← Retour

Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829

16px
100%

Le chef du pays de Kouschi, mauvaise race (l'Ethiopie),
    Le chef du pays de Térosis,                                                                         en Afrique
    Le chef du pays de Toroao,

et

Le chef du pays de Robou,                                                                         en Asie
    Le Chef du pays de Moschausch,


Un tableau et un soubassement analogues décorent la face antérieure du massif de gauche; mais ici tous les captifs sont des chefs asiatiques; on les a rangés dans l'ordre suivant:

Le chef de la mauvaise race du pays de Schéto ou Chéta;

Le chef de la mauvaise race du pays d'Aumôr;

Le grand du pays de Fekkarb;

Le grand du pays de Schairotana contrée maritime;

Le grand du pays de Scha.....(le reste est détruit);

Le grand du pays de Touirscha, contrée maritime;

Le grand du pays de Pa..... (le reste est détruit).

Sur l'épaisseur du massif de gauche, Rhamsès-Méiamoun casqué, le carquois sur l'épaule, conduit des groupes de prisonniers de guerre aux pieds d'Amon-Ra; le dieu dit au conquérant: «Va! empare-toi des contrées; soumets leurs places fortes et amène leurs chefs en esclavage;»

Le massif correspondant et les corps de logis qui réunissent le pylône au grand pavillon du fond, sont couverts de sculptures qu'il serait trop long de détailler ici. On remarque des fenêtres décorées extérieurement et intérieurement avec beaucoup de goût, et des balcons soutenus par des prisonniers barbares sortant à mi-corps de la muraille.

L'intérieur du grand pavillon, divisé en trois étages, fut décoré de bas-reliefs représentant des scènes domestiques de Rhamsès-Méiamoun; je possède des dessins exacts de tous ces intéressants tableaux, parmi lesquels on remarque le Pharaon servi par les dames du palais, prenant son repas, jouant avec ses petits enfants ou occupé avec la reine d'une partie de jeu analogue à celui des échecs, etc., etc. L'extérieur de ce pavillon est couvert de légendes du roi ou de bas-reliefs commémoratifs de ses victoires.

C'est en suivant l'axe principal de ces curieuses constructions qu'on arrive enfin devant le premier pylône du grand et magnifique palais de Rhamsès-Méiamoun. L'édifice que nous venons de décrire n'en était qu'une dépendance et une simple annexe.

Ici, tout prend des proportions colossales: les faces extérieures des deux énormes massifs du premier pylône, entièrement couvertes de sculptures, rappellent les exploits du fondateur de l'édifice non-seulement par des tableaux d'un sens vague et général, mais encore par les images et les noms des peuples vaincus, par celles du conquérant et de la divinité protectrice qui lui donne la victoire. On voit sur le massif de gauche le dieu Phtah-Socharis livrant à Rhamsès-Méiamoun treize contrées asiatiques, dont les noms, conservés pour la plupart, ont été sculptés dans des cartels servant comme de boucliers aux peuples enchaînés. Une longue inscription, dont les onze premières lignes sont assez bien conservées, nous apprend que ces conquêtes eurent lieu dans la douzième année du règne de ce Pharaon.

Dans le grand tableau du massif de droite, le dieu Amon-Ra, sous la forme de Phré hiéracocéphale, donne la harpé au belliqueux Rhamsès pour frapper vingt-neuf peuples du Nord ou du Midi; dix-neuf noms de contrées ou de villes subsistent encore; le reste a été détruit pour appuyer contre le pylône des masures modernes. Le roi des dieux adresse à Méiamoun un long discours dont voici les dix premières colonnes: «Amon-Ra a dit: Mon fils, mon germe chéri, maître du monde, soleil gardien de justice, ami d'Ammon, toute force t'appartient sur la terre entière; les nations du Septentrion et du Midi sont abattues sous tes pieds; je te livre les chefs des contrées méridionales; conduis-les en captivité, et leurs enfants à leur suite; dispose de tous les biens existant dans leur pays; laisse respirer ceux d'entre eux qui voudront se soumettre, et punis ceux dont le coeur est contre toi. Je t'ai livré aussi le Nord..... (lacune); la Terre-Rouge (l'Arabie) est sous tes sandales, etc.»

Une grande stèle, mais très-fruste, constate que ces conquêtes eurent lieu la onzième année du roi. C'est à la même année du règne de Rhamsès-Méiamoun que se rapportent les sculptures des massifs du premier pylône du côté de la cour. Il s'agit ici d'une campagne contre les peuples asiatiques nommés Moschausch.

Des masses de débris amoncelés couvrent toute la partie inférieure du pylône et enfouissent en très-grande partie la magnifique colonnade qui décore le côté gauche de la cour, ainsi que la galerie soutenue par des piliers-cariatides formant cette même cour du côté droit. Déblayer cette partie du palais serait une entreprise fort dispendieuse, mais elle aurait pour résultat certain de rendre à l'admiration des voyageurs deux galeries de la plus complète conservation, des colonnes couvertes de bas-reliefs, de riches décorations ayant conservé tout l'éclat de leurs couleurs, et enfin une nombreuse série de grands tableaux historiques. Il a fallu me contenter de copier les inscriptions dédicatoires qui couvrent les deux frises et les architraves des élégantes colonnes, dont les chapiteaux imitent la fleur épanouie du lotus.

Au fond de cette première cour s'élève un second pylône, décoré de figures colossales, sculptées, comme partout ailleurs, de relief dans le creux; celles-ci rappellent les triomphes de Rhamsès-Méiamoun dans la neuvième année de son règne. Le roi, la tête surmonte des insignes du fils aîné d'Ammon, entre dans le temple d'Amon-Ra et de la déesse Mouth, conduisant trois colonnes de prisonniers de guerre, imberbes, et enchaînés dans diverses positions; ces nations, appartenant à une même race, sont nommées Schakalascha, Taônaou et Pourosato. Plusieurs voyageurs, examinant les physionomies et le costume de ces captifs, ont cru reconnaître en eux des peuples hindous. Sur le massif de droite de ce pylône existait une énorme inscription, aujourd'hui détruite aux trois quarts par des fractures et des excavations. J'ai vu, par ce qui en subsiste encore, qu'elle était relative à l'expédition contre les Schakalascha, les Fekkaro, les Pourosato, les Taônaou et les Ouschascha. Il y est aussi question des contrées d'Aumôr et d'Oreksa, ainsi que d'une bataille navale.

Une magnifique porte en granit rose unit les deux massifs du second pylône. Des tableaux d'adoration aux diverses formes d'Amon-Ra et de Phtah en décorent les jambages, au bas desquels on lit deux inscriptions dédicatoires attestant que Rhamsès-Méiamoun a consacré cette grande porte en belle pierre de granit à son père Amon-Ra, et qu'enfin les battants ont été si richement ornés de métaux précieux qu'Ammon lui-même se réjouit en les contemplant.

On se trouve après avoir franchi cette porte, dans la seconde cour du palais, où là grandeur pharaonique se montre dans tout son éclat; la vue seule peut donner une idée du majestueux effet de ce péristyle, soutenu à l'est et à l'ouest par d'énormes colonnades, au nord par des piliers contre lesquels s'appuient des cariatides, derrière lesquels se montre une seconde colonnade. Tout est chargé de sculptures revêtues de couleurs très-brillantes encore: c'est ici qu'il faut envoyer, pour les convertir, les ennemis systématiques de l'architecture peinte.

Les parois des quatre galeries de cette cour conservent toutes leurs décorations; de grands et vastes tableaux sculptés et peints appellent de toute part la curiosité des voyageurs. L'oeil se repose sur le bel azur des plafonds ornés d'étoiles de couleur jaune doré; mais l'importance et la variété des scènes reproduites par le ciseau absorbent bientôt toute l'attention. Quatre tableaux formant le registre inférieur de la galerie de l'est, côté gauche, et une partie de la galerie sud, retracent les principales circonstances d'une guerre de Rhamsès-Méiamoun contre des peuples asiatiques nommés Robou, teint clair, nez aquilin, longue barbe, couverts d'une grande tunique et d'un surtout transversalement rayé bleu et blanc; ce costume est tout à fait analogue à celui des Assyriens et des Mèdes figures, sur les cylindres dits babyloniens ou persépolitains.

Premier tableau. Grande bataille: le héros égyptien, debout sur un char lancé au galop, décoche des flèches contre une foule d'ennemis fuyant dans le plus grand désordre. On aperçoit sur le premier plan les chefs égyptiens montés sur des chars, et leurs soldats entremêlés à des alliés, les Fekkaro, massacrant les Robou épouvantés, ou les liant comme prisonniers de guerre. Ce tableau seul contient plus de cent figures en pied, sans compter les chevaux.

Deuxième tableau. Les princes et les chefs de l'armée égyptienne conduisent au roi victorieux quatre colonnes de prisonniers; des scribes comptent et enregistrent le nombre des mains droites et des parties génitales coupées aux Robou morts sur le champ de bataille. L'inscription porte textuellement: «Conduite des prisonniers en présence de Sa Majesté; ceux-ci sont au nombre de mille; mains coupées, trois mille; phallus, trois mille.» Le Pharaon, au pied duquel on dépose ces trophées, paisiblement assis sur son char, dont les chevaux sont retenus par des officiers, adresse une allocution à ses guerriers; il les félicite de leur victoire, et prodigue fort naïvement les plus grands éloges à sa propre personne, «Livrez-vous à la joie, leur dit-il, qu'elle s'élève jusqu'au ciel; les étrangers sont renversés par ma force; la terreur de mon nom est venue, leurs coeurs en ont été remplis; je me suis présenté devant eux comme un lion, je les ai poursuivis semblable à un épervier; j'ai anéanti leurs âmes criminelles; j'ai franchi leurs fleuves; j'ai incendié leurs forteresses; je suis pour l'Égypte ce qu'a été le dieu Mandou; j'ai vaincu les Barbares: Amon-Ra mon père a humilié le monde entier sous mes pieds, et je suis roi sur le trône à toujours.»

En dehors de ce curieux tableau existe une longue inscription, malheureusement fort endommagée, et relative à cette campagne, qui date de l'an V du règne de Rhamsès-Méiamoun.

Troisième tableau. Le vainqueur, le fouet en main et guidant ses chevaux, retourne ensuite en Égypte; des groupes de prisonniers enchaînés précèdent son char; des officiers étendent au-dessus de la tête du Pharaon de larges ombrelles; le premier plan est occupé par l'armée égyptienne, divisée en pelotons marchant régulièrement en ligne et au pas, selon les règles de la tactique moderne.

Enfin Rhamsès rentre triomphant dans Thèbes (quatrième tableau); il se présente à pied, traînant à sa suite trois colonnes de prisonniers, devant le temple d'Amon-Ra et de la déesse Mouth; le roi harangue les divinités et en reçoit en réponse les assurances les plus flatteuses.

Une immense composition remplit tout le registre supérieur de la galerie nord et de la galerie est, à droite de la porte principale. C'est une cérémonie publique qui n'offre pas moins de deux cents personnages en pied; à cette pompeuse marche assiste tout ce que l'Égypte renfermait de plus grand et de plus illustre; c'est en quelque sorte le triomphe de Rhamsès-Méiamoun, et la panégyrie célébrée par le souverain et son peuple pour remercier la divinité de la constante protection qu'elle avait accordée aux armes égyptiennes. Une ligne de grands hiéroglyphes, sculptés au-dessus du tableau et dans toute sa longueur, annonce que cette panégyrie ([Greek: AeBAI]) en l'honneur d'Amon-Hôrus (l'[Greek: Alpha] et l'[Greek: Omega] de la théologie égyptienne) eut lieu à Thèbes le premier jour du mois de Paschons. Cette légende contient en outre l'analyse minutieuse du vaste tableau qu'elle surmonte; c'est pour ainsi dire le programme entier, de la cérémonie.

L'analyse rapide que j'en donne ici ne sera que la traduction de cette légende, ou celle des nombreuses inscriptions sculptées dans le bas-relief auprès de chaque personnage et au-dessus des groupes principaux.

Rhamsès-Méiamoun sort de son palais porté dans un naos, espèce de chasse richement décorée, soutenue par douze oeris ou chefs militaires, la tête ornée de plumes d'autruche. Le monarque, décoré de toutes les marques de sa royale puissance, est assis sur un trône élégant que des images d'or de la Justice et de la Vérité couvrent de leurs ailes étendues; le sphinx, emblème de la sagesse unie à la force, et le lion, symbole du courage, sont debout près du trône, qu'ils semblent protéger. Des officiers agitent autour du naos les flabellum et les éventails ordinaires; de jeunes enfants de la caste sacerdotale marchent auprès du roi, portant son sceptre, l'étui de son arc et ses autres insignes.

Neuf princes de la famille royale, de hauts fonctionnaires de la caste sacerdotale et des chefs militaires suivent le naos à pied, rangés sur deux lignes; des guerriers portent les socles et les gradins du naos; la marche est fermée par un peloton de soldats. Des groupes tout aussi variés précèdent le Pharaon: un corps de musique, où l'on remarque la flûte, la trompette, le tambour et des choristes, forme la tête du cortège; viennent ensuite les parents et les familiers du roi, parmi lesquels on compte plusieurs pontifes; enfin le fils aîné de Rhamsès, le chef de l'armée après lui, brûle l'encens devant la face de son père.

Le roi arrive au temple d'Hôrus, s'approche de l'autel, répand les libations et brûle l'encens; vingt-deux prêtres portent sur un riche palanquin la statue du dieu qui s'avance au milieu des flabellum, des éventails et des rameaux de fleurs. Le roi, à pied, coiffé d'un simple diadème de la région inférieure, précède le dieu et suit immédiatement le taureau blanc, symbole vivant d'Amon-Hôrus ou Amon-Ra, le mari de sa mère. Un prêtre encense l'animal sacré; la reine, épouse de Rhamsès, se montre vers le haut du tableau comme spectatrice de la pompe religieuse; et, tandis que l'un des pontifes lit à haute voix l'invocation prescrite lorsque la lumière du dieu franchit le seuil de son temple, dix-neuf prêtres s'avancent portant les diverses enseignes sacrées, les vases, les tables de proposition et tous les ustensiles du culte; sept autres prêtres ouvrent le cortège religieux, soutenant sur leurs épaules des statuettes; ce sont les images des rois ancêtres et prédécesseurs de Rhamsès-Méiamoun, assistant au triomphe de leur descendant.

Ici a lieu une cérémonie sur la nature de laquelle on s'est étrangement mépris. Deux enseignes sacrées, particulières au dieu Amon-Hôrus, s'élèvent au-dessus de deux autels. Deux prêtres, reconnaissables à leur tête rasée et, mieux encore, à leur titre inscrit à côté d'eux, se retournent pour entendre les ordres du grand pontife président de la panégyrie, lequel tient en main le sceptre nommé pat, insigne de ses hautes fonctions; un troisième prêtre donne la liberté à quatre oiseaux qui s'envolent dans les airs.

On a voulu voir ici des sacrifices humains, en prenant le sceptre du pontife pour un couteau, les deux prêtres pour deux victimes, et les oiseaux pour l'emblème des âmes qui s'échappaient des corps de deux malheureux égorgés par une barbare superstition; mais une inscription sculptée devant l'hiérogrammate assistant à la cérémonie nous rassure complètement, et prouve toute l'innocence de cette scène en nous faisant bien connaître ses détails et son but.

Voici la traduction de ce texte, dont je figure aussi la disposition même:

«Le président de la panégyrie a dit:

Donnez l'essor aux quatre oies;

Amset | Sis | Soumants | Kebhsniv

Dirigez-vous vers

le Midi | le Nord | l'Occident | l'Orient

dites aux dieux du Midi | dites aux dieux du Nord | dites aux dieux de l'Occident | dites aux dieux de l'Orient

que Hôrus, fils d'Isis et d'Osiris, s'est coiffé du pschent,
    que le roi Rhamsès s'est coiffé du pschent.»


Il en résulte clairement que les quatre oiseaux représentent les quatre enfants d'Osiris: Amset, Sis, Soumants et Kebhsniv, génies des quatre points cardinaux, vers lesquels on les prie de se diriger pour annoncer aussi au monde entier qu'à l'exemple du dieu Hôrus, le roi Rhamsès-Méiamoun vient de mettre sur sa tête la couronne emblème de la domination sur les régions supérieures et inférieures. Cette couronne se nommait pschent; c'est celle que porte ici, en effet, et pour la première fois, le roi debout et devant lequel se passe la fonction sacrée qu'on vient de faire connaître.

La dernière partie du bas-relief représente le roi, coiffé du pschent, remerciant le dieu dans son temple. Le monarque, précédé de tout le corps sacerdotal et de la musique sacrée, est accompagné par les officiers de sa maison. On le voit ensuite couper avec une faucille d'or une gerbe de blé, et, coiffé enfin de son casque militaire comme à sa sortie du palais, prendre congé, par une libation, du dieu Amon-Hôrus rentré dans son sanctuaire. La reine est encore témoin de ces deux dernières cérémonies; le prêtre invoque les dieux; un hiérogrammate lit une longue prière; auprès du Pharaon sont encore le taureau blanc et les images des rois ancêtres dressées sur une même base.

C'est en étudiant cette partie du tableau que j'ai pu m'assurer enfin de la place relative qu'occupe Rhamsès-Méiamoun dans la série des dynasties égyptiennes. Les statues des rois ses prédécesseurs sont ici chronologiquement rangées, et comme cet ordre est celui même que leur assignent d'autres monuments de Thèbes, aucun doute ne saurait s'élever sur cette ligne de succession, ces statues, au nombre de neuf, portant devant elles les cartouches prénoms des rois qu'elles représentent. Rhamsès-Méiamoun, comme Rhamsès le Grand (Sésostris), ayant marqué son règne par de grands exploits militaires, ces deux princes ont été confondus par les historiens grecs en un seul et même personnage. Mais les monuments originaux les différencient trop bien l'un de l'autre pour que la même confusion puisse avoir lieu désormais. Je me propose de traiter ailleurs de cette importante distinction avec plus de détails. Revenons à la décoration de la magnifique cour de Médinet-Habou.

On a sculpté dans le registre supérieur de la galerie de l'est, partie gauche, et dans celui de la galerie du sud, une seconde cérémonie publique tout aussi développée que la précédente. Celle-ci est une panégyrie célébrée par le roi en l'honneur de son père, le dieu Sochar-Osiris, le vingt-septième jour du mois de Hathôr. Je possède également des dessins fidèles de cette solennité et la copie des nombreuses légendes explicatives qui l'accompagnent.

Il faut passer rapidement sur les scènes de consécration et les honneurs royaux décernés par les dieux à Rhamsès-Méiamoun, et que reproduisent une foule de grands bas-reliefs sculptés dans les registres inférieurs des galeries de l'est, du nord et du sud; je dois encore mieux me dispenser de noter ici le nom des divinités auxquelles le Pharaon présente des offrandes variées dans les cent quarante-quatre bas-reliefs peints qui ornent seulement les seize piliers des galeries est et ouest, non compris tous ceux du même genre sculptés sur le fût des trois grandes colonnades qui soutiennent, soit les galeries nord et sud, soit l'intérieur de la galerie de l'ouest.

Sur la paroi du fond de cette galerie ou portique formé par une double rangée de piliers-cariatides et de colonnes, vingt-quatre grands bas-reliefs retracent les hommages pieux du roi envers les dieux, ou les bienfaits que les grandes divinités de Thèbes prodiguent au Pharaon victorieux. Une série de figures en pied ornent le soubassement de cette galerie et méritent une attention particulière.

Les légendes hiéroglyphiques inscrites à côté de ces personnages revêtus du riche costume des princes égyptiens, dont ils tiennent en main les insignes caractéristiques, constatent qu'on a représenté ici les enfants de Rhamsès-Méiamoun par ordre de primogéniture. On a seulement fait deux groupes distincts des enfants mâles et des princesses. Les princes, dont les noms et les titres ont été sculptés à côté de leurs images, sont au nombre de neuf, savoir:

1° Rhamsès-Amonmai, basilicogrammate commandant des troupes;

2° Rhamsès-Amonchischopsch, basilicogrammate commandant de cavalerie;

3° Rhamsès-Mandouhischopsch, basilicogrammate commandant de cavalerie;

4° Phréhipefhbour, haut fonctionnaire dans l'administration royale;

5° Mandouschopsch, idem;

6° Rhamsès-Maithmou, prophète des dieux Phré et Athmou;

7° Rhamsès-Schahemkamé, grand prêtre de Phtah;

8° Rhamsès-Amonhischopsch, sans autre qualification que celle de prince;

9° Rhamsès-Méiamoun, idem.

Les trois premiers, après la mort de leur père Rhamsès-Méiamoun, étant successivement montés sur le trône des Pharaons, leurs légendes ont dû être surchargées pour recevoir les cartouches prénoms ou noms propres de ces princes parvenus au souverain pouvoir. Il faut remarquer aussi, à propos de cette liste intéressante, qu'à cette époque le nom de Rhamsès était devenu en quelque sorte le nom même de la famille, et que le conquérant avait concentré dans les membres de sa maison les postes les plus importants de l'armée, de l'administration civile et du sacerdoce. Les noms propres des filles du roi n'ont jamais été sculptés.

Toute cette série de princes et de princesses forme la décoration du soubassement à la droite et à la gauche d'une grande et belle porte s'ouvrant sur le milieu de la galerie de l'ouest. On entrait jadis, en la traversant, dans une troisième cour environnée et suivie d'un très-grand nombre de salles; les décombres ont depuis longtemps enseveli toute cette partie du palais existante encore sous les débris entassés des frêles constructions qui se sont succédé d'âge en âge. Des fouilles en grand mettraient ici à découvert des tableaux et des inscriptions d'une haute importance; mes moyens ne me permettant pas de penser à les entreprendre, je réservai les fonds dont je pouvais disposer pour le déblaiement des grands bas-reliefs qui couvrent toute la partie extérieure nord du palais, à partir du premier pylône, et la presque totalité de la muraille extérieure sud, enfouie jusqu'à la corniche qui couronne l'édifice entier.

La muraille nord offre une série de bas-reliefs historiques d'un haut intérêt. Je donnerai ici un court abrégé du sujet de chacun d'eux, en commençant par l'extrémité de la paroi vers l'ouest.

Campagne contre les Maschausch et les Robou.

Premier tableau. L'armée égyptienne en marche, sur huit ou neuf rangées de hauteur. Un trompette et un corps d'hoplites précèdent un char que dirige un jeune conducteur; du milieu de ce char s'élève un grand mât surmonté d'une tête de bélier ornée du disque solaire. C'est le char du dieu Amon-Ra, qui guide à l'ennemi le roi Rhamsès-Méiamoun, également monté sur un char richement orné et qu'entourent les archers de la garde ainsi que les officiers attachés à sa personne. On lit à côté du char du dieu: «Voici ce que dit Amon-Ra, le roi des dieux: «Je marche devant toi, ô mon fils!»

Deuxième tableau. Bataille sanglante: les Maschausch prennent la fuite; le roi et quatre princes égyptiens en font un horrible carnage.

Troisième tableau. Rhamsès, debout sur une espèce de tribune, harangue cinq rangées de chefs et de guerriers égyptiens conduisant une foule de Maschausch et de Robou prisonniers. Réponse des chefs militaires au roi. En tête de chaque corps d'armée on fait le dénombrement des mains droites coupées aux ennemis morts sur le champ de bataille, ainsi que celui de leurs phallus, sorte d'hommage rendu à la bravoure des vaincus. L'inscription porte à 2,525 le nombre de ces preuves de victoire sur des hommes courageux et vaillants.

Campagne contre les Fekkaro, les Schakalascha et peuples de même race à physionomie hindoue.

Premier tableau (à la suite des précédents). Le roi Rhamsès-Méiamoun, en costume civil, harangue les chefs de la caste militaire agenouillés devant lui, ainsi que les porte-enseignes des différents corps; plus loin, les soldats debout écoutent les paroles du souverain qui les appelle aux armes pour punir les ennemis de l'Égypte; les chefs répondent à l'appel du roi en invoquant ses victoires récentes, et protestent de leur dévouement à un prince qui obéit aux paroles d'Amon-Ra. La trompette sonne, les arsenaux sont ouverts; les soldats, divisés par pelotons et sans armes, s'avancent dans le plus grand ordre, guidés par leurs chefs; on leur distribue des casques, des arcs, des carquois, des haches de bataille, des lances et toutes les armes alors en usage.

Deuxième tableau. Le roi, tête nue et les cheveux nattés, tient les rênes de ses chevaux et marche à l'ennemi; une partie de l'armée égyptienne le précède en ordre de bataille; ce sont les fantassins pesamment armés ou hoplites; sur le flanc s'avancent par pelotons les troupes légères de différentes armes; les guerriers montés sur des chars ferment la marche. Une des inscriptions de ce bas-relief compare le roi au germe de Mandou, s'avançant pour soumettre la terre à ses lois; ses fantassins, à des taureaux terribles, et ses cavaliers, à des éperviers rapides.

Troisième tableau. Défaite des Fekkaro et de leurs alliés. Les fantassins égyptiens les mettent en fuite sur tous les points du champ de bataille. Méiamoun, secondé par ses chars de guerre, en fait un horrible carnage; quelques chefs ennemis résistent encore, montés sur des chars traînés soit par deux chevaux, soit par quatre boeufs; au milieu de la mêlée et à une des extrémités, plusieurs chariots traînés par des boeufs, et remplis de femmes et d'enfants, sont défendus par des Fekkaro; des soldats égyptiens les attaquent et les réduisent en esclavage.

Quatrième tableau. Après cette première victoire, l'armée égyptienne se remet en marche, toujours dans l'ordre le plus méthodique et le plus régulier, pour atteindre une seconde fois l'ennemi; elle traverse des pays difficiles, infestés de bêtes sauvages; sur le flanc de l'armée, le roi, attaqué par deux lions, vient de terrasser l'un et combat contre l'autre.

Cinquième tableau. Le roi et ses soldats arrivent sur le bord de la mer au moment où la flotte égyptienne en est venue aux mains avec la flotte des Fekkaro, combinée avec celle de leurs alliés les Schairotanas, reconnaissables à leurs casques armés de deux cornes. Les vaisseaux égyptiens manoeuvrent à la fois à la voile et à l'aviron; des archers en garnissent les hunes, et leur proue est ornée d'une tête de lion. Déjà un navire fekkarien a coulé, et la flotte alliée se trouve resserrée entre la flotte égyptienne et le rivage, du haut duquel Rhamsès-Méiamoun et ses fantassins lancent une grêle de traits sur les vaisseaux ennemis. Leur défaite n'est plus douteuse, la flotte égyptienne entasse les prisonniers à côté de ses rameurs. En arrière et non loin du Pharaon, on a représenté son char de guerre et les nombreux officiers attachés à sa personne. Ce vaste tableau renferme plusieurs centaines de figures, et j'en rapporte une copie très-exacte.

Sixième tableau. Le rivage est couvert de guerriers égyptiens conduisant divers groupes mêlés de Schairotanas et de Fekkaro prisonniers; les vainqueurs se dirigent vers le roi, arrêté avec une partie de son armée devant une place forte nommée Mogadiro. Là se fait le dénombrement des mains coupées. Le Pharaon, du haut d'une tribune sur laquelle repose son bras gauche appuyé sur un coussin, harangue ses fils et les principaux chefs de son armée, et termine son discours par ces phrases remarquables: Amon-Ra était à ma droite comme à ma gauche; son esprit a inspiré mes résolutions; Amon-Ra lui-même, préparant la perte de mes ennemis, a placé le monde entier dans mes mains.» Les princes et les chefs répondent au Pharaon qu'il est un soleil appelé à soumettre tous les peuples du monde, et que l'Égypte se réjouit d'une victoire remportée par le bras du fils d'Ammon, assis sur le trône de son père.

Septième tableau. Retour du Pharaon vainqueur à Thèbes, après sa double campagne contre les Robou et les Fekkaro: on voit les principaux chefs de ces nations conduits par Rhamsès devant le temple de la grande triade thébaine, Amon-Ra, Mouth et Chons. Le texte des discours que sont censés prononcer les divers acteurs de cette scène à la fois triomphale et religieuse, subsistent encore en grande partie. En voici la traduction:

«Paroles des chefs du pays de Fekkaro et du pays de Robou qui sont en la puissance de Sa Majesté et qui glorifient le dieu bienfaisant, le seigneur du monde, soleil gardien de justice, ami d'Ammon: Ta vigilance n'a point de bornes; tu règnes comme un puissant soleil sur l'Égypte; grande est ta force, ton courage est semblable à celui de Boré (le griffon); nos souffles t'appartiennent, ainsi que notre vie qui est en ton pouvoir à toujours.»

«Paroles du roi seigneur du monde, etc., à son père Amon-Ra, le roi des dieux: Tu me l'as ordonné; j'ai poursuivi les Barbares; j'ai combattu toutes les parties de la terre; le monde s'est arrêté devant moi ...; mes bras ont forcé les chefs de la terre, d'après le commandement sorti de ta bouche.»

«Paroles d'Amon-Ra, seigneur du ciel, modérateur des dieux: Que ton retour soit joyeux! tu as poursuivi les neuf arcs (les Barbares); tu as renversé tous les chefs, tu as percé les coeurs des étrangers et rendu libre le souffle des narines de tous ceux qui ... (lacune). Ma bouche t'approuve.»

Ces tableaux, qui retracent les principales circonstances de deux campagnes du conquérant égyptien dans la onzième année de son règne, arrivent jusqu'au second pylône du palais: de ce point jusqu'au premier pylône, les sculptures n'abondent pas moins; mais plusieurs tableaux sont enfouis sous des collines de décombres. J'ai pu cependant avoir une copie de deux bas-reliefs faisant partie d'une troisième campagne du roi contre des peuples asiatiques, avec des légendes en très-mauvais état. L'un représente Rhamsès-Méiamoun combattant à pied, couvert d'un large bouclier, et poussant l'ennemi vers une forteresse assise sur une hauteur. Dans le second tableau, le roi, à la tête de ses chars, écrase ses adversaires en avant d'une place dont une partie de l'armée égyptienne pousse le siège avec vigueur; des soldats coupent des arbres et s'approchent des fossés, couverts par des mantelets; d'autres, après les avoir franchis, attaquent à coups de hache la porte de la ville; plusieurs enfin ont dressé des échelles contre la muraille et montent à l'assaut, leurs boucliers rejetés sur leurs épaules.

Sur le revers du premier pylône existe encore un tableau relatif à une campagne contre la grande nation de Schéta ou Chéto: le roi, debout sur son char, prend une flèche dans son carquois fixé sur l'épaule, et la décoche contre une forteresse remplie de Barbares. Les soldats égyptiens et les officiers attachés à la personne du roi marchent à sa suite, rangés sur quatre files parallèles.

Telles sont les grandes sculptures historiques encore visibles dans l'état d'enfouissement où se trouve aujourd'hui le magnifique palais de Médinet-Habou, tout entier du règne de Rhamsès-Méiamoun, les successeurs immédiats n'y ayant ajouté que quelques accessoires presque insignifiants. Le nombre considérable de noms de peuples et de nations asiatiques ou africaines que j'y ai recueillis ouvre un nouveau champ de recherches à la géographie comparée; ce sont de précieux éléments pour la reconstruction du tableau ethnographique du monde dans la plus antique période de son histoire. Je crois possible de reconnaître la synonymie de ces noms égyptiens de peuples avec ceux que nous ont transmis les géographes grecs, et ceux surtout que contiennent les textes hébreux et les mémoires originaux des nations asiatiques. C'est un beau travail qui mérite d'être entrepris; il sera facilité et par la connaissance positive des traits du visage et du costume de chacun de ces peuples, et encore mieux sans doute par la comparaison de ces noms avec ceux du même genre que j'ai trouvés, en bien plus grand nombre, sur d'autres monuments de Thèbes et de la Nubie.

Toute la muraille extérieure du palais, du côté du sud, qu'il a fallu faire déblayer jusqu'au second pylône, est couverte de grandes lignes verticales d'hiéroglyphes contenant le calendrier sacré en usage dans le palais de Rhamsès; la portion que nous avons fait excaver, à grands frais, contient les mois de Thôth, Paophi, Hathôr, Choïac et Tôbi. Vers l'extrémité du palais est un article du mois de Paschon, le neuvième mois de l'année égyptienne. Ce calendrier indique toutes les fêtes qui se célébraient dans chaque mois, et au bas de chaque indication de fête on a sculpté, en tableau synoptique, le nombre de chaque sorte d'offrande qu'on devait présenter dans la cérémonie. Pour donner une idée de cette sorte de calendrier, je transcrirai ici la traduction de quelques-uns de ces articles:

«Mois de Thôth, néoménie; manifestation de l'étoile de Sothis; l'image d'Amon-Ra, roi des dieux, sort processionnellement du sanctuaire, accompagnée par le roi Rhamsès ainsi que par les images de tous les autres dieux du temple.»

«Mois de Paophi, le 19; jour de la principale panégyrie d'Ammon, qui se célèbre pompeusement dans Oph (le palais de Karnac); l'image d'Amon-Ra sort du sanctuaire ainsi que celle de tous ses dieux synthrônes; le roi Rhamsès l'accompagne dans la panégyrie de ce jour.»

«Mois d'Hathôr, le 26; panégyrie de Phtah-Socbaris; le roi accompagne l'image du dieu gardien du Rhamesséium de Méiamoun (le palais de Médinet-Habou) de Thèbes sur la rive gauche, dans la panégyrie de ce jour.»

Cette panégyrie continuait encore le vingt-septième et le vingt-huitième jour du même mois; c'est celle qu'on a représentée dans les grands bas-reliefs supérieurs des galeries de l'est et du sud de la seconde cour du palais; du reste, je savais déjà, par un très-grand nombre d'inscriptions, que les Égyptiens appelaient Rhamesséium de Méiamoun le monument de Médinet-Habou dont je viens de donner une description rapide; car comment entreprendre de tout dire dans une lettre? Je termine ici celle d'aujourd'hui.... Adieu.






DIX-NEUVIÈME LETTRE


Thèbes (environs de Médinet-Habou), le 2 juillet 1829.

Afin de donner une idée générale complète du quartier sud-ouest de la vieille capitale pharaonique, voisin du nome d'Hermonthis, il me reste à présenter quelques détails sur deux édifices sacrés, qui, bien moins importants, à la vérité, que le palais du conquérant Méiamoun, présentent toutefois quelque intérêt sous divers rapports historiques et mythologiques.

L'une de ces constructions s'élève au milieu de broussailles et de grandes herbes, en dehors de l'angle sud-est et à une très-petite distance de l'énorme enceinte carrée, en briques crues, qui environnait jadis le palais et les temples de Médinet-Habou. C'est un édifice de petites proportions, et qui n'a jamais été complètement terminé; il se compose d'une sorte de pronaos et de trois salles successives, dont les deux dernières seulement sont décorées de tableaux, soit sculptés et peints, soit ébauchés, ou même simplement tracés à l'encre rouge. Ces tableaux ne laissent aucun doute sur la destination du monument, ni sur l'époque de sa construction. Il appartient au règne des Lagides, comme le prouvent une double dédicace d'un travail barbare, sculptée ultérieurement autour du sanctuaire, et les noms royaux inscrits devant les personnages figurant dans tous les tableaux d'adoration.

La dédicace annonce expressément que le roi Ptolémée Évergète II, et sa soeur, la reine Cléopâtre, ont construit cet édifice et l'ont consacré à leur père le dieu Thôth, ou Hermès ibiocéphale.

C'est ici le seul des temples encore existants en Égypte qui soit spécialement dédié au dieu protecteur des sciences, à l'inventeur de l'écriture et de tous les arts utiles, en un mot, à l'organisateur de la société humaine. On retrouve son image dans la plupart des tableaux qui décorent les parois de la seconde salle, et surtout celle du sanctuaire. On l'y invoquait sous son nom ordinaire de Thôth, que suivent constamment soit le titre SOTEM qui exprime la suprême direction des choses sacrées, soit la qualification Ho-en-Hib, c'est-à-dire qui a une face d'ibis, oiseau sacré, dont toutes les figures du dieu, sculptées dans ce temple, empruntent la tête, ornées de coiffures variées.

On rendait aussi dans ce temple un culte très-particulier à Nohémouo ou Nahamouo, déesse que caractérisent le vautour, emblème de la maternité, formant sa coiffure, et l'image d'un petit propylon s'élevant au-dessus de cette coiffure symbolique. Les légendes tracées à côté des nombreuses représentations de cette compagne du dieu Thôth, qui, d'après son nom même, paraît avoir présidé à la conservation des germes, l'assimilent à la déesse Saschfmoué, compagne habituelle de Thôth, régulatrice des périodes d'années et des assemblées sacrées.

Ces deux divinités reçoivent, outre leurs titres ordinaires, celui de Résidant à MANTHOM; nous apprenons ainsi le nom antique de cette portion de Thèbes où s'élève le temple de Thôth.

Le bandeau de la porte qui donne entrée dans la dernière salle du temple, le sanctuaire proprement dit, est orné de quatre tableaux représentant Ptolémée faisant de riches offrandes, d'abord aux grandes divinités protectrices de Thèbes, Amon-Ra, Mouth et Chons, généralement adorées dans cette immense capitale, et en second lieu aux divinités particulières du temple, Thôth et la déesse Nahamouo. Dans l'intérieur du sanctuaire on retrouve les images de la grande triade thébaine, et même celles de la triade adorée dans le nome d'Hermonthis, qui commençait à une courte distance du temple. Deux grands tableaux, l'un sur la paroi de droite, l'autre sur la paroi de gauche, représentent, selon l'usage, la bari ou arche sacrée de la divinité à laquelle appartient le sanctuaire. L'arche de droite est celle de THOTH-PEHO-EN-HIB (Thôth à face d'ibis), et l'arche de gauche, celle de THOTH PSOTEM (Thôth le surintendant des choses sacrées). L'une et l'autre se distinguent par leurs proues et leurs poupes décorées de têtes d'épervier, surmontées du disque et du croissant, à tête symbolique du dieu Chons, le fils aîné d'Ammon et de Mouth, la troisième personne de la triade thébaine, dont le dieu Thôth n'est qu'une forme secondaire.

Ici, comme dans la salle précédente, on trouve toujours le roi Ptolémée Évergète II, faisant des offrandes ou de riches présents aux divinités locales. Mais quatre bas-reliefs de l'intérieur du sanctuaire, sculptés deux à gauche et deux à droite de la porte, ont fixé plus particulièrement mon attention. Ce ne sont plus des divinités proprement dites, auxquelles s'adressent les dons pieux du Lagide: ici, Évergète II, comme le disent textuellement les inscriptions qui servent de titre à ces bas-reliefs, brûle l'encens en l'honneur des pères de ses pères et des mères de ses mères. Le roi accomplit, en effet, diverses cérémonies religieuses en présence d'individus des deux sexes, classés deux par deux, et revêtus des insignes de certaines divinités. Les légendes tracées devant chacun de ces personnages achèvent de démontrer que ces honneurs sont adressés aux rois et aux reines lagides, ancêtres d'Évergète II en ligne directe: et en effet, le premier bas-relief de gauche représente Ptolémée Philadelphe, costumé en Osiris, assis sur un trône à côté duquel on voit la reine Arsinoé sa femme, debout, coiffée des insignes de Mouth et d'Hathôr. Évergète II lève ses bras en signe d'adoration devant ces deux époux, dont les légendes signifient: Le divin père de ses pères PTOLÉMÉE, dieu PHILADELPHE; la divine mère de ses mères ARSINOÉ, déesse PHILADELPHE.

Plus loin, Évergète II offre l'encens à un personnage également assis sur un trône et décoré des insignes du dieu Socarosiris, accompagné d'une reine debout, la tête ornée de la coiffure d'Hathôr, la Vénus égyptienne; leurs légendes portent: Le père de ses pères, PTOLÉMÉE, dieu créateur. La divine mère de ses mères, BÉRÉNICE, déesse créatrice. On peut donc reconnaître ici soit Ptolémée Soter Ier et sa femme Bérénice, fille de Magas, soit Ptolémée Évergète Ier et Bérénice, sa femme et sa soeur. L'absence totale du cartouche prénom dans la légende du Ptolémée, objet de cette adoration, autoriserait l'une ou l'autre de ces hypothèses. Mais si l'on observe que ces deux époux reçoivent les hommages d'Évergète II, à la suite des honneurs rendus, en premier lieu, à Ptolémée et à Arsinoé Philadelphe, on se persuadera que le second tableau concerne les enfants et les successeurs immédiats de ces Lagides, c'est-à-dire Évergète Ier et Bérénice, sa soeur. Le titre de Phter-Mounk, dieu créateur, dieu fondateur ou fabricateur, conviendrait beaucoup mieux, il est vrai, à Ptolémée Soter Ier, fondateur de la domination des Lagides; mais j'ai la pleine certitude que ce titre est prodigué sur les monuments égyptiens à une foule de souverains autres que des chefs de dynasties.

Deux bas-reliefs, sculptés à droite de la porte, nous montrent Évergète II rendant de semblables honneurs aux images de ses autres ancêtres et prédécesseurs, et toujours en suivant la ligne généalogique descendante: ainsi, dans le premier tableau, le roi répand des libations devant le divin père de son père, PTOLÉMEE, dieu PHILOPATOR, et la divine mère de sa mère, ARSINOÉ, déesse PHILOPATOR; enfin, dans le second tableau, il fait l'offrande du vin à son royal père PTOLÉMÉE, dieu ÉPIPHANE, et à sa royale mère CLÉOPATRE, déesse ÉPIPHANE. Son père et son aïeul sont figurés dans le costume du dieu Osiris; sa mère et son aïeule, dans le costume d'Hathôr. Quant aux titres Philadelphe, Philopator et Épiphane, ils sont placés à la suite des cartouches noms propres, et exprimés par des hiéroglyphes phonétiques (représentant les mots coptes équivalents). Ces quatre tableaux nous donnent donc la généalogie complète d'Évergète II, et l'ordre successif des rois de la dynastie des Lagides à partir de Ptolémée Philadelphe.

C'est toujours ainsi que les monuments nationaux de l'Égypte servent pour le moins de confirmation aux témoignages historiques puisés dans les écrits des Grecs; et cela toutes les fois qu'ils ne viennent point éclaircir ou coordonner les notions vagues et incohérentes que ce même peuple nous a transmises sur l'histoire égyptienne, surtout en ce qui concerne les anciennes époques. L'usage constamment suivi par les Égyptiens, de couvrir toutes les parois de leurs monuments de nombreuses séries de tableaux représentant des scènes religieuses ou des événements contemporains, dans lesquels figure d'habitude le souverain régnant à l'époque même où l'on sculptait ces bas-reliefs, cet usage, disons-nous, a tourné bien heureusement au profit de l'histoire, puisqu'il a conservé jusqu'à nos jours un immense trésor de notions positives qu'on chercherait inutilement ailleurs. On peut dire en toute vérité que, grâce à ces bas-reliefs et aux nombreuses inscriptions qui les accompagnent, chaque monument de l'Égypte s'explique par lui-même, et devient, si l'on peut s'exprimer ainsi, son propre interprète. Il suffit, en effet, d'étudier quelques instants les sculptures qui ornent le sanctuaire de l'édifice situé à côté de l'enceinte de Médinet-Habou, la seule portion du monument véritablement terminée, pour se convaincre aussitôt qu'on se trouve dans un temple consacré au dieu Thôth, construit sous le règne d'Évergète II et de sa soeur et première femme Cléopâtre, mais dont les sculptures ont été terminées postérieurement à l'époque du mariage d'Évergète II avec Cléopâtre sa nièce et sa seconde femme, mentionnée dans les légendes royales qui décorent le plafond du sanctuaire.

Le style mou et lourd des bas-reliefs, la grossièreté d'exécution des hiéroglyphes, et le peu de soin donné à l'application des couleurs sur les sculptures, s'accordent trop bien avec les dates fournies par les inscriptions dédicatoires pour qu'on méconnaisse dans le petit temple de Thôth un produit de la décadence des arts égyptiens, devenue si rapide aux dernières époques de la domination grecque.

Mais un édifice d'un temps encore plus rapproché de nous présente aux regards du voyageur un exemple frappant du degré de corruption auquel descendit la sculpture égyptienne sous l'influence du gouvernement romain. Il s'agit ici des ruines désignées, dans la Description générale de Thèbes, par MM. Jollois et Devilliers, sous le nom de Petit Temple situé à l'extrémité sud de l'Hippodrome, aux débris duquel j'ai donné toute la journée d'hier.

Partis de grand matin de notre maison de Kourna Salvador Cherubini et moi, nous courûmes sur Médinet-Habou, et, passant dans le voisinage du petit temple de Thôth, nous gagnâmes la base des monticules factices formant l'immense enceinte nommée l'Hippodrome par la Commission d'Égypte, et que nous longeâmes extérieurement à travers la plaine rocailleuse qui s'étend jusqu'au pied de la chaîne libyque. Parvenus, après une marche assez longue et très-fatigante, au midi de ces vastes fortifications, qui jadis renfermèrent, selon toute apparence, un établissement militaire, espèce de camp permanent qu'habitaient les troupes formant la garnison de Thèbes et la garde des Pharaons, nous gravîmes un petit plateau peu élevé au-dessus de la plaine, mais couvert de débris de constructions et de fragments de poteries de différentes époques.

Le premier objet qui attire les regards est un grand propylon faisant face à l'ouest, mais dans un état de destruction fort avancé, quoique formé primitivement de matériaux d'un assez beau choix. Quatre bas-reliefs existent encore du côté de l'hippodrome; tous représentent l'empereur Vespasien [Greek: (AUTOKRTOR KAISRS OUSPSIANS)], costumé à l'égyptienne et faisant des offrandes à différentes divinités; les tableaux qui décorent la face du propylon tournée du côté du temple montrent l'empereur Domitien [Greek:(AUTOKRTOP KAISRS TOMTIANOS GRMNIKOS)] accomplissant de semblables cérémonies; enfin, neuf bas-reliefs encore subsistants, seuls restes de la décoration intérieure, reproduisent l'image d'un nouveau souverain, figuré soit dans l'action de percer d'une lance la tortue, emblème de la paresse, soit offrant aux dieux des libations et des pains sacrés: c'est l'empereur Othon [Greek:(MARKOS OThONS KAISRS AUTOKPTP)].

Je lisais pour la première fois le nom de cet empereur, retracé en caractères hiéroglyphiques, et on le chercherait vainement ailleurs sur toutes les constructions égyptiennes existantes entre la Méditerranée et Dakkéh en Nubie, limite extrême des édifices élevés par les Égyptiens sous la domination grecque et romaine. La durée du règne d'Othon fut si courte que la découverte d'un monument rappelant sa mémoire excite toujours autant de surprise que d'intérêt. Il paraît, au reste, que l'Égypte se déclara promptement pour Othon, puisque c'est précisément la province de l'empire où furent frappées les seules médailles de bronze que nous ayons de cet empereur.

La présence du nom d'Othon établit invinciblement que la décoration du propylon, à en juger par ce qui reste des sculptures, fut commencée l'an 69 de l'ère chrétienne, et terminée au plus tard vers l'an 96, époque de la mort de Domitien.

En avant, et à quelque distance du propylon, se trouve un escalier au bas duquel était jadis une petite porte décorée de bas-reliefs d'un travail barbare, comparativement à ceux du propylon; et cependant je reconnus dans leurs débris la légende de l'empereur Auguste ([Greek: AUTOKPTP KAISRS]). Cela prouve qu'à cette époque l'Égypte avait simultanément de bons et de mauvais ouvriers.

Sur le même axe, et à soixante mètres environ du grand propylon, s'élève le temple, ou plutôt une petite cella aujourd'hui isolée, et dont les parois extérieures, à peine dégrossies, n'ont jamais reçu de décoration; mais les salles intérieures sont couvertes d'ornements sculptés et de bas-reliefs d'une exécution très-lourde et très-grossière. Presque tous ces tableaux, surtout ceux du sanctuaire, appartiennent à l'époque d'Hadrien. Ce successeur de Trajan comble de dons et d'offrandes les divinités adorées dans le temple; et à côté de chacune de ces images on a répété sa légende particulière, [Greek: AUTOKPTOP KAISRS TRAINS ATRIANS], l'empereur César Trajan Hadrien. J'ai remarqué enfin que la corniche extérieure du sanctuaire offre parmi ses ornements la légende d'Antonin, ainsi conçue: [Greek: AUTOKRTOR TITOS AILIOS ATRIANS ANTONINS EUSBS], l'empereur Titus AElius Adrianus Antoninus Pius.

L'époque de la décoration du sanctuaire et des autres salles du temple proprement dit étant clairement fixée par ces noms impériaux, il reste à déterminer quelles furent les divinités particulièrement honorées dans ce temple: ce point éclairci, il deviendra facile en même temps de décider avec certitude si cet édifice appartenait jadis au nome diospolite, ou à celui d'Hermonthis; car de l'étude suivie des monuments de l'Égypte et de la Nubie, il résulte que la triade adorée dans la capitale d'un nome reparaît constamment et occupe un rang distingué dans les édifices sacrés de toutes les villes de sa dépendance, chaque nome ayant pour ainsi dire un culte particulier, et vénérant les trois portions distinctes de l'Être divin sous des noms et des formes différentes.

Les indications les plus positives à cet égard doivent résulter de l'examen des sculptures qui décorent les sanctuaires, surtout lorsque cette portion principale du temple existe dans tout son entier, comme cela arrive précisément pour les ruines situées au sud de l'hippodrome.

Quatre grands bas-reliefs superposés deux à deux couvrent la paroi du fond du sanctuaire. Les deux bas-reliefs supérieurs représentent l'empereur Hadrien, costumé en fils aîné d'Ammon, adorant une déesse coiffée du vautour, emblème de la maternité, et surmonté des cornes de vache, du disque et d'un petit trône. Ce sont les insignes ordinaires d'Isis, et la légende sculptée à côté des deux images de la déesse porte en effet: ISIS la grande mère divine qui réside dans la montagne de l'Occident. Les bas-reliefs inférieurs nous montrent le même empereur présentant des offrandes au dieu Monht ou Manthou, le dieu éponyme d'Hermonthis, et au roi des dieux Amon-Ra, le dieu éponyme de Thèbes.

Guidés ici par une théorie fondée sur l'observation de faits entièrement analogues, et qui se reproduisent partout et sans aucune exception contraire, nous devons conclure avec assurance que ce temple fut particulièrement consacré à la déesse Isis, puisque ses images occupent sans partage la place d'honneur au fond du sanctuaire; au-dessous d'elle paraissent les grandes divinités du nome de Thèbes et du nome hermonthite, deux syntrônes adorés aussi dans ce même temple. Mais le dieu Manthou occupant la droite, quoique tenant dans ces mythes sacrés un rang inférieur à celui du roi des dieux Amon-Ra, qui occupe ici la gauche, il devient certain que le Temple d'Isis, situé au sud de l'hippodrome, dépendait du nome d'Hermonthis et non du nome diospolite, puisque le dieu Mandou reçoit immédiatement après Isis et avant Amon-Ra, dieu éponyme de Thèbes, les adorations de l'empereur Hadrien.

Ainsi la divinité locale, celle que les habitants de la [Greek: chomae] ou bourgade du nome hermonthite, qui exista jadis autour du temple, regardaient comme leur protectrice spéciale, fut la déesse Isis, qui réside dans PTÔOU-EN-EMENT (ou la montagne de l'Occident). Mais cette qualification donne lieu à quelque incertitude: faut-il prendre les mots Ptôou-en-ement dans leur sens général et n'y voir que la désignation de la montagne occidentale, derrière laquelle, selon les mythes, le soleil se couchait et terminait son cours, montagne placée sous l'influence d'Isis, de la même manière que la montagne orientale, PTÔOU-EN-EIEBT, appartenait à la déesse Nephthys; ou bien, prenant les mots dans un sens plus restreint, devons-nous traduire le titre d'Isis Hitem-ptôou-en-ement par: déesse qui réside dans PTÔOUENEMENT ou Ptôouement, en considérant ici Ptôouement comme le nom propre de la bourgade dans laquelle exista le temple? Cette qualification serait alors analogue aux titres Hitem Pselk, résidant à Pselkis; Hitem Manlak, résidant à Philae; Hitem Souan, résinant à Syène; Hitem Ebôu, résidant à Éléphantine; Hitem Snè, résidant à Latopolis; Hitem Ebôt, résidant à Abydos, etc., que reçoivent constamment Thôth, Isis, Chnouphis, Saté, Neith, Osiris, etc., dans les temples que leur élevèrent ces anciennes villes placées sous leur domination immédiate. Mais comme les mots Ptôou-en-ement ne sont pas toujours suivis, comme Pselk, Manlak, Souan, etc., du signe déterminatif des noms propres de contrées ou de lieux habités, nous pensons, sans exclure absolument cette première hypothèse, qu'ils désignent ici plus directement la montagne occidentale céleste, sur laquelle Isis partageait avec Natphé, la Rhéa égyptienne, le soin journalier d'accueillir le dieu Soleil, épuisé de sa longue course et mourant, ce même dieu que la soeur d'Isis, Nephthys, avait reçu enfant, et sortant plein de vie du sein de sa mère Natphé, sur la montagne orientale. Sous un point de vue plus matériel encore, la montagne occidentale désignera la chaîne libyque, voisine du temple où sont creusés d'innombrables tombeaux, et par suite l'enfer égyptien, l'Amenté, c'est-à-dire la contrée occidentale, séjour redoutable où régnaient Isis et son époux Osiris, le juge souverain des âmes. Les bas-reliefs sculptés sur les parois latérales et sur la porte du sanctuaire, ainsi que ceux qui décorent la porte extérieure du naos et les restes du grand propylon, représentent aussi l'empereur Othon ou ses successeurs, faisant des offrandes à Isis, déesse de la montagne d'Occident, en même temps qu'aux dieux synthrônes Manthou et Ritho, les grandes divinités du nome hermonthite; de semblables hommages sont aussi rendus aux dieux de Thèbes, Amon-Ra, Mouth et Chons, suivant l'usage établi d'adorer à la fois dans un temple d'abord les divinités locales, ensuite celles du nome entier, et enfin un dieu du nome le plus voisin; comme pour établir entre les cultes particuliers de chacune des préfectures de l'Égypte une liaison successive et continue qui les ramenait ainsi à l'unité. Tous les temples de l'Égypte et de la Nubie offrent les preuves de cette pratique, motivée sur de graves considérations d'ordre public et de saine politique.

Tels sont les faits généraux résultant de l'étude que je viens de faire des dernières ruines de la plaine de Thèbes, du côté sud-ouest; ces deux monuments, l'un le temple de Thôth, l'autre le temple d'Isis, marquent en outre l'état rétrograde de l'art égyptien à l'époque des rois grecs comme à celle des empereurs romains; et les sculptures les plus récentes, exécutées sous les règnes d'Hadrien et d'Antonin le Pieux, portent en effet le type d'une barbarie poussée à l'extrême.






VINGTIÈME LETTRE


Thèbes (palais de Kourna), le 6 juillet 1829.

Le premier monument de la partie occidentale de Thèbes que visitent les Européens en arrivant sur le sol de cette antique capitale, le monument de Kourna, situé non loin du beau sycomore au pied duquel s'arrêtent habituellement les canges des voyageurs, est devenu, par une suite de combinaisons indépendantes de ma volonté, le dernier objet de mes recherches sur la rive gauche du fleuve. Appelé d'abord au Rhamesseum par le souvenir des scènes historiques et des tableaux religieux que nous y avions remarqués en remontant le Nil, les masses de Médinet-Habou et ses nombreux bas-reliefs militaires nous attirèrent ensuite, et je ne dus quitter ces deux palais qu'après avoir étudié à fond les petits monuments situés dans leur voisinage. Cependant l'édifice de Kourna, quoique très-inférieur en étendue à ces grandes et importantes constructions, mérite un examen particulier, puisqu'il appartient aux temps pharaoniques, et remonte à l'époque la plus glorieuse dont les annales égyptiennes aient constaté le souvenir. Son aspect présente d'ailleurs un caractère tout nouveau; et si son plan général réveille l'idée d'une habitation particulière et semble exclure celle de temple, la magnificence de la décoration, la profusion des sculptures, la beauté des matériaux et la recherche dans l'exécution prouvent que cette habitation fut jadis celle d'un riche et puissant souverain.

Et, en effet, ce qui reste de ce palais occupe seulement l'extrémité d'une butte factice sur laquelle existaient aussi jadis d'autres constructions liées sans doute avec l'édifice encore debout; tous les débris épars sur le sol portent du moins des noms royaux appartenant aux derniers Pharaons de la XVIIIe dynastie, ou au premier de la XIXe.

Sur le même axe que ces arrachements de constructions rasées, au milieu de bouquets de palmiers et de masures modernes en briques crues, s'élève un portique ayant plus de cent cinquante pieds de long, trente de hauteur, et soutenu par dix colonnes dont le fût se compose d'un faisceau de tiges de lotus, et le chapiteau, des boutons de cette même plante tronqués pour recevoir le dé. Cet ordre, qui n'est point particulier aux constructions civiles, puisqu'on le retrouvait dans le temple de Chnouphis à Éléphantine et dans un temple d'Éléthya, tous deux très-récemment détruits par la barbare ignorance des Turcs, appartient sans aucun doute aux vieilles époques de l'architecture égyptienne, et ne le cède, sous le rapport de l'antiquité, qu'aux seules colonnes cannelées semblables au vieux dorique grec, dont elle sont le type évident, et que l'on trouve employées presque exclusivement dans les plus anciens monuments de l'Égypte.

Sur les quatre faces du dé des chapiteaux du portique existent, sculptées avec beaucoup de recherche, les légendes royales de Ménephtha Ier ou celles de Rhamsès le Grand. Les noms et les prénoms de ces deux Pharaons sont également inscrits sur le fût des colonnes, mais accolés ensemble et renfermés dans un tableau carré.

Le rapprochement de ces deux noms royaux trouve son explication naturelle dans la double légende dédicatoire qui décore l'architrave du portique sur toute sa longueur. Cette inscription est ainsi conçue:

«L'Aroëris puissant, ami de la vérité, le seigneur de la région inférieure, le régulateur de l'Égypte, celui qui a châtié les contrées étrangères, l'épervier d'or soutien des armées, le plus grand des vainqueurs, le roi Soleil gardien de la vérité, l'approuvé de Phré, le fils du Soleil, l'ami d'Ammon, RHAMSÈS, a exécuté des travaux en l'honneur de son père Amon-Ra, le roi des dieux, et embelli le palais de son père, le roi Soleil stabiliteur de justice, le fils du Soleil, MÉNEPHTHA-BOREÏ. Voici qu'il a fait élever ... (grande lacune) ... les propylons du palais ... et qu'il l'a entouré de murailles de briques, construites à toujours; c'est ce qu'a exécuté le fils du Soleil, l'ami d'Ammon, RHAMSÈS.»

Cette dédicace constate deux faits principaux: le palais de Kourna fut fondé et construit par le Pharaon Ménephtha Ier; et son fils, Rhamsès le Grand, achevant la décoration de ce bel édifice, l'environna d'une enceinte ornée de propylons et semblable à celle qui renferme chacun des grands monuments royaux de Thèbes.

Tous les bas-reliefs qui décorent l'intérieur du portique et l'extérieur des trois portes par lesquelles on pénètre dans les appartements du palais représentent, en effet, Ménephtha Ier, et plus souvent encore Rhamsès le Grand, rendant hommage à la triade thébaine et aux autres divinités de l'Égypte, ou recevant de la munificence des dieux les pouvoirs royaux et des dons précieux, qui devaient embellir et prolonger la durée de leur vie mortelle. Mais il faut particulièrement remarquer une série de vingt petits tableaux dans lesquels sont figurés alternativement les dieux qui président au fleuve du Nil dans ses divers États, et les déesses protectrices de la terre d'Égypte pendant chaque mois, présentant à Rhamsès le Grand tous les produits de la terre et des eaux dans chaque saison de l'année; au-dessus de ces bas-reliefs s'étend horizontalement l'inscription suivante:

«Voici ce que disent les dieux et les déesses qui résident dans la région d'en bas à leur fils le dominateur des deux régions, le seigneur du monde, Soleil gardien de justice, l'approuvé de Phré (Rhamsès): Nous sommes venus vers toi, nous te donnons toutes les productions destinées aux offrandes; nous mettons à ta disposition tous les biens purs, afin que tu puisses célébrer la panégyrie de la maison de ton père, puisque tu es un fils qui aimes ton père comme le dieu Hôrus qui a vengé le sien.»

Ces bas-reliefs et leur légende se rapportent évidemment à l'assemblée sacrée ou panégyrie solennelle dans laquelle Rhamsès le Grand fit l'inauguration du palais de Ménephtha Ier, son père, aussitôt que, par ses soins pieux, la décoration intérieure et extérieure fut entièrement terminée. Les seules sculptures de l'édifice, postérieures à Rhamsès le Grand, consistent en quelques inscriptions royales onomastiques placées sur l'épaisseur des portes ou sur le soubassement et qui ne se lient point à l'ensemble de la décoration primitive; toutes appartiennent au règne de Ménephtha II, fils et successeur immédiat de Rhamsès le Grand, à l'exception d'une seule, sculptée au-dessous du bas-relief des offrandes et rappelant le nom, le prénom et les titres de Rhamsès IV ou Méiamoun, cinquième successeur de Rhamsès le Grand, avec une date de l'an VI.

La porte médiale du portique donne entrée dans une salle d'environ quarante-huit pieds de long sur trente-trois de large. C'est la plus considérable du palais. Six colonnes semblables à celles du portique soutiennent le plafond, subsistant encore en très-grande partie; deux longues inscriptions, toutes deux au nom de Ménephtha Ier, servent d'encadrement aux vautours ailés qui décorent ce plafond. L'inscription de droite contient la dédicace générale du palais, faite par son fondateur à la plus grande des divinités de l'Égypte:

« ... Le seigneur du monde, soleil stabiliteur de justice, a fait ces constructions en l'honneur de son père, Amon-Ra, le seigneur des trônes du monde et qui réside dans la divine demeure du fils du soleil Ménephtha-Boreï à Thèbes, sur la rive gauche; il (le roi) a fait construire l'habitation des années (c'est-à-dire le palais) en pierre de grès blanche et bonne, et un sanctuaire pour le seigneur des dieux.»

Cette inscription nous fait connaître, en premier lieu, le nom que les anciens habitants de Thèbes donnaient à l'édifice de Kourna. Ils l'appelaient demeure de Ménephtha ou Menephtheum, du nom même du prince qui en jeta les fondements et en éleva toutes les masses; elle explique en même temps le double caractère de temple et de palais que présente cet édifice, qui, par la disposition même de son plan, paraît destiné à l'habitation d'un homme, et rappelle cependant, par toutes ses décorations, la demeure sainte d'une divinité.

La seconde inscription du plafond, celle de gauche, nous apprend que cette grande salle du palais dont elle constate la construction par le roi Ménephtha Ier, fut le manôskh, c'est-à-dire la salle d'honneur, le lieu où se tenaient les assemblées religieuses ou politiques et où siégeaient les tribunaux de justice. Cette salle du Menephtheum répond ici à ces vastes salles des grands palais de Thèbes, soutenues par de nombreuses rangées de colonnes, qu'on a désignées jusqu'ici sous la dénomination de salles hypostyles; toutes portent le nom de manôskh dans les inscriptions égyptiennes sculptées sur leur plafond ou sur les architraves de leurs colonnades. Mais ce n'est point ici l'occasion de développer les considérations qui motivaient le nom de manôskh (c'est-à-dire le lieu de la moisson, et par suite, le lieu où l'on mesure les grains), donné par les Égyptiens aux salles les plus vastes de leurs édifices publics.

De nombreux tableaux sculptés décorent les longues parois de droite et de gauche de cette salle hypostyle. Dans tous se montre le fondateur, le roi Ménephtha Ier, offrant des parfums, des fleurs, ou bien l'image de son prénom mystique, à la triade thébaine, et particulièrement au chef de cette triade, Amom-Ra, sous sa forme primordiale et sous celle de générateur; c'était le dieu protecteur du palais qui renfermait un sanctuaire consacré à cette grande divinité. Mais les petites parois à droite et à gauche de la porte principale sont couvertes de bas-reliefs représentant les membres de la triade thébaine adorés par un Pharaon autre que Ménephtha Ier, portant le nom de Rhamsès, et qu'il ne faut point confondre avec Rhamsès III, dit le Grand.

Une série de faits incontestables, recueillis dans les monuments originaux, m'ont démontré que ce nouveau Rhamsès, le Rhamsès II du canon royal, succéda immédiatement à Ménephta Ier, son père, et fut remplacé, après un règne fort court, par son frère Rhamsès III ou Rhamsès le Grand, qui est le Sésostris de l'histoire.

Le bas-relief inférieur, à gauche de la porte, dans la salle hypostyle, rappelle le sacre de Rhamsès II, après la mort de Ménephtha Ier. Le jeune roi, présenté par la déesse Mouth et le dieu Chons, fléchit le genou devant le souverain de l'univers, Amon-Ra. Le dieu suprême lui accorde les attributions royales et les périodes des grandes panégyries, c'est-à-dire un très-long règne, en présence de Ménephtha Ier, père du nouveau roi, représenté debout derrière le trône d'Ammon, et tenant à la fois les emblèmes de la royauté terrestre qu'il vient de quitter, et l'emblème de la vie divine dont il jouit déjà dans la compagnie des dieux.

Plus loin, on a figuré l'enfance de Rhamsès II en représentant le jeune roi, debout, embrassé par Mouth, la grande mère divine, qui lui offre le sein. La légende porte textuellement:

«Voici ce que dit Mouth, dame du ciel: Mon fils qui m'aime, seigneur des diadèmes, Rhamsès chéri d'Ammon, moi qui suis ta mère, je me complais dans tes bonnes oeuvres; nourris-toi de mon lait.»

Ce tableau fait pendant à une composition analogue, sculptée sur la paroi opposée; la déesse Hathôr, la Vénus égyptienne, nourrissant le roi Ménephtha Ier, et lui adressant les mêmes paroles.

La frise entière de la salle hypostyle se compose des noms et prénoms répétés de ce Pharaon, environnés des insignes du pouvoir souverain. On les retrouve aussi sur les dés et dans les ornements de la base des colonnes, mais entremêlés aux cartouches de Rhamsès II. Les architraves portent plusieurs inscriptions dédicatoires de la salle hypostyle; les unes au nom du fondateur, Ménephtha Ier, d'autres au nom de Rhamsès II, qui en acheva la décoration.

Les bas-reliefs sculptés sous le règne de ces deux princes sont remarquables par la simplicité du style, la finesse de leur exécution et l'élégante proportion des figures; ce qui les fait distinguer au premier coup d'oeil des sculptures appartenant à l'époque de Rhamsès le Grand; celles-ci, traitées avec bien moins de soin, portent déjà des marques évidentes de la décadence de l'art.

On sera frappé de cette différence très-sensible en comparant les bas-reliefs de la salle hypostyle avec ceux qui couvrent les parois de la première salle de droite, et en général toute la partie du palais à droite de la salle hypostyle, décorée sous Rhamsès le Grand. Cette étude n'est pas sans intérêt, et importe beaucoup à l'histoire de l'art en général, surtout quand il s'agit d'époques bien antérieures aux premiers essais des maîtres immortels qu'a produits le génie inépuisable des Grecs; et ici j'ai sous les yeux et sous la main des documents de cette importante histoire; je les explore de mon mieux et j'y pense sans cesse, ne fût-ce que comme sujet de distraction des magnificences de notre château de Kourna, petite bicoque de boue à un étage, mais dominant majestueusement ces tanières et ces terriers où se nichent nos concitoyens les Arabes; nous y jouissons journellement d'une température de 32 à 38 degrés; mais on s'habitue à tout, et nous trouvons qu'on respire très agréablement à 28 degrés; d'ailleurs, je ne suis au château que la nuit.

Nos explorations à Thèbes avancent vers leur terme; le 1er août prochain, nous passerons sur la rive orientale, où nous attendent les immenses constructions de Karnac et de Louqsor; ces dernières sont déjà dans nos portefeuilles. Un mois nous suffira pour relever le peu de bas-reliefs historiques encore existants dans le grand palais des rois, et pour noter ce qu'il y a de plus saillant dans les scènes religieuses, si nombreuses dans cette curieuse construction. Je compte donc me mettre sérieusement en route pour Paris au commencement de septembre, époque à laquelle nous dirons adieu à Thèbes, notre vieille mère. Nous reverrons Dendérah en descendant, et après une station au Caire nous nous retrouverons bientôt à Alexandrie.

Si l'on doit voir un obélisque égyptien à Paris, comme vous me l'écrivez, que ce soit un de ceux de Louqsor; Thèbes se consolera de cet enlèvement en gardant l'obélisque de Karnac, le plus beau de tous et le plus digne d'admiration; mais je ne donnerai jamais mon adhésion (dont on saura fort bien se passer, sans doute) au projet de scier en trois parties un de ces magnifiques monolithes; ce serait un sacrilège: tout ou rien. Je ne doute pas qu'on ne puisse mettre sur le Nil et charger sur un radeau proportionné l'un des deux obélisques de Louqsor, et je désigne celui de droite pour de très-bonnes raisons, quoique le pyramidion en soit altéré et que le monolithe soit moins élevé de quelques pieds que celui de gauche. Les grandes eaux de l'inondation emmèneraient facilement l'embarcation jusqu'à Alexandrie, et la mer ferait le reste[4]; voilà ce qui est possible, et le seul plan que je puisse proposer, d'après la connaissance complète des localités et des monuments. Paris a besoin d'un ou deux échantillons des grands travaux de l'architecture égyptienne, qui étaient si instructifs pour ceux qui les visitaient dans le temps de leur splendeur; car il est vrai que toute l'histoire nationale y était inscrite, et nos monuments modernes ne sont pas destinés à rendre de tels services à notre postérité. Ce que j'y ai appris est prodigieux; Médinet-Habou a fourni une récolte bien inattendue de noms d'anciens peuples d'Afrique et d'Asie; il n'y a vraiment qu'à y regarder pour s'enrichir et pour remplir une grande partie des lacunes qui existent encore dans les premières pages de l'histoire générale des hommes. J'espère que je n'aurai pas travaillé sans utilité pour ce grand sujet de mes études dans cette autre terre sainte.

A propos de terre sainte, nous venons d'apprendre que Mgr l'archevêque de Jérusalem a jugé à propos de nous décorer très-bénévolement de la croix de chevalier du Saint-Sépulcre; que nos diplômes sont arrivés à Alexandrie, où nous pourrons les retirer moyennant les droits d'usage, fixés pour nous à cent louis pour chacun. Il paraît qu'on ignore sur les bords du Cédron que les érudits des bords de la Seine ne sont pas des Crésus, et que la roue de la Fortune ne tourne guère pour eux s'il ne sont d'ailleurs un tant soit peu industriels; quelle que soit donc notre ardeur d'arborer la croix de chevalier pour combattre les infidèles, je dois renoncer à cet honneur et me contenter d'avoir été jugé digne de l'obtenir; ce n'est pas à la pauvre érudition à supporter les charges du siècle, et ce n'est que de sa plume qu'elle peut concourir au triomphe de la sainte Sion.

J'ai enfin les lettres de Paris des 30 janvier, 22 mars et 10 avril; j'attends toujours celles auxquelles j'apporterai moi-même les réponses.... Adieu.






VINGT ET UNIÈME LETTRE


Sur le Nil, près d'Antinoé, le 11 septembre 1829.

Le lieu et la date de cette lettre diront clairement que mon voyage de recherches est terminé, et que je retourne au plus vite vers Alexandrie pour regagner l'Europe et y trouver à la fois contentement de coeur et repos de corps, dont, au reste, quant au dernier point, je n'éprouve pas un grand besoin; depuis Dendérah, que j'ai quitté le 7 au matin, j'ai en effet vécu en chanoine; couché toute la journée dans la jolie cange de notre ami Mohammed-Bey d'Akhmim, qui a bien voulu nous la louer, j'ai mené une vie tout à fait contemplative, et mon occupation la plus sérieuse a été de regarder, comme on le fait parfois à Paris, de quel côté venait le vent et si nos rameurs faisaient leur devoir en conscience. Le vent du nord nous a longtemps contrariés, malgré le courant du fleuve, enflé outre mesure et au-dessus du maximum de sa crue. L'inondation de cette année est magnifique pour ceux qui, comme nous, voyagent en amateurs, et n'ont dans ces campagnes d'autre intérêt que celui du coup d'oeil. Il n'en est pas de même des pauvres et malheureux fellahs ou cultivateurs; l'inondation est trop forte; elle a déjà ruiné plusieurs récoltes, et le paysan sera obligé, pour ne pas mourir de faim, de manger le blé que le pacha lui avait laissé pour l'ensemencement prochain. Nous avons vu des villages entiers délayés par le fleuve, auquel ne sauraient résister de mesquines cahuttes bâties de limon séché au soleil; les eaux, en beaucoup d'endroits, s'étendent d'une montagne à l'autre, et là où les terres plus élevées ne sont point submergées, nous voyons les misérables fellahs, femmes, hommes et enfants, portant en toute hâte de pleines couffes de terre, dans le dessein d'opposer à un fleuve immense des digues de trois à quatre pouces de hauteur, et de sauver ainsi leurs maisons et le peu de provisions qui leur restent. C'est un tableau désolant et qui navre le coeur; ce n'est pas ici le pays des souscriptions, et le gouvernement ne demandera pas un sou de moins, malgré tant de désastres.

C'est avec bien du regret, comme on se l'imagine sans doute, que j'ai dit adieu aux magnificences de Thèbes, que j'habitais depuis six mois. Notre dernier logement a été, à Karnac, le temple de Oph (Rhéa), à côté du grand temple du sud, au milieu des avenues de sphinx, et à la porte du grand palais des rois.

A notre retour à Thèbes, au mois de mars passé, nous avions exploité le palais de Louqsor et fait dessiner tous les bas-reliefs de quelque intérêt, en commençant par les immenses tableaux des deux massifs du pylône; ce sont donc les seuls édifices de Karnac que nous avions encore à étudier. Ce travail a été exécuté avec ardeur, et mes portefeuilles renferment, sans exception, la série de tous les bas-reliefs historiques, un peu conservés, du palais de Karnac, aussi beaux de style et d'exécution que ceux d'Ibsamboul, s'ils ne leur sont même réellement supérieurs. Tous concernent les campagnes de Ménephtha Ier (Ousireï) en Asie; j'ai fait prendre, de plus, une cinquantaine de dessins de bas-reliefs qui méritent aussi le titre d'historiques, puisqu'ils représentent des Pharaons qui complètent ou enrichissent plusieurs de mes recueils relatifs aux XVIIIe, XIXe, XXe, XXIe et XXIIe dynasties. Karnac est un amas de palais et de temples; étonnante réunion d'édifices de toutes les époques de la monarchie égyptienne, constructions merveilleuses devant lesquelles tout esprit de système sur les arts devra se modifier par l'influence de si grandes conceptions complètement réalisées.

Parti de Thèbes le 4 septembre au soir, j'étais le 5 sous le portique de Dendérah, dont l'architecture est aussi admirable que les bas-reliefs de décor sont mauvais et repoussants par l'empreinte de décadence qu'ils offrent dans toutes leurs parties; les inscriptions hiéroglyphiques elles-mêmes sont de mauvais goût. Le scribe qui les a tracées a voulu faire le bel esprit; prodiguant les symboles et les formes figuratives, il a visé au lazzi et même au calembour. Toutefois, la masse de l'édifice est belle, imposante, frappe même les voyageurs qui, comme nous, sont de vieux Thébains, et ont l'oeil encore rempli des belles conceptions architecturales de l'époque des Pharaons.

Le reste du voyage jusqu'aujourd'hui (11 septembre) n'a rien offert de particulier; j'espère dans la nuit de demain arriver au Caire; là, rien ne peut m'arrêter plus de quatre ou cinq jours; nous partirons tout de suite pour Alexandrie, et s'il s'y trouve un bon vaisseau prêt à nous recevoir, je m'embarque immédiatement pour gagner Toulon.

C'est aussi sur le Nil, entre Dendérah et Haou (Diospolis parva), que nous ont rejoints par hasard deux malheureux courriers, expédiés de Thèbes au Caire depuis la fin de juin; pendant tout ce temps-là nous sommes restés sans nouvelles d'Europe, et c'est en attendant chaque jour leur arrivée que le temps s'est écoulé sans que nous puissions écrire en France. Du reste, comme nous, vous devez être accoutumés aux lacunes. Ces courriers m'ont apporté les lettres du 12 mai et du 12 juillet; heureusement je suis en chemin d'en avoir de plus fraîches. Nous venons d'apprendre l'arrivée du nouveau consul général de France, M. Mimaut; on nous en dit toute sorte de bien. Ce sera pour nous une nouvelle ressource.... Adieu.






VINGT-DEUXIÈME LETTRE


Le Caire, le 15 septembre 1829.

Nous voici de retour dans la capitale de l'Égypte, où je ne trouve ni lettres ni nouvelles d'Europe. Je me hâterai de descendre à Alexandrie; je suis retenu au Caire par une visite que je dois faire à Ibrahim-Pacha, dont je suis désireux de faire la connaissance. Je puis, dans une conversation, laisser dans sa tête le germe de quelques bonnes choses, et il est capable de les exécuter.

Je n'ai pas oublié le musée égyptien du Louvre dans mes explorations; j'ai recueilli des monuments de tout volume, et les plus petits ne seront pas les moins intéressants. En objets de gros volume, j'ai choisi sur des milliers trois ou quatre momies remarquables par des décorations particulières, ou portant des inscriptions grecques; ensuite, le plus beau bas-relief colorié du tombeau royal de Ménephtha Ier (Ousireï), à Biban-el-Molouk; c'est une pièce capitale qui vaut à elle seule une collection; il m'a donné bien du souci et me fera certainement un procès avec les Anglais d'Alexandrie, qui prétendent être les propriétaires légitimes du tombeau d'Ousireï, découvert par Belzoni aux frais de M. Salt. Malgré cette belle prétention, de deux choses l'une: ou mon bas-relief arrivera à Toulon, ou bien il ira au fond de la mer ou du Nil, plutôt que de tomber en des mains étrangères. Mon parti est pris là-dessus.

J'ai acquis au Caire, de Mahmoud-Bey le Kihaïa, le plus beau des sarcophages présents, passés et futurs; il est en basalte vert, et couvert intérieurement et extérieurement de bas-reliefs, ou plutôt de camées travaillés avec une perfection et une finesse inimaginables. C'est tout ce qu'on peut se figurer de plus parfait dans ce genre; c'est un bijou digne d'orner un boudoir ou un salon, tant la sculpture en est fine et précieuse. Le couvert porte, en demi-relief, une figure de femme d'une sculpture admirable. Cette seule pièce m'acquitterait envers la maison du roi, non sous le rapport de la reconnaissance, mais sous le rapport pécuniaire; car ce sarcophage, comparé à ceux qu'on a payés vingt et trente mille francs, en vaut certainement cent mille.

Le bas-relief et le sarcophage sont les deux plus beaux objets égyptiens qu'on ait envoyés en Europe jusqu'à ce jour. Cela devait de droit venir à Paris et me suivre comme trophée de mon expédition; j'espère qu'ils resteront au Louvre en mémoire de moi à toujours.






VINGT-TROISIÈME LETTRE


Alexandrie, le 30 septembre 1829.

Depuis dix jours nous sommes à Alexandrie; nous avons reçu de M. Mimaut, le nouveau consul général de France, l'accueil le plus gracieux, et je ne saurais assez me louer des soins et des attentions dont il m'honore depuis que je suis chez lui; j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance. Ma santé et celle de mes compagnons est des meilleures; il ne manque à notre bonheur que de voir naître et s'élever de l'horizon la voile du vaisseau que M. le ministre de la marine a bien voulu envoyer pour nous ramener en France; mais depuis six semaines la mer est déserte, pas même un vaisseau marchand! et notre patience s'use par secondes.

Je n'ai quitté le Caire qu'après avoir fait une longue visite à Ibrahim-Pacha, qui nous a reçus au mieux. Je l'ai beaucoup entretenu d'un voyage aux sources du Nil, et j'ai affermi en lui l'idée qu'il avait déjà, d'attacher son nom à cette belle conquête géographique, soit en favorisant largement les voyageurs qui la tenteraient, soit en préparant lui-même une petite expédition de voyageurs qu'il ferait soutenir par quelques hommes d'armes. C'est là une semence jetée en bonne terre pour l'avenir, et le pacha comprend tout l'intérêt de cette entreprise et de son succès.

J'ai aussi présenté mes respects au vice-roi Mohammed-Aly, et lui ai dit toute notre gratitude pour la protection officieuse qu'il nous a accordée; le vice-roi est toujours bon et aimable pour les Français; c'est dire qu'il l'a été infiniment pour nous.

Je profite de l'attente à laquelle je suis condamné pour mettre en ordre mes papiers et dessins. Je dis que c'est immense, et j'espère que vous en jugerez de même.

Mes jeunes gens passent leurs loisirs forcés à peindre des décorations pour un théâtre que des amateurs français vont ouvrir incessamment; un théâtre français à Alexandrie d'Égypte dit bien haut que la civilisation marche; nous serons donc forcés de nous divertir en attendant l'embarquement.


15 octobre 1829.

Nous sommes aujourd'hui tout aussi avancés qu'au 15 septembre, c'est-à-dire toujours cloués à Alexandrie; ce qui augmente mes regrets d'avoir quitté sitôt Thèbes et la Haute-Égypte, et cela pour venir le plus tôt possible perdre notre temps sur les tristes rives de la Méditerranée. Nous savons seulement que la corvette l'Astrolabe a fait annoncer qu'elle avait commission de nous ramener en France; elle est commandée par M. de Verninac, un de mes compatriotes quercynois. Cela n'empêchera pas que nous soyons encore à Alexandrie au 15 novembre prochain, l'Astrolabe devant préalablement conduire en Syrie M. Malivoir, consul de France à Alep. Les Toscans ont perdu patience, et se sont embarqués sur un navire marchand. Le voisinage de l'Astrolabe m'a détourné de la même résolution, et d'ailleurs je ne voudrais pas me séparer de mon bagage archéologique.... Me voilà toujours avec la terre de France en perspective.... Je la toucherai enfin, mais jamais assez tôt pour mon coeur.... Adieu.






VINGT-QUATRIÈME LETTRE


Alexandrie, le 10 novembre 1829.

Le mauvais temps ayant contrarié les projets de l'Astrolabe, a aussi ajourné les miens; je ne pense pas m'embarquer avant le 20 de ce mois; mais je trouverai dans le commandant Verninac un fort aimable homme, très-instruit et de la plus agréable société; c'est quelque chose partout, bien plus encore sur mer.

Le beau sarcophage a été mis à bord hier, et fort heureusement; nous continuons l'embarquement de nos effets; mais je ne suis pas sans quelque crainte en pensant d'avance aux douanes de Toulon; il faut qu'un ordre ministériel nous y précède pour la libre admission: 1° des caisses contenant les monuments que je destine au Musée; 2° pour les divers objets qui font aujourd'hui partie de notre garde-robe orientale ou de simple curiosité, tels que manteaux de laine dits burnous, chaussures pour hommes et pour femmes, voiles de mousseline brodés en or, armes, ustensiles domestiques, harnais et autres produits des manufactures d'Égypte et de Nubie, que nous avons recueillis à nos dépens. Je ne pense pas qu'on nous refuse cette faveur, du reste bien gratuite pour nous.

Les décorations du théâtre français d'Alexandrie sont terminées, et déjà éprouvées; l'ouverture du théâtre a eu lieu le jour de la fête du roi, à la grande satisfaction des nombreux spectateurs que cette fête nouvelle avait réunis.

28 novembre 1829.

Enfin il m'est permis de dire adieu à ma terre sainte, à ce pays de merveilles historiques; je quitterai l'Égypte comblé des faveurs de ses anciens et de ses modernes habitants, vers le 2 ou le 3 décembre. Mon fidèle aide de camp, Salvador Cherubini, ne me quittera pas; MM. Lhôte, Lehoux et Bertin resteront ici après nous, pour avancer un grand travail qu'ils ont commencé, le Panorama du Caire, pour lequel ils ont fait sur les lieux toutes les études nécessaires; ils veulent le terminer ici, et ils ont cent fois raison, car ce sera une magnifique chose. Pour moi, je pars bien résolu contre les bourrasques et coups de vent qui ne nous manqueront certainement pas dans ce temps-ci; mais la France est à ce prix: je l'accepte.

Cette lettre voguera par les soins obligeants d'un fort aimable et excellent homme, M. Ouder, aide de camp de M. le général Guilleminot, qui monte le brick l'Éclipse, et dont l'arrivée précédera la mienne d'une dizaine de jours, son brick marchant bien mieux que notre Astrolabe, corvette à l'épreuve de la bombe et des fureurs de l'Océan, qu'elle a bravées plusieurs fois dans ses voyages autour du monde. Je ne serai donc à Toulon que du 20 au 25 décembre, et sur pays chrétien que vers le milieu de janvier, à cause de la quarantaine de trois à quatre semaines que je ferai à Toulon, si je ne la fais pas à Malte dans l'intention de gagner quelques jours. Dans tous ces calculs, je crois fermement que la fin de mon drame sera aussi heureuse que les quatre premiers actes; l'idée France en constitue l'unité requise par la vénérable antiquité.... Adieu.






VINGT-CINQUIÈME LETTRE


Toulon, le 25 décembre 1829.

«Soyez sans inquiétude, tout ira bien;» c'est en ces termes que je dis adieu à mes amis au moment de mon départ de Paris; j'ai tenu parole, et me voici en rade de Toulon, subissant avec résignation le triste devoir de la quarantaine. Ma campagne est donc finie, et tous mes voeux et les vôtres sont remplis. C'est le 23 décembre, dans la rade d'Hyères, que l'ancre de l'Astrolabe mordit enfin sur la terre de France; c'est le jour anniversaire de ma naissance; au 1er janvier vous aurez ma lettre pour vos étrennes; il ne manque donc à ma satisfaction que d'avoir en main vos lettres, qui m'attendent sans doute ici; j'espère pour tout cela dans les bontés habituelles de M. le préfet maritime.

Je ferai ma quarantaine à bord de l'Astrolabe, toutefois en prenant une chambre au lazaret, dans le but de me chauffer et de faire un peu d'exercice. J'y reverrai mon Journal de voyage et j'y ajouterai ce qui y manque sur mon dernier séjour au Caire et à Alexandrie. La reconnaissance me fait un devoir de consigner dans ce journal tous les témoignages d'intérêt que j'ai reçus d'Ibrahim-Pacha, et les marques non interrompues de la plus active protection de S.A. Mohammed-Aly, qui, le jour de la fête du roi, a ajouté à toutes ses bontés le présent d'un magnifique sabre.

C'est une tête qui travaille avec activité sur le passé et sur l'avenir: Son Altesse m'a demandé un abrégé de l'histoire de l'Égypte, et j'ai rédigé un petit mémoire, selon ses vues, qui paraît l'avoir vivement intéressé; je lui ai remis aussi une note détaillée qui a pour objet la conservation des monuments principaux de l'Égypte et de la Nubie. J'espère que ces deux mémoires porteront leur fruit.

Je ne saurais dire assez haut tout ce dont je suis redevable aux soins et à l'affection de M. Mimaut, notre consul général; c'est un homme parfait, qui m'est allé au coeur, et n'en sortira jamais. J'ai recommandé de nouveau à ses bontés MM. Lhôte, Lehoux et Bertin, qui restent après moi à Alexandrie pour terminer leur panorama du Caire et faire les portraits du vice-roi et d'Ibrahim, son fils, qui l'ont désiré.

Le magnifique sarcophage, le grand bas-relief du tombeau de Ménephtha, toutes mes caisses contenant les stèles, momies et autres objets destinés au Musée, sont chargés sur l'Astrolabe; j'espère que la douane épargnera ces propriétés nationales, et que je ne serai pas obligé de déballer vingt ou trente caisses qui nous ont déjà coûté tant de peine. Ce qu'il faudrait obtenir encore, c'est d'éviter le transbordement de ces monuments, et que M. de Verninac soit chargé de conduire le chargement de l'Astrolabe dans le port du Havre aussitôt que la saison le permettra, vers les premiers jours de mars, je pense, pour être en avril au Havre, d'où un chaland emporterait le tout par la Seine devant le Louvre. Par ce moyen fort simple et pour lequel il suffira d'un ordre de M. le ministre de la marine, on ne compromettrait pas, par deux ou trois transbordements, la conservation de ces richesses monumentales, qui serviront à compléter les salles basses du Musée.

Après ma sortie de quarantaine, je resterai trois jours à Toulon, j'en passerai quatre à Marseille, d'où je me rendrai à Aix, pour étudier les papyrus de M. Sallier. Ce sera une petite séance égyptienne, et j'espère en reprendre l'habitude journalière à Paris; c'est un sort, et je m'y résigne sans peine.... Adieu.






VINGT-SIXIÈME LETTRE


Au lazaret de Toulon, le 26 décembre 1829.

À M. le baron DE LA BOUILLERIE, intendant général de la maison du roi.

MONSIEUR LE BARON,

Mon premier devoir, en touchant la terre de France, est de renouveler l'expression de toute ma gratitude à la main protectrice qui, secondant les hautes vues du roi pour l'avancement des études historiques, m'a généreusement fourni les moyens d'accomplir la série des recherches que la science montrait encore à faire dans l'Égypte entière et sur le sol de la Nubie. Je me suis efforcé, par mon complet dévouement à l'importante entreprise que vous m'avez mis à même d'exécuter, de ne point rester au-dessous d'une si noble tâche et de justifier de mon mieux les espérances que les savants de l'Europe ont bien voulu attacher à mon voyage.

L'Égypte a été parcourue pas à pas, et j'ai séjourné partout où le temps avait laissé subsister quelques restes de la splendeur antique; chaque monument est devenu l'objet d'une étude spéciale; j'ai fait dessiner tous les bas-reliefs et copier toutes les inscriptions qui pouvaient fournir des lumières sur l'état primitif d'une nation dont le vieux nom se mêle aux plus anciennes traditions écrites.

Les matériaux que j'ai recueillis ont surpassé mon attente. Mes portefeuilles sont de la plus grande richesse, et je me crois permis de dire que l'histoire de l'Égypte, celle de son culte et des arts qu'elle a cultivés ne sera bien connue et justement appréciée qu'après la publication des dessins qui sont le fruit de mon voyage.

Je me suis fait un devoir de consacrer toutes les économies qu'il m'a été possible de réaliser à des fouilles exécutées à Memphis, à Thèbes, etc., pour enrichir le musée Charles X de nouveaux monuments; j'ai été assez heureux pour réunir une foule d'objets qui compléteront diverses séries du musée égyptien du Louvre; et j'ai enfin réussi, après bien des doutes, à faire l'acquisition du plus beau et du plus précieux sarcophage qui soit encore sorti des catacombes égyptiennes. Aucun musée de l'Europe ne possède un si bel objet d'art égyptien. J'ai réuni aussi une collection d'objets choisis d'un très-grand intérêt, parmi lesquels se trouve une statuette de bronze d'un travail exquis, entièrement incrustée en or, et représentant une reine égyptienne de la dynastie des Bubastites. C'est le plus bel objet connu de ce genre.

Je me hâterai, autant que l'obligation de la quarantaine et l'état de ma santé pourront me le permettre, de me rendre à Paris le plus tôt possible, afin d'avoir l'honneur de mettre sous vos yeux, Monsieur le baron, tous les résultats de mon voyage. Je m'estimerais heureux si vous vouliez bien voir en eux une marque de mon zèle pour le service du roi, et en même temps une preuve de la vive reconnaissance et du respectueux dévouement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur le baron, votre, etc.






VINGT-SEPTIÈME LETTRE


Toulon, le 26 décembre 1829.

À M. le vicomte SOSTHÈNES DE LAROCHEFOUCAUD, directeur du département des Beaux-Arts de la maison du roi.

MONSIEUR LE VICOMTE,

J'ai l'honneur de vous faire part de mon arrivée en France, sur le bâtiment du roi l'Astrolabe, entré hier au soir en rade après une traversée de dix-neuf jours, et je m'empresse de porter en même temps à votre connaissance les heureux résultats de mon voyage.

Sous le rapport des recherches scientifiques qui en étaient l'objet principal, mes espérances ont été pour ainsi dire surpassées; la richesse de mes portefeuilles ne laisse rien à désirer, et les dessins qu'ils renferment, éclaircissant une foule de points historiques, donnent en même temps des lumières du plus piquant intérêt sur les formes de la civilisation égyptienne jusque dans ses plus petits détails. J'ai recueilli enfin des notions certaines pour l'histoire générale des beaux-arts, et en particulier pour celle de leur transmission de l'Égypte à la Grèce.

C'était un devoir pour moi de m'efforcer d'enrichir la division égyptienne du musée royal de divers genres de monuments qui lui manquent, et de ceux qui peuvent compléter les belles séries qu'il renferme déjà. Je n'ai rien épargné pour atteindre ce but; tout ce que j'ai pu économiser sur les fonds que la maison du roi et divers ministères avaient bien voulu m'accorder pour mon voyage, a été employé à des fouilles et à des acquisitions de monuments égyptiens de toute espèce, destinés au musée Charles X. J'ai fait scier à grand' peine et tirer du fond d'une des catacombes royales de Thèbes un très-grand bas-relief conservant encore presque toute sa peinture antique. Ce superbe morceau, provenant du tombeau du père de Sésostris, pourra seul donner une juste idée de la somptuosité et de la magnificence des sépultures pharaoniques. J'ai aussi acquis un monument du premier ordre: c'est un sarcophage en basalte vert, couvert de sculptures d'une admirable finesse d'exécution, et du plus haut intérêt mythologique; cette pièce, la plus belle de ce genre qu'on ait découverte jusqu'ici, appartenait à Mahmoud-Bey, ministre de la guerre de S.A. le vice-roi d'Égypte.

Tous les objets destinés au musée ont été embarqués à bord de l'Astrolabe et sont arrivés avec moi à Toulon; il ne s'agit plus que de leur transport au musée royal; et comme il importe extrêmement à la conservation du sarcophage, des bas-reliefs et de quelques peintures antiques, d'éviter le plus possible toute espèce de déplacement, il serait très-désirable que la corvette l'Astrolabe, sur laquelle sont embarqués ces objets précieux, fût chargée de les transporter de Toulon au Havre aussitôt que la mer sera tenable. En obtenant cette décision du ministre de la marine, vous assureriez à la fois, Monsieur le vicomte, la conservation de ces monuments et leur arrivée à Paris vers le 1er avril, époque où il est indispensable de les recevoir pour achever enfin l'arrangement des salles basses du musée égyptien.

D'un autre côté, j'expédierai à Paris, par le roulage, huit à dix caisses contenant divers objets de petites proportions et qui peuvent supporter sans inconvénient le transport par terre. Les autres arriveraient par mer avec les grands objets.

Permettez-moi, Monsieur le vicomte, de vous prier de hâter la décision de M. le ministre de la marine relativement à l'envoi de la corvette l'Astrolabe au Havre, où elle déposerait les antiquités appartenant au musée royal, afin que je puisse, en sortant de quarantaine, prendre pour leur sûreté toutes les mesures convenables.

Je terminerai cette lettre en renouvelant ici l'expression de toute ma gratitude pour votre active bienveillance, à laquelle je dois attribuer en grande partie le succès de mon voyage; veuillez agréer en même temps l'hommage du respectueux et entier dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur le vicomte, votre, etc.






VINGT-HUITIÈME LETTRE


En rade de Toulon, le 14 janvier 1830.

C'est aujourd'hui que je comptais recouvrer ma liberté, perdre mon titre de pestiféré, dire adieu au lazaret et bonjour aux rues d'une ville française. Le conseil de santé en a jugé autrement; considérant que l'Astrolabe, avant de nous prendre à Alexandrie, était allée mettre M. de Malivoir, consul d'Alep, à Latakié, sur la côte de Syrie, où un canot l'avait déposé, l'Astrolabe ayant ensuite mis à la voile pour retourner en Égypte, ledit conseil a augmenté notre quarantaine de dix jours de plus, en nous considérant comme provenance brute. Cette décision malencontreuse aura son cours, parce que ces messieurs l'ont jugé ainsi selon leur bon plaisir. L'Égypte, depuis cinq ans, n'a pas vu de peste; l'état sanitaire de Latakié était parfait; le canot seul avait touché terre; quarante jours et plus s'étaient écoulés, à notre entrée en rade de Toulon, depuis le départ de l'Astrolabe de devant Latakié; aucune maladie ne s'était montrée à bord; vingt autres jours de quarantaine à Toulon, expirés hier 13, ajoutés aux quarante précédents, donnent deux mois d'épreuve à la santé de l'équipage; et quand même, on en exige encore dix de plus! Le plus plaisant, s'il y a le mot pour rire dans un tel acte, c'est que le brick l'Éclipse, avec les officiers et les passagers duquel nous avons vécu tous les jours bras dessus bras dessous à Alexandrie, est arrivé trois jours avant nous à Toulon, et n'a été soumis qu'à vingt jours de quarantaine. Si nous avions la peste, les personnes de l'Éclipse doivent l'avoir prise de nous; s'ils sont déclarés sains, c'est que nous le sommes nous-mêmes. Tout cela ne m'a pas semblé très-rationnel, surtout quand il en résulte un supplément de quarantaine.

Je vais écrire à M. le duc de Blacas, puisqu'il est de retour à Paris. J'espère qu'il aura reçu les deux lettres que je me suis fait un devoir de lui adresser, la première de Thèbes, en remontant le Nil, et la seconde après avoir quitté la seconde cataracte; je donne dans celle-ci une idée générale de mes conquêtes historiques en Nubie, et c'est à M. le duc de Blacas que j'en devais le premier hommage.

Cette lettre-ci te parviendra par M. le ministre de la marine, auquel je viens d'adresser quelques renseignements importants qu'il m'a demandés au sujet du transport de l'obélisque de Louqsor. Dieu veuille que cette belle entreprise s'achève! cela serait glorieux pour tous et pour tout.

Rien de plus. Le lazaret est le pays de l'uniformité. Ma santé et celle de Salvador sont excellentes, malgré les vents, la pluie et la neige, et l'impossibilité d'avoir du feu à bord; mais je passe une partie de la journée dans une mauvaise chambre du lazaret, où je puis faire du feu. Quelle opposition que ce mortel hiver avec nos cinquante degrés d'Ibsamboul! Vous n'êtes pas mieux traités à Paris, et j'en grelotte d'avance; mais enfin ce sera à Paris.... Adieu.






VINGT-NEUVIÈME LETTRE


Aix, le 29 janvier 1830.

Me voici établi chez le bon M. Sallier, et gardant le coin du feu pour me soustraire au froid piquant qui se fait encore sentir dans ce beau climat de Provence. Je m'effraye de l'idée seule de monter subitement vers le nord et m'ensevelir dans les brouillards de la Seine. Jusqu'ici, la goutte a bien voulu m'épargner sa visite habituelle du premier jour de l'an; quelques petites douleurs sourdes m'avertissent qu'elle arrivera à la première humidité qui me saisira.

Je suis sorti de la maudite quarantaine le 23 du courant, et n'ai passé que deux jours à Toulon avec M. Drovetti, qui, ayant appris que j'étais en quarantaine, vint m'y voir et prolongea son séjour jusqu'à ma sortie définitive. Nous sommes partis tous deux au même instant, le 26, lui pour l'orient, à Nice, et moi pour l'occident, à Marseille, où j'arrivai le même jour d'assez bonne heure; j'y séjournai le 27 et la nuit du 28. J'ai vu tout ce qu'il y a à voir, c'est-à-dire peu de chose en antiquités égyptiennes. Au moment de partir, j'ai reçu la lettre de notre ami Dubois, et j'ai traité pour la stèle égyptienne de M. Mayer, qui s'est décidé à la céder; il va l'adresser directement au musée royal.

J'ai certainement grande envie de me voir à Paris; mais les froids rigoureux que vous éprouvez sous ce bienheureux ciel m'épouvantent profondément; aussi suis-je décidé à diriger ma route de manière à ne quitter le soleil du Midi que le plus tard possible, afin de ménager les transitions. Je ne prendrai donc pas la route de Lyon, difficile par l'accumulation des neiges, surtout entre Lyon et Paris. J'aurai de la besogne à Aix pour sept à huit jours au moins, sur les papyrus de M. Sallier; je veux les couler à fond, afin de n'être pas obligé d'y revenir. De là je compte aller à Avignon voir le musée Calvet. Je tournerai sur Nîmes pour visiter les nouvelles fouilles; ensuite Montpellier, Narbonne, Toulouse et Bordeaux; je pousserai de là sur Montauban, et à Cahors je prendrai la malle-poste, qui me mettra en deux ou trois jours à Paris.... A Paris donc.






TRENTIÈME LETTRE


Toulouse, le 18 février 1830.

Me voici au milieu des troubadours de Toulouse. J'ai fait partir Salvador presque à notre arrivée; il emporte mes gros bagages, contenant les dessins et toutes mes notices et descriptions des monuments; ces précieux documents me serviront d'avant-garde et me précéderont de quelques jours à Paris.

Le papyrus de M. Sallier m'a retenu plus que je ne l'avais pensé. Il a fallu prolonger mon séjour, parce que mon excellent hôte m'a témoigné l'envie de rester seul possesseur de son livre et le désir que je n'en prisse point de copie; il a donc fallu me contenter de l'étudier à fond. Je ne l'ai quitté qu'après avoir mis en portefeuille des notes complètes sur les parties les plus importantes de ce vieux monument. J'ai reconnu qu'il contient le récit dramatique de la guerre de Sésostris contre les Scythes (Schéta), alliés avec la plupart des peuples de l'Asie occidentale. Mais il est extrêmement piquant d'avoir reconnu aussi que ce même texte est gravé en grands hiéroglyphes sur la paroi extérieure sud du palais de Karnac à Thèbes; ce texte historique est fort endommagé et presque perdu à Karnac, devais-je m'attendre à le retrouver à Aix dans toute son intégrité? Le rapprochement de ce double texte me le donnera tout entier.

Continuant à chercher de la chaleur et le beau soleil du Midi au travers des neiges qui couvrent la Provence, je me suis rendu à Nîmes, où j'ai admiré l'amphithéâtre, et surtout la Maison carrée, qui, dans son état actuel, est certainement le mieux conservé de tous les monuments romains existants en Europe.

A Montpellier j'ai retrouvé l'excellent M. Fabre, que j'avais connu en Italie; il m'a fait visiter en détail le beau musée de tableaux et la riche bibliothèque dont il a fait don à sa ville natale. C'est une chose merveilleuse qu'une telle réunion.

Encore des neiges et du froid en quittant Montpellier. Quel démon d'hiver le ciel nous envoie-t-il donc cette année? J'en souffre beaucoup, et je crains fort de trouver la goutte en arrivant dans l'atmosphère brumeuse de Paris. Cependant il est temps que j'y rentre, et ce sera bientôt.... Adieu.






TRENTE ET UNIÈME LETTRE


Bordeaux, le 2 mars 1830.

Je me trouve enfin, en très-bonne santé, dans la belle ville de Bordeaux; je vais en courir les monuments pour achever mon éducation et finir mes caravanes, car c'est demain, mercredi 3 mars, que je monte dans le courrier, à dix heures du soir, pour arriver enfin à Paris vendredi, à la pointe du jour.

Nous nous trouverons donc là où nous nous sommes quittés, il y aura alors vingt mois et vingt jours; ce n'est pas trop pour les résultats que j'ai conquis sur le désert; on m'en saura un jour, peut-être, quelque gré....






APPENDICE


N° 1

NOTICE SOMMAIRE SUR L'HISTOIRE D'ÉGYPTE, RÉDIGÉE A ALEXANDRIE POUR LE VICE-ROI, ET REMISE A SON ALTESSE AU MOIS DE NOVEMBRE 1829.


Les premières tribus qui peuplèrent l'ÉGYPTE, c'est-à-dire la vallée du Nil, entre la cataracte d'Osouan et la mer, venaient de l'Abyssinie ou du Sennaar. Mais il est impossible de fixer l'époque de cette première migration, excessivement antique.

Les anciens Égyptiens appartenaient à une race d'hommes tout à fait semblables aux Kennous ou Barabras, habitants actuels de la Nubie. On ne retrouve dans les Coptes d'Égypte aucun des traits caractéristiques de l'ancienne population égyptienne. Les Coptes sont le résultat du mélange confus de toutes les nations qui, successivement, ont dominé sur l'Égypte. On a tort de vouloir retrouver chez eux les traits principaux de la vieille race.

Les premiers Égyptiens arrivèrent en Égypte dans l'état de nomades, et n'avaient point de demeures plus fixes que les Bédouins d'aujourd'hui; ils n'avaient alors ni sciences, ni arts, ni formes stables de civilisation.

C'est par le travail des siècles et des circonstances que les Égyptiens, d'abord errants, s'occupèrent enfin d'agriculture, et s'établirent d'une manière fixe et permanente; alors naquirent les premières villes, qui ne furent, dans le principe, que de petits villages, lesquels, par le développement successif de la civilisation, devinrent des cités grandes et puissantes. Les plus anciennes villes de l'Égypte furent Thèbes (Louqsor et Karnac), Esné, Edfou et les autres villes du Saïd, au-dessus de Dendérah; l'Égypte moyenne se peupla ensuite, et la Basse-Égypte n'eut que plus tard des habitants et des villes. Ce n'est qu'au moyen de grands travaux exécutés par les hommes, que la Basse-Égypte est devenue habitable.

Les Égyptiens, dans les commencements de leur civilisation, furent gouvernés par LES PRÊTRES. Les prêtres administraient chaque canton de l'Égypte sous la direction du GRAND-PRÊTRE, lequel donnait ses ordres, disait-il, au nom de Dieu même. Cette forme de gouvernement se nommait théocratie; elle ressemblait, mais bien moins parfaite, à celle qui régissait les Arabes sous les premiers kalifes.

Ce premier gouvernement égyptien, qui devenait facilement injuste, oppresseur, s'opposa bien longtemps à l'avancement de la civilisation. Il avait divisé la nation en trois parties distinctes: 1° LES PRÊTRES; 2° LES MILITAIRES; 3° LE PEUPLE. Le peuple seul travaillait, et le fruit de toutes ses peines était dévoré par les prêtres, qui tenaient les militaires à leur solde et les employaient à contenir le reste de la population.

Mais il arriva une époque où les soldats se lassèrent d'obéir aveuglément aux prêtres. Une révolution éclata, et ce changement, heureux pour l'Égypte, fut opéré par un militaire nommé Méneï, qui devint le chef de la nation, établit le gouvernement royal et transmit le pouvoir à ses descendants en ligne directe.

Les anciennes histoires d'Égypte font remonter l'époque de cette révolution à six mille ans environ avant l'islamisme.

Dès ce moment, le pays fut gouverné par des ROIS, et le gouvernement devint plus doux et plus éclairé, car le pouvoir royal trouva un certain contre-poids dans l'influence que conservait nécessairement la classe des prêtres, réduite alors à son véritable rôle, celui d'instruire et d'enseigner en même temps les lois de la morale et les principes des arts. THÈBES resta la capitale de l'État; mais le roi Méneï et son fils et successeur ATHOTHI jetèrent les fondements de MEMPHIS, dont ils firent une ville forte et leur seconde capitale. Elle exista à peu de distance du Nil, et on a trouvé ses ruines dans les villages de Menf, Mokhnan, et surtout de Mit-Rhahinéh. Les anciens historiens arabes nommèrent Memphis, Mars-el-Qadiméh, pour la distinguer de Mars-el-Atiqéh (Fosthath ou le vieux Caire) et de Mars-el-Qahérah (le Caire), la capitale actuelle.

Une très-longue suite de rois succéda à Méneï; diverses familles occupèrent le trône, et la civilisation se développa de siècle en siècle. C'est sous la IIIe dynastie que furent bâties les pyramides de Dahschour et de Sakkarah, les plus anciens monuments dans le monde connu. Les pyramides de Ghizéh sont les tombeaux des trois première rois de la Ve dynastie, nommés Souphi Ier, Sensaouphi et Mankhéri. Autour d'elles s'élèvent de petites pyramides et des tombeaux, construits en grandes pierres, qui ont servi de sépultures aux princes de la famille de ces anciens rois. Sous ces dynasties ou familles régnantes qui se succédèrent les unes aux autres, les sciences et les arts naquirent et se développèrent graduellement. L'Égypte était déjà puissante et forte; elle exécuta même plusieurs grandes entreprises militaires au dehors, notamment sous des rois nommés Sésokhris, Aménémé et Aménémôf; mais les monuments de ces rois n'existent plus, et l'histoire n'a conservé aucun détail sur leurs grandes actions, parce qu'après le règne de ces princes un grand bouleversement changea la face de l'Asie; des peuples barbares firent une invasion en Égypte, s'en emparèrent et la ravagèrent en détruisant tout sur leur passage; Thèbes fut ruinée de fond en comble.

Cet événement eut lieu environ 2800 ans avant l'islamisme. Une partie de ces Barbares s'établit en Égypte et tyrannisa le pays pendant plusieurs siècles. La civilisation première égyptienne fut ainsi arrêtée et détruite par ces étrangers, qui ruinèrent l'État par leurs exactions et leurs rapines, en faisant disparaître par la misère une partie de la population locale. Ces Barbares ayant élu un d'entre eux pour chef, il prit aussi le titre de Pharaon, qui était le nom par lequel on désignait dans ce temps-là tous les rois d'Égypte.

C'est sous le quatrième de ces chefs étrangers que Ioussouf, fils de Iakoub, devint premier ministre et attira en Égypte la famille de son père, qui forma ainsi la souche de la nation juive.

Avec le temps, diverses parties de l'Égypte supérieure s'affranchirent du joug des étrangers, et à la tête de cette résistance parurent des princes descendants des rois égyptiens que les Barbares avaient détrônés. L'un de ces princes, nommé Amosis, rassembla enfin assez de forces pour attaquer les étrangers jusque dans la Basse-Égypte, où ils étaient le plus solidement établis, au moyen des places de guerre, parmi lesquelles on comptait en première ligne Aouara, immense campement fortifié qui exista dans l'emplacement actuel d'Abou-Kecheid; du côté de Salakiéh.

Les exploits militaires d'Amosis délivrèrent l'Égypte de la tyrannie des Barbares. Il les chassa de Memphis, dont ils avaient fait leur capitale, et les contraignit de se renfermer tous dans la grande place d'armes d'Aouara, dont le siège fut commencé. Amosis étant mort sur ces entrefaites, son fils Aménôf continua le blocus et força les étrangers à une capitulation en vertu de laquelle ils évacuèrent l'Égypte pour se jeter sur la Syrie, où s'établirent quelques-unes de leurs tribus.

Aménôf, le premier de ce nom, réunit ainsi toute l'Égypte sous sa domination et releva le trône des Pharaons, c'est-à-dire des rois de race égyptienne. C'était le chef de la XVIIIe dynastie. Son règne entier et celui de ses trois premiers successeurs, Thouthmosis Ier, Thouthmosis II et Méris-Thouthmosis III, furent consacrés à reconstituer en Égypte un gouvernement régulier et à relever la nation écrasée par les longues années de la servitude étrangère.

Les Barbares avaient tout détruit, tout était par conséquent à reconstruire. Ces grands rois n'épargnèrent rien pour relever l'Égypte de son abaissement; l'ordre fut rétabli dans tout le royaume; les canaux furent recreusés; l'agriculture et les arts, encouragés et protégés, ramenèrent l'abondance et le bien-être parmi les sujets, ce qui accrut et perpétua les richesses du gouvernement. Bientôt les villes furent reconstruites; les édifices consacrés à la religion se relevèrent de toutes parts, et plusieurs des monuments qu'on admire encore sur les bords du Nil appartiennent à cette intéressante époque de la restauration de l'Égypte par la sagesse de ses rois. De ce nombre sont les monuments de Semné et d'Amada, en Nubie, et plusieurs de ceux de Karnac et de Médinet-Habou, qui sont de beaux ouvrages de Thouthmosis Ier ou de Thouthmosis III, qu'on appelait aussi Méris.

Ce roi, qui a fait exécuter les deux obélisques d'Alexandrie, est celui de tous les Pharaons qui opéra les plus grandes choses. C'est à lui que l'Égypte doit l'existence du grand lac de Fayoum. Par les immenses travaux qu'il fit faire, et au moyen de canaux et d'écluses, ce lac devint un réservoir qui servait à entretenir, pour tout le pays inférieur, un équilibre perpétuel entre les inondations du Nil insuffisantes et les inondations trop fortes. Ce lac portait autrefois le nom de lac Méris, aujourd'hui Birket-Karoun.

Ces rois, et quelques-uns de leurs successeurs, paraissent avoir conservé, dans toute sa plénitude, le pouvoir royal qu'ils avaient arraché aux chefs des Barbares; mais ils n'en usèrent qu'à l'avantage du pays; ils s'en servirent pour corriger et reconstituer la société corrompue par l'esclavage, et pour replacer l'Égypte au premier rang politique qui lui appartenait au milieu des nations environnantes.

Quelques peuples de l'Asie avaient déjà atteint à cette époque un certain degré de civilisation, et leurs forces pouvaient menacer le repos de l'Égypte. Méris et ses successeurs prirent souvent les armes et portèrent la guerre en Asie ou en Afrique, soit pour établir la domination égyptienne, soit pour ravager et affaiblir ces États et assurer ainsi la tranquillité de la nation égyptienne.

Parmi ces conquérants, on doit compter Aménôf II, fils de Méris, qui rendit tributaire la Syrie et l'ancien royaume de Babylone; Thouthmosis IV, qui envahit l'Abyssinie et le Sennaar; enfin Aménôf III, qui acheva la conquête de l'Abyssinie et fit de grandes expéditions en Asie. Il existe encore des monuments de ce roi; c'est lui qui fit bâtir le palais de Sohleb, en Haute-Nubie, le magnifique palais de Louqsor, et toute la partie sud du grand palais de Karnac à Thèbes. Les deux grands colosses de Kourna sont des statues qui représentent cet illustre prince.

Son fils Hôrus châtia une révolte d'Abyssins et continua les travaux de son père; mais deux de ses enfants, qui lui succédèrent, n'eurent ni la fermeté ni le courage de leurs ancêtres; ils laissèrent se perdre en peu d'années l'influence que l'Égypte exerçait sur les contrées voisines. Mais le roi Ménephtha Ier releva la gloire du pays et porta ses armes victorieuses en Syrie, à Babylone, et jusque dans le nord de la Perse.

A sa mort, les peuples soumis s'étaient encore révoltés: Rhamsès le Grand, son fils et son successeur, reprit les armes, renouvela toutes les conquêtes de son père, et les étendit jusque dans les Indes; il épuisa les pays vaincus et enrichit l'Égypte des immenses dépouilles de l'Asie et de l'Afrique.

Cet illustre conquérant, connu aussi dans l'histoire sous le nom de Sésostris, fut en même temps le plus brave des guerriers et le meilleur des princes. Il employa toutes les richesses enlevées aux nations soumises et les tributs qu'il en recevait à l'exécution d'immenses travaux d'utilité publique; il fonda des villes nouvelles, tâcha d'exhausser le terrain de quelques-unes, environna une foule d'autres de forts terrassements pour les mettre à couvert de l'inondation du fleuve; il creusa de nouveaux canaux, et c'est à lui qu'on attribue la première idée du canal de jonction du Nil à la mer Rouge; il couvrit enfin l'Égypte de constructions magnifiques, dont un très-grand nombre existent encore: ce sont les monuments d'Ibsamboul, Derri, Guirché-Hanan et Ouadi-Essebouâ, en Nubie; et en Égypte, ceux de Kourna, d'El-Médinéh, près de Kourna, une portion du palais de Louqsor, et enfin la grande salle à colonnes du palais de Karnac, commencé par son père. Ce dernier monument est la plus magnifique construction qu'ait jamais élevée la main des hommes.

Non content d'orner l'Égypte d'édifices aussi somptueux, il voulut assurer le bonheur de ses habitants, et publia des lois nouvelles; la plus importante fut celle qui rendit à toutes les classes de ses sujets le droit de propriété dans toute sa plénitude. Il se démit ainsi du pouvoir absolu que ses ancêtres avaient conservé après l'expulsion des Barbares. Ce bienfait immortalisa son nom, qui fut toujours vénéré tant qu'il exista un homme de race égyptienne connaissant l'ancienne histoire de son pays. C'est sous le règne de Rhamsès le Grand, ou Sésostris, que l'Égypte arriva au plus haut point de puissance politique et de splendeur intérieure.

Le Pharaon comptait alors au nombre des contrées qui lui étaient soumises ou tributaires: 1° l'Égypte, 2° la Nubie entière, 3° l'Abyssinie, 4° le Sennaar, 5° une foule de contrées du midi de l'Afrique, 6° toutes les peuplades errantes dans les déserts de l'orient et de l'occident du Nil, 7° la Syrie, 8° l'Arabie, dans laquelle les plus anciens rois avaient des établissements, un, entre autres, près de la vallée de Pharaon, et aux lieux nommés aujourd'hui Djébel-el-Mokatteb, el Magara, Sabouth-el-Kadim, où paraissent avoir existé des fonderies de cuivre;

9° Les royaumes de Babylone et de Ninive (Moussoul);

10° Une grande partie de l'Anatolie ou Asie Mineure;

11° L'île de Chypre et plusieurs îles de l'Archipel;

12° Plusieurs royaumes formant alors le pays qu'on appelle aujourd'hui la Perse.

Alors existaient des communications suivies et régulières entre l'empire égyptien et celui de l'Inde. Le commerce avait une grande activité entre ces deux puissances, et les découvertes qu'on fait journellement dans les tombeaux de Thèbes, de toiles de fabrique indienne, de meubles en bois de l'Inde et de pierres dures taillées, venant certainement de l'Inde, ne laissent aucune espèce de doute sur le commerce que l'ancienne Égypte entretenait avec l'Inde à une époque où tous les peuples européens et une grande partie des Asiatiques étaient encore tout à fait barbares. Il est impossible, d'ailleurs, d'expliquer le nombre et la magnificence des anciens monuments de l'Égypte, sans trouver dans l'antique prospérité commerciale de ce pays la principale source des énormes richesses dépensées pour les produire. Ainsi, il est bien démontré que Memphis et Thèbes furent le premier centre du commerce avant que Babylone, Tyr, Sidon, Alexandrie, Tadmour (Palmyre) et Bagdhad, villes toutes du voisinage de l'Égypte, héritassent successivement de ce bel et important privilège.

Quant à l'état intérieur de l'ÉGYPTE à cette grande époque, tout prouve que la police, les arts et les sciences y étaient portés à un très-haut degré d'avancement.

Le pays était partagé en trente-six provinces ou gouvernements administrés par divers degrés de fonctionnaires, d'après un code complet de lois écrites.

La population s'élevait en totalité à cinq millions au moins et à sept millions au plus. Une partie de cette population, spécialement vouée à l'étude des sciences et aux progrès des arts, était chargée en outre des cérémonies du culte, de l'administration de la justice, de l'établissement et de la levée des impôts invariablement fixés d'après la nature et l'étendue de chaque portion de propriété mesurée d'avance, et de toutes les branches de l'administration civile. C'était la partie instruite et savante de la nation; on la nommait la caste sacerdotale. Les principales fonctions de cette caste étaient exercées ou dirigées par des membres de la famille royale.

Une autre partie de la nation égyptienne était spécialement destinée à veiller au repos intérieur et à la défense extérieure du pays. C'est dans ces familles nombreuses, dotées et entretenues aux frais de l'État, et qui formaient la caste militaire, que s'opéraient les conscriptions et les levées de soldats; elles entretenaient régulièrement l'armée égyptienne sur le pied de 180,000 hommes. La première, mais la plus petite, des divisions de cette armée, était exercée à combattre sur des chars à deux chevaux, c'était la cavalerie de l'époque (la cavalerie proprement dite n'existait point alors en Égypte); le reste formait des corps de fantassins de différentes armes, savoir: les soldats de ligne, armés d'une cuirasse, d'un bouclier, d'une lance et de l'épée; et les troupes légères, les archers, les frondeurs et les corps armés de haches ou de faux de bataille. Les troupes étaient exercées à des manoeuvres régulières, marchaient et se mouvaient en ligne par légions et par compagnies; leurs évolutions s'exécutaient au son du tambour et de la trompette.

Le roi déléguait pour l'ordinaire le commandement des différents corps à des princes de sa famille.

La troisième classe de la population formait la caste agricole. Ses membres donnaient tous leurs soins à la culture des terres, soit comme propriétaires, soit comme fermiers; les produits leur appartenaient en propre, et on en prélevait seulement une portion destinée à l'entretien du roi, comme à celui des castes sacerdotale et militaire; cela formait le principal et le plus certain des revenus de l'État.

D'après les anciens historiens, on doit évaluer le revenu annuel des Pharaons, y compris les tributs payés par les nations étrangères, au moins de six à sept cents millions de notre monnaie.

Les artisans, les ouvriers de toute espèce, et les marchands, composaient la quatrième classe de la nation; c'était la caste industrielle, soumise à un impôt proportionnel, et contribuant ainsi par ses travaux à la richesse comme aux charges de l'État. Les produits de cette caste élevèrent l'Égypte à son plus haut point de prospérité. Tous les genres d'industrie furent en effet pratiqués par les anciens Égyptiens, et leur commerce avec les autres nations plus ou moins avancées, qui formaient le monde politique de cette époque, avait pris un grand développement.

L'Égypte faisait alors du superflu de ses produits en grains un commerce régulier et fort étendu. Elle tirait de grands profits de ses bestiaux et de ses chevaux. Elle fournissait le monde de ses toiles de lin et de ses tissus de coton, égalant en perfection et en finesse tout ce que l'industrie de l'Inde et de l'Europe exécute aujourd'hui de plus parfait. Les métaux, dont l'Égypte ne renferme aucune mine, mais qu'elle tirait des pays tributaires ou d'échanges avantageux avec les nations indépendantes, sortaient de ses ateliers travaillés sous diverses formes et changés soit en armes, en instruments, en ustensiles, soit en objets de luxe et de parure recherchés à l'envi par tous les peuples voisins. Elle exportait annuellement une masse considérable de poterie de tout genre, ainsi que les innombrables produits de ses ateliers de verrerie et d'émaillerie, arts que les Égyptiens avaient portés au plus haut point de perfection. Elle approvisionnait enfin les nations voisines de papyrus ou papier formé des pellicules intérieures d'une plante qui a cessé d'exister depuis quelques siècles en Égypte; les anciens Arabes la nommaient berd; elle croissait principalement dans les terrains marécageux, et sa culture était une source de richesse pour ceux qui habitaient les rives des anciens lacs de Bourlos et de Menzaléh ou Tennis.

Les Égyptiens n'avaient point un système monétaire semblable au nôtre. Ils avaient pour le petit commerce intérieur une monnaie de convention; mais pour les transactions considérables, on payait en anneaux d'or pur, d'un certain poids et d'un certain diamètre, ou en anneaux d'argent d'un titre et d'un poids également fixes.

Quant à l'état de la marine à cette ancienne époque, plusieurs notions essentielles nous manquent encore. L'Égypte avait une marine militaire, composée de grandes galères, marchant à la fois à la rame et à la voile. On doit présumer que la marine marchande avait pris un certain essor, quoiqu'il soit à peu près certain que le commerce et la navigation de long cours étaient faits, en qualité de courtiers, par un petit peuple tributaire de l'Égypte, et dont les principales villes furent Sour, Saïde, Beirouth et Acre.

Le bien-être intérieur de l'Égypte était fondé sur le grand développement de son agriculture et de son industrie; on découvre à chaque instant, dans les tombeaux de Thèbes et Sakkarah, des objets d'un travail perfectionné, démontrant que ce peuple connaissait toutes les aisances de la vie et toutes les jouissances du luxe. Aucune nation ancienne ni moderne n'a porté plus loin que les vieux Égyptiens la grandeur et la somptuosité des édifices, le goût et la recherche dans les meubles, les ustensiles, le costume et la décoration. Telle fut l'Égypte à son plus haut période de splendeur connu. Cette prospérité date de l'époque des derniers rois de la XVIIIe dynastie, à laquelle appartient RHAMSÈS LE GRAND ou Sésostris; les sages et nombreuses institutions de ce souverain terrible à ses ennemis, doux et modéré envers ses sujets, en assurèrent la durée.

Ses successeurs jouirent en paix du fruit de ses travaux et conservèrent en grande partie ses conquêtes, que le quatrième d'entre eux, nommé Rhamsès-Méiamoun, prince guerrier et ambitieux, étendit encore davantage; son règne entier fut une suite d'entreprises heureuses contre les nations les plus puissantes de l'Asie. Ce roi bâtit le beau palais de Médinet-Habou (à Thèbes), sur les murailles duquel on voit encore sculptées et peintes toutes les campagnes de ce Pharaon en Asie, les batailles qu'il a livrées sur terre ou sur mer, le siège et la prise de plusieurs villes, enfin les cérémonies de son triomphe au retour de ses lointaines expéditions. Ce conquérant paraît avoir perfectionné la marine militaire de son époque.

Les Pharaons qui régnèrent après lui firent jouir l'Égypte d'un long repos. Pendant ces temps d'une tranquillité profonde, l'Égypte, tout en laissant s'assoupir l'esprit guerrier et conquérant qui l'avait animée sous les précédentes dynasties, dut nécessairement perfectionner son régime intérieur et avancer progressivement ses arts et son industrie; mais sa domination extérieure se rétrécit de siècle en siècle, à cause des progrès de la civilisation qui s'était effectuée dans plusieurs de ces contrées par leur liaison même avec l'Égypte, celle-ci ne pouvant plus les contenir sous sa dépendance que par un développement de forces militaires excessif et hors de toute proportion.

Un nouveau monde politique s'était en effet formé autour de l'Égypte; les peuples de la Perse, réunis en un seul corps de nation, menaçaient déjà les grands royaumes unis de Ninive et de Babylone; ceux-ci, visant à dépouiller l'Égypte d'importantes branches de commerce, lui disputaient la possession de la Syrie et se servaient des peuples et des tribus arabes pour inquiéter les frontières de leur ancienne dominatrice. Dans ce conflit, les Phéniciens, ces courtiers naturels du commerce des deux puissances rivales, passaient d'un parti à un autre, suivant l'intérêt du moment. Car cette lutte fut longue et soutenue; il ne s'agissait de rien moins que de l'existence commerciale de l'un ou l'autre de ces puissants empires.

Les expéditions militaires du Pharaon Chéchonk Ier et celles de son fils Osorkon Ier, qui parcoururent l'Asie occidentale, maintinrent, pendant quelque temps, la suprématie de l'Égypte. Elle eût pu jouir longtemps du fruit de ses victoires si une invasion des Éthiopiens (ou Abyssins) n'eût tourné toute son attention du côté du midi. Ses efforts furent inutiles. Sabacon, roi des Éthiopiens, s'empara de la Nubie, et passa la dernière cataracte avec une armée grossie de tous les peuples barbares de l'Afrique. L'Égypte succomba après une lutte dans laquelle périt son Pharaon Bok-Hor. La domination du conquérant éthiopien fut douce et humaine; il rétablit le cours de la justice interrompue par les désordres de l'invasion. Son second successeur, éthiopien comme lui, porta ses armes en Asie et fit une longue expédition dans le nord de l'Afrique. L'histoire dit qu'il en soumit toutes les peuplades jusqu'au détroit de Gibraltar. Le roi nommé TAHARAKA a bâti un des petits palais de Médiniet-Habou, encore existant. Mais peu de temps après lui, la dynastie éthiopienne fut chassée d'Égypte, et une famille égyptienne occupa le trône des Pharaons; ce fut la XXVIe dynastie, appelée saïte parce que son chef, STÉPHINATHI, était né dans la ville de Saï (aujourd'hui Ssa-el-Hagar), en Basse-Égypte.

Cette dynastie s'étant affermie, voulut relever l'influence de la patrie sur les États asiatiques voisins, et ressaisir ainsi la suprématie commerciale. Le roi PSAMHÉTIK Ier ouvrit aux marchands étrangers le petit nombre de ports que la nature a accordés à l'Égypte, et parmi lesquels on comptait déjà celui d'Alexandrie, qui alors n'était qu'une fort petite bourgade appelée Rakoti.

Ce Pharaon se lia principalement avec les Ioniens et les Cariens, peuples grecs établis en Asie; non-seulement il permit aux négociants de ces nations de s'établir en Égypte, mais il commit l'énorme faute de leur concéder des terres et de prendre à sa solde un corps très-considérable de troupes ioniennes et cariennes. Les soldats égyptiens qui, comme membres de la caste militaire, avaient seuls le privilège de combattre pour l'Égypte, s'irritèrent de ce que le roi confiait la défense du pays à des étrangers et à des barbares fort en arrière encore de la civilisation égyptienne. Psammétik eut, de plus, l'imprudence de donner à ces Grecs les premiers postes de l'armée. L'irritation des soldats égyptiens fut à son comble. Ourdissant un vaste complot, qui embrassa la presque totalité des membres de la caste militaire, plus de cent mille soldats égyptiens quittèrent spontanément les garnisons où le roi les avait confinés, et, abandonnant leur patrie, passèrent les cataractes pour aller se fixer en Ethiopie, où ils établirent un État particulier.

Ainsi privée tout à coup de la masse presque entière de ses défenseurs naturels, l'Égypte déchut rapidement, et la perte de son indépendance politique devint inévitable.

Les rois de Babylone, connaissant la plaie incurable de l'Égypte, leur rivale, redoublèrent d'efforts. La Syrie devint le théâtre perpétuel du conflit sanglant des deux peuples. Néko II, fils de Psammétik 1er, refoula d'abord les Babyloniens ou Assyriens dans leur frontière naturelle, et chercha dès lors à donner de nouvelles voies au commerce, en portant tous ses soins vers la marine; une flotte sortie de la mer Rouge reconnut et explora tout le contour de l'Afrique, doubla le cap le plus méridional, et, faisant voile vers le nord, arriva au détroit de Gibraltar, rentrant ainsi en Égypte par la Méditerranée. Ce roi exécuta aussi de grands travaux pour le canal de communication entre le Nil et la mer Rouge. La fin de son règne fut malheureuse; le roi de Babylone, Nebucade-Nésar, défit les armées égyptiennes et les chassa de la Phénicie, de la Judée et de la Syrie entière. Psammétik II, son fils, essaya vainement de ressaisir ces provinces détachées de l'empire égyptien; son successeur OUAPHRÉ fut plus heureux, il remit sous le joug les peuples de Sour et de Saïde, et l'île de Chypre; mais il échoua en Afrique dans une expédition contre la ville de Cyrène (Grennah). Cette malheureuse campagne porta à son comble l'exaspération de ce qui restait de la caste militaire égyptienne; sa haine contre le Pharaon Ouaphré, qui s'entourait de troupes ioniennes ou grecques, malgré la terrible leçon donnée à son bisaïeul Psammétik Ier, éclata tout à coup, et les soldats égyptiens révoltés, mettant la couronne sur la tête d'un courtisan nommé AMASIS, marchèrent contre Ouaphré, qui fut vaincu et entièrement défait à Mariouth, où il combattit à la tête de ses troupes étrangères. Amasis gouverna pendant quarante-deux ans. Son règne fut heureux et paisible; le commerce reprit un grand essor et les richesses affluaient en Égypte, non qu'elle fût forte par elle-même, non qu'elle eût reconquis par les armes son influence au dehors, mais parce que dans ce temps-là les rois de Babylone cessaient de menacer l'Égypte pour résister aux peuples de la Perse, réunis sous un seul chef, Cyrus, qui attaqua impétueusement l'Assyrie et en fit graduellement la conquête, terminée par la prise et l'asservissement de Babylone.

Dès ce moment, Amasis prévit la fin prochaine de la monarchie égyptienne. La dernière guerre civile avait affaibli ce qui restait de l'année nationale, presque entièrement désorganisée par l'impolitique de ses prédécesseurs; il ne pouvait compter sur la fidélité des troupes grecques, qu'il avait retenues aussi à sa solde. Mais, heureux en ce qui le touchait personnellement, Amasis mourut après un règne prospère, au moment même où les armées persanes s'ébranlaient pour fondre sur l'Égypte.

A peine monté sur le trône que lui laissait son père, Psammétik III nommé aussi Psamménis dut courir à Peluse (Thinéh ou Farama), la plus forte des places de l'Égypte du côté de la Syrie; là il rassembla tout ce qui lui restait de la caste militaire égyptienne et les troupes étrangères qu'il avait à sa solde; les Perses, sous la conduite de leur roi Cambyse, fils de Cyrus, favorisés par les Arabes, traversent sans obstacle le désert qui sépare la Syrie de l'Égypte; et cette immense armée se rangea en face des Égyptiens, campés sous les murs de Peluse.

Le combat fut long et terrible; à la chute du jour les Égyptiens plièrent, accablés sous le nombre; Cambyse vainquit, et l'indépendance nationale de l'Égypte fut à jamais perdue.

Les Perses poursuivirent leurs succès et prirent Memphis d'assaut; cette capitale fut livrée au pillage; la nation persane, encore barbare, porta de tous côtés la destruction et la mort. Thèbes fut saccagée, ses plus beaux monuments démolis ou dévastés; la population, courbée sous un joug tyrannique, fut livrée à la discrétion des satrapes ou gouverneurs établis pour les rois de Perse. Les arts et les sciences disparurent presque entièrement de ce sol qui les avait vus naître.

Quelques chefs égyptiens, pleins de courage, arrachèrent momentanément leur patrie à la servitude; mais leurs généreux efforts s'épuisèrent bientôt contre la puissance toujours croissante de l'empire persan.

Ce fut Alexandre (Iskander) qui, à la tête d'une armée de Grecs, renversa la domination des Perses en Asie, et l'Égypte respira enfin sous ce nouveau maître. A la mort de ce grand homme, qui avait fondé la ville d'Alexandrie, parce que cette position géographique semblait appelée à devenir le centre du commerce du monde, les généraux grecs partagèrent ses conquêtes. Ptolémée, l'un d'eux, se déclara roi d'Égypte, et fut le chef de la dynastie grecque, qui gouverna l'Égypte pendant près de trois siècles.

Sous ces rois, qui tous ont porté le nom de Ptolémée, la ville d'Alexandrie accomplit les prévisions d'Alexandre. Elle devint l'entrepôt du commerce de l'Asie et de l'Afrique entière avec l'Europe, qui alors comptait un assez grand nombre de nations civilisées. Mais les débauches et la tyrannie des derniers rois grecs préparèrent la chute de leur domination.

Cette famille fut détrônée par CÉSAR AUGUSTE, empereur des Romains, et l'Égypte, perdant pour toujours le nom même de nation, devint une simple province de l'empire romain et fut gouvernée par un préfet. Dès ce moment, elle suivit la bonne et la mauvaise fortune de l'empire dont elle dépendait, jusqu'à ce que les Arabes musulmans en firent la conquête au nom du calife OMAR, sous la conduite de son général Amrou Ebn-el-As.

Chargement de la publicité...