Mémoires de Joseph Fouché, Duc d'Otrante, Ministre de la Police Générale: Tome I
Les nombreux ennemis que Napoléon avait en France, soit parmi les républicains, soit parmi les royalistes, se réveillèrent; le faubourg St.-Germain redevint hostile, et il y eut même quelques menées dans la Vendée. On se flattait déjà tout haut que la journée d'Essling porterait un coup fatal à l'empereur.
On était si préoccupé des événemens du Danube, qu'à peine fit-on alors attention aux événemens de Rome. Il nous était réservé, à nous philosophes, enfans du dix-huitième siècle et adeptes de l'incrédulité; il nous était réservé, dis-je, de déplorer, comme impolitique, l'usurpation du patrimoine de Saint-Pierre et la persécution du chef de l'Église, par celui même que nous avions élu notre dictateur perpétuel. Un décret de Napoléon, de la fin de mai, avait ordonné la réunion des États romains à l'Empire français. Qu'arriva-t-il? Le vénérable pontife, cramponné sur le siège de Rome, se voyant désarmé, dépouillé, n'ayant à sa disposition que ses armes spirituelles, lança des bulles d'excommunication contre Napoléon et ses coopérateurs. Tout cela n'eût été que ridicule, si les peuples y fussent restés indifférens; si l'indignation publique n'eût pas ravivé la foi presqu'éteinte, en faveur de l'opiniâtre pontife des chrétiens. Ce fut alors que, soutenant une espèce de siège dans son palais, Pie vii en fut arraché par la force, et enlevé de Rome pour être confiné à Savone. Napoléon savait combien je répugnais à de pareilles violences; aussi n'eut-il garde de m'en donner la direction. Ce fut la police de Naples qui s'en chargea. Les principaux instrumens contre le pape furent Murat, Salicetti, Miollis et Radet.
Il me fallut prendre beaucoup sur moi, quand le pape eut gagné le Piémont, pour qu'on ne lui fît pas franchir les Alpes; c'eût été sur moi qu'on aurait fait peser volontiers la responsabilité des dernières scènes de cette persécution, qui parut généralement odieuse et déloyale. En dépit de la réserve de l'administration et du silence de ses organes, tout l'intérêt se porta sur Pie vii, qui, aux yeux de l'Europe, fut considéré comme une illustre et touchante victime de l'avide ambition de l'empereur. Prisonnier à Savone, Pie vu fut dépouillé de ses honneurs extérieurs et privé de toute communication avec les cardinaux, ainsi que de tous les moyens de publier des bulles ou de convoquer un concile. Quel aliment pour la petite église, pour la turbulence de quelques prêtres et pour la haine de quelques dévots! Je prévis dès lors que de tous ces levains se reformeraient les secrètes associations que nous avions eu tant de peine à dissoudre. En effet, Napoléon, en défaisant tout ce qu'il avait fait jadis pour calmer et concilier l'esprit des peuples, les disposait, de longue main, à s'isoler de sa puissance, et même à s'allier à ses ennemis, dès qu'ils auraient le courage de se montrer en force.
Mais cet homme extraordinaire n'avait encore rien perdu de sa vigueur belliqueuse; son courage et son génie relevèrent bientôt au-dessus de ses fautes. Ma correspondance et mes bulletins, qu'il recevait tous les jours à Vienne, ne lui dissimulaient pas le fond des choses ni le fâcheux état de l'esprit public. «Tout cela changera dans un mois, m'écrivait-il.» Une autre fois, en parlant de l'intérieur: «Je suis bien tranquille, vous y êtes,» furent ses propres expressions. Jamais je n'avais accumula sur ma tête tant de pouvoirs et autant de responsabilité. Je réunissais à la fois dans mes mains le ministère colossal de la police, et par intérim le porte-feuille de l'intérieur. Mais j'étais rassuré, parce que jamais les encouragemens de l'empereur n'avaient été aussi positifs, ni sa confiance aussi étendue. Je touchais à l'apogée du pouvoir ministériel; mais, en politique, l'apogée conduit souvent à la roche Tarpéienne.
L'horizon changea presque subitement. La bataille de Wagram livrée et gagnée quarante-cinq jours après la perte de la bataille d'Essling, l'armistice de Znaïm consenti six jours après la bataille de Wagram, et la mort de Schill, nous ramenèrent des jours sereins.
Mais, dans l'intervalle, les Anglais apparurent dans l'Escaut avec une formidable expédition, qui, plus habilement conduite, aurait pu amener des chances heureuses pour nos ennemis et donner le temps à l'Autriche de se rallier.
J'appréciai le danger. Investi dans l'absence de l'empereur d'une grande partie de son pouvoir, par le concours de deux ministères, je donnai l'impulsion au conseil dont j'étais l'âme et j'y fis passer des mesures fortes.
Il n'y avait pas de temps à perdre, il fallait sauver la Belgique. Les troupes disponibles n'auraient pas suffi à préserver cette partie si importante de l'Empire. Je fis décider, sans le concours de l'empereur, qu'à Paris et dans plusieurs départemens du Nord, une levée extraordinaire de gardes nationaux aurait lieu immédiatement.
J'adressai, à cette occasion, à tous les maires de Paris une circulaire qui contenait la phrase suivante: «Prouvons à l'Europe que si le génie de Napoléon peut donner de l'éclat à la France, sa présence n'est pas nécessaire pour repousser les ennemis.»
Qui le croirait? La phrase et la mesure firent ombrage à Napoléon, qui, par une lettre adressée à Cambacérès, ordonna de suspendre la levée dans Paris, où tout se borna pour le moment à la nomination des officiers.
Je ne soupçonnai pas d'abord le vrai motif de cette suspension pour la capitale, d'autant plus que partout ailleurs la levée s'opérant sans obstacle et avec rapidité, nous donna une quarantaine de mille hommes tous équipés et pleins d'ardeur. Rien n'entrava plus les mesures que j'avais fait adopter, et à l'exécution desquelles je présidais avec autant de soins que de zèle. Il y avait long-temps que la France n'avait donné le spectacle d'un pareil élan de patriotisme. Dans son voyage aux eaux de Spa, la mère de l'empereur en fut tellement frappée, qu'à son retour elle m'en félicita elle-même.
Mais il fallait un commandant général à cette force nationale auxiliaire qui allait se réunir sous les murs d'Anvers. Je ne savais trop sur qui faire tomber le choix, quand Bernadotte arriva inopinément de Wagram. Le jour même, à peine eus-je appris son retour, que je le proposai au ministre de la guerre, duc de Feltre, qui se hâta de lui expédier sa commission.
Quelle fut ma surprise, le lendemain, quand Bernadotte m'apprit, dans l'épanchement de l'intimité et de la confiance, qu'ayant tenu la gauche à Wagram, et les Saxons qui en faisaient partie s'étant mis en déroute, l'empereur, sous ce prétexte, lui avait ôté le commandement, et l'avait renvoyé à Paris; que pourtant son aîle s'était à la fin bien comportée; mais qu'on ne l'avait pas moins blâmé au quartier-général d'avoir, dans un ordre du jour, adressé à ses soldats une espèce de proclamation approbative; qu'il imputait cette nouvelle disgrâce à des rapports malveillans faits à l'empereur; qu'on se plaignait beaucoup de Savary, chargé de la police secrète de l'armée; que Lannes ayant eu avec lui les scènes les plus violentes, avait pu seul le réprimer; mais que depuis la mort de ce brave des braves, le crédit de Savary n'avait plus de bornes; qu'il épiait les occasions d'aigrir l'empereur contre certains généraux sur lesquels planaient des préventions; qu'il allait même jusqu'à leur imputer des connexions avec la société secrète des Philadelphes dont on faisait un épouvantait à l'empereur, en supposant, sur les plus vagues indices, qu'elle avait dans l'armée des ramifications dangereuses.
D'après ces motifs, Bernadotte montrait de la répugnance à se charger de la commission d'aller commander la levée des gardes nationaux de l'Empire, appelés pour la défense d'Anvers. Je lui représentai que c'était le moment, au contraire, de se rétablir dans l'esprit de l'empereur; que j'avais déjà contribué plusieurs fois à les rapprocher et à dissiper entre eux plus d'un nuage; que, dans le haut rang qu'il occupait, s'il refusait de remplir la commission que venait de lui conférer le ministre de la guerre, il aurait l'air de prendre l'attitude d'un mécontent et de fuir l'occasion de rendre de nouveaux services à sa patrie; qu'au besoin, il fallait servir l'empereur malgré lui-même, et qu'en faisant ainsi son devoir, c'était pour la patrie qu'on se dévouait. Il me comprit, et, après d'autres épanchemens mutuels, il se mit en route pour Anvers.
On sait avec quel succès le mouvement s'opéra; il fut général dans nos provinces du Nord, et les Anglais n'osèrent tenter le débarquement. Un si heureux résultat et la conduite sage de Bernadotte contraignirent Napoléon de renfermer en lui-même ses soupçons et son mécontentement; mais au fond, il ne pardonna jamais, ni à Bernadotte ni à moi, cet éminent service; et notre liaison lui devint plus que jamais suspecte.
D'autres informations particulières qui me vinrent de l'armée, coïncidèrent parfaitement avec ce que m'avait dit Bernadotte, au sujet des Philadelphes, dont l'organisation secrète remontait au consulat à vie. Les associés ne s'en cachaient pas; leur but était de rendre au peuple français la liberté que Napoléon lui avait ravie par le rétablissement de la noblesse et par son concordat. Ils regrettaient Bonaparte premier consul, et regardaient comme insupportable le despotisme de Napoléon comme empereur. L'existence présumée de cette association avait déjà donné lieu à l'arrestation et à la détention prolongée de Mallet, Guidal, Gindre, Picquerel et Lahorie. Dans ces derniers temps, on soupçonna le brave Oudet, colonel du 9e régiment de ligne, d'avoir été porté à la présidence des Philadelphes. Une lâche délation l'ayant signalé comme tel, voici quelle fut la malheureuse destinée de cet officier. Nommé général de brigade la veille de la journée de Wagram, on l'attira, le soir même qui suivit la bataille, dans un guet-apens, à quelques lieues de là, dans l'obscurité de la nuit, où il tomba sous le feu d'une troupe, qu'on supposa être des gendarmes; le lendemain, il fut trouvé étendu, sans vie, avec vingt-deux officiers de son parti, tués autour de son corps. Cet événement fit grand bruit à Schoenbrunn, à Vienne et dans tous les états-majors de l'armée, sans qu'on eût aucun moyen de percer ou d'éclaircir un si horrible mystère.
Cependant, depuis l'armistice, les difficultés s'aplanissaient lentement; on ne voyait point arriver la conclusion du nouveau traité de paix avec l'Autriche; mais toutes les lettres présentaient la paix comme infaillible. Nous en attendions la nouvelle d'un moment à l'autre, quand j'appris que l'empereur, passant la revue de sa garde à Schoenbrunn, avait failli tomber sous le fer d'un assassin. Rapp n'eut que le temps de le faire saisir, Berthier s'étant mis devant l'empereur. C'était un jeune homme d'Erfurt, à peine âgé de dix-sept ans, et poussé uniquement par un fanatisme patriotique; on trouva sur lui un long couteau bien affilé, avec lequel il allait commettre son crime. Il avoua son dessein et fut passé par les armes.
Le traité de Vienne fut signé peu de jours après (15 octobre). Napoléon, vainqueur et pacificateur, revint presqu'aussitôt dans sa capitale. Ce fut de sa bouche même que nous apprîmes combien il avait eu de difficultés à surmonter dans cette pénible campagne, et combien l'Autriche s'était montrée forte et menaçante.
J'eus avec Napoléon plusieurs conférences à Fontainebleau, avant sa rentrée dans Paris; je le trouvai très-aigri contre le faubourg Saint-Germain qui avait repris ses habitudes satiriques et mordantes. Je n'avais pu me dispenser d'informer l'empereur qu'après la journée d'Essling, comme après Baïonne; les beaux-esprits du faubourg avaient répandu le bruit ridicule qu'il était frappé d'une aliénation mentale. Napoléon en fut singulièrement offensé, et il me parla de sévir contre des êtres qui, disait-il, le déchiraient d'une main et le sollicitaient de l'autre. Je l'en dissuadai. «C'est de tradition, lui dis-je; la Seine coule; le faubourg intrigue, demande, consomme et calomnie; c'est dans l'ordre: chacun a ses attributions. Qui a été plus calomnié que Jules-César? Je réponds d'ailleurs à Votre Majesté que, parmi cette troupe, il ne se trouvera ni des Cassius ni des Brutus. Du reste, les plus mauvais bruits ne sortent-ils pas des antichambres de Votre Majesté; ne sont-ils pas propagés par des personnes qui font partie de sa maison et de son gouvernement? Avant de sévir, il faudrait établir un Conseil des dix, aller aux écoutes, interroger les portes, les murailles, les cheminées. Il est d'un grand homme de mépriser les caquetages insolens, et de les étouffer sous une masse de gloire.» Il se rendit.
Je savais qu'après la journée de Wagram il avait balancé s'il ne démembrerait pas la monarchie autrichienne; qu'il avait plusieurs plans à ce sujet; qu'il s'était même vanté de distribuer bientôt des couronnes à des archiducs qu'il supposait mécontens ou aveuglés par l'ambition; mais qu'arrêté par la crainte d'éveiller les soupçons de la Russie et de soulever les peuples de l'Autriche, dont l'affection pour François II ne pouvait être révoquée en doute, il avait eu le temps d'apprécier une autre difficulté dans l'exécution de son plan. Il exigeait l'occupation militaire de toute l'Allemagne; ce qui ne lui eût pas permis d'éteindre la guerre de la Péninsule, qui réclamait toute son attention.
Le moment me parut favorable pour lui montrer la vérité toute entière; je lui représentai, dans un rapport confidentiel sur notre situation présente, combien il devenait urgent de mettre un terme à un système politique qui tendait à nous aliéner tous les peuples; et d'abord je le suppliai d'accomplir l'œuvre de la paix, soit en faisant sonder l'Angleterre, soit en lui adressant des propositions raisonnables, ajoutant que jamais il n'avait été plus en mesure de se faire écouter; que rien n'égalait le pouvoir de ses armes, et qu'il n'y avait maintenant plus de doute sur la solidité de ses transactions avec les deux plus puissans potentats de l'Europe après lui-même; qu'en se montrant peu exigeant relativement au Portugal et disposé d'un autre côté à évacuer la Prusse, il ne pouvait manquer d'arriver à la paix et au maintien de sa dynastie en Italie, à Madrid, en Westphalie et en Hollande; que là devaient être posées les bornes de son ambition et d'une gloire durable; que c'était déjà une assez brillante destinée d'avoir fait renaître l'Empire de Charlemagne, mais qu'il fallait donner à cet Empire des garanties pour l'avenir; qu'à cet effet il devenait pressant, comme je le lui avais déjà représenté, de dissoudre son mariage avec Joséphine et de former un autre nœud réclamé autant par la raison d'État que par les considérations politiques les plus décisives; car, en se voyant revivre, il assurait en même temps la vie à l'Empire, que lui seul pouvait déterminer s'il était préférable de former une alliance de famille avec l'une des deux grandes cours du nord, soit la Russie, soit l'Autriche, ou de s'isoler dans sa puissance, et d'honorer sa propre patrie en partageant le diadème avec une française toujours assez riche de sa fécondité et de ses vertus. Mais qu'au total le plan inspiré par le besoin de la fixité sociale et de la permanence monarchique, croulerait dans sa base si la paix générale n'en devenait pas le complément nécessaire; que j'insistai fortement sur ce point, le suppliant de me faire connaître ses intentions sur les deux vues principales de mon rapport et de mes conclusions.
Je n'obtins qu'un assentiment tacite, le seul qu'on m'eût accoutumé d'espérer dans les matières graves qui étaient censées hors de mes attributions. Mais je vis que la dissolution du mariage était arrêtée pour une époque prochaine, Cambacérès ayant été autorisé à en conférer avec moi. J'en fis répercuter aussitôt la rumeur dans les salons, et on en chuchottait partout que Joséphine, plongée dans la sécurité, n'en avait aucun éveil, tant on la ménageait et on la plaignait.
Je vis également que l'empereur, soit par orgueil, soit par politique, penchait à serrer son nouveau nœud dans une des vieilles cours de l'Europe, et que la dissolution préalable avait surtout pour objet de les stimuler à faire des ouvertures ou de les préparer à en recevoir.
Cependant l'appareil de la puissance ne fut pas négligé. Napoléon, tenant sous sa dépendance absolue les rois qu'il avait fait, les mande à sa cour, et, le 3 décembre, exige qu'ils assistent dans la métropole au Te Deum chanté pour ses victoires et pour l'anniversaire de son couronnement.
A sa sortie de Notre-Dame, il court faire l'ouverture du Corps législatif; là, dans un discours présomptueux, il s'exprime en ces termes «Lorsque je reparaîtrai au-delà des Pyrénées le léopard épouvanté cherchera l'Océan pour éviter la honte, la défaite ou la mort.»
C'était avec ces grandes images qu'il cherchait à pallier les difficultés de la guerre d'Espagne, s'abusant lui-même peut-être, car il n'avait, sur la nature de cette guerre, que des idées incomplètes.
Le surlendemain, dînant tête-à-tête avec Joséphine, il lui fit part de sa résolution. Joséphine s'évanouit. Il fallut toute la rhétorique de Cambacérès et toute la tendresse de son fils, Eugène, soit pour la calmer, soit pour la disposer à la résignation.
Le 15 décembre, on procéda cérémonieusement à la dissolution du mariage. Tout s'étant terminé dans les formes, un officier de la garde fut chargé d'escorter Joséphine à la Malmaison, tandis que, de son côté, l'empereur se rendait au Grand-Trianon, pour y passer quelques jours en retraite.
Tout était déjà monté dans le mystère de la chancellerie pour ouvrir une négociation parallèle auprès des deux cours de Saint-Pétersbourg et de Vienne; dans la première, on voulait obtenir la grande-duchesse, sœur du czar; et en Autriche, il s'agissait de l'archiduchesse Marie-Louise, fille de l'empereur François. On tâta d'abord la Russie. L'empereur Alexandre se montrait favorable, disait-on, dans le conseil, mais il y avait dissentiment d'opinion dans la famille impériale russe.
Ce qui eut lieu à Vienne presqu'en même temps, mérite de ma part quelques préliminaires auxquels je ne suis pas tout-à-fait étranger.
Un des hommes les plus marquans dans les fastes de la politesse et de la galanterie de la cour de Louis xvi, était sans contredit le comte Louis de Narbonne; on s'était complu à le rendre célèbre en tirant, de ses traits frappans de ressemblance avec Louis xv, une induction qui supposait un auguste mystère à sa naissance. Il avait aussi travaillé lui-même à sa célébrité, par son amabilité parfaite, par sa liaison intime avec la femme la plus extraordinaire du siècle, Mme de Staël, et enfin par la manière facile et chevaleresque avec laquelle il avait exercé, dans le département de la guerre, un ministère constitutionnel au déclin de la monarchie. Forcé d'émigrer, en butte aux traits des républicains exaltés et des royalistes extrêmes, il avait d'abord été délaissé à sa rentrée en France; plus tard je l'accueillis avec tout l'intérêt que m'inspiraient les patriotes de 1789, qui avaient voulu concilier la royauté et la liberté. Aux grâces des manières il joignait les traits saillans de l'esprit, et souvent même la justesse et la profondeur des vues. J'avais fini par le recevoir tous les jours; et tel était le charme de sa conversation, qu'au milieu de mes travaux fatigans, j'y trouvais le délassement le plus doux. Tout ce que me demandait M. de Narbonne dans l'intérêt de ses amis et de ses connaissances, je le lui accordais. Je parlai de lui à l'empereur; j'eus d'abord de la peine à le lui faire goûter; il redoutait ses anciens rapports avec Mme de Staël, en qui Napoléon voyait une ennemie implacable. J'insistai, et l'empereur finit par se le faire présenter. L'engouement s'en suivit, et Napoléon se l'attacha d'abord comme officier d'ordonnance. Le général Narbonne le suivit dans la campagne d'Autriche, où il fut nommé gouverneur de Trieste, avec une mission politique dont j'avais connaissance.
Au retour de l'empereur, et quand l'affaire du mariage fut entamée, je le lui désignai comme le personnage le plus capable de sonder adroitement les intentions de la cour d'Autriche. Il était hors des convenances et des usages que Napoléon fît aucune démarche directe avant de connaître positivement les dispositions de l'empereur Alexandre; or, les instructions envoyées au comte de Narbonne se bornèrent à l'autorisation d'agir en son propre et privé nom, avec tout le ménagement et la dextérité que comportait une affaire si délicate et si majeure. Il se rendit à Vienne au mois de janvier (1810), dans le seul but apparent d'y passer pour rentrer en France par l'Allemagne. Là, dressant bientôt ses batteries, il vit d'abord M. de Metternich, et fut ensuite admis auprès de l'empereur François. La question du mariage occupait alors toute l'Europe, et ce fut naturellement un des sujets de son entretien avec l'empereur d'Autriche. M. de Narbonne ne manqua pas de jeter en avant que les plus grands souverains de l'Europe briguaient l'alliance de Napoléon. L'empereur d'Autriche témoigna aussitôt sa surprise de ce que la cour des Tuileries ne songeât point à sa maison, et il en dit assez pour que M. de Narbonne sût à quoi s'en tenir. Il m'écrivit le même jour, et en me faisant part des insinuations de la cour de Vienne, il crut pouvoir en conclure qu'une alliance avec une archiduchesse entrerait dans les vues de l'Autriche. A l'arrivée du courrier, je courus communiquer sa dépêche à l'empereur. Jamais je ne le vis si radieux, ni si satisfait. Il fit sonder le prince de Schwartzemberg, ambassadeur d'Autriche à Paris, ordonnant que cette négociation particulière fût conduite avec une telle circonspection que l'ambassadeur se trouvât engagé sans qu'il le fût lui-même. Il s'agissait de ne pas choquer l'empereur Alexandre en lui faisant soupçonner qu'on avait ouvert une double négociation, et de faire supposer à l'Europe qu'on avait eu le choix entre une grande-duchesse et une archiduchesse, car, pour la princesse de Saxe, il n'en avait été question que pour la forme.
Le 1er février, Napoléon convoqua aux Tuileries un grand conseil privé composé des grands dignitaires, grands officiers, tous les ministres, le président du Sénat, celui du Corps législatif et les ministres d'état, présidens des sections du Conseil d'état. Nous étions en tout vingt-cinq personnes. Le conseil assemblé et la délibération ouverte, le ministre Champagny communiqua d'abord les dépêches de Caulaincourt, ambassadeur en Russie, et il les présenta comme si le mariage avec une princesse russe n'eût tenu qu'à l'accord de l'exercice public de son culte, et à l'érection, à son usage, d'une chapelle du rit grec. Il fit connaître ensuite les insinuations et les désirs de la cour de Vienne: ainsi on paraissait n'être que dans l'embarras du choix. Il y eut partage d'opinions. Comme j'étais dans le secret, je m'abstins d'émettre la mienne; je m'esquivai même à dessein avant la fin de la délibération. Au lever de la séance, le prince Eugène fut chargé par l'empereur de faire au prince de Schwartzemberg l'ouverture diplomatique. L'ambassadeur avait reçu ses instructions, et tout fut consenti sans difficulté. Ainsi le mariage de Napoléon avec Marie-Louise fut proposé, discuté, décidé dans le conseil et stipulé dans les vingt-quatre heures.
Le lendemain de la tenue du conseil, un sénateur de mes amis, toujours très au fait des nouvelles[30], vint m'informer que l'empereur s'était décidé pour une archiduchesse; je jouai la surprise et en même temps le regret de ce qu'on n'avait pas choisi une princesse russe. «En ce cas, m'écriai-je, je n'ai plus qu'à faire mon paquet!» saisissant ainsi un prétexte pour donner à mes amis l'éveil sur ma prochaine disgrâce.
Doué de ce qu'on appelle tact, j'avais un secret pressentiment que mon pouvoir ministériel survivrait peu au nouvel ordre de choses qui allait altérer, sans aucun doute, les habitudes et le caractère de Napoléon. Je ne doutais nullement que, devenu l'allié de la maison de Lorraine, se croyant sûr désormais du cabinet d'Autriche, et, par conséquent, d'être en mesure d'assujettir la vieille Europe à sa volonté, il ne se crût en état de se débarrasser de son ministre de la police, ainsi qu'il avait déjà cru pouvoir s'en passer après la paix d'Amiens. Je savais d'ailleurs, d'une manière certaine, qu'il ne me pardonnerait jamais d'avoir levé, tout seul, une armée, fait rembarquer les Anglais et sauvé la Belgique; je savais enfin que, depuis cette époque, ma liaison avec Bernadotte lui était devenue suspecte. Plus il concentrait en lui-même ses dispositions peu favorables à mon égard, plus je les devinais.
Elles se décelèrent, quand je lui proposai de mettre en liberté, à la prochaine occasion de la solennité de son mariage, une partie des prisonniers d'état et de lever un grand nombre de surveillances. Au lieu d'adhérer à ma proposition, il s'éleva avec une feinte humanité contre le déplorable arbitraire qu'exerçait la police, me disant qu'il avait songé à y mettre un terme. Deux jours après, il m'envoya un projet de rapport, fait en mon nom, et de décret impérial, qui, au lieu d'une prison d'état, en établissait six[31], statuant en outre que désormais nul ne pourrait être détenu qu'en vertu d'une décision du conseil privé. C'était une amère dérision, le conseil privé n'étant pas autre chose que la volonté de l'empereur. Le tout était si artificieusement présenté, qu'il me fallut consentir à produire le projet au Conseil d'état où il fut délibéré et adopté le 3 mars. Voilà comment Napoléon éluda de mettre un ternie aux arrestations illégales, et comment il voulut faire rejaillir sur la police tout l'odieux des détentions arbitraires. Il m'astreignit aussi à lui présenter le tableau des individus mis en surveillance.
La surveillance était une mesure de police très-supportable, que j'avais imaginée précisément pour soustraire aux rigueurs de la détention arbitraire, les nombreuses victimes que signalaient et poursuivaient chaque jour les délateurs à gages, que j'avais bien de la peine à contenir dans de certaines bornes. Cette odieuse milice occulte était inhérente au système monté et maintenu par l'homme le plus ombrageux et le plus défiant qui peut-être ait jamais existé. C'était une des plaies de l'État.
J'avais parfois la faiblesse de croire qu'une fois affermi et tranquille, Napoléon adopterait un système de gouvernement plus paternel et en même temps plus conforme à nos mœurs. Sous ce point de vue, le mariage avec une archiduchesse donnait des espérances; mais je sentais de plus en plus qu'il lui fallait la sanction de la paix générale. Ne pouvais-je pas moi-même contribuer à la paix, comme j'avais coopéré, par mon impulsion, à la dissolution d'un nœud stérile et à l'alliance avec l'Autriche? Si je parvenais à ce but, je pouvais, par l'importance d'un pareil service, triompher des préventions de l'empereur et reconquérir toute sa confiance; mais il fallait d'abord pressentir l'Angleterre. J'hésitais d'autant moins que le changement survenu dans la composition du ministère anglais me donnait de justes motifs d'espoir.
Le mauvais succès de la plupart de ses opérations dans cette dernière campagne, avait excité le mécontentement de la nation anglaise et amené de graves dissensions parmi les ministres. Deux d'entre eux, lord Castlereagh et M. Canning, en étaient même venus à un combat singulier, après avoir donné leur démission. Le cabinet s'était hâté de rappeler de son ambassade d'Espagne le marquis de Wellesley, pour succéder à M. Canning dans la place de secrétaire d'état des affaires étrangères, et de mettre à la tête du secrétariat de la guerre le comte de Liverpool, ci-devant lord Hawkesbury. Je savais que ces deux nouveaux ministres avaient des vues hautes, mais conciliantes. D'ailleurs la cause de l'indépendance espagnole étant alors presque désespérée, par suite de la victoire d'Ocana et de l'occupation de l'Andalousie, je m'imaginais que je retrouverais le marquis de Wellesley plus accessible à des ouvertures raisonnables: or, je me déterminai à sonder le terrain, et cela en vertu des pouvoirs dont j'avais usé fréquemment, d'envoyer des agens au dehors.
J'y employai M. Ouvrard, par deux raisons: d'abord, parce qu'une ouverture politique, à Londres, ne pouvait guère être entamée que sous le masque d'opérations commerciales, et ensuite parce qu'il était impossible de confier une mission aussi délicate à un homme plus rompu aux affaires, d'un caractère plus insinuant et plus entraînant. Mais comme M. Ouvrard n'aurait pu se mettre sans inconvénient en rapport direct avec le marquis de Wellesley, je lui adjoignis M. Fagan, ancien officier irlandais, qui, chargé des premières démarches, devait lui ouvrir, pour ainsi dire, les voies de la chancellerie britannique.
Je résolus de ne faire partir M. Ouvrard qu'après les fêtes du mariage. L'entrée de la jeune archiduchesse dans Paris eut lieu le 1er avril: rien de plus magnifique et de plus touchant. Quelle belle journée! quelle hilarité dans une si prodigieuse affluence! La cour repartit aussitôt pour Saint-Cloud, où se fit l'acte civil, et le lendemain la bénédiction nuptiale fut donnée à Napoléon et à Marie-Louise, par le cardinal Fesch, dans une des salles du Louvre garnies de femmes resplendissantes de parures et de pierreries. Les fêtes furent splendides. Mais celle que donna le prince de Schwartzemberg, au nom de son maître, offrit un présage sinistre. Le feu prit à la salle de bal construite dans le jardin de son hôtel, et en un instant la salle fut embrasée; plusieurs personnes périrent, entr'autres la princesse de Schwartzemberg, femme du frère de l'ambassadeur. On ne manqua pas de comparer l'issue malheureuse de cette fête donnée pour célébrer l'alliance des deux nations, à la catastrophe qui avait marqué les fêtes du mariage de Louis xvi et de Marie-Antoinette: on en tira les plus fâcheux présages; Napoléon lui-même en fut frappé. Comme j'avais donné à la préfecture tous les ordres convenables, et qu'elle était spécialement chargée de cette partie de la surveillance publique, ce fut sur elle, ou du moins sur le préfet de police, que vint éclater la colère de l'empereur. Il destitua Dubois, et malheureusement il fallut un désastre public pour être débarrassé de cet homme qui avait tant de fois dénaturé le but moral de la police.
A la cour et à la ville, le mot d'ordre fut désormais de complaire à la jeune impératrice qui, sans aucun partage, captivait Napoléon: c'était même de sa part une sorte d'enfantillage. Je savais qu'on épiait l'occasion de prendre la police en défaut au sujet de la vente de certains ouvrages sur la révolution, qui auraient pu choquer l'impératrice. Je donnai des ordres pour en faire la saisie[32]; mais telle était la cupidité des agens de la préfecture que ces mêmes ouvrages étaient vendus clandestinement par ceux mêmes qu'on chargeait de les mettre au pilon.
Vers la fin d'avril, l'empereur partit avec l'impératrice, pour visiter Middlebourg et Flessingues; il se rendit aussi à Breda. Ce voyage me fut fatal. L'empereur, frappé de mes réflexions sur le besoin de la paix générale, avait essayé, sans me mettre dans le secret, d'ouvrir des négociations secrètes avec le nouveau ministère anglais, par l'entremise d'une maison de commerce d'Amsterdam. Il en résulta une double négociation et de doubles propositions, ce qui choqua singulièrement le marquis de Wellesley. Les agens de l'empereur et les miens, devenus également suspects, furent également éconduits.
L'empereur, surpris d'une conclusion si brusque et si inattendue, employa, pour en découvrir la cause, sa contre-police et ses limiers des affaires étrangères. D'abord il n'eut que des informations vagues; mais il put juger bientôt que sa négociation avait été traversée par d'autres agens dont il ignorait la mission. Ses soupçons se portèrent d'abord sur M. de Talleyrand; mais, à son retour, ayant reçu de nouvelles pièces et s'étant fait faire un rapport circonstancié, il reconnut que M. Ouvrard avait dirigé des ouvertures faites à son insçu au marquis de Wellesley; et comme on savait M. Ouvrard en rapport avec moi, on en inféra que je lui avais donné des instructions. Le 2 juin, étant à Saint-Cloud, l'empereur me demanda, en plein conseil, ce que M. Ouvrard était allé faire en Angleterre. «Connaître de ma part, lui dis-je, les dispositions du nouveau ministère, relativement à la paix, d'après les vues que j'ai eu l'honneur de soumettre à Votre Majesté, avant son mariage.—Ainsi, reprend l'empereur, vous faites la guerre et la paix sans ma participation.» Il sortit et donna l'ordre à Savary d'aller arrêter M. Ouvrard et de le conduire à Vincennes. En même temps, je reçus la défense de communiquer avec le prisonnier. Le lendemain, le porte-feuille de la police fut donné à Savary. Pour cette fois, c'était une véritable disgrâce.
J'eusse fait, sans doute, une prédiction trop pressante, en rappelant les paroles du prophète: «Dans quarante jours, Ninive sera détruite»; mais j'aurais pu prédire, sans me tromper, que dans moins de quatre ans l'Empire de Napoléon n'existerait plus.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
NOTES:
[1] Ce nom tout français, déjà si célèbre par son illustration historique, est devenu plus honorable encore, s'il est possible, depuis que le duc Mathieu de Montmorency, à la conduite duquel Fouché fait ici allusion, s'est honoré par l'aveu public de sa faute. Dailleurs, la franchise et la noblesse de sa conduite comme ministre et homme d'état, lui ont acquis l'estime universelle. M. Fouché ne peut rien sur la réputation d'un si haut personnage. Grand protecteur de l'ancienne noblesse sous le régime impérial, Fouché récrimine ici pour reprocher à cette même noblesse sa participation à la révolution; c'est parmi les révolutionnaires une récrimination obligée. Ce qu'il dit peut être vrai à certains égards; mais la petite minorité d'un ordre n'est pas l'ordre tout entier; il y aura toujours d'ailleurs une distance immense entre les prestiges, les imprudences et les fautes de 1789, et les crimes affreux de 1793. La manière de raisonner artificieuse dont se sert Fouché pour s'en laver ne nous paraît pas historiquement concluante. (Note de l'éditeur.)
[2] Depuis la mort de Danton, de Camille-Desmoulins et autres
députés enlevés pendant la nuit de leur domicile sur un simple ordre des
Comités, traduits au tribunal révolutionnaire, jugés et condamnés sans
pouvoir présenter leurs moyens de défense, Legendre, ami de Danton,
Courtois, Tallien, et plus de trente autres députés, ne couchaient plus
chez eux; ils erraient la nuit d'un endroit à un autre, craignant
d'éprouver le même sort que Danton. Fouché fut plus de deux mois sans
avoir de domicile fixe. C'est ainsi que Robespierre faisait trembler
ceux qui semblaient vouloir s'opposer à ses vues de dictature.
(Note de l'éditeur.)
[3] Même dans les aveux de Fouché il y a toujours un certain artifice. Sachons-lui gré d'avoir été vrai autant qu'il lui était possible de l'être; c'est déjà quelque chose que d'avoir obtenu de lui l'aveu qu'il a commencé sa fortune dans le tripotage des fournitures. On verra d'ailleurs, dans le cours de ses Mémoires, à quelles sources il a puisé plus tard ses immenses richesses. (Note de l'éditeur.)
[4] Aveux précieux, et qui expliquent le mobile de toute révolution passée, présente et future. (Note de l'éditeur.)
[5] Aucune des premières têtes de la révolution n'en avait encore dit autant, que je sache. Fouché est vraiment naïf dans ses aveux. (Note de l'éditeur.)
[6] Fouché ne nous met pas assez au fait de ce plan de tout révolutionner au dehors, plan alors écarté par la majorité du Directoire, et dont le général Augereau fut une des premières victimes. Commandant en chef de l'armée d'Allemagne, après le 16 fructidor, il allait révolutionner la Souabe quand il fut rappelé et disgracié. Bonaparte y eut part; il était furieux qu'on voulût déjà démolir son ouvrage: la paix de Campo-Formio. On va voir, après son départ pour l'Égypte, Brune et Joubert partager la disgrâce d'Augereau, pour le même motif. Il paraît que ce plan, renouvelé de la propagande de 1792, n'avait pour adhérent au Directoire que Barras: c'était un faible appui. Rewbel et Merlin ne voulaient pas aller si vîte en besogne; effrayés déjà de leurs violences en Égypte et en Suisse, ils persistaient à se bercer dans une situation qui n'était ni la paix, ni la guerre. Il faut avouer que la tentative hardie de tout révolutionner, qu'ils n'osèrent essayer qu'à demi, eût donné aux révolutionnaires de France une immense initiative sur les opérations de la campagne de 1799 qui tournèrent contre eux au dehors et au dedans. La révolution s'arrêta; elle se fit homme. (Note de l'éditeur.)
[7] Très-bien, Monsieur Fouché. L'histoire va prendre acte de la déclaration de votre système de 1798. Puisque vous êtes si véridique, vous allez nous donner de nouvelles preuves sans doute que ce système, qui n'a été que modifié par la force des circonstances, s'est perpétué jusqu'en 1815, époque de votre dernier avénement au pouvoir. (Note de l'éditeur.)
[8] Ici la désignation personnelle est inutile. Le lecteur peu au fait n'a qu'à recourir aux almanachs. Nous devons respecter la discrétion de M. le duc d'Otrante à l'égard d'un de ses anciens collègues. (Note de l'éditeur.)
[9] Petite vanité de Fouché qui prépare tout comme dans un
mélodrame, pour entrer lui-même en scène comme seul capable de tenir le
timon de la police, d'exploiter ses ténébreuses intrigues et ses
fertiles émolumens.
(Note de l'éditeur.)
[10] Tout ceci est fort clair, et nous ne connaissons aucun
écrit aussi lumineux sur les intrigues de cette époque.
(Note de l'éditeur.)
[11] Et quelles étaient donc les vues de Fouché en manœuvrant ainsi contre ces foyers du gouvernement populaire, ou plutôt contre la souveraineté du peuple, dogme favori de Fouché? Il nous l'a dit lui-même; il aspirait à devenir l'une des premières têtes de l'aristocratie révolutionnaire. (Note de l'éditeur.)
[12] Ici ce n'était plus le Fouché de l'aristocratie révolutionnaires, mais le Fouché de la Convention; sa police d'ailleurs était comme Janus, elle avait deux visages. (Note de l'éditeur.)
[13] Ici c'est Fouché précurseur et promoteur du régime impérial. (Note de l'éditeur.)
[14] Toujours même marche quand on aspire à gouverner sans contradicteurs et sans contradictions; Fouché ne suit ici que les errements de la Convention, du Comité de salut public et du Directoire au 18 fructidor; il fera de même sous Bonaparte, et il nous prouvera qu'il a raison. (Note de l'éditeur.)
[15] Quelle candeur! quel désintéressement dans Fouché! (Note de l'éditeur.)
[16] Fouché nous prépare adroitement au 18 brumaire. (Note de l'éditeur.)
[17] Voici réellement l'homme habile, et on sait ce que vent dire l'adjectif habile en révolution. (Note de l'éditeur.)
[18] L'histoire d'Irma parut sous la forme de l'allégorie. Les scènes se passaient en Asie, et tous les noms étaient changés; mais il était facile d'en retrouver la clef par leur anagramme. Cette manière adroite de publier l'histoire des malheurs de la maison de Bourbon, piqua singulièrement la curiosité et intéressa le public. On dévora cet ouvrage; en suivant les événemens et arrivant aux catastrophes, chacun devina les noms. Sous une fausse apparence de liberté, le premier consul laissa publier sur la révolution tout ce qui tendait à la décrier; alors parurent successivement les Mémoires du marquis de Bouillé, de Bertrand de Moleville, de la princesse de Lamballe; les Mémoires de Mesdames de France, l'Histoire de Madame Elisabeth, le Cimetière de la Madelaine. Mais cette tolérance cessa dès que le premier consul se crut affermi; c'est ce qu'on verra dans la suite de ces Mémoires. (Note de l'éditeur.)
[19] La machine infernale ne remplit pas son but, qui était d'atteindre le premier consul; mais elle n'en causa pas moins la mort d'une vingtaine de personnes et en blessa cinquante-six plus ou moins grièvement. On vint au secours de tous les malheureux blessés suivant que les blessures étaient plus ou moins graves. Le maximum des secours fut de 4500 francs, et le minimum de 25 fr. Les orphelins et les veuves furent pensionnés, ainsi que les enfans de ceux qui avaient péri; mais seulement jusqu'à leur majorité; ils devaient toucher à cette époque 2000 francs pour leur établissement.
Voici les noms des personnes qui reçurent des secours par ordre du premier consul, avec le montant des sommes qui leur furent allouées:
| fr. | |
| Bataillé (Mme), épicière, rue St-Nicaise | 100. |
| Boiteux (Jean-Marie-Joseph), ci-devant frère de la Charité | 50. |
| Bonnet (Mme), rue Saint-Nicaise | 150. |
| Boulard (veuve), musicienne, rue J.-J.-Rousseau | 4000. |
| Un second suplément lui fut accordé à cause de ses blessures, il fut de | 3000. |
| Bourdin (Françoise Louvrier, femme) portière, rue Saint-Nicaise | 50. |
| Buchener (Louis), tailleur, rue St-Nicaise | 25. |
| Chapuy (Gilbert), officier-civil de la Marine, rue du Bac | 800. |
| Charles (Jean-Etienne), imprimeur, rue Saint-Nicaise | 400. |
| Clément, garçon maréchal, rue du Petit-Carrousel | 50. |
| Cléreaux (Marie-Joséphine Lehodey), épicière, rue Neuve-de-l'Egalité | 3800. |
| Colinet (Marie-Jeanne-Cécile), revendeuse à la halle | 200. |
| Corbet (Nicolas-Alexandre), employé par l'état-major de la 17edivision, rue St.-Honoré | 240. |
| Couteux, vermicellier, rue des Prouvaires | 150. |
| Duverne (Louis), ouvrier serrurier, rue du Harlay | 1000. |
| Fleury, (Catherine Lenoir, veuve), rue de Malte | 50. |
| Fostier (Louis-Philippe), remplaçant au poste de la rue Saint-Nicaise | 25. |
| Fridzery (Alexandre-Marie-Antoine), musicien aveugle, rue St-Nicaise | 750. |
| Gauthier (Marie Poncette, fille), rue de Chaillot | 100. |
| Harel (Antoine), garçon limonadier, rue de Malte | 3000. |
| Hiblot, (Marie-Anne, fille), rue de Malte | 240. |
| Honoré (Marie-Thérèse Larne, veuve), rue Marceau | 100. |
| Honoré (Thérèse, fille), ouvrière | 50. |
| Huguet (Louis), cuisinier aux Champs-Élysées | 50. |
| Jardy (Julien), remplaçant au poste Saint-Nicaise | 100. |
| Kalbert (Jean-Antoine), apprenti menuisier | 100. |
| Lambert (Marie-Jacqueline Gillot, femme), rue Fromenteau | 100. |
| Leclerc, élève en peinture, mort à l'hospice | 200. |
| Lefèvre (Simon-François), garçon tapissier, rue de la Verrerie | 200. |
| Léger (madame), limonadière, rue St.-Nicaise | 1500. |
| Lepape (Elisabeth Satabin, femme), portière, rue Saint-Nicaise | 300. |
| Lemière (Nicolas), rue de Malte, tenant maison garnie | 400. |
| Lion (Pierre-Nicolas), domestique, allée d'Antin | 600. |
| Masse (Jean-François), garçon marchand de vin, rue des Saints-Pères | 150. |
| Mercier (Jean-Baptiste), rentier, rue Saint-Honoré | 4000. |
| Orilliard, (Stéphanie-Madeleine, fille) couturière, rue de Lille | 900. |
| Palluel, portier, rue Saint-Nicaise | 50. |
| Preville (Claude-Barthelemi), tapissier, rue des Saints-Pères | 4500. |
| Proverbi (Antoine), homme de confiance, rue des Filles-Saint-Thomas | 750. |
| Regnault (femme), ouvrière, rue de Grenelle-Saint-Honoré | 200. |
| Saint-Gilles (Louis, femme), ouvrière en linge, galerie des Innocens | 400. |
| Selleque (veuve), rue Saint-Denis | 200. |
| Thirion (Jean), cordonnier en vieux, rue Saint-Nicaise | 25. |
| Trepsat, architecte, rue de Bourgogne | 4500. |
| Varlet, rue Saint-Louis, remplaçant au poste Saint-Nicaise | 25. |
| Warmé, marchand de vin, rue Saint-Nicaise | 100. |
| Vitriée (Elisabeth, femme), cuisinière, rue Saint-Nicaise | 100. |
| Vitry, perruquier, rue Saint-Nicaise | 50. |
| Wolff (Arnoult), tailleur, rue de Malte | 150. |
| Zambrini (Félix), garçon glacier chez Corazza | 600. |
| Banny (Jean-Frédéric), garçon traiteur, rue des Grands-Augustins | 1000. |
| Barbier (Marie-Geneviève Viel, veuve), rue Saint-Honoré | 1000. |
| Beirlé (Alexandre), marchand gantier-peaussier, rue Saint-Nicaise | 800. |
| Boyeldieu (Marie-Louise Chevalier, veuve), rue Sainte-Placide | 1000. |
| Orphelins: Lister (Agnès, Adélaïde) | 1200. |
| Mitaine (Jeanne Prévost, veuve), rue de Malte | 450. |
| Platel (Jeanne Smith, veuve) | 1000. |
La recette générale fut de 77,601 fr.; le surplus fut placé au Mont-de-Piété pour payer les pensions. (Note de l'éditeur.)
[20] Auteur de l'Ambigu et d'une foule de pamphlets très-spirituels contre Bonaparte et sa famille. (Note de l'éditeur.)
[21] Sans chercher à innocenter M. le duc de Rovigo qui s'est si mal justifié lui-même de sa participation au meurtre du duc d'Enghien, nous ferons observer que Fouché est ici un peu suspect de partialité; il n'aimait pas M. de Rovigo qui fut chargé plus tard de le remplacer au ministère de la police. (Note de l'éditeur.)
[22] Le tribun Curée.
[23] Le prince de L..., le prince de C...., et le prince de M...
[24] Dans son livre du Prince, chap. XVIII. (Note de l'éditeur.)
[25] Aujourd'hui Mme la comtesse du Cayla. (N. de l'éd.)
[26] Sans doute M. Fiévée. (Note de l'éditeur.)
[27] Fouché veut sans doute parler de la brochure de M. de Vauban, qui fut publiée alors par la police pour balancer l'effet produit par l'histoire de la guerre de la Vendée. (Note de l'éditeur.)
[28] Apparemment les familles Donnissan et Larochejaquelein, unies par le mariage du marquis de Larochejaquelein, mort en 1815, avec la veuve du marquis de Lescure, fille de la marquise de Donnissan; ils habitaient alors le château de Citran, dans le Médoc. (Note de l'éditeur.)
[29] Depuis 1805, au camp de Boulogne, selon le Mémorial de Sainte-Hélène. (Note de l'éditeur.)
[30] Un recueil d'anecdotes, où cette circonstance est rapportée, désigne M. de Sémonville; mais Fouché se tait sur le nom. (Note de l'éditeur.)
[31] Vincennes, Saumur, Ham, Landskaone, Pierre-Châtel et Fénestrelles. (Note de l'éditeur.)
[32] La police, en vertu d'un ordre du duc d'Otrante, fit les
perquisitions les plus sévères, défendit et saisit tous les ouvrages sur
la révolution qui étaient rédigés dans un esprit royaliste. L'éditeur
d'Irma ayant publié une grande partie de ces ouvrages qui rappelaient
aux Français la famille royale des Bourbons, fut principalement l'objet
des recherches inquisitoriales de la police. Aussi cette dernière
perquisition dans ses magasins dura-t-elle deux jours; presque touts ses
livres furent confisqués; il fut arrêté lui-même et conduit à la
préfecture. Un seul ouvrage fut cause, en partie, de cette excessive
rigueur, et il avait paru depuis long-temps: c'était l'histoire des
procès iniques faits à Louis xvi, à la Reine, à Madame Elisabeth et au
duc d'Orléans. L'ouvrage contenait des pièces de la plus haute
importance, telles que des interrogatoires secrets, des déclarations
secrètes, des arrêtés et autres pièces inconnues tirées des cartons du
tribunal révolutionnaire, et qui n'avaient jamais vu le jour. A lui seul
il avait valu à l'éditeur plus de trente visites domiciliaires, sans
qu'on pût jamais saisir l'édition entière, mais seulement quelques
exemplaires isolés. Malgré tant d'inquisitions et de perquisitions,
l'ouvrage se vendait toujours; on se cachait pour le lire.
(Note de l'éditeur.)