← Retour

Les quarante-cinq — Tome 2

16px
100%

LII

DE L'ÉTONNEMENT QU'ÉPROUVA CHICOT D'ÊTRE SI POPULAIRE DANS LA VILLE DE NÉRAC

Chicot, ayant bien arrêté sa résolution de quitter incognito la cour du roi de Navarre, commença de faire son petit paquet de voyage.

Il le simplifia du mieux qu'il lui fut possible, ayant pour principe que l'on va plus vite toutes les fois que l'on pèse moins.

Assurément, son épée était la plus lourde portion du bagage qu'il emportait.

— Voyons, que me faut-il de temps, se demandait Chicot en lui-même tout en nouant son paquet, pour faire parvenir au roi la nouvelle de ce que j'ai vu et par conséquent de ce que je crains?

Deux jours pour arriver jusqu'à une ville de laquelle un bon gouverneur fasse partir des courriers ventre à terre.

Que cette ville, par exemple, soit Cahors, Cahors dont le roi de Navarre parle tant et qui l'occupe à si juste titre.

Une fois là, je pourrai me reposer, car enfin les forces de l'homme n'ont qu'une certaine mesure.

Je me reposerai donc à Cahors, et les chevaux courront pour moi.

Allons, mon ami Chicot, des jambes, de la légèreté, du sang-froid. Tu croyais avoir accompli toute ta mission, niais! tu n'en es qu'à la moitié, et encore!

Cela dit, Chicot éteignit sa lumière, ouvrit le plus doucement qu'il put sa porte et se mit à sortir à tâtons.

C'était un habile stratégiste que Chicot; il avait, en suivant d'Aubiac, jeté un regard à droite, un regard à gauche, un regard devant, un regard derrière, et reconnu toutes les localités.

Une antichambre, un corridor, un escalier, puis, au bas de cet escalier, la cour.

Mais Chicot n'eut pas plus tôt fait quatre pas dans l'antichambre qu'il heurta quelque chose qui se dressa aussitôt.

Ce quelque chose était un page couché sur la natte en dehors de la chambre, et qui, réveillé, se mit à dire:

— Eh! bonsoir, monsieur Chicot, bonsoir.

Chicot reconnu d'Aubiac.

— Eh! bonsoir, monsieur d'Aubiac, dit-il; mais écartez-vous un peu, s'il vous plaît, j'ai envie de me promener.

— Ah! mais, c'est qu'il est défendu de se promener la nuit dans le château, monsieur Chicot.

— Pourquoi cela, s'il vous plaît, monsieur d'Aubiac?

— Parce que le roi redoute les voleurs et la reine les galants.

— Diable!

— Or, il n'y a que les voleurs et les galants pour se promener la nuit au lieu de dormir.

— Cependant, cher monsieur d'Aubiac, dit Chicot avec son plus charmant sourire, je ne suis ni l'un ni l'autre, moi, je suis ambassadeur et ambassadeur très fatigué d'avoir parlé latin avec la reine et soupé avec le roi; car la reine est une rude latiniste et le roi un rude buveur; laissez-moi donc sortir, mon ami, car j'ai grand désir de me promener.

— Dans la ville, monsieur Chicot?

— Oh! non, dans les jardins.

— Peste! dans les jardins, monsieur Chicot, c'est encore bien plus défendu que dans la ville.

— Mon petit ami, dit Chicot, c'est un compliment à vous faire, vous êtes d'une vigilance bien grande à votre âge. Vous n'avez donc rien qui vous occupe?

— Non.

— Vous n'êtes donc ni joueur ni amoureux?

— Pour jouer il faut de l'argent, monsieur Chicot; pour être amoureux, il faut une maîtresse.

— Assurément, dit Chicot, et il fouilla dans sa poche.

Le page le regardait faire.

— Cherchez bien dans votre mémoire, mon cher ami, lui dit-il, et je parie que vous y trouverez quelque femme charmante à qui je vous prie d'acheter force rubans et de donner force violons avec ceci.

Et Chicot glissa dans la main du page dix pistoles qui n'étaient pas rognées comme celles du Béarnais.

— Allons donc, monsieur Chicot, dit le page, on voit bien que vous venez de la cour de France, vous avez des manières auxquelles on ne saurait rien refuser; sortez donc de votre chambre; mais surtout ne faites point de bruit.

Chicot ne se le fit point dire à deux fois, il glissa comme une ombre dans le corridor, et du corridor dans l'escalier; mais, arrivé au bas du péristyle, il trouva un officier du palais, dormant sur une chaise.

Cet homme fermait la porte par le poids même de son corps; essayer de passer eût été folie.

— Ah! petit brigand de page, murmura Chicot, tu savais cela, et tu ne m'as point prévenu.

Pour comble de malheur, l'officier paraissait avoir le sommeil très léger: il remuait, avec des soubresauts nerveux, tantôt un bras, tantôt une jambe; une fois même il étendit le bras comme un homme qui menace de s'éveiller.

Chicot chercha autour de lui s'il n'y avait pas une issue quelconque par laquelle, grâce à ses longues jambes et à un poignet solide, il put s'évader sans passer par la porte.

Il aperçut enfin ce qu'il désirait.

C'était une de ces fenêtres cintrées qu'on appelle impostes, et qui était demeurée ouverte, soit pour laisser pénétrer l'air, soit parce que le roi de Navarre, propriétaire assez peu soigneux, n'avait pas jugé à propos d'en renouveler les vitres.

Chicot reconnut la muraille avec ses doigts; il calcula, en tâtonnant, chaque espace compris entre les saillies, et s'en servit pour poser le pied comme sur des échelons. Enfin, il se hissa, nos lecteurs connaissent son adresse et sa légèreté, sans faire plus de bruit que n'en eût fait une feuille sèche frôlant la muraille sous le souffle du vent d'automne.

Mais l'imposte était d'une convexité disproportionnée, si bien que l'ellipse n'en était pas égale à celle du ventre et des épaules de Chicot, bien que le ventre fût absent et que les épaules, souples comme celles d'un chat, semblassent se démettre et se fondre dans les chairs pour occuper moins d'espace.

Il en résulta que lorsque Chicot eut passé la tête et une épaule, et lâché du pied la saillie du mur, il se trouva pendu entre le ciel et la terre, sans pouvoir reculer ni avancer.

Il commença alors une série d'efforts dont le premier résultat fut de déchirer son pourpoint et d'entamer sa peau.

Ce qui rendait la position plus difficile, c'était l'épée dont la poignée ne voulait point passer, faisant un crampon intérieur qui retenait Chicot collé sur le châssis de l'imposte.

Chicot réunit toutes ses forces, toute sa patience, toute son industrie, pour détacher l'agrafe de son baudrier, mais c'était sur cette agrafe justement que pesait la poitrine; il lui fallut donc changer de manoeuvre; il réussit à couler son bras derrière son dos et à tirer l'épée du fourreau; une fois l'épée tirée, il fut plus facile de trouver, grâce à ce corps anguleux, un interstice par où se glissa la poignée, l'épée alla donc tomber la première sur la dalle, et Chicot, glissant par l'ouverture comme une anguille la suivit en amortissant sa chute avec ses deux mains.

Toute cette lutte de l'homme contre les mâchoires ferrées de l'imposte ne s'était point exécutée sans bruit; aussi Chicot, en se relevant, se trouva-t-il face à face avec un soldat.

— Ah! mon Dieu! vous seriez-vous fait mal, monsieur Chicot? lui demanda celui-ci en lui présentant le bout de sa hallebarde en guise de soutien.

— Encore! pensa Chicot.

Puis, songeant à l'intérêt que lui avait témoigné ce brave homme:

— Non, mon ami, lui dit-il, aucun.

— C'est bien heureux, dit le soldat, je défie que qui que ce soit accomplisse un pareil tour sans se casser la tête; en vérité, il n'y avait que vous pour cela, monsieur Chicot.

— Mais d'où diable sais-tu mon nom? demanda Chicot surpris, en essayant toujours de passer.

— Je le sais, parce que je vous ai vu au palais aujourd'hui, et que j'ai demandé: Quel est ce gentilhomme de haute mine qui cause avec le roi?

— C'est monsieur Chicot, m'a-t-on répondu; voilà comment je le sais.

— C'est on ne peut plus galant, dit Chicot; mais comme je suis très pressé, mon ami, tu permettras….

— Quoi, monsieur Chicot?

— Que je te quitte et que j'aille à mes affaires.

— Mais on ne sort pas du palais la nuit; j'ai une consigne.

— Tu vois bien qu'on en sort, puisque j'en suis sorti, moi.

— C'est une raison, je le sais bien; mais….

— Mais?

— Vous rentrerez, voilà tout, monsieur Chicot.

— Ah! non.

— Comment, non!

— Pas par là du moins, la route est trop mauvaise.

— Si j'étais un officier au lieu d'être un soldat, je vous demanderais pourquoi vous êtes sorti par là; mais cela ne me regarde point; ce qui me regarde, c'est que vous rentriez. Rentrez donc, monsieur Chicot, je vous en prie.

Et le soldat mit dans sa prière un tel accent de persuasion, que cet accent toucha Chicot. En conséquence Chicot fouilla dans sa poche, et en tira dix pistoles.

— Tu es trop ménager, mon ami, lui dit-il, pour ne pas comprendre que, puisque j'ai mis mes habits dans un état pareil pour être passé par là, ce serait bien pis si j'y repassais; j'achèverais alors de déchirer mes habits, et j'irais tout nu, ce qui serait fort indécent, dans une cour où il y a tant de jeunes et jolies femmes, à commencer par la reine; laisse- moi donc passer pour aller chez le tailleur, mon ami.

Et il lui mit les dix pistoles dans la main.

— Passez vite alors, monsieur Chicot, passez vite.

Et il empocha l'argent.

Chicot était dans la rue; il s'orienta; il avait parcouru la ville pour arriver au palais, c'était la route opposée à suivre, puisqu'il devait sortir par la porte opposée à celle par laquelle il était entré. Voilà tout.

La nuit, claire et sans nuages, n'était pas favorable à une évasion. Chicot regrettait ces bonnes nuits brumeuses de France, qui, à l'heure qu'il était, faisaient que, dans les rues de Paris, on pouvait passer à quatre pas l'un de l'autre sans se voir; en outre, sur le pavé pointu de la ville, ses souliers ferrés résonnaient comme des fers de cheval.

Le malencontreux ambassadeur n'eut pas plus tôt tourné le coin de la rue, qu'il rencontra une patrouille.

Il s'arrêta de lui-même en songeant qu'il aurait l'air suspect en essayant de se dissimuler ou de forcer le passage.

— Eh! bonsoir, monsieur Chicot, lui dit le chef de la patrouille, en le saluant de l'épée, voulez-vous que nous vous reconduisions au palais? vous m'avez tout l'air d'être égaré et de chercher votre chemin.

— Ah ça! tout le monde me connaît donc ici? murmura Chicot. Pardieu! voilà qui est étrange.

Puis tout haut et de l'air le plus dégagé qu'il put prendre:

— Non, cornette, dit-il, vous vous trompez, je ne vais point au palais.

— Vous avez tort, monsieur Chicot, répondit gravement l'officier.

— Et pourquoi cela, monsieur?

— Parce qu'un édit très sévère défend aux habitants de Nérac de sortir la nuit, à moins d'urgente nécessité, sans permission et sans lanterne.

— Excusez-moi, monsieur, dit Chicot, mais l'édit ne peut me regarder, moi.

— Et pourquoi cela?

— Je ne suis point de Nérac.

— Oui, mais vous êtes à Nérac… Habitant ne veut pas dire qui est de… habitant veut dire qui demeure à… Or, vous ne nierez pas que vous ne demeuriez à Nérac, puisque je vous rencontre dans les rues de Nérac.

— Vous êtes logique, monsieur; malheureusement, moi, je suis pressé. Faites donc une petite infraction à votre consigne et laissez-moi passer, je vous prie.

— Vous allez vous perdre, monsieur Chicot; Nérac est une ville tortueuse, vous tomberez dans quelque trou punais, vous avez besoin d'être guidé; permettez que trois de mes hommes vous reconduisent au palais.

— Mais je ne vais pas au palais, vous dis-je.

— Où allez-vous donc, alors?

— Je ne puis dormir la nuit, et alors, je me promène. Nérac est une charmante ville pleine d'accidents, à ce qu'il m'a paru; je veux la voir, l'étudier.

— On vous conduira partout où vous désirerez, monsieur Chicot. Holà! trois hommes! — Je vous en supplie, monsieur, ne m'ôtez pas le pittoresque de ma promenade; j'aime à aller seul.

— Vous serez assassiné par les voleurs.

— J'ai mon épée.

— Ah! c'est vrai, je ne l'avais pas vue; alors vous serez arrêté par le prévôt comme étant armé.

Chicot vit qu'il n'y avait pas moyen de s'en tirer par des subtilités; il prit l'officier à part.

— Voyons, monsieur, dit-il, vous êtes jeune et charmant, vous savez ce que c'est que l'amour, un tyran impérieux.

— Sans doute, monsieur Chicot, sans doute.

— En bien! l'amour me brûle, cornette. J'ai une certaine dame à visiter.

— Où cela?

— Dans un certain quartier.

— Jeune?

— Vingt-trois ans.

— Belle?

— Comme les amours.

— Je vous en fais mon compliment, monsieur Chicot.

— Bien! vous m'allez laisser passer, alors?

— Dame! il y a urgence, à ce qu'il paraît?

— Urgence, c'est le mot, monsieur.

— Passez donc.

— Mais seul, n'est-ce pas? Vous sentez que je ne puis compromettre?…

— Comment donc!… Passez, monsieur Chicot, passez.

— Vous êtes un galant homme, cornette.

— Monsieur!

— Non, ventre de biche! c'est un beau trait. Mais voyons, comment me connaissez-vous?

— Je vous ai vu au palais avec le roi.

— Ce que c'est que les petites villes! pensa Chicot; s'il fallait qu'à Paris je fusse connu comme cela, combien de fois aurais-je eu la peau trouée au lieu du pourpoint!

Et il serra la main du jeune officier qui lui dit:

— A propos, de quel côté allez-vous?

— Du côté de la porte d'Agen.

— Ne vous égarez pas, surtout.

— Ne suis-je pas dans le chemin?

— Si fait, allez tout droit, et pas de mauvaise rencontre; voilà ce que je vous souhaite.

— Merci.

Et Chicot partit plus leste et plus joyeux que jamais.

Il n'avait pas fait cent pas, qu'il se trouva nez à nez avec le guet.

— Mordieu! quelle ville bien gardée! pensa Chicot.

— On ne passe pas! cria le prévôt d'une voix de tonnerre.

— Mais, monsieur, objecta Chicot, je désirerais cependant….

— Ah! monsieur Chicot! c'est vous; comment allez-vous dans les rues par un temps si froid? demanda l'officier magistrat.

— Ah! décidément, c'est une gageure, pensa Chicot fort inquiet.

Et, saluant, il fit un mouvement pour continuer son chemin.

— Monsieur Chicot, prenez garde, dit le prévôt.

— Garde à quoi, monsieur le magistrat?

— Vous vous trompez de route: vous allez du côté des portes.

— Justement.

— Alors, je vous arrêterai, monsieur Chicot.

— Non pas, monsieur le prévôt; peste! vous feriez un beau coup.

— Cependant….

— Approchez, monsieur le prévôt, et que vos soldats n'entendent point ce que nous allons dire.

Le prévôt s'approcha.

— J'écoute, dit-il.

— Le roi m'a donné une commission pour le lieutenant de la porte d'Agen.

— Ah! ah! fit le prévôt d'un air de surprise.

— Cela vous étonne?

— Oui.

— Cela ne devrait pas vous étonner pourtant, puisque vous me connaissez.

— Je vous connais pour vous avoir vu au palais avec le roi.

Chicot frappa du pied: l'impatience commençait à le gagner.

— Cela doit suffire pour vous prouver que j'ai la confiance de Sa
Majesté.

— Sans doute, sans doute; allez donc faire la commission du roi, monsieur
Chicot, je ne vous arrête plus.

— C'est drôle, mais c'est charmant, pensa Chicot, j'accroche en route, mais je roule toujours. Ventre de biche! voilà une porte, ce doit être celle d'Agen; dans cinq minutes, je serai dehors.

Il arriva effectivement à cette porte gardée par une sentinelle qui se promenait de long en large, le mousquet sur l'épaule.

— Pardon, mon ami, fit Chicot, voulez-vous ordonner que l'on m'ouvre la porte?

— Je n'ordonne pas, monsieur Chicot, répondit la sentinelle avec aménité, attendu que je suis simple soldat.

— Tu me connais, toi aussi! s'écria Chicot, exaspéré.

— J'ai cet honneur, monsieur Chicot; j'étais ce matin de garde au palais, je vous ai vu causer avec le roi.

— Eh bien! mon ami, puisque tu me connais, apprends une chose.

— Laquelle?

— C'est que le roi m'a donné un message très pressé pour Agen, ouvre-moi donc la poterne seulement.

— Ce serait avec grand plaisir, monsieur Chicot; mais je n'ai pas les clefs, moi.

— Et qui les a?

— L'officier de service.

Chicot soupira.

— Et où est l'officier de service? demanda-t-il.

— Oh! ne vous dérangez point pour cela. Le soldat tira une sonnette qui alla réveiller dans son poste l'officier endormi.

— Qu'y a-t-il? demanda ce dernier en passant la tête par sa lucarne.

— Mon lieutenant, c'est un monsieur qui veut qu'on lui ouvre la porte pour sortir en plaine.

[Illustration: En avant! en avant! dit-il. — PAGE 110.]

— Ah! monsieur Chicot, s'écria l'officier, pardon, désolé de vous faire attendre; excusez-moi, je suis à vous, je descends.

Chicot se rongeait les ongles avec un commencement de rage.

— Mais n'en trouverai-je pas un qui ne me connaisse! c'est donc une lanterne que ce Nérac, et je suis donc la chandelle, moi!

L'officier parut sur la porte.

— Excusez, monsieur Chicot, dit-il en s'avançant en grande hâte, je dormais.

— Comment donc, monsieur, fit Chicot, mais la nuit est faite pour cela; seriez-vous assez bon pour me faire ouvrir la porte? Je ne dors pas, moi, malheureusement. Le roi… vous savez sans doute, vous aussi, que le roi me connaît?

— Je vous ai vu causer aujourd'hui avec Sa Majesté au palais.

— C'est cela, justement, grommela Chicot. Eh bien! soit, si vous m'avez vu causer avec le roi, vous ne m'avez pas entendu causer, au moins.

— Non, monsieur Chicot, je ne dis que ce qui est.

— Moi aussi; or, le roi, en causant avec moi, m'a commandé d'aller lui faire cette nuit une commission à Agen; or, cette porte est celle d'Agen, n'est-ce pas?

— Oui, monsieur Chicot.

— Elle est fermée?

— Comme vous voyez.

— Veuillez me la faire ouvrir, je vous prie.

— Comment donc, monsieur Chicot! Anthenas, Anthenas, ouvrez la porte à M.
Chicot, vite, vite, vite!

Chicot ouvrit de grands yeux et respira comme un plongeur qui sort de l'eau après cinq minutes d'immersion.

La porte grinça sur ses gonds, porte du paradis pour le pauvre Chicot, qui entrevoyait derrière cette porte toutes les délices de la liberté.

Il salua cordialement l'officier et marcha vers la voûte.

— Adieu, dit-il, merci.

— Adieu, monsieur Chicot, bon voyage!

Et Chicot fit encore un pas vers la porte.

— A propos, étourdi que je suis! cria l'officier en courant après Chicot et en le retenant par sa manche; j'oubliais, cher monsieur Chicot, de vous demander votre passe.

— Comment! ma passe?

— Certainement; vous êtes homme de guerre, monsieur Chicot, et vous savez ce que c'est qu'une passe, n'est-ce pas? On ne sort pas, vous comprenez bien, d'une ville comme Nérac, sans passe du roi, surtout lorsque le roi l'habite.

— Et de qui doit être signée cette passe?

— Du roi lui-même. Ainsi, puisque c'est le roi qui vous envoie en plaine, il n'aura pas oublié de vous donner une passe.

— Ah! ah! doutez-vous donc que ce soit le roi qui m'envoie? dit Chicot l'oeil en feu, car il se voyait sur le point d'échouer, et la colère lui suggérait cette mauvaise pensée de tuer l'officier, le concierge, et de fuir par la porte ouverte, au risque d'être poursuivi dans sa fuite par cent coups d'arquebuse.

— Je ne doute de rien, monsieur Chicot, surtout de ces choses que vous me faites l'honneur de me dire, mais réfléchissez que si le roi vous a donné cette commission….

— En personne, monsieur, en personne!

— Raison de plus. Sa Majesté sait donc que vous allez sortir….

— Ventre de biche! s'écria Chicot, je le crois bien, qu'elle le sait. — J'aurai donc une carte de sortie à remettre demain matin à M. le gouverneur de la place.

— Et le gouverneur de la place, demanda Chicot, c'est?….

— C'est M. de Mornay, qui ne badine pas avec les consignes, monsieur Chicot, vous devez savoir cela, et qui me ferait passer par les armes purement et simplement si je manquais à la mienne.

Chicot commençait à caresser la poignée de son épée avec un mauvais sourire, lorsque se retournant, il s'aperçut que la porte était obstruée par une ronde extérieure, laquelle se trouvait là justement pour empêcher Chicot de passer, eût-il tué le lieutenant, la sentinelle et le concierge.

— Allons, se dit Chicot avec un soupir; c'est bien joué, je suis un sot, j'ai perdu.

Et il tourna les talons.

— Voulez-vous qu'on vous reconduise, monsieur Chicot? demanda l'officier.

— Ce n'est pas là peine, merci, répliqua Chicot.

Chicot revint sur ses pas, mais il n'était point au bout de son martyre.

Il rencontra le prévôt, qui lui dit:

— Tiens! monsieur Chicot, vous avez donc déjà fait votre commission? peste! c'est à faire à vous, vous êtes leste!

Plus loin le cornette le saisit au coin de la rue et lui cria:

— Bonsoir, monsieur Chicot. Eh bien! cette dame, vous savez?… Êtes-vous content de Nérac, monsieur Chicot?

Enfin, le soldat du péristyle, toujours en sentinelle à la même place, lui lâcha sa dernière bordée:

— Cordieu! monsieur Chicot, lui dit-il, le tailleur vous a bien mal raccommodé, et vous êtes, Dieu me pardonne, plus déchiré encore qu'en sortant.

Chicot ne voulut pas risquer de se dépouiller comme un lièvre en repassant par la filière de l'imposte, il se coucha devant la porte et feignit de s'endormir.

Par hasard, ou plutôt par charité, la porte s'ouvrit, et Chicot rentra penaud et humilié dans le palais.

Sa mine effarée toucha le page, toujours à son poste.

— Cher monsieur Chicot, lui dit-il, voulez-vous que je vous donne la clef de tout cela?

— Donne, serpent, donne, murmura Chicot.

— Eh bien! le roi vous aime tant, qu'il a tenu à vous garder.

— Et tu le savais, brigandeau, et tu ne m'as pas averti!

— Oh! monsieur Chicot, impossible, c'était un secret d'État.

— Mais je t'ai payé, scélérat?

— Oh! le secret valait mieux que dix pistoles, vous en conviendrez, cher monsieur Chicot.

Chicot rentra dans sa chambre et se rendormit de rage.

LIII

LE GRAND-VENEUR DU ROI DE NAVARRE

En quittant le roi, Marguerite s'était rendue à l'instant même à l'appartement des filles d'honneur.

En passant, elle avait pris avec elle son médecin Chirac, qui couchait au château, et elle était entrée avec lui chez la pauvre Fosseuse qui, pâle et entourée de regards curieux, se plaignait de douleurs d'estomac, sans vouloir, tant sa douleur était grande, répondre à aucune question ni accepter aucun soulagement.

Fosseuse avait à cette époque vingt à vingt et un ans; c'était une belle et grande personne, aux yeux bleus, aux cheveux blonds, au corps souple et plein de mollesse et de grâce; seulement depuis près de trois mois elle ne sortait plus et se plaignait de lassitudes qui l'empêchaient de se lever; elle était restée sur une chaise longue, et de cette chaise longue avait fini par passer dans son lit.

Chirac commença par congédier les assistants, et, s'emparant du chevet de la malade, il demeura seul avec elle et la reine.

Fosseuse, épouvantée de ces préliminaires, auxquels les deux physionomies de Chirac et de la reine, l'une impassible et l'autre glacée, ne laissaient pas que de donner une certaine solennité, Fosseuse se souleva sur son oreiller, et balbutia un remercîment pour l'honneur que lui faisait la reine sa maîtresse.

Marguerite était plus pâle que Fosseuse; c'est que l'orgueil blessé est plus douloureux que la cruauté ou la maladie.

Chirac tâta le pouls de la jeune fille, mais ce fut presque malgré elle.

— Qu'éprouvez-vous? lui demanda-t-il après un moment d'examen.

— Des douleurs d'estomac, monsieur, répondit la pauvre enfant; mais ce ne sera rien, je vous assure, et si j'avais seulement la tranquillité….

— Quelle tranquillité, mademoiselle? demanda la reine.

Fosseuse fondit en larmes.

— Ne vous affligez point, mademoiselle, continua Marguerite. Sa Majesté m'a priée de vous visiter pour vous remettre l'esprit.

— Oh! que de bontés, madame!

Chirac lâcha la main de Fosseuse.

— Et moi, dit-il, je sais à présent quel est votre mal.

— Vous savez? murmura Fosseuse en tremblant.

— Oui, nous savons que vous devez beaucoup souffrir, ajouta Marguerite.

Fosseuse continuait à s'épouvanter d'être ainsi à la merci de deux impassibilités, celle de la science, celle de la jalousie.

Marguerite fit un signe à Chirac, qui sortit de la chambre. Alors la peur de Fosseuse devint un tremblement; elle faillit s'évanouir.

— Mademoiselle, dit Marguerite, quoique depuis quelque temps, vous agissiez envers moi comme envers une étrangère, et qu'on m'avertisse chaque jour des mauvais offices que vous me rendez près de mon mari….

— Moi, madame?

— Ne m'interrompez point, je vous prie. Quoique enfin vous ayez aspiré à un bien trop au-dessus de vos ambitions, l'amitié que je vous portais et celle que j'ai vouée aux personnes d'honneur à qui vous appartenez, me pousse à vous secourir dans le malheur où l'on vous voit en ce moment.

— Madame, je vous jure….

— Ne niez pas, j'ai déjà trop de chagrins; ne ruinez pas d'honneur, vous d'abord, et moi ensuite, moi qui ai presque autant d'intérêt que vous à votre honneur, puisque vous m'appartenez. Mademoiselle, dites-moi tout, et en ceci je vous servirai comme une mère.

— Oh! madame! madame! croyez-vous donc à ce qu'on dit?

— Prenez garde de m'interrompre, mademoiselle, car, à ce qu'il me semble, le temps presse. Je voulais dire qu'en ce moment, M. Chirac, qui sait votre maladie, vous vous rappelez les paroles qu'il a dites à l'instant même, qu'en ce moment, M. Chirac est dans les antichambres où il annonce à tous que la maladie contagieuse dont on parle dans le pays, est au palais, et que vous menacez d'en être atteinte. Cependant, moi, s'il en est temps encore, je vous emmènerai au Mas-d'Agenois, qui est une maison fort écartée du roi, mon mari; nous serons là seules ou à peu près; le roi, de son côté, part avec sa suite pour une chasse, qui, dit-il, doit le retenir plusieurs jours dehors; nous ne sortirons du Mas-d'Agenois qu'après votre délivrance.

— Madame! madame! s'écria la Fosseuse, pourpre à la fois de honte et de douleur, si vous ajoutez foi à tout ce qui se dit sur mon compte, laissez- moi misérablement mourir.

— Vous répondez mal à ma générosité, mademoiselle, et vous comptez aussi par trop sur l'amitié du roi, qui m'a priée de ne pas vous abandonner.

— Le roi!… le roi aurait dit?…

— En doutez-vous, quand je parle, mademoiselle? Moi, si je ne voyais les symptômes de votre mal réel, si je ne devinais, à vos souffrances, que la crise approche, j'aurais peut-être foi en vos dénégations.

Dans ce moment, comme pour donner entièrement raison à la reine, la pauvre Fosseuse, terrassée par les douleurs d'un mal furieux, retomba livide et palpitante sur son lit.

Marguerite la regarda quelque temps sans colère, mais aussi sans pitié.

— Faut-il toujours que je croie à vos dénégations, mademoiselle? dit-elle enfin à la pauvre fille, quand celle-ci put se relever et montra en se relevant un visage si bouleversé et si baigné de larmes, qu'il eût attendri Catherine elle-même.

En ce moment, et comme si Dieu eût voulu envoyer du secours à la malheureuse enfant, la porte s'ouvrit, et le roi de Navarre entra précipitamment.

Henri, qui n'avait point pour dormir les mêmes raisons que Chicot, n'avait pas dormi, lui.

Après avoir travaillé une heure avec Mornay, et avoir pendant cette heure pris toutes ses dispositions pour la chasse si pompeusement annoncée à Chicot, il était accouru au pavillon des filles d'honneur.

— Eh bien! que dit-on? fit-il en entrant, que ma fille Fosseuse est toujours souffrante!

[Illustration: Et d'un bras vigoureux il abattit… — PAGE 111.]

— Voyez-vous, madame, s'écria la jeune fille à la vue de son amant, et rendue plus forte par le secours qui lui arrivait, voyez-vous que le roi n'a rien dit et que je fais bien de nier?

— Monsieur, interrompit la reine en se retournant vers Henri, faites cesser, je vous prie, cette lutte humiliante; je crois avoir compris tantôt que Votre Majesté m'avait honorée de sa confiance et révélé l'état de mademoiselle. Avertissez-la donc que je suis au courant de tout, pour qu'elle ne se permette pas de douter lorsque j'affirme.

— Ma fille, demanda Henri avec une tendresse qu'il n'essayait pas même de voiler, vous persistez donc à nier?

— Le secret ne m'appartient pas, sire, répondit la courageuse enfant, et tant que je n'aurai pas de votre bouche reçu congé de tout dire….

— Ma fille Fosseuse est un brave coeur, madame, répliqua Henri; pardonnez-lui, je vous en conjure; et vous, ma fille, ayez en la bonté de votre reine toute confiance; la reconnaissance me regarde, et je m'en charge.

Et Henri prit la main de Marguerite et la serra avec effusion.

En ce moment, un flot amer de douleur vint assaillir de nouveau la jeune fille; elle céda donc une seconde fois sous la tempête, et, pliée comme un lis, elle inclina sa tête avec un sourd et douloureux gémissement.

Henri fut touché jusqu'au fond du coeur, quand il vit ce front pâle, ces yeux noyés, ces cheveux humides et épars; quand il vit enfin perler sur les tempes et sur les lèvres de Fosseuse cette sueur de l'angoisse qui semble voisine de l'agonie.

Il se précipita tout éperdu vers elle, et, les bras ouverts:

— Fosseuse! chère Fosseuse! murmura-t-il en tombant à genoux devant son lit.

Marguerite, sombre et silencieuse, alla coller son front brûlant aux vitres de la fenêtre.

Fosseuse eut la force de soulever ses bras pour les passer au cou de son amant, puis elle attacha ses lèvres sur les siennes, croyant qu'elle allait mourir, et que dans ce dernier, dans ce suprême baiser, elle jetait à Henri son âme et son adieu.

Puis elle retomba sans connaissance.

Henri, aussi pâle qu'elle, inerte et sans voix comme elle, laissa tomber sa tête sur le drap de son lit d'agonie, qui semblait si près de devenir un linceul.

Marguerite s'approcha de ce groupe, où étaient confondues la douleur physique et la douleur morale.

— Relevez-vous, monsieur, et laissez-moi accomplir le devoir que vous m'avez imposé, dit-elle avec une énergique majesté.

Et comme Henri semblait inquiet de cette manifestation et se soulevait à demi sur un genou:

— Oh! ne craignez rien, monsieur, dit-elle, dès que mon orgueil seul est blessé, je suis forte; contre mon coeur, je n'eusse point répondu de moi, mais heureusement mon coeur n'a rien à faire dans tout ceci.

Henri releva la tête.

— Madame? dit-il.

— N'ajoutez pas un mot, monsieur, fit Marguerite en étendant sa main, ou je croirais que votre indulgence a été un calcul. Nous sommes frère et soeur, nous nous entendrons.

Henri la conduisit jusqu'à Fosseuse, dont il mit la main glacée dans la main fiévreuse de Marguerite.

— Allez, sire, allez, dit la reine, partez pour la chasse. A cette heure, plus vous emmènerez de gens avec vous, plus vous éloignerez de curieux du lit de… mademoiselle.

— Mais, dit Henri, je n'ai vu personne aux antichambres.

— Non, sire, reprit Marguerite en souriant, on croit que la peste est ici; hâtez-vous donc d'aller prendre vos plaisirs ailleurs.

— Madame, dit Henri, je pars, et je vais chasser pour nous deux.

Et il attacha un tendre et dernier regard sur Fosseuse, encore évanouie, et s'élança hors de l'appartement.

Une fois dans les antichambres, il secoua la tête comme pour faire tomber de son front un reste d'inquiétude; puis, le visage souriant, de ce sourire narquois qui lui était particulier, il monta chez Chicot, lequel, nous l'avons dit, dormait les poings fermés.

Le roi se fit ouvrir la porte, et secouant le dormeur dans son lit:

— Eh! eh! compère, dit-il, alerte, alerte, il est deux heures du matin.

— Ah! diable, fit Chicot, vous m'appelez compère, sire. Me prendriez-vous pour le duc de Guise, par hasard?

En effet, Henri, lorsqu'il parlait du duc de Guise, avait l'habitude de l'appeler son compère.

— Je vous prends pour mon ami, dit-il.

— Et vous me faites prisonnier, moi, un ambassadeur! Sire, vous violez le droit des gens.

Henri se mit à rire. Chicot, homme d'esprit avant tout, ne put s'empêcher de lui tenir compagnie.

— Tu es fou. Pourquoi, diable, voulais-tu donc t'en aller d'ici, n'es-tu pas bien traité?

— Trop bien, ventre de biche! trop bien; il me semble être ici comme une oie qu'on engraisse dans une basse-cour. Tout le monde me dit: Petit, petit Chicot, — qu'il est gentil! mais on me rogne l'aile, mais on me ferme la porte.

— Chicot, mon enfant, dit Henri en secouant la tête, rassure-toi, tu n'es pas assez gras pour ma table.

— Eh! mais, sire, dit Chicot en se soulevant, je vous trouve tout guilleret ce matin; quelles nouvelles donc?

— Ah! je vais te dire: c'est que je pars pour la chasse, vois-tu, et je suis toujours très gai quand je vais en chasse. Allons, hors du lit, compère, hors du lit!

— Comment, vous m'emmenez, sire?

— Tu seras mon historiographe, Chicot.

— Je tiendrai note des coups tirés?

— Justement.

Chicot secoua la tête.

— Eh bien! qu'as-tu? demanda le roi.

— J'ai, répondit Chicot, que je n'ai jamais vu pareille gaîté, sans inquiétude.

— Bah!

— Oui, c'est comme le soleil quand il….

— Eh bien?

— Eh bien! sire, pluie, éclair et tonnerre ne sont pas loin.

Henri se caressa la barbe en souriant et répondit:

— S'il fait de l'orage, Chicot, mon manteau est grand et tu seras à couvert.

Puis s'avançant vers l'antichambre, tandis que Chicot s'habillait tout en murmurant:

— Mon cheval! cria le roi; et qu'on dise à M. de Mornay que je suis prêt.

— Ah! c'est M. de Mornay qui est grand-veneur pour cette chasse? demanda
Chicot.

— M. de Mornay est tout ici, Chicot, répondit Henri. Le roi de Navarre est si pauvre, qu'il n'a pas le moyen de diviser ses charges en spécialités. Je n'ai qu'un homme, moi.

— Oui, mais il est bon, soupira Chicot.

LIV

COMMENT ON CHASSAIT LE LOUP EN NAVARRE

Chicot, en jetant les yeux sur les préparatifs du départ, ne put s'empêcher de remarquer à demi-voix que les chasses du roi Henri de Navarre étaient moins somptueuses que celles du roi Henri de France.

Douze ou quinze gentilshommes seulement, parmi lesquels il reconnut M. le vicomte de Turenne, objet des contestations matrimoniales, formaient toute la suite de S.M.

De plus, comme ces messieurs n'étaient riches qu'à la surface, comme ils n'avaient point d'assez puissants revenus pour faire d'inutiles dépenses, et même parfois d'utiles dépenses, presque tous, au lieu du costume de chasse en usage à cette époque, portaient le heaume et la cuirasse; ce qui fit demander à Chicot si les loups de Gascogne avaient dans leurs forêts mousquets et artillerie.

Henri entendit la question, quoiqu'elle ne lui fût pas directement adressée; il s'approcha de Chicot et lui toucha l'épaule.

— Non, mon fils, lui dit-il, les loups de Gascogne n'ont ni mousquets ni artillerie; mais ce sont de rudes bêtes, qui ont griffes et dents, et qui attirent les chasseurs dans des fourrés où l'on risque fort de déchirer ses habits aux épines; or, on déchire un habit de soie ou de velours, et même un justaucorps de drap ou de buffle, mais on ne déchire pas une cuirasse.

[Illustration: Henri jouait avec master Love. — PAGE 114.]

— Voilà une raison, grommela Chicot, mais elle n'est pas excellente.

— Que veux-tu, dit Henri, je n'en ai pas d'autre.

— Il faut donc que je m'en contente.

— C'est ce que tu as de mieux à faire, mon fils.

— Soit.

— Voilà un soit qui sent sa critique intérieure, reprit Henri en riant; tu m'en veux de t'avoir dérangé pour aller à la chasse?

— Ma foi, oui.

— Et tu gloses.

— Est-ce défendu?

— Non, mon ami, non, la gloserie est monnaie courante en Gascogne.

— Dame! vous comprenez, sire: je ne suis pas chasseur, moi, répliqua Chicot, et il faut bien que je m'occupe à quelque chose, moi, pauvre fainéant, qui n'ai rien à faire, tandis que vous vous pourléchez les moustaches, vous autres, du fumet de ces bons loups que vous allez forcer à douze ou quinze que vous êtes.

— Ah! oui, dit le roi en souriant encore de la satire, les habits d'abord, puis le nombre; raille, raille, mon cher Chicot.

— Oh! sire!

— Mais je te ferai observer que tu n'es pas indulgent, mon fils: le Béarn n'est pas grand comme la France; le roi, là-bas, marche toujours avec deux cents veneurs, moi, ici, je pars avec douze, comme tu vois.

— Oui, sire.

— Mais, continua Henri, tu vas croire que je gasconne, Chicot: eh bien! quelquefois ici, ce qui n'arrive point là-bas, quelquefois ici, des gentilshommes de campagne, apprenant que je fais chasse, quittent leurs maisons, leurs châteaux, leurs mas, et viennent se joindre à moi, ce qui parfois me compose une assez belle escorte.

— Vous verrez, sire, que je n'aurai pas le bonheur d'assister à une chose pareille, dit Chicot; en vérité, sire, je suis en guignon.

— Qui sait! répondit Henri avec son rire goguenard.

Puis, comme on avait laissé Nérac, franchi les portes de la ville, comme depuis une demi-heure à peu près on marchait déjà dans la campagne:

— Tiens, dit Henri à Chicot, en amenant sa main au-dessus de ses yeux pour s'en faire une visière, tiens, je ne me trompe pas, je pense.

— Qu'y a-t-il? demanda Chicot.

— Regarde donc là-bas aux barrières du bourg de Moiras; ne sont-ce point des cavaliers que j'aperçois?

Chicot se haussa sur ses étriers.

— Ma foi, sire, je crois que oui, dit-il.

— Et moi j'en suis sûr.

— Cavaliers, oui, dit Chicot en regardant avec plus d'attention; mais chasseurs, non.

— Pourquoi pas chasseurs?

— Parce qu'ils sont armés comme des Roland et des Amadis, répondit
Chicot.

— Eh! qu'importe l'habit, mon cher Chicot; tu as déjà appris en nous voyant que l'habit ne fait pas le chasseur.

— Mais, s'écria Chicot, je vois au moins deux cents hommes là-bas.

— Eh bien! que prouve cela, mon fils? que Moiras est une bonne redevance.

Chicot sentit sa curiosité aiguillonnée de plus en plus.

La troupe que Chicot avait dénombrée au plus bas chiffre, car elle se composait de deux cent cinquante cavaliers, se joignit silencieusement à l'escorte; chacun des hommes qui la composaient était bien monté, bien équipé, et le tout était commandé par un homme de bonne mine, qui vint baiser la main de Henri avec courtoisie et dévoûment.

On passa le Gers à gué; entre le Gers et la Garonne, dans un pli de terrain, on trouva une seconde troupe d'une centaine d'hommes: le chef s'approcha de Henri et parut s'excuser de ne pas lui amener un plus grand nombre de chasseurs. Henri accueillit ses excuses en lui tendant la main.

On continua de marcher et l'on trouva la Garonne; comme on avait traversé le Gers, on traversa la Garonne; seulement comme la Garonne est plus profonde que le Gers, aux deux tiers du fleuve, on perdit pied, et il fallut nager pendant l'espace de trente ou quarante pas; cependant, contre toute attente, on atteignit l'autre rive sans accident.

— Tudieu! dit Chicot, quels exercices faites-vous donc, sire? quand vous avez des ponts au-dessus et au-dessous d'Agen, vous trempez comme cela vos cuirasses dans l'eau?

— Mon cher Chicot, dit Henri, nous sommes des sauvages, nous autres; il faut donc nous pardonner; tu sais bien que feu mon frère Charles m'appelait son sanglier; or, le sanglier, — mais tu n'es pas chasseur, toi, tu ne sais pas cela; — or, le sanglier ne se dérange jamais: il va droit son chemin; je l'imite, ayant son nom; je ne me dérange pas non plus. Un fleuve se présente sur mon chemin, je le coupe; une ville se dresse devant moi, ventre saint-gris! je la mange comme un pâté.

Cette facétie du Béarnais souleva de grands éclats de rire autour de lui.

M. de Mornay seul, toujours aux côtés du roi, ne rit point avec bruit; il se contenta de se pincer les lèvres, ce qui était chez lui l'indice d'une hilarité extravagante.

— Mornay est de bien bonne humeur aujourd'hui, dit le Béarnais tout joyeux à l'oreille de Chicot, il vient de rire de ma plaisanterie.

Chicot se demanda duquel des deux il devait rire, ou du maître, si heureux d'avoir fait rire son serviteur, ou du serviteur, si difficile à égayer.

Mais avant toute chose, le fond de la pensée pour Chicot demeurait l'étonnement.

De l'autre côté de la Garonne, à une demi-lieue du fleuve à peu près, trois cents cavaliers cachés dans une forêt de pins apparurent aux yeux de Chicot.

— Oh! oh! monseigneur, dit-il tout bas à Henri, est-ce que ces gens ne seraient point des jaloux qui auraient entendu parler de votre chasse et qui auraient dessein de s'y opposer?

— Non pas, dit Henri, et tu te trompes encore cette fois, mon fils: ces gens sont des amis qui nous viennent de Puymirol, de vrais amis.

— Tudieu! sire, vous allez avoir plus d'hommes à votre suite que vous ne trouverez d'arbres dans la forêt.

— Chicot, mon enfant, dit Henri, je crois, Dieu me pardonne, que le bruit de ton arrivée s'est déjà répandu dans le pays, et que ces gens-là accourent des quatre coins de la province pour faire honneur au roi de France, dont tu es l'ambassadeur.

Chicot avait trop d'esprit pour ne pas s'apercevoir que depuis quelque temps déjà on se moquait de lui.

Il en prit de l'ombrage, mais non pas de l'humeur.

La journée finit à Monroy, où les gentilshommes de la contrée, réunis comme s'ils eussent été prévenus d'avance que le roi de Navarre devait passer, lui offrirent un beau souper, dont Chicot prit sa part avec enthousiasme, attendu qu'on n'avait pas jugé à propos de s'arrêter en route pour une chose si peu importante que le dîner, et qu'en conséquence on n'avait point mangé depuis Nérac.

On avait gardé pour Henri la plus belle maison de la ville, la moitié de la troupe coucha dans la rue où était le roi, l'autre en dehors des portes.

— Quand donc entrerons-nous en chasse? demanda Chicot à Henri au moment où celui-ci se faisait débotter.

— Nous ne sommes pas encore sur le territoire des loups, mon cher Chicot, répondit Henri.

— Et quand y serons-nous, sire?

— Curieux!

— Non pas, sire; mais, vous comprenez, on désire savoir où l'on va.

— Tu le sauras demain, mon fils; en attendant couche-toi là, sur les coussins à ma gauche; tiens, voilà déjà Mornay qui ronfle à ma droite.

— Peste! dit Chicot, il a le sommeil plus bruyant que la veille.

— Oui, c'est vrai, dit Henri, il n'est pas bavard; mais c'est à la chasse qu'il faut le voir, et tu le verras.

Le jour paraissait à peine, quand un grand bruit de chevaux réveilla
Chicot et le roi de Navarre.

Un vieux gentilhomme, qui voulut servir le roi lui-même, apporta à Henri la tartine de miel et le vin épicé du matin.

Mornay et Chicot furent servis par les serviteurs du vieux gentilhomme.

Le repas fini on sonna le boute-selle.

— Allons, allons, dit Henri, nous avons une bonne journée à faire aujourd'hui; à cheval, messieurs, à cheval!

Chicot vit avec étonnement que cinq cents cavaliers avaient grossi l'escorte.

Ces cinq cents cavaliers étaient arrivés pendant la nuit.

— Ah ça! mais, dit-il, ce n'est pas une suite que vous avez, sire, ce n'est plus même une troupe, c'est une armée.

Henri ne répondit rien que ces trois mots:

— Attends encore, attends.

A Lauzerte six cents hommes de pied vinrent se ranger derrière cette troupe de cavaliers.

— Des fantassins! s'écria Chicot, de la pédaille!

— Des rabatteurs, fit le roi, rien autre chose que des rabatteurs.

Chicot fronça le sourcil et de ce moment il ne parla plus.

Vingt fois ses yeux se tournèrent vers la campagne, c'est-à-dire que vingt fois l'idée de fuir lui traversa l'esprit. Mais Chicot avait sa garde d'honneur, sans doute à titre de représentant du roi de France.

Il en résultait que Chicot était si bien recommandé à cette garde, comme un personnage de la plus haute importance, qu'il ne faisait pas un geste sans que ce geste ne fût répété par dix hommes.

Cela lui déplut, et il en dit deux mots au roi.

— Dame! lui dit Henri, c'est ta faute, mon enfant; tu as voulu te sauver de Nérac, et j'ai peur que tu ne veuilles te sauver encore.

— Sire, répondit Chicot, je vous engage ma foi de gentilhomme que je n'y essaierai même pas.

— A la bonne heure.

— D'ailleurs j'aurais tort.

— Tu aurais tort?

— Oui; car, en restant, je suis destiné, je crois, à voir des choses curieuses.

— Eh bien, je suis aise que ce soit ton opinion, mon cher Chicot, car c'est aussi la mienne.

En ce moment on traversait la ville de Montcuq, et quatre petites pièces de campagne prenaient rang dans l'armée.

— Je reviens à ma première idée, sire, dit Chicot, que les loups de ce pays sont des maîtres loups, et qu'on les traite avec des égards inconnus aux loups ordinaires: de l'artillerie pour eux, sire!

— Ah! tu as remarqué? dit Henri, c'est une manie des gens de Montcuq, depuis que je leur ai donné pour leurs exercices ces quatre pièces, que j'ai fait acheter en Espagne et qu'on m'a passées en fraude, ils les traînent partout.

— Enfin, murmura Chicot, arriverons-nous aujourd'hui, sire?

— Non, demain.

— Demain matin ou demain soir?

— Demain matin.

— Alors, dit Chicot, c'est à Cahors que nous chassons, n'est-ce pas, sire?

— C'est de ce côté-là, fit le roi.

— Mais comment, sire, vous qui avez de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie pour chasser le loup, comment avez-vous oublié de prendre l'étendard royal? L'honneur que vous faites à ces dignes animaux eût été complet.

— On ne l'a pas oublié, Chicot, ventre saint-gris! on n'aurait eu garde: seulement on le laisse à l'étui de peur de le salir. Mais puisque tu veux un étendard, mon enfant, pour savoir sous quelle bannière tu marches, on va t'en montrer un beau. Tirez l'étendard de son fourreau, commanda le roi, monsieur Chicot désire savoir comment sont faites les armes de Navarre.

— Non, non, c'est inutile, dit Chicot; plus tard; laissez-le où il est, il est bien.

— D'ailleurs, sois tranquille, dit le roi, tu le verras en temps et lieu.

On passa la seconde nuit à Catus, à peu près de la même façon qu'on avait passé la première; depuis le moment où Chicot avait donné sa parole d'honneur de ne pas fuir, on ne faisait plus attention à lui.

Il fit un tour par le village et alla jusqu'aux avant-postes. De tous côtés des troupes de cent, cent cinquante, deux cents hommes, venaient se joindre à l'armée. Cette nuit, c'était le rendez-vous des fantassins.

— C'est bien heureux que nous n'allions pas jusqu'à Paris, dit Chicot, nous y arriverions avec cent mille hommes.

Le lendemain, à huit heures du matin, on était en vue de Cahors, avec mille hommes de pied et deux mille chevaux.

On trouva la ville en défense; des éclaireurs avaient alarmé le pays; M. de Vezin s'était aussitôt précautionné.

— Ah! ah! fit le roi, à qui Mornay communiqua cette nouvelle, nous sommes prévenus; c'est contrariant.

— Il faudra faire le siège en règle, sire, dit Mornay; nous attendons encore deux mille hommes à peu près, c'est autant qu'il nous faut, pour balancer les chances du moins.

— Assemblons le conseil, dit M. de Turenne, et commençons les tranchées.

Chicot regardait toutes ces choses, et écoutait toutes ces paroles d'un air effaré.

La mine pensive et presque piteuse du roi de Navarre le confirmait dans ses soupçons, que Henri était un pauvre homme de guerre, et cette conviction seule le rassurait un peu.

Henri avait laissé parler tout le monde, et, pendant l'émission des divers avis, il était resté muet comme un poisson.

Tout à coup il sortit de sa rêverie, releva la tête, et du ton du commandement:

— Messieurs, dit-il, voilà ce qu'il faut faire. Nous avons trois mille hommes, et deux que vous attendez, dites-vous, Mornay?

— Oui, sire.

— Cela fera cinq mille en tout; dans un siège en règle on nous en tuera mille ou quinze cents en deux mois; la mort de ceux-là découragera les autres: nous serons obligés de lever le siège et de battre en retraite; en battant en retraite, nous en perdrons mille autres, ce sera la moitié de nos forces.

Sacrifions cinq cents hommes tout de suite et prenons Cahors.

— Comment entendez-vous cela, sire? demanda Mornay.

— Mon cher ami, nous irons droit à celle des portes qui se trouvera la plus proche de nous. Nous trouverons un fossé sur notre route; nous le comblerons avec des fascines; nous laisserons deux cents hommes à terre, mais nous atteindrons la porte.

— Après, sire?

— Après la porte atteinte, nous la ferons sauter avec des pétards, et l'on se logera. Ce n'est pas plus difficile que cela.

Chicot regarda Henri, tout épouvanté.

— Oui, grommela-t-il, poltron et vantard, voilà bien mon Gascon; est-ce toi, dis, qui iras placer le pétard sous la porte?

A l'instant même, comme s'il eût entendu l'aparté de Chicot, Henri ajouta:

— Ne perdons pas de temps, messieurs, la viande refroidirait; allons en avant, et qui m'aime me suive!

Chicot s'approcha de Mornay, à qui il n'avait pas eu le temps, tout le long de la route, d'adresser une seule parole.

— Dites donc, monsieur le comte, lui glissa-t-il à l'oreille, est-ce que vous avez envie de vous faire écharper tous?

— Monsieur Chicot, il nous faut cela pour bien nous mettre en train, répliqua tranquillement Mornay.

— Mais vous ferez tuer le roi!

— Bah! Sa Majesté a une bonne cuirasse!

— D'ailleurs, dit Chicot, il ne sera pas si fou que d'aller aux coups, je présume?

Mornay haussa les épaules et tourna les talons à Chicot.

— Allons, dit Chicot, je l'aime encore mieux quand il dort que quand il veille, quand il ronfle que quand il parle; il est plus poli.

LV

COMMENT LE ROI HENRI DE NAVARRE SE COMPORTA LA PREMIÈRE FOIS QU'IL VIT LE FEU

La petite armée s'avança jusqu'à deux portées de canon de la ville; là on déjeuna.

Le repas pris, il fut accordé deux heures aux officiers et aux soldats pour se reposer.

Il était trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire qu'il restait deux heures de jour à peine, lorsque le roi fit appeler les officiers sous sa tente.

Henri était fort pâle, et tandis qu'il gesticulait, ses mains tremblaient si visiblement, qu'elles laissaient aller leurs doigts comme des gants pendus pour sécher. — Messieurs, dit-il, nous sommes venus pour prendre Cahors; il faut donc prendre Cahors, puisque nous sommes venus pour cela; mais il faut prendre Cahors par force, par force, entendez-vous? c'est-à- dire en enfonçant du fer et du bois avec de la chair.

— Pas mal, fit Chicot, qui écoutait en épilogueur, et si le geste ne démentait pas la parole, on ne pourrait guère demander autre chose, même à M. de Crillon.

— Monsieur le maréchal de Biron, continua Henri, monsieur le maréchal de Biron, qui a juré de faire pendre jusqu'au dernier huguenot, tient la campagne à quarante-cinq lieues d'ici. Un messager, selon toute probabilité, lui est déjà, à l'heure qu'il est, expédié par M. de Vezin. Dans quatre ou cinq jours, il sera sur notre dos; il a dix mille hommes avec lui: nous serons pris entre la ville et lui. Ayons donc pris Cahors avant qu'il n'arrive, et nous le recevrons comme M. de Vezin s'apprête à nous recevoir, mais avec une meilleure fortune, je l'espère. Dans le cas contraire, au moins, il aura de bonnes poutres catholiques pour pendre les huguenots, et nous lui devons bien cette satisfaction. Allons, sus, sus, messieurs! je vais me mettre à votre tête, et des coups, ventre saint- gris! des coups comme s'il en grêlait.

Ce fut là toute l'allocution royale; mais elle était suffisante, à ce qu'il paraît, car les soldats y répondirent par des murmures enthousiastes et les officiers par des bravos frénétiques.

— Beau phraseur, toujours Gascon, dit Chicot à part lui. Comme il est heureux qu'on ne parle pas avec les mains! Ventre de biche! le Béarnais aurait rudement bégayé: d'ailleurs nous le verrons à l'oeuvre.

La petite armée partit sous le commandement de Mornay pour prendre ses positions.

Au moment où elle s'ébranla pour se mettre en marche, le roi vint à
Chicot.

— Pardonne-moi, ami Chicot, lui dit-il; je t'ai trompé en te parlant chasse, loups et autres balivernes; mais je le devais décidément, et c'est ton avis à toi-même, puisque tu me l'as dit en toutes lettres. Décidément le roi Henri ne veut pas me payer la dot de sa soeur Margot, et Margot crie, Margot pleure pour avoir son cher Cahors. Il faut faire ce que femme veut pour avoir la paix dans son ménage: je vais donc essayer de prendre Cahors, mon cher Chicot.

— Que ne vous a-t-elle demandé la lune, sire, puisque vous êtes si complaisant mari? répliqua Chicot, piqué des plaisanteries royales.

— J'eusse essayé, Chicot, dit le Béarnais: je l'aime tant, cette chère
Margot!

— Oh! vous avez bien assez de Cahors, et nous allons voir comment vous allez vous en tirer.

— Ah! voilà justement où j'en voulais venir; écoute, ami Chicot: le moment est suprême et surtout désagréable. Ah! je ne fais pas blanc de mon épée, moi; je ne suis pas brave, et la nature se révolte en moi à chaque arquebusade. Chicot, mon ami, ne te moque pas trop du pauvre Béarnais, ton compatriote et ton ami; si j'ai peur et que tu t'en aperçoives, ne le dis pas.

— Si vous avez peur, dites-vous?

— Oui.

— Vous avez donc peur d'avoir peur?

— Sans doute.

— Mais alors, ventre de biche! si c'est là votre naturel, pourquoi diable vous fourrez-vous dans toutes ces affaires-là?

— Dame! quand il le faut.

— M. de Vezin est un terrible homme!

— Je le sais cordieu bien!

— Qui ne fera de quartier à personne.

— Tu crois, Chicot?

— Oh! j'en suis sûr, quant à cela; plume rouge ou plume blanche, peu lui importe; il criera aux canons: Feu!

— Tu dis cela pour mon panache blanc, Chicot.

— Oui, sire, et comme vous êtes le seul qui en ayez un de cette couleur….

— Après?

— Je vous donnerai le conseil de l'ôter, sire. — Mais, mon ami, puisque je l'ai mis pour qu'on me reconnaisse; si je l'ôte….

— Eh bien?

— Eh bien! mon but sera manqué, Chicot.

— Vous le garderez donc, sire, malgré mon avis?

— Oui, décidément je le garde.

Et en prononçant ces paroles, qui indiquaient une résolution bien arrêtée,
Henri tremblait plus visiblement encore qu'en haranguant ses officiers.

— Voyons, dit Chicot, qui ne comprenait rien à cette double manifestation, si différente, de la parole et du geste: voyons, il en est temps encore, sire, ne faites pas de folies, vous ne pouvez pas monter à cheval dans cet état.

— Je suis donc bien pâle, Chicot? demanda Henri.

— Pâle comme un mort, sire.

— Bon! fit le roi.

— Comment, bon?

— Oui, je m'entends.

En ce moment, le bruit du canon de la place, accompagné d'une mousquetade furieuse, se fit entendre: c'était M. de Vezin qui répondait à la sommation de se rendre que lui adressait Duplessis-Mornay.

— Hein! dit Chicot, que pensez-vous de cette musique?

— Je pense qu'elle me fait un froid de diable dans la moelle des os, répliqua Henri. Allons! mon cheval, mon cheval! s'écria-t-il d'une voix saccadée et cassante comme le ressort d'une horloge.

Chicot le regardait et l'écoutait sans rien comprendre à l'étrange phénomène qui se développait sous ses yeux.

Henri se mit en selle, mais il s'y reprit à deux fois.

— Allons, Chicot, dit-il, à cheval aussi, toi, tu n'es pas homme de guerre non plus, hein?

— Non, sire.

— Eh bien! viens, Chicot, nous allons avoir peur ensemble, viens voir le feu, mon ami, viens; un bon cheval à M. Chicot!

Chicot haussa les épaules, et monta sans sourciller un beau cheval d'Espagne qu'on lui amena d'après l'ordre que le roi venait de donner.

Henri mit sa monture au galop; Chicot le suivit.

En arrivant sur le front de sa petite armée, Henri leva la visière de son casque.

— Hors le drapeau! le drapeau neuf dehors! cria-t-il d'une voix chevrotante.

On tira le fourreau, et le drapeau neuf, au double écusson de Navarre et de Bourbon, se déploya majestueusement dans les airs; il était blanc, et portait sur azur d'un côté les chaînes d'or, de l'autre côté les fleurs de lis d'or avec le lambel posé en coeur.

— Voilà, dit Chicot à part lui, un drapeau qui sera bien mal étrenné, j'en ai peur.

En ce moment, et comme pour répondre à la pensée de Chicot, le canon de la place tonna, et ouvrit une file tout entière d'infanterie à dix pas du roi.

— Ventre saint-gris! dit-il, as-tu vu, Chicot? c'est pour tout de bon, il me semble.

Et ses dents claquaient.

— Il va se trouver mal, dit Chicot.

— Ah! murmura Henri, ah! tu as peur, carcasse maudite, tu grelottes, tu trembles; attends, je vais te faire trembler pour quelque chose.

Et enfonçant ses deux éperons dans le ventre du cheval blanc qui le portait, il devança cavalerie, infanterie et artillerie, et arriva à cent pas de la place, rouge du feu des batteries qui tonnaient du haut du rempart, pareil à un fracas de tempête, et qui se reflétait sur son armure comme les rayons d'un soleil couchant.

Là, il tint son cheval immobile pendant dix minutes, la face tournée vers la porte de la ville, et criant:

— Les fascines, ventre saint-gris, les fascines!

Mornay l'avait suivi, visière levée, épée au poing.

Chicot fit comme Mornay; il s'était laissé cuirasser, mais il ne tira point l'épée.

Derrière ces trois hommes, bondirent, exaltés par l'exemple, les jeunes gentilshommes huguenots criant et hurlant:

— Vive Navarre!

Le vicomte de Turenne marchait à leur tête, une fascine sur le cou de son cheval.

Chacun vint et jeta sa fascine; en un instant le fossé creusé sous le pont-levis fut comblé.

Les artilleurs s'élancèrent; en perdant trente hommes sur quarante, ils réussirent à placer leurs pétards sous la porte.

La mitraille et la mousqueterie sifflaient comme un ouragan de feu autour de Henri; vingt hommes tombèrent en un instant à ses yeux.

— En avant! en avant! dit-il; et il poussa son cheval au milieu des artilleurs.

Et il arriva au bord du fossé au moment où le premier pétard venait de jouer.

La porte s'était fendue en deux endroits.

Les artilleurs allumèrent le second pétard.

Il se fit une nouvelle gerçure dans le bois; mais aussitôt par la triple ouverture, vingt arquebuses passèrent, qui vomirent des balles sur les soldats et les officiers.

Les hommes tombaient autour du roi comme des épis fauchés.

— Sire, disait Chicot sans songer à lui, sire, au nom du ciel, retirez- vous.

Mornay ne disait rien, mais il était fier de son élève, et de temps en temps il essayait de se mettre devant lui; mais Henri l'écartait de la main par une secousse nerveuse.

Tout à coup Henri sentit que la sueur perlait à son front et qu'un brouillard passait sur ses yeux.

— Ah! nature maudite! s'écria-t-il, il ne sera pas dit que tu m'auras vaincu.

Puis, sautant à bas de son cheval:

— Une hache! cria-t-il, une hache!

Et d'un bras vigoureux il abattit canons d'arquebuses, lambeaux de chêne et clous de bronze. Enfin une poutre tomba, un pan de porte, un pan de mur, et cent hommes se précipitèrent par la brèche en criant:

— Navarre! Navarre! Cahors est à nous! Vive Navarre!

Chicot n'avait pas quitté le roi; il était avec lui sous la voûte de la porte où Henri était entré un des premiers; mais, à chaque arquebusade, il le voyait frissonner et baisser la tête.

— Ventre saint-gris! disait Henri furieux, as-tu jamais vu pareille poltronnerie, Chicot?

— Non, sire, répliqua celui-ci, je n'ai jamais vu de poltron pareil à vous; c'est effrayant.

En ce moment, les soldats de M. de Vezin tentèrent de déloger Henri et son avant-garde, établis sous la porte et dans les maisons environnantes.

Henri les reçut l'épée à la main.

Mais les assiégés furent les plus forts; ils réussirent à repousser Henri et les siens au-delà du fossé.

— Ventre saint-gris! s'écria le roi, je crois que mon drapeau recule; en ce cas-là, je le porterai moi-même.

Et d'un effort sublime, arrachant son étendard des mains de celui qui le portait, il le leva en l'air et le premier rentra dans la place, à moitié enveloppé dans ses plis flottants.

— Aie donc peur! disait-il, tremble donc maintenant, poltron!

Les balles sifflaient et s'aplatissaient sur ses armes avec un bruit strident, et trouaient le drapeau avec un bruit mat et sourd.

MM. de Turenne, Mornay et mille autres s'engouffrèrent dans cette porte ouverte, s'élançant à la suite du roi.

Le canon dut se taire à l'extérieur: c'était face à face, c'était corps à corps, qu'il fallait désormais lutter.

On entendit au-dessus du bruit des armes, du fracas des mousquetades, des froissements du fer, M. de Vezin qui criait:

— Barricadez les rues, faites des fossés, crénelez les maisons.

— Oh! dit M. de Turenne qui était assez proche pour l'entendre, le siège de la ville est fait, mon pauvre Vezin.

Et en manière d'accompagnement à ces paroles, il lui tira un coup de pistolet qui le blessa au bras.

— Tu te trompes, Turenne, tu te trompes, répondit M. de Vezin, il y a vingt sièges dans Cahors; donc, s'il y en a un de fait, il en reste encore dix-neuf à faire.

M. de Vezin se défendit cinq jours et cinq nuits de rue en rue, de maison en maison.

Par bonheur pour la fortune naissante de Henri de Navarre, il avait trop compté sur les murailles et la garnison de Cahors, de sorte qu'il avait négligé de faire prévenir M. de Biron.

Pendant cinq jours et cinq nuits, Henri commanda comme un capitaine et combattit comme un soldat; pendant cinq jours et cinq nuits, il dormit la tête sur une pierre et s'éveilla la hache au poing.

Chaque jour, on conquérait une rue, une place, un carrefour; chaque nuit la garnison essayait de reprendre la conquête du jour.

Enfin dans la nuit du quatrième au cinquième jour, l'ennemi harassé parut devoir donner quelque repos à l'armée protestante. Ce fut Henri qui l'attaqua à son tour; on força un poste retranché qui coûta sept cents hommes; presque tous les bons officiers y furent blessés; M. de Turenne fut atteint d'une arquebusade à l'épaule, Mornay reçut un grès sur la tête et faillit être assommé.

Le roi seul ne fut point atteint: à la peur qu'il avait éprouvée d'abord et qu'il avait si héroïquement vaincue, avait succédé une agitation fébrile, une audace presque insensée; toutes les attaches de son armure étaient brisées, autant par ses propres efforts que par les coups des ennemis; il frappait si rudement, que jamais un coup de lui ne blessait son homme; il le tuait. Quand ce dernier poste fut forcé, le roi entra dans l'enceinte, suivi de l'éternel Chicot, qui, silencieux et sombre, voyait, depuis cinq jours et avec désespoir, grandir à ses côtés le fantôme effrayant d'une monarchie destinée à étouffer la monarchie des Valois.

— Eh bien! qu'en penses-tu, Chicot? dit le roi, en haussant la visière de son casque, et comme s'il eût pu lire dans l'âme du pauvre ambassadeur.

— Sire, murmura Chicot avec tristesse, sire, je pense que vous êtes un véritable roi.

— Et moi, sire, s'écria Mornay, je dis que vous êtes un imprudent: comment! gantelets à bas et visière haute quand on tire sur vous de tous côtés, et tenez, encore une balle!

En effet, en ce moment, une balle coupait en sifflant une des plumes du cimier de Henri.

Au même instant et comme pour donner pleine raison à Mornay, le roi fut enveloppé par une dizaine d'arquebusiers de la troupe particulière du gouverneur.

Ils avaient été embusqués là par M. de Vezin, et tiraient bas et juste.

Le cheval du roi fut tué, celui de Mornay eut la jambe cassée.

Le roi tomba, dix épées se levèrent sur lui.

Chicot seul était resté debout, il sauta à bas de son cheval, se jeta en avant du roi, et fit avec sa rapière un moulinet si rapide, qu'il écarta les plus avancés.

Puis, relevant Henri embarrassé dans les harnais de sa monture, il lui amena son propre cheval, et lui dit:

— Sire, vous témoignerez au roi de France que, si j'ai tiré l'épée contre lui, je n'ai du moins touché personne.

Henri attira Chicot à lui, et, les larmes aux yeux, l'embrassa.

— Ventre saint-gris! dit-il, tu seras à moi, Chicot; tu vivras, tu mourras avec moi, mon enfant. Va, mon service est bon comme mon coeur.

— Sire, répondit Chicot, je n'ai qu'un service à suivre en ce monde, c'est celui de mon prince. Hélas! il va diminuant de lustre, mais je serai fidèle à l'adverse fortune, moi qui ai dédaigné la prospère. Laissez-moi donc servir et aimer mon roi tant qu'il vivra, sire; je serai bientôt seul avec lui, ne lui enviez donc point son dernier serviteur.

— Chicot, répliqua Henri, je retiens votre promesse, vous entendez! vous m'êtes cher et sacré, et après Henri de France vous aurez Henri de Navarre pour ami.

— Oui, sire, répondit simplement Chicot, en baisant avec respect la main du roi.

— Maintenant, vous voyez, mon ami, dit le roi, Cahors est à nous; M. de Vezin y fera tuer tout son monde; mais moi, plutôt que de reculer, j'y ferais tuer tout le mien.

La menace était inutile, et Henri n'avait pas besoin de s'obstiner plus longtemps. Ses troupes, conduites par M. de Turenne, venaient de faire main-basse sur la garnison; M. de Vezin était pris.

La ville était rendue.

Henri prit Chicot par la main et l'amena dans une maison toute brûlante et toute trouée de balles, qui lui servait de quartier général, et là il dicta une lettre à M. de Mornay, pour que Chicot la portât au roi de France.

Cette lettre était rédigée en mauvais latin et finissait par ces mots:

Quod mihi dixisti profuit multum. Cognosco meos devotos, nosce tuos. Chicotus caetera expediet.

Ce qui signifie à peu près:

« Ce que vous m'avez dit m'a été fort utile. Je connais mes fidèles, connaissez les vôtres. Chicot vous dira le reste. »

— Et maintenant, ami Chicot, continua Henri, embrassez-moi et prenez garde de vous souiller, car, Dieu me pardonne! je suis sanglant comme un boucher. Je vous offrirais bien une part de venaison si je savais que vous dussiez l'accepter, mais je vois dans vos yeux que vous refuseriez. Toutefois, voici ma bague, prenez-la, je le veux; et puis, adieu, Chicot, je ne vous retiens plus; piquez vers la France, vous aurez du succès à la cour en racontant ce que vous avez vu.

Chicot accepta la bague et partit. Il fut trois jours à se persuader qu'il n'avait pas fait un rêve et qu'il ne se réveillerait pas à Paris devant les fenêtres de sa maison, à laquelle M. de Joyeuse donnait des sérénades.

LVI

CE QUI SE PASSAIT AU LOUVRE VERS LE MÊME TEMPS A PEU PRÈS OÙ CHICOT ENTRAIT DANS LA VILLE DE NÉRAC

La nécessité où nous nous sommes trouvé de suivre notre ami Chicot jusqu'au bout de sa mission, nous a un peu longuement, nous en demandons bien pardon à nos lecteurs, écarté du Louvre.

Il ne serait cependant pas juste d'oublier plus longtemps et le détail des suites de l'entreprise de Vincennes et celui qui en avait été l'objet.

Le roi, après avoir passé si bravement devant le danger, avait éprouvé cette émotion rétrospective que ressentent parfois les coeurs les plus forts, lorsque le danger est loin; il était donc rentré au Louvre sans rien dire; il avait fait ses prières un peu plus longues que d'habitude, et, une fois livré à Dieu, il avait oublié de remercier, tant sa ferveur était grande, les officiers si vigilants et les gardes si dévoués qui l'avaient aidé à sortir du péril.

Puis il se mit au lit, étonnant ses valets de chambre par la rapidité avec laquelle il fit sa toilette; on eût dit qu'il avait hâte de dormir pour retrouver le lendemain ses idées plus fraîches et plus lucides.

Aussi d'Épernon, qui était resté dans la chambre du roi le dernier de tous, attendant toujours un remercîment, en sortit-il de fort mauvaise humeur, voyant que le remercîment n'était point venu.

Et Loignac, debout près de la portière de velours, voyant que M. d'Épernon passait sans souffler mot, se retourna-t-il brusquement vers les quarante- cinq en leur disant:

— Le roi n'a plus besoin de vous, messieurs, allez vous coucher.

A deux heures du matin, tout le monde dormait au Louvre.

Le secret de l'aventure avait été fidèlement gardé et n'avait transpiré nulle part. Les bons bourgeois de Paris ronflaient donc consciencieusement, sans se douter qu'ils avaient touché du bout du doigt à l'avènement au trône d'une dynastie nouvelle.

M. d'Épernon se fit débotter sur-le-champ, et au lieu de courir la ville, comme il en avait l'habitude, avec une trentaine de cavaliers, il suivit l'exemple que lui avait donné son illustre maître en se mettant au lit sans adresser la parole à personne.

Le seul Loignac qui, pareil au justum et tenacem d'Horace, n'eût pas été distrait de ses devoirs par la chute du monde, le seul Loignac visita les postes des Suisses et des gardes françaises qui faisaient leur service avec régularité, mais sans excès de zèle.

Trois légères infractions aux lois de la discipline furent punies cette nuit-là comme des fautes graves.

Le lendemain Henri, dont tant de gens attendaient le réveil avec impatience, pour savoir à quoi s'en tenir sur ce qu'ils devaient espérer de lui, le lendemain Henri prit quatre bouillons dans son lit au lieu de deux, qu'il avait l'habitude de prendre, et fit prévenir M. d'O et M. de Villequier qu'ils eussent à venir travailler dans sa chambre à la rédaction d'un nouvel édit des finances.

La reine reçut avis de dîner seule, et, comme elle faisait témoigner par un gentilhomme quelque inquiétude pour la santé de Sa Majesté, Henri daigna répondre que le soir il recevrait les dames et ferait la collation dans son cabinet.

Même réponse fut faite à un gentilhomme de la reine-mère, qui, depuis deux ans retirée en son hôtel de Soissons, envoyait cependant chaque jour prendre des nouvelles de son fils.

MM. les secrétaires d'État se regardèrent avec inquiétude. Le roi était ce matin-là distrait au point que leurs énormités en matière d'exactions n'arrachèrent pas même un sourire à Sa Majesté.

Or, la distraction d'un roi est surtout inquiétante pour des secrétaires d'État.

Mais, en échange, Henri jouait avec master Love, lui disant, chaque fois que l'animal serrait ses doigts effilés entre ses petites dents blanches:

— Ah! ah! rebelle! tu me veux mordre aussi, toi? ah! ah! petit chien, tu t'attaques aussi à ton roi? mais tout le monde s'en mêle donc aujourd'hui?

Puis Henri, avec autant d'efforts apparents qu'Hercule, fils d'Alcmène, en fit pour dompter le lion de Némée, Henri domptait ce monstre gros comme le poing, tout en lui disant avec une satisfaction indicible:

— Vaincu, master Love, vaincu, infâme ligueur de master Love, vaincu! vaincu!! vaincu!!!

Ce fut tout ce que MM. d'O et Villequier, ces deux grands diplomates qui croyaient qu'aucun secret humain ne devait leur échapper, purent saisir au passage. A part ces apostrophes à master Love, Henri était demeuré parfaitement silencieux.

Il eut à signer, il signa; il eut à écouter, il écouta en fermant les yeux avec tant de naturel, qu'il fut impossible de savoir s'il écoutait ou s'il dormait.

Enfin trois heures de l'après-midi sonnèrent.

Le roi fit appeler M. d'Épernon.

On lui répondit que le duc passait la revue des chevau-légers.

Il demanda Loignac.

On lui répondit que Loignac essayait des chevaux limousins.

On s'attendait à voir le roi contrarié de ce double échec que venait de subir sa volonté; pas du tout: contre l'attente générale, le roi, de l'air le plus dégagé du monde, se mit à siffloter une fanfare de chasse, distraction à laquelle il ne se livrait que lorsqu'il était parfaitement satisfait de lui.

Il était évident que toute l'envie que le roi avait eue de se taire depuis le matin se changeait en une démangeaison croissante de parler.

Cette démangeaison finit par devenir un besoin irrésistible; mais le roi, n'ayant personne, fut obligé de parler tout seul.

Il demanda son goûter, et, pendant qu'il goûtait, se fit faire une lecture édifiante, qu'il interrompit pour dire au lecteur:

— C'est Plutarque, n'est-ce pas, qui a écrit la vie de Sylla?

Le lecteur, qui lisait du sacré, et que l'on interrompait par une question profane, se retourna avec étonnement du côté du roi.

Le roi répéta sa question.

— Oui, sire, répondit le lecteur.

— Vous souvenez-vous de ce passage où l'historien raconte que le dictateur évita la mort?

Le lecteur hésita.

— Non pas, sire, précisément, dit-il; il y a fort longtemps que je n'ai lu Plutarque.

En ce moment on annonça Son Éminence le cardinal de Joyeuse.

— Ah! justement, s'écria le roi, voici un savant homme, notre ami; il va nous dire cela sans hésiter, lui.

— Sire, dit le cardinal, serais-je assez heureux pour arriver à propos? c'est chose rare en ce monde.

— Ma foi, oui; vous avez entendu ma question?

— Votre Majesté demandait, je crois, de quelle façon et en quelle circonstance le dictateur Sylla échappa à la mort.

— Justement. Pouvez-vous y répondre, cardinal?

— Rien de plus facile, sire.

— Tant mieux.

— Sylla, qui fit tuer tant d'hommes, sire, ne risqua jamais perdre la vie que dans les combats: Votre Majesté faisait-elle allusion à un combat?

— Oui, et dans un des combats qu'il livra, je crois me rappeler qu'il vit la mort de très près.

Ouvrez un Plutarque, s'il vous plaît, cardinal; il doit y en avoir un là, traduit par ce bon Amyot, et lisez-moi ce passage de la vie du Romain où il échappa, grâce à la vitesse de son cheval blanc, aux javelines de ses ennemis.

— Sire, il n'est point besoin d'ouvrir Plutarque pour cela, l'événement eut lieu dans le combat qu'il livra à Teleserius le Samnite, et à Lamponius le Lucanien.

— Vous devez savoir cela mieux que personne, mon cher cardinal, vous êtes si savant.

— Votre Majesté est vraiment trop bonne pour moi, répondit le cardinal en s'inclinant.

— Maintenant, dit le roi après une courte pause, maintenant expliquez-moi comment le lion romain, qui était si cruel, ne fut jamais inquiété par ses ennemis.

— Sire, dit le cardinal, je répondrai à Votre Majesté par un mot de ce même Plutarque.

— Répondez, Joyeuse, répondez.

— Carbon, l'ennemi de Sylla, disait souvent:

« J'ai à combattre tout à la fois un lion et un renard qui habitent dans l'âme de Sylla; mais c'est le renard qui me donne la plus grande peine. »

— Ah! oui-dà, répondit Henri rêveur, c'était le renard!

— Plutarque le dit, sire.

— Et il a raison, fit le roi, il a raison, cardinal. Mais à propos de combat, avez-vous reçu des nouvelles de votre frère?

— Duquel, sire? Votre Majesté sait que j'en ai quatre.

— Du duc d'Arques, de mon ami, enfin.

— Pas encore, sire.

— Pourvu que M. le duc d'Anjou, qui, jusqu'ici, a si bien su faire le renard, sache maintenant faire un peu le lion! dit le roi.

Le cardinal ne répondit point; car, cette fois, Plutarque ne lui était d'aucun secours; il craignait, en adroit courtisan, de répondre désagréablement au roi en répondant agréablement pour le duc d'Anjou.

Henri, voyant que le cardinal gardait le silence, en revint à ses batailles avec maître Love; puis, tout en faisant signe au cardinal de rester, il se leva, s'habilla somptueusement et passa dans son cabinet, où sa cour l'attendait.

C'est surtout à la cour que l'on sent avec le même instinct que l'on retrouve chez les montagnards, c'est surtout à la cour que l'on sent l'approche ou la fin des orages; sans que nul eût parlé, sans que nul eût encore aperçu le roi, tout le monde était disposé selon la circonstance.

Les deux reines étaient visiblement inquiètes.

Catherine, pâle et anxieuse, saluait beaucoup et parlait d'une manière brève et saccadée.

Louise de Vaudémont ne regardait personne et n'écoutait rien.

Il y avait des moments où la pauvre jeune femme avait l'air de perdre la raison.

Le roi entra.

Il avait l'oeil vif et le teint rose: on pouvait lire sur son visage une apparence de bonne humeur qui produisit sur tous ces visages mornes qui attendaient l'apparition du sien, l'effet que produit un coup de soleil sur les bosquets jaunis par l'automne.

Tout fut doré, empourpré à l'instant même; en une seconde tout rayonna.

Henri baisa la main de sa mère et celle de sa femme avec la même galanterie que s'il eût encore été duc d'Anjou. Il adressa mille flatteuses politesses aux dames qui n'étaient plus habituées à des retours de cette sorte, et alla même jusqu'à leur offrir des dragées.

— On était inquiet de votre santé, mon fils, dit Catherine regardant le roi avec une attention particulière, comme pour s'assurer que ce teint n'était pas du fard, que cette belle humeur n'était pas un masque.

— Et l'on avait tort, madame, répondit le roi; je ne me suis jamais mieux porté.

Et il accompagna ces paroles d'un sourire qui passa sur toutes les bouches.

— Et à quelle heureuse influence, mon fils, demanda Catherine avec une inquiétude mal déguisée, devez-vous cette amélioration dans votre santé?

— A ce que j'ai beaucoup ri, madame, répondit le roi.

Tout le monde se regarda avec un si profond étonnement, qu'il semblait que le roi venait de dire une énormité.

— Beaucoup ri? Vous pouvez beaucoup rire, mon fils, fit Catherine avec sa mine austère, alors vous êtes bien heureux.

— Voilà cependant comme je suis, madame.

— Et à quel propos vous êtes-vous laissé aller à une pareille hilarité?

— Il faut vous dire, ma mère, qu'hier soir j'étais allé au bois de
Vincennes.

— Je l'ai su.

— Ah! vous l'avez su?

— Oui, mon fils: tout ce qui vous touche m'importe; je ne vous apprends rien de nouveau.

— Non, sans doute; j'étais donc allé au bois de Vincennes, lorsqu'au retour mes éclaireurs me signalèrent une armée ennemie dont les mousquets brillaient sur la route.

— Une armée ennemie sur la route de Vincennes?

— Oui, ma mère.

— Et où cela?

— En face la piscine des Jacobins, près de la maison de notre bonne cousine.

— Près de la maison de madame de Montpensier! s'écria Louise de
Vaudémont.

— Précisément; oui, madame, près de Bel-Esbat; j'approchai bravement pour livrer bataille, et j'aperçus….

— Mon Dieu! continuez, sire, fit la reine, véritablement inquiète.

— Oh! rassurez-vous, madame.

Catherine attendait avec anxiété; mais ni une parole ni un geste ne trahissaient son inquiétude.

— J'aperçus, continua le roi, un prieuré tout entier de bons moines qui me présentaient les armes avec de belliqueuses acclamations.

Le cardinal de Joyeuse se mit à rire: toute la cour renchérit aussitôt sur cette manifestation.

— Oh! dit le roi, riez, riez, vous avez raison, car il en sera parlé longtemps; j'ai en France plus de dix mille moines dont je ferai au besoin dix mille mousquetaires; alors je créerai une charge de grand-maître des mousquetaires tonsurés de Sa Majesté très chrétienne, et je vous la donnerai, cardinal.

— Sire, j'accepte; tous les services me seront bons, pourvu qu'ils agréent à Votre Majesté.

Pendant le colloque du roi et du cardinal, les dames s'étaient levées selon l'étiquette du temps, et une à une, après avoir salué le roi, elles quittaient la chambre; la reine les suivit avec ses dames d'honneur.

La reine-mère demeura seule; il y avait dans la gaîté insolite du roi un mystère qu'elle voulait approfondir.

— Ah! cardinal, dit tout à coup le roi au prélat, qui se préparait à partir, voyant la reine-mère rester et devinant qu'elle voulait parler à son fils, à propos, que devient donc votre frère du Bouchage?

— Mais, sire, je ne sais.

— Comment, vous ne savez?

— Non, je le vois à peine, ou plutôt je ne le vois plus, répliqua le cardinal.

Une voix grave et triste résonna au fond de l'appartement.

— Me voici, sire, dit cette voix.

— Eh! c'est lui, s'écria Henri; approchez, comte, approchez.

Le jeune homme obéit.

— Eh! vive Dieu! dit le roi le regardant avec étonnement, sur ma foi de gentilhomme, ce n'est plus un corps, c'est une ombre qui marche.

— Sire, il travaille beaucoup, balbutia le cardinal, stupéfait lui-même du changement que huit jours avaient apporté dans le maintien et sur le visage de son frère.

En effet, du Bouchage était pâle comme une statue de cire, et son corps, sous la soie et la broderie, participait de la roideur et de la ténuité des ombres.

— Venez ça, jeune homme, lui dit le roi, venez. Merci, cardinal, de votre citation de Plutarque; en pareille occasion, je vous promets de recourir toujours à vous.

Le cardinal devina que le roi désirait rester seul avec Henri, et s'esquiva légèrement.

Le roi le vit partir du coin de l'oeil, et ramena son regard sur sa mère, laquelle demeurait immobile.

Il ne restait plus dans le salon que la reine mère, M. d'Épernon, qui lui faisait mille civilités, et du Bouchage.

A la porte se tenait Loignac, moitié courtisan, moitié soldat, faisant son service plutôt qu'autre chose.

Le roi s'assit et fit signe à du Bouchage d'approcher de lui.

— Comte, lui dit-il, pourquoi vous cachez-vous ainsi derrière les dames, ne savez-vous point que j'ai plaisir à vous voir?

— Ce m'est un honneur bien grand que cette bonne parole, sire, répondit le jeune homme en s'inclinant avec un profond respect.

— Alors, comte, d'où vient donc qu'on ne vous voit plus au Louvre?

— On ne me voit plus, sire?

— Non, en vérité, et je m'en plaignais à votre frère le cardinal, qui est encore plus savant que je ne croyais.

— Si Votre Majesté ne me voit pas, dit Henri, c'est qu'elle n'a pas daigné jeter les yeux sur le coin de ce cabinet, sire, j'y suis tous les jours à la même heure quand le roi paraît. J'assiste de même régulièrement au lever de Sa Majesté, et je la salue encore respectueusement quand elle sort du conseil. Jamais je n'y ai manqué, et jamais je n'y manquerai, tant que je pourrai me tenir debout, car c'est un devoir sacré pour moi.

— Et c'est cela qui te rend si triste? dit amicalement Henri.

— Oh! Votre Majesté ne le pense pas.

— Non, ton frère et toi, vous m'aimez.

— Sire.

— Et je vous aime aussi. A propos, tu sais que ce pauvre Anne m'a écrit de Dieppe.

— Je l'ignorais, sire.

— Oui, mais tu n'ignores pas qu'il était désolé de partir.

— Il m'a avoué ses regrets de quitter Paris.

— Oui, mais sais-tu ce qu'il m'a dit: c'est qu'il existait un homme qui eût regretté Paris bien davantage, et que si cet ordre te fût arrivé à toi, tu serais mort.

— Peut-être, sire.

— Il m'a dit plus, car il dit beaucoup de choses, ton frère, quand il ne boude point toutefois; il m'a dit que, le cas échéant, tu m'eusses désobéi; est-ce vrai?

— Sire, Votre Majesté a eu raison de mettre ma mort avant ma désobéissance.

— Mais enfin, si tu n'étais pas mort cependant de douleur à l'ordre de ce départ?

— Sire, c'eût été une plus terrible souffrance pour moi de désobéir que de mourir, et cependant, ajouta le jeune homme en baissant son front pâle comme pour cacher son embarras, j'eusse désobéi.

Le roi se croisa les bras et regarda Joyeuse.

— Ah ça! dit-il, mais tu es un peu fou, ce me semble, mon pauvre comte.

Le jeune homme sourit tristement.

— Oh! je le suis tout à fait, sire, dit-il, et Votre Majesté a tort de ménager les termes à mon endroit.

— Alors, c'est sérieux, mon ami.

Joyeuse étouffa un soupir.

— Raconte-moi cela. Voyons?

Le jeune homme poussa l'héroïsme jusqu'à sourire.

— Un grand roi comme vous êtes, sire, ne peut s'abaisser jusqu'à de pareilles confidences.

— Si fait, Henri, si fait, dit le roi; parle, raconte, tu me distrairas.

— Sire, répondit le jeune homme avec fierté, Votre Majesté se trompe; je dois le dire, il n'y a rien dans ma tristesse qui puisse distraire un noble coeur.

Le roi prit la main du jeune homme.

— Allons, allons, dit-il, ne te fâche pas, du Bouchage; tu sais que ton roi, lui aussi, a connu les douleurs d'un amour malheureux.

— Je le sais, oui, sire, autrefois.

— Je compatis donc à tes souffrances.

— C'est trop de bontés de la part d'un roi.

— Non pas; écoute, parce qu'il n'y avait rien au-dessus de moi, quand je souffris ce que tu souffres, que le pouvoir de Dieu, je n'ai pu m'aider de rien; toi, au contraire, mon enfant, tu peux t'aider de moi.

— Sire?

— Et par conséquent, continua Henri avec une affectueuse tristesse, espérer de voir la fin de tes peines.

Le jeune homme secoua la tête en signe de doute.

— Du Bouchage, dit Henri, tu seras heureux, ou je cesserai de m'appeler le roi de France.

— Heureux, moi! hélas! sire, c'est chose impossible, dit le jeune homme avec un sourire mêlé d'une amertume inexprimable.

— Et pourquoi cela?

— Parce que mon bonheur n'est pas de ce monde.

— Henri, insista le roi, votre frère, en partant, vous a recommandé à moi comme à un ami. Je veux, puisque vous ne consultez, sur ce que vous avez à faire, ni la sagesse de votre père, ni la science de votre frère le cardinal, je veux être pour vous un frère aîné. Voyons, soyez confiant, instruisez-moi. Je vous assure, du Bouchage, qu'à tout, excepté à la mort, ma puissance et mon affection pour vous trouveront un remède.

— Sire, répondit le jeune homme en se laissant glisser aux pieds du roi, sire, ne me confondez point par l'expression d'une bonté à laquelle je ne puis répondre. Mon malheur est sans remède, car c'est mon malheur qui fait ma seule joie.

— Du Bouchage, vous êtes un fou, et vous vous tuerez de chimères: c'est moi qui vous le dis.

— Je le sais bien, sire, répondit tranquillement le jeune homme.

— Mais enfin, s'écria le roi avec quelque impatience, est-ce un mariage que vous désirez faire, est-ce une influence que vous voulez exercer?

— Sire, c'est de l'amour qu'il faut inspirer. Vous voyez que tout le monde est impuissant à me procurer cette faveur: moi seul je dois l'obtenir et l'obtenir pour moi seul.

— Alors pourquoi te désespérer?

— Parce que je sens que je ne l'obtiendrai jamais, sire.

— Essaie, essaie, mon enfant; tu es riche, tu es jeune: quelle est la femme qui peut résister à la triple influence de la beauté, de l'amour et de la jeunesse? Il n'y en a point, du Bouchage, il n'y en a point.

— Combien de gens à ma place béniraient Votre Majesté pour son indulgence excessive, pour sa faveur dont elle m'accable! Être aimé d'un roi comme Votre Majesté, c'est presque autant que d'être aimé de Dieu.

— Alors tu acceptes: bien! Ne dis rien, si tu tiens à être discret: je prendrai des informations, je ferai faire des démarches. Tu sais ce que j'ai fait pour ton frère; j'en ferai autant pour toi: cent mille écus ne m'arrêteront pas.

Du Bouchage saisit la main du roi et la colla sur ses lèvres.

— Qu'un jour Votre Majesté me demande mon sang, dit-il, et je le verserai jusqu'à la dernière goutte, pour lui prouver combien je lui suis reconnaissant de la protection que je refuse.

Henri III tourna les talons avec dépit.

— En vérité, dit-il, ces Joyeuse sont plus entêtés que des Valois. En voilà un qui va m'apporter tous les jours sa mine longue et ses yeux cerclés de noir: comme ce sera réjouissant! avec cela qu'il y a déjà trop de figures gaies à la cour!

— Oh! sire, qu'à cela ne tienne, s'écria le jeune homme, j'étendrai la fièvre sur mes joues comme un fard joyeux, et tout le monde croira, en me voyant sourire, que je suis le plus heureux des hommes.

— Oui, mais moi, je saurai le contraire, misérable entêté, et cette certitude m'attristera.

— Votre Majesté me permet-elle de me retirer? demanda du Bouchage.

— Oui, mon enfant, va et tâche d'être homme.

Le jeune homme baisa la main du roi, alla saluer la reine-mère, passa fièrement devant d'Épernon, qui ne le saluait pas, et sortit.

A peine eut-il passé le seuil de la porte que le roi cria:

— Fermez, Nambu.

Aussitôt l'huissier auquel cet ordre était adressé proclama dans l'antichambre que le roi ne recevait plus personne.

Alors Henri s'approcha du duc d'Épernon, et lui frappant sur l'épaule:

— Lavalette, lui dit-il, tu feras faire ce soir à tes quarante-cinq une distribution d'argent, et tu leur donneras congé pour toute une nuit et un jour. Je veux qu'ils se réjouissent. Par la messe! ils m'ont sauvé, les drôles, sauvé comme le cheval blanc de Sylla.

— Sauvé! dit Catherine avec étonnement.

— Oui, ma mère.

— Sauvé de quoi?

— Ah! voilà! demandez à d'Épernon.

— Je vous le demande à vous, c'est mieux encore, ce me semble.

— Eh bien! madame, notre très chère cousine, la soeur de votre bon ami M. de Guise… Oh! ne vous en défendez pas, c'est votre bon ami.

Catherine sourit en femme qui dit:

— Il ne comprendra jamais.

Le roi vit le sourire, serra les lèvres et continua:

— La soeur de votre bon ami de Guise m'a fait tendre hier une embuscade.

— Une embuscade?

— Oui, madame; hier j'ai failli être arrêté, assassiné peut-être.

— Par M. Guise? s'écria Catherine.

— Vous n'y croyez pas?

— Non, je l'avoue, dit Catherine.

— D'Épernon, mon ami, pour l'amour de Dieu, contez l'aventure tout au long à madame la reine-mère. Si je parlais moi-même et qu'elle continuât à hausser les épaules comme elle les hausse, je me mettrais en colère, et, ma foi, je n'ai point de santé de reste.

Puis se retournant vers Catherine:

— Adieu, madame, adieu; chérissez M. de Guise tant qu'il vous plaira; j'ai déjà fait rouer M. de Salcède, vous vous le rappelez?

— Sans doute!

— Eh bien! que MM. de Guise fassent comme vous, qu'ils ne l'oublient pas.

Cela dit, le roi haussa les épaules plus haut que sa mère ne les avait haussées, et rentra dans ses appartements, suivi de master Love, qui était forcé de courir pour le suivre.

LVII

PLUMET ROUGE ET PLUMET BLANC

Après être revenu aux hommes, revenons un peu aux choses.

Il était huit heures du soir, et la maison de Robert Briquet toute seule, triste, sans un reflet, profilait sa silhouette triangulaire sur un ciel pommelé, évidemment plus disposé à la pluie qu'au clair de lune.

Cette pauvre maison, dont on sentait que l'âme était sortie, faisait un digne pendant à cette maison mystérieuse dont nous avons déjà eu l'honneur d'entretenir nos lecteurs et qui s'élevait en face d'elle. Les philosophes, qui prétendent que rien ne vit, ne parle, ne sent, comme les choses inanimées, eussent dit, en voyant les deux maisons, qu'elles bâillaient vis à vis l'une de l'autre.

Non loin de là, on entendait un grand bruit d'airain mêlé de voix confuses, de murmures vagues et de glapissements, comme si des corybantes eussent célébré dans un antre les mystères de la bonne déesse.

C'était probablement ce bruit qui attirait à lui un jeune homme au toquet violet, à la plume rouge et au manteau gris, beau cavalier qui s'arrêtait des minutes entières devant ce vacarme, puis revenait lentement, pensif et la tête baissée, vers la maison de maître Robert Briquet.

Or, cette symphonie d'airain choqué, c'était le bruit des casseroles; ces murmures vagues, ceux des marmites bouillant sur les brasiers, et des broches tournant aux pattes des chiens; ces cris, ceux de maître Fournichon, hôte du Fier-Chevalier, occupé du soin de ses fourneaux, et ces glapissements, ceux de dame Fournichon, qui faisait préparer les boudoirs des tourelles.

Quand le jeune homme au toquet violet avait bien regardé le feu, bien respiré le parfum des volailles, bien interrogé les rideaux des fenêtres, il revenait sur ses pas, puis recommençait à examiner encore.

Il y avait cependant, si indépendante que parût sa marche au premier abord, une limite que le promeneur ne franchissait jamais: c'était l'espèce de ruisseau qui coupait la rue devant la maison de Robert Briquet, et aboutissait à la maison mystérieuse.

Mais aussi, il faut le dire, chaque fois que le promeneur arrivait sur cette limite, il y trouvait, comme une sentinelle vigilante, un autre jeune homme du même âge à peu près que lui, au toquet noir à la plume blanche, au manteau violet, qui, le front plissé, l'oeil fixe, la main sur l'épée, semblait dire, semblable au géant Adamastor:

— Tu n'iras pas plus loin sans trouver la tempête.

Le promeneur au plumet rouge, c'est-à-dire le premier que nous avons introduit sur la scène, fit vingt tours à peu près sans rien remarquer de tout cela, tant il était préoccupé. Certainement, il n'était pas sans avoir vu un homme arpentant comme lui la voie publique; mais cet homme était trop bien vêtu pour être un voleur, et jamais l'idée ne lui fût venue de s'inquiéter de rien, sinon de ce qui se faisait au Fier- Chevalier.

Mais l'autre, au contraire, à chaque retour du plumet rouge, fonçait en noir la teinte sombre de son visage; enfin la dose de fluide irrité devint si lourde chez le plumet blanc, qu'elle finit par frapper le plumet rouge et par attirer son attention.

Il leva la tête et lut sur le visage de celui qui se trouvait en face de lui, toute la mauvaise volonté qu'il paraissait éprouver à son égard.

Cela l'induisit naturellement à penser qu'il gênait le jeune homme; puis cette pensée amena le désir de s'informer en quoi il le gênait.

Il se mit en conséquence à regarder attentivement la maison de Robert
Briquet.

Puis de cette maison il passa à celle qui faisait son pendant.

Enfin, lorsqu'il les eut bien regardées l'une et l'autre sans s'inquiéter ou sans paraître s'inquiéter au moins de la façon dont le jeune homme au plumet blanc le regardait, il lui tourna le dos et revint aux rutilants éclairs des fourneaux de maître Fournichon.

Le plumet blanc, heureux d'avoir mis son adversaire en déroute, car il attribuait à déroute le mouvement de volte-face qu'il venait de lui voir faire, le plumet blanc se mit à marcher dans son sens, c'est-à-dire de l'est à l'ouest, tandis que l'autre s'avançait de l'ouest à l'est.

Mais quand chacun d'eux fut arrivé au point qu'il s'était intérieurement marqué pour sa course, il se retourna et revint en droite ligne sur l'autre, et en si droite ligne que, n'eût été le ruisseau, Rubicon nouveau qu'il fallait franchir, ils se fussent heurtés nez à nez tant la précision de la ligne droite avait été scrupuleusement respectée.

Le plumet blanc frisa sa petite moustache avec un mouvement d'impatience visible.

Le plumet rouge prit un air étonné, puis il lança un nouveau regard à la maison mystérieuse.

On eût pu voir alors le plumet blanc faire un pas pour franchir le Rubicon, mais le plumet rouge s'était déjà éloigné: la marche en ligne inverse recommença.

Pendant cinq minutes, on eût pu croire qu'ils ne se rencontreraient qu'aux antipodes; mais bientôt, avec le même instinct et la même précision que la première fois, tous deux se retournèrent en même temps.

Comme deux nuages qui suivent sous des souffles contraires la même zone du ciel, et que l'on voit avancer l'un sur l'autre en déployant leurs flocons noirs, prudentes avant-gardes, les deux promeneurs arrivèrent cette fois en face l'un de l'autre, résolus à se marcher sur les pieds plutôt que de reculer d'un pas.

Plus impatient sans doute que celui qui venait à sa rencontre, le plumet blanc, au lieu de demeurer, comme il avait fait jusque-là, sur la limite du ruisseau, enjamba ledit ruisseau et fit reculer son adversaire, qui, ne se doutant pas de cette agression, et les bras pris sous son manteau, faillit perdre l'équilibre.

— Ah ça! monsieur, dit ce dernier, êtes-vous fou, ou avez-vous l'intention de m'insulter?

— Monsieur, j'ai l'intention de vous faire comprendre que vous me gênez fort; il m'avait même semblé que, sans que j'eusse besoin de vous le dire, vous vous en étiez aperçu.

— Pas le moins du monde, monsieur, car j'ai pour système de ne voir jamais ce que je ne veux pas voir.

[Illustration: Le comte Henri du Bouchage.]

— Il y a cependant certaines choses qui attireraient vos regards, je l'espère, si on les faisait briller à vos yeux.

Et joignant le mouvement à la parole, le jeune homme au plumet blanc se débarrassa de sa cape et tira son épée qui étincela sous un rayon de la lune glissant en ce moment entre deux nuages.

Le plumet rouge resta immobile.

— On dirait, monsieur, répliqua-t-il en haussant les épaules, que vous n'avez jamais mis une lame hors du fourreau, tant vous vous hâtez de la faire sortir contre quelqu'un qui ne se défend pas.

— Non, mais qui se défendra, je l'espère.

Le plumet rouge sourit avec une tranquillité qui doubla l'irritation de son adversaire.

— Pourquoi cela? et quel droit avez-vous de m'empêcher de me promener dans la rue?

— Pourquoi vous y promenez-vous, dans cette rue?

— Parbleu, la belle demande! parce que cela me plaît.

— Ah! cela vous plaît.

— Sans doute; vous vous y promenez bien, vous! avez-vous licence du roi de fouler seul le pavé de la rue de Bussy?

— Que j'aie licence ou non, peu importe.

— Vous vous trompez; il importe beaucoup, au contraire; je suis fidèle sujet de Sa Majesté, et ne voudrais point lui désobéir.

— Ah! vous raillez, je crois!

— Quand cela serait? vous menacez bien, vous!

— Ciel et terre! Je vous dis que vous me gênez, monsieur, et que si vous ne vous éloignez point de bonne volonté, je saurai bien, moi, vous éloigner de force.

— Oh! oh! monsieur, c'est ce qu'il faudra voir.

— Eh! morbleu! c'est ce que je vous dis depuis une heure, voyons.

— Monsieur, j'ai particulièrement affaire dans ce quartier-ci. Vous voilà donc prévenu. Maintenant, si c'est chez vous un absolu désir, j'échangerai volontiers une passe d'épée; mais je ne m'éloignerai pas.

— Monsieur, dit le plumet blanc en faisant siffler son épée et en rassemblant ses deux pieds, comme un homme qui s'apprête à tomber en garde, je me nomme le comte Henri du Bouchage, je suis frère de M. le duc de Joyeuse; une dernière fois, vous plaît-il de me céder le pas et de vous retirer?

— Monsieur, répondit le plumet rouge, je me nomme le vicomte Ernauton de Carmainges; vous ne me gênez pas du tout, et je ne trouve aucunement mauvais que vous demeuriez.

Du Bouchage réfléchit un instant, et remit son épée au fourreau.

— Excusez-moi, monsieur, dit-il, je suis à moitié fou, étant amoureux.

— Et moi aussi, je suis amoureux, répondit Ernauton, mais je ne me crois aucunement fou pour cela.

Henri pâlit.

— Vous êtes amoureux?

— Oui, monsieur.

— Et vous l'avouez?

— Depuis quand est-ce un crime?

— Mais amoureux dans cette rue.

— Pour le moment, oui.

— Au nom du ciel, monsieur, dites-moi qui vous aimez?

— Ah! monsieur du Bouchage, vous n'avez point réfléchi à ce que vous me demandez; vous savez bien qu'un gentilhomme ne peut révéler un secret dont il n'a que la moitié.

— C'est vrai; pardon, monsieur de Carmainges; mais c'est qu'en vérité, nul n'est aussi malheureux que moi sous le ciel.

Il y avait tant de vraie douleur et de désespoir éloquent dans ces quatre mots prononcés par le jeune homme, qu'Ernauton en fut profondément touché.

— O mon Dieu! je comprends, dit-il, vous craignez que nous ne soyons rivaux.

— Je le crains.

— Hum! fit Ernauton. Eh bien! monsieur, je vais être franc.

Joyeuse pâlit et passa sa main sur son front.

— Moi, continua Ernauton, j'ai un rendez-vous.

— Vous avez un rendez-vous?

— Oui, en bonne forme!

— Dans cette rue?

— Dans cette rue.

— Écrit?

— Oui, d'une fort jolie écriture même.

— De femme?

— Non, d'homme.

— D'homme! que voulez-vous dire?

— Mais pas autre chose que ce que je dis. J'ai un rendez-vous avec une femme, d'une assez jolie écriture d'homme; ce n'est pas précisément aussi mystérieux, mais c'est plus élégant; on a un secrétaire, à ce qu'il paraît.

— Ah! murmura Henri, achevez, monsieur, au nom du ciel, achevez.

— Vous me demandez de telle façon, monsieur, que je ne saurais vous refuser. Je vais donc vous dire la teneur du billet.

— J'écoute.

— Vous verrez si c'est la même chose que vous.

— Assez, monsieur, par grâce; moi, l'on ne m'a point donné de rendez- vous, moi, je n'ai pas reçu de billet.

Ernauton tira de sa bourse un petit papier.

— Voilà le billet, monsieur, dit-il, il me serait difficile de vous le lire par cette nuit obscure; mais il est court et je le sais par coeur; vous en rapportez-vous à moi de ne vous point tromper?

— Oh! tout à fait!

— Voici donc les termes dans lesquels il est conçu:

« Monsieur Ernauton, mon secrétaire est par moi chargé de vous dire que j'ai grand désir de causer avec vous une heure; votre mérite m'a touchée. »

— Il y a cela? demanda du Bouchage.

— Ma foi, oui, monsieur, la phrase est même soulignée. Je passe une autre phrase un peu trop flatteuse.

— Et vous êtes attendu?

— C'est-à-dire que j'attends, comme vous voyez.

— Alors on doit vous ouvrir la porte?

— Non, on doit siffler trois fois par la fenêtre.

Henri, tout frémissant, posa une de ses mains sur le bras d'Ernauton, et de l'autre lui montrant la maison mystérieuse:

— De là? demanda-t-il.

— Pas du tout, répondit Ernauton en montrant les tourelles du Fier-
Chevalier
, de là.

Henri poussa un cri de joie.

— Mais vous n'allez donc pas ici? dit-il.

— Eh non! le billet dit positivement: Hôtellerie du Fier-Chevalier.

— Oh! soyez béni, monsieur, dit le jeune homme en lui serrant la main; oh! pardonnez-moi mon incivilité, ma sottise. Hélas! vous le savez, pour l'homme qui aime véritablement, il n'existe qu'une femme, et en vous voyant sans cesse revenir jusqu'à cette maison, j'ai cru que c'était par cette femme que vous étiez attendu.

— Je n'ai rien à vous pardonner, monsieur, dit Ernauton en souriant, car, en vérité, j'ai eu un instant de mon côté l'idée que vous étiez dans cette rue pour le même motif que moi.

— Et vous avez eu cette incroyable patience de ne me rien dire, monsieur!
Oh! vous n'aimez pas, vous n'aimez pas!

— Ma foi, écoutez, je n'ai pas encore grands droits; j'attendais un éclaircissement quelconque avant de me fâcher. Ces grandes dames sont si étranges dans leurs caprices, et une mystification est si amusante!

— Allons, allons, monsieur de Carmainges, vous n'aimez pas comme moi, et cependant….

— Et cependant? répéta Ernauton.

— Et cependant vous êtes plus heureux.

— Ah! l'on est cruel dans cette maison!

— Monsieur de Carmainges, dit Joyeuse, voilà trois mois que j'aime comme un fou celle qui l'habite, et je n'ai pas encore eu le bonheur d'entendre le son de sa voix.

— Diable! vous n'êtes pas avancé. Mais attendez donc.

— Quoi?

— Est-ce qu'on n'a pas sifflé?

— En effet, il me semble avoir entendu.

Les deux jeunes gens écoutèrent, un second coup se fit entendre dans la direction du Fier-Chevalier.

— Monsieur le comte, dit Ernauton, vous m'excuserez de ne pas vous faire plus longue compagnie, mais je crois que voilà mon signal.

Un troisième coup retentit.

— Allez, monsieur, allez, dit Henri, et bonne chance.

Ernauton s'éloigna lestement, et son interlocuteur le vit disparaître dans l'ombre de la rue pour reparaître dans la lumière que jetaient les fenêtres du Fier-Chevalier et disparaître encore.

Quant à lui, plus morne qu'auparavant, car cette espèce de lutte l'avait un instant fait sortir de sa léthargie:

— Allons, dit-il, faisons mon métier accoutumé, frappons comme d'habitude à la porte maudite qui jamais ne s'ouvre.

Et, en disant ces mots, il s'avança chancelant vers la porte de la maison mystérieuse.

LVIII

LA PORTE S'OUVRE

Mais en arrivant à la porte de la maison mystérieuse, le pauvre Henri fut repris de son hésitation habituelle.

— Du courage, se dit-il à lui-même, frappons.

Et il fit encore un pas.

Mais, avant de frapper, il regarda encore une fois derrière lui et vit sur le chemin le reflet brillant des lumières de l'hôtellerie.

— Là-bas, se dit-il, entrent pour l'amour et pour la joie des gens qu'on appelle et qui n'ont pas même désiré; pourquoi n'ai-je pas le coeur tranquille et le sourire insouciant? j'entrerais peut-être là-bas aussi, moi, au lieu d'essayer vainement d'entrer ici.

On entendit la cloche de Saint-Germain-des-Prés qui vibrait mélancoliquement dans les airs.

— Allons, voilà dix heures qui sonnent, murmura Henri

Il mit le pied sur le seuil de la porte et souleva le heurtoir.

— Vie effroyable! murmura-t-il, vie de vieillard. Oh! quel jour pourrais- je donc dire: Belle mort, riante mort, douce tombe, salut!

Il frappa un deuxième coup.

— C'est cela, continua-t-il en écoutant, voilà le bruit de la porte intérieure qui crie, le bruit de l'escalier qui gémit, le bruit du pas qui s'approche: ainsi toujours, toujours la même chose.

Et il frappa une troisième fois.

— Encore ce coup, dit-il, le dernier. C'est cela: le pas devient plus léger, le serviteur regarde au treillis de fer, il voit ma pâle, ma sinistre, mon insupportable figure, puis il s'éloigne sans ouvrir jamais!

La cessation de tout bruit sembla justifier la prédiction du malheureux jeune homme.

— Adieu, maison cruelle; adieu jusqu'à demain, dit-il.

Et, se baissant de manière à ce que son front fût au niveau du seuil de pierre, il y déposa du fond de l'âme un baiser qui fit tressaillir le dur granit, moins dur cependant encore que le coeur des habitants de cette maison.

Puis, comme il avait fait la veille, et comme il comptait faire le lendemain, il se retira.

Mais à peine avait-il fait deux pas en arrière, qu'à sa profonde surprise le verrou grinça dans sa gâche; la porte s'ouvrit, et le serviteur s'inclina profondément.

C'était le même dont nous avons tracé le portrait lors de son entrevue avec Robert Briquet.

— Bonsoir, monsieur, dit-il d'une voix rauque, mais dont le son cependant parut à du Bouchage plus doux que les plus suaves concerts des chérubins qu'on entend dans ces songes d'enfance, où l'on rêve encore du ciel.

Tremblant, éperdu, Henri, qui avait déjà fait dix pas pour s'éloigner, se rapprocha vivement, et, joignant les mains, il chancela si visiblement, que le serviteur le retint pour l'empêcher de tomber sur le seuil; ce que cet homme fit, au reste, avec l'expression visible d'une respectueuse compassion.

[Illustration: Que voulez-vous, Monsieur?— PAGE 129.]

— Voyons, monsieur, dit-il, me voilà; expliquez-moi, je vous prie, ce que vous désirez.

— J'ai tant aimé, répondit le jeune homme, que je ne sais plus si j'aime encore. Mon coeur a tant battu, que je ne puis dire s'il bat toujours.

— Vous plairait-il, monsieur, dit le serviteur avec respect, de vous asseoir là près de moi et de causer?

— Oh! oui.

Le serviteur lui fit un signe de la main.

Henri obéit à ce signe, comme il eût obéi à un signe du roi de France ou de l'empereur romain.

— Parlez, monsieur, dit le serviteur, quand ils furent assis l'un près de l'autre, et dites-moi votre désir.

— Mon ami, répondit du Bouchage, ce n'est pas d'aujourd'hui que nous nous parlons et que nous nous touchons ainsi. Mainte fois, vous le savez, je vous ai attendu et surpris au détour d'une rue; alors je vous ai offert assez d'or pour vous enrichir, quand vous eussiez été le plus avide des hommes; d'autres fois, j'ai essayé de vous intimider; jamais vous ne m'avez écouté, toujours vous m'avez vu souffrir, et cela, sans compatir, visiblement au moins, à mes souffrances. Aujourd'hui, vous me dites de vous parler, vous m'invitez à vous exprimer mon désir: qu'est-il donc arrivé, mou Dieu! et quel nouveau malheur me cache cette condescendance de votre part?

Le serviteur poussa un soupir. Il y avait évidemment un coeur pitoyable sous cette rude enveloppe.

Ce soupir fut entendu de Henri et l'encouragea.

— Vous savez, continua-t-il, que j'aime et comment j'aime; vous m'avez vu poursuivre une femme et la découvrir malgré ses efforts pour se cacher et pour me fuir; jamais, dans mes plus grandes douleurs, une parole amère ne m'est échappée, jamais je n'ai donné suite à ces pensées de violence qui naissent du désespoir et des conseils que nous souffle avec l'ardeur du sang la fougueuse jeunesse.

— C'est vrai, monsieur, dit le serviteur, et en ceci pleine justice vous est rendue par ma maîtresse et par moi.

— Ainsi convenez-en, continua Henri en pressant entre ses mains les mains du vigilant gardien, ainsi ne pouvais-je pas un soir, quand vous me refusiez l'entrée de cette maison, ne pouvais-je pas enfoncer la porte, ainsi que le fait tous les jours le moindre écolier ivre ou amoureux? Alors, ne fût-ce que pour un moment, j'aurais vu cette femme inexorable, je lui eusse parlé.

— C'est vrai encore.

— Enfin, continua le jeune comte, avec une douceur et une tristesse inexprimables, je suis quelque chose en ce monde, mon nom est grand, ma fortune est grande, mon crédit est grand, le roi lui-même, le roi me protège; tout à l'heure encore le roi me conseillait de lui confier mes douleurs, me disait de recourir à lui, m'offrait sa protection.

— Ah! fit le serviteur avec une inquiétude visible.

— Je n'ai point voulu, se hâta de dire le jeune homme; non, non, j'ai tout refusé, tout refusé, pour venir prier à mains jointes de s'ouvrir cette porte qui, je le sais bien, ne s'ouvre jamais.

— Monsieur le comte, vous êtes en effet un coeur loyal et digne d'être aimé.

— Eh bien, interrompit Henri avec un douloureux serrement de coeur, cet homme au coeur loyal, et, de votre avis même, digne d'être aimé, à quoi le condamnez-vous? Chaque matin mon page apporte une lettre, on ne la reçoit même pas; chaque soir je viens heurter à cette porte moi-même, et chaque soir on m'éconduit; enfin on me laisse souffrir, me désoler, mourir dans cette rue, sans avoir pour moi la compassion qu'on aurait pour un pauvre chien qui hurle. Ah! mon ami, je vous le dis, cette femme n'a pas le coeur d'une femme; on n'aime pas un malheureux, soit; ah! mon Dieu! on ne peut pas plus commander à son coeur d'aimer que de lui dire de n'aimer plus. Mais on a pitié d'un malheureux qui souffre, et on lui dit un mot de consolation; mais on plaint un malheureux qui tombe, et on lui tend la main pour le relever; mais non, non, cette femme se complaît avec mon supplice; non, cette femme n'a pas de coeur, elle m'eût tué avec un refus de sa bouche, ou fait tuer avec quelque coup de couteau, avec quelque coup de poignard; mort, au moins, je ne souffrirais plus.

— Monsieur le comte, répondit le serviteur après avoir scrupuleusement écouté tout ce que venait de dire le jeune homme, la dame que vous accusez est loin, croyez-le bien, d'avoir le coeur aussi insensible et surtout aussi cruel que vous le dites; elle souffre plus que vous, car elle vous a vu quelquefois, car elle a compris ce que vous souffrez, et elle ressent pour vous une vive sympathie.

— Oh! de la compassion, de la compassion! s'écria le jeune homme en essuyant la sueur froide qui coulait de ses tempes; oh! vienne le jour où son coeur, que vous vantez, connaîtra l'amour, l'amour tel que je le sens, et si, en échange de cet amour, on lui offre alors de la compassion, je serai bien vengé.

— Monsieur le comte, monsieur le comte, ce n'est pas une raison de n'avoir point aimé que de ne pas répondre à l'amour; cette femme a peut- être connu la passion plus forte que vous ne la connaîtrez jamais, cette femme a peut-être aimé comme jamais vous n'aimerez.

Henri leva les mains au ciel.

— Quand on a aimé ainsi, ou aime toujours! s'écria-t-il.

— Vous ai-je donc dit qu'elle n'aimait plus, monsieur le comte? demanda le serviteur.

Henri poussa un cri douloureux et s'affaissa comme s'il eût été frappé de mort.

— Elle aime! s'écria-t-il, elle aime! ah! mon Dieu! mon Dieu!

— Oui, elle aime; mais ne soyez point jaloux de l'homme qu'elle aime, monsieur le comte; cet homme n'est plus de ce monde. Ma maîtresse est veuve, ajouta le serviteur compatissant, espérant calmer par ces mots la douleur du jeune homme.

Et, en effet, comme par enchantement, ces mots lui rendirent le souffle, la vie et l'espoir.

— Voyons, au nom du ciel, dit-il, ne m'abandonnez pas; elle est veuve, dites-vous, alors elle l'est depuis peu, alors elle verra se tarir la source de ses larmes; elle est veuve, ah! mon ami, elle n'aime personne alors, puisqu'elle aime un cadavre, une ombre, un nom. La mort, c'est moins que l'absence; me dire qu'elle aime un mort, c'est me dire qu'elle m'aimera… Eh! mon Dieu, toutes les grandes douleurs se sont calmées avec le temps. Quand la veuve de Mausole, qui avait juré à la tombe de son époux une douleur éternelle, quand la veuve de Mausole eut épuisé ses larmes, elle fut guérie. Les regrets sont une maladie: quiconque n'est pas emporté dans la crise sort de cette crise plus vigoureux et plus vivace qu'auparavant.

Le serviteur secoua la tête.

— Cette dame, monsieur le comte, répondit-il, comme la veuve du roi Mausole, a juré au mort une éternelle fidélité; mais je la connais, et elle tiendra mieux sa parole que ne l'a fait cette femme oublieuse dont vous me parlez.

— J'attendrai, j'attendrai dix ans s'il le faut! s'écria Henri; Dieu n'a pas permis qu'elle mourût de chagrin ou qu'elle abrégeât violemment ses jours; vous voyez bien que puisqu'elle n'est pas morte, c'est qu'elle peut vivre, et que, puisqu'elle vit, je puis espérer.

— Oh! jeune homme, jeune homme, dit le serviteur avec un accent lugubre, ne comptez pas ainsi avec les sombres pensées des vivants, avec les exigences des morts. Elle a vécu! dites-vous: oui, elle a vécu! non pas un jour, non pas un mois, non pas une année; elle a vécu sept ans. — Joyeuse tressaillit. — Mais savez-vous pourquoi, dans quel but, pour accomplir quelle résolution elle a vécu? Elle se consolera, espérez-vous? Jamais, monsieur le comte, jamais! C'est moi qui vous le dis, c'est moi qui vous le jure, moi, qui n'étais que le très humble serviteur du mort, moi, qui, tant qu'il a vécu, étais une âme pieuse, ardente et pleine d'espérance, et qui, depuis qu'il est mort, suis devenu un coeur endurci; eh bien! moi, moi, qui ne suis que son serviteur, je vous le répète, jamais je ne me consolerai.

— Cet homme tant regretté, interrompit Henri, ce mort bienheureux, ce mari….

— Ce n'était pas le mari, c'était l'amant, monsieur le comte, et une femme comme celle que malheureusement vous aimez n'a qu'un amant dans toute sa vie.

— Mon ami, mon ami! s'écria le jeune homme, effrayé de la majesté sauvage de cet homme à l'esprit élevé, et qui cependant était perdu sous des habits vulgaires, mon ami, je vous en conjure, intercédez pour moi!

— Moi! s'écria-t-il, moi! Écoutez, monsieur le comte, si je vous eusse cru capable d'user de violence envers ma maîtresse, je vous eusse tué, tué de cette main.

Et il tira de dessous son manteau un bras nerveux et viril qui semblait celui d'un homme de vingt-cinq ans à peine, tandis que ses cheveux blanchis et sa taille courbée lui donnaient l'apparence d'un homme de soixante ans.

— Si, au contraire, continua-t-il, j'eusse pu croire que ma maîtresse vous aimât, c'est elle qui serait morte.

Maintenant, monsieur le comte, j'ai dit ce que j'avais à dire, ne cherchez point à m'en faire avouer davantage, car, sur mon honneur, et quoique je ne sois pas gentilhomme, croyez-moi, mon honneur vaut quelque chose, car, sur mon honneur, j'ai dit tout ce que je pouvais avouer.

Henri se leva la mort dans l'âme.

— Je vous remercie, dit-il, d'avoir eu cette compassion pour mes malheurs; maintenant je suis décidé.

— Ainsi, vous serez plus calme à l'avenir, monsieur le comte, ainsi vous vous éloignerez de nous, vous nous laisserez à une destinée pire que la vôtre, croyez-moi.

— Oui, je m'éloignerai de vous, en effet, soyez tranquille, dit le jeune homme, et pour toujours.

— Vous voulez mourir, je vous comprends.

[Illustration: Ernauton attendit un instant; elle ne se retourna point. —
PAGE 130.]

— Pourquoi vous le cacherais-je? je ne puis vivre sans elle, il faut bien que je meure, du moment où je ne la possède pas.

— Monsieur le comte, nous avons bien souvent parlé de la mort avec ma maîtresse; croyez-moi, c'est une mauvaise mort que celle qu'on se donne de sa propre main.

— Aussi, n'est-ce point celle-là que je choisirai; il y a pour un jeune homme de mon nom, de mon âge et de ma fortune, une mort qui de tout temps a été une belle mort, c'est celle que l'on reçoit en défendant son roi et son pays.

— Si vous souffrez au-delà de votre force, si vous ne devez rien à ceux qui vous survivront, si la mort du champ de bataille vous est offerte, mourez, monsieur le comte, mourez; il y a longtemps que je serais mort, moi, si je n'étais condamné à vivre.

— Adieu et merci, répondit Joyeuse en tendant la main au serviteur inconnu. Au revoir dans un autre monde!

Et il s'éloigna rapidement, jetant aux pieds du serviteur, touché de cette douleur profonde, une pesante bourse d'or.

Minuit sonnait à l'église Saint-Germain-des-Prés.

LIX

COMMENT AIMAIT UNE GRANDE DAME EN L'AN DE GRÂCE 1586

Les trois coups de sifflet qui, à intervalles égaux, avaient traversé l'espace, étaient bien ceux qui devaient servir de signal au bienheureux Ernauton.

Aussi, quand le jeune homme fut proche de la maison, il trouva dame Fournichon sur la porte où elle attendait les clients avec un sourire qui la faisait ressembler à une déesse mythologique interprétée par un peintre flamand.

Dame Fournichon maniait encore dans ses grosses mains blanches un écu d'or qu'une autre main aussi blanche, mais plus délicate que la sienne, venait d'y déposer en passant.

Elle regarda Ernauton, et mettant les mains sur ses hanches, remplit la capacité de la porte de manière à rendre tout passage impossible.

Ernauton, de son côté, s'arrêta en homme qui demande à passer.

— Que voulez-vous, monsieur? dit-elle; qui demandez-vous?

— Trois coups de sifflet ne sont-ils point partis tout à l'heure de la fenêtre de cette tourelle, bonne dame?

— Si fait.

— Eh bien! c'est moi que ces trois coups de sifflet appelaient.

— Vous?

— Oui, moi.

— Alors c'est différent, si vous me donnez votre parole d'honneur.

— Foi de gentilhomme, ma chère madame Fournichon.

— En ce cas, je vous crois; entrez, beau cavalier, entrez.

Et, joyeuse d'avoir enfin une de ces clientèles, comme elle les désirait si ardemment pour ce malheureux Rosier-d'Amour qui avait été détrôné par le Fier-Chevalier, l'hôtesse fit monter Ernauton par l'escalier en limaçon qui conduisait à la plus ornée et à la plus discrète de ses tourelles.

Une petite porte, peinte assez vulgairement, donnait accès dans une sorte d'antichambre et de cette antichambre on arrivait dans la tourelle même, meublée, décorée, tapissée avec un peu plus de luxe qu'on n'en eût attendu dans ce coin écarté de Paris; mais, il faut le dire, dame Fournichon avait mis du goût à l'embellissement de cette tourelle, sa favorite, et généralement on réussit dans ce que l'on fait avec amour.

Madame Fournichon avait donc réussi autant qu'il était donné à un assez vulgaire esprit de réussir en pareille matière.

Lorsque le jeune homme entra dans l'antichambre, il sentit une forte odeur de benjoin et d'aloès: c'était un holocauste fait sans doute par la personne un peu trop susceptible, qui, en attendant Ernauton, essayait de combattre, à l'aide de parfums végétaux, les vapeurs culinaires exhalées par la broche et par les casseroles.

Dame Fournichon suivait le jeune homme pas à pas, elle le poussa de l'escalier dans l'antichambre, et de l'antichambre dans la tourelle avec des yeux tout rapetissés par un clignotement anacréontique; puis elle se retira.

Ernauton resta la main droite à la portière, la main gauche au loquet de la porte, et à demi courbé par son salut.

C'est qu'il venait d'apercevoir dans la voluptueuse demi-teinte de la tourelle, éclairée par une seule bougie de cire rosé, une de ces élégantes tournures de femme qui commandent toujours, sinon l'amour, du moins l'attention, quand toutefois ce n'est pas le désir.

Renversée sur des coussins, tout enveloppée de soie et de velours, cette dame, dont le pied mignon pendait à l'extrémité de ce lit de repos, s'occupait de brûler à la bougie le reste d'une petite branche d'aloès dont elle approchait parfois, pour la respirer, la fumée de son visage, emplissant aussi de cette fumée les plis de son capuchon et ses cheveux, comme si elle eût voulu tout entière se pénétrer de l'enivrante vapeur.

A la manière dont elle jeta le reste de la branche au feu, dont elle abaissa sa robe sur son pied et sa coiffe sur son visage masqué, Ernauton s'aperçut qu'elle l'avait entendu entrer et le savait près d'elle.

Cependant, elle ne s'était point retournée.

Ernauton attendit un instant; elle ne se retourna point.

— Madame, dit le jeune homme d'une voix qu'il essaya de rendre douce à force de reconnaissance, madame… vous avez fait appeler votre humble serviteur: le voici.

— Ah! fort bien, dit la dame, asseyez-vous, je vous prie, monsieur
Ernauton.

— Pardon, madame, mais je dois avant toute chose vous remercier de l'honneur que vous me faites.

— Ah! cela est civil, et vous avez raison, monsieur de Carmainges, et cependant vous ne savez pas encore qui vous remerciez, je présume.

— Madame, dit le jeune homme s'approchant par degrés, vous avez le visage caché sous un masque, la main enfouie sous des gants; vous venez, au moment même où j'entrais, vous venez de me dérober la vue d'un pied qui, certes, m'eût rendu fou de toute votre personne; je ne vois rien qui me permette de reconnaître; je ne puis donc que deviner.

— Et vous devinez qui je suis?

— Celle que mon coeur désire, celle que mon imagination fait jeune, belle, puissante et riche, trop riche et trop puissante même, pour que je puisse croire que ce qui m'arrive st bien réel, et que je ne rêve pas en ce moment.

— Avez-vous eu beaucoup de peine à entrer ici? demanda la dame sans répondre directement à ce flot de paroles qui s'échappait du coeur trop plein d'Ernauton.

— Non, madame, l'accès m'en a même été plus facile que je ne l'eusse pensé.

— Pour un homme, tout est facile, c'est vrai; seulement il n'en est pas de même pour une femme.

— Je regrette bien, madame, toute la peine que vous avez prise et dont je ne puis que vous offrir mes bien humbles remercîments.

Mais la dame paraissait déjà avoir passé à une autre pensée.

— Que me disiez-vous, monsieur? fit-elle négligemment en ôtant son gant; pour montrer une adorable main ronde et effilée à la fois.

— Je vous disais, madame, que sans avoir vu vos traits, je sais qui vous êtes, et que, sans crainte de me tromper, je puis vous dire que je vous aime.

— Alors vous croyez pouvoir répondre que je suis bien celle que vous vous attendiez à trouver ici?

— A défaut du regard, mon coeur me le dit.

— Donc, vous me connaissez?

— Je vous connais, oui.

— En vérité, vous, un provincial à peine débarqué, vous connaissez déjà les femmes de Paris?

— Parmi toutes les femmes de Paris, madame, je n'en connais encore qu'une seule.

— Et celle-là, c'est moi?

— Je le crois.

— Et à quoi me reconnaissez vous?

— A votre voix, à votre grâce, à votre beauté.

— A ma voix, je le comprends, je ne puis la déguiser; à ma grâce, je puis prendre le mot pour un compliment; mais à ma beauté, je ne puis admettre la réponse que par hypothèse.

— Pourquoi cela, madame?

— Sans doute; vous me reconnaissez à ma beauté, et ma beauté est voilée.

— Elle l'était moins, madame, le jour où, pour vous faire entrer dans Paris, je vous tins si près de moi, que votre poitrine effleurait mes épaules, et que votre haleine brûlait mon cou.

— Aussi, à la réception de ma lettre, vous avez deviné que c'était de moi qu'il s'agissait.

— Oh! non, non, madame, ne le croyez pas. Je n'ai pas eu un seul instant une pareille pensée. J'ai cru que j'étais le jouet de quelque plaisanterie, la victime de quelque erreur; j'ai pensé que j'étais menacé de quelqu'une de ces catastrophes qu'on appelle des bonnes fortunes, et ce n'est que depuis quelques minutes qu'en vous voyant, en vous touchant….

Et Ernauton fit le geste de prendre une main, qui se retira devant la sienne.

— Assez, dit la dame; le fait est que j'ai commis une insigne folie.

— Et en quoi, madame, je vous prie?

— En quoi! Vous dites que vous me connaissez, et vous me demandez en quoi j'ai fait une folie?

— Oh! c'est vrai, madame, et je suis bien petit, bien obscur auprès de
Votre Altesse.

— Mais, pour Dieu! faites-moi donc le plaisir de vous taire, monsieur.
N'auriez-vous point d'esprit, par hasard?

— Qu'ai-je donc fait, madame, au nom du ciel? demanda Ernauton effrayé.

— Quoi! vous me voyez un masque….

— Eh bien?

— Si je porte un masque, c'est probablement dans l'intention de me déguiser, et vous m'appelez Altesse? Que n'ouvrez-vous la fenêtre et que ne criez-vous mon nom dans la rue!

— Oh! pardon, pardon, fit Ernauton en tombant à genoux, mais je croyais à la discrétion de ces murs.

— Il me paraît que vous êtes crédule?

— Hélas! madame, je suis amoureux! — Et vous êtes convaincu que tout d'abord je réponds à cet amour par un amour pareil?

Ernauton se releva tout piqué.

— Non, madame, répondit-il.

— Et que croyez-vous?

— Je crois que vous avez quelque chose d'important à me dire; que vous n'avez pas voulu me recevoir à l'hôtel de Guise ou dans votre maison de Bel-Esbat, et que vous avez préféré un entretien secret dans un endroit isolé.

— Vous avez cru cela?

— Oui.

— Et que pensez-vous que j'aie eu à vous dire? Voyons, parlez; je ne serais point fâchée d'apprécier votre perspicacité.

Et la dame, sous son insouciance apparente, laissa percer malgré elle une espèce d'inquiétude.

— Mais que sais-je, moi, répondit Ernauton, quelque chose qui ait rapport à M. de Mayenne, par exemple.

— Est-ce que je n'ai pas mes courriers, monsieur, qui demain soir m'en auront dit plus que vous ne pouvez m'en dire, puisque vous m'avez dit, vous, tout ce que vous en saviez?

— Peut-être aussi quelque question à me faire sur l'événement de la nuit passée?

— Ah! quel événement, et de quoi parlez-vous? demanda la dame, dont le sein palpitait visiblement.

— Mais de la panique éprouvée par M. d'Épernon, de l'arrestation de ces gentilshommes lorrains.

— On a arrêté des gentilshommes lorrains?

— Une vingtaine, qui se sont trouvés intempestivement sur la route de
Vincennes.

— Qui est aussi la route de Soissons, — ville où M. de Guise tient garnison, ce me semble. — Ah! au fait, monsieur Ernauton, vous qui êtes de la cour, vous pourriez me dire pourquoi l'on a arrêté ces gentilshommes.

— Moi, de la cour?

— Sans doute.

— Vous savez cela, madame?

— Dame! pour avoir votre adresse, il m'a bien fallu prendre des renseignements, des informations. Mais finissez vos phrases, pour l'amour de Dieu! Vous avez une déplorable habitude, celle de croiser la conversation; et qu'est-il résulté de cette échauffourée?

— Absolument rien, madame, que je sache du moins.

— Alors pourquoi avez-vous pensé que je parlerais d'une chose qui n'a pas eu de résultat?

— J'ai tort cette fois comme les autres, madame, et j'avoue mon tort.

— Comment, monsieur, mais de quel pays êtes-vous?

— D'Agen?

— Comment, monsieur, vous êtes Gascon, car Agen est en Gascogne, je crois?

— A peu près.

— Vous êtes Gascon, et vous n'êtes pas assez vain pour supposer tout simplement que, vous ayant vu, le jour de l'exécution de Salcède, à la porte Saint-Antoine, je vous ai trouvé de galante tournure?

Ernauton rougit et se troubla. La dame continua imperturbablement:

— Que je vous ai rencontré dans la rue, et que je vous ai trouvé beau? Ernauton devint pourpre. — Qu'enfin, porteur d'un message de mon frère Mayenne, vous êtes venu chez moi, et que je vous ai trouvé fort à mon goût? — Madame, madame, je ne pense pas cela, Dieu m'en garde. — Et vous avez tort, répliqua la dame, en se retournant vers Ernauton pour la première fois, et en arrêtant sur ses yeux deux yeux flamboyants sous le masque, tandis qu'elle déployait, sous le regard haletant du jeune homme, la séduction d'une taille cambrée, se profilant en lignes arrondies et voluptueuses sur le velours des coussins. Ernauton joignit les mains. — Madame! madame! s'écria-t-il, vous raillez-vous de moi? — Ma foi, non! reprit-elle du même ton dégagé; je dis que vous m'avez plu, et c'est la vérité. — Mon Dieu! — Mais vous-même, n'avez-vous pas osé me déclarer que vous m'aimiez? — Mais quand je vous ai déclaré cela, je ne savais pas qui vous étiez, madame, et maintenant que je le sais, oh! je vous demande bien humblement pardon. — Allons, voilà maintenant qu'il déraisonne, murmura la dame avec impatience. Mais restez donc ce que vous êtes, monsieur, dites donc ce que vous pensez, ou vous me ferez regretter d'être venue. Ernauton tomba à genoux. — Parlez, madame, dit-il, parlez, que je me persuade que tout ceci n'est point un jeu, et peut-être oserai-je enfin vous répondre. — Soit. Voici mes projets sur vous, dit la dame en repoussant Ernauton, tandis qu'elle arrangeait symétriquement les plis de sa robe. J'ai du goût pour vous, mais je ne vous connais pas encore. Je n'ai pas l'habitude de résister à mes fantaisies, mais je n'ai pas la sottise de commettre des erreurs. Si nous eussions été égaux, je vous eusse reçu chez moi et étudié à mon aise avant que vous eussiez même soupçonné mes intentions à votre égard. La chose était impossible; il a fallu s'arranger autrement et brusquer l'entrevue. Maintenant vous savez à quoi vous en tenir sur moi. Devenez digne de moi, c'est tout ce que je vous recommande.

Ernauton se confondit en protestations.

— Oh! moins de chaleur, monsieur de Carmainges, je vous prie, dit la dame avec nonchalance: ce n'est pas la peine. Peut-être est-ce votre nom seulement qui m'a frappée la première fois que nous nous rencontrâmes, et qui m'a plu. Après tout, je crois bien décidément que je n'ai pour vous qu'un caprice et que cela se passera. Cependant n'allez pas vous croire trop loin de la perfection et désespérer. Je ne peux pas souffrir les gens parfaits. Oh! j'adore les gens dévoués, par exemple. Retenez bien ceci, je vous le permets, beau cavalier. Ernauton était hors de lui. Ce langage hautain, ces gestes pleins de volupté et de mollesse, cette orgueilleuse supériorité, cet abandon vis-à-vis de lui enfin, d'une personne aussi illustre, le plongeaient à la fois dans les délices et dans les terreurs les plus extrêmes. Il s'assit près de sa belle et fière maîtresse, qui le laissa faire, puis il essaya de passer son bras derrière les coussins qui la soutenaient. — Monsieur, dit-elle, il paraît que vous m'avez entendue, mais que vous ne m'avez pas comprise. Pas de familiarité, je vous prie; restons chacun à notre place. Il est sûr qu'un jour je vous donnerai le droit de me nommer vôtre, mais ce droit, vous ne l'avez pas encore.

Ernauton se releva pâle et dépité.

— Excusez-moi, madame, dit-il. Il parait que je ne fais que des sottises; cela est tout simple: je ne suis point fait encore aux habitudes de Paris. Chez nous, en province, à deux cents lieues d'ici, cela est vrai, une femme, lorsqu'elle dit: « J'aime, » aime et ne se refuse pas. Elle ne prend point le prétexte de ses paroles pour humilier un homme à ses pieds. C'est votre usage comme Parisienne, c'est votre droit comme princesse. J'accepte tout cela. Seulement, que voulez-vous, l'habitude me manquait, l'habitude me viendra.

La dame écouta en silence. Il était visible qu'elle continuait d'observer attentivement Ernauton, pour savoir si son dépit aboutirait à une réelle colère.

— Ah! ah! vous vous fâchez, je crois, dit-elle superbement.

— Je me fâche, en effet, madame, mais c'est contre moi-même, car j'ai pour vous, moi, madame, non pas un caprice passager, mais de l'amour, un amour très véritable et très pur. Je ne cherche pas votre personne, car je vous désirerais, s'il en était ainsi: voilà tout; mais je cherche à obtenir votre coeur. Aussi ne me pardonnerai-je jamais, madame, d'avoir aujourd'hui par des impertinences compromis le respect que je vous dois, respect que je ne changerai en amour, madame, qu'alors que vous me l'ordonnerez.

Trouvez bon seulement, madame, qu'à partir de ce moment j'attende vos ordres.

— Allons, allons, dit la dame, n'exagérons rien, monsieur de Carmainges: voilà que vous êtes tout glacé après avoir été tout de flammes.

— Il me semble, cependant, madame….

— Eh! monsieur, ne dites donc jamais à une femme que vous l'aimerez comme vous voudrez, c'est maladroit; montrez-lui que vous l'aimerez comme elle voudra, à la bonne heure!

— C'est ce que j'ai dit, madame.

— Oui, mais c'est ce que vous ne pensez pas.

— Je m'incline devant votre supériorité, madame.

— Trêve de politesses, il me répugnerait de faire ici la reine. Tenez, voici ma main, prenez-la, c'est celle d'une simple femme: seulement elle est plus brûlante et plus animée que la vôtre.

Ernauton prit respectueusement cette belle main.

— Eh bien! dit la duchesse.

— Eh bien?

— Vous ne la baisez pas? êtes-vous fou? et avez-vous juré de me mettre en fureur?

— Mais, tout à l'heure….

— Tout à l'heure je vous la retirais, tandis que maintenant….

— Maintenant?

— Eh! maintenant je vous la donne.

Ernauton baisa la main avec tant d'obéissance, qu'on la lui retira aussitôt.

— Vous voyez bien, dit le jeune homme encore une leçon!

— J'ai donc eu tort?

— Assurément, vous me faites bondir d'un extrême à l'autre; la crainte finira par tuer la passion. Je continuerai de vous adorer à genoux, c'est vrai; mais je n'aurai pour vous ni amour ni confiance.

— Oh! je ne veux pas de cela, dit la dame d'un ton enjoué, car vous seriez un triste amant, et ce n'est point ainsi que je les aime, je vous en préviens. Non, restez naturel, restez vous, soyez monsieur Ernauton de Carmainges, pas autre chose. J'ai mes manies. Eh! mon Dieu, ne m'avez-vous pas dit que j'étais belle? Toute belle femme a ses manies: respectez-en beaucoup, brusquez-en quelques-unes, ne me craignez pas surtout, et quand je dirai au trop bouillant Ernauton: Calmez-vous, qu'il consulte mes yeux, jamais ma voix. A ces mots elle se leva.

Il était temps: le jeune homme, rendu à son délire, l'avait saisie entre ses bras, et le masque de la duchesse effleura un instant les lèvres d'Ernauton; mais ce fut alors qu'elle prouva la profonde vérité de ce qu'elle avait dit, car, à travers son masque, ses yeux lancèrent un éclair froid et blanc comme le sinistre avant-coureur des orages.

Ce regard imposa tellement à Carmainges, qu'il laissa tomber ses bras et que tout son feu s'éteignit.

— Allons, dit la duchesse, c'est bien, nous nous reverrons. Décidément, vous me plaisez, monsieur de Carmainges.

Ernauton s'inclina.

— Quand êtes-vous libre? demanda-t-elle négligemment.

— Hélas! assez rarement, madame, répondit Ernauton.

— Ah! oui, je comprends, ce service est fatigant, n'est-ce pas?

— Quel service?

— Mais celui que vous faites près du roi. Est-ce que vous n'êtes pas d'une garde quelconque de Sa Majesté?

— C'est-à-dire madame, que je fais partie d'un corps de gentilshommes.

— C'est cela que je veux dire; et ces gentilshommes sont Gascons, je crois?

— Tous, oui, madame.

— Combien sont-ils donc? on me l'a dit, je l'ai oublié.

— Quarante-cinq.

— Quel singulier compte?

— Cela s'est trouvé ainsi.

— Est-ce un calcul?

— Je ne crois pas; le hasard se sera chargé de l'addition.

— Et ces quarante-cinq gentilshommes ne quittent pas le roi, dites-vous?

— Je n'ai point dit que nous ne quittions point Sa Majesté, madame.

— Ah! pardon, je croyais vous l'avoir entendu dire. Au moins disiez-vous que vous aviez peu de liberté.

— C'est vrai, j'ai peu de liberté, madame, parce que, le jour, nous sommes de service pour les sorties de Sa Majesté ou pour ses chasses, et que, le soir, on nous consigne au Louvre.

— Le soir?

— Oui.

— Tous les soirs?

— Presque tous.

— Voyez donc ce qui fût arrivé, si ce soir, par exemple, cette consigne vous avait retenu! Moi, qui vous attendais, moi, qui eusse ignoré le motif qui vous empêchait de venir, n'aurais-je pas pu croire que mes avances étaient méprisées?

— Ah! madame, maintenant, pour vous voir, je risquerai tout, je vous jure.

— C'est inutile et ce serait absurde, je ne le veux pas.

— Mais alors?

— Faites votre service; c'est à moi de m'arranger là-dessus, moi, qui suis toujours libre et maîtresse de ma vie.

— Oh! que de bontés, madame!

— Mais tout cela ne m'explique pas, continua la duchesse avec son insinuant sourire, comment, ce soir, vous vous êtes trouvé libre et comment vous êtes venu.

— Ce soir, madame, j'avais médité déjà de demander une permission à M. de Loignac, notre capitaine, qui me veut du bien, quand l'ordre est venu de donner toute la nuit aux quarante-cinq.

— Ah! cet ordre est venu?

— Oui.

— Et à quel propos cette bonne chance?

— Comme récompense, je crois, madame, d'un service assez fatigant que nous avons fait hier à Vincennes.

— Ah! fort bien, dit la duchesse.

— Ainsi, voilà à quelle circonstance je dois, madame, le bonheur de vous voir ce soir tout à mon aise.

— Eh bien! écoutez, Carmainges, dit la duchesse avec une douce familiarité qui emplit de joie le coeur du jeune homme; voici ce que vous allez faire: chaque fois que vous croirez être libre, prévenez l'hôtesse par un billet; tous les jours un homme à moi passera chez elle.

— Oh! mon Dieu! mais c'est trop de bonté, madame.

La duchesse posa sa main sur le bras d'Ernauton.

— Attendez donc, dit-elle.

— Qu'y a-t-il, madame?

— Ce bruit, d'où vient-il?

En effet, un bruit d'éperons, de voix, de portes heurtées, d'exclamations joyeuses, montait de la salle d'en bas, comme l'écho d'une invasion.

Ernauton passa sa tête par la porte qui donnait dans l'antichambre.

— Ce sont mes compagnons, dit-il, qui viennent ici fêter le congé que leur a donné M. de Loignac.

— Mais par quel hasard ici, justement en cette hôtellerie où nous sommes?

— Parce que c'est justement au Fier-Chevalier, madame, que le rendez- vous d'arrivée a été donné, parce que, de ce jour bienheureux de leur entrée dans la capitale, mes compagnons ont pris en affection le vin et les pâtés de maître Fournichon, et quelques-uns même les tourelles de madame.

— Oh! fit la duchesse avec un malicieux sourire, vous parlez bien expertement, monsieur, de ces tourelles.

— C'est la première fois, sur mon honneur, qu'il m'arrive d'y pénétrer, madame. Mais vous, vous qui les avez choisies? osa-t-il dire.

— J'ai choisi, et vous allez comprendre facilement cela; j'ai choisi le lieu le plus désert de Paris, un endroit près de la rivière, près du grand rempart, un endroit où personne ne peut me reconnaître, ni soupçonner que je puisse aller; mais, mon Dieu! qu'ils sont donc bruyants, vos compagnons, ajouta la duchesse.

En effet, le vacarme de l'entrée devenait un infernal ouragan; le bruit des exploits de la veille, les forfanteries, le bruit des écus d'or et le cliquetis des verres, présageaient l'orage au grand complet.

Tout à coup on entendit un bruit de pas dans le petit escalier qui conduisait à la tourelle, et la voix de dame Fournichon cria d'en bas:

— Monsieur de Sainte-Maline! monsieur de Sainte-Maline!

— Eh bien? répondit la voix du jeune homme.

— N'allez pas là haut, monsieur de Sainte-Maline, je vous en supplie.

— Bon! et pourquoi pas, chère dame Fournichon? toute la maison n'est-elle pas à nous, ce soir?

— Toute la maison, soit, mais pas les tourelles.

— Bah! les tourelles sont de la maison, crièrent cinq ou six autres voix, parmi lesquelles Ernauton reconnut celles de Perducas de Pincorney et d'Eustache de Miradoux.

— Non, les tourelles n'en sont pas, continuait dame Fournichon, les tourelles font exception, les tourelles sont à moi; ne dérangez pas mes locataires.

— Madame Fournichon, dit Sainte-Maline, je suis votre locataire aussi, moi, ne me dérangez donc pas.

— Sainte-Maline! murmura Ernauton inquiet, car il connaissait les mauvais penchants et l'audace de cet homme.

— Mais, par grâce! répéta madame Fournichon.

— Madame Fournichon, dit Sainte-Maline, il est minuit; à neuf heures, tous les feux doivent être éteints, et je vois un feu dans votre tourelle; il n'y a que les mauvais serviteurs du roi qui transgressent les édits du roi; je veux connaître quels sont ces mauvais serviteurs.

Et Sainte-Maline continua d'avancer, suivi de plusieurs Gascons, dont les pas s'emboîtaient dans les siens.

— Mon Dieu! s'écria la duchesse, mon Dieu! monsieur de Carmainges, est-ce que ces gens-là oseraient entrer ici?

— En tout cas, madame, s'ils osaient, je suis là, et je puis vous dire d'avance, madame: n'ayez aucune crainte.

— Oh! mais ils enfoncent les portes, monsieur.

En effet, Sainte-Maline, trop avancé pour reculer maintenant, heurtait si violemment à cette porte, qu'elle se brisa en deux: elle était d'un sapin que madame Fournichon n'avait pas jugé à propos d'éprouver, elle dont le respect pour les amours allait jusqu'au fanatisme.

LX

COMMENT SAINTE-MALINE ENTRA DANS LA TOURELLE ET DE CE QUI S'ENSUIVIT

Le premier soin d'Ernauton, lorsqu'il vit la porte de l'antichambre se fendre sous les coups de Sainte-Maline, fut de souffler la bougie qui éclairait la tourelle.

Cette précaution, qui pouvait être bonne, mais qui n'était que momentanée, ne rassurait cependant pas la duchesse, lorsque tout à coup dame Fournichon, qui avait épuisé toutes ses ressources, eut recours à un dernier moyen et se mit à crier:

— Monsieur de Sainte-Maline, je vous préviens que les personnes que vous troublez sont de vos amis: la nécessité me force à vous l'avouer.

— Eh bien! raison de plus pour que nous leur présentions nos compliments, dit Perducas de Pincorney d'une voix avinée, et trébuchant derrière Sainte-Maline sur la dernière marche de l'escalier.

— Et quels sont ces amis, voyons? dit Sainte-Maline.

— Oui, voyons-les, voyons-les, cria Eustache de Miradoux.

La bonne hôtesse, espérant toujours prévenir une collision qui pouvait, tout en honorant le Fier-Chevalier, faire le plus grand tort au Rosier- d'Amour, monta au milieu des rangs pressés des gentilshommes, et glissa tout bas le nom d'Ernauton à l'oreille de son agresseur.

— Ernauton! répéta tout haut Sainte-Maline, pour qui cette révélation était de l'huile au lieu d'eau jetée sur le feu, Ernauton! ce n'est pas possible.

— Et pourquoi, cela? demanda madame Fournichon.

— Et pourquoi cela? répétèrent plusieurs voix.

— Eh! parbleu! dit Sainte-Maline, parce que Ernauton est un modèle de chasteté, un exemple de continence, un composé de toutes les vertus. Non, non, vous vous trompez, dame Fournichon, ce n'est point M. de Carmainges qui est enfermé là-dedans.

Et il s'approcha vers la seconde porte pour en faire autant qu'il avait fait de la première, quand tout à coup cette porte s'ouvrit, et Ernauton parut debout sur le seuil, avec un visage qui n'annonçait point que la patience fût une de ces vertus qu'il pratiquait si religieusement, au dire de Sainte-Maline.

— De quel droit M. de Sainte-Maline a-t-il brisé cette première porte? demanda-t-il; et, ayant déjà brisé celle-là, veut-il encore briser celle- ci?

— Eh! c'est lui, en réalité, c'est Ernauton! s'écria Sainte-Maline; je reconnais sa voix, car, quant à sa personne, le diable m'emporte si je pourrais dire dans l'obscurité de quelle couleur elle est.

— Vous ne répondez pas à ma question, monsieur, réitéra Ernauton.

[Illustration: Je l'entends encore murmurer: « Venge-moi! » — PAGE 146.]

Sainte-Maline se mit à rire bruyamment, ce qui rassura ceux des quarante- cinq qui, à la voix grosse de menaces qu'ils venaient d'entendre, avaient jugé qu'il était prudent de descendre à tout hasard deux marches de l'escalier.

— C'est à vous que je parle, monsieur de Sainte-Maline, m'entendez-vous? s'écria Ernauton.

— Oui, monsieur, parfaitement, répondit celui-ci.

— Alors qu'avez-vous à dire?

— J'ai à dire, mon cher compagnon, que nous voulions savoir si c'était vous qui habitiez cette hôtellerie des amours.

— Eh bien maintenant, monsieur, que vous avez pu vous assurer que c'était moi, puisque je vous parle et qu'au besoin je pourrais vous toucher, laissez-moi en repos.

— Cap-de-Diou! dit Sainte-Maline, vous ne vous êtes pas fait ermite et vous ne l'habitez pas seul, je suppose.

— Quant à cela, monsieur, vous me permettrez de vous laisser dans le doute, en supposant que vous y soyez.

— Ah! bah! continua Sainte-Maline en s'efforçant de pénétrer dans la tourelle, est-ce que vraiment vous seriez seul? Ah! vous êtes sans lumière, bravo!

— Allons, messieurs, dit Ernauton d'un ton hautain, j'admets que vous soyez ivres, et je vous pardonne; mais il y a un terme même à la patience que l'on doit à des hommes hors de leur bon sens; les plaisanteries sont épuisées, n'est-ce pas? faites-moi donc le plaisir de vous retirer.

Malheureusement Sainte-Maline était dans un de ses accès de méchanceté envieuse.

— Oh! oh! nous retirer, dit-il, comme vous nous dites cela, monsieur
Ernauton!

— Je vous dis cela de façon à ce que vous ne vous trompiez pas à mon désir, monsieur de Sainte-Maline, et, s'il le faut même, je le répète: retirez-vous, messieurs, je vous en prie.

— Oh! pas avant que vous ne nous ayez admis à l'honneur de saluer la personne pour laquelle vous désertez notre compagnie.

A cette insistance de Sainte-Maline, le cercle prêt à se rompre se reforma autour de lui.

— Monsieur de Montcrabeau, dit Sainte-Maline avec autorité, descendez, et remontez avec une bougie.

— Monsieur de Montcrabeau, s'écria Ernauton, si vous faites cela, souvenez-vous que vous m'offensez personnellement.

Montcrabeau hésita, tant il y avait de menaces dans la voix du jeune homme.

— Bon! répliqua Sainte-Maline, nous avons notre serment, et M. de Carmainges est si religieux en discipline qu'il ne voudra pas l'enfreindre; nous ne pouvons tirer l'épée les uns contre les autres; ainsi éclairez. Montcrabeau, éclairez.

Montcrabeau descendit, et, cinq minutes après, remonta avec une bougie qu'il voulut remettre à Sainte-Maline.

— Non pas, non pas, dit celui-ci, gardez, je vais peut-être avoir besoin de mes deux mains.

Et Sainte-Maline fit un pas en avant pour pénétrer dans la tourelle.

— Je vous prends à témoin, tous tant que vous êtes ici, dit Ernauton, qu'on m'insulte indignement et qu'on me fait violence sans motifs, et qu'en conséquence, — Ernauton tira vivement son épée, et qu'en conséquence j'enfonce cette épée dans la poitrine du premier qui fera un pas en avant.

Sainte-Maline, furieux, voulut mettre aussi l'épée à la main, mais il n'avait pas encore dégainé à moitié, qu'il vit briller sur sa poitrine la pointe de l'épée d'Ernauton.

Or, comme en ce moment il faisait un pas en avant, sans que M. de Carmainges eût besoin de se fendre, ou de pousser le bras, Sainte-Maline sentit le froid du fer, et recula en délire, comme un taureau blessé.

Alors, Ernauton fit en avant un pas égal au pas de retraite que faisait Sainte-Maline, et l'épée se retrouva menaçante sur la poitrine de ce dernier.

Sainte-Maline pâlit: si Ernauton s'était fendu, il le clouait à la muraille.

Il repoussa lentement son épée au fourreau.

— Vous mériteriez mille morts pour votre insolence, monsieur, dit Ernauton; mais le serment dont vous me parliez tout à l'heure me lie, et je ne vous toucherai pas davantage; laissez-moi le chemin libre.

Il fit un pas en arrière pour voir si l'on obéirait.

Et avec un geste suprême, qui eût fait honneur à un roi:

— Au large, messieurs, dit-il; venez, madame, je réponds de tout.

On vit alors apparaître au seuil de la tourelle une femme dont la tête était couverte d'une coiffe, dont le visage était couvert d'un voile, et qui prit toute tremblante le bras d'Ernauton.

Alors le jeune homme remit son épée au fourreau, et comme s'il était sûr de n'avoir plus rien à craindre, il traversa fièrement l'antichambre peuplée de ses compagnons inquiets et curieux à la fois.

Sainte-Maline, dont le fer avait légèrement effleuré la poitrine, avait reculé jusque sur le palier, tout étouffant de l'affront mérité qu'il venait de recevoir devant ses compagnons et devant la dame inconnue.

Il comprit que tout se réunissait contre lui, rieurs et hommes sérieux, si les choses demeuraient entre lui et Ernauton dans l'état où elles étaient; cette conviction le poussa à une dernière extrémité.

Il tira sa dague au moment où Carmainges passait devant lui.

Avait-il l'intention de frapper Carmainges? avait-il l'intention de faire ce qu'il fit? voilà ce qu'il serait impossible d'éclaircir sans avoir lu dans la ténébreuse pensée de cet homme, où lui-même peut-être ne pouvait lire dans ses moments de colère.

Toujours est-il que son bras s'abattit sur le couple, et que la lame de son poignard, au lieu d'entamer la poitrine d'Ernauton, fendit la coiffe de soie de la duchesse, et trancha un des cordons du masque.

Le masque tomba à terre.

Le mouvement de Sainte-Maline avait été si prompt, que, dans l'ombre, nul n'avait pu s'en rendre compte, nul n'avait pu s'y opposer.

La duchesse jeta un cri. Son masque l'abandonnait et, le long de son col, elle avait senti glisser le dos arrondi de la lame, qui cependant ne l'avait pas blessée.

Sainte-Maline eut donc, tandis qu'Ernauton s'inquiétait de ce cri poussé par la duchesse, tout le temps de ramasser le masque et de le lui rendre, de sorte qu'à la lueur de la bougie de Montcrabeau, il put voir le visage de la jeune femme, que rien ne protégeait.

— Ah! ah! dit-il de sa voix railleuse et insolente: c'est la belle dame de la litière: mes compliments, Ernauton, vous allez vite en besogne.

Ernauton s'arrêtait et avait déjà tiré à moitié du fourreau son épée, qu'il se repentait d'y avoir remise, lorsque la duchesse l'entraîna par les degrés en lui disant tout bas:

— Venez, venez, je vous en supplie, monsieur de Carmainges.

— Je vous reverrai, monsieur de Sainte-Maline, dit Ernauton en s'éloignant, et soyez tranquille, vous me paierez cette lâcheté avec les autres.

— Bien, bien! fit Sainte-Maline, tenez votre compte de votre côté; je tiens le mien; nous les réglerons tous deux un jour.

Carmainges entendit, mais ne se retourna même point, il était tout entier à la duchesse.

Arrivé au bas de l'escalier, personne ne s'opposa plus à son passage; ceux des quarante-cinq qui n'avaient pas monté l'escalier blâmaient sans doute tout bas la violence de leurs camarades.

Ernauton conduisit la duchesse à sa litière gardée par deux serviteurs.

Arrivée là et se sentant en sûreté, la duchesse serra la main de
Carmainges et lui dit:

— Monsieur Ernauton, après ce qui vient de se passer, après l'insulte dont, malgré votre courage, vous n'avez pu me défendre, et qui ne manquerait pas de se renouveler, nous ne pouvons plus revenir ici; cherchez, je vous prie, dans les environs, quelque maison à vendre ou à louer en totalité; avant peu, soyez tranquille, vous recevrez de mes nouvelles.

— Dois-je prendre congé de vous, madame? dit Ernauton, en s'inclinant en signe d'obéissance aux ordres qui venaient de lui être donnés, et qui étaient trop flatteurs à son amour-propre pour qu'il les discutât.

— Pas encore, monsieur de Carmainges, pas encore; suivez ma litière jusqu'au nouveau pont, dans la crainte que ce misérable, qui m'a reconnue pour la dame de la litière, mais qui ne m'a point reconnue pour ce que je suis, ne marche derrière nous et ne découvre ainsi ma demeure.

Ernauton obéit, mais personne ne les espionna.

Arrivée au pont Neuf, qui alors méritait ce nom, puisqu'il y avait à peine sept ans que l'architecte Ducerceau l'avait jeté sur la Seine, arrivée au pont Neuf, la duchesse tendit la main aux lèvres d'Ernauton en lui disant:

— Allez, maintenant, monsieur.

— Oserai-je vous demander quand je vous reverrai, madame?

— Cela dépend de la hâte que vous mettrez à faire ma commission, et cette hâte me sera une preuve du plus ou du moins de désir que vous aurez de me revoir.

— Oh! madame, en ce cas, rapportez-vous-en à moi.

— C'est bien, allez, mon chevalier.

Et la duchesse donna une seconde fois sa main à baiser à Ernauton, puis s'éloigna.

— C'est étrange, en vérité, dit le jeune homme revenant sur ses pas, cette femme a du goût pour moi, je n'en puis douter, et elle ne s'inquiète pas le moins du monde si je puis ou non être tué par ce coupe-jarret de Sainte-Maline.

Et un léger mouvement d'épaules prouva que le jeune homme estimait cette insouciance à sa valeur.

Puis revenant sur ce premier sentiment qui n'avait rien de flatteur pour son amour-propre:

— Oh! poursuivit-il, c'est qu'en effet elle était bien troublée, la pauvre femme, et que la crainte d'être compromise est, chez les princesses surtout, le plus fort de tous les sentiments.

Car, ajoutait-il en souriant à lui-même, elle est princesse.

Et comme ce dernier sentiment était le plus flatteur pour lui, ce fut ce dernier sentiment qui l'emporta.

Mais ce sentiment ne put effacer chez Carmainges le souvenir de l'insulte qui lui avait été faite; il retourna donc droit à l'hôtellerie, pour ne laisser à personne le droit de supposer qu'il avait eu peur des suites que pourrait avoir cette affaire.

Il était naturellement décidé à enfreindre toutes les consignes et tous les serments possibles, et à en finir avec Sainte-Maline au premier mot qu'il dirait ou au premier geste qu'il se permettrait de faire.

L'amour et l'amour-propre blessés du même coup lui donnaient une rage de bravoure qui lui eût certainement, dans l'état d'exaltation où il était, permis de lutter avec dix hommes.

Cette résolution étincelait dans ses yeux, lorsqu'il toucha le seuil de l'hôtellerie du Fier-Chevalier.

Madame Fournichon, qui attendait ce retour avec anxiété, se tenait toute tremblante sur le seuil.

A la vue d'Ernauton, elle s'essuya les yeux, comme si elle avait abondamment pleuré, et jetant ses deux bras au cou du jeune homme, elle lui demanda pardon, malgré tous les efforts de son mari, qui prétendait que, n'ayant aucun tort, sa femme n'avait aucun pardon à demander.

La bonne hôtelière n'était point assez désagréable pour que Carmainges, eût-il à se plaindre d'elle, lui tînt obstinément rancune; il assura donc dame Fournichon qu'il n'avait contre elle aucun levain de rancune, et que son vin seul était coupable.

Ce fut un avis que le mari parut comprendre, et dont par un signe de tête il remercia Ernauton.

Pendant que ces choses se passaient à la porte, tout le monde était à table, et l'on causait chaleureusement de l'événement qui faisait sans contredit le point culminant de la soirée.

Beaucoup donnaient tort à Sainte-Maline avec cette franchise qui est le principal caractère des Gascons lorsqu'ils causent entre eux.

Plusieurs s'abstenaient, voyant le sourcil froncé de leur compagnon et sa lèvre crispée par une réflexion profonde.

Au reste on n'en attaquait point avec moins d'enthousiasme le souper de maître Fournichon, mais on philosophait en l'attaquant, voilà tout.

— Quant à moi, disait tout haut M. Hector de Biran, je sais que M. de
Sainte-Maline est dans son tort, et que si je me fusse appelé un instant
Ernauton de Carmainges; M. de Sainte-Maline serait à cette heure couché
sous cette table au lieu d'être assis devant.

Sainte-Maline leva la tête et regarda Hector de Biran.

— Je dis ce que je dis, répondit celui-ci, et tenez, voilà là-bas sur le seuil de la porte quelqu'un qui paraît être de mon avis.

Tous les regards se tournèrent vers l'endroit indiqué par le jeune gentilhomme, et l'on aperçut Carmainges, pâle et debout dans le cadre formé par la porte.

A cette vue qui semblait une apparition, chacun sentit un frisson lui courir par tout le corps.

Ernauton descendit du seuil, comme eût fait la statue du commandeur de son piédestal, et marcha droit à Sainte-Maline, sans provocation réelle, mais avec une fermeté qui fit battre plus d'un coeur.

A cette vue, de toutes parts on cria à M. de Carmainges:

— Venez par ici, Ernauton; venez de ce côté, Carmainges, il y a une place près de moi.

— Merci, répondit le jeune homme, c'est près de M. de Sainte-Maline que je veux m'asseoir.

Sainte-Maline se leva; tous les yeux étaient fixés sur lui.

Mais, dans le mouvement qu'il fit en se levant, sa figure changea complètement d'expression.

— Je vais vous faire la place que vous désirez, monsieur, dit-il sans colère, et en vous la faisant, je vous adresserai des excuses bien franches et bien sincères, pour ma stupide agression de tout à l'heure; j'étais ivre, vous l'avez dit vous-même; pardonnez-moi.

[Illustration: Il ramena le seau plein d'une eau glacée. — PAGE 148.]

Cette déclaration, faite au milieu du silence général, ne satisfit point Ernauton, quoiqu'il fût évident que pas une syllabe n'en avait été perdue pour les quarante-trois convives, qui regardaient avec anxiété de quelle façon se terminerait cette scène.

Mais aux dernières paroles de Sainte-Maline, les cris de joie de ses compagnons montrèrent à Ernauton qu'il devait paraître satisfait, et qu'il était pleinement vengé.

Son bon sens le força donc à se taire.

En même temps, un regard jeté sur Sainte-Maline lui indiquait qu'il devait se défier de lui plus que jamais.

— Ce misérable est brave, cependant, se dit tout bas Ernauton, et s'il cède en ce moment, c'est par suite de quelque odieuse combinaison qui le satisfait davantage.

Le verre de Sainte-Maline était plein; il remplit celui d'Ernauton.

— Allons, allons! la paix, la paix! crièrent toutes les voix: à la réconciliation de Carmainges et de Sainte-Maline!

Carmainges profita du choc des verres et du bruit de toutes les voix, et se penchant vers Sainte-Maline, avec le sourire sur les lèvres pour qu'on ne pût soupçonner le sens des paroles qu'il lui adressait:

— Monsieur de Sainte-Maline, lui dit-il, voilà la seconde fois que vous m'insultez sans m'en faire réparation; prenez garde: à la troisième offense, je vous tuerai comme un chien.

— Faites, monsieur, si vous trouvez votre belle, répondit Sainte-Maline, car, foi de gentilhomme, à votre place, j'en ferais autant que vous.

Et les deux ennemis mortels choquèrent leurs verres, comme eussent pu faire les deux meilleurs amis.

Chargement de la publicité...