Mémoires de Céleste Mogador, Volume 4
§ VI.
Présomptions de simulation invoquées par les adversaires.
PREMIÈRE PRÉSOMPTION.
Situation de fortune de M. de ***.
Où donc eût été l’intérêt de faire des actes simulés au préjudice de ses créanciers pour un homme qui avait la conviction que sa fortune dépassait deux fois son passif, et qui, au moment de la vente de ses biens, croyait encore que, tous ses créanciers étant payés, il lui restait 150 ou 200,000 francs.
Vous méconnaissez aussi les enseignements de cette correspondance que vous avez arrachée au secret qui lui était destiné. Relisez, et vous verrez que, quand M. de *** s’aperçoit enfin de sa ruine, son désespoir éclate, et qu’au lieu de se ménager une retraite pour y vieillir, il ne pense qu’à se faire soldat en Afrique ou mineur en Australie.
C’est alors que, par un sentiment de délicatesse qui a touché le cœur de la cour, mademoiselle Céleste lui offre, dans les termes les plus affectueux, les ressources dont sa famille et elle peuvent disposer.
C’est alors qu’elle lui dit dans une lettre: «Garde mes 40,000 fr., tu peux t’en servir pour tenter la fortune, je n’en ai pas besoin maintenant; si tu me les rendais, il me faudrait bien les replacer.»
Si ce ne sont pas les termes mêmes de la lettre que nous n’avons pas sous les yeux, c’en est certainement le sens.
Cette idée de prête-nom est vraiment incroyable, et elle ne pouvait germer que dans l’esprit de M. B...
DEUXIÈME PRÉSOMPTION.
M. B... met sous ce paragraphe l’analyse des nombreux procès qu’il crée de tous côtés.
Il s’étourdit du bruit qu’il fait lui-même.
Pourquoi tant de tapage?
Apprécions à notre tour le caractère et les motifs de cette guerre si acharnée qu’il a déclarée à mademoiselle Céleste.
Est-il inscrit sur le Poinsonnet? Non, sa créance résulte d’une obligation avec affectation spéciale sur les terres de M. de ***.
Rêve-t-il donc quelque marc le franc avec les créanciers chirographaires dont il a fixé le chiffre à 300,000 fr.?
Nous lui faisons la même question quant au mobilier.
Ce serait bien désintéressé de sa part, et nous avons quelque peine à croire au désintéressement de M. B...
La violation du domicile de mademoiselle Céleste, l’exploration illégale de ses papiers et de ceux de M. de ***, exécutée par M. B... en personne, n’avaient-elles pas un but caché? Voulait-on priver M. de *** des papiers qui lui étaient nécessaires pour discuter le chiffre des créances D... dans le procès de Paris.
Espérait-on se procurer des armes pour attaquer la créance Céleste?
La cour ne perdra pas de vue quelles inimitiés pouvait nourrir contre mademoiselle Céleste un homme à l’égard duquel elle s’était crue autorisée à se servir, dans sa correspondance, d’expressions que nous n’avons pas cru devoir répéter en plaidant, d’un homme à l’influence duquel elle cherchait à soustraire M. de ***.
Dans son ardeur à tout incriminer, M. B... a prétendu que mademoiselle Céleste avait produit à l’ordre pour une créance de 20,000 fr.
Rien de plus inexact.
Mademoiselle Céleste ne figure pas à l’acte; le notaire a fait accepter l’obligation par son clerc. Elle n’a pas produit à l’ordre. En énonçant ce fait devant la cour, mademoiselle Céleste a dit la vérité.
L’insistance que vous mettez ne peut servir qu’à une chose, c’est à donner une nouvelle preuve qu’à cette époque M. de *** ne se croyait pas ruiné. Nous aimons à en trouver l’aveu dans votre bouche.
TROISIÈME PRÉSOMPTION.
On crie à l’invraisemblance parce que mademoiselle Céleste aurait songé à se créer pour elle-même, au Poinsonnet, une petite propriété avec l’idée de louer la locature et le chenil, comme rendez-vous de chasse.
Qu’y a-t-il d’inadmissible dans cette idée qui lui avait été donnée par M. de ***, par M. le comte de T... et M. le comte de B...
La demande de location qui lui est faite par diverses personnes, demande dont elle justifie par des lettres envoyées à la cour, prouve assez que cette idée n’était pas aussi extraordinaire, aussi dénuée de sens que M. B... se plaît à le dire.
Au nombre des personnes qui ont écrit, nous pouvons citer M. H., notaire à Châteauroux.
QUATRIÈME ET CINQUIÈME PRÉSOMPTIONS.
Il aurait été de bon goût de la part de M. B... de ne pas insister sur les ressources que mademoiselle Céleste a pu posséder en dehors de son théâtre et des économies de sa famille.
Ainsi que nous le disions dans notre première note, quand on veut insulter mademoiselle Céleste, on lui oppose sa fortune; quand on veut la dépouiller on lui objecte sa misère.
Nous avons charitablement averti M. B... de la contradiction dans laquelle il était tombé. Son habile avocat est venu à son secours. Il a imaginé une théorie intermédiaire qui consiste à plaisanter mademoiselle Céleste sur l’administration de sa fortune.
Trêve de généralités.
Que veulent les adversaires? Forcer une dernière fois mademoiselle Céleste à une discussion pénible. Elle en aura le courage pour éclairer la justice, elle a justifié d’un titre de rente tout à fait étranger à M. de ***.
On a répondu que si elle l’avait eu, elle l’aurait encore. Nous ne comprenons pas cette persistance des adversaires, nous avons positivement offert de prouver que la rente avait été vendue par elle le jour de l’achat de l’hôtel Cléry, et nous avons nommé l’agent de change qui a fait la négociation.
Devant l’audace d’un nouveau démenti, nous produisons les deux bordereaux.
Il serait aisé à mademoiselle Céleste de faire d’autres justifications et de souffler sur le fragile château de cartes dont se composent les hypothèses échafaudées par M. B..., si elle n’était pas arrêtée par des scrupules que la Cour comprendra, et si elle ne reculait pas à l’idée de prononcer des noms qui ne doivent pas figurer au procès.
Si une chose nous a surpris dans le mémoire de M. B..., c’est de le voir invoquer la correspondance entre mademoiselle Céleste et M. de ***, comme contenant la preuve de la fraude qu’il allègue.
Le laconisme avec lequel il en parle prouve du reste qu’il ne se croit pas bien assuré sur ce terrain.
Jamais, peut-être, on n’a vu un pareil abus du droit dans les fastes judiciaires et à la suite une pareille déconvenue.
Voici un plaideur qui arrive, par tous les moyens imaginables, à se procurer les papiers les plus secrets, les correspondances les plus intimes de ses adversaires.
La défense qui lui est opposée n’a plus rien de libre ni de spontané; elle n’a plus le choix de ses armes. Tout est mis à jour, tout est révélé.
Il n’y a rien dans la correspondance au point de vue de la fraude, il y a tout au point de vue de la sincérité des actes et de la loyauté que mademoiselle Céleste n’a cessé d’apporter dans les déclarations qu’elle a faites devant la justice.
Nous en avons la ferme conviction, cette correspondance sera le salut de sa cause.
La Cour a les lettres sous les yeux, elle en a bien pénétré le sens. Elle rapprochera les sentiments exprimés des faits et des actes, elle acquerra la preuve irréfragable que le récit que nous avons présenté est vrai et sincère.
Au lieu de s’attacher aux minutes comme le fait M. B..., elle appréciera avec élévation.
Nous en dirons autant de la lettre à laquelle se rattache le nom de M. T. de ***.
Nous avons beau lire et relire cette lettre, nous n’y voyons rien dont on puisse tirer argument contre mademoiselle Céleste.
Le but de la lettre est de prier M. T. de *** de racheter les objets personnels à son frère. La seule allusion faite au procès n’exprime que l’inquiétude bien naturelle chez une femme engagée pour la première fois dans un procès d’où dépend toute sa fortune.
Cette lettre, au surplus, a reçu de M. T. de *** lui-même, sur le sens dans lequel on voulait l’interpréter, un démenti dont les adversaires ont dû comprendre la portée.
Vous prétendez, messieurs, avoir été autorisés à la produire; mais il est constant aujourd’hui que vous ne la possédez que par l’effet d’une surprise, et que, loin de vous avoir encouragés, M. T. de *** repousse non-seulement le sens que vous lui donnez, mais l’usage que vous en faites.
Nous croyons avoir répondu à toutes les objections des adversaires, et il nous paraît inutile d’insister davantage.
Pourquoi aurions-nous dans les arguments de M. B... plus de confiance qu’il ne paraît en avoir lui-même?
En relisant les dernières lignes du Mémoire, nous trouvons les prémisses bien pompeuses et la conclusion bien modeste.
Après avoir crié bien haut que la preuve de la fraude est faite, on se résume à demander une enquête pour tâcher de courir après quelques indices.
C’est toujours le même système.
On a commencé par dire: Si nous pouvions avoir les papiers explorés au Poinsonnet, on y trouverait le démenti des actes. On a eu ces papiers en première instance, et on n’y a rien trouvé.
On s’est rejeté alors sur la correspondance. On a dit et répété: Si nous pouvions avoir la correspondance, elle nous donnerait gain de cause. Cette correspondance, pour vous ôter tout prétexte, nous vous l’avons livrée; vous n’y avez trouvé que la preuve des bons sentiments de mademoiselle Céleste.
Maintenant on a l’air de soupirer après une enquête; si elle avait lieu, elle tournerait certainement à la confusion des adversaires.
La Cour a donc encore plus de raisons pour confirmer le jugement du tribunal de Châteauroux que le tribunal de Châteauroux n’en avait pour le rendre.
Mademoiselle Céleste a fait sa confession dans ce procès.
M. B..., lui, n’a rien confessé. Si quelques actes de sa vie ont été révélés à la justice, ils n’ont été connus que bien malgré lui et par la lecture de pièces et documents judiciaires.
S’il n’a pas fait sa confession, en revanche il a fait beaucoup de morale.
Mais un tel langage n’a aucune valeur de sa part; M. B... est évidemment trop intéressé.
Où aboutirait d’ailleurs cette morale dans le procès? Elle arriverait, sous le prétexte que M. de *** peut avoir déboursé quelque argent sur les travaux du Poinsonnet, à dépouiller mademoiselle Céleste de tout ce qui lui appartient, de tout ce qui appartient à sa famille.
Enoncer un pareil résultat, c’est le rendre moralement impossible.
TRIBUNAL DE COMMERCE.
Note pour mademoiselle Céleste, contre M. B...
et MM. Crémieux, Guillemot, Legris.
Mademoiselle Céleste demande la permission au tribunal de mettre sous ses yeux un résumé très-succinct des moyens qu’elle oppose à la demande de M. B..., et à celle des créanciers qui ont cru devoir intervenir dans le procès, à la suite de M. B...
Cette discussion très-rapide comporte tout naturellement l’examen des deux moyens de forme et de la question du fond.
§ 1er.
Fin de non-recevoir.
Non-recevabilité de la tierce opposition.
1o M. B...
M. B... est non recevable à former tierce opposition au jugement obtenu par mademoiselle Céleste contre M. de ***.
En effet, au moment où l’obligation de mademoiselle Céleste a pris naissance, M. B... n’avait aucun droit. Le titre qui a donné lieu au jugement de mademoiselle Céleste contre M. de *** est du 15 avril 1851.
Or, quel est le titre présenté par M. B...?
C’est une obligation de 46,000 francs en date du 19 juillet 1851.
M. B... a essayé d’établir une confusion: il a prétendu que les fournitures, causes de cette obligation, remontaient à une époque antérieure à 1850.
Cette affirmation est démentie par tous les faits de la cause.
D’abord, l’obligation du 19 juillet 1851 a été précédée d’une autre obligation de 45,000 francs, en date du 18 mai 1850, souscrite par M. de ***, au bénéfice de M. D..., prédécesseur, associé, et plus tard prête-nom de M. B... Cette première obligation porte, au bas de l’obligation même: pour solde de tout compte.
Cette obligation venait elle-même postérieurement à un jugement du tribunal de commerce de la Seine, pour une somme de 15,879 francs 30 cent., auquel jugement M. de *** a acquiescé le 26 janvier 1849.
Il est donc certain, par cette première raison, que les causes de l’obligation du 19 juillet 1851 sont postérieures à 1850.
Nous apportons une nouvelle preuve, c’est une facture signée de M. B..., en date du 13 mars 1851, et portant: pour solde de tout compte, facture remise au Tribunal.
Nous apportons enfin une troisième raison: c’est que l’obligation de 1851 se compose en grande partie, jusqu’à concurrence de trente et quelque mille francs, d’un transport de créance La Châ... et Liév..., que M. de *** avait garanti. Les reçus de M. B... portant la date de 1851 sont au dossier.
Est-il besoin de rappeler que M. B... est en ce moment en instance devant la cour impériale de Paris sur la validité de son titre, dont la base se trouve encore dans des fournitures, et dans une garantie obtenue de la bonne foi de M. de ***?
Voici un extrait de l’obligation B..., en date du 19 juillet 1851.
A été extrait littéralement ce qui suit:
M. de *** déclare, sous les peines de droit, qu’il est célibataire, et qu’il n’a jamais été tuteur, curateur ou comptable de deniers publics;
Que les immeubles ci-dessus hypothéqués ne sont grevés d’aucun privilége, mais qu’ils sont grevés par hypothèque conventionnelle:
- 1. De la somme de 150,000 francs, due, etc.
- 2.
- 3.
- 4.
- 5.
- 6.
Et par hypothèque judiciaire:
1. de la somme de 40,000 fr. due à mademoiselle Céleste, en vertu d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de la Seine, dans le courant du mois d’avril dernier;
2. Et de 2,000 fr. dus, etc.
Dans une pareille situation, M. B... n’a pu prendre lui-même au sérieux le procès qu’il nous faisait. Il marchait de déception en déception; après avoir plaidé longtemps sous le nom de D..., payé dans l’ordre sous le nom de D..., dont les aveux trop naïfs avaient compromis le succès de tant de poursuites, M. B... s’était décidé à agir par lui-même. Mais voilà que son titre même constitue une fin de non-recevoir contre l’action qu’il a intentée.
Comment faire?
M. B... s’est mis en quête pour trouver des alliés. Il a cherché parmi les créanciers de M. de *** les éléments d’une coalition contre mademoiselle Céleste.
La plupart de ces créanciers ont refusé de s’associer à cette guerre, que rien ne justifie. Nous le prouvons par leurs lettres. Trois seulement y ont consenti. Ce sont MM. Legris, Guillemot, Crémieux.
Voyons si M. B... doit se féliciter de cette diversion judiciaire.
2o M. LEGRIS.
Nous n’avons plus besoin d’en parler. M. Legris s’est désisté de sa demande, quand il a su ce qu’on voulait faire de son nom.
3o M. GUILLEMOT.
M. Guillemot n’est que le cessionnaire de M. Thomas B..., à qui M. de *** avait, en 1851, racheté une voiture d’occasion pour une somme de cinq mille francs. Il a reçu déjà une somme de deux mille francs, à valoir sur sa créance, dans le courant de 1853. M. Guillemot, si nous sommes bien informés, n’a poursuivi que parce que M. B... lui a garanti les frais, et c’est ce que M. d’Orléans, son huissier, serait disposé à attester, s’il en était besoin. Car M. Guillemot n’a dans le procès aucun intérêt personnel. Que la créance de mademoiselle Céleste soit ou ne soit pas payée, il ne viendra pas dans l’ordre en rang utile. Il ne toucherait rien que ce que M. B... voudrait bien lui donner. Le défaut d’intérêt est une véritable fin de non-recevoir contre M. Guillemot, aux termes d’une jurisprudence constante, qui décide que la tierce opposition, formée par un créancier au jugement rendu en faveur d’un autre créancier, est non recevable, lorsque la décision attaquée ne change en rien la position du demandeur vis-à-vis du débiteur commun. (Arrêt de cassation du 9 juin 1847.)
Voilà donc une intervention qui ne peut servir en rien la cause de M. B..., puisque M. Guillemot est non recevable, comme M. B... lui-même.
4o M. CRÉMIEUX.
Il n’est pas possible de voir une intervention plus malencontreuse.
Contre M. Crémieux nous n’avons que le choix des fins de non-recevoir.
1o Il est payé dans l’ordre. Dans le cas où, comme il le prétend, il lui manquerait quelque chose, il ne pourrait l’attribuer qu’à sa complaisance pour M. B..., qui a surchargé ces procédures de frais énormes, et discrédité les derniers immeubles vendus.
2o M. Crémieux a connu le jugement de mademoiselle Céleste, ainsi que l’inscription hypothécaire prise en exécution de ce jugement, puisqu’il a commencé par accepter une hypothèque, après celle de mademoiselle Céleste. Il a fait plus, il trouvait sa position tellement bonne et assurée, que connaissance prise de l’état hypothécaire, il a, par complaisance et sans y être forcé, fait la gracieuseté de son rang à M. Blanchard, banquier, à Tours, qui n’a consenti à prêter 16,000 fr. à M. de *** qu’à cette condition.
3o M. Crémieux enfin, dans l’obligation même qui lui sert de titre, a, comme M. B..., laissé énoncer la déclaration faite par M. de ***, de toutes les hypothèques qui le précèdent, et notamment de l’hypothèque prise au nom de mademoiselle Céleste, pour sûreté d’une créance de 40,000 fr.
—M. de *** déclare sous les peines de droit:
Que ses immeubles sont grevés par hypothèque conventionnelle,
1o.
2o, etc.,
et par hypothèque judiciaire, de la somme de 40,000 fr. due à mademoiselle Céleste, en vertu d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de la Seine, dans le courant du mois dernier.
Par tous ces motifs, M. Crémieux est non recevable, comme M. B... Nous pouvons leur opposer à tous deux une jurisprudence non méconnue des adversaires, aux termes de laquelle l’acquiescement au jugement ou arrêt susceptible de tierce opposition constitue une fin de non-recevoir. Ainsi doit être rejetée la tierce opposition incidemment formée à un jugement qu’on a connu et qu’on a laissé exécuter. (Arrêt de Paris du 18 avril 1833.)
Nous avons donc établi, par ce qui précède, que ni M. B..., ni aucun des créanciers intervenants n’ont le droit de former tierce opposition au jugement obtenu par mademoiselle Céleste.
Ce jugement subsiste donc avec toute sa force.
§ 2.
Régularité des lettres de change.—Compétence du
tribunal de commerce.
Les adversaires ont essayé de démontrer que les lettres de change étaient irrégulières, et que mademoiselle Céleste était à Paris le 5 avril 1850, jour de la souscription des lettres de change à Châteauroux; qu’elle y était également le jour de l’endossement.
Pour se procurer des pièces, ils ont employé des moyens aussi scabreux que la razzia du Poinsonnet.
Qu’ont-ils trouvé?
1o Un drame-vaudeville, intitulé les Deux Anges, qui a été joué pour la première fois le 9 avril 1850.
2o Une affiche en date du 12 avril portant le nom de mademoiselle Céleste.
3o Une facture de pianos en date du 10 avril 1850, et deux billets de la même date.
Il n’est pas possible de se mystifier soi-même plus complétement.
Le rôle de madame Bompart, dans la pièce des Deux Anges, n’a pas été créé par mademoiselle Céleste. Il l’a été par mademoiselle Lydie.
Nous rapportons pour attester ce fait un certificat du régisseur des Folies, signé également par le directeur, et une attestation de M. de Saint-Hilaire, auteur des Deux Anges.
Nous rapportons mieux encore; nous rapportons les affiches du 9, du 10 et du 11 avril, où le nom de mademoiselle Céleste ne figure pas, et où figure celui de mademoiselle Lydie.
Comment se fait-il que les adversaires, qui ont rapporté les affiches du 12, aient négligé de se procurer les affiches précédentes?
Que devons-nous accuser? Est-ce leur défaut d’attention? Le tribunal en jugera.
Il n’est pas jusqu’aux notes de l’hôtel de Châteauroux que mademoiselle Céleste n’ait retrouvées.
Il n’est pas besoin de faire remarquer au tribunal que la facture de piano et les billets ne signifient exactement rien dans la cause. La date d’une facture et de billets qui ne sont pas passés dans le commerce n’a rien d’authentique.
En voici la preuve. Mademoiselle Céleste rapporte un certificat de M. Moulé, qui atteste que le piano qu’il a livré le 10 lui avait été commandé quelque temps avant la livraison.
Le prix et le mode de payement étaient donc convenus d’avance.
Où d’ailleurs les adversaires veulent-ils en venir? Le trajet de Châteauroux à Paris est de sept heures. Est-ce qu’on ne peut pas être le matin à Châteauroux et l’après-midi à Paris.
Ainsi tombent une à une toutes les objections péniblement échafaudées contre la régularité des lettres de change.
C’est donc avec raison que le tribunal de commerce, dans son jugement du 15 avril 1851, a reconnu sa compétence et sanctionné les titres de mademoiselle Céleste.
Ce jugement, est-il besoin de le faire remarquer, n’a pas été rendu avec précipitation.
L’assignation a été donnée le 7 avril 1851; puis, suivant la pratique sage et habituelle du tribunal de commerce, la cause a été continuée du 9 au 15 avril, jour auquel a été rendu le jugement.
Tombe-t-il sous le sens que si mademoiselle Céleste avait voulu organiser une fraude, elle eût emprunté le nom de sa mère?
Si M. de *** avait voulu faire tort à ses créanciers, n’aurait-il pas choisi toute autre personne que mademoiselle Céleste pour prête-nom, et n’aurait-il pas été plus simple à lui de garder son conseil judiciaire qui, grâce aux complaisances de M. B... et de ses autres fournisseurs, parfaitement confiants dans sa loyauté, ne gênait en rien M. de *** pour ses dépenses?
§ 3.
Le fond du procès.
On n’a cessé, au cours de ces procès, d’accuser mademoiselle Céleste d’avoir été une des principales causes de la ruine de M. de ***.
C’est une des choses qui lui ont été le plus pénibles, et elle demande la permission de se servir de la position que les adversaires lui ont faite, en s’emparant de sa correspondance, pour repousser cette accusation, dont les échos ont remonté jusqu’à la cour de Bourges.
Nous choisissons au hasard dans les extraits de cette correspondance.
Voici une lettre de 1850, époque à laquelle mademoiselle Céleste était aux Folies.
«Je viens des Folies, il est dix heures, je trouve une lettre pour toi, je m’empresse de l’envoyer, car il y a dessus pressé. Je vais la faire mettre à la poste de suite. Du courage, il faut sortir de là, il y avait trop de choses entre nous pour que nous pussions être heureux. Il faut que tu penses à ta fortune, à ton avenir. Je souffre déjà, je t’ai déjà bien regretté depuis ce matin. Je t’écrirai tant que tu voudras, mais je le sais, tu touches chaque jour à ta ruine du bout du doigt, il ne faut pas faire ce plaisir à tous ces gens qui sont jaloux de toi, il faut démentir ceux qui disent que tu tires à ta fin. Mais tu me verras toujours. Quand même tu serais marié, je serai ton amie, qui fais des vœux pour ton bonheur.
»Je t’embrasse,
»Céleste.
»Jeudi, dix heures du soir: j’ai fait des démarches aujourd’hui, je vais entrer au Palais-Royal.»
Dans une autre lettre, elle écrivait à M. de ***:
«Mieux vaut une petite réalité que de grandes illusions...
»Je serais heureuse, si tu voulais prendre un bon parti, plutôt que de te laisser aller à la douleur, si, après m’avoir revue, tu voulais faire un petit voyage, te marier...»
Mademoiselle Céleste n’a jamais cherché à abuser de l’influence qu’elle avait sur M. de ***. Qu’on en juge.
«Je te l’ai dit, mon bon Robert, je ne suis pas de force à supporter tes plaintes et tes reproches; l’on ne fait pas son caractère, je ne puis souffrir l’isolement, ce n’est pas ma faute; j’en ai peur et tu ne fais rien pour m’y faire prendre goût. Je débutais hier jeudi, j’avais besoin d’être calme, j’ai reçu ta lettre le matin et me voilà en pleurs, tu m’accables de reproches.
»Pourquoi veux-tu que je n’aie pas pour la solitude la peur que tu as eue du mariage toute ta vie? bien souvent, pourtant, tu as fait des projets. La destinée est écrite, on ne la conduit pas, on la suit. Je crois que tu aurais pu faire autre chose de moi; nous avons pris à rebours. Je t’ai toujours dit: Marie-toi, je n’aime pas cette vie calme; mais je finis par trouver tes accusations tellement exagérées, que je fouille ma vie passée avec toi et que je m’excuse un peu, en pensant que je ne t’ai jamais menti sur le genre de vie que je préférais. On ne peut pas toujours ce qu’on veut. Tu as voulu me régénérer, cela était impossible: c’est aujourd’hui que je serais infâme, si j’acceptais ce que tu m’as offert, puisque je sens que je ne pourrais pas remplir des devoirs sacrés.
»J’ai, etc.
»Céleste.»
Mademoiselle Céleste conseillait à M. de *** de diminuer son luxe et elle savait elle-même réduire ses dépenses et s’imposer des privations.
«Il faut que tes intérêts soient les miens, c’est-à-dire que tu me permettes de te gronder quelquefois et de te donner des conseils. Si tu m’avais écoutée, les deux années de privations seraient finies et nous serions à notre aise. Enfin c’est à faire au lieu d’être fait; donne des ordres en partant, que l’on fasse vendre tes chevaux à tout prix, cela coûte à nourrir. Je ne suis pas moins raisonnable que toi, je vendrai le mien à la première occasion.»
Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons résister au désir d’imprimer une dernière lettre, qui dénote combien mademoiselle Céleste avait à cœur de faire prendre une bonne résolution à M. de ***, et comment elle repoussait les reproches que celui-ci, souvent, dans son humeur injuste, lui adressait.
Pour faire éclater la vérité aux yeux du tribunal, mademoiselle Céleste n’a pas reculé devant ce que ces souvenirs ont de cruel et ces révélations intimes d’affligeant pour une femme.
Abordons maintenant une autre série de preuves. Les passages des lettres que nous allons citer désormais convaincront le tribunal de la réalité des prêts que mademoiselle Céleste a faits à M. de ***, pour l’empêcher d’emprunter à des taux usuraires, et de la délicatesse qu’elle mettait pour les lui faire accepter, sachant bien que M. de ***, quoique souvent très-pressé d’argent, n’aurait rien voulu recevoir, s’il avait pu deviner les sources d’une partie des fonds dont mademoiselle Céleste disposait.
Les extraits que nous allons donner étant nombreux, et se rapportant à la même démonstration, nous les classerons par numéros qui représentent chacun un fragment de lettre.
1.
Tout s’arrangera avec du temps, ne t’inquiète pas des 2,000 fr. de la fin du mois. Tu les auras, mon grand-père me les prêterait, s’il y avait besoin. J’emporterai les 15,000 fr. de samedi avec moi, pour que tu puisses donner de petits à-comptes.
2.
Enfin, l’on m’avait prêté de l’argent, madame de Seine: mon grand-père a payé et les a donnés à maman, c’est à elle que je dois, c’est-à-dire que je suis quitte.
3.
Quand j’aurai mes 40,000 fr., il faudra bien les replacer. Si tu trouves quelque entreprise, tu sais que tu peux disposer de mon argent.
4.
Je pourrai encore faire 3,000 fr. au Mont-de-Piété; écris-moi de suite si cela pourra te tirer d’embarras pour quelques jours, je te les enverrai de suite en mettant mes boucles d’émeraude en gage.
5.
J’ai reçu en réponse à ma lettre de sottises la lettre que je vous envoie, et le même soir j’ai reçu 4,000 fr.
6.
Ecris-moi pour quel chiffre Thomas te poursuit, je tâcherai d’arranger cela, puisque c’est le plus pressé.
M. B... est venu voir où tout cela en était. Je ne l’ai pas reçu, je lui ai fait dire que je ne savais rien.
7.
Ne t’inquiète pas de moi: je n’ai besoin de rien; j’ai un billet des gens qui m’ont acheté mon hôtel. Je l’escompterai, cela me fera aller quelque temps.
8.
Si tu vends, nous aurons mes 40,000 fr. Si nous ne les avons pas, eh bien, je chercherai quelques ressources dans mes effets. J’aurai toujours assez avec ce que me doit Charles C...; ainsi, cet argent, s’il rentre, est à toi, du moins la moitié: je n’en veux pas, disposes-en comme tu le voudras. Informe-toi si quelqu’un veut prendre 20,000 fr. d’hypothèque à ma place. Cela t’aidera un peu, ne me refuse pas.
9.
Morel n’offre que 1,000 fr. du dockart; si tu veux le garder, je lui vendrai ma petite voiture 1,400 fr.; garde ta voiture si tu y tiens le moins du monde, ne te gêne pas.
10.
Quant à cet entremetteur de mariages, de qui même tu m’envoies les injures, je ne le connais pas. Que veut-il? Que lui ai-je fait? N’es-tu pas allé à Lyon? N’est-ce pas pour cela que je suis entrée au théâtre?
—Sitôt que tu voulais te marier, je rentrais au théâtre.
Je vais tout vendre sans regret: je suis contente même de me défaire de toutes ces choses qui m’ont coûté tant de larmes. Je prendrai un petit appartement rue Vivienne et une bonne; nous dépenserons peu. Tu tâcheras de faire valoir ton argent et le mien; cela t’occupera et dans quelque temps nous partirons pour toujours.
J’aurais été si heureuse que tu prisses une femme qui te donnât la fortune et le bonheur.
Tu sais bien que je ne t’ai jamais rien demandé. T’ai-je jamais mis à contribution?
Je vais envoyer mes émeraudes en gage; je les retirerai quand j’aurai mon argent.
11.
Je crois que c’est un grand malheur que tu n’aies pas vendu hier, car nous voilà dans une crise qui menace d’être assez longue. Ne crois pas, mon bon Lionel, que si je m’inquiète de cette vente, ce soit à cause de moi. Non, je te l’ai dit, cet argent est à toi. Je veux que tu t’en serves, s’il rentre, pour tenter quelque chose. Je te l’ai dit aussi, tu ne peux pas partir, tu mourrais là-bas. Je ne veux pas que tu partes dans cet affreux pays.
12.
Ma mère va me faire prêter quelque cents francs.
Je suis allée voir M. Thiébaut, c’est un brave homme que j’ai toujours trouvé quand j’ai eu besoin de lui.
13.
Comment vas-tu faire pour Thomas B...? Tu sais ce que je t’ai dit, si cela peut suffire. Je puis encore faire 3,000 fr., ne te gêne pas. Cela me fera plaisir de te rendre un peu du bien que tu m’as fait.
14.
Quel parti vas-tu prendre? C’est bien effrayant une vente judiciaire. Je puis t’envoyer deux ou trois mille francs[2].
[2] Voir dans le dossier d’autres preuves, notamment un cadeau de 20,000 fr. et la vente de la rente d’Espagne.
Interrogeons aux mêmes époques la correspondance de M. de ***, et nous y trouverons la preuve des mêmes faits.
1.
Espères-tu réussir pour ton bureau? Réfléchis bien, tu es peut-être encore bien jeune, et, en plaçant bien ton argent et attendant un peu plus tard, peut-être retrouveras-tu une aussi belle occasion. Je ne t’envoie pas encore aujourd’hui tes 1,200 francs.
Je t’envoie 200 fr., dont 100 fr. que je te dois et 100 fr. que je t’ai promis. Je t’enverrai les 1,000 fr. d’ici à deux ou trois jours.
2.
Je vous envoie 1,000 fr. à valoir sur les 3,000 fr. que je vous dois. C’est le seul argent que j’ai pu ramasser; d’ici la fin du mois, j’espère m’acquitter des 2,000 fr. restant.
3.
Rien ne m’est rentré encore. J’attends de l’argent ces jours-ci, et mes bois doivent se vendre vers le 2 décembre. Je suis pour le moment sans le sou. Je serai à Paris vers le 5 ou le 6 du mois prochain, et alors je régulariserai toutes tes affaires et nous aviserons ensemble à faire un bon placement de ton argent (commencement de 1850).
Nous terminerons cette note en donnant une dernière lettre de mademoiselle Céleste, qui contient l’histoire et comme le résumé de sa liaison avec M. de ***. Au milieu de l’exaltation des sentiments, le tribunal y verra la preuve la plus positive, la plus évidente de la créance de mademoiselle Céleste contre M. de ***. Autant elle met d’insistance pour rentrer aujourd’hui dans ce qui lui appartient, autant elle a opposé de résistance aux cadeaux que M. de *** voulait lui faire et qui pouvaient lui porter préjudice. Ainsi, elle lui a renvoyé plusieurs fois une reconnaissance de 20,000 fr., et quand pour la lui faire accepter il lui a fait cadeau d’une hypothèque de 20,000 fr., elle a formellement refusé de signer, et avant même de savoir si cette dernière hypothèque viendrait en ordre utile, elle ne s’est pas présentée aux ordres, se bornant à maintenir énergiquement son droit pour l’hypothèque de 40,000 fr.
«Tu m’avais promis 20,000 fr., c’est vrai; mais je voyais ta ruine: le premier jour j’étais effrayée, j’aurais voulu que tu te mariasses pour nous deux, mais l’idée ne m’était pas venue que tu pourrais prendre une autre maîtresse: tu pourrais tout sauver en te mariant.
»J’ai pris ailleurs ce que je ne pouvais te demander, ce que je ne voulais te demander ni prendre, car je te l’ai renvoyé bien des fois ce billet que tu m’avais donné. Je n’ai pas supporté la douleur de te savoir avec une autre, j’ai payé bien cher ton retour à moi. Le peu que j’avais je l’ai mis à ta disposition, j’aurais voulu te donner ma vie, tes affaires allaient mal, tu avais pris cet appartement qui était une charge énorme, la peur me reprit et je te demandai de me reconnaître mon argent, c’était mal, mais j’avais peur. Cette peur m’a donné un ennui continuel. J’avais tout en espérance, rien en réalité, la nuit je me tourmentais, le jour je cachais mon inquiétude sous le luxe. Cette femme m’a fait bien du mal: j’ai lutté d’amour-propre: alors, voiture, chevaux, bijoux, toilette, j’ai tout désiré; pardon, ce n’est pas un combat contre toi, non, je t’aimais, mais quelquefois avec rage; je voudrais aujourd’hui donner ma vie pour réparer le passé. L’ennui, cette ombre de soi-même que l’on traîne partout, s’est accroché à moi pour toujours; je n’ai plus de santé, plus de jeunesse; j’ai perdu ma gaieté, je suis rentrée dans un théâtre, parce que je veux quitter Paris dans un an; j’irai en Russie, au bout du monde, je veux faire des envieuses, je ne veux pas que l’on se réjouisse de notre séparation. Si j’avais ma petite fortune, je vendrais tous ces oripeaux qui cachent tant de larmes, et je m’habituerais à la vie modeste avec laquelle je dois finir; mais voilà toujours où a été mon désespoir, je te disais: J’aimerais mieux avoir 100 fr. par mois sûrs, que d’être comme nous sommes. Cela n’a jamais pu se réaliser, Dieu ne l’a pas voulu, puisqu’il n’a pas mis en moi l’énergie nécessaire. Oui, je t’ai aimé, je t’aime encore, tu as été, tu es, tu seras toujours mon dernier amour. L’isolement et l’oisiveté me font mourir, c’est au-dessus de ma volonté, mais tu ne m’as jamais connue autrement. Ce n’est pas à cause du malheur qui te frappe aujourd’hui. Tu me parles de mon peu de dévouement. Dis-moi, quand j’aurais vécu près de toi malgré mon goût et lorsque tu me voyais l’air ennuyé, si tu ne me renvoyais pas. Je t’aime, je suis une misérable créature que ton mépris désespère, pourtant je ne t’ai jamais menti; le premier jour je t’ai dit que j’étais incapable d’une heure de dévouement quand il s’agissait de vivre à la campagne. Pardonne-moi, je t’en prie à mains jointes, j’ai été peut-être plus coupable que je ne le sais, mais je ne l’ai pas médité. Ecris-moi, mais pas de ces mots que contient ta lettre, ou ne m’écris plus jamais. Je pense à toi comme on pense à Dieu. Je te respecte comme l’ange qui m’a tendu la main. Crois-moi, si mon corps a été avili, il y a une place bien pure dans mon cœur et mon âme que tu as habitée et qui est toujours à toi.»
Le tribunal nous pardonnera ces détails et ces productions de lettres. Mais, en présence de la guerre qui est faite à mademoiselle Céleste par M. B..., elle avait besoin de montrer que les prétentions de ses adversaires étaient aussi mal fondées en équité, qu’inacceptables en droit.
MÉMOIRE
A MESSIEURS DE LA COUR IMPÉRIALE DE BOURGES,
PAR M. DE ***.
La position que les sieurs D... et B... veulent me donner dans un procès où mon nom se trouve malheureusement mêlé, me force, au retour d’un long voyage, à sortir du silence et de l’inaction que je m’étais imposés. Victime, je me taisais et j’acceptais sans murmure les conséquences de mes faiblesses, dont D... et B... étaient les escompteurs depuis de longues années; ils veulent changer les rôles! Je ne le souffrirai pas. Mes faiblesses n’ont fait tort qu’à moi: MM. D... et B... ne sont pas mes juges, et je leur défends de donner à ma conduite une interprétation mauvaise. Vous oubliez, messieurs, qui vous êtes, et en essayant de rejeter sur moi des soupçons qui ne peuvent m’atteindre, souvenez-vous que vous vous servez de lettres qui m’ont été soustraites illégalement.
Ma plainte à ce sujet est déposée au parquet de Châteauroux, de Bourges, et elle le sera également au parquet de Paris. Il s’est trouvé des officiers publics assez complaisants pour servir mes adversaires au mépris de la loi. Je ne redoute pas la publicité donnée à ces lettres intimes, mais il faudra que je retrouve les papiers qui ont rapport à la créance D... et B..., papiers qui en prouveront l’origine.
Je viens de lire le mémoire publié dans l’intérêt de MM. D... et B... Tous les documents qui servent de base à ce mémoire sont sans fondement. Je laisse de côté les injures que je méprise, et c’est par des faits vrais que je veux répondre à ce que mes adversaires avancent. Page 4 du mémoire, ils disent: «Si l’obligation hypothécaire est postérieure à l’acte simulé, il est certain que les causes de cette obligation, au moins pour partie, remontent à une époque antérieure à cet acte, et cela suffit.»
Je répondrai que lorsque B... est venu à l’hôtel Chatam me faire souscrire une seconde obligation de 46.000 fr., 1o l’inscription de mademoiselle Céleste existait depuis longtemps, à la connaissance de B...; 2o je ne devais alors à B..., d’après ses comptes, que 10 à 12,000 fr., dettes dont on retrouvera l’origine dans les bijoux qui sont encore dans son magasin; 3o je cédai aux sollicitations de B..., et je consentis à souscrire l’obligation de 46,000 fr., ignorant combien était illusoire la créance de M. de la C... que m’offrait B..., qui, pour me décider, me donna 3,000 fr.—Ainsi, B... connaissait ma position hypothécaire et la trouvait bonne, puisqu’il employait tous les moyens pour y prendre la place qu’il y a.
J’ai pris le château de... et ses dépendances moyennant une somme de 804,000 fr. sans fonds de cheptels dans les domaines. Les cheptels qui garnissaient les domaines appartenaient aux fermiers belges qui les occupaient. Pendant les deux premières années de mon administration, ne recevant aucun fermage, je fus obligé de résilier leurs baux et de prendre en payement des sommes qu’ils me devaient les bestiaux qui garnissaient ces domaines et qui n’étaient plus suffisants pour les exploiter. Je fus obligé, pour trouver de nouveaux fermiers, de porter à 4.000 fr. par domaine les fonds de cheptels. Quant à la question des bois, mon père, deux ans avant sa mort, avait vendu à M. le marquis de B..., propriétaire des forges du Centre, pour 101,000 fr. de bois. Les bois restants furent la seule ressource que je tirai de la propriété, ressource qui fut largement absorbée par les achats de bestiaux, les constructions et les améliorations qui décidèrent de nouveaux fermiers à affermer les domaines avec une diminution de 25 pour cent sur les anciens baux.—Ainsi, je n’ai pas distrait pour 45,000 fr. de fonds de cheptels, comme le dit ce mémoire, puisque je n’en ai pas reçu et que j’en ai laissé de considérables.
Avant le partage, pendant que les biens étaient indivis, le bois de la Touche a été vendu pour 10,000 fr. par l’administrateur judiciaire de la fortune. Qu’ai-je donc vendu? 43,500 fr. de bois, répartis ainsi: 17,000 fr. aux forges de Vierzon, 12,000 fr. à Gibaut, marchand de bois à Châteauroux, et 12,000 fr. à Baronnet et Barbier, à Ardentes. Plus, 2,500 fr. de traverses pour le chemin de fer de Bordeaux.—M. B..., sur ses ventes, a su avoir sa part, touchant des billets de marchands de bois.
Voilà comment j’ai déshonoré ma terre de..., j’en ai recueilli 43,500 fr., et j’y ai dépensé plus de 100,000 fr. Vous dites que le château m’avait été compté pour 100,000 fr. dans les partages; le château et ses dépendances n’est compté que pour 30,000 fr. et le mobilier pour 7,000 fr.
Si, d’après le cahier des charges, je n’ai pas trouvé d’acquéreur pour la vente tentée le 20 mai 1850, on ne peut pas l’attribuer à la mauvaise administration de la terre, mais aux circonstances malheureuses de cette époque. Quant aux biens que j’avais à cette date vendus en Berry, ils étaient éloignés du château d’une ou plusieurs lieues, et leur vente ne détruisait en rien l’ensemble de la terre.
Au moment où une seconde vente, faite par un abus de pouvoir à M. S..., est venue me ruiner, B... et D... prétendent que j’avais une dette chirographaire considérable. Ceci est encore faux. Ils doivent connaître ma position, puisqu’ils ont su trouver dans tous mes papiers les noms des divers fournisseurs auxquels je devais.—A quoi cela se monte-t-il? Un tailleur, 4,000 fr.; un bottier, 5 ou 600 fr.; un chapelier, 1,000 fr.; un chemisier, 3,000 fr.; enfin bref, 7 à 8,000 fr. Ajoutez à cela 7 à 8,000 fr. à un ami, M. de Saint-G..., restant d’une dette plus considérable, datant de longtemps.
Voilà donc 15 à 16,000 fr. de dettes chirographaires, qui devraient monter à 20,000 fr. en 1850.
Je le répète, M. B... doit savoir que ces chiffres sont exacts, puisqu’il est allé chez tous ces créanciers pour les engager à se joindre à lui dans les poursuites qu’il voulait faire.
Y a-t-il réussi? Non, parce que tous ont confiance en ma loyauté.
Tous les chiffres de M. B... sont donc erronés comme ses prétendues créances de 91,000 fr.
L’appartement de la rue de Joubert a été payé par moi 14,000 fr. à Monbro, tapissier, qui l’avait acheté 12,000 fr. à M. de Mackau; en le quittant, j’ai enlevé ce mobilier, dans lequel il y avait beaucoup d’objets auxquels je tenais par caprice ou par souvenir. Je ne l’ai quitté que parce que j’avais des idées de mariage en vue.
Je devais bien réellement 40,000 fr. à mademoiselle Céleste ou à sa famille. Quant à la dernière inscription de 20,000 fr. à mademoiselle Céleste, c’est un cadeau que j’ai voulu lui faire sans son aveu au moment de quitter le Berry et la France quelques jours plus tard. Quand mademoiselle Céleste bâtissait le Poinsonnet, quand, d’après ses instructions, je suivais ces travaux,—j’étais fermier de la chasse de la forêt de Châteauroux depuis mon arrivée en Berry,—et non du jour où elle acquérait ce terrain, non pas de plusieurs hectares, mais à peine d’un arpent. Ces messieurs ont déjà beaucoup rabattu de leurs appréciations.
Le château imaginaire que mes adversaires ont construit au Poinsonnet ne se trouve être, de leur propre aveu, qu’un simple pavillon de chasse, et le parc splendide de ce château un arpent de parterre.
Je le répète, si j’ai rompu le silence dans cette affaire, c’est que B... et D... m’y ont forcé. Dépouillé par eux depuis de longues années de sommes considérables, il est temps que je me révolte et que je repousse, par des faits et des chiffres, des allégations fausses.
Je compte sur l’appui du ministère public, désormais complétement éclairé, pour me protéger contre des faits aussi incroyables.
Quant à la lettre de mon frère, produite au procès, elle ne se trouve entre les mains de MM. D... et B... que par une surprise, et à ce premier tort ils en ont ajouté un deuxième, celui de dénaturer complétement le sens de cette lettre, comme la cour peut en juger par la lettre que mon frère m’a remise comme protestation contre un acte que je pourrais, à bon droit, tenir autrement pour un procédé indigne de son caractère.
COMTE DE ***.
«Je soussigné, certifie que la lettre qui été produite au tribunal de Bourges, par M. B..., m’a été écrite par mademoiselle Céleste, pour m’engager à racheter divers objets de famille qui étaient restés chez elle au Poinsonnet, et que cette lettre que M. B... m’avait prise pour prendre des renseignements sur la vente du Poinsonnet qu’il me disait, à tort, devoir avoir lieu prochainement, devait m’être rendue le lendemain.
»J’apprends, avec étonnement et indignation, qu’elle a servi comme pièce au procès, et je désavoue toute participation à un acte semblable, et surtout la signification toute fausse qu’on a voulu lui donner.
»COMTE DE ***.»
FIN.
TABLE
| Pages | |
| XLVI.Départ (suite) | 1 |
| XLVII.Correspondance | 9 |
| XLVIII.Mon cours de droit | 80 |
| XLIX.Le théâtre des Variétés | 97 |
| L.Une étoile | 111 |
| LI.Une vieille connaissance | 124 |
| LII.Denise | 145 |
| LIII.Pressentiments | 160 |
| LIV.Les mines d’Australie (Journal d’un mineur) | 183 |
| LV.Journal d’un mineur (suite) | 199 |
| LVI.Les pressentiments | 218 |
| Notes | 265 |