Mémoires d'une contemporaine. Tome 1: Souvenirs d'une femme sur les principaux personnages de la République, du Consulat, de l'Empire, etc...
CHAPITRE XXVII.
Moreau persiste dans ses préventions contre madame Lambertini.—Nouvelle discussion à ce sujet.—Machinations de Lhermite contre Moreau.—Caractère irrésolu du général.
L'opinion beaucoup trop avantageuse que le général Moreau avait de moi le rendait sévère jusqu'à l'excès, et souvent même injuste envers les autres femmes. Malgré tout ce que j'avais pu lui dire en faveur de Coralie, il continuait à la voir du plus mauvais œil. J'en étais péniblement affectée, et cette injustice me blessait au point de donner souvent de l'aigreur aux conversations que j'avais à ce sujet avec Moreau. Dès mon enfance j'ai été crédule pour les malheureux, et je me suis toujours rangée de leur parti. Moreau, par suite de sa faiblesse pour moi, ne voulait pas s'opposer ouvertement à ce que j'entretinsse des relations amicales avec une femme dont le commerce me paraissait si doux: mais il ne perdait point une occasion de me faire sentir combien il regrettait de m'avoir laissé former une pareille liaison, et toujours il employait pour désigner Coralie les expressions les moins ménagées.
En vérité, lui dis-je un jour avec impatience, les hommes sont si naturellement injustes, qu'il leur arrive même souvent de l'être dans leur propre cause. Vous trouvez Coralie méprisable pour avoir été la maîtresse d'un prince. Et que suis-je donc, moi, pour vous paraître moins digne de mépris?
«—Elzelina, répondit-il avec l'accent du mécontentement le plus vif, qui voudrait admettre une telle comparaison?
«—La comparaison est juste, repris-je à mon tour avec un calme que je ne réussissais pas toujours à conserver; je ne cherche point à excuser Coralie, mais je vous prie de vous souvenir qu'en l'accablant vous m'accablez moi-même. Pourquoi ne croirais-je pas que, selon la rigueur de vos principes, il est honteux pour moi de vous aimer et de vous appartenir?»
Il parut on ne peut plus choqué de cette réponse: jamais je ne l'avais encore vu aussi visiblement contrarié; j'étais au fond vraiment fâchée de lui déplaire, mais son injustice me révoltait. Je lui laissai donc voir clairement que je me regardais comme bien plus coupable que Coralie. Elle, du moins, pouvait trouver une sorte d'excuse dans les exemples que lui avait de bonne heure donnés sa mère, dans la bassesse de l'époux auquel sa famille avait confié son sort; et moi, élevée dans les principes les plus purs, unie à un homme digne de toute mon estime et de toute ma tendresse, j'avais manqué volontairement à des devoirs sacrés dont on m'avait appris à connaître l'étendue: placée dans la situation la plus honorable et la plus heureuse, je m'étais préparé un long avenir d'opprobre et de remords. «Je crois assez connaître Coralie, dis-je à Moreau en terminant, pour être sûre qu'à ma place et avec mon éducation, elle fût restée vertueuse et pure.
«—Cessez, Elzelina, reprit Moreau, cessez de vous comparer à une femme que l'opinion publique juge bien plus sévèrement que vous. Souvenez-vous des droits que vous avez à votre propre estime et à celle de tous les gens qui vous connaissent bien: voyez de quel prix madame Lambertini a payé son opulence, et n'oubliez pas ce qu'il y aurait d'honorable dans la médiocrité à laquelle vous vous êtes si volontairement réduite. Je n'exige pas que vous rompiez, pour me complaire, une liaison qui paraît avoir tant de charmes pour vous: mais soyez prudente. Votre nouvelle amie est depuis long-temps savante dans tous les genres d'intrigues; défiez-vous de cette habileté qui pourrait nous devenir funeste. Je n'ai point de foi à l'attachement qu'elle affiche pour notre cause. Ses amis d'autrefois et ceux qu'elle conserve encore aujourd'hui sont nos ennemis pour la plupart; et c'est là surtout ce qui me rend suspect son empressement à vous rechercher.»
Je ne voulus pas chercher à défendre sérieusement Coralie: mieux que personne je savais combien les préventions de Moreau contre elle étaient peu fondées; mais je le voyais mal disposé à écouter un plaidoyer en faveur de madame Lambertini: je terminai donc la conversation par quelques plaisanteries dont la gaieté était presque toujours du goût de Moreau. Plus tard il eut la preuve de la sincérité avec laquelle Coralie s'était dévouée au parti français. Deux fois elle m'avertit des menées qu'elle avait découvertes contre le général; et il fallut bien alors convenir que son amitié pour moi n'avait rien de perfide ou de dangereux.
M. Lhermite, que j'avais vu quelquefois à Paris, chez madame Tallien, se trouvait alors à Milan, chargé d'une mission près le Directoire cisalpin. C'était un des plus grands ennemis du général Moreau; il recherchait, avec une ardeur toujours nouvelle, tous les moyens, toutes les occasions de le perdre. Ce misérable avait osé, peu de temps avant mon départ pour l'Italie, m'offrir une somme considérable pour lui découvrir des secrets qui ne m'appartenaient pas et dont je n'avais d'ailleurs aucune connaissance. Il tenait surtout à obtenir, par mon indiscrétion, la découverte de certains projets de conspiration qui n'existèrent jamais. De concert avec un autre honnête espion, il revint deux fois à la charge pour obtenir, à prix d'or, l'aveu écrit de ma main. Il aurait voulu me faire du moins avouer qu'à Bois-le-Duc et dans toute la Hollande, on était bien profondément convaincu de l'accord parfait qui existait secrètement entre Moreau et Pichegru. Selon lui, le désir qu'avait Moreau de sauver son illustre compagnon d'armes avait retardé de deux mois les révélations qu'il avait enfin faites au Directoire. Je laisse à penser avec quel mépris je repoussai de telles propositions.
J'ai dit tout à l'heure que, par deux fois, j'eus l'occasion de communiquer à Moreau les utiles découvertes que j'avais faites, grâce à l'entremise de madame Lambertini. Il consentait à lui savoir quelque gré de l'intention; mais il n'accueillait mes confidences que comme de vaines rumeurs qui ne méritaient point une attention sérieuse, parce qu'elles ne reposaient sur aucune base raisonnable. Par un étrange contraste, l'obstination ou l'entêtement s'alliait naturellement chez lui à l'irrésolution la plus complète qu'il fût possible de concevoir; ce sont les seules taches que j'aie jamais aperçues dans ce grand et noble caractère. Malheureusement l'irrésolution n'est jamais sans danger pour un général, pour un homme d'état; elle compromet tôt ou tard son bonheur ou sa gloire.
Nous étions arrivés au moment où l'incapacité bien éprouvée du général Schérer allait enfin replacer Moreau au rang qui lui appartenait à tant de titres. Les affaires prenaient chaque jour un aspect de plus en plus sombre; et des dépêches, des courriers nouveaux arrivaient à chaque instant de Paris. Le général, sans m'initier jamais aux graves secrets de la politique, ne manquait pas de venir s'affliger ou se réjouir près de moi, suivant que les nouvelles qu'il recevait étaient bonnes ou mauvaises. Je me contentais des petites confidences qu'il jugeait à propos de me faire, sans me permettre de lui adresser jamais aucune question.
Un soir pourtant je le vis si inquiet et si agité, que je me hasardai à lui demander le motif de son inquiétude: «Vous ne pouvez, lui dis-je, attribuer ma question à une vaine curiosité; mais je ne saurais m'empêcher de prendre part à vos chagrins.
«—Je suis plus irrité qu'inquiet, me répondit-il… Non, rien ne saurait me décider à accepter les honteux arrangemens qu'on ose me proposer… et cependant je ne puis m'opposer à de tels contrats. Les misérables!… au sein de leur opulence, acquise aux dépens de l'État, ils voient, d'un œil insensible les besoins du soldat qui meurt pour le pays… et cependant on blâme ma sévérité envers les fournisseurs!»
Ces derniers mots me firent deviner la pensée du général. Je n'hésitai point à lui donner le conseil de n'agir que d'après sa conscience, sans s'inquiéter des décrets de l'aréopage du Luxembourg. Je lui proposai l'exemple de Hoche, dont la rigueur toute militaire n'attendait jamais l'avis des représentans, des comités, ou même du Directoire.
Pendant que je parlais avec ma vivacité ordinaire, je voyais Moreau comme entraîné par la chaleur de mon langage, et prêt à ouvrir la bouche pour me confier ses plus secrètes pensées. Déjà il déployait un papier et semblait disposé à m'en faire connaître le contenu; je l'arrêtai: «Mon ami lui dis-je, votre intention est peut-être de me mettre de moitié dans vos secrets; si de telles confidences n'avaient été contraires à votre devoir, vous me les eussiez faites plus d'une fois; j'en ai la conviction. Mais votre hésitation même me prouve que je ne dois point connaître le sujet qui vous afflige. Je suis femme, et tout aussi curieuse qu'une autre; mais je ne voudrais point avoir à me reprocher de vous faire manquer aux lois que votre conscience et votre raison vous imposent.»
Moreau sentait avec une facilité merveilleuse tout ce qu'on pouvait dire ou faire de bien. Il me remercia de ma réserve, et me prodigua tous les témoignages de la plus vive tendresse. Le lendemain il me prévint qu'accablé de travail, il ne pourrait m'accompagner au dîner que donnait l'ambassadeur d'Espagne. En déplorant devant lui la pompe des cérémonies, et le faste d'étiquette auquel je me trouvais asservie à Milan, mes pensées se tournèrent naturellement vers la France, et j'en vins à lui dire que je m'étais trouvée bien plus heureuse naguère dans mon hermitage de Passy.
«—Peut-être, hélas! me dit-il, serez-vous bientôt forcée d'y retourner seule. Si la campagne s'ouvre, ma chère Elzelina, il y a un ordre de renvoyer toutes les femmes de l'armée, et je serai forcé de donner l'exemple.
«—Que dites-vous? m'écriai-je: m'éloigner, lorsque vous commencerez à courir des périls! Je suis Italienne; les dictateurs du Luxembourg ne peuvent m'exiler de ma patrie; je resterai donc en dépit d'eux et de vous, qui vous montrez si empressé d'obéir à leurs décrets.
«—Que dites-vous? reprit à l'instant Moreau; moi, trouver du plaisir à notre séparation!
«—Peut-être ai-je tort de le croire; mais je veux me fâcher pour ne pas m'attendrir. Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne partirai pas.»
Moreau mit tout en œuvre pour me calmer: il n'y réussit pas d'abord: plus tard il parvint à me consoler un peu, et j'oubliai, pour quelques instans de moins, la nouvelle qui venait, de m'affliger si vivement. Le général me demanda la permission de s'installer pour la soirée dans mon appartement. Mon absence, disait-il, lui semblerait plus courte, lorsqu'il se verrait dans l'endroit même que j'habitais ordinairement. Il fit donc transporter dans ma chambre ses livres, ses cartes et ses papiers. Alors je m'occupai de ma toilette. C'était le bon Richard qui devait me donner la main pour me conduire au grand dîner chez le comte d'Oros***, ambassadeur d'Espagne. Je ne me flattais pas de m'amuser beaucoup à cette fête; mais elle fut pour moi beaucoup plus gaie que je ne l'avais espéré.
CHAPITRE XVIII.
Une scène du grand monde.—Le général Lebel.—Son aide-de-camp.—Rosetta.
Dès ma plus tendre enfance j'avais été accoutumée à m'entendre dire que j'étais belle. Je le croyais de très bonne foi, sans toutefois me prévaloir de cet avantage dans le monde: plaire était trop peu pour moi; je voulais être aimée. Mes excellens parens m'en avaient fait un besoin, et j'avais près d'eux contracté la douce habitude de me voir l'objet de l'affection plus ou moins vive de tout ce qui m'entourait. Cette habitude avait pris avec l'âge de profondes racines: et presque partout j'avais rencontré une bienveillance et une amitié que je devais aux bonnes qualités de mon cœur. On me pardonnera ce petit accès d'un amour-propre bien entendu, en faveur de ma franchise.
Les hommages qu'on adressait à ma beauté, les louanges, fort exagérées sans doute, qu'on voulut bien donner à mon esprit, m'inspiraient quelque fierté; mais cette fierté n'avait rien de choquant pour les femmes: il fallait toujours que je fusse offensée d'abord, pour leur faire sentir la supériorité que tant de gens m'accordaient sur elles. C'est ce qui arriva précisément au dîner que nous donnait M. l'ambassadeur d'Espagne.
Madame l'ambassadrice était fort laide; mais elle ne manquait pas d'esprit, et elle avait surtout un grand usage du monde. C'était une bonne femme, dans l'acception rigoureuse du mot, lorsque ses passions n'étaient point irritées. Elle était même véritablement aimable, toutes les fois qu'elle ne se mettait pas en tête que la femme d'un grand d'Espagne devait avoir la science infuse.
J'avais souvent eu l'occasion d'entendre madame la comtesse d'Orosco étaler devant moi ses prétentions littéraires. Monti, Gnisti**, et un neveu du comte de Saluce, tous favoris des Muses, et que les dames de Milan ne traitaient pas avec plus de rigueur, vantèrent devant elle les agrémens de mon esprit, et le charme de ma conversation. Madame d'Orosco se piqua d'honneur: malheureusement ses connaissances étaient loin de répondre à ses prétentions: elle avait trop d'esprit pour ne pas se l'avouer à elle-même, et trop d'orgueil pour me pardonner d'avoir sur elle un genre quelconque de supériorité. Sa politesse envers moi n'était pas sans une sorte d'aigreur; nous ne nous voyions que dans les grandes occasions, et toujours en cérémonie.
M. l'ambassadeur s'était au contraire pris d'une belle passion pour moi. C'était bien le plus gros, le plus épais, et le plus petit grand d'Espagne qu'il fût possible de rencontrer. Si madame la comtesse n'avait eu à me reprocher que de m'attirer les hommages de M. le comte, j'eusse sans doute trouvé en elle une ennemie beaucoup moins implacable. Mais malheureusement, à ce dîner d'apparat, je devins l'objet de toutes les attentions du général Le B*** qu'on m'avait donné pour voisin; je causai en outre beaucoup avec son aide-de-camp, le lieutenant Van-Koë***. Or, la chronique scandaleuse publiait une foule de méchancetés que je me garderai bien de rapporter ici, mais qui suffisaient pour expliquer le dépit et la mauvaise humeur dont l'ambassadrice donnait à chaque instant de nouvelles preuves. Le général Le B*** passait pour le plus bel homme de l'armée; mais les avantages physiques ne suffisent pas toujours pour dompter les cœurs. L'aide-de-camp n'était pas à beaucoup près aussi beau que le général: il n'était remarquable que par une taille bien prise, un regard expressif et spirituel. Il obtenait cependant un plus universel succès, parce que sa conversation tenait amplement toutes les promesses de son heureuse physionomie.
Bien que Moreau n'eût point et surtout ne méritât point la réputation d'un jaloux, sa présence presque continuelle auprès de moi, la satisfaction toute bourgeoise que nous montrions de nous trouver partout ensemble, effarouchaient les brillans papillons qui auraient voulu voltiger autour de moi. Par une exception fort rare, je me trouvais ce jour-là chez l'ambassadeur d'Espagne, hors de la surveillance de mon argus, comme disaient mes adorateurs. Le B***, dont la première vertu n'était pas la constance, n'hésita point à se rendre coupable vis-à-vis de la dame dont il occupait exclusivement toutes les pensées: sous prétexte de me parler du général Moreau, il s'attacha obstinément à mes pas, en dépit des regards furieux que lui lançait madame l'ambassadrice. Il avait doublement tort de manquer à la foi qu'il lui avait jurée; car je ne lui savais, pour ma part, aucun gré de son parjure. Je ne savais comment me délivrer de ses hommages; et je ne trouvai pas d'autre moyen de lui échapper que d'affecter un vif plaisir à causer avec le jeune aide-de-camp. Koë*** avait servi comme simple soldat dans cette fameuse colonne qu'un prince français[26], digne appréciateur de la valeur guerrière, avait appelée le bataillon de Jemmapes. Il parlait avec beaucoup de feu de la France, de la gloire des armes françaises et des combats auxquels il avait pris part. Il nommait ses anciens camarades, et dans ces noms j'en reconnaissais plusieurs que j'avais vus briller du plus vif éclat. Koë*** me parla de cet illustre Ney, sous les ordres duquel il avait servi, de ce Ney, que je connaissais à peine encore, et dont le nom m'était déjà cher. Koë*** avait servi sous lui en 1796 à Forsheim, où, après les plus beaux faits d'armes, il fut promu sur le champ de bataille au grade de général de brigade.
Notre conversation dura long-temps: les deux interlocuteurs paraissaient également satisfaits, et cette satisfaction n'échappa point aux regards curieux qui restaient constamment attachés sur nous, pendant les premières contre-danses que je dansai avec Koë***. Il y avait dans l'assemblée trois personnes que l'assiduité de mon cavalier contrariait également: c'était l'ambassadeur, l'ambassadrice et le général Le B***. Le général se chargea de la vengeance commune, et il voulut punir son aide-de-camp d'avoir osé paraître plus aimable que lui. Deux ou trois fois, dans la soirée, il avait quitté le bal, avec les apparences d'un dépit mal déguisé, il reparut au moment du souper; mais usant alors du droit qu'il avait de donner des ordres à son aide-de-camp, il l'appela, sous prétexte de je ne sais quels besoins du service. Le pauvre lieutenant revint bientôt m'annoncer d'un air triste, qu'obligé d'aller faire exécuter les ordres de son général à l'autre bout de la ville, il renonçait bien malgré lui au plaisir qu'il s'était promis de me servir à table. Je devinai la ruse du général, et pour le piquer au vif, je témoignai assez hautement ma mauvaise humeur et mes regrets de voir partir mon chevalier. Je l'engageai à venir me voir le lendemain, et je lui dis que je voulais avoir moi-même le plaisir de le présenter au général Moreau.
Après le départ de Koë***, le général Le B*** s'approcha de moi: j'étais fort mécontente de lui, et ses prétentions à me plaire me le rendaient en ce moment plus insupportable encore. Il n'avait guère de remarquable que la figure: du reste, on pouvait lui reprocher le peu d'habitude qu'il avait du monde, et la fatuité que lui avaient inspirée ses succès auprès de certaines femmes. Il savait, comme la plupart des officiers de l'armée, que mon union avec Moreau n'avait rien de légitime, et il se flattait sans doute que je ne respecterais pas plus les droits de mon amant que je n'avais respecté ceux de mon époux. Il se trompait; car jamais mon attachement pour Moreau n'avait été plus vif qu'à cette époque: il se trompait encore en me supposant de tendres dispositions pour Van-Koë***. Je fus d'abord tentée de prendre avec lui le ton sérieux; mais je trouvai plus commode de le persifler. Je le tourmentai sans pitié, comme il le disait lui-même. J'aurais voulu que madame d'Orosco pût l'entendre parler tant sur son compte que sur celui de quelques autres femmes qu'il avait antérieurement enchaînées à son char. Les Moncades de l'ancien régime n'étaient rien près de ce moderne chevalier à la mode. Je souriais de pitié en l'écoutant, et je m'étonnais en moi-même qu'une fatuité aussi impertinente ne désabusât pas tant de dupes. J'allais le quitter, lorsqu'un mot qui lui échappa vint tout d'un coup retracer à mon esprit le souvenir de cette jolie créature dont Coralie et moi nous avions récemment découvert la demeure près du pont de Notre-Dame de Lorette. Mon intérêt pour elle se réveilla tout d'abord, et je demandai sans détour au général s'il l'avait ramenée à Milan.
Le B*** ne parut pas médiocrement surpris de cette question; puis, après m'avoir regardée fixement: «Tout est expliqué maintenant, me dit-il: c'est vous, madame, qui avez visité l'habitation de Rosetta, en son absence. C'est vous qui lui avez écrit un billet dont elle m'a laissé une copie en partant; mais après en avoir soigneusement retranché tout ce qui aurait pu vous faire reconnaître.
«—En partant! répondis-je: elle est donc partie?
«—Oui, madame, et depuis peu de jours.
«—Qu'est-elle devenue, cette malheureuse jeune fille? elle n'a point paru chez moi. En avez-vous quelques nouvelles?
«—Malheureuse! et de quels malheurs si grands aurait-elle donc à gémir?
«—Quels malheurs? et pensez-vous donc qu'elle n'ait pas souvent regretté d'avoir perdu ses droits à l'amour de son vieux père? Ai-je eu le bonheur de contribuer pour quelque chose à la détermination qu'elle a prise? Pensez-vous, général, qu'elle soit retournée à Parme?
«—En vérité, madame, je ne reviens pas de ma surprise: j'ai tout lieu de croire qu'elle est retournée à Parme: c'est bien vous qui avez eu l'honneur de lui faire prendre ce beau parti: elle s'est donné la peine de me l'écrire.
«C'est bien la tête la plus singulière!… de la passion, et des remords! Franchement je commençais à me fatiguer de ses doléances. Elle consumait à pleurer tout le temps que je ne passais pas à côté d'elle; et si je l'emmenais dans mes courses, pour la distraire, chaque aspect nouveau qui s'offrait à ses yeux devenait la source de nouvelles larmes et de nouveaux remords. Il y a déjà trois mois que j'aurais voulu être à même de lui assurer par mes bienfaits et loin de moi une existence à l'abri de toute inquiétude.
«—Quittons ce sujet, lui dis-je, général: il a réveillé dans mon âme d'assez tristes émotions. Contentez-vous désormais des conquêtes de salons; elles vous conviennent mieux, car elles donnent à l'amour-propre des jouissances plus vives; et ces jouissances sont rarement empoisonnées par les larmes et le repentir.
«Je crois que vous avez raison, répondit-il en riant.»
Au moment où il me proposait la main pour danser, madame d'Orosco lui rappela en passant les engagemens qu'il avait pris avec elle pour la prochaine contredanse. Le général allait manquer à tous les égards; mais je prévins son impolitesse en disant que Richard et moi nous devions figurer au même quadrille. Richard s'approchait de moi par bonheur en ce moment: je lui fis un signe d'intelligence qu'il comprit tout d'abord. Nous prîmes notre place vis-à-vis du général et de l'ambassadrice, et nous nous égayâmes beaucoup des airs impertinens du danseur et du dépit mal déguisé de la danseuse. Le bal se termina peu après, et nous reprîmes enfin le chemin du logis.
CHAPITRE XXIX.
Aventure nocturne.—Geronimo.—Sa mère.—Un moine italien.
En retournant à Casa Faguani, je racontais à Richard l'histoire de Rosetta et la conversation que je venais d'avoir avec son séducteur. Tout à coup, au moment même où notre voiture atteignait l'extrémité du pont de Casa Cerbelloni[27] je fus interrompue par un effroyable cri. Je tirai violemment le cordon; mais le cocher, au lieu d'arrêter ses chevaux, les excitait du fouet et de la voix. Je baisse la glace de devant, et le saisissant avec violence par son habit, je le fais tomber à la renverse entre le siége et la voiture; il enlève les guides dans sa chute, et les chevaux s'arrêtent tout court. Ce cocher, milanais de naissance, remplaçait celui du général qui était malade depuis quelques jours.
«Sainte Vierge! dit-il en se relevant; nous sommes perdus; j'ai vu un homme luttant seul contre trois assassins.»
Richard cependant s'efforçait d'ouvrir la portière, sans pouvoir en venir à bout. Nous n'avions point avec nous d'autres domestiques que le cocher: la nuit était profonde, et nous n'apercevions pas au loin une seule lanterne qui pût nous guider dans l'obscurité. Richard détache, sans hésiter, une des lanternes de la voiture, et nous revenons aussitôt sur nos pas en nous dirigeant vers le lieu d'où était parti le cri qui nous avait effrayés. Déjà nous étions arrivés au bord du canal, à l'endroit où se trouve la grille du palais Cerbelloni. Nous trouvâmes d'abord à terre un mouchoir, puis un gant ensanglanté. Plus nous avancions vers le pont, plus les traces de sang devenaient nombreuses et sensibles. Je marchais courbée, tenant la main de Richard. Notre silence était celui qu'excite toujours l'attente d'un spectacle effrayant; et cette attente ne fut que trop complètement remplie. Près du parapet, nous trouvâmes le corps ensanglanté d'un homme dont les mains étaient encore fortement cramponnées aux pierres saillantes, et dont toute l'attitude annonçait avec quelle vigueur il avait résisté aux assassins qui avaient sans doute cherché à le précipiter dans le canal.
Richard me repoussa doucement, puis s'avançant seul, il voulut s'assurer si le malheureux vivait encore. Tout était fini. Il laissa retomber la main inanimée qu'il avait saisie, et il se hâta de m'entraîner loin de ce lieu d'horreur.
Le désir d'arriver à temps, l'espérance d'arracher une victime à des meurtriers avaient, dans les premiers instans, éloigné de notre esprit toute idée du danger que nous pouvions courir. Mais à présent que notre espoir s'était évanoui, nous commencions à craindre pour nous mêmes. Au milieu de la nuit, dans un endroit solitaire, à une époque où il ne se passait pas un seul jour sans que la faction anti-française n'exerçât secrètement quelques vengeances, sur le théâtre même d'un attentat horrible dont nous avions été, pour ainsi dire, les témoins, notre inquiétude n'était pas à beaucoup près sans fondemens. Je tremblais de tout mon corps; cependant j'engageai Richard à appeler hautement notre cocher. Richard qui voyait ma frayeur me serrait la main avec toute l'affection d'un père: «N'ajoutez pas, me dit-il, à l'inquiétude que me cause votre présence ici. Marchons sans retard; et soyez sûre qu'en aucun cas on ne pourrait vous atteindre qu'après m'avoir ôté la vie.»
Je suis naturellement si téméraire que je repris toute ma résolution, dès que l'impression produite d'abord sur mes sens par l'aspect d'un cadavre se fut un peu affaiblie.
Tout en échangeant quelques paroles, nous avions passé le pont, et perdu notre chemin. Heureusement une lumière vint s'offrir à nos yeux; c'était celle d'une lanterne placée devant une Madone. À la lueur de cette lanterne, je reconnus la porte de l'hôtel où logeait le général César Berthier.
«Frappons ici, dis-je à Richard, il est probable que notre valeureux cocher sera retourné en arrière avec la voiture.»
On nous fit attendre quelque temps à la porte. Berthier était encore au bal, et ceux de ses gens qui ne l'avaient pas suivi, étaient ensevelis dans un profond sommeil. Une vieille femme nous ouvrit enfin, et recula d'abord à la vue des taches de sang qui souillaient quelques parties des vêtemens de Richard. Mes forces étaient épuisées, et dans le premier moment, je ne pus que me jeter dans un fauteuil, sans prononcer un seul mot. Richard nous fit enfin reconnaître. Aussitôt toute la maison fut sur pied, et je devins l'objet des soins les plus actifs. On courut chez le magistrat du quartier, qui se transporta aussitôt sur le lieu où avait été commis l'assassinat: on y retrouva le corps de la victime. Richard avait voulu présider aux recherches: lorsqu'il revint, Berthier était également revenu chez lui; il voulut repartir sur-le-champ et nous escorter lui-même jusqu'au palais Faguani.
En route nous rencontrâmes Moreau qui arrivait tout hors de lui-même, et bien accompagné, pour me chercher. Ainsi que je l'avais présumé, le cocher était revenu en toute hâte au palais: il avait raconté comment Richard et moi nous nous étions subitement élancés de la voiture pour secourir un malheureux qu'on assassinait: il avait à peu près indiqué le lieu, et malgré lui, il avait été choisi pour guide par le général.
Richard essuya d'abord quelques reproches dont il ne lui fut pas difficile de se justifier. Moreau ne songea plus qu'au plaisir qu'il trouvait à me revoir. Richard passa la nuit au palais Faguani. On peut juger si d'après de telles émotions nous goûtâmes un sommeil paisible. Chacun fut sur pied le lendemain de bonne heure, sans avoir presque fermé l'œil. Au lieu de faire un déjeuner splendide que nous avions projeté la veille, nous passâmes toute la matinée à signer les déclarations et les procès-verbaux propres à constater le crime, et à faire découvrir ses auteurs.
On apprit bientôt que le malheureux jeune homme qui avait péri se nommait Geronimo. Il était employé dans les bureaux du directoire cisalpin, et consacrait le faible produit de sa place à soutenir une mère infirme et âgée.
«Elzelina, me dit Moreau, voilà pour vous une visite à faire, Richard vous accompagnera: je ratifie d'avance tous les arrangemens que vous jugerez à propos de prendre pour soulager l'infortune de cette pauvre mère.»
Je le remerciai bien vivement de cette nouvelle preuve de son excessive bonté, et je me rendis avec Richard au domicile de cette malheureuse femme. Nous la trouvâmes entourée d'un bon nombre de voisines. Il y avait encore près d'elle un moine dont l'attitude était sombre et silencieuse. Tous lui recommandaient à l'envi la patience, la résignation aux décrets du ciel; mais personne, avant notre arrivée, ne s'était avisé de songer aux besoins pressans qu'elle ne pouvait manquer d'éprouver bientôt. J'avais songé à prendre sur moi une somme plus que suffisante pour assurer, pendant quelque temps du moins, l'existence de la mère de Geronimo. Je n'hésitai donc pas à manifester tout haut le désir qu'on nous laissât seuls avec elle et son confesseur. Les voisines se retirèrent.
Cette malheureuse mère avait un extérieur et des manières propres à inspirer d'abord sur son compte les préventions les plus favorables. Je lui demandai avec les plus grands ménagemens, et du ton le plus affectueux, comment je pourrais lui être utile, si elle désirait quitter une ville qui ne pouvait lui retracer désormais que d'affreux souvenirs, et quel lieu elle avait choisi pour sa résidence.
«—Oui, madame, répondit-elle d'une voix entrecoupée de sanglots, je veux aller mourir loin d'ici. J'ai une sœur à Parme; c'est elle que je veux prendre pour confidente de mes douleurs: elle saura les partager. Mais comment trouver les moyens de l'aller rejoindre?
«—Je vous les fournirai, ma mère, répondis-je à mon tour: soyez sans inquiétude sur ce point. Dès ce soir, si vous voulez, vous pourrez vous mettre en route; mais votre sœur est-elle assez riche pour pourvoir tout ensemble à ses propres besoins et aux vôtres?
«—Non, madame, mais elle a une aisance médiocre; et si je puis contribuer pour quelque chose à alléger la dépense du ménage, elle trouvera moyen de me rendre aussi doux que possible le petit nombre de jours qui me restent encore à vivre: ma sœur a toujours été bien bonne pour moi: elle aimait mon pauvre Geronimo comme son propre fils.»
Un torrent de larmes s'échappa encore de ses yeux: j'allais l'exhorter à ne point se laisser accabler par la douleur; mais je sentis que de froides consolations devaient échouer contre un chagrin aussi profond et aussi juste; je ne pus moi-même retenir mes larmes. Richard n'était pas moins vivement ému: «Bonne dame, dit-il, vos amis, madame, moi-même, nous chercherons à vous consoler.
«—Ah! qui me rendra mon Geronimo! Non, jamais personne ne me tiendra lieu de mon cher fils; la mère de Dieu ne le remplacerait pas dans mon cœur.»
Le moine, fronçant le sourcil, allait commencer un discours dont la sévérité s'annonçait assez dans ses regards. Mais je posai sur la table une bourse qui contenait trente sequins, en disant: «Vous avez raison, bonne mère: personne au monde ne saurait remplacer près de vous un si bon fils. Mais permettez-moi de vous être aussi utile qu'il est en mon pouvoir. «Voici d'abord de quoi subvenir à vos premiers besoins. Quant aux frais du voyage, et aux moyens de voyager, reposez-vous encore sur moi du soin de vous les fournir. À l'heure que vous me désignerez, une bonne voiture viendra vous prendre et vous conduire sûrement et commodément jusqu'à Parme.»
Elle fixa sur l'or que je venais de lui offrir un regard à la fois douloureux et satisfait, et joignant les mains, elle s'écria: «Mon pauvre Geronimo, je vais donc être à même de faire prier pour le repos de ton âme!»
Ces paroles me firent craindre que la bourse tout entière ne passât à l'instant même dans les mains du moine, qui paraissait la regarder d'un œil cupide; je résolus de satisfaire son avidité, pour qu'il ne dépouillât point la pauvre femme.
«Mon père, lui dis-je, comme j'ai fort à cœur de voir promptement remplies les pieuses intentions de madame, je vous prie de vouloir bien nous accompagner. J'aurai soin qu'on vous compte sans retard la somme nécessaire pour subvenir aux frais d'une première messe, et de dix autres qui seront dites ensuite, le jour que je jugerai à propos de vous indiquer.»
À ces mots, la pauvre mère se précipita à mes pieds, et me prit les mains qu'elle arrosait de ses larmes: nous eûmes beaucoup de peine à lui faire quitter cette position: «Madame, dit-elle enfin du ton le plus touchant, je n'ai plus qu'une grâce à vous demander; mais ne refusez pas de l'ajouter à tant de bienfaits. Il ne me reste que peu de temps à vivre: permettez-moi de consoler mes derniers jours en contemplant les traits de l'ange tutélaire qui vient m'arracher à la misère et au désespoir. Je joindrai votre portrait à celui de mon Geronimo: tenez, madame, voici quel était mon fils à l'âge de dix-neuf ans.»
Elle me remit le portrait, et se couvrit les yeux avec les deux mains. La figure de Geronimo avait dû être charmante, et méritait tous les éloges que lui prodiguait sa mère. Il possédait surtout ce charme du long regard, qu'aima plus tard en moi l'un des hommes les plus aimables et les plus spirituels de France[28]. Richard et moi, par notre admiration pour la belle physionomie de Geronimo, nous flattâmes l'orgueil de sa pauvre mère. Je lui adressai quelques questions sur le talent assez distingué avec lequel elle paraissait manier le pinceau.
«—Ces pinceaux me furent autrefois bien chers, répondit-elle; ils me servirent à donner une bonne éducation à mon fils bien aimé. Devais-je donc le voir périr par un lâche assassinat!… Et de quel crime pouvaient l'accuser ses assassins, si ce n'est de préférer les Français qui nous délivrent, aux Autrichiens qui nous opprimaient?
«—Ma fille, dit le moine, retenez un peu vos paroles; on ne peut savoir à qui le ciel peut vouloir nous soumettre un jour.
«—Non, sans doute, répliquai-je vivement; mais il est permis, j'espère, à une Italienne d'aimer les Français qui viennent en amis briser le joug de l'Italie.
«—Illustrissima, répondit le moine d'un ton beaucoup plus humble, puisque vous êtes Italienne, vous devez compatir et pardonner aux terreurs des vaincus.
«—Faisons trêve, mon père, aux discussions politiques. Venez demain me trouver à la casa Faguani, et surtout ayez soin d'apporter avec vous la liste des pauvres de votre paroisse. Au nom de leurs bienfaiteurs je vous promets d'ajouter celui du général Moreau. Je me flatte que personne en Italie ne méconnaît sa générosité et sa grandeur d'âme. Peut-être ses libéralités bienfaisantes contribueront-elles à vous réconcilier avec les Français.»
Le moine baissa les yeux, croisa les mains sur sa poitrine, et s'informa, en s'inclinant, de l'heure à laquelle il devait se présenter le lendemain à la casa Faguani.
J'étais prête à lui demander pardon de l'espèce de hauteur avec laquelle je venais de le traiter. Mais sa contenance hypocrite me révolta, et je conservai tout l'avantage que je venais de prendre. Je sortis donc avec Richard, sans lui adresser une seule parole de plus. Je me contentai de prendre encore une fois la main de la pauvre Julia, et je lui promis de ne pas oublier les promesses que je venais de lui faire.
Le moine n'eut garde de manquer à venir le lendemain au palais Faguani. Dans l'intervalle d'un jour à l'autre j'avais fait prendre quelques informations sur son compte. J'appris avec certitude qu'il était un des ennemis les plus ardens que les Français conservassent encore à Milan, et qu'il profitait de l'influence de son ministère pour semer la discorde, et entretenir les fureurs de l'esprit de parti. La réception qu'on lui fit fut telle cependant que l'exigeait son caractère sacré. Il écouta d'un air soumis les représentations très modérées que lui adressa Moreau, sur l'abus qu'il faisait de son pouvoir sur quelques esprits peu éclairés, pour entretenir la haine contre les Français. L'aumône abondante qu'il reçut pour les pauvres de son quartier, surtout l'argent qu'on lui remit pour assurer le repos d'une âme qui ne pouvait manquer d'être plus tranquille que la sienne, adoucirent encore pour lui des reproches qu'il avait si bien mérités.
Dans la crainte de retarder le départ de la bonne Julia, je n'avais pas voulu consentir à ce qu'elle fît mon portrait. Lorsqu'elle vit que je persistais dans mes refus, elle fixa ce départ au lendemain même du jour où j'avais été la visiter. Richard voulut se charger seul des préparatifs de son voyage; je ne la laissai pas partir cependant sans aller lui dire encore une fois adieu. Moreau avait approuvé sans examen tout ce que j'avais cru devoir faire pour cette malheureuse mère. Les éloges qu'il m'adressa dans cette circonstance ne contribuèrent pas peu à m'inspirer cette fierté légitime qui naît toujours d'une bonne action.
FIN DU PREMIER VOLUME.
NOTES
[1: Staroste, seigneur polonais qui jouissait d'une starostie. On appelait starostie un fief faisant partie des anciens domaines de Pologne, cédé par les rois à des gentilshommes, pour les aider à soutenir les frais des expéditions militaires. Les rois se réservaient seulement le droit de nommer à ces fiefs, et ils chargeaient les starostes de payer le quart de leur revenu, qui était plus ou moins considérable, pour servir à l'entretien de certain nombre de cavaliers. Il y avait des starosties qui avaient une juridiction, et d'autres qui n'en avaient point.]
[2: Et non pas stathouder, ainsi qu'on le dit ordinairement à tort. Ce mot signifie teneur des États, comme étaient, depuis Guillaume Ier dans les Provinces-Unies, les princes d'Orange et de Nassau.]
[3: Ces noms étaient ceux de deux domestiques qui nous avaient accompagnés].
[4: Ma mère reçut la famille d'Orrigny comme elle ne pouvait manquer d'accueillir les amis de sa fille chérie. Elle les garda tous pendant trois semaines dans sa maison, les combla de soins, d'égards et de témoignages d'amitié. Quand ils voulurent partir, après les avoir généreusement pourvus du nécessaire, elle subvint aux frais de leur passage en Angleterre, et remit au comte une traite du 5,000 florins. La jeune mère est la seule qui lui ait écrit constamment jusqu'au jour où elle fut enlevée par une mort prématurée. Vingt-cinq ans plus tard, je retrouvai en France un de ces nobles exilés; je lui fis l'aveu de mes fautes et de mes malheurs: Il est inconcevable, me dit-il, que, si bien née, vous ayez fait de telles folies. Je n'en obtins pas d'autre consolation. Il était riche alors; et moi je portais, à peu de chose près, le même costume que sa sœur, lorsque je les rencontrai dans leur fuite.]
[5: Ceux qui n'ont pas une idée des mœurs simples et de la parfaite innocence où vivaient, il y a encore trente ans, les habitans des campagnes de l'intérieur de la Hollande, auront peine à concevoir que Marie ait pu prendre ainsi le change, ou ignorer que la baronne était mère d'une fille et non pas d'un fils. D'abord ma mère vivait si retirée que personne ne connaissait, pour ainsi dire, l'intérieur de sa maison ou de sa famille; et j'étais déjà mariée quand Marie vint s'établir au domaine. À cette époque, une habitante de la campagne, une Hollandaise, jeune et innocente, ne se doutait même pas qu'une personne de son sexe pût revêtir des habits d'homme, et se montrer sous un tel costume.]
[6: Cette assemblée était une réunion patriotique.]
[7: M. de Krayenhof a depuis changé de carrière; il s'est voué au métier des armes, et on l'a vu devenir un officier d'artillerie très distingué: il commandait dernièrement encore cette arme à Nimègue].
[8: Ce village de Waterland, ou Nord-Hollande, a été visité par une foule d'illustres voyageurs. Il était célèbre par la singularité des usages qui y étaient en vigueur, et surtout par la minutieuse propreté des rues et des maisons. Ces rues étaient pavées de briques qu'on frottait avec des acides préparés tout exprès pour leur donner de l'éclat. Le perron de chaque maison était lavé avec le même soin. Le passage des voitures était interdit, et l'on prenait de grandes précautions pour que les chevaux et les bêtes de somme ne pussent marquer leur route comme partout ailleurs. Il y avait dans ce village des bourgeois riches de plusieurs millions, qui, plus d'une fois, soulagèrent la misère des princes. Les mœurs étaient très-sévères à Broeck, et les femmes avaient une grande réputation de sagesse et de beauté.]
[9: Mort à l'hôpital d'Amsterdam en 1803. Noomz était cependant issu d'une famille de négocians très riches; mais on le repoussa pour le punir de n'avoir pas su embrasser une profession utile].
[10: Le florin vaut en Hollande 2 francs 10 centimes].
[11: C'était tout ce qui m'appartenait en dessins, tableaux et curiosités. Je le priai de rendre le tout à ma mère, comme un don de ma part].
[12: Ce marchand avait, dès les premiers temps de notre mariage, rempli par des prêts obligeans la caisse de M. le comte Van-Perpowy, beaucoup plus riche de parchemins que de ducats. On sait quels sont, en pareils cas, le savoir-vivre et la résignation de certains gentilshommes. L'or de M. Van-M*** eût-il porté l'empreinte des couleurs qu'on haïssait, on l'aurait encore reçu en faisant, comme on dit, de nécessité vertu, et en se réservant, in petto, le droit de se montrer ingrat plus tard.]
[13: En 1813, madame Lambertini a fait d'immenses sacrifices pour venir au secours des Français malheureux. Sa fille était belle et bienfaisante comme sa mère. Elle existe peut-être encore. Puisse-t-elle trouver la récompense de tout le bien qu'elle a fait!]
[14: Ce fut lui, ou bien, tel il fut].
[15: Bien des années après, j'ai fait moi-même l'expérience de cette triste vérité; combien ne me suis-je pas répété, en pleurant sur un tombeau, que la mort nous rend encore plus cher l'homme que nous avons aimé d'un véritable amour!]
[16: On descend à reculons dans les gondoles.]
[17: «Je ne te verrai plus!»]
[18: Tous les ans, à Pâques, on asperge les maisons d'eau bénite, et chacun met son offrande dans la corbeille qui contient les œufs de Pâques, que l'on distribue gratis.]
[19: J.-J. Rousseau.]
[20: Derrière les grands hôtels, qu'on appelle des palais en Italie, on trouve ordinairement de vastes ombrages plantés sans aucune symétrie. Ces bosquets touffus et garnis de fleurs prennent le nom du dieu, du demi-dieu ou du personnage illustre dont ils renferment le buste ou la statue. Celui que je préférais à la casa Faguani eût été digne d'inspirer l'amant de Laure; mais je n'étais pas Laure, et Richard n'était pas Pétrarque.]
[21: «Ah! malheureux que je suis, j'aurai long-temps à languir; car le mérite de la dame de mes pensées ne brille pas dans les travaux domestiques.»]
[22: On fabrique à Rome de fausses perles qui imitent parfaitement les perles fines.]
[23: Il y a dans les villages comme dans les grandes villes d'Italie, des chapelle privilégiées. Dans ces lieux consacrés par la vénération des peuples, le criminel trouve un asile inviolable contre les agents de l'autorité et les ministres de la loi.]
[24: «Ils redoutent encore Vi…ci le proscrit. Les lâches! j'en suis assez vengé!» Cette inscription subsistait encore en 1798.]
[25: Les confréries de pénitens sont chargées d'assister les criminels au moment du supplice; et de transporter leurs restes à la sépulture désignée. Les meurtriers même ont droit à leur pieuse assistance. La devise des pénitens est celle-ci: Al fine del umano poter principia l'omnipotente, misericordia di Dio. «Là où finit le pouvoir humain commence la toute-puissante miséricorde de Dieu.» Les frères de ces congrégations ont la figure couverte d'un morceau de toile ayant trois ouvertures, deux devant les yeux et une devant la bouche].
[26: Le duc de Chartres, aujourd'hui Mgr le duc d'Orléans.]
[27: Ce fut dans ce palais que logèrent Napoléon et Joséphine, lors de leur voyage à Milan.]
[28: M. le prince de Talleyrand-Périgord: j'aurai plus tard l'occasion de parler longuement de cet homme illustre. Je puis me flatter de l'avoir assez connu pour faire dire à tous ceux qui liront ces Mémoires, que je l'ai peint d'après nature.]