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Les voyages de Gulliver

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CHAPITRE VI

Du luxe, de l'intempérance et des maladies qui règnent en Europe. Et caractère de la noblesse.

J'avais beau dire, on ne pouvait comprendre à quel point cette race des praticiens était malfaisante et redoutable à la fois. «Quel motif, disait Son Honneur à quatre pieds en frappant du pied la terre, les porte à faire un tort si considérable à ceux qui ont besoin de leur secours, et que voulez-vous dire aussi, cette récompense que l'on promet à un procureur?»

Je lui répondis que cette récompense était de l'argent. J'eus quelque peine à lui faire entendre ce mot argent. Je lui expliquai nos différentes espèces de monnaies, les métaux dont elles sont composées. «L'argent, chez nous, monsieur le cheval, est le commencement et la fin de toute chose. Il commande, il gouverne, il châtie, il récompense!

«A l'argent tout se rapporte! Il donne à qui le possède... un peu plus que tout! Par l'argent vous avez de beaux habits, de belles maisons, de belles terres; l'argent amène à vous les plus belles cavales; il vous pare, il vous fait bonne chère; il vous glorifie! Argent dit tout. C'est pourquoi nous ne croyons jamais avoir assez d'argent; plus nous en avons, plus nous en voulons avoir, le riche oisif jouit des travaux du pauvre! Et plus j'ai d'argent, plus je force à la gêne, au travail, quantité de malheureux sans argent.

—Et quoi! interrompit Son Honneur, toute la terre n'appartient donc pas à tous les animaux? Ils n'auraient pas un droit égal aux fruits qu'elle produit pour la nourriture de chacun? De quel droit, s'il te plaît, des Yahous privilégiés recueillent-ils ces fruits, à l'exclusion de leurs semblables? et si quelques-uns y prétendent un droit plus particulier, il me semble à moi que ceux-là ont mérité de vivre avant tous les autres, qui par leur travail ont contribué à fertiliser la terre.

—Oh! pour cela, non! lui répondis-je; et ceux qui font vivre tous les autres par la culture de la terre sont justement ceux-là qui meurent de faim.

—Mais, dit-il, qu'avez-vous entendu par ce mot de bonne chère, lorsque vous m'avez dit qu'avec de l'argent on faisait bonne chère en votre pays?» Alors je lui racontai les mets les plus exquis dont la table des riches est ordinairement couverte, et les différentes façons d'apprêter les viandes.

Je lui dis de nos gourmandises tout ce qui me vint en mémoire, ajoutant que, pour bien assaisonner ces viandes, et surtout pour boire à souhait de bonnes liqueurs, nous équipions des bateaux, nous courions mille hasards. Tant de voyages! tant d'écueils! des terres si lointaines!

Rien que pour offrir une honnête collation à quelque riche, il nous fallait des voiles, gonflées des quatre vents du ciel, dans toutes les parties de l'univers.

«Votre pays est donc bien misérable (il disait cela, enflant ses naseaux jusqu'à l'insulte), qu'il ne fournit pas de quoi nourrir ses habitants? Quoi donc! vous n'avez pas de quoi boire, et vous êtes obligés de traverser les mers pour vous désaltérer! Et vous appelez cela une patrie!...»

A quoi je répondis: «Plaise à Votre Honneur de prendre en sa grâce l'Angleterre, ma patrie! Elle produit trois fois plus de nourriture que ses habitants n'en peuvent consommer; qu'elle cherche, au loin, des boissons qui lui plaisent, ce n'est pas qu'elle n'ait en abondance une eau fraîche! Elle compose une boisson avec le suc de certains fruits, ou l'extrait de quelques grains; en un mot, rien ne manque à ses besoins.

«C'est donc uniquement pour nourrir notre luxe et notre intempérance que nous envoyons dans les pays étrangers les productions de notre île de la Grande-Bretagne, et que nous rapportons en échange, et de si loin, des substances qui nous brûlent, des boissons qui nous enivrent, des vices qui nous tuent!

«Cet irrésistible attrait du luxe, de la bonne chère et du plaisir, est le principe de tous les mouvements de nos Yahous; pour y atteindre, à tout prix il faut s'enrichir. Or ce besoin de fortune à tout prix, voilà la source intarissable d'où nous viennent les mendiants, les filous, les voleurs, les pipeurs, les courtisans, les courtisanes, les parjures, les flatteurs, les suborneurs, les faussaires, les faux témoins, les menteurs, les joueurs, les fanfarons, les mauvais auteurs, les empoisonneurs, les impudiques, les précieux ridicules, les esprits forts, la race abjecte des vendeurs et des acheteurs de fumée!...»

Et, comme il m'écoutait bouche béante, il me fallut expliquer à cette bête chacune de ces ignobles professions, de mentir, de flatter, de calomnier; bassesse! abjection! coquinerie! la vénalité! Vénalité de l'âme et vénalité de l'esprit! vénalité du cœur... et tout est vénalité!

«Et quand je vous raconte ici toutes ces peines pour rapporter chez nous des vins mûris sur tous les coteaux, ce n'est pas que le vin nous soit nécessaire; il est mieux que nécessaire, il est charmant! Il apporte avec soi la gaieté sans frein, l'oubli complet des choses sérieuses, mille folies, et le courage et le bel esprit!

«Le vin nous affranchit de la tyrannie et des volontés souveraines du bon sens.

«Par cette obéissance aux volontés des plus riches, se nourrissent les pauvres de notre nation. De la misère ils se sauvent par un travail sans trêve. Suis-je habillé comme je dois l'être, je porte sur mon corps l'ouvrage de cent ouvriers. Un millier de mains ont contribué à bâtir, à meubler ma maison; il en a fallu cinq ou six fois davantage pour habiller, orner et parer ma femme.»

Ici, pour faire un pendant au tableau des gens de justice, il me fallut donner le tableau des médecins. J'avais dit à Son Honneur que la plupart de mes compagnons étaient morts de maladie; il n'avait qu'une idée imparfaite de ce mot: maladie!

Il s'imaginait que nous mourions comme tous les autres animaux, sous la faiblesse de l'âge, à moins que nous n'eussions été blessés par quelque accident. Je fus obligé de lui expliquer la nature et la cause de nos diverses maladies.

1o Nous mangions sans avoir faim, nous buvions sans avoir soif.

2o Nous passions les nuits à avaler des liqueurs brûlantes, buvant pour boire, au détriment de nos entrailles. Cette façon de vivre, inévitablement, répandait dans tous nos membres une faiblesse, une langueur mortelles.

3o Des maladies funestes naissaient quelquefois avec nous, transmises avec le sang, et se prolongeaient de génération en génération.

Mais je n'en finirais pas de dresser la liste des maladies auxquelles nous étions exposés; il y en avait cinq ou six cents pour chaque membre; et de notre corps, chaque partie, interne, externe, en avait une infinité qui lui étaient propres.

«Pour guérir tous ces maux, nous avons des Yahous qui se consacrent uniquement à l'étude du corps humain; ils prétendent, par des remèdes efficaces, extirper nos maladies, lutter contre la nature même, et prolonger notre existence!» En ma qualité de chirurgien, j'expliquai avec plaisir à Son Honneur les différentes méthodes, les mystères de la médecine.

«Il faut supposer que toute maladie est une réplétion: d'où nos médecins concluent sensément que l'évacuation est nécessaire, et par en haut, et par en bas. Ils ont reconnu certaines propriétés... évacuantes à certains herbages; ils ont assigné son emploi médical à chaque substance: gomme, huile, écailles, sels, excréments, écorces, serpents, crapauds, grenouilles, araignées; le poisson même a son emploi dans la guérison; de ces drogues, mêlées ensemble ou prises séparément, ils composent certains breuvages, d'une odeur et d'un goût abominables, qui soulèvent le cœur et révoltent les sens.

«A chaque instant ils tirent de leur pharmacopée un vomissement (évacuation par en haut), un lavement (évacuation par en bas), selon leur fantaisie, et le malheureux qui tombe entre leurs mains ne saurait éviter la potion qui purge les entrailles et cause d'effroyables tranchées, ou le clystère qui lave et relâche les intestins. La nature, disent-ils, nous a donné l'orifice supérieur et visible pour ingérer, et l'orifice inférieur et secret pour égérer: or la maladie est une révolution dans la disposition naturelle du corps.

«Il faut donc que le remède agisse en sens inverse, et combatte la nature; et c'est pourquoi il est nécessaire, indispensable, de changer l'usage des orifices, d'avaler par l'orifice d'en bas, d'évacuer par celui d'en haut.

«D'autres maladies qui n'ont rien de réel tiennent à l'imagination, et sont presque aussi redoutables que les maladies réelles. Ceux qui sont attaqués de cette sorte de mal s'appellent des malades imaginaires. Et, naturellement, on s'essaye à les guérir, par des remèdes imaginaires. Voire le plus souvent nos médecins donnent ces remèdes pour les maladies réelles. En général, les fortes maladies d'imagination attaquent nos yahous femelles.»

Je parlai aussi du charlatanisme de beaucoup de médecins et de leur talent pour pronostiquer sûrement la mort, dans certains cas désespérés.

Un jour mon maître me fit un compliment que je ne méritais pas. Comme je lui parlais des gens de qualité d'Angleterre, il me dit qu'il croyait que j'étais gentilhomme, parce que j'étais beaucoup plus propre et bien mieux fait que tous les Yahous de son pays, quoique je leur fusse inférieur pour la force et pour l'agilité: cela venait sans doute, à son sens, des respects que j'avais pour moi-même, et de mon talent pour la parole. Il ajoutait (modestement) que ma fréquentation avec un animal de son espèce avait beaucoup développé mes penchants de Yahou bien disant et bien pensant.

Il me fit observer en même temps que parmi les Houyhnhnms les bruns ou les azelans bruns n'étaient pas si bien faits que les bais châtains, les gris pommelés et les noirs; ceux-là, certes, ne naissaient pas avec les mêmes talents et les mêmes dispositions que ceux-ci; donc ils restaient toute leur vie en servitude, aucun d'eux ne songeant à sortir de sa caste...

Pour exemple: un alezan brun qui tenterait de traiter d'égal à égal avec un gris pommelé ferait jeter les hauts cris à toute la nation chevaline. «Il faut, disait-il, rester dans l'état que la nature indique; et c'est l'offenser, c'est se révolter contre elle, de vouloir sortir du rang qui nous appartient.

«Quant à vous, maître Yahou, si vous avez évité l'abjection dans laquelle végètent vos semblables, si vous n'êtes pas, comme eux, un exécrable objet de haine et de réprobation, si vous êtes admis à vivre, à parler familièrement avec un alezan doré tel que moi, il faut en remercier d'abord la nature, et puis l'éducation que je vous ai donnée... Au reste, on devine à votre aspect toutes les supériorités de la noblesse, et, pour ma part, je ne doute pas que vous ne soyez d'un sang supérieur à celui des Yahous.»

Je rendis à Son Honneur de très-humbles actions de grâces pour la bonne opinion qu'elle avait de moi; je l'assurai en même temps que ma connaissance était très-vulgaire, étant né seulement d'honnêtes parents, qui m'avaient donné une assez bonne éducation.

Ce que nous appelons la noblesse n'avait rien de commun avec l'idée qu'il en avait conçue. Au contraire, il ferait une énorme confusion entre noblesse et vertu! Et en preuve: nos jeunes gentilshommes étaient nourris dès leur enfance, dans l'oisiveté, dans le luxe; aussitôt que l'âge le permettait, ils s'épuisaient dans la débauche, et se mariaient ensuite à quelque femme de basse extraction, laide et mal faite, malsaine, mais riche; un pareil couple engendrant, à coup sûr, des enfants mal constitués, noués, scrofuleux, difformes, ce qui continuait parfois jusqu'à la troisième génération.

Tels étaient nos usages; nos mœurs étaient ainsi faites. Antique naissance était synonyme, ou peu s'en faut, de difformité.

Parmi nous, un corps sec, maigre et décharné, faible, infirme, est devenu une marque presque infaillible de noblesse; une complexion robuste, un air de santé, vont si mal à l'homme de qualité, que tout de suite, à le voir actif, bien fait, courageux, éveillé, sans tare, et radieux de jeunesse, on en tire une conclusion hostile à l'égard de ses ancêtres...

A plus forte raison, s'il a l'esprit élevé, juste et bien fait, s'il n'est pas bourru, efféminé, brutal, capricieux, débauché, ignorant.

«Vraiment! me disait ce bonhomme de cheval, plus je t'écoute, et plus il me semble, en effet, que tu te moques de moi, avec ta noblesse et tes chimères d'une race à part et contrefaite, idiote et toute-puissante, et destinée à gouverner, éclairer, conseiller tout le reste de sa nation!»

Je m'inclinais, affirmant de nouveau que ces choses, qui semblaient incroyables, étaient la vérité même!

Et plus que jamais mon bon maître hennissait d'indignation et pitié.


CHAPITRE VII

Parallèle des Yahous et des hommes.

Peut-être, ami lecteur, serez-vous scandalisé des portraits fidèles que je fis alors de l'espèce humaine, et de la sincérité avec laquelle j'en parlai devant cet animal dédaigneux, qui avait déjà une si mauvaise opinion de tous les Yahous?

Mais quoi! j'avoue ingénument que le caractère et les grandes qualités des Houyhnhnms avaient fait une telle impression sur mon esprit, que je ne pouvais les comparer à nous autres humains, sans mépriser tous mes semblables.

Ce mépris me les fit regarder comme indignes de tout ménagement. D'ailleurs, mon maître avait l'esprit très-pénétrant; il remarquait tous les jours, dans ma personne, de grands défauts dont je ne m'étais jamais aperçu; je les regardais tout au plus comme de fort légères imperfections.

Son bon sens pratique m'inspirait une extrême bienveillance; l'amour qu'il avait pour la vérité me fit détester le mensonge et le déguisement dans mes récits.

J'avouerai encore un autre motif de mon extrême sincérité. Lorsque j'eus passé une année parmi les Houyhnhnms, je conçus pour eux tant d'estime et de vénération, que je résolus de ne jamais songer à retourner dans mon pays, mais de finir mes jours dans cette heureuse contrée, où le Ciel m'avait conduit pour m'apprendre à cultiver la vertu. Heureux si j'eusse obéi à cette inspiration d'en haut!

La Fortune ennemie a fait obstacle à ce grand rêve, et maintenant que je ne suis plus guère, hélas! qu'un citoyen anglais, je me sais bon gré de n'avoir pas tout dit, et d'avoir caché aux Houyhnhnms les trois quarts de nos extravagances et de nos vices. Bien plus, je palliais parfois, autant qu'il m'était possible, les défauts de mes compatriotes. Lors même que je les révélais, j'usais de restrictions mentales, tournant la difficulté sans la nier. N'étais-je pas en quelque sorte excusable? Une certaine partialité est permise, après tout, quand il s'agit de sa chère patrie.

J'ai rapporté jusqu'ici la substance de mes entretiens avec mon maître, aussi longtemps que j'eus l'honneur d'être à son service, et, comme il fallait abréger, j'ai passé sous silence plusieurs détails qui ne sont pas sans intérêt.

Un jour, il m'envoya chercher de grand matin, et, m'ordonnant de m'asseoir à quelque distance (honneur qu'il ne m'avait point encore accordé), il me parla en ces termes: «J'ai repassé dans mon esprit tout ce que tu m'as dit, à ton sujet, au sujet de ton pays. Je vois bien que toi et tes compatriotes vous avez une étincelle de raison, sans que je puisse, au vrai, deviner comment ce petit lot vous est échu. Je vois aussi que l'usage que vous faites de la raison augmente inutilement vos défauts naturels, et vous en donne quantité d'autres que la nature vous avait refusés.

«Il est certain que vous ressemblez aux Yahous pour la figure extérieure, et vous leur seriez tout à fait semblables, avec plus de force et d'agilité, des griffes plus longues. Du côté des mœurs, la ressemblance est entière. Ils se haïssent les uns les autres, et la raison en est qu'ils voient leur laideur et leur figure odieuse, sans qu'aucun d'eux ait jamais considéré la sienne propre.

«Avec ce petit grain de raison que vous avez, et qui leur manque, il vous était impossible de nier que vous fussiez aussi laids, grêles, difformes et mal bâtis que les Yahous, et, prudents, vous avez caché ces disgrâces sous la parure et l'ornement. Vos habits sont des mensonges! Mâles et femelles, vous vous êtes trouvés si difformes, que vous avez inventé mille ajustements, dans l'espérance où vous étiez que vous seriez moins insupportables les uns pour les autres. Vaines précautions! si vous êtes moins hideux au premier aspect, vous ne vous haïssez pas moins; d'autres sujets de division, qui règnent parmi nos Yahous, règnent aussi parmi vous.

«Si nous jetons à cinq Yahous autant de viande qu'il en suffirait à rassasier cinquante... au lieu de manger en paix ce qu'on leur donne en abondance, ils se heurtent, ils se mordent, ils se déchirent; chacun voudrait engloutir les cinquante portions des cinq autres, et nous sommes obligés de les repaître à part, et de lier ceux qui sont repus, de peur qu'ils ne se ruent sur les Yahous non rassasiés. Si la vache du voisin meurt de vieillesse ou par accident, nos Yahous n'ont pas plutôt appris cette agréable aubaine, que les voilà tous en campagne; et troupeau contre troupeau, basse-cour contre basse-cour, c'est à qui mettra la bête en lambeaux. On se bat, on s'égratigne, on se déchire, et, si ces misérables Yahous ne finissent point par rester morts sur la place, il n'en faut rien attribuer à la prudence: ils sont privés des machines meurtrières et des armes massacrantes de vos pays.

«On rencontre assez souvent dans notre sol certaines pierres luisantes de différentes couleurs, dont nos Yahous sont fort amoureux. Rien ne leur coûte pour les tirer de la terre, où elles sont ordinairement enfouies: ils les portent dans leurs loges; ils en font un amas qu'ils cachent, et sur lequel ils veillent sans cesse et sans fin, comme un trésor, prenant bien garde que leurs camarades ne les découvrent. D'où leur vient cette inclination violente pour les pierres luisantes? à quoi peuvent-elles leur être utiles? C'est un mystère qui m'échappe!

«Il faut que cette abominable avarice de vos Yahous dont vous m'avez parlé, se trouve aussi dans les nôtres, et voilà ce qui les rend si passionnés pour les pierres luisantes. Je voulus une fois enlever à ce vieil Yahou que vous voyez là-bas, accroupi dans les fanges, de vieux cailloux pour lesquels il avait creusé, pendant dix ans, la terre avec ses griffes, avec son groin... Il poussa des hurlements terribles, et se révolta comme un cheval que l'on voudrait maltraiter; il écumait de rage, il avait le feu dans les yeux... Aussitôt qu'il se vit dépouillé de ses chers cailloux, pour lesquels il serait mort vingt fois, ce triple animal ne voulut plus boire ni manger; il tomba dans la tristesse, il pleurait et se lamentait, il levait au ciel ses mains abominables; malgré les coups, il refusa toute espèce de travail jusqu'à ce que j'eusse ordonné de reporter ce ridicule trésor à l'endroit où je l'avais pris.

«Alors maître Yahou commença de reprendre ses esprits, sa bonne humeur, et de recacher ses bijoux.

«Lorsqu'un Yahou a découvert dans un champ une de ces pierres précieuses, souvent un autre Yahou survient, qui la lui dispute. Or, tandis qu'ils se battent, un troisième accourt emportant la pierre; et voilà le procès terminé! Selon ce que vous m'avez dit, vos procès ne se vident pas si promptement dans votre pays, ni à si peu de frais. Ici, les deux plaideurs (si je puis les appeler ainsi) en sont quittes pour n'avoir ni l'un ni l'autre la chose disputée, au lieu que chez vous, en plaidant, on perd souvent ce qu'on veut avoir avec ce qu'on a.

«Il prend souvent à nos Yahous une fantaisie ignoble, inconcevable. Gras, bien nourris, bien couchés, traités doucement par leurs maîtres, pleins de force et de santé, ils tombent tout à coup dans un abattement, dans un dégoût, dans une mélancolie..., et les voilà tout à fait stupides. Ils fuient leurs camarades, ils ne mangent plus, ils rêvent, abîmés dans leurs pensées lugubres. Pour les guérir de cette maladie, un seul remède: on les réveille par un traitement un peu dur et sévère, on les emploie à des travaux pénibles. L'occupation que nous leur donnons alors met en mouvement tous leurs esprits, et rappelle à la fin leur vivacité naturelle, et tout va bien pour quelque temps.»

A ce détail ingénu, je me rappelai ma chère Angleterre, où l'on voit des hommes comblés de biens et d'honneurs, pleins de santé, de vigueur, environnés de plaisirs et préservés de toute inquiétude, tomber tout à coup dans la tristesse et dans la langueur, devenir à charge à eux-mêmes, se consumer par des réflexions chimériques, s'affliger, s'appesantir et ne faire plus aucun usage de leur esprit, livré à l'hypocondrie...

Je suis persuadé que le remède à cette maladie est tout à fait celui qu'on donne aux Yahous: une vie laborieuse et pénible est un régime excellent pour la tristesse et la mélancolie. Un remède que j'ai moi-même éprouvé, et que je conseille au lecteur lorsqu'il se trouve en pareil état: pour prévenir le mal, je l'exhorte à fuir l'oisiveté... Si, par malheur, il n'a rien à faire ici-bas, qu'il s'amuse à la poésie, à la musique, au voyage, à l'éducation de ses enfants.

«Rien, continua mon maître, ne rend les Yahous plus odieux que la voracité qui les porte à manger avidement tout ce qu'ils trouvent: herbes, racines, fruits, chairs corrompues... ou tout cela mêlé ensemble; ils préfèrent ce qu'ils obtiennent par le vol ou la rapine. Tant que leur proie dure, ils mangent au point de crever; ensuite leur instinct leur a fait connaître une certaine racine qui leur procure une prompte digestion.

«Nos Yahous, ajouta mon maître, ont une passion violente pour une affreuse racine;—on la fume, on la mâche; en poudre, ils en bourrent leurs fosses nasales; et tantôt la racine empoisonnée est une joie, et tantôt une bataille! Elle endort le plus éveillé, il faut qu'il tombe assassiné par ces tristes vapeurs! Le tabac!... un brin de sainfoin coupé dans la prairie est à nos yeux préférable à ce jus horrible, à cette infecte vapeur.

«Les femelles des Yahous ressemblent beaucoup, quant au moral, aux belles dames de votre pays et du monde entier.»

Ici s'arrêta la déclamation de Son Honneur. J'avais grand peur qu'il n'en dît davantage au sujet des Yahous, et que pas un ne lui échappât de tous nos vices. J'en rougissais d'avance pour l'honneur de mon espèce. Hélas! comment l'arrêter dans le récit de tous les genres d'impudicité qui règnent parmi les Yahous de son pays?... Son innocence et son ignorance naturelles empêchèrent ce vrai sage de s'appesantir sur tant de crimes contre nature, que sa bonne qualité de cheval l'avait empêché de comprendre, et, cette fois, j'en fus quitte pour la peur!


CHAPITRE VIII

Philosophie et mœurs des Houyhnhnms.

Je priais parfois mon maître d'avoir pour agréable que je visitasse les troupeaux de Yahous du voisinage, afin de me rendre un compte exact des mœurs, des habitudes et des passions de cette espèce de bétail humain. J'avais témoigné pour ces monstres une aversion si profonde, que j'étais sans nul doute à l'abri de leur corruption; c'est pourquoi le cheval à qui j'appartenais consentit à ces études physiologiques, à condition, cependant, qu'un gros cheval alezan brûlé, l'un de ses fidèles domestiques, d'un fort bon naturel, m'accompagnât toujours, crainte d'accident.

Ces Yahous en troupeaux ne se gênaient pas pour me regarder comme un de leurs semblables, ayant une fois vu mes manches retroussées, ma poitrine et mes bras découverts. Aussitôt que je fus au milieu d'eux, ils s'approchèrent de la façon la plus familière, et se mirent à me contrefaire, en se dressant sur leurs pieds de derrière, en levant la tête, une de leurs pattes sur le côté. Ils riaient de mes yeux, de mon nez, de mes deux mains, de mon allure, et leur rire était mêlé d'envie, d'aversion et de haine; ainsi font toujours les singes, à l'égard d'un singe apprivoisé, qui porte un chapeau, un habit, une épée et des bas.

Un jour qu'il faisait grand chaud, et que je me baignais dans un courant limpide, une jeune Yahouse, hardiment, se jeta dans l'eau, s'approcha de moi, et se mit à me serrer de toute sa force. Ah! quelle peur, quand je me sentis pressé entre ses deux bras ronds et potelés: A l'aide! au secours! Je poussais de grands cris, je tremblais d'être écorché vif... Malgré la fureur qui l'animait et la rage peinte dans ses yeux, je n'eus pas une égratignure... A mes cris accourut l'alezan, et la Yahouse, à regret, prit la fuite. Cette histoire assez ridicule ayant été racontée à la maison, réjouit fort mon maître et toute sa famille; elle me causa beaucoup de honte et de confusion. Je ne sais si je dois raconter que cette Yahouse avait les cheveux noirs, les yeux bleus, les lèvres roses et les dents blanches, les sourcils bruns, les ongles nacrés, et la peau bien moins brune que toutes celles que j'avais rencontrées.

Comme j'ai passé trois années entières en ce pays, le lecteur attend de moi, sans doute, qu'à l'exemple de tous les autres voyageurs je fasse ample récit des Houyhnhnms, et que j'expose en détail leurs usages, leurs mœurs, leurs maximes, leurs façons d'agir..... Le lecteur est tout à fait dans son droit, et voilà bien ce que je vais faire en peu de mots.

Les Houyhnhnms, qui sont les maîtres et les animaux dominants dans cette contrée, apportent, en venant au monde, une grande inclination pour la vertu. Ils avaient peine à mal penser d'une créature raisonnable; leur principale maxime est de cultiver et de perfectionner leur raison, elle est le guide unique de leurs moindres actions. Chez eux la raison n'est pas, tant s'en faut, un prétexte à toutes sortes de problèmes, attaqués et soutenus par toutes sortes d'arguments. Ils s'en voudraient de mettre en question toute chose, et de défendre, en disant: C'est probable, après tout! des sentiments absurdes, des maximes malhonnêtes! Tout ce qu'ils disent porte une conviction dans l'esprit; ils n'avancent rien d'obscur, rien de douteux, rien qui soit déguisé ou défiguré par les passions, par l'intérêt. Je me souviens que j'eus grand'peine à faire comprendre à mon maître ce que j'entendais par le mot opinion, et comment il était possible que nous disputassions quelquefois et que nous fussions rarement du même avis.

«La raison, disait-il, n'est-elle pas immuable? La vérité n'est-elle pas une, et devons-nous affirmer ce qui est incertain? De quel droit nier, positivement, ce que nous ne voyons pas clairement impossible, et pourquoi donc agiter des questions que l'évidence ne peut décider? Quelque parti que vous preniez, vous serez toujours livrés au doute? Enfin, à quoi servent ces conjectures, ces vains raisonnements, ces recherches stériles et ces disputes éternelles?

«Avec de bons yeux on voit de loin l'obstacle; avec une raison pure et clairvoyante, on ne doit point contester. Par toutes vos disputes à tout propos, il est démontré que votre raison est couverte de ténèbres, ou que vous haïssez la vérité, d'une haine sans trêve et sans merci.»

C'était une chose admirable que la philosophie intelligente de ce cheval: Socrate ne raisonna jamais plus sensément. Si nous suivions les maximes de cet alezan d'État, il y aurait assurément dans toute l'Europe, avec plus de bon sens, moins d'erreurs. Mais aussi que deviendraient nos bibliothèques, la réputation de nos savants et le négoce de nos libraires? La république des lettres ne serait plus que la république universelle de la raison: il n'y aurait dans les universités d'autres écoles que l'école même du bon sens.

Les Houyhnhnms s'aiment les uns les autres, s'aident, se soutiennent, et se soulagent l'un l'autre. Ils ne se portent point envie; ils ne sont point jaloux du bonheur de leurs voisins.

Ils n'attentent point à la vie et à la liberté de leurs semblables; ils se croiraient malheureux si quelqu'un de leur espèce était dans les alarmes; ils disent, à l'exemple d'un ancien: Nihil CABALLINI a me alienum puto. «Je suis cheval, et pas de chevalerie étrangère à mon souci de chaque jour.»

Ils ne médisent point les uns des autres; la satire en prose, en voyages, en romans, ils l'ignorent. Le supérieur aurait honte d'accabler son inférieur du poids de son autorité; ils commandent sans orgueil, on leur obéit sans bassesse; ici, la dépendance est un lien et non pas un joug; la puissance est toujours soumise aux lois de l'équité; l'autorité s'impose aux respects des gouvernés.

Leurs mariages sont bien mieux assortis que les nôtres. Le cheval noir épouse une noire, et l'alezan une alezane; un gris-pommelé épousera toujours une gris-pommelée, ainsi des autres. Les voilà donc à l'abri de nos déchéances conjugales: changements, révolutions, ni déchet dans les familles. Les enfants sont tels que leurs pères et leurs mères: armes et titres de noblesse consistent dans leur figure et leur taille, dans leur force et leur couleur, qui se perpétuent en toute leur postérité. Jamais cheval magnifique et superbe n'engendre une rosse, et jamais une rosse un beau cheval, comme cela arrive assez souvent chez nous.

Dans le genre cheval, point de mauvais ménage: épouse fidèle à son mari, et mari à son épouse.

Ils vieilliront dans la même tendresse; il sera toujours jeune pour elle, elle sera pour lui toujours nouvelle! Et ni divorce, ni séparation. Ils n'ont jamais été pratiqués chez eux. Époux toujours amants, épouses toujours maîtresses, ils ne sont point impérieux, elles ne sont point rebelles; jamais elles ne s'avisent de refuser ce qu'ils sont en droit et presque toujours en état d'exiger.

Leur chasteté réciproque est le fruit de la raison, non de la crainte, des égards ou du préjugé. Ils sont chastes et fidèles, pour la douceur de leur vie et pour le bon ordre; ils ont promis de l'être, et c'est l'unique motif qui leur fait considérer la chasteté comme une vertu.

Ils élèvent leurs enfants avec un soin infini. La mère attentive est là qui veille sur le corps et la santé, le père veille sur l'esprit et la raison. Ils répriment, autant que possible, les saillies et les ardeurs fougueuses de la jeunesse. En ce pays de Cocagne, on se marie avec joie et de bonne heure, conformément aux conseils de la raison, aux désirs de la nature.

On donne aux femelles à peu près la même éducation qu'aux mâles; et je me souviens que mon maître appelait déraisonnable et ridicule notre usage à cet égard. Il disait que la moitié de notre espèce, avec l'éducation qu'on lui donnait, n'avait pas d'autre talent que celui de multiplier.

Le mérite des mâles consiste principalement dans la force et la légèreté, celui des femelles dans la souplesse et la douceur. Si la cavale a les qualités du cheval, on lui cherche un cheval qui ait les qualités de la cavale. Ainsi tout se compense.

On voit ceci chez nous: quand la femme ordonne, il faut bien que le mari obéisse. Ils ont cela de consolant, chez eux: leurs enfants ne dégénèrent point, ils ressemblent à leurs parents et perpétuent heureusement les grâces et les vertus des auteurs de leurs jours.

Quant à ces mots: Corbeille, apport, dot, espérances, douaires, préciput, communauté, régime dotal, dernier survivant, part, demi-part, agnats et cognats, inventaires, successions, testaments, part d'enfants, premier lit, second lit, enfants légitimes et naturels, obligations, assurances, bénéfice d'inventaire, nourrices, biberons, bourrelets, langes, maillots, code, coutumes... on n'en sait pas le premier mot chez messieurs les chevaux! «Quoi! disent-ils, tant de précautions pour faire un bon ménage... et ne dirait-on pas que ces fils-là vivent cinq cents ans!»

Puis les voilà qui se gaussent en leur patois, et se moquent de nous!

Ils sont heureux à meilleur compte, et tout simplement.


CHAPITRE IX

Parlement des Houyhnhnms.—Question importante agitée dans l'assemblée de toute la nation.—De quelques usages du pays.

Pendant mon séjour en ce pays des Houyhnhnms, environ trois mois avant mon départ, il y eut une assemblée générale de la nation, une espèce de parlement où mon maître, appelé par les élections, se rendit, député par son canton. On y traita une affaire... Elle avait été déjà cent fois mise sur le bureau... Elle était la seule question qui eût jamais partagé les esprits des Houyhnhnms. Mon maître, à son retour, me rapporta tout ce qui s'était passé.

Il s'agissait de décider s'il fallait absolument exterminer la race des Yahous. Un des membres soutenait l'affirmative, appuyant son avis de diverses preuves très-solides.

Il prétendait que le Yahou était l'animal le plus difforme et le plus dangereux que la nature eût jamais produit; il était également indocile et malin, il ne songeait qu'à nuire à tous les autres animaux. Il rappela une tradition répandue en ce pays: on assurait que les Yahous n'y avaient pas été de tout temps; en un certain siècle il en avait paru deux sur le haut d'une montagne, et qu'ils eussent été formés d'un limon échauffé par les rayons du soleil, qu'ils fussent sortis de la vase de quelque marécage, ou que l'écume de la mer les eût fait éclore, ces deux Yahous avaient engendré; l'espèce ainsi s'était multipliée au point que le pays en était infecté.

Or, à cette infection il était utile de pourvoir. Il n'y avait guère plus d'un siècle que, pour prévenir les inconvénients de cette hideuse multiplication, les Houyhnhnms avaient ordonné une chasse générale des Yahous; on en avait pris une grande quantité, et, après avoir détruit tous les vieux, on avait gardé les plus jeunes pour les apprivoiser, autant que cela serait possible à l'égard d'un animal aussi méchant; et, comme les anciens ne savaient qu'en faire, ils en avaient fait des bêtes de somme.

«A coup sûr, disait ce logicien féroce, les Yahous ne sont point Ylnhniamshy» (c'est-à-dire aborigènes). Il représenta que les habitants du pays, ayant eu la fantaisie de se servir des Yahous, avaient mal à propos négligé l'usage des ânes, qui étaient de très-bons animaux, doux, paisibles, aisés à nourrir, infatigables; ils n'avaient d'autre défaut que d'avoir une voix désagréable; mais la voix de l'âne était un concert véritable, comparée à la voix des Yahous.

Plusieurs autres sénateurs ayant harangué diversement sur le même sujet, mon maître à la fin, monte à la tribune, et propose un expédient judicieux dont, malgré moi, je lui avais donné l'idée. Il reconnut que, cette fois, le sénat pouvait s'appuyer sur la tradition, et que l'honorable préopinant avait sans réplique démontré l'extranéité des Yahous.

Seulement il était persuadé que les deux premiers Yahous étaient venus de quelque pays d'outre-mer, qu'ils avaient été déportés, et par suite abandonnés de leurs camarades.

Ils s'étaient d'abord retirés sur les montagnes, dans les forêts; plus tard, ils étaient devenus sauvages et farouches, et entièrement différents de ceux de leur espèce, habitants des pays éloignés. Pour établir solidement cette proposition, il raconta qu'il avait chez lui, depuis quelque temps, un Yahou très-extraordinaire, dont tous les membres de l'assemblée avaient sans doute ouï parler, et que plusieurs même avaient vu.

Il raconta sa trouvaille, et comment mon corps était couvert d'une composition artificielle de poils et de peaux de bêtes; il dit que je parlais une langue qui m'était propre, et que j'avais appris la leur. Je lui avais fait le récit de l'accident qui m'avait conduit sur ce rivage; il m'avait vu, dépouillé de mes couvertures, et par lui-même il s'était assuré que j'étais un vrai et parfait Yahou..., seulement j'avais la peau blanche et des griffes fort courtes.

«Ce Yahou étranger, ajouta monsieur le cheval, m'a voulu persuader que dans son pays, et dans beaucoup d'autres qu'il a parcourus, les Yahous sont les animaux maîtres, dominants et raisonnables, que les Houyhnhnms y sont dans l'esclavage et dans la misère. Il a, sans conteste, toutes les qualités extérieures de nos Yahous; mais, incontestablement, il est tourné comme pas un de sa race; il a quelque teinture de raison.

«S'il ne raisonne pas tout à fait comme un Houyhnhnm, il a du moins des connaissances et des lumières fort supérieures à celles de nos Yahous. Mais voici, messieurs, ce qui va vous surprendre, et sur quoi je vous demande une extrême attention: le croirez-vous? Il m'a assuré que dans son pays les Houyhnhnms étaient retranchés du nombre des pères dès leur plus tendre jeunesse, et que cette opération, la plus simple du monde, les rendait obéissants et dociles.

«Or je me demande en ce moment si cette leçon pour nous sera perdue, uniquement parce que de tels animaux nous l'ont donnée? Humanité, docilité, sagesse et prudence, on nous promet toutes ces vertus, et nous hésiterions? La fourmi nous apprend l'industrie et la prévoyance; à l'hirondelle nous devons les premiers éléments de l'architecture. Je conclus qu'on peut fort bien introduire en ce pays-ci, par rapport aux jeunes Yahous, l'usage dont il est question. Traitons-les, s'il vous plaît, nous, les Houyhnhnms, comme ils nous traitent chez eux, rendons-les, par cette simple cérémonie, obéissants et sages.

«Ainsi, sans violence, au contraire, en nous délivrant doucement de ces monstres, nous accomplirons une réforme indispensable! En même temps (c'est mon avis), seront exhortés les Houyhnhnms à entourer de soins les jeunes ânons; un âne est préférable à quatre ou cinq Yahous. Un âne, à cinq ans, travaille et fait un bon service; d'un Yahou nous ne savons que faire avant qu'il ait quinze ans!...»

Tel fut ce discours mémorable; on en parle encore au pays des Houyhnhnms. Mais à ce récit de mon maître il y avait un tu autem! A ce tu autem il y avait une réticence... A quels dangers fus-je exposé dans ce parlement de malheur!... Souffrez cependant que je touche un dernier mot du caractère et des usages des Houyhnhnms.

Les Houyhnhnms n'ont point de livres: ils ne savent lire ni écrire; toute leur science est la tradition. C'est un peuple uni, sage et vertueux, très-raisonnable; il n'a commerce avec aucun peuple étranger; les grands événements sont très-rares dans ce trop heureux pays; les traits de leur histoire qui méritent un souvenir, peuvent aisément se conserver dans leur mémoire et ne la surchargent pas.

Maladies et médecins, ils les ignorent. Que le médecin manque à la maladie, ou la maladie au médecin, peu leur importe! Ils ont bien quelques légères indispositions, mais ils se guérissent aisément eux-mêmes, par la connaissance excellente qu'ils ont des plantes et des herbes salutaires; leur instinct les pousse à étudier la botanique dans leurs promenades, et pendant leurs repas.

Leur poésie est belle, harmonieuse. Elle dédaigne également la rusticité, le langage affecté, le jargon précieux, les pointes épigrammatiques, les subtilités obscures, les antithèses puériles, les agudezas des Espagnols, les concetti des Italiens, les figures outrées des Orientaux. L'agrément des similitudes, la vérité des descriptions, la liaison et la vivacité des images, voilà l'essence et le caractère de leur poésie. Ils savent par cœur des morceaux admirables de leurs meilleurs poëmes: on dirait un composé de la sublimité d'Homère, de la grâce de Virgile, et de la grandeur de Milton.

Lorsqu'un Houyhnhnm a vécu, sa mort n'afflige et ne réjouit personne. Ses proches parents et ses meilleurs amis regardent son trépas d'un œil indifférent. Le mourant lui-même s'en va sans le moindre regret de quitter ce bas monde; on dirait d'une visite qui s'achève.—On entre, on cause, on dit volontiers ce qu'on avait à dire, et l'on prend congé de la compagnie avec laquelle on s'est entretenu tout à l'aise.

Il me souvient que mon doux maître, ayant invité un de ses amis, avec toute sa famille, à se rendre chez lui pour affaire importante, on convint et du jour et de l'heure.

Nous fûmes surpris de ne point voir arriver la compagnie au temps marqué. Enfin l'épouse, accompagnée de ses deux enfants, se rendit au logis, un peu tard. «Pardonnez-moi, dit-elle en entrant, si vous avez attendu; mon mari est mort, ce matin, d'un accident.»

Elle ne se servit pas du mot mourir, qui est une expression malhonnête, mais de celui de shnuwnh, qui signifie, à la lettre, aller retrouver sa grand'mère. Elle fut alerte et presque gaie; elle-même, un mois après, elle s'en fut retrouver sa grand'mère en bondissant.

Les Houyhnhnms vivent soixante-dix ou soixante-quinze ans, quelques-uns vont à quatre-vingts. Quelques semaines avant que de mourir, ils pressentent leur fin prochaine, et n'en sont point effrayés. Alors ils reçoivent les visites et les compliments de leurs amis, qui viennent leur souhaiter un bon voyage.

Dix jours avant le décès, le futur mort, qui se trompe rarement dans son calcul, va rendre à ses amis les visites qu'il en a reçues, porté dans une litière par ses Yahous. C'est alors qu'il prend congé, dans les formes, de ceux qu'il aime, il leur dit un dernier adieu en grande cérémonie; on dirait d'un bon marchand quittant la contrée où il a fait sa fortune, et qui prend congé de ses voisins, pour finir ses jours dans sa nouvelle maison des champs.

Je ne veux pas oublier que les Houyhnhnms n'ont point de terme dans leur langue pour exprimer ce qui est mauvais, ils se servent de métaphores tirées de la difformité et des mauvaises qualités des Yahous.

S'ils veulent exprimer l'étourderie et la négligence d'un domestique ou la faute d'un enfant, une pierre à leurs pieds, un mauvais temps sur leur tête, ils ajoutent le mot Yahou, qui veut tout dire. Pour exemple, ils diront: Hhhm-Yahou, Whnaholm-Yahou, Ynlhmndwihlma-Yahou; pour signifier une maison mal bâtie, ils diront Ynholmhnmrohlnw Yahou.

Lecteur bienveillant et bénévole qui m'écoutez bouche béante, et depuis si longtemps, que je commence à en ressentir un peu de honte, si mes explications vous paraissent insuffisantes, ou bien si quelqu'un désire en savoir davantage au sujet des mœurs et des usages des Houyhnhnms, il prendra, s'il lui plaît, la peine d'attendre qu'un gros volume in-quarto, que je prépare sur cette matière, soit achevé.

J'en publierai incessamment le prospectus, et je prends ici le strict engagement que MM. les souscripteurs ne seront point frustrés de leur espérance et de leurs droits.

Cependant que mon vieux public se contente ici de cet abrégé. La tâche est rude, au bout du compte, de raconter ce tas d'aventures, même en abrégé.

Les graveurs, dessinateurs, hydrographes et géographes sont à l'œuvre, et leur illustration jettera sans nul doute un grand jour sur ma très-véridique Narration!


CHAPITRE X

Félicité du pays des Houyhnhnms.—Les bonheurs de la causerie.—Il est banni du pays par l'ordre du parlement.

J'ai toujours aimé l'ordre et l'économie; et dans quelque situation que je me sois trouvé, je n'ai pas manqué à me caser de mon mieux.

Mon maître m'avait assigné une loge à six pas de la maison; ce logement, qui était une hutte conforme à l'usage du pays et semblable, ou peut s'en faut, à celles des Yahous, n'avait ni agrément, ni commodité.

J'allai chercher de la terre glaise dont je me fis quatre murs; avec des joncs je formai une natte dont je couvris ma hutte. Enfin je cueillis du chanvre: il croissait naturellement dans les champs; je le battis, j'en composai du fil, et de ce fil une espèce de toile que je remplis de plumes d'oiseaux pour être couché en vrai sybarite de la Cité.

Je me fis table et chaise avec mon couteau, et le secours de l'alezan. Lorsque mon habit fut entièrement usé, je m'en donnai un neuf de peaux de lapins, auxquelles je joignis les peaux de certains animaux appelés Nnuhnoh, qui sont fort beaux et à peu près de la même grandeur, et dont la peau est couverte d'un fin duvet. De cette peau je me fis aussi des bas très-propres. Je ressemelai mes souliers avec des planchettes que j'attachai à l'empeigne; et cette empeigne étant usée entièrement, j'en fis de peau d'Yahou.

Ainsi logé et vêtu, je me nourrissais de mon mieux: coquillages, laitage et beurre, et racines, parfois du miel dans les troncs des arbres, et je le mangeais avec mon pain d'avoine. Au fait, la nature est bonne mère; elle se contente de peu. Et puis la nécessité est mère de l'invention.

Je jouissais d'une santé parfaite et d'une paix d'esprit inaltérable. J'étais, grâce aux dieux, à l'abri de l'inconstance ou de la trahison des amis; ni piéges, ni ennemis.

Je n'étais point tenté de faire honteusement ma cour à un grand seigneur, pour avoir l'honneur de sa protection et de sa bienveillance. Je n'étais point obligé de me précautionner contre la fraude et l'oppression: il n'y avait point là d'espion et de délateur gagé, ni de lord Mayor crédule, étourdi, politique et malfaisant.

En ces domaines de la vérité, je ne craignais point de voir mon honneur flétri par des accusations absurdes, et ma liberté honteusement ravie par des complots indignes, et par des ordres surpris à la bonne foi, à l'incurie. Il n'y avait ni médecins pour m'empoisonner, ni procureurs pour me ruiner; pas même un poëte à me conduire à travers ses tristes fictions. Loin de moi la triste exigence de la plume et du sobriquet!

Fi des écrivailleurs! Tous mendiants! Tous mauvais plaisants, joueurs, impertinents nouvellistes, esprits forts, hypocondriaques, babillards, disputeurs, gens de parti, séducteurs, faux savants.

Fi des marchands trompeurs, des pasquins, des précieux ridicules, des esprits fades, damoiseaux, petits maîtres! fi des faquins, des traîneurs d'épée! Au pays des chevaux, pas un ivrogne! Le dernier pédant avait emmené la dernière caillette. En même temps, la licence et l'impiété respectaient mes yeux et mes oreilles. Mes yeux n'étaient point blessés à l'aspect d'un maraud enrichi par la ruine d'un honnête homme, tristement abandonné à sa vertu, comme à sa mauvaise destinée.

J'avais l'honneur de m'entretenir souvent avec messieurs les Houyhnhnms qui venaient au logis, et mon maître avait la bonté de souffrir que j'entrasse toujours dans la salle où ces sages parlaient avec tant de prudence. Il arrivait parfois que ces vrais sénateurs m'adressaient des questions auxquelles j'avais l'honneur de répondre. J'accompagnais aussi mon maître en ses visites; mais je gardais le silence à moins qu'on ne m'interrogeât. Je répondais bien, j'écoutais mieux; tout ce que j'entendais était utile, agréable, et toujours exprimé en peu de mots, mais avec grâce; une exacte bienséance était observée, et la plus simple politesse; on s'appliquait à bien dire, à plaire, à paraître aimable. A la porte les ennuyeux! Loin d'ici les bavards, qui chicanent à tort, qui disputent et déplaisent!

C'était leur maxime: en toute compagnie un peu de silence est nécessaire, et je crois qu'ils avaient raison. Dans cet intervalle et pendant cette espèce de trêve, l'esprit se remplit d'idées nouvelles, la conversation en devient plus animée et plus vive.

Leurs entretiens traitaient, le plus souvent, des avantages, de l'agrément, de l'amitié, des devoirs de la justice.

Ils parlaient de la bonté, de l'ordre, et des opérations admirables de la nature. Ils recherchaient de préférence les anciennes traditions, les conditions et les bornes de la vertu, les règles invariables de la raison; d'autres fois, ils mettaient sur la luzerne et le sainfoin les délibérations de la prochaine assemblée de leur parlement, le mérite de leurs poètes, les qualités de la bonne poésie.

Et je puis dire ici sans vanité que je fournissais moi-même à cette innocente causerie. Ils se demandaient quel mystère était caché dans cette étrange créature. Ils ruminaient mes accidents, mes aventures, les mœurs de ma nation, et vous pensez que leurs réflexions (dont je m'abstiens) faisaient peu d'honneur à l'espèce humaine. A force d'avoir étudié les mœurs des Yahous, ils parlaient du genre humain à me faire peur.

Ils découvraient la source de nos égarements, ils approfondissaient la matière de nos vices, de nos folies; ils devinaient quantité de choses dont je ne leur avais jamais parlé.

J'avoue ingénument que, si je possède aujourd'hui quelques pâles notions de philosophie, un brin de sagesse et de prudence, il en faut rapporter tout l'honneur aux leçons de mon cher maître, aux entretiens de ses judicieux amis, préférables aux doctes conférences des académies d'Angleterre, de France, d'Allemagne et d'Italie. Oh! je l'avoue et j'en suis fier, j'avais pour ces illustres personnages une inclination mêlée de respect, en même temps que j'étais pénétré de reconnaissance pour leur bonté de ne me point confondre avec leurs Yahous et de me croire un peu moins imparfait que ceux de mon pays.

Souvent, au souvenir de ma famille, de mes amis, de mes compatriotes et de toute la race humaine en général, je me les représentais comme de vrais Yahous, pour la figure et pour le caractère, un peu plus civilisés seulement, avec le don de la parole et un petit grain de raison.

Si je considérais ma figure au courant d'un clair ruisseau, je tournais la tête aussitôt, ne pouvant soutenir l'aspect d'un animal qui me paraissait aussi difforme qu'un Yahou. Mes yeux, accoutumés à la noble figure des Houyhnhnms, trouvaient en eux le type excellent de la parfaite beauté. A force de les regarder, de les entendre et de leur parler, j'avais pris un peu de leurs manières, de leurs gestes, de leur maintien, de leur démarche; aujourd'hui que je suis redevenu un libre et digne citoyen anglais sur le pavé du roi, mes amis vous diront que je trotte assez souvent comme un cheval. Quand je parle et que je ris, je hennis; on me raille, et je suis content.

Dans cet heureux état, et goûtant les douceurs d'un parfait repos, je me croyais tranquille pour tout le reste de ma vie, en cette situation la plus agréable. Un jour, mon maître m'envoya chercher de meilleur matin qu'à l'ordinaire, et je le trouvai très-sérieux, l'air inquiet, embarrassé; il voulait me parler, et ne pouvait ouvrir la bouche.

Après un morne silence, il me tint ce discours: «Je ne sais comment vous accepterez, mon cher fils, ce que je vais vous dire: à la dernière assemblée du Parlement, à l'occasion de l'affaire des Yahous, un député recommandable et justement honoré a représenté à l'assemblée qu'il était indigne et honteux que j'eusse sous mon toit un Yahou que je traitais comme un Houyhnhnm; il m'avait vu converser avec ce triste animal, et prendre plaisir à son entretien comme à celui d'un de mes semblables!

«Certes, disait-il, je sais bien que notre honoré confrère est innocent de pareil scandale, et pourtant le scandale existe, et je devais le signaler à Votre Honneur comme un procédé contraire à la raison, et dont on n'avait jamais ouï parler!»

«Sur quoi l'assemblée, unanime en sa résolution, exigea à l'instant de deux choses l'une: ou vous reléguer parmi les Yahous pour être employé comme eux, ou vous renvoyer dans le pays d'où vous êtes venu. La plupart des sénateurs qui vous connaissent et vous ont vu chez moi ont rejeté l'alternative; ils ont soutenu qu'il serait injuste et contraire à la bienséance de vous mettre au rang des Yahous de ce pays, et que vous aviez un commencement de raison.

«Il serait à craindre, ont-ils ajouté, que, par une communication fréquente avec un Yahou de votre génie, ils ne devinssent intelligents à leur tour, c'est-à-dire plus détestables, ajoutons plus dangereux! Le danger est aussi, mes frères, dans quelque Yahou surnaturel qui leur démontre à quel point ils sont opprimés, les pousse à la révolte et s'en vienne avec toutes ces forces sur les Houyhnhnms, pour les déchirer et les détruire.»

«Cet avis a passé à la pluralité des voix.

«Il faut donc que je vous renvoie incessamment. Voyez à vous tirer de peine, à vous mettre à la nage, à vous construire un petit bâtiment semblable à celui qui vous a jeté dans ces lieux, et dont vous m'avez fait la description. En un mot, par tous les moyens que vous pourrez imaginer, avec tous les aides et les appuis que nous vous donnerons, délivrez-nous de cette inquiétude, obéissez au sénat à quatre pieds.

«S'il n'eût tenu qu'à moi, je vous aurais gardé à mon service, en récompense de vos bonnes inclinations et de votre attention sur vous-même à corriger ce qui restait en vous du Yahou primitif; de votre ardeur à vous conformer, autant que votre malheureuse nature en est capable, à la nature excellente des Houyhnhnms.»

(N. B. Les décrets de l'assemblée générale de la nation des Houyhnhnms s'expriment toujours par le mot Hnhloayn, qui signifie exhortation. Ils ne peuvent concevoir qu'il soit jamais nécessaire de contraindre une créature raisonnable à se soumettre à la raison.)

Ce discours me frappa comme un coup de foudre... Ainsi furent anéanties mes plus chères espérances! De désespoir, je m'évanouis aux pieds de mon maître... Il me crut mort!

«Seigneur, lui dis-je en reprenant mes sens, d'une voix dolente, il n'appartient pas à une créature infime de discuter les volontés d'une auguste assemblée, et je m'incline avec respect devant sa décision souveraine! Il faut que j'obéisse, et j'obéirai.

«Mais qu'il me soit permis de vous dire à quel point je suis malheureux; et que peut-être on pouvait décerner contre moi une peine moins rigoureuse. Il m'était impossible, hélas! de me mettre à la nage et de nager plus d'une lieue... (Or la terre la plus proche était à cent lieues de là peut-être.) On me dit: «Construisez une barque!» Avec quoi je vous prie, et comment la construire? Néanmoins je voulais obéir, malgré l'obstacle, et déjà je me regardais comme une créature condamnée à périr.

«Oui, mon cher maître, sans le vouloir, vous m'avez donné le coup de la mort! Supposons cependant que je construise une barque assez solide pour affronter la tempête et les flots de l'Océan, supposez que je trouve un port qui me recueille, un navire qui me ramène..... hélas! soudain je retombe au milieu des Yahous traîtres, faussaires, menteurs, vendeurs de fumée, et redeviens leur semblable.

«O misère! votre heureux disciple est à jamais perdu, mon cher maître, au milieu du bourbier dont vous l'avez tiré!»

Je parlai ainsi; mon discours fut tout plein de désordre et de douleur; je me taisais, je pleurais, je me lamentais, je recommençais, ajoutant à ce bon sénateur, qui s'apitoyait de ma peine, une suite de raisonnements irrésistibles.

Les raisons qui avaient déterminé MM. les Houyhnhnms étaient trop solides pour oser leur opposer celles d'un misérable Yahou, tel que moi. Donc j'acceptai l'offre obligeante qu'il me faisait du secours de ses domestiques pour m'aider à construire une barque; et je le priai de vouloir bien m'accorder un espace de temps qui pût suffire à ce difficile ouvrage.

Enfin, si je retournais jamais en Angleterre, je tâcherais de me rendre utile à mes compatriotes, en leur traçant le portrait et les vertus des illustres Houyhnhnms, que je proposerais en exemple à tout le genre humain.

Son Honneur me répliqua en peu de mots; il me dit que la république m'accordait deux mois pour la construction de ma barque; en même temps il ordonnait à l'alezan, mon camarade (il m'est bien permis de lui donner ce nom-là en Angleterre), de suivre en leurs moindres détails toutes mes instructions. J'avais dit à mon maître que l'alezan me suffirait et je savais que ce brave garçon avait beaucoup d'affection pour moi.

Mon premier soin fut d'aller avec lui vers cet endroit de la côte où j'avais abordé, il y avait trois années, sitôt passées!

Je montai sur une hauteur, et, jetant les yeux de tous côtés sur le vaste espace, j'entrevis au nord-est une petite île. Avec mon télescope je la vis clairement, et je supputai qu'elle pouvait être éloignée de quatre ou cinq lieues. Le bon alezan disait d'abord que c'était un nuage! Il n'avait jamais vu d'autre terre que sa terre natale; il ne savait pas distinguer sur mer les objets éloignés. Ce fut à cette île que je résolus de me rendre aussitôt que ma barque serait construite.

Ici se présentaient en foule une suite d'obstacles. L'alezan et moi, nous étant consultés, nous allâmes dans la forêt voisine, et moi avec mon couteau, lui avec un caillou tranchant emmanché fort adroitement, nous coupâmes le bois nécessaire à notre œuvre... Au fait, je ne veux pas fatiguer le lecteur de ces minuties; en six semaines nous eûmes construit une espèce de canot à la façon des Indiens, mais beaucoup plus large. Avec deux peaux de Yahous cousues ensemble je me fis une voile, ayant choisi deux peaux de jeunes Yahous: celle des vieux aurait été trop dure. En même temps, je me fournis de quatre rames; je fis provision d'une quantité de chair cuite de lapins et d'oiseaux, avec deux vases assez profonds, celui-ci plein d'eau, celui-là plein de lait.

Je fis l'épreuve de mon canot dans un grand étang, corrigeant l'un après l'autre les défauts que j'y pus remarquer, bouchant toutes les voies d'eau avec du suif d'Yahou, et m'efforçant de le mettre en état de me porter avec ma petite cargaison. Je le mis enfin sur une charrette, et le fis conduire au rivage par des Yahous, sous la conduite de l'alezan et d'un autre domestique.

Et, quand tout fut prêt, le jour de mon départ arrivé, je pris congé de mon maître, de la haquenée son épouse et de toute l'écurie; hélas! j'avais les yeux baignés de larmes, mon cœur était transpercé de douleur. Son Honneur voulut me voir dans mon canot, et s'avança jusqu'au rivage avec plusieurs de ses amis, de ses voisins. Je fus obligé d'attendre une heure, à cause de la marée; alors, le vent étant bon pour aller à l'île, je pris le dernier congé de mon maître.

A ses pieds je me prosternai pour les lui baiser; il me fit l'honneur de lever son pied droit jusqu'à ma bouche; et, si je rapporte ici cette circonstance, ce n'est point par vanité: c'est tout simplement que j'imite en ceci tous les voyageurs, qui ne manquent guère de faire mention des honneurs extraordinaires qu'ils ont reçus.

Je fis une profonde révérence à toute la compagnie, et, me jetant dans mon canot, je m'éloignai du rivage en pleurant.


CHAPITRE XI

Gulliver est percé d'une flèche que lui décoche un sauvage.—Il est pris par des Portugais qui le conduisent à Lisbonne.—Il passe en Angleterre.

Je commençai ce malheureux voyage le 15 février de l'an 1715, à neuf heures du matin. Quoique j'eusse le vent en poupe, il me suffit d'abord de mes rames. Mais, considérant que je serais bientôt las et que le vent pouvait changer, je déployai ma voile, et, la marée arrivant à mon aide, je cinglai l'espace d'une heure et demie.

Mon maître, avec tous les Houyhnhnms de sa compagnie, restèrent sur le rivage, éperdus et fort attristés, jusqu'à ce qu'ils m'eussent perdu de vue, et j'entendis plusieurs fois mon cher ami l'alezan hennir: Hnuy illa nyha, majah Yahou! C'est-à-dire: Prends bien garde à toi, gentil Yahou!

Mon dessein était de découvrir, par bonheur, quelque petite île inhabitée, où je trouvasse à point ma nourriture et de quoi me vêtir. Je me figurais, dans un pareil séjour, une situation mille fois plus heureuse que celle d'un premier ministre. Une horreur extrême de retourner en Europe et d'y vivre en la société et sous l'empire des Yahous me faisait rêver la royauté d'une île déserte.—Ah! quel bonheur si mon vœu se fût accompli! Dans cette heureuse solitude je passerais doucement le reste de mes jours, enveloppé dans ma philosophie et jouissant de mes pensées sur le souverain bien, sans autres plaisirs que le témoignage de ma conscience, sans être exposé à la contagion des vices énormes que les Houyhnhnms m'avaient fait apercevoir dans ma détestable espèce!

Le lecteur se souvient sans doute des accidents de mon voyage, de mes gens révoltés, de ma triste prison dans mon propre navire, et de Gulliver abandonné dans une île déserte. Il m'avait semblé que mon île était située à dix degrés au sud du cap de Bonne-Espérance, quarante-cinq degrés de latitude méridionale. Et sur cette inquiétante conjecture je ne laissai pas de cingler à l'est, espérant mouiller au sud-ouest de la côte de la Nouvelle-Hollande, et de là me rendre à l'ouest, en quelqu'une des petites îles situées aux environs. Le vent était directement à l'ouest, et, sur les six heures du soir, je supputai que j'avais fait environ dix-huit lieues, à l'est.

Sur ces entrefaites apparut à mes yeux clairvoyants une île infime, et, quand j'abordai, cette île était une roche; au flanc de la roche, une vague hurlante avait creusé une baie où j'amarrai mon canot. La roche était de facile escalade, et je découvris, vers l'est, une terre qui s'étendait du sud au nord. Je passai la nuit dans mon canot; le lendemain, ramant de grand matin et de grand courage, en sept heures j'arrive à cette corne de la Nouvelle-Hollande qui est au sud-ouest.

Ainsi je fus confirmé dans une opinion que j'avais depuis longtemps: que les mappemondes et les cartes placent ce pays au moins à trois degrés plus à l'est qu'il n'est réellement. Je crois avoir, il y a déjà plusieurs années, communiqué ma pensée à mon illustre ami M. Herman Moll et lui avoir expliqué mes raisons. Naturellement le savant M. Moll, après m'avoir bien écouté en approuvant de la tête, obstinément... en revint aux anciennes cartes.

L'endroit où j'avais pris terre annonçait une profonde solitude, et cependant la prudence empêchait (j'étais sans armes) que je me hasardasse plus avant dans les terres. Je ramassai des coquillages, mais le plus petit feu me pouvait déceler aux habitants de la contrée. Ainsi, pendant les trois jours que je me tins en cet endroit, je vécus d'huîtres et de moules, afin de ménager mes humbles provisions. Je trouvai très-heureusement un petit ruisseau dont l'eau jasait, courait, et me rafraîchissait.

Le quatrième jour m'étant risqué dans les terres, je découvris vingt ou trente habitants du pays, sur une hauteur qui n'était guère à plus de cinq cents pas. Ils étaient nus, et se chauffaient autour d'un grand feu. Un d'eux m'aperçut et me désigna au reste de la bande.

Aussitôt voilà mes sauvages qui se dirigent de mon côté, et moi de ramer de toutes mes forces!... Ils me suivirent le long du rivage, et comme je n'étais pas fort avancé dans la mer, ils me décochèrent une flèche; elle m'atteignit au genou gauche, et me fit une large blessure, dont je porte encore aujourd'hui la marque. Ajoutez que l'arme était peut-être empoisonnée, et pensez donc si, une fois hors d'atteinte, je tâchai de sucer ma plaie et de bander mon genou.

En ce moment cruel, je me disais: «Comment faire? et de quel côté me conduire? Ici, une terre inhospitalière, et là-bas le nuage, et rien que l'espace!...» Et comme, au loin, je cherchais à m'orienter, j'aperçus au nord-est une voile!

A chaque instant elle avançait. J'étais sauvé... Mais l'horreur que j'avais conçue pour toute la race des Yahous me fit prendre en ce moment le parti de virer de bord et de ramer vers le sud, pour me rendre à cette même baie d'où j'étais parti le matin. Plutôt mille fois servir de pâture aux anthropophages de l'Océan que de vivre avec des Yahous! J'approchai donc mon canot le plus près qu'il me fut possible, et me cachai à quelques pas de là, derrière une petite roche assez voisine du petit ruisseau dont j'ai parlé.

Cependant le navire que je fuyais s'arrête à une demi-lieue de la baie; il envoie au rivage ses tonneaux vides, à remplir de cette eau fraîche; elle était célèbre en ces parages. Les mariniers, en prenant terre, aperçurent mon canot, et reconnurent sans peine que le propriétaire n'était pas loin.

Quatre d'entre eux, bien armés, cherchèrent aux environs, et me trouvèrent, couché la face contre terre, à l'abri de la roche. Ils furent d'abord très-surpris de ma figure: un habit de peau de lapin, des souliers de bois, des bas fourrés!

«Voilà, dirent-ils, un sauvage qui a perdu le talent d'aller tout nu!—Lève-toi, reprit un de ces matelots, et réponds-nous! Qui es-tu? d'où viens-tu? où vas-tu?»

Il parlait portugais; je lui répondis, en portugais, que j'étais un pauvre Yahou banni du pays des Houyhnhnms, et que je le conjurais de me laisser libre. Ils furent surpris de m'entendre parler leur langue, et jugèrent, par la couleur de mon visage, que j'étais un Européen; mais ils ne savaient ce que je voulais dire par ces mots de Yahous, Houyhnhnms, et de grand cœur ils s'amusèrent de mon accent, qui ressemblait au hennissement d'un cheval.

Je ressentais à leur aspect des mouvements de crainte et de haine, et déjà je me mettais en état de leur brûler la politesse et de rentrer dans mon canot... Ils mirent la main sur moi, et m'obligèrent de répondre à leurs questions. Je répondis:

«Je suis Anglais, j'ai quitté l'Angleterre il y aura tantôt cinq ans, à l'heure où la paix était profonde entre le Portugal et l'Angleterre. Ainsi j'espérais qu'ils voudraient bien ne me point traiter en ennemis, puisque je ne leur voulais aucun mal. Encore une fois, j'étais un pauvre Yahou qui cherchait quelque île déserte où passer dans la solitude le reste d'une vie infortunée!»

A leur tour ils me parlèrent, et Dieu sait quelle fut ma surprise et si je crus voir un prodige! Cela me paraissait aussi extraordinaire que si j'entendais aujourd'hui un chien, une vache parler en bon anglais. Ces marins... Yahous me répondirent avec toute l'humanité et la politesse imaginables!

«Ayez bon courage, me disaient-ils; certainement notre capitaine voudra vous prendre sur son bord, et gratis, vous ramener à Lisbonne, et de Lisbonne en Angleterre.»

Ainsi, deux d'entre eux iraient en toute hâte trouver le capitaine, l'informer de ce qu'ils avaient vu et recevoir ses ordres; en même temps, à moins que je ne leur donnasse ma parole de ne point m'enfuir, ils allaient me lier. «Faites-en, leur dis-je, à votre volonté.»

Ils avaient bien envie de savoir mon histoire et mes aventures; mais je leur donnai peu de satisfaction, et tous conclurent que mes malheurs m'avaient troublé l'esprit. Au bout de deux heures, la chaloupe, qui avait porté l'eau douce au navire, revint avec l'ordre de m'amener tout de suite à bord.

Je me jetai à genoux, priant qu'on me laissât et qu'on voulût bien respecter ma liberté! Vaine prière... On me lie, on m'emporte, on me mène au navire, et me voilà en présence du Yahou qui le conduit.

Il s'appelait Pedro de Mendez, honnête homme. Il me pria d'abord de lui dire qui j'étais; ensuite il me demanda ce que je voulais boire et manger, m'assurant que je serais traité comme lui-même. Il me dit tant de choses obligeantes, que je fus tout stupéfait de trouver tant de bonté dans un Yahou.

Cependant je gardais un air morne et fâché, et ne répondis autre chose à ses honnêtetés, sinon que j'avais à manger dans mon canot. Pour en finir, il voulut qu'on mît un poulet à la broche et qu'on tirât de son meilleur vin. En attendant que mon repas fût prêt, il me fit conduire en un bon lit, dans la meilleure cabine. On eut grand'peine à me coucher tout habillé; peu s'en fallut même que je ne me jetasse à la mer, pour n'être point obligé de vivre avec des Yahous.

Je fus retenu par les matelots, et le capitaine, informé de ma tentative, ordonna de m'enfermer.

Après le dîner, don Pedro me vint retrouver; il voulut savoir quel motif m'avait porté à cette entreprise d'un homme au désespoir, et pourquoi donc je résistais à toute sa bienveillance. «Et quoi! me disait-il, on vous sauve, on s'empresse autour de vous, et vous voulez mourir?» Il parlait si bien, d'une façon si touchante et si persuasive, que je commençai à le regarder comme un animal un peu raisonnable. En peu de mots je lui racontai mon voyage, la révolte de mes gens sur une embarcation dont j'étais capitaine, et la résolution qu'ils avaient prise de me laisser sur un rivage inconnu.

Je lui dis ces trois belles années passées parmi les Houyhnhnms, qui étaient des chevaux parlants, raisonnants et raisonnables... Il prit mon récit tout entier pour un tissu de visions et de mensonges, et j'en fus extrêmement choqué.

«Monsieur, lui dis-je, on ne ment que chez les Yahous d'Europe, on ne sait pas mentir chez les Houyhnhnms, non pas même les enfants et les valets.» Au surplus, il croirait ce qu'il lui plairait; mais j'étais prêt à répondre à toutes les difficultés qu'il pourrait m'opposer, et je me flattais de lui faire enfin connaître la vérité.

Le capitaine, homme sensé, après m'avoir fait plusieurs questions pour s'assurer que je gardais l'ordre et la logique du discours, comprenant enfin que je n'étais pas un visionnaire et que les parties de mon histoire se rapportaient l'une à l'autre, commença à ne plus douter de ma sincérité.

Même il se souvint qu'il avait jadis rencontré un matelot hollandais qui lui avait dit avoir pris terre, avec cinq de ses camarades, à une certaine île ou continent, au sud de la Nouvelle-Hollande, où ils avaient mouillé pour faire aiguade, et bel et bien ils avaient aperçu un cheval, chassant devant lui un troupeau d'animaux semblables aux Yahous dont je parlais.

Il avait ajouté plusieurs particularités que le capitaine avait oubliées; et maintenant ces étranges détails lui revenaient en mémoire et le rendaient tout honteux de son incrédulité.

Donc, puisque aussi bien je faisais profession d'un si grand attachement à la vérité, il exigeait ma parole d'honneur de rester avec lui pendant tout le voyage, et sans songer à plus attenter sur ma vie; ou bien il m'enfermerait jusqu'à ce qu'il fût arrivé à Lisbonne. Je lui promis ce qu'il exigeait de moi, non pas sans de grandes protestations que je souffrirais plutôt les traitements les plus fâcheux que de consentir jamais à retourner parmi les Yahous de mon pays.

Il ne se passa rien de remarquable pendant notre voyage. Afin de témoigner au capitaine combien j'étais sensible à ses bontés, je m'entretenais quelquefois avec lui, s'il me priait instamment de lui parler, et m'efforçais de lui cacher mon aversion pour tout le genre humain.

Il m'échappait néanmoins quelques traits satiriques; il les prenait en galant homme, ou bien il ne faisait pas semblant d'y prendre garde. Je passais la plus grande partie du jour, seul dans ma chambre, et ne voulais parler à qui que ce fût de l'équipage. Ainsi j'obéissais aux répugnances que m'avaient laissées les Houyhnhnms avec leurs idées philosophiques.

J'étais dominé par une misanthropie insurmontable; on m'eût pris pour quelqu'un de ces sombres esprits, de ces farouches solitaires, qui, sans avoir fréquenté les Houyhnhnms, se piquent de connaître à fond le caractère des hommes et d'avoir un souverain mépris pour l'humanité.

Gavarni del.Ed. Willmann sc.
Imp. Lemercier et Ce Paris

à trois heures de l'après midi j'arrivai à Redriff et me rendis au logis.

Le capitaine en vain me pressa plusieurs fois de quitter les dépouilles dont j'étais couvert, et de m'habiller de pied en cap; je le remerciai de ses offres, ayant horreur de mettre sur mon corps ce qui avait été à l'usage d'un Yahou. Je lui permis seulement de me prêter deux chemises blanches. Le blanchissage, à coup sûr, les avait purifiées! Je les mettais tour à tour de deux jours l'un, et j'avais soin de les laver moi-même.

Nous arrivâmes à Lisbonne le 5 de novembre 1715. Le capitaine alors me força à prendre ses habits, pour empêcher la foule de nous huer dans les rues. Il me conduisit à sa maison, et voulut que je demeurasse chez lui, pendant mon séjour en cette ville. Instamment je le priai de me loger au quatrième étage, en un coin sombre et loin de la foule, et qu'il me fît la grâce de ne dire à personne ce que je lui avais raconté de mon séjour parmi les Houyhnhnms! Si mon histoire était sue, il m'arriverait une infinité de curieux, suivis d'une infinité de questions... et peut-être aussi l'inquisition s'en mêlant, gare le bûcher!

Le capitaine était garçon, il n'avait que trois domestiques; celui qui m'apportait à manger dans ma chambre avait de si bonnes façons à mon égard et tant de bon sens pour un Yahou, que sa compagnie ne me déplut point. Il gagna sur moi que parfois je mettrais ma tête à ma lucarne pour prendre l'air; ensuite il me persuada de descendre à l'étage au-dessous et de coucher dans une chambre dont la fenêtre donnait sur la rue.

Il me fit regarder par cette fenêtre, et tout d'abord je retirais ma tête aussitôt que je l'avais avancée: voir la foule aller, venir, m'était insupportable! A la fin, je m'apprivoisai peu à peu; au bout de huit jours, je descendis encore un étage.

Et si complétement ce garçon triompha de ma faiblesse, qu'il me fit asseoir sur le seuil de la porte, où je regardais les passants... Un peu plus tard je l'accompagnai dans les rues.

Don Pedro, à qui j'avais expliqué l'état de ma famille et de mes affaires, me dit un jour, que j'étais obligé, en honneur et en conscience, de retourner dans mon pays, et de vivre, en ma maison, avec ma femme et mes enfants.

Il y avait justement dans le port un navire prêt à faire voile pour l'Angleterre, et le bon capitaine avait déjà fait porter dans ma cabine tout ce qui serait nécessaire à mon voyage. A ces raisons j'en opposai plusieurs qui me détournaient de rentrer dans mon pays. «Non, non, disais-je, une île déserte où je finirai mes jours en rêvant aux amis que j'ai perdus, voilà ce qu'il me faut désormais.» Il me répliqua que cette île à moi tout seul était une chimère, et que partout je trouverais des hommes; au contraire, une fois chez moi, j'y serais le maître et pourrais être aussi seul qu'il me plairait.

A la fin, je me rendis, ne pouvant mieux faire, et d'ailleurs j'étais devenu un peu moins sauvage. Le 24 du mois de novembre, je quittai Lisbonne et m'embarquai sur un bateau marchand. Don Pedro m'accompagna jusqu'au port; il eut l'honnêteté de me prêter vingt livres sterling.

Durant tout le voyage, aucun commerce avec le capitaine, avec pas un des passagers! Je me fis malade afin de rester dans ma chambre. Le 5 décembre 1715, nous jetâmes l'ancre aux Dunes, environ sur les neuf heures du matin. A trois heures de l'après-midi, j'arrivai à Redriff en bonne santé, et me rendis à mon logis.

Ma femme et toute ma famille, en me revoyant, me témoignèrent leur surprise et leur joie; ils m'avaient cru mort, et, me retrouvant sain et sauf, ils s'abandonnèrent à des transports que je ne saurais exprimer. Je les embrassai tous assez froidement, à cause de l'idée Yahou, qui n'était pas encore sortie de mon esprit.

Mon premier argent frais, je l'employai à l'achat de deux jeunes chevaux. Je leur fis bâtir une fort belle écurie, et leur donnai un palefrenier du premier mérite, dont je fis mon favori et mon confident. L'odeur de l'écurie était pour moi une odeur suave, et j'y passais tous les jours quatre heures charmantes, à parler à mes deux amis hennissants, qui me rappelaient le souvenir des vertueux Houyhnhnms.

Hélas! voici déjà cinq années que je suis de retour de mon dernier voyage, et que je vis retiré chez moi.

La première année, avec grand'peine, je supportais la vue de ma femme et de mes enfants, il fallut un grand effort de ma volonté pour manger avec eux.

Mes idées changèrent à la longue; aujourd'hui je suis un homme ordinaire... un peu misanthrope, il est vrai. Mais convenez, ami lecteur, qu'on le serait à moins! Quoi de plus sérieux que la vie humaine? quoi de plus triste au départ, de plus décourageant au retour?


CHAPITRE XII

Contre les voyageurs qui mentent dans leurs relations.—Ce que pense Gulliver de la conquête à faire des pays qu'il a découverts.

La voilà terminée enfin, cette histoire complète de mes voyages, pendant l'espace de seize ans et sept mois! Dans cette relation, j'ai moins cherché l'élégance et le talent du récit que la vérité et la sincérité. Peut-être avez-vous pris pour contes et fables les Voyages de Gulliver; convenez du moins que l'auteur parle en bonhomme, ignorant du mensonge et des ressources les plus vulgaires de la fiction. Donc ceci est un livre de bonne foi, il en a toutes les apparences: simplicité, clarté, bonhomie, exacts détails.

Il nous est aisé, sans doute, à nous autres voyageurs dans les terres inconnues, de nous perdre en descriptions surprenantes de quadrupèdes, de serpents, d'oiseaux et de poissons extraordinaires, mais, si la vérité a ses voiles, en revanche le mensonge a ses fumées, il est toujours le mensonge!

Au contraire, ici, reconnaissez le voyageur véridique à ces signes: il songe à donner de bons enseignements; il vise à l'utilité plus qu'à l'intérêt de la leçon; il s'adresse aux sages esprits, non aux esprits curieux; il est content s'il persuade, il est fâché s'il amuse; il cherche en tout lieu l'utile, il laisse aux écumeurs de mer les miracles.

Voilà tout ce que je me suis proposé dans cet ouvrage et je crois que l'avenir m'en saura gré.

Je voudrais de tout mon cœur qu'il fût ordonné par une loi:

Avant qu'un voyageur publie la relation de ses voyages, il jure par serment, en présence du lord grand chancelier, que tout ce qu'il va dire est exactement vrai, ou du moins qu'il le croit tel.

Le monde, à ce compte, aurait moins de déboires et ne serait pas trompé comme il l'est tous les jours. Je vote à l'avance pour cette loi salutaire! et, mon livre à la main, j'entendrai volontiers le terrible axiome: Il faut subir la loi que soi-même on a faite.

Autrefois, quand j'étais jeune, il n'y avait pas de relation de voyage qui n'eût un grand charme à mes yeux! Mais, depuis que j'ai fait plus que le tour du monde, que j'ai vu les choses de mes yeux, je n'ai plus de goût pour cette sorte de lecture; un simple roman me convient davantage, et plaise au Ciel que mon lecteur pense comme moi!

Mes amis ayant jugé que la relation de mes voyages avait un certain air de vérité qui plairait au public, je me suis livré à leurs conseils, et j'ai consenti à me faire imprimer vif! Certes, peu de malheurs m'ont été épargnés, mais j'ai toujours évité les horreurs du mensonge. Il n'y a rien de pire, et voilà l'abîme dont il est impossible de se tirer.

La fortune éprouva le malheureux Sinon.
Qu'elle en ait fait un traître! oh! ma foi non[4]!

Je sais qu'il n'y a pas beaucoup d'honneur à publier des voyages: cela ne demande ni science, ni génie, il suffit d'avoir une bonne mémoire, ou tenir un journal exact: je sais aussi que les faiseurs de relations ressemblent aux faiseurs de dictionnaires; ils ont leur nouveauté..., ils ont leur éclipse. On a dépouillé son voisin de droite, on est dépouillé par son voisin de gauche. Il m'arrivera peut-être ici la même chose, d'autres voyageurs iront dans les pays d'où je viens, ils en reviendront, ils enchériront sur mes descriptions, ils feront tomber mon livre... Heureusement, je n'écris pas pour la gloire, et pour peu que je sois utile un instant, ces petites déchéances ne sauraient me chagriner.

Je voudrais bien qu'on s'avisât de censurer mon ouvrage. En vérité, quel reproche adresser au voyageur qui décrit des pays dans lesquels nos marchands n'ont rien à gagner? J'ai écrit sans passion, sans esprit de parti, et sans vouloir blesser personne, uniquement pour l'instruction générale du genre humain. J'ai écrit sans aucune vue d'intérêt ou de vanité.

Les observateurs, les examinateurs, les critiques, les chicaneurs, les politiques, les petits génies, les patelins, les esprits les plus difficiles et les plus injustes, n'ont rien à me dire; ils ne trouveront point, Dieu soit loué! l'occasion d'exercer leur odieux talent contre un livre innocent de supercherie et de toute espèce de vanité.

Le petit nombre, c'est-à-dire les sages, me conseillaient, à mon retour, de présenter au secrétaire d'État un Mémoire instructif de mes découvertes! C'est la loi: toutes les terres qu'un sujet découvre appartiennent à la couronne.

Hélas! je doute un peu que la conquête des pays d'où je viens soit aussi facile que celle de Fernand Cortez dans cette contrée de l'Amérique où les Espagnols massacrèrent tant de pauvres Indiens nus et sans armes! Qui s'inquiète, après tout, de Lilliput? Le bel empire à conquérir et comme on serait sûr de faire ses frais de flotte et d'armée! En même temps, comme il serait d'une administration prudente et d'un gouvernement prévoyant d'attaquer les Brobdingnagiens!

Il ferait beau voir une armée anglaise entreprendre une descente en ce pays étrange, et messieurs les Anglais seraient-ils contents d'être envoyés dans une contrée où l'on a toujours une île aérienne sur la tête, et prête à écraser les rebelles?... à plus forte raison les ennemis du dehors qui voudraient s'emparer de cet empire!

Le pays des Houyhnhnms paraît une conquête aisée, au premier abord. On ignore dans ce doux pays, le métier de la guerre; armes blanches, armes à feu, sont lettres closes; plaines chargées d'avoine, opulentes prairies, pas un fossé, pas un rempart... Royaume à prendre...

Et pourtant, si j'étais ministre d'État, je ne serais guère d'humeur à tenter pareille entreprise. Ils sont sages, ils sont prudents, les Houyhnhnms; et leur prudence et leur parfaite unanimité sont des armes terribles. Imaginez-vous, d'ailleurs, cent mille Houyhnhnms en fureur, se jetant sur une armée européenne; est-ce qu'on résiste à pareil choc? Ah! que de soldats déchirés à belles dents! Que de bataillons défoncés à coups de pied, que de têtes brisées par ces poitrails de fer!

Il n'est point de Houyhnhnm auquel on ne puisse appliquer l'impavidum ferient... Quant à moi, leur disciple et leur serviteur fidèle, à Dieu ne plaise que jamais j'indique à la conquête les chemins qui conduisent à ces pâturages de la philosophie et du bonheur!

Ils m'ont appris la justice! ils m'ont enseigné le devoir! ils m'ont démontré l'horreur de la guerre! A Dieu ne plaise que Gulliver soit l'instrument d'une invasion chez eux!

Savez-vous, mes frères, ce que peut être une invasion? Une troupe de pirates est poussée par la tempête on ne sait où. Un mousse, au sommet du perroquet, découvre une terre: aussitôt les voilà qui cinglent vers ce lointain sans nom.

Ils abordent, ils descendent sur le rivage; ils voient un peuple innocent qui les accueille. Aussitôt ils donnent un nouveau nom à cette terre, ils prennent possession au nom de leur maître. Avec du sable et de la fange, ils élèvent un monument qui atteste à la postérité cette illustre action!

C'est bien fait. Par ces petites cérémonies, la terre appartient à ces brigands, toute la terre et ses habitants, tombeaux, berceaux, le fruit de l'arbre et l'or enfoui, de droit naturel tout leur revient. Ils ont le droit de vie et de mort. Pour le manifester au monde entier qui les contemple, ils égorgent une centaine de pauvres Indiens sans défense. Ils ont la bonté d'en épargner une douzaine, qu'ils renvoient à leurs cabanes. Voilà le grand acte de possession souveraine qui commence à fonder le droit divin.

Cette œuvre accomplie, ils reviennent en toute hâte au pays natal, rapportant des échantillons de leurs pillages, et demandant de nouveaux droits à tout piller, tout égorger; ils les obtiennent. Vaisseaux, fusils, canons, munitions, chevaux même, rien n'y manque, et pille, et tue!... Et voilà comme on devient un peuple civilisateur prêchant l'Évangile, et donnant aux peuples soumis l'utile exemple de toutes les vertus!

A Dieu ne plaise que je désigne ici la joyeuse Angleterre! Elle a déployé dans ses colonies une justice paternelle. Elle a porté l'Évangile dans les pays nouvellement découverts, heureusement envahis; elle a pratiqué la loi chrétienne, et pendant que l'Espagne envoie aux Indiens des égorgeurs, l'Angleterre est attentive à choisir des ministres dévoués, des gouverneurs honorables, des braves gens des deux sexes, bienvenus du roi, bienvenus des colonies, bienvenus du peuple anglais.

Qui nous pousse, au reste, à nous emparer des pays dont j'ai fait la description! Quel avantage d'enchaîner et de tuer les naturels? Ils ne possèdent ni mines d'or et d'argent, ni sucre, ni tabac. Ils ne méritent donc pas d'être un objet de notre ardeur martiale et de notre zèle religieux, et que nous leur fassions tant d'honneur que de les conquérir.

Si néanmoins la cour en juge autrement, je déclare que je suis prêt d'attester en justice, et la main sur le livre antique de notre foi, qu'avant moi nul Européen n'avait mis le pied dans ces mêmes contrées: je prends à témoin les naturels, dont la déposition serait irrécusable.

Il est vrai que l'on pourrait m'objecter ces deux Yahous dont j'ai parlé, et qui, selon la tradition des Houyhnhnms, parurent autrefois sur une montagne, et sont devenus la tige de tous les Yahous de ce pays-là...

Avec un peu de bonne volonté dans la demande et dans la réponse, il ne serait pas difficile de prouver que ces deux anciens Yahous étaient natifs d'Angleterre: ils ont transmis à leurs descendants plus qu'il n'en faut de leurs habitudes, de leur rudesse et des traits de leur visage, pour attester de leur origine picte et saxonne.

Au surplus, je laisse aux docteurs ès-colonies, aux économistes de profession, à discuter cet article, à examiner s'il ne fonde pas un titre incontestable et d'une évidente clarté pour le droit de la Grande-Bretagne.

Et maintenant que j'ai répondu, sans réplique, à la seule objection qu'on me pût faire au sujet de mes voyages, permettez, ami lecteur, après tant de fatigues sur terre et sur mer, que je me retire enfin dans mon doux pays de Redriff.

Après tant d'aventures presque incroyables, il n'est rien de mieux, en attendant une mort paisible, que beaucoup de sagesse, une humble maison, beaucoup de philosophie, un petit jardin.

ICI S'ARRÊTENT LES VOYAGES DE GULLIVER.


TABLE DES MATIÈRES

Pages

Jonathan Swift.

1
PREMIÈRE PARTIE.—LE VOYAGE A LILLIPUT
CHAPITRE PREMIER

Gulliver rend compte des premiers motifs qui le portèrent à voyager.—Il fait naufrage, et se sauve à la nage dans le pays de Lilliput.—On l'enchaîne, on le conduit, enchaîné, plus avant dans les terres.

29
CHAPITRE II

L'empereur de Lilliput, accompagné de plusieurs de ses courtisans, visite Gulliver dans sa prison.—Description de la personne et de l'habit de Sa Majesté.—Une commission scientifique est nommée pour apprendre la langue à l'auteur.—Il obtient des grâces par sa douceur: ses poches sont visitées.

42
CHAPITRE III

Gulliver divertit l'empereur et les grands de l'un et de l'autre sexe, d'une manière fort extraordinaire.—Description de la cour de Lilliput.—L'auteur est mis en liberté à certaines conditions.

54
CHAPITRE IV

Description de Mildendo, capitale de Lilliput, et du palais de l'empereur.—Conversation entre Gulliver et un secrétaire d'État, sur les affaires de l'empire.—Les offres que fait Gulliver de servir l'empereur dans toutes ses guerres.

63
CHAPITRE V

Gulliver par un stratagème extraordinaire, s'oppose à une descente des ennemis.—L'empereur lui confère un grand titre d'honneur.—Les ambassadeurs arrivent de la part de l'empereur de Blefuscu, pour demander la paix.—Le feu prend à l'appartement de l'impératrice, et Gulliver contribue à éteindre l'incendie.

71
CHAPITRE VI

Les mœurs des habitants de Lilliput.—Leur littérature, leurs coutumes, leur façon d'élever les enfants.

78
CHAPITRE VII

Gulliver, ayant reçu l'avis qu'on voulait lui faire son procès, pour crime de lèse-majesté, s'enfuit dans le royaume de Blefuscu.

91
CHAPITRE VIII

Gulliver, par un accident heureux, trouve le moyen de quitter Blefuscu.—Après quelques difficultés, il retourne enfin dans sa patrie.

101
DEUXIÈME PARTIE.—LE VOYAGE A BROBDINGNAC
CHAPITRE PREMIER

Gulliver, après avoir essuyé une grande tempête, se jette dans une chaloupe et descend à terre.—Il est saisi par un des habitants du pays.—Comment il est traité.—Idée du pays et du peuple de Brobdingnac.

111
CHAPITRE II

Portrait de la fille du laboureur.—Gulliver est conduit à la ville, un jour de marché.—Plus tard on le porte dans la capitale du royaume, et récit de ce qu'il a vu et souffert.

126
CHAPITRE III

Gulliver mandé à la cour.—La reine l'achète et le présente au roi.—Il dispute avec les savants de Sa Majesté.—On lui prépare un appartement.—Il devient favori de la reine.—Il soutient l'honneur de son pays.—Ses querelles avec le nain de Sa Majesté.

134
CHAPITRE IV

Description du pays.—Gulliver indique une correction pour les cartes modernes.—Palais du roi; sa capitale.—Manière de voyager de Gulliver.—Le temple.

145
CHAPITRE V

Aventures diverses.—Gulliver montre ses connaissances en navigation.

150
CHAPITRE VI

Différentes inventions de Gulliver pour plaire au roi et à la reine.—Le roi daigne s'informer de l'état de l'Europe.—Observations du roi sur la politique des peuples civilisés.

159
CHAPITRE VII

Zèle de Gulliver pour l'honneur de sa patrie.—Il fait une proposition avantageuse au roi.—Sa proposition est rejetée.—La littérature de ce peuple imparfaite et bornée. Leurs lois, leurs affaires militaires et les divers partis dans l'État.

171
CHAPITRE VIII

Le roi et la reine font un voyage vers la frontière.—Comment Gulliver sort de ce pays, pour retourner en Angleterre.

180
TROISIÈME PARTIE.—LE VOYAGE A LAPUTA
CHAPITRE PREMIER

Gulliver entreprend un troisième voyage.—Il tombe aux mains des pirates.—Méchanceté d'un Hollandais.—Arrivée à Laputa.

197
CHAPITRE II

Caractère des Laputiens.—Leurs savants, leur roi et sa cour.—Réception faite à Gulliver.—Les craintes et les inquiétudes des habitants.—Caractère des femmes laputiennes.

204
CHAPITRE III

Phénomène expliqué par les philosophes et les astronomes modernes.—Les Laputiens sont grands astronomes.—Comment s'apaisent les séditions.

212
CHAPITRE IV

Gulliver quitte l'île de Laputa; il est conduit aux Balnibarbes.—Son arrivée à la capitale.—Description de cette ville et des environs.—Il est reçu avec bonté par un grand seigneur.

217
CHAPITRE V

Gulliver visite l'Académie; il en fait la description.

225
CHAPITRE VI

Suite de l'Académie.

232
CHAPITRE VII

Gulliver quitte Lagado.—Il arrive à Maldonada.—Il fait un petit voyage à Glubbdubdrid.—Comment il est reçu par le gouverneur.

239
CHAPITRE VIII

Retour de Gulliver à Maldonada.—Il fait voile pour le royaume de Luggnagg.—A son arrivée il est arrêté et conduit à la cour.—Comment il y est reçu.

250
CHAPITRE IX

Des Struldbruggs ou Immortels.

255
CHAPITRE X

Gulliver, de l'île de Luggnagg, se rend au Japon.—Il s'embarque sur un vaisseau hollandais.—Il arrive dans Amsterdam, et, de là, passe en Angleterre.

265
QUATRIÈME PARTIE.—LE VOYAGE AU PAYS DES HOUYHNHNMS
CHAPITRE PREMIER

Gulliver entreprend un dernier voyage en qualité de capitaine.—Son équipage se révolte, et l'abandonne sur un rivage inconnu.—Description des Yahous.—Deux Houyhnhnms viennent au-devant du voyageur.

273
CHAPITRE II

Gulliver est conduit au logis d'un Houyhnhnm: comment il y est reçu.—Quelle était la nourriture des Houyhnhnms.—Embarras de l'auteur aux heures du repas.

281
CHAPITRE III

Gulliver s'applique à apprendre la langue, et le Houyhnhnm son maître s'applique à la lui enseigner.—Plusieurs Houyhnhnms viennent voir Gulliver par curiosité.—Il fait à son maître un récit succinct de ses voyages.

288
CHAPITRE IV

Idée des Houyhnhnms sur la vérité et le mensonge.—Les discours de Gulliver sont censurés par son maître.

297
CHAPITRE V

Gulliver expose à son maître les causes les plus ordinaires de la guerre entre les princes de l'Europe; il explique ensuite comment les particuliers se font la guerre les uns aux autres.—Portrait des procureurs et des juges en Angleterre.

306
CHAPITRE VI

Du luxe, de l'intempérance et des maladies qui règnent en Europe.—Et caractère de la noblesse.

316
CHAPITRE VII

Parallèle des Yahous et des hommes.

325
CHAPITRE VIII

Philosophie et mœurs des Houyhnhnms.

332
CHAPITRE IX

Parlement des Houyhnhnms.—Question importante agitée dans l'assemblée de toute la nation.—De quelques usages du pays.

338
CHAPITRE X

Félicité du pays des Houyhnhnms.—Les bonheurs de la causerie.—Il est banni du pays par l'ordre du parlement.

345
CHAPITRE XI

Gulliver est percé d'une flèche que lui décoche un sauvage.—Il est pris par des Portugais qui le conduisent à Lisbonne.—Il passe en Angleterre.

355
CHAPITRE XII

Contre les voyageurs qui mentent dans leurs relations.—Ce que pense Gulliver de la conquête à faire des pays qu'il a découverts.

366

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.


ANGERS.—IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLBEAU


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PARIS.—IMP. P. MOUILLOT, 13, QUAI VOLTAIRE.—90756.

Notes

[1] Proposition de ne faire usage que de manufactures irlandaises, etc., en renonçant entièrement à toutes les étoffes qui viennent d'Angleterre.

[2] Shakespeare.

[3] Il ne tiendra pas à moi, dit l'auteur du Traité de la pesanteur, dans une lettre insérée dans le Mercure de janvier 1727, que tout le monde soit géomètre, et que la géométrie ne devienne un style de conversation comme la morale, la physique, l'histoire et la Gazette.

(Note du nouveau traducteur.)

[4] Virg., Énéide, l. II.

Au lecteur


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