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Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires

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CHAPITRE XXIII.

Identité du but des religions.

Ainsi parla l'orateur des hommes qui avaient recherché l'origine et la filiation des idées religieuses....

Et les théologiens des divers systèmes raisonnant sur ce discours: «C'est un exposé impie, dirent les uns, qui ne tend à rien moins qu'à renverser toute croyance, à jeter l'insubordination dans les esprits, à anéantir notre ministère et notre puissance: c'est un roman, dirent les autres, un tissu de conjectures dressées avec art, mais sans fondement. Et les gens modérés et prudents ajoutaient: Supposons que tout cela soit vrai, pourquoi révéler ces mystères? Sans doute nos opinions sont pleines d'erreurs; mais ces erreurs sont un frein nécessaire à la multitude. Le monde va ainsi depuis deux mille ans, pourquoi le changer aujourd'hui?»

Et déja la rumeur du blâme qui s'élève contre toute nouveauté, commençait de s'accroître, quand un groupe nombreux d'hommes des classes du peuple et de sauvages de tout pays et de toute nation, sans prophètes, sans docteurs, sans code religieux, s'avançant dans l'arène, attirèrent sur eux l'attention de toute l'assemblée; et l'un d'eux, portant la parole, dit au législateur:

«Arbitre et médiateur des peuples! depuis le commencement de ce débat, nous entendons des récits étranges, inouïs pour nous jusqu'à ce jour; notre esprit, surpris, confondu de tant de choses, les unes savantes, les autres absurdes, qu'également il ne comprend pas, reste dans l'incertitude et le doute. Une seule réflexion nous frappe: en résumant tant de faits prodigieux, tant d'assertions opposées, nous nous demandons: Que nous importent toutes ces discussions? Qu'avons nous besoin de savoir ce qui s'est passé il y a cinq ou six mille ans, dans des pays que nous ignorons, chez des hommes qui nous resteront inconnus? Vrai ou faux, à quoi nous sert de savoir si le monde existe depuis six ou depuis vingt mille ans, s'il s'est fait de rien ou de quelque chose, de lui-même ou par un ouvrier, qui, à son tour, exige un auteur? Quoi! nous ne sommes pas assurés de ce qui se passe près de nous, et nous répondrons de ce qui peut se passer dans le soleil, dans la lune ou dans les espaces imaginaires! Nous avons oublié notre enfance, et nous connaîtrons celle du monde? Et qui attestera ce que nul n'a vu? qui certifiera ce que personne ne comprend?

«Qu'ajoutera d'ailleurs ou que diminuera à notre existence de dire oui ou non sur toutes ces chimères? Jusqu'ici nos pères et nous n'en avons pas eu la première idée, et nous ne voyons pas que nous en ayons eu plus ou moins de soleil, plus ou moins de subsistance, plus ou moins de mal ou de bien.

«Si la connaissance en est nécessaire, pourquoi avons-nous aussi-bien vécu sans elle, que ceux qui s'en inquiètent si fort? Si elle est superflue, pourquoi en prendrons-nous aujourd'hui le fardeau?» Et s'adressant aux docteurs et aux théologiens: «Quoi! il faudra que nous, hommes ignorants et pauvres, dont tous les moments suffisent à peine aux soins de notre subsistance et aux travaux dont vous profitez, il faudra que nous apprenions tant d'histoires que vous racontez, que nous lisions tant de livres que vous nous citez, que nous apprenions tant de diverses langues dans lesquelles ils sont composés! Mille ans de vie n'y suffiraient pas....

«Il n'est pas nécessaire, dirent lès docteurs, que vous acquériez tant de science: nous l'avons pour vous....

«Mais vous-mêmes, répliquèrent les hommes simples, avec toute votre science vous n'êtes pas d'accord! à quoi sert de la posséder?

«D'ailleurs, comment pouvez-vous répondre pour nous? Si la foi d'un homme s'applique à plusieurs, vous-mêmes quel besoin avez-vous de croire? Vos pères auront cru pour vous, et cela sera raisonnable; puisque c'est pour vous qu'ils ont vu.

«Ensuite, qu'est-ce que croire, si croire n'influe sur aucune action? Et sur quelle action influe, par exemple, de croire le monde éternel ou non?

«Cela offense Dieu, dirent les docteurs.—Où en est la preuve? dirent les hommes simples.—Dans nos livres, répondirent les docteurs.—Nous ne les entendons pas, répliquèrent les hommes simples.

«Nous les entendons pour vous, dirent les docteurs.

«Voilà la difficulté, reprirent les hommes simples. De quel droit vous établissez-vous médiateurs entre Dieu et nous?

«Par ses ordres, dirent les docteurs.

«Où est la preuve de ses ordres? dirent les hommes simples.—Dans nos livres, dirent les docteurs.—Nous ne les entendons pas, dirent les hommes simples; et comment ce Dieu juste vous donne-t-il ce privilége sur nous? Comment ce père commun nous oblige-t-il de croire à un moindre degré d'évidence que vous? Il vous a parlé, soit; il est infaillible, et il ne vous trompe pas; vous nous parlez, vous! qui nous garantit que vous n'êtes pas en erreur, ou que vous ne sauriez nous y induire? Et si nous sommes trompés, comment ce Dieu juste nous sauvera-t-il contre la loi, ou nous condamnera-t-il sur celle que nous n'avons pas connue?

«Il vous a donné la loi naturelle, dirent les docteurs.

«Qu'est-ce que la loi naturelle? répondirent les hommes simples. Si cette loi suffit, pourquoi en a-t-il donné d'autres? si elle ne suffit pas, pourquoi l'a-t-il donnée imparfaite?

«Ses jugements sont des mystères, reprirent les docteurs, et sa justice n'est pas comme celle des hommes.—Si sa justice, répliquèrent les hommes simples, n'est pas comme la nôtre, quel moyen avons-nous d'en juger? et, de plus, pourquoi toutes ces lois, et quel est le but qu'elles se proposent?

«De vous rendre plus heureux, reprit un docteur, en vous rendant meilleurs et plus vertueux: c'est pour apprendre aux hommes à user de ses bienfaits, et à ne point se nuire entre eux, que Dieu s'est manifesté par tant d'oracles et de prodiges.

«En ce cas, dirent les hommes simples, il n'est pas besoin de tant d'études ni de raisonnements: montrez-nous quelle est la religion qui remplit le mieux le but qu'elles se proposent toutes.»

Aussitôt, chacun des groupes vantant sa morale, et la préférant à toute autre, il s'éleva de culte à culte une nouvelle dispute plus violente. «C'est nous, dirent les musulmans, qui possédons la morale par excellence, qui enseignons toutes les vertus utiles aux hommes et agréables à Dieu. Nous professons la justice, le désintéressement, le dévouement à la Providence, la charité pour nos frères, l'aumône, la résignation; nous ne tourmentons point les ames par des craintes superstitieuses; nous vivons sans alarmes et nous mourons sans remords.»

«Comment osez-vous, répondirent les prêtres chrétiens, parler de morale, vous dont le chef a pratiqué la licence et prêché le scandale? vous dont le premier précepte est l'homicide et la guerre? Nous en prenons à témoin l'expérience: depuis douze cents ans votre zèle fanatique n'a cessé de répandre chez les nations le trouble et le carnage; et si aujourd'hui l'Asie, jadis florissante, languit dans la barbarie et l'anéantissement, c'est à votre doctrine qu'il en faut attribuer la cause; à cette doctrine ennemie de toute instruction, qui, d'un côté, sanctifiant l'ignorance et consacrant le despotisme le plus absolu dans celui qui commande, de l'autre, imposant l'obéissance la plus aveugle et la plus passive à ceux qui sont gouvernés, a engourdi toutes les facultés de l'homme, étouffé toute industrie, et plongé les nations dans l'abrutissement.

«Il n'en est pas ainsi de notre morale sublime et céleste; c'est elle qui a retiré la terre de sa barbarie primitive, des superstitions insensées ou cruelles de l'idolâtrie, des sacrifices humains, des orgies honteuses des mystères païens; qui a épuré les mœurs, proscrit les incestes, les adultères, policé les nations sauvages, fait disparaître l'esclavage, introduit des vertus nouvelles et inconnues, la charité pour les hommes, leur égalité devant Dieu, le pardon, l'oubli des injures, la répression de toutes les passions, le mépris des grandeurs mondaines; en un mot, une vie toute sainte et toute spirituelle.»

«Nous admirons, répliquèrent les musulmans, comment vous savez allier cette charité, cette douceur évangélique, dont vous faites tant d'ostentation, avec les injures et les outrages dont vous blessez sans cesse votre prochain. Quand vous inculpez si gravement les mœurs du grand homme que nous révérons, nous pourrions trouver des représailles dans la conduite de celui que vous adorez; mais dédaignant de tels moyens, et nous bornant au véritable objet de la question, nous soutenons que votre morale évangélique n'a point la perfection que vous lui attribuez; qu'il n'est point vrai qu'elle ait introduit dans le monde des vertus inconnues, nouvelles: et, par exemple, cette égalité des hommes devant Dieu, cette fraternité et cette bienveillance qui en sont la suite, étaient des dogmes formels de la secte des hermétiques ou samanéens, dont vous descendez. Et quant au pardon des injures, les païens mêmes l'avaient enseigné; mais, dans l'extension que vous lui donnez, loin d'être une vertu, il devient une immoralité, un vice. Votre précepte si vanté de tendre une joue après l'autre, n'est pas seulement contraire à tous les sentiments de l'homme, il est encore opposé à toute idée de justice; il enhardit les méchants par l'impunité; il avilit les bons par la servitude; il livre le monde au désordre, à la tyrannie; il dissout la société; et tel est l'esprit véritable de votre doctrine: vos évangiles, dans leurs préceptes et leurs paraboles, ne représentent jamais Dieu que comme un despote sans règle d'équité; c'est un père partial, qui traite un enfant débauché, prodigue, avec plus de faveur que ses autres enfants respectueux et de bonnes mœurs; c'est un maître capricieux, qui donne le même salaire aux ouvriers qui ont travaillé une heure et à ceux qui ont fatigué pendant toute la journée, et qui préfère les derniers venus aux premiers: partout c'est une morale misanthropique, antisociale, qui dégoûte les hommes de la vie, de la société, et ne tend qu'à faire des ermites et des célibataires.

«Et quant à la manière dont vous l'avez pratiquée, nous en appelons à notre tour au témoignage des faits: nous vous demandons si c'est la douceur évangélique qui a suscité vos interminables guerres de sectes, vos persécutions atroces de prétendus hérétiques, vos croisades contre l'arianisme, le manichéisme, le protestantisme, sans parler de celles que vous avez faites contre nous, et de vos associations sacriléges, encore subsistantes, d'hommes assermentés pour les continuer. Nous vous demandons si c'est la charité évangélique qui vous a fait exterminer les peuples entiers de l'Amérique, anéantir les empires du Mexique et du Pérou; qui vous fait continuer de dévaster l'Afrique, dont vous vendez les habitants comme des animaux, malgré votre abolition de l'esclavage; qui vous fait ravager l'Inde, dont vous usurpez les domaines; enfin, si c'est elle qui depuis trois siècles vous fait troubler dans leurs foyers les peuples des trois continents, dont les plus prudents, tels que le Chinois et le Japonais, ont été obligés de vous chasser pour éviter vos fers et recouvrer la paix intérieure.»

Et à l'instant les brames, les rabbins, les bonzes, les chamans, les prêtres des îles Moluques et des côtes de la Guinée accablant les docteurs chrétiens de reproches; «Oui! s'écrièrent-ils, ces hommes sont des brigands, des hypocrites, qui prêchent la simplicité pour surprendre la confiance; l'humilité, pour asservir plus facilement; la pauvreté, pour s'approprier toutes les richesses; ils promettent un autre monde, pour mieux envahir celui-ci; et tandis qu'ils vous parlent de tolérance et de charité, ils brûlent au nom de Dieu les hommes qui ne l'adorent pas comme eux.»

«Prêtres menteurs, répondirent des missionnaires, c'est vous qui abusez de la crédulité des nations ignorantes pour les subjuguer; c'est vous qui de votre ministère faites un art d'imposture et de fourberie: vous avez converti la religion en un négoce d'avarice et de cupidité. Vous feignez d'être en communication avec des esprits, et ils ne rendent pour oracles que vos volontés; vous prétendez lire dans les astres, et le destin ne décrète que vos désirs; vous faites parler les idoles, et les dieux ne sont que les instruments de vos passions; vous avez inventé les sacrifices et les libations pour attirer à vous le lait des troupeaux, la chair et la graisse des victimes; et, sous le manteau de la piété, vous dévorez les offrandes des dieux, qui ne mangent point, et la substance des peuples, qui travaillent

«Et vous, répliquèrent les brames, les bonzes, les chamans, vous vendez aux vivants crédules de vaines prières pour les ames des morts; avec vos indulgences et vos absolutions, vous vous êtes arrogé la puissance et les fonctions de Dieu même; et faisant un trafic de ses graces et de ses pardons, vous avez mis le ciel à l'encan, et fondé, par votre système d'expiation, un tarif de crimes qui a perverti toutes les consciences.»

«Ajoutez, dirent les imans, que ces hommes ont inventé la plus profonde des scélératesses: l'obligation absurde et impie de leur raconter les secrets les plus intimes des actions, des pensées, des velléités (la confession); en sorte que leur curiosité insolente a porté son inquisition jusque dans le sanctuaire sacré du lit nuptial, dans l'asile inviolable du cœur.»

Alors de reproche en reproche, les docteurs des différents cultes commencèrent à révéler tous les délits de leur ministère, tous les vices cachés de leur état; et il se trouva que chez tous les peuples l'esprit des prêtres, leur système de conduite, leurs actions, leurs mœurs étaient absolument les mêmes;

Que partout ils avaient composé des associations secrètes, des corporations ennemies du reste de la société;

Que partout ils s'étaient attribué des prérogatives, des immunités, au moyen desquelles ils vivaient à l'abri de tous les fardeaux des autres classes;

Que partout ils n'essuyaient ni les fatigues du laboureur, ni les dangers du militaire, ni les revers du commerçant;

Que partout ils vivaient célibataires, afin de s'épargner jusqu'aux embarras domestiques;

Que partout, sous le manteau de la pauvreté, ils trouvaient le secret d'être riches et de se procurer toutes les jouissances;

Que, sous le nom de mendicité, ils percevaient des impôts plus forts que les princes;

Que, sous celui de dons et offrandes, ils se procuraient des revenus certains et exempts de frais;

Que, sous celui de recueillement et de dévotion, ils vivaient dans l'oisiveté et dans la licence;

Qu'ils avaient fait de l'aumône une vertu, afin de vivre tranquillement du travail d'autrui;

Qu'ils avaient inventé des cérémonies du culte, afin d'attirer sur eux le respect du peuple, en jouant le rôle des dieux dont ils se disaient les interprètes et les médiateurs, pour s'en attribuer toute la puissance; que, dans ce dessein, selon les lumières ou l'ignorance des peuples, ils s'étaient faits tour à tour astrologues, tireurs d'horoscopes, devins, magiciens, nécromanciens, charlatans, médecins, courtisans, confesseurs de princes, toujours tendant au but de gouverner pour leur propre avantage;

Que tantôt ils avaient élevé le pouvoir des rois et consacré leurs personnes, pour s'attirer leurs faveurs ou participer à leur puissance;

Et que tantôt ils avaient prêché le meurtre des tyrans (se réservant de spécifier la tyrannie), afin de se venger de leur mépris ou de leur désobéissance;

Que toujours ils avaient appelé impiété ce qui nuisait à leurs intérêts; qu'ils résistaient à toute instruction publique, pour exercer le monopole de la science; qu'enfin en tout temps, en tout lieu, ils avaient trouvé le secret de vivre en paix au milieu de l'anarchie qu'ils causaient, en sûreté sous le despotisme qu'ils favorisaient, en repos au milieu du travail qu'ils prêchaient, dans l'abondance au sein de la disette; et cela, en exerçant le commerce singulier de vendre des paroles et des gestes à des gens crédules, qui les paient comme des denrées du plus grand prix.

Alors les peuples, saisis de fureur, voulurent mettre en pièces les hommes qui les avaient abusés; mais le législateur arrêtant ce mouvement de violence, et s'adressant aux chefs et aux docteurs:

«Quoi! leur dit-il, instituteurs des peuples, est-ce donc ainsi que vous les avez trompés?»

Et les prêtres troublés répondirent: «Ô législateur! nous sommes hommes; et les peuples sont si superstitieux! ils ont eux-mêmes provoqué nos erreurs.»

Et les rois dirent: «Ô législateur! les peuples sont si serviles et si ignorants! eux-mêmes se sont prosternés devant le joug, qu'à peine nous osions leur montrer.»

Alors le législateur se tournant vers les peuples:

«Peuples! leur dit-il, souvenez-vous de ce que vous venez d'entendre: ce sont deux profondes vérités. Oui, vous-mêmes causez les maux dont vous vous plaignez; c'est vous qui encouragez les tyrans par une lâche adulation de leur puissance, par un engouement imprudent de leurs fausses bontés, par l'avilissement dans l'obéissance, par la licence dans la liberté, par l'accueil crédule de toute imposture: sur qui punirez-vous les fautes de votre ignorance et de votre cupidité?»

Et les peuples interdits demeurèrent dans un morne silence.

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CHAPITRE XXIV.

Solution du problème des contradictions.

Et le législateur reprenant la parole, dit: «Ô nations! nous avons entendu les débats de vos opinions; et les dissentiments qui vous partagent nous ont fourni plusieurs réflexions, et nous présentent plusieurs questions à éclaircir et à vous proposer.

«D'abord, considérant la diversité et l'opposition des croyances auxquelles vous êtes attachés, nous vous demandons sur quels motifs vous en fondez la persuasion: est-ce par un choix réfléchi que vous suivez l'étendard d'un prophète plutôt que celui d'un autre? Avant d'adopter telle doctrine plutôt que telle autre, les avez-vous d'abord comparées? en avez-vous fait un mûr examen? ou bien ne les avez-vous reçues que du hasard de la naissance, que de l'empire de l'habitude et de l'éducation? Ne naissez-vous pas chrétiens sur les bords du Tibre, musulmans sur ceux de l'Euphrate, idolâtres aux rives de l'Indus, comme vous naissez blonds dans les régions froides, et brûlés sous le soleil africain? Et si vos opinions sont l'effet de votre position fortuite sur la terre, de la parenté, de l'imitation, comment le hasard vous devient-il un motif de conviction, un argument de vérité?

«En second lieu, lorsque nous méditons sur l'exclusion respective et l'intolérance arbitraire de vos prétentions, nous sommes effrayés des conséquences qui découlent de vos propres principes. Peuples! qui vous dévouez tous réciproquement aux traits de la colère céleste, supposez qu'en ce moment l'Être universel que vous révérez, descendit des cieux sur cette multitude, et qu'investi de toute sa puissance, il s'assît sur ce trône pour vous juger tous; supposez qu'il vous dît: «Mortels! c'est votre propre justice que je vais exercer sur vous. Oui, de tant de cultes qui vous partagent, un seul aujourd'hui sera préféré; tous les autres, toute cette multitude d'étendards, de peuples, de prophètes, seront condamnés à une perte éternelle; et ce n'est point assez.... parmi les sectes du culte choisi, une seule peut me plaire, et toutes les autres seront condamnées; mais ce n'est point encore assez: de ce petit groupe réservé, il faut que j'exclue tous ceux qui n'ont pas rempli les conditions qu'imposent ses préceptes: ô hommes! à quel petit nombre d'élus avez-vous borné votre race! à quelle pénurie de bienfaits réduisez-vous mon immense bonté? à quelle solitude d'admirateurs condamnez-vous ma grandeur et ma gloire?»

Et le législateur se levant: «N'importe; vous l'avez voulu; peuples! voilà l'urne où vos noms sont placés: un seul sortira.... Osez tirer cette loterie terrible....» Et les peuples, saisis de frayeur, s'écrièrent: Non, non; nous sommes tous frères, tous égaux; nous ne pouvons nous condamner.

Alors le législateur s'étant rassis, reprit: «Ô hommes! qui disputez sur tant de sujets, prêtez une oreille attentive à un problème que vous m'offrez, et que vous devez résoudre vous-mêmes.» Et les peuples ayant prêté une grande attention, le législateur leva un bras vers le ciel; et montrant le soleil: Peuples, dit-il, ce soleil qui vous éclaire vous paraît-il carré ou triangulaire? Non, répondirent-ils unanimement, il est rond.

Puis prenant la balance d'or qui était sur l'autel: Cet or que vous maniez tous les jours, est-il plus pesant qu'un même volume de cuivre? Oui, répondirent unanimement tous les peuples, l'or est plus pesant que le cuivre....

Et le législateur prenant l'épée: Ce fer est-il moins dur que du plomb? Non, dirent les peuples.

Le sucre est-il doux et le fiel amer?—Oui.

Aimez-vous tous le plaisir, et haïssez-vous la douleur?—Oui.

Ainsi vous êtes tous d'accord sur ces objets et sur une foule d'autres semblables.

Maintenant, dites, y a-t-il un gouffre au centre de la terre et des habitants dans la lune?

À cette question, ce fut une rumeur universelle; et chacun y répondant diversement, les uns disaient oui, d'autres disaient non; ceux-ci, que cela était probable; ceux-là, que la question était oiseuse, ridicule; et d'autres, que cela était bon à savoir: et ce fut une discordance générale.

Après quelque temps, le législateur ayant rétabli le silence: «Peuples, dit-il, expliquez-nous ce problème. Je vous ai proposé plusieurs questions, sur lesquelles vous avez tous été d'accord, sans distinction de race ni de secte: hommes blancs, hommes noirs, sectateurs de Mahomet ou de Moïse, adorateurs de Boudda ou de Iêsous, vous avez tous fait la même réponse. Je vous en propose une autre, et vous êtes tous discordants! Pourquoi cette unanimité dans un cas, et cette discordance dans un autre?

Et le groupe des hommes simples et sauvages prenant la parole, répondit: «La raison en est simple: dans le premier cas, nous voyons, nous sentons les objets, nous en parlons par sensation; dans le second, ils sont hors de la portée de nos sens; nous n'en parlons que par conjecture.»

«Vous avez résolu le problème, dit le législateur; ainsi, votre propre aveu établit cette première vérité:

«Que toutes les fois que les objets peuvent être soumis à vos sens, vous êtes d'accord dans votre prononcé;

«Et que vous ne différez d'opinion, de sentiment, que quand les objets sont absents et hors de votre portée.

«Or, de ce premier fait en découle un second, également clair et digne de remarque. De ce que vous êtes d'accord sur ce que vous connaissez avec certitude, il s'ensuit que vous n'êtes discordants que sur ce que vous ne connaissez pas bien, sur ce dont vous n'êtes pas assurés; c'est-à-dire que vous vous disputez, que vous vous querellez, que vous vous battez pour ce qui est incertain, pour ce dont vous doutez. Ô hommes! n'est-ce pas là folie?

«Et n'est-il pas alors démontré que ce n'est point pour la vérité que vous contestez; que ce n'est point sa cause que vous défendez, mais celle de vos affections, de vos préjugés; que ce n'est point l'objet tel qu'il est en lui que vous voulez prouver, mais l'objet tel que vous le voyez; c'est-à-dire que vous voulez faire prévaloir, non pas l'évidence de la chose, mais l'opinion de votre personne, votre manière de voir et de juger. C'est une puissance que vous voulez exercer, un intérêt que vous voulez satisfaire, une prérogative que vous vous arrogez; c'est la lutte de votre vanité. Or, comme chacun de vous, en se comparant à tout autre, se trouve son égal, son semblable, il résiste par le sentiment d'un même droit. Et vos disputes, vos combats, votre intolérance, sont l'effet de ce droit que vous vous déniez, et de la conscience inhérente de votre égalité.

«Or, le seul moyen d'être d'accord est de revenir à la nature, et de prendre pour arbitre et régulateur l'ordre de choses qu'elle-même a posé; et alors votre accord prouve encore cette autre vérité:

«Que les êtres réels ont en eux-mêmes une manière d'exister identique, constante, uniforme, et qu'il existe dans vos organes une manière semblable d'en être affectés.

«Mais en même temps, à raison de la mobilité de ces organes par votre volonté, vous pouvez concevoir des affections différentes, et vous trouver avec les mêmes objets dans des rapports divers, en sorte que vous êtes à leur égard comme une glace réfléchissante, capable de les rendre tels qu'ils sont en effet, mais capable aussi de les défigurer et de les altérer.

«D'où il suit que, toutes les fois que vous percevez les objets tels qu'ils sont, vous êtes d'accord entre vous et avec eux-mêmes, et cette similitude entre vos sensations et la manière dont existent les êtres, est ce qui constitue pour vous leur vérité;

«Qu'au contraire, toutes les fois que vous différez d'opinions, votre dissentiment est la preuve que vous ne représentez pas les objets tels qu'ils sont, que vous les changez.

«Et de là se déduit encore, que les causes de vos dissentiments n'existent pas dans les objets eux-mêmes, mais dans vos esprits, dans la manière dont vous percevez ou dont vous jugez.

«Pour établir l'unanimité d'opinion, il faut donc préalablement bien établir la certitude, bien constater que les tableaux que se peint l'esprit sont exactement ressemblants à leurs modèles; qu'il réfléchit les objets correctement tels qu'ils existent. Or, cet effet ne peut s'obtenir qu'autant que ces objets peuvent être rapportés au témoignage, et soumis à l'examen des sens. Tout ce qui ne peut subir cette épreuve est par-là même impossible à juger; il n'existe à son égard aucune règle, aucun terme de comparaison, aucun moyen de certitude.

«D'où il faut conclure que, pour vivre en concorde et en paix, il faut consentir à ne point prononcer sur de tels objets, à ne leur attacher aucune importance; en un mot, qu'il faut tracer une ligne de démarcation entre les objets vérifiables et ceux qui ne peuvent être vérifiés, et séparer d'une barrière inviolable le monde des êtres fantastiques du monde des réalités; c'est-à-dire qu'il faut ôter tout effet civil aux opinions théologiques et religieuses.

«Voilà, ô peuples! le but que s'est proposé une grande nation affranchie de ses fers et de ses préjugés; voilà l'ouvrage que nous avions entrepris sous ses regards et par ses ordres, quand vos rois et vos prêtres sont venus le troubler.... Ô rois et prêtres! vous pouvez suspendre encore quelque temps la publication solennelle des lois de la nature, mais il n'est plus en votre pouvoir de les anéantir ou de les renverser.»

Alors un cri immense s'éleva de toutes les parties de l'assemblée; et l'universalité des peuples, par un mouvement unanime, témoignant son adhésion aux paroles du législateur: «Reprenez, lui dirent-ils, votre saint et sublime ouvrage, et portez-le à sa perfection! Recherchez des lois que la nature a posées en nous pour nous diriger, et dressez-en l'authentique et immuable code; mais que ce ne soit plus pour une seule nation, pour une seule famille: que ce soit pour nous tous sans exception! Soyez le législateur de tout le genre humain, ainsi que vous serez l'interprète de la même nature; montrez-nous la ligne qui sépare le monde des chimères de celui des réalités, et enseignez-nous, après tant de religions et d'erreurs, la religion de l'évidence et de la vérité!»

Alors le législateur, ayant repris la recherche et l'examen des attributs physiques et constitutifs de l'homme, des mouvements et des affections qui le régissent dans l'état individuel et social, développa en ces mots les lois sur lesquelles la nature elle-même a fondé son bonheur.

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LA

LOI NATURELLE,

ou

PRINCIPES PHYSIQUES

DE LA MORALE,

déduits de l'organisation de l'homme et de
l'univers.

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AVERTISSEMENT

DE L'ÉDITEUR.

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Si les livres se prisent par leur poids, celui-ci sera compté pour peu de chose; s'ils s'estiment par leur contenu, peut-être sera-t-il placé au rang des plus importants.

En général, rien de plus important qu'un bon livre élémentaire; mais aussi rien de plus difficile à composer et même à lire: pourquoi cela? parce que tout devant y être analyse et définition, tout doit y-être dit avec vérité et précision: si la vérité et la précision manquent, le but est manqué; si elles existent, il devient abstrait par sa force même.

Le premier de ces défauts a été sensible jusqu'à ce jour dans tous les livres de morale: on n'y trouve qu'un chaos de maximes décousues, de préceptes sans causes, d'actions sans motifs. Les pédants du genre humain l'ont traité comme un petit enfant: ils lui ont prescrit d'être sage par la frayeur des esprits et des revenants. Maintenant que le genre humain grandit, il est temps de lui parler raison, il est temps de prouver aux hommes que les mobiles de leur perfectionnement se tirent de leur organisation même, de l'intérêt de leurs passions, et de tout ce qui compose leur existence. Il est temps de démontrer que la morale est une science physique et géométrique, soumise aux règles et au calcul des autres sciences exactes; et tel est l'avantage du système exposé dans ce livre, que les bases de la moralité y étant fondées sur la nature même des choses, elle est fixe et immuable comme elles; tandis que dans tous les systèmes théologiques la morale étant assise sur des opinions arbitraires, non démontrables et souvent absurdes, elle change, s'affaiblit, périt avec elles, et laisse les hommes dans une dépravation absolue. Il est vrai que, par la raison même que notre système se fonde sur des faits et non sur des rêves, il trouvera plus de difficulté à se répandre et à s'établir; mais il tirera des forces de cette lutte même, et tôt ou tard l'éternelle religion de la nature renversera les religions passagères de l'esprit humain.

Ce livre fut publié pour la première fois en 1793, sous le titre de Catéchisme du Citoyen français: il avait d'abord été destiné à être un livre national; mais il pourrait également bien s'intituler Catéchisme du bon sens et des honnêtes gens; il faut espérer qu'il deviendra un livre commun à toute l'Europe. Il est possible que dans sa brièveté il n'ait pas suffisamment rempli le but d'un livre classique populaire; mais l'auteur sera satisfait s'il a du moins le mérite d'indiquer le moyen d'en faire de meilleurs.

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LA

LOI NATURELLE,

ou

PRINCIPES PHYSIQUES

DE LA MORALE,

image pas disponible

CHAPITRE PREMIER.

De la loi naturelle.

D. Qu'est-ce que la loi naturelle?

R. C'est l'ordre régulier et constant des faits, par lequel Dieu régit l'univers; ordre que sa sagesse présente aux sens et à la raison des hommes, pour servir à leurs actions de règle égale et commune, et pour les guider, sans distinction de pays ni de secte, vers la perfection et le bonheur.

D. Définissez-moi clairement le mot loi.

R. Le mot loi, pris littéralement, signifie lecture[32], parce que, dans l'origine, les ordonnances et règlements étaient la lecture par excellence que l'on faisait au peuple, afin qu'il les observât et n'encourût pas les peines portées contre leur infraction: d'où il suit que l'usage originel expliquant l'idée véritable, la loi se définit:

«Un ordre ou une défense d'agir, avec la clause expresse d'une peine attachée à l'infraction, ou d'une récompense attachée à l'observation de cet ordre.»

D. Est-ce qu'il existe de tels ordres dans la nature?

R. Oui.

D. Que signifie ce mot nature?

R. Le mot nature prend trois sens divers:

1º Il désigne l'univers, le monde matériel: on dit, dans ce premier sens, la beauté de la nature, la richesse de la nature, c'est-à-dire les objets du ciel et de la terre offerts à nos regards;

2º Il désigne la puissance qui anime, qui meut l'univers, en la considérant comme un être distinct, comme l'ame est au corps; on dit, dans ce second sens: «Les intentions de la nature, les «secrets incompréhensibles de la nature.»

3º Il désigne les opérations partielles de cette puissance dans chaque être ou dans chaque classe d'êtres; et l'on dit, dans ce troisième sens: «C'est une énigme que la nature de l'homme; chaque être agit selon sa nature

Or, comme les actions de chaque être ou de chaque espèce d'êtres sont soumises à des règles constantes et générales, qui ne peuvent être enfreintes sans que l'ordre général où particulier soit interverti et troublé, l'on donne à ces règles d'actions et de mouvements le nom de lois naturelles ou lois de la nature.

D. Donnez-moi des exemples de ces lois.

R. C'est une loi de la nature, que le soleil éclaire successivement la surface du globe terrestre;—que sa présence y excite la lumière et la chaleur;—que la chaleur agissant sur l'eau forme des vapeurs;—que ces vapeurs élevées en nuages dans les régions de l'air s'y résolvent en pluies ou en neiges, qui renouvellent sans cesse les eaux des sources et des fleuves.

C'est une loi de la nature, que l'eau coule de haut en bas; qu'elle cherche son niveau; qu'elle soit plus pesante que l'air;—que tous les corps tendent, vers la terre;—que la flamme s'élève vers les cieux; qu'elle désorganise les végétaux et les animaux;—que l'air soit nécessaire à la vie de certains animaux; que, dans certaines circonstances, l'eau les suffoque et les tue; que certains sucs de plantes, certains minéraux attaquent leurs organes, détruisent leur vie, et ainsi d'une foule d'autres faits.

Or, parce que tous ces faits et leurs semblables sont immuables, constants, réguliers, il en résulte pour l'homme autant de véritables ordres de s'y conformer, avec la clause expresse d'une peine attachée à leur infraction, ou d'un bien-être attaché à leur observation; de manière que si l'homme prétend voir clair dans les ténèbres, s'il contrarie la marche des saisons, l'action des éléments; s'il prétend vivre dans l'eau sans se noyer, toucher la flamme sans se brûler, se priver d'air sans s'étouffer, boire des poisons sans se détruire, il reçoit de chacune de ces infractions aux lois naturelles une punition corporelle et proportionnée à sa faute;—qu'au contraire, s'il observe et pratique chacune de ces lois dans les rapports exacts et réguliers qu'elles ont avec lui, il conserve son existence, et la rend aussi heureuse qu'elle peut l'être; et parce que toutes ces lois, considérées relativement à l'espèce humaine, ont pour but unique et commun de la conserver et de la rendre heureuse, on est convenu d'en rassembler l'idée sous un même mot, et de les appeler collectivement la loi naturelle.

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CHAPITRE II

Caractères de la loi naturelle.

D. Quels sont les caractères de la loi naturelle?

R. On en peut compter dix principaux.

D. Quel est le premier?

R. C'est d'être inhérente à l'existence des choses, par conséquent, d'être primitive et antérieure à toute autre loi; en sorte que toutes celles qu'ont reçues les hommes n'en sont que des imitations, dont la perfection se mesure sur leur ressemblance avec ce modèle primordial.

D. Quel est le second?

R. C'est de venir immédiatement de Dieu, d'être présentée par lui à chaque homme, tandis que les autres ne nous sont présentées que par des hommes qui peuvent être trompés ou trompeurs.

D. Quel est le troisième?

R. C'est d'être commune à tous les temps, à tous les pays, c'est-à-dire, d'être une et universelle.

D. Est-ce qu'aucune autre loi n'est universelle?

R. Non, car aucune ne convient, aucune n'est applicable à tous les peuples de la terre; toutes sont locales et accidentelles, nées par des circonstances de lieux et de personnes; en sorte que si tel homme, tel événement n'eût pas existé, telle loi n'existerait pas.

D. Quel est le quatrième caractère?

R. C'est d'être uniforme et invariable.

D. Est-ce qu'aucune autre n'est uniforme et invariable?

R. Non; car ce qui est bien et vertu selon l'une, est mal et vice selon l'autre; et ce qu'une même loi approuve dans un temps, elle le condamne souvent dans un autre.

D. Quel est le cinquième caractère?

R. D'être évidente et palpable, parce qu'elle consiste tout entière en faits sans cesse présents aux sens et à la démonstration.

D. Est-ce que les autres lois ne sont pas évidentes?

R. Non; car elles se fondent sur des faits passés et douteux, sur des témoignages équivoques et suspects, et sur des preuves inaccessibles aux sens.

D. Quel est le sixième caractère?

R. D'être raisonnable, parce que ses préceptes et toute sa doctrine sont conformes à la raison et à l'entendement humain.

D. Est-ce qu'aucune autre loi n'est raisonnable?

R. Non; car toutes contrarient la raison et l'entendement de l'homme, et lui imposent avec tyrannie une croyance aveugle et impraticable.

D. Quel est le septième caractère?

R. D'être juste, parce que dans cette loi les peines sont proportionnées aux infractions.

D. Est-ce que les autres lois ne sont pas justes?

R. Non; car elles attachent souvent aux mérites ou aux délits des peines ou des récompenses démesurées, et elles imputent à mérite ou à délit des actions nulles ou indifférentes.

D. Quel est le huitième caractère?

R. D'être pacifique et tolérante, parce que, dans la loi naturelle, tous les hommes étant frères et égaux en droits, elle ne leur conseille à tous que paix et tolérance, même pour leurs erreurs.

D. Est-ce que les autres lois ne sont pas pacifiques?

R. Non; car toutes prêchent la dissension, la discorde, la guerre, et divisent les hommes par des prétentions exclusives de vérité et de domination.

D. Quel est le neuvième caractère?

R. D'être également bienfaisante pour tous les hommes, en leur enseignant à tous les véritables moyens d'être meilleurs et plus heureux.

D. Est-ce que les autres ne sont pas aussi bienfaisantes?

R. Non; car aucune n'enseigne les véritables moyens du bonheur: toutes se réduisent à des pratiques pernicieuses ou futiles, et les faits le prouvent, puisque après tant de lois, tant de religions, de législateurs et de prophètes, les hommes sont encore aussi malheureux et aussi ignorants qu'il y a six mille ans.

D. Quel est le dernier caractère de la loi naturelle?

R. C'est de suffire seule à rendre les hommes plus heureux et meilleurs, parce qu'elle embrasse tout ce que les autres lois civiles ou religieuses ont de bon ou d'utile, c'est-à-dire qu'elle en est essentiellement la partie morale; de manière que, si les autres lois étaient dépouillées, elles se trouveraient réduites à des opinions chimériques et imaginaires, sans aucune utilité pratique.

D. Résumez-moi tous ces caractères.

R. J'ai dit que la loi naturelle est,

Primitive;Raisonnable;
Immédiate;Juste;
Universelle;Pacifique;
Invariable;Bienfaisante;
Évidente;10ºEt seule suffisante.

Et telle est la puissance de tous ces attributs de perfection et de vérité, que, lorsqu'en leurs disputes les théologiens ne peuvent s'accorder sur aucun point de croyance, ils ont recours à la loi naturelle, dont l'oubli, disent-ils, a forcé Dieu d'envoyer de temps en temps des prophètes publier des lois nouvelles: comme si Dieu faisait des lois de circonstance, à la manière des hommes, surtout quand la première subsiste avec tant de force, qu'on peut dire qu'en tout temps et en tout pays, elle n'a cessé d'être la loi de conscience de tout homme raisonnable et sensé.

D. Si, comme vous le dites, elle émane immédiatement de Dieu, enseigne-t-elle son existence?

R. Oui, très-positivement; car pour tout homme qui observe avec réflexion le spectacle étonnant de l'univers, plus il médite sur les propriétés et les attributs de chaque être, sur l'ordre admirable et l'harmonie de leurs mouvements, plus il lui est démontré qu'il existe un agent suprême, un moteur universel et identique, désigné par le nom de Dieu; et il est si vrai que la loi naturelle suffit pour élever à la connaissance de Dieu, que tout ce que les hommes ont prétendu en connaître par des moyens étrangers, s'est constamment trouvé ridicule, absurde, et qu'ils ont été obligés d'en revenir aux immuables notions de la raison naturelle.

D. Il n'est donc pas vrai que les sectateurs de la loi naturelle soient athées?

R. Non, cela n'est pas vrai; au contraire, ils ont de la Divinité des idées plus fortes et plus nobles que la plupart des autres hommes; car ils ne la souillent point du mélange de toutes les faiblesses et de toutes les passions de l'humanité.

D. Quel est le culte qu'ils lui rendent?

R. Un culte tout entier d'action: la pratique et l'observation de toutes les règles que la suprême sagesse a imposées aux mouvements de chaque être; règles éternelles et inaltérables, par lesquelles elle maintient l'ordre et l'harmonie de l'univers, et qui, dans leurs rapports avec l'homme, composent la loi naturelle.

D. A-t-on connu avant ce jour la loi naturelle?

R. On en a de tout temps parlé: la plupart des législateurs ont dit la prendre pour base de leurs lois; mais ils n'en ont cité que quelques préceptes, et ils n'ont eu de sa totalité que des idées vagues.

D. Pourquoi cela?

R. Parce que, quoique simple dans ses bases, elle forme, dans ses développements et ses conséquences, un ensemble compliqué qui exige la connaissance de beaucoup de faits, et toute la sagacité du raisonnement.

D. Est-ce que l'instinct seul n'indique pas la loi naturelle?

R. Non; car par instinct l'on n'entend que ce sentiment aveugle qui porte indistinctement vers tout ce qui flatte les sens.

D. Pourquoi dit-on donc que la loi naturelle est gravée dans le cœur de tous les hommes?

R. On le dit par deux raisons: 1º parce que l'on a remarqué qu'il y avait des actes et des sentiments communs à tous les hommes, ce qui vient de leur commune organisation; 2º parce que les premiers philosophes ont cru que les hommes naissaient avec des idées déja formées, ce qui est maintenant démontré une erreur.

D. Les philosophes se trompent donc?

R. Oui, cela leur arrive.

D. Pourquoi cela?

R. Iº Parce qu'ils sont hommes; 2º parce que les ignorants appellent philosophes tous ceux qui raisonnent bien ou mal; 3º parce que ceux qui raisonnent sur beaucoup de choses, et qui en raisonnent les premiers, sont sujets à se tromper.

D. Si la loi naturelle n'est pas écrite, ne devient-elle pas une chose arbitraire et idéale?

R. Non; parce qu'elle consiste tout entière en faits dont la démonstration peut sans cesse se renouveler aux sens, et composer une science aussi précise et aussi exacte que la géométrie et les mathématiques; et c'est par la raison même que la loi naturelle forme une science exacte, que les hommes, nés ignorants et vivant distraits, ne l'ont connue, jusqu'à nos jours, que superficiellement.

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CHAPITRE III.

Principes de la loi naturelle par rapport à l'homme.

D. Développez-moi les principes de la loi naturelle par rapport à l'homme?

R. Ils sont simples; ils se réduisent à un précepte fondamental et unique.

D. Quel est ce précepte?

R. C'est la conservation de soi-même.

D. Est-ce que le bonheur n'est pas aussi un précepte de la loi naturelle?

R. Oui; mais comme le bonheur est un état accidentel qui n'a lieu que dans le développement des facultés de l'homme et du système social, il n'est point le but immédiat et direct de la nature; c'est, pour ainsi dire, un objet de luxe, surajouté à l'objet nécessaire et fondamental de la conservation.

D. Comment la nature ordonne-t-elle à l'homme de se conserver?

R. Par deux sensations puissantes et involontaires, qu'elle a attachées comme deux guides, deux génies gardiens à toutes ses actions: l'une, sensation de douleur, par laquelle elle l'avertit et le détourne de tout ce qui tend à le détruire; l'autre, sensation de plaisir, par laquelle elle l'attire et le porte vers tout ce qui tend à conserver et à développer son existence.

D. Le plaisir n'est donc pas un mal, un péché, comme le prétendent les casuistes?

R. Non: il ne l'est qu'autant qu'il tend à détruire la vie et la santé, qui, du propre aveu de ces casuistes, nous viennent de Dieu même.

D. Le plaisir est-il l'objet principal de notre existence, comme l'on dit quelques philosophes?

R. Non: il ne l'est pas plus que la douleur; le plaisir est un encouragement à vivre, comme la douleur est un repoussement à mourir.

D. Comment prouvez-vous cette assertion?

R. Par deux faits palpables: l'un, que le plaisir, s'il est pris au delà du besoin, conduit à la destruction; par exemple, un homme qui abuse du plaisir de manger ou de boire, attaque sa santé et nuit à sa vie. L'autre, que la douleur conduit quelquefois à la conservation; par exemple, un homme qui se fait couper un membre gangrené souffre de la douleur, et c'est afin de ne pas périr tout entier.

D. Mais cela même ne prouve-t-il pas que nos sensations peuvent nous tromper sur le but de notre conservation?

R. Oui: elles le peuvent momentanément.

D. Comment nos sensations nous trompent-elles?

R. De deux manières: par ignorance, et par passion.

D. Quand nous trompent-elles par ignorance?

R. Lorsque nous agissons sans connaître l'action et l'effet des objets sur nos sens; par exemple, lorsqu'un homme touche des orties sans connaître leur qualité piquante, ou lorsqu'il mâche de l'opium dont il ignore la qualité endormante.

D. Quand nous trompent-elles par passion?

R. Lorsque, connaissant l'action nuisible des objets, nous nous livrons cependant à la fougue de nos désirs et de nos appétits; par exemple, lorsqu'un homme qui sait que le vin enivre en boit avec excès.

D. Que résulte-t-il de là?

R. Il en résulte que l'ignorance dans laquelle nous naissons, et que les appétits déréglés auxquels nous nous livrons, sont contraires à notre conservation; que par conséquent l'instruction de notre esprit et la modération de nos passions sont deux obligations, deux lois qui dérivent immédiatement de la première loi de la conservation.

D. Mais si nous naissons ignorants, l'ignorance n'est-elle pas une loi naturelle?

R. Pas davantage que de rester enfants, nus et faibles. Loin d'être pour l'homme une loi de la nature, l'ignorance est un obstacle à la pratique de toutes ses lois. C'est le véritable péché originel.

D. Pourquoi donc s'est-il trouvé des moralistes qui l'ont regardée comme une vertu et une perfection?

R. Parce que par bizarrerie d'esprit, ou par misanthropie, ils ont confondu l'abus des connaissances avec les connaissances mêmes: comme si, parce que les hommes abusent de la parole, il fallait leur couper la langue: comme si la perfection et la vertu consistaient dans la nullité, et non dans le développement et le bon emploi de nos facultés.

D. L'instruction est donc une nécessité indispensable à l'existence de l'homme?

R. Oui: tellement indispensable, que sans elle il est à chaque instant frappé, et blessé par tous les êtres qui l'environnent; car, s'il ne connaît pas les effets du feu, il se brûle; ceux de l'eau, il se noie; ceux de l'opium, il s'empoisonne: si dans l'état sauvage il ne connaît pas les ruses des animaux et l'art de saisir le gibier, il périt de faim; si dans l'état social il ne connaît pas la marche des saisons, il ne peut ni labourer, ni s'alimenter; ainsi de toutes ses actions dans tous les besoins de sa conservation.

D. Mais toutes ces notions nécessaires à son existence et au développement de ses facultés, l'homme isolé peut-il se les procurer?

R. Non: il ne le peut qu'avec l'aide de ses semblables, que vivant en société.

D. Mais la société n'est-elle pas pour l'homme un état contre nature?

R. Non: elle est au contraire un besoin, une loi que la nature lui impose par le propre fait de son organisation; car, 1º la nature a tellement constitué l'être humain, qu'il ne voit point son semblable d'un autre sexe sans éprouver des émotions et un attrait dont les suites le conduisent à vivre en famille, qui déja est un état de société; 2º en le formant sensible, elle l'a organisé de manière que les sensations d'autrui se réfléchissent en lui-même, et y excitent des co-sentiments de plaisir, de douleur, qui sont un attrait et un lien indissoluble de la société, 3º enfin l'état de société, fondé sur les besoins de l'homme, n'est qu'un moyen de plus de remplir la loi de se conserver; et dire que cet état est hors de nature parce qu'il est plus parfait, c'est dire qu'un fruit amer et sauvage dans les bois, n'est plus le produit de la nature, alors qu'il est devenu doux et délicieux dans les jardins où on l'a cultivé.

D. Pourquoi donc les philosophes ont-ils appelé la vie sauvage l'état de perfection?

R. Parce que, comme je vous l'ai dit, le vulgaire a souvent donné le nom de philosophes à des esprits bizarres, qui, par morosité, par vanité blessée, par dégoût des vices de la société, se sont fait de l'état sauvage des idées chimériques, contradictoires à leur propre système de l'homme parfait.

D. Quel est le vrai sens de ce mot philosophe?

R. Le mot philosophe signifie amant de la sagesse: or, comme la sagesse consiste dans la pratique des lois naturelles, le vrai philosophe est celui qui connaît ces lois avec étendue et justesse, et qui y conforme toute sa conduite.

D. Qu'est-ce que l'homme dans l'état sauvage?

R. C'est un animal brut, ignorant, une bête méchante et féroce, à la manière des ours et des orang-outangs.

D. Est-il heureux dans cet état?

R. Non; car il n'a que les sensations du moment; et ces sensations sont habituellement celles de besoins violents qu'il ne peut remplir, attendu qu'il est ignorant par nature et faible par son isolement.

D. Est-il libre?

R. Non: il est le plus esclave des êtres; car sa vie dépend de tout ce qui l'entoure; il n'est pas libre de manger quand il a faim, de se reposer quand il est las, de se réchauffer quand il a froid; il court risque à chaque instant de périr: aussi la nature n'a-t-elle présenté que par hasard de tels individus; et l'on voit que tous les efforts de l'espèce humaine depuis son origine n'ont tendu qu'à sortir de cet état violent, par le besoin pressant de sa conservation.

D. Mais ce besoin de conservation ne produit-il pas dans les individus l'égoïsme, c'est-à-dire l'amour de soi? et l'égoïsme n'est-il pas contraire à l'état social?

R. Non; car, si par égoïsme vous entendez le penchant à nuire à autrui, ce n'est plus l'amour de soi, c'est la haine des autres. L'amour de soi, pris dans son vrai sens, non-seulement n'est pas contraire à la société, il en est le plus ferme appui, par la nécessité de ne pas nuire à autrui, de peur qu'en retour autrui ne nous nuise.

Ainsi la conversation de l'homme, et le développement de ses facultés dirigé vers ce but, sont la véritable loi de la nature dans la production de l'être humain; et c'est de ce principe simple et fécond que dérivent, c'est à lui que se rapportent, c'est sur lui que se mesurent toutes les idées de bien et de mal, de vice et de vertu, de juste ou d'injuste, de vérité ou d'erreur, de permis ou de défendu, qui fondent la morale de l'homme individu, ou de l'homme social.

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CHAPITRE IV.

Bases de la morale; du bien, du mal, du péché, du crime, du vice et de la vertu.

D. Qu'est-ce que le bien selon la loi naturelle?

R. C'est tout ce qui tend à conserver et perfectionner l'homme.

D. Qu'est-ce que le mal?

R. C'est tout ce qui tend à détruire et détériorer l'homme.

D. Qu'entend-on par mal et bien physique, mal et bien moral?

R. On entend par ce mot physique, tout ce qui agit immédiatement sur le corps. La santé est un bien physique; la maladie est un mal physique. Par moral, on entend ce qui n'agit que par des conséquences plus ou moins prochaines. La calomnie est un mal moral; la bonne réputation est un bien moral, parce que l'une et l'autre occasionent à notre égard des dispositions et des habitudes[33] de la part des autres hommes, qui sont utiles ou nuisibles à notre conservation, et qui attaquent ou favorisent nos moyens d'existence.

D. Tout ce qui tend à conserver ou à produire est donc un bien?

R. Oui: et voilà pourquoi certains législateurs ont placé au rang des ouvres agréables à Dieu, la culture d'un champ et la fécondité d'une femme.

D. Tout ce qui tend à donner la mort est donc un mal?

R. Oui: et voilà pourquoi des législateurs ont étendu l'idée du mal et du péché jusque sur le meurtre des animaux.

D. Le meurtre d'un homme est donc un crime dans la loi naturelle?

R. Oui: et le plus grand que l'on puisse commettre; car tout autre mal peut se réparer, mais le meurtre ne se répare point.

D. Qu'est-ce qu'un péché dans la loi naturelle?

R. C'est tout ce qui tend à troubler l'ordre établi par la nature, pour la conservation et la perfection de l'homme et de la société.

D. L'intention peut-elle être un mérite ou un crime?

R. Non; car ce n'est qu'une idée sans réalité; mais elle est un commencement de péché et de mal, par la tendance qu'elle donne vers l'action.

D. Qu'est-ce que la vertu selon la loi naturelle?

R. C'est la pratique des actions utiles à l'individu et à la société.

D. Que signifie ce mot individu?

R. Il signifie un homme considéré isolement de tout autre.

D. Qu'est-ce que le vice selon la loi naturelle?

R. C'est la pratique des actions nuisibles à l'individu et à la société.

D. Est-ce que la vertu et le vice n'ont pas un objet purement spirituel et abstrait des sens?

R. Non: c'est toujours à un but physique qu'ils se rapportent en dernière analyse, et ce but est toujours de détruire ou de conserver le corps.

D. Le vice et la vertu ont-ils des degrés de force et d'intensité?

R. Oui: selon l'importance des facultés qu'ils attaquent ou qu'ils favorisent, et selon le nombre d'individus en qui ces facultés sont favorisées ou lésées.

D. Donnez-m'en des exemples?

R. L'action de sauver la vie d'un homme est plus vertueuse que celle de sauver son bien; l'action de sauver la vie de dix hommes l'est plus que de sauver la vie d'un seul; et l'action utile à tout le genre humain est plus vertueuse que l'action utile à une seule nation.

D. Comment la loi naturelle prescrit-elle la pratique du bien et de la vertu, et défend-elle celle du mal et du vice?

R. Par les avantages mêmes qui résultent de la pratique du bien et de la vertu pour la conservation de notre corps, et par les dommages qui résultent, pour notre existence, de la pratique du mal et du vice.

D. Ses préceptes sont donc dans l'action?

R. Oui: ils sont l'action même considérée dans son effet présent et dans ses conséquences futures.

D. Comment divisez-vous les vertus?

R. Nous les divisons en trois classes: 1º vertus individuelles ou relatives à l'homme seul; 2º vertus domestiques ou relatives à la famille; 3º et vertus sociales ou relatives à la société.

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CHAPITRE V.

Des vertus individuelles.

D. Quelles sont les vertus individuelles?

R. Elles sont au nombre de cinq principales, savoir:

1º La science, qui comprend la prudence et la sagesse;

2º La tempérance, qui comprend la sobriété et la chasteté;

3º Le courage, ou la force du corps et de l'ame;

4º L'activité, c'est-à-dire l'amour du travail et l'emploi du temps;

5º Enfin la propreté, ou pureté du corps, tant dans les vêtements que dans l'habitation.

D. Comment la loi naturelle prescrit-elle la science?

R. Par la raison que l'homme qui connaît les causes et les effets des choses, pourvoit d'une manière étendue et certaine à sa conservation et au développement de ses facultés. La science est pour lui l'œil et la lumière, qui lui font discerner avec justesse et clarté tous les objets au milieu desquels il se meut; et voilà pourquoi l'on dit un homme éclairé, pour désigner un homme savant et instruit. Avec la science et l'instruction on a sans cesse des ressources et des moyens de subsister; et voilà pourquoi un philosophe, qui avait fait naufrage, disait au milieu de ses compagnons qui se désolaient de la perte de leurs fonds: Pour moi, je porte tous mes fonds en moi.

D. Quel est le vice contraire à la science?

R. C'est l'ignorance.

D. Comment la loi naturelle défend-elle l'ignorance?

R. Par les graves détriments qui en résultent pour notre existence; car l'ignorant, qui ne connaît ni les causes ni les effets, commet à chaque instant les erreurs les plus pernicieuses à lui et aux autres; c'est un aveugle qui marche à tâtons, et qui, à chaque pas, est heurté ou heurte ses associés.

D. Quelle différence y a-t-il entre un ignorant et un sot?

R. La même différence qu'entre un aveugle de bonne foi et un aveugle qui prétend voir clair: la sottise est la réalité de l'ignorance, plus la vanité du savoir.

D. L'ignorance et la sottise sont-elles communes?

R. Oui, très-communes; ce sont les maladies habituelles et générales du genre humain: il y a trois mille ans que le plus sage des hommes disait: Le nombre des sots est infini; et le monde n'a point changé.

D. Pourquoi cela?

R. Parce que, pour être instruit, il faut beaucoup de travail et de temps, et que les hommes, nés ignorants et craignant la peine, trouvent plus commode de rester aveugles et de prétendre voir clair.

D. Quelle différence y a-t-il du savant au sage?

R. Le savant connaît, et le sage pratique.

D. Qu'est-ce que la prudence?

R. C'est la vue anticipée, la prévoyance des effets et des conséquences de chaque chose; prévoyance au moyen de laquelle l'homme évite les dangers qui le menacent, saisit et suscite les occasions qui lui sont favorables: d'où il résulte qu'il pourvoit à sa conservation pour le présent et pour l'avenir d'une manière étendue et sûre, tandis que l'imprudent qui ne calcule ni ses pas, ni sa conduite, ni les efforts, ni les résistances, tombe à chaque instant dans mille embarras, mille périls, qui détruisent plus ou moins lentement ses facultés et son existence.

D. Lorsque l'Évangile appelle bienheureux les pauvres d'esprit, entend-il parler des ignorants et des imprudents?

D. Non; car, en même temps qu'il conseille la simplicité des colombes, il ajoute la prudente finesse des serpents. Par simplicité d'esprit on entend la droiture, et le précepte de l'Évangile n'est que celui de la nature.

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CHAPITRE VI.

De la tempérance.

D. Qu'est-ce que la tempérance?

R. C'est un usage réglé de nos facultés, qui fait que nous n'excédons jamais, dans nos sensations, le but de la nature à nous conserver; c'est la modération des passions.

D. Quel est le vice contraire à la tempérance?

R. C'est le déréglement des passions, l'avidité de toutes les jouissances, en un mot: la cupidité.

D. Quelles sont les branches principales de la tempérance?

R. Ce sont la sobriété, la continence ou la chasteté.

D. Comment la loi naturelle prescrit-elle la sobriété?

R. Par son influence puissante sur notre santé. L'homme sobre digère avec bien-être; il n'est point accablé du poids des aliments; ses idées sont claires et faciles, il remplit bien toutes ses fonctions; il vaque avec intelligence à ses affaires; il vieillit exempt de maladies; il ne perd point son argent en remèdes, et il jouit avec allégresse des biens que le sort et sa prudence lui ont procurés. Ainsi, d'une seule vertu la nature généreuse tire mille récompenses.

D. Comment prohibe-t-elle la gourmandise?

R. Par les maux nombreux qui y sont attachés. Le gourmand, oppressé d'aliments, digère avec anxiété; sa tête troublée par les fumées de la digestion ne conçoit point d'idées nettes et claires; il se livre avec violence à des mouvements déréglés de luxure et de colère qui nuisent à sa santé; son corps devient gras, pesant et impropre au travail; il essuie des maladies douloureuses et dispendieuses; il vit rarement vieux, et sa vieillesse est remplie de dégoûts et d'infirmités.

D. Doit-on considérer l'abstinence et le jeûne comme des actions vertueuses?

R. Oui, lorsque l'on a trop mangé; car alors l'abstinence et le jeûne sont des remèdes efficaces et simples; mais lorsque le corps a besoin d'aliments, les lui refuser et le laisser souffrir de soif ou de faim, c'est un délire et un véritable péché contre la loi naturelle.

D. Comment cette loi considère-t-elle l'ivrognerie?

R. Comme le vice le plus vil et le plus pernicieux. L'ivrogne, privé du sens et de la raison que Dieu nous a donnés, profane le bienfait de la Divinité; il se ravale à la condition des brutes; incapable de guider même ses pas, il chancelle et tombe comme l'épileptique; il se blesse et peut même se tuer; sa faiblesse dans cet état le rend le jouet et le mépris de tout ce qui l'environne; il contracte dans l'ivresse des marchés ruineux, et il perd ses affaires; il lui échappe des propos outrageux qui lui suscitent des ennemis, des repentirs; il remplit sa maison de troubles, de chagrins, et finit par une mort précoce ou par une vieillesse cacochyme.

D. La loi naturelle interdit-elle absolument l'usage du vin?

R. Non: elle en défend seulement l'abus; mais comme de l'usage à l'abus le passage est facile et prompt pour le vulgaire, peut-être les législateurs qui ont proscrit l'usage du vin ont-ils rendu service à l'humanité.

D. La loi naturelle défend-elle l'usage de certaines viandes, de certains végétaux, à certains jours, dans certaines saisons?

R. Non: elle ne défend absolument que ce qui nuit à la santé; ses préceptes varient à cet égard comme les personnes, et ils composent même une science très-délicate et très-importante; car la qualité, la quantité, la combinaison des aliments, ont la plus grande influence, non-seulement sur les affections momentanées de l'ame, mais encore sur ses dispositions habituelles. Un homme n'est point, à jeun le même qu'après un repas, fût-il sobre. Un verre de liqueur, une tasse de café donnent des degrés divers de vivacité, de mobilité, de disposition à la colère, la tristesse ou à la gaieté; tel mets, parce qu'il pèse à l'estomac, rend morose et chagrin; et tel autre, parce qu'il se digère bien, donne de l'allégresse, du penchant à obliger, à aimer. L'usage des végétaux, parce qu'ils nourrissent peu, rend le corps faible, et porte vers le repos, la paresse, la douceur; l'usage des viandes, parce qu'elles nourrissent beaucoup, et des spiritueux, parce qu'ils stimulent les nerfs, donne de la vivacité, de l'inquiétude, de l'audace. Or de ces habitudes d'aliments résultent des habitudes de constitution et d'organes qui forment ensuite les tempéraments marqués chacun de leur caractère. Et voilà pourquoi, surtout dans les pays chauds, les législateurs ont fait des lois de régime. De longues expériences avaient appris aux anciens que la science diététique composait une grande partie de la science morale; chez les Égyptiens, chez les anciens Perses, chez les Grecs même, à l'aréopage, on ne traitait les affaires graves qu'à jeun; et l'on a remarqué que chez les peuples où l'on délibère dans la chaleur des repas ou dans les fumées de la digestion, les délibérations étaient fougueuses, turbulentes, et leurs résultats fréquemment déraisonnables et perturbateurs.

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CHAPITRE VII.

De la continence.

D. La loi naturelle prescrit-elle la continence?

R. Oui: parce que la modération dans l'usage de la plus vive de nos sensations est non-seulement utile, mais indispensable au maintien des forces et de la santé; et parce qu'un calcul simple prouve que, pour quelques minutes de privation, l'on se procure de longues journées de vigueur d'esprit et de corps.

D. Comment défend-elle le libertinage?

R. Par les maux nombreux qui en résultent pour l'existence physique et morale. L'homme qui s'y livre s'énerve, s'allanguit; il ne peut plus vaquer à ses études ou à ses travaux; il contracte des habitudes oiseuses, dispendieuses, qui portent atteinte à ses moyens de vivre, à sa considération publique, à son crédit: ses intrigues lui causent des embarras, des soucis, des querelles, des procès; sans compter les maladies graves et profondes, la perte de ses forces par un poison intérieur et lent, l'hébétude de son esprit par l'épuisement du genre nerveux, et enfin une vieillesse prématurée et infirme.

D. La loi naturelle considère-t-elle comme vertu cette chasteté absolue si recommandée dans les institutions monastiques?

R. Non; car cette chasteté n'est utile ni à la société où elle a lieu, ni à l'individu qui la pratique: elle est même nuisible à l'un et à l'autre. D'abord elle nuit à la société en ce qu'elle la prive de la population, qui est un de ses principaux moyens de richesse et de puissance; et de plus, en ce que les célibataires, bornant toutes leurs vues et leur affections au temps de leur vie, ont en général un égoïsme peu favorable aux intérêts généraux de la société.

En second lieu, elle nuit aux individus qui la pratiquent, par cela même qu'elle les dépouille d'une foule d'affections et de relations qui sont la source de la plupart des vertus domestiques et sociales; et de plus, il arrive souvent, par des circonstances d'âge, de régime, de tempérament, que la continence absolue nuit à la santé et cause de graves maladies, parce qu'elle contrarie les lois physiques sur lesquelles la nature a fondé le système de la reproduction des êtres: et ceux qui vantent si fort la chasteté, même en supposant qu'ils soient de bonne foi, sont en contradiction avec leur propre doctrine, qui consacre la loi de la nature par le commandement si connu: Croissez et multipliez.

D. Pourquoi la chasteté est-elle plus considérée comme vertu dans les femmes que dans les hommes?

R. Parce que le défaut de chasteté dans les femmes a des inconvénients bien plus graves et bien plus dangereux pour elles et pour la société; car, sans compter les chagrins et les maladies qui leur sont communs avec les hommes, elles sont encore exposées à toutes les incommodités qui précèdent, accompagnent et suivent l'état de maternité dont elles courent les risques. Que si cet état leur arrive hors des cas de la loi, elles deviennent un objet de scandale et de mépris public, et remplissent d'amertume et de trouble le reste de leur vie. De plus, elles demeurent chargées des frais d'entretien et d'éducation d'enfants dénués de pères; frais qui les appauvrissent et nuisent de toute manière à leur existence physique et morale. Dans cette situation, privées de la fraîcheur et de la santé qui font leurs appas, portant avec elles une surcharge étrangère et coûteuse, elles ne sont plus recherchées par les hommes, elles ne trouvent point d'établissement solide, elles tombent dans la pauvreté, la misère, l'avilissement, et traînent avec peine une vie malheureuse.

D. La loi naturelle descend-elle jusqu'au scrupule des désirs et des pensées?

R. Oui, parce que dans les lois physiques du corps humain, les pensées et les désirs allument les sens, et provoquent bientôt les actions: de plus, par une autre loi de la nature dans l'organisation de notre corps, ces actions deviennent un besoin machinal qui se répète par périodes de jours ou de semaines, en sorte qu'à telle époque renaît le besoin de telle action, de telle sécrétion; si cette action, cette sécrétion, sont nuisibles à la santé, leur habitude devient destructive de la vie même. Ainsi les désirs et les pensées ont une véritable importance naturelle.

D. Doit-on considérer la pudeur comme une vertu?

R. Oui, parce que la pudeur, n'étant que la honte de certaines actions, maintient l'ame et le corps dans toutes les habitudes utiles au bon ordre et à la conservation de soi-même. La femme pudique est estimée, recherchée, établie avec des avantages de fortune qui assurent son existence et la lui rendent agréable, tandis que l'impudente et la prostituée sont méprisées, repoussées et abandonnées à la misère et à l'avilissement.

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CHAPITRE VIII.

Du courage et de l'activité.

D. Le courage et la force de corps et d'esprit sont-ils des vertus dans la loi naturelle?

R. Oui, et des vertus très-importantes; car elles sont des moyens efficaces et indispensables de pourvoir à notre conservation et à notre bien-être. L'homme courageux et fort repousse l'oppression, défend sa vie, sa liberté, sa propriété; par son travail il se procure une subsistance abondante, et il en jouit avec tranquillité et paix d'ame. Que s'il lui arrive des malheurs dont n'ait pu le garantir sa prudence, il les supporte avec fermeté et résignation; et voilà pourquoi les anciens moralistes avaient compté la force et le courage au rang des quatre vertus principales.

D. Doit-on considérer la faiblesse et la lâcheté comme des vices?

R. Oui, puisqu'il est vrai qu'elles portent avec elles mille calamités. L'homme faible ou lâche vit dans des soucis, dans des angoisses perpétuelles; il mine sa santé par la terreur, souvent mal fondée d'attaques et de dangers; et cette terreur, qui est un mal, n'est pas un remède; elle le rend au contraire l'esclave de quiconque veut l'opprimer; par la servitude et l'avilissement de toutes ses facultés, elle dégrade et détériore ses moyens d'existence, jusqu'à voir dépendre sa vie des volontés et des caprices d'un autre homme.

D. Mais, d'après ce que vous avez dit de l'influence des aliments, le courage et la force, ainsi que plusieurs autres vertus, ne sont-ils pas en grande partie l'effet de notre constitution physique, de notre tempérament?

R. Oui, cela est vrai; à tel point que ces qualités se transmettent par la génération et le sang, avec les éléments dont elles dépendent: les faits les plus répétés et les plus constants prouvent que dans les races des animaux de toute espèce, l'on voit certaines qualités physiques et morales attachées à tous les individus de ces races, s'accroître ou diminuer selon les combinaisons et les mélanges qu'elles en font avec d'autres races.

D. Mais alors que notre volonté ne suffit plus à nous procurer ces qualités, est-ce un crime d'en être privés?

R. Non; ce n'est point un crime, c'est un malheur; c'est ce que les anciens appelaient une fatalité funeste; mais alors même, il dépend encore de nous de les acquérir; car, du moment que nous connaissons sur quels éléments physiques se fonde telle ou telle qualité, nous pouvons en préparer la naissance, en exciter les développements par un maniement habile de ces éléments; et voilà ce que fait la science de l'éducation, qui, selon qu'elle est dirigée, perfectionne ou détériore les individus ou les races, au point d'en changer totalement la nature et les inclinations; et c'est ce qui rend si importante la connaissance des lois naturelles par lesquelles se font avec certitude et nécessité ces opérations et ces changements.

D. Pourquoi dites-vous que l'activité est une vertu selon la loi naturelle?

R. Parce que l'homme qui travaille et emploie utilement son temps, en retire mille avantages précieux pour son existence. Est-il né pauvre, son travail fournit à sa subsistance; et si de plus il est sobre, continent, prudent, il acquiert bientôt de l'aisance, et il jouit des douceurs de la vie: son travail même lui donne ces vertus; car, tandis qu'il occupe son esprit et son corps, il n'est point affecté de désirs déréglés, il ne s'ennuie point, il contracte de douces habitudes, il augmente ses forces, sa santé, et parvient à une vieillesse paisible et heureuse.

D. La paresse et l'oisiveté sont donc des vices dans la loi naturelle?

R. Oui, et les plus pernicieux de tous les vices; car elles conduisent à tous les autres. Par la paresse et l'oisiveté, l'homme reste ignorant et perd même la science qu'il avait acquise: il tombe dans tous les malheurs qui accompagnent l'ignorance et la sottise; par la paresse et l'oisiveté, l'homme, dévoré d'ennuis, se livre, pour les dissiper, à tous les désirs de ses sens, qui, prenant de jour en jour plus d'empire, le rendent intempérant, gourmand, luxurieux, énervé, lâche, vil et méprisable. Par l'effet certain de tous ces vices, il ruine sa fortune, consume sa santé, et termine sa vie dans toutes les angoisses des maladies et de la pauvreté.

D. À vous entendre, il semblerait que la pauvreté fût un vice?

R. Non: elle n'est pas un vice, mais elle est encore moins une vertu; car elle est bien plus près de nuire que d'être utile: elle est même communément le résultat du vice, ou son commencement; car tous les vices individuels ont l'effet de conduire à l'indigence, à la privation des besoins de la vie; et quand un homme manque du nécessaire, il est bien près de se le procurer par des moyens vicieux, c'est-à-dire nuisibles à la société. Toutes les vertus individuelles, au contraire, tendent à procurer à l'homme une subsistance abondante; et quand il a plus qu'il ne consomme, il lui est bien plus facile de donner aux autres, et de pratiquer les actions utiles à la société.

D. Est-ce que vous regardez la richesse comme une vertu?

R. Non; mais elle est encore moins un vice; c'est son usage que l'on peut appeler vertueux ou vicieux, selon qu'il est utile ou nuisible à l'homme et à la société. La richesse est un instrument dont l'usage seul et l'emploi déterminent la vertu ou le vice.

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CHAPITRE IX.

De la propreté.

D. Pourquoi comptez-vous la propreté au rang des vertus?

R. Parce qu'elle en est réellement une des plus importantes, en ce qu'elle influe puissamment sur la santé du corps et sur sa conservation. La propreté, tant dans les vêtements que dans la maison, empêche les effets pernicieux de l'humidité, des mauvaises odeurs, des miasmes contagieux qui s'élèvent de toutes les choses abandonnées à la putréfaction: la propreté entretient la libre transpiration; elle renouvelle l'air, rafraîchit le sang, et porte l'allégresse même dans l'esprit.

Aussi voit-on que les personnes soigneuses de la propreté de leur corps et de leur habitation, sont en général plus saines, moins exposées aux maladies que celles qui vivent dans la crasse et dans l'ordure; et l'on remarque de plus, que la propreté entraîne avec elle, dans tout le régime domestique, des habitudes d'ordre et d'arrangement, qui sont l'un des premiers moyens et des premiers éléments du bonheur.

D. La malpropreté ou saleté est donc un vice véritable?

R. Oui, aussi véritable que l'ivrognerie, ou que l'oisiveté dont elle dérive en grande partie. La malpropreté est la cause seconde et souvent première d'une foule d'incommodités, même de maladies graves; il est constaté en médecine qu'elle n'engendre pas moins les dartres, la gale, la teigne, la lèpre, que l'usage des aliments corrompus ou âcres; qu'elle favorise les influences contagieuses de la peste, des fièvres malignes; qu'elle les suscite même dans les hôpitaux et dans les prisons; qu'elle occasione des rhumatismes en encroûtant la peau de crasse et s'opposant à la transpiration, sans compter la honteuse incommodité d'être dévoré d'insectes, qui sont l'apanage immonde de la misère et de l'avilissement.

Aussi la plupart des anciens législateurs avaient-ils fait de la propreté, sous le nom de pureté, l'un des dogmes essentiels de leurs religions: voilà pourquoi ils chassaient de la société et punissaient même corporellement ceux qui se laissaient atteindre des maladies qu'engendre la malpropreté; pourquoi ils avaient institué et consacré des cérémonies d'ablutions, de bains, de baptêmes, de purifications même par la flamme et par les fumées aromatiques de l'encens, de la myrrhe, du benjoin, etc; en sorte que tout le système des souillures, tous ces rites des choses mondes ou immondes, dégénérés depuis en abus et en préjugés, n'étaient fondés dans l'origine que sur l'observation judicieuse que des hommes sages et instruits avaient faite de l'extrême influence que la propreté du corps, dans les vêtements et l'habitation, exerce sur sa santé, et par une conséquence immédiate, sur celle de l'esprit et des facultés morales.

Ainsi, toutes les vertus individuelles ont pour but plus ou moins direct, plus ou moins prochain, la conservation de l'homme qui les pratique; et par la conservation de chaque homme, elles tendent à celle de la famille et de la société, qui se composent de la somme réunie des individus.

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CHAPITRE X.

Des vertus domestiques.

D. Qu'entendez-vous par vertus domestiques?

R. J'entends la pratique des actions utiles à la famille, censée vivre dans une même maison[34].

D. Quelles sont ces vertus?

R. Ce sont l'économie, l'amour paternel, l'amour conjugal, l'amour filial, l'amour fraternel, et l'accomplissement des devoirs de maître et de serviteur.

D. Qu'est-ce que l'économie?

R. C'est, selon le sens le plus étendu du mot[35], la bonne administration de tout ce qui concerne l'existence de la famille ou de la maison; et comme la subsistance y tient le premier rang, on a resserré le nom d'économie à l'emploi de l'argent aux premiers besoins de la vie.

D. Pourquoi l'économie est-elle une vertu?

R. Parce que l'homme qui ne fait aucune dépense inutile se trouve avoir un surabondant qui est la vraie richesse, et au moyen duquel il procure à lui et à sa famille tout ce qui est véritablement commode et utile; sans compter que par-là il s'assure des ressources contre les pertes accidentelles et imprévues, en sorte que lui et sa famille vivent dans une douce aisance, qui est la base de la félicité humaine.

D. La dissipation et la prodigalité sont donc des vices.

R. Oui; car par elles l'homme finit par manquer du nécessaire; il tombe dans la pauvreté, la misère, l'avilissement; et ses amis mêmes, craignant d'être obligés de lui restituer ce qu'il a dépensé avec eux ou pour eux, le fuient comme le débiteur fuit son créancier, et il reste abandonné de tout le monde.

D. Qu'est-ce que l'amour paternel?

R. C'est le soin assidu que prennent les parents, de faire contracter à leurs enfants l'habitude de toutes les actions utiles à eux et à la société.

D. En quoi la tendresse paternelle est-elle une vertu pour les parents?

R. En ce que les parents qui élèvent leurs enfants dans ces habitudes, se procurent pendant le cours de leur vie des jouissances et des secours qui se font sentir à chaque instant, et qu'ils assurent à leur vieillesse des appuis et des consolations contre les besoins et les calamités de tout genre qui assiègent cet âge.

D. L'amour paternel est-il une vertu commune?

R. Non; malgré que tous les parents en fassent ostentation, c'est une vertu rare; ils n'aiment pas leurs enfants, ils les caressent, et ils les gâtent; ce qu'ils aiment en eux, ce sont les agents de leurs volontés, les instruments de leur pouvoir, les trophées de leur vanité, les hochets de leur oisiveté: ce n'est pas tant l'utilité des enfants qu'ils se proposent, que leur soumission, leur obéissance; et si parmi les enfants on compte tant de bienfaités ingrats, c'est que parmi les parents il y a autant de bienfaiteurs despotes et ignorants.

D. Pourquoi dites-vous que l'amour conjugal est une vertu?

R. Parce que la concorde et l'union qui résultent de l'amour des époux établissent au sein de la famille une foule d'habitudes utiles à sa prospérité et à sa conservation. Les époux unis aiment leur maison, et ne la quittent que peu; ils en surveillent tous les détails et l'administration; ils s'appliquent à l'éducation de leurs enfants; ils maintiennent le respect et la fidélité des domestiques; ils empêchent tout désordre, toute dissipation; et, par toute leur bonne conduite, ils vivent dans l'aisance et la considération; tandis que les époux qui ne s'aiment point remplissent leur maison de querelles et de troubles, suscitent la guerre parmi les enfants et les domestiques; livrent les uns et les autres à toute espèce d'habitudes vicieuses: chacun dans la maison dissipe, pille, dérobe de son côté; les revenus s'absorbent sans fruit; les dettes surviennent; les époux mécontents se fuient, se font des procès; et toute cette famille tombe dans le désordre, la ruine, l'avilissement et le manque du nécessaire.

D. L'adultère est-il un délit dans la loi naturelle?

R. Oui; car il traîne avec lui une foule d'habitudes nuisibles aux époux et à la famille. La femme ou le mari, épris d'affections étrangères, négligent leur maison, la fuient, en détournent autant qu'ils peuvent les revenus pour les dépenser avec l'objet de leurs affections: de là les querelles, les scandales, les procès, le mépris des enfants et des domestiques, le pillage et la ruine finale de toute la maison; sans compter que la femme adultère commet un vol très-grave, en donnant à son mari des héritiers d'un sang étranger, qui frustrent de leur légitime portion les véritables enfants.

D. Qu'est-ce que l'amour filial?

R. C'est, de la part des enfants, la pratique des actions utiles à eux et à leurs parents.

D. Comment la loi naturelle prescrit-elle l'amour filial?

R. Par trois motifs principaux: 1º par sentiment, car les soins affectueux des parents inspirent dès le bas âge de douces habitudes d'attachement; 2º par justice, car les enfants doivent à leurs parents le retour et l'indemnité des soins et même des dépenses qu'ils leur ont causés; 3º par intérêt personnel, car s'ils les traitent mal, ils donnent à leurs propres enfants des exemples de révolte et d'ingratitude, qui les autorisent un jour à leur rendre la pareille.

D. Doit-on entendre par amour filial une soumission passive et aveugle?

R. Non, mais une soumission raisonnable, et fondée sur la connaissance des droits et des devoirs mutuels des pères et des enfants; droits et devoirs sans l'observation desquels leur conduite mutuelle n'est que désordre.

D. Pourquoi l'amour fraternel est-il une vertu?

R. Parce que la concordé et l'union, qui résultent de l'amour des frères, établissent la force, la sûreté, la conservation de la famille: les frères unis se défendent mutuellement de toute oppression; ils s'aident dans leurs besoins, se secourent dans leurs infortunes, et assurent ainsi leur commune existence; tandis que les frères désunis, abandonnés chacun à leurs forces personnelles, tombent dans tous les inconvénients de l'isolement et de la faiblesse individuelle. C'est ce qu'exprimait ingénieusement ce roi scythe, qui, au lit de la mort, ayant appelé ses enfants, leur ordonna de rompre un faisceau de flèches: les jeunes gens, quoique nerveux, ne l'ayant pu, il le prit à son tour, et l'ayant délié, il brisa du bout des doigts chaque flèche séparée. «Voilà, leur dit-il, les effets de l'union: unis en faisceau, vous serez invincibles; pris séparément, vous serez brisés comme des roseaux.»

D. Quels sont les devoirs réciproques des maîtres et des serviteurs?

R. C'est la pratique des actions qui leur sont respectivement et justement utiles; et là commencent les rapports de la société; car la règle et la mesure de ces actions respectives est l'équilibre ou l'égalité entre le service et la récompense, entre ce que l'un rend et ce que l'autre donne; ce qui est la base fondamentale de toute société.

Ainsi, toutes les vertus domestiques et individuelles se rapportent plus ou moins médiatement, mais toujours avec certitude, à l'objet physique de l'amélioration et de la conservation de l'homme, et sont par-là des préceptes résultants de la loi fondamentale de la nature dans sa formation.

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CHAPITRE XI.

Des vertus sociales; de la justice.

D. Qu'est-ce que la société?

R. C'est toute réunion d'hommes vivant ensemble sous les clauses d'un contrat exprès ou tacite, qui a pour but leur commune conservation.

D. Les vertus sociales sont-elles nombreuses?

R. Oui: l'on en peut compter autant qu'il y a d'espèces d'actions utiles à la société; mais toutes se réduisent à un seul principe.

D. Quel est ce principe fondamental?

R. C'est la justice, qui seul comprend toutes les vertus de la société.

D. Pourquoi dites-vous que la justice est la vertu fondamentale et presque unique de la société?

R. Parce qu'elle seule embrasse la pratique de toutes les actions qui lui sont utiles, et que toutes les autres vertus, sous les noms de charité, d'humanité, de probité, d'amour de la patrie, de sincérité, de générosité, de simplicité de mœurs et de modestie, ne sont que des formes variées et des applications diverses de cet axiome: Ne fais à autrui que ce que tu veux qu'il te fasse, qui est la définition de la justice.

D. Comment la loi naturelle veut-elle la justice?

R. Par trois attributs physiques, inhérents à l'organisation de l'homme.

D. Quels sont ces attributs?

R. Ce sont l'égalité, la liberté, la propriété.

D. Comment l'égalité est-elle un attribut physique de l'homme?

R. Parce que tous les hommes ayant également des yeux, des mains, une bouche, des oreilles, et le besoin de s'en servir pour vivre, ils ont par ce fait même un droit égal à la vie, à l'usage des éléments qui l'entretiennent; ils sont tous égaux devant Dieu.

D. Est-ce que vous prétendez que tous les hommes entendent également, voient également, sentent également, ont des besoins égaux, des passions égales?

R. Non; car il est d'évidence et de fait journalier, que l'un a la vue courte, et l'autre longue; que l'un mange beaucoup, et l'autre peu; que l'un a des passions douces, et l'autre violentes; en un mot, que l'un est faible de corps et d'esprit, tandis que l'autre est fort.

D. Ils sont donc réellement inégaux?

R. Oui, dans les développements de leurs moyens, mais non pas dans la nature et l'essence de ces moyens; c'est une même étoffe, mais les dimensions n'en sont pas égales; le poids, la valeur, n'en sont pas les mêmes. Notre langue n'a pas le mot propre pour désigner à la fois l'identité de la nature, et la diversité de la forme et de l'emploi. C'est une égalité proportionnelle; et voilà pourquoi j'ai dit, égaux devant Dieu et dans l'ordre de nature.

D. Comment la liberté est elle un attribut physique de l'homme?

R. Parce que tous les hommes ayant des sens suffisants à leur conservation, nul n'ayant besoin de l'œil d'autrui pour voir, de son oreille pour entendre, de sa bouche pour manger, de son pied pour marcher, ils sont tous par ce fait même constitués naturellement indépendants, libres; nul n'est nécessairement soumis à un autre, ni n'a le droit de le dominer.

D. Mais si un homme est né fort, n'a-t-il pas le droit naturel de maîtriser l'homme né faible?

R. Non: car ce n'est ni une nécessité pour lui, ni une convention entre eux; c'est une extension abusive de sa force; et l'on abuse ici du mot droit, qui, dans son vrai sens, ne peut désigner que justice ou faculté réciproque.

D. Comment la propriété est-elle un attribut physique de l'homme?

R. En ce que tout homme étant constitué égal ou semblable à un autre, et par conséquent indépendant, libre, chacun est le maître absolu, le propriétaire plénier de son corps et des produits de son travail.

D. Comment la justice dérive-t-elle de ces trois attributs?

R. En ce que les hommes étant égaux, libres, ne se devant rien, ils n'ont le droit de rien se demander les uns aux autres, qu'autant qu'ils se rendent des valeurs égales; qu'autant que la balance du donné au rendu est en équilibre: et c'est cette égalité, cet équilibre qu'on appelle justice, équité[36]; c'est-à-dire qu'égalité et justice sont un même mot, sont la même loi naturelle, dont les vertus sociales ne sont que des applications et des dérivés.

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CHAPITRE XII

Développement des vertus sociales.

D. Développez-moi comment les vertus sociales dérivent de la loi naturelle; comment la charité ou l'amour du prochain en est-il un précepte, une application?

R. Par raison d'égalité et de reciprocité: car, lorsque nous nuisons à autrui, nous lui donnons le droit de nous nuire à son tour: ainsi, en attaquant l'existence d'autrui, nous portons atteinte à la nôtre par l'effet de la réciprocité; au contraire, en faisant du bien à autrui, nous avons lieu et droit d'en attendre l'échange, l'équivalent: et tel est le caractère de toutes les vertus sociales, d'être utiles à l'homme qui les pratique, par le droit de réciprocité qu'elles lui donnent sur ceux à qui elles ont profité.

D. La charité n'est donc que la justice?

R. Non, elle n'est que la justice, avec cette nuance, que la stricte justice se borne à dire: Ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu'il te fît; et que la charité ou l'amour du prochain s'étend jusqu'à dire: Fais à autrui le bien que tu en voudrais recevoir. Ainsi l'Évangile, en disant que ce précepte renfermait toute la loi et tous les prophètes, n'a fait qu'énoncer le précepte de la loi naturelle.

D. Ordonne-t-elle le pardon des injures?

R. Oui, en tant que ce pardon s'accorde avec la conservation de nous-mêmes.

D. Donne-t-elle le précepte de tendre l'autre joue, quand on a reçu un soufflet?

R. Non; car d'abord il est contraire à celui d'aimer le prochain comme soi-même, puisqu'on l'aimerait plus que soi, lui qui attente à notre conservation. 2º Un tel précepte, pris à la lettre, encourage le méchant à l'oppression et à l'injustice; et la loi naturelle a été plus sage, en prescrivant une mesure calculée de courage et de modération, qui fait oublier une première injure de vivacité, mais qui punit tout acte tendant à l'oppression.

D. La loi naturelle prescrit-elle de faire du bien à autrui sans compte et sans mesure?

R. Non; car c'est un moyen certain de le conduire à l'ingratitude. Telle est la force du sentiment de la justice implanté dans le cœur des hommes, qu'ils ne savent pas même gré des bienfaits donnés sans discrétion. Il n'est qu'une seule mesure avec eux, c'est d'être juste.

D. L'aumône est-elle une action vertueuse?

R. Oui, quand elle est faite selon cette règle; sans quoi elle devient une imprudence et un vice, en ce qu'elle fomente l'oisiveté, qui est nuisible au mendiant et à la société, nul n'a droit de jouir du bien et du travail d'autrui, sans rendre un équivalent de son propre travail.

D. La loi naturelle considère-t-elle comme vertus l'espérance et la foi, que l'on joint à la charité?

R. Non: car ce sont des idées sans réalité; que s'il en résulte quelques effets, ils sont plutôt à l'avantage de ceux qui n'ont pas ces idées que de ceux qui les ont; en sorte que l'on peut appeler la foi et l'espérance les vertus des dupes au profit des fripons.

D. La loi naturelle prescrit-elle la probité?

R. Oui: car la probité n'est autre chose que le respect de ses propres droits dans ceux d'autrui; respect fondé sur un calcul prudent et bien combiné de nos intérêts comparés à ceux des autres.

D. Mais ce calcul, qui embrasse des intérêts et des droits compliqués dans l'état social, n'exiget-il pas des lumières et des connaissances qui en font une science difficile?

R. Oui, et une science d'autant plus délicate, que l'honnête homme prononce dans sa propre cause.

D. La probité est donc un signe d'étendue et de justesse dans l'esprit?

R. Oui: car presque toujours l'honnête homme néglige un intérêt présent afin de ne pas en détruire un à venir; tandis que le fripon fait le contraire, et perd un grand intérêt à venir pour un petit intérêt présent.

D. L'improbité est donc un signe de fausseté dans le jugement, et de rétrécissement dans l'esprit?

R. Oui: et l'on peut définir les fripons, des calculateurs ignorants ou sots; car ils n'entendent point leurs véritables intérêts, et ils ont la prétention d'être fins; et cependant leurs finesses n'aboutissent jamais qu'à être connus pour ce qu'ils sont; à perdre la confiance, l'estime, et tous les bons services qui en résultent pour l'existence sociale et physique. Ils ne vivent en paix ni avec les autres, ni avec eux-mêmes; et sans cesse menacés par leur conscience et par leurs ennemis, ils ne jouissent d'autre bonheur réel que de celui de n'être pas encore pendus.

D. La loi naturelle défend donc le vol?

R. Oui: car l'homme qui vole autrui lui donne le droit de le voler lui-même; dès lors plus de sûreté dans sa propriété ni dans ses moyens de conservation: ainsi, en nuisant à autrui, il se nuit par contre-coup à lui-même.

D. Défend-elle même le désir du vol?

R. Oui: car ce désir mène naturellement à l'action; et voilà pourquoi l'on a fait un péché de l'envie.

D. Comment défend-elle le meurtre?

R. Par les motifs les plus puissants de la conservation de soi-même; car, 1º l'homme qui attaque s'expose au risque d'être tué, par droit de défense; 2º s'il tue, il donne aux parents, aux amis du mort, et à toute la société un droit égal, celui de le tuer lui-même; et il ne vit plus en sûreté.

D. Comment peut-on, dans la loi naturelle, réparer le mal que l'on a fait?

R. En rendant à ceux à qui on a fait ce mal, un bien proportionnel.

D. Permet-elle de le réparer par des prières, des vœux, des offrandes à Dieu, des jeûnes, des mortifications?

R. Non: car toutes ces choses sont étrangères à l'action que l'on veut réparer; elles ne rendent ni le bœuf à celui à qui on l'a volé, ni l'honneur à celui que l'on en a privé, ni la vie à celui à qui on l'a arrachée; par conséquent elles manquent le but de la justice; elles ne sont qu'un contrat pervers, par lequel un homme vend à un autre un bien qui ne lui appartient pas; elles sont une véritable dépravation de la morale, en ce qu'elles enhardissent à consommer tous les crimes par l'espoir de les expier: aussi ont-elles été la cause véritable de tous les maux qui ont toujours tourmenté les peuples chez qui ces pratiques expiatoires ont été usitées.

D. La loi naturelle ordonne-t-elle la sincérité?

R. Oui: car le mensonge, la perfidie, le parjure, suscitent parmi les hommes les défiances, les querelles, les haines, les vengeances, et une foule de maux qui tendent à leur destruction commune; tandis que la sincérité et la fidélité établissent la confiance, la concorde, la paix, et les biens infinis qui résultent d'un tel état de choses pour la société.

D. Prescrit-elle la douceur et la modestie?

R. Oui: car la rudesse et la dureté, en aliénant de nous le cœur des autres hommes, leur donnent des dispositions à nous nuire; l'ostentation et la vanité, en blessant leur amour-propre et leur jalousie, nous font manquer le but d'une véritable utilité.

D. Prescrit-elle l'humilité comme une vertu?

R. Non: car il est dans le cœur humain de mépriser secrètement tout ce qui lui présente l'idée de la faiblesse; et l'avilissement de soi encourage dans autrui l'orgueil et l'oppression: il faut tenir la balance juste.

D. Vous avez compté pour vertu sociale la simplicité des mœurs; qu'entendez-vous par ce mot?

R. J'entends le resserrement des besoins et des désirs à ce qui est véritablement utile à l'existence du citoyen et de sa famille; c'est-à-dire que l'homme de mœurs simples a peu de besoins, et vit content de peu.

D. Comment cette vertu nous est-elle prescrite?

R. Par les avantages nombreux que sa pratique procure à l'individu et à la société; car l'homme qui a besoin de peu, s'affranchit tout à coup d'une foule de soins, d'embarras, de travaux; évite une foule de querelles et de contestations qui naissent de l'avidité et du désir d'acquérir; il s'épargne les soucis de l'ambition, les inquiétudes de la possession et les regrets de la perte: trouvant partout du superflu, il est le véritable riche; toujours content de ce qu'il a, il est heureux à peu de frais; et les autres, ne craignant point sa rivalité, le laissent tranquille, et sont disposés au besoin à lui rendre service.

Que si cette vertu de simplicité s'étend à tout un peuple, il s'assure par elle l'abondance; riche de tout ce qu'il ne consomme point, il acquiert des moyens immenses d'échange et de commerce; il travaille, fabrique, vend à meilleur marché que les autres, et atteint à tous les genres de prospérité au dedans et au dehors.

D. Quel est le vice contraire à cette vertu?

R. C'est la cupidité et le luxe.

D. Est-ce que le luxe est un vice pour l'individu et la société?

R. Oui: à tel point, que l'on peut dire qu'il embrasse avec lui tous les autres; car l'homme qui se donne le besoin de beaucoup de choses, s'impose par-là même tous les soucis, et se soumet à tous les moyens justes ou injustes de leur acquisition. A-t-il une jouissance, il en désire une autre; et au sein du superflu de tout, il n'est jamais riche: un logement commode ne lui suffit pas, il lui faut un hôtel superbe; il n'est pas content d'une table abondante, il lui faut des mets rares et coûteux: il lui faut des ameublements fastueux, des vêtements dispendieux, un attirail de laquais, de chevaux, de voitures, des femmes, des spectacles, des jeux. Or, pour fournir à tant de dépenses, il lui faut beaucoup d'argent; et pour se le procurer, tout moyen lui devient bon, et même nécessaire: il emprunte d'abord, puis il dérobe, pille, vole, fait banqueroute, est en guerre avec tous, ruine et est ruiné.

Que si le luxe s'applique à une nation, il y produit en grand les mêmes ravages; par cela qu'elle consomme tous ses produits, elle se trouve pauvre avec l'abondance; elle n'a rien à vendre à l'étranger; elle manufacture à grand frais; elle vend cher; elle se rend tributaire de tout ce qu'elle retire; elle attaque au dehors sa considération, sa puissance, sa force, ses moyens de défense et de conservation, tandis qu'au dedans elle se mine et tombe dans la dissolution de ses membres. Tous les citoyens étant avides de jouissances, se mettent dans une lutte violente pour se les procurer; tous se nuisent ou sont prêts à se nuire: et de là des actions et des habitudes usurpatrices qui composent ce que l'on appelle corruption morale, guerre intestine de citoyen à citoyen. Du luxe naît l'avidité; de l'avidité, l'invasion par violence, par mauvaise foi: du luxe naît l'iniquité du juge, la vénalité du témoin, l'improbité de l'époux, la prostitution de la femme, la dureté des parents, l'ingratitude des enfants, l'avarice du maître, le pillage du serviteur, le brigandage de l'administrateur, la perversité du législateur, le mensonge, la perfidie, le parjure, l'assassinat, et tous les désordres de l'état social; en sorte que c'est avec un sens profond de vérité que les anciens moralistes ont posé la base des vertus sociales sur la simplicité des mœurs, la restriction des besoins, le contentement de peu; et l'on peut prendre pour mesure certaine des vertus ou des vices d'un homme, la mesure de ses dépenses proportionnées à son revenu, et calculer sur ses besoins d'argent, sa probité, son intégrité à remplir ses engagements, son dévouement à la chose publique, et son amour sincère ou faux de la patrie.

D. Qu'entendez-vous par ce mot patrie?

R. J'entends la communauté des citoyens qui, réunis par des sentiments fraternels et des besoins réciproques, font de leurs forces respectives une force commune, dont la réaction sur chacun d'eux prend le caractère conservateur et bienfaisant de la paternité. Dans la société, les citoyens forment une banque d'intérêt: dans la patrie, ils forment une famille de doux attachements; c'est la charité, l'amour du prochain étendu à toute une nation. Or, comme la charité ne peut s'isoler de la justice, nul membre de la famille ne peut prétendre à la jouissance de ces avantages, que dans la proportion de ses travaux; s'il consomme plus qu'il ne produit, il empiète nécessairement sur autrui; et ce n'est qu'autant qu'il consomme au-dessous de ce qu'il produit ou de ce qu'il possède, qu'il peut acquérir des moyens de sacrifice et de générosité.

D. Que concluez-vous de tout ceci?

R. J'en conclus que toutes les vertus sociales ne sont que l'habitude des actions utiles à la société et à l'individu qui les pratique;

Qu'elles reviennent toutes à l'objet physique de la conservation de l'homme;

Que la nature, ayant implanté en nous le besoin de cette conservation, elle nous fait une loi de toutes ses conséquences, et un crime de tout ce qui s'en écarte;

Que nous portons en nous le germe de toute vertu, de toute perfection;

Qu'il ne s'agit que de le développer;

Que nous ne sommes heureux qu'autant que nous observons les règles établies par la nature dans le but de notre conservation;

Et que toute sagesse, toute perfection, toute loi, toute vertu, toute philosophie, consistent dans la pratique de ces axiomes fondés sur notre propre organisation:

Conserve-toi;
Instruis-toi;
Modère-toi;

Vis pour tes semblables, afin qu'ils vivent pour toi.

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NOTES

servant d'éclaircissements et d'autorités à divers passages du texte.

Page 7, ligne 12. (Le fil de la Sérique.) C'est-à-dire la soie, originaire du pays montueux où se termine la grande muraille, pays qui paraît avoir été le berceau de l'empire chinois, connu des Latins sous le nom de Regio Serarum, Serica.

Ibidem. (Les tissus de Kachemire.) C'est-à-dire les chales, qu'Ézéchiel, cinq siècles avant notre ère, paraît avoir désignés sous le nom de Choud-Choud.

Pag. 23, ligne 7. (La presqu'île trop célèbre de l'Inde.) Quel bien véritable le commerce de l'Inde, entièrement composé d'objets de luxe, procure-t-il à la masse d'une nation? quels sont ses effets, sinon d'en exporter, par une marine dispendieuse en hommes, des matières de besoin et d'utilité, pour y importer des denrées inutiles, qui ne servent qu'à marquer mieux la distinction du riche et du pauvre; et quelle masse de superstitions l'Inde n'a-t-elle pas ajoutée à la superstition générale?

Ibidem, ligne 25. (Voilà Thèbes aux cent palais.) L'expédition française en Égypte a prouvé que Thèbes, divisée en quatre grandes cités, sur les deux bords du Nil, ne put avoir les cent portes dont parle Homère, (Voy. le tom. ii de la Commission d'Égypte.) L'historien Diodore de Sicile avait déja indiqué la cause de l'erreur, en observant que le mot oriental, porte, signifiait aussi palais (à cause du vestibule public qui en forme toujours l'entrée), et cet auteur semble avoir saisi la cause de cette tradition grecque, quand il ajoute: «Depuis Thèbes jusqu'à Memphis il a existé le long du fleuve cent vastes écuries royales, dont on voit encore les ruines, et qui contenaient chacune deux cents chevaux (pour le service du monarque):» tous ces nombres sont exactement ceux d'Homère. (Voy. Diodore de Sicile, liv. i, sect. ii, § des premiers rois d'Égypte.) Le nom d'Éthiopiens appliqué ici aux Thébains, est justifié par l'exemple d'Homère, et par la peau réellement noire de ces peuples. Les expressions d'Hérodote, lorsqu'il dit que les Égyptiens avaient la peau noire et les cheveux crépus, d'accord avec la tête du sphinx des pyramides, ont pu et dû faire croire à l'auteur du Voyage en Syrie, que cet ancien peuple fut de race nègre; mais tout ce que l'expédition française a fait connaître de momies et de têtes sculptées est venu démentir cette idée; et le voyageur, docile aux leçons des faits, a délaissé son opinion, avec plusieurs autres qu'il avait consignées dans un Mémoire chronologique, composé à l'âge de vingt-deux ans, et qui, mal à propos, occupe une place dans l'Encyclopédie in-4º, tom. iii des Antiquités. L'expérience et l'étude lui ont procuré le mérite de se redresser lui-même sur bien des points, dans un dernier ouvrage publié à Paris en 1814 et 1815, sous le titre de Recherches nouvelles sur l'Histoire ancienne, 2 vol. in-8º, (Chez Bossange frères, rue de Seine, nº 12. Voy. le tom. ii pour les Égyptiens.)

Pag. 24, lig. 14. (Ici étaient ces ports iduméens.) Les villes d'Aïlah et d'Atsiom Gaber, d'où les Juifs de Salomon, guidés par les Tyriens de Hiram, partaient pour se rendre à Ophir, lieu inconnu sur lequel on a beaucoup écrit, mais qui paraît avoir laissé sa trace dans Ofor, canton arabe, à l'entrée du golfe Persique. (Voy. à ce sujet les Recherches nouvelles, citées ci-dessus, tom. i, et le Voyage en Syrie tom. ii.)

Pag. 46, lig. 17. (Ainsi, parce qu'un homme fut plus fort, cette inégalité, accident de la nature, fut prise pour sa loi.) Presque tous les anciens philosophes et politiques ont établi en principe et en dogme, que les hommes naissent inégaux; que la nature a créé les uns pour être libres, les autres pour être esclaves. Ce sont les expressions positives d'Aristote dans sa Politique, et de Platon, appelé divin, sans doute dans le sens des rêveries mythologiques qu'il a débitées. Le droit du plus fort a été le droit des gens de tous les anciens peuples, des Gaulois, des Romains, des Athéniens; et c'est de là précisément que sont dérivés les grands désordres politiques et les crimes publics des nations.

Pag. 47, lig. 7 (Et le despotisme paternel fonda le despotisme politique.) Qu'est-ce qu'une famille? C'est la portion élémentaire dont se compose le grand corps appelé nation. L'esprit de ce grand corps n'est que la somme de ses fractions; telles les mœurs de la famille, telles celles du tout. Les grands vices de l'Asie sont, 1º le despotisme paternel; 2º la polygamie, qui démoralise toute la maison, et qui, chez les rois et les princes, cause le massacre des frères à chaque succession, et ruine le peuple en apanages; 3º le défaut de propriété des biens-fonds, par le droit tyrannique que s'arroge le despote; 4º l'inégalité de partage entre les enfants; 5º le droit abusif de tester; 6º et l'exclusion donnée aux femmes dans l'héritage. Changez ces lois, vous changerez l'Asie.

Pag. 50, lig. 23. (L'autre (effet de l'égoïsme), que tendant toujours à concentrer le pouvoir en une seule main.) Il est très-remarquable que la marche constante des sociétés a été dans ce sens, que, commençant toutes par un état anarchique ou démocratique, c'est-à-dire par une grande division des pouvoirs, elles ont ensuite passé à l'aristocratie, et de l'aristocratie à la monarchie. De ce fait historique il résulterait que ceux qui constituent des États sous la forme démocratique, les destinent à subir tous les troubles qui doivent amener la monarchie; mais il faudrait en même temps prouver que les expériences sociales sont déja épuisées pour l'espèce humaine, et que ce mouvement spontané n'est pas l'effet même de son ignorance et de ses habitudes.

Pag. 52, lig. 26. (Sous prétexte de religion, leur orgueil fonda des temples, dota des prêtres oiseux, bâtit pour de vains squelettes d'extravagants tombeaux, mausolées et pyramides.) Le savant Dupuis n'a pu croire que les pyramides fussent des tombeaux; mais, outre le témoignage positif des historiens, lisez ce que dit Diodore de l'importance religieuse et superstitieuse que tout Égyptien attachait à bâtir sa demeure éternelle, lib. 1.

Pendant vingt ans, dit Hérodote, cent mille hommes travaillèrent chaque jour à bâtir la pyramide du roi égyptien Cheops.—Supposons par an seulement trois cents jours, à cause du sabbat; ce sera 30 millions de journées de travail en un année, et 600 millions de journées en vingt ans; à 15 sous par jour, ce sera 450 millions de francs perdus sans aucun produit ultérieur.—Avec cette somme, si ce roi eût fermé l'isthme de Suez d'une forte muraille, comme celle de la Chine, la destinée de l'Égypte eût été tout autre: les invasions étrangères eussent été arrêtées, anéanties, et les Arabes du désert n'eussent ni conquis, ni vexé ce pays.—Travaux stériles! que de millards perdus à mettre pierre sur pierre, en forme de temples et d'églises! Les alchimistes changent les pierres en or, les architectes changent l'or en pierres. Malheur aux rois (comme aux bourgeois) qui livrent leur bourse à ces deux classes d'empiriques!

Pag. 65, lig. 1. (À prononcer mystérieusement Aûm.) Ce mot pour le sens, et presque pour le son, ressemble à l'Aeuum (ævum) des Latins, l'éternité, le temps sans bornes. Selon les Indiens, ce mot est l'emblème de la divinité tripartite: A désigne Bramha (le temps passé, qui a créé); U, Vichenou (le temps présent, qui conserve); M, Chiven (le temps futur, qui détruira).

Ibid., lig. 4. (S'il faut commencer par le coude.) C'est un des grands points de schisme entre les partisans d'Omar et ceux d'Ali. Supposons que deux musulmans se rencontrent en voyage, et qu'ils s'abordent fraternellement; l'heure de la prière venue, l'un commencé l'ablution par le bout des doigts, l'autre par le coude, et les voilà ennemis à mort. En d'autres pays, qu'un homme veuille manger de la viande tel jour plutôt que tel autre; ce sera un cri d'indignation. Quel nom donner à de telles folies?

Pag. 74, lig. 29. (La horde des Oguzians.) Avant que les Turcs eussent pris le nom de leur chef Othman Ier, ils portaient celui d'Oguzians; et c'est sous cette dénomination qu'ils furent chassés de la Tartarie par Gengiz, et vinrent des bords du Gihoun s'établir dans l'Anadoli.

Pag. 80, lig. 19. (Qu'il régnait de peuple à peuple... des haines implacables.) Lisez l'histoire des guerres de Rome et de Carthage, de Sparte et de Messène, d'Athènes et de Syracuse, des Hébreux et des Phéniciens, et voilà cependant ce que l'antiquité vante de plus policé!

Pag. 87, lig. 26. (Le Chinois avili par le despotisme du bambou.) Les jésuites se sont efforcés de peindre sous de belles couleurs le gouvernement chinois, aujourd'hui l'on sait que c'est un pur despotisme oriental (entravé par le vice d'une langue et surtout d'une écriture mal construites). Le peuple chinois est pour nous la preuve que dans l'antiquité, jusqu'à l'invention de l'écriture alphabétique, l'esprit humain eut beaucoup de peine à se déployer, comme avant les chiffres arabes on avait beaucoup de peine à compter. Tout dépend des méthodes: on ne changera la Chine qu'en changeant sa langue.

Pag. 96, lig. 5. (Reconnaissez l'autorité légitime.) Pour apprécier le sens du mot légitime, il faut remarquer qu'il vient du latin legi-intimus, intrinsèque à la loi, écrit en elle. Si donc la loi est faite par le prince seul, le prince seul se fait lui-même légitime: alors il est purement despote; sa volonté est la loi. Ce n'est pas là ce qu'on veut dire; car le même droit serait acquis à tout pouvoir qui le renverserait. Qu'est-ce que la loi (source de droit)? Le latin va encore nous le dire: le radical leg-ere, lire, lectio, a fait lex, res lecta, chose lue: cette chose lue est un ordre de faire ou de ne pas faire telle action désignée, et ce, sous la condition d'une peine ou d'une récompense attachées à l'observation ou à l'infraction. Cet ordre est lu à ceux qu'il concerne, afin qu'ils n'en ignorent. Il a été écrit, afin d'être lu sans altération: tel est le sens, et telle fut l'origine du mot loi. De là les diverses épithètes dont il est susceptible: loi sage, loi absurde, loi juste, loi injuste, selon l'effet qui en résulte; et c'est cet effet qui caractérise le pouvoir d'où elle émane. Or, dans l'état social, dans le gouvernement des hommes, qu'est-ce que le juste et l'injuste? Le juste est de maintenir ou de rendre à chaque individu ce qui lui appartient: par conséquent, d'abord la vie, qu'il tient d'un pouvoir au-dessus de tout; 2º l'usage des sens et des facultés qu'il tient de ce même pouvoir; 3º la jouissance des fruits de son travail; et tout cela en ce qui ne blesse pas les mêmes droits en autrui; car s'il les blesse, il y a injustice, c'est-à-dire rupture d'égalité et d'équilibre d'homme à homme. Or, plus il y a de lésés, plus il y a d'injustices: par conséquent, si, comme il est de fait, ce qu'on appelle le peuple compose l'immense majorité de la nation, c'est l'intérêt, c'est le bien-être de cette majorité qui constitue la justice: ainsi la vérité se trouve dans l'axiome qui a dit, Salus populi suprema lex esto. Le salut du peuple, voilà la loi, voilà la légitimité. Et remarquez que le salut ne veut pas dire la volonté, comme l'ont supposé quelques fanatiques; car d'abord le peuple peut se tromper; puis comment exprimer cette volonté collective et abstraite? l'expérience nous l'a prouvé. Salus populi! L'art est de le connaître et de l'effectuer.

Pag. 102, lig. 17. (L'idée de liberté contient essentiellement celle de justice, qui naît de l'égalité.) Les mots retracent eux-mêmes cette connexion; car æquilibrium, æquitas, æqualitas sont tous d'une même famille, et l'idée de l'égalité matérielle, de la balance, est le type de toutes ces idées abstraites. La liberté elle-même, bien analysée, n'est encore que la justice: car si un homme, parce qu'il se dit libre, en attaque un autre, celui-ci, par le même droit de liberté, peut et doit le repousser; le droit de l'un est égal au droit de l'autre: la force peut rompre cet équilibre, mais elle devient injustice et tyrannie de là part du plus bas démocrate, comme de celle du plus haut potentat.

Pag. 116, lig. 15. (Et cette religion (de Mahomet) n'a cessé d'inonder de sang la terré.) Lisez l'histoire de l'islamisme par ses propres écrivains, et vous vous convaincrez que toutes les guerres qui ont désolé l'Asie et l'Afrique depuis Mahomet, ont eu pour cause principale le fanatisme apostolique de sa doctrine. On a calculé que César avait fait périr trois millions d'hommes: il serait curieux de faire le même calcul sur chaque fondateur de religion.

Pag. 119, lig. 21. (Et cent autres sectes.) Lisez à ce sujet le Dictionnaire des hérésies, par l'abbé Pluquet, qui en a omis un grand nombre; 2 vol. in-8º, petit caractère.

Pag. 122, lig. 3. (Et les Parsis se diviseront.) Les sectateurs de Zoroastre, nommés Parsis, comme descendants des Perses, sont plus connus en Asie sous le nom injurieux de Gaures ou Guèbres, qui veut dire infidèles; ils y sont ce que sont les Juifs en Europe. Môbed est le nom de leur pape ou grand-prêtre. Voy. Henri lord Hyde, et le Zend-avesta, sur les rites de cette religion.

Ibidem, lig. 26 (Brahma... réduit à servir de piédestal au lingam.) Voy. le tome Ier in-4º du Voyage de Sonnerat aux Indes.

Pag. 124, lig. 13. (Le Chinois l'adore dans Fôt). La langue chinoise n'ayant ni le B ni le D, ce peuple a prononcé Fôt ce que les Indiens et les Persans prononcent Bodd, ou Boùdd (par bref). Fôt, ou Pégou, est devenu Fota et Fta, etc. Ce n'est que depuis peu d'années que l'on commence d'avoir des notions exactes de la doctrine de Boudd et de ses divers sectaires: nous devons ces notions aux savants anglais, qui, à mesure que leur nation subjugue les peuples de l'Inde, en étudient les religions et les mœurs, pour les faire connaître. L'ouvrage intitulé Asiatick Researches est une collection précieuse en ce genre: on trouve dans le tome VI, pag. 163, dans le tome VII, pag. 32 et pag. 399, trois mémoires instructifs sur les Boudistes de Ceylan et de Birmah ou Ava. Un écrivain anonyme, mais qui paraît avoir médité ce sujet, a publié dans l'Asiatick journal de 1816, mois de janvier et suivants, jusqu'en mai, des lettres qui font désirer de plus grands développements. Nous reviendrons à cet article dans une note du chapitre xxi.

Ibidem, lig. 29. (Le sintoïste nie l'existence.) Voyez dans Kempfer la doctrine des sintoïstes qui est celle d'Épicure mêlée à celle des stoïciens.

Pag. 125, lig. 4, (Le Siamois, l'écran talipat à la main.) C'est une feuille de palmier latanier; de là est venu aux bonzes le nom de Talapoin. L'usage de cet écran est un privilège exclusif.

Ibidem, lig. 9. (Le sectateur de Confutzée cherche son horoscope.) Les sectateurs de Confucius ne sont pas moins adonnés à l'astrologie que les bonzes: c'est la maladie morale de tout l'Orient.

Ibidem, lig. 13. Le Dalaï-Lama, ou l'immense prêtre de La, est ce que nos vieilles relations appelaient le prêtre Jean, par l'abus du mot persan Djehân, qui veut dire le monde. Ainsi le prêtre Monde, le dieu Monde, se lient parfaitement.

Dans une expédition récente, les Anglais ont trouvé des idoles des lamas qui contenaient des pastilles sacrées de la garde-robe du grand-prêtre. On peut citer pour témoins Hastings, et le colonel Pollier, qui a péri dans les troubles d'Avignon. On sera bien étonné d'apprendre que cette idée si révoltante tient à une idée profonde, celle de la métempsycose, qu'admettent les lamas. Lorsque les Tartares avaient les reliques du pontife (comme ils le pratiquent), ils imitent le jeu de l'univers, dont les parties s'absorbent et passent sans cesse les unes dans les autres. C'est le serpent qui dévore sa queue; et ce serpent est Boudd ou le monde.

Pag. 126, lig. 12. (Qui adorent un serpent dont les porcs sont avides.) Il arrive souvent que les porcs dévorent des serpents de l'espèce que les nègres adorent, et c'est une grande désolation dans le pays. Le président de Brosses a rassemblé, dans son Histoire des Fétiches, un tableau curieux de toutes ces folies.

(Voilà le Teleute) Les Teleutes, nation tartare, se peignent Dieu portant un vêtement de toutes les couleurs, et surtout des couleurs rouge et verte; et parce qu'ils les trouvent dans un habit de dragon russe, ils en font la comparaison à ce genre de soldat. Les Égyptiens habillaient aussi le dieu Monde d'un habit de toutes couleurs. Eusèbe, Prep. evang., p. 115, lib. 111. Les Teleutes appellent Dieu Bou, ce qui n'est qu'une altération de Boudd, le dieu Œuf et Monde.

(Voilà le Kamtschadale.) Consultez à ce sujet l'ouvrage intitulé Description des peuples soumis à la Russie, et vous verrez que le tableau n'est point chargé.

Pag. 140, lig. 28. (Votre système porte tout entier sur des sens allégoriques.) Quand on lit les Pères de l'Église, et que l'on voit sur quels arguments ils ont élevé l'édifice de la religion, l'on a peine à comprendre tant de crédulité ou de mauvaise foi; mais c'était alors la manie des allégories: les païens s'en servaient pour expliquer les actions des dieux, et les chrétiens ne firent que suivre l'esprit de leur siècle, en le tournant vers un autre côté. Il serait curieux de publier aujourd'hui de tels livres, ou seulement leurs extraits.

Pag. 144, lig. 24 (Les Juifs devinrent nos imitateurs, nos disciples.) Voy. à ce sujet le tome Ier des Recherches nouvelles sur l'Histoire ancienne, où il est démontré que le Pentateuque n'est point l'ouvrage de Moïse: cette opinion était répandue dans les premiers temps du christianisme, comme on le voit dans les Clémentines, homélie i, §51, et homélie viii, §42; mais personne n'avait démontré que le véritable auteur fût le grand-prêtre Helkias, l'an 618 avant J. C.

Pag. 146, lig. 5. (Tant de choses analogues aux trois religions.) Les Parsis modernes et les Mithriaques anciens, qui sont la même chose, ont tous les sacrements des chrétiens, même le soufflet de la confirmation. «Le prêtre de Mithra, dit Tertullien, De præscriptione, c. 40, promet la délivrance des péchés par leur aveu et par le baptême; et, s'il m'en souvient bien, Mithra marque ses soldats au front (avec le chrême, Kouphi égyptien); il célèbre l'oblation du pain, l'image de la résurrection, et présente la couronne, en menaçant de l'épée, etc.»

Dans ces mystères on éprouvait l'initié par mille terreurs, par la menace du feu, de l'épêe, etc., et on lui présentait une couronne, qu'il refusait, en disant: Dieu est ma couronne. (Voyez cette couronne dans la sphère céleste, à côté de Bootes.) Les personnages de ces mystères portaient tous des noms d'animaux constellés. La messe n'est pas autre chose que la célébration de ces mystères et de ceux d'Éleusis. Le Dominus vobiscum est à la lettre la formule de réception, chon-k, àm, p-ak. Voy. Beausobre, Histoire du Manichéisme, tom. ii.

Pag. 147, lig. 10. Les Védas ou Vedams sont les livres sacrés dés Indous, comme les Bibles chez nous. On en compte trois: le Rick Veda, le Yadjour Veda, et le Sama Veda. Ils sont si rares dans l'Inde, que les Anglais ont eu beaucoup de peine à en trouver l'original, dont ils ont fait faire une copie déposée au British Muséum. Ceux qui comptent quatre Védas, y comprennent l'Attar Veda, qui traite des cérémonies, et qui est perdu. Il y a en suite des commentaires nommés Upanishada, dont l'un a été publié par Anquetil Duperron, sous le titre de Oupnekhat, livre curieux en ce qu'il donne une idée de tous les autres. La date de ces livres passe 25 siècles au-dessus de notre ère; leur contenu prouve que toutes les rêveries des métaphysiciens grecs viennent de l'Inde et de l'Égypte.—Depuis l'an 1788, les savants Anglais exploitent dans l'Inde une mine de littérature dont on n'avait aucune idée en Europe, et qui prouve que la civilisation de l'Inde remonte à une très-haute antiquité. Après les Védas viennent les Chastras, au nombre de six. Ils traitent de théologie et de sciences. Puis viennent au nombre de 18, les Pouranas, qui traitent de mythologie et d'histoire: voyez le Bahgouet-guîta, le Baga Vedam, et l'Ézour-Vedam, traduits en français, etc.

Pag. 151, lig. 14. Toute cette cosmogonie des lamas, des bonzes, et même des brames, comme l'atteste Henri Lord, revient littéralement à celle des anciens Égyptiens. «Les Égyptiens, dit Porphyre, appellent Kneph l'intelligence ou cause effective (de l'univers). Ils racontent que ce dieu rendit par la bouche un œuf, duquel fut produit un autre dieu, nommé Phtha ou Vulcain (le feu principe, le soleil;) et ils ajoutent que cet œuf est le monde.» Eusoeb., Prep. evang., pag. 115.

«Ils représentent, dit-il ailleurs, le dieu Kneph ou la cause efficiente, sous la forme d'un homme de couleur bleu foncé (celle du ciel), ayant en main un sceptre, portant une ceinture, et coiffé d'un petit bonnet royal de plumes très-légères, pour marquer combien est subtile et fugace l'idée de cet être.» Sur quoi j'observerai que Kneph, en hébreu, signifie une aile, une plume; que cette couleur bleue (céleste) se trouve dans la plupart des dieux de l'Inde, et qu'elle est, sous le nom de narayan, une de leurs épithètes les plus célèbres.

Pag. 153, lig. 25. (Que les lamas ne sont que des manichéens.) Voyez l'Histoire du Manichéisme, par Beausobre, qui prouve que ces sectaires furent purement des zoroastriens; ce qui fait remonter l'existence de leurs opinions 1200 ans avant J. C. Il suit de là que Boudd Chaucasam fut encore antérieur, puisque la doctrine boudiste se trouve dans les plus anciens livres indiens, dont la date passe 3100 ans avant notre ère (tel que le Bahgouet-guîta). Observez d'ailleurs que Boudd est la 9e avatar ou incarnation de Vichenou, ce qui le place à l'origine de cette théologie. En outre, chez les Indiens, les Chinois, les Thibétains, etc., Boudd est le nom de la planète que nous appelons Mercure, et du jour de la semaine consacré à cette planète (le mercredi); cela le remonte à l'origine du calendrier; en même temps cela nous l'indique primitivement identique à Hermès, ce qui étend son existence jusqu'en Égypte. Maintenant remarquez que les prêtres égyptiens racontaient qu'Hermès mourant avait dit: «Jusqu'ici j'ai vécu exilé de ma véritable patrie; j'y retourne: ne me pleurez pas; je retourne à la céleste patrie où chacun se rend à son tour: là est Dieu; cette vie n'est qu'une mort.» Voyez Chalcidius in Timœum. Or, cette doctrine est précisément celle des boudistes anciens, ou samanéens, des pythagoriciens et des orphiques. Dans la doctrine d'Orphée, le dieu monde est représenté par un œuf: dans les idiomes hébreu et arabe, l'œuf se nomme baidh, analogue à Boùdd (Dieu), et à Boûd, en persan l'existence, ce qui est (le monde), Boùdd est encore analogue à bed et vad, qui chez les Indiens signifie science. Hermès en était le dieu: il était l'auteur des livres sacrés ou Védas égyptiens. On voit quels rameaux présente, et à quelle antiquité tout ceci nous porte. Maintenant le prêtre boudiste d'Ava ajoute: «Qu'il est de foi que, de temps à autre, le ciel envoie sur la terre des Boudda pour amender les hommes, les retirer de leurs vices, et les remettre en voie de salut.» Avec un tel dogme répandu dans l'Inde, dans la Perse, dans l'Égypte, dans la Judée, on sent combien les esprits ont dû être disposés dès long-temps à ce que des siècles postérieurs nous offrent.

Pag. 154, lig. 6. (Long-temps avant Iésous.) D'après les notions des savants anglais de l'Inde, la doctrine de Boudda y est très-ancienne. L'écrivain anonyme que nous avons cité, pag. 319, lig. 23, cite un traité écrit il y a peu d'années par le chef des prêtres bouddites d'Ava, à la prière de l'évêque catholique de cette ville, qui dit: «Que les dieux qui ont apparu dans le présent monde jusqu'à ce jour, sont au nombre de quatre, savoir: Boudda Chaucasam, Boudda Gonagom, Boudda Gaspa, et Boudda Gautama, duquel la loi règne actuellement; il obtint la divinité à trente-cinq ans, et passa à l'immortalité 2362 ans (avant la date du dit écrit, qui se place vers 1805.)» Par conséquent Gautama serait mort vers l'an 557 avant l'ère chrétienne, au temps où régnait Kyrus en Perse, et où florissait Pythagore.

2º D'autre part, des écrivains arabes et persans, cités dans l'Hist. des Huns, tom. II, par de Guignes; dans l'Hist. de la Chine, tom. V, in-4º, note de la page 50, et dans la préface de l'Ezour Vedam (Yadjour-Veda), placent l'apparition d'un autre Boudda à l'année 1027 avant notre ère (ce serait Gaspa).

3º Le tableau statistique de l'empereur mogol Akbar, intitulé Ain Akberi, traduit par Gladwin, dit, pag. 433, tom. II, que Boudd avait disparu 2962 ans avant l'an 40 de cet empereur, c'est-à-dire 1366 ans avant J.-C. (ce serait Gonagom.)

Pag. 154, lig. 14 (Fondés sur l'absence de tout témoignage authentique.) «Tout le monde sait,» disait Fauste, qui, quoique manichéen, fut un des plus savants hommes du IIIe siècle, «tout le monde sait que les Évangiles n'ont été écrits ni par J.-C. ni par ses apôtres, mais long-temps après, par des inconnus, qui, jugeant bien qu'on ne les croirait pas sur des choses qu'ils n'avaient pas vues, mirent à la tête de leurs récits des noms d'apôtres ou d'hommes apostoliques et contemporains.» Sur cette question, voyez l'Histoire des Apologistes de la Religion chrétienne, attribuée à Fréret, mais qui est de Burigny, membre de l'Académie des inscriptions. Voyez aussi Mosheim, De rébus christianorum; Correspondance of Atterbury, Archbishop, 5 vol. in-8º, 1798; Toland, Nazarenus; et Beausobre, Histoire du Manichéisme, tom, i. Il résulte de tout ce qu'on a écrit pour et contre, que l'origine précise du christianisme n'est pas connue; que les prétendus témoignages de Josèphe (Antiq. jud., lib. XVIII, c. 3) et de Tacite (Annales, lib. XV, c. 44) ont été interpolés vers le temps du concile de Nikée, et que personne n'a encore mis en évidence le fait radical, c'est-à-dire l'existence réelle du personnage qui a occasioné le système. Sans cette existence néanmoins, il serait difficile de concevoir l'apparition du système à son époque connue, encore qu'il ne soit pas sans exemple en histoire de voir des suppositions gratuites et absolues. Pour résoudre ce problème, vraiment curieux et important, il faudrait qu'un esprit doué de sagacité, muni d'instruction, et surtout d'impartialité, profitant des recherches déja faites, y ajoutât un tableau comparatif de la doctrine des boudistes, et spécialement de la secte de Samana Gautama, contemporain de Kyrus; qu'il examinât quelle fut la facilité des communications de l'Inde avec la Perse et la Syrie, surtout depuis le règne de Darius Hystaspe, qui, selon Agathias et Ammien, consulta les sages de l'Inde, et introduisit plusieurs de leurs idées chez les mages; quelle fut encore cette facilité depuis Alexandre, sous les Séleucides, qui entretenaient des relations diplomatiques avec les rois indiens, il verrait que, par suite de ces communications, le système des samanéens put se répandre de proche en proche jusqu'en Égypte; qu'il put être la cause déterminante de la corporation des esséniens en Judée, etc,: alors il ne resterait plus qu'à examiner si, toutes choses étant ainsi préparées, l'exaltation générale des esprits n'a pas pu susciter un individu qui aurait rempli le rôle désigné: soit que lui-même se fût cru et annoncé pour être le personnage attendu, soit que ce fût la multitude qui, enthousiasmée de sa conduite, de sa doctrine et de ses prédications, lui en eût attribué l'emploi. Dans l'un et l'autre cas, il serait conforme aux probabilités humaines que des attroupements populaires eussent excité la surveillance et l'inquiétude du gouvernement romain, et qu'enfin un incident remarquable, tel que l'entrée en Jérusalem, eût déterminé le préfet à une mesure de rigueur, à un acte de sévice qui aurait brusquement terminé ce drame (à peu près comme il est raconté), mais qui n'aurait fait qu'accroître l'intérêt pour le personnage regretté, et par-là donné lieu à des récits et à des associations dont le résultat cadrerait parfaitement avec l'état de choses qui apparaît ensuite dans l'histoire. Sans doute là où manque son témoignage positif, l'on ne pourrait établir ce qu'on appelle certitude morale; mais par l'enchaînement des causes et des effets, on pourrait arriver à un degré de probabilité qui en produirait l'effet; puisque d'ailleurs, avec les témoignages les plus positifs, l'histoire n'a jamais de droit qu'aux plus ou moins grandes probabilités.

Ibidem, lig. 27. (La doctrine intérieure) Les boudistes ont deux doctrines, l'une publique et ostensible, l'autre intérieure et secrète, précisément comme les prêtres égyptiens. Pourquoi cette différence? demandera-t-on. C'est que la doctrine publique enseignant les offrandes, les expiations, les fondations, etc., il est utile de la prêcher au peuple; au lieu que l'autre enseignant le néant et ne rapportant rien, il convient de ne la faire connaître qu'aux adeptes. On ne peut classer plus évidemment les hommes en fripons et en dupes.

Pag. 156, lig. 18. (Voilà ce qu'a révélé notre Boudah.) Ce sont les propres termes de La Loubère, dans sa Description du royaume de Siam et de la théologie des bonzes. Leurs dogmes, comparés à ceux des anciens philosophes de la Grèce et de l'Italie, retracent absolument tout le système des stoïciens et des épicuriens, mêlé avec des superstitions astrologiques et quelques traits du pythagorisme.

Pag. 165, lig. 4. (La barbarie originelle du genre humain.) C'est le témoignage unanime de toutes les histoires, et même des légendes, que les premiers hommes furent partout des sauvages, et que ce fut pour les civiliser et leur apprendre à faire du pain, que les dieux se manifestèrent.

Ibidem, lig. 9. (N'acquiert d'idées que par l'intermède de ses sens). Voilà précisément où ont échoué les anciens, et d'où sont venues leurs erreurs: ils ont supposé les idées de Dieu innées, coéternelles à l'ame; et de là toutes les rêveries développées dans Platon et Iamblique. Voy. le Timée, le Phédon, et de Mysteriis Ægyptiorum, sect. Ire, chap, 3.

Pag. 170, lig. 21. (Le témoignage de tous les anciens monuments.) Il résulte clairement, dit Plutarque, des vers d'Orphée et des livres sacrés des Égyptiens et des Phrygiens que la théologie ancienne, non-seulement des Grecs, mais en général de tous les peuples, ne fut autre chose qu'un système de physique, qu'un tableau des opérations de la nature, enveloppé d'allégories mystérieuses et de symboles enigmatiques: de manière que la multitude ignorante s'attachât plutôt au sens apparent qu'au sens caché, et que même dans ce qu'elle comprenait de ce dernier, elle supposât toujours quelque chose de plus profond que ce qui paraissait. Plutarque, fragment d'un ouvrage perdu, cité dans Eusèbe, Præpar. evang. lib. III, chap. I, page 85.

«La plupart des philosophes, dit Porphyre, et entre autres Chæremon (qui vécut en Égypte dans le premier siècle de l'ère chrétienne) ne pensent pas qu'il ait jamais existé d'autre monde que celui que nous voyons: et ils ne reconnaissent pas d'autres dieux, de tous ceux qu'allèguent les Égyptiens, que ce que l'on appelle vulgairement les planètes, les signes du zodiaque et les constellations, qui jouent avec eux en aspect (de lever et de coucher); à quoi ils ajoutent leurs divisions de signes en décans ou maîtres du temps, qu'ils appellent les chefs forts et puissants dont les noms, les vertus curatives des maladies, les couchers, les levers, les présages de ce qui doit arriver, font la matière des almanachs (c'est-à-dire que les prêtres égyptiens faisaient de véritables almanachs de Mathieu Laensberg); car lorsque les prêtres disaient que le soleil était l'architecte de l'univers, Chæremon sentait que tous leurs récits sur Isis et sur Osiris, que toutes leurs fables sacrées se rapportaient en partie aux planètes, aux phases de la lune; au cours du soleil, en partie (aux étoiles de) l'hémisphère du jour et de la nuit, ou au fleuve du Nil, en un mot, à des êtres physiques, naturels, et rien à des êtres immatériels et dépourvus de corps... Tous ces philosophes croient que les mouvements de notre volonté et de nos actions dépendent de ceux des astres, qu'ils en sont dirigés; et ils se soumettent aux lois d'une nécessité (physique) qu'ils appellent destin ou fatum, supposant une chaîne (de causes et d'effets) qui lie, par je ne sais quel lien, tous les hommes entre eux (depuis l'atome) jusqu'à la puissance supérieure et à l'influence première de ces dieux; en sorte que, soit dans les temples, soit dans les simulacres ou idoles, ils n'adorent autre chose que la puissance de la destinée,» (Porphyr. Epis. ad Ianebonem.)

Pag. 171, lign. 11. (Exigea la connaissance des cieux.) Jusqu'à ce jour on a répété, sur l'autorité indirecte de la Genèse, que l'astronomie avait été inventée par les enfants de Noé. On a raconté gravement que, pâtres errants dans les plaines de Sennaar, ils employaient leur désœuvrement à rédiger un système des cieux; comme si des pâtres avaient besoin de connaître plus que l'étoile polaire, et comme si le besoin n'était pas l'unique motif de toute invention! Si les anciens pasteurs furent si studieux et si habiles, comment arrive-t-il que les modernes soient si ignorants et si négligents? Or, il est de fait que les Arabes du désert ne connaissent pas six constellations, et qu'ils n'entendent pas un mot d'astronomie.

Pag. 172, lign. 12. (Des génies auteurs des biens et des maux.) Il paraît que par le mot genius les anciens ont entendu proprement une qualité, une faculté génératrice, productrice; car tous les mots de cette famille reviennent à ce sens: generare, genos, genesis, genus, gens.

«Les sabéens anciens et modernes, dit Maimonides, reconnaissent un dieu principal, fabricateur du monde et possesseur du ciel; mais à cause de son éloignement trop grand, ils le pensent inaccessible; et imitant la conduite du peuple à l'égard des rois, ils emploient auprès de lui pour médiateurs les planètes et leurs anges, auxquels ils donnent le titre de princes et de rois, et qu'ils supposent habiter dans ces corps lumineux, comme dans des palais ou tabernacles, etc.» (More Nebuchim, pars III, c. 29.)

Ibidem, lign. 28. (Un sexe tiré du genre de son appellation.) Selon qu'un objet se trouva du genre masculin ou féminin dans la langue d'un peuple, le dieu qui porta son nom se trouva mâle ou femelle chez ce peuple. Ainsi les Cappadociens disaient le dieu Lunus et la déesse Soleil; et ceci présente sans cesse les mêmes êtres sous des formes diverses, dans la mythologie des anciens.

Pag. 173, lig. 20. (Ce qui contribue à la conservation de soi et de ses semblables.) À ceci Plutarque ajoute que ces prêtres (égyptiens) ont toujours fait le plus grand cas de la conservation de la santé..., et qu'ils la regardent comme une condition nécessaire au service des dieux et à la piété, etc. (Voy. Isis et Osiris, à la fin.)

Ibidem, lig. 26.(Paraissent remonter au delà de quinze mille ans.) L'orateur historien suit ici l'opinion du savant Dupuis, qui d'abord en son mémoire sur l'Origine des Constellations, puis dans son grand ouvrage sur l'Origine de tous les Cultes, à rassemblé une foule de preuves que jadis la balance était placée à l'équinoxe du printemps, et le belier à l'équinoxe d'automne, c'est-à-dire que la précession des équinoxes a causé un déplacement de plus de sept signes. L'action de ce phénomène est incontestable: les calculs les plus récents l'évaluent à 50 secondes, 12 ou 15 tierces par an; donc chaque degré de signe zodiacal est déplacé et mis en arrière, en 71 ans 8 ou 9 mois; donc un signé entier, en 2152 ou 53 ans. Or si, comme il est de fait, le point équinoxial du printemps fut juste au 1er degré du belier, l'an 388 avant J.-C.; c'est-à-dire si, à cette époque, le soleil avait parcouru et mis en arrière tout ce signe pour entrer dans les poissons, qu'il a quittés de nos jours, il s'ensuit qu'il avait quitté le taureau 2153 ans auparavant, c'est-à-dire vers l'an 2540 avant J.-C., et qu'il y était entré vers l'an 4692 avant J.-C. Ainsi, remontant de signe en signe, le 1er degré du belier avait été le point équinoxial d'automne environ 12,912 ans avant l'an 388, c'est-à-dire 13,300 ans avant l'ère chrétienne: ajoutez nos dix-huit siècles, vous avez 15,100 ans, et de plus la quantité de temps et de siècles qu'il fallut pour amener les connaissances astronomiques à ce degré d'élévation. Maintenant remarquez que le culte du signe taureau joue un rôle principal chez les Égyptiens, les Perses, les Japonais, etc.; ce qui indique à cette époque une marche commune d'idées chez ces divers peuples. Les 5 ou 6000 ans de la Genèse ne font objection que pour ceux qui y croient par éducation: (Voy. à ce sujet l'analyse de la Genèse, dans le tom. ier des Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne; voy. aussi l'Origine des Constellations, par Dupuis, 1781; l'Origine des Cultes, en 3 vol. in-4º, 1794, et le Zodiaque chronologique, in-4º, 1806.)

Pag. 176, lig. 2. (Les noms des objets terrestres qui leur répondaient.) «Les anciens, dit Maimonides, portant toute «leur attention sur l'agriculture, donnèrent aux étoiles des «noms tirés de leurs occupations pendant l'année.» (More Neb...., pars v.)

Pag. 177, lig. 19. (Tel fut le moyen d'appellation.) Les anciens disaient: crabiser, capriser, tortuiser, comme nous disons serpenter, coqueter; tout le langage a été construit sur ce mécanisme.

Pag. 179, lig. 26. (En qui la vertu des astres s'était insérée.) «Les anciens astrologues, dit le plus savant des Juifs (Maimonides), ayant consacré à chaque planète une couleur, un animal, un bois, un métal, un fruit, une plante, ils formaient de toutes ces choses une figure ou représentation de l'astre, observant pour cet effet de choisir un instant approprié, un jour heureux, tel que la conjonction ou tout autre aspect favorable; par leurs cérémonies (magiques), ils croyaient pouvoir faire passer dans ces figures ou idoles les influences des êtres supérieurs (leurs modèles). C'étaient ces idoles qu'adoraient les Kaldéens-sabéens: dans le culte qu'on leur rendait, il fallait être vêtu de la couleur propre.... Ainsi, par leurs pratiques, les astrologues introduisirent l'idolâtrie, ayant pour objet de se faire regarder comme les dispensateurs des faveurs des cieux; et parce que les peuples anciens étaient entièrement adonnés à l'agriculture, ils leur persuadaient qu'ils avaient le pouvoir de disposer des pluies et des autres biens des saisons; ainsi, toute l'agriculture s'exerçait par des règles d'astrologie, et les prêtres faisaient des talismans pour chasser les sauterelles, les mouches, etc.» Voy. Maimonides, More Nebuchim, pars 111, c. 9.

«Les prêtres égyptiens, indiens, perses, etc., prétendent lier les dieux à leurs idoles, les faire descendre du ciel à leur gré; ils menacent le soleil et la lune de révéler les secrets des mystères, d'ébranler les cieux, etc.» Eusèbe, Præparat. evang., pag. 198; et Iamblique, de Mysteriis Ægyptiorum.

Pag. 180, lign. 12. (Fut censé en remplir les rôles astronomiques.) Ce sont les propres paroles de Iamblique, de Symbolis Ægyptiorum, c. 2, sect. 7. Il était le grand Protée, le métamorphiste universel.

Pag. 181, lig. 22. (Votre tonsure est le disque du soleil.) «Les Arabes, dit Hérodote, lib. iii, se rasent la tête en rond et autour des tempes, ainsi que se la rasait, disaient-ils, Bacchus (qui est le soleil).» Jérémie, c. 25, v. 23, parle de cette coutume. La touffe que conservent les musulmans est encore prise du soleil, qui, chez les Égyptiens, était peint, au solstice d'hiver, n'ayant plus qu'un cheveu sur la tête. (Votre étole est son zodiaque). Les étoles de la déesse de Syrie et de la Diane d'Éphèse, d'où dérive celle des prêtres, portent les douze animaux du zodiaque. Les chapelets se retrouvent dans toutes les idoles indiennes, composées il y a plus de 4500 ans, et leur usage est universel et immémorial en Asie. La crosse est précisément le bâton de Bootes ou Osiris. (Voy. la planche iii.) Tous les lamas portent la mitre, ou bonnet conique, qui était l'emblème du soleil.

Pag. 182, lig. 21. (On en fit la vie historique d'Hercule.) Voy. l'ouvrage de Dupuis, Origine des Constellat, et Origine de tous les Cultes.

Pag. 183, lig. 19. (La réunion de ces figures avait des sens convenus.) Le lecteur verra sans doute avec plaisir plusieurs exemples des hiéroglyphes des anciens.

«Les Égyptiens, dit Hor-Apollo, désignent l'éternité par les figures du soleil et de la lune. Ils figurent le monde par un serpent bleu à écailles jaunes (les étoiles; c'est le dragon chinois). S'ils veulent exprimer l'année, ils représentent Isis, qui dans leur langue se nomme aussi Sothis, ou la canicule, première des constellations, par le lever de qui l'année commençait. Son inscription à Saïs était: C'est moi qui me lève dans la constellation du chien.

«Ils figurent aussi l'année par un palmier, et le mois par un rameau, parce que, chaque mois, le palmier pousse une branche.

«Ils la figurent encore par le quart d'un arpent. (L'arpent entier, divisé en quatre, désignait la période bissextile de quatre ans: l'abréviation de cette figure du champ quadripartite est visiblement la lettre ha ou hêth, septième de l'alphabet samaritain; les lettres alphabétiques pourraient bien n'être que des abréviations d'hiéroglyphes astronomiques, et par cette raison on aurait écrit de droite à gauche, dans le sens de la marche des étoiles.) Ils désignent un prophète par l'image d'un chien, attendu que l'astre-chien (Anoubis) annonce par son lever l'inondation.

«Ils peignent l'inondation par un lion, parce qu'elle arrive sous ce signe; et de là, dit Plutarque, l'usage des figures de lion vomissant de l'eau à la porte des temples.

«Ils expriment Dieu et la destinée par une étoile. Ils représentent aussi Dieu, dit Porphyre, par une pierre noire, parce que sa nature est ténébreuse, obscure. Toutes les choses blanches expriment les dieux célestes, lumineux; toutes les circulaires expriment le monde, la lune, le soleil, les orbites; tous les arcs et croissans, la lune.... Ils figurent le feu et les dieux de l'Olympe par des pyramides et des obélisques (le nom du soleil, Baal, se trouve dans ce dernier mot); le soleil par un cône (la mitre d'Osiris); la terre par un cylindre (qui roule); la puissance génératrice (de l'air) par le phallus, et celle de la terre par un triangle, emblème de l'organe femelle. (Euseb., Præpar. evang., p. 98.)

«Le limon, dit Iamblique, de Symbolis, sect. 7, c. 2, désigne la matière, la puissance générative et nutritive; tout ce qui reçoit la chaleur, la fermentation de la vie.

«Un homme assis sur le lotos ou nénuphar désigne l'esprit moteur (le soleil), qui, de même que cette plante vit dans l'eau sans toucher au limon, existe pareillement séparé de la matière, nageant dans l'espace, se reposant sur lui-même; rond dans toutes ses parties, comme le fruit, les feuilles et les fleurs du lotos. (Brahma a des yeux de lotos, dit le Chaster Néardisen, pour désigner son intelligence, son œil, qui surnage à tout, comme la fleur du lotos sur l'eau.) Un homme au timon d'un vaisseau, continue Iamblique, désigne le soleil qui gouverne tout. Et Porphyre nous dit que c'est encore lui que représente un homme dans un vaisseau sur un crocodile (amphibie, emblème de l'air et de l'eau.)

«À Éléphantine on adorait une figure d'homme assis, de couleur bleue, ayant une tête de belier, et des cornes de bouc qui embrassaient le disque; le tout pour figurer la conjonction du soleil dans le belier avec la lune. La couleur bleue désigne la puissance attribuée à la lune dans cette conjonction, d'élever les eaux en nuages (apud Euseb., Præpar. evang., pag. 116).

«L'épervier est l'emblème du soleil et de la lumière, à raison de son vol rapide et élevé au plus haut de l'air, où abonde la lumière.

«Le poisson est l'emblème de l'aversion, et l'hippopotame de la violence, parce que, dit-on, il tue son père et viole sa mère. De là, dit Plutarque, l'inscription hiéroglyphique du temple de Saïs, où l'on voit peints sur le vestibule, 1º un enfant, 2º un vieillard, 3º un épervier, 4º un poisson, et 5º un hippopotame; ce qui signifie: 1º arrivants (à la vie), et 2º partants, 3º dieu, 4º hait, 5º l'injustice. (Voyez Isis et Osiris.)

«Les Égyptiens, ajoute-t-il, peignent le monde par un scarabée, parce que cet insecte pousse à contre-sens de sa marche une boule qui contient ses œufs, comme le ciel des fixes pousse le soleil (jaune de l'œuf) à contre-sens de sa rotation.

«Ils peignent le monde par le nombre cinq, qui est celui des éléments, savoir, dit Diodore, la terre, l'eau, l'air, le feu et l'éther ou spiritus (ils sont les mêmes chez les Indiens); et, selon les mystiques, dans Macrobe, ce sont le Dieu suprême ou premier mobile, l'intelligence ou mens née de lui, l'ame du monde qui en procède, les sphères célestes et les choses terrestres. De là, ajoute Plutarque, l'analogie de penté, cinq (en grec), à Pan, le tout.

«L'âne, dit-il encore, désigne Typhon, parce qu'il est de couleur rousse, comme lui: or, Typhon est tout ce qui est bourbeux, limoneux» (et j'observerai qu'en hébreu, limon, couleur rousse, et âne, sont des mots formés de la même racine hamr). De plus, Iamblique nous a dit que le limon désignait la matière, et il ajoute ailleurs que tout mal, toute corruption viennent de la matière; ce qui, comparé au mot de Macrobe, tout est périssable, sujet au changement dans la sphère céleste, nous donne la théorie du système d'abord physique, puis moralisé, dû bien et du mal des anciens. (Voy. encore le Mémoire sur le zodiaque de Dendera, que le savant Dupuis a inséré dans le journal intitulé: Revue philosophique, année 1801.)

Pag. 187, lig. 1. (Une cause insensée de superstition.) C'est le propre texte de Plutarque, qui raconte que ces divers cultes furent donnés par un roi d'Égypte, aux différentes villes, pour les désunir et les asservir (et ces rois étaient pris dans la caste des prêtres). V. Isis et Osiris.

Pag. 189, lig. 15. (Dans la projection de la sphère que traçaient les prêtres astronomes.) Les anciens prêtres eurent trois espèces de projection, qu'il est utile de faire connaître au lecteur.

«Nous lisons dans Eubulus, dit Porphyre, que Zoroastre fut le premier qui, ayant choisi dans les montagnes voisines de la Perse une caverne agréablement située, la consacra à Mithra (le soleil), créateur et père de toutes choses, c'est-à-dire qu'ayant partagé cet antre en divisions géométriques qui représentaient les climats et les éléments, il imita en petit l'ordre et la disposition de l'univers par Mithra. Après Zoroastre, ce devint un usage de consacrer les antres à la célébration des mystères; en sorte que, de même que les temples sont affectés aux dieux célestes, les autels champêtres aux héros et aux dieux terrestres, les souterrains aux dieux infernaux (inférieurs); de même les antres et les grottes furent spécialement attribués au monde, à l'univers et aux nymphes: de là est venue à Pythagore et à Platon l'idée d'appeler le monde une caverne, un antre. (Porphyre, De antro Nympharum.)

Voici donc une première projection en relief; et quoique les Perses aient fait honneur de son invention à Zoroastre, on peut assurer qu'elle eut lieu chez les Égyptiens, et que même étant la plus simple, elle dut y être la plus ancienne; les cavernes de Thèbes, remplies de peintures, autorisent ce sentiment.

En voici une seconde. «Les prophètes ou hiérophantes des Égyptiens, dit l'évêque Synnesius, qui avait été initié aux mystères, ne permettent pas aux ouvriers ordinaires de faire les idoles ou images des dieux; mais ils descendent eux-mêmes dans les antres sacrés, où ils ont des coffres cachés, qui renferment certaines sphères sur lesquelles ils composent ces images en secret et à l'insu du peuple, qui méprise les choses simples et naturelles, et qui veut des prodiges et des fables.» (Syn., in Calvit.) C'est-à-dire que les prêtres avaient des sphères armillaires comme les nôtres; et ce passage, si concordant avec celui de Chérémon, nous donne la clé de toute leur théologie astrologique.

Enfin, ils avaient des plans plats, dans le genre de la planche III; avec cette différence, que leurs plans, très-compliqués, portaient toutes leurs divisions fictives de décans et sous-décans, avec les indications (hiéroglyphiques) de leurs influences. Kirker en a donné une copie dans son Œdipe égyptien, et Gébelin un fragment figuré dans son volume du calendrier (sous le nom de Zodiaque égyptien). Les anciens Égyptiens, dit l'astrologue Julius Firmicus (Astron., lib. ii, c. 4, et lib. iv, c. 16), divisent chaque signe du zodiaque en trois sections; et chaque section fut sous la direction d'un être fictif, qu'ils appelèrent décan ou chef de dixaine; en sorte qu'il y eut trois décans par mois et trente-six par an. Or, ces décans, qui furent aussi appelés dieux (Théoi), règlent les destinées des hommes..., et ils étaient spécialement placés dans certaines étoiles.... Dans la suite on imagina en chaque dixaine trois autres dieux, que l'on appela les dispensateurs; de sorte qu'il y en eut neuf par mois, qui furent encore divisés en un nombre infini de puissances. (Les Perses et les Indiens firent leurs sphères sur des plans semblables; et si l'on dressait un tableau de la description qu'en donne Scaliger à la fin de Manilius, l'on y verrait précisément la définition de leurs hiéroglyphes, car chaque article en est un.)

Ibidem, lig. 18. (L'hémisphère d'hiver lui était antipode.) Voilà précisément pourquoi le nom d'Ahrimanes était toujours écrit par les Perses renversé ainsi: mot Ahrimân en sens dessus dessous en arrière

Pag. 190, lig. 12. (Typhon, c'est-à-dire le déluge, à raison des pluies.) Typhon, prononcé touphon par les Grecs, est précisément le touphan arabe, qui veut dire déluge; et tous ces déluges des mythologies ne sont, tantôt que l'hiver et les pluies, et tantôt le débordement du Nil; de même que les prétendus incendies qui doivent terminer le monde, ne sont que la saison d'été. Voilà pourquoi Aristote, De meteoris, lib. 1, c. 14, dit que l'hiver de la grande année cyclique est un déluge, et son été un incendie. «Les Égyptiens, dit Porphyre, emploient chaque année un talisman en mémoire du monde; au solstice d'été, ils marquent de rouge les maisons, les troupeaux, les arbres, disant que ce jour-là tout le monde a été incendié. C'était aussi alors que se célébrait la danse pyrrhique ou de l'incendie.» (Et ceci explique l'origine des purifications par le feu et par l'eau, car ayant appelé le tropique du cancer portes des cieux et de la chaleur ou feu céleste, et celui du capricorne porte du déluge ou de l'eau, il fut censé que les esprits ou ames qui passaient par ces portes pour aller et venir aux cieux, étaient rôtis ou baignés: de là le baptême de Mithra, et le passage à travers les flammes, pratiqués dans tout l'Orient long-temps avant Moïse.)

Ibidem, lig. 14. (Dans la Perse, en un temps postérieur.) Dans un temps postérieur, c'est-à-dire lorsque le belier devint le signe équinoxial, ou plutôt lorsque le dérangement du ciel eut fait apercevoir que ce n'était plus le taureau.

Pag. 191, lig. 11. (Tous les actes religieux du genre gai.) Toutes les fêtes anciennes, relatives au retour ou à l'exaltation du soleil, portaient ce caractère: de là les hilaria du calendrier romain au passage (pascha) de l'équinoxe vernal. Les danses étaient des imitations de la marche des planètes. Celle des derviches la figure encore aujourd'hui.

Ibid., lig. 17. (Tous les actes religieux du genre triste.) On n'offre, dit Porphyre, de sacrifices sanglants qu'aux démons et aux génies malfaisants, pour détourner leur colère.... Les démons aiment le sang, l'humidité, la puanteur. Apud Euseb., Præp. evang., p. 173.

«Les Égyptiens, dit Plutarque, n'offrent de victimes sanglantes qu'à Typhon. On lui immole un bœuf roux; et l'animal de sacrifice est un animal exécré, chargé de tous les péchés du peuple (le bouc de Moïse).» Voyez De Iside et Osiride.

(Ce partage des animaux en sacrés et abominables.) Strabon dit, à l'occasion de Moïse et des Juifs: «De la superstition sont nées les prohibitions de certaines viandes et les circoncisions.»—Et j'observe, à l'égard de cette dernière pratique, que son but était d'enlever au symbole d'Osiris (phallus) l'obstacle prétendu de la fécondation: obstacle qui portait le sceau de Typhon, «dont la nature, dit Plutarque, est tout ce qui empêche, s'oppose, fait obstruction

Pag. 197, lig. 6. (Les heureux n'y donneront point d'ombre.) Il est à ce sujet un passage de Plutarque si intéressant et si explicatif de tout ce système, que le lecteur nous saura gré de le lui citer en entier; après avoir dit que la théorie du bien et du mal avait de tout temps exercé les physiciens et les théologiens: «Plusieurs, ajoute-t-il, croient qu'il y a deux dieux dont le penchant opposé se plaît, l'un au bien, et l'autre au mal; ils appellent spécialement dieu le premier, et génie ou dæmon le second. Zoroastre les a nommés Oromaze et Ahrimanes, et il a dit que de tout ce qui tombe sous nos sens, la lumière est l'être qui représente le mieux l'un; les ténèbres et l'ignorance, l'autre. Il ajoute que Mithra leur est intermédiaire; et voilà pourquoi les Perses appellent Mithra le médiateur ou l'intermédiaire. Chacun de ces dieux a des plantes et des animaux qui lui sont particulièrement consacrés: par exemple, les chiens, les oiseaux, les hérissons, sont affectés au bon génie; tous les animaux aquatiques au mauvais.

Les Perses disent encore qu'Oromaze naquit ou fut formé de la lumière la plus pure; Ahrimanes, au contraire, des ténèbres les plus épaisses; qu'Oromaze fit six dieux aussi bons que lui, et qu'Ahrimanes leur en opposa six méchants; qu'ensuite Oromaze se tripla (Hermès trismégiste), et s'éloigna du soleil autant que le soleil est éloigné de la terre, et qu'il fit les étoiles, et entre autres Sirius, qu'il plaça dans les cieux comme un gardien et une sentinelle. Or, il fit encore vingt-quatre autres dieux, qu'il plaça dans un œuf; mais Ahrimanes en créa vingt-quatre autres qui percèrent l'œuf, et alors les biens et les maux furent mêlés (dans l'univers). Mais enfin Ahrimanes doit être un jour vaincu, et la terre deviendra égale et aplanie, afin que tous les hommes vivent heureux.

Théopompe ajoute, d'après les livres des mages, que tour à tour l'un de ces dieux domine tous les trois mille ans, pendant que l'autre a du dessous; qu'ensuite ils combattent à armes égales pendant trois autres mille ans; mais enfin que le mauvais génie doit succomber (sans retour). Alors les hommes deviendront heureux, et ne donneront point d'ombre. Or, le dieu qui médite ces choses, se repose en attendant qu'il lui plaise de les exécuter.» (De Iside et Osiride.)

L'allégorie se montre à découvert dans tout ce passage. L'œuf est la sphère des fixes, le monde; les six dieux d'Oromaze sont les six signes d'été; les six signes d'Ahrimanes, les six signes d'hiver. Les quarante-huit dieux créés ensuite sont les quarante-huit constellations de la sphère ancienne, partagée également entre Ahrimanes et Oromaze. Le rôle de Sirius, gardien, sentinelle, décèle l'origine égyptienne de ces idées; enfin cette expression, que la terre deviendra égale et aplanie, et que les hommes heureux ne donneront point d'ombre, nous montre que le paradis véritable était l'équateur.

Ibidem, lig. 15. (Les cérémonies de l'antre de Mithra.) Dans les antres factices que les prêtres pratiquèrent partout, on célébrait des mystères qui consistaient, dit Origène contre Celse, à imiter les mouvemens des astres, des planètes et de tous les cieux. Les initiés portaient des noms de constellations, et prenaient des figures d'animaux. L'un était déguisé en lion, l'autre en corbeau, celui-ci en belier. De là les masques de la première comédie. Voy. Antiq. dévoilée, tom. II pag. 244. Dans les mystères de Cérès, le chef de la procession s'appelait le créateur; le porteur de flambeau, le soleil; celui qui était près de l'autel, la lune; le héraut ou diacre, Mercure. En Égypte, il y avait une fête où des hommes et des femmes représentaient l'année, le siècle, les saisons, les parties du jour, et ils suivaient Bacchus. (Athénée, lib. v, c. 7.) Dans l'antre de Mithra il y avait une échelle à sept échelons ou degrés, figurant les sept sphères des planètes, par ou montaient et descendaient les ames; c'est précisément l'échelle de la vision de Jacob; ce qui indique, à cette époque, tout le système formé. Il y a à la Bibliothèque royale un superbe volume de peinture des dieux de l'Inde, où l'échelle se trouve representée avec les ames qui y montent, planche dernière.

Voy. l'astronomie ancienne par Bailly, où nos assertions sur les connaissances des prêtres sont amplement prouvées.

Pag. 200, lig. 1. (Dont toutes les parties avaient une liaison intime.) Ce sont les propres paroles de Iamblique. De myst. Ægypt.

Ibidem, lig. 4. (Un fluide iégn, électrique.) Plus je considère ce que les anciens ont entendu par æther et esprit, et ce que les Indiens nomment l'akache, plus j'y trouve d'analogie avec le fluide électrique. Un fluide lumineux remplissant l'univers, composant la matière des astres, principe de mouvement et de chaleur, ayant des molécules rondes, lesquelles s'insinuant dans un corps, le remplissent en s'y dilatant, quelle que soit son étendue: quoi de plus ressemblant à l'électricité?

Ibidem, lig. 7. (Le cœur ou le foyer.) Les physiciens, dit Macrobe, appelèrent le soleil cœur du monde, c. 20, Som. Scip. Les Égyptiens, dit Plutarque, appellent l'orient le visage, le nord le côté droit, le midi le côté gauche du monde (parce que le cœur y est placé). Sans cesse ils comparaient l'univers à un homme, et de là le Microcosme si célèbre des alchimistes. Observons, en passant, que les alchimistes, les cabalistes, les francs-maçons, les magnétiseurs, les martinistes, et tous les visionnaires de ce genre, ne sont que des disciples égarés de cette école antique. Consultez, encore le pythagoricien Ocellus Lucanus, et l'Œdipus Ægypliacus de Kirker, t. ii, page 205.

Ibidem, lig. 28. (Dans l'éther, au milieu de la voûte des cieux.) Cette comparaison à un jaune d'œuf porte, 1º sur l'analogie de la figure ronde et jaune; 2º sur la situation au milieu; 3º sur le germe ou principe de vie placé dans le jaune. La figure ovale serait-elle relative à l'ellipse des orbites? Je suis porté à le croire. Le mot orphique offre d'ailleurs une remarque nouvelle. Macrobe dit (Som. Scipion., c. 14 et c. 20) que le soleil est la cervelle de l'univers, et que c'est par analogie que dans l'homme le crâne est rond, comme l'astre siége de l'intelligence: or, le mot ærph (par aïn) signifie en hébreu le cerveau et son siège (cervix); alors Orphée est le même que Bedou ou Baits; et les bonzes sont ces mêmes orphiques que Plutarque nous peint comme des charlatans qui ne mangeaient point de viande, vendaient des talismans, des pierres, etc., et trompaient les particuliers et même les gouvernements. Voy. un savant Mémoire de Fréret, sur les Orphiques. Acad des Inscrip. tom. xxiii, in-4º.

Pag. 201, lig. 10. (Sur là tête une sphère d'or.) Voy. Porphyre, dans Eusèbe, Præpar. evangel., lib. iii, pag., 115.

Pag. 203, lig. 13. (De la tout le système de l'immortalité de l'ame.) Dans le système des premiers spiritualistes, l'ame n'était point créée avec le corps, ou en même temps que lui, pour y être insérée; elle existait antérieurement et de toute éternité. Voici, en peu de mots, la doctrine qu'expose Macrobe à cet égard. Som. Scip. passim.

«Il existe un fluide lumineux, igné, et très subtil, qui, sous le nom d'æther et de spiritus, remplit l'univers; il compose la substance du soleil et des astres; il est le principe et l'agent essentiel de tout mouvement, de toute vie; il est la Divinité. Quand un corps doit être animé sur la terre, une molécule ronde de ce fluide gravite par la voie lactée vers la sphère lunaire; et parvenue là, elle se combine avec un air plus grossier, et devient propre à s'associer à la matière: alors elle entre dans le corps qui se forme, le remplit tout entier, l'anime, croît, souffre, grandit et diminue avec lui: lorsque ensuite il périt et que ses éléments grossiers se dissolvent, cette molécule incorruptible s'en sépare, et elle se réunirait de suite au grand océan de l'éther, si sa combinaison avec l'air lunaire ne la retenait: c'est cet air (ou gaz) qui, conservant les formes du corps, reste dans l'état d'ombre ou de fantôme, image parfaite du défunt. Les Grecs appelaient cette ombre l'image ou l'idole de l'ame; les pythagoriciens la nommaient son char, son enveloppe; et l'école rabbinique son vaisseau, sa nacelle. Lorsque l'homme avait bien vécu, cette ame entière, c'est-à-dire, son char et son éther, remontaient à la lune, où il s'en faisait une séparation; le char vivait dans l'élysée lunaire, et l'éther retournait aux fixes, c'est-à-dire à Dieu; car, dit Macrobe, plusieurs appellent Dieu le ciel des fixes (c. 14).

«Si l'homme n'avait pas bien vécu, l'ame restait sur terre pour se purifier, et elle errait çà et là à la manière des ombres d'Homère, qui connut toute cette doctrine, en Asie, trois siècles avant que Phérécyde et Pythagore l'eussent rajeunie en Grèce. Hérodote dit, à cette occasion, que tout le roman de l'ame et de ses transmigrations a été inventé par les Égyptiens, et répandu en Grèce par des hommes qui s'en sont prétendus les auteurs. Je sais leurs noms, dit-il, mais je veux les taire (lib. ii). Cicéron y supplée, en nous apprenant positivement que ce fut Phérécyde, maître de Pythagore (Tuscul., lib. i, § 16). Dans la Syrie et dans la Judée, nous trouvons une preuve palpable de son existence, cinq siècles avant Pythagore, en cette phrase de Salomon, où il dit: «Qui sait si l'esprit de l'homme monte dans les régions supérieures? Pour moi, méditant sur la condition des hommes, j'ai vu qu'elle était la même que celle des animaux. Leur fin est la même; l'homme périt comme l'animal; ce qui reste de l'un n'est pas plus que ce qui reste de l'autre; tout est néant.» Eccles., c. III, V. II.

Et telle avait été l'opinion de Moïse, comme l'a bien observé le traducteur d'Hérodote (Larcher, dans sa première édition, note 389 du liv. II), où il dit aussi que l'immortalité ne s'introduisit chez les Hébreux que par la communication des Assyriens. Du reste, tout le système pythagoricien, bien analysé, n'est qu'un pur système de physique mal entendu.

Pag. 206, lig. 27. (Ses noms mêmes, tous dérivés.) En dernière analyse, tous les noms de la Divinité reviennent à celui d'un objet matériel quelconque, qui en fut censé le siège. Nous en avons vu une foule d'exemples: donnons-en un encore dans notre propre mot dieu. Ce terme, comme on le sait, est le deus des Latins, qui lui-même est le theos des Grecs. Or, de l'aveu de Platon (in Cratylo), de Macrobe (Saturn. lib. I, c. 24), et de Plutarque (Isis et Osiris), sa racine est théin, qui signifie errer, comme planéin; c'est-à-dire qu'il est synonyme à planètes, parce que, ajoutent ces auteurs, les anciens Grecs, ainsi que les barbares, adoraient spécialement les planètes. Je sais que l'on a beaucoup décrié cette recherche des étymologies; mais si, comme il est vrai, les mots sont les signes représentatifs des idées, la généalogie des uns devient celle des autres, et un bon dictionnaire étymologique serait la plus parfaite histoire de l'entendement humain. Seulement il faut porter dans cette recherche des précautions que l'on n'a pas prises jusqu'à ce jour, et entre autres il faut avoir fait une comparaison exacte de la valeur des lettres des divers alphabets. Mais, pour continuer notre sujet, nous ajouterons que dans le phénicien, le mot thàh (par aïn) signifié aussi errer, et qu'il paraît être la source de théin: si l'on veut que déus dérive du grec Zeus, nom propre de Youpiter, ayant pour racine zaw, je vis, il reviendra précisément au sens de you, qui signifiera l'ame du monde, le feu principe. Div-us, qui ne signifie que génie, dieu du second ordre, me paraît venir de l'oriental div pour dib, loup et chacal, l'un des emblèmes du soleil. À Thèbes, dit Macrobe, le soleil était peint sous la forme d'un loup ou chacal (car il n'y a pas de loups en Égypte). La raison de cet emblème est sans doute que le chacal annonce par ses cris le lever du soleil, ainsi que le coq; et cette raison se confirme par l'analogie du mot lykos, loup, et lyké, lumière du matin, d'où est venu lux.

Dius, qui s'entend aussi du soleil, doit venir de dîh, épervier. «Les Égyptiens, dit Porphyre (Euseb., Præp. evang., p. 92), peignent le soleil sous l'emblème d'un épervier, parce que cet oiseau vole au plus haut des airs, où abonde la lumière.» Et, en effet, on voit sans cesse au Kaire des milliers de ces oiseaux planer dans l'air, d'où ils ne descendent que pour importuner par leur cri qui imite la syllabe dîh; et ici comme dans l'exemple précédent, se retrouve l'analogie des mots dies, jour, lumière, et dius, dieu, soleil.

Pag. 207, lig. 16. (Hâtèrent par leurs disputes le progrès des sciences et des découvertes.) L'une des preuves les plus plausibles que ces systèmes furent inventés en Égypte, réside surtout en ce que ce pays est le seul où l'on voie un corps complet de doctrine formé dès la plus haute antiquité.

Clément d'Alexandrie nous a transmis (Stromat. lib. VI) un détail curieux de 42 volumes que l'on portait dans la procession d'Isis. «Le chef, dit-il, ou chantre, porte un des instruments, symboles de la musique, et deux livres de Mercure, contenant, l'un des hymnes aux dieux, l'autre la liste des rois. Après lui l'horoscope (l'observateur du temps) porte une palme et une horloge, symboles de l'astrologie; il doit savoir par cœur les quatre livres de Mercure qui traitent de l'astrologie, le premier sur l'ordre des planètes, le second sur les levers du soleil et de la lune, et les deux autres sur les levers et aspects des astres. L'écrivain sacré vient ensuite, ayant des plumes sur la tête (comme Kneph), et en main un livre, de l'encre et un roseau pour écrire (ainsi que le pratiquent encore les Arabes); il doit connaître les hiéroglyphes, la description de l'univers, le cours du soleil, de la lune, des planètes; la division de l'Égypte (en 36 nomes), le cours du Nil, les instruments, les ornements sacrés, les lieux saints, les mesures, etc. Puis vient le porte-étole, qui porte la coudée de justice, ou mesure du Nil, et un calice pour les libations: dix volumes concernent les sacrifices, les hymnes, les prières, les offrandes, les cérémonies, les fêtes. Enfin arrive le prophète, qui porte dans son sein et à découvert une cruche: il est suivi par ceux qui portent les pains (comme aux noces de Cana). Ce prophète, en qualité de président des mystères, apprend dix (autres) volumes sacrés qui traitent des lois, des dieux et de toute la discipline des prêtres, etc. Or, il y a en tout quarante-deux volumes, dont trente-six sont appris par ces personnages; les six autres sont du ressort des pastophores: ils traitent de la médecine, de la construction du corps humain (l'anatomie), des maladies, des médicaments, des instruments, etc.»

Nous laissons au lecteur à déduire toutes les conséquences d'une pareille encyclopédie. On l'attribuait à Mercure; mais Iamblique nous avertit que tout livre composé par les prêtres était dédié à ce dieu, qui, à titre de génie ou décan ouvreur du zodiaque, présidait à l'ouverture de toute entreprise: c'est le Janus des Romains, le Guianesa des Indiens, et il est remarquable que Ianus et Guianes sont homonymes. Du reste, il paraît que ces livres sont la source de tout ce que nous ont transmis les Latins et les Grecs dans toutes les sciences, même en alchimie, en nécromancie, etc. Ce que l'on doit le plus regretter est la partie de l'hygiène et de la diététique, dans lesquelles il paraît que les Égyptiens avaient réellement fait de grands progrès et d'utiles observations.

Pag. 208, lig. 18. (Son dieu n'en fut pas moins un dieu égyptien.) «À une certaine époque, dit Plutarque (De Iside), tous les Égyptiens font peindre leurs dieux-animaux. Les Thébains sont les seuls qui ne paient pas de peintres, parce qu'ils adorent un dieu dont les formes ne tombent pas sous les sens et ne se figurent point.» Et voilà le dieu que Moïse, élevé à Héliopolis, adopta par préférence, mais qu'il n'inventa point.

Ibid., lig. 20. (Et Yahouh, décelé par son propre nom.) Telle est la vraie prononciation du Jehovah de nos modernes, qui choquent en cela toutes les règles de la critique, puisqu'il est constant que les anciens, surtout les orientaux Syriens et Phéniciens, ne connurent jamais ni le ni le v, venus des Tartares. L'usage subsistant des Arabes, que nous rétablissons ici, est confirmé par Diodore, qui nomme Iaw le dieu de Moïse (lib. i); et l'on voit que Iaw et Iahouh sont le même mot: l'identité se continue dans celui de Ioupiter; mais afin de la rendre plus complète, nous allons la démontrer par le sens même.

En hébreu, c'est-à-dire dans l'un des dialectes de la langue commune à la basse Asie, le mot Yahouh équivaut à notre périphrase celui qui est lui, l'être existant, c'est-à-dire le principe de la vie, le moteur ou même le mouvement (l'ame universelle des êtres). Or, qu'est-ce que Jupiter? Écoutons les Latins et les Grecs expliquant leur théologie: «Les Égyptiens,» dit Diodore d'après Manethon, prêtre de Memphis, «les Égyptiens, donnant des noms aux cinq éléments, ont appelé l'esprit (ou éther) Youpiter, à raison du sens propre de ce mot; car l'esprit est la source de la vie, l'auteur du principe vital dans les animaux; et c'est par cette raison qu'ils le regardèrent comme le père, le générateur des êtres. Voilà pourquoi Homère dit père et roi des hommes et des dieux.» (Diod., lib. i, sect. i.)

Chez les théologiens, dit Macrobe, Youpiter est l'ame du monde; de là le mot de Virgile: Muses, commençons par Youpiter: tout est plein de Youpiter (Songe de Scipion, c. 17); et dans les Saturnales, il dit: Jupiter est le soleil lui-même; c'est encore ce qui a fait dire à Virgile: «L'esprit alimente la vie (des êtres), et l'ame répandue dans les vastes membres (de l'univers) en agite la masse, et ne forme qu'un corps immense.»

«Youpiter,» disent les vers très-anciens de la secte des orphiques nés en Égypte, vers recueillis par Onomacrite, au temps de Pisistrate; «Youpiter, que l'on peint la foudre à la main, est le commencement, l'origine, la fin et le milieu de toutes choses: puissance une et universelle, il régit tout, le ciel, la terre, le feu, l'eau, les éléments, le jour, la nuit. Voilà ce qui compose son corps immense; ses yeux sont le soleil et la lune; il l'éternité, l'espace. Enfin, ajoute Porphyre, Jupiter est le monde, l'univers, ce qui constitue l'existence et la vie de tous les êtres. Or, continue le même auteur, comme les philosophes dissertaient sur la nature et les parties constituantes de ce dieu, et qu'ils n'imaginaient aucune figure qui représentât tous ses attributs, ils le peignirent sous l'apparence d'un homme.... Il est assis, pour faire allusion à son essence immuable; il est découvert dans la partie supérieure du corps, parce que c'est dans les parties supérieures de l'univers (les astres) qu'il s'offre le plus à découvert. Il est couvert depuis la ceinture, parce qu'il est le plus voilé dans les choses terrestres. Il tient un sceptre de la main gauche, parce que le cœur est de ce côté, et que le cœur est le siége de l'entendement, qui (dans les hommes) règle toutes les actions.» (Voy. Euseb., Præpar. evang., page 100.)

Enfin, voici un passage du géographe philosophe Strabon, qui lève tous les doutes sur l'identité des idées de Moïse et de celles des théologiens païens.

«Moïse, qui fut un des prêtres égyptiens, enseigna que c'était une erreur monstrueuse de représenter la Divinité sous les formes des animaux, comme faisaient les Égyptiens, ou sous les traits de l'homme, ainsi que le pratiquent les Grecs et les Africains: cela seul est la Divinité, disait-il, qui compose le ciel, la terre et tous les êtres, ce que nous appelons le monde, l'universalité des choses, la nature; or, personne d'un esprit raisonnable ne s'avisera d'en représenter l'image par celle de quelqu'une des choses qui nous environnent. C'est pourquoi, rejetant toute espèce de simulacres (idoles), Moïse voulut qu'on adorât cette Divinité sans emblème et sous sa propre nature; il ordonna qu'on lui élevât un temple digne d'elle, etc.» Geograph., lib. xvi, pag. 1104, édit. de 1707.

La théologie de Moïse n'a donc point différé de celle des sectateurs de l'ame du monde, c'est à-dire des stoïciens, et même des Épicuriens.

Quant à l'histoire de Moïse, Diodore la présente sous un jour naturel, quand il dit, lib. xxxiv et xl, «que les Juifs furent chassés d'Égypte dans un temps de disette, où le pays était surchargé d'étrangers, et que Moïse, homme supérieur par sa prudence et par son courage, saisit cette occasion pour établir sa nation dans les montagnes de Judée.» À l'égard des six cent mille hommes armés que l'Exode lui donne, c'est une erreur de copiste, dont le lecteur trouvera la démonstration tirée des livres mêmes, au tom. 1er des Recherches nouvelles sur l'Histoire ancienne, pag. 162 et suivantes.

Ibid., lig. 25. (Sous le nom d'Éi.) C'était le monosyllabe écrit sur la porte du temple de Delphes. Plutarque en a fait le sujet d'un traité.

Pag. 209, lig. 13. (Le nom d'Osiris même.) Il se trouve en propres termes au chap. 32 du Deutéronome. «Les ouvrages de Tsour sont parfaits.» On a traduit Tsour par créateur; en effet, il signifie donner des formes; et c'est l'une des définitions d'Osiris dans Plutarque.

Pag. 213, lig. 23. (Satan, l'archange Michel.) «Les noms des anges et des mois, tels que Gabriel, Michel, Yar, Nisan, etc., vinrent de Babylone avec les Juifs,» dit en propres termes le Talmud de Jérusalem. Voyez Beausobre, Hist. du Manich., tom. II, pag. 624, où il prouve que les saints du calendrier sont imités des 365 anges des Perses; et Iamblique, dans ses Mystères égyptiens, sect. 2, ch. 3, parle des anges, archanges, séraphins, etc., comme un vrai chrétien.

Pag. 214, lig. 9. (Consacrèrent la théologie de Zoroastre.) «Toute la philosophie des gymnosophistes,» dit Diogène Laërce, sur l'autorité d'un ancien, «est issue de celle des mages, et plusieurs assurent que celle de Juifs en a aussi tiré son origine;» (lib. I, c. 9.) Mégastène, historien distingué du temps de Séleucus Nicanor, et qui avait écrit particulièrement sur l'Inde, parlant de la philosophie des anciens sur les choses naturelles, joint dans un même sens les brachmanes et les Juifs.

Pag. 215, lig. 13. (Ramener l'âge d'or sur la terre.) Voilà la raison de tous ces oracles païens que l'on a appliqués à Jésus, et, entre autres, de la quatrième églogue de Virgile et des vers sibyllins si célèbres chez les anciens.

Pag. 216 lig. 21. (Au bout des six mille ans prétendus.) Lisez à ce sujet le chapitre 17 du tome I des Recherches nouvelles sur l'Histoire ancienne, où est expliquée la Mythologie de la création. La version des Septante comptait cinq mille et près de six cents ans; et ce calcul était le plus suivi: on sait combien, dans les premiers siècles de l'Église, cette opinion de la fin du monde agita les esprits. Par la suite, les saints conciles s'étant rassurés, ils la taxèrent d'hérésie dans la secte des millénaires; ce qui forme un cas bien singulier; car, d'après les propres Évangiles que nous suivons, il est évident que Jésus eût été un millénaire, c'est-à-dire un hérétique.

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