de s'écouler, j'ai rencontré, dans l'intimité de quelques familles, cinq ou six personnes qui possèdent cette force d'une manière assez puissante pour m'inspirer pleinement la confiance que, par leur moyen, on aurait pu obtenir des résultats semblables à ceux qui viennent d'être décrits, pourvu que les expérimentateurs opérassent avec des appareils plus délicats et susceptibles de marquer une fraction de grain, au lieu d'indiquer seulement des livres et des onces.... Qu'il soit bien compris que, de même que toutes les autres expériences scientifiques, ces recherches doivent être conduites en parfait accord avec les conditions dans lesquelles la force se développe.
»De même que, dans les expériences d'électricité par frottement, c'est une condition indispensable que l'atmosphère soit exempte d'un excès d'humidité et qu'aucun corps conducteur ne doive toucher l'instrument, pendant que cette force s'engendre, de même on a trouvé que certaines conditions étaient essentielles à la production et à l'action de la force psychique; et si ces précautions ne sont pas observées, les expériences ne réussissent pas.
»C'est ainsi que cette force psychique était défavorablement influencée par une lumière trop vive, par le rayonnement du regard[105], qu'elle se transmet à travers l'eau.»
M. Croockes a essayé sur elle l'influence de plusieurs lumières: lumière du soleil diffuse, clair de lune, gaz, lampe, bougie, lumière électrique, etc. Les rayons les moins favorables aux manifestations «semblent être ceux de l'extrémité du spectre.»
«Je dois rectifier, continue M. Croockes, une ou deux erreurs qui se sont profondément implantées dans l'esprit du public. L'une, que l'obscurité est essentielle à la production des phénomènes, cela n'est pas le cas. Excepté en quelques circonstances, pour lesquelles l'obscurité a été une condition indispensable, comme par exemple les phénomènes d'apparitions lumineuses et quelques autres cas, tout ce que je rapporte a eu lieu à la lumière... Lorsque quelque raison particulière a exigé l'exclusion de la lumière, les résultats qui se sont manifestés l'ont été sous des conditions de contrôle si parfait que la suppression d'un de nos sens n'a réellement pas pu affaiblir la preuve fournie.
»Une autre erreur qui est commune consiste à croire que les manifestations ne peuvent se produire qu'à certaines heures et qu'en certains lieux—chez le médium, ou à des heures convenues d'avance—et partant de cette supposition erronée, on a établi une analogie entre les phénomènes appelés spirituels et les tours d'adresse des «prestidigitateurs» et des «sorciers» opérant sur leur propre théâtre et entourés de tout ce qui concerne leur art... Les centaines de faits que je me prépare à attester ont tous eu lieu dans ma propre maison, aux époques désignées par moi et dans des circonstances qui excluaient absolument l'emploi et l'aide du plus simple instrument.
«Une troisième erreur est celle-ci: c'est que le médium doit choisir son cercle d'amis et de compagnons qui doivent assister à sa séance.—Que ces amis doivent croire fermement à la vérité de n'importe quelle doctrine qu'énoncera le médium.—Qu'on impose à toute personne, dont l'esprit est investigateur, des conditions telles qu'elles empêchent complètement toute observation soigneuse. A cela je puis répondre qu'à l'exception de quelques cas fort peu nombreux.... j'ai composé moi-même mon cercle d'amis, j'ai introduit tous les incrédules qu'il m'a plu d'introduire, et j'ai généralement imposé mes conditions choisies avec soin par moi-même, pour éviter toute possibilité de fraude.....[106].»
Voici maintenant une déclaration du même expérimentateur dont le lecteur appréciera—sans que nous ayons besoin d'insister—toute la gravité:
«Une question importante s'impose ici à notre attention: Ces mouvements et ces bruits sont-ils gouvernés par une intelligence? Dès le premier début de mes recherches, j'ai constaté que le pouvoir qui produisait ces phénomènes n'était pas simplement une force aveugle, mais qu'une intelligence le dirigeait ou du moins lui était associée... L'intelligence qui gouverne ces phénomènes est quelquefois manifestement inférieure à celle du médium, et elle est souvent en opposition directe avec ses désirs... Cette intelligence est quelquefois d'un caractère tel qu'on est forcé de croire qu'elle n'émane d'aucun de ceux qui sont présents.»
Telles sont les expériences et les opinions de l'habile physicien anglais sur la Force psychique.
Ces expériences sont, en Psychologie occulte, devenues fondamentales, classiques: et si, pour notre compte, nous n'acceptons qu'avec les plus expresses réserves les expériences de matérialisations que fit plus tard le même M. Croockes avec Mlle Cook (nous en parlerons plus loin), nous devons dire que nous considérons comme à peu près décisives celles que nous venons d'exposer.
Et ici on ne peut pas invoquer le testis unus testis nullus, car des faits semblables ou analogues ont été constatés par divers expérimentateurs, tous dignes de foi, Gibier, Zœllner, Lepelletier, Lombroso, etc., etc.
Nous ne pouvons que consigner rapidement les résultats de leurs expériences, sans entrer dans les détails des précautions prises, des appareils construits spécialement, etc.
Zœllner[107], qui était professeur d'astronomie à l'Université de Leipzig, et qui est mort depuis, opéra avec un américain, Slade, qui devait, dans la suite, servir aux expériences de M. Gibier.
Voici les phénomènes produits par ce médium, dans la maison même de Zœllner[108]:
1o Mouvement, par la seule «force» de Slade, de l'aiguille aimantée renfermée dans la boîte d'une boussole[109];
2o Coups frappés dans une table; couteau projeté, sans contact, à la hauteur d'un pied;
3o Mouvements d'objets lourds, le lit de M. Zœllner, transporté à deux pieds du mur, Slade étant assis, le dos tourné au lit, les jambes croisées et bien en vue;
4o Un écran est brisé avec fracas, sans contact avec le médium, et les morceaux sont projetés à cinq pieds de lui;
5o Ecriture produite à plusieurs reprises entre deux ardoises appartenant à Zœllner et tenues bien en vue;
6o Aimantation d'une aiguille d'acier;
7o Réaction acide donnée à des substances neutres, etc., etc.
En France, c'est le docteur Gibier, ancien interne des Hôpitaux de Paris, qui voulut, le premier, soumettre à l'expérimentation scientifique les Phénomènes spirites. Il opéra avec le même Slade.
«Nous avons eu, dit-il[110], trente-trois séances, dont trois dans notre maison même; sur ces trente-trois séances, plus de la moitié ont été presque nulles, deux n'ont donné aucun résultat ... Les personnes qui ont assisté à nos séances avec Slade nous sont connues: l'idée de compérage doit donc être éliminée; nous avons été parfois quatre et même cinq personnes, y compris le médium, mais nous n'avons jamais été moins de trois, dans toutes circonstances... Nous pouvons affirmer, après examen, qu'aucun mécanisme n'existait dans les meubles qui nous ont servi. Nous avons une certaine compétence sur ce point, et nous pouvons garantir ce que nous avançons.»
M. Gibier constata plusieurs faits analogues à ceux observés par Croockes et par Zœllner: mouvements de corps plus ou moins lourds, sans contact avec le médium, objets brisés par simple contact, corps transportés, sans que Slade les touchât, etc., etc.
Citons les observations suivantes:
Le 29 avril 1886, dans une séance de jour, Slade était assis en face de la fenêtre, ses pieds tournés de notre côté; quand il faisait face à la table, nous étions à sa droite. Tout à coup, une chaise, placée à un mètre vingt centimètres (nous avons mesuré exactement à l'aide d'un mètre double en ruban), fit un demi-tour sur elle-même et vint se jeter contre la table, comme attirée par un aimant.
Le 11 mai 1886, Slade, dans la position ordinaire (comme ci-dessus), en plein jour (3 heures et demie de l'après-midi), un bahut placé à 75 centimètres de la chaise de Slade, se mit en mouvement assez lentement d'abord, en quittant le mur où il était appuyé, pour qu'on pût s'assurer qu'aucun contact n'existait entre ce meuble et les objets qui l'entouraient; puis il vint frapper violemment contre la table que nous entourions. Slade tournait le dos au bahut; M. A... et nous-même lui faisions face. Nous ne pouvons dire l'effet produit par ce meuble massif, semblant s'animer, pour l'instant, d'une vie propre.
Le même jour, une chaise placée à coté du meuble en question fut renversée, quelques instants plus tard, à près de deux mètres du médium.
Le 12 mai, sur notre demande, une chaise fut comme mue par un ressort et s'élança à 1 m. 50 de hauteur[111].
Mais le fait sur lequel porta plus spécialement l'enquête de M. Gibier fut celui de l'écriture automatique.
Et il ne s'agit plus ici des lignes que trace la main du médium, alors qu'il assure être l'interprète d'une autre personnalité qui, pour un instant, s'est incarnée en lui. M. Janet a fait de ce dernier phénomène une analyse très pénétrante et il l'explique par la dualité cérébrale et l'automatisme psychologique[112]. L'écriture spontanée dont nous parlons est celle qui est tracée sans que les mains du médium paraissent en rien intervenir.
Evidemment, dans les deux cas, la nature de la pensée peut être la même, mais sa manifestation physique est bien différente.
«Nous avons vu plus de cent fois, dit M. Gibier, des caractères, des dessins, des lignes et même des phrases entières se produire, à l'aide d'une petite touche, sur des ardoises que Slade tenait, et même entre deux ardoises avec lesquelles il n'avait aucun contact, et qui nous appartenaient, que nous avions achetées nous-même dans une papeterie quelconque de Paris et que nous avions marquées de notre signature... En somme, il ne nous a manqué qu'une chose: voir l'écriture se tracer sous nos yeux.»
Voici la relation de l'une des plus typiques expériences de ce genre:
Expérience VIII[113]
Nous appelons toute l'attention du lecteur sur cette expérience, à laquelle nous laissons, comme aux précédentes, sa rédaction primitive:
30 juin 1886.—J'ai fait, aujourd'hui, à 5 heures, chez Slade, une observation plus curieuse que les autres, dans ce sens que le «phénomène» de l'écriture s'est produit dans deux ardoises m'appartenant et auxquelles Slade n'a pas touché.
J'avais apporté plusieurs ardoises, deux entre autres enveloppées dans du papier, ficelées ensemble, cachetées et vissées. Je désirais obtenir de l'écriture dans ces ardoises et je demandai à Slade si cela était possible. «Je ne sais pas, me répondit-il, je vais le demander.» Je proposai alors d'avoir une réponse dans deux ardoises neuves que j'avais apportées dans ma serviette, ce qui me fut accordé.
Dans une séance antérieure, un visiteur est venu chez Slade et a obtenu, m'a-t-on dit, de l'écriture dans deux ardoises qu'il tenait sous ses pieds. J'ai demandé et obtenu la permission, après avoir mis la petite touche traditionnelle entre elles deux, de m'asseoir sur mes ardoises. Les ayant donc posées sur ma chaise, je m'assis dessus et ne les quittai de la main que lorsque tout le poids de mon corps porta sur elles. Je plaçai alors mes mains sur la table avec celles de Slade et je sentis et entendis alors, très nettement, que de l'écriture se traçait sur l'ardoise avec laquelle j'étais en contact.
Quand ce fut fini, je retirai moi-même mes deux ardoises, et je lus les douze mots suivants, fort mal écrits, du reste, mais enfin écrits et lisibles quand même: Les ardoises sont difficiles à influencer, nous ferons ce que nous pourrons.
Slade n'avait pas touché aux ardoises. Je ne pus en obtenir davantage.
Dans une autre expérience (Expérience X), M. Gibier et plusieurs autres personnes obtinrent, non seulement de l'écriture sur des ardoises, dans les mêmes conditions, mais encore le transport de ces mêmes ardoises, sans contact apparent avec les mains d'aucune personne.
«Il y a des faits, dit M. Gibier en terminant son livre, ne nous lassons pas de le dire, des faits positifs, inéluctables.... Nous ne pouvons plus reculer; les faits sont là qui nous pressent. Nous avons beau nous débattre et dire «cela n'est pas possible», ils nous répondent «cela est». Nous objectons un «mais», on nous réplique par «un fait», et comme l'a dit Russel Vallace, les faits sont choses opiniâtres».
Nous ne pouvons insister sur les expériences qu'à son tour M. H. Lepelletier a instituées sur la Force psychique. On en trouvera les détails dans le livre de M. Plytoff sur la Magie[114].
Depuis deux ans, cette question des phénomènes physiques occultes est particulièrement à l'étude, et nous allons avoir à citer des observations publiées par des hommes chez qui la haute situation scientifique dont ils jouissent n'a diminué en rien l'indépendance intellectuelle et l'esprit d'investigation. Si la réalité de ces phénomènes devient de plus en plus probable, la certitude à leur égard n'est pas encore faite: la preuve dernière, irréfutable, mathématique, manque encore; du reste, n'en est-il pas malheureusement ainsi, presque partout en Psychologie occulte? Mais cette certitude, cette preuve dernière, les documents qui suivent la font espérer prochaine...
Voici d'abord la déclaration catégorique que M. Lombroso a publiée en 1891, et par laquelle le chef de l'Ecole d'anthropologie criminelle d'Italie reconnaît l'existence des Phénomènes occultes et les juge dignes d'un intérêt scientifique sérieux.
Il a recommencé ses investigations en septembre et octobre 1892, avec le concours de MM. Richet, Aksakof, Du Prel, et de plusieurs autres savants italiens. Nous donnerons, à la fin de cette deuxième partie de notre travail, et comme une sorte de résumé synthétique des divers phénomènes médianimiques, le compte rendu de ces nouvelles expériences—documents dont on saisit sans peine toute l'importance et que l'on doit considérer comme le dernier mot dit, jusqu'ici, par la science officielle sur ce troublant et mystérieux sujet.
On nous reprochera peut-être d'avoir, en cette étude, multiplié les documents; on nous reprochera surtout, peut-être, la longueur de ceux-ci. Disons, une fois pour toutes, que nous n'écrivons pas pour aligner des phrases: nous voulons, sinon prouver l'absolue réalité des faits dont nous parlons, du moins montrer qu'ils méritent une attention scientifique sérieuse, que des hommes éminents en ont jugé ainsi, et que la Psychologie occulte sort enfin de l'empirisme grossier où on l'avait reléguée jusqu'à présent. Or, pour cela, la seule méthode est de citer longuement les auteurs qui présentent des faits ou qui émettent des opinions, avec une autorité que nous ne saurions posséder nous-même. Pareil système peut paraître fastidieux; en des matières encore si discutées, il n'en est pas moins le seul valable.
Les premières expériences de M. Lombroso eurent lieu à Naples. Le savant italien était assisté de plusieurs de ses collègues et expérimentait avec le médium Eusapia Paladino. Nous donnons ici le second rapport que M. E. Ciolfi, le compagnon de Mme Eusapia, a écrit et présenté, après les expériences, à l'approbation de M. Lombroso. On trouvera à la suite de ce rapport la déclaration de ce dernier[115].
Deuxième séance