Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé: accompagnées de notices bibliographiques, de notes explicatives par Louis-Simon Auger
LETTRES
DE
MADAME DE COULANGES,
A MADAME DE SÉVIGNÉ.
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NOTICE
SUR
MADAME DE COULANGES.
Madame de Coulanges a laissé d'elle la réputation d'une femme très-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres, pour ainsi dire, aucune particularité, aucun détail sur sa personne. Il seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-être même impossible, de suppléer entièrement à leur silence. A la distance où nous sommes déjà du siècle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des renseignemens certains sur les personnages de ce siècle, lorsque les écrivains du temps ont négligé de nous en transmettre? Les Lettres de madame de Sévigné sont presque le seul écrit où il soit question de madame de Coulanges. Nous allons en extraire le peu de notions biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.
Madame de Coulanges naquit en 1631, de M. du Gué-Bagnols, intendant de Lyon.
Elle épousa Philippe-Emmanuel de Coulanges, conseiller au parlement de Paris, puis maître des requêtes, mort en 1716, âgé de 85 ans. M. de Coulanges était cousin-germain de madame de Sévigné, dont sa femme devint l'amie intime et presque inséparable. Plein d'esprit et sur-tout de gaîté, très-agréable en société, à cause de ses saillies et de ses chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de goût pour les fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'étant chargé de rapporter une affaire, où il s'agissoit d'une marre d'eau que se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit Grapin, il s'embarrassa tellement dans le détail des faits, qu'il fut obligé d'interrompre son récit: Pardon, messieurs, dit-il aux juges; je me noie dans la marre à Grapin, et je suis votre serviteur. Depuis cette aventure, il ne voulut plus être rapporteur, et il finit par se démettre de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dîners.
Madame de Coulanges, fille d'un simple intendant de province, et femme d'un homme de robe, qui avoit renoncé à son état, n'avoit aucun rang à la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considération. Elle étoit nièce de la femme de le Tellier, ministre d'état, depuis chancelier, et cousine du fameux Louvois, ministre de la guerre. La parenté lui donnoit un certain crédit auprès de ces deux hommes puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'étoit sur-tout auprès de Louvois qu'on réclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres continuelles, où les emplois de l'armée passoient si rapidement de main en main.
C'étoit beaucoup, pour avoir des succès à la cour, que d'être nièce et cousine de ministre; mais ceux de madame de Coulanges tenoient encore à une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame de Sévigné a exprimé d'une manière si vive et si ingénieuse, en disant: l'esprit de madame de Coulanges est une dignité. Cet esprit consistoit à dire avec grâce, avec aisance, des choses fines et imprévues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela les épigrammes de madame de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame de Caylus dans ses Souvenirs. «Madame de Coulanges, femme de celui qui a fait tant de chansons..... avoit une figure et un esprit agréables, une conversation remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui étoit si naturel, que l'abbé Gobelin dit, après une confession générale qu'elle lui avoit faite: Chaque péché de cette dame est une épigramme. Personne en effet, après madame de Cornuel, n'a dit plus de bons mots que madame de Coulanges.» Madame de Sévigné, qui, dans ses Lettres, nous a conservé plusieurs bons mots de madame de Cornuel, que l'on cite encore tous les jours, en a rapporté aussi quelques-uns de madame de Coulanges; mais ils n'ont pas fait la même fortune. Il semble qu'ils avoient quelque chose de plus délié, de plus fugitif, qui tenoit davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux manières et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons qu'ils perdroient beaucoup à être déplacés; et ce motif nous détermine à n'en transporter aucun dans cette Notice.
Madame de Coulanges, dont la malice s'égayoit souvent aux dépens des femmes que l'on soupçonnoit de quelque tendre foiblesse, fut à son tour l'objet des épigrammes; elle fut accusée d'avoir un peu plus que de l'amitié pour le marquis de la Trousse, cousin-germain de son mari. Le marquis étoit follement amoureux; elle, dure, méprisante et amère, à ce que dit madame de Sévigné, qui avouoit bonnement ne rien concevoir à leur conduite. «Il y auroit, dit-elle ailleurs, à parler un an sur l'état inconcevable et surprenant des cœurs de M. de la Trousse et de madame de Coulanges». Tout le monde n'avoit point là-dessus la même incertitude qu'elle. Madame de la Trousse étoit jalouse avec fureur de madame de Coulanges; et Louvois ayant envoyé M. de la Trousse sur la frontière, demanda publiquement pardon à sa cousine de ce qu'il lui ôtoit, pendant l'hiver, cette douce société. «Au milieu de toute la France, dit madame de Sévigné, elle soutint fort bien cette attaque; elle ne rougit point, et répondit précisément ce qu'il falloit».
Cette intrigue, vraie ou fausse de madame de Coulanges avec M. de la Trousse, n'empêcha, point la scrupuleuse et dévote madame de Maintenon d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne amie de l'hôtel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprès d'elle à Versailles et à St.-Cyr, et alloit elle-même la voir quand elle étoit malade.
Nous ignorons dans quelle année est morte madame de Coulanges.
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LETTRE PREMIÈRE.
Lyon, premier août 1672.
J'ai reçu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grâces d'avoir songé à moi dans le lieu où vous êtes. Il fait un chaud mortel; je n'ai d'espérance qu'en sa violence[29]. Je meurs d'envie d'aller à Grignan; ce mois-ci passé, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai voir assurément, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le marquis de Villeroi passe sa vie à regretter le malheur qui l'a empêché de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[30]; je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mère; dans l'espérance d'aller à Grignan, je fais mon devoir à merveille; cela m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure que madame Solus faisoit dans le temps que vous étiez ici? Elle a fait imprudemment ses délices de madame Carle; celle-ci avoit, dit-on, ses desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de Lyon; en un mot, c'est de madame Carle que M. le marquis paroît amoureux. Madame Solus se désespère, mais elle aime mieux voir M. le marquis infidèle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous paroît-elle avoir la grâce de la nouveauté? Continuez à m'écrire, ma très-belle, vos lettres me touchent le cœur: Madame de Rochebonne est toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que madame de Grignan eût été malade; si c'est une maladie sans suite, sa beauté n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intérêt que je prends à tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empêcher l'une et l'autre de revenir de bonne heure.
Adieu, ma très-chère amie; j'oubliois de vous dire que le marquis de Villeroi se propose d'aller à Grignan avec votre ami le comte de Rochebonne: je vous suis très-obligée de vouloir bien de moi; il y a peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vîte dans votre château; mon impatience, quoique violente, dure toujours: cela me fait craindre pour le chaud; il doit être insupportable, puisque je ne m'y expose pas. La rapidité du Rhône convient à l'envie que j'ai de vous embrasser; ainsi, madame, je ne désespère point du tout de vous aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me point dire: Allez, allez; vous êtes une laide; cela me suffit. J'ai peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manières m'ont toujours paru différentes de celles de madame Solus. Vous savez bien que l'on dit à Paris que Vardes et lui se sont rencontrés: devinez où?
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LETTRE II.
Lyon, 11 septembre 1672.
Je suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrettée; ce qui me persuade que je le mérite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous plus voir; j'ai fait vos complimens au charmant[31]; il les a reçus, comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intérêt en lui que M. de Coulanges, je serois plus aise de ce qu'il dit de vous, pour lui que pour vous. Madame d'Assigni a gagné son procès tout d'une voix. Envoyez-moi M. de Corbinelli; son appartement est tout prêt; je l'attends avec une impatience, qui mérite qu'il fasse ce petit voyage; toutes nos beautés attendent, et ne veulent point partir pour la campagne qu'il ne soit arrivé; s'il abuse de ma simplicité, et que tout ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma vraie amie. C'est à madame la comtesse de Grignan que j'en veux.
A madame de Grignan.
Je n'ai plus de goût pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'à Grignan; le charmant et moi, nous en commençâmes un, il y a deux jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande ouvrière à l'heure qu'il est. Il me paroît que le charmant vous voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne travaillez point à patrons, et que ceux que vous donnez sont inimitables. Adieu, ma chère madame; je trouve une grande facilité à me défaire de ma sécheresse, quand je songe que c'est à vous que j'écris.
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LETTRE III.
Lyon, 30 octobre 1672.
Je suis très-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-là après avoir été saignée? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles, et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir. Hélas! voici un adieu, ma délicieuse amie; je m'en vais faire cent lieues pour m'éloigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour est pris pour m'en aller à Paris, je suis enragée de penser à tout ce que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille désolée; et cependant je pars le jour même de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols à Rouanne; et puis, vogue la galère. N'êtes-vous pas ravie du présent que le roi a fait à M. de Marsillac[32]? n'êtes-vous pas charmée de la lettre que le roi lui a écrite? Je suis au vingtième livre de l'Arioste; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prétendre abuser de votre crédulité, que, si j'étois reçue dans votre troupe à Grignan, je me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous à Paris. Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le charmant pour la belle comtesse. Ecoutez, madame, le procédé du charmant; il y a un mois que je ne l'ai vu; il est à Neuville[33], outré de tristesse; et quand on prend la liberté de lui en parler, il dit que son exil est long; et voilà les seules paroles qu'il a proférées depuis l'infidélité de son Alcine; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de Solus, plus d'amusement; il a un mépris pour les femmes, qui empêche de croire qu'il méprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le changement qui est arrivé en sa personne. Je suis de votre avis, madame, je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais qu'il ait tort étant présent, je le comprends mieux; il me paroît plus aisé de conserver son idée sans défauts pendant l'absence. Alcine n'est pas de ce goût; le charmant l'aime de bien bonne foi; c'est la seule personne qui m'ait fait croire à l'inclination naturelle; j'ai été surprise de ce que je lui ai entendu dire là-dessus; mais que deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-être arrivera-t-il un jour que le charmant croira s'être mépris, et qu'il contera les appas trompeurs d'Alcine. Le bruit de la reconnoissance que l'on a pour l'amour de mon gros cousin[34] se confirme; je ne crois que médiocrement aux méchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il est, a été préféré à des tailles plus fines; et puis, après un petit, un grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu, madame; que je hais de m'éloigner de vous!
Venez, mon cher confident[35], que je vous dise adieu; je ne puis me consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je préférerois ce chagrin à celui de ne vous avoir point fait connoître les sentimens que j'ai pour vous. Je suis ravie du talent qu'a M. de Grignan pour la friponnerie; ce talent est nécessaire pour représenter le vraisemblable. Adieu, mon cher monsieur: quand vous me promettez d'être mon confident, je me repens de n'être pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez vous faire refuser à Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse; adieu, M. de Corbinelli; je sens le plaisir de ne vous point quitter en m'éloignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'être assurée de ne trouver aucun de vous où je vais.
Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye que le roi a donnée à M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de l'incivilité à ne m'en point faire de compliment.
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LETTRE IV.
Paris, 26 décembre 1672.
Le siége de Charleroi est enfin levé[36]; je ne vous demande aucun détail de ce qui s'y est passé, sachant que mademoiselle de Méri en envoie une relation à madame de Grignan. On ignore jusqu'à présent quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit à Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientôt éclaircis de sa marche. Sans vanité, je sais des nouvelles à l'arrivée des courriers; c'est chez M. le Tellier[37] qu'ils descendent, et j'y passe mes journées; il est malade, et il paroît que je l'amuse; cela me suffit pour m'obliger à une grande assiduité. Je ne comprends point par quelle aventure vous n'avez pas reçu la lettre de M. de Coulanges, dans laquelle je vous écrivois; c'est une médiocre perte pour vous; j'ai cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce que je vous aime, ma très-belle, et que vous m'avez toujours paru reconnoissante. J'ai été à la messe de minuit; j'ai mangé du petit salé au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette année pour être digne du vôtre. J'ai fait des visites avec madame de la Fayette, et je me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous avons encore ici madame de Richelieu; j'y soupe ce soir avec madame du Fresnoi; il y a grande presse de cette dernière à la cour, il ne se fait rien de considérable dans l'état, où elle n'ait part. Pour madame Scarron, c'est une chose étonnante que sa vie: aucun mortel, sans exception, n'a commerce avec elle; j'ai reçu une de ses lettres; mais je me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la maréchale d'Estrées; Manicamp et ses deux sœurs sont assurément bonne compagnie; madame de Senneterre s'y trouve quelquefois, mais toujours sous la figure d'Andromaque. On est ennuyé de sa douleur: pour elle, je comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est affligée. Je la crois de bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'armée de M. le Prince; il faut espérer qu'on les mettra bientôt en quartier d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre à leurs affaires; je connois des gens qui en sont accablés. Adieu, ma très-aimable; je vais me préparer pour la grande occasion de ce soir: il faut être bien modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame du Fresnoi. Permettez-moi de faire mille complimens à madame de Grignan; je voudrois bien que ce fussent des amitiés, mais vous ne voulez pas.
La princesse d'Harcourt a paru à la cour sans rouge par pure dévotion: voilà une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que c'est un grand sacrifice; Brancas[38] en est ravi. Il vous adore, mon amie: ne le désapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez être jalouse; il faut plaindre Brancas.
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LETTRE V.
Paris, 24 février 1673.
Si vous étiez en lieu où je vous pusse conter mes chagrins, ma très-belle, je suis persuadée que je n'en aurois plus. Quand je songe que le retour de madame de Grignan dépend de la paix, et le vôtre du sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le comte Tot a passé l'après-dinée ici; nous avons fort parlé de vous; il se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mémoire ne le rend pas de très-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur[39] que j'aime, et qui a de la bonté pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame du Fresnoi dans une chambre charmante; tout cela me fait résoudre à y faire de fréquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est-à-dire, M. de la Trousse[40], sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une révolte en Franche-Comté. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nommé Vaubrun et la Trousse pour aller commander en ce pays-là. La Trousse a beaucoup de peine à se réjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui pourroit ne pas déplaire à un homme moins fatigué de voyages; celui-ci joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon[41] nous demeure; mais ce n'étoit point trop de tout. Je menai ce guidon avant-hier à Saint-Germain; nous dînâmes chez madame de Richelieu; il est aimé de tout le monde presqu'autant que de moi. Mithridate[42] est une pièce charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentième que la première. Pulchérie n'a point réussi. Notre ami Brancas a la fièvre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai point vu votre cardinal[43], j'en ai toujours eu envie; mais il s'est toujours trouvé quelque chose qui m'en a empêchée. La belle Ludre est la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame Talpon, quand les pougies[44] sont allumées. Le marquis de Villeroi est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais aveuglement n'a été pareil au sien; tout le monde le trouve digne de pitié, et il me paroît digne d'envie; il est plus charmé qu'il n'est charmant, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte Caderousse pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose encore; un, deux, trois, c'est la pure vérité: fi, je hais les médisances. J'embrasse madame la comtesse de Grignan; je voudrois bien qu'elle fût heureusement accouchée, qu'elle ne fût plus grosse, et qu'elle vînt ici désabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma véritable amie; vos petites entrailles[45] se portent bien; elles sont farouches, elles ont les cheveux coupés; elles sont très-bien vêtues. Madame Scarron ne paroît point; j'en suis très-fâchée. Je n'ai rien cette année de tout ce que j'aime; l'abbé Testu et moi, nous sommes contraints de nous aimer. Mademoiselle a songé que vous étiez très-malade; elle s'éveilla en pleurant; elle m'a ordonné de vous le mander.
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LETTRE VI.
Paris, 20 mars 1673.
Je souhaite trop vos reproches pour les mériter; non, ma belle, la période ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison que je le sens véritablement, et même je suis plus vive pour vous que je ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouvé madame Scarron, c'est-à-dire que nous savons où elle est; car pour avoir commerce avec elle, cela n'est pas aisé. Il y a chez une de ses amies[46] un certain homme[47] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupée de ses anciens amis, qu'elle ne l'a jamais été; elle leur donne le peu de temps qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas davantage. Je suis assurée que vous trouverez que deux mille écus de pension sont médiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une manière qui peut laisser espérer d'autres grâces. Le roi vit l'état des pensions, il trouva deux mille francs pour madame Scarron, il les raya, et mit deux mille écus. Tout le monde croit la paix; mais tout le monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou guerre il n'arriveroit à Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de recevoir une lettre du jeune guidon[48]; il s'adresse à moi[49] pour demander son congé, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez écrite à M. de Coulanges; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je suis persuadée que ce seroit méchant signe pour quelqu'un qui trouveroit à y répondre. Je promis hier à madame de la Fayette qu'elle la verroit; je la trouvai tête à tête avec un appelé M. le Duc; on regretta le temps que vous étiez à Paris; on vous y souhaita, mais, hélas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se corriger d'en faire. M. de Grignan ne s'est point du tout rouillé en province, il a un très-bon air à la cour; mais il trouve qu'il lui manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui manque quelque chose. J'ai mandé à M. de la Trousse ce que vous m'écrivez de lui. Si ma lettre va jusqu'à lui, je ne doute pas qu'il ne vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me paroît accablé sans ressource. Madame du Fresnoi fait une figure si considérable, que vous en seriez surpris; elle a effacé mademoiselle de S.... sans miséricorde. On avoit tant vanté la beauté de cette dernière, qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle a le teint admirable, mais elle est décontenancée, et elle ne le veut pas paroître; elle rit toujours, elle a méchante grâce. Madame fera souvent voir de nouvelles beautés; l'ombre d'une galanterie l'oblige à se défaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront, se trouveront plus à plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la quitte. Madame de Richelieu m'a priée de vous faire mille complimens de sa part. Adieu, ma très-aimable belle; j'embrasse, avec votre permission et la sienne, madame la comtesse de Grignan; n'est-elle point encore accouchée? M. de Coulanges m'a assurée qu'il vous enverroit Mithridate. On me peint aujourd'hui pour M. de Grignan; je croyois avoir renoncé à la peinture. L'histoire du charmant est pitoyable; je la sais.... Orondate[50] étoit peu amoureux auprès de lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli homme, et son Alcine la plus indigne femme.
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LETTRE VII.
Paris, 10 avril 1673.
Il est minuit, c'est une raison pour ne vous point écrire: j'en suis enragée. J'avois résolu de répondre à votre aimable lettre; mais voici, ma chère amie, ce qui m'en a empêchée. M. de la Rochefoucauld a passé le jour avec moi: je lui ai fait voir madame du Fresnoi; il en est tout éperdu. Je suis ravie que madame de Grignan ne soit qu'accablée de lassitude; la surprise et l'inquiétude que j'ai eues de son mal, me devoient faire attendre à toute la joie que j'ai du retour de sa santé; c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier ce qui m'est arrivé ce matin; on m'a dit: madame, voilà un laquais de madame de Thianges; j'ai ordonné qu'on le fît entrer. Voici ce qu'il avoit à me dire: Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Sévigné, et celle de la prairie. J'ai dit au laquais que je les porterois à sa maîtresse, et je m'en suis défaite. Vos lettres font tout le bruit qu'elles méritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont délicieuses, et vous êtes comme vos lettres. Adieu, ma très-aimable; j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fâcheuse aventure; je souhaite plus que je ne l'espère qu'elle ne soit jamais exposée à de pareils accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.
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LETTRE VIII.
Paris, 29 octobre 1694.
On me dit hier que votre mariage étoit refait, c'est-à-dire, qu'on avoit envoyé des conditions à madame de Grignan, qu'elle auroit tort de ne pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus que vous vous mariez,[51] et je m'en réjouis avec vous, ma chère amie.
Le roi est à Choisi pour jusqu'à samedi; tout le monde revient en foule; l'armée de Flandre est séparée. Nous n'aurons madame de Louvois et M. de Coulanges que le 8 du mois qui vient; ils ont M. de Souvré et madame de Courtenvaux pour augmentation de bonne compagnie. La maréchale de Villeroi est partie pour passer tout son hiver à Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru être fort fâchées de nous séparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse jamais imaginer; c'est un portrait de madame de Maintenon, fait par Mignard: elle est habillée en Sainte Françoise Romaine. Mignard l'a embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des yeux animés, une grâce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun portrait ne tient devant celui-là. Mignard en a fait aussi un fort beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle Bernard fit impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succès ici: vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle de Villarceaux est morte de la petite vérole, sans confession, et sans avoir eu le temps de déshériter ses cousines. Madame d'Épinoi, la princesse, est accouchée d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire à la Place Royale. Adieu, ma chère amie.
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LETTRE IX.
Paris, 19 novembre 1694.
Il y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai écrit; je vous en avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point reçu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez plus des miennes. Êtes-vous à la noce? y serez-vous bientôt? Je veux savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un véritable intérêt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite santé. M. de Coulanges a trouvé une grande affliction à son retour; il paroît dans le monde un livre imprimé de ses chansons, et à la tête de ce livre un éloge admirable de sa personne; on dit qu'il est né pour les choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des dernières; il est très-touché de cette aventure, que j'ai encore aggravée par ne la pouvoir prendre sérieusement; à tout cela je réponds: Chansons, Chansons. Il est allé à Versailles, et de là à Saint-Martin; il faut espérer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des nouvelles de ma santé; mon amie, elle n'est en vérité point bonne. Carette me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remèdes sans confiance et sans succès; mais je crois que ce seroit encore pis de changer tous les jours de médecin; il faut prendre patience, et être bien persuadée qu'on ne meurt que quand il plaît à Dieu. Voilà des vers que l'abbé Têtu m'a priée de vous envoyer; ils sont de sa façon. Le bruit court que le marquis de Moui aura la maison de Pipaut: on dit qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes les nuits avec un cor; que vous semble de cet équipage de chasse? M. de Harlai n'est point encore de retour de ses négociations; tout le monde désire la paix, et l'espère peu. Voilà encore des vers de mademoiselle Bernard: malgré toute cette poésie, la pauvre fille n'a pas de jupe; mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie, ne m'oubliez pas, je vous en conjure.
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LETTRE X.
Paris, 26 novembre 1694.
J'ai envoyé à Versailles la lettre que vous m'avez adressée pour M. de Coulanges; il y est établi depuis son retour: j'ai été bien tentée d'ouvrir cette lettre; mais la discrétion l'a emporté sur l'envie que j'ai toujours de voir ce que vous écrivez; tout devient or entre vos mains. Je suis très-obligée à M. de Grignan de se souvenir encore de moi; sa chute me met tout-à-fait en peine; et je vous prie, ma belle, de me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un très-sincère intérêt. Les vers que j'ai envoyés à la cour ont été fort bien reçus; la personne à qui ces vers s'adressoient m'écrit la plus aimable lettre du monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise santé, qui me rend si difficile à changer de lieu, je serois partie sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de Carette; et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu de remèdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la maréchale d'Humières; elle demeure dans une vilaine maison, au faubourg Saint-Germain, où il n'y a place que dans la cour pour mettre son dais. La duchesse d'Humières, de son côté, occupe une autre maisonnette dans l'Isle. Si la maréchale avoit un peu de courage, en attendant mieux, elle auroit bien donné la préférence à un couvent. M. du Maine vient coucher aujourd'hui à l'Arsenal; il y doit donner à souper à toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame de la Troche y brillera; car elle est la beauté de ce lieu. Madame de Boisfranc a la petite vérole; le fils de M. le premier président l'a aussi; enfin, tout en est rempli. Je vous ai mandé l'affliction de M. de Coulanges au sujet de ses chansons, qui ont été même assez mal choisies à l'impression; on a mis son éloge à la tête du livre. Comme il ne pouvoit plus lui arriver que ce malheur, il y a été aussi sensible que ce capitaine qui, après avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame de Montespan est de retour ici: elle a donné un lit de quarante mille écus à M. du Maine, et trois autres encore très-magnifiques. Elle donne ses perles à madame la duchesse. Adieu, ma chère amie; dites bien des choses pour moi à toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout ménagez-moi bien les bonnes grâces de la charmante Pauline[52].
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LETTRE XI.
Paris, 10 décembre 1694.
Je viens de passer encore quinze jours sans vous écrire; mais je garde mes excuses pour quand je vous écris; car mes lettres ne peuvent être que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du maréchal de Bellefond[53] m'a donné une véritable douleur; je suis la dernière visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite santé, et six jours après il étoit mort: on dit que c'est d'un abcès dans le genou, et que si l'on le lui avoit percé, on lui auroit sauvé la vie; mais vous n'êtes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand l'heure est venue; sa famille est dans une désolation digne de pitié; pour moi, je sens très-vivement cette perte: ajoutez à cette mort celle de mademoiselle de Lestranges, qui étoit mon amie depuis vingt-cinq ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pensées. Ma santé est assez mauvaise. Carette exerce son art très-inutilement sur ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une médecine, qui me fit de très-grands maux; mais il dit, comme don Carlos: Tout est pour mon bien. J'ai des journées assez bonnes, et puis des retours de colique plus violens que jamais; je suis résolue à ne plus faire de remèdes, et à vivre avec ce mal tant qu'il plaira à Dieu. Le pis qu'il en puisse arriver, arrive sitôt même avec une bonne santé, que l'événement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le récit de tous mes ennuis, quelle est ma confiance en votre amitié. Je sens cependant le plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abbé de Marsillac me dit hier des biens infinis de M. et de madame de Saint-Amant, et de madame la marquise de Grignan leur fille; il les à vus à Vincennes; il dit que ce sont les plus honnêtes gens qu'il est possible, et qu'ils vous ont élevé un chef-d'œuvre; enfin, il passa bien du temps à me chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je prends un très-sincère intérêt à tout ce qui vous touche: je vous demande en grâce de faire bien des complimens de ma part à M. et à madame de Grignan: je suis trop triste et trop malade pour écrire à tout autre que vous; vous vous passeriez peut-être bien de cette préférence. M. de Coulanges est toujours à la cour. M. de Noyon[54] y fait une figure principale; il est le seul présentement qui y soit, et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reçu lundi à l'académie (française); le roi lui a dit qu'il s'attendoit à être seul ce jour-là. L'abbé Testu se trouva ici lorsque je reçus votre dernière lettre; il fut fort touché du bon accueil que vous avez fait à ses stances[55]: il vous envoie une dissertation sur Montaigne. Je ne veux pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en très-bonne compagnie, à dire tout ce que je savois de la charmante Pauline; mon cœur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis, qu'en vérité je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une telle personne devoit être cherchée au bout du monde, par tout ce qu'il y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame de Chaulnes à la fin de ce mois.
Le maréchal de Choiseul a exécuté vos ordres; c'est une vérité, je ne le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par aller souvent chez des femmes; je lui ai laissé croire qu'on ne le trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il a fait des merveilles pour le pauvre maréchal de Bellefond; il n'y a que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma très-chère, embrassez toujours la belle Pauline pour l'amour de moi: voyez comme j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.
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LETTRE XII.
Madrid, 14 janvier 1695.
Je vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'héroïne est charmante; le héros, nous le connoissons; ce qui me paroît, c'est que vous ne faites point de légers repas, comme faisoient tous ces princes et princesses. Je suis ravie que M. de Grignan se porte bien; cette circonstance n'a pas été inutile pour l'agrément de la fête. J'appris hier votre mariage[56] à madame de Chaulnes, qui est arrivée en très-bonne santé, et qui n'en dit pas moins, Jésus Dieu! ils sont donc mariés! que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couché à Versailles; elle y avoit vu madame de Chevreuse et toutes ses amies. On ne peut être plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a conté de la mort de M. de Luxembourg; si vous étiez ici, mon amie, elle vous diroit bien: Gouvernante, il est mort bien chrétiennement: Monsieur a presque toujours été dans sa chambre. Ce qui est de vrai, c'est que le P. Bourdaloue a dit qu'il n'avoit pas vécu comme M. de Luxembourg, mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame de Maintenon se porte bien; elle a été assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour aller à Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La maréchale d'Humières donna ses rendez-vous dans ma chambre à M. de Tréville et à l'abbé Testu; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus la duchesse d'Humières; qui l'eût cru que les intérêts pusseut faire une telle désunion? Le bruit court ici que la princesse d'Orange[57] est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande confirmation. La capitation est enfin passée et réglée. J'ai toujours oublié de vous faire les complimens de l'abbé Testu, et à toute la maison de Grignan. Adieu, ma très-aimable; je vous embrasse, je vous aime et vous désire toujours. M. de Coulanges n'habite plus que la cour; on ne dira pas qu'il est mené par l'intérêt; quelque pays qu'il habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux; en faut-il davantage?
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LETTRE XIII.
Paris, 21 janvier 1695.
Comptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. de Luxembourg[58] dans le monde. Vous ne me faites pitié où vous êtes, que par les réflexions que vous vous amusez à faire sur des morts, dont on ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. de Luxembourg s'assemblent encore souvent; le prétexte est de le pleurer, et ils boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, et de Caron, pas un mot. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons toujours aimer. On parle à peine encore de la princesse d'Orange[59], qui n'avoit que trente-trois ans, qui étoit belle, qui étoit reine, qui gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle, c'est que le prince d'Orange est malade très-assurément; la maladie de la reine, sa femme, étoit contagieuse; il ne l'a point quittée, et Dieu veuille qu'elle ne l'ait pas quittée pour long-temps. Il se passa hier une belle et magnifique scène à l'hôtel de Chaulnes. Monsieur y passa presque toute la journée avec ses bontés et ses agrémens ordinaires pour la maîtresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout est meublé de ces beaux damas galonnés d'or que vous connoissez; on a fait dans la chambre du lit une cheminée d'une beauté et d'une magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et des bougies en si grande quantité, qu'elles auroient obscurci le soleil, s'ils s'étoient trouvés ensemble. Madame de Chaulnes est allée ce matin rendre la visite à Monsieur, et ensuite à Versailles pour quelques jours; c'est ce qui l'a empêchée de vous écrire. Il n'y a de plaisir qu'à Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y en a point pour nous à Paris, quand vous êtes à Grignan. Je révère et estime tout ce qui habite ce beau château. M. le marquis de Grignan m'a écrit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a été trouvée telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprès de madame sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprès de vous, je vous en supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable Pauline, et toutes ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui pardonne tout le reste. La petite duchesse de Sulli, qui est à mon gré la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire à tous mille complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chère amie.
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LETTRE XIV.
Paris, 4 février 1695.
On voit bien que vous avez oublié le climat de Paris, mon amie, puisque vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse point sentir; c'est un privilége dont vous jouissez à Grignan, j'en suis assurée. Je comprends à merveille que madame de Grignan se fasse un plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder; point d'enfans, point de famille; grâces à Dieu, assez de dégoût pour ces fatigantes occupations; bien des années et une assez mauvaise santé; tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que je préfère à d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite que j'admire, c'est celle de mademoiselle de la Trousse; Dieu lui fait de grandes grâces, et son état est maintenant bien digne d'envie. Madame de Chaulnes veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a chez elle des dîners magnifiques; le chevalier de Lorraine, M. de Marsan, M. le cardinal de Bouillon; cela se soutient de cette sorte tous les jours de la semaine. Madame de Pontchartrain est assez malade. La comtesse de Grammont est retournée à la cour en assez bonne santé. L'on ne se souvient plus ici de madame de Meckelbourg, si ce n'est pour parler de son avarice. On dit que M. de Montmorenci va épouser madame de Seignelai; j'ai peine à croire ce mariage-là. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est chez madame de Louvois[60] qu'il est descendu: A tout seigneur, tout honneur. Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame de Louvois, à M. de Coulanges. Le maréchal de Villeroi prêta hier le serment[61], et prit le bâton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi, parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le paroît plus que son habit. Madame la duchesse du Lude m'a fait promettre que je vous ferois mille coinplimens et mille amitiés bien tendres de sa part. Le roi a donné à madame de Soubise l'appartement que le maréchal d'Humières avoit à Versailles; et celui de madame de Soubise aux princesses d'Épinoi; celui de ces princesses à M. de Rasilli; et de la duchesse d'Humières, pas un mot. Adieu, ma chère amie; je vous embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante Pauline ne m'oublie à la fin; l'absence laisse tout craindre, même quand on est heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le château de Grignan. Je suis fort obligée à M. le chevalier (de Grignan) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en remercier pour moi; je suis véritablement occupée de ses maux; son ami, le P. de la Tour prêche à St.-Nicolas; et si je suis en état de pouvoir sortir, ce sera mon prédicateur pour ce carême. On vous a sans doute envoyé tous les sonnets qui ont été faits à la louange de la princesse de Conti.
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LETTRE XV.
Paris, 22 février 1695.
J'ai perdu mon petit secrétaire, mon amie, et je ne puis me résoudre à vous faire voir de ma mauvaise écriture. J'essaie un secrétaire nouveau[62]; mandez-moi si vous lisez bien son écriture. La nouvelle qui fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle Pauline. On dit que l'abbé de Simiane est parti pour se trouver aux noces. Quand je dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse du Lude dit qu'elle le sait par le chevalier de Grignan. Pour moi, je pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai. Vous croirez par là que j'aime passionnément M. de Simiane. M. le duc de Chaulnes donne des dîners magnifiques; il en a donné un à madame de Louvois, comme il l'auroit donné à M. de Louvois; un autre au chevalier de Lorraine, et à toute la maison de Monsieur. J'étois du premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. de Coulanges. A mesure qu'il me vient des années, les siennes diminuent, de façon que je me trouve encore bien vieille pour être sa mère. Tous les courtisans sont devenus poètes. L'on ne voit que des bouts-rimés, les uns aussi remplis de louanges, que les autres de médisances. Dieu me garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un à la louange du cardinal de Bouillon, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous, mon amie? Que dites-vous aussi du prince Dauphin? Je laisse à mon secrétaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mêle quelquefois d'écrire de son style. On dit que c'est une affaire résolue que le mariage de mademoiselle de Croissi avec le comte de Tillières[63]. Madame de Maintenon est encore languissante; mais elle se porte beaucoup mieux. Madame de Grammont paroît à la cour sous la figure d'une beauté nouvelle; elle est parfaitement guérie. M. l'abbé de Fénélon a paru surpris du présent que roi lui a fait[64]. En le remerciant, il lui a représenté qu'il ne pouvoit regarder, comme une récompense, une grâce qui l'éloignoit de M. le duc de Bourgogne. Le roi lui a dit qu'il ne prétendoit point qu'il fût obligé à une résidence entière; et, en même temps, ce digne archevêque a fait voir au roi que, par le concile de Trente, il n'étoit permis aux prélats que trois mois d'absence de leurs diocèses, encore pour les affaires qui les pouvoient regarder. Le roi lui a représenté l'importance de l'éducation des princes, et a consenti qu'il demeurât neuf mois à Cambrai, et trois à la cour. Il a rendu son unique abbaye. M. de Reims a dit que M. de Fénélon, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui, pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu, ma chère amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez point oublier dans ce château de Grignan; c'est votre affaire, je vous en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante Pauline. Les femmes courent après mademoiselle de l'Enclos, comme d'autres gens y couroient autrefois; le moyen de ne point haïr la vieillesse, après un tel exemple! L'abbé et le chevalier de Sanzei partirent hier pour aller faire carême-prenant avec leur mère. Ce dernier fera son possible pour aller faire la révérence à sa marraine[65], en s'en retournant à son vaisseau.
M. de Coulanges continue.
Premièrement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit papier[66]? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture? Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pères, où les détails se trouvent à l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras à Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dîners de l'hôtel de Chaulnes, à la beauté du grand appartement, qui augmente tous les jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les cheminées; il n'y a plus en vérité que cette maison, qui représente la maison d'un seigneur. M. de Marsan et le duc de Villeroi furent du dîner du chevalier de Lorraine. Comme je n'ai point entendu le cardinal de Bouillon sur le sujet du prince Dauphin, je ne puis bien vous dire la vérité de ce fait; mais on prétend que Monsieur, pressé par le cardinal, avoit consenti à démembrer la principauté dauphine d'Auvergne, du duché de Montpensier, pour les prétentions que la maison de Bouillon pouvoit avoir sur la succession de Mademoiselle; en sorte qu'ils étoient par-là les maîtres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le duché, et M. de Bouillon le comté; et que dans la suite le duc d'Albert se seroit appelé le prince Dauphin; comme on est persuadé qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occupé que de la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui est vrai, c'est que Monsieur, ayant tout promis, fut parler au roi de ce démembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal, encore affligé de ce refus, a écrit au chevalier de Lorraine pour lui dire qu'il étoit surpris que Monsieur lui eût manqué de parole, et qu'il ne pouvoit plus désormais être du nombre de ses serviteurs. On ajoute que le chevalier de Lorraine a montré sa lettre à Monsieur, qui l'a gardée, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir gré de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame, voilà qui est fort désagréable pour notre cardinal; car, comme il n'est pas universellement aimé et approuvé, tous ses ennemis ne perdent pas une si belle occasion de se déchaîner, et tous ses amis sont fâches qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et qu'il ne s'accommode point au temps présent. Jugez, après cela, du succès du bout-rimé, dont madame de Coulanges vous a parlé. Il y a des temps infinis que je ne vous ai écrit; mais je sais toujours de vos nouvelles par madame de Coulanges, qui veut bien quelquefois me faire part de vos lettres. J'ai toujours oublié de vous faire, dans les miennes, les complimens de madame de Louvois, et à tout le château de Grignan: elle me gronda très-sérieusement l'autre jour d'y avoir manqué.
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LETTRE XVI.
Paris, 25 mars 1695.
Mes secrétaires me manquent au besoin; mais, quand c'est à vous que j'écris, ma chère amie, mes deux doigts sont toujours disposés à écrire, ils ne vont plus que pour Climène. Que dites-vous de ne plus savoir M. le duc de Chaulnes gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand événement; les gens modérés croient que ce duc et cette duchesse se doivent trouver heureux de ce changement[67]; les autres les croient désespérés. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis très-persuadée qu'il ne faut point juger de la manière de penser de nos amis par la nôtre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutôt fait de juger par ses dispositions, que d'examiner celles des autres. M. de Chaulnes fait bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il est vrai qu'il est assez aisé de m'échapper; car je fais naturellement peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'espérance d'avancer toujours dans cette parfaite indifférence, dont vous ne vous apercevrez jamais, ma très-aimable. Au reste, ma santé n'est pas du tout bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller à Bourbon; il arrivera ce qu'il plaira à Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de plus ou de moins font la différence de cette affaire-là, je ne trouve pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-être penserai-je tout d'une autre façon, quand je me trouverai plus proche de la mort; il faut trancher le mot, ne fût-ce que pour s'y accoutumer. J'attends de vous un compliment qui sera bien sincère, sur l'aventure du feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais le monde est bien inutile; je l'ai évité avec assez de soin. Au reste, madame de Villars m'a fait promettre que je vous dirois des choses infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera point à M. de Villars de n'avoir point parlé d'elle à madame de Grignan. Cela pourroit bien aller à une séparation, si madame votre fille ne s'y oppose. Comme j'achève ma lettre, voilà un secrétaire qui m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. de Chaulnes, qui m'a conté tout ce qui s'étoit passé entre le roi et lui; mais, comme en même temps, il m'a dit qu'il vous alloit écrire, je ne m'embarquerai point dans un récit que vous saurez encore mieux par lui-même: il me paroît tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoyé prier qu'elle pût aujourd'hui passer la journée avec moi; je la plains, puisqu'elle est fâchée. Pour moi, qui ne connois point le goût de la représentation, ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est plus jeune, je ne me trouverois pas à plaindre à la place de madame de Chaulnes. M. de Mêmes épouse mademoiselle de Broue, à qui on donne trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs en habits et en pierreries. On dit aussi que M. de Poissi épouse mademoiselle de Beaumelet[68], qui aura un jour soixante mille livres de rente; et de ma pauvre nièce, pas un mot. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin, et il est allé aujourd'hui je ne sais où. Le maréchal de Choiseul part dimanche. Il a le commandement de la Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une ingrate cette année; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie amie; ne me laissez pas oublier à Grignan, et sur-tout de l'adorable Pauline.
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LETTRE XVII.
Paris, 13mai 1695.
Je me porte beaucoup mieux; Helvétius ne m'a donné que d'un extrait d'absinthe, qui m'a rétabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure, ma très-belle, que je suis bien éloignée d'avoir de l'indifférence pour ma santé, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne veux point me parer auprès de vous d'un mérite que je n'ai point. Je crois que si j'eusse imaginé de passer à Grignan le temps d'entre les deux saisons des eaux, je les aurois crues nécessaires pour ma santé: et je pense que si j'y étois une fois arrivée, j'aurois donné la préférence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien M. le chevalier de Grignan, et je suis bien honteuse de me plaindre de mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de patience. La pauvre madame de Carman est bien mal; nous verrons la fin de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous faire des complimens de M. de Tréville; il me gronde tous les jours de l'avoir oublié; il souhaite votre retour très-sincèrement. Il nous dit avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quiétisme, c'est-à-dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si lumineux que le sien. Monsieur Duguet[69], qui n'est pas trop sot, comme vous savez, sur de tels sujets, étoit transporté de l'entendre. Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou midi. Langlée donna hier un souper à M. et à madame de Chartres, madame la Princesse, madame la Duchesse, qui étoit la reine de la fête, madame de Montespan, une infinité d'autres dames, dont madame la maréchale et madame la duchesse de Villeroi étoient; M. le Duc, et tous les princes qui sont ici, s'y trouvèrent; mais une autre fête, ce fut celle que M. le Duc donna, il y a deux jours, dans sa petite maison de madame de la Sablière; tous les princes et princesses y étoient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidèles[70]? Madame de Montespan a acheté Petit-Bourg quarante mille écus; elle le donne après sa mort à M. d'Antin. M. de Sévigné nous quitte après-demain; il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver à Paris; cela me fera paroître l'été bien long, malgré la belle saison. M. de Chaulnes reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra qu'après les fêtes. M. de Coulanges me mande que plus il a de printemps, plus il sent le printemps; voilà un grand prodige; car sans l'offenser, il a plus de printemps que madame de Brégi. Je vous prie, ma très-aimable, de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille Pauline; on dit que vous nous l'amènerez toute mariée; je sens déjà que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funèbre de M. de Luxembourg[71] sera achevée d'imprimer dans deux jours; l'on dît qu'on a retranché quelques traits du portrait du prince d'Orange[72]. Madame de Grignan[73] va avoir le plaisir de recevoir des lettres tendres de son mari, et de lui en écrire; il est bien joli que tous ses sentimens se développent pour lui. Adieu, ma très-chère.
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LETTRE XVIII.
Paris, 3 juin 1695.
Comment vous portez-vous, ma très-belle? je n'ai point reçu de vos nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait écrire par votre joli secrétaire. J'ai peur que vous n'ayez gâté votre belle santé par une médecine. Je vis hier monsieur de Chaulnes, qui est le parfait courtisan; il a demeuré dix jours à Marli, où il a 'passé ses journées à jouer aux échecs avec le cardinal d'Estrées; et sur ce qu'on lui a dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a répondu qu'il en étoit surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient à se donner échec et mat. Une autre nouvelle est que madame de Louvois a cédé Meudon au roi, qui l'a pris pour Monseigneur, en donnant quatre cent mille francs à madame de Louvois, et la charmante maison de Choisi, qui étoit la chose du monde qu'elle désiroit le plus; ainsi je crains qu'elle ne puisse plus avoir de désirs. Elle est fort mal contente de monsieur de Coulanges, qui, en arrivant de Chaulnes, partit le lendemain pour Pontoise. Quant à moi, je ne me sens plus de goût que pour le repos; on m'a priée d'aller chez le cardinal de Bouillon cette semaine; cela me paroît comme si l'on me proposoit d'aller faire un petit tour à Rome; je trouve qu'il faut de grandes raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise santé, qui fait penser ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle n'a été. Je ne suis point contente de celle de madame de Chaulnes; elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le marché du Ménil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les apparences, le premier président ne le veut plus vendre. Adieu, ma très-aimable, ne me laissez point oublier à Grignan, je vous en prie; et dites à la belle Pauline de songer quelquefois à ce que je suis pour elle.
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LETTRE XIX.
Paris, 20 juin 1695.
Vous jouissez présentement des beautés de la campagne, ma très-belle; le printemps paroît dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand excès; car je compte partir dimanche pour aller à Saint-Martin avec M. et madame de Chaulnes, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y espère seront bien troublés par une mauvaise santé; je suis arrivée à un tel excès de délicatesse, que la vue d'un bon dîner me fait malade; ainsi je suis intimidée, et dans cet état les plus petites choses paroissent considérables. Madame de Louvois alla hier remercier le roi; il lui donna une audience particulière chez madame de Maintenon; elle sent plus que jamais la joie d'être défaite de Meudon. Le roi est allé à Trianon, où il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je crois vous avoir mandé que M. de Montchevreuil marie son fils à la cousine-germaine de la maréchale de Lorges, qui est une petite personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. de Vendôme va commander en Catalogne, et que M. de Noailles en revient malade. M. de Coulanges a toujours plus d'affaires que jamais, et toutes de la même importance; mais elles sont agréables, quand elles le rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouvé les couplets du comte de Nicci fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi rien ne laisse des idées plus agréables que de ne le point voir; ce petit comte-là parviendra à l'immortalité. J'ai remarqué, comme vous, mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame de la Fayette. Madame de Caylus se divertit à merveille chez elle; la cour ne lui paroît pas un séjour de plaisir; elle ne quitte plus madame de Leuville, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est possible. Je ne crois pas le marché de Ménil-Montant rompu sans ressource; et, n'en déplaise à madame de Chaulnes, c'est la plus jolie acquisition que puisse faire M. de Chaulnes. La maréchale d'Humières se retire aux Carmélites; elle a loué la maison de feue mademoiselle de Porte; elle gouverne entièrement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui est le plus étonnant, c'est que le P. de la Tour la gouverne. Vous savez que M. de Lauzun a l'appartement de Versailles du maréchal d'Humières: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux cent mille francs. Adieu, ma chère amie; je souhaite bien plus votre retour que je ne l'espère. Je vous prie de dire des choses infinies de ma part à madame de Grignan. Priez la belle Pauline de ne me point jeter dans la nécessité d'aimer une ingrate. Madame de Mêmes paroît dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le Mercure Galant, la généalogie de F***, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-là de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-maître[74] s'est trompé, quand il a cru ne pas tirer de là tout son éclat.
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LETTRE XX.
Paris, 24 juin 1695.
Madame de Louvois n'avoit point attendu l'approbation du monde pour désirer Choisi; ça été la seule maison qu'elle ait souhaitée. Le roi et elle ont fait un très-bon marché; ils en paroissent fort contens aussi. Cela se passe, de part et d'autre, avec des honnêtetés que l'on voit quelquefois entre les particuliers, mais que l'on éprouve rarement avec son maître. Le roi est à Marli pour neuf jours; la duchesse du Lude est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mène et ramène demain madame de Maintenon de Pontoise, où cette dernière va voir une fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fête, lundi dernier, à Trianon, au roi et à la reine d'Angleterre. Il y eut un opéra où le roi alla; madame de Maintenon n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur de M. de la Rochefoucauld. On prétend qu'il s'est rendu maître de l'esprit de Monseigneur, et qu'il se sert de son crédit, tout comme le roi le peut désirer. Sa majesté mena, il y a quelques jours, madame de Maintenon suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce nouveau favori, qui se nomme la Selle, et je vous le dis ainsi, pour ne vous point dire qu'il les mena à la selle. Il doit, aller (le roi) un de ces jours à l'Étang, chez M. de Barbesieux, afin d'avoir l'air de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont mené dîner et souper, à Trianon, avec le roi, la comtesse de la Chaise, les marquises de la Chaise et de la Luzerne. Je crois que cette distinction les a fort touchées; car jusqu'alors elles n'en avoient eu qu'au salut. M. de Coulanges arriva avant-hier de Saint-Martin. Il fut tout de suite à Choisi, le lendemain à Versailles, et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. de Bouillon. Je lui propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds à terre. J'attends aujourd'hui une compagnie qui ne vous déplairoit pas, ma très-belle; c'est M. de Tréville, qui vient lire à deux ou trois personnes un ouvrage qu'il a composé. C'est un précis des Pères, qu'on dit être la plus belle chose qui ait jamais été. Cet ouvrage ne verra jamais le jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous confie au moins:
......N'abusez pas, prince, de mon secret;
Au milieu de ma lettre, il m'échappe à regret.
mais enfin, il m'échappe. M. de Bagnols est parti pour l'armée; et ma sœur sera, je crois, bientôt de retour. Cependant elle ne me parle point encore du jour de son départ. Avez-vous bien chaud à Grignan, ma très-belle? Je me souviens d'y avoir été par un temps pareil à celui-ci. L'affaire du Ménil-Montant paroît tout-à-fait rompue; cependant j'ai dans la tête qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chère amie.
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LETTRE XXI.
Paris, 8 juillet 1695.
Je puis répondre pour M. de Tréville qu'il auroit été ravi que vous eussiez augmenté la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assurée, ma chère amie, que vous auriez été contente de votre journée; mais vous nous regardez du haut en bas de votre château de Grignan, et je m'amuse à vous désirer toujours sans m'en pouvoir empêcher. On est fort alerte ici sur le grand événement du siège de Namur; car c'est tout de bon, et apparemment ce siège sera meurtrier; vous savez que le maréchal de Boufflers s'est jeté dedans avec six régimens de dragons à pied, et celui du roi à cheval; ainsi le pauvre Sanzei est dans Namur tout comme un grand homme. M. le maréchal de Boufflers a la fièvre double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu'à l'écouter. Le maréchal de Lorges est hors de danger. Tout retentit ici des louanges du maréchal de Villeroi; il n'y a guère de jours que le roi n'en parle avec éloge, et tous les guerriers qui composent son armée, n'écrivent ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu'à la fin M. le duc de Chaulnes va acheter Putaut, qui est une maison près du pont de Neuilli, située sur le bord de la rivière; il y a de quoi faire des merveilles, et il les fera; car il a une extrême envie d'une maison de campagne. Le roi va à Marli pour quinze jours. Si la duchesse du Lude est de ce voyage, ce sera pour la troisième fois de suite; ces distinctions charment quand on est en ces pays-là: heureux qui peut voir cela du point de vue où il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P. Quesnel; on dit qu'il la désavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous savez, ma très-belle, que M. de la Trappe[75] a remis son abbaye entre les mains de don Zozime, supérieur de sa maison, avec la permission du roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison funèbre du P. de la Rue, on n'en parle non plus présentement, que de celle que l'on fit pour la reine mère. On ne sait pas qu'il y ait eu un M. de Luxembourg dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire qui suit la mort; ce n'est en vérité pas de cela qu'il faut être occupé dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les chériront. M. de Coulanges arriva avant-hier au soir ici, plus charmé de M. de Bouillon, de mademoiselle de Bouillon et de Navarre, que de tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, où il sera jusqu'à ce que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces sortes de parties que la force du projet; l'exécution est fort au-dessus de moi. Ma sœur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi à Paris. M. de Bagnols[76] ne perd pas de vue le maréchal de Villeroi; cela me fait craindre pour sa vie. M. de Reims a acheté la maison d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma très-aimable; n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante Pauline aura été bien contente du portrait mystérieux que vous lui avez donné. Madame de Caylus me vint voir hier plus jolie qu'un ange; elle me demanda en grâce de venir voir l'arrangement de sa maison; j'aurois plus de peine à rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce que je sens là-dessus ne peut être confié qu'à vous, ma chère amie.
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LETTRE XXII.
Paris, 29 juillet 1695.
Il n'est plus question, ma chère amie, ni de M. Arnauld ni du P. Quesnel; toutes les pensées sont détournées du côté de Namur. Ces derniers tués ont jeté une consternation qui ne laisse plus de joie ici. Madame de Morstein est inconsolable. La bonne chancelière[77] pleure amèrement son petit-fils de Vieuxbourg; et madame de Maulevrier renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation, jusqu'au P. Bourdaloue. On ne sait point de nouvelles du comte d'Albert, sinon qu'on le croit trépané; et, depuis cela, pas un mot. M. et madame de Chaulnes en sont dans une extrême inquiétude. Vous savez que M. le prince de Conti a la petite vérole; elle est sortie avec abondance, et commence à suppurer sans aucun accident; ainsi on espère qu'il s'en tirera heureusement. On fait des détachemens de tous côtés pour envoyer au secours de Namur. Sanzei est dans la place, et il n'y a que sa mère qui soit plus à plaindre que lui. Madame la duchesse du Lude, qui est de retour de Versailles m'a conté qu'elle avoit mené ma petite nièce de la Chaise dîner à Trianon avec le roi. S. M. et Monsieur ne parlèrent que de l'agrément de cette petite personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle confesseroit[78] fort bien le roi. M. le premier président[79] a eu une manière d'apoplexie; on l'a saigné quatre fois; sa bouche est demeurée un peu tournée. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voilà une épigramme que l'on a faite sur son mal.
Ne le saignez pas tant; l'émétique est meilleur.
Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.
Je crois que je ferois bien de prendre le même chemin que ce magistrat; car mon estomac ne se rétablit point du tout. Au reste, ma très-belle, j'ai consulté si l'on pouvoit prendre du café deux heures après la germandrée. On en peut prendre en toute sûreté, et même ils s'accordent fort bien ensemble. Adieu, ma très-aimable; je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens à tutti quanti, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser pour moi bien tendrement la charmante Pauline. Ma sœur[80] vous rend mille grâces de l'honneur de votre souvenir; elle en a été fort touchée; elle est à Versailles pour quelques jours.
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LETTRE XXIII.
Paris, 13 août 1695.
La mort de M. de Paris[81], ma très-belle, vous aura infailliblement surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame de Lesdiguières a été présente à ce spectacle; on assure qu'elle est médiocrement affligée. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens croient que ce sera M. de Cambrai[82], et ce sera certainement un bon choix; d'autres disent M. le cardinal de Janson. Nous saurons lundi ce grand événement; la chose mérite bien qu'on y pense. Il s'agit maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funèbre du mort. On prétend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoyé les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honnêteté. Nous bombardons Bruxelles[83] à l'heure qu'il est; les chansons, les madrigaux, les bons mots pleuvent sur le maréchal de Villeroi, qui peut-être n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-là. La comtesse de Grammont est de retour; je la vis hier si fatiguée des eaux de Bourbon, qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue dans une litière, et elle dit qu'elle aimeroit mieux être revenue à pied. Le roi doit aller samedi à Meudon pour deux jours; les distinctions vont rouler présentement sur Meudon, et point sur Marli. Tout y a été cette semaine, jusqu'à M. de Busenval et M. de Saint-Germain. Comme je me sens incapable de prendre la résolution d'aller à Bourbon, je m'en vais essayer à Paris des eaux de Forges. Cela s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame de Fontevrault[84] est ici; Saint-Joseph, où elle est presque toujours, est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie[85]. Adieu, ma très-aimable. Tous les marchés de M. de Chaulnes sont rompus. Madame de Chaulnes se console de tout avec madame de Saint-Germain; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend à se passer de madame de Chaulnes.
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LETTRE XXIV.
Paris, 2 septembre 1695.
Hélas! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevêque, que s'il n'avoit jamais été; on a dit bien du mal de lui après sa mort; on a parlé du successeur[86]; depuis qu'il est nommé, on ne parle plus ni de l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les réflexions. Tout le monde étoit fou hier à Paris; on ne voyoit que des femmes désespérées; les unes couroient les rues, les autres se faisoient enfermer dans les églises; on entendoit: «je n'ai plus de mari, je n'ai plus de fils»; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais elles ne s'en désespéroient pas moins. La comtesse de Fiesque disoit que la bataille étoit donnée, et par conséquent gagnée; elle ajoutoit que le prince d'Orange étoit prisonnier; je me trouvai le soir chez madame de Carman, où étoit madame de Sulli, la duchesse du Lude, madame de Chaulnes, et une douzaine d'autres femmes, dont étoit la comtesse de Fiesque. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement, qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient toutes de moi; aujourd'hui que l'événement justifie mes raisons, elles croient que d'ici je conduis l'armée: on ne parle que de ma pénétration; et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni pourquoi on blâme. J'étois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus habile personne du monde; et la vérité est que je ne suis ni folle ni habile; mais que par un courrier qui étoit arrivé, on avoit appris qu'il étoit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'armée. M. de Conti l'a mandé au roi, aussi bien que monsieur le duc du Maine, et tout ce qu'il y a de principal dans l'armée.
M. de Coulanges est toujours à Navarre, il me prie par toutes ses lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir le 24 de ce mois pour aller à Fontainebleau. M. et madame de Chaulnes partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis ravie que la santé de madame de Grignan soit bonne; je m'en réjouis avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante Pauline pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma très-aimable.
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LETTRE XXV.
Paris, 9 septembre 1695.
Que d'événemens, madame! que de discours! que de chansons! que d'épigrammes! que de dignités! Le maréchal de Boufflers est duc; vous le savez déjà. Le même courrier, qui a apporté la réduction de Namur, lui a été renvoyé pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui dire en même temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il s'est trouvé pressé par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le prince d'Orange lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prétend qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue à Dixmude. Il a bien voulu cependant le laisser revenir à la cour sur sa parole; mais le maréchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La maréchale de Boufflers est transportée de joie de sa nouvelle dignité, et ne sait point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long. Revenons aux épigrammes. Le maréchal de Villeroi en est chamarré; il a pourtant la consolation de savoir que le roi est persuadé qu'il n'a aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est assez fou pour se croire malheureux, malgré sa bonne conduite. Le roi va aujourd'hui à Marli pour dix jours. M. et madame de Chaulnes partiront dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette résolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout-à-fait? M. de Coulanges est toujours à Evreux; madame de Louvois le boude; mademoiselle de Bouillon l'aime de passion, et le retient malgré lui. Moi, je lui écris régulièrement, et lui mande toutes les nouvelles. A qui donneriez-vous la préférence? Les passions sont horribles; je ne les ai jamais tant haïes que depuis qu'elles ne sont plus à mon usage: cela est heureux. Notre dragon[87] est sorti tout couvert de gloire, et tout nourri de cheval. Il a écrit une très-plaisante lettre à sa sœur. Dans toutes les relations, il a été nommé au roi avec distinction; et, pour dire plus, c'est de madame de Montchevreuil que je le sais. Vous jugez bien, ma très-aimable, de la joie de madame de Sanzei, qui sait a cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille hommes qu'ils étoient dans Namur, il n'en est resté que trois mille trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. de Guiscard qui étoit venu apprendre à la cour que le maréchal de Boufflers est prisonnier. Madame de Sulli a la même maladie que madame de Grignan. Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve à merveille. Mais Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon amie. Je pardonne à madame de Sulli cette maladie; mais madame de Grignan est trop avancée pour son âge. On prétend que, de toutes les façons d'être malade, c'est la moins fâcheuse. Je vous demande toujours des nouvelles de madame de Grignan, dont je suis très-sincèrement en peine. Ne me laissez point oublier dans le château que vous habitez, et baisez, pour l'amour de moi, la charmante Pauline. Vous m'avouerez que j'exige des choses bien difficiles de votre amitié.
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LETTRE XXVI.
Paris, 16 septembre 1695.
Ce n'est que pour marquer la cadence que je vous écris aujourd'hui, madame; car je n'ai point reçu de vos lettres, cette semaine, et je suis toute honteuse de n'avoir pas de grands événemens à vous mander; depuis quelque temps, ils ne nous ont pas manqué; de vous dire que le roi est à Marli depuis huit jours, voilà une belle affaire; la duchesse du Lude y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce mois pour aller à Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je crois que j'irai dimanche à Versailles pour deux ou trois jours: Il sera question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espère encore que j'en serai; mais j'ai une santé qui me dérange si aisément, que je n'ose plus faire de projets. M. de Coulanges doit revenir aujourd'hui d'Evreux pour rompre avec madame de Louvois, et aller à Chaulnes. Encore faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. Gaillard, qui ne doit point faire l'oraison funèbre de feu M. l'archevêque (de Paris). Voici ce que je veux dire. M. le président et le P. de la Chaise se sont adressés au P. Gaillard pour ce grand ouvrage; le P. Gaillard a répondu qu'il y trouvoit de grandes difficultés; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d'éviter les louanges et la satire, qui sont des écueils bien dangereux. Tout le prélude des oraisons funèbres n'y sera point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise à la vie éternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier à Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante Pauline. Je crois que M. de Chaulnes va acheter Villeflit de M. de Fiaubet, dont madame de Chaulnes paroît peu contente. Le confesseur extraordinaire de madame de Grignan me doit demain lire l'oraison funèbre qu'il a faite de ce saint homme.
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LETTRE XXVII.
Paris, 30 septembre 1695.
Je m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame de Grignan, c'est-à-dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le mien. J'ai éprouvé, par mon impatience, toute sorte de remèdes; trop heureuse si ces expériences lui peuvent être utiles. Carette m'a donné, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal sensible, mais qui m'avoient grésillée à un tel point sans me raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont fait une seconde maladie. Venons à Helvétius: il m'a donné une préparation d'absinthe, qui m'a tout-à-fait rétabli l'estomac. Comme cela fait quelqu'impression de chaleur, très-légère pourtant, il m'a fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve à merveille. Je commence à engraisser; je mange du fruit, je dîne et je soupe; en un mot, mon amie, je ne suis plus la même personne que j'étois il y a deux mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces détails. Ramenez-nous donc madame de Grignan à Paris; je vous promets qu'en trois semaines, Helvétius et moi lui rétablirons l'estomac. C'est la cause de presque tous les maux. Je me suis même raccommodée avec le café; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse, j'en prends dans l'excès. Ma petite absinthe est le remède à tous maux. Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous le dis là, je ne suis point allée à Chaulnes? Et je vous répondrai que je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par être riches. Depuis que j'ai un peu de santé, je la ménage beaucoup. Le vilain temps m'avoit alarmée; si j'avois prévu qu'il pût faire aussi beau qu'il fait présentement, je crois que je me serois embarquée pour ce grand voyage; mais je me garde pour Dampierre, et je fais très-facilement de ma maison une maison de campagne. Je me promène les matins sur mon rempart, et je passe les après-dînées assez solitairement. La cour d'Angleterre est à Fontainebleau. Ils ont des comédies, des fêtes, et s'ennuient, à ce qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise de Grignan ne veut voir personne; c'est ce qui m'a empêchée de me présenter à sa porte aussi souvent que j'aurois fait. M. de Chaulnes, qui sait forcer les portes, dit qu'elle est très-aimable. M. de Coulanges est allé à Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout-à-l'heure. L'abbé et moi ne laisserons point ignorer à madame de Sanzei tout ce que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame de Grignan, ma très-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la belle Pauline pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point de sujet de vous plaindre d'elle.
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LETTRE XXVIII.
Paris, 28 octobre 1695.
Vous avez eu la colique, ma chère amie; et quoique je sache que vous vous en portez bien présentement, je ne saurois être rassurée que je ne le sois par vous-même. Je vous demande aussi des nouvelles de madame de Grignan; si vous saviez combien l'air subtil est contraire à ses maux, vous l'obligeriez de se mettre dans une litière bien faite et bien commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connoître qu'il n'y a point de meilleur remède pour elle que de changer de climat; c'est l'avis de mon oracle (Helvétius). La maréchale de Boufflers a été fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte très-bien aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite santé. Je vis hier la duchesse du Lude, qui est venue à Paris pour se faire saigner et purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de santé. Il s'est fait de grands changemens à Chaulnes. M. de Chaulnes aime son château comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame de Chaulnes passe les jours, et peut-être une bonne partie des nuits à jouer. M. de Coulanges est devenu délicat et précieux; les visites de province l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouchée (la duchesse de Villeroi)[88]; elle a un fils un peu plus grand que son père, et un peu moins grand que le maréchal (de Villeroi); il n'y a point de jour qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle de Grignan, et qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit que le maréchal de Lorges se porte mieux, et on n'appelle plus sa maladie une apoplexie; la maréchale, qui l'est allé trouver, va avec lui aux eaux de Plombières. Tout le monde croit le mariage de M. de Lesdiguières fait avec mademoiselle de Clérembault[89]; le charme que madame de Lesdiguières trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle d'Aubigné avec le fils[90] de M. de Noailles; et je crois qu'en cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma très-belle, j'ai à vous apprendre que l'abbé Testu est charmé de madame de Carman, et qu'il se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait connoître ce mérite-là plutôt. On parle fort ici de la solitude de madame la marquise de Grignan; on dit que sa vie n'est pas soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie. Vous voyez combien votre retour et celui de sa belle-mère[91] sont nécessaires; mes conseils sur cela vous paroîtront bien intéressés; je souhaite que cette raison ne vous empêche pas de les suivre, et que vous me croyez aussi tendrement à vous que j'y suis. Je vous demande en grâce de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et de ne pas oublier la belle et charmante Pauline.
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LETTRE XXIX.
Paris, 7 novembre 1695.
Après avoir réfléchi avec toute l'application possible sur tout ce que vous me mandiez, ma chère amie, Helvétius a encore voulu emporter votre lettre afin d'y penser à loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que je vous envoie; il est persuadé que l'air subtil est fort contraire à madame de Grignan, et que s'il étoit possible qu'elle se mît dans une litière bien commode, et quelle fit de petites journées, elle ne seroit pas plutôt arrivée à Lyon qu'elle se trouveroit fort soulagée; c'est un remède que nous approuvons fort ici. Notre oracle Helvétius a sauvé la vie à la pauvre Tourte; il a un remède sûr pour arrêter le sang, de quelque côté qu'il vienne; c'est un très joli homme et très-sage. Sa physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble à Dupré comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame de Grignan, ma très-aimable, pour me récompenser de toutes mes consultations. M. le marquis de Grignan m'est venu voir; il est assurément moins gras qu'il n'étoit; je lui en ai fait des complimens très-sincères: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la trouvai si considérablement embellie, qu'elle me parut une autre personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraissée, et qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus éblouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mère et mademoiselle sa sœur. Malheureusement pour moi, madame de Nevers s'étoit levée aussi matin qu'elles; elle arriva un moment après ces dames, qui s'en allèrent quand elle entra; et madame de Nevers qui me parla très-sincèrement, trouva madame la marquise de Grignan toute des plus jolies. M. et madame de Chaulnes et M. de Coulanges arrivent mercredi pour dîner à Paris; je me dois trouver à l'hôtel de Chaulnes pour les y recevoir. Le roi est à Marli pour jusqu'à lundi; la comtesse de Grammont y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrapé à la cour les grâces de la nouveauté, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaieté qui m'étonnent, ayant perdu, je crois, jusqu'à l'espérance de guérir. La duchesse de Villeroi reçoit ses visites dans son lit, jolie tout ce qu'on peut l'être; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre avec la maréchale de Villeroi; j'ai découvert à cette petite duchesse un mérite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle a un goût si naturel pour mademoiselle de Grignan[92], qu'elle en est sincèrement occupée; elle m'en demande continuellement des nouvelles. Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mérite; mais elle ne veut consentir à aucun mariage, qu'elle ne soit assurée de la revoir ici. Enfin, elle a des sentimens, elle a des pensées; c'est un des miracles de Pauline. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez encore marier[93]; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport à la vie, les plus longues ne devroient être que de deux heures. Je vous envoie une lettre de M. de Vannes, qu'il y a en vérité trois mois qui est dans mon écritoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis assurée que vous l'aimez autant à l'heure qu'il est, que quand elle a été écrite. Adieu, ma très-aimable; mandez-moi vîtement que vous allez revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune marquise, qui, comme moi, soupire après votre retour.
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LETTRE XXX.
Paris, 18 septembre 1695.
Monsieur de Lamoignon me montra hier une lettre de M. le chevalier de Grignan, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux; j'en ai une joie très-sincère, et je souhaite de tout mon cœur, ma très-chère, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des espérances que nous vous reverrons bientôt; il n'y a rien, en vérité, que je désire si vivement: votre retour est nécessaire à bien des choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame de Grignan. Madame sa belle-fille est trop abandonnée ici; le retour de M. de Sévigné qui approche; que de raisons, ma très-belle, pour nous revenir voir! Paris est fort rempli à l'heure qu'il est; mais il ne le sera point à ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai bien envie d'apprendre si madame de Grignan a fait usage des bouillons d'écrevisse, et si elle s'en est bien trouvée. Il y a tous les jours de bon dîners à l'hôtel de Chaulnes, et une très-bonne compagnie, où vous êtes toujours désirée. M. le marquis de Grignan me fit l'honneur de me venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'être point grossi; il me paroît fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que la charmante Pauline va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il n'y a que madame de Simiane que je puisse jamais autant aimer que mademoiselle de Grignan. Hélas! à propos de Simiane; le pauvre monsieur de Langres[94] est à l'extrémité; j'en suis tout-à-fait en peine. Je crois M. Nicole mort; il tomba en apoplexie il y a deux jours. Racine vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes d'Angleterre, qui le ressuscitèrent; mais on vient de me dire qu'il est retombé; c'est une grande perte. Il s'est trop épuisé à écrire: on prétend qu'il s'est cassé la tête à ce dernier livre contre les Quiétistes; ils n'en valoient, en vérité, pas la peine. Adieu, ma très-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais encore plus à présent, à cause de l'état où est madame de Grignan.
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LETTRE XXXI.
Paris, 6 avril 1696.
Je ferai voir votre lettre à la maréchale de Créqui[95], madame; le seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils[96]: elle me paroît plus affligée que le premier jour; je n'en passe guère sans la voir. Je l'ai cependant envoyée à M. de Coulanges cette aimable et tendre lettre; il est à Saint-Martin d'où il doit revenir mardi. Madame de Saint-Géran a reçu deux visites de madame de Maintenon; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la consoler: madame de Mornai ne quitte point madame de Maintenon; plus cette petite femme paroît insensible aux honneurs qu'elle reçoit, plus on est occupé d'elle. Je suis étonnée de ces sortes de conduites. Le mariage de ma nièce est absolument rompu avec M. de Poissi[97]; elle part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame de Bagnols n'ont aucun tort: madame de Maisons[98] a fait aussi ce qu'elle a pu, et nous lui en serons toujours très-sensiblement obligées: je suis ravie de la connoître; elle a un très bon cœur, et une véritable générosité. Il faut espérer que notre grande fille sera bien mariée[99]; mais ce ne peut plus être qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient plus dans la robe. Je m'en vais vîte finir ce petit billet; car madame de Montespan me vient prendre dès la pointe du jour, pour aller entendre le P. de la Ferté (jésuite), qui prêche comme un Bourdaloue, et qui ressemble si fort au duc son frère, qu'on ne se peut empêcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame de Fontevrault[100] vient aussi: voilà bien des sermons que j'entends avec cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller à Bourbon. Moins madame de Grignan se rétablira où elle est, plus elle se devroit presser de changer d'air. Séparément de l'intérêt que j'ai à donner ce conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous aussi madame de Simiane? elle ne s'en soucie guère; elle a de quoi s'amuser, pendant que nous soupirons ici après elle. Je ferai vos complimens à la maréchale de Créqui, et ceux de M. et de madame de Grignan, je vous en assure, ma très-aimable. Le roi a donné deux mille louis au maréchal de Choiseul pour l'aider à faire son équipage; je ne sais si le marquis de Grignan ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et vîte adieu; on me presse de sortir.
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LETTRE XXXII.
Paris, 2 mai 1696.
Je vous suis sensiblement obligée, madame, de songer encore à moi; je connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre cœur, et l'amitié que vous avez su avoir pour une personne[102] aussi digne d'être aimée que celle que vous regrettez, c'est ce qui me paroît fort au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez raison, de me croire infiniment touchée! Je ne pense à autre chose; je ne parle d'autre chose; j'ignore tous les détails de cette funeste maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne songe point à me ménager. Je passai hier toute la journée avec le prieur de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation; je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-là sont si persuadés que cette vie-ci ne doit servir qu'à s'assurer l'autre, que les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules dignes d'attention pour eux; mais on songe à ce que l'on perd, et on le pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientôt, cela est raisonnable: ce qui ne l'est guère, c'est d'entretenir une personne de votre âge de si tristes et de si noires pensées; votre raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint à l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble, à vous parler comme je fais.
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LETTRE XXXIII.
A LA MÊME.
Paris, 8 juin 1696.
Il me paroît qu'il y a bien du temps que vous n'avez reçu de mes lettres; vous ne serez peut-être pas de cet avis: il n'y a pas moyen cependant de pousser ma discrétion plus loin; c'est un bien qui m'est devenu nécessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque inégalité qu'il y ait de votre âge au mien, j'éprouve que l'on vous aime très-solidement. Il y a des endroits dans votre cœur, qui font oublier votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne présente toute la fleur de ce bel âge.
Je ne m'accoutume point à la perte que nous avons faite[103]; et lorsque j'apprends le retour de la santé de madame votre mère, je ne puis m'empêcher d'être vivement touchée que cette joie n ait point été sentie par une personne qui en eût été si digne[104]. Je vous prie, madame, que je sois informée de la continuation de cette santé, à laquelle je prends plus d'intérêt que je ne puis vous le dire.
Je vis avant-hier M. de Coulanges dans la belle maison de Choisi: madame de Louvois et lui y sont établis pour tout l'été; on est obligé tous les jours d'y avoir deux tables par la quantité de monde qui s'y trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades délicieuses; joignez à tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous trouverez que Choisi est un séjour enchanté: il y a trop de ces plaisirs pour moi, et je ne saurois me résoudre à y passer plusieurs jours: mon goût augmente pour la solitude, ou du moins pour une très-petite compagnie. Madame de Mornai ne quitte plus madame de Maintenon: elle va à Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de la voir de tous les plaisirs, pendant que vous êtes éloignée du monde et du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans vous-même. Adieu, madame, je vous demande en grâce de ne pas négliger l'occasion de dire à M. le comte de Grignan combien je l'honore; mais sur-tout rendez-moi de bons offices auprès de vous, je vous en supplie.
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LETTRE XXXIV.
A LA MÊME.
Paris, 20 juillet 1696.
Il y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous écrire; mais je ne suis point seule à m'en apercevoir? En vérité, c'est pure discrétion qui m'empêche de vous dire plus souvent ce que je sais penser de vous; il y a une telle disproportion de votre âge au mien, qu'il me paroît de la cruauté à moi de vous aimer comme je fais, et sur-tout de vous en entretenir. Je suis très-persuadée que vous n'enviez point les extrêmes distinctions dont jouit madame de Mornai; mais, madame, n'est-ce point être trop avancée pour votre âge, de vous savoir passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'expérience qui en puisse détromper, et voilà ce que vous n'avez pas jusqu'à présent. Madame de Mornai est de tous les voyages de Marli, sans être nommée de toutes les promenades du roi; en un mot, madame de Maintenon la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse être insensible à ces honneurs? ma nièce de Bagnols voit tout cela d'un grand sang-froid. La trêve d'Italie donne ici de grandes espérances de la paix générale; je suis assurée, madame, que cette grande nouvelle ne vous sera pas indifférente. On se tourmente déjà pour être des dames de madame de Bourgogne; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et qu'on lui donnera à peu près les dames qu'avoit la reine, excepté madame de Beauvilliers, qui, selon toutes les apparences, sera dame d'honneur. Nous craignîmes beaucoup ayant-hier pour madame de Chaulnes, qui, à la suite d'une mauvaise santé, eut une si grande foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya quérir des médecins, un confesseur, enfin un appareil très-propre à épouvanter; elle se porte beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'émétique. J'aime cette duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame de Sévigné. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincérité que j'ai pour vous, malgré mon âge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la ramèneront point, je ne puis soutenir une telle idée. Je vous demande des nouvelles de votre santé, madame; on m'a dit qu'elle n'étoit pas absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une sorte de maladie, où les eaux n'étoient point propres. La maréchale de Castelnau est morte d'un très-douloureux cancer: les petites-filles espèrent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je vous demande pardon, madame, de vous écrire une si longue lettre; mais le goût que j'y trouve, me doit faire espérer que vous ne vous en plaindrez pas.
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LETTRE XXXV.
A LA MÊME.
Paris, 14 septembre 1696.
J'ai été fort aise, madame, d'apprendre par vous le rétablissement de la santé de madame votre mère; mais je ne puis m'ôter la pensée que la personne du monde, qui s'intéressoit le plus à cette santé, n'ait point partagé notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point à ne plus espérer qu'aucun retour nous amène ce que nous regrettons avec tant de raison. Je comprends ce que ce sera pour madame de Grignan, de se trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort occupée de ce que vous nous privez de l'espérance de votre retour. Il me semble que vous seriez bien nécessaire à madame votre mère; et je vous avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient à une personne de mon âge. Vous êtes faite pour charmer tout ce qui est aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer aussi véritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que je puisse m'empêcher de vous offenser, ni d'espérer que vous me pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse du Lude? Je l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une santé parfaite: jamais on n'a marqué tant de confiance en une personne, que le roi et madame de Maintenon ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre voisine[105], pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais de tout ceci un petit château qui vous regarde uniquement, et je ne m'accommoderai jamais que ce château soit en Espagne. A propos d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse? Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reçu des nouvelles. On est ici dans les Te Deum, dans les feux de joie de la paix de Savoie. Grâces à Dieu, le roi continue de se porter de mieux en mieux. On croit que la cour ira à Fontainebleau vers la fin de ce mois, pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; j'espère que vous voudrez bien vous souvenir de moi auprès de madame la comtesse de Grignan et de M. le Chevalier. Je vous demande pardon de la liberté que je prends; mais tout est permis à une personne qui a la confiance de vous écrire, et que vous honorez de vos aimables lettres. M. de Coulanges est à Vichi avec sa femme de Louvois[106].
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LETTRE XXXVI.
A LA MÊME.
Paris, 25 octobre 1696.
Je suis fort aise, madame, que vous nous fassiez espérer le retour de madame votre mère; mais, en vérité, pour que la joie fût complète, le vôtre nous seroit bien nécessaire. J'admire que l'on ait pu faire des dames du palais pour madame la duchesse de Bourgogne, sans avoir songé à vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques jours, de mon étonnement à madame de Montchevreuil. A propos de madame de Montchevreuil, madame de Mornai est accouchée d'un fils. Cet événement donne beaucoup de joie à toute sa maison. Où avez-vous pris, madame, que madame la duchesse de Bourgogne a eu la rougeole? Est-il possible qu'une de ses voisines soit si peu instruite?[107] Je reçus hier une lettre de madame la duchesse du Lude[108], qui me paroît charmée de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grâcieuse, qu'elle a un très-bon air, et que, sans beauté, on ne peut être plus agréable qu'elle est. Le roi et Monsieur iront coucher à Montargis, pour la recevoir, et M. le duc de Bourgogne ira jusqu'à Nemours. Madame, toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes parées dans l'appartement qu'on lui destine à Fontainebleau, qui est le même qu'occupoit madame la Dauphine. On dit que l'on nommera encore six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame de Maintenon, tout est charmé de madame du Lude. Elle s'est surpassée elle-même dans toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que j'en suis aise. Le pauvre abbé Pelletier est mort d'apoplexie. Il y a quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui commence à le devenir moins. M. d'Harrouis tomba dimanche dernier en apoplexie: je volai à son secours; et nous avons si bien fait par nos remèdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie, ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort avec tant de courage, ni revenir à la vie avec tant de docilité. Ce pauvre mourant parloit toujours de madame de Sévigné. Il disoit: «si elle étoit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient pas.» Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses qui nous faisoient rire, malgré que nous en eussions. J'ai une vraie impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un homme, qui a été assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me prévient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout seul? En vérité, vous êtes trop raisonnable, et nous souffrons trop de votre raison. J'espère que mademoiselle de Bagnols aura un beau palais sans l'aller chercher à Turin, ou, pour parler plus juste, un beau château; j'ai une grande envie qu'elle soit bien établie. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; et, si vous n'êtes point honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement obligée, si vous voulez bien me faire la grâce d'assurer madame la comtesse de Grignan et M. le Chevalier que j'attends leur retour avec toute l'impatience qu'ils méritent.
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LETTRE XXXVII.
A LA MÊME.
Paris, 7 mars 1697.
Je suis charmée de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est étonné de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des choses si opposées. Je suis très-fâchée d'avoir ignoré si long-temps le séjour de M. de Simiane en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver à dîner chez M. de Saint-Amant; il m'a ensuite fait l'honneur de me venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous paroît; je ne crois pas peu dire. Il a bien raison d'être pour vous, comme il est. J'avoue que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame de Sévigné dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est toujours nouveau; il manque trop de choses à l'hôtel de Carnavalet. Je ne saurois m'empêcher de vous désirer; et toute votre indifférence pour ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme si j'étois d'âge à en profiter; mais il me semble que mon inclination si naturelle pour vous, vous fait souffrir mon âge avec quelque bonté. J'ai eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre; cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montrée à madame de Chaulnes, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous approuve autant qu'elle désapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous que madame de Chaulnes a un nouveau mérite à mon égard? C'est celui de ne se point du tout consoler de la perte de madame de Sévigné. Nous en parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manière; j'aime à parler de ce que j'ai aimé, et à ne me point ménager sur les souvenirs qui me sont chers.
Je fis une longue réponse à une lettre, que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire avant la dernière; je la donnai à madame votre mère, et ma lettre s'est trouvée perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me soupçonniez pas d'une grossièreté pareille à celle d'y avoir, manqué. Au reste, le mariage de ma nièce avec M. de Poissi est rompu. Si j'étois à sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-être fâchée. Il ne la désiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus petites difficultés: quand cela est ainsi, il me paroît qu'on se doit trouver heureuse de ne point entrer dans une maison où l'on est si peu souhaitée: je suis assurée que c'est là votre avis. Quel bon sens, madame, que le vôtre, de n'être point entêtée de la cour! Songez que madame du Lude, qui avoit une si bonne santé, est accablée de rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui[109]? Cependant je sais une personne du monde, qui admire les agrémens de la place, et la trouve préférable à tout le repos, dont madame du Lude pouvoit jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle façon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point. Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amitié, madame. Il faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre part à la joie de M. le marquis de Simiane de se trouver auprès de vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour désirer beaucoup de le voir davantage.
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LETTRE XXXVIII.
A madame de Grignan.
Paris, 19 avril 1700.
Il y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je désire, que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ma mère a depuis quinze jours la fièvre continue avec des redoublemens; et moins elle est en état de penser, plus je suis attachée auprès d'elle: c'est un terrible spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se peut concevoir; mais en voilà trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux vous faire de très-sincères complimens sur le voyage que M. le marquis de Grignan va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont agréables à son âge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-là a été recherchée. Je me présentai hier à la porte de son excellence; elle étoit à Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame de Simiane, qui est en vérité bien incommodée de sa grossesse. Je rendis mes devoirs en votre appartement; il est très-beau; la vue m'en paroît charmante. Je le regardai avec un air d'intérêt, qui me le fit bien examiner pour la première fois. Vous serez bien logée, madame; mais vous nous ferez trop languir après votre retour. C'est là votre unique défaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous consoler. On commence aujourd'hui à tirer la loterie de madame de Bourgogne. J'ai eu trente pistoles à la grande, qui s'est faite à l'Hôpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion? Cependant j'ai eu l'âme assez intéressée pour préférer ce vilain petit billet noir à un billet blanc; ma sœur a trouvé ce sentiment très-indigne d'elle. M. de Bagnols est ici. Je ne désespère point qu'il n'aille à Grignan rendre à M. de Grignan tout ce qu'il lui doit; car pour Paris, ce n'auroit été que la conduite des autres. Madame la duchesse du Lude a eu un mal assez considérable au pied. Elle a quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la chaleur du combat. Je pense toujours de la même façon sur ce qui la regarde; et, Dieu merci pour elle, sa façon de penser n'est point changée aussi. La pauvre petite madame d'Aunai, fille de madame de Morangis, est morte à vingt-un ans; les Villeroi sont très-affligés avec raison. On assure que M. de Rochebonne et M. de Saint-Germain ont des raisons d'espérer; je souhaite de tout mon cœur pour la chose en elle-même, et par l'intérêt sensible que vous y avez tous, que leurs espérances soient fondées. J'ai appris à l'abbé Testu que vous l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait reçu cette marque de votre bonté avec beaucoup de reconnoissance, il a voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des démonstrations; et après avoir été convaincu de la vérité de ce que je lui disois, il a tiré des conséquences qu'il falloit qu'il fût charmé, et il a conclu qu'il l'étoit.
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LETTRE XXXIX.
A LA MÊME.
Paris, 30 juillet 1700.
Tout ce que vous me faites la grâce de me dire est vrai, madame; cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est restée est si vive, que je n'en puis revenir, malgré tout ce que la raison peut fournir de consolation. J'espère en la diversion que je n'ai point encore éprouvée; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture. Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait réponse à votre lettre; vous jugez aisément, madame, de ce qui m'en a empêchée, et combien j'avois renoncé à mes plaisirs, puisque je m'étois retranché celui de vous entretenir. M. de Coulanges est à Versailles; on vient de me dire qu'il vit hier madame de Maintenon chez madame de Saint-Géran, et qu'il en avoit reçu des amitiés infinies. Il a mandé cette heureuse rencontre à madame de Louvois. C'est une chose raisonnable que les secondes femmes soient mieux traitées que les premières; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la préférence que M. de Coulanges donne à madame de Louvois. Que dites-vous de la mort de la duchesse d'U***? Pour moi, je voudrois qu'on fît un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse est grande à qui épousera ce joli héros. O grand pouvoir du tabouret! Le roi est à Marli pour dix jours. Je donnai à dîner à madame de Simiane en plein réfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse de Grammont à notre dîner, et ensuite il fut question d'un sermon tout neuf du père Massillon. La seule visite que je me suis permise, a été celle de la maréchale d'Humières. En vérité, il n'y a qu'à habiter le faubourg Saint-Jacques pour être une personne au dessus des autres. On ne peut assez admirer la parfaite patience de cette maréchale, sa résignation à la mort, sa piété, son courage; enfin, rien n'est tel que le faubourg Saint-Jacques. Madame de Guitaut l'habite aussi; je vous assure que ce quartier fournit une très-bonne compagnie. Je voudrois bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que votre séjour à Grignan vous ennuyât autant que nous. Si cela étoit, madame, il nous seroit permis d'espérer bientôt votre retour. Une des grandes nouvelles du monde, c'est que madame de Bourgogne changera de confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jésuite.
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LETTRE XL.
A LA MÊME.
Paris, 18 décembre 1700.
Vous n'avez pas eu de peine, madame, à imaginer la raison, je ne dis pas de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grâce de le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est à moi qu'il convient d'être discrète. Je suis plus solitaire que jamais, et ne le suis pas encore assez à mon gré. Il n'a pas été au pouvoir des grands et prodigieux événemens qui sont arrivés[110], de m'obliger à quitter ma chambre. Les années m'ont tellement mise à la raison, que si j'en avois encore beaucoup à passer, je crois que je me retirerois dans quelque petit désert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informée des nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'espérer vous divertir; et je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie véritablement souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez, et que je n'en aie été instruite, autant que je l'ai pu, par madame de Simiane. Il faut avouer cependant que les nouvelles considérables n'ont pas manqué depuis quelque temps; mais quiconque ne voit guère, n'a guère à dire aussi. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour recevoir les princes[111]; je suis assurée que vous n'en serez point du tout embarrassée. Madame de Simiane trouva hier au soir ici madame la duchesse du Lude, qui est venu passer deux ou trois jours à Paris, et lui demanda de quelle manière il convenoit que vous fussiez habillée pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui répondit que ce n'étoit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sûre que vous ne vous souciez guère. Madame de Simiane s'embarqua hier au soir pour aller souper chez ma nièce de Tillières, où est le rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on a du monde, quand on en veut avoir. M. de Coulanges veut répondre lui-même aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est obligé de se croire vieux.
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LETTRE XLI.
A LA MÊME.
Paris, 17 juin 1701.
Je vous rends mille grâces, madame, de l'attention que vous avez eue à la subite et violente maladie, dont par les soins de Chambon j'ai été délivrée en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce médecin; car j'aime fort à être obligée aux personnes pour qui j'ai un sincère attachement; j'espère vivre et mourir de sa façon. Vous aurez été fâchée et surprise de la mort de Monsieur[112], j'en suis assurée. La dernière fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de vos nouvelles, que je lui fis très-bien ma cour par être en état de lui répondre sur ce qui vous regardoit. En vérité, la mort est un événement trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'étoit le sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mandé, madame, que le roi conserve à M. le duc d'Orléans tous les honneurs et privilèges de Monsieur; des gardes, tous les grands officiers, et même un chancelier. Le roi est très-véritablement affligé. Toutes les femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettées, par la raison que l'on se tourne tout d'un coup à ce qui remplit leurs places. J'avoue, madame, que mon goût ne diminue point pour le repos, et qu'à l'heure qu'il est, je n'y préférerois que ce qui se doit préférer à tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de moi. Ce n'est pas que le séjour de Grignan ne me plût infiniment, si j'y pouvois aller. Au reste, madame, à propos de beau château, je vais avoir celui d'Ormesson; et je suis assez modérée pour n'en point désirer d'autres, ne voyant rien au-dessus que le séjour de Grignan. Nous avons eu ici la duchesse du Lude cinq ou six jours avant la funeste mort de Monsieur. J'ai vu l'abbé de Polignac depuis son retour, dont il se croit redevable au P. de la Chaise; il est plus aimable que jamais, je dis l'abbé de Polignac. M. de Coulanges est ravi de la fin de cette disgrâce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a point encore vu. M. le cardinal de Bouillon est tranquille dans son abbaye, chose étonnante et difficile à croire? mais, madame, vous n'en serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrême dévotion. Le roi lui a fait la grâce de lui accorder une main-levée pour la jouissance de tous ses revenus; cela fait espérer bien des adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup de vous être souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement pas le nom, mais qui m'a été recommandée par une de mes véritables amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma famille à Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis très-obligée, madame, et à M. de Grignan, de la bonté que vous avez eue l'un et l'autre d'avoir égard à la très-humble prière que je vous ai faite. Madame de Sulli est assez malade; elle est dans toutes les règles des mauvais médecins, du lait, saignare, purgare, etc. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut vous honorer plus que je fais. Ma sœur brille à Bruxelles; elle a tous les soirs madame la comtesse de Soissons à souper chez elle. Il me prend quelquefois envie d'aller à Bruxelles représenter madame de Béthune[113] en Pologne. Vous ne sauriez comprendre à quel point je désire votre retour, madame. Plus je suis indifférente pour tout ce qui vient, plus je m'attache à ce qu'il y a quelque temps que je connois. M. de Coulanges s'en va en Bourgogne avec madame de Louvois, et moi à Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir être à Ormesson que l'année qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.
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LETTRE XLII.
A LA MÊME.
Paris, 12 septembre 1701.
Je suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe, que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre souvenir, j'y réponds avec un empressement, qui vous doit faire connoître la sensible joie que j'en ai, et juger en même temps que mon silence doit s'appeler de la discrétion toute pure. Il est vrai, madame, que vous êtes bien exposée aux grandeurs de ce monde. Vous réussissez si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous ne payez pas seulement d'invention; on n'a parlé ici que de la magnificence avec laquelle vous avez reçu les princes; ce n'étoit qu'en attendant la reine d'Espagne. Madame de Bracciane sera ravie de vous présenter à sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de l'emploi qu'elle a; mais la façon de penser de quelqu'un qui n'est plus jeune, ne laisse rien imaginer d'agréable[114]. J'ai déjà tant vécu, qu'il me paroît peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu qui me reste, j'aimerois à le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de goût pour les personnages, qui n'étoient point les jeunes dans les comédies. Cela m'est demeuré pour le théâtre du monde. Ma paresse naturelle, une foible santé sans doute, me donnent de telles pensées, qui s'accommodent si bien avec ma médiocre fortune, que je n'en puis assez remercier Dieu. J'ai trop aimé le monde. Il me semble cependant que je n'ai pas perdu le temps que j'ai passé à m'en détromper; car il est certain que je préfère la vieillesse aux belles années, par la grande tranquillité dont elle me laisse jouir: mais je veux répondre à vos questions, madame. Le voyage que madame de Louvois devoit faire en Bourgogne, est rompu; elle est à Choisi pour toute l'automne: monsieur de Coulanges y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends patience à Paris. Si je vis jusqu'à l'année qui vient, j'aurai Ormesson, qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi blanche qu'elle étoit noire. Les fenêtres sont coupées jusques en bas; enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grâce à Dieu, je n'en désire pas davantage. Pardonnez-moi, je désire passionnément de vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est accoutumé aux délices des grands palais. Oui, madame, M. de Coulanges ira voir M. le cardinal de Bouillon, lequel, à ce que j'apprends, est bien plus heureux qu'il n'a jamais été. Je suis tout-à-fait sensible au malheur qui vient d'arriver à madame de Chatelux. Son fils, bien fait, bien riche, qu'elle alloit marier à une héritière de Bourgogne, a été tué à cette dernière occasion[115]. Je crois que le maréchal de Villeroi justifiera tout-à-fait la conduite de M. le maréchal de Catinat. Il est si honnête, qu'il ne dira que des vérités. Votre amie madame de Lesdiguières a été bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais confié que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion très-vive. Madame de Louvois et moi, passâmes avec elle, il y a quelques jours, une partie de l'après-dinée. Elle nous montra un assortiment pour prendre du café d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez inspiré des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve à merveille; il me paroît qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu où vous êtes si chérie. L'abbé Testu a été ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi bien que madame Frontenac et mademoiselle d'Outrelaise. Ce premier est plus jeune que jamais; il seroit tout prêt à conduire le roi d'Espagne[116]. Chaque année lui en ôte deux, de façon qu'il est assurément trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre belle-sœur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. de Sévigné reviendra bientôt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute que M. de Beaumanoir n'épouse mademoiselle de Noailles. Madame de Simiane accouchera bientôt. Je voudrais bien pouvoir lui être bonne à quelque chose; mais je suis très-peu habile sur les accouchemens; et comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive encore de lui être inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne sera point en état de vous écrire. Madame de Sanzei est à Autri. La cour est à Marli jusqu'à samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau; elle séjournera deux jours à Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang, admirez; madame, comme tout cela a changé en peu de temps: il n'y a que madame de Bracciane et l'abbé Testu qui ne changent point. Je vous demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en coûte d'être long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame, que je vous pusse recevoir à Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre retour, et cela m'afflige. Madame de Lesdiguières assure qu'il est décidé pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas sans qu'il soit bien parlé de vous. J'aime fort à lui plaire; mais il n'est pas aisé de démêler qui est la complaisante de nous deux, quand il est question de vous, madame.
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LETTRE XLIII.
A LA MÊME.
Paris, 4 avril 1702.
Je suis bien récompensée du soin que j'ai pris pour le chocolat de M. de Grignan, madame, puisque cela m'a attiré une marque d'honneur de votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importunée, si je vous avois écrit dans toutes les occasions où il a été question de vous en ce pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs ne me laissent point oublier mes intérêts, et je crains toujours que cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empêcher de désirer très-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez été fort sensible à la perte de notre pauvre duchesse de Sulli[117]. Elle vous aimoit véritablement, et c'étoit une très-aimable femme. Ah! madame, je la vis la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle étoit bien éloignée de penser que le terme fût aussi court. Sa docilité pour les médecins l'a tuée; cependant s'il est vrai que nos jours sont comptés, pourquoi ne nous pas désaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant à moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai passé ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle connoissance; cela n'en vaut pas en vérité la peine. Ma vie est très-éloignée de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre. Ces nouveautés qu'il me présente ne sont plus à mon usage; et mon antiquité n'est plus au sien. Ainsi, grâce à Dieu, nous nous passons à merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame de Simiane. Son âge[118] et le mien sont trop disproportionnés. Je sais cependant qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis assurée que quand elle auroit tort à votre égard, vous chercheriez toujours à la justifier. Ainsi, j'espère que vous l'aimerez toujours par la raison qu'elle vous est fort attachée, et que vous l'aimez naturellement. Elle est aussi très-aimable; cela est constant. Mais, madame, savez-vous bien que votre amie, madame de Lesdiguières, n'est point du tout en bonne santé? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et qui est enflée. Elle n'imagine point d'autre remède que la saignée, qui est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit fournir des esprits, et elle se veut épuiser, ce qui n'est assurément pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui faire entendre raison. La maréchale de Villeroi a commencé à être affligée du jour que le maréchal partit pour l'Italie. L'événement n'a que trop justifié sa douleur; il étoit plus heureux, étant le marquis de Villeroi. Mais, madame, vous nous avez envoyé un prisonnier, qui l'est, je crois, présentement de mademoiselle de Bellefond. Il soupa avec elle le jour de son arrivée à Vincennes; il fut charmé avec raison de sa beauté. Il a gagné le donjon depuis, avec l'idée de cette jolie fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des Mancini que la beauté. J'ai si peu de commerce avec M. de Richelieu[119], que je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour moi; je ne sais pas si madame de Richelieu lui trouvera ce défaut. On ne peut trop louer sa modération; elle n'a pas encore pris son tabouret. L'hôtel de Richelieu est à vendre. Pour l'abbé Testu, je le crois très-fâché de ne pouvoir suivre l'exemple de M. de Richelieu. Sa jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un tel privilège il est assurément trop jeune pour se marier. Il m'a priée de vous dire des choses très-passionnées de sa part. La princesse de la Cisterne[120], à qui j'ai appris que vous vous étiez souvenue d'elle, m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est véritablement affligée de ne vous avoir point trouvée en ce pays-ci. Elle y a réussi à merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourné l'esprit de sa mère à tout ce qu'elle a désiré. Sa petite fille est morte; et c'est un bien pour faire réussir ses projets. Elle a un fils aîné, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme le jour, qu'elle prétend établir en France sous le nom de marquis de la Trousse avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne trouve nul obstacle du côté de sa mère, qui lui a, je crois, assuré tout son bien. C'est une très-habile femme que madame de la Cisterne. Je la regrette; elle nous quitte après un voyage de huit jours qu'elle va faire à la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir établir en France dans quelques années; mais je ne prends plus aucune part dans les projets éloignés. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubilé. Cette dévotion n'est point dans les principes du Quiétisme; car il se faut donner bien du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite à Notre-Dame, à commencer jeudi, et s'en retournera à Meudon; Monseigneur y est venu ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'à M. de Coulanges, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort priée de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame, à quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont trop longues. Je ne les trouve point proportionnées à la brièveté de la vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette réflexion, de tout l'ennui que me cause votre éloignement.
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LETTRE XLIV.
A LA MÊME.
Paris, 10 mai 1703.
J'espérois n'avoir aujourd'hui qu'à vous rendre mille très-humbles grâces d'une très-aimable lettre que je reçus hier de vous, madame, et je me trouve obligée de vous faire un triste compliment sur la mort du petit marquis de Simiane. La jeunesse et la fertilité du père et de la mère doivent donner de grandes espérances de voir bientôt cette perte réparée; mais enfin il étoit tout venu, et je prends un véritable intérêt à tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous approuviez les dernières connoissances que j'ai faites; car je n'ose encore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de commerce. J'ai bien de quoi m'annoncer auprès d'eux par leur conter comme vous parlez de leur mérite; c'est par-là que je suis bien sûre de leur plaire. Ils m'ont déjà confié ce qu'ils pensoient de vous et de tout ce qui s'appelle Grignan. M. de Marsin est malade; il attend le retour de sa santé pour aller où son devoir l'appelle. Le maréchal (de Catinat) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le dire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous n'avons plus de temps à perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop avancés, pour que le temps nous puisse faire tort ni à l'un ni à l'autre. Ma sœur doit partir pour Bruxelles le lendemain des fêtes; et voilà-ce qui m'a empêchée jusqu'à présent de m'aller établir à Ormesson, où je compte passer une partie de l'été; mais je serai bien honteuse, si j'y reçois jamais M. de Grignan, de ne lui présenter qu'un grand bois, lui qui est accoutumé, comme vous dites, madame, aux délices de Capoue. Il n'importe, je désire très-vivement d'avoir cette honte; car si je ne lui présente point les objets charmans, dont il jouit à Mazargues[121], et les belles eaux que je crois qui surpassent en beauté celles de Versailles, je lui présenterai une antique personne très-touchée des charmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le monde, en est fort dégoûtée. J'espère que, par ses conversations, il me tiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois très-dénués de vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de l'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez grand effort de mémoire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait bonheur de M. le maréchal de Villars? Il est bien heureux de n'être pas désabusé du monde; car assurément le monde est tourné bien agréablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de plaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inquiétudes qui le troublent, et que je crois cependant très-peu fondées. Si ma nièce avoit bien voulu me croire, le maréchal seroit heureux, et elle grande dame. Son insensibilité va jusqu'à n'être pas touchée de la conduite qu'elle a eue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang à cette indolence. M. de Coulanges arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit de la libéralité de M. le duc de Bourgogne. Il est aussi content que le peut être le maréchal de Villars. Tout Paris dit qu'il va être duc, je ne dis pas M. de Coulanges. Je conterai à Sanzei que vous savez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parlé de ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc de Bourgogne; et il me paroît encore plus attaché à son maître qu'à sa maîtresse. Je ne vous puis rien dire de Chambon; j'en suis désolée. Moins il est coupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit le justifier: cela vous paroîtra un peu énigme; mais je n'ose en dire davantage, de peur d'être à la Bastille. Je vis, il y a deux jours, madame la duchesse de Lesdiguières. La manière dont je désire votre retour, me fait un mérite auprès d'elle; mais je ne suis point contente que vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous attendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si vous ne donnez point congé à M. de Rezé, nous ne tenons rien. Ainsi cet événement-là ne nous est pas assurément indifférent. Si Vous saviez ce que c'est que la calèche de velours jaune que madame de Lesdiguières vient de faire paroître, vous ne pourriez pas résister au plaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est singulière, magnifique, mais très-éloignée d'être ridicule, comme on l'avoit dit. On me l'avoit faite semée de mores; et cela est faux. Les roues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant avec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre belle-sœur[122]; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai été des dernières avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi, il ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est laide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne laisse pas d'être grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est pas une retraite digne d'une dévote. On ne trouve point le P. Gaffarel[123] à la campagne; et il est vis-à-vis de la porte où habitera M. de Sévigné. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa docilité, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilité, n'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame, la longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous entretenir, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut être plus sensible que je le suis aux bontés dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M. le chevalier de Grignan dans sa solitude, et entretenez M. le comte dans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus propre que lui à convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien de la raison, et n'est point du tout hérétique. Voilà, de grands talens pour Orange; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien désirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le maréchal de Villeroi a été voir madame la comtesse de Soissons à Bruxelles? Il lui a mené son fils; et madame la comtesse de Soissons avoue qu'il y a long-temps qu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le Traité de l'Amitié[124], qui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce goût pour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les règles dans l'amitié, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois mieux manquer à mon serment.
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LETTRE XLV.
A LA MÊME.
Paris, 17 juin 1703.
J'ai eu la même conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est celle aussi qu'ont observée toutes les personnes qui, par discrétion, n'ont pas cru devoir écrire à madame de Maintenon. Elles ont fait passer leurs complimens par madame la duchesse du Lude. J'ai écrit à cette dernière, et je me suis chargée de tout. Vous verrez par sa réponse que je dis vrai; et je suis même assurée que vous me croiriez, quand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'être plus touchée que madame de Maintenon l'a été de la mort de M. d'Aubigné[125]. Pour moi, je le suis fort de celle de Gourville, avec lequel j'avois renouvelé un commerce très-vif. J'y ajouterai que son esprit étoit si parfaitement revenu, que jamais lumière n'a tant brillé avant que de s'éteindre. Je n'ai point été à la campagne, comme je l'avois espéré; je me suis amusée à marier le frère de madame de Mornai avec mademoiselle de Menars. Cette pensée-là me vint; je la proposai à M. l'abbé Duguet, qui voulut bien entrer dans cette affaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont passées avec toute la magnificence possible. Nous espérons de la bonté du roi l'agrément pour la charge de président à mortier. Mademoiselle de Menars a tant de parens considérables, qu'il y a lieu de croire que cette espérance n'est pas chimérique. On présenta hier la nouvelle mariée au roi et à toute la cour. Madame de Maintenon lui fit des prodiges. Ma complaisance n'a point été jusqu'à aller à Versailles, quoiqu'on l'eût désiré. J'ai renoncé au monde, et je n'ai pas l'humilité d'aller dans un pays où je n'ai que faire, et où je n'ai rien d'agréable, ni de nouveau à montrer. Je cours ce soir à Ormesson, où M. le maréchal de Catinat et M. de Coulanges m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la vie que nous allons faire ce maréchal et moi. Je suis ravie d'apprendre que vous avez enfin donné congé à M. de Rezé; j'en tire la conséquence que vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun évènement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que je sois rassurée sur votre rhumatisme, dont je suis très en peine. Vous vous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos mains. Je vis avant-hier madame de Simiane, que je trouvai consolée de la perte qu'elle a faite. Elle l'a réparée, car elle est grosse; mais il en coûte quelque chose à sa jolie figure. M. de Sévigné nous a quittés pour sa Bretagne; et madame votre belle-sœur va jeudi habiter la maison de ma grand'mère. Je me suis trouvée attendrie en leur disant adieu; il me paroît qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en vérité, une vraie sainte que madame votre belle-sœur, plus aisée à admirer qu'a imiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre retour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je le veux espérer.
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LETTRE XLVI.
A LA MÊME.
Paris, 7 juillet 1703.
Je ne suis point contente, madame, de la manière dont vous me parlez de votre retour. Il me paroît que la saison de Noël vous fait peur; pour moi, je suis persuadée que le printemps et l'été n'arriveront qu'alors. Depuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul beau jour. Les vents sont déchaînés; les pluies continuelles; tous les biens de la terre perdus; voilà les événemens qui nous occupent le plus. Cependant celui de la petite victoire[126] de M. le maréchal de Boufflers est venu jusques à nous. Il étoit temps qu'il fit parler de lui, et que l'on se souvînt que le maréchal de Villars n'est pas le seul conquérant que nous ayons. Nul bonheur sans mélange dans ce monde. La passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a pour la gloire, et sa délicatesse lui persuade que la gloire le traite mieux. Sa mère est charmante par ses mines, et par les petits discours qu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la connoissent. Mais, madame, je m'amuse à vous parler des maréchaux de France employés, et je ne vous dis rien de celui[127] dont le loisir et la sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me paroît avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle jamais de lui, et c'est par là qu'il me fait souvenir du maréchal de Choiseul. Tout cela me fait trouver bien partagée à Ormesson[128]; c'est un parfait philosophe, et philosophe chrétien; enfin, si j'avois eu un voisin à choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois choisi celui-là. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de vous et de M. de Grignan. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le chevalier.
Madame votre belle-sœur est établie au faubourg Saint-Jacques; et M. votre frère ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuadée qu'il va être compagnon du P. Massillon[129]; c'est son premier métier que celui d'être dévot. Les dévots sont en vérité plus heureux que les autres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premières visites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma grand'mère; car c'est la même qu'occupe madame votre belle-sœur.
L'esprit de Gourville étoit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit jamais été. Il étoit revenu d'une manière, qui a fait sentir bien vivement le regret de le perdre. Ses mémoires sont charmans; ce sont deux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui sont écrits, non pas avec la dernière politesse, mais avec un naturel admirable. Vous voyez Gourville pendu en effigie, et gouverner le monde. Tout ce qui m'en a déplu (car je les ai entièrement lus), c'est un portrait, ou plutôt un caractère de madame de la Fayette, très-offensant par la tourner très-finement en ridicule. Je le trouvai quatre jours avant sa mort avec la comtesse de Grammont; et je l'assurai que je passois toujours cet endroit de ses mémoires. Les caractères de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de madame de Saint-Loup et de la Croix y est narrée dans le point de la perfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi aimable ouvrage[130]; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la raison: Gourville y parle de sa naissance avec une sincérité parfaite; et son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose aussi estimable à mon gré.
Ma sœur est présentement à Bruxelles. Je lui manderai que vous lui faites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle mariée me vint voir hier. C'est une femme très-vertueuse, et qui donne de très-agréables alliances à son mari, et une charge de président à mortier après la mort de M. de Menars. Je vous réponds sur toutes les questions que vous me faites, madame, à mesure qu'il m'en souvient, et je n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien informée de la santé, ou plutôt de la maladie de madame de Maintenon. Depuis cette fièvre de l'hiver passé, elle en a toujours eu des accès précédés de grands frissons, sans marquer aucune règle; mais quand ses accès sont passés, elle se porte à merveille. Point de dégoût, point d'insomnie, très-peu de changement; voilà de bonnes marques, et qui font espérer qu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fièvre. Madame la duchesse de Bourgogne s'est baignée à Marli; il faut espérer au retour de M. le duc de Bourgogne. Je suis persuadée que M. le comte de Grignan est entièrement délivré de sa fièvre tierce. C'est une petite maladie faite pour le quinquina; et il me paroît qu'il n'a rien à hasarder à le continuer. Ma galerie est bien honorée d'être le modèle de la belle et magnifique galerie du château de Grignan; mais la mienne est auprès de vos palais; comme ces petits trous par où l'on fait voir Versailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame. Quant à M. le chevalier, j'espère que Saint-Gratien[131] l'attirera dans nos bois, et je le désire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame de Sal... ait des garçons tous les ans, toujours Gar.... et jamais Grignan; on n'y peut résister.
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LETTRE XLVII.
A LA MÊME.
Paris, 5 août 1703.
Je suis ravie, madame, que la bonne santé de monsieur le comte de Grignan continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame de Maintenon, qui, malgré tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la fièvre. On l'en avoit crue guérie pendant quelques jours; mais la est revenue avec assez de violence, et peu de règle. Son état rend le voyage de Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant à Marli; mais elle ne s'en porte pas mieux.
L'affaire du pauvre Chambon n'avance point. J'allai hier à la Bastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami Joncas[132] n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruiné sans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa petite femme me fait une extrême pitié.
Je crois que vous regrettez présentement l'hiver du mois de juillet; car voici un été bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je crois ce temps-là bon pour M. le chevalier de Grignan et pour les vignes. J'allai, il y a deux jours, à Choisi. J'y laissai M. de Coulanges, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y exécuter vos ordres. Madame de Lesdiguières, que je vis hier, ne parle que de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit pour en parler. Elle a, en vérité, raison; car je ne le désire pas moins vivement qu'elle. Nous allâmes hier, madame de Simiane et moi, chercher le maréchal de Catinat. Il étoit déjà reparti. Il a passé quelques jours à Paris, où il m'avoit cherchée aussi; mais on ne se voit point à Paris. Je retourne incessamment dans la maison de Polémon, où je serai ravie de le trouver; un héros chrétien est bien plus à mon usage maintenant qu'un héros romanesque. La maison que je vais habiter m'a vue dans ces deux goûts; car, en vérité, je n'y étois soutenue dans ma jeunesse que par des idées très-romanesques. Ce temps-là est bien éloigné. Les pensées solides sont assurément plus raisonnables; et c'est par-là qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la cour est d'aller à la jolie maison que le roi a donnée à la comtesse de Grammont dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans une si grande dépense, qu'il est résolu de présenter au roi des parties de tous les dîners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une honte de n'y avoir pas été. La comtesse va tous les jours dîner à Marli, et le soir revient dans sa jolie maison vaquer à sa famille.
Madame votre belle-sœur[133] est fort joliment logée. J'allai chez elle en dernier lieu; je la trouvai dans une très-parfaite santé, mademoiselle de Grignan et le P. Gaffarel avec elle; charmée de la vie qu'elle mène; bien des prières, bien des lectures, et une société de personnes qui sont toutes occupées de l'éternité, indifférentes pour les nouvelles du monde, peu sensibles à tout ce qui passe. En vérité, madame, ce ne sont pas eux qui ont tort.
La comtesse de Grammont se porte très-bien. Il est certain que le roi la traite, à merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne fort de son côté. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien plaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de vos bonnes grâces, et d'assurer M. le comte de Grignan et M. le chevalier de mes très-humbles services. Je conterai à notre maréchal tout ce que vous pensez de son mérite, et c'est par-là que je prétends me faire valoir auprès de lui.
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LETTRE LXVIII.
A LA MÊME.
Paris, 25 septembre 1703.
J'entends fort bien parler, madame, de la sagesse de Chambon; ainsi, j'espère que son ressentiment ne l'obligera point à quitter Paris, où il rétablira mieux le tort que sa prison a fait à ses affaires qu'en lieu du monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa justification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque importance qu'il pût être. Vous avez été instruite du beau procédé de M. de Chamillard, à l'égard de M. Desmarest, et des raisonnemens du public. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille nouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment à vous dire l'état où est Madame de Lesdiguières, dont je vous croyois bien informée. Son mal a été une dyssenterie très-violente; et son médecin, un suisse qui a tué, ou du moins avancé la mort de M. de Chaulnes, par un breuvage qu'il lui donna. Cependant madame de Lesdiguières ne vouloit voir aucun autre médecin; enfin, il y a six jours que madame la maréchale de Villeroi lui mena de son autorité Helvétius, qui ne la trouva point en état de prendre son remède. Il crut voir des indices certains qu'elle avoit un abcès. Il craignit la gangrène; il lui fait prendre des lavemens d'herbes vulnéraires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est à fendre du pus. Ainsi, on espère qu'elle reviendra de cette maladie; mais on ne la croit pas encore hors de péril. Son mal est trop grand pour s'en prendre au café. Notre maréchal ([134]) l'a abandonné pour le chocolat. Je lui ferai assurément voir ce que vous dites de lui; il me paroît fort touché de votre approbation, madame, et de celle de M. le chevalier de Grignan. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne passons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de nos allées; il y est sans épée, il ne croit pas en avoir jamais porté. Il voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude avec un goût qui paroît naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver à plaindre, quand je retournerai à Paris. J'ai promis à madame de Louvois d'aller passer quinze jours à Choisi; mais je vous avoue que j'ai bien de la peine à m'y résoudre. M. et madame de Simiane me firent hier l'honneur de venir dîner ici avec notre fille d'honneur de la reine Marguerite; et madame votre fille me promit qu'elle y reviendroit passer encore quelques jours. C'est en vérité une jolie femme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le sien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se dépêtrer d'elle; mais c'est bien à moi d'aimer une personne de son âge. Cependant je tomberois infailliblement dans cet inconvénient, si je la voyois trop souvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir exécuter le projet que vous avez fait de revenir à Paris. Si j'étois en commerce avec les fées, vous me verriez voler à Grignan. Tant que cela ne sera point, croyez que je ne vais que terre à terre.
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LETTRE XLIX.
A LA MÊME.
Paris, 5 février 1704.
La comtesse de Grammont, madame, ne se porte pas bien; aussi je la crois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour, quoiqu'elle y soit traitée avec toutes les distinctions possibles. M. de l'Hôpital est mort[135]; c'étoit une de vos conquêtes. Sa femme[136] demeure avec quarante mille écus de rente. Cela change fort son état; car on ne la faisoit vivre que des infiniment petits[137]. L'abbé Testu est dans un état très-digne de pitié. Ses vapeurs augmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il ne mange plus, et son imagination se sent des désordres de son corps. Ajoutez à tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous aurons bien de la peine à le tirer de l'état où il est. Quelle tristesse, madame, de voir disparoître toutes les personnes avec qui l'on a vécu! j'apprends dans ce moment la mort de madame de Boisdauphin. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours de madame de Louvois. Ce ne sera pourtant, qu'après vous avoir suppliée de ne point oublier la manière dont je vous honore, j'ose dire plus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame de Lesdiguières; j'ai même été chez elle avec madame de Simiane, qui ne l'avoit point vue depuis la perte de son fils[138]. Cette dernière prétend que ce n'étoit point sa faute; mais il étoit un peu tard, je l'avoue. Elle vous adore (madame de Lesdiguières); mais elle soutient, et je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de vous. Je crois le printemps revenu à Marseille; car il se laisse entrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abbé Testu a été très-sensible à l'honneur de votre souvenir, malgré la cruauté de tous ses maux.
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LETTRE L.
A LA MÊME.
Paris, 3 mars 1704.
Je me suis acquittée des ordres que vous m'avez donnés, madame, et j'ai mille et mille remercîmens à vous faire de madame de Louvois, qui m'a paru fort touchée de votre attention à son égard. La pauvre femme a hérité de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas plus heureuse, et je sais bien que je me sens très-éloignée de l'envier. Nous avons eu la duchesse du Lude quatre jours ici. Cela devient ridicule d'être aussi belle qu'elle l'est; les années coulent sur elle, comme l'eau sur la toile cirée. Sa joie est très-grande de l'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. Massillon réussit à la cour, comme il a réussi à Paris; mais on sème souvent dans une terre ingrate, quand on sème à la cour; c'est-à-dire que les personnes qui sont fort touchées de sermons, sont déjà converties, et les autres attendent la grâce, souvent sans impatience; l'impatience seroit déjà une grande grâce. En vérité, madame, M. le marquis de Grignan est ce qui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en coûte de déplaire au monde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je l'honore au dernier point. Madame de Simiane se porte à merveille; elle se dispose à vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de Savoie ajoute à tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger à demeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous désire beaucoup à Paris, madame: c'est M. le cardinal d'Estrées. Il s'adonne fort à venir ici les soirs; et j'ai été assez peu polie pour le prier de ne les pas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquité ne me permet plus d'entretenir la compagnie au-delà de neuf heures; et notre cardinal, qui est plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point à savoir l'heure qu'il est. Je compte m'aller établir dans ma solitude[139] vers les premiers jours de mai. J'y verrai le maréchal de Catinat, qui se trouve toujours à Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol. Le maréchal de Villars nous quitte pour aller habiter le quartier de Richelieu: il est si amoureux de sa belle maréchale, qu'il est difficile qu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre qui trouble le repos, lors même qu'on a tout lieu de ne se point inquiéter. Le maréchal est souvent plus aise que s'il avoit épousé ma nièce; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit été. La belle-mère de ma nièce se meurt, et le pauvre Termes mourut hier à six heures du matin. L'abbé Testu a des maladies bien réelles; il est à craindre maintenant qu'on ne soit obligé de lui faire une opération. Ajoutez à ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses vapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme Job sur son fumier, à la patience près; je suis très-fâchée de son état. C'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir disparoître tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que l'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame de Lesdiguières, fait des merveilles pour la duchesse de Lesdiguières, jadis madame de Canaples.
Vous savez, madame, que notre Sanzei a été fait brigadier.
FIN.
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