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Mémoires authentiques de Latude,: écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton

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J.-CH.-PIERRE LE NOIR, LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE  (Peint par Greuze, gravé par Chevillet) (Bibl. nat. estampes) J.-CH.-PIERRE LE NOIR, LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE
(Peint par Greuze, gravé par Chevillet)
(Bibl. nat. estampes)

«J'ai l'honneur d'être, avec un très profond respect, monseigneur,

«Votre très humble et très obéissant serviteur.

«HENRI MASERS.»

«Prisonnier depuis le 1er mai 1749. Quinze ans à la Bastille. Douze ans au donjon de Vincennes, et présentement dans la maison de force de la Charité de Charenton. Ce 12 octobre 1775.»

J'écrivis encore successivement à M. de Malesherbes et à M. d'Albert, le 19 novembre et le 17 décembre 1775, le 18 février, le 8 mars, et le 16 mars 1776.

A la suite de cinq nouvelles suppliques, qui restèrent d'ailleurs sans réponse, j'envoyai au ministre et au lieutenant de police un placet que je lui priai de transmettre au roi.

Il serait trop long de transcrire ici toutes les lettres que je leur ai écrites. On n'aura pas de peine à croire que M. d'Albert, lieutenant général de police, les a toutes étouffées, sans en excepter mon placet au roi. Pourtant il n'aurait point été assez hardi assurément pour faire une pareille action à un roi d'Angleterre, de Danemark, de Suède, de Sardaigne, et surtout à un roi de Prusse, tel que celui d'aujourd'hui. Mais la trop grande bonté de nos rois est l'unique cause qu'on fait périr une quantité infinie de ses sujets à petit feu entre quatre murailles.

Enfin, la visite de M. Le Noir, désirée depuis si longtemps, arriva le 27 d'octobre [1775]. La première audience me fut accordée à moi, dans la grande salle. En me présentant à lui, voici le discours que je lui tins:

«Monseigneur, si la pitié a du pouvoir sur les cœurs vertueux, je ne dois point douter que vous n'ayez compassion du plus malheureux de tous les hommes... Au nom de Dieu, daignez me rendre justice.»

Il reprit en haussant les épaules: «Vingt-huit années, vingt-huit années! Ah! mon Dieu, que c'est long, vingt-huit années! Mais instruisez-moi de ce que vous avez fait.»

Alors, je tirai de ma poche la copie de mon placet au roi, et je la lui remis entre les mains. Il se mit à lire la cause de ma détention, et à la fin il me dit: «Vous n'étiez donc pas l'ennemi de Mme de Pompadour?» Je lui répondis: «Non, monseigneur, bien loin de lui souhaiter du mal, je m'intéressai pour sa conservation». En soupirant il dit: «Ah! vingt-huit années!» Puis il se tourna vers les religieux et leur dit: «Mais, ce prisonnier est-il sage?»

Sur-le-champ tous les Pères de la Charité lui dirent tous à la fois: «Monseigneur, c'est un homme très raisonnable, très sage. Depuis qu'il est ici il n'a pas donné un seul sujet de plainte.» Alors il se tourna vers moi en me disant: «Monsieur, vous pouvez être certain que la première fois que j'irai parler au ministre, je lui demanderai la révocation de votre lettre de cachet. Mais avez-vous de quoi vivre?» Je lui répondis: «Monseigneur, autrefois j'avais un bien honnête. Que si ma mère a cru que je n'étais pas mort, avec l'espérance que je sortirais un jour de prison, il est certain qu'elle aura pris des arrangements, pour que je trouve le bien qu'elle avait avant de mourir.» Alors le Père Prudence, directeur de la Charité, dit au lieutenant général de police: «Monseigneur, sa mère vit encore, il trouvera de quoi...» M. Le Noir répliqua: «Eh bien, vous pouvez être certain que la première fois que je verrai le ministre, je lui demanderai la révocation de sa lettre de cachet... je vous en donne ma parole.»

Cependant je vous dirai que j'avais une grande confiance en l'équité de M. de Malesherbes, d'autant plus certainement que, d'après ce que tout le monde m'assurait qu'il ne m'avait fait transférer ici que dans la croyance que je serais moins mal et moins serré que dans les secrets du roi, en attendant qu'il eût pris des arrangements pour nous assurer une subsistance honnête.

On dit, du reste, qu'il n'a jamais proposé de faire du bien et de réprimer le mal, sans que sur-le-champ il n'ait été contredit, et que, quant aux lettres de cachet, qui sont la plus grande malédiction dont l'enfer puisse accabler un peuple, malgré toutes les bonnes précautions qu'il avait prises pour empêcher qu'on ne fît périr un nombre infini de sujets injustement, comme on ne laissait pas moins l'an dernier comme auparavant, pour éviter d'être complice de tout ce mal, il avait été porter, le 14 mai 1776, les démissions de toutes ses charges au roi.

Depuis que j'ai mis le pied dans cette maison, je me suis conduit de telle manière que j'ose me vanter de m'être attiré l'amitié de tout le monde, particulièrement la compassion de tous les religieux... et il est réel que je passe dans l'esprit de tous pour un homme raisonnable. Cependant, si aujourd'hui je venais à dire au prieur ou au directeur... etc., que la marquise de Pompadour était une magicienne, que le marquis de Marigny est encore aujourd'hui même en commerce avec les démons qui m'ont ensorcelé, et que je suis détenu par l'opération de ces démons, comme on ne met actuellement dans cette prison que des fous ou des imbéciles. Car actuellement il y a ici Saint-Arnoult qui dit être le Père Eternel, le malheureux d'Allègre, avec qui j'ai échappé de la Bastille la nuit du 25 au 26 février 1756; j'ai été le voir aux catacombes; il me dit qu'il ne me connaissait point et qu'il était Dieu; Saint-Philippe dit de même qu'il est Dieu, et Saint-Fabien dit qu'il est le Saint-Esprit, Fasse se dit empereur d'Allemagne, Justin empereur de la Chine, Agapit empereur de Russie, Nantes empereur des Turcs (un bain à la glace qu'on donna à ce dernier a été cause qu'il a renoncé à cet empire), Rochefort, Soissons, tous les deux se disent roi de France; de Rennes, un parfumeur, dit qu'il devrait être roi et qu'il est contrôleur général des finances; le Portugais dit qu'il est ensorcelé et se fait donner des bénédictions par le Père Prudence pour chasser un diable qu'il a dans son corps; Saint-Denis croit être pape, en un mot chacun a sa manie et une croyance particulière. Ainsi, dis-je, si aujourd'hui je venais à dire, moi, à un des Pères de la Charité, que je suis ensorcelé, sur-le-champ ils se diraient entre eux: «Eh! parbleu, ce n'est pas sans raison qu'on a mis Masers ici: il est fou...» et il est évident que tous m'abandonneraient et ne diraient jamais plus une seule parole en ma faveur....

Or, voyez s'il est possible de voir un ensorcellement mieux caractérisé et mieux suivi de toutes sortes de côtés.

De tous les malheurs, il ne pouvait m'en arriver un plus grand que celui que M. de Malesherbes quittât le ministère. Dès ce moment, je vis toutes mes affaires renversées... Cependant les religieux de la Charité me dirent que M. Amelot, qui l'avait remplacé, était un très honnête homme. Mais écrire à ce ministre, comme toutes les lettres d'ici passent à la police, c'était écrire véritablement au feu de M. d'Albert, car je m'étais bien aperçu qu'il n'avait pas laissé passer une seule de mes lettres à M. de Malesherbes, et encore moins celle que j'avais écrite au roi.

J'essayai pourtant de sonder ses dispositions en lui demandant des hardes dont j'avais un extrême besoin, mais il eut la bonté de me les refuser. Imaginez-vous quelle devait être ma situation. Je crus pourtant qu'elle allait devenir pire, quand un mois après on vint m'apprendre que M. d'Albert avait été remercié, et M. Le Noir, intime ami de mon ennemi M. de Sartine, remis en sa place. A vous dire vrai, je me crus perdu. Néanmoins, tout le monde me dit tant de bien, et me fit tant de louanges du bon cœur et de l'humanité de M. Le Noir que je me hasardai à lui écrire quatre lettres, les 5 et 10 juillet, 2 et 16 août 1776. A la lettre du 10 juillet j'ajoutai, ce post-scriptum:

«Mémoire des hardes dont le sieur de Masers, prisonnier à Charenton, a besoin:

«Un chapeau, une perruque, un habit vert et culotte d'un drap honnête. Je vous prie de m'en laisser choisir la couleur, parce que ça ne coûte rien de plus.

«Une redingote, deux gilets de bazin de Flandre rayé, six chemises garnies et qui soient d'une toile honnête.

«Deux cravates de mousseline, six coiffes de bonnet, deux paires de bas à côtes, une de coton et l'autre de laine, deux paires de chaussettes de coton, qui ne soient pas à l'étrier; deux bonnets de coton, six mouchoirs d'indienne à fond bleu qui soient grands, parce que je prends beaucoup de tabac, une veste et une culotte noire d'été de serge de Roanne, une paire de souliers et des jarretières d'acier, une paire de lunettes et son étui, un livre de prières où il y ait les offices, et une tabatière doublée de carton. Monseigneur, je vous prie de ne pas insulter à ma misère par des hardes grossières, et de ne pas me faire languir, et je vous serai bien obligé»

Signé: «MASERS»

Selon l'ordre établi dans la maison de force de la Charité de Charenton, cette année-ci 1776, M. Duchaine, commissaire, y est venu exprès pour visiter les prisonniers, et, après y avoir resté plusieurs heures avec les religieux, il s'en est retourné à Paris, sans avoir vu, ni parlé à un seul. Or, vu son dessein, il est probable que M. Duchaine, étant arrivé ici en parfaite santé, sans un ou plusieurs démons du magicien marquis de Marigny, qui s'emparèrent des sens de ce commissaire ou des religieux, il aurait rempli les devoirs de sa charge.

Au commencement de ce mois de septembre, le Père prieur me dit: «Nous attendons à tout instant la visite de M. le lieutenant général de police; préparez un discours court et bon!» Je n'avais pas besoin qu'il me le recommandât, car dès longtemps auparavant mon discours était préparé.

Mais, quelle fut ma surprise, le 18 dudit mois de septembre, quand, à deux heures après-midi, au lieu de me voir annoncer la visite du lieutenant général de police, on vint me dire que celle du Parlement allait arriver dans un moment.

Environ une heure et demie après nous avoir annoncé cette visite, M. Pignon, président à mortier, entra dans ma chambre, accompagné de trois autres membres du Parlement, et me dit: «Avez-vous quelque plainte à nous faire?

—Monseigneur, je crois que personne n'a un si grand sujet de se plaindre que moi, de me voir en prison depuis le terrible espace de vingt-huit années, pour avoir eu le malheur d'avoir déplu à une femme morte depuis plus de douze ans. Cependant, sans avoir eu le malheur de commettre un crime réel, pour mettre peut-être fin aux maux dont on m'accable, je suis forcé de réclamer la prescription accordée par les lois, qui est arrivée depuis plus de sept années, et... je vous prie en vertu de cette loi de m'accorder mon élargissement.

—Nous ne pouvons pas, me répondit M. Pignon, présentement vous rendre votre liberté, mais vous n'avez qu'à donner vos affaires par écrit et, après les avoir examinées, nous vous rendrons la justice qui vous est due.

Comment puis-je vous donner mes affaires par écrit? Il n'y a pas encore deux heures seulement qu'on m'a annoncé votre visite, qui pour l'ordinaire est toujours précédée de celle de M. le lieutenant général de police. Vous allez trouver tout le monde en défaut. Car ceci n'est pas une visite, mais une surprise, parce qu'en moins d'une heure et demie de temps on ne saurait réfléchir et dresser des plaintes.

—Il est vrai que nous aurions dû vous faire plus tôt avertir.

—Mais, monseigneur, vous pouvez lire», et en même temps je lui présentai la cause de ma détention.

—Présentement nous n'avons pas le temps d'examiner cela; il faut que nous visitions tous les prisonniers qui sont ici.

—Mais, monseigneur lui répondis-je, devez-vous me laisser périr, faute d'examiner mon affaire?»

Le Père prieur de la Charité, en voyant l'embarras du président, car il ne savait quoi répondre, rompit le silence, en me disant à moi: «Monsieur, vous n'avez qu'à écrire votre affaire et vos plaintes, et quand vous l'aurez fait, je vous donne ma parole d'honneur que j'enverrai le tout à M. le président que voilà.»

J'adressai de nouveau la parole à M. Pignon, et lui dis en ces termes:

«Monseigneur, comme j'attendais la visite de M. le lieutenant général de police avant la vôtre, j'avais préparé le paquet que voilà pour le lui remettre... et quoique le tout soit dressé pour le ministre et M. Le Noir, il peut également servir pour vous éclairer vous-même.

—Vous pouvez sans aucune crainte me confier ces papiers; je les examinerai avec beaucoup d'attention, et je vous promets de vous rendre justice. Quant à vos papiers, soyez certain que je vous les renverrai.

—Monseigneur, l'année dernière j'en remis de semblables à M. de Lamoignon, quand il fit sa visite ici le 6 octobre: il me promit, de même que vous, de me rendre justice, et de me renvoyer mes papiers; cependant il n'a fait ni l'un ni l'autre.

—Je vous promets qu'il ne sera pas de même de moi; je vous renverrai tous vos papiers, et je ferai tout mon possible pour vous rendre justice.»

Sur toutes ces assurances, je lui remis sur-le-champ mes papiers, en présence des trois autres membres du Parlement... Après que ce président m'eût donné sa parole, en présence de plus de dix personnes, qu'il me rendrait justice, qu'il me renverrait mes papiers, qu'il me ferait réponse, ils sortirent de ma chambre, et cependant M. le président Pignon, malgré toutes ses protestations, a fait précisément comme M. de Lamoignon, c'est-à-dire que non seulement il ne m'a point rendu justice, mais même qu'il a gardé tous mes papiers, sans me faire aucune réponse.

Il est vrai que tous les prisonniers m'avaient averti que dans cette maison de force, le Parlement ne rendait jamais justice à personne; qu'il ne faisait ici une visite toutes les années, que pour se maintenir en apparence dans l'ancien privilège qu'il avait autrefois de rendre justice à tout le monde, et qu'il ne faisait sa visite que pour la forme, ce qui n'est que trop véritable.

Je suis donc resté dans les fers.

Tous les chefs de la maison en furent indignés. Tous me promirent de réunir leurs soins et leurs efforts pour me rendre à la liberté. Le lieutenant de police devait venir peu de temps après faire aussi la visite de ces prisons: ils me firent comparaître devant lui; nous étions alors en octobre 1776; tous se réunirent pour attester ma bonne conduite et ma rare docilité depuis que j'étais soumis à leur direction. M. Le Noir, forcé de répondre à leurs instances, promit de me faire rendre au premier jour ma liberté.

Alors, le Père Prudence, directeur, qui était derrière moi, me tira par le bras pour me faire sortir, par la crainte qu'il avait que par quelque parole indiscrète je ne gâtasse le bien qui avait été résolu.

En tirant ma révérence au lieutenant général de police, je lui demandai s'il voulait garder la lettre que je lui avais donnée à lire, où il y avait la cause de ma détention. Il me répondit: «Il faut que je la garde pour la faire voir au ministre. Allez-vous en, et ne soyez plus en peine.»

Précisément un mois après, M. Le Noir écrivit au Prieur, et voici la réponse que je lui fis:

«Monseigneur,

«Il est sans doute que vous avez daigné jeter des yeux de compassion et de miséricorde sur moi, puisqu'aujourd'hui 27 novembre, le révérend père Prieur de la Charité de Charenton m'a fait monter dans sa chambre, pour me communiquer une de vos lettres, par laquelle j'ai vu que vous souhaitiez savoir ce que je prétendais faire en sortant de prison, si j'avais de quoi vivre, et l'endroit où je dois me retirer. Monseigneur, je viens vous satisfaire.

«Il y a trente ans, j'avais un bien honnête, qui fournissait à vivre à ma mère et à moi. Si ma mère est encore en vie, je dois être certain de trouver de quoi subsister, et si avant que de mourir elle a cru que je n'étais pas mort en prison, et que j'en sortirais un jour, il est certain qu'elle aura arrangé ses affaires, de manière que je trouverai le bien qu'elle à laissé en mourant. Mais encore, quand même je n'aurais rien du tout, monseigneur, que votre bon cœur ne soit pas en peine de moi...

«Toute la grâce que je vous demande, c'est de me rendre promptement ma chère liberté pour aller passer le reste de mes jours à Montagnac, lieu de ma naissance, et en sortant de Charenton de venir embrasser vos genoux, car dès aujourd'hui je vous regarde comme mon véritable père, puisque vous daignez me redonner une seconde fois la vie que j'emploierai à dire des louanges de vous et à prier Dieu de vous combler de toutes ses bénédictions.

«J'ai l'honneur d'être, avec un très profond respect, monseigneur.

«Votre très humble et très obéissant serviteur.

«MASERS, prisonnier depuis vingt-huit
années, à Charenton, ce 27 novembre
1776.»

Le 27 du mois suivant [décembre 1776], le Père Prieur vint me visiter et me dit: «Monsieur, il ne s'agit plus que d'une chose, et pourvu que vous vouliez la faire, je vous réponds de la réussite. Il faut que vous écriviez chez vous, à vos parents ou à quelqu'un de vos amis, et vous leur direz de m'adresser la réponse à moi-même pour m'instruire si vous avez de quoi vivre, ou enfin si vos parents veulent bien vous donner un asile chez eux, en promettant de ne vous laisser manquer de rien, que si leur réponse est favorable, je me charge de tout le reste.»

Sur-le-champ j'écrivis la lettre que voici, et moins de trois heures après je l'envoyai au Prieur.

Copie de la lettre que j'ai envoyée à M. Caillet, notaire royal de Montagnac... De la Maison de force de Charenton, le 29 décembre 1776.

«Mon cher ami.

«Je parierais dix contre un que tu me crois mort. Vois comme tu te trompes: c'est que je suis encore en vie, et, qui plus est, il ne dépend que de toi qu'avant ce carnaval soit passé, nous mangions un bon levraut ensemble. Ah! que je serais content, si tu m'apprenais l'agréable nouvelle que ma tendre mère vit encore; mais je ne dois pas me flatter d'un si grand bonheur! Cependant, comme elle n'ignorait pas de son vivant que nous étions fort bons amis, je ne saurais douter qu'elle ne t'ait instruit de mon infortune, où tu peux mettre fin.

«Je te dirai que Dieu vient de me faire la grâce de me donner pour juges Mgr Amelot, ministre du département de la maison du roi, et Mgr Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de police. Ce sont deux personnes d'honneur et de probité, justes et équitables. Ils daignent me rendre la justice qui m'est due; mais, comme ils sont pleins de compassion, ils ne voudraient point qu'après une captivité de vingt-huit années, il me manquât de quelque chose en sortant d'une aussi longue prison. Avant que de me relâcher ils veulent savoir si j'ai de quoi vivre, ou des parents qui peuvent me tendre une main secourable. Tu es instruit mieux que personne de toutes mes affaires, car c'est ton père ou toi qui avez passé le contrat de la maison que ma mère a achetée à M. Bouliex tout auprès de la Place. Tu sais de même qu'elle avait du bien en fonds. Que si elle a cru que je n'étais pas mort en prison, avec l'espérance que j'en sortirais un jour, je ne dois point douter qu'elle n'ait accommodé ses affaires, de manière que je trouverai le bien qu'elle a laissé en mourant. Mais j'ai à craindre que depuis vingt-huit années que je suis en prison, elle ne m'ait cru mort, et en conséquence qu'elle n'ait donné son bien aux enfants de ses sœurs, dont une avait épousé Nourigat; on m'a dit que Grouillé avait épousé la fille de sa sœur aînée, Marie d'Aubrespy.

«Enfin, je mets toutes les choses au pire. Tu n'as qu'à les assurer tous de ma part que si ma mère leur a laissé mon bien, nous n'aurons point de procès ensemble; tout ce que je leur demande, c'est de signer les quatre paroles que voici, que tu dresseras toi-même.

«A Monsieur le Prieur de la maison des religieux de Charenton.

«Monsieur,

«Nous venons vous remercier de la bonté que vous avez eue de tendre une main secourable à M. Henri Masers de Latude, notre parent, pensionnaire dans votre maison. En même temps, tous les soussignés, nous venons vous prier d'assurer de notre part nos seigneurs Amelot, ministre d'Etat, et Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de police, que nous ne laisserons manquer de rien notre parent; que nous les supplions en grâce de lui rendre promptement sa liberté; que notre reconnaissance égalera le profond respect avec lequel nous sommes les très humbles et très obéissants serviteurs. D'Aubrespy, Grouillé, etc...»

«Avant que de partir, je sais que ma mère avait de l'argent monnayé. Que si, avant de mourir, elle en avait encore, je n'aurais point de peine à croire qu'elle l'aura confié à la probité de M. le baron de Fontès. Je te serais bien obligé d'envoyer à son château Grouillé ou un d'Aubrespy, mes parents, lui apprendre que je ne suis pas mort, et ce dont il s'agit. Au reste tu n'as qu'à avertir mes parents que je ne leur serai point à charge, que j'aimerais mieux servir le roi comme volontaire dans quelque régiment ou me faire ermite, que de les importuner; que si je les prie de signer, que ce n'est que pour me conformer à l'humanité du ministre et du lieutenant général de police qui ne voudraient pas que je fusse réduit à la mendicité, en sortant d'une aussi longue prison.

«Que si ma mère, avant de mourir, a arrangé les affaires, de manière que tout son bien me soit rendu, dans ce dernier cas tu peux faire tout toi-même, en écrivant à peu près les quatre paroles que voici:

«A Monsieur le Prieur de la Maison des Religieux à Charenton.

Nous soussigné, notaire royal de Montagnac, certifions que le sieur Henri Masers de Latude a une maison qui n'est pas la moindre de la ville avec du bien fonds en terre, qui peut lui donner de quoi à vivre. Caillet etc...»

«Mon cher ami, je suis dans la peine. Je te prie de te dépêcher le plus promptement que tu pourras d'envoyer un de ces deux actes au vertueux religieux qui me secourt. Voici son adresse: A Monsieur le Prieur de la Maison des Religieux de Charenton, à une lieue de Paris, à Charenton. Mon cher ami, je ne te prie point, parce que j'espère que tu feras pour moi ce que je ferais de bon cœur pour toi si tu étais à ma place. Je te prie de saluer de ma part tous les parents et amis. En attendant que je puisse t'embrasser, je suis très parfaitement,

«Mon cher ami,

«Ton très humble et très obéissant serviteur,

«Henry Masers de Latude, pensionnaire du roi à la Maison des religieux de Charenton, ce 29 décembre 1776.»

Dans la même feuille j'écrivis la lettre ci-dessous au Prieur de chez moi:

«Monsieur le Prieur actuel de Montagnac.

«Monsieur,

«En 1740, M. Maffre de Masselliau était notre Prieur. C'était un très honnête homme, et j'ose vous dire qu'il était un de mes bons amis. Cependant j'espère que Dieu nous a donné dans votre personne un pasteur aussi vertueux qu'il l'était. Je suis une de vos ouailles, et je viens vous prier, dans mon infortune, de me tendre une main secourable. Il est inutile que je donne des conseils à un homme d'esprit sur la manière qu'on doit prendre pour mettre fin à ma peine. Sûr de votre humanité, je vous prierai tant seulement de faire attention que Mgr Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de police, est l'homme le plus juste, le plus humain et le plus compatissant du royaume, et que si malheureusement pour moi il passait à quelque autre charge, malgré la justice de ma cause, toutes mes affaires seraient renversées de fond en comble. Par ces paroles vous entendez que je vous prie de presser mes parents de répondre le plus promptement qu'il leur sera possible à cette lettre. Vingt-huit années de captivité parlent pour moi à vos entrailles paternelles et de miséricorde.

«J'ai l'honneur d'être avec un très profond respect,

«Monsieur,

«Votre très humble et très obéissant serviteur.

«Henry Masers de Latude, pensionnaire du roi à la Maison des religieux de Charenton etc...»

«Voici de la manière que j'avais adressé cette lettre: à Monsieur Caillet, notaire royal de la ville de Montagnac, et en cas de mort, à Monsieur le Prieur, par Pézenas, à Montagnac.

Qui, selon les règles de la nature et de l'humanité, n'aurait pas cru qu'avant un mois j'aurais reçu une réponse favorable de cette lettre?...

Connaissant le bon cœur qui règne dans ma famille, si, par un coup du ciel, malgré le diable, ma lettre leur a été rendue, je suis prêt cependant à gager un de mes propres yeux qu'elle a signé et envoyé l'acte que vous avez vu plus haut, que si le Père Prieur de la Charité ne l'a point reçu, comme il me l'a toujours attesté, c'est que véritablement un démon l'a enlevé de la poste...

Cependant il semble qu'aujourd'hui 2 février 1777, Dieu commence de m'assister de sa sainte miséricorde, car voici la copie d'une lettre que le Père Prieur vient de me remettre, et qu'un gentilhomme de Béziers lui a écrite à lui-même:

«A Béziers, ce 10 janvier 1777.

«Monsieur,

«Je saisis ce renouvellement de l'année pour vous en souhaiter une bonne et heureuse. Les bontés que vous avez eues pour moi pendant ma détention dans votre maison me rappellent toujours de former des vœux pour une personne aussi méritante que la vôtre.

«Ayant été un des malheureux exilés, je me suis extrêmement lié avec un de mes compatriotes, qui de nom de guerre s'appelle Dangers, et du nom de famille Masers de Latude; c'est l'homme à projets dont je veux parler. J'espère que vous ne refuserez pas de lui montrer la lettre qui est ci-jointe à la vôtre. Ma mère forme pour vous les mêmes vœux. Je vous prie d'en assurer les RR. PP. Prudence et Orlette.

«Je suis avec le plus profond respect,

Monsieur,

«Votre très humble et très obéissant
serviteur. «Chevalier de MOYRIA».

Voici les paroles contenues dans l'autre feuillet:

«Lettre pour M. Dangers, autrement
dit Masers.

«Monsieur,

«C'est votre cher Poitiers qui vous écrit la présente. Si j'avais pu plus tôt, je l'aurais déjà fait. Dès que je suis sorti, j'ai de suite pensé à vous. Une personne veut bien régler vos affaires, mais pour cela il faut que vous donniez votre procuration d'abord à M. Facio, et puis que vous en donniez une autre au procureur qui se chargera de vos affaires. M. Fournier, le procureur qui demeure à la citadelle, se trouve précisément être celui de ma famille. Demandez à M. Facio de me faire une réponse, et alors je vous promets une bonne réussite dans la rentrée de vos biens. Quand je suis passé à Montagnac, je n'ai pu rien découvrir.

«Je suis avec le plus parfait attachement,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant
serviteur.

«Chevalier de MOYRIA

«Recevez les vœux que je fais pour vous à ce renouvellement d'année.»

... Etant forcé de mettre ici les copies des lettres du chevalier de Moyria, je crois devoir aussi y mettre les causes de sa détention.

Son frère aîné et lui sont tous deux officiers dans le régiment de l'Ile de France. En 1775, ce régiment était en garnison à Belfort (Alsace). Alors le chevalier n'était âgé que de 16 à 17 ans; son frère était lieutenant et plus âgé que lui, et en conséquence il voulait gouverner, et cela était juste. Que s'il avait pris son frère par les douceurs et la remontrance, comme il a un fort bon naturel, il aurait fait de lui tout ce qu'il aurait voulu. Mais il le commandait avec un ton de maître insupportable, et pour des riens il le faisait mettre aux arrêts. Il se plaignit de cette grande sévérité, et de ce qu'il ne lui communiquait point les lettres de sa bonne maman, et qu'il avait donné à ses amis une douzaine de paires de bas de soie et autres choses qu'elle lui avait envoyées. De sorte que la conversation s'échauffa à tel point, que le jeune chevalier, qui n'est pas moins brave que feu son père, voulut faire mettre l'épée à la main à son frère unique. Celui-ci, pour éviter un malheur affreux, qui ne pouvait manquer d'envoyer lui ou son frère dans l'autre monde, et leur mère dans le tombeau, demanda une lettre de cachet qu'il obtint, et il le fit mettre ici. Leur mère, dès le même moment qu'elle fut instruite de leur différend, et qu'elle eut fait faire la paix entre ses deux fils, avec promesse de leur part de ne rompre jamais plus cette tendre amitié qui doit régner sans cesse entre deux frères, demanda la révocation de la lettre de cachet, et le fit sortir d'ici...

Bien que la lettre du chevalier de Moyria fût datée du 10 janvier, elle ne me fut cependant remise que le 2 février, et le même jour je l'envoyai au lieutenant général de police, accompagnée de celle que voici, que je mis dans la même enveloppe:

«A Monseigneur Le Noir, conseiller
d'Etat, lieutenant général de police.

Monseigneur,

Depuis vingt-huit années que je suis en prison, je n'ai pas cessé un seul jour de me faire la grâce d'embrasser ma tendre mère, avant de mourir. Cependant, aujourd'hui 2 février, par la lettre que le révérend Père Prieur vient de me communiquer, je viens d'apprendre qu'elle est décédée. Pour le coup, je puis défier toutes les furies de l'enfer de pouvoir augmenter ma peine. Que si la compassion a du pouvoir sur les cœurs vertueux, illustre père des malheureux, ayez pitié de moi. Dans l'ennui qui me presse, ne me réduisez pas encore à l'humiliation de devoir ma liberté à tout autre qu'à vous seul. Que votre cœur généreux daigne s'en tenir à la lettre que le révérend Père Facio, homme de mérite et de grande probité, aura la bonté de vous remettre avec celle-ci, qu'il a reçue d'un gentilhomme de Béziers, datée du 10 du mois dernier.

«Je vous prie de faire attention que si je n'avais rien, il est sans doute que cet ami ne me demanderait point une procuration, en me protestant la réussite de me faire rentrer dans tous mes biens... En attendant la réponse de mes parents, daignez au moins ordonner au Père Prieur de me tirer de la Force pour me faire passer sur le devant. Que si vous voyiez les larmes couler de mes yeux pour la mort de ma tendre mère, eussiez-vous le cœur plus dur que les cailloux, je vous l'attendrirais, et vous ne me refuseriez point de me rendre ma chère liberté, que j'emploierais à dire des louanges de vous et à prier Dieu de vous combler de toutes ses bénédictions.

«J'ai l'honneur d'être avec un très profond
respect,

«Monseigneur,

«Votre très humble et très obéissant
serviteur,

«Masers, prisonnier depuis vingt-huit
années, présentement à Charenton ce 2 février
1777.»

Douze jours après avoir envoyé la lettre du chevalier de Moyria, à M. Le Noir, on vint me dire que cette lettre ne suffisait pas, qu'il fallait que j'écrivisse encore chez moi. Vu la bonne disposition que le chevalier m'avait témoignée de me secourir, j'eus recours à lui, et en conséquence je lui écrivis la lettre suivante:

«Ah! mon cher chevalier,

«Pour le coup, mon esprit me manque pour vous exprimer comme il faut la joie extrême que je ressens, en voyant que non seulement vous me faites l'honneur de me visiter par vos lettres, mais même que vous voulez me tendre une main secourable. A ce trait je reconnais l'illustre sang de Moyria. Que si c'est obliger une âme bien née que de lui fournir l'occasion de faire des heureux, mon cher chevalier, vous trouvez ci-joint la copie d'une lettre, datée du 29 décembre dernier 1776, que j'ai envoyée à mes parents du côté de ma mère, qui jouissent de mon bien. Que s'ils avaient répondu sur-le-champ, il est certain que je n'aurais point resté jusqu'aujourd'hui à venir vous embrasser à Béziers.

«Ayant de l'esprit et un bon cœur, il est inutile que je vous donne des conseils. Il suffira d'écrire à Montagnac, à Grouillé ou à un d'Aubrespy, mes parents, de venir vous parler, et vous lui direz que je suis extrêmement irrité contre tous de ce qu'ils n'ont pas secondé l'humanité de notre vertueux Père Prieur Facio; que vous m'avez vu et parlé, et que je ne suis pas encore si cassé que je ne puisse, avec mon épée ou ma tête, gagner de quoi à subsister; qu'ils savaient bien que je sais les mathématiques, et qu'avec ce talent, quand même je ne voudrais me faire qu'un simple arpenteur, je pourrais gagner du pain; qu'en outre ils ne peuvent pas ignorer que tous mes parents du côté de mon père ont de très belles terres, et que si je voulais m'humilier jusqu'à leur demander la table, pas un d'eux ne me la refuserait, ou tout au moins de me faire un de leurs maîtres d'affaires, préférablement à un indifférent. Mais enfin, mon cher chevalier, il ne dépendrait que de vous de me délivrer, en engageant votre bonne maman à écrire les quatre paroles que voici à Mgr Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de police.

«Monseigneur, instruite que vous ne retenez le sieur Henri de Masers dans la Maison des Religieux de Charenton, que par la crainte que vous avez qu'après une captivité de vingt-huit années il ne trouve plus de quoi subsister, Monseigneur, ne soyez plus en peine: je viens vous assurer que si je ne puis venir à bout de lui faire rendre ses biens, dont ses parents se sont emparés, chose qu'on m'a dit cependant n'être pas difficile, que moi-même je lui donnerai un asile chez moi. Que si malheureusement mon nom ne vous était présent, M. de Saint-Vigor, contrôleur de la Maison de la reine, intime ami de feu mon époux, le comte de Moyria, lieutenant-colonel, vous dira qui je suis, et même je ne doute pas que son cœur, plein de compassion, ne joigne ses prières aux miennes pour vous exciter à délivrer plus promptement un infortuné qui gémit depuis si longtemps en prison. Sur les éloges qu'on fait de vous, je ne dois point douter que vous serez sensible à ma prière, en vous assurant que ma reconnaissance égalera le profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monseigneur, etc...»

«Mon cher chevalier, si Mme votre mère veut bien s'intéresser à mon sort, il faudrait lui conseiller d'envoyer cette lettre dans une double enveloppe à M. de Saint-Vigor, en le priant de la signer et de l'envoyer sur-le-champ à M. Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de police, et moyennant ce, vous pouvez être certain qu'en moins de six jours après je serai libre. Mon cher chevalier, je vous prie de faire une extrême attention aux quatre paroles que voici:

«Nota.—Il est évident que non seulement M. Le Noir passe pour être juste et équitable, mais même qu'il n'y a pas un seul homme en France qui ait un cœur si humain, si compatissant et mieux faisant que le sien. Que si malheureusement pour moi, aujourd'hui ou demain, le roi venait à le faire ministre, comme cela est arrivé à MM. d'Argenson, Berryer, Bertin, Sartine, etc..., malgré l'équité de ma cause, toutes mes affaires seraient renversées de fond en comble, et je serais un homme perdu. Par ces paroles vous entendez que je vous prie de me secourir promptement.

«Signé: MASERS.

«A la maison des religieux de Charenton,
le 14 février 1777.»

Aujourd'hui, 16 mars, le Père Prieur vient de m'apporter la réponse à cette lettre dont voici la copie:

«A Béziers, ce 2 mars 1777.

«J'ai reçu, mon cher Dangers, le paquet que votre vertueux prieur a eu la bonté de m'envoyer. Je l'ai communiqué à ma mère. Il se trouve à Béziers une dame de chez vous; elle est veuve d'un nommé d'Aubrespy, lieutenant-colonel d'infanterie, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, chez qui je fus de suite prendre des informations, et voici ce qu'elle me dit: que vous étiez le fils du marquis de Latude, qu'elle ne vous connaissait pas, mais que sur l'ouï-dire, votre mère avait acheté une maison sur la place, et qu'elle avait, outre cela, plusieurs pièces de terre, qu'elle était alliée à M. le baron de Fontès de Pézenas. Alors je lui communiquai vos lettres qui se trouvèrent se rapporter avec ce que je vous marque. Je compte aller demain à Pézenas où je verrai le baron de Fontès, avec lequel je prendrai des arrangements nécessaires pour vous délivrer d'une aussi longue captivité. De là j'irai à Montagnac, et je vous promets de forcer vos parents naturels et le notaire royal du lieu, de signer les papiers que vous leur avez envoyés à ce sujet, et pour qu'ils soient plus authentiques, je le ferai faire sur du papier marqué. Vous me marquez que j'intéresse ma mère à écrire à M. le lieutenant général de police: ma mère y a consenti. Elle a fait plus: comme M. Amelot se trouve intime ami de M. de Saint-Vigor, ainsi elle a jugé à propos de plutôt écrire à ce ministre. J'ai écrit à M. de Saint-Vigor, en y mettant dedans une lettre pour le ministre.

«Signé: Le chevalier de MOYRIA

M. de Saint-Vigor prit mon affaire à cœur et s'en occupa activement le 18 avril 1777. J'écrivis à Mme de Moyria.

«Madame,

«Ce n'est pas par négligence, et encore moins par ingratitude que j'ai tardé jusqu'aujourd'hui à venir vous faire mille et mille remerciements de la généreuse protection que vous daignez m'accorder, et à vous envoyer ma procuration.

«Je suis prisonnier... Par ce mot vous entendez que je ne suis pas le maître d'exécuter mes volontés, dès le même moment que je le souhaite. Par la lettre de votre aimable fils j'ai appris que non seulement vous aviez écrit au ministre, mais même que vous poussez l'humanité jusqu'à vouloir vous donner la peine de prendre soin de mon bien.

«Ah! madame, vous avez trop de vertu, pour ne pas pardonner à mon esprit, accablé des expressions de reconnaissance telles que vous m'évitez en me rendant de si grands services; je demeure confus.

«J'ai pris la liberté d'écrire à M. de Saint-Vigor: il m'a fait l'honneur de me répondre le 13 de ce mois d'avril. Sur-le-champ, c'est-à-dire le 16 qu'on me remit sa lettre, je lui ai envoyé tous les renseignements qu'il souhaitait, et, vu la justice de ma cause et la bonne disposition de M. de Saint-Vigor, qui semble être fort bon ami avec M. Amelot, personne ne doute qu'avant la fin de ce mois cet honnête homme n'ait obtenu ma liberté. J'attends sa réponse avec beaucoup d'impatience pour faire de nouveaux efforts pour venir mettre à vos pieds, madame, mon bien, mon corps et ma vie. Tout ce que j'ai est à vous. Car, quand même il serait impossible à M. de Saint-Vigor de me faire rendre ma liberté, sachez, ma généreuse protectrice, que je vous tiendrai compte de votre bonne volonté, comme si vous étiez venue à bout de me la faire rendre en effet, et qu'en reconnaissance jusqu'à mon dernier soupir, je ne cesserai de faire des vœux au ciel, pour qu'il daigne combler de toutes ses bénédictions un cœur aussi vertueux que le vôtre.

«J'ai l'honneur d'être, avec un très profond respect,

«Votre très humble et très obéissant serviteur,

«Mazers, ingénieur géographe, pensionnaire
du roi dans la maison des religieux
de Charenton, ce 18 avril 1777.»

Le 19 de mai 1777, le Père Calliste a été élu notre prieur pour remplacer le Père Facio. Vendredi 23, l'ancien et le nouveau prieur, tous les deux à la fois vinrent me voir dans ma chambre, et me protestèrent mutuellement qu'ils allaient faire leur possible pour me délivrer...

[Latude sortit de Charenton le 10 juin 1777 et ne put par suite continuer la rédaction de ses Mémoires, dont l'original fut saisi et déposé à la Bastille, comme le témoigne le procès-verbal qui y est annexé.

Ce procès-verbal est écrit sur une petite carte à jouer (un sept de pique), et porte sur son revers la mention suivante:]

Paraphé par nous Commissaire.

Soussigné et par le sieur Masers De la Dude (sic), au désir de notre procès-verbal du dix-neuf juillet 1777.

Signé: CHÉNON.
[Commissaire de police.]

MASERS DE LATUDE.

(Double cachet de cire rouge.)

FIN

DES MÉMOIRES RÉDIGÉS PAR LATUDE AU DONJON DE VINCENNES ET A CHARENTON


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MÉMOIRES & SOUVENIRS

Collection Historique Illustrée

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

M. FRANTZ FUNCK-BRENTANO, chef de la section des manuscrits à la Bibliothèque de l'Arsenal.

(Illustrations tirées des Musées et des Bibliothèques de France et de l'Etranger et des collections de MM. Victorien Sardou, le marquis de Ségur, Henry Houssaye, le baron Ed. de Rothschild, le prince d'Essling, Charamy, Georges Hartmann, Lécuyer.)

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Le Règne de Louis XVI, par le comte L.-Ph. de Ségur, publ. avec une introduction par M. LE MARQUIS DE SÉGUR, de l'Académie française.

Les Nuits révolutionnaires, de Retif de la Bretonne, publ. avec une introduction par M. FUNCK-BRENTANO.

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Le Village, par Retif de la Bretonne, publ. avec une introduction par M. FUNCK-BRENTANO.

Mandrin et les Contrebandiers, mémoires inédits, publiés avec une introduction par F. FUNCK-BRENTANO.

La Bastille sous la Régence, par Mme DE STAAL DE LAUNAY, publ. avec une introduction par M. F. FUNCK-BRENTANO.

Cahiers d'un Volontaire de 91. par XAVIER VERNÈRE, publiés pour la première fois par GERIN-ROZE, son petit-fils.

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NOTES:

[1] Cette fameuse flûte est aujourd'hui la propriété de M. Émile Bazin, à Reims. M. Bazin la conserve parmi des souvenirs de famille qui lui viennent du chevalier de Pougens. La petite flûte—ronde, longue de 151 milimètres, percée de quatre trous par devant et d'un trou par derrière—sert de fermoir, comme le crayon d'un carnet, à un exemplaire des Mémoires de Latude rédigés par Thiéry. A l'exemplaire de ces Mémoires sont joints plusieurs documents (lettre et notes provenant de Mme Legros, de Latude, et de Théod. Lorin, secrétaire du chevalier de Pougens). Ils ont été publiés dans la Nouvelle Revue rétrospective du 10 janv. 1898, p. 48-56.

[2] Les historiens écrivent que M. et Mme Legros n'avaient pas d'enfants. Parmi les notes de Théod. Lorin, secrétaire du chevalier de Pougens, on lit: «M. de Pougens, qui avait joint ses efforts à ceux des personnes dont le crédit procura la liberté à l'infortuné Latude, et qui contribua à lui assurer une existence honorable, est resté, jusqu'à sa mort, le bienfaiteur du fils et de la fille de Mme Legros, lesquels existent encore (1851)». Nouvelle Revue rétrospective, 10 Janv. 1898, p. 51.

[3] Parmi les documents concernant Latude, conservés à la Bibliothèque de la Ville de Paris (nº 10.731), il y a, de la main du héros, un écrit, qui constitue la plus abominable des tentatives de chantage contre le marquis de Villette, son bienfaiteur. Ce trait infâme suffirait à faire juger le personnage.

[4] Enquête faite par J.-J. Grandin, commissaire au Châtelet, 21 juill. 1789. Arch. nat. Y. 13.319 (Communication de M. Al. Tuetey).

[5] Aujourd'hui au Musée historique de la Ville de Paris (hôtel Carnavalet).

[6] Thierry était un avocat du barreau de Nancy. A cette époque, il quitta la carrière pour se livrer à des spéculations qui ne furent pas toujours heureuses.

[7] Les notes de Théod. Lorin, publiées dans la Nouvelle Revue rétrospective (10 janvier 1898, p. 49-51) confirment ce témoignage de la manière la plus complète. «Quoique très âgé, car il est mort à quatre-vingts ans, M. de Latude avait conservé toute sa force, disons même la verdeur de sa jeunesse.»

[8] Voy. Gustave Bertrand, Catalogue des manuscrits français de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, Paris, 1874, in-8.

[9] On a vu, par ce qui précède, que tout ceci n'est que mensonge grossier.

[10] Comparer ces détails avec la partie correspondante de l'introduction. Dans cette partie de ces mémoires Latude ne raconte que des mensonges.

[11] Il n'y a rien de vrai dans ces affirmations: un domestique fut mis auprès de Latude, pour le servir à la Bastille, mais par les soins et aux frais du gouvernement.

[12] Latude, qui est des environs de Montpellier, écrit toujours «je demanda», «je regarda», «j'observa»...

Ici commence la partie du mémoire rédigé par Latude lui-même dans sa précision, dont l'original est conservé dans la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg et qui mérite infiniment plus de confiance que les mémoires rédigés par Thierry.

[13] Cette expression, «la quatrième Comté», désignait la quatrième chambre de la tour de la Comté.

[14] En 1764 le 3 août tombait un vendredi et le 5 août un dimanche.

[15] Latude s'était mis dans la tête que Mme de Pompadour était une magicienne qui avait ensorcelé le roi, tous ceux qui l'approchaient, et tous ceux qui avaient à s'occuper de ses affaires à lui, Latude.

[16] Plus de quatre mille francs de valeur actuelle, uniquement pour la table. En outre plus de 500 livres, près de 2 000 francs de valeur actuelle, pour ses autres besoins.

[17] Latude écrit ces lignes étant à Charenton.


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