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Les Romans de la Table Ronde (4/ 5): Mis en nouveau langage et accompagnés de recherches sur l'origine et le caractère de ces grandes compositions

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LXXXV.

Morgain, rentrée en possession de son prisonnier, insista longtemps encore pour obtenir l'anneau de Lancelot; mais voyant enfin que les prières ne servaient de rien, elle eut recours à ses artifices ordinaires. Nous avons dit qu'elle avait une bague presque en tout semblable à celle de la reine, si ce n'est que sous la bague de Morgain, les deux figures se tenaient par les mains. Quand donc elle désespéra d'avoir l'anneau de bon gré, elle feignit de ne l'avoir demandé que pour éprouver Lancelot. En réalité, disait-elle, elle y tenait le moins du monde. Elle prit une herbe appelée sospite et la trempa dans un vin fort. Ainsi préparée, celui qui vient à la porter à ses lèvres tombe aussitôt dans un profond sommeil. Elle la lui présenta, un soir, au lieu de vin du coucher, en ayant soin de placer à son chevet l'oreiller sur lequel il s'était endormi quand on l'avait transporté dans sa prison. Lancelot vida la coupe et ferma les yeux: aussitôt Morgain ôta facilement l'anneau de la reine, et le remplaça par celui qu'elle portait elle-même. Le lendemain matin, elle tira l'oreiller et Lancelot se réveilla, sans soupçonner comment on l'avait endormi. Pour être plus sûre qu'il ne s'apercevait pas de l'échange, elle fit souvent passer sous ses yeux l'anneau de la reine; il ne parut pas y faire attention. Cela fait, elle ourdit la plus noire méchanceté qui jamais soit entrée dans la pensée d'une femme.

La plus sûre, la plus adroite de ses demoiselles eut ordre de se rendre à Londres, comme Artus y célébrait la grande fête de Pentecôte. Quand cette demoiselle se présenta devant le roi, il était assis sur une couche avec la reine, messire Gauvain et Galehaut. Tous parlaient de Lancelot et de leur impatience de savoir ce qu'il était devenu.

Dès que la demoiselle fut introduite, elle annonça qu'elle venait de par Lancelot, et qu'elle était chargée d'un message dont elle devait s'acquitter en présence de tous les chevaliers et dames de la maison du roi et du la reine. Le roi, charmé de ces premières paroles, se hâta d'avertir les barons, dames et demoiselles. Quand la réunion fut complète, la pucelle parla ainsi:

«Sire, avant tout, j'ai besoin d'être assurée que je n'aurai rien à craindre de personne; car ce que j'ai mission de dire pourra bien ne pas plaire à tout le monde.—Vous êtes assurée de plein droit, répond Artus: ceux qui viennent à ma cour sont toujours en ma garde. Parlez.

«—Sire, Lancelot mande salut à vous comme à son droit seigneur, et à tous ses compagnons de la Table ronde. Il vous prie de lui pardonner, comme à celui que vous ne devez jamais revoir.»

À ces mots, Galehaut sentit un froid de glace traverser son cœur; il eut peine à se soutenir. La reine en fut tellement troublée qu'elle se leva pâle et tremblante: elle ne voulait plus en entendre davantage; mais la demoiselle en la voyant sortir dit: «Sire, si vous souffrez que la reine s'éloigne, vous ne saurez rien: je ne dirai plus un mot.» Le roi pria donc messire Gauvain d'aller demander à la reine de revenir, et messire Gauvain rentra bientôt avec elle.

«Sire, reprit la demoiselle, quand Lancelot partit de la Tour douloureuse, il eut à combattre un des meilleurs chevaliers du monde, et fut percé d'un glaive à travers le corps. Il perdit beaucoup de sang, il se crut en danger de mourir. Alors il demanda un prêtre et confessa, en sanglotant, l'horrible péché qu'il avait, dit-il, commis envers son droit seigneur. Ce péché était de lui avoir enlevé le cœur de sa femme épousée. Après avoir fait publiquement cet aveu, il prit devant le Corps-Dieu l'engagement de ne jamais coucher plus d'une nuit en ville; d'aller toujours pieds nus et en langes; enfin de ne jamais pendre écu à son cou. Pour qu'on ne doutât pas de sa résolution, il m'a chargé de rappeler à messire Gauvain ce qu'il lui avait dit en quittant la Tour douloureuse: qu'on ne devait rien craindre pour lui, et qu'il s'en allait en lieu sûr.»

Messire Gauvain se souvint de ces paroles de Lancelot et baissa la tête de douleur. Pour Lionel, il n'avait pas attendu les derniers mots de la demoiselle, et s'était élancé furieux vers elle: il l'aurait apparemment foulée des pieds et des mains si Galehaut ne l'eût arrêté et empêché de toucher une personne en la garde du roi. «Qu'elle sache au moins, s'écria Lionel, que si je la puis tenir hors d'ici, il n'y a pas de roi ou de reine qui m'empêche de châtier ses indignes médisances.—Ainsi, fait la demoiselle, j'aurai dans le roi un mauvais garant!—Ne craignez rien, répond Galehaut, je vous prends comme le roi en ma garde, vous pouvez continuer: qui voudra vous croire vous croie!

«—Voilà, reprit la pucelle, ce que Lancelot m'a chargée de vous dire. Et à vous, compagnons de la Table ronde, il recommande de ne pas l'imiter et de vous garder mieux qu'il n'a fait de honnir votre droit seigneur. J'apporte d'ailleurs une seconde preuve de la sincérité de mon message. Reine, il vous renvoie l'anneau que vous lui aviez donné comme gage d'amour et de complet abandon.» Et elle jeta l'anneau dans le giron de la reine.

La reine regarde froidement, se lève et dit: «En effet, cet anneau est le mien: je l'avais donné à Lancelot avec d'autres drueries[89]. Et je veux bien que tout le monde sache que je l'ai donné comme dame loyale à loyal chevalier. Mais, sire, croyez bien que si nous avions ressenti l'amour charnel dont parle cette demoiselle, je connais assez la grandeur d'âme de Lancelot et sa fermeté de cœur pour être assurée qu'on lui eût arraché la langue avant de lui faire dire ce que vous venez d'entendre. Il est vrai qu'en reconnaissance de tout ce qu'il a fait pour moi, je lui donnai mon amour, mon cœur, et tout ce que je pouvais loyalement donner. Je dirai plus encore: si, par violence d'amour, il se fût oublié jusqu'à me demander au delà de ce que je pouvais donner, je ne l'en aurais pas éconduit. Qui voudra m'en blâmer le fasse! Mais quelle dame au monde, Lancelot ayant autant fait pour elle, lui eût refusé ce qu'il était en son pouvoir d'accorder? Lancelot, sire, ne vous a-t-il pas conservé par sa prouesse votre terre et vos honneurs? N'a-t-il pas fait tomber à vos pieds Galehaut que je vois ici, et qui déjà avait triomphé de vous? Quand par jugement de votre cour je fus injustement condamnée à la mort, n'a-t-il pas aussitôt offert, pour me sauver, de combattre seul contre trois chevaliers? Il a conquis la Douloureuse garde; il a mis à mort le plus cruel et le plus fort chevalier du monde, pour nous rendre Gauvain, messire Yvain et le duc de Clarence. Devant Kamalot il a délivré le pays de deux, géants qui en étaient la terreur; il est le non-pair des chevaliers; toutes les bontés qui peuvent être dans un homme mortel sont en Lancelot, aimable et doux pour tous, le plus beau que Nature ait jamais formé. Comme il osait dire paroles plus fières et plus hautes que personne, il osait entreprendre et savait achever les plus surprenants hauts-faits. Que dirai-je de plus? Je ne cesserais pas de louer Lancelot que je ne dirais pas encore tous les biens qui sont en lui. Par mon chef! je ne crains pas qu'on le sache: l'eussé-je aimé de sensuel amour, je n'en serais pas honteuse; et s'il était mort, je consentirais à lui accorder ce que vient d'avancer cette femme, à la condition de lui rendre la vie.»

Ainsi parla la reine, et le roi qui ne semblait pas lui en savoir mauvais gré reprit: «Dame, laissez ce propos: je suis persuadé que Lancelot ne pensa jamais rien de ce qu'on vient de dire. D'ailleurs, il ne pourra jamais rien penser, dire ou faire qui m'empêche d'être son ami. Il est bien vrai que la vilaine action qu'on lui attribuait tout à l'heure serait pour moi grand sujet de douleur; mais que tous mes hommes le sachent: je voudrais, reine, qu'il vous eût épousée, si tel était votre commun désir, à la seule condition de conserver sa compagnie.» Tout en parlant, il tendit la main à la reine que suffoquaient déjà les larmes et les sanglots. Elle demanda la liberté de sortir, et le roi chargea messire Yvain de la conduire. De son côté, la demoiselle de Morgain s'éloignait en tremblant de peur. Galehaut prit aussitôt congé du roi, en déclarant qu'il ne voulait pas coucher en ville plus d'une nuit avant d'avoir nouvelles de Lancelot. Mais il ne pouvait s'éloigner de la cour sans voir la reine. Il la trouva dans le plus grand désespoir, non de ce qui venait d'arriver, mais de la crainte que Lancelot n'eût cessé de vivre. «Ah Galehaut! s'écria-t-elle en le voyant, votre compagnon est assurément mort ou hors de sens: autrement, aurait-il jamais quitté cet anneau! Mais s'il avait chargé cette femme de venir conter à la cour ce qu'elle a fait entendre, Lancelot n'aurait jamais mon amour; et s'il est mort, le mal est plus grand pour moi que pour lui; car on ne meurt pas de douleur.—De grâce, madame, ne parlez pas ainsi. Vous connaissez le cœur de Lancelot, et vous n'auriez d'autre témoignage de sa loyauté que l'aventure du Val des faux amants, qu'il vous serait interdit de le soupçonner. Je vais en quête de lui; je reviendrai dès que j'aurai la preuve assurée de sa mort ou de sa vie.—Qui doit aller avec vous?—Lionel que voici.» La reine les baise tous les deux et leur donne congé. Galehaut renvoie tous ses hommes en Sorelois et ne garde avec Lionel que quatre écuyers chargés du pavillon. En sortant de Londres, ils font rencontre de messire Gauvain, et lui avouent qu'ils entreprennent la quête de Lancelot et ne reviendront qu'après avoir appris s'il est mort ou vivant. Mess. Gauvain déclare aussitôt qu'il les accompagnera, et qu'avant de savoir des nouvelles de Lancelot, il ne reparaîtra pas dans la maison du roi son oncle. Les voilà donc chevauchant de compagnie. Bientôt ils rejoignent messire Yvain que le roi chargeait de conduire la demoiselle de Morgain. Galehaut s'empresse de demander à celle-ci ce qu'elle savait de Lancelot. «Rien, répond-elle.—Mais, dit Lionel, nous direz-vous où vous l'avez laissé?—Volontiers.» Et elle nomme un lieu imaginaire où jamais Lancelot n'était passé.—«En tout cas, reprend Lionel, je ne vous quitte pas et je saurai au moins d'où vous êtes venue.—J'en serai charmée: sous la conduite d'aussi preux chevaliers, je n'aurai pas à craindre de mauvaises rencontres.»

Le jour baissait; ils se trouvèrent devant une bretèche fermée de fossés et de palissades. On ouvrit à la demoiselle, les chevaliers la suivirent. Le maître de la maison était absent; à son défaut la dame leur fit grand accueil: un grand manger leur fut préparé. Pendant qu'ils faisaient honneur aux mets, la demoiselle fit secrètement conduire son palefroi au delà des fossés par un valet de la maison et s'éloigna doucement sans prévenir les chevaliers. Elle arriva le matin à la retraite de Morgain et lui apprit le mauvais succès de son message. «Le roi, dit-elle, n'avait rien voulu entendre contre l'honneur de la reine: la reine avait franchement avoué et reconnu, sans qu'on parût lui en savoir mauvais gré, qu'elle aimait Lancelot autant qu'elle pouvait aimer.»

LXXXVI.

Cependant les quatre compagnons apprenaient, en se réveillant le lendemain, la fuite de la perfide pucelle. Lionel voulait se venger sur la dame qui les avait hébergés; mais Galehaut sut lui persuader que leur hôtesse pouvait être dans l'ignorance des intentions de la demoiselle. Ils partirent de grand matin, avec l'espoir de la retrouver aisément: ils ne conservèrent pas longtemps cette illusion, et par le conseil de messire Yvain, ils se séparèrent à l'entrée d'un carrefour, pour qu'au moins l'un d'eux pût toucher au but qu'ils poursuivaient. Nous allons les accompagner tour à tour.

Pour commencer par Galehaut, il passa la nuit suivante au logis d'un forestier. Le lendemain il arriva devant une forte maison[90], et vit dames et chevaliers formant de joyeuses danses autour d'un écu suspendu à la branche d'un pin. En passant devant cet écu, les danseurs s'inclinaient comme devant un sanctuaire. Galehaut le reconnut pour avoir été porté par Lancelot quand il vint au secours du roi, devant le Pas-félon. Un chevalier de certain âge semblait conduire les autres; il va le saluer, et lui demande pourquoi l'on faisait tant d'honneur à cet écu? «Sire, répond-il, parce qu'il a appartenu au meilleur chevalier du monde. Nous lui devons la délivrance de ce château aujourd'hui nommé Ascalon l'enjoué, et que des ténèbres attristaient; nous témoignons ainsi de notre reconnaissance pour celui qui nous a rendus à la lumière du jour.»

Galehaut ayant remercié le vavasseur tend le bras jusqu'à la branche où pendait l'écu, le prend et le passe à l'un de ses écuyers. «Comment! sire chevalier, dit le vavasseur, pensez-vous emporter cet écu?—J'aimerais mieux mourir que le laisser.—Vous mourrez donc, car nous avons ici quarante chevaliers pour le défendre.» Galehaut ne répond pas et poursuit son chemin jusqu'à l'entrée de la forêt. Là, dix chevaliers arrêtent son cheval et le défient. «Sire, lui dit alors le valet auquel il avait remis l'écu, veuillez me faire chevalier, je vous aiderai dans ce pressant besoin.—Non, répond Galehaut. J'aurais honte de te donner la colée pour un tel motif. Je t'armerai plus tard et avec plus d'honneur; tu vas voir si j'ai besoin d'aide.» En effet, de son premier coup, il abat celui qui le tenait de plus court; il passe son épée dans la gorge du second; il en affronte quatre ensemble, puis six, puis dix qui, l'un après l'autre, vident les arçons. Enfin un des derniers venus profite du moment où il levait le bras, frappe sur son haubert et passe le fer tranchant entre ses deux mamelles. Galehaut resta ferme sur les arçons et, plus irrité par le sang qui sortait de sa blessure, il arrache le fer de lance retenu dans les mailles, brandit sa bonne épée et fait voler la tête de celui qui l'avait percé. Il tenait les autres en respect, quand le vieux vavasseur admirant sa prouesse paraît au milieu des assaillants et leur fait poser les armes: «À la male heure soit le glorieux écu, dit-il, s'il cause la mort d'un aussi preux vassal!»

Ils s'arrêtent; Galehaut se fait désarmer et bander sa plaie. Le vavasseur l'ayant conjuré de dire son nom. «On m'appelle Galehaut.—Galehaut, grand Dieu! Que ne suis-je mort avant d'avoir vu navrer le meilleur des bons, le preux des preux! Pour Dieu! sire, veuillez attendre dans le château que votre plaie soit fermée. Vous avez droit avant nous de garder l'écu du bon chevalier votre compain. Disposez de notre maison comme il vous plaira.—Grands mercis! mais je ne puis demeurer. Dites-moi si vous savez quelque chose de la vie ou de la mort de Lancelot.—Le bruit de sa mort est venu jusqu'à nous; nous espérons qu'il n'en est rien: mais nous ignorons le lieu de sa retraite.»

Galehaut recommanda le vavasseur à Dieu et s'éloigna, assez content de ce qu'il avait entendu. Arrivé dans un fond découvert, il entendit les grelots d'un troupeau de vaches et s'approcha des bouviers, tous vêtus de livrée religieuse[91]. Il les salue et leur demande si leur maison est éloignée. Un d'entre eux monte une jument et le conduit jusqu'à la porte. Il appelle, on ouvre; les religieux accueillent Galehaut avec honneur. Parmi eux se trouvait un ancien chevalier maintenant rendu, habile à guérir les plaies. Il demande à visiter la blessure du chevalier: quand elle est examinée, il assure qu'elle se fermera avec le temps et un repos absolu. Galehaut consentant à rester quelques jours auprès d'eux va nous permettre de passer à la quête de messire Gauvain.

Elle fut encore moins heureuse que celle de Galehaut. Après avoir longtemps chevauché sans aventure, et passé la nuit en forêt sous le pavillon que ses écuyers étendirent, il s'était éveillé le lendemain de bonne heure. Vers le milieu du jour, un samedi, il aperçoit, à l'entrée d'une chaussée pratiquée sur un marais fangeux, un chevalier armé de toutes armes qui lui ferme le passage en déclarant qu'il gardait le lieu au nom de Morgain. Gauvain le laisse approcher et le porte facilement à terre. Le vaincu jette un grand cri: «Ha! je suis mort. Pour Dieu, merci, Chevalier! veuillez me rendre mon cheval; autrement je ne pourrai regagner mon logis.» Gauvain descend, attache son cheval à un arbre voisin, et veut bien ramener l'autre au chevalier navré qu'il aide à remonter. Comme il allait remonter lui-même, le glouton accourt sur lui et le frappe du poitrail de son cheval assez rudement pour l'étendre à terre tout de son long. Messire Gauvain furieux se relève et court à lui l'épée à la main; mais désespérant de l'atteindre, il revient à son cheval et veut traverser le marais pour continuer sa poursuite. Or la fange était profonde et à demi séchée; le cheval pose le pied dans une crevasse et tombe dans la boue sur messire Gauvain qu'il blesse gravement. Pour comble de disgrâce, l'indigne chevalier, qui de loin le voit tomber, revient et pousse vers lui son cheval, le foule à quatre ou cinq reprises et l'eût tout à fait écrasé sans l'arrivée d'un autre chevalier qui les avait suivis des yeux et venait en aide à celui qui ne pouvait se défendre. L'autre en le voyant approcher prend la fuite, emmenant le cheval de messire Gauvain: mais enfin pour éviter d'être poursuivi, il abandonna le coursier.

Le bon chevalier revint à mess. Gauvain qui avait grand besoin d'aide. Il le relève, le prend entre ses bras et le reconnaît. «Ah! messire Gauvain, dit-il, êtes-vous gravement blessé?» Gauvain le regarde et le reconnaît à son tour. «Non, doux et bon cousin; je crois que j'en guérirai, mais je souffre beaucoup.» Yvain l'aide à remonter; d'un pas lent ils arrivent devant un cimetière. Un ermite agenouillé laisse ses oraisons en les voyant approcher, et messire Yvain lui demande où ils pourront trouver un hôtel. «Puisque l'un de vous est malade, je vous hébergerai. Veuillez me suivre jusqu'à notre ermitage; il n'est pas éloigné.» En arrivant, le bon homme les présente aux deux compagnons de sa pieuse retraite; puis il va prévenir le prêtre qui avait fondé cet asile. Quand il sut le nom des deux étrangers: «Sire, dit le saint homme, je ne puis féliciter de preux chevaliers tels que vous de sortir tout armés, un haut jour de samedi. Aucun bien ne vous en pouvait venir et l'on doit toujours s'en garder pour l'amour de la mère de Dieu». Gauvain approuva ces paroles et promit de ne jamais chevaucher armé à pareil jour, sauf nécessité et le soin de son honneur. Ils restèrent quelques journées dans cet ermitage, mess. Yvain ne voulant pas quitter mess. Gauvain avant son entière guérison.

Ce même jour où, comme on a vu, Galehaut blessé avait été recueilli dans une autre maison de religion, Lionel s'était arrêté chez un vavasseur à peu de distance de là. Avant de prendre congé de son hôte, il lui demanda où il pourrait entendre la messe. Le vavasseur le conduisit à la religion de Galahaut: un des frères, au sortir de l'office ayant appris qu'il venait de la cour du roi Artus, lui dit: «Sire, nous avons ici un preux chevalier, le plus grand que nous ayons jamais vu, et comme vous de la maison du roi.—Ce doit être messire Galehaut,» pensa Lionel. Il s'informe et apprend que les plaies du chevalier n'étaient pas mortelles. Rassuré sur ce point, il ne veut pas le voir, honteux de n'avoir à lui raconter aucune prouesse; il se contente de recommander aux religieux le grand chevalier blessé et se remet à la voie. En passant d'une haute forêt dans un taillis, («une basse broce»), il fait rencontre d'une demoiselle qui démenait un grand deuil. «Demoiselle, dit-il; pourquoi pleurez-vous?—Et vous, pourquoi paraissez-vous affligé?—J'en ai grandement raison.—Moi, plus encore; mais quelle, est votre raison?—Je suis en quête du meilleur et du plus beau chevalier de son âge; personne ne peut m'en donner nouvelles. Je crains qu'il n'ait été victime d'une trahison.—Nommez-le-moi; peut-être pourrai-je vous en dire quelque chose.—C'est Lancelot du Lac.—Lancelot? il est mort.» À ce mot, Lionel n'a pas la force de se soutenir: il glisse de son cheval, presque sans connaissance. «Mais au moins, dit-il, savez-vous où l'on a transporté son corps?—Oui, c'est à deux lieues d'ici, et je veux bien vous y conduire.» Aussitôt, Lionel remonte et suit la demoiselle jusqu'à l'entrée d'un cimetière. Sur chacune des fosses était une belle croix de bois. Elle lui indique celle qui était le plus fraîchement recouverte. C'est là, dit la demoiselle, que repose Lancelot du Lac, mis à mort par le plus félon des chevaliers.» Lionel regarde, immobile de douleur: la demoiselle semble partager son désespoir: ils répandent une abondance de larmes. Dès qu'il put parler: «Demoiselle, où pourrai-je trouver le meurtrier de Lancelot?—Dans une bretèche voisine que vous pouvez même apercevoir: Je sais un moyen de le faire sortir.» Elle prend un cor suspendu par une chaîne à l'une des croix et le tend à Lionel qui en tire trois sons éclatants.

Bientôt paraît un chevalier armé de toutes armes sur un grand et fort cheval. «Voilà, dit la demoiselle, le meurtrier de votre compain.» Lionel s'élance sur lui; ils s'entre-donnent force coups sur les écus, leurs glaives volent en éclats; ils se heurtent, et se malmènent: les écus se fendent, les épées échappent de leurs mains, leurs genoux sont à découvert et rouges de sang; enfin ils tombent des arçons et restent quelque temps sans pouvoir se relever. Lionel le premier se redresse, reprend son épée et, l'écu sur la tête, court au chevalier déjà remis en garde et qui se défend du mieux qu'il peut. D'un grand coup sur le heaume Lionel le fait retomber; il se relève encore, tourne, revient, esquive et frappe avec une vitesse, une sûreté dont Lionel commence à s'inquiéter.

Enfin, l'inconnu paraît exténué; le sang qu'il a perdu ne lui permet plus de continuer à se défendre; Lionel le presse de plus en plus et l'étend sur une tombe plate; déjà il posait un genou sur sa poitrine, il avait abattu le heaume et détaché la ventaille pour lui couper la tête, quand il voit arriver une seconde demoiselle qui lui crie: «Merci! gentil chevalier, épargnez-le, pour Dieu d'abord, pour moi ensuite, à moins qu'il n'ait trop méfait.—Il a commis le plus grand des méfaits: il a donné la mort à Lancelot, le meilleur des chevaliers.—Lancelot? En vérité, je l'ai vu sain et en bon point aujourd'hui même, assez près d'ici.—Demoiselle, je vous croirai quand vous me l'aurez montré; et si vous avez dit vrai, votre ami ne mourra pas.—Il vivra donc, fait-elle, car je vais vous faire voir Lancelot, à une condition cependant: c'est que vous ne vous montrerez pas; autrement j'en aurai la honte et vous la mort.»

Lionel permit au vaincu de se relever. Avant de quitter le cimetière, il demanda à la première demoiselle pourquoi elle avait accusé ce chevalier d'avoir occis Lancelot. «Je ne sais, répond-elle, qui est Lancelot; je ne voulais qu'être vengée du meurtrier de l'homme que j'aimais le plus au monde.» Lionel tout à fait rassuré suivit la seconde demoiselle, en ordonnant de les accompagner au chevalier outré qu'on appelait Aucaire[92] du Cimetière. À l'extrémité d'une belle lande s'élevait un grand chêne: la demoiselle les arrête et avertit Lionel de monter sur les hautes branches. Il se dresse sur les arçons, gagne de là la cime de l'arbre. Il aperçoit alors dix sergents, armés de haches et d'épées, qui sortaient d'une cour pour entrer dans un riant et vert préau. Au milieu d'eux était Lancelot. «Surtout, dit la demoiselle, ne paraissez pas; il y va de la vie de votre cousin. Vous avez vu ce que vous désiriez; j'ai tenu ma promesse, tenez la vôtre en faisant votre paix avec ce preux chevalier.» Lionel en descendant tendit la main à Aucaire et lui donna congé. Il alla passer la nuit dans un hermitage assez voisin de là, et, le lendemain, après avoir entendu la messe, la demoiselle le ramena à la religion où séjournaient encore Galehaut et messire Yvain.

Ne demandez pas si la joie fut grande de ces deux chevaliers en apprenant de Lionel qu'il avait vu Lancelot. Galehaut n'était pas encore bien guéri de ses plaies, mais il ne voulut pas demeurer plus longtemps. Lionel et lui remontèrent avec l'espoir de retrouver le chêne et les lieux où Lancelot était retenu. Toutes leurs recherches furent inutiles. Après avoir parcouru la contrée dans tous les sens, Galehaut prit le parti de retourner en Sorelois. Il voyait approcher le terme que maître Helie lui avait prédit, et voulait se préparer au grand passage. Nous reviendrons une dernière fois à lui après vous avoir dit ce qu'il en était de Lancelot et de messire Gauvain.

Le grand dépit de Morgain était de ne pouvoir rendre Lancelot infidèle à la reine. Elle lui offrait la liberté, sous la condition de ne jamais reparaître à la cour du roi; et Lancelot prévoyant qu'il ne pourrait tenir un tel engagement, aimait mieux mourir en prison. Une nuit elle lui fit présenter un vin chaud fortement épicé dont les fumées devaient lui porter au cerveau. Quand il fut endormi, il crut voir la reine couchée dans un riche pavillon au milieu d'une verte prairie. Un jeune chevalier reposait près d'elle. Dans un transport de rage causé par cette vision, il courait à son épée pour en percer le chevalier. Et la reine lui disait: «Qu'allez-vous faire Lancelot? Laissez ce chevalier, je l'aime; il est à moi, je suis à lui. Ne soyez jamais assez hardi pour venir où je serai, tant votre compagnie m'est devenue déplaisante.»

Telle était la force de l'enchantement qu'en se levant, Lancelot crut encore voir le pavillon et le lit. Morgain avait eu soin de placer à portée son épée qu'elle avait tirée du fourreau; si bien qu'il ne douta pas de la réalité de ce qu'il avait songé. Le lendemain elle arrive de grand matin, et regardant l'épée: «Quoi Lancelot! dit-elle, voulez-vous donc vous parjurer et sortir de céans?—Non. Mais vous m'avez souvent posé un jeu parti; j'ai fait mon choix. Je n'entrerai pas d'une année dans la maison du roi; je ne resterai pas une seule heure de jour dans la compagnie de chevalier, dame ou demoiselle de la cour.» Morgain, ravie de l'entendre ainsi parler, reçut son serment, elle fit apporter ses vêtements, ses armes, et lui donna congé. Ainsi fut-il affranchi de la prison qu'elle lui avait fait tenir, en haine de la reine Genièvre.

Il était libre depuis quelques jours, quand messire Gauvain et messire Yvain quittèrent leur maison de religion. Ils passèrent de la forêt dans une grande prairie où leurs yeux furent captivés par un grand tournoi. Cinq cents chevaliers y prenaient part. Ils approchent et remarquent un jouteur qui se faisait redouter entre tous. Ils le voient vingt fois refouler les plus grands et les plus forts, puis se mettre à l'écart pour voir ce que feraient sans lui les chevaliers de son parti. Les autres reprenaient alors courage et revenaient à la charge; mais dès que le bon chevalier reparaissait, l'épouvante les reprenait et l'avantage revenait au parti opposé.

Après l'avoir vu plusieurs fois quitter ainsi la lice et revenir. «En vérité, pensa mess. Gauvain, ce chevalier est de merveilleuse prouesse; il n'y a que Lancelot que j'aie jamais vu exploiter de cette façon.»

Un écuyer arrive alors vers eux: «Seigneurs, leur dit-il, pourquoi ne rompez-vous pas une lance?—C'est que nous pensions le nombre des jouteurs déterminé[93].—Nullement, qui veut tournoyer ici le peut faire; il ne court d'autre danger que la perte de son cheval et de sa liberté.—Dites-moi, reprend messire Gauvain, quel est ce chevalier qui le fait si bien?—Je ne le connais pas: vous pouvez voir seulement qu'il porte au cou un écu noir.»

Alors, les deux cousins entrèrent en lice: ils allèrent soutenir le parti opposé au preux chevalier et trouvèrent assez à faire. Mais à compter de ce moment ils restèrent maîtres du terrain, bien qu'au jugement de tous, le chevalier à l'écu noir eût mérité le prix des mieux faisants. Soit ou non le dépit de voir la victoire échapper aux siens, il s'était éloigné sans attendre qu'on le proclamât vainqueur. Arrivé dans la forêt et se croyant seul, il jeta son écu sur la voie; mais messire Gauvain et messire Yvain ne l'avaient pas perdu de vue; ils avaient suivi ses traces. «En vérité de Dieu, disait messire Gauvain, ce ne peut être que Lancelot.—Je le crois comme vous, dit messire Yvain; voyez-vous l'écu qu'il a abandonné? Reprenons-le; l'arme d'un tel chevalier ne doit pas être laissée au premier venu.»

Ils le rejoignirent à l'entrée de la forêt, comme il avait déjà déposé son heaume et attaché son cheval à un arbre. C'était en effet Lancelot. Il avait le cœur oppressé, les yeux inondés de larmes. Les deux fils de roi descendent, courent à lui les bras tendus et le baisent mille fois. «Beau doux compain, dit messire Gauvain, que vous est-il arrivé? parlez; ne pouvez-vous être consolé?—Mes amis, dites à tous ceux qui ne m'oublient pas que je suis sain de corps, mais que mon cœur a tous les malaises que puisse avoir cœur d'homme. Je ne dois pas, sans me parjurer, jouir une seule heure de votre compagnie ni reparaître dans la maison du roi Artus. Éloignez-vous donc, ou souffrez que je vous laisse moi-même.—S'il en est ainsi, reprend messire Gauvain, nous vous laisserons; mais au moins apprenez-nous pourquoi vous avez si vite quitté le tournoi.—Je puis vous le dire. J'ai vu le temps où jamais bataille, si grande qu'elle fût, ne m'eût résisté; mais dans ce dernier pauvre tournoi, je n'ai pu passer les derniers qui se sont présentés; je sens que j'ai perdu les biens qui étaient en moi; comme elle était venue, ma prouesse s'en est allée. Elle était empruntée, je la devais à la vertu d'autrui: de chose empruntée on ne doit pas s'enorgueillir. Dites à la cour du roi ce que vous avez vu, mais ne demandez rien de plus; vous perdriez vos peines.»

Ils le recommandèrent à Dieu, sans lui avoir parlé du message de la demoiselle de Morgain à la cour du roi, pour ne pas ajouter à ses ennuis. Arrivés à la cour, ils contèrent ce qu'ils avaient vu de Lancelot et ce qu'il leur avait dit. Tous s'en affligèrent, bien que leur chagrin ne pût en rien se comparer à celui de la reine. Lancelot, pensait-elle, aura connu ce que la demoiselle est venue dire à la cour en son nom: c'est apparemment pour cela qu'il ne veut plus paraître devant moi.

Pour le malheureux Lancelot, après être resté longtemps incertain de ce qu'il ferait, il résolut d'aller retrouver Galehaut, le seul qui pût connaître la cause de son désespoir et lui donner la force de supporter la vie. Il croyait à l'abandon de la reine, tel que le songe ménagé par Morgain le lui avait présenté. De toutes ses angoisses, c'était assurément la plus cuisante. Il arriva en Sorelois, tandis que Galehaut le cherchait encore dans la forêt où Morgain l'avait retenu. À force de rêver, il sentit sa raison l'abandonner. La tête se troubla, il répandit des flots de sang. Enfin, devenu forcené, il quitta son lit ensanglanté, s'élança par une fenêtre, emportant son épée. Dans son délire, il s'en prenait aux arbres qu'il déracinait, aux rochers qu'il ébranlait et détachait des montagnes. On le voyait pleurer, embrasser les enfants, leur parler doucement de Dieu, de ce qu'ils devaient apprendre et faire. Ses fureurs ne s'adressaient qu'aux choses insensibles, et quand venait à passer dame ou demoiselle, il s'inclinait, saluait et se détournait en fondant en larmes. Tout le monde le plaignait, personne à son approche n'éprouvait de crainte. Ainsi le laisse cette première partie de son histoire, pour nous parler des derniers jours de son grand ami Galehaut.

LXXXVII.

Galehaut avait appris de messire Gauvain et de messire Yvain tout ce que Lancelot avait dit de ses ennuis et de son désir de vivre oublié dans la plus profonde solitude. Ces nouvelles lui causèrent une grande douleur et une grande joie. Il le savait vivant, hors de prison: il s'inquiétait d'un chagrin dont il devinait la cause. Que devra-t-il faire? Le chercher en terres lointaines? Mais par où commencer? retourner en Sorelois? quel deuil pour lui s'il ne l'y rencontre plus! Il choisit pourtant ce dernier parti, quand il eut perdu tout espoir de le retrouver en Grande-Bretagne. Rentré dans ses États, il apprit qu'on avait vu Lancelot désespéré de le savoir absent; que sa raison en avait reçu une nouvelle atteinte, et qu'on ignorait ce qu'il était devenu. Le sang dont il trouva rougi le lit dans lequel avait couché son ami lui donna à penser qu'il s'était donné la mort; il s'accusa d'avoir été lui-même son meurtrier en tardant à revenir. Dans toutes ses terres, il envoya des messagers chargés de recueillir de ses nouvelles: quand ils revinrent sans l'avoir trouvé, il ne douta plus de sa mort. Ainsi, malade de corps et de cœur, il se mit au lit le jour de la Madeleine et ne se releva plus. Devant sa couche il fit placer l'écu de Lancelot; mais cette vue, loin d'adoucir ses chagrins, contribuait encore à les augmenter. Pendant neuf jours et neuf nuits, il refusa toute espèce de nourriture. On le conjura de faire un effort sur lui-même et de consentir à manger; mais il était trop tard. Sa langue était gonflée, ses lèvres se détachaient d'elles-mêmes, tous ses membres étaient desséchés. C'est ainsi qu'il languit du jour de la Madeleine[94] jusqu'à la dernière semaine de septembre; alors il partit du siècle. Chacun à sa mort pensa avec raison que le monde en le perdant et en n'espérant plus rien de Lancelot, avait perdu les plus purs rayons de la gloire mondaine. De toutes les dames qui le pleurèrent, la dame de Malehaut fut la plus inconsolable: on croit bien que Galehaut l'eût épousée, devant Sainte Église, s'il eût vécu plus longtemps. Mais avant de passer de ce monde, il avait eu soin de revêtir de sa terre et de toutes ses seigneuries, son neveu Galehaudin.

C'est ainsi que finit le fils de la Géante, le seigneur des Îles lointaines, le grand ami de Lancelot.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME DE LANCELOT DU LAC
QUATRIÈME VOLUME DES ROMANS DE LA TABLE RONDE.

NOTES ET OBSERVATIONS GRAMMATICALES.

Page 4. «Loin d'elle il ne peut être en bon point», c'est-à-dire dans un bon état de santé. De ces trois mots nous avons fait très-improprement embonpoint, et nous en avons modifié le sens naturel au point de pouvoir parler d'un embonpoint excessif,—du trop d'embonpoint,—de beaucoup d'embonpoint.

P. 4. Quand il fut au monter. Quand il fut au moment de monter à cheval.—Les mots cheval et chevalier reviennent si souvent que j'ai trouvé à propos d'en diminuer le nombre. D'ailleurs, c'est dans le texte qu'on se contente de dire seulement, comme ici, monter. La forme «être au monter» semble un gallicisme qu'on eût pu conserver.

P. 4. La quête. Enquête, recherche. On a encore restreint le sens de ce mot; il ne répond plus guère qu'à demande. On disait également: la quête de celui qu'on cherchait, et la quête de celui qui cherchait; de même que dans l'acception actuelle on dit: «la quête du dimanche» et la quête de madame N.

P. 4. Messire Gauvain. Gauvain et Yvain sont toujours ainsi qualifiés, comme fils aînés de rois encore vivants.

P. 5. Un clerc revêtu, c'est-à-dire en costume de clerc allant officier; en surplis, comme on dirait aujourd'hui.

P. 5. N'est-il pas dans la forêt d'autre religion, d'autre maison religieuse. On n'a guère conservé cette ancienne acception que pour ceux qui entrent «en religion».

P. 6. Le clerc se chargea d'établer le cheval. De le mettre à l'écurie; mot qui n'était pas encore usité.

P. 8. Messire Allier. L'histoire d'Allier, père de Maret, semble, sous des noms fictifs, se rapporter à Guichart III, sire de Beaujeu, devenu moine de Cluny en 1137. Bien que je ne sois plus aujourd'hui aussi persuadé que je l'étais il y a trois ans de la part que Gautier Map aurait prise à la composition des romans de la Table ronde, il faut encore, à l'appui de cette attribution, tenir compte de quelques passages du De nugis carialium. Au chap. XIII de la première Distinction, G. Map a raconté de Guichart III, seigneur de Beaujeu, mort vers 1140, ce qu'on trouve dans notre XLVIIIe laisse (p. 13) de mess. Allier père de Maret. Voici le passage qu'on pourra comparer:

«Guichardeus de Bellojoco[95] pater hujus Imberti cui nunc cum filio suo conflictus est, in ultimo senectutis suæ Cluniaci assumpsit habitum, distractumque prius tempore, scilicet militiæ, singularis animi copiam adeptus, etiam quietem adegit: in unum collectis viribus, se subito poetam persensit, sua quo modo lingua, scilicet gallica, pretiosus effulgens, laïcorum Homerus fuit. Hæ mihi utinam induciæ! ne, per multos diffusæ mentis radios, error solæcismum faciat[96]. Hic jam Cluniacensis monachus factus, jam dicto Imberto filio suo, licet vix impetratus ab abbate et conventu, totam terram suam, quam idem filius per potestatem hostium et suam impotentiam amiserat, armata manu restituit. Reversusque, devotus in voto persistens, diem suum felici clausit exitu.»

M. Victor Leclerc, Hist. litt., tome XXIII, p. 250, avait déjà conjecturé que les vers publiés sous le titre de Sermon de Guichart de Beaulieu étaient de Guichart seigneur de Beaujeu, mort, ajoute-t-il, en 1137. Mais je crois qu'il s'est mépris en rapportant la composition de ces vers au temps où ce Guichart était encore dans le siècle. C'est dans l'abbaye de Cluny qu'il dut les faire, non comme un sermon prononcé en chaire, mais comme épître ou discours moral. Guichart fut l'«Homère des laïcs», parce qu'il s'était adressé directement dans cette épître aux laïcs; non parce que lui-même était encore laïc. Pour ce nom d'Homère, il n'en faudrait pas induire que Guichart eût fait quelque chanson de geste, mais seulement qu'on le comparait, comme ancien poëte français, au plus grand et au plus ancien des poëtes grecs.

P. 10. Il vaut une «échelle» entière. Une aile, un bataillon. Notre diminutif bataillon dérive de bataille, corps d'armée rangée en bataille. On disait la bataille du roi, pour l'aile que commandait le roi.

P. 11. Quand ils eurent «levé leur ventaille». J'aurais dû dire baissé. La ventaille était une espèce de petite pièce qui dépendait du haubert, et qui descendait sur la poitrine, quand on ne la remontait pas sur le visage pour l'attacher à la coiffe du haubert. Je ne crois pas qu'elle montât jamais jusqu'aux yeux. Elle fut plus tard remplacée par la visière, qui dépendait du casque, heaume, ou armet. Disons en passant, qu'armet ne vient pas d'arme, mais de l'italien elmo heaume, elmetto, petit heaume.

P. 11. Deux jeunes «pucelles». Ce mot n'avait d'autre sens que celui du latin puella, femme non mariée.

P. 11. Les deux amis quittent «heaume, épée, haubert.» L'aspiration de l'initiale h rend ces formes, heaume, haubert, un peu dures. L'italien elmo, albergo est assurément plus agréable. Je ne pouvais substituer casque à heaume, ni cuirasse à haubert, ces deuxièmes noms ayant une physionomie trop moderne. Il en a été de même de l'écu, que n'aurait pas exactement remplacé le bouclier. J'ai parfois aussi conservé ost au lieu d'armée. Pour des récits surannés, il faut souvent des expressions et même des constructions vieillies. Brocher des éperons ne vaut-il pas mieux que piquer des deux? Defermer au lieu d'ouvrir n'est-il pas à regretter un peu?

P. 14. Messire Gauvain devait être facile à reconnaître «au sinople de son escu». Les armoiries sont encore de fantaisie dans nos romans. Bien que les chevaliers affectent de certaines couleurs, de certaines figures, ils en changent et les cèdent volontiers. Rien plus éloigné de la vérité que les attributions faites à la fin du quinzième siècle, dans un livre souvent réimprimé sous le titre: Armoiries des chevaliers de la table ronde. Tout y est imaginaire.

P. 17. Celui qui m'«outrera» n'est pas encore né. Celui qui me vaincra. Le mot vaincre, dur à conjuguer, justifie l'emploi de synonymes même vieillis, comme ici outrer dans le sens de vaincre, réduire à merci.

P. 17. Un sergent va dans le «moutier». Ce mot se prenait pour église ou pour chapelle, aussi bien que pour monastère: dans ce dernier sens, on préférait même le mot religion.

P. 21. Et ce chevalier «félon». L'Académie, qui me semble avoir prodigué les accents, peut être blâmée d'en avoir affublé félon, dont le radical français est fel: je n'ai jamais entendu prononcer félon. Il en est de même de l'accent qu'elle exige pour pèlerin.

P. 21. À l'entrée d'une «lande». Plaine non cultivée, aride ou couverte de gazon.

P. 21. Vous avez fait que «vilain», comme «vous avez fait que sage». C'est-à-dire «vous avez fait ainsi que vilain ferait

P. 21. Vous amenderez le méfait. Vous réparerez, vous compenserez. Bonne locution perdue. On dit encore dans un sens presque analogue: faire amende honorable.

P. 22. Vous êtes le meilleur «vassal» du monde. Le premier et le vrai sens de ce mot répond à chevalier, et non pas à tenancier d'un fief seigneurial. Messire Gauvain n'était pas de ces tenanciers. Le radical latin qu'on trouve dans la loi salique est vassus: on l'a rendu d'abord par vax, puis par vassal, noble chevalier. Dans nos chansons de geste et dans nos romans, Charlemagne et Artus sont fréquemment loués comme bons vassaux. Si l'on a confondu l'ancienne et la nouvelle acception, c'est parce qu'en recevant l'adoubement ou vêtement militaire, on devenait l'obligé de celui qui vous armait. Mais Vassal suppose néanmoins une position indépendante; aussi ne voit-on jamais, dans nos premiers textes de langue, l'expression vassal de quelqu'un; mais ce vassal peut être le chevalier d'un prince, à raison de son hommage ou des soudées qu'il recevait. Les mots de la basse latinité vassus, vassalis, vassaletus et vassus vassorum représentent vax, vassal, vallet ou varlet, et vavasseur.

P. 25. Sagremor le «desréé» sur ce surnom, voyez encore t. I, page 290.

P. 25. Les trois «gloutons», synonyme de notre drôles, ou vauriens. «Glout» dans les chansons de geste.

P. 25. Nous pourririons encore dans la «chartre» de Marganor. La prison. C'est le latin carcer. Le rapprochement du sens de ce mot avec le nom de la ville des Carnutes, Chartres, n'a pas été sans influence sur le type des monnaies chartaines. Remarquons ici: 1o qu'un des airs de chanson les plus connus est celui de: Tous les Bourgeois de Châtres (aujourd'hui Arpajon), et non pas de Chartres, 2o qu'à Reims, la porta carceris, porte de la prison de l'archevêque, où, dit-on, fut enfermé Ogier le Danois (non l'Ardenois), doit à cet ancien nom celui de Porte Cère, comme disent encore les bonnes gens du peuple, on Porte Cérès, comme disent les gens bien élevés.

P. 27. Je veux bien «baisser ma guimpe». La guimpe était pour les dames ce que la ventaille était pour les hommes. Voyez tome I, p. 206, note.

P. 27. Par mon chef! auj. «Sur ma tête!»

P. 34. Elle prend «plein son poing de chandelles» (plain poing de candeilles). Cette expression, fréquemment répétée, donne à penser que ces chandelles étaient en faisceau de deux ou trois mêches. «Prendre plein ses poings,» c'est peut-être exactement notre empoigner.

P. 29. Je fais serment sur les saints. C'est-à-dire sur les reliques de saints. Je renvoie sur ce sujet à l'Étude sur les origines des romans de la Table ronde, insérée dans la Romania, tom. Ier.

P. 45. Comment le fait Galehaut, lieu commun d'entrée en propos, How do you do des Anglais; (Comment le faites-vous)? et notre Comment vous portez-vous?

P. 45. Les dames «après s'être conseillées». Ou avoir pris conseil. On dirait aujourd'hui s'être consultées, mais avec moins d'exactitude.

P. 45. Les Saisnes sont les Saxons; les Irois, les Irlandais, souvent confondus avec les Escots ou Écossais. Pour la forme Saxons, elle eût écorché la bouche délicate de nos anciens Français: ils préféraient les Saisnes (Saxoni), et la Sassogne (Saxonia), au lieu de notre Saxe.

P. 46. Un riche peigne dont les dents étaient garnies de ses cheveux. Admettons qu'alors les beaux cheveux blonds des dames ne fussent jamais imprégnés d'huiles ou de pommades parfumées, on se rendra mieux compte du prix que les amoureux attachaient au don d'un peigne garni comme celui que Genièvre envoie à Lancelot. Ce mot peigne nous tient aujourd'hui en respect: autrefois c'était fréquemment une œuvre d'art. On en voit d'un charmant travail dans plusieurs cabinets, entre autres dans celui des Antiques de la Bibliothèque nationale. On y traçait à la pointe le Jugement de Paris, la Punition d'Actéon, ou quelque belle devise galante.

P. 70. La dame le fait asseoir sur «la couche». L'usage de la couche répondait assez à celui de nos divans. Il ne faut pas la confondre avec notre lit; les dames du Lancelot l'auraient fait partager trop fréquemment à ceux qui les visitaient.

P. 70. À Dieu soyez-vous recommandée! Cette pieuse formule est devenue tellement elliptique que bien des gens aujourd'hui ne s'en rendent plus compte en la prononçant. Nous cessons depuis longtemps d'écrire: À Dieu! on dit adieu, on fait ses adieux. On parle même des gens qui ont dit, les uns adieu à l'Église, les autres adieu à Satan. Ce que c'est d'oublier le vrai sens des mots!

P. 75. La bonne épée «Sequence». On voit, ici combien de remaniements souvent fâcheux dans les traditions. Le nom véritablement consacré de l'épée d'Artus est Escalibur. Les romanciers y ont substitué d'abord Marmiadoise, en faisant donner Escalibur à Gauvain. Ici, on nous parle de Sequence, la moins autorisée des trois épées. Au reste, il est rare, dans nos romans, de voir désigner les armes et les chevaux par des noms particuliers. Je ne me souviens que de ces trois épées et du cheval de messire Gauvain, Gringalet, nom que le Lancelot n'admet même pas.

P. 87. Il eut soin de mander les quatre clercs, etc. Le fond de cet alinéa a été plus tard défiguré dans le texte du manuscrit 751, que j'ai donné en note. Voici celui du manuscrit 752: «Celui jor furent mandé li cler qui metoient en escrit les proesces as compaignons de la maison le roi. Si estoient quatre. Et avoit non li uns Arodion de Coloigne, e li segons Taudramides de Verzeaus, e li tiers Thomas de Tolède e li quarz Sapiers de Baudas. Cil, quatre metoient en escrit quanque li compaignon le roi faisoient d'armes. Si mistrent en escrit les aventures monseignor G. tot avant, porce que ce estoit li comencemens de la queste; e puis les Hector, porce que del conte meesmes estoient branches. E puis les aventures as autres XVIII compaignons. E tot ce fu del conte Lancelot. E tuit cest conte estoient branches, e li contes Lancelot meismes fu branche del grant conte del Graal, si tost com il fu ajostés.»

On voit ici que le «Grand conte du Graal» ne fut constitué que par la réunion successive des branches qu'avaient formées le Merlin, l'Artus, le Gauvain et le Lancelot. La branche de Gauvain n'est plus aujourd'hui séparée, au moins dans les romans en prose, de celles d'Artus et de Lancelot. Tout semble porter à croire que les deux livres d'Artus et de Lancelot étaient, dans l'origine, parfaitement indépendants du Saint Graal et du Merlin. C'est pour avoir voulu raccorder les deux premiers aux deux seconds que les arrangeurs définitifs auront été obligés de recourir çà et là à des interpolations.

P. 95. En tendant les bras à son «nourri». Nous avons perdu ce mot, désignant celui qui avait passé sa jeunesse, avait été nourri, élevé, dans la maison d'un parent, ami, patron ou client, devenu père nourricier. Ainsi Eginhard nomme-t-il Charlemagne nutritor meus; ainsi Guillaume de Machault se disait-il le nourri du roi de Bohême.

P. 97. On vit descendre devant le «degré». Ancien nom de notre escalier. Celui du Palais de Justice s'appelle encore le degré.

P. 98. Les cheveux roulés en une seule tresse. Cette tresse descendait apparemment le long du dos, comme on le voit sur les coffrets et peintures murales des onzième et douzième siècles. On verra plus loin, page 222, qu'une fille était déshonorée quand on lui coupait ses tresses.

P. 102. Le plus loyal des hommes qui soient aux «îles de mer.» Autrefois on donnait volontiers le nom d'îles aux terres qui étaient à demi fermées de rivières; et c'est ainsi que l'Île-de-France peut avoir mérité son nom. Froissart nomme fréquemment des îles de ce genre. Voilà pourquoi notre auteur distingue les îles de mer.

P. 106. Il se signait. Il faisait des signes de croix.

P. 107. Quiconque osera me contredire sera.... réduit «à se déclarer foi mentie». À se reconnaître parjure, à confesser un faux serment, à manquer à la foi jurée. On voit dans tous nos romans combien le nom de féodalité, de gouvernement féodal, était justement choisi. Tous les devoirs avaient pour base la foi promise, l'hommage librement rendu. Rien de plus sacré que cet engagement, rien ne pouvait excuser l'homme qui ne le respectait pas. Si vous promettiez, il fallait tenir; fût-ce à la ruine de votre famille ou de votre pays. Nous n'avons plus guère de ces rigoureuses exigences, si ce n'est peut-être pour ce qui tient aux gageures et aux dettes de jeu.

P. 110. La nature de la clameur «qu'elle avait levée». Lever, élever une clameur, c'était porter une accusation, ou réclamer contre une mesure, un décret du souverain. Telle était chez les Normands la Clameur de haro.

P. 112. Il fondait en larmes. On a dû remarquer avec quelle facilité les héros de nos chansons de geste et de nos romans fondent en larmes et se pâment de douleur. Nous sommes aujourd'hui plus durs et plus difficiles à émouvoir que ne l'étaient Charlemagne, Artus et Lancelot. Sans doute, les poëtes et les romanciers ont trop multiplié ces témoignages involontaires d'attendrissement; mais il faut bien qu'on ne les trouvât pas, de leur temps, aussi exagérés qu'ils nous le paraissent aujourd'hui.

P. 128. Une manche de «samit» jaune. Le samit était, je crois, une espèce de taffetas. Le mot vient du grec ἑξαμἱτον, ou peut-être de l'île de Samos d'où l'on tirait la plus belle soie.

P. 132. La fête de Noël, que le roi Artus a choisie pour tenir «cour plénière». Le texte dit: cour enforcée, ce qui n'est pas exactement ce qu'on a plus tard entendu par Cour plénière.

P. 133. Seigneurs, vous êtes «mes hommes». C'est-à-dire j'ai reçu votre hommage; vous me devez, conseil et service.

P. 135. Un «bailli» convoiteux met tout à destruction. Bailli est ici le régent, celui qui gouverne en l'absence ou pendant la minorité du seigneur naturel. De bajulus, bâton, on a fait bailli, celui qui tient le sceptre, le bâton. Le bail et la baillie sont le gouvernement, le pouvoir. À la page 310, bail est pris dans un autre sens.

P. 137. On apporta les «Saints.» Les reliques de saints sur lesquels on jurait. Il faut remarquer que dans ce temps-là le serment (sacramentum) se prêtait soit en adjurant Dieu représenté par une église, soit en posant la main sur l'évangile ou de saintes reliques qu'on faisait venir de l'église ou qu'on y allait chercher. On les invoquait comme garants de l'engagement pris ou de la vérité des déclarations. Mentir au serment ainsi prêté, c'était se dévouer à la vengeance céleste; c'était renier Dieu et les saints.

P. 138. L'Apostole. C'est le synonyme ordinaire du mot pape. On a dit aussi la pape. Nous conservons encore le Siége apostolique.

P. 141. Il avait la barbe et les cheveux roux. Cette prévention contre les gens à cheveux roux accuse assez bien un gallo-breton. Les hommes de cette race étaient généralement bruns, comme nos Bretons du continent. Ils tenaient pour ennemis mortels les conquérants Anglo-Saxons, généralement roux. Il est vrai que, parmi les compagnons de Guillaume le conquérant, il devait se trouver autant de cheveux roux que de cheveux noirs; mais Henri II, le protecteur de notre auteur, était, au moins par son père, Angevin.

P. 143. Un «behourdis» à armes courtoises fut disposé dans la prairie. Le behourdis était un exercice militaire comme les tournois et, plus lard, les Tables rondes. Il n'était pas interdit aux écuyers ni aux simples valets. Le plus souvent, il s'agissait de franchir à cheval, et tout en combattant, des obstacles plus ou moins dangereux.

P. 144. Le «glaive» de Meléagan se brisa. Par glaive, il faut toujours entendre ici la lance ou l'épieu, non l'épée. De l'ancienne forme est venu glavelot, javelot (gladium, gladiolum). La hante (hasta) était le bois du glaive.

P. 144. Et tomba sous les pieds de son «destrier». L'écuyer d'un chevalier prêt à combattre conduisait, à la dextre du cheval qui portait son maître, le cheval de bataille que le maître ne montait qu'après s'être fait complètement armer. De là le nom de destrier (dexterarius) donné au cheval de guerre.

P. 146. Des «mires» lui recommandent un repos absolu. Mire représente le latin medicus, et ne vient pas de l'arabe. On a dit mie, mege, et enfin mire.

P. 179. Prononcer le honteux mot de recréance. Avouer qu'on avait soutenu une mauvaise cause, et qu'on était outré, vaincu. On appelle encore aujourd'hui un cheval recru, celui qui est las, harassé, et ne peut avancer d'un pas.

P. 179. Si m'ait Dieu, adjuration sacramentelle: Ainsi Dieu me soit en aide! (Sic me Deus adjuvet.)

P. 187. Allons ensemble le «mettre à raison», c'est-à-dire lui parler, le faire parler. Aujourd'hui, dans un sens presque analogue, arraisonner. Dans le livre curieux de Gautier Map De Nugis curialium, ce gallicisme est traduit mot à mot: «Dicunt Herlam regem.... positum ad rationem ab altero rege....» (Dictinctio I, chap. XI.)

P. 193. La poursuite les occupa jusqu'à None. Le jour était encore distribué en quatre parties, de trois en trois heures. Prime commençait au lever du soleil, c'est-à-dire de six à neuf heures du matin. Tierce, de neuf heures à midi. Sexte, de midi à trois heures, et None, de trois à six heures. La nuit était également divisée en quatre parties: vêpres, nocturne, vigile et matines; ou simplement: première, deuxième, troisième et quatrième veilles de la nuit.—Il faut corriger la note de la page 251, où l'on a compté tierce de six à neuf heures.

P. 194. Sans perdre de temps, il revêt les armes du Seigneur-Dieu, c'est-à-dire les vêtements sacerdotaux. On comptait trois sortes de chevaliers: les chevaliers proprement dits, les chevaliers-ès-lois, les chevaliers clercs. À ces trois grades était acquis le titre honorifique de mes sires (mon seigneur, au cas régime). Les Présidents de cour souveraine et les évêques avaient le rang de chevaliers; et c'est en vertu de cette ancienne hiérarchie que l'évêque est encore aujourd'hui qualifié Monseigneur. Mais, pour être conséquent, il eût fallu maintenir le monseigneur à nos présidents de justice et à ceux qu'on nomme aujourd'hui officiers supérieurs, ces chevaliers du moyen âge.

P. 206. L'usage d'Artus était de ne pas monter à cheval durant «la semaine peneuse». La semaine sainte. On a vu plus haut qu'on se faisait généralement un scrupule de chevaucher le samedi, jour consacré à la vierge.

P. 208. Le roi le relève et le «baise sur la bouche». Le baiser sur la bouche était le plus grand témoignage d'union, de paix et de réconciliation. Aussi un chrétien se serait-il gardé de jamais l'accepter d'un Sarrasin: il eût aussi bien renié sa foi. Voyez plus loin, page 306.

P. 218. Une pucelle, la plus belle qu'on puisse voir de pauvre lignage. Nous dirions aujourd'hui la plus belle fille de village ou de campagne; ce qui rappelle le vers de Gresset:

Elle a d'assez beaux yeux, pour des yeux de province.

P. 219. Je vous le dirai «si je n'ai garde», c'est-à-dire si je n'ai pas à me garder, si je n'ai rien à craindre de vous. Le mot garde a précisément le sens de caution.

P. 230, note. L'histoire d'Ascalon est racontée dans la partie inédite du livre d'Artus; mais, je crois, d'après notre roman. Je suis aujourd'hui moins disposé à croire à cette antériorité du Lancelot. L'Artus inédit, bien distinct du texte que j'ai reproduit à la suite du Merlin, pourrait bien être une première ébauche bientôt abandonnée et qui aurait donné l'envie de mieux faire à l'auteur du Lancelot.

P. 241. La messe chantée par un «prouvaire». Prouvaire est l'ancienne forme française du latin præsbiter; mais la forme prêtre est aussi ancienne. Nous avons (ou nous avions) à Paris la rue des Prouvaires. Nos municipaux n'ont-ils pas trouvé à ce nom de rue le grand tort d'être ancien?

P. 241. Des jeux d'échecs et de «tables». Les jeux de tables étaient en général ceux que l'on jouait sur un tablier ou une sorte d'échiquier. En particulier, je crois qu'il désignait notre jeu de trictrac.

P. 244. Il est mort «s'il ne fiance prison». C'est l'expression textuelle: s'il ne se rend prisonnier.

P. 257. On le replaça sur la litière «cavaleresque». La litière placée en travers sur le dos de deux chevaux; à la distinction de la litière portée à bras d'hommes, et qu'on appellait aussi bière.

P. 294. Aiglin des Vaus. Ce neveu de Keu d'Estrans est nommé «Kaeddin li biaus» dans le ms. 752, fo 89.

P. 300. Il était petit, et les deux figures étaient taillées sur une pierre noire.

Le manuscrit 752 ajoute un détail nouveau: «Si estoit li aniaus petit à une pierre plate bise, qui estoit de si grant force que ele descovroit les enchantemens vers celui qui la portoit, si tost com il l'avoit esgardée» (fo 91). Mais le romancier confond ici l'anneau donné par la Dame du lac avec l'anneau de la Reine. C'est déjà beaucoup que Lancelot n'ait pas regardé le premier talisman, dès qu'il s'était vu au pouvoir de Morgain.

P. 301. Çà et là glisse des pensées d'amour. «Si li trait avant de beles paroles, et rit et gabe et jue o lui, en chevauchant. De toutes les choses le semont de quoi ele le cuide eschaufer. Si se deslie sovent devant lui por mostrer son chief qui de très grant biauté estoit, et chantoit lais bretons et autres notes plaisans et envoisiés. Ele avoit la vois haute et clere, et si avoit la langue bien parlant et breton et françois et meins autres langages» (ms. 752, fo 92). J'ai rendu cette scène, le plus exactement que j'ai pu, d'après les plus nombreuses leçons, sans rien ajouter ni supprimer. Ce manuscrit 752 offre pourtant quelques détails de plus qu'il peut être intéressant de reproduire:

«Et quant ele voit un leu bel et plaisant, si le mostre et dit: «Veez ci biau leu, sire chevaliers; dont ne seroit-il bien honiz qui cest len trespaseroit avec bele dame ou bele damoisele sans faire plus?» Mes sa parole a perdue, car Lancelot n'a talent ne volenté de nule chose qu'ele li die. Ainçois li anuie tant qu'il ne la puet regarder. Et quant ele tant l'anuie, si ne se puet-il plus taire, si li dit: «Damoisele, dites-vous acertes ce que vous dites?» Ele respont que voirement le dit ele.—«Se Deus me consant fet-il, je n'avoie pas apris que damoisele parlast en tel maniere, ne qui eust si honte perdue.—Avoi! sire chevalier, fet ele, il avient bien à un chevalier que, se il est boens et loiaus et sages, qu'il prie bele damoisele ou bele dame d'amors puis qu'il sont soul à soul; et se li chevaliers ne la prie, parce qu'il la crieme ou parce qu'il est en autre pensée, la dame ou la damoisele le doit prier et semondre de quanqu'elle desirrera; et s'il s'en escondist, dont sai-je bien qu'il est honis sur terre et doit avoir toutes leis perdues en totes corz. Et por ce que vous ieste beaus chevaliers et je bele damoiselle, por ce vos requier et pri que vos gesiez à moi. Et vez-ci beau leu et cointe et bien aesié. Et se vos ne le faites, je ne vos sivrai en avant, ne jamais ne vos troverai en cort que je ne vos apel de recréandise.»

.... «Quant ils ont chevauchié une grant pièce au rai de la lune, si choisissent et voient devant aus un paveilon mult bel et mult riche. Si aperçoit Lanceloz que ce est li paveilons où Morgains soloit gésir au Val des faus amans, lor et au tens qu'il chasoit le chevalier qui se feri desous le lit.... Lors esgarde Lanceloz et vit un des plus riches lis qu'il eust onques veus et des plus biaus. Car il n'estoit nule grans richesce de courte-pointe ne de dras ne de covertor qui n'i fust, et par desuz le chevez en haut si avoit deus oreilliers moult riches por le lit parer, dont les coites estoient d'un samit trop richement broudé; et en la broudeure avoit de maintes riches pierres asises, plaines de vertuz; et à chascun des cors des oreilliers avoit un grant boton d'or tout plain de basme qui rendoit si grant odor que nule mieudre ne puct estre. Et par desoz ces deus en avoit deus autres, et cil estoient fet por gésir sus....

Or Lanceloz s'est couchiez par le comandement à la damoisele, et semble bien que il ait garde, au semblant que il fait; quar il n'oste ne braies ne chemise, ançois gist come huem qui a besoing. Quand la damoisele ot fet couchier touz les valez ès loges dont entour le paveilon avoit assez, si revient arère là où Lanceloz gisoit. Et l'en voit léans mult cler, car devant le lit avoit deus grans cirges qui ardoient. La damoisele prent les cirges, si les oste de soz un coffre où il estoient, si les esloigne et met en bas, si que la clarté ne parviengne à la couche où Lanceloz gist. Cil esgarde quanqu'ele fait, come cil qui entent plus à penser que à dormir. Si voit qu'ele a tote sa robe ostée fors sa chamise, puis vient à Lancelot, si lieve les dras de son lit et se lance lez lui, et giete les bras por lui acolier, et le vost beisier; mes il n'a cure, si se defent moult durement, si qu'il li vole hors des bras et se lance hors dou lit, et ele est après lui saillie. Et quant il la vit hors del lit, si a trop grant honte et li dit: «Avoi! damoisele, m'aist Deus! bien avez honte perdue. Car onques mes n'oï parler de dame ne de demoisele qui vousist chevalier prendre à force.—Ha! fit-ele, mauvez recréant! dahés avez-vos! car onques chevaliers ne fustes, et honie soit l'eure que vos vantastes de monseignor Gauvain rescoure, quant vostre lit avez guerpi por une damoisele sole! si ne sui pas moins bele de voz ne meins valanz; car au meins ne sui-je pas desloiaus com vos estes.—Damoisele, fet-il, vous dirois ce que vos plaira; mes il ne se leva hui si buens chevaliers, se il m'apeloit de desloiauté, vers qui je ne me défendisse.—Certes, fit-ele, or i parra coment vous en défendrez, car jel mostrerai encontre vos.» Lors se lance à lui, si le cuide prendre par le col, mais ele faut, et la main s'en vient par la chavesaille de la chamise, si la fent jusqu'à la pointe. Quant il voit ce, si a trop grant honte. Lors la seisist par les deux bras, si la met arière au plus belement que il puet, et dit qu'ele ne s'en relevera devant qu'ele li ait fiancé qu'ele ne couchera en lit où il gise, ne li querra chose qui encontre son cuer soit.—«Jel fiancerai, fet-ele, se vos volez fere une chose que je vos requerrai.—Dites, fet-il, car je le ferai teus puet-ele estre.—Ne vos en dirai rien se en l'oreille non; car je ne sai qui nous escoute, et se vos m'en escondisiez et il fust oï, tant seroit por vous la honte greindre.» Lors s'abesse Lanceloz et met la destre oreille en sa boche. Et ele comence à sospirier, si dist moult belement; «Ha Deus! coment le dirai-je?» Lors s'estent si durement que Lancelot cuida bien que ele fust pasmée. Lors l'a regardée et, el regarder que il fist, ele giete la boche, si li beise. Et il en est si angoissous que par unpoi que il n'enrage. Atant l'a laissiée, si comence à crachier de despit de ce qu'ele l'avoit beisié. Et ele le recort sore; et quand il voit qu'il ne porra à lui durer, si cort à s'espée qui à l'atache dou paveillon estoit pendue, si la sache hors del fuere, et jure que il en ferra, se ele touche plus à lui. Ele set bien que il n'en fera riens, etc.... (fo 92.)

P. 335. note. La preuve n'est pas décisive. Les Cisterciens, par exemple, confiaient tous les travaux de leurs terres à des frères convers ou néophites rendus. Ces bouviers rencontrés par Galehaut pouvaient donc être de ces rendus. Plus loin, on voit Lionel à l'entrée d'un enclos religieux, aborder «un des frères, qui labourait.»

P. 244. Le texte du ms. 752 raconte encore avec d'autres développements le songe et le départ de Lancelot:

Si li a mis poisons en son boivre qui estoient confites à conjuremenz et à charraiz; si li troblerent la cervele, tant que, la nuit, li fu avis en son dormant que il veilloit et que il trovoit sa dame la roine gisant avec un chevalier si de près que il le li faisoit; et il corroit à s'espée, si le voloit ocire, quant in tome sailloit sus et disoit: «Lanceloz, que volez vos à cest chevalier? Ne soiez-vos jà si hardis que vos i metois la main; car je sui soe: ne jamais, si chier com vos avez vostre cors, n'entrez en leu où je soie, car je le vous deffent mult bien.» Ensi le fit Morgue songier, et por ce qu'il tensist sa vision au matin plus veraie, le fist porter hors de la chambre à mienuit, et metre en une litière, autresi com ele avoit fait au Val sans retor, tout endormi, en une des plus belles landes del monde, bien trois lieues loing d'ilecques; et ele meismes i ala, s'el fist à ses gens gueitier de près. Au matin fu avis Lancelot qu'il estoit en un des plus biaus paveillons del monde, et véist devant lui une autretel couche com estoit cele où il avoit véu gésir la roine et le chevalier, et que encore tenoit l'espée dont il le voloit ocirre. Ne sous ciel n'a home qui croire li féist que il n'eust veu à ses iaus ce que il avoit songié.—Quant il vit les gens Morgain, si fu mult honteus, fit ele meismes vint avant à guise de fame mult irée, si li dist: «Coment Lancelot, i estes-vous si desloiaus que vous en i estes fuis sans mon congié?» Et quant il entent, si cuide bien qu'ele l'ait ateint de desloiauté, si en a tel duel que par un poi qu'il ne forcene. Si prent l'espée qu'il cuide tenir, si la se viaut boter parmi le cors, quant Morgue li cort andeus ses mains tenir, si le chastie et dist que maintes gens trespassent lor loiautéz qui puis vivent loiaument totes lor vies. «Dame, fait-il, je ne porroie mie longuement durer en tel manière, et mieus me vendrait tot le monde guerpir et foïr, que à morir. Et vos me devisâstes er soir que je m'en iroie se vous jurois que je n'enterroie, etc.»

P. 350. C'est ainsi que finit Galehaut.

Dans plusieurs anciens manuscrits, cette partie du roman de Lancelot est appelée Le livre de Galehaut, ou Le prince Galehaut. À ce titre faisait allusion Dante Alighieri, dans les vers si souvent cités:

Noi leggevamo un giorno per diletto
Di Lancilotto, come amor lo strinse....
Galeotto fu il libro e chi lo serisse....

On sait que Bocace avait choisi pour second titre de son Decaméron celui de Il principe Galeotto, tant ce personnage avait acquis une célébrité générale.

Galehaut semble pourtant un hors-d'œuvre dans l'ensemble de notre roman. L'auteur, après avoir promis de lui monts et merveilles, ne lui a confié qu'un rôle secondaire. Il est vrai qu'il devient l'utile intermédiaire des premières relations de Genièvre avec Lancelot, et qu'il donne un asile à la reine répudiée. Mais son excessive amitié pour Lancelot; ses projets insensés de conquête, abandonnés au moment où la défaite du grand roi Artus allait lui permettre de les réaliser; ses songes que douze astrologues viennent interpréter, tout cela forme je ne sais quelle fausse note qui affaiblit l'intérêt de l'action principale. Le romancier eût mieux fait de confier le soin de protéger la reine exilée au bon roi Baudemagus; en rapportant au temps du séjour de Genièvre à la cour de ce prince la passion de l'orgueilleux Meléagan pour la reine, passion dont le livre suivant va nous entretenir. Il est vrai que dans un des premiers, sinon dans le premier des romans français, on ne pouvait guère espérer de trouver l'observation de toutes les règles du genre: c'est déjà avec une certaine surprise qu'on y reconnaît tant de précieuses qualités dont les romanciers postérieurs ont fait leur profit.

Ainsi l'Amadis espagnol, composé dans le cours du quatorzième siècle, dut à cette première partie trop oubliée du Lancelot, tout ce qu'on y loua le plus, tout ce qu'on en retint le mieux. Si le roi Périon demande à ses astrologues l'explication de ses songes, c'est parce que Galehaut avait fait les mêmes rêves et demande les mêmes explications aux astrologues d'Artus. Le damoisel de la mer reçoit chez Gandale l'éducation du «Beau valet» chez la Dame du lac. L'intervention répétée de demoiselles errantes, les landes, les forêts, les châteaux, les fontaines de l'Amadis, tout cela est emprunté au Lancelot. Urgande la desconnue, protectrice d'Amadis, est la Dame du lac protectrice de Lancelot. Ces deux fées sont amoureuses et ne disent pas celui qu'elles aiment. Languines, roi d'Écosse, arme chevalier le Damoisel de la mer, sans demander qui il est ni comment il se nomme, parce que le roi Artus en avait agi de même avec le Beau valet. Le premier entretien du Damoisel avec Oriane est librement traduit de celui de Lancelot avec Genièvre. L'aventure de Galaor avec la belle Aldene, est l'aventure de Gauvain avec la fille du roi de Norgales. Amadis rêvasse quand il voit Oriane, comme Lancelot quand il voit Genièvre; et dans cette contemplation ils oublient également de parer les coups de leurs adversaires. Comment ne pas reconnaître Mabile et la demoiselle de Danemarc du roman espagnol dans la Saraïde et la dame de Malehaut du roman français? L'arc des loiaus amans de l'Amadis n'est-il pas notre Val des faux amants? Mais pourquoi tous ces rapprochements? Il faudrait pour ainsi dire rappeler à chaque page des quatre premiers volumes de l'Amadis une page correspondante des romans de la Table ronde, et surtout de notre Lancelot. Qu'il nous suffise de dire que pour avoir été si fidèle imitateur de nos romans, l'Amadis a justement été regardé comme le chef-d'œuvre de l'ancienne littérature espagnole.

TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LES LAISSES, OU CHAPITRES.

  • XLVII. Galehaut et Lancelot envoient Lionel à la cour, pour les recommander à la reine. P. 1.
  • XLVIII. Suite de la quête de Lancelot par Gauvain. Il est hébergé chez un ermite qui lui raconte l'histoire d'Allier, père de Marest. Gauvain assiste à l'assemblée de Loverzep; il y retrouve Giflet fils-Do. Ils font triompher le parti du duc Escaus de Cambenic. Ils rencontrent deux demoiselles à l'entrée d'une forêt Bonne fortune de Giflet. Gauvain suit l'une des deux demoiselles, qui promet de le conduire chez la dame sa maîtresse. Il s'arrête d'abord chez la dame, femme de Manassé. Il défend Manassé contre le sénéchal du duc Escaus. Lionel s'arrête pour suivre les combattants. Sa parole indiscrète. Gauvain tue le sénéchal. P. 5.
  • XLIX. Gauvain rejoint Lionel, et lui fait rendre son cheval. Combat des deux amis, interrompu par Gauvain auquel ils racontent le sujet de leur querelle. P. 20.
  • L. Gauvain va reprendre la demoiselle de la forêt. Il voit bientôt Sagremor aux prises avec dix larrons qui s'enfuient à son approche. Sagremor consent à prendre pour amie la demoiselle de la forêt. P. 24.
  • LI. Pourquoi Sagremor était surnommé le desréé et mort-de-jeun. Arrivée de Gauvain, Sagremor et la demoiselle chez la fille du roi de Norgales. Bonne fortune de messire Gauvain. Le roi surprend le couple amoureux. Gauvain et Sagremor sortent à grand'peine du château. Un des Norgalois qui les poursuivent devient l'homme de Sagremor. Celui-ci conduit sa nouvelle amie au château d'Agravain. P. 28.
  • LII. Hector, prisonnier du châtelain des Mares, devient celui de la sœur d'Hélène-sans-pair dont il va défendre la beauté contre la prouesse de Perside. Il triomphe de Perside et envoie les deux époux réconciliés à la cour du roi Artus. P. 37.
  • LIII. Arrivée de Lionel à Londres. Les Saisnes et les Irois en Écosse. La Reine envoie de ses drueries à Lancelot. Entrée et combats aveugles de messire Gauvain et d'Hector dans le Sorelois; ils retrouvent Galehaut et Lancelot dans l'Île perdue. Saignée de Lancelot nécessaire à la complète guérison d'Agravain. Arrivée en Écosse; une demoiselle les conduit à l'ost du roi Artus, en exigeant un don qu'elle se réserve de réclamer plus tard. Artus amoureux de la belle Camille. Grande défaite des Saisnes par l'effet d'un stratagème de Lancelot. Le Gué du sang. P. 45.
  • LIV. Camille donne rendez-vous au roi Artus qui se présente à la Roche aux Saisnes avec Gaheriet. Bel accueil, suivi d'une attaque préméditée. Ils sont retenus dans la Roche aux Saisnes. Bel accueil fait à Lancelot et Galehaut par la Reine et la dame de Malehaut. Réunion des deux parties de l'écu, don de la Dame du lac. La Reine apprend la captivité du roi. P. 55.
  • LV. Lancelot, Gauvain, Hector et Galehaut tombent dans le piége tendu par la demoiselle qui leur avait demandé un don. Ils restent prisonniers de Camille. Conseil tenu chez la Reine. Messire Yvain remplace le Roi. Grand combat. Prouesse du roi Ydier de Cornouaille. Défaite des Saisnes. P. 59.
  • LVI. Frénésie de Lancelot. Il sort de la Roche aux Saisnes et est recueilli par la Reine qui parvient à le guérir avec le secours de la Dame du lac. P. 65.
  • LVII. Nouvelle attaque des Saisnes; ils sont mis en déroute avec l'aide de Lancelot. Mort du roi Hargodabran. Retour de la poursuite des Saisnes. Dépit de Lancelot. P. 74.
  • LVIII. Délivrance du Roi et des autres prisonniers de Camille. Mort de Camille. P. 80.
  • LIX. Lancelot, Galehaut et Hector deviennent compagnons de la Table ronde. Galehaut et Lancelot vont en Sorelois. Les quatre grands clercs d'Artus chargés d'écrire l'histoire des temps aventureux. P. 83.
  • LX. Langueurs de Galehaut et de Lancelot. Songe de Galehaut. Le château de l'Orgueilleuse garde. Chute des tours et des murailles. Galehaut fait demander au roi Artus ses plus sages astrologues. P. 89.
  • LXI. La seconde Genièvre envoie à la cour une demoiselle pour accuser la reine Genièvre de lui avoir été substituée. Elle est accompagnée du vieux Bertolais. Le Roi renvoie l'examen de sa réclamation au jugement d'une assemblée de barons convoqués à Caradigan pour la Chandeleur. P. 97.
  • LXII. Arrivée en Sorelois des clercs d'Artus. Lancelot et Galehaut apprennent l'accusation portée contre la Reine. Premiers projets abandonnés de Galehaut. P. 110.
  • LXIII. Explication du songe de Galehaut. Histoire d'une dame d'Écosse. Galehaut cache à Lancelot ce que maître Helie de Toulouse lui avait révélé. P. 113.
  • LXIV. Galehaut veut partager avec Lancelot tous ses domaines, et aller reprendre à Claudas le royaume de Benoïc. Refus de Lancelot. Galehaut assemble ses barons. Son discours. Il leur annonce son départ, et choisit le roi de Gorre Baudemagus pour gouverner en son absence. Quel était le pays de Gorre. Le Pont étroit et le Pont de l'épée. Meléagan, fils de Baudemagus. Départ de Galehaut et de Lancelot. P. 131.
  • LXV. Arrivée à Camalot. Tournois. Lancelot est blessé par Meléagan. Angoisses de la Reine. Artus lui propose de garder Lancelot dans ses chambres. Quelle était la seconde Genièvre de Carmelide et Bertolais, son complice. P. 142.
  • LXVI. Assemblée de la Chandeleur. La seconde Genièvre renouvelle sa clameur contre la Reine. Elle accorde un jour de délai. D'après un faux avis, Artus va poursuivre un sanglier dans la forêt. Il est pris, désarmé et conduit en Carmelide par les chevaliers de la seconde Genièvre. Les chevaliers d'Artus le cherchent en vain. Douleur de la Reine. P. 148.
  • LXVII. Artus en Carmelide. Il devient amoureux de la seconde Genièvre, et mande à messire Gauvain de semondre les barons de Logres pour le jour de l'Ascension. P. 154.
  • LXVIII. Messire Gauvain est élu pour Roi. Il reçoit le message du roi Artus, réconforte la Reine et convoque les Barons de Logres. P. 159.
  • LXIX. Arrivée de la Reine en Carmelide. Assemblée des barons. Jugement. La Reine est condamnée pour avoir usurpé la place de reine. Une nouvelle assemblée, convoquée pour la Pentecôte, déterminera le châtiment de la Reine. Les barons de Logres refusent de prendre part au jugement. Les barons de Carmelide, présidés par le Roi, font proclamer par Bertolais la punition infligée à la Reine. Lancelot renonce à la compagnie de la Table ronde, avant de fausser le jugement rendu. Il offre de défendre l'innocence de la Reine seul contre les trois plus vaillants chevaliers de Carmelide. Sa querelle avec Keu. P. 163.
  • LXX. Combat et victoire de Lancelot contre les trois chevaliers de Carmelide. À la prière de la Reine, il reçoit à merci Guifrey de Lamballe. La Reine est proclamée quitte de tout châtiment. P. 175.
  • LXXI. Lancelot refuse de demeurer à la cour d'Artus. Galehaut, avec le consentement du Roi, emmène la Reine au Sorelois, et la fait reconnaître pour la reine du pays. Elle impose des réserves à Lancelot, qui les accepte. P. 183.
  • LXXII. Le pape de Rome met la Bretagne en interdit. Maladie de la fausse reine. Le Roi s'arrête chez un ermite, y tombe en faiblesse. Amustant, le prêtre de l'ermitage, lui fait reconnaître ses fautes. La fausse Genièvre confesse les siennes. Mort de Bertolais. La reine Genièvre est justifiée et rappelée. Les barons de Carmelide vont lui crier merci et l'obtiennent. Artus reprend la Reine. Adresse dont elle use pour avoir l'air de contraindre Lancelot à redevenir compagnon de la Table ronde. P. 191.
  • LXXIII. Le roi Artus à Dinasdaron et son Retour à Londres. Adoubement de Lionel. La forêt de Varannes. Enlèvement de mess. Gauvain. Lancelot, Galeschin duc de Clarence, et messire Yvain entreprennent sa quête. P. 208.
  • LXXIV. Quête de messire Gauvain par Galeschin. Il s'arrête chez la dame de Blancastel sa cousine, qui tente en vain de le détourner d'aller attaquer Karadoc de la Tour douloureuse, ravisseur de messire Gauvain. Elle lui donne, pour le conduire, un de ses écuyers. Il délivre et venge la dame de Cabrol. Une demoiselle le conduit à Pintadol. Les quatre escrimeurs. Galeschin les tue, abat une mauvaise coutume et devient seigneur du Pintadol. Ascalon le Ténébreux. La demoiselle qui conduisait Galeschin raconte l'origine des ténèbres répandus sur le château. Galeschin tente l'épreuve et ne peut en triompher. Histoire des quatre escrimeurs. Galeschin continue sa quête, et arrive au Chemin du Diable. Il s'arrête chez un vavasseur qui lui indique la voie qui mène à la Chapelle Morgain et au Val sans retour. L'écuyer de la dame de Blancastel l'abandonne à l'entrée de cette voie. Histoire du Val sans retour ou des Faux amants; Galeschin y est retenu. P. 213.
  • LXXV. Quête de messire Gauvain par messire Yvain. Rencontre de la litière du Chevalier navré. Mess. Yvain essaie vainement de le lever du coffre. Il chasse d'une maison-forte les voleurs qui la pillaient. Il voit dix chevaliers qui ont suspendu à un arbre une demoiselle, et contre lesquels se défend un chevalier. Il vole au secours du chevalier. P. 246.
  • LXXVI. Quête de messire Gauvain par Lancelot. Il lève du coffre le Chevalier navré. Il est conduit au Gay-Château chez Trajan le Gai, dont les deux fils sont Adrian le Gai—le chevalier navré, et Melian le Gai, celui qu'il avait guéri à Camalot, le jour où Artus l'avait armé chevalier. Melian lui raconte comment leur père, son frère et lui avaient été victimes des ressentiments de Karadoc et de sa vieille sorcière de mère. Melian suit quelque temps Lancelot en quête de messire Gauvain. P. 255.
  • LXXVII. Messire Gauvain enfermé dans la Tour douloureuse, au milieu de reptiles et de vermines. Il est secouru par une demoiselle que Karadoc avait enlevée au chevalier qu'elle aimait. P. 262.
  • LXXVIII. Retour à la cour d'Artus. Lionel, qui devait être armé chevalier le jour de la Pentecôte, part en secret à la recherche de son cousin Lancelot. Galehaut le reconnaît et l'oblige à revenir. La Reine est mécontente de Lancelot, qui s'est éloigné sans son congé. Suite des aventures de Lancelot. Melian le quitte pour se rendre à Londres où il arrive, comme Lionel nouvellement adoubé venait de triompher du lion couronné de Lybie. Melian raconte l'enlèvement de messire Gauvain, et la quête entreprise par Lancelot, Galeschin et messire Yvain. Douleur de la Reine. Le roi rassemble un ost et part dans l'espoir de délivrer messire Gauvain. P. 268.
  • LXXIX. Suite de la quête de messire Gauvain par Lancelot. Il arrive à l'endroit où messire Yvain soutenait l'effort des dix chevaliers de Norgales qui avaient attaqué et lié Sagremor et son amie; il les délivre. Sagremor raconte comment il avait été attaqué, et reprend avec son amie le chemin de Londres. P. 274.
  • LXXX. Lancelot continue sa quête en compagnie de messire Yvain. Une demoiselle consent à leur servir de guide, et les fait arriver devant le château des Ténèbres. Messire Yvain veut essayer de traverser le moutier, et revient tout meurtri. Lancelot tente à son tour l'aventure et en triomphe. Les ténèbres disparaissent; la lumière du jour rentre dans le château. P. 276.
  • LXXXI. Lancelot et messire Yvain arrivent devant la Chapelle Morgain. Messire Yvain descend le premier dans le Val sans retour; il y est retenu. Lancelot tente cette nouvelle aventure et en triomphe. En poursuivant l'ami de Morgain, il retourne le lit où la fée était endormie. Une demoiselle veut venger son ami tué par Lancelot. Délivrance des chevaliers retenus dans le val. Ressentiment de Morgain. Elle endort Lancelot et le transporte dans une de ses retraites, au milieu de la forêt. Quand il se réveille, elle lui offre la liberté en échange de l'anneau que lui avait donné la Reine. Refus de Lancelot. Origine de la haine de Morgain contre la Reine. P. 283.
  • LXXXII. Le Val sans retour disparaît. Galeschin, messire Yvain et les chevaliers délivrés poursuivent la quête de messire Gauvain. Hospitalité de Keu d'Estrans, oncle d'Aiglin des Vaus. Regrets de la dame d'Estrans, en apprenant la délivrance des chevaliers du Val sans retour. P. 293.
  • LXXXIII. Lancelot chez Morgain. La fée lui permet de se rendre devant la Tour douloureuse, en lui faisant promettre de revenir dès qu'il en serait averti. Elle le charge de conduire la plus belle de ses demoiselles. Tentatives de celle-ci pour rendre Lancelot infidèle à la Reine. Il reste insensible à ses provocations et elle lui demande pardon. Il enlève du milieu de l'eau le corps d'un chevalier et celui de son ancienne amie. Leur histoire. Il rejoint les chevaliers en quête de messire Gauvain. Messire Yvain et Galeschin veulent essayer de pénétrer dans la Tour douloureuse; ils sont l'un après l'autre retenus prisonniers. P. 299.
  • LXXXIV. Lancelot se rend au Pas Felon auquel était arrivé l'ost du Roi et que gardait Karadoc. L'arrivée de Lancelot décide Karadoc à reprendre le chemin de la Tour douloureuse. Lancelot le rejoint et le fait arrêter. Combat terrible. Karadoc, serré de près, entre avec Lancelot dans la Tour douloureuse. La demoiselle qui avait secouru messire Gauvain met à la portée de Lancelot une épée. Histoire de cette épée. Karadoc, mortellement frappé, veut faire mourir avant lui messire Gauvain. Lancelot le prévient et délivre messire Gauvain. Le roi Artus est reçu dans la Tour; il en fait don à la demoiselle qui avait secouru Lancelot et messire Gauvain. Melian le Gai l'épouse et devient sire de la Tour douloureuse, qu'on appellera désormais le Château de la belle prise. Lancelot est averti de retourner chez Morgain, et prend auparavant congé de messire Gauvain. P. 314.
  • LXXXV. Morgain, ne pouvant obtenir l'anneau de la Reine, endort Lancelot et lui enlève cet anneau auquel elle substitue le sien. Lancelot ne s'en aperçoit pas. Elle envoie une de ses demoiselles à Londres pour annoncer au Roi et à la Cour que Lancelot, dans une grande maladie, a reconnu le péché qu'il avait commis en répondant à l'amour de Genièvre. La demoiselle jette l'anneau dans le giron de la Reine, et la Reine avoue fièrement qu'elle l'avait donné à Lancelot avec tout l'amour dont elle pouvait encore disposer. Le Roi écoute avec assez de calme cet aveu, et la demoiselle recueille, en prenant congé, les malédictions de tous. Galehaut, Lionel, messire Gauvain, messire Yvain partent en quête de Lancelot. Ils rejoignent la messagère de Morgain, qui les conduit chez une de ses parentes, puis s'esquive et va rendre compte à Morgain du peu de succès de sa mission. P. 323.
  • LXXXVI. Séparation des quatre amis à l'entrée d'un carrefour. Aventure de Galehaut. Il voit l'écu de Lancelot que l'on fêtait; il s'en empare, et le garde après un long combat d'où il sort blessé. Il est reçu dans une maison de religion, où il reste jusqu'à sa guérison. Aventure de messire Gauvain. Il abat un chevalier félon qu'il consent à laisser remonter, et qui le fait tomber dans un marais fangeux. Messire Yvain le secourt. Ils s'arrêtent dans la maison où Galehaut attendait que ses plaies fussent cicatrisées. Lionel rencontre une demoiselle qui lui donne à croire que Lancelot a été tué. Elle offre de le conduire vers celui qui l'a frappé. Lionel la suit et provoque ce chevalier: il allait lui trancher la tête quand arrive une autre demoiselle affirmant que Lancelot n'est pas mort, et qu'elle le lui montrera, s'il veut bien épargner le chevalier vaincu. Lionel la suit: elle le fait monter sur un arbre, et, de là, apercevoir Lancelot dans le verger de Morgain. Il revient annoncer à Galehaut la bonne nouvelle; mais c'est en vain que le lendemain ils tentent de retrouver l'arbre d'où Lionel avait aperçu Lancelot. Galehaut découragé, reprend le chemin du Sorelois.
  • Morgain présente à Lancelot un philtre qui le plonge dans un sommeil agité. Il croit voir dans les bras d'un nouvel amant la reine Genièvre qui lui défend de reparaître devant elle. Abusé par ce songe, il consent le lendemain à promettre d'éviter la Cour d'Artus et de ne parler à nul des compagnons de la Table ronde. À quelques jours de là, messire Gauvain et messire Yvain le reconnaissent aux grands coups qu'il frappe dans un tournois; ils le suivent et ne peuvent lui arracher le secret de son désespoir. Lancelot retourne en Sorelois, et tombe de nouveau en frénésie. P. 332.
  • LXXXVII. Galehaut en Sorelois. Sa mort. P. 348.

15 855—TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris.

Notes

1: Tome I, p. 332.

2: Tome I, p. 329.

3: Saint Graal, p. 302.

4: Le ms. 751, fo 124 porte: «Pire que Saladin». Ce nom semble rapporter la composition à la fin du douzième siècle; vers 1190.

5: Voyez t. I, p. 310.

6: Dans le Tristan, la «géande» est femme de Brunor de l'Île aux géants; elle meurt ainsi que Brunor de la main de Tristan, et Galehaut leur fils, arrivé pour les venger, pardonne au meurtrier.—Pour ce qui est d'Allier, son histoire est racontée un peu autrement, dans la partie inédite du livre d'Artus (ms. 337). Il était seigneur de Taningue et avait vu mourir tous ses fils, à l'exception du plus jeune, dans un combat contre les Saisnes qui avait aussi rendu veuve la dame de Roestoc. Alors Allier avait pris les draps de religion et n'avait plus fait parler de lui. On lui donne pour fils Helain de Taningue, que nous avons vu (t. I, p. 315), armé chevalier par mess. Gauvain. C'est le même fonds de récit vaguement suivi par l'auteur du roman de Tristan.

7: Voyez t. III, p. 292.

8: Gages d'amitié. Voy. t. I, p. 305.

9: On conte cela dans la partie inédite de l'Artus. Mais voici le passage du Lancelot, que j'ai rendu comme j'ai pu: «Si l'i mist ce nom de desréé la reine, très devant Estrechères; le jor que li xxx chevaliers desconfirent l'ost des Saisnes et des Irois et chacierent jusqu'à l'arc de Vargairice; là où Sagremor trencha la teste à Branduagne li roi des Saisnes et Magrant le roi d'Illande. Et par la maladie qui si sovent li avenoit, li mist à non Keus li senechaus Sagremor le mort-jeun.»

Dans l'Artus (ms. 337, fo 146), comme Sagremor venait de tuer les rois Quinquenart et Brandaigne, une douleur aiguë le saisit; il en serait mort si Gauvain ne se fût hâté de lui apporter à manger. On parla beaucoup de ses prouesses et de son infirmité; et la reine remarqua qu'on ne lui pouvait rien reprocher, sinon d'être trop desréé, surnom qui ne lui déplaisait pas. Keu ajouta en raillant qu'on aurait aussi bien raison de l'appeler Mort-géun (mort de jeune), et ce mot devint l'occasion d'une grande querelle. Gauvain ayant en vain essayé de faire taire Keu, Gaheriet avait donné une buffe au mauvais railleur, et le roi Artus avait demandé une réparation pour son sénéchal. Mess. Gauvain voulut alors quitter la cour et renoncer à servir un roi qui laissait insulter les preux par un mauvais bouffon. Il fallut pour l'apaiser que le roi Artus et la reine Genièvre vinssent s'agenouiller devant lui, et que le sénéchal fît amende honorable.

10: «Et vous serez de ça, dessous cet arc volu.» (Ms. 751, p. 131.)

11: Var. Ganilte.—Gulerwilte;—Gaborwilte.—Le ms. 751 ne le nomme pas.

12: Elle estoit enserrée en un prosnel de fer, si n'i avoit c'une fenestre où on poïst sa teste boter (ms. 751, fo 133). Sur le mot prosne, voyez saint Graal, t. I, p. 283, note 1.

13: «Ce fu la premiere connoissance qui onc sous le roi Artu fu portée sur hiaume» (msc. 339, fo 61, vo). Cette remarque d'un romancier fin douzième siècle prouve au moins que l'usage était de son temps déjà ancien.

14: On donnait encore au douzième siècle le nom de tournois ou assemblées à toutes les grandes rencontres d'armées ennemies.

15: «Aïe! aïe!» De là peut-être notre exclamation douloureuse: Aye! aye!

16: «Li chans de cordouan et les raies d'escarlate à un drap vermeil d'Angleterre. Ne tant comme l'en portoit-l'en à cel tems, n'estoient-eles se de cuir vermeil non et de drap» (ms. 339, fo 63).

17: Remarquons que ce brave Ydier est roi de Cornouailles, pays qui, suivant le roman de Tristan, ne produisit jamais de bons chevaliers. C'est une preuve d'ailleurs surabondante de l'absence primitive de tout lien entre les traditions de la cour d'Artus et la Tristaneïde.

18: Tome Ier, p. 27.

19: «Li pechié dou siècle ne puent estre mené sans folie; mais moult a grant confort de sa folie qui raison i trueve et honor; et se vous poez folie trover en vos amors, ceste folie est desor totes autres honorée, car vous aimez la signorie et la flor de tous les chevaliers del monde.»

20: L'ancienne Clarence était un château féodal dont les ruines sont encore visibles dans le bourg de Clare (province de Suffolk, sur les confins du comté d'Essex). De ce château tirent leur nom les ducs de Clarence.

21: Ce n'est pas Escalibur qu'il avait cédée à Gauvain, ni Marmiadoise qu'il avait conquise sur le roi Rion. On a vu plus haut qu'elle se nommait Sequence.

22: T. I, p. 340.

23: Le manuscrit 751, fo 144 vo, ajoute quelques lignes qui montrent assez bien comme ont été remaniées les premières rédactions: «Et le grant conte de Lancelot convient repairier en la fin à Perceval qui est chiés et la fin de tos les contes ès autres chevaliers. Et tout sont branches de lui (c'est-à-dire se rapportent à Perceval), qu'il acheva la grant queste. Et li contes Perceval meismes est une branche del haut conte del Graal qui est chiés de tos les contes» (ms. 751, fo 144 vo).

Mais dans la Quête du saint Graal, Perceval (dans la plus ancienne rédaction, nommé Pelesvaus) n'est plus le héros qui découvre le Graal et accomplit les dernières aventures. Galaad, le chevalier vierge, fils naturel de Lancelot, est substitué au Perceval des dernières laisses du Lancelot. La manie des prolongements aura conduit à ces modifications des premières conceptions. Et c'est la difficulté de distinguer ces retouches successives qui a donné à la critique, qu'on me pardonne l'expression, tant de fils à retordre.

24: Dans notre roman, le Sorelois est, comme au théâtre, les coulisses. Les acteurs s'y retirent pendant que d'autres personnages remplissent la scène. Le romancier y envoie Lancelot, pour nous avertir qu'il va suivre un autre courant de traditions et joindre un nouveau rameau à la branche principale. Ces rameaux sont déjà au nombre de cinq:

  • 1o La reine aux grandes douleurs.
  • 2o Les Enfances.
  • 3o La prise de la Douloureuse garde.
  • 4o Le Galehaut.
  • 5o La guerre d'Écosse.

Le sixième qu'on va lire pourrait s'appeler Les deux Genièvres et la mort de Galehaut.

25: Isembrun ou isangrin, de couleur gris de fer. Isangrin est le nom du loup dans les romans de Renart, comme ceux de Brun, l'ours; de Roussel, l'écureuil, etc.

26: J'ai tenu à reproduire fidèlement le fond de ce projet singulier de Galehaut, dont on a peine à entrevoir le côté pratique et raisonnable.

27: Var. Dessous Tesseline.—Chesseline.

28: Var. Caellus.

29: Van Carduel en Galles (ms. 339).

30: Dans le livre d'Artus (t. II, p. 234). C'est non pas à Londres, mais à Caroaise et de la main de l'archevêque Dubricius que le mariage est célébré.

31: Var. Riols de Caus.—Kanut de Kars.

32: «Car par le haut signor de cui je tiens le cestre par coi je soie redoutés.» C'est bien le latin sceptrum, ici romanisé dans une forme plus douce.

33: Mot vieilli, mais qui a son énergie. Le roi de Navarre l'emploie heureusement dans une de ses chansons:

Une dolors enossée—Est dedens mon cors.

34: Var. Bonaces.

35: Peut-être Buckingham.

36: La même histoire est autrement racontée dans le ms. 751. Le prêtre se contente d'envoyer à la femme désespérée sa ceinture, et la délivre ainsi des démons dont elle était possédée (fo 154, vo).

37: Sur la «géande» Galatée, mère de Galehaut, voyez, plus haut, la note de la page 8.

38: Cet épisode du Parlement-Galehaut et de l'élection de Baudemagus de Gorre comme gouverneur du Sorelois, ne se lie pas au reste du récit et ne se retrouve pas dans le plus grand nombre des manuscrits. On y passe également l'explication du songe de Galehaut: ce double épisode est donc apparemment intercalé. Mais nous l'avons conservé en raison de l'intérêt qu'il offre pour l'étude des habitudes féodales.

39: «Et furent par sairement sousgis et sers et cuivers as gens du païs, autresi vil com Gieus as Crestiens» (ms. 751).

40: Var.: «A un sien chasteau qui avoit nom Vicebrog; si estoit en la fin de son royaume ès lointaines isles par devers Yrlande.» (Édition de Rouen, 1488.)

41: Table ronde, t. II, p. 153.

42: Artus, p. 241.

43: On a beaucoup déclamé contre l'ancien usage du combat judiciaire: mais on n'a pas assez remarqué que les juges devaient l'ordonner dans les seuls cas où ni l'accusateur ni l'accusé ne pouvaient fournir de preuves ou de témoins pour ou contre l'accusation.

44: Romans de la Table ronde, Artus, p. 239.

45: Il y a deux textes entièrement différents de ce grand épisode du jugement de la reine. J'ai suivi les mss. 751 et 752, qui m'ont semblé plus anciens et d'ailleurs plus corrects dans plusieurs endroits, que le msc. 339.

46: Artus avait fait présent de cette fameuse épée à son neveu Gauvain, après avoir conquis Marmiadoise sur le roi Rion (Artus, p. 193). Les autres romanciers laissent toujours Escalibur aux mains d'Artus, et je crois qu'ils suivent mieux en cela la tradition primitive. C'était l'épée qu'Artus avait pu détacher de l'enclume du Perron (Merlin, p. 96).

47: Giflet ou Girflet, fils de Do de Carduel. On disait: Fils-Do, apparemment comme Fitz-Gerald, Fitz-James, Fitz-Warin; toutefois sans prévention de bâtardise.

48: Gauvain et Galehaut, juges du camp, n'avaient pas fait jurer Lancelot, contre toutes les règles du combat judiciaire, parce qu'ils n'étaient pas assurés de l'innocence de Genièvre. Lancelot eût défendu la reine, même si l'accusation de substitution eût été fondée; mais ils ne voulaient pas l'exposer à commettre un parjure.

49: Var.: Karadoc de la Maille.

50: Ce fut précisément le cas du roi de France Philippe-Auguste, quand, après avoir répudié Isembour de Danemark, il fut contraint par le pape de la reprendre. Mais le rappel d'Isembour se rapporte à l'année 1201, et je crois que le Lancelot était publié, dix, vingt ou trente ans auparavant. S'il y a donc ici quelque allusion historique, elle se rapporte au divorce d'Aliénor d'Aquitaine, et au second mariage de cette princesse avec Henry II d'Angleterre.

51: Il est à présumer que si les effets de l'excommunication d'un roi avaient eu pour effet de fermer les églises et d'interdire les saints offices, notre auteur n'aurait pas ici fait chanter la messe et porter le saint ciboire au roi Artus.

52: Voy. t. II, le Roi Artus, p. 234.

53: Var. En mon pays. (Msc. 1430.)

54: Voilà bien les hommes. La pauvre femme suit aveuglement le perfide et malin conseil de Bertolais, et l'on admire comment un cœur de femme peut renfermer tant de malice et de perfidie. Sic vos non vobis.

55: Var.: Damazoron-Dimascon.

56: Le grand épisode où nous arrivons de l'enlèvement, de la quête et de la délivrance de messire Gauvain devait former, dans l'origine, un récit indépendant du roman en prose. C'était un de ces lais ou contes que les bardes et les jongleurs récitaient en plein air et de vive voix.

57: Voy. Liv. d'Artus, p. 132.

58: Les aventures des quatre chevaliers sont dans l'original fréquemment interrompues, pour se continuer quand on en a déjà perdu de vue les commencements. Nous avons cru devoir moins séparer entre eux chacun de ces épisodes, afin de les rendre plus faciles à suivre.

59: La barbacane était une première fortification en avant des portes et des fossés. Elle permettait aux défenseurs du château de s'avancer et de combiner de là leurs mouvements d'attaque et de retraite.

60: On voit que le surcot était, comme son nom l'indique, un vêtement qu'on passait sur la robe quand on voulait sortir de chez soi (comme aujourd'hui, pour les hommes, le paletot, et pour les femmes la palatine, mante ou mantille). Le surcot ouvert remplaçait, pour les repas, nos serviettes; on les passait sur la tunique, avant de s'asseoir à table et de laver. Il était ordinairement fourni par le maître de la maison où l'on mangeait.

61: Var. La dame de Corbenic,—la dame de Corbalain,—la dame de Corbatan,—de Cormadan,—de l'Île perdue;—la belle Aiglinte. Les mss., comme on voit, varient beaucoup sur ce nom.

62: «Chantiaus d'escus.»

63: Var. Bristol.

64: Var. Patados.

65: De trois à six heures du soir.

66: Cette histoire du château d'Ascalon le Ténébreux est racontée dans la partie inédite du livre d'Artus (msc. 337, f. 188). Mais c'est, je crois, d'après notre roman qui en donne la conclusion.

67: La loi féodale imposait aux hommes de la terre dont le seigneur avait été fait prisonnier, le devoir de le racheter au prix de tout ce qu'ils possédaient. Ils étaient donc tenus envers celui qui les déchargeait de cette obligation.

68: Apparemment quinze milles ou sept lieues et demie de France.

69: Dans la première rédaction du Livre d'Artus, la fondation du Val sans retour est racontée d'une façon un peu différente. Morgain en avait eu la pensée quand, irritée d'avoir été séparée de son ami Guiomar par la reine Genièvre, elle était venue habiter la forêt de Sarpenne ou Sarpeint. «Voyant les lieux si beaux et si riants, elle fit construire une chapelle devant un carrefour, à l'entrée du val. On y faisait chaque jour le service divin. Deux portes y étaient pratiquées: l'une descendait dans le val, l'autre conduisait à un tertre, de façon que ceux qui remontaient le val pour entendre la messe ne se réunissaient pas aux passagers du dehors qui arrivaient au tertre dans la même intention. Le prêtre n'avait aucune communication avec les assistants dont une cloison le séparait. C'est à partir du chœur de la chapelle que Morgain avait jeté son enchantement pour retenir dans le val tous les faux amants. Et sur le tertre était une croix avec des lettres qui disaient: «Chevalier errant qui passes ici cherchant les nobles aventures, prends des trois chemins celui qu'il te plaira: Si tu veux esquiver les fortes aventures va à droite, tu arriveras en Sorelois. La voie du milieu conduit à la Tour douloureuse; celle de gauche au Val sans retour, dont nul faux amant ne doit espérer revenir. Celui qui méritera d'en sortir pourra seul achever l'aventure de la Tour douloureuse, et ramener à terre les deux amants qui chastement aimèrent.» (Manusc. 337, fo 187 vo.)

70: On reconnaîtra facilement ici que l'Arc des loyaux amants, dans l'Amadis, n'est qu'une imitation de notre Val des faux amants.

71: Il faut toujours dire compagnons et non pas chevaliers de la Table ronde. Ce titre de chevalier avait un sens absolu. On devenait chevalier comme on naissait noble ou gentilhomme. Les Templiers institués en Syrie au commencement du XIIe siècle furent je crois les premiers qui formèrent un ordre particulier de chevalerie. Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem suivirent leur exemple: puis vinrent au XIVe siècle les chevaliers de la Jarretière et tous les autres à la suite.

72: Le hérisson, sorte, de cheval de frise, était une forte poutre ordinairement mobile et garnie de crocs et de grandes pointes de fer. Il y a dans Wace une description parfaitement semblable à la nôtre, et que M. Viollet-le-Duc n'a pas manqué de citer, au mot Bretèche:

Avoit à cel temps un fossé
Haut et parfont et réparé;
Sur le fossé out heriçun,
Et dedens close une maison.

(Roman de l Rou, v. 9444.)

Ce hérisson empêchait sans doute de tenter le passage du fossé quand le pont tournant était replié ou levé.

73: «Comme vilains, de cuiries et de chapiaus bolis.» De cuirie est venu le mot cuirasse, que nous donnons encore très-improprement à l'armature de fer qui couvre la poitrine; le nom ancien de fer-vêtus conviendrait mieux à nos cuirassiers.

74: De six à neuf heures du matin.

75: Plusieurs feuillets enlevés dans le bon msc. 1430, nous obligent à suivre pour quelque temps le no 339, fo 78, en le confrontant aux anciennes éditions imprimées.

76: Voy. Lancelot, t. I, p. 132.

77: Sorte de ratelier où l'on déposait les bois de lance. De hante, bois de lance.

78: Voy. Lancelot, I, p. 59.

79: Je ne crois pas que cette branche de Lionel ait été conservée. Quant à celle d'Yvain, Chrestien de Troies ne paraît pas avoir connu ou du moins suivi le texte de Lancelot. Il s'est contenté d'attribuer à son Chevalier au lion, Yvain de Galles, les aventures mises, dans le roman inédit d'Artus, sur le compte d'autres chevaliers.

80: «Dame à vous me comant où que je sois.» Invocation exprimée pour la première fois, et cent fois répétée par les héros de romans à la suite, jusqu'à Don Quichotte.

81: Voy. Lancelot, T. I, p. 126.

82: «Ce dessus dessoubs.» C'est la forme primitive, au lieu de notre sens dessus dessous.

83: Cette histoire des premières amours de Morgain découvertes et troublées par la reine Genièvre, est aussi racontée dans le livre d'Artus. Bertolais est le nom de l'amant congédié, et le même désir de vengeance y décide ce Bertolais à s'attacher à la seconde Genièvre quand elle vient réclamer la place de la première. Le livre de Lancelot ne renvoie pas dans cet endroit à celui d'Artus, et l'on en peut tirer l'induction assez vraisemblable de son antériorité.

84: Var. Rovelans.

85: Les détails de cette laisse diffèrent presque entièrement dans le ms. 1430 et dans les imprimés. J'ai préféré la leçon du ms. 339, fo 91-93.

86: Le recréant est le champion qui s'avoue vaincu et renie ce qu'il avait soutenu avant de combattre.

87: On trouve à plusieurs reprises l'imitation de cette jolie scène dans les Amadis, mais avec de nouveaux détails suffisamment accentués ici.

88: Clôture de palissades.

89: Drueries, gages d'amitié. Joyaux qui témoignaient d'une sorte d'engagement affectueux. (Voyez l'histoire de la dame de Roestoc, tome I, p. 304).

90: La Maison-fort, comme on disait alors, n'avait pas de donjon, mais seulement des tourelles, une enceinte de murs et de fossés. La maison gravée dans le Dictionnaire d'architecture de M. Viollet-le-Duc, tome VI, p. 308, au mot Manoir, semble en donner une idée exacte.

91: «Si salue les vachers qui estoient vestus de robe de religion.» Ces bouviers étaient apparemment eux-mêmes des moines chargés de cet humble emploi.

92: Var. «Augaiers».

93: «Nous cuidions que li tournoiemens fut à tanquum.» A tant quant; tanti-quanti.

94: 22 juillet.

95: Et non de Bello loco, comme a cru devoir corriger M. Th. Wright, d'après le sermon en vers français publié par M. Jubinal sous ce dernier nom.

96: Je ponctue autrement que l'éditeur du de Nugis, et je crois entendre ici que Map semble souhaiter de ne pas se laisser entraîner par une imagination vagabonde à écrire en français, à l'exemple de Guichart. Mais j'avoue que cette interprétation est fort douteuse.

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