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Mémoires d'un artiste

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Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre.

Il ne s'agit pas, en effet, que tous les verres soient de même grandeur; l'essentiel est qu'ils soient toujours pleins. Un nain, tout couvert d'or, se trouverait aussi bien partagé qu'un géant, si, pour tous deux, le bonheur suprême consistait à être tout couvert d'or. C'est l'ingénieuse comparaison imaginée par saint François de Sales au sujet des élus, pour expliquer l'égalité du bonheur dans l'inégalité de la gloire; comparaison si fine et si juste qu'on peut l'appliquer à tous les degrés de la vie et à toutes les formes de la perfection.

Il n'est pas donné à chacun d'être un de ces fleuves majestueux dont les eaux répandent partout la fertilité sur leur passage; mais le plus humble ruisseau, si l'onde en est pure et limpide, reflète le ciel aussi bien que les plus vastes rivières et que les profondeurs de l'Océan.

«Je le conduirai dans la solitude, et là je parlerai à son cœur», dit un prophète hébreu.

L'excellent auteur de l'Imitation exprime ainsi la même pensée: «L'habitude de la retraite en augmente le charme.»

—Enfin, dit-on encore avec un air gracieux, que voulez-vous? ce sont les inconvénients de la célébrité!...

Autre formule dont il serait grand temps de faire justice: car, en conscience, être dévoré parce qu'on n'est plus ignoré, voilà qui est un bénéfice médiocrement enviable.

On ne saurait assez le redire: ce n'est pas la personne de l'artiste qui appartient au monde; ce sont ses œuvres: or, point d'œuvres fortes, homogènes, durables, avec un travail constamment interrompu et morcelé. Que le monde se pénètre donc de ce dernier conseil adressé par Molière à l'illustre ministre de qui je parlais tout à l'heure:

Souffre que, dans leur art, s'avançant chaque jour,
Par leurs ouvrages seuls ils te fassent la cour.

Une trop large part accordée aux relations sociales expose encore l'artiste à un autre danger duquel il n'est peut-être pas inutile de dire deux mots.

À force d'entendre bourdonner autour de lui tant d'opinions diverses, d'éloges, de critiques, d'engouements pour telles productions en vogue, l'artiste en arrive insensiblement à douter de lui, de sa nature, des dictées de son émotion personnelle, qui lui indiquait la route à suivre, et il finit par se sentir dans un dédale inextricable; la voix de son guide intérieur disparaît dans le bruit de ce tourbillon, et c'est aux caprices d'une faveur inconstante comme la mode qu'il mendie vainement le point d'appui qu'elle ne peut donner. On dit: «Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son.» Cela dépend du métal et de la fonte de la cloche, qui, lorsqu'elle est parfaite, donne une admirable série de vibrations harmoniques. Mais entendre à la fois toutes les cloches, quelle horrible cacophonie!

Lorsque, par un de ces temps d'orage qui rendent la respiration pénible et oppressée, nous disons qu'il fait lourd, nous employons un terme inexact; il fait, au contraire, très léger: ce que nous appelons pesanteur n'est qu'une raréfaction, un déficit de la quantité d'air dont nous avons besoin pour respirer librement.

Il en est de même de l'atmosphère intellectuelle. Le savant, l'artiste, le poète et bien d'autres encore ont, eux aussi, leur atmosphère spéciale, et, par conséquent, leurs conditions spéciales de respiration et d'asphyxie: gardons-nous de les enlever à l'élément qui les fait vivre, et de les étouffer sous ce que Joseph de Maistre a si justement appelé «l'horrible poids du rien».

Oh! je le sais et je le confesse; l'artiste est un être à part, singulier, anormal, bizarre: c'est un original. D'accord. S'il en fait souffrir, il en souffre aussi, et souvent beaucoup plus qu'on ne croit. Mais, après tout, c'est peut-être à ce qu'il est qu'il faut s'en prendre de ce qui lui manque, comme, peut-être aussi, est-ce un peu à ce qui lui manque qu'il doit ce qu'il vaut. Prenons-le donc pour ce qu'il est, laissons-le être tel qu'il est; c'est le seul moyen de le laisser devenir tout ce qu'il peut être.



L'ACADÉMIE DE FRANCE

À ROME[19]

[19] Janvier 1882.

Au moment où, sous le masque d'un soi-disant naturalisme dans l'art, on s'efforce de jeter la défaveur sur cette noble et généreuse institution de l'Académie de France à Rome, il m'a semblé que c'était un devoir de protester contre des tendances dissolvantes qui, si elles pouvaient aspirer à l'honneur de s'appeler des doctrines, n'iraient à rien moins qu'à l'oblitération du sens élevé des Beaux-Arts, et qui, d'ailleurs, ne reposent que sur les arguments les plus creux et les plus frivoles.

Les avocats de ce qu'on nomme «l'Art moderne» (comme si l'art véritable n'était pas de tous les temps) s'attaquent à l'École de Rome d'une manière absolue, et leur ultimatum est qu'il faut, au plus vite, raser la villa Médicis comme un foyer d'infection artistique. C'est là le delenda Carthago de la secte anti-romaine.

Je n'entreprendrai pas ici une plaidoirie ex professo en faveur des peintres, sculpteurs, architectes et graveurs que l'État envoie, chaque année, à Rome, pour leur assurer, en retour des espérances qu'ils ont fait concevoir, le commerce assidu et gratuit de ces immortels docteurs qu'on nomme «les maîtres». Je me bornerai, moi musicien, à ce qui concerne les intérêts des musiciens compositeurs. Aussi bien, est-ce surtout pour eux que l'on affecte de regarder comme parfaitement inutile et insignifiant le séjour à Rome. Mais la cause de l'art étant la même pour tous les arts, ce que j'aurai à dire au sujet des musiciens s'appliquera de soi-même aux autres artistes.

Ce qui me frappe tout d'abord, c'est que cet acharnement contre l'École de Rome n'est, lui-même, que la conséquence d'un vœu plus ou moins franchement formulé, et qui résume à peu près, à lui seul, tout le programme de l'opposition. Ce vœu, le voici: «Plus de professeurs! Il faut voler de ses propres ailes!» C'est là, sans doute, ce qu'on entend par «l'art moderne».

Ainsi, plus d'éducation; plus de notions acquises et transmissibles, c'est-à-dire plus de capital, partant plus de patrimoine ni d'héritage; plus de passé, partant plus de traditions, plus de paternité intellectuelle; nous voici en pleine génération spontanée,—car il n'y a pas de milieu: ou l'enseignement ou la science infuse.

Et remarquez bien que ceux qui prônent ce système sont justement ceux-là mêmes qui parlent, à tout propos, de l'École de l'avenir! L'avenir! Eh! de quel droit l'invoquez-vous donc, vous qui, demain, serez devenus, pour lui, ce passé dont vous ne voulez pas?

Merveilleuse contradiction de l'absurde, ce «royaume divisé au dedans de lui-même»! Qu'on me montre un emploi quelconque des facultés humaines, un seul, qui repose sur une semblable théorie! Est-ce le droit? Est-ce la physique, la chimie, l'astronomie, la mécanique? Est-ce que l'homme n'est pas un être enseigné? Est-ce qu'il ne vit pas, en tout, sur un capital de notions amassées? Est-ce qu'on ne lui apprend pas à lire, à écrire, à marcher, à monter à cheval, à manier les armes, à jouer d'un instrument quelconque? Est-ce que tout n'a pas sa gymnastique spéciale? Or, qu'est-ce qu'une école, sinon un gymnase?

Hé bien! soit, dit-on; soit, pour tout ce qui est science ou métier; mais le génie? Le génie ne s'enseigne pas; on en a ou on n'en a pas, et il n'est au pouvoir de personne de le donner à qui n'en a pas, non plus que de le retirer à qui en a.

D'accord, et cela est incontestable; mais ce qui ne l'est pas moins, c'est que, selon le mot d'un grand artiste[20] qui avait qualité pour en parler, il n'y a pas d'art sans science.

[20] Ingres.

Non, certes, personne ne communique le génie, qui est incommunicable, parce qu'il est un don essentiellement personnel: mais ce qui est communicable, transmissible, c'est le langage au moyen duquel se meut et s'exprime le génie, et sans la possession duquel il n'est qu'un muet ou un impotent. Est-ce que Raphaël, Mozart, Beethoven, n'étaient pas des hommes de génie? Se sont-ils crus, pour cela, autorisés à rejeter dédaigneusement le magistère traditionnel qui non seulement les initiait à la pratique de leur art, mais encore leur montrait la route propre à les y mener sûrement, leur épargnant ainsi une perte de temps considérable à la recherche d'une certitude dont des siècles d'expériences leur garantissaient le dépôt? Vraiment, c'est se moquer du sens commun que de prétendre ainsi détrôner l'histoire à coups de paralogismes! Autant vaut dire que l'orateur et l'écrivain n'ont besoin d'apprendre ni leur langue, ni la syntaxe, ni le dictionnaire.

Théophile Gautier le disait avec raison: «Si j'écris mieux que beaucoup d'autres, c'est que j'ai appris mon métier, et que j'ai un plus grand nombre de mots à mes ordres.» Mais, poursuit l'objection, quantité d'artistes éminents n'ont pas été pensionnaire de l'École de Rome.

Cela est vrai, et je m'empresse d'ajouter (ce dont, au reste, l'opposition a peu de mérite à se targuer si haut) que, pour avoir été pensionnaire de l'École de Rome, on n'en revient pas nécessairement un homme supérieur. Mais que faut-il en conclure? Que Rome n'a pas fait le miracle de donner ce que la nature avait refusé? C'est évident, et ce serait par trop commode d'avoir du génie au prix d'un voyage que tout le monde peut faire. Mais ce n'est pas là du tout ce dont il s'agit. Il s'agit de savoir si, étant donné une organisation d'artiste, Rome n'exerce pas sur cette organisation une influence incontestable et incomparable sous le rapport de l'élévation de la pensée et du développement artistique.

Cette considération m'amène à examiner l'utilité du séjour à Rome pour les musiciens compositeurs.

Passe encore, dit-on, d'envoyer en Italie des peintres, des sculpteurs, des architectes, des graveurs; ils trouvent là une collection considérable de chefs-d'œuvre qui peuvent du moins les intéresser en raison de l'art spécial auquel ils appartiennent. Mais un musicien! Que va-t-il faire à Rome? Quelle musique y entendre? Quel bénéfice en retirer pour son art?

Il faut, en vérité, que ceux qui produisent de pareilles objections aient bien peu réfléchi à ce que c'est qu'un artiste. Croit-on donc que l'artiste soit tout entier dans la seule technique de son art? Comme si le métier, dans l'art, était tout! Comme si l'on ne pouvait pas être un praticien habile et un artiste vulgaire! un rhéteur consommé en même temps qu'un écrivain sans style ou un orateur sans flamme! Eh quoi! l'éloquence et la virtuosité ne sont qu'une seule et même chose? Il n'y a nulle différence entre l'homme et l'instrument? On oublie donc que, sous l'artisan, il y a l'artiste, c'est-à-dire l'homme, et que c'est lui qu'il faut atteindre, éclairer, transporter, transfigurer enfin, jusqu'à lui faire aimer éperdument cette incorruptible beauté qui fait, non pas le succès d'un moment, mais l'empire sans fin de ces chefs-d'œuvre qui resteront les flambeaux et les guides de l'Humanité en fait d'art, depuis l'Antiquité jusqu'à la Renaissance, et jusqu'à nos jours, et après nous, et toujours!

Ignore-t-on, ou feint-on d'ignorer les lois immuables de nutrition et d'assimilation qui régissent le développement et le perfectionnement de tout organisme? Mais si le musicien n'a besoin que de musique pour se développer et se perfectionner, je ne demanderai plus seulement pourquoi on l'envoie à Rome, où il n'a que faire d'aller contempler les fresques de Raphaël et de Michel-Ange au Vatican, cette colline qui garde tous les oracles! Je demanderai à quoi lui sert de lire Homère, Virgile, Tacite, Juvénal, Dante et Shakespeare, Molière et La Fontaine, Bossuet et Pascal, en un mot tous les grands nourriciers de la forme et de la pensée humaines? À quoi bon tout cela? Ce n'est pas de la musique ...

Non, sans doute; mais c'est de l'art, aussi moderne qu'ancien, de l'art immortel et universel, et c'est de cet art-là que l'artiste—non l'artisan—doit faire sa nourriture, sa santé, sa force et sa vie.

Qu'est-ce donc, après tout, que ce prétendu naturalisme dans l'art? J'avoue que je serais bien aise d'être édifié sur le sens qu'on attache à ce mot, dont on semble faire le drapeau d'un grief et la revendication d'un droit méconnu par le despotisme de la routine.

Veut-on dire que, dans les arts, il faut, avant tout, s'appuyer sur la nature, la prendre pour point de départ? En ce sens, tous les maîtres sont d'accord. Mais l'art ne doit pas en rester là; et Raphaël qui, je suppose, connaissait bien la nature, n'a-t-il pas donné de l'art cette définition aussi admirable que trop peu méditée: «L'art ne consiste pas à faire les choses comme la nature les fait, mais comme elle devrait les faire!» Paroles sublimes qui disent clairement que l'art est, par-dessus tout, un choix, une préférence, une véritable sélection, ce qui suppose une initiation de l'entendement à un critérium particulier d'appréciation.

Si la nature est tout et l'éducation rien, si la foule en sait aussi long que les maîtres, comment donc le Temps fait-il constamment justice de ces jugements éphémères qui ont accueilli, les uns avec transport tant d'œuvres bientôt oubliées, les autres avec dédain tant de chefs-d'œuvre acclamés, depuis, par l'admiration de l'infaillible postérité?

Que la foule soit juge, peut-être, en matière de drame, je l'accorde; et encore, cet aveu serait-il susceptible de bien des restrictions, si l'on songe à la quantité prodigieuse d'œuvres qui ont passionné nos pères et qui nous laissent aujourd'hui assez indifférents. Mais, abstraction faite de ces revirements de la popularité, il s'en faut bien que l'art ne soit que dans le drame! Il n'y a pas l'ombre d'analogie entre les secousses violentes provoquées par un coup de théâtre saisissant, et les jouissances sereines et nobles que procure une œuvre d'un art exquis et consommé: nul ne s'avisera d'établir un parallèle entre les émotions produites par un mélodrame du boulevard et celles qu'éveillent les frises du Parthénon ou la Dispute du Saint-Sacrement. Il y a là tout l'abîme qui sépare le domaine des sensations de celui de l'intelligence.

Que dire, enfin, des incalculables bienfaits de cette retraite et de cette sécurité loin des bruits fiévreux et des constantes préoccupations de chaque jour? Que dire de ce silence où l'on apprend à écouter ce qui se passe au fond de soi-même? Que dire de ces solitudes profondes, de ces horizons dont les lignes majestueuses semblent conserver le magique pouvoir de ravir la pensée jusqu'à la hauteur des grands événements dont ils furent les témoins? Et ce Tibre, dont les eaux sévères gardent, avec la terreur des forfaits qu'elles ont engloutis, la tranquillité de cette campagne romaine au sein de laquelle elles se déroulent!

Et Rome elle-même, elle seule, cette triple Rome dont le front a reçu de la main des siècles la tiare auguste que porte son Pontife Suprême, et d'où rayonne, sur le monde, la lumière sans déclin de l'éternelle Vérité! Quel niveau! quel diapason! quel milieu pour qui sait se recueillir!

Ah! que l'on ne vienne plus agiter devant nous ces mots équivoques et sonores de naturalisme, de réalisme et autres semblables. Oui, l'Art c'est la Nature, d'abord; mais la Nature vérifiée, contrôlée, pesée, en un mot jugée au tribunal d'un discernement qui l'analyse et d'une raison qui la rectifie et la restaure: l'Art est une réparation des défaillances et des oublis du Réel; c'est l'immortalisation des choses mortelles par une élimination clairvoyante et non par un culte servile et aveugle de leurs côtés défectueux et périssables. Conservons-la donc à tout prix, envers et contre tout, cette belle École de Rome dont les archives portent des noms comme ceux de David, d'Ingres, de Flandrin, de Regnault, de Duret, d'Hérold, d'Halévy, de Berlioz, de Bizet, qui ne sont pas, que je sache, pour autoriser la pitié hautaine dont on essaie de flétrir une dynastie déjà plus que séculaire. Défendons de toutes nos forces cet asile sacré qui abrite la croissance de l'artiste loin de l'obsession prématurée des besoins de la vie, et le prémunit, à la fois, contre les suggestions du mercantilisme et contre les vulgaires triomphes d'une popularité sans noblesse et sans lendemain.



LA NATURE ET L'ART[21]

        Messieurs,

Les transformations successives dont la terre a été le théâtre et dont se compose son histoire, j'allais presque dire son éducation, depuis le moment où elle s'est détachée de la nébuleuse solaire pour occuper une place distincte dans l'espace, sont comme autant de chapitres de cette grande loi du progrès, de ce perpétuel devenir qui semble diriger vers une finalité mystérieuse le mouvement de la création, et dont les phases diverses ont pu être ramenées aux trois aspects généraux qui ont reçu le nom de règnes, et qui désignent les trois manifestations les plus tranchées de la vie sur le globe.

Cependant, tout n'était pas dit encore, et l'histoire de la terre ne devait point s'arrêter à ces trois premières formes de la vie. Un quatrième règne, le règne humain,—puisque la science même m'autorise à l'appeler ainsi,—allait prendre possession de ce domaine qui s'ignorait.

L'énorme travail d'évolution, le prodigieux effort d'enfantement à travers lequel se déroule le plan de la pensée créatrice, l'homme allait le reprendre au point où l'avaient amené ses devanciers, et le conduire, en exerçant de plus nobles fonctions, vers de plus hautes destinées. Cette loi de la vie, dont les créatures n'avaient été, jusqu'à lui, que des dépositaires plus ou moins passifs mais irresponsables, l'homme allait en devenir le confident, élevé au suprême honneur d'accomplir volontairement sa loi connue, honneur qui constitue la notion même de la liberté, et qui, d'emblée, transforme l'activité instinctive en activité rationnelle et consciente.

En un mot, la moralité ou détermination du bien, la science ou détermination du vrai, l'art ou détermination du beau, voilà ce dont manquait la terre avant l'homme, et ce dont il était réservé à l'homme de la doter et de l'embellir comme pontife de la raison et de l'amour dans ce temple désormais consacré au culte du bien, du vrai et du beau.

Ainsi envisagé, qu'est-ce donc que l'artiste? Quelle est sa fonction vis-à-vis des données et, si je puis ainsi parler, de la mise de fonds de la nature?

La sublime fonction de l'homme, c'est d'être positivement, et à la lettre, un nouveau créateur de la terre. C'est lui qui, en tout, est chargé de la faire ce qu'elle doit devenir. Non seulement par la culture matérielle, mais par la culture intellectuelle et morale, c'est-à-dire par la justice, l'amour, la science, les arts, l'industrie, la terre ne s'achève, ne se conclut que par l'homme à qui elle a été confiée pour qu'il la mît en œuvre, «ut operatur terram», selon le vieux texte sacré de la Genèse.

L'artiste n'est donc pas simplement une sorte d'appareil mécanique sur lequel se réfléchit ou s'imprime l'image des objets extérieurs et sensibles; c'est une lyre vivante et consciente que le contact de la nature révèle à elle-même et fait vibrer; et c'est précisément cette vibration qui est l'indice de la vocation artistique et la cause première de l'œuvre d'art.

Toute œuvre d'art doit éclore sous la lumière personnelle de la sensibilité, pour se consommer dans la lumière impersonnelle de la raison. L'art, c'est la réalité concrète et sensible fécondée jusqu'au beau par cette autre réalité, abstraite et intelligible, que l'artiste porte en lui-même et qui est son idéal, c'est-à-dire cette révélation intérieure, ce tribunal suprême, cette vision toujours croissante du terme final vers lequel il tend de toute l'ardeur de son être.

S'il était possible de saisir directement l'idéal, de le contempler face à face dans la vision complète de sa réalité, il n'y aurait plus qu'à le copier pour le reproduire, ce qui reviendrait à un véritable réalisme, supérieur assurément, mais définitif et qui, du même coup, supprimerait chez l'artiste les deux facteurs de son œuvre, la fonction personnelle qui constitue son originalité, et la fonction esthétique qui constitue sa rationalité.

Telle n'est pas la position de l'idéal vis-à-vis de l'œuvre d'art. L'idéal n'est reproductible d'aucune façon adéquate; il est un pôle d'attraction, une force motrice, on le sent, on le subit; c'est «l'excelsior» indéfini, le «desideratum» impérieux dans l'ordre du beau, et la persistance de son témoignage intime est la garantie même de son insaisissable réalité. Dégager du réel inférieur et imparfait la notion qui détermine et mesure le degré de conformité ou de désaccord de ce réel dans la nature avec sa loi dans la raison, telle est la fonction supérieure de l'artiste; et ce contrôle du réel dans la nature par sa loi dans la raison est ce qu'on nomme «l'esthétique». L'esthétique est la «rationalité du beau».

Dans l'art, comme en tout, le rôle de la raison est de faire équilibre à la passion; c'est pourquoi les œuvres d'un ordre tout à fait supérieur sont empreintes de ce caractère de tranquillité qui est le signe de la vraie force, «maîtresse de son art jusqu'à le gourmander».

Dans cette collaboration de l'artiste avec la nature, c'est, nous l'avons vu, l'émotion personnelle qui donne à l'œuvre d'art son caractère d'originalité.

On confond souvent l'originalité avec l'étrangeté ou bizarrerie; ce sont pourtant choses absolument dissemblables. La bizarrerie est un métal anormal, maladif; c'est une forme mitigée de l'aliénation mentale et qui rentre dans la classe des cas pathologiques: c'est, comme l'exprime fort bien son synonyme l'excentricité, une déviation par la tangente.

L'originalité, tout au contraire, est le rayon distinct qui rattache l'individu au centre commun des esprits. L'œuvre d'art étant le produit d'une mère commune qui est la nature et d'un père distinct qui est l'artiste, l'originalité n'est pas autre chose qu'une déclaration de paternité; c'est le nom propre associé au nom de famille; c'est le passeport de l'individu régularisé par la communauté.

Toutefois, l'œuvre de l'artiste ne consiste pas uniquement dans l'expression de sa personne, ce qui en est la marque distinctive, il est vrai, la physionomie propre, mais, aussi et par cela même, la limite. En effet, si, par la sensibilité, l'artiste se trouve en contact avec les données de la nature, il entre, par la raison, en contact avec l'idéal, en vertu de cette loi de transfiguration qui doit s'appliquer à toutes les réalités qui existent, pour les rapprocher, de plus en plus, des réalités qui sont, autrement dit, de leur prototype parfait.

Qu'on me permette de citer un mot qui me semble fournir sinon une preuve, du moins une formule assez frappante des considérations qui précèdent.

Sainte Thérèse, cette femme éminente que l'éclat de ses lumières a fait placer au nombre et au rang des plus illustres docteurs de l'Église, disait qu'elle ne se rappelait pas avoir jamais entendu un mauvais sermon. Dès qu'elle le dit, je ne demande pas mieux que de l'en croire. Il faut, néanmoins, convenir que, si la grande sainte ne s'est point fait illusion, il y a eu là, en faveur de son temps ou, tout au moins, de sa personne, une grâce tout à fait spéciale et qui n'est certes pas une des moindres que Dieu puisse accorder à ses fidèles.

Quoi qu'il en soit, et sans vouloir aucunement révoquer en doute la sincérité d'un pareil témoignage, il y a moyen de l'expliquer, de le traduire, et de comprendre comment et jusqu'à quel degré parfois prodigieux la relation inexacte d'un fait peut se concilier avec la véracité absolue du témoin.

Pourquoi sainte Thérèse ne se souvenait-elle pas d'avoir jamais entendu un mauvais sermon? C'est parce que tous ceux qu'elle entendait au dehors étaient spontanément transfigurés et littéralement créés à nouveau par la sublimité de celui qu'elle entendait en permanence au fond d'elle-même: c'est parce que la parole du prédicateur, si dénuée qu'elle fût de prestige littéraire et d'artifices oratoires, l'entretenait de ce qu'elle aimait le plus au monde, et qu'une fois emportée dans cette direction et à cette hauteur, elle ne voyait plus et n'entendait plus que le Dieu même de qui on lui parlait.

«Prenez mes yeux», disait un peintre célèbre, à propos d'un modèle que son interlocuteur trouvait affreux; «Prenez mes yeux, monsieur, et vous le trouverez sublime!»

C'est ainsi qu'un grand artiste se révélera soudainement à lui-même et plongera, d'un regard instantané, jusque dans les profondeurs de son art, au simple contact d'une œuvre même de médiocre valeur, mais qui aura suffi pour faire jaillir en lui la divine étincelle où se reconnaît le génie. Qui sait si le Barbier de Séville et Guillaume Tell n'ont pas eu pour berceau le tréteau paternel qui a commencé l'éducation musicale de Rossini?

Passer des réalités extérieures et sensibles à l'émotion, puis de l'émotion à la raison, telle est la marche progressive du développement intellectuel; c'est ce que saint Augustin résume admirablement dans une de ces formules si nettes et si lumineuses que l'on rencontre à chaque pas dans ses œuvres: «Ab exterioribus ad interiora, ab interioribus ad superiora», du dehors au dedans, du dedans au-dessus.

L'art est une des trois incarnations de l'idéal dans le réel; c'est une des trois opérations de cet esprit qui doit renouveler la face de la terre; c'est une des trois renaissances de la nature dans l'homme; c'est, en un mot, une des trois formes de cette «autogénie» ou «immortalité propre» qui constitue la résurrection de l'humanité, en vertu de ses trois puissances créatrices fonctionnellement distinctes mais substantiellement identiques, à savoir: l'amour, raison de l'être, la science, raison du vrai, l'art, raison du beau.

Après avoir essayé de montrer, dans l'union de l'idéal et du réel, la loi qui régit le progrès de l'esprit humain, il resterait à faire la contre-preuve, en montrant où aboutit la séparation, l'isolement des deux termes.

Dans l'art, le réel seul est la servilité de la copie; l'idéal seul est la divagation de la chimère.

Dans la science, le réel seul est l'énigme du fait sans la lumière de sa loi; l'idéal seul est le fantôme de la conjecture sans sa confirmation par les faits.

Dans la morale, enfin, le réel seul est l'égoïsme de l'intérêt, ou absence de sanction rationnelle dans le domaine de la volonté; l'idéal seul est l'utopie, ou absence de sanction expérimentale dans le domaine des maximes.

De tous côtés, le corps sans l'âme ou l'âme sans le corps, c'est-à-dire négation de la loi de la vie pour l'être qui, par sa double nature, appartient à la fois au monde sensible et au monde intelligible, et dont l'œuvre n'est complète et normale qu'à la condition d'exprimer ces deux ordres de réalités.

S'il est un symptôme qui caractérise ces trois hautes vocations humaines, le service du bien, du vrai et du beau, s'il est un lien qui trahisse leur commune divinité d'origine et les élève à la dignité d'un véritable apostolat, c'est le désintéressement, c'est la gratuité.

Les fonctions de la vie sont si étroitement soudées à celles de l'existence, que la liberté divine de la vocation est bien obligée de subir la nécessité humaine de la profession; aussi les passionnés de la vie s'entendent-ils généralement fort peu et fort mal aux choses de l'existence; mais, en soi et de leur nature, toutes les fonctions supérieures de l'homme sont gratuites. Ni l'amour, ni la science, ni l'art n'ont rien de commun avec une estimation vénale; ce sont les trois personnes divines de la conscience humaine; on ne vend que ce qui meurt; ce qui est immortel ne peut que se donner. C'est pourquoi les œuvres du bien, du vrai et du beau défient les siècles; elles sont vivantes de l'éternité même de leur principe.

«Ciel nouveau et nouvelle terre.»

C'est ainsi que le grand captif de Pathmos, l'aigle des évangélistes, annonce la fin des temps, au chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, cette vision grandiose qui s'achève dans l'Hosannah de la «Jérusalem nouvelle, la cité sainte, descendant des hauteurs célestes, comme une fiancée parée pour son époux».

Quels voyants sublimes que ces grands lyriques du peuple hébreu! Quels divins que ces devins de la croissance et de la destinée humaines! Job, David, Salomon, les prophètes, et Paul, et Jean, l'initié aux secrets éternels et aux insondables profondeurs de la génération infinie!

Cette Jérusalem nouvelle, cette patrie de l'élection, c'est la sélection humaine, victorieuse des énigmes et rapportant, comme un glorieux trophée, tous les voiles sacramentels tombés, un à un, sur la route des siècles; c'est l'intendant laborieux et fidèle qui entre dans la joie de «son Seigneur», et qui remet entre les mains de son père et de son Dieu, sous la clarté resplendissante d'un «ciel nouveau», cette «terre nouvelle», régénérée, re-créée, conformément à la loi exprimée par cette formule suprême:

«En vérité, je vous le dis, il faut que vous naissiez de nouveau; sinon vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux!»

[21] Lu dans la séance publique annuelle des cinq Académies du 25 octobre 1886.



PRÉFACE[22]

À

LA CORRESPONDANCE D'HECTOR BERLIOZ

Il y a, dans l'humanité, certains êtres doués d'une sensibilité particulière, qui n'éprouvent rien de la même façon ni au même degré que les autres, et pour qui l'exception devient la règle. Chez eux, les particularités de nature expliquent celles de leur vie, laquelle, à son tour, explique celle de leur destinée. Or ce sont les exceptions qui mènent le monde; et cela doit être, parce que ce sont elles qui paient de leurs luttes et de leurs souffrances la lumière et le mouvement de l'humanité. Quand ces coryphées de l'intelligence sont morts de la route qu'ils ont frayée, oh! alors vient le troupeau de Panurge, tout fier d'enfoncer des portes ouvertes; chaque mouton, glorieux comme la mouche du coche, revendique bien haut l'honneur d'avoir fait triompher la Révolution:

J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.

Berlioz fut, comme Beethoven, une des illustres victimes de ce douloureux privilège: être une exception; il paya chèrement cette lourde responsabilité! Fatalement, les exceptions doivent souffrir, et, fatalement aussi, elles doivent faire souffrir. Comment voulez-vous que la foule (ce profanum vulgus que le poète Horace avait en exécration) se reconnaisse et s'avoue incompétente devant cette petite audacieuse de personnalité qui a bien le front de venir donner en face un démenti aux habitudes invétérées et à la routine régnante? Voltaire n'a-t-il pas dit (lui, l'esprit s'il en fut) que personne n'avait autant d'esprit que tout le monde? Et le suffrage universel, cette grande conquête de notre temps, n'est-il pas le verdict sans appel du souverain collectif? La voix du peuple n'est-elle pas la voix de Dieu?...

En attendant, l'histoire, qui marche toujours et qui, de temps à autre, fait justice d'un bon nombre de contrefaçons de la vérité, l'histoire nous enseigne que partout, dans tous les ordres, la lumière va de l'individu à la multitude, et non de la multitude à l'individu; du savant aux ignorants, et non des ignorants au savant; du soleil aux planètes, et non des planètes au soleil. Eh quoi! vous voulez que trente-six millions d'aveugles représentent un télescope et que trente-six millions de brebis fassent un berger? Comment! c'est donc la foule qui a formé les Raphaël et les Michel-Ange, les Mozart et les Beethoven, les Newton et les Galilée? La foule! mais elle passe sa vie à juger et à se déjuger, à condamner tour à tour ses engouements et ses répugnances, et vous voudriez qu'elle fût un juge? Cette juridiction flottante et contradictoire, vous voudriez qu'elle fût une magistrature infaillible? Allons, cela est dérisoire. La foule flagelle et crucifie, d'abord, sauf à revenir sur ses arrêts par un repentir tardif, qui n'est même pas, le plus souvent, celui de la génération contemporaine, mais de la suivante ou des suivantes, et c'est sur la tombe du génie que pleuvent les couronnes d'immortelles refusées à son front. Le juge définitif, qui est la postérité, n'est qu'une superposition de minorités successives: les majorités sont des «conservatoires de statu quo»; je ne leur en veux pas; c'est vraisemblablement leur fonction propre dans le mécanisme général des choses: elles retiennent le char, mais enfin elles ne le font pas avancer; elles sont les freins,—quand elles ne sont pas des ornières. Le succès contemporain n'est, bien souvent, qu'une question de mode; il prouve que l'œuvre est au niveau de son temps, mais nullement qu'elle doive lui survivre; il n'y a donc pas lieu de s'en montrer si fier.

Berlioz était un homme tout d'une pièce, sans concessions ni transactions; il appartenait à la race des «Alceste»: naturellement, il eut contre lui la race des «Oronte»;—et Dieu sait si les Orontes sont nombreux! On l'a trouvé quinteux, grincheux, hargneux, que sais-je? Mais, à côté de cette sensibilité excessive poussée jusqu'à l'irritabilité, il eût fallu faire la part des choses irritantes, des épreuves personnelles, des mille rebuts essuyés par cette âme fière et incapable de basses complaisances et de lâches courbettes; toujours est-il que, si ses jugements ont semblé durs à ceux qu'ils atteignaient, jamais du moins n'a-t-on pu les attribuer à ce honteux mobile de la jalousie si incompatible avec les hautes proportions de cette noble, généreuse et loyale nature.

Les épreuves que Berlioz eut à traverser comme concurrent pour le grand prix de Rome furent l'image fidèle et comme le prélude prophétique de celles qu'il devait rencontrer dans le reste de sa carrière. Il concourut jusqu'à quatre fois et n'obtint le prix qu'à l'âge de vingt-sept ans, en 1830, à force de persévérance et malgré les obstacles de toute sorte qu'il eut à surmonter. L'année même où il remporta le prix avec sa cantate de Sardanapale, il fit exécuter une œuvre qui montre où il en était déjà de son développement artistique, sous le rapport de la conception, du coloris et de l'expérience. Sa Symphonie fantastique (épisode de la vie d'un artiste) fut un véritable événement musical, de l'importance duquel le fanatisme des uns et la violente opposition des autres peuvent donner la mesure. Quelque discutée cependant que puisse être une semblable composition, elle révèle, clans le jeune homme qui la produisait, des facultés d'invention absolument supérieures et un sentiment poétique puissant qu'on retrouve dans toutes ses œuvres. Berlioz a jeté dans la circulation musicale une foule considérable d'effets et de combinaisons d'orchestre inconnus jusqu'à lui, et dont se sont emparés même de très illustres musiciens: il a révolutionné le domaine de l'instrumentation, et, sous ce rapport du moins, on peut dire qu'il a «fait école». Et cependant, malgré des triomphes éclatants, en France comme à l'étranger, Berlioz a été contesté toute sa vie; en dépit d'exécutions auxquelles sa direction personnelle de chef d'orchestre éminent et son infatigable énergie ajoutaient tant de chances de réussite et tant d'éléments de clarté, il n'eut jamais qu'un public partiel et restreint; il lui manqua le «public», ce tout le monde qui donne au succès le caractère de la popularité: Berlioz est mort des retards de la popularité. Les Troyens, cet ouvrage qu'il avait prévu devoir être pour lui la source de tant de chagrins, les Troyens l'ont achevé: on peut dire de lui, comme de son héroïque homonyme Hector, qu'il a péri sous les murs de Troie.

Chez Berlioz, toutes les impressions, toutes les sensations vont à l'extrême; il ne connaît la joie et la tristesse qu'à l'état de délire; comme il le dit lui-même, il est un «volcan». C'est que la sensibilité nous emporte aussi loin dans la douleur que dans la joie: les Thabor et les Golgotha sont solidaires. Le bonheur n'est pas dans l'absence des souffrances, pas plus que le génie ne consiste dans l'absence des défauts.

Les grands génies souffrent et doivent souffrir, mais ils ne sont pas à plaindre; ils ont connu des ivresses ignorées du reste des hommes, et, s'ils ont pleuré de tristesse, ils ont versé des larmes de joie ineffable; cela seul est un ciel qu'on ne paye jamais ce qu'il vaut.

Berlioz a été l'une des plus profondes émotions de ma jeunesse. Il avait quinze ans de plus que moi; il était donc âgé de trente-quatre ans à l'époque où moi, gamin de dix-neuf ans, j'étudiais la composition au Conservatoire, sous les conseils d'Halévy. Je me souviens de l'impression que produisirent alors sur moi la personne de Berlioz et ses œuvres, dont il faisait souvent des répétitions dans la salle des concerts du Conservatoire. À peine mon maître Halévy avait-il corrigé ma leçon, vite je quittais la classe pour aller me blottir dans un coin de la salle de concert, et, là, je m'enivrais de cette musique étrange, passionnée, convulsive, qui me dévoilait des horizons si nouveaux et si colorés. Un jour, entre autres, j'avais assisté à une répétition de la symphonie Roméo et Juliette, alors inédite et que Berlioz allait faire exécuter, peu de jours après, pour la première fois. Je fus tellement frappé par l'ampleur du grand finale de la «Réconciliation des Montaigus et des Capulets», que je sortis en emportant tout entière dans ma mémoire la superbe phrase du frère Laurent: «Jurez tous par l'auguste symbole!»

À quelques jours delà, j'allai voir Berlioz, et, me mettant au piano, je lui fis entendre ladite phrase entière.

Il ouvrit de grands yeux, et, me regardant fixement:

—Où diable avez-vous pris cela? dit-il.

—À l'une de vos répétitions, lui répondis-je.

Il n'en pouvait croire ses oreilles.

L'œuvre total de Berlioz est considérable. Déjà, grâce à l'initiative de deux vaillants chefs d'orchestre (MM. Jules Pasdeloup et Édouard Colonne), le public d'aujourd'hui a pu connaître plusieurs des vastes conceptions de ce grand artiste: la Symphonie fantastique, la symphonie Roméo et Juliette, la symphonie Harold, l'Enfance du Christ, trois ou quatre grandes ouvertures, le Requiem, et surtout cette magnifique Damnation de Faust qui a excité depuis deux ans de véritables transports d'enthousiasme dont aurait tressailli la cendre de Berlioz, si la cendre des morts pouvait tressaillir. Que de choses pourtant restent encore à explorer! Le Te Deum, par exemple, d'une conception si grandiose, ne l'entendrons-nous pas? Et ce charmant opéra, Beatrix et Bénédict, ne se trouvera-t-il pas un directeur pour le mettre au répertoire? Ce serait une tentative qui, par ce temps de revirement de l'opinion en faveur de Berlioz, aurait de grandes chances de réussite, sans avoir le mérite et les dangers de l'audace; il serait intelligent d'en profiter.

Les lettres qu'on va lire[23] ont un double attrait: elles sont toutes inédites et toutes écrites sous l'empire de cette absolue sincérité qui est l'éternel besoin de l'amitié. On regrettera, sans doute, d'y rencontrer certains manques de déférence envers des hommes que leur talent semblait devoir mettre à l'abri de qualifications irrévérencieuses et injustes; on trouvera, non sans raison, que Berlioz eût mieux fait de ne pas appeler Bellini un «petit polisson», et que la désignation d'«illustre vieillard», appliquée à Cherubini dans une intention évidemment malveillante, convenait mal au musicien hors ligne que Beethoven considérait comme le premier compositeur de son temps et auquel il faisait (lui Beethoven, le symphoniste géant) l'insigne honneur de lui soumettre humblement le manuscrit de sa Messe solennelle, œuvre 123, en le priant d'y vouloir bien faire ses observations.

Quoi qu'il en soit, et malgré les taches dont l'humeur acariâtre est seule responsable, ces lettres sont du plus vif intérêt. Berlioz s'y montre pour ainsi dire à nu; il se laisse aller à tout ce qu'il éprouve; il entre dans les détails les plus confidentiels de son existence d'homme et d'artiste; en un mot, il ouvre à son ami son âme tout entière, et cela dans des termes d'une effusion, d'une tendresse, d'une chaleur qui montrent combien ces deux amis étaient dignes l'un de l'autre et faits pour se comprendre. Se comprendre! ces deux mots font penser à l'immortelle fable de notre divin la Fontaine: les deux Amis.

Se comprendre! entrer dans cette communion parfaite de sentiments, de pensées, de sollicitude à laquelle on donne les deux plus beaux noms qui existent dans la langue humaine, l'Amour et l'Amitié! C'est là tout le charme de la vie; c'est aussi le plus puissant attrait de cette vie écrite, de cette conversation entre absents qu'on a si bien nommée la correspondance.

Si les œuvres de Berlioz le font admirer, la publication des présentes lettres fera mieux encore: elle le fera aimer, ce qui est la meilleure de toutes les choses ici-bas.

[22] Correspondance inédite d'Hector Berlioz, 1 vol., Calmann Lévy, éditeur, 1878.

[23] Voir Correspondance inédite.



M. CAMILLE SAINT-SAËNS

HENRI VIII[24]

[24] Avril 1883.

Lorsque, après des années de persévérance et de lutte, un artiste de haute valeur est parvenu à conquérir, dans l'opinion publique, la grande situation à laquelle il a droit, chacun s'écrie,—même ceux qui lui ont fait l'opposition la plus rétive:—«Que vous avais-je toujours dit? qu'on finirait par se rendre.» Voilà vingt-cinq ans et plus (car c'était un prodigieux enfant), que M. Saint-Saëns a fait son apparition dans le monde musical. Combien de fois, depuis lors, ne m'a-t-on pas dit: «Saint-Saëns? Ah bah! Vraiment? Vous croyez?... Comme pianiste, comme organiste, oh! certainement; je ne dis pas; mais comme compositeur? Est-ce que ... réellement ... vous trouvez?...» Et tous les vieux clichés de ce genre. Eh bien, oui; je trouvais, et je n'étais pas le seul; et aujourd'hui, c'est tout le monde qui trouve. Les défiances sont tombées: les préjugés sont vaincus: M. Saint-Saëns est dans la place; il n'a plus qu'à dire: «J'y suis, j'y reste.» Il demeurera une des illustrations de son art et de son temps.

D'après une opinion admise, paraît-il, chez certains artistes, il serait convaincu que, si l'on dit du bien de l'œuvre d'un confrère, cela signifie naturellement qu'on en pense du mal,—et réciproquement.

Eh! pourquoi donc cela? Pour avoir du talent ou du génie, est-il nécessaire de le refuser à d'autres? Est-ce que Beethoven a tué Mozart? Est-ce que Rossini empêchera Mendelssohn de vivre? Croyez-vous, comme le dit Célimène:

Que c'est être savant que trouver à redire.

Craignez-vous qu'il n'y ait plus de place pour vous? Oh! quant à cela, rassurez-vous; dans le temple de la Gloire, il restera toujours plus de places libres qu'il n'y en aura jamais d'occupées. S'il y en a une pour vous, elle vous attend; le tout est de la prendre.

Mais non. Ce qu'on craint, c'est de n'être pas le premier. Hé, mon Dieu! cette préoccupation chagrine et inquiète du mérite relatif est ce qu'il y a, au monde, de plus contraire au mérite réel et véritable: c'est toujours la vilaine histoire de l'amour-propre usurpant la place et les devoirs de l'amour. Aimons notre art; défendons honnêtement et vaillamment quiconque le sert avec noblesse et courage; ne retenons pas la vérité «captive dans l'injustice»; la conscience publique saura, demain, ce que l'on s'efforce de lui cacher aujourd'hui; le seul parti honorable à prendre, c'est de préparer le jugement de la postérité, ce vox populi, vox Dei, qui ne fixe pas les rangs par faveur ou, chose pire encore, par intérêt, mais qui prononce dans l'infaillible et immortelle justice. Taire la vérité, c'est prouver qu'on ne l'aime pas; souffrir parce qu'un autre l'a mieux servie qu'on n'a pu le faire soi-même, c'est montrer qu'on voulait pour soi l'hommage qui n'est dû qu'à elle seule.

Faisons la lumière autant que nous le pouvons; il n'y en a jamais trop.

M. Saint-Saëns est une des plus étonnantes organisations musicales que je connaisse. C'est un musicien armé de toutes pièces. Il possède son métier comme personne; il sait les maîtres par cœur; il joue et se joue de l'orchestre comme il joue et se joue du piano,—c'est tout dire. Il est doué du sens descriptif à un degré tout à fait rare; il a une prodigieuse faculté d'assimilation: il écrirait, à volonté, une œuvre à la Rossini, à la Verdi, à la Schumann, à la Wagner; il les connaît tous à fond, ce qui est peut-être le plus sûr moyen de n'en imiter aucun. Il n'est pas agité par la crainte de ne pas produire d'effet (terrible angoisse des pusillanimes); jamais il n'exagère; aussi n'est-il ni mièvre, ni violent, ni emphatique. Il use de toutes les combinaisons et de toutes les ressources sans abuser ni être l'esclave d'aucune.

Ce n'est point un pédant, un solennel, un transcendanteux; il est resté bien trop enfant et devenu bien trop savant pour cela. Il n'a pas de système; il n'est d'aucun parti, d'aucune clique: il ne se pose en réformateur de quoi que ce soit: il écrit avec ce qu'il sent et ce qu'il sait. Mozart non plus n'a rien réformé; je ne sache pas qu'il en soit moins au sommet de l'art. Autre mérite (sur lequel j'insiste, par le temps qui court), M. Saint-Saëns fait de la musique qui va en mesure et qui ne s'étale pas à chaque instant sur ces ineptes et odieux temps d'arrêt avec lesquels il n'y a plus d'ossature musicale possible, et qui ne sont que de l'affectation et de la sensiblerie. Il est simplement un musicien de la grande race: il dessine et il peint avec la liberté de main d'un maître; et, si c'est être soi que de n'imiter personne, il est assurément lui.

Je n'ai point à raconter ici, par le menu, le livret de l'opéra Henri VIII: tous les comptes rendus de la première représentation se sont chargés de ce soin. Au demeurant, tout le monde connaît l'histoire—j'allais dire de ce pourceau couronné,—de ce Barbe-Bleue émérite, doublé d'un pitoyable et vaniteux théologien. À son ambition, il ne fallait rien moins que la tiare, et le pape le troublait, pour le moins, autant que les femmes et la boisson. Mais il n'y a ni tempête ni menace qui tienne: en fait de rodomontades, la papauté en a vu de toutes les couleurs, ce qui ne l'a pas empêchée de dormir en paix dans sa barque insubmersible.

M. Saint-Saëns n'a pas écrit d'ouverture. Ce n'est certes pas que la science symphonique lui fasse défaut; il l'a prouvé surabondamment. L'ouvrage débute par un prélude basé sur un thème anglais qui se reproduira comme thème principal du finale du troisième acte.

Ce prélude s'enchaîne, sans interruption, avec le drame. Dès la première scène, entre Norfolk et Don Gomez, l'ambassadeur d'Espagne à la cour d'Henri VIII, se trouve un charmant cantabile «La beauté que je sers», phrase pleine de jeunesse dont la terminaison, sur les mots «Bien que je ne la nomme pas», est ravissante de simplicité. On remarque surtout, dans le premier acte, un chœur de seigneurs s'entretenant de la condamnation de Buckingham; une cantilène du roi: «Qui donc commande quand il aime?» phrase pleine de vérité d'expression; l'entrée d'Anne de Boleyn, sur une gracieuse ritournelle amenant un chœur de femmes très élégant: «Salut à toi qui nous viens de la France!» auquel succède une page tout à fait remarquable scéniquement et musicalement,—c'est la marche funèbre accompagnant Buckingham à sa dernière demeure, sur le chant du De Profundis supérieurement combiné avec les apartés d'Henri VIII et d'Anne sur le devant de la scène, pendant que l'orchestre murmure, en même temps que le roi, à l'oreille de la jeune dame d'honneur, la phrase caressante qui se reproduira dans le cours de l'ouvrage: «Si tu savais comme je t'aime!» Cette belle scène s'achève dans un magistral ensemble de grande envergure dramatique, qui couronne noblement le premier acte.

Le second acte se passe dans le parc de Richmond. Il s'ouvre par un délicieux prélude d'une instrumentation fine et transparente, introduisant un thème ravissant qui reparaîtra plus loin dans le dernier ensemble du duo entre le roi et Anne de Boleyn, un des morceaux les plus saillants de la partition.

Après un monologue de Don Gomez, dans lequel on rencontre de beaux accents de déclamation, paraît Anne de Boleyn, accompagnée de dames de la cour qui lui offrent des fleurs, page remplie de charme et de distinction. Vient ensuite une scène rapide entre Anne et Don Gomez; puis le grand duo entre Anne et le roi. Ce duo est un morceau capital. On y sent circuler partout une sensualité impatiente, noyée dans une instrumentation pleine de caresses félines. Le dernier ensemble de ce duo est exquis et d'un charme de sonorité incomparable. L'air qui suit: «Reine! je serai reine!» est d'un beau caractère d'orgueilleux enivrement. Dans le duo entre Anne de Boleyn et Catherine d'Aragon, l'on remarque les accents tour à tour pleins de clémence et de fierté de la noble et malheureuse reine.

Le troisième acte représente la salle du synode, et s'ouvre par une marche processionnelle d'un caractère majestueux qui accompagne le défilé de la cour et des juges. Alors commence un grand et superbe ensemble: «Toi qui veilles sur l'Angleterre!», après lequel Henri VIII s'adresse à l'assemblée synodale: «Vous tous qui m'écoutez, gens d'église et de loi!» Catherine, très émue, pouvant à peine parler, s'avance vers le roi et le supplie d'avoir pitié d'elle. Ce morceau, dans lequel intervient le chœur, est d'un sentiment des plus vrais et des plus touchants. Devant le dédain cruel du roi pour la pauvre reine, Don Gomez se lève et déclare qu'il prend, comme Espagnol, la défense de celle dont il est le sujet. Henri VIII s'indigne et en appelle à son peuple, «les fils de la noble Angleterre», qui se proclament prêts à accepter les décrets du Ciel, décrets dont l'archevêque de Cantorbéry va être l'organe: «Nous déclarons nul et contraire aux lois l'hymen à nous soumis!» Catherine se révolte, et, dans un superbe élan de fierté, elle s'écrie: «Peuple, que de ton roi déshonore le crime, tu ne te lèves pas!» Cette page est remarquable et laisse une impression profonde. Catherine en appelle au jugement de la postérité. Elle sort avec Don Gomez.

Paraît le légat, et alors commence la grande scène qui termine le troisième acte.

Le légat tient en main la bulle du Saint-Père:

Au nom de Clément VII, pontife souverain ...

Le roi, poussé à bout, ordonne qu'on ouvre les portes du palais et qu'on fasse entrer le peuple:

Vous plaît-il recevoir des lois de l'étranger?
Non! Jamais!
Vous convient-il qu'un homme
Dont le vrai pouvoir est à Rome
Sur mon trône m'ose outrager?
Non! jamais!

Et le roi se proclame chef de l'Église de l'Angleterre; et pour sa femme il prend dame Anne de Boleyn, marquise de Pembroke!

Toute cette scène, magistralement conduite, se termine par un grand et pompeux ensemble:

C'en est donc fait! Il a brisé sa chaîne!

ensemble dont le thème est le chant national, exposé par le prélude d'introduction qui sert d'ouverture.

Le quatrième acte est aussi divisé en deux tableaux, dont le premier est la chambre d'Anne de Boleyn. Au lever du rideau, les musiciens exécutent en scène un gracieux divertissement dansé, pendant lequel Norfolk et Surrey se livrent à un a parte très ingénieusement combiné avec la musique de danse.

La scène suivante, entre Anne et Don Gomez, contient un charmant cantabile chanté avec beaucoup d'expression par M. Dereims.

Un dialogue entre le roi et Don Gomez termine le premier tableau.

Le second tableau représente une vaste pièce des appartements de la reine Catherine, reléguée au château de Kimbolton. Toute cette fin de l'œuvre de M. Saint-Saëns est absolument d'un maître; le souffle des chefs-d'œuvre a passé là.

Le monologue de la reine est d'un accent de douleur, d'une expression, d'une vérité de déclamation admirables.

La reine distribue ensuite, comme souvenirs, aux femmes qui l'entourent, quelques-uns des objets qui lui ont appartenu. Cette toute petite scène intime est très grande par le sentiment profond que l'auteur y a répandu, tant la vérité agrandit tout ce qu'elle touche.

Vient ensuite la magnifique scène entre Catherine et Anne de Boleyn; il y a là des accents d'indignation superbes, que mademoiselle Krauss a compris et rendus en tragédienne consommée dont le jeu atteint une puissance d'expression saisissante.

La dernière page de ce second et dernier tableau est ce qu'on nomme, en langage de théâtre, le clou de la pièce. C'est irrésistible, et le rideau ne peut tomber sur rien de plus empoignant. Situation, musique, chant et jeu des interprètes, tout contribue à l'impression puissante de cette admirable scène qui a soulevé les applaudissements de toute la salle.

Tel est, autant du moins qu'un exposé aussi rapide en puisse donner l'idée, le nouvel ouvrage de M. Camille Saint-Saëns.

Parmi les interprètes qui, tous, se sont montrés à la hauteur de leur tâche, il convient de citer, en première ligne, ceux à qui sont échus les trois plus grands rôles: Mademoiselle Krauss (Catherine d'Aragon), mademoiselle Richard (Anne de Boleyn), M. Lassalle (Henri VIII). Puis M. Boudouresque (le légat du Pape), M. Dereims (Don Gomez), M. Lorrain (Norfolk), M. Sapin (Surrey), M. Gaspard (l'archevêque de Cantorbéry).

Mademoiselle Krauss est d'une grandeur, d'une noblesse, d'une dignité souveraines. Comme actrice et comme cantatrice, elle a déployé, dans ce rôle de Catherine d'Aragon, une puissance pathétique merveilleuse; elle a, en particulier, joué, chanté, souffert, pendant tout le dernier tableau, avec une vérité et une intensité d'expression à rendre la réalité positivement suffocante. Ah! la grande artiste! quel répertoire elle soutient! quelle vaillance elle apporte à tous ses rôles! quelle place elle occupe!—et quel vide laisserait son départ!...

Mademoiselle Richard a trouvé, dans Anne de Boleyn, l'occasion de faire valoir tout le charme de son bel et généreux organe dont rien, dans cette sage et saine musique, ne surmène la moelleuse sonorité.

M. Lassalle a donné au rôle d'Henri VIII tout l'intérêt de sa diction si franche, de son articulation si claire, de son jeu tour à tour sombre et passionné, et de cette voix privilégiée qui possède à un égal degré toutes les ressources de la puissance et de la douceur.

M. Boudouresque semble être né cardinal; n'en déplaise au diabolique Bertram et au huguenot Marcel qu'il représente avec tant de talent, on le dirait mis au monde pour jouer les princes de l'Église, témoin Brogni, dans la Juive, et le légat du pape auquel il a donné, dans Henri VIII, un caractère imposant. M. Dereims s'est fait remarquer, dans le rôle de Don Gomez, par ses qualités de charme et d'élégance. L'orchestre, sous la conduite de M. Altès, a été admirable, ainsi que les chœurs si soigneusement instruits et dirigés par M. Jules Cohen.

M. Vaucorbeil a bien aussi sa belle part dans cette affaire. Il a cru en M. Saint-Saëns et, dès son avènement à la direction de l'Opéra, il exprimait son désir de lui ouvrir les portes de notre première scène lyrique. Il a déployé, comme toujours, sa sollicitude intelligente et dévouée de directeur artiste au service de ce noble et sérieux ouvrage, auquel un autre véritable artiste, M. Régnier, a consacré toute l'expérience scénique de sa longue et brillante carrière de comédien.

Voilà donc, mon cher Saint-Saëns, ton nom désormais attaché à l'une des œuvres qui auront le plus honoré l'art français et notre Académie nationale de musique. Pour ceux qui t'ont connu enfant (et je suis un de ceux-là), ta destinée était certaine; tu n'as pas eu d'enfance musicale. Infatigablement couvé par ton intelligente et généreuse mère, tu as eu, tout de suite, pour nourriciers les maîtres du grand art; ils t'ont fait robuste et ferme dans ta voie. Depuis longtemps déjà, la renommée avait devancé pour toi cette popularité dont le théâtre semble avoir le privilège exclusif; il ne manquait plus à ton autorité que la consécration d'un éclatant succès dramatique; tu la tiens aujourd'hui.

Va donc maintenant, cher grand musicien; ta cause est victorieuse sur toute la ligne. Parce que tu as été fidèle à ton art, l'avenir sera fidèle à ton œuvre. Dieu t'a donné la lumière et la main d'un maître: qu'il te les conserve longtemps, pour toi comme pour nous tous.

FIN


TABLE

MÉMOIRES D'UN ARTISTE 1
          Avertissement 1
I. —L'enfance 5
II. —L'Italie 77
III. —L'Allemagne 138
IV. —Le retour 162
LETTRES 211
DE L'ARTISTE DANS LA SOCIÉTÉ MODERNE 275
L'ACADÉMIE DE FRANCE À ROME 297
LA NATURE ET L'ART 313
PRÉFACE À LA CORRESPONDANCE D'HECTOR BERLIOZ           329
M. CAMILLE SAINT-SAËNS 343


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