Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829
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Title: Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829
Author: Jean-François Champollion
Release date: January 1, 2004 [eBook #10764]
Most recently updated: October 28, 2024
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LETTRES
ÉCRITES
D'ÉGYPTE ET DE NUBIE
EN 1828 ET 1829
PAR
CHAMPOLLION LE JEUNE
NOUVELLE EDITION
1868
AVERTISSEMENT
Les lettres dont j'offre aujourd'hui une nouvelle édition au public ont été écrites par mon père, Champollion le jeune, pendant le cours du voyage qu'il fit en Égypte et en Nubie, dans les années 1828 et 1829. Elles donnent ses impressions sur le vif, au jour le jour, et c'est encore, au dire des personnes compétentes, le meilleur et le plus sûr guide pour bien connaître les monuments et l'ancienne civilisation de la vallée du Nil. Elles furent successivement adressées à son frère et insérées en partie dans le Moniteur universel, pendant que mon père, poursuivant sa mission, rassemblait les richesses archéologiques qu'on admire au musée égyptien du Louvre, dont il fut le fondateur, et recueillait les documents précieux qu'il n'eut pas le temps de mettre en lumière, puisque tout jeune encore, en 1832, il fut enlevé à la science et au glorieux avenir qui lui était réservé.
En 1833, mon oncle, M. Champollion-Figeac, alors conservateur au département des manuscrits de la Bibliothèque royale, publia, chez Firmin Didot, une édition de ces lettres dont il possédait les originaux. C'est cette édition, épuisée depuis longtemps déjà, que je reproduis dans le présent volume.
Les savants qui ont marché dans la voie de Champollion le jeune m'ont attesté que, malgré les progrès obtenus depuis trente ans dans la science qu'il a fondée, ces lettres étaient encore d'une utilité sérieuse et d'un grand intérêt; c'est cette conviction, unie à un vif sentiment de respect pour la mémoire de mon père, qui m'a engagée à faire cette nouvelle édition.
Z. CHÉRONNET-CHAMPOLLION.
Paris, le 15 septembre 1867.
MÉMOIRE
SUR
UN PROJET DE VOYAGE LITTÉRAIRE
EN ÉGYPTE
PRÉSENTÉ AU ROI EN 1827
PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE
On peut considérer comme un fait positif, lorsqu'il s'agit de nos connaissances réelles sur l'ancienne Égypte, que les recherches des savants et des voyageurs n'ont produit jusqu'ici de résultats complets, de documents certains qu'à l'égard du seul système d'architecture suivi, pendant une si longue série de siècles, dans ce pays où les arts ont commencé; encore est-il juste de dire que les travaux qui fixeront irrévocablement nos idées à cet égard ne sont point encore publiés, et qu'il reste, de plus, à reconnaître les règles qui déterminaient le choix des ornements et des décorations, selon la destination donnée à chaque genre d'édifice. Ce point important pour la science ne peut être éclairci que sur les lieux et par des personnes versées dans la connaissance des symboles et du culte égyptiens, car les plus simples ornements de cette architecture sont des emblèmes parlants; et telle frise, qui ne semble contenir que des arabesques ou une composition calculée pour l'oeil seulement, renferme un précepte, une date, ou un fait historique.
Les doctrines le plus généralement adoptées sur l'art égyptien, et sur le degré d'avancement auquel ce peuple était réellement parvenu, soit en sculpture, soit en peinture, sont essentiellement fausses; les nouvelles découvertes ont pu jeter de grands doutes sur leur exactitude; mais ces doctrines ne peuvent être ramenées au vrai et assises sur des fondements solides que par de nouvelles recherches faites sur les grands édifices publics de Thèbes et des autres capitales de l'Égypte. C'est aussi l'unique moyen de décider clairement l'importante question que des esprits diversement prévenus agitent encore si vivement, celle de la transmission des arts de l'Égypte à la Grèce.
Nos connaissances sur la religion et le culte des Égyptiens ne s'étendent encore que sur les parties purement matérielles; les monuments de petites proportions nous font bien connaître les noms et les attributs des divinités principales; mais comme ces mêmes monuments proviennent tous des catacombes et des sépultures, nous n'avons de renseignements détaillés que pour les personnages mystiques protecteurs des morts, et présidant aux divers états de l'âme après sa séparation du corps. La religion des hautes classes, qui différait de celle des tombeaux, n'est retracée que dans les sanctuaires des temples et les chapelles des palais: sur ces édifices couverts intérieurement et extérieurement de bas-reliefs coloriés, chargés de légendes innombrables, relatives à chaque personnage mythologique dont ils retracent l'image, les divinités égyptiennes de tous les ordres, hiérarchiquement figurées et mises en rapport, sont accompagnées de leur généalogie et de tous leurs titres, de manière à faire complètement connaître leur rang, leur filiation, leurs attributs, et les fonctions que chacune d'elles était censée remplir dans le système théologique égyptien. Il reste donc encore à reconnaître sur les constructions de l'Égypte, la partie la plus relevée et la plus importante de la mythologie égyptienne.
Toutes les branches si variées des arts, et tous les procédés de l'industrie égyptienne sont encore loin de nous être connus. On a bien recueilli quelques tableaux et des inscriptions relatives à un certain nombre de métiers, tels que la charpenterie, la menuiserie, la tannerie, la construction navale, le transport des masses, la verrerie, l'art du charron, du forgeron, du cordonnier, de l'émailleur, etc., etc., etc.; mais les voyageurs qui ont dessiné ces tableaux ont, pour la plupart, négligé les légendes explicatives qui les accompagnent, et aucun d'eux n'était en état de lire, sur les monuments où ces tableaux ont été copiés, les dates précises de l'époque où ces divers arts furent pratiqués. Nous ignorons donc si la plupart de ces arts sont vraiment d'origine égyptienne, propres à l'Égypte, ou s'ils ont été introduits par l'influence des peuples anciens qui, comme les Perses, les Grecs et les Romains, ont tenu ce pays sous leur domination. C'est donc encore ici une question très-importante à éclaircir pour l'histoire de l'industrie humaine; et cependant il en est beaucoup d'autres encore et d'un intérêt bien plus relevé.
«Si l'historien s'enquiert d'abord des bas-reliefs historiques et ethnographiques, des scènes domestiques qui peignent les moeurs de la nation et celles des souverains, etc., il demande précisément les objets qui sont le moins éclaircis.» Ainsi s'exprimait, il y a douze ans, M. de Heeren, un des hommes les plus distingués de l'Allemagne; et tout ce qu'on a publié depuis, loin de remplir cette importante lacune, n'a pu qu'augmenter encore les regrets des savants qui apprennent seulement par des dessins pris au hasard, au milieu de séries immenses de bas-reliefs, que les grands édifices de l'Égypte offrent encore, sculptée dans tous ses détails, l'histoire entière de ses plus grands souverains, et que des compositions d'une immense étendue y retracent les époques les plus glorieuses de l'histoire des Égyptiens; car ce peuple a voulu qu'on pût lire sur les murs des palais l'histoire de ses plus illustres monarques, et c'est la seule nation qui ait osé sculpter sur la pierre de si grands objets et de si vastes détails.
L'Europe savante connaît l'existence de cet amas de richesses historiques: son ardent désir serait d'en être mise en possession. Elle a jugé que nos progrès dans les études égyptiennes demandent qu'un gouvernement éclairé se hâte d'envoyer enfin en Égypte des personnes dévouées à la science et convenablement préparées, pour recueillir, tant qu'ils subsistent encore, les innombrables et précieux documents que la magnificence égyptienne inscrivit jadis sur les édifices dont les masses imposantes couvrent les deux rives du Nil. L'Europe, sachant aussi que la barbarie, toujours croissante, détruit systématiquement ces respectables témoins d'une antique civilisation, hâte de tous ses voeux le moment où des copies fidèles de ces inscriptions et de ces bas-reliefs historiques lui donneront le moyen de remplir avec certitude les plus anciennes pages des annales du monde, en perpétuant ainsi les témoignages si nombreux et si authentiques tracés sur tant de monuments dont rien ne saurait remplacer la perte. Un voyage littéraire en Égypte est donc aujourd'hui l'un des plus utiles qu'on puisse entreprendre. Mais ce n'est point à l'histoire seule de l'Égypte que le voyage proposé dans ce Mémoire doit fournir des lumières qu'on chercherait vainement autre part que dans les palais de Thèbes: c'est là qu'existent également, et nous en avons la certitude, des notions aussi désirables qu'inespérées, sur tous les peuples qui, dès les premiers temps de la civilisation humaine, jouaient un rôle important en Afrique et dans l'Asie occidentale. Les principales expéditions des Pharaons contre les nations qui, dans cet ancien monde, pouvaient lutter de puissance avec l'Égypte ou lui inspirer des craintes, sont sculptées sur les monuments érigés par les triomphateurs: on y lit les noms de ces peuples, le nombre des soldats, les noms des villes assiégées et prises, les noms des fleuves traversés, ceux des pays soumis, la quotité des tributs imposés aux peuples vaincus; et les noms des objets précieux enlevés à l'ennemi sont écrits sur des tableaux qui représentent ces trophées de la victoire. Ces bas-reliefs, entremêlés de longues inscriptions explicatives, sont d'autant plus utiles à connaître que les artistes égyptiens ont rendu avec une admirable fidélité la physionomie, le costume et toutes les habitudes des peuples étrangers qu'ils ont eu à combattre. Nous pourrons donc apprendre enfin, par l'étude directe de cette immense galerie historique, quelles nations pouvaient balancer, à des époques sur lesquelles l'histoire est encore muette, le pouvoir des Pharaons en rivalisant avec l'Égypte, pour lui disputer l'empire de cet ancien monde que nous n'apercevons encore qu'à travers mille incertitudes, mais dont la réalité, déjà démontrée, n'en est pas moins surprenante; toutefois, en rapportant le temps de ces grandes scènes à des époques beaucoup plus rapprochées de nous que ne le voulait un esprit de système plus hardi que raisonné.
On ne saurait fixer l'importance des découvertes historiques que peut amener une étude approfondie des bas-reliefs qui décorent les édifices antiques de l'Égypte, et surtout ceux de Thèbes, sa vieille capitale. Ce pays s'est en effet trouvé en relation directe avec tous les grands peuples connus de l'antiquité: si ses vénérables monuments nous montrent une foule de peuples à demi sauvages du continent africain, vaincus et déposant aux pieds des Pharaons l'or, les matières précieuses, les oiseaux rares et les animaux curieux de l'intérieur d'un pays encore si peu connu, nous trouvons d'autre part le tableau des luttes sanglantes des Égyptiens, soit sur terre, soit sur mer, avec diverses nations asiatiques (les Assyriens, les Bactriens et les Hindous peut-être), nations qui combattent avec des armes égales et des moyens tout aussi avancés que ceux des Égyptiens, leurs rivaux. Nous savons, à n'en point douter, que les temples et les palais de l'Égypte offrent les images et des inscriptions contemporaines des rois éthiopiens qui ont conquis l'Égypte, au milieu des monuments des Pharaons, dont ils ont momentanément interrompu la longue et brillante succession. On y recueillera les annales des rois égyptiens les plus renommés, tels que les Osimandyas, Amosis, les Rhamsès, les Thouthmosis; ailleurs celles des Pharaons Sésonchis, Osorchon, Sévéchus, Tharaca, Apriès et Néchao, que les Livres saints nous peignent entrant dans le coeur de la Syrie à la tête d'armées innombrables. On réunira les copies du peu de monuments élevés sous la tyrannie des rois persans, les Darius et les Xerxès; on notera les lieux où se lisent encore le grand nom d'Alexandre, celui de son frère, de son jeune fils, et ceux des successeurs de cet homme qui releva l'Égypte foulée par le gouvernement militaire des Perses. On éclaircira toute l'histoire des Lagides; et cet examen des inscriptions monumentales se terminera en recueillant, sur les mêmes édifices qui ont précédé tant d'empires, leur ont survécu, et qui ont vu passer tant de gloires, les noms les plus illustres de Rome gouvernée par les empereurs. Ainsi les monuments de l'Égypte conservent des inscriptions qui se lient à l'histoire ancienne tout entière, et en recèlent une grande partie que les écrivains ne nous ont point conservée: c'est donner une idée de l'immense moisson de faits et des documents qu'un gouvernement protecteur des sciences utiles peut assurer aux études solides, en ordonnant l'exécution d'un voyage auquel sont directement intéressés les progrès de toutes les sciences historiques. Ajoutons enfin que ce voyage, où l'on pourra étudier et comparer entre elles le nombre immense d'inscriptions qui couvrent tous les monuments de l'Égypte, avancerait avec une merveilleuse rapidité nos connaissances sur l'écriture hiéroglyphique, et qu'il fournira, sans aucun doute à cet égard, des lumières qu'on ne pourrait peut-être point obtenir d'une étude de plusieurs siècles faite en Europe sur les seuls monuments égyptiens que le hasard y ferait transporter à l'avenir. Sous ce point de vue seul, les résultats du voyage projeté seraient inappréciables.
Les travaux des Français qui firent partie de l'expédition d'Égypte n'ont fait que préparer l'Europe savante à de tels résultats, en lui montrant, par le trop petit nombre de dessins pris sur les monuments historiques, tout ce qu'elle doit désirer encore, et tout ce qu'on peut attendre d'un examen approfondi et d'un voyage dont ces monuments seront l'objet principal. Ces recherches, qui doivent produire tant de fruits et jeter tant de lumières sur l'obscurité des temps antiques, étaient impossibles alors. On n'avait, en effet, à la fin du siècle dernier et dans les premières années du siècle présent, aucune donnée positive sur le système des écritures égyptiennes; aussi les membres de la Commission d'Égypte, et la plupart des voyageurs qui ont marché sur leurs traces, persuadés peut-être qu'on n'arriverait jamais à l'intelligence des signes hiéroglyphiques, ont-ils attaché moins d'intérêt à copier avec exactitude les longues inscriptions en caractères sacrés qui accompagnent les figures mises en scène dans les bas-reliefs historiques; il les ont presque toujours négligées, et souvent même, en copiant quelques scènes de ces bas-reliefs, on s'est contenté de marquer seulement la place occupée par ces légendes. C'était cependant, sinon pour cette époque, du moins pour l'avenir, la partie la plus intéressante d'un tel travail. Mais enfin on doit beaucoup de reconnaissance à ces voyageurs pour nous avoir appris, à n'en pouvoir douter, qu'il ne dépend plus que de notre volonté de recueillir, par exemple, dans le palais de Karnac à Thèbes, l'histoire des conquêtes de plusieurs rois, et probablement aussi celle de la délivrance de l'Égypte du joug des Pasteurs ou Hykschos, événement auquel se rattachent la venue et la captivité des Hébreux; dans les sculptures de Kalabsché, le tableau des conquêtes de Rhamsès II à l'intérieur de l'Afrique; dans les galeries du palais de Médinet-Abou, les expéditions de Rhamsès-Meïamoun contre les peuples de l'Asie; dans divers temples de la Nubie, des hauts faits des Pharaons Moeris, Osortasen, Aménophis II; dans le palais de Kourna, ceux de Mandoueï et Ousireï, etc.; enfin, dans les palais de Louqsor, les édifices d'Ibsamboul et le palais dit d'Osimandyas, les détails les plus circonstanciés sur les conquêtes du grand Sésostris, tant en Asie qu'en Afrique.
De nos jours, des dessins de la totalité de ces grandes scènes historiques, qui s'éclairent les unes par les autres, et surtout des copies exactes des inscriptions hiéroglyphiques qu'on y a mêlées en si grand nombre, acquerraient un prix infini et réaliseraient, sinon en totalité, du moins en très-grande partie, les hautes espérances qu'y rattachent les sciences historiques. Les notions positives sur le mécanisme de l'écriture hiéroglyphique sont assez avancées, et l'on a reconnu le sens d'un nombre de caractères assez considérable, pour retirer sur-le-champ, avec une certitude entière, les faits principaux et les plus précieux contenus dans ces bas-reliefs ou dans ces inscriptions, et tous les documents utiles qu'ils renferment; enfin, avec les connaissances nouvellement acquises sur les écritures de l'ancienne Égypte, un voyage entrepris maintenant sur cette terre classique, par un petit nombre de personnes bien préparées, produira incontestablement des résultats scientifiques tels qu'on eût en vain osé les espérer dans le temps même que l'Égypte, au pouvoir d'une armée française, était livrée aux recherches d'une foule de savants qui ont beaucoup fait pour les sciences physiques, naturelles et mathématiques, mais qui manquaient de l'instrument essentiel et indispensable pour exploiter convenablement la mine si riche de documents historiques que la fortune des armes livrait à leur examen. La France guerrière a fait connaître à fond l'Égypte moderne, sa constitution physique, ses productions naturelles, et les différents genres de monuments qui la couvrent: c'est aussi à la France, jouissant de la faveur de la paix, si propice au progrès des sciences et de la civilisation nouvelle, à recueillir les souvenirs gravés sur ces monuments témoins d'une civilisation primitive et des efforts progressifs des sciences sur une terre qui en fut le berceau: elles en sortirent pour éclairer l'Europe encore à demi sauvage lorsque l'Égypte était déjà déchue de sa première splendeur: l'Europe remontera donc ainsi vers ses plus antiques origines.
Après cet exposé sommaire des motifs généraux du voyage, il reste à indiquer l'ordre détaillé des travaux que doivent exécuter les personnes chargées de cette entreprise littéraire.
1° Visiter un à un tous les monuments antiques de style égyptien, en faire dessiner l'ensemble, et lever le plan du petit nombre de ceux que les voyageurs ont négligés ou n'ont point suffisamment étudiés.
2° Rechercher sur chaque temple les inscriptions dédicatoires donnant l'époque précise de leur fondation, et celles qui indiquent toujours l'époque où ont été exécutées les différentes parties de la décoration. C'est, en d'autres termes, recueillir les éléments positifs de l'histoire et de la chronologie de l'art en Égypte.
3° Copier avec soin, dans tous leurs détails et avec leurs couleurs propres, les images des différentes divinités auxquelles chaque temple était dédié. Recueillir les inscriptions religieuses relatives à ces divinités, et tous les titres divers qui leur sont donnés.
4° Copier surtout les tableaux mythologiques où plusieurs divinités sont mises en scène.
5° Dessiner les bas-reliefs représentant les diverses cérémonies religieuses, et tous les instruments de culte.
Ces divers travaux auront pour résultat de faire connaître à fond l'ensemble du culte égyptien, source de toutes les religions païennes de l'Occident, et serviront à démontrer les nombreux emprunts que la religion des Grecs fit à celle de l'Égypte. On terminera ainsi les dissidences qui partagent les savants sur une matière mise en discussion avant de posséder les éléments indispensables pour en éclaircir les difficultés.
6° Prendre, dans les temples, des calques exacts des figures représentant les divers souverains de l'Égypte, et avec tous les détails de costume, afin de former ainsi l'iconographie des rois et des reines; ces bas-reliefs, surtout ceux de l'époque la plus ancienne, offrant le portrait des Pharaons, de leurs femmes et de leurs enfants.
7° Rechercher dans les palais de Thèbes, d'Ahydos, de Sohleb, et dans tous les genres d'édifices, tous les bas-reliefs historiques; les dessiner avec soin, figures et légendes, et copier les longues inscriptions historiques qui les suivent ou les séparent.
8° Recueillir dans les palais et les tombeaux des rois tout ce qui se rapporte à la vie publique et privée des Pharaons.
9° Dessiner dans les catacombes de Thèbes ou des autres villes égyptiennes les tableaux et les inscriptions relatives à la vie civile des diverses classes de la nation, surtout ceux qui retracent les arts, les métiers et la vie intérieure des Égyptiens; faire le recueil des costumes des diverses castes, etc.
10° Copier les inscriptions votives, gravées sur la plate-forme des temples, sur les rochers environnants et dans les catacombes, toutes les fois que ces inscriptions porteront une date clairement exprimée.
11° Recueillir toutes les légendes royales, sculptées sur les édifices, avec leurs diverses variantes, et préciser le lieu où elles se lisent, pour déterminer ainsi l'ancienneté relative de chaque portion d'un même édifice, et l'état soit progressif, soit rétrograde de l'art.
12° Rechercher et faire dessiner avec soin tous les bas-reliefs et tableaux astronomiques, prendre les dates exprimées soit sur ces mêmes sculptures, soit dans leur voisinage, pour démontrer sans réplique l'époque assez récente de ces compositions, que l'esprit de système s'obstine encore, malgré des démonstrations palpables, à considérer comme remontant à des siècles fort antérieurs aux temps véritablement historiques. On fixera également ainsi l'opinion encore incertaine des savants à l'égard du point réel d'avancement auquel les Égyptiens avaient porté la science de l'astronomie.
13° On devra recueillir avec un soin scrupuleux tous les caractères hiéroglyphiques de formes différentes, en notant les couleurs de chacun d'eux, afin de former le tableau le plus approximativement complet qu'il sera possible de tous les caractères employés dans l'écriture sacrée des Égyptiens.
14° On dessinera toutes les inscriptions qui peuvent conduire soit à confirmer, soit à étendre nos connaissances, relativement à la langue et aux diverses écritures de l'ancienne Égypte.
15° Il est du plus pressant intérêt pour les études historiques et philologiques de chercher dans les ruines de l'Égypte des décrets bilingues, semblables à celui que porte la pierre de Rosette. Ces stèles existaient en très-grand nombre dans les temples égyptiens des trois ordres. Des fouilles seront donc dirigées dans l'enceinte de ces temples, pour découvrir de tels monuments, par le secours desquels le déchiffrement des textes hiéroglyphiques ferait un pas immense.
16° Le directeur du voyage ferait aussi exécuter des fouilles sur les points où il serait possible de rencontrer des monuments historiques de divers genres: ceux des objets trouvés et qui mériteraient quelque attention seraient emportés pour être placés au Musée royal du Louvre, si ces objets étaient d'ancien style égyptien, et au Cabinet des antiques de la Bibliothèque royale, si ces objets étaient des médailles et des pierres gravées, ou autres monuments de style grec ou romain. Les statues grecques ou romaines appartiendraient aussi au Musée des antiques du Louvre.
17° On pourrait faire également, à Thèbes et dans toutes les autres parties de l'Égypte, des achats d'objets intéressants pour les collections royales; on pourrait compléter ainsi avec avantage les diverses séries de monuments antiques qui existent dans ces établissements.
18° On désire depuis longtemps que des personnes instruites dans les langues orientales visitent les couvents de la vallée des lacs de Natron et de la Haute-Égypte, et examinent les livres coptes ou autres que renferment les bibliothèques des moines chrétiens, lesquelles peuvent contenir des ouvrages importants. Cette visite pourrait être faite avec soin pendant le voyage, et il serait facile peut-être d'acquérir des manuscrits intéressants à peu de frais.
19° Quelques voyageurs en Égypte ont parlé d'inscriptions en caractères inconnus, tracées ou gravées sur quelques monuments; on s'attacherait à les recueillir, précisément parce qu'elles sont considérées comme inconnues. Il en serait de même des manuscrits ou inscriptions en phénicien, dont il n'existe encore qu'un très-petit nombre en Europe, ainsi que des inscriptions en caractères persépolitains ou cunéiformes, dont l'alphabet n'est pas encore entièrement connu, quoique les monuments où ils sont employés ne soient pas très-rares. La découverte des hiéroglyphes phonétiques a concouru à accroître cet alphabet au moyen d'une courte inscription en caractères cunéiformes et en caractères égyptiens. On peut en trouver d'autres, qui seraient soigneusement copiées.
20° Il manque à la Bibliothèque du Roi quelques-uns des plus utiles ouvrages de la littérature arabe. On aurait peut-être l'occasion de les acquérir à un prix convenable.
Tels sont le but, le plan et les motifs d'un voyage en Égypte.
Pour l'exécuter, M. Champollion n'attend plus que les ordres du Roi.
LETTRES
ÉCRITES PENDANT LE VOYAGE DE PARIS A ALEXANDRIE
Lyon, le 18 juillet 1828.
Me voici arrivé à Lyon en très-bonne santé. J'ai trouvé notre ami M. Artaud prêt à me recevoir, et je me suis établi dans son musée.
J'ai trouvé dans celui de la ville, entre autres morceaux curieux, une statuette en bronze, de 7 pouces de hauteur, représentant le dieu Nil, morceau d'un excellent travail. Je la fais dessiner pour mon Panthéon: c'est, jusqu'ici, une chose unique et que je suis bien aise d'avoir rencontrée.
M. Artaud a écrit aujourd'hui à M. Sallier d'Aix, pour l'informer de mon prochain passage par cette ville. Je m'attends donc à faire une bonne récolte dans cette nombreuse collection, et j'y consacrerai deux jours s'il le faut.
Je suis arrivé ici hier au soir en parfaite santé et après un voyage moins pénible que la saison d'été et le ciel de Provence ne pouvaient le faire supposer. Partis d'Aix à trois heures du matin, nous étions à Toulon sur les six heures du soir; je me suis à peine aperçu de la chaleur pendant la route, grâce aux fourrures en laine dont je suis couvert; ce qui me fait croire que le proverbe vulgaire: Qui pare le froid pare le chaud, doit être émané comme tant d'autres de la sagesse des nations.
Il m'a été impossible d'écrire d'Aix comme j'en avais le projet: le cabinet de M. Sallier m'a occupé pendant les deux jours que j'ai passés dans cette vieille ville. J'y ai trouvé quelques pièces importantes que j'ai copiées ou fait dessiner. Ce ne fut que le soir du second jour que M. Sallier me mit dans les mains un paquet de papyrus égyptiens non funéraires, dans lequel j'ai trouvé: 1° un long papyrus en fort mauvais état, qui m'a paru renfermer des observations astrologiques, le tout en belle écriture hiératique; 2° deux rouleaux contenant des espèces d'odes ou litanies à la louange d'un Pharaon; 3° un rouleau dont les premières pages manquent, mais qui contient les louanges et les exploits de Rhamsès-Sésostris en style biblique, c'est-à-dire sous la forme d'une ode dialoguée, entre les dieux et le roi.
Cette affaire-ci est de la plus haute importance, et le peu de temps que j'ai donné à son examen m'a convaincu que c'est un vrai trésor historique. J'en ai tiré les noms d'une quinzaine de nations vaincues, parmi lesquelles sont spécialement nommés les Ioniens, Iouni, Iavani, et les Lyciens, Louka, ou Louki; plus les Éthiopiens, les Arabes, etc. Il est parlé de leurs chefs emmenés en captivité, et des impositions que ces pays ont supportées. Ce manuscrit a pleinement justifié mon idée sur le groupe qui qualifie les noms de pays étrangers, et ceux de personnages en langues étrangères. J'ai relevé avec soin tous ces noms de peuples vaincus, qui, étant parfaitement lisibles et en écriture hiératique, me serviront à reconnaître ces mêmes noms en hiéroglyphes sur les monuments de Thèbes, et à les restituer, s'ils sont effacés en partie.
Cette trouvaille est immense, et ce manuscrit hiératique porte sa date à la dernière page. Il a été écrit (dit le texte) l'an IX, au mois de Paoni, du règne de Rhamsès le Grand. Je me propose d'étudier à fond ce papyrus, à mon retour d'Égypte.
M. Sallier m'a promis de me donner l'empreinte en papier des trois pierres qui portent les fragments du décret romain relatif au prix des denrées et marchandises; je l'aurais faite moi-même, mais, malheureusement, on a rempli en plâtre durci les lettres du texte: on les fera laver et nettoyer.
J'ai reçu la première lettre de Paris, attendue déjà avec impatience. Ma série de numéros ne commencera qu'après l'embarquement, et ma première sera datée des domaines de Neptune, car j'espère que nous rencontrerons en route quelque bâtiment revenant en Europe, et qu'il sera possible de le charger d'un billet pour la France. Mais si par hasard nous sommes seuls sur le grand chemin du monde, vous n'aurez de mes nouvelles que dans deux mois au plus tôt, les départs d'Alexandrie pour France étant extrêmement rares. Notre corvette, destinée à convoyer les bâtiments marchands, ne convoiera personne. On n'ose plus se mettre en mer, non qu'il y ait danger de perte de corps ou de biens, mais parce que le commerce avec l'Égypte est dans un état complet de torpeur; l'Égypte elle-même n'envoie plus de coton. L'amiral m'assure, toutefois, que nos relations avec le pacha sont sur le pied le plus amical. Je vais avoir, du reste, des nouvelles positives sur notre position à l'égard de l'Égypte, car je reçois à l'instant un rendez-vous au lazaret, de la part de M. Léon de Laborde, arrivant d'Alexandrie en trente-trois jours. Il me dira certainement ce qu'il faut craindre ou espérer; le ton de sa lettre est d'ailleurs très-rassurant, et je n'en augure que de bonnes nouvelles.
Nos Parisiens sont arrivés ce matin; et nos Toscans le soir, après un voyage de quinze jours. Ils ont eu toutes les peines du monde à traverser le cordon sanitaire établi à la frontière du Piémont par le roi de Sardaigne, qui, trompé par les exagérations d'un capitaine marchand de Marseille, débarqué à Gênes, s'est imaginé que la peste ravageait la Provence; les régiments ont marché pour occuper tous les débouchés des Alpes, et les lettres et journaux venant de France sont tailladés et passés au vinaigre. Il est connu en Italie que nous mourons ici et à Marseille par centaines: tandis que le temps est superbe, grâce à une brise d'ouest qui rafraîchit l'air et nous jettera en pleine mer en moins d'une heure.
La mer promet d'être excellente. J'ai déjà essayé mon estomac, et je le crois assez bien amariné, ayant couru la rade en barque par une mer assez grosse.
30 juillet.
Il m'a été impossible de voir M. de Laborde; la brise était trop forte pour pouvoir sans danger communiquer avec le lazaret dans une petite embarcation; il m'indique un nouveau rendez-vous pour demain à une heure: mais à cette heure-là, je serai déjà loin de Toulon, puisque notre embarquement aura lieu entre neuf et dix heures du matin. Nos gros effets sont à bord, et nous sommes prêts à dire adieu à la terre ferme. On me fait espérer de toucher en Sicile. J'ai demandé à l'amiral qu'il permît au commandant de nous débarquer quelques heures à Agrigente; cela est accordé. C'est à la mer à nous le permettre maintenant. Si elle est bonne, j'écrirai à l'ombre d'une des colonnes doriques du temple de Jupiter.
Adieu; soyez sans inquiétude, les dieux de l'Égypte veillent sur nous.
En mer, entre la Sardaigne et la Sicile, 3 août 1828.
Je vais essayer d'écrire malgré le mouvement du vaisseau, qui, poussé par un vent à souhait, marche assez rapidement vers la côte occidentale de Sicile, que nous aurons ce soir en vue, selon toute apparence. Jusqu'ici la traversée a été des plus heureuses, et le plus difficile est fait: mon estomac a subi toutes ses épreuves, et je me trouve parfaitement bien maintenant. Le repos forcé dont on jouit sur le bâtiment, et l'impossibilité de s'y occuper avec quelque suite, ont tourné au profit de ma santé, et je me porte à merveille.
Je ne parlerai point des deux jours passés, n'ayant eu sous les yeux que le ciel et la mer. Le tableau, quoique varié par quelques évolutions de marsouins et la lourde apparition de deux cachalots, présenterait trop d'uniformité. La sèche désolation des côtes de Sardaigne, pays bien digne de l'aspect de ses anciens Nuraghes, n'offre rien non plus de bien intéressant.
Je parlerai donc de l'espoir plus attrayant de débarquer au milieu des temples de la vieille Agrigente. Notre commandant nous le promet pour demain au soir, si Éole et Neptune veulent bien nous octroyer cette douceur.
Nous ayons tourné, pendant la nuit, la pointe ouest de la Sardaigne, et couru la côte méridionale, vraie succursale de l'Afrique. Ce matin nous ne voyons encore que le ciel et la mer. Vers le soir, on aperçoit l'île de Maritimo, le point le plus occidental de la Sicile, mais un calme malencontreux nous empêche d'avancer.
Du 5.
Après une nuit passée à louvoyer, nous avons revu Maritimo de bon matin, à deux ou trois lieues de nous. Le vent s'étant enfin levé, le vaisseau a passé devant les îles de Favignana et Levanzo; nous avions en perspective Trapani (Drepanum), l'ancien arsenal de Sicile, et le mont Éryx si vanté dans l'Enéide. L'après-midi, nous avons passé devant Marsalla et salué dévotement ses excellents vignobles: il s'est mêlé à mon salut une teinte fort respectueuse, lorsqu'on a dépassé cette ville qui fut la vieille Lilybée, le principal établissement carthaginois en Sicile. Cette côte méridionale est d'une beauté parfaite.
Du 6.
Je n'ai pu saluer les ruines de Sélinonte, nous les avons rasées de nuit. La côte est ici un peu plus sèche, quoique pittoresque, et d'un ton africain à faire plaisir. On a jeté l'ancre dans la rade d'Agrigente; là sont une foule de monuments grecs que nous désirons visiter et étudier. Mais il est probablement décidé que nous aurons le déboire d'être venus à quatre cents toises de ces temples sans pouvoir même les apercevoir. Nous payons chèrement la sottise du capitaine marseillais qui a répandu à Gênes la nouvelle de la fameuse peste de Marseille. Étant allés au lazaret d'Agrigente avec le commandant, on nous a répondu que des ordres de Palerme, arrivés la veille, défendaient expressément qu'on donnât pratique à aucun bâtiment venu des ports méridionaux de France. J'ai soutenu que Toulon était un port du nord; le bon Sicilien a répondu qu'il le savait très-bien, mais que, n'ayant aucune instruction sur les ports du nord, il ne pouvait nous permettre de débarquer sans l'autorisation de l'intendant de la province d'Agrigente. On nous a promis une réponse pour demain à huit heures; et nous avons regagné la corvette, la mort dans l'âme et sans l'espérance d'admirer le temple de la Concorde. C'est bien là jouer de malheur, et je comprends enfin le supplice de Tantale.
Du 7, à six heures du matin.
Aucune nouvelle de terre ne nous est encore parvenue. Je perds tout espoir. Je vais fermer cette lettre pour l'envoyer dans une heure et demie d'ici à terre, pour tâcher de la faire mettre à la poste à travers toutes les fumigations d'usage. Nous nous portons tous à faire plaisir, bon appétit, l'oeil vif, des teints superbes, et on veut absolument nous traiter en pestiférés! Je rouvrirais ma lettre si j'avais à vous annoncer qu'on nous permet de voir Agrigente autrement qu'à deux milles de distance; je serais si heureux de débarquer au milieu de ces vénérables ruines! Mais je n'ose y compter.
Si nous n'avons pas l'entrée à huit heures, nous mettrons immédiatement à la voile, pour courir sur Malte.
Alexandrie, le 22 août 1828.
Je hasarde ces lignes par un bâtiment toscan qui part demain pour Livourne. Comme il est fort douteux que cette lettre parvienne en France aussitôt que celle dont veut bien se charger notre excellent commandant de l'Eglé, lequel retourne en Europe et met à la voile mardi prochain, je mets un n° 1 provisoire à celle-ci, réservant tous les détails pour la seconde, qui sera le véritable numéro premier.
Je suis arrivé le 18 août dans cette terre d'Égypte, après laquelle je soupirais depuis longtemps. Jusqu'ici elle m'a traité en mère tendre, et j'y conserverai, selon toute apparence, la bonne santé que j'y apporte. J'ai pu boire de l'eau fraîche à discrétion, et cette eau-là est de l'eau du Nil qui nous arrive par le canal nommé Mahmoudiéh en l'honneur du pacha, qui l'a fait creuser.
J'ai pu voir M. Drovetti le soir même de mon arrivée, et là j'ai appris qu'il m'avait écrit et conseillé d'ajourner mon voyage. Depuis la date de cette lettre, heureusement arrivée trop tard à Paris, les choses sont bien changées. Vous devez connaître déjà les conventions pour l'évacuation de la Morée, consenties le 6 juillet par Ibrahim-Pacha et signées il y a une douzaine de jours par le vice-roi Mohammed-Aly. Mon voyage ne rencontrera aucun empêchement; le pacha est informé de mon arrivée, et il a bien voulu me faire dire que j'étais le bienvenu; je lui serai présenté demain ou après-demain au plus tard. Tout se dispose au mieux pour mes travaux futurs; et les Alexandrins sont si bons que j'ai déjà secoué tous les préjugés inspirés par de prétendus historiens.
J'occupe dans le palais du consulat de France un petit appartement délicieux donnant sur le bord de la mer; l'ordre d'exécution de nos projets sur Alexandrie et ses environs est déjà réglé; ils comprennent les obélisques dits de Cléopâtre, dont nous aurons enfin une copie exacte, et ensuite la colonne de Pompée; il faut savoir enfin à quoi s'en tenir sur son inscription dédicatoire, et si elle porte le nom de l'empereur Dioclétien: nous en aurons une bonne empreinte.
Notre jeunesse est émerveillée de ce qu'elle a déjà vu.... A ma prochaine les détails: la série de mes lettres d'observation commencera réellement avec elle....
Adieu.
LETTRES
ÉCRITES
D'ÉGYPTE ET DE NUBIE
EN 1828 ET 1829
PREMIÈRE LETTRE
Alexandrie, du 18 au 29 août 1828.
Ma lettre d'Agrigente contenait mon journal depuis le 31 juillet, jour de notre départ de Toulon sur la corvette du roi l'Églé, commandée par M. Cosmao-Dumanoir, capitaine de frégate, jusqu'au 7 août que nous avons quitté la côte de Sicile après une station de vingt-quatre heures, et sans avoir pu obtenir la pratique du port, vu que, d'après les informations parvenues de bonne source aux autorités siciliennes, nous étions tous en proie à la grande peste qui ravage Marseille, à ce qu'on dit en Italie. J'ai vainement parlementé avec des officiers envoyés par le gouverneur de Girgenti, et qui ne me parlaient qu'en tremblant, à trente pas de distance; nous avons été déclarés bien et dûment pestiférés, et il nous a fallu renoncer à descendre à terre, au milieu des temples grecs les mieux conservés de toute la Sicile. Nous remîmes donc tristement à la voile, courant sur Malte, que nous doublâmes le lendemain 8 août au matin, en passant à une portée de canon des îles Gozzo et Cumino, et de Cité-La-Valette, que nous avons parfaitement vue dans ses détails extérieurs.
C'est après avoir reconnu successivement le plateau de la Cyrénaïque et le cap Rasat, et avoir longé de temps à autre la côte blanche et basse de l'Afrique, sans être trop incommodés par la chaleur, que nous aperçûmes enfin, le 18 au matin, l'emplacement de la vieille Taposiris, nommée aujourd'hui la Tour des Arabes. Nous approchions ainsi du terme de notre navigation, et nos lunettes nous révélaient déjà la colonne de Pompée, toute l'étendue du Port-Vieux d'Alexandrie, la ville même dont l'aspect devenait de plus en plus imposant, et une immense forêt de mâts de bâtiments, au travers desquels se montraient les maisons blanches d'Alexandrie. A l'entrée de la passe, un coup de canon de notre corvette amena à notre bord un pilote arabe qui dirigea la manoeuvre au milieu des brisants, et nous mit en toute sûreté au milieu du Port-Vieux. Nous nous trouvâmes là entourés de vaisseaux français, anglais, égyptiens, turcs et algériens, et le fond de ce tableau, véritable macédoine de peuples, était occupé par les carcasses des bâtiments orientaux échappés aux désastres de Navarin. Tout était en paix autour de nous, et voilà, je pense, une preuve de la puissante influence du vice-roi d'Égypte sur l'esprit de ses Égyptiens.
Nous en avions donc fini avec la mer, dès le 18 à cinq heures du soir: il ne nous restait qu'un seul regret, celui de nous séparer de notre commandant Cosmao-Dumanoir, si recommandable à tous égards, et des autres officiers de la corvette, qui, tous, nous ont comblés de prévenances et de soins, et nous ont procuré par leur instruction tous les charmes de la plus agréable société; mes compagnons et moi n'oublierons jamais tout ce que nous leur devons de reconnaissance.
A peine mouillés dans le port, plusieurs officiers supérieurs des vaisseaux français vinrent à notre bord, et nous donnèrent d'excellentes nouvelles du pays: ils nous apprirent la prochaine évacuation de la Morée par les troupes d'Ibrahim, en conséquence d'une convention récente. On attend dans peu de jours la rentrée de la première division de l'armée égyptienne.
M. le chancelier du consulat-général de France voulut bien aussi venir à notre bord, nous complimenter de la part de M. Drovetti, qui se trouvait heureusement à Alexandrie, ainsi que le vice-roi. Le soir même, à six heures, je me rendis à terre, avec notre brave commandant et mes compagnons de voyage, Rosellini, Bibent, Ricci, et quelques autres: je baisai le sol égyptien en le touchant pour la première fois, après l'avoir si longtemps désiré. A peine débarqués, nous fûmes entourés par des conducteurs d'ânes (ce sont les fiacres du pays), et, montés sur ces nobles coursiers, nous entrâmes dans Alexandrie.
Les descriptions que l'on peut lire de cette ville ne sauraient en donner une idée complète; ce fut pour nous comme une apparition des antipodes, et un monde tout nouveau: des couloirs étroits bordés d'échoppes, encombrés d'hommes de toutes les couleurs, de chiens endormis et de chameaux en chapelet; des cris rauques partant de tous les côtés et se mêlant à la voix glapissante des femmes, ou d'enfants à demi nus; une poussière étouffante, et par-ci par-là quelques seigneurs magnifiquement habillés, maniant habilement de beaux chevaux richement harnachés, voilà ce qu'on nomme une rue d'Alexandrie. Après une demi-heure de course sur nos ânes et une infinité de détours, nous arrivâmes chez M. Drovetti, dont l'accueil empressé mit le comble à toutes nos satisfactions. Surpris toutefois de notre arrivée au milieu des circonstances actuelles, il nous en félicita cependant, et nous donna l'assurance que notre voyage d'exploration ne souffrirait aucune difficulté; son crédit, fruit de sa conduite noble, franche et désintéressée, qui n'a jamais pour objet que le service de notre monarque dont le nom est partout vénéré, et l'honneur de la France, est une garantie suffisante de ces promesses. M. Drovetti ajouta encore à ses prévenances, en m'offrant un logement au palais de France, l'ancien quartier-général de notre armée. J'y ai trouvé un petit appartement très-agréable, c'est celui de Kléber, et ce n'est pas sans de vives émotions que je me suis couché dans l'alcôve où a dormi le vainqueur d'Héliopolis.
Du reste, le souvenir des Français est partout dans Alexandrie, tant notre influence y fut douce et équitable. En arrivant, j'ai entendu battre la retraite par les tambours et les fifres égyptiens sur les mêmes airs qu'à Paris. Toutes les anciennes marches françaises pour la troupe ont été adoptées par le Nizam-Gedid, et de vieux Arabes parlent encore en français. Il y a trois jours, allant de grand matin visiter l'obélisque de Cléopâtre, et au milieu des collines de sables qui couvrent les débris de l'antique Alexandrie, je rencontrai un Arabe aveugle et âgé, conduit par un enfant: j'approchai, et l'aveugle, informé que j'étais Français, me dit aussitôt ces propres mots en me saluant de la main: Bonjour, citoyen; donne-moi quelque chose; je n'ai pas encore déjeuné. Ne pouvant ni ne voulant résister à une telle éloquence, je mets dans la main de l'Arabe tous les sous de France qui me restaient; en les tâtant il s'écria aussitôt: Cela ne passe plus ici, mon ami. Je substituai à cette monnaie française une piastre d'Égypte: Ah! voilà qui est bon, mon ami, ajouta-t-il; je te remercie, citoyen. De telles rencontres dans le désert valent un bon opéra à Paris.
Je suis déjà familiarisé avec les usages et coutumes du pays; le café, la pipe, la siesta, les ânes, la moustache et la chaleur; surtout la sobriété, qui est une véritable vertu à la table de M. Drovetti, où nous nous asseyons tous les jours, mes compagnons de voyage et moi.
J'ai visité tous les monuments des environs; la colonne de Pompée n'a rien de fort extraordinaire; j'y ai trouvé cependant à glaner. Elle repose sur un massif construit de débris antiques, et j'ai reconnu parmi ces débris le cartouche de Psammétichus II. Je n'ai pas négligé l'inscription grecque qui dépend de la colonne, et sur laquelle existent encore quelques incertitudes. Une bonne empreinte en papier les fera cesser, et je serai heureux d'exposer sous les yeux de nos savants cette copie fidèle qui doit les mettre enfin d'accord sur ce monument historique. J'ai visité plus souvent les obélisques de Cléopâtre, toujours au moyen de nos roussins, que les jeunes Arabes nomment un bon cabal (dénomination provençale). De ces deux obélisques, celui qui est debout a été donné au Roi par le pacha d'Égypte, et j'espère qu'on prendra les moyens nécessaires pour faire transporter cet obélisque à Paris. Celui qui est à terre appartient aux Anglais. J'ai déjà copié et fait dessiner sous mes yeux leurs inscriptions hiéroglyphiques. On en aura donc, et pour la première fois, je puis le dire, un dessin exact. Ces deux obélisques, à trois colonnes de caractères sur chaque face, ont été primitivement érigés par le roi Moeris devant le grand temple du Soleil à Héliopolis. Les inscriptions latérales sont de Sésostris, et j'en ai découvert deux autres très-courtes, à la face est, qui sont du successeur de Sésostris. Ainsi, trois époques sont marquées sur ces monuments; le dé antique en granit rosé, sur lequel chacun d'eux avait été placé, existe encore; mais j'ai vérifié, en faisant fouiller par mes Arabes dirigés par notre architecte M. Bibent, que ce dé repose sur un socle de trois marches qui est de fabrique grecque ou romaine.
C'est le 24 août, à huit heures du matin, que nous avons été reçus par le vice-roi. S.A. habite plusieurs belles maisons construites avec beaucoup de soin dans le goût des palais de Constantinople; ces édifices, de belle apparence, sont situés dans l'ancienne île du Phare. Nous nous y sommes rendus en corps, précédés de M. Drovetti, tous habillés au mieux, et les uns dans une calèche attelée de deux beaux chevaux conduits habilement à toute bride dans les rues d'Alexandrie par le cocher de M. Drovetti, et les autres montés sur des ânes escortant la calèche.
Descendus au grand escalier de la salle du divan, nous sommes entrés dans une vaste pièce remplie de fonctionnaires, et nous avons été immédiatement introduits dans une seconde salle, percée à jour: dans un de ses angles, entre deux croisées, était assise S.A., dans un costume fort simple, et tenant dans ses mains une pipe enrichie de diamants. Sa taille est ordinaire, et l'ensemble de sa physionomie a une teinte de gaîté qui surprend dans un personnage occupé de si grandes choses. Ses yeux ont une expression très-vive, et une magnifique barbe blanche couvre sa poitrine. S.A., après avoir demandé de nos nouvelles, a bien voulu nous dire que nous étions les bienvenus, et me questionner ensuite sur le plan de mon voyage. Je l'ai exposé sommairement, et j'ai demandé les firmans nécessaires; ils m'ont été accordés sur-le-champ, avec deux chaouchs du vice-roi, qui nous accompagneront partout. S.A. a ensuite parlé des affaires de la Grèce, et nous a fait part de la nouvelle du jour, qui est la mort d'Ahmed-Pacha, de Patras, livré à des Grecs introduits dans sa chambre par des soldats infidèles soudoyés. Quoique fort âgé, Ahmed s'est vigoureusement défendu, a tué sept de ses assassins, mais a succombé sous le nombre. Le vice-roi nous a fait donner ensuite le café, et nous avons pris congé de S.A., qui nous a accompagnés avec des saluts de main très-bienveillants. C'est encore une grâce de plus dont nous sommes redevables aux bontés inépuisables de M. Drovetti.
La commission toscane, conduite par M. Hip. Rosellini, a été reçue aussi le lendemain, 25 août, par le vice-roi, présentée par M. Rosetti, consul-général de Toscane. Elle a reçu le même accueil, les mêmes promesses et la même protection. L'Égypte, disait S.A., devait être pour nous comme notre pays même; et je suis persuadé que le vice-roi est très-flatté de la confiance que nos gouvernements ont mise dans son caractère, en autorisant notre entreprise dans les circonstances actuelles.
Je compte rester à Alexandrie jusqu'au 12 septembre: ce temps est nécessaire pour nos préparatifs. Les chaleurs du Caire, et une maladie assez bénigne qui y règne, baisseront en attendant. Le Nil haussera en même temps. J'ai déjà bu largement de ses eaux que nous apporte le canal construit par l'ordre du pacha, et nommé pour cela le Mahmoudiéh. Le fleuve sacré est en bon état; l'inondation est assurée pour le pays bas; deux coudées de plus suffiront pour le haut. Nous sommes d'ailleurs ici comme dans une contrée qui serait l'abrégé de l'Europe, bien reçus et fêtés par tous les consuls de l'Occident, qui nous témoignent le plus vif intérêt. Nous avons été tous réunis successivement chez MM. Acerbi, Rosetti, d'Anastazy et Pedemonte, consuls d'Autriche, de Toscane, de Suède et de Sardaigne. J'y ai vu aussi M. Méchain, consul de France à Larnaka en Chypre, très-recommandable sous tous les rapports, et l'un des anciens de l'expédition française en Égypte.
Nous sommes donc au mieux, et nous en rendons journellement des grâces infinies à la protection royale qui nous devance partout, et aux soins inépuisables de M. Drovetti, qui ne se font attendre nulle part.
Je suis rempli de confiance dans les résultats de notre voyage: puissent-ils répondre aux voeux du gouvernement et à ceux de nos amis! Je ne m'épargnerai en rien pour y réussir. J'écrirai de toutes les villes égyptiennes, quoique les bureaux de poste des Pharaons n'y existent plus: je réserverai les détails sur les magnificences de Thèbes pour notre vénérable ami M. Dacier; ils seront peut-être un digne et juste hommage au Nestor des hommes aimables et des hommes instruits. J'ai reçu les lettres de Paris de la fin de juillet par le Nisus, arrivé en onze jours. Adieu.
DEUXIÈME LETTRE
Mon départ pour le Caire est définitivement arrêté pour demain, tous nos préparatifs étant heureusement terminés, ainsi que ce que je puis appeler l'organisation de l'expédition, chacun ayant sa part officielle d'action pour le bien de tous. Le docteur Ricci est chargé de la santé et des vivres; M. Duchesne, de l'arsenal; M. Bibent, des fouilles, ustensiles et engins; M. Lhôte, des finances; M. Gaëtano Rosellini, du mobilier et des bagages, etc. Nous avons avec nous deux domestiques et un cuisinier arabes; deux autres domestiques barabras; mon homme à moi, Soliman, est un Arabe, de belle mine, et dont le service est excellent.
Deux bâtiments à voile nous porteront sur le Nil; l'un est le plus grand maasch du pays, et il a été monté par S.A. Mehemed-Ali: je l'ai nommé l'Isis; l'autre est une dahabié, où cinq personnes logeront assez commodément; j'en ai donné le commandement à M. Duchesne, en survivance du bon docteur Raddi, qui doit nous quitter pour aller à la chasse des papillons dans le désert lybique. Cette dahabié a reçu le nom d'Athyr: nous voguerons ainsi sous les auspices des deux déesses les plus joviales du Panthéon égyptien. D'Alexandrie au Caire, nous ne nous arrêterons qu'à Kérioun, l'ancienne Chereus des Grecs, et à Ssa-el-Hagar, l'antique Saïs. Je dois ces politesses à la patrie du rusé Psammétichus et du brutal Apriès; enfin, je verrai s'il reste quelques débris de Siouph à Saouafé, où naquit Amasis, et à Saïs, quelques traces du collège où Platon et tant d'autres Grecs allèrent à l'école.
Notre santé se soutient, et l'épreuve du climat d'Alexandrie, qui est une ville toute lybique, est d'un très-bon augure. Nous sommes tous enchantés de notre voyage, et heureux d'avoir échappé aux dépêches télégraphiques qui devaient nous retarder. Les circonstances de mauvaise apparence ont toutes tourné pour nous; quelques difficultés inattendues sont aplanies: nous voyageons pour le Roi et pour la science; nous serons heureux partout.
Je viens à l'instant (huit heures du soir) de prendre congé du vice-roi. S.A. a été on ne peut pas plus gracieuse; je l'ai priée d'agréer notre gratitude pour la protection ouverte qu'elle veut bien nous assurer. Le vice-roi a répondu que les princes chrétiens traitant ses sujets avec distinction, la réciprocité était pour lui un devoir. Nous avons parlé hiéroglyphes, et il m'a demandé une traduction des inscriptions des obélisques d'Alexandrie. Je me suis empressé de la lui promettre, et elle lui sera remise demain matin, mise en langue turque par M. le chancelier du consulat de France. S.A. a désiré savoir jusqu'à quel point de la Nubie je pousserai mon voyage, et elle m'a assuré que nous trouverions partout honneurs et protection; je lui ai exprimé ma reconnaissance dans les termes les plus flatteurs, et je puis dire qu'il les repoussait d'une manière fort aimable; ces bons musulmans nous ont traités avec une franchise qui nous charme. Adieu.
TROISIÈME LETTRE
Au Caire, le 27 septembre 1828.
C'est le 14 de ce mois, au matin, que j'ai quitté Alexandrie, après avoir arboré le pavillon de France. Nous avons pris le canal nommé Mahmoudiéh, auquel ont travaillé MM. Coste et Masi; il suit la direction générale de l'ancien canal d'Alexandrie, mais il fait beaucoup moins de détours, et se rend plus directement au Nil, en passant entre le lac Maréotis, à droite, et celui d'Edkou, à gauche. Nous débouchâmes dans le fleuve, le 15 de très-bonne heure, et je conçus dès lors les transports de joie des Arabes d'Occident, lorsque, quittant les sables lybiques d'Alexandrie, ils entrent dans la branche canopique, et sont frappés de la vue des tapis de verdure du Delta, couvert d'arbres de toute espèce, au-dessus desquels s'élèvent les centaines de minarets des nombreux villages qui sont dispersés sur cette terre de prédilection. Ce spectacle est véritablement enchanteur, et la renommée de la fertilité de la campagne d'Égypte n'est point exagérée.
Le fleuve est immense, et les rives en sont délicieuses. Nous fîmes une courte halte à Fouah, où nous arrivâmes à midi. A sept heures et demie du soir, nous dépassâmes Désouk; c'est le lieu où le respectable Salt a expiré il y a quelques mois. Le 16, à six heures du matin, je trouvai, en m'éveillant, le maasch amarré dans le voisinage de Ssa-el-Hagar, où j'avais recommandé d'aborder pour visiter les ruines de Saïs, devant lesquelles je ne pouvais passer sans respect. (Voyez la planche N° 1.)
Nos fusils sur l'épaule, nous gagnâmes le village qui est à une demi-heure du fleuve; nos jeunes artistes chassèrent en chemin, et firent lever deux chacals, qui s'échappèrent à toutes jambes à travers les coups de fusils. Nous nous dirigeâmes sur une grande enceinte que nous apercevions dans la plaine depuis le matin. L'inondation, qui couvrait une partie des terrains, nous força de faire quelques détours, et nous passâmes sur une première nécropole égyptienne, bâtie en briques crues. Sa surface est couverte de débris de poterie, et j'y ramassai quelques fragments de figurines funéraires: la grande enceinte n'était abordable que par une porte forcée tout à fait moderne. Je n'essayerai point de rendre l'impression que j'éprouvai après avoir dépassé cette porte, et en trouvant sous mes yeux des masses énormes de 80 pieds de hauteur, semblables à des rochers déchirés par la foudre ou par des tremblements de terre. Je courus vers le milieu de cette immense circonvallation, et reconnus encore des constructions égyptiennes en briques crues, de 15 pouces de long, 7 de large et 5 d'épaisseur. C'était aussi une nécropole, et cela nous expliqua une chose jusqu'ici assez embarrassante, savoir ce que faisaient de leurs momies les villes situées dans la Basse-Égypte, et loin des montagnes. Cette seconde nécropole de Saïs, dans les débris colossaux de laquelle on reconnaît encore plusieurs étages de petites chambres funéraires (et il devait y en avoir un nombre infini), n'a pas moins de 1400 pieds de longueur, et près de 500 de large. Sur les parois de quelques-unes des chambres, on trouve encore un grand vase de terre cuite, qui servait à renfermer les intestins des morts, et faisait l'office des vases dits canopes. Nous avons reconnu du bitume au fond de l'un d'entre eux.
A droite et à gauche de cette nécropole existent deux monticules, sur l'un desquels nous avons trouvé des débris de granit rose, de granit gris, de beau grès rouge et de marbre blanc, dit de Thèbes. Cette dernière particularité intéressera particulièrement notre ami Dubois, qui a tant travaillé sur les matières employées dans les monuments de l'antiquité; des légendes de Pharaons sont sculptées sur ce marbre blanc, et j'en ai recueilli de beaux échantillons.
Les dimensions de la grande enceinte qui renfermait ces édifices sont vraiment étonnantes. Le parallélogramme, dont les petits côtés n'ont pas moins de 1440 pieds, et les grands 2160, a ainsi plus de 7000 pieds de tour. La hauteur de cette muraille peut être estimée à 80 pieds, et son épaisseur mesurée est de 54 pieds: on pourrait donc y compter les grandes briques par millions.
Cette circonvallation de géant me paraît avoir
renfermé les principaux
édifices sacrés de Saïs. Tous ceux dont il
reste des débris étaient
des nécropoles; et, d'après les indications
fournies par Hérodote,
l'enceinte que j'ai visitée renfermerait les tombeaux d'Apriès
et des
rois saïtes ses ancêtres. De l'autre
côté de ceux-ci serait le
monument funéraire de l'usurpateur Amasis. La partie de
l'enceinte,
vers le Nil, a pu aisément contenir le grand temple de
Néith, la grande
déesse de Saïs; et nous avons donné la chasse
à coups de fusil à des
chouettes, oiseau sacré de Minerve ou Néith, que les
médailles de Saïs
et celles d'Athènes sa fille portent pour armes parlantes. A
quelques
centaines de toises de l'angle voisin de la fausse porte, existent des
collines qui couvrent une troisième nécropole. Elle
était celle des gens
de qualité: on y a déjà fouillé, et j'y ai
vu un énorme sarcophage en
basalte vert, celui d'un gardien des temples sous Psammétichus
II.
M. Rosetti, son possesseur, m'avait permis de l'emporter; mais la
dépense
serait trop considérable, et le monument n'est pas assez
important pour
la risquer. A mon retour en Basse-Égypte, je ferai faire des
fouilles
sur ce point-là et sur quelques autres, si l'état des
fonds me le
permet. Cette dernière remarque est importante; avec peu de
fonds on
peut faire beaucoup, et je serais affligé de quitter ce pays
sans avoir
pu assurer, à peu de frais, l'acquisition de monuments de choix,
les
plus propres à enrichir nos collections royales et à
éclairer les
travaux historiques de nos savants. J'ai l'espoir qu'on voudra bien
m'aider pour l'accomplissement de ces vues d'une utilité
incontestable.
Cette première visite à Saïs ne sera pas la dernière; je quittai ce lieu, à six heures du soir. Le lendemain, 17 septembre, nous passâmes devant Schabour. Le 18, à neuf heures du matin, nous fîmes halte à Nader, où des Almèh nous donnèrent un concert vocal et instrumental, suivi des gambades et des chants grotesques habituels aux baladins. A midi et demi, nous étions devant Tharranéh, où je vis des monticules de natron, transportés des lacs qui le produisent. Le soir, nous dépassâmes Mit-Salaméh, triste village assis dans le désert libyque; et, faute de vent, nous passâmes une partie de la nuit sur la rive verdoyante du Delta, près du village d'Aschmoun. Le 19 au matin, nous vîmes enfin les Pyramides, dont on pouvait déjà apprécier les masses, quoique nous fussions à huit lieues de distance. A une heure trois quarts, nous arrivâmes au sommet du Delta (Bathn-el-Bakarah, le Ventre-de-la-Vache), à l'endroit même où le fleuve se partage en deux branches, celle de Rosette et celle de Damiette. La vue est magnifique, et la largeur du Nil étonnante. A l'occident, les Pyramides s'élèvent au milieu des palmiers; une multitude de barques et de bâtiments se croisent dans tous les sens; à l'orient, le village très-pittoresque de Schoraféh; dans la direction d'Héliopolis: le fond du tableau est occupé par le mont Mokattam, que couronne la citadelle du Caire, et dont la base est cachée par la forêt de minarets de cette grande capitale. A trois heures, nous vîmes le Caire plus distinctement: c'est là que les matelots vinrent nous demander le bakchichs de bonne arrivée. L'orateur était accompagné de deux camarades habillés d'une façon très-bizarre: des bonnets en pain de sucre, bariolés de couleurs tranchantes; des barbes et d'énormes moustaches d'étoupe blanche; des langes étroits, serrant et dessinant toutes les parties de leur corps; et chacun d'eux s'était ajusté d'énormes accessoires en linge blanc fortement tordu. Ce costume, ces insignes et leurs postures grotesques, figuraient au mieux les vieux faunes peints sur les vases grecs d'ancien style. Quelques minutes après, notre maasch donna sur un banc de sable, et fut arrêté tout court; nos matelots se jetèrent au Nil pour le dégager, en se servant du nom d'Allah, et bien plus efficacement de leurs larges et robustes épaules; la plupart de ces mariniers sont des Hercules admirablement taillés, d'une force étonnante, et ressemblant, quand ils sortent du fleuve, à des statues de bronze nouvellement coulées. Ce travail d'une demi-heure suffit pour dégager le bâtiment. Nous passâmes devant Embabéh, et après avoir salué le champ de bataille des Pyramides, nous abordâmes au port de Boulaq, à cinq heures précises. La journée du 20 se passa en préparatifs de départ pour le Caire, et plusieurs convois d'ânes et de chameaux transportèrent en ville nos lits, malles et effets, pour meubler la maison que j'avais fait louer d'avance. A 5 heures du soir, suivi de ma caravane, et enfourchant nos ânes, bien plus beaux que ceux d'Alexandrie, je partis pour le Caire. Le janissaire du consulat ouvrait la marche, le drogman était avec moi, et toute la jeunesse paradait à ma suite: je m'aperçus que cela ne déplaisait nullement aux Arabes, qui criaient: Fransaouï (Français) avec une certaine satisfaction.
Nous arrivions au Caire au bon moment; ce jour-là et le lendemain étaient ceux de la fête que les musulmans célébraient pour la naissance du Prophète. La grande et importante place d'Ezbékiéh, dont l'inondation occupe le milieu, était couverte de monde entourant les baladins, les danseuses, les chanteuses, et de très-belles tentes sous lesquelles on pratiquait des actes de dévotion. Ici, des musulmans assis lisaient en cadence des chapitres du Coran; là, trois cents dévots, rangés en lignes parallèles, assis, mouvant incessamment le haut de leur corps en avant et en arrière comme des poupées à charnière, chantaient en choeur, Là Ilâh ill Allâh (Il n'y a point d'autre dieu que Dieu); plus loin, cinq cents énergumènes, debout, rangés circulairement et se sentant les coudes, sautaient en cadence, et poussaient, du fond de leur poitrine épuisée, le nom d'Allah, mille fois répété, mais d'un ton si sourd, si caverneux, que je n'ai entendu de ma vie un choeur plus infernal; cet effroyable bourdonnement semblait sortir des profondeurs du Tartare. A côté de ces religieuses démonstrations, circulaient les musiciens et les filles de joie; des jeux de bague, des escarpolettes de tout genre étaient en pleine activité: ce mélange de jeux profanes et de pratiques religieuses, joint à l'étrangeté des figures et à l'extrême variété des costumes, formait un spectacle infiniment curieux, et que je n'oublierai jamais. En quittant la place, nous traversâmes une partie de la ville pour gagner notre logement.
On a dit beaucoup de mal du Caire: pour moi, je m'y trouve fort bien; et ces rues de 8 à 10 pieds de largeur, si décriées, me paraissent parfaitement bien calculées pour éviter la trop grande chaleur. Sans être pavées, elles sont d'une propreté fort remarquable. Le Caire est une ville tout à fait monumentale; la plus grande partie des maisons est en pierre, et à chaque instant on y remarque des portes sculptées dans le goût arabe; une multitude de mosquées, plus élégantes les unes que les autres, couvertes d'arabesques du meilleur goût, et ornées de minarets admirables de richesse et de grâce, donnent à cette capitale un aspect imposant et très-varié. Je l'ai parcourue dans tous les sens, et je découvre chaque jour de nouveaux édifices que je n'avais pas encore soupçonnés. Grâces à la dynastie des Thouloumides, aux califes Fathimites, aux sultans Ayoubites et aux mamelouks Baharites, le Caire est encore une ville des Mille et une Nuits, quoique la barbarie ait détruit ou laissé détruire en très-grande partie les délicieux produits des arts et de la civilisation arabes. J'ai fait mes premières dévotions dans la mosquée de Thouloum, édifice du IXe siècle, modèle d'élégance et de grandeur, que je ne puis assez admirer, quoique à moitié ruiné. Pendant que j'en considérais la porte, un vieux cheïk me fit proposer d'entrer dans la mosquée: j'acceptai avec empressement, et, franchissant lestement la première porte, on m'arrêta tout court à la seconde: il fallait entrer dans le lieu saint sans chaussure; j'avais des bottes, mais j'étais sans bas; la difficulté était pressante. Je quitte mes bottes, j'emprunte un mouchoir à mon janissaire pour envelopper mon pied droit, un autre mouchoir à mon domestique nubien Mohammed, pour mon pied gauche, et me voilà sur le parquet en marbre de l'enceinte sacrée; c'est sans contredit le plus beau monument arabe qui reste en Égypte. La délicatesse des sculptures est incroyable, et cette suite de portiques en arcades est d'un effet charmant. Je ne parlerai ici ni des autres mosquées, ni des tombeaux des califes et des sultans mamelouks, qui forment autour du Caire une seconde ville plus magnifique encore que la première; cela me mènerait trop loin, et c'en est assez de la vieille Égypte, sans m'occuper de la nouvelle.
Lundi 22 septembre, je montai à la citadelle du Caire, pour rendre visite à Habid-Effendi, gouverneur, et l'un des hommes les plus estimés par le vice-roi. Il me reçut fort agréablement, causa beaucoup avec moi sur les monuments de la Haute-Égypte, et me donna quelques conseils pour les étudier plus à l'aise. En sortant de chez le gouverneur, je parcourus la citadelle, et je trouvai d'abord des blocs énormes de grès, portant un bas-relief où est figuré le roi Psammétichus II, faisant la dédicace d'un propylon: je l'ai fait copier avec soin. D'autres blocs épars, et qui ont appartenu au même monument de Memphis d'où ces pierres ont été apportées, m'ont offert une particularité fort curieuse. Chacune de ces pierres, parfaitement dressées et taillées, porte une marque constatant sous quel roi le bloc a été tiré de la carrière; la légende royale, accompagnée d'un titre qui fait connaître la destination du bloc pour Memphis, est gravée dans une aire carrée et creuse. J'ai recueilli sur divers blocs les marques de trois rois: Psammétichus II, Apriès, son fils, et Amasis, successeur de ce dernier: ces trois légendes nous donnent donc la durée de la construction de l'édifice dont ces blocs faisaient partie. Un peu plus loin sont les ruines du palais royal du fameux Salahh-Eddin (le sultan Saladin), le chef de la dynastie des Ayoubites; un incendie a dévoré les toits, il y a quatre ans, et, depuis quelques mois, on démolit parfois ce qui reste de ce grand et beau monument: j'ai pu reconnaître une salle carrée, la principale du palais. Plus de trente colonnes de granit rosé, portant encore les traces de la dorure épaisse qui couvrait leur fût, sont debout, et leurs énormes chapiteaux de sculpture arabe, imitation grossière de vieux chapiteaux égyptiens, sont entassés sur les décombres. Ces chapiteaux, que les Arabes avaient ajoutés à ces colonnes grecques ou romaines, sont tirés de blocs de granit enlevés aux ruines de Memphis, et la plupart portent encore des traces de sculptures hiéroglyphiques: j'ai même trouvé sur l'un d'entre eux, à la partie qui joignait le fût à la colonne, un bas-relief représentant le roi Nectanèbe, faisant une offrande aux dieux. Dans une de mes courses à la citadelle, où je suis allé plusieurs fois pour faire dessiner les débris égyptiens, j'ai visité le fameux puits de Joseph, c'est-à-dire le puits que le grand Saladin (Salahh-Eddin-Joussouf) a fait creuser dans la citadelle, non loin de son palais; c'est un grand ouvrage. J'ai vu aussi la ménagerie du pacha, consistant en un lion, deux tigres et un éléphant; je suis arrivé trop tard pour voir l'hippopotame vivant: la pauvre bête venait de mourir d'un coup de soleil, pris en faisant sa sieste sans précaution; mais j'en ai vu la peau empaillée à la turque, et pendue au-dessus de la porte principale de la citadelle. J'ai visité avant-hier Mahammed-Bey, defterdar (trésorier) du pacha. Il m'a fait montrer la maison qu'il construit à Boulaq sur le Nil, et dans les murailles de laquelle il a fait encastrer, comme ornement, d'assez beaux bas-reliefs égyptiens, venant de Sakkarah; c'est un pas fort remarquable, fait par un des ministres du pacha, assez renommé pour son opposition à la réforme.
J'ai trouvé ici notre agent consulaire, M. Derche, malade, et, parmi les étrangers, lord Prudhoe, M. Burton et le major Félix, Anglais, qui s'occupent beaucoup d'hiéroglyphes, et qui me comblent de bontés. Je n'ai encore fait aucune acquisition; je présume que notre arrivée a fait hausser le prix des antiquités; mais cela ne peut durer longtemps. Je pars demain ou après pour Memphis; je ne reviendrai pas au Caire cette année; nous débarquerons près de Mit-Rahinéh (le centre des ruines de la vieille ville), où je m'établirai; je pousserai de là des reconnaissances sur Sakkarah, Dahschour et toute la plaine de Memphis, jusqu'aux grandes pyramides de Giséh, d'où j'espère dater ma prochaine lettre. Après avoir couru le sol de la seconde capitale égyptienne, je mets le cap sur Thèbes, où je serai vers la fin d'octobre, après m'être arrêté quelques heures à Abydos et à Dendérah. Ma santé est toujours excellente et meilleure qu'en Europe; il est vrai que je suis un homme tout nouveau: ma tête rasée est couverte d'un énorme turban; je suis complètement habillé à la turque, une belle moustache couvre ma bouche, et un large cimeterre pend à mon côté; ce costume est très-chaud, et c'est justement ce qui convient en Égypte; on y sue à plaisir et l'on s'y porte de même. Les Arabes me prennent partout pour un naturel; dans peu je pourrai joindre l'illusion de la parole à celle des habits; je débrouille mon arabe, et à force de jargonner, on ne me prendra plus pour un débutant. J'ai déjà recueilli des coquilles du Nil pour M. de Férussac ... J'attends impatiemment des lettres de Paris ... Adieu.
QUATRIÈME LETTRE
Sakkarah, le 5 octobre 1828.
Nous sommes restés au Caire jusqu'au 30 septembre, et le soir du même jour nous avons couché dans notre maasch, afin de mettre à la voile le lendemain de bonne heure pour gagner l'ancien emplacement de Memphis. Le 1er octobre, nous passâmes la nuit devant le village de Massarah, sur la rive orientale du Nil, et le lendemain, à six heures du matin, nous courûmes la plaine pour atteindre de grandes carrières que je voulais visiter, parce que Memphis, sise sur la rive opposée, et précisément en face, doit être sortie de leurs vastes flancs. La journée fut excessivement pénible; mais je visitai presque une à une toutes les cavernes dont le penchant de la montagne de Thorrah est criblé. J'ai constaté que ces carrières de beau calcaire blanc ont été exploitées à toutes les époques, et j'ai trouvé: 1° une inscription datée du mois de Paophi de l'an IV de l'empereur Auguste; 2° une seconde inscription de l'an VII, même mois, d'un Ptolémée, qui doit être Soter Ier, puisqu'il n'y a pas de surnom; 3° une inscription de l'an II du roi Acoris, l'un des insurgés contre les Perses; enfin, deux de ces carrières et les plus vastes ont été ouvertes l'an XXII du roi Amosis, le père de la dix-huitième dynastie, comme portent textuellement deux belles stèles sculptées à même dans le roc, à côté des deux entrées. Ces mêmes stèles indiquent aussi que les pierres de cette carrière ont été employées aux constructions des temples de Phtha, d'Apis et d'Ammon, à Memphis, et cette indication donne la date de ces mêmes temples bien connus de l'antiquité. J'ai trouvé aussi, dans une autre carrière, pour l'époque pharaonique, deux monolithes tracés à l'encre rouge sur les parois, avec une finesse extrême et une admirable sûreté de main: la corniche de l'un de ces monolithes, qui n'ont été que mis en projet, sans commencement d'exécution, porte le prénom et le nom propre de Psammétichus Ier. Ainsi, les carrières de la montagne arabique, entre Thorrah et Massarah, ont été exploitées sous les Pharaons, les Perses, les Lagides, les Romains et dans les temps modernes; j'ajoute que cela tient à leur voisinage des capitales successives de l'Égypte, Memphis, Fosthat et le Caire. Rentrés le soir dans nos vaisseaux, comme les Grecs venant de livrer un assaut à la ville de Troie, mais plus heureux qu'eux, puisque nous emportions quelque butin, je fis mettre à la voile pour Bédréchéin, village situé à peu de distance, sur le bord occidental du Nil. Le lendemain, de bonne heure, nous partîmes pour l'immense bois de dattiers qui couvre l'emplacement de Memphis; passé le village de Bédréchéin, qui est à un quart d'heure dans les terres, on s'aperçoit qu'on foule le sol antique d'une grande cité, aux blocs de granit dispersés dans la plaine, et à ceux qui déchirent le terrain et se font encore jour à travers les sables, qui ne tarderont pas à les recouvrir pour jamais. Entre ce village et celui de Mit-Rahinéh, s'élèvent deux longues collines parallèles, qui m'ont paru être les éboulements d'une enceinte immense, construite en briques crues comme celle de Saïs, et renfermant jadis les principaux édifices sacrés de Memphis. C'est dans l'intérieur de cette enceinte que nous avons vu le grand colosse exhumé par M. Caviglia. Il me tardait d'examiner ce monument, dont j'avais beaucoup entendu parler, et j'avoue que je fus agréablement surpris de trouver un magnifique morceau de sculpture égyptienne. Le colosse, dont une partie des jambes a disparu, n'a pas moins de trente-quatre pieds et demi de long. Il est tombé la face contre terre, ce qui a conservé le visage parfaitement intact. Sa physionomie suffit pour me le faire reconnaître comme une statue de Sésostris, car c'est en grand le portrait le plus fidèle du beau Sésostris de Turin; les inscriptions des bras, du pectoral et de la ceinture, confirmèrent mon idée, et il n'est plus douteux qu'il existe, à Turin et à Memphis, deux portraits du plus grand des Pharaons. J'ai fait dessiner cette tête avec un soin extrême, et relever toutes les légendes. Ce colosse n'était point seul; et si j'obtiens des fonds spéciaux pour des fouilles en grand à Memphis, je puis répondre, en moins de trois mois, de peupler le Musée du Louvre de statues des plus riches matières et du plus grand intérêt pour l'histoire. Ce colosse, devant lequel sont de grandes substructions calcaires, était, selon toute apparence, placé devant une grande porte et devait avoir des pendants: j'ai fait faire quelques fouilles pour m'en assurer, mais le temps me manquera. Un peu plus loin et sur le même axe, existent encore de petits colosses du même Pharaon, en granit rosé, mais en fort mauvais état. C'était encore une porte.
Au nord du colosse exista un temple de Vénus (Hathôr), construit en calcaire blanc, et hors de la grande enceinte, du côté de l'orient: j'ai continué des fouilles commencées par Caviglia; le résultat a été de constater dans cet endroit même l'existence d'un temple orné de colonnes-pilastres accouplées et en granit rosé, et dédié à Phtha et à Hathôr (Vulcain et Vénus), les deux grandes divinités de Memphis, par Rhamsès le Grand. L'enceinte principale renfermait aussi, du côté de l'est, une vaste nécropole semblable à celle que j'ai reconnue à Saïs.
C'est le 4 octobre que je suis venu camper à Sakkarah, car nous sommes sous la tente; une d'elles est occupée par nos domestiques; tous les soirs, sept ou huit Bédouins choisis d'avance font la garde de nuit et les commissions le jour; ce sont de braves et excellentes gens, quand on les traite en hommes.
J'ai visité ici, à Sakkarah, la plaine des momies, l'ancien cimetière de Memphis, parsemé de pyramides et de tombeaux violés. Cette localité, grâce à la rapace barbarie des marchands d'antiquités, est presque tout à fait nulle pour l'étude: les tombeaux ornés de sculptures sont, pour la plupart, dévastés, ou recomblés après avoir été pillés. Ce désert est affreux; il est formé par une suite de petits monticules de sable produits des fouilles et des bouleversements, le tout parsemé d'ossements humains, débris des vieilles générations. Deux tombeaux seuls ont attiré notre attention, et m'ont dédommagé du triste aspect de ce champ de désolation. J'ai trouvé, dans l'un d'eux, une série d'oiseaux sculptés sur les parois, et accompagnés de leurs noms en hiéroglyphes; cinq espèces de gazelles avec leurs noms; et enfin quelques scènes domestiques, telles que l'action de traire le lait, deux cuisiniers exerçant leur art, etc. Nos portefeuilles se grossissent du fruit de ces découvertes ... Adieu.
CINQUIÈME LETTRE
J'ai transporté mon camp et mes pénates à l'ombre des grandes pyramides, depuis hier que, quittant Sakkarah pour visiter l'une des merveilles du monde, sept chameaux et vingt ânes ont transporté nous et nos bagages à travers le désert qui sépare les pyramides méridionales de celles de Gizéh, les plus célèbres de toutes, et qu'il me fallait voir enfin avant de partir pour la Haute-Égypte. Ces merveilles ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on a une idée juste de leur masse et de leur immensité. Il y a peu à faire ici, et lorsqu'on aura copié des scènes de la vie domestique, sculptées dans un tombeau voisin de la deuxième pyramide, je regagnerai nos embarcations, qui viendront nous prendre à Gizéh, et nous cinglerons à force de voiles pour la Haute-Égypte, mon véritable quartier-général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard.
Sauf un peu de fatigue de la journée d'hier, nous nous portons fort bien. Mais point encore de nouvelles d'Europe!..... Adieu.
SIXIEME LETTRE
A Béni-Hassau, le 5; et à Monfaloutli, le 8 novembre 1828.
Je comptais être à Thèbes le 1er novembre; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni-Hassan. C'est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expédier ces grottes en une journée; mais elles en ont pris quinze, sans que j'en éprouve le moindre regret; je vais reprendre mon récit de plus haut.
Ma dernière lettre était datée des grandes pyramides, où je suis, resté campé trois jours, non pour ces masses énormes et de si peu d'effet lorsqu'on les voit de près, mais pour l'examen et le dépouillement des grottes sépulcrales creusées dans le voisinage. Une, entre autres, celle d'un certain Eimaï, nous a fourni une série de bas-reliefs très-curieux pour la connaissance des arts et métiers de l'ancienne Égypte, et je dois donner un soin très-particulier à la recherche des monuments de ce genre, qui sont aussi bien de l'histoire que les grands tableaux de bataille des palais de Thèbes. J'ai trouvé autour des pyramides plusieurs tombeaux de princes (fils de rois) et de grands personnages, mais peu d'inscriptions d'un très-grand intérêt.
Je quittai les pyramides le 11 octobre, pour revenir sur mes pas et gagner notre ancien campement de Sakkarah, à travers le désert, et de là notre flotte, mouillée à Bédréchéin, où nous arrivâmes le soir même, grâce à nos infatigables baudets et aux chameaux qui portaient tout notre bagage. Nous mîmes à la voile pour la Haute-Égypte, et ce ne fut que le 20 octobre, après avoir éprouvé tout l'ennui du calme plat et du manque total de vent du nord, que nous arrivâmes à Miniéh, d'où je fis partir tout de suite, après une visite à la filature de coton, montée en machines européennes, et après l'achat de quelques provisions indispensables. On se dirigea sur Saouadéh pour voir un hypogée grec d'ordre dorique, déjà décrit. De là nous cinglâmes vers Zaouyet-el-Maiétin, où nous fûmes rendus le 20 même au soir; là existent quelques hypogées décorés de bas-reliefs relatifs à la vie domestique et civile; j'ai fait copier tout ce qu'il y avait d'intéressant, et nous ne les quittâmes que le 23 au soir, pour courir à Béni-Hassan à la faveur d'une bourrasque, à laquelle nous dûmes d'y arriver le même jour vers minuit.
A l'aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs, visiter les grottes voisines, rapportèrent qu'il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu'elles étaient mouillées avec une éponge, et qu'on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à nos compagnons. Dès ce moment on se mit à l'ouvrage, et par la vertu de nos échelles et de l'admirable éponge, la plus belle conquête que l'industrie humaine ait pu faire, nous vîmes se dérouler à nos yeux la plus ancienne série de peintures qu'on puisse imaginer, toutes relatives à la vie civile, aux arts et métiers, et ce qui était neuf, à la caste militaire. J'ai fait, dans les deux premiers hypogées, une moisson immense, et cependant une moisson plus riche nous attendait dans les deux tombes les plus reculées vers le nord; ces deux hypogées, dont l'architecture et quelques détails intérieurs ont été mal reproduits, offrent cela de particulier (ainsi que plusieurs petits tombeaux voisins), que la porte de l'hypogée est précédée d'un portique taillé à jour dans le roc, et formé de colonnes qui ressemblent, à s'y méprendre à la première vue, au dorique grec de Sicile et d'Italie. Elles sont cannelées, à base arrondie, et presque toutes d'une belle proportion. L'intérieur des deux derniers hypogées était ou est encore soutenu par des colonnes semblables: nous y avons tous vu le véritable type du vieux dorique grec, et je l'affirme sans craindre d'établir mon opinion sur des monuments du temps romain, car ces deux hypogées, les plus beaux de tous, portent leur date et appartiennent au règne d'Osortasen, deuxième roi de la XXIIIe dynastie (Tanite), et par conséquent remontent au IXe siècle avant J.-C. J'ajouterai que le plus beau des deux portiques, encore intact, celui de l'hypogée d'un chef administrateur des terres orientales de l'Heptanomide, nommé Néhôthph, est composé de ces colonnes doriques SANS BASE, comme celles de Paestum et de tous les beaux temples grecs-doriques.
Les peintures du tombeau de Néhôthph sont de véritables gouaches, d'une finesse et d'une beauté de dessin fort remarquables: c'est ce que j'ai vu de plus beau jusqu'ici en Égypte; les animaux, quadrupèdes, oiseaux et poissons, y sont peints avec tant de finesse et de vérité, que les copies coloriées que j'en ai fait prendre ressemblent aux gravures coloriées de nos beaux ouvrages d'histoire naturelle: nous aurons besoin de l'affirmation des quatorze témoins qui les ont vues, pour qu'on croie en Europe à la fidélité de nos dessins, qui sont d'une exactitude parfaite.
C'est dans ce même hypogée que j'ai trouvé un tableau du plus haut intérêt: il représente quinze prisonniers, hommes, femmes ou enfants, pris par un des fils de Néhôthph, et présentés à ce chef par un scribe royal, qui offre en même temps une feuille de papyrus, sur laquelle est relatée la date de la prise, et le nombre des captifs, qui était de trente-sept. Ces captifs, grands et d'une physionomie toute particulière, à nez aquilin pour la plupart, étaient blancs comparativement aux Égyptiens, puisqu'on a peint leurs chairs en jaune-roux pour imiter ce que nous nommons la couleur de chair. Les hommes et les femmes sont habillés d'étoffes très-riches, peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques de dames grecques sur les vases grecs du vieux style: la tunique, la coiffure et la chaussure des femmes captives peintes à Béni-Hassan ressemblent à celles des Grecques des vieux vases, et j'ai retrouvé sur la robe d'une d'elles l'ornement enroulé si connu sous le nom de grecque, peint en rouge, bleu et noir, et tracé verticalement. Ces détails piqueront la curiosité et réveilleront l'intérêt de nos archéologues et celui de notre ami M. Dubois, que j'ai regretté, ici plus qu'ailleurs, de n'avoir pas à mes côtés, parce que notre opinion sur l'avancement de l'art en Égypte y trouve des preuves archi-authentiques. Les hommes captifs, à barbe pointue, sont armés d'arcs et de lances, et l'un d'entre eux tient en main une lyre grecque de vieux style. Sont-ce des Grecs? Je le crois fermement, mais des Grecs ioniens, ou un peuple d'Asie Mineure, voisin des colonies ioniennes et participant de leurs moeurs et de leurs habitudes: ce serait une chose bien curieuse que des Grecs du IXe siècle avant J.-C., peints avec fidélité par des mains égyptiennes. J'ai fait copier ce long tableau en couleur avec une exactitude toute particulière: pas un coup de pinceau qui ne soit dans l'original.
Les quinze jours passés à Béni-Hassan ont été monotones, mais fructueux: au lever du soleil, nous montions aux hypogées dessiner, colorier et écrire, en donnant une heure au plus à un modeste repas, qu'on nous apportait des barques, pris à terre sur le sable, dans la grande salle de l'hypogée, d'où nous apercevions, à travers les colonnes en dorique primitif, les magnifiques plaines de l'Heptanomide; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donnait seul le signal du repos; on regagnait la barque pour souper, se coucher et recommencer le lendemain.
Cette vie de tombeaux a eu pour résultat un portefeuille de dessins parfaitement faits et d'une exactitude complète, qui s'élèvent déjà à plus de trois cents. J'ose dire qu'avec ces seules richesses, mon voyage d'Égypte serait déjà bien rempli, à l'architecture près, dont je ne m'occupe que dans les lieux qui n'ont pas été visités ou connus. Voici un petit crayon de mes conquêtes: cette note sera divisée par matières, alphabétiquement rangées comme l'est mon portefeuille pendant le voyage, afin d'avoir sous la main les dessins déjà faits, et de pouvoir les comparer vite avec les monuments nouveaux du même genre.
1° AGRICULTURE.—Dessins représentant le labourage avec les boeufs ou à bras d'hommes; le semage, le foulage des terres par les béliers, et non par les porcs, comme le dit Hérodote; cinq sortes de charrues; le piochage, la moisson du blé; la moisson du lin; la mise en gerbes de ces deux espèces de plantes; la mise en meule, le battage, le mesurage, le dépôt en grenier; deux dessins de grands greniers sur des plans différents; le lin transporté par des ânes; une foule d'autres travaux agricoles, et entre autres la récolte du lotus; la culture de la vigne, la vendange, son transport, l'égrenage, le pressoir de deux espèces, l'un à force de bras et l'autre à mécanique, la mise en bouteilles ou jarres, et le transport à la cave; la fabrication du vin cuit, etc.; la culture du jardin, la cueillette des bamieh, des figues, etc.; la culture de l'ognon, l'arrosage, etc.; le tout, comme tous les tableaux suivants, avec légendes hiéroglyphiques explicatives; plus l'intendant de la maison des champs et ses secrétaires.
2° ARTS ET MÉTIERS.—Collection de tableaux, pour la plupart coloriés, afin de bien déterminer la nature des objets, et représentant: le sculpteur en pierre, le sculpteur sur bois, le peintre de statues, le peintre d'objets d'architecture; meubles et menuiserie; le peintre peignant un tableau, avec son chevalet; des scribes et commis aux écritures de toute espèce; les ouvriers des carrières transportant des blocs de pierre; l'art du potier avec toutes les opérations; les marcheurs pétrissant la terre avec les pieds, d'autres avec les mains; la mise de l'argile en cône, le cône placé sur le tour; le potier faisant la panse, le goulot du vase, etc.; la première cuite au four, la seconde au séchoir, etc.; la coupe du bois; les fabricants de cannes, d'avirons et de rames; le charpentier, le menuisier; le fabricant de meubles; les scieurs de bois; les corroyeurs; le coloriage des cuirs ou maroquins; le cordonnier; la filature; le tissage des toiles à divers métiers; le verrier et toutes ses opérations; l'orfèvre, le bijoutier, le forgeron.
3° CASTE MILITAIRE.—L'éducation de la caste militaire et tous ses exercices gymnastiques, représentés en plus de deux cents tableaux, où sont retracées toutes les poses et attitudes que peuvent prendre deux habiles lutteurs, attaquant, se défendant, reculant, avançant, debout, renversés, etc.; on verra par là si l'art égyptien se contentait de figures de profil, les jambes unies et les bras collés contre les hanches. J'ai copié toute cette curieuse série de militaires nus, luttant ensemble; plus, une soixantaine de figures représentant des soldats de toute arme, de tout rang, la petite guerre, un siège, la tortue et le bélier, les punitions militaires, un champ de bataille, et les préparatifs d'un repas militaire; enfin la fabrication des lances, javelots, arcs, flèches, massues, haches d'armes, etc.
4° CHANT, MUSIQUE ET DANSE.—Un tableau représentant un concert vocal et instrumental; un chanteur, qu'un musicien accompagne sur la harpe, est secondé par deux choeurs, l'un de quatre hommes, l'autre de cinq femmes, et celles-ci battent la mesure avec leurs mains: c'est un opéra tout entier; des joueurs de harpe de tout sexe, des joueurs de flûte traversière, de flageolet, d'une sorte de conque, etc.; des danseurs faisant diverses figures, avec les noms des pas qu'ils dansent; enfin, une collection très-curieuse de dessins représentant les danseuses (ou filles publiques de l'ancienne Égypte), dansant, chantant, jouant à la paume, faisant divers tours de force et d'adresse.
5° Un nombre considérable de dessins représentant l'ÉDUCATION DES BESTIAUX; les bouviers, les boeufs de toute espèce, les vaches, les veaux, le tirage du lait; la fabrication du fromage et du beurre; les chevriers, les gardeurs d'ânes, les bergers et leurs moutons; des scènes relatives à l'art vétérinaire; enfin la basse-cour, comprenant l'éducation d'une foule d'espèces d'oies et de canards, et celle d'une espèce de cigogne qui était domestique dans l'ancienne Égypte.
6° Une première base du recueil ICONOGRAPHIQUE, comprenant les portraits des rois égyptiens et de grands personnages. Ce portefeuille sera complété en Thébaïde.
7º Dessins relatifs aux JEUX, EXERCICES et DIVERTISSEMENTS.—On y remarque la mourre, le jeu de la paille, une sorte de main-chaude, le mail, le jeu de piquets plantés en terre, divers jeux de force; la chasse à la bête fauve, un tableau représentant une grande chasse dans le désert, et où sont figurées quinze à vingt espèces de quadrupèdes; tableaux représentant le retour de la chasse; le gibier est porté mort ou conduit vivant; plusieurs tableaux représentent la chasse des oiseaux au filet; un de ces tableaux est de grande dimension et gouaché avec toutes les couleurs et le faire de l'original; enfin, le dessin en grand des divers piéges pour prendre les oiseaux; ces instruments de chasse sont peints isolément dans quelques hypogées; plusieurs tableaux relatifs à la pêche: 1° la pêche à la ligne; 2° à la ligne avec canne; 3° au trident ou au bident; 4° au filet; plus la préparation des poissons, etc.
8º JUSTICE DOMESTIQUE.—J'ai réuni sous ce titre une quinzaine de dessins de bas-reliefs représentant des délits commis par des domestiques; l'arrestation du prévenu, son accusation, sa défense, son jugement par les intendants de la maison; sa condamnation et l'exécution, qui se borne à la bastonnade, dont procès-verbal est remis, avec le corps du procès, entre les mains du maître par l'intendant de la maison.
9° LE MÉNAGE.—J'ai réuni dans cette série, déjà fort nombreuse, tout ce qui se rapporte à la vie privée ou intérieure. Ces dessins fort curieux représentent: 1° diverses maisons égyptiennes, plus ou moins somptueuses; 2° les vases de diverses formes, ustensiles et meubles, le tout colorié, parce que les couleurs indiquent invariablement la matière; 3° un superbe palanquin; 4° des espèces de chambres à portes battantes, portées sur un traîneau et qui ont servi de voitures aux anciens grands personnages de l'Égypte; 5° les singes, chats et chiens qui faisaient partie de la maison, ainsi que des nains et autres individus mal conformés, qui, 1500 ans et plus avant J.-C., servaient à désopiler la rate des seigneurs égyptiens, aussi bien que, 1500 ans après, celle de nos vieux barons d'Europe; 6° les officiers d'une grande maison, intendants, scribes, etc.; 7° les domestiques portant les provisions de bouche de toute espèce; les servantes apportant aussi divers comestibles; 8° la manière de tuer les boeufs et de les dépecer pour le service de la maison; 9° une suite de dessins représentant des cuisiniers préparant des mets de diverses sortes; 10º enfin, les domestiques portant les mets préparés à la table du maître.
10º MONUMENTS HISTORIQUES.—Ce recueil contient toutes les inscriptions, bas-reliefs et monuments de tout genre portant des légendes royales, avec une date exprimée, que j'ai vus jusqu'ici.
11° MONUMENTS RELIGIEUX.—Toutes les images des différentes divinités, dessinées en grand et coloriées d'après les plus beaux bas-reliefs. Ce recueil s'accroîtra prodigieusement à mesure que j'avancerai dans la Thébaïde.
12° NAVIGATION.—Recueil de dessins représentant la construction des bâtiments et barques de diverses espèces, et les jeux des mariniers, tout à fait analogues aux joûtes qui ont lieu sur la Seine dans les grands jours de fête.
13° Enfin ZOOLOGIE.—Une suite de quadrupèdes, d'oiseaux, de reptiles, d'insectes et de poissons, dessinés et coloriés avec toute fidélité d'après les bas-reliefs peints ou les peintures les mieux conservées. Ce recueil, qui compte déjà près de deux cents individus, est du plus haut intérêt: les oiseaux sont magnifiques, les poissons peints dans la dernière perfection, et on aura par là une idée de ce qu'était un hypogée égyptien un peu soigné. Nous avons déjà recueilli le dessin de plus de quatorze espèces différentes de chiens de garde ou de chasse, depuis le lévrier jusqu'au basset à jambes torses; j'espère que MM. Cuvier et Geoffroi Saint-Hilaire me sauront gré de leur rapporter ainsi l'histoire naturelle égyptienne en aussi bon ordre.
J'espère compléter et étendre dignement ces diverses séries, puisque je n'ai encore vu, pour ainsi dire, aucun monument égyptien; les grands édifices ne commencent en effet qu'à Abydos, et je n'y serai que dans dix jours.
J'ai passé, le coeur serré, en face d'Aschmounéin, en regrettant son magnifique portique détruit tout récemment; hier, Antinoé ne nous a plus montré que des débris; tous ses édifices ont été démolis; il ne reste plus que quelques colonnes de granit, qu'on n'a pu remuer.
Je me suis consolé un peu de la perte de ces monuments, en en retrouvant un fort intéressant et dont personne n'a parlé jusqu'ici. Nous avons reconnu, dans une vallée déserte de la montagne arabique, vis-à-vis Béni-Hassan-el-Aamar, un petit temple creusé dans le roc, dont la décoration, commencée par Thouthmosis IV, a été continuée par Mandoueï de la XVIIIe dynastie; ce temple, orné de beaux bas-reliefs coloriés, est dédié à la déesse Pascht ou Pépascht, qui est la Bubastis des Grecs et la Diane des Romains; les géographes nous ont indiqué à Béni-Hassan la position nommée Speos Artemidos (la Grotte de Diane), et ils ont raison, puisque je viens de retrouver le temple, creusé dans le roc (le spéos de la déesse); et ce monument, qui ne présente en scène que des images de Bubastis, la Diane égyptienne, est cerné par divers hypogées de chats sacrés (l'animal de Bubastis); quelques-uns sont creusés dans le roc, un, entre autres, construit sous le règne d'Alexandre, fils d'Alexandre le Grand. Devant le temple, sous le sable, est un grand banc de momies de chats pliés dans des nattes et entremêlés de quelques chiens; plus loin, entre la vallée et le Nil, dans la plaine déserte, sont deux très-grands entrepôts de momies de chats en paquets, et recouverts de deux pieds de sable.
Cette nuit j'arriverai à Osiouth (Lycopolis), et demain je remettrai cette lettre aux autorités locales pour qu'elle soit envoyée au Caire, de là à Alexandrie, et de là enfin en Europe; puisse-t-elle être mieux dirigée que les vôtres! car je n'ai rien reçu d'Europe depuis mon départ de Toulon. Ma santé se soutient, et j'espère que le bon air de Thèbes m'assurera la continuation de ce bienfait. Adieu.
SEPTIÈME LETTRE
Thèbes, le 24 novembre 1828.
Ma dernière lettre datée de Béni-Hassan, continuée en remontant le Nil et close à Osiouth, a dû en partir du 10 au 12 de ce mois; elle parviendra par Livourne. Dieu veuille qu'elle arrive plus promptement que celles qui, depuis mon départ de France, m'ont été adressées par ceux qui se souviennent de moi! je n'en ai reçu aucune! C'est hier seulement, et par un capitaine de navire anglais qui parcourt l'Égypte, que j'ai appris que le Dr Pariset y était aussi arrivé et qu'il se trouve dans ce moment au Caire: mais je n'en sais pas davantage pour cela sur ma famille. S'il en était autrement, et que je fusse tranquille sur la santé de tous les miens, je serais le plus heureux des hommes; car enfin je suis au centre de la vieille Égypte, et ses plus hautes merveilles sont à quelques toises de ma barque. Voici d'abord la suite de mon itinéraire.
C'est le 10 novembre que je quittai Osiouth, après avoir visité ses hypogées parfaitement décrits par MM. Jollois et Devilliers, dont je reconnais chaque jour à Thèbes l'extrême exactitude. Le 11 au matin nous passâmes devant Qaou-el-Kebir (Antaeopolis), et mon maasch traversa à pleines voiles l'emplacement du temple que le Nil a complètement englouti sans en laisser les moindres vestiges. Quelques ruines d'Akhmin (celles de Panopolis) reçurent ma visite le 12, et je fus assez heureux pour y trouver un bloc sculpté qui m'a donné l'époque du temple, qui est de Ptolémée Philopator, et l'image du dieu Pan, lequel n'est autre chose, comme je l'avais établi d'avance, que l'Ammon générateur de mon Panthéon. L'après-midi et la nuit suivante se passèrent en fêtes, bal, tours de force et concert chez l'un des commandants de la Haute-Égypte, Mohammed-Aga, qui envoya sa cange, ses gens et son cheval pour me ramener, avec tous mes compagnons, à Saouadji, que j'avais quitté le matin, et où il fallut retourner bon gré mal gré pour ne pas désobliger ce brave homme, bon vivant, bon convive, et ne respirant que la joie et les plaisirs. L'air de Marlborough, que nos jeunes gens lui chantèrent en choeur, le fit pâmer de plaisir, et ses musiciens eurent aussitôt l'ordre de l'apprendre. (Voyez l'Extrait de l'Itinéraire et les lettres du mamour, à la fin de ce volume.)
Nous partîmes le 13 au matin, comblés des dons du brave osmanli. A midi, on dépassa Ptolémaïs, où il n'existe plus rien de remarquable. Sur les quatre heures, en longeant le Djebel-el-Asserat, nous aperçûmes les premiers crocodiles; ils étaient quatre, couchés sur un îlot de sable, et une foule d'oiseaux circulaient au milieu d'eux. J'ignore si dans le nombre était le trochilus de notre ami Geoffroi Saint-Hilaire. Peu de temps après nous débarquâmes à Girgé. Le vent était faible le 15, et nous fîmes peu de chemin. Mais nos nouveaux compagnons, les crocodiles, semblaient vouloir nous en dédommager; j'en comptai vingt et un, groupés sur un même îlot, et une bordée de coups de fusil à balle, tirée d'assez près, n'eut d'autre résultat que de disperser ce conciliabule. Ils se jetèrent au Nil, et nous perdîmes un quart d'heure à désengraver notre maasch qui s'était trop approché de l'îlot.
Le 16 au soir, nous arrivâmes enfin à Dendérah. Il faisait un clair de lune magnifique, et nous n'étions qu'à une heure de distance des temples: pouvions-nous résister à la tentation? Souper et partir sur-le-champ furent l'affaire d'un instant: seuls et sans guides, mais armés jusqu'aux dents, nous prîmes à travers champs, présumant que les temples étaient en ligne droite de notre maasch. Nous marchâmes ainsi, chantant les marches des opéras les plus nouveaux, pendant une heure et demie, sans rien trouver. On découvrit enfin un homme; nous l'appelons, mais il s'enfuit à toutes jambes, nous prenant pour des Bédouins, car, habillés à l'orientale et couverts d'un grand burnous blanc à capuchon, nous ressemblions, pour l'Égyptien, à une tribu de Bédouins, tandis qu'un Européen nous eût pris, sans balancer, pour un chapitre de chartreux bien armés. On m'amena le fuyard, et, le plaçant entre quatre de nous, je lui ordonnai de nous conduire aux temples. Ce pauvre diable, peu rassuré d'abord, nous mit dans la bonne voie et finit par marcher de bonne grâce: maigre, sec, noir, couvert de vieux haillons, c'était une momie ambulante; mais il nous guida fort bien et nous le traitâmes de même. Les temples nous apparurent enfin. Je n'essayerai pas de décrire l'impression que nous fit le grand propylon et surtout le portique du grand temple. On peut bien le mesurer, mais en donner une idée, c'est impossible. C'est la grâce et la majesté réunies au plus haut degré. Nous y restâmes deux heures en extase, courant les grandes salles avec notre pauvre falot, et cherchant à lire les inscriptions extérieures au clair de la lune. On ne rentra au maasch qu'à trois heures du matin pour retourner aux temples à sept heures. C'est là que nous passâmes toute la journée du 17. Ce qui était magnifique à la clarté de la lune l'était encore plus lorsque les rayons du soleil nous firent distinguer tous les détails. Je vis dés lors que j'avais sous les yeux un chef-d'oeuvre d'architecture, couvert de sculptures de détail du plus mauvais style. N'en déplaise à personne, les bas-reliefs de Dendérah sont détestables, et cela ne pouvait être autrement: ils sont d'un temps de décadence. La sculpture s'était déjà corrompue, tandis que l'architecture, moins sujette à varier puisqu'elle est un art chiffré, s'était soutenue digne des dieux de l'Égypte et de l'admiration de tous les siècles. Voici les époques de la décoration: la partie la plus ancienne est la muraille extérieure, à l'extrémité du temple, où sont figurés, de proportions colossales, Cléopâtre et son fils Ptolémée César. Les bas-reliefs supérieurs sont du temps de l'empereur Auguste, ainsi que les murailles extérieures latérales du naos, à l'exception de quelques petites portions qui sont de l'époque de Néron. Le pronaos est tout entier couvert de légendes impériales de Tibère, de Caïus, de Claude et de Néron; mais dans tout l'intérieur du naos, ainsi que dans les chambres et les édifices construits sur la terrasse du temple, il n'existe pas un seul cartouche sculpté: tous sont vides et rien n'a été effacé; mais toutes les sculptures de ces appartements, comme celles de tout l'intérieur du temple, sont du plus mauvais style, et ne peuvent remonter plus haut que les temps de Trajan ou d'Antonin. Elles ressemblent à celle du propylon du sud-ouest (du sud-est?), qui est de ce dernier empereur, et qui, étant dédié à Isis, conduisait au temple de cette déesse, placé derrière le grand temple, qui est bien le temple de Hathôr (Vénus), comme le montrent les mille et une dédicaces dont il est couvert, et non pas le temple d'Isis, comme l'a cru la Commission d'Égypte. Le grand propylon est couvert des images des empereurs Domitien et Trajan. Quant au Typhonium, il a été décoré sous Trajan, Hadrien et Antonin le Pieux.
Le 18 au matin, je quittai le maasch, et courus visiter les ruines de Coptos (Kefth): il n'y existe rien d'entier. Les temples ont été démolis par les chrétiens, qui employèrent les matériaux à bâtir une grande église dans les ruines de laquelle on trouve des portions nombreuses de bas-reliefs égyptiens. J'y ai reconnu les légendes royales de Nectanèbe, d'Auguste, de Claude et de Trajan, et plus loin, quelques pierres d'un petit édifice bâti sous les Ptolémées. Ainsi la ville de Coptos renfermait peu de monuments de la haute antiquité, si l'on s'en rapporte à ce qui existe maintenant à la surface du sol.
Les ruines de Qous (Apollonopolis Parva), où j'arrivai le lendemain matin 19, présentent bien plus d'intérêt, quoiqu'il n'existe de ses anciens édifices que le haut d'un propylon à moitié enfoui. Ce propylon est dédié au dieu Aroëris, dont les images, sculptées sur toutes ses faces, sont adorées du côté qui regarde le Nil, c'est-à-dire sur la face principale, la plus anciennement sculptée par la reine Cléopâtre Cocce, qui y prend le surnom de Philométore, et par son fils Ptolémée Soter II, qui se décore aussi du titre de Philométor. Mais la face supérieure du propylon, celle qui regarde le temple, couverte de sculptures et terminée avec beaucoup de soin, porte partout les légendes royales de Ptolémée Alexandre Ier en toutes lettres; il prend aussi le surnom de Philométor. Quant à l'inscription grecque, la restitution de [Greek: SOTAeRES], au commencement de la seconde ligne, proposée par M. Letronne, est indubitable; car on y lit encore très-distinctement ... [Greek: TAeRES], et cela sur la face principale où sont les images et les dédicaces de Cléopâtre Cocce et de son fils Ptolémée Philométor Soter II.
Mais M. Letronne a mal à propos restitué [Greek: AeLIOI] là où il faut réellement [Greek: AROAeREI], transcription exacte du nom égyptien du dieu auquel est dédié le propylon; car on lit très-distinctement encore dans l'inscription grecque, [Greek: AROAeREIThEOI]. J'ai trouvé aussi dans les ruines de Qous une moitié de stèle datée du 1er de Paoni de l'an XVI de Pharaon Rhamsès-Meïamoun, et relative à son retour d'une expédition militaire; j'aurai une bonne empreinte de ce monument, trop lourd pour qu'on puisse penser à l'emporter.
C'est dans la matinée du 20 novembre que le vent, lassé de nous contrarier depuis deux jours et de nous fermer l'entrée du sanctuaire, me permit d'aborder enfin à Thèbes. Ce nom était déjà bien grand dans ma pensée, il est devenu colossal depuis que j'ai parcouru les ruines de la vieille capitale, l'aînée de toutes les villes du monde; pendant quatre jours entiers j'ai couru de merveille en merveille. Le premier jour, je visitai le palais de Kourna, les colosses du Memnonium, et le prétendu tombeau d'Osimandyas, qui ne porte d'autres légendes que celles de Rhamsès le Grand et de deux de ses descendants; le nom de ce palais est écrit sur toutes ses murailles; les Égyptiens l'appelaient le Rhamesséion, comme ils nommaient Aménophion le Memnonium, et Mandouéion le palais de Kourna. Le prétendu colosse d'Osimandyas est un admirable colosse de Rhamsès le Grand.
Le second jour fut tout entier passé à Médinet-Habou, étonnante réunion d'édifices, où je trouvai les propylées d'Antonin, d'Hadrien et des Ptolémées, un édifice de Nectanèbe, un autre de l'Éthiopien Tharaca, un petit palais de Thouthmosis III (Moeris), enfin l'énorme et gigantesque palais de Rhamsès-Meïamoun, couvert de bas-reliefs historiques.
Le troisième jour, j'allai visiter les vieux rois de Thèbes dans leurs tombes, ou plutôt dans leurs palais creusés au ciseau dans la montagne de Biban-el-Molouk: là, du matin au soir, à la lueur des flambeaux, je me lassai à parcourir des enfilades d'appartements couverts de sculptures et de peintures, pour la plupart d'une étonnante fraîcheur; c'est là que j'ai recueilli, en courant, des faits d'un haut intérêt pour l'histoire; j'y ai vu un tombeau de roi martelé d'un bout à l'autre, excepté dans les parties où se trouvaient sculptées les images de la reine sa mère et celles de sa femme, qu'on a religieusement respectées, ainsi que leurs légendes. C'est, sans aucun doute, le tombeau d'un roi condamné par jugement après sa mort. J'en ai vu un second, celui d'un roi thébain des plus anciennes époques, envahi postérieurement par un roi de la XIXe dynastie, qui a fait recouvrir de stuc tous les vieux cartouches pour y mettre le sien, et s'emparer ainsi des bas-reliefs et des inscriptions tracées pour son prédécesseur. Il faut cependant dire que l'usurpateur fit creuser une seconde salle funéraire pour y mettre son sarcophage, afin de ne point déplacer celui de son ancêtre. A l'exception de ce tombeau-là, tous les autres appartiennent à des rois des XVIIIe et XIXe ou XXe dynasties; mais on n'y voit ni le tombeau de Sésostris, ni celui de Moeris. Je ne parle point ici d'une foule de petits temples et édifices épars au milieu de ces grandes choses: je mentionnerai seulement un petit temple de la déesse Hathôr (Vénus), dédié par Ptolémée-Épiphane, et un temple de Thoth près de Médinet-Habou, dédié par Ptolémée Évergète II et ses deux femmes; dans les bas-reliefs de ce temple, ce Ptolémée fait des offrandes à tous ses ancêtres mâles et femelles, Épiphane et Cléopâtre, Philopator et Arsinoé, Évergète et Bérénice, Philadelphe et Arsinoé. Tous ces Lagides sont représentés en pied, avec leurs surnoms grecs traduits en égyptien, en dehors de leurs cartouches. Du reste, ce temple est d'un fort mauvais goût à cause de l'époque.
Le quatrième jour (hier 23), je quittai la rive gauche du Nil
pour
visiter la partie orientale de Thèbes. Je vis d'abord Louqsor,
palais
immense, précédé de deux obélisques de
près de 80 pieds, d'un seul bloc
de granit rose, d'un travail exquis, accompagnés de quatre
colosses de
même matière, et de 30 pieds de hauteur environ, car ils
sont enfouis
jusqu'à la poitrine. C'est encore là du Rhamsès le
Grand. Les autres
parties du palais sont des rois Mandoueï, Horus et
Aménophis-Memnon;
plus, des réparations et additions de Sabacon l'Éthiopien
et de quelques
Ptolémées, avec un sanctuaire tout en granit, d'Alexandre,
fils du
conquérant. J'allai enfin au palais ou plutôt à la
ville de monuments, à
Karnac. Là m'apparut toute la magnificence pharaonique,
tout ce que
les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand.
Tout ce que j'avais vu
à Thèbes, tout ce que j'avais admiré avec
enthousiasme sur la rive
gauche, me parut misérable en comparaison des conceptions
gigantesques
dont j'étais entouré. Je me garderai bien de vouloir rien
décrire; car,
ou mes expressions ne vaudraient que la millième partie de ce
qu'on doit
dire en parlant de tels objets, ou bien si j'en traçais une
faible
esquisse, même fort décolorée, on me prendrait pour
un enthousiaste,
peut-être même pour un fou. Il suffira d'ajouter qu'aucun
peuple ancien
ni moderne n'a conçu l'art de l'architecture sur une
échelle aussi
sublime, aussi large, aussi grandiose, que le firent les vieux
Égyptiens; ils concevaient en hommes de 100 pieds de haut, et
l'imagination qui, en Europe, s'élance bien au-dessus de nos
portiques,
s'arrête et tombe impuissante au pied des cent quarante colonnes
de la
salle hypostyle de Karnac.
Dans ce palais merveilleux, j'ai contemplé les portraits de la plupart des vieux Pharaons connus par leurs grandes actions, et ce sont des portraits véritables; représentés cent fois dans les bas-reliefs des murs intérieurs et extérieurs, chacun conserve une physionomie propre et qui n'a aucun rapport avec celle de ses prédécesseurs ou successeurs; là, dans des tableaux colossals, d'une sculpture véritablement grande et tout héroïque, plus parfaite qu'on ne peut le croire en Europe, on voit Mandoueï combattant les peuples ennemis de l'Égypte, et rentrant en triomphateur dans sa patrie; plus loin, les campagnes de Rhamsès-Sésostris; ailleurs, Sésonchis traînant aux pieds de la Trinité thébaine (Ammon, Mouth et Khons) les chefs de plus de trente nations vaincues, parmi lesquelles j'ai retrouvé, comme cela devait être, en toutes lettres, Ioudahamalek, le royaume des Juifs ou de Juda (Pl. 2.) C'est là un commentaire à joindre au chapitre XIV du troisième livre des Rois, qui raconte en effet l'arrivée de Sésonchis à Jérusalem et ses succès: ainsi l'identité que nous avons établie entre le Sheschonck égyptien, le Sésonchis de Manéthon et le Sésac ou Scheschôk de la Bible, est confirmée de la manière la plus satisfaisante. J'ai trouvé autour des palais de Karnac une foule d'édifices de toutes les époques, et lorsque, au retour de la seconde cataracte vers laquelle je fais voile demain, je viendrai m'établir pour cinq ou six mois à Thèbes, je m'attends à une récolte immense de faits historiques, puisque, en courant Thèbes comme je l'ai fait pendant quatre jours, sans voir même un seul des milliers d'hypogées qui criblent la montagne libyque, j'ai déjà recueilli des documents fort importants.
Je joins ici la traduction de la partie chronologique d'une stèle que j'ai vue à Alexandrie: elle est très-importante pour la chronologie des derniers Saïtes de la XXVIe dynastie. J'ai de plus des copies d'inscriptions hiéroglyphiques gravées sur des rochers, sur la route de Cosseïr, qui donnent la durée expresse du règne des rois de la dynastie persane.
J'omets une foule d'autres résultats curieux; je devrais passer tout mon temps à écrire, s'il fallait détailler toutes mes observations nouvelles. J'écris ce que je puis dans les moments où les ruines égyptiennes me permettent de respirer au milieu de tous ces travaux et de ces jouissances réellement trop vives si elles devaient se renouveler souvent ailleurs comme à Thèbes.
Ma santé est excellente; le climat me convient, et je me porte bien mieux qu'à Paris. Les gens du pays nous accablent de politesses: j'ai dans ce moment-ci dans ma petite chambre: 1° un aga turc, commandant en chef de Kourna, dans le palais de Mandoueï; 2° le Cheik-el-Bélad de Médinet-Habou, donnant ses ordres au Rhamesséium et au palais de Rhamsès-Meïainoun; enfin un cheik de Karnac, devant lequel tout se prosterne dans les colonnades du vieux palais des rois d'Égypte. Je leur fais porter de temps en temps des pipes et du café, et mon drogman est chargé de les amuser pendant que j'écris; je n'ai que la peine de répondre, par intervalles réglés, Thaïbin (Cela va bien), à la question Ente-Thaïeb (Cela va-t-il bien)? que m'adressent régulièrement toutes les dix minutes ces braves gens que j'invite à dîner à tour de rôle. On nous comble de présents; nous avons un troupeau de moutons et une cinquantaine de poules qui, dans ce moment-ci, paissent et fouillent autour du portique du palais de Kourna. Nous donnons en retour de la poudre et autres bagatelles. Je voudrais que le docteur Pariset vînt me joindre; nous pourrions causer Europe, dont je n'ai aucune nouvelle, pas même d'Alexandrie. J'écrirai de Syène, avant de franchir la première cataracte, si cependant j'ai une occasion pour faire descendre mes lettres. J'envoie celle-ci à Osiouth, où j'ai établi un agent copte pour notre correspondance. J'ai recueilli à Béni-Hassan beaucoup de fossiles pour M. de Férussac; j'en ai trouvé aussi de très-beaux à Thèbes. J'espère aussi que notre vénérable ami M. Dacier trouvera quelque distraction à ses souffrances dans le peu que j'ai pu dire des magnificences de cette Thèbes qui excitait tant son enthousiasme à cause de l'honneur qui en revient à l'esprit humain; je lui en dirai encore davantage. Il ne manque à mes satisfactions que celle de recevoir des lettres de France..... Adieu.
HUITIÈME LETTRE
De l'île de Philae, le 8 décembre 1828.
Nous voici, depuis le 5 au soir, dans l'île sainte d'Osiris, à la frontière extrême de l'Égypte et au milieu des noirs Éthiopiens, comme eût dit un brave Romain de la garnison de Syène, faisant une partie de chasse aux environs des cataractes.
Je quittai Thèbes le 26 novembre, et c'est de ce monde enchanté que ma dernière lettre est datée; il a fallu m'abstenir de donner des détails sur cette vieille capitale des Pharaons: comment parler en quelques lignes de telles choses, et quand on n'a fait que les entrevoir! C'est après mon retour sur ce sol classique, après l'avoir étudié pas à pas, que je pourrai écrire avec connaissance de cause, avec des idées arrêtées et des résultats bien mûris. Thèbes n'est encore pour moi, qui l'ai courue quatre ou cinq jours entiers, qu'un amas de colonnades, d'obélisques et de colosses; il faut examiner un à un les membres épars du monstre pour en donner une idée très-précise. Patience donc, jusqu'à l'époque où je planterai mes tentes dans les péristyles du palais des Rhamsès.
Le 26 au soir, nous abordâmes à Hermonthis, et nous courûmes le 27 au matin vers le temple, qui piquait d'autant plus ma curiosité que je n'avais aucune notion bien précise sur l'époque de sa construction: personne n'avait encore dessiné une seule de ses légendes royales; j'y passai la journée entière, et le résultat de cet examen prolongé fut de m'assurer, par les inscriptions et les sculptures, que ce temple a été construit sous le règne de la dernière Cléopâtre, fille de Ptolémée Aulétès, et en commémoraison de sa grossesse et de son heureuse délivrance d'un gros garçon, Ptolémée Césarion, le fruit de sa bénévolence envers Jules César, à ce que dit l'histoire.
La cella du temple est en effet divisée en deux parties: une grande pièce (la principale), et une toute petite, tenant lieu ou la place du sanctuaire; on n'entre dans celle-ci que par une petite porte; vers l'angle de droite, toute la paroi du mur de fond de cette pièce (laquelle est appelée le lieu de l'accouchement dans les inscriptions hiéroglyphiques) est occupée par un bas-relief représentant la déesse Ritho, femme du dieu Mandou, accouchant du dieu Harphré. La gisante est soutenue et servie par diverses déesses du premier ordre: l'accoucheuse divine tire l'enfant du sein de la mère; la nourrice divine tend les mains pour le recevoir, assistée d'une berceuse. Le père de tous les dieux, Ammon (Ammon-Ra), assiste au travail, accompagné de la déesse Soven, l'Ilithya, la Lucine égyptienne, protectrice des accouchements. Enfin, la reine Cléopâtre est censée assister à ces couches divines, dont les siennes ne seront ou plutôt n'ont été qu'une imitation. L'autre paroi de la chambre de l'accouchée représente l'allaitement et l'éducation du jeune dieu nouveau-né; et sur les parois latérales sont figurées les douze heures du jour et les douze heures de la nuit, sous la forme de femmes ayant un disque étoilé sur la tête. Ainsi, le tableau astronomique du plafond, dessiné par la Commission d'Égypte, pourrait bien n'être que le thème natal d'Harphré, ou mieux encore celui de Césarion, nouvel Harphré. Il ne s'agirait donc plus, dans ce zodiaque, ni de solstice d'été, ni de l'époque de la fondation du temple d'Hermonthis.
En sortant de la petite chambre pour entrer dans la grande, on voit un grand bas-relief sculpté sur la paroi à gauche de cette principale pièce; il représente la déesse Ritho, relevant de couches, soutenue encore par la Lucine égyptienne Soven, et présentée à l'assemblée des dieux; le père divin, Ammon-Ra, lui donne affectueusement la main comme pour la féliciter de son heureuse délivrance, et les autres dieux partagent la joie de leur chef. Le reste de cette salle est décoré de tableaux, dans lesquels le jeune Harphré est successivement présenté à Ammon, à Mandou son père, aux dieux Phré, Phtha, Sev (Saturne), etc., qui l'accueillent en lui remettant leurs insignes caractéristiques, comme se démettant, en faveur de l'enfant, de tout leur pouvoir et de leurs attributions particulières, et Ptolémée Césarion, à face enfantine, assiste à toutes ces présentations de son image, le dieu Harphré dont il est le représentant sur la terre. Tout cela est de la flatterie sacerdotale, mais tout à fait dans le génie de l'ancienne Égypte, qui assimilait ses rois à ses dieux. Du reste, toutes les dédicaces et inscriptions intérieures et extérieures du temple d'Hermonthis sont faites au nom de ce Ptolémée Césarion et de sa mère Cléopâtre. Il n'y a donc point de doute sur le motif de sa construction. Les colonnes de l'espèce de pronaos qui le précède n'ont point toutes été sculptées; le travail est demeuré imparfait, et cela tient peut-être au motif même de la dédicace du temple: Auguste et ses successeurs, qui ont terminé tant de temples commencés par les Lagides, ne pouvaient être très-empressés d'achever celui-ci, monument de la naissance du fils même de Jules César, roi enfant dont ils ne respectèrent guère les droits. Du reste, un cachef a trouvé fort commode de s'y faire une maison, une basse-cour et un pigeonnier, en masquant et coupant le temple de misérables murs de limon blanchis à la chaux.
Le 28 au soir, nous étions à Esné, avec le projet de ne pas nous y arrêter. Je fis donc faire voile un peu plus au sud, et débarquai sur la rive orientale pour aller voir le temple de Contra-Lato. J'y arrivai trop tard, on l'avait démoli depuis une douzaine de jours, pour renforcer le quai d'Esné, que le Nil menace et finira par emporter.
De retour au maasch, je le trouvai plein d'eau: heureusement qu'il avait abordé sur un point peu profond, et que, touchant bientôt, il n'avait pu être entièrement coulé à fond. Il fallut le vider, et retourner à Esné le soir même, pour le radouber et faire boucher la voie d'eau. Toutefois nos provisions furent mouillées, nous avons perdu notre sel, notre riz, notre farine de maïs. Tout cela n'est rien auprès du danger qui nous eût menacés si cette voie d'eau se fût ouverte pendant la navigation dans le grand chenal: nous eussions coulé irrémissiblement. Que le grand Ammon soit donc loué! Pendant que nous séchions notre désastre dans la matinée du 29, j'allai visiter le grand temple d'Esné, qui, grâce à sa nouvelle destination de magasin de coton, échappera quelque temps encore à la destruction. J'y ai vu, comme je m'y attendais, une assez belle architecture, mais des sculptures détestables. La portion la plus ancienne est le fond du pronaos, c'est-à-dire la porte et le fond de la cella, contre laquelle le portique a été appliqué: cette partie est de Ptolémée Épiphane. La corniche de la façade du pronaos porte les légendes impériales de Claude; les corniches des bases latérales, les légendes de Titus, et, dans l'intérieur du pronaos, parois et colonnes sont couvertes des légendes de Domitien, Trajan, Antonin surtout, et enfin de Septime Sévère, que je trouve ici pour la première fois. Le temple est dédié à Chnouphis, et j'apprends, par l'inscription hiéroglyphique de l'une des colonnes du pronaos, que si le sanctuaire du temple existe il doit remonter à l'époque de Thouthmosis III (Moeris). Mais tout ce qui est visible à Esné est des temps modernes; c'est un des monuments les plus récemment achetés.
Le 29 au soir, nous étions à Eléthya (El-Kab); je parcourus l'enceinte et les ruines, la lanterne à la main; mais je ne trouvai plus rien: les restes des deux temples avaient disparu; on les a aussi démolis il y a peu de temps pour réparer le quai d'Esné ou quelque autre construction récente. Avais-je tort de me presser de venir en Égypte?
Je visitai le grand temple d'Edfou (Apollonopolis Magna), dans l'après-midi du 30. Celui-ci est intact; mais la sculpture en est très-mauvaise: ce qu'il y a de mieux et de plus ancien date de Ptolémée Épiphane; viennent ensuite Philométor et Évergète II; enfin, Soter II et son frère Alexandre: ces deux derniers y ont prodigieusement travaillé; j'y ai retrouvé la Bérénice, femme de Ptolémée Alexandre, que je connaissais déjà par un contrat démotique. Le temple est dédié à Aroëris (l'Apollon grec). Je l'étudierai en détail, comme tous les autres, en redescendant de la Nubie.
Les carrières de Silsilis (Djébel-Selséléh) m'ont vivement intéressé; nous y abordâmes le 1er décembre à une heure: là, mes yeux, fatigués de tant de sculptures du temps des Ptolémées et des Romains, ont revu avec délices des bas-reliefs pharaoniques. Ces carrières sont très-riches en inscriptions de la XVIIIe dynastie. Il y existe de petites chapelles creusées dans le roc par Aménophis-Memnon, Horus, Rhamsès le Grand, Rhamsès son fils, Rhamsès-Meïamoun, Mandoueï. Elles ont de belles inscriptions hiératiques; j'étudierai tout cela à mon retour, et me promets des résultats fort intéressants dans cette localité.
Le soir même du 1er décembre, nous arrivâmes à Ombos; je courus au grand temple le 2 au matin; la partie la plus ancienne est de Ptolémée Épiphane, et le reste, de Philométor et d'Évergète II. Un fait curieux, c'est le surnom de Triphoene donné constamment à Cléopâtre, femme de Philométor, soit dans la grande dédicace hiéroglyphique sculptée sur la frise antérieure du pronaos, soit dans les bas-reliefs de l'intérieur; c'est à vous autres Grecs d'Égypte d'expliquer cette singularité: j'avais déjà trouvé ce surnom dans un de nos contrats démotiques du Louvre. Le temple d'Ombos est dédié à deux divinités: la partie droite et la plus noble, au vieux Sévek à tête de crocodile (le Saturne égyptien et la forme la plus terrible d'Ammon), à Athyr et au jeune dieu Khons. La partie gauche du temple est consacrée à une seconde Triade d'un ordre moins élevé, savoir: à Aroëris (l'Aroëris-Apollon), à la déesse Tsonénofré et à leur fils Pnevtho. Dans le mur d'enceinte générale des temples d'Ombos, j'ai trouvé une porte engagée, d'un excellent travail et du temps de Moeris: c'est le reste des édifices primitifs d'Ombos.
Ce n'est que le 4 décembre au matin que le vent voulut bien nous permettre d'arriver à Syène (Assouan), dernière ville de l'Égypte au sud. J'eus encore là de cuisants regrets à éprouver: les deux temples de l'île d'Éléphantine, que j'allai visiter aussitôt que l'ardeur du soleil fut amortie, ont aussi été démolis: il n'en reste que la place. Il a fallu me contenter d'une porte ruinée, en granit, dédiée au nom d'Alexandre (le fils du conquérant), au dieu d'Éléphantine Chnouphis, et d'une douzaine de proscynemata (actes d'adoration) hiéroglyphiques gravés sur une vieille muraille; enfin, de quelques débris pharaoniques épars et employés comme matériaux dans des constructions du temps des Romains. J'avais reconnu le matin ce qui reste du temple de Syène: c'est ce que j'ai vu de plus misérable en sculpture; mais j'y ai trouvé, pour la première fois, la légende impériale de Nerva, qui n'existe point ailleurs, à ma connaissance. Ce petit temple était dédié aux dieux du pays et de la cataracte, Chnouphis, Saté (Junon) et Anoukis (Vesta).
A Syène, nous avons évacué nos maasch, et fait transporter tout notre bagage dans l'île de Philae, à dos de chameau. Pour moi, le 5 au soir, j'enfourchai un âne, et, soutenu par un hercule arabe, car j'avais une douleur de rhumatisme au pied gauche, je me suis rendu à Philae en traversant toutes les carrières de granit rose, hérissées d'inscriptions hiéroglyphiques des anciens Pharaons. Incapable de marcher, et après avoir traversé le Nil en barque pour aborder dans l'île sainte, quatre hommes, soutenus par six autres, car la pente est presque à pic, me prirent sur leurs épaules et me hissèrent jusqu'auprès du petit temple à jour, où l'on m'avait préparé une chambre dans de vieilles constructions romaines, assez semblable à une prison, mais fort saine et à couvert des mauvais vents. Le 6 au matin, soutenu par mes domestiques, Mohammed le Barabra et Soliman l'Arabe, j'allai visiter péniblement le grand temple; au retour, je me couchai et je ne me suis pas encore relevé, vu que ma goutte de Paris a jugé à propos de se porter à la première cataracte et de me traquer au passage; elle est fort benoîte du reste, et j'en serai quitte demain ou après. En attendant, on prépare nos barques pour le voyage de Nubie: c'est du nouveau à voir. J'écrirai de ce pays, si j'ai une occasion avant mon retour en Égypte; tout va très-bien du reste.
C'est ici, à Philae, que j'ai enfin reçu des lettres d'Europe, à la date des 15 et 25 août et 3 septembre derniers, voilà tout; enfin, c'est quelque chose, et il faut bien s'en contenter.... Adieu.