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Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à l'histoire de l'empereur Napoléon, Tome 5

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AFFAIRES DU CONCILE

DEMANDES ADRESSÉES À LA PREMIÈRE COMMISSION, AVEC SES RÉPONSES.

PREMIÈRE SÉRIE.

QUESTIONS QUI INTÉRESSENT TOUTE LA CHRÉTIENTÉ.

Le gouvernement de l'église est-il arbitraire? Le Pape peut-il, par des motifs d'affaires temporelles, refuser son intervention dans des affaires spirituelles?

Il est hors de doute que, depuis un certain temps, la cour de Rome est resserrée dans un petit nombre de familles; que les affaires de l'église y sont examinées et traitées par un petit nombre de prélats et de théologiens pris dans de petites localités des environs, et qui ne sont pas à portée de bien voir les grands intérêts de l'église universelle, ni d'en bien juger.

Dans cet état de choses, convient-il de réunir un concile?

Ne faudrait-il pas que le consistoire, ou le conseil particulier du
Pape, fût composé de prélats de toutes les nations, pour éclairer Sa
Sainteté?

En supposant qu'il soit reconnu qu'il n'y a pas de nécessité de faire des changemens dans l'organisation actuelle, l'empereur ne réunit-il pas sur sa tête les droits qui étaient sur celles des rois de France, des ducs de Brabant et autres souverains des Pays-Bas, des rois de Sardaigne, des ducs de Toscane, etc., soit pour la nomination des cardinaux, soit pour toute autre prérogative?

DEUXIÈME SÉRIE.

QUESTIONS PARTICULIÈRES À LA FRANCE.

Sa Majesté l'empereur ou ses ministres ont-ils porté atteinte au concordat?

L'état du clergé de France est-il en général amélioré ou empiré, depuis que le concordat est en vigueur?

Si le gouvernement français n'a pas violé le concordat, le Pape peut-il arbitrairement refuser l'institution aux archevêques et évêques nommés, et perdre la religion en France, comme il l'a perdue en Allemagne, qui, depuis dix ans, est sans évêques?

Le gouvernement français n'ayant pas violé le concordat, si, de son côté, le Pape refuse de l'exécuter, l'intention de Sa Majesté est de regarder ce concordat comme abrogé: mais, dans ce cas, que convient-il de faire pour le bien de la religion? Sa Majesté adresse cette demande à des prélats distingués par leur savoir dans les matières ecclésiastiques, comme par leur attachement à sa personne.

TROISIÈME SÉRIE.

QUESTIONS SUR LA POSITION ACTUELLE.

La bulle d'excommunication ci-jointe a été affichée; elle a été imprimée et répandue clandestinement dans toute l'Europe. Quel parti prendre pour que, dans des temps de trouble et de calamité, les Papes ne se portent pas à des excès de pouvoir aussi contraires à la charité chrétienne qu'à l'indépendance et à l'honneur du trône?

RÉPONSES DU CONSEIL ECCLÉSIASTIQUE. AUX QUESTIONS PROPOSÉES PAR SA MAJESTÉ.

PREMIÈRE SÉRIE.

QUESTIONS QUI INTÉRESSENT TOUTE LA CHRÉTIENTÉ.

PREMIÈRE QUESTION.

«Le gouvernement de l'église est-il arbitraire?»

RÉPONSE.

Pour répondre à cette question, nous croyons devoir présenter ici le tableau du gouvernement de l'église. L'Écriture sainte, la tradition et l'histoire de l'église seront les sources dans lesquelles nous puiserons tout ce que nous avons à dire sur cet objet important, et il en résultera clairement que ce gouvernement exclut toute idée d'arbitraire.

J. C., voulant former son église, choisit parmi ses disciples douze apôtres, et, parmi ceux-ci, il en choisit un à qui il donna le nom de Pierre, comme pour préparer, dit Bossuet, l'ouvrage qu'il méditait d'élever sur cette pierre, et lui donna, non seulement une primauté d'honneur, mais encore une primauté d'autorité et de juridiction dans toute l'église. Cette prérogative accordée au chef des apôtres n'expira point avec lui; elle doit durer autant que l'église elle-même, elle passera pure et intacte à tous ses successeurs dans le siége où il s'est fixé.

Cependant les apôtres ne demeurèrent point étrangers aux pouvoirs que J. C. conféra à leur chef; il leur donna aussi immédiatement l'autorité de gouverner son église, mais avec subordination à la chaire de Pierre, qui toujours doit en être le centre commun. De là ces expressions si familières dans les SS. PP. parlant de la chaire romaine qu'ils appellent la source de l'unité, l'église-mère qui tient en sa main la conduite de toutes les autres églises, le chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement.

Mais, quelque éminent que soit au-dessus des autres le premier siége de la catholicité, son autorité n'est point arbitraire; elle est réglée, dans son exercice, par les canons, c'est-à-dire par les lois communes de toute l'église.

«Vous avez la plénitude de la puissance, écrivait saint Bernard au pape Eugène III; mais vous ne devez en user que selon les lois communes, que le saint siége a faites siennes en les confirmant. Tel a été le sentiment de tous les Papes, dès l'origine du christianisme.»

«Qui doit observer plus exactement les décrets d'un concile universel que l'évêque du premier siége?» écrivait le pape Gelaze aux évêques de Dardanie. «Nous sommes, disait le Pape saint Martin à Jean, évêque de Philadelphie, les défenseurs et les dépositaires et non les transgresseurs des saints canons.» «C'est en les observant et les faisant observer aux autres, ajoute Bossuet, que l'église de Rome s'élève éminemment sur toutes les églises.»

Il convenait sans doute à la sagesse du divin législateur, en fondant la société spirituelle de l'église, d'investir ceux qui la gouvernent de tout ce qui est nécessaire pour la maintenir et la perpétuer. Le pouvoir que J. C. a donné à saint Pierre principalement, et aux apôtres, a passé à leurs successeurs, et par une tradition continue, il durera jusqu'à la fin des siècles. C'est à eux qu'il appartient de statuer sur la doctrine, et de régler ce qui concerne le régime intérieur de l'église: mais en cela leur autorité est circonscrite dans des bornes qu'elle ne doit point franchir. En matière de foi, l'Écriture sainte, la tradition et les conciles sont la règle dont ils ne peuvent s'écarter; dans ce qui a rapport au régime intérieur, la discipline générale, approuvée et reçue dans l'église, fait loi pour eux tant qu'elle n'est point abrogée.

Les décisions de l'église les plus solennelles se font dans les conciles oecuméniques, où sont convoqués tous les évêques de la catholicité, représentant l'église universelle; ils en ont l'infaillibilité, et, d'après les principes catholiques, leurs décrets sur la foi et les moeurs sont reçus comme dictés par le Saint-Esprit. J.C. lui-même a promis que l'erreur ne prévaudrait jamais contre son église. Quant aux décisions des autres conciles, en matière de doctrine et de discipline générale, elles ne font pas loi dans l'église universelle, à moins qu'elle ne les ait adoptées.

Toutefois il est reçu que les usages dont sont en possession les églises particulières, et qui prennent leur source dans l'ancienne discipline, font loi pour ces églises: ils forment, en quelque sorte, leur droit commun, et ils doivent être respectés sous le régime de l'église qui ne respire que charité et condescendance: Saint-Grégoire, parlant de l'église d'Afrique, dit que les usages qui ne nuisent point à la foi catholique doivent demeurer intacts. C'est là cette vraie liberté dont parle le concile d'Éphèse, et qu'il défend expressément de troubler. «Nous faisons consister notre liberté, dit Bossuet, parlant de l'église gallicane, à marcher, autant qu'il se peut, dans le droit commun, qui est le principe, ou plutôt le fondement de tout le bon ordre de l'église, sous la puissance canonique des ordinaires, selon les conciles généraux et les institutions des SS. PP.»

Telle est la nature et la forme du gouvernement de l'église. J. C. lui-même en a posé les bases: il le destinait à être perpétué jusqu'à la fin du monde, à traverser les siècles, au milieu des orages comme dans le calme, et dès-lors il entrait dans son plan de lui donner une forme fixe et immuable, indépendante des temps et des circonstances, et par là d'écarter tout arbitraire, car ce qui est versatile au gré des passions et des intérêts ne peut être de durée. Aussi voyons-nous l'église, pendant les persécutions des trois premiers siècles, parfaitement établie, parfaitement gouvernée. Rien ne prouve mieux combien tout est prévu, tout est bien coordonné. Depuis ce temps-là, Dieu a disposé en sa faveur le coeur des empereurs et des rois: leur protection lui est utile, elle lui est précieuse pour donner une force plus pressante à ses canons, un soutien plus sensible à sa discipline; son gouvernement s'exerce avec plus de tranquillité, mais il n'en reste pas moins toujours le même, c'est-à-dire toujours éloigné des voies arbitraires, comme il est toujours au-dessus des vicissitudes humaines.

SECONDE QUESTION.

«Le Pape peut-il, par des motifs d'affaires temporelles, refuser son intervention dans les affaires spirituelles?»

RÉPONSE.

La primauté d'honneur et de juridiction dont le Pape jouit de droit divin, est toute à l'avantage spirituel de l'église. Loin de vouloir affaiblir une autorité si essentielle à la constitution de l'église, nous croyons ici lui rendre hommage, en répondant à la question qui se présente, que si les affaires temporelles n'ont par elles-mêmes aucun rapport nécessaire avec le spirituel, si elles n'empêchent pas le chef de l'église de remplir librement et avec indépendance les fonctions du ministère apostolique, nous pensons que le Pape ne peut pas, par le seul motif des affaires temporelles, refuser son intervention dans les affaires spirituelles. La distance qui les sépare est du temps à l'éternité.

TROISIÈME ET QUATRIÈME QUESTION.

«Il est hors de doute que, depuis un certain temps, la cour de Rome est resserrée dans un petit nombre de familles; que les affaires de l'église y sont examinées par un petit nombre de prélats et théologiens pris dans de petites localités des environs, et qui ne sont pas à portée de bien voir les grands intérêts de l'église universelle, ni d'en bien juger.

«Dans cet état de choses, convient-il de réunir un concile? Ne faudrait-il pas que le consistoire, ou conseil particulier du Pape, fût composé de prélats de toutes les nations pour éclairer Sa Sainteté?»

RÉPONSE.

«Le gouvernement de l'église, dit Fleury, est fondé sur la charité et tempéré par l'humilité: c'est pourquoi, dès les premiers temps, l'évêque ne faisait rien sans l'avis des prêtres de son église.» Il convenait que le siége de saint Pierre fût le modèle des autres dans cette forme de gouvernement.

Aussi voyons-nous que le clergé de Rome a formé, dans tous les temps, le conseil du Pape: là se discutaient non seulement les affaires particulières à cette église, mais encore celles de toute la catholicité. Les lettres qu'écrivait le clergé de Rome, le siége vacant, à saint Cyprien et à son clergé, et celles de saint Cyprien au clergé de Rome, écrites dans la même circonstance, prouvent de quelle haute considération celui-ci jouissait dans l'église. Ce conseil n'a subi aucune modification essentielle, et l'église romaine conserve encore aujourd'hui tous ses anciens usages, vénérables monumens de l'ancienne discipline.

Il est connu aujourd'hui sous le nom de sacré collége: il a été spécialement l'objet des discussions du concile de Bâle; il fut décrété (§23) «que les cardinaux seraient pris de tous les États, avec ces clauses, entre autres, que le nombre n'en excéderait pas vingt-quatre, et qu'il n'y en aurait jamais plus d'un tiers du même royaume, ni plus du même diocèse.» Différens obstacles s'opposèrent à l'exécution de ce décret. La même question fut présentée depuis au concile de Trente: les orateurs du roi de France y renouvelèrent les propositions que le concile de Bâle avait adoptées. Le concile se borna à décider (§54) que le Pape prendrait des cardinaux de toutes les nations, autant que cela pourrait se faire commodément, et selon qu'il les en trouverait dignes. Il ne crut pas pouvoir aller plus loin: la raison qu'en donna M. de Pibrac, ambassadeur du roi au concile, dans sa lettre à Sa Majesté, est remarquable: «Les pères du concile, dit-il, ont pensé qu'on ne pouvait pas prescrire au Pape ce qu'il devait faire dans le choix des cardinaux.» (Mémoire sur le concile de Trente.)

Cet exposé nous fournit les réponses que nous pensons devoir faire aux deux questions ci-dessus. Et d'abord, nous ne croyons pas que la réunion d'un concile soit nécessaire, vu que le concile de Trente, le dernier de nos conciles généraux, s'est expressément occupé de l'objet en question. Au surplus, s'il s'agit ici d'un concile général, il ne pourrait se tenir sans le chef de l'église, autrement il ne représenterait pas l'église universelle. Fleury le dit expressément: «L'autorité du Pape a toujours été nécessaire pour les conciles généraux.» (Quatrième Discours sur l'histoire ecclésiastique.) S'il s'agit d'un concile national, son autorité serait insuffisante pour régler un objet qui intéresse la catholicité entière.

Quant à la question, s'il ne faudrait pas que le consistoire, ou conseil particulier du Pape, fût composé de toutes les nations, nous croyons devoir ici nous borner à exprimer nos voeux pour l'exécution de la mesure, si modérée d'ailleurs, présentée à cet égard par le concile de Trente, et dans laquelle se renferme la demande faite par Sa Majesté.

CINQUIÈME QUESTION.

«En supposant qu'il soit reconnu qu'il n'y ait pas de nécessité de faire des changemens dans l'organisation actuelle, l'empereur ne réunit-il pas sur sa tête les droits qui étaient sur celles des rois de France, des ducs de Brabant et autres souverains des Pays-Bas, des rois de Sardaigne, des ducs de Toscane, etc., soit pour la nomination des cardinaux, soit pour toute autre prérogative?»

RÉPONSE.

La prérogative dont jouissent les souverains catholiques de présenter des nominations de cardinaux, et les autres de ce genre, sont des témoignages de la reconnaissance de l'église pour la protection qui lui est accordée par les souverains. Ces prérogatives ont été consacrées par le temps, et elles ont passé avec les autres titres aux princes qui succédaient. D'après ces considérations, nous pensons que Sa Majesté est fondée à réclamer les prérogatives semblables qui se trouvaient attachées aux souverainetés des pays réunis, au moment où ils ont été incorporés à l'empire français.

DEUXIÈME SÉRIE.

QUESTIONS PARTICULIÈRES À LA FRANCE.

PREMIÈRE QUESTION.

«S. M. l'empereur ou ses ministres ont-ils porté atteinte au concordat?»

RÉPONSE.

Le concordat a toujours été observé par S. M. l'empereur et par ses ministres, et nous ne croyons pas que le Pape puisse se plaindre d'aucune contravention essentielle. Il est vrai que, pendant son séjour à Paris, le Pape remit à Sa Majesté des représentations sur un certain nombre des articles organiques ajoutés aux dispositions du concordat, et qu'il jugeait contraires au libre et entier exercice de la religion catholique; mais plusieurs des articles dont se plaignait S. S. ne sont que des applications ou des conséquences des maximes ou des usages reçus dans l'église gallicane, dont ni l'empereur ni le clergé de France ne peuvent se départir.

Quelques autres, à la vérité, renferment des dispositions qui seraient très préjudiciables à l'église, s'ils étaient exécutés à la rigueur. On a tout lieu de croire qu'ils ont été ajoutés au concordat comme des réglemens de circonstances, comme des ménagemens jugée nécessaires pour aplanir la voie au rétablissement du culte catholique, et nous espérons de la justice et de la religion de S. M. qu'elle daignera les révoquer ou les modifier, de manière à dissiper les inquiétudes qu'ils ont fait naître.

C'est dans cette confiance que nous nous permettons de mettre sous les yeux de Sa Majesté les art. 1, 26 et 36 qui ont excité les plus fortes et les plus justes réclamations.

ART. Ier. «Aucune bulle, bref, rescrit, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus, publiés, imprimés ni aucunement mis à exécution sans l'autorisation du gouvernement.»

On aurait désiré que l'exception pour les brefs de la pénitencerie eût été prononcée. Cette exception, à la vérité, est de droit; mais en vertu de cet art. Ier, elle pourrait être contestée. Les parlemens ne manquaient jamais de faire cette exception formelle, lorsqu'ils avaient à statuer sur les actes émanés de la cour de Rome.

ART. XXVI. «Les évêques ne pourront ordonner aucun ecclésiastique, s'il ne justifie d'une propriété produisant au moins un revenu annuel de 300 francs, et s'il n'a atteint l'âge de vingt-cinq ans, etc.»

Les deux dispositions que renferme cet article sont très préjudiciables à la religion dans les circonstances actuelles, et tendent à lui enlever la plus grande partie des ministres indispensablement nécessaires à son culte et aux besoins des peuples.

1° L'église de France n'offrant plus aux familles les espérances de fortune et d'avancement que présentait l'ancien clergé, la plupart des jeunes gens qui se consacrent au saint ministère appartiennent à la classe malaisée. Parmi les pères de famille en état d'assurer à leurs enfans un revenu annuel de 300 francs, ce qui suppose une propriété foncière de 10,000 francs au moins, il en est peu qui voulussent leur permettre d'embrasser un état qui impose des sacrifices et des devoirs pénibles, sans les compenser par aucun avantage temporel. La ressource que fournissait, avant la révolution, une multitude de titres de bénéfices très-modiques, admis par l'église au défaut de titre patrimonial, n'existe plus. Si jusqu'à présent Sa Majesté n'avait pas daigné déférer à nos demandes en faveur des jeunes clercs qui ne pouvaient constituer le titre prescrit par cet art. XXVI, la religion manquerait de ministres. Puisque cette loi exige des dispenses continuelles, ne conviendrait-il pas de la rapporter?

2° Il résulte deux inconvéniens très graves de la disposition qui ne permet pas aux évêques d'ordonner aucun ecclésiastique avant l'âge de vingt-cinq ans. Le premier, c'est qu'il augmente considérablement la durée et les frais de l'éducation ecclésiastique. Le cours d'études nécessaire pour se préparer à la réception des ordres sacrés est, pour l'ordinaire, terminé avant cet âge, et l'intervalle qui s'écoule jusque-là expose les élèves, ou à perdre le goût et l'esprit de leur état, s'ils le passent dans le monde, ou à un surcroît de dépenses, s'ils le passent dans les séminaires. Le second inconvénient qui résulte de cet art. XXVI, c'est que les évêques, pressés par les besoins de leurs diocèses, se voient obligés de précipiter les ordinations sans pouvoir observer les intervalles ou interstices sagement prescrits par les canons entre les ordres du sous-diaconat et de la prêtrise. S. M. remédierait à ce double inconvénient, si elle permettait aux évêques de conférer les ordres à ceux qui ont atteint l'âge de vingt-deux ans, conformément à l'ancienne discipline. Il est de l'intérêt comme du devoir des évêques de n'admettre au sous-diaconat que ceux dont la vocation et la vertu leur paraissent éprouvées.

ART. XXXVI. «Les vicaires-généraux des diocèses vacans continueront leurs fonctions, même après la mort de l'évêque, jusqu'à remplacement.»

Selon les principes du droit canonique, les vicaires-généraux tiennent leurs pouvoirs de l'évêque; ils ne font avec lui qu'une seule et même personne: una eademque persona. Le droit de le représenter et les pouvoirs que ce droit établit expirent avec lui, bien entendu pourtant que, si l'évêque meurt hors de sa ville ou de son diocèse, les vicaires-généraux administrent validement et légitimement jusqu'au moment où la mort de l'évêque est connue du chapitre de l'église cathédrale. Dès ce moment, le chapitre se trouve, de plein droit, investi de la juridiction épiscopale, et c'est à lui seul qu'il appartient de nommer des vicaires-généraux qui gouvernent pendant la vacance du siége. Ce principe est incontestable, et sans doute on n'a paru le méconnaître que parce qu'au moment où les lois organiques furent publiées, il n'y avait point encore de chapitres institués dans les églises cathédrales. Depuis leur institution, on leur a laissé le droit d'administrer les diocèses vacans par les vicaires-généraux qu'ils avaient nommés, en sorte que, dans le fait, cet art. XXXVI est en contradiction, non seulement avec le droit canonique, mais encore avec ce qui s'observe aujourd'hui.

Ces observations, que nous soumettons à la sagesse de Sa Majesté, ne nous empêchent pas de reconnaître et de déclarer, en réponse à la première question de cette seconde série, qu'il n'a été porté aucune atteinte essentielle au concordat, soit par S. M. l'empereur, soit par ses ministres.

DEUXIÈME QUESTION.

«L'état du clergé de France est-il, en général, amélioré ou empiré depuis que le concordat est en vigueur?»

RÉPONSE.

Quand Sa Majesté se serait bornée à l'exécution rigoureuse du concordat, cette transaction mémorable, à laquelle nous devons la liberté et la publicité du culte de la religion catholique, apostolique et romaine, qui est la religion de la grande majorité des citoyens français, serait le plus grand bienfait que l'empereur eût pu accorder au clergé et aux peuples de son empire.

Mais Sa Majesté ne s'en est pas tenue aux obligations qu'elle s'était imposées par le concordat. Chaque année de son règne a été marquée par des concessions importantes, qui n'étaient point des conséquences nécessaires des engagemens qu'elle avait pris avec le souverain pontife, et qui n'ont pu être suggérées à Sa Majesté que par son respect pour la religion catholique et son amour pour ses peuples.

Il serait trop long de rapporter toutes ces concessions; nous ne citerons que les principales.

Dotation des vicaires-généraux et des chapitres; d'abord vingt-quatre mille, ensuite trente mille succursales pensionnées par l'État; quatre cents bourses et huit cents demi-bourses fondées dans les divers diocèses en faveur des études ecclésiastiques; édifices nationaux, ou sommes considérables accordées à un grand nombre d'évêques pour l'établissement de leur séminaire; exemption provisoire de la conscription pour les étudians présentés par l'évêque, comme appelés à la prêtrise; permission accordée aux ministres de la religion de porter en public l'habit de leur état; invitation aux conseils-généraux des départemens de suppléer au traitement des évêques, des vicaires-généraux et des chapitres, et de pourvoir aux besoins du culte et de ses ministres; décrets tendans à restituer aux fabriques une partie des revenus qu'elles avaient perdus; rétablissement des congrégations religieuses, vouées, par leur institut, à l'enseignement gratuit et au soulagement de la classe indigente; décret qui donne à ces congrégations une auguste et puissante protectrice dans la personne de S. A. I. Madame Mère; secours annuels qu'elles reçoivent du gouvernement, et espérance d'en recevoir de nouveaux; une retraite honorable ouverte aux évêques par l'érection du chapitre de Saint-Denis, etc., etc. Tant de faveurs déjà reçues sont un gage de ce que nous pouvons attendre de l'attachement de Sa Majesté à la religion catholique, et prouve à toute l'Europe que, si, par le concordat, elle s'est engagée à rétablir dans la France la liberté et la publicité du culte de nos pères, elle a saisi depuis divers moyens et occasions de l'affermir, de le perpétuer, et de lui rendre de son antique splendeur autant que le permettent les circonstances.

Nous nous refuserions à l'évidence des faits, si nous ne déclarions pas que l'état du clergé de France est singulièrement amélioré depuis que le concordat est en vigueur: mais, après avoir offert à Sa Majesté l'hommage de notre vive reconnaissance, ne nous serait-il pas permis de déposer au pied de son trône les voeux qui nous restent à former pour un plus libre exercice de notre ministère? Si Sa Majesté daignait le permettre, nous lui adresserions nos humbles remontrances sur divers objets que nous croyons intéresser la religion et la morale, et par conséquent le bien général de la société.

TROISIÈME QUESTION.

«Si le gouvernement français n'a point violé le concordat, le pape peut-il arbitrairement refuser l'institution aux archevêques et évêques nommés, et perdre la religion en France comme il l'a perdue en Allemagne, qui, depuis dix ans, est sans évêques?»

RÉPONSE.

Le concordat est un contrat synallagmatique entre le chef de l'État et le chef de l'église, par lequel chacun d'eux s'oblige envers l'autre. C'est aussi un traité public qui intéresse essentiellement la nation française et l'église catholique. Par ce traité, chacune des augustes parties contractantes acquiert des droits et s'impose des obligations. Le concordat assure à Sa Majesté le droit de nommer aux archevêchés et évêchés, qu'exerçaient, avant elle, les rois de France, en vertu du concordat passé entre Léon X et François Ier. Il réserve au pape le droit d'accorder l'institution canonique aux archevêques et évêques nommés par Sa Majesté suivant les formes établies, par rapport à la France, avant le changement de gouvernement (article IV du concordat).

Ainsi se concilient, se soutiennent et se forment mutuellement les droits du souverain qui ne peut être étranger aux choix des premiers pasteurs, à qui leur ministère donne une grande influence sur les peuples et les droits de l'église, de qui seule émane toute juridiction dans l'ordre spirituel.

Mais ce droit de donner l'institution canonique, réservé au Pape par la discipline actuelle de l'église, ne doit pas être exercé arbitrairement. Indépendamment de la maxime générale et constante parmi nous, que le chef de l'église doit la gouverner selon les canons, c'est une des clauses expresses du concordat de 1516, que le pape est tenu d'accorder les bulles d'institution aux sujets nommés par le souverain, ou d'alléguer les motifs canoniques de son refus. Supposer que le Pape pût refuser les bulles arbitrairement et sans cause, ce serait prétendre qu'il n'est pas lié par un traité qu'il a ratifié solennellement, et qu'il peut manquer à l'engagement sacré qu'il a pris envers l'empereur, envers la France, envers l'église entière, à qui le concordat assure la protection du souverain le plus puissant de l'univers.

Ces principes sont évidens: le Pape sans doute ne les méconnaît pas, et ne se croit pas autorisé à refuser les bulles d'institution arbitrairement et sans motifs. Sa Sainteté elle-même, dans une lettre adressée de Savone, le 28 août dernier, à S. Em. le cardinal Caprara, expose les motifs de son refus.

Dans une circonstance où l'église de France est en péril, des évêques consultés par l'empereur, qui en est le protecteur, s'écarteraient-ils du profond respect dont ils sont pénétrés pour la dignité suprême et pour la personne sacrée du chef de l'église universelle, en discutant ces motifs, et en mettant sous les yeux de l'empereur des réflexions qu'ils oseraient proposer à Sa Sainteté elle-même, s'ils étaient admis à l'honneur de conférer avec elle?

Les motifs allégués par le Saint-Père dans sa lettre citée se réduisent à trois chefs:

1° Le premier porte sur les innovations religieuses introduites en France depuis le concordat, contre lesquelles, dit le Pape, nous avons si souvent et toujours inutilement réclamé.

Sa Sainteté n'entre dans aucuns détails sur les innovations dont elle se plaint. Pour nous, nous n'en connaissons aucune qui puisse être regardée comme une atteinte essentielle portée au concordat. Peut-être Sa Sainteté se reporte-t-elle aux représentations qu'elle adressa à l'empereur au commencement de 1805. Nous nous en référons à ce que nous avons dit en discutant la première question de la seconde série. On y a vu que la plupart des griefs énoncés dans ces représentations n'ont pour objet que des points de discipline, à l'égard desquels l'église gallicane conserve le droit de se gouverner par ses maximes et par ses usages, et qu'à l'égard des articles organiques moins favorables à la discipline ecclésiastique, l'empereur avait eu la condescendance de ne pas en presser l'exécution rigoureuse. Nous ajouterons que, depuis 1805, ces articles de discipline, que le pape présente aujourd'hui comme des innovations importantes et dangereuses, ont été constamment en vigueur, sans que, jusqu'à ces derniers temps, il s'en soit prévalu pour refuser des bulles aux évêques nommés par Sa Majesté.

2° Un second motif du refus des bulles allégué par le Pape, dans sa lettre au cardinal Caprara, est fondé sur des événemens et des mesures politiques qui ne nous sont pas assez connus, et qu'il ne nous appartient pas de juger.

L'événement principal est le décret de 1809, portant réunion de l'État romain à l'empire français. Ce motif est-il canonique? est-il fondé sur les principes et sur l'esprit de la religion?

La religion nous apprend à ne pas confondre l'ordre spirituel et l'ordre temporel. La juridiction que le pape exerce, de droit divin, dans toute l'église, est purement spirituelle. C'est la seule que le prince des apôtres ait reçue de J. C., la seule qu'il ait pu transmettre à ses successeurs. La souveraineté temporelle n'est, pour les papes, qu'un accessoire étranger à leur ministère. La première a commencé avec l'église, et durera autant que l'église, c'est-à-dire, autant que le monde. L'autre est d'institution humaine; elle n'est point comprise dans les promesses que J. C. a faites à saint Pierre et à ses successeurs: elle peut leur être enlevée, comme elle leur a été donnée par les hommes et les événemens. C'est dans la puissance spirituelle que réside la véritable grandeur des souverains pontifes. Que le pape soit souverain, ou qu'il ne le soit pas, son autorité dans l'église universelle dont il est le chef, ses relations avec les églises particulières doivent être toujours les mêmes. Quelle que soit sa situation politique, il conserve tous les pouvoirs attachés au premier siége de la chrétienté; mais ces pouvoirs, il ne les a reçus que pour l'avantage des fidèles et le gouvernement de l'église. Nous aimons à nous persuader que Sa Sainteté daignerait mettre un terme au refus qu'elle fait de les exercer, si elle était convaincue, comme nous qui voyons les choses de près, que ce refus ne peut être que très préjudiciable à l'église.

Si nous pouvions supposer que l'on regarde l'invasion de Rome comme un motif suffisant de refuser l'institution canonique aux évêques nouvellement nommés, les considérations suivantes résoudraient aisément la difficulté.

Le refus des bulles, ainsi motivé, ne saurait avoir quelque poids dans la discussion actuelle, qu'autant que l'on supposerait que cette invasion est une violation du concordat.

Le concordat n'a rien stipulé sur les intérêts politiques du saint siége. L'empereur n'y traite avec le Pape que comme avec le chef de l'église. Tant que la juridiction spirituelle du Pape sur l'église de France est reconnue et respectée, les liens qui attachent l'église de France à la chaire de Pierre, au centre de l'unité, ne sont point relâchés, et le concordat subsiste dans son intégrité.

Le concordat ne garantissait pas au Pape la possession de l'État romain; l'occupation de Rome n'est donc pas une infraction du concordat. C'est une affaire politique qui sort de l'ordre des choses réglées par le concordat, une affaire purement temporelle qui ne doit avoir aucune influence sur les affaires spirituelles, à moins qu'on ne veuille confondre ce que l'Évangile et toute la tradition des premiers siècles de l'église nous apprennent à séparer.

Dans sa lettre au cardinal Caprara, le Pape reconnaît cette distinction entre le temporel et le spirituel; mais il ajoute qu'il ne peut pas sacrifier la défense du patrimoine de l'église, sans manquer à ses devoirs et se rendre parjure.

Nous ne disons pas que le pape fût obligé de sacrifier la défense du patrimoine de l'église. En sa qualité de souverain temporel, il avait, comme tous les souverains, le droit incontestable de défendre ses possessions. Il pouvait, comme eux, employer à cet effet les moyens politiques que la Providence avait mis en son pouvoir, ou faire entendre ses réclamations; mais son devoir ne consistait pas à les faire réussir: la loi de la nécessité l'aurait absous aux yeux de l'église et de la postérité.

Ajoutons que, dans la supposition même où l'occupation de Rome autoriserait le pape à déployer contre l'empereur l'exercice de la puissance spirituelle, le refus des bulles ne nous paraît pas une mesure adaptée au but que se proposerait Sa Sainteté.

En effet, qu'y a-t-il de commun entre les intérêts temporels du pape et les besoins spirituels de l'église de France? Si l'empereur exigeait des évêques nouvellement nommés quelque déclaration, quelque démarche contraire à la foi catholique ou à l'autorité du saint siége, le Pape serait en droit de ne pas les admettre à sa communion et de leur refuser l'institution canonique; mais il ne s'agit de rien de semblable. L'empereur a déclaré, de la manière la plus solennelle, qu'il ne voulait rien innover dans la religion; et la demande faite en son nom des bulles d'institution prouve manifestement qu'il veut s'en tenir à l'exécution du concordat, et conserver au saint siége toute sa prérogative spirituelle. Le Pape n'est donc pas autorisé à l'inexécution du concordat. Est-ce pour l'avantage particulier de l'empereur que le concordat a été conclu? N'est-ce pas plutôt pour l'avantage de la religion catholique, menacée alors d'une extinction totale dans l'étendue de la république française? Le chef de l'église voudrait-il jamais subordonner, sacrifier les intérêts de la religion et le salut des âmes à des intérêts temporels?

Lorsque Rome fut prise d'assaut et saccagée par les troupes de Charles-Quint, qu'eût-on pensé de Clément VII, si, pour se venger de ce prince, il eût déclaré qu'il abandonnait toutes les églises de la monarchie autrichienne? Pie VII, qui a si glorieusement concouru au rétablissement de la religion catholique, voudrait-il s'exposer à détruire son propre ouvrage?

Si l'on nous opposait que le pape ayant révoqué, par son décret du 10 juin, tous les priviléges, grâces et indults apostoliques accordés par Sa Sainteté ou par ses prédécesseurs à toutes les personnes comprises dans la sentence d'excommunication, et qu'en conséquence l'empereur est déchu, au moins provisoirement, de tous les droits que lui attribue le concordat, il serait aisé de dissiper une pareille objection, en observant que la bulle ne fait aucune mention du concordat, et qu'en effet le concordat n'est ni un privilége, ni une faveur, ni un indult, mais un traité solennel dont la révocation ne peut se faire que par le consentement des parties dont il est l'ouvrage.

3° Le troisième motif du refus des bulles, allégué par le Pape, est pris de sa situation actuelle. Nous ne pouvons pas mieux l'exposer qu'en transcrivant ce qu'il dit lui-même dans sa lettre à S. Em. le cardinal Caprara.

«Malgré un tel état de choses, Dieu sait si nous désirons ardemment de donner aux églises de France vacantes leurs pasteurs, après les avoir comblées de tant d'autres témoignages de prédilection, et si nous désirons de trouver un expédient pour le faire d'une manière convenable aux circonstances, à notre ministère et à notre devoir! Mais devons-nous agir dans une affaire d'une si haute importance sans consulter nos conseillers-nés? Or, comment pourrions-nous les consulter, quand, séparé d'eux par la violence, on nous a ôté toute communication avec eux, et en outre, tous les moyens nécessaires pour l'expédition de pareilles affaires, n'ayant pu même, jusqu'à présent, obtenir d'avoir auprès de nous un seul de nos secrétaires?»

À ces dernières plaintes du Pape, nous n'avons d'autre réponse à faire que de les mettre nous-mêmes sous les yeux de S. M., qui en sentira tout la force et toute la justice.

QUATRIÈME QUESTION.

«Le gouvernement français n'ayant point violé le concordat, si, de son côté, le Pape refuse de l'exécuter, l'intention de Sa Majesté est de regarder ce concordat comme abrogé; mais, dans ce cas, que convient-il de faire pour le bien de la religion?»

RÉPONSE.

Si le Pape persistait à se refuser à l'exécution du concordat, il est certain, rigoureusement parlant, que l'empereur ne serait plus tenu de l'observer, et qu'il pourrait le regarder comme abrogé.

Mais le concordat n'est pas une transaction purement personnelle entre l'empereur et le Pape; c'est un traité qui fait partie de notre droit public, puisqu'il renferme les principes fondamentaux et les règles du gouvernement de l'église gallicane; et il importe d'en réclamer l'exécution, dans la supposition même où le souverain pontife persisterait à la refuser en ce qui le concerne.

Il est vrai que le concordat demeurera suspendu par le fait tant que le pape refusera des bulles aux évêques nommés par l'empereur; mais en protestant contre ce refus illégal, en appelant, ou au pape mieux informé, ou à son successeur, l'empereur conservera tous les droits qui lui sont assurés par le concordat, et le temps amènera sans doute des moyens de le faire revivre et exécuter de part et d'autre.

Mais enfin, soit que le concordat soit regardé comme abrogé, soit qu'il demeure suspendu, on demande ce que, dans l'un ou l'autre cas, il convient de faire pour le bien de l'église?

Puisque le ministère de la religion catholique ne peut exister sans l'épiscopat, la question proposée se réduit à demander quelles mesures on devrait prendre pour suppléer au défaut des bulles pontificales, et donner l'institution canonique aux évêques nommés par Sa Majesté.

Reconnaissons d'abord comme un principe établi dans l'Écriture sainte, consacré par toute la tradition, expressément défini par le concile de Trente, et fondé sur la nature même des choses, que l'autorité et la juridiction des ministres de l'église ne peuvent émaner que de l'église elle-même. Tous leurs pouvoirs sont d'un ordre spirituel, et placés hors de la sphère de la puissance temporelle. C'est à l'église et à l'église seule, dans la personne des apôtres et des évêques leurs successeurs, que J. C. a confié le pouvoir d'enseigner, d'administrer les sacremens et de conduire les fidèles dans la voie du salut. Or, l'église ne pourrait ni enseigner ni gouverner, si elle n'avait pas le pouvoir et le droit exclusif de nommer et d'instituer ses docteurs et ses magistrats.

L'enseignement, l'administration des sacremens, la mission ou l'institution des ministres sont des points essentiels dans la constitution de l'église. L'église seule a le droit de prononcer sur le dogme et sur la morale; elle seule doit régler les pratiques de son culte et prescrire les conditions nécessaires pour être admis aux sacremens; elle seule peut conférer à ses ministres les pouvoirs d'ordre et de juridiction nécessaires pour valider ou pour légitimer l'exercice de leurs fonctions. L'église ne serait plus une société indépendante, catholique ou universelle, instituée pour tous les temps, pour tous les pays, propre à s'allier avec tous les gouvernemens, si elle n'était pas libre dans le choix de ses magistrats, ou si la mission et la juridiction de ses magistrats émanaient d'une puissance étrangère. «L'église catholique, dit Bossuet, parle ainsi au peuple chrétien: Vous êtes un peuple, un état et une société; mais Jésus-Christ, qui est votre roi, ne tient rien de vous, et son autorité vient de plus haut. Vous n'avez naturellement pas plus de droit de lui donner des ministres, que de l'instituer lui-même votre prince. Ainsi ses ministres, qui sont vos pasteurs, viennent de plus haut, comme lui-même, et il faut qu'ils viennent par un ordre qu'il ait établi. Le royaume de Jésus-Christ n'est pas de ce monde, et la comparaison que vous pouvez faire entre ce royaume et ceux de la terre est caduque. En un mot, la nature ne vous donne rien qui ait rapport avec J. C. et son royaume, et vous n'avez aucun droit que celui que vous trouverez dans les lois ou les coutumes immémoriales de votre société. Or, ces coutumes immémoriales, à commencer par les temps apostoliques, sont que les pasteurs déjà établis établissent les autres.»

En effet, pendant trois siècles de persécutions, l'église a exercé, dans toute sa plénitude, le droit de nommer et d'instituer ses pasteurs, et la protection que lui ont accordée les princes chrétiens n'a pas dû le lui faire perdre. «Le monde, dit Fénelon, en se soumettant à l'Église, n'a pas acquis le droit de l'assujettir. Les princes, en devenant enfans de l'église, ne sont pas devenus ses maîtres… L'église, sous les empereurs chrétiens, demeura aussi libre quelle l'avait été sous les empereurs idolâtres et persécuteurs.»

C'est donc un principe incontestable et fondamental, qu'à l'église seule il appartient de choisir ses pasteurs et ses magistrats, et de les investir des pouvoirs nécessaires pour exercer validement et légitimement les fonctions de leur ministère; et puisqu'il s'agit ici particulièrement des évêques, qui ne peuvent administrer sans réunir le pouvoir de la juridiction au pouvoir de l'ordre, c'est à l'Église seule qu'il appartient de leur conférer cette juridiction qu'exigent nécessairement la plupart des fonctions de l'épiscopat.

Depuis les temps apostoliques jusqu'à nos jours, l'église n'a jamais reconnu d'évêques que ceux qu'elle avait institués; mais la manière de conférer l'institution n'a pas toujours été la même. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, la discipline de l'église a subi des variations que demandait la diversité des circonstances.

Dans les premiers siècles de l'église, les évêques étaient nommés par les suffrages des évêques comprovinciaux, du clergé et du peuple de l'église qu'il fallait pourvoir, et l'élection était confirmée par le métropolitain, ou, s'il s'agissait du métropolitain, par le concile de la province. Dans la suite, les empereurs et les autres princes chrétiens eurent grande part à la nomination des évêques. Insensiblement le peuple et le clergé de la campagne cessèrent d'être appelés, et l'élection fut dévolue au chapitre de l'église cathédrale, mais toujours avec la nécessité du consentement du prince, et de la confirmation du métropolitain et du concile provincial. La désuétude de ces assemblées, les contestations fréquentes qui naissaient des élections, la difficulté de les terminer sur les lieux, l'avantage que trouvaient les princes à traiter immédiatement avec les papes, introduisirent l'usage de porter ces causes au saint siége, et peu à peu les souverains pontifes se virent en possession de confirmer le plus grand nombre des évêques.

Tel était l'état des choses lors du concile de Bâle, dont l'église de France adopta les décrets relatifs à la nomination et à la confirmation des évêques, dans la pragmatique-sanction publiée à Bourges en 1438. Les élections capitulaires y furent maintenues, et la confirmation ou l'institution laissée à qui de droit. Par le concordat passé en 1515 entre Léon X et François Ier, la nomination du roi fut substituée à l'élection du chapitre, et la confirmation ou l'institution canonique réservée au pape.

Au milieu de toutes ces variations introduites dans la discipline de l'église, relativement à l'institution des évêques, le principe de la nécessité d'une institution ecclésiastique est demeuré invariable. Ces divers changemens se sont toujours faits du consentement exprès ou tacite de l'église. C'est au nom de l'église et par son autorité, que les élections ont pris successivement différentes formes, que le droit de confirmer les évêques élus a passé des métropolitains et des conciles provinciaux aux souverains pontifes, et que les élections capitulaires ont été remplacées par la nomination du chef de l'État, en vertu des concordats faits avec Léon X et Pie VII; et si jamais il devenait nécessaire d'adopter un autre mode d'institution, il faudrait commencer par le faire approuver par l'église.

Nous disons plus: cette approbation serait encore indispensable, quand même on proposerait de revenir à l'une des méthodes adoptées dans les siècles précédens. Une loi abrogée n'est plus une loi, et ne peut en reprendre le caractère que de l'autorité qui l'a abrogée. L'église ne se gouvernerait plus elle-même, elle n'aurait plus le droit de faire des lois et des réglemens pour sa discipline intérieure, si quelque autre puissance pouvait la forcer à reprendre les lois et les réglemens qu'elle aurait abolis. C'était là un des vices capitaux de la constitution civile du clergé, décrétée par l'assemblée constituante. On ne voulait, disait-on, que ramener l'église de France à la discipline des premiers siècles, en rétablissant les élections; mais outre que les élections décrétées par la constitution civile du clergé ne ressemblaient, en aucune manière, à celles des premiers siècles, l'assemblée constituante, qui n'avait que des pouvoirs politiques, était essentiellement incompétente pour rétablir, de sa seule autorité, et sans le concours et le consentement de l'église, un réglement de discipline que l'église avait aboli.

D'après ces principes, il est évident que, dans la supposition où, par la persévérance du refus des bulles, le concordat serait regardé comme suspendu ou comme abrogé, on ne serait pas autorisé a faire revivre la pragmatique-sanction, à moins que l'autorité ecclésiastique n'intervînt dans son rétablissement. Nous avons prouvé que cette entreprise serait irrégulière et infectée du plus grand de tous les vices, le défaut de pouvoirs. Nous pouvons ajouter qu'elle serait extrêmement dangereuse, et deviendrait la source de troubles semblables à ceux qu'a excités, dans toute la France, la constitution civile du clergé. On peut même assurer que la résistance des fidèles à toute nouvelle entreprise de la puissance séculière contre l'autorité de l'église serait encore plus vive et plus générale, parce qu'à la suite des contestations précédentes, la matière est plus éclaircie et les principes sont mieux connus. Des évêques institués au mépris des formes canoniques n'obtiendraient jamais la confiance du clergé et des peuples, et l'on verrait se renouveler, dans leurs diocèses, les scènes scandaleuses qui ont déshonoré le ministère du clergé constitutionnel.

Que conviendrait-il de faire pour le bien de la religion, si le Pape persiste à refuser des bulles aux évêques nommés par l'empereur?

Le conseil à qui Sa Majesté fait l'honneur de proposer cette importante question, n'a pas l'autorité nécessaire pour indiquer les mesures propres à remplacer l'intervention du Pape dans la confirmation des évêques. Son avis, à cet égard, ne serait que celui d'un petit nombre de prélats, sans pouvoirs et sans caractère pour représenter, nous ne disons pas l'église universelle à qui cette question n'est point étrangère, mais même l'église gallicane qu'elle intéresse plus particulièrement. En conséquence, nous pensons que, dans une circonstance aussi délicate, où il est essentiel, et de ne point s'écarter des principes consacrés par la religion, et de ne pas alarmer les consciences, Sa Majesté ne peut rien faire de plus sage et de plus conforme aux règles, que de convoquer un concile national, où le clergé de son empire examinerait la question qui nous est proposée, et indiquerait les moyens propres à prévenir les inconvéniens du refus des bulles pontificales. En 1688, à l'occasion d'un refus semblable fait par le pape Innocent XI aux évêques nommés par Louis XIV depuis 1682, le parlement de Paris, sur les conclusions du procureur-général du Harlay, rendit un arrêt portant que le roi serait supplié de convoquer les conciles provinciaux, ou même un concile national. Cet arrêt, dit d'Héricourt, est conforme à ce qui s'est pratiqué en France, en des occasions pareilles; les exemples en sont rapportés dans les Preuves des libertés de l'église gallicane.

AVERTISSEMENT.

Lorsque cette dernière réponse du conseil ecclésiastique fut mise sous les yeux de l'empereur, il la regarda comme bonne, mais incomplète. Il manda M. Duvoisin, évêque de Nantes, lui dicta la note suivante, et lui donna l'ordre de la communiquer au conseil, pour qu'il y fût fait une réponse catégorique.

NOTE DICTÉE PAR L'EMPEREUR.

«L'empereur pensait que, le concordat tombant, la France rentrait de droit dans l'état qui existait avant le concordat. Les théologiens ou canonistes n'avaient plus qu'à reconnaître et à s'accorder pour savoir quel était cet état. Par la réponse des évêques, Sa Majesté voit que la question est autre, et partage cette opinion, c'est-à-dire que le concordat ayant abrogé la loi existante, elle ne peut plus être rétablie que par le pouvoir qui l'a abrogée. Mais Sa Majesté diffère des évêques, en ce qu'elle pense que l'église gallicane est suffisante. Et pour cela, je ne cherche pas si l'église gallicane est égale en autorité au Pape, pas plus que si le Pape est égal en autorité au concile général, le but étant de concilier et de marcher, et non de discuter.

«Mais je pars d'un autre principe, et je dis: L'église de France s'est révoltée contre le concordat de Léon X. Il a fallu tout le pouvoir du roi, et l'influence secrète (et étrangère aux canons) de la cour de Rome, pour l'obliger enfin à y adhérer. Ainsi, si je suis d'accord que l'autorité temporelle ne doit pas pouvoir rétablir de plein droit l'ancien droit, je crois que l'église de France, qui y est intéressée, serait suffisamment autorisée à discuter cette question, et à aviser aux moyens de l'institution canonique… Les faits ne me sont pas présens dans ce moment pour établir cette opinion… Je crois que l'on pourrait dire, comme suite nécessaire du droit qu'a l'église d'établir sa législation, que, si le concordat devenait nul par une raison quelconque, l'église aurait une lacune, si l'on ne pouvait pas rétablir de plein droit et ipso facto ce qui a pu exister.

«Il n'y aurait pas plus de raison d'établir ce qui a existé en 1500, que d'aller chercher ce qui a été fait en 900. Mais la législation de l'église se trouverait avoir une lacune, et cette lacune tenant à la transmission du pouvoir épiscopal, c'est-à-dire, à la source de la vie, il deviendrait indispensable de réunir un concile national, lequel pourrait en décider. En effet, si le concile national a eu…»

Ici finit la note dictée par l'empereur, ayant été interrompue par l'arrivée d'un des ministres qu'il avait mandé pour un travail particulier.

SUITE DE LA RÉPONSE DES ÉVÊQUES À LA QUATRIÈME QUESTION DE LA SECONDE SÉRIE.

Cette quatrième question, était ainsi posée: «Le gouvernement français n'ayant point violé le concordat, si, d'un autre côté, le Pape refuse de l'exécuter, l'intention de Sa Majesté est de regarder le concordat comme abrogé; mais, dans ce cas, que convient-il de faire pour le bien de la religion?»

Dans le mémoire que nous avons eu l'honneur de remettre à Sa Majesté, nous terminons notre réponse à cette importante question, en disant, que «Sa Majesté ne pouvait rien faire de plus sage et de plus conforme aux règles, que de convoquer un concile national, où le clergé de son empire examinerait la question qui nous est proposée, et indiquerait les moyens propres à prévenir les inconvéniens du refus des bulles pontificales.»

Sa Majesté a jugé que cette réponse ne satisfaisait pas entièrement à la question, en ce qu'elle ne déterminait pas si le concile national avait en lui-même l'autorité nécessaire pour suppléer au défaut des bulles apostoliques, ou s'il faudrait encore recourir à une autorité supérieure à la sienne.

Nous n'avons pas cru devoir nous expliquer sur le degré d'autorité du concile national, parce que la question nous paraissait susceptible de difficultés, et qu'il ne nous appartient pas de prévenir et de préjuger la décision du concile. Nous persistons dans cette réserve, mais nous n'en sommes pas moins persuadés que la convocation d'un concile national est la seule voie canonique qui puisse nous conduire au but désiré, si les moyens de conciliation que la haute sagesse de Sa Majesté pourrait lui suggérer n'en prévenaient pas la nécessité. Voici, ce nous semble, quelle serait la marche que tiendrait le concile dans le cas où son intervention deviendrait indispensable.

1° Le concile commencerait par adresser au Pape des remontrances respectueuses sur les obligations que le concordat impose à Sa Sainteté, sur les suites terribles qu'entraînerait un refus plus long-temps prolongé, sur la nécessité où se trouveraient l'empereur et le clergé de pourvoir, par une autre voie, à la conservation de la religion et à la perpétuité de l'épiscopat. Il proposerait les moyens de conciliation que les circonstances pourraient indiquer, et nous sommes persuadés que ces démarches filiales ne seraient pas infructueuses auprès d'un pontife qui a donné à l'église gallicane des preuves si touchantes de sa sollicitude paternelle.

2° Si, contre notre attente, le Pape se refusait aux prières et aux sollicitations du clergé de France assemblé, le concile examinerait la question que nous n'avons pas osé décider, savoir, s'il est compétent pour rétablir ou renouveler un mode d'institution canonique qui puisse remplacer le mode établi par le concordat. S'il se jugeait compétent, il arrêterait, sous le bon plaisir de S. M., un réglement de discipline sur cet objet, mais en déclarant que ce réglement n'est que provisoire, que l'église de France ne cessera point de demander l'observation du concordat, et qu'elle sera toujours prête à y revenir, aussitôt que le Pape ou ses successeurs consentiront à l'exécuter en ce qui les concerne.

3° Dans le cas où le concile national ne se jugerait pas compétent, il resterait le recours à un concile général, la seule autorité dans l'église qui soit au-dessus du Pape; mais il peut arriver que ce recours devienne impossible, soit parce que le Pape refuserait de reconnaître le concile général, soit parce que des circonstances politiques ne permettraient pas de l'assembler. Alors la question proposée par Sa Majesté se présente de nouveau, et l'on demande encore ce qu'il conviendrait de faire pour le bien de la religion?

4° Jusqu'à présent nous avons raisonné d'après les lois de la discipline ecclésiastique, et, dans l'état ordinaire des choses, il n'est jamais permis de s'en écarter. Mais un point de discipline établi pour le gouvernement et pour la conservation des églises particulières, cesse d'obliger, lorsqu'il est évident qu'on ne peut l'observer sans exposer une grande église aux plus grands dangers. Si le chef de l'église universelle paraît abandonner l'église de France, en refusant de concourir, comme il le doit, à l'institution de ses évêques, cette église si ancienne, qui occupe une place si considérable dans la catholicité, doit trouver en elle-même des moyens de se conserver et de se perpétuer; elle est autorisée à recourir à l'ancien droit, lorsque, sans qu'il y ait eu faute de sa part, l'exercice du droit nouveau est devenu impraticable à son égard.

5° En conséquence, nous pensons qu'après avoir protesté de son attachement inviolable au saint siége et à la personne du souverain pontife, après avoir réclamé l'observation de la discipline actuellement en vigueur, le concile pourrait déclarer qu'attendu l'impossibilité de recourir à un concile oecuménique, et vu le danger imminent dont l'église est menacée, l'institution donnée conciliairement par le métropolitain à l'égard de ses suffragans, ou par le plus ancien des évêques de la province à l'égard du métropolitain, tiendra lieu des bulles pontificales, jusqu'à ce que le Pape ou ses successeurs consentent à l'exécution du concordat.

Ce retour provisoire à une partie de l'ancien droit ecclésiastique serait justifié par la première de toutes les lois, la loi de la nécessité que notre S. P. le Pape a lui-même reconnue, à laquelle il s'est soumis, lorsque, pour rétablir l'unité dans l'église de France, il s'est mis au-dessus de toutes les règles ordinaires, en supprimant, par un acte d'autorité sans exemple, toutes les anciennes églises de France pour en créer de nouvelles.

TROISIÈME SÉRIE.

QUESTION SUR LA POSITION ACTUELLE.

«La bulle d'excommunication du 10 juin 1809 étant contraire à la charité chrétienne, ainsi qu'à l'indépendance et à l'honneur du trône, quel parti prendre pour que, dans des temps de troubles et de calamités, les Papes ne se portent pas à de tels excès de pouvoir?»

NOTE PRÉLIMINAIRE À LA RÉPONSE.

Le manuscrit de la réponse des évêques, que nous avons sous les yeux, est incomplet. Il n'en contient que le préambule et la conclusion. Nous avons eu recours à une autre copie; dont le dépositaire a bien voulu nous donner une communication; mais n'ayant trouvé aucun indice suffisant de son authenticité, et même de sa fidélité, nous n'avons pas cru devoir en faire usage, pour remplir la grande lacune qu'offre notre exemplaire.

Nous nous bornerons à insérer ici un extrait de cette partie de la réponse des évêques, qui se trouve dans la copie qui nous a été communiquée, et dont nous ne sommes pas en état de garantir l'exactitude. Elle nous a paru se lier naturellement avec le préambule et la conclusion que nous publions, et indiquer assez clairement la filiation des idées.

RÉPONSE DES ÉVÊQUES.

Pour répondre à la question proposée par S. M., il nous a paru indispensable d'entrer dans un examen de la bulle qui en est l'objet; car si, d'un côté, le respect et l'obéissance que nous devons au souverain, qui nous interroge nous obligent à lui répondre avec la franchise et la véracité de notre ministère, de l'autre, la vénération profonde et le dévoûment de tout évêque catholique à Sa Sainteté lui font un devoir non moins pressant de ne pas s'expliquer légèrement sur un acte émané d'elle, et dont les principes et les résultats sont d'une si haute importance.

Voici le précis de la bulle.

«Le Pape commence par déclarer qu'il ne peut pas croire que des raisons politiques, des mesures militaires, et son refus d'accéder à une partie des demandes qui ont été faites par le gouvernement français, aient été les seuls motifs de l'invasion de Rome et des provinces de l'État romain, qu'il attribue aux vues les plus funestes à la religion.

«S. S. rappelle ensuite son zèle et ses travaux pour le rétablissement du culte en France; mais, continue le Pape, à peine le concordat eut-il été promulgué, qu'il fut anéanti par la publication simultanée des articles organiques, dont le S. P. porta ses plaintes au sacré collége, dans son allocution du 24 mai 1802, où il les présenta comme subversifs de la liberté promise à la religion catholique, et même quelques uns comme indirectement contraires à la doctrine de l'Évangile.

«Le concordat italique ayant été violé de la même manière, ces deux traités, loin d'avoir été salutaires à l'église, sont devenus pour elle de vrais fléaux.

«Toutes les plaintes et les représentations du saint siége ont été éludées. Les demandes que le gouvernement français ne cessa d'ajouter à ses prétentions, mirent le pape dans l'alternative de trahir son ministère apostolique, ou de s'exposer à une déclaration de guerre. Le S. P. prit alors la résolution de ne pas livrer, même par un assentiment tacite, le domaine temporel dont il était dépositaire, et de conserver l'indépendance nécessaire au libre exercice de la puissance spirituelle.

«Le S. P. rappelle ensuite les persécutions par lesquelles on a tenté d'ébranler sa constance.

«En regrettant de ne pouvoir apaiser l'orage par le sacrifice de sa propre vie, et de se voir réduit à surmonter sa douceur naturelle pour faire usage des armes spirituelles qui lui sont confiées, S. S. pense que l'invasion totale de ses États l'oblige de lancer les anathèmes portés par les saints canons, à l'exemple de ses prédécesseurs.

«La bulle déclare alors que tous les auteurs, fauteurs, conseillers et exécuteurs de ces attentats ont encouru l'excommunication prononcée par le droit canonique, surtout par le concile de Trente (session 22, chap. 11); et, s'il en est besoin, le S. P. les excommunie et les anathématise de nouveau, sans nommer personne individuellement.

«S. S. défend d'attenter aux droits et prérogatives des personnes comprises dans cette censure, et termine son décret par les clauses du style.»

D'après ce précis de la bulle du 10 juin 1809, l'attention se porte naturellement sur le mélange des motifs spirituels et temporels énoncés dans le préambule, et sur lesquels est fondée la sentence prononcée par le dispositif.

EXTRAIT.

Les propositions faites à S. S. de la part de l'empereur appartiennent, pour la plupart, à la haute politique. Parmi les réquisitions et marches militaires indiquées dans la bulle, on ne trouve aucune matière de spiritualité.

Les inculpations en matière de foi, énoncées dans la bulle, portent sur des intentions secrètes, sur lesquelles l'église s'abstient toujours de prononcer.

On ne peut pas raisonnablement attribuer des complots d'impiété au prince qui a replacé la religion catholique sur ses autels.

Les articles additionnels au concordat ne lui ont pas porté d'atteintes essentielles, et les plus affligeans pour l'église sont restés sans exécution. Il est permis d'espérer des modifications favorables.

Quoique le traitement des ministres inférieurs soit évidemment insuffisant, il n'en est pas moins vrai que l'empereur a fait pour le clergé, en général, bien plus qu'il n'avait promis par le concordat.

Dans les discussions politiques, et les guerres ou invasions qui s'ensuivent, de quelque côté que soient la justice ou les torts, les souverains temporels ne sont responsables qu'à celui-là seul qui donne et ôte les couronnes. Lorsque le pape Grégoire IX eut fait connaître à saint Louis qu'il avait excommunié l'empereur Frédéric, le saint roi répondit qu'il enverrait des hommes probes pour s'informer de quelle manière ce prince pensait sur la foi catholique, et que, s'il tenait une doctrine saine, il ne devait pas être molesté par l'excommunication. L'empereur répondit qu'il était chrétien, qu'il était catholique, et que sa croyance était pure sur tous les articles de la foi orthodoxe: Se esse virum catholicum, christianum, sanè de omnibus orthodoxæ fidei articulis sentientem. (Voir dans l'histoire les guerres, les schismes et les scandales qui furent la suite de tant de censures prodiguées pour des intérêts temporels ou d'un genre mixte.)

Le concile de Trente ne paraît pas applicable à l'espèce présente. Son décret, invoqué par la bulle, n'a point eu, et n'a pu avoir pour objet les différends entre les souverains, et les événemens qui en sont les résultats, lorsque la foi et la discipline essentielle de l'église n'y sont point compromises; et dira-t-on que ces deux choses reposent essentiellement sur la souveraineté temporelle des papes?

Lorsque, sous Louis XIV et Louis XV, Avignon fut occupé par les troupes françaises, les papes se sont abstenus de l'excommunication. Pie VI, qui s'est montré si justement sévère contre la constitution civile du clergé, parce qu'elle attaquait la discipline essentielle de l'église, n'a pas prononcé d'excommunication contre les spoliateurs de l'église gallicane. (Voir l'art. 13 du concordat de 1801.)

Exemples de la sage antiquité dans l'usage des censures.—L'église considérait que son ministère est tout entier pour l'édification, et non pour la destruction. Elle usait surtout d'une admirable circonspection, lorsqu'il s'agissait des rois et des empereurs, et même simplement de ceux qui avaient une grande influence sur les peuples. (Voir l'histoire des huit premiers siècles de l'église.)

Les bulles de Boniface VIII contre Philippe-le-Bel, de Jules II contre Louis XII, de Sixte-Quint contre Henri IV, n'ont jamais eu de force ni d'effet en France, parce que les évêques de France ont refusé de les reconnaître et de les publier. Par la même raison, la bulle in Cænâ Domini, si long-temps et si solennellement publiée à Rome, a toujours été regardée parmi nous comme non avenue. Si la bulle du 10 juin dernier eût été adressée aux évêques de France, nous pensons qu'ils l'eussent déclarée contraire à la discipline de l'église gallicane, à l'autorité du souverain, et capable, contre l'intention du pape, de troubler la tranquillité publique.

FIN DE LA RÉPONSE DES ÉVÊQUES.

Nous avons montré, par les exemples de l'antiquité, que l'église a toujours évité de recourir à l'usage des censures envers les souverains, à cause des suites funestes qu'elles pouvaient avoir pour la religion. Heureusement nous n'avons aujourd'hui rien de semblable à redouter. Si nous sommes profondément affligés de l'interruption passagère de nos communications avec le souverain pontife, nous ne sommes point alarmés pour l'avenir. La déclaration publique et si souvent réitérée qu'à faite Sa Majesté, qu'elle ne romprait jamais le lien de l'unité, nous rassure. Nous savons que, si une force aveugle brise tout au gré de ses caprices et de ses passions, la force accompagnée de la sagesse connaît les bornes qu'elle doit respecter, et ne les dépasse jamais. La foi, la hiérarchie de l'église, tous les points essentiels de sa discipline ne recevront aucune atteinte. Les liens sacrés et indissolubles de la subordination catholique continueront à unir les brebis et les pasteurs au premier pasteur, au père commun de tous. Enfin, l'église gallicane, qui s'est distinguée dans tous les temps par la pureté de sa doctrine, par son zèle pour l'unité, par son attachement et son respect filial pour le successeur de saint Pierre et pour l'église de Rome, mère et maîtresse de toutes les églises, conservera précieusement ces sentimens, et sera toujours la première à les manifester.

Nous ne nous en écarterons pas en marchant sur les traces de nos prédécesseurs assemblés en 1510, avec les députés des chapitres et des universités du royaume. À leur exemple, et en empruntant, quoique dans une cause différente, le langage de nos pères assemblés à Chartres, en 1591, au sujet des lettres monitoriales du pape Grégoire XIV, «sans rien diminuer de l'honneur et du respect dus à S. S., et après avoir conféré et mûrement délibéré sur le fait de la bulle, nous disons avoir reconnu, par l'autorité des saints décrets, constitutions canoniques et exemples des saints pères, dont l'antiquité est pleine, droits et libertés de l'église gallicane, desquelles nos prédécesseurs évêques se sont toujours prévalus en pareilles entreprises, à raison des inconvéniens infinis qui s'ensuivraient, au préjudice et à la ruine de notre sainte religion:

«Que les censures et excommunications portées par ladite bulle sont nulles, tant en la forme qu'en la matière, et qu'elles ne peuvent lier ni obliger la conscience…, nous réservant de représenter et de faire entendre à N. S. P. la justice de notre cause et saintes intentions, et rendre S. S. satisfaite, de laquelle nous devons nous promettre la même réponse que fit le pape Alexandre, écrivant ces mots, à l'archevêque de Ravenne: Nous porterons patiemment, quand vous n'obéirez pas à ce qui nous aura été, par mauvaises impressions, suggéré et persuadé

Cette déclaration est la réponse la plus précise que nous puissions faire à la question proposée par S. M. I., au sujet de la bulle du 10 juin 1809; car la déclaration authentique de la nullité de l'excommunication semble être le plus sûr moyen pour empêcher que les souverains pontifes ne se laissent aller aux fausses suggestions par lesquelles on tenterait de leur persuader d'en publier de semblables à l'avenir.

Que si la déclaration d'un petit nombre d'évêques n'était pas regardée comme suffisante, il resterait à la soumettre à l'examen d'une assemblée du clergé de France, ou même d'un concile national, pour y être renouvelée. Nous avons tout lieu de croire que cette assemblée, ou ce concile, après avoir établi les vrais principes, et déclaré quel est l'esprit de l'église dans l'application des censures à l'égard des souverains, et notamment des rois ou empereurs des Français, déclarerait la nullité et interjetterait appel au concile général, ou au pape mieux informé, tant de la bulle d'excommunication du 10 juin, que de toutes les bulles semblables qui pourraient être rendues par la suite. Ces formes d'appel sont depuis long-temps usitées en France. Elles l'ont toujours été dans l'église, quoique sous des noms différens, comme un recours légitime, dans certains cas extraordinaires, à l'autorité supérieure de l'église universelle; et c'est ce qu'on peut voir développé par toute la suite de la tradition ecclésiastique, dans la défense de la déclaration du clergé de France, par le grand évêque de Meaux.

En prouvant que la bulle du 10 juin doit être regardée comme nulle et de nul effet, nous avons offert à Sa Majesté, contre ce décret et tout autre semblable qui pourrait émaner de la cour de Rome, une garantie suffisante; et si, dans des temps de troubles et de calamités, les Papes se portaient à des excès de pouvoir aussi contraires à la charité chrétienne qu'à l'indépendance et à l'honneur du trône, de pareils excès porteraient leur remède avec eux-mêmes, et les évêques de France en arrêteraient tout l'effet.

Mais l'ancienne et constante doctrine de l'église gallicane fournit une garantie encore plus solide, parce qu'elle soustrait les souverains, en ce qui concerne l'ordre politique et leurs droits temporels, non seulement à la juridiction du Pape, mais encore à l'autorité de l'église elle-même.

Nous reconnaissons donc, et dans la circonstance présente, nous nous faisons un devoir de déclarer, avec la célèbre assemblée du clergé de 1682, «qu'à saint Pierre et à ses successeurs, vicaires de J. C., et à l'église, Dieu a donné la puissance dans les choses spirituelles, et qui appartiennent au salut; mais non dans les choses civiles et temporelles, le Seigneur ayant dit: «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. C'est aussi le précepte de l'apôtre: Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures; car il n'est aucune puissance qui ne vienne de Dieu. Les puissances qui existent, c'est Dieu qui les a ordonnées. C'est pourquoi celui qui résiste à la puissance résiste à l'ordre que Dieu a établi. Donc les rois et les princes, en ce qui concerne le temporel, ne sont soumis, par l'institution divine, à aucune puissance ecclésiastique; ils ne peuvent être déposés par l'autorité des chefs de l'église, ni directement, ni indirectement, et leurs sujets ne peuvent être ni dispensés de la foi et de l'obéissance qu'ils leur doivent, ni déliés du serment de fidélité qu'ils leur ont prêté, et qu'il faut s'attacher à cette doctrine comme nécessaire à la tranquillité publique, comme non moins utile à l'église qu'à l'empire, comme entièrement conforme à la parole de Dieu, à la tradition des saints pères et aux exemples des saints.»

DEMANDES ADRESSÉES À LA SECONDE COMMISSION, AVEC SES RÉPONSES.

PREMIÈRE QUESTION.

«Toute communication entre le Pape et les sujets de l'empereur étant interrompue, quant à présent, à qui faut-il s'adresser pour obtenir les dispenses qu'accordait le saint siége?»

RÉPONSE DES ÉVÊQUES.

Honorés de la confiance du souverain qui nous réunit pour lui tracer, dans les circonstances actuelles, la marche la plus conforme aux conciles et aux usages de l'église, nous ne consulterons, dans nos réponses, que notre amour pour la religion, notre zèle pour l'intérêt des peuples dont nous sommes les premiers pasteurs, et notre dévoûment à l'empereur.

La franchise et la sainte véracité de notre ministère ne nous permettent pas de déguiser la profonde douleur dont nous avons été pénétrés, en apprenant que toute communication entre le Pape et les sujets de l'empereur venait d'être rompue.

Sujets fidèles et respectueux, nous oserons néanmoins dire à Sa Majesté que le saint siége étant le lien le plus fort, le lien nécessaire de l'unité ecclésiastique dont il est le centre, nous ne pouvons plus prévoir que des jours de deuil et d'affliction pour l'église, si les communications et les rapports demeurent long-temps suspendus entre les fidèles et le père commun que Dieu leur a donné dans la personne de N. S. P. le Pape.

Nous la supplierons d'écouter avec bonté ce que proclamait, avant nous, l'illustre Marca, que, «selon notre sentiment et celui de tous les catholiques français, le premier et le principal fondement de la liberté ecclésiastique est que la primauté du siége apostolique obtienne toujours sa place[21].

En tenant ce langage que nous ont transmis nos pères dans la foi, nous ne faisons que montrer de plus en plus notre attachement à la doctrine contenue dans la déclaration de 1682, et nous aimons à nous rassurer, au milieu de nos sollicitudes religieuses, sur la conservation des liens qui unissent la France au centre de l'unité catholique, par la promesse que Sa Majesté a daigné nous faire de maintenir cette déclaration dans son intégrité, tant pour ce qui concerne la primauté d'institution divine du saint siége apostolique, qu'à l'égard des règles canoniques suivant lesquelles elle doit être exercée.

Nous ne craindrons pas même de dire à Sa Majesté qu'en considérant attentivement les circonstances du temps présent, nous sommes portés à leur appliquer ce que le génie prévoyant de Bossuet lui faisait entrevoir dans un avenir éloigné. «La doctrine de la déclaration, disait ce grand évêque, relève merveilleusement la dignité, la véritable autorité de l'église catholique et des souverains pontifes… Et il peut venir un temps où les gens de bien la croiront nécessaire pour eux-mêmes, pour l'église et pour le saint siége apostolique[22].»

C'est ainsi, comme l'écrivaient à leurs collègues les évêques de l'assemblée de 1682, que, sans avoir outrepassé les bornes posées par nos pères, et énonçant modestement la doctrine des quatre articles comme un sentiment utile et vrai, «il arrivera que ces mêmes articles deviendront, par un heureux concours, des canons invariables de l'église gallicane, que les fidèles recevront avec respect.» Sic eveniet ut quos ad vos mittimus doctrinæ nostræ articuli, fidelibus venerandi et nunquam intermorituri ecclesiæ gallicanæ canones evadant[23].

Mais plus nous sommes persuadés de ces vérités, plus aussi nous sommes touchés de la résolution par laquelle Sa Majesté interrompt toute communication entre ses sujets et le Pape. Nous répétons après saint Bernard, que Bossuet appelait l'ange de la paix, qu'il n'y a rien de plus nécessaire en ce temps que d'assembler les évêques.» Et nous ajoutons, à l'exemple de ce saint abbé, dans la lettre respectueuse qu'il écrivait à un de nos rois, que, «s'il est sorti de l'autorité apostolique quelque chose dont Sa Majesté se trouve offensée, ses fidèles sujets qui composeront cette assemblée travailleront à faire qu'elle soit adoucie ou révoquée, autant qu'il le faut pour l'honneur et la dignité du trône[24].»

C'est dans le même esprit que, pour répondre directement à la première question qui nous est proposée par Sa Majesté, nous croyons devoir appliquer aux réserves dont le Pape est en possession, ce que dit le savant P. Thomassin de l'exercice de quelques, autres prérogatives du saint siége. «Cette réserve n'a pas été la même dans tous les temps, et n'a pas eu la même extension dans tous les lieux; et quoiqu'on ne puisse pas dire que ces pouvoirs, qui n'ont éclaté qu'après plusieurs siècles, soient de droit divin, on ne peut néanmoins nier qu'ils ne soient très convenables à la primauté du Pape[25],» que le grand évêque de Maux, dans sa Défense de la déclaration, appelle le principal exécuteur et interprète des saints canons dans tout l'univers.

C'est principalement en vertu de ce titre vénérable de principal exécuteur et interprète des saints canons, que s'est formée une discipline universelle par laquelle la réserve de certaines dispenses a été partout attribuée au saint siége dans l'église d'Occident, et ces réserves, que de sages motifs ont fait établir, sont devenues un droit commun dont il n'est pas permis de s'écarter sans les raisons les plus graves. Telle est particulièrement la réserve des dispensés relatives à l'ordre et à la discipline générale du clergé, à l'âge requis pour l'épiscopat et les ordres majeurs, à la translation des évêques et autres du même genre.

D'autres réserves d'une moindre importance se sont introduites successivement, quoiqu'elles soient relatives aux besoins et à l'usage journalier des fidèles, telles que celles de certaines absolutions, dispenses de mariage; d'autres enfin qu'autorise l'indulgence de l'église, et que commande souvent une sorte de nécessité plus ou moins urgente.

Puisque ces réserves ne sont pas, de droit divin, attachées à la primauté du saint siége, il s'ensuit que les évêques dans leurs diocèses respectifs, et en vertu de la juridiction épiscopale, ont inhérent en eux le pouvoir d'accorder aux fidèles les dispenses et absolutions qui s'y rapportent; c'est encore ce qu'établit le P. Thomassin, en nommant inaliénable la juridiction qui appartient aux évêques pour la concession de ces sortes de dispenses ou absolutions: Incerta et concreta quodammodo episcopali jurisdictioni[26].

Ce pouvoir est une suite de celui que l'apôtre saint Paul déclare qu'ils ont reçu du Saint-Esprit, de gouverner l'église de Dieu, et par conséquent de subvenir aux besoins spirituels des fidèles confiés à leur sollicitude pastorale. Ils l'ont exercé pendant les premiers siècles, soit dans les conciles, soit hors des conciles, et nous ne connaissons pas un seul réglement de l'église universelle, pas un seul canon des conciles généraux, pas même un seul décret émané du saint siége, qui les en ait privés.

Ce furent souvent les évêques eux-mêmes qui favorisèrent le recours à Rome, en y renvoyant les absolutions et les dispenses plus considérables, soit qu'il leur fût plus difficile qu'au saint siége de résister aux hommes puissans qui les sollicitaient, soit qu'ils craignissent que la discipline ne fût énervée et la loi même abrogée par la multitude des dispenses, soit qu'ils regardassent le recours au Pape comme le seul moyen d'établir ou de conserver une sorte d'uniformité dans cette partie de la discipline de l'église; soit enfin qu'ayant, de jour à autre, plus de communication avec les papes, ils ne pussent s'empêcher d'honorer la prééminence du siége apostolique par cette réserve des affaires les plus importantes. On peut voir, siècle par siècle, la progression de ces changemens et de leurs causes dans l'auteur, déjà cité, de l'Ancienne et Nouvelle Discipline de l'Église[27].

Ce serait vouloir démentir l'histoire que de ne pas avouer qu'une partie de ces changemens est due aux fausses idées de quelques ultramontains sur la nature et sur les droits de l'épiscopat. Ils ont dit que des évêques particuliers n'avaient pas l'autorité de dispenser des lois de l'église universelle; et ce langage serait juste, s'il signifiait seulement que des évêques particuliers ne peuvent pas abolir, même dans leur diocèse, une loi reçue dans toute l'église, ou que leur territoire étant circonscrit pour l'exercice ordinaire de la juridiction, la leur ne s'étend pas, comme celle du Pape, dans l'église universelle. Mais ce langage, pris dans sa généralité, est évidemment faux, puisque les évêques ont toujours accordé, quand le plus grand bien de la religion et des fidèles le voulait ainsi, les dispenses de plusieurs lois ou canons de l'église universelle, du jeûne, de l'abstinence, de certains voeux, de certains empêchemens de mariage.

Les mêmes ultramontains n'ont pas craint d'ajouter que les évêques institués par J. C., successeurs des apôtres, revêtus de la plénitude du sacerdoce, n'étaient que de simples délégués ou vicaires du pape, et qu'ainsi l'exercice de leurs pouvoirs était absolument subordonné à la volonté du pape. Il suffit d'avoir exposé, et il n'est pas besoin de réfuter de tels principes, que le saint siége lui-même n'a jamais avoués, et qu'on ne peut établir qu'à l'aide de contradictions évidentes ou de paradoxes insoutenables.

Le pouvoir radical des évêques pour la concession des dispenses est donc à l'abri de toute attaque, et la possession exclusive, plus ou moins longue, plus ou moins générale du saint siége, ne repose sur aucune loi positive, sur aucun canon de l'église qui en ait dépouillé les évêques particuliers.

C'est dans un concile provincial de Tours, tenu en 1583, que se trouve le premier réglement ecclésiastique à ce sujet. Il interdit aux évêques de la métropole de Tours les dispenses de consanguinité et d'affinité, même au quatrième degré, et le concile provincial de Toulouse, tenu sept ans après, semble aussi supposer que le droit de les accorder appartient privativement au pape.

Mais ces deux conciles particuliers sont les seuls qui renferment de semblables dispositions. Les autres conciles provinciaux tenus en France, depuis le milieu du seizième et pendant le cours du dix-septième siècle, à Aix, à Bourges, à Bordeaux, à Cambrai, à Narbonne, à Reims; l'assemblée de Melun, qui s'est occupée, comme eux, des empêchemens de mariage et des dispenses dont ils étaient susceptibles, se sont bien gardés de toucher au droit imprescriptible des évoques, pour augmenter, en limitant son exercice, les prérogatives du saint siége.

Il y a plus: quoique l'interdiction faite aux évêques de la province de Tours, par le réglement de 1583, soit bien précise et sans exception, il est de fait que plusieurs évêques de cette métropole, notamment ceux de Nantes, de Rennes, d'Angers et du Mans, accordent les dispenses de mariage dans plusieurs degrés que le réglement du concile leur interdit expressément; ce qui prouve le peu d'autorité qu'il conserve, sous ce rapport, même dans la province où il a été porté.

Quoi qu'il en soit de ces réglemens, qui n'ont par eux-mêmes qu'une autorité très circonscrite, on peut leur appliquer, ainsi qu'à l'espèce de prescription sur laquelle est fondée, dans nos diocèses, la réserve de certaines dispenses ou absolutions, ce que disait Yves de Chartres dans une affaire bien autrement importante pour l'église: «Des usages, ou des règles qui ne sont pas fondés sur la loi éternelle, et auxquels l'honneur et l'avantage de l'église ont donné naissance, peuvent être abandonnés, pour un temps, par des motifs aussi saints que ceux qui les firent établir; et alors cet abandon n'est pas une prévarication dangereuse contre la règle, mais bien plutôt une dispensation louable et salutaire.» Cum ea quæ æternâ lege sancita non sunt, sed pro honestate et utilitate ecclesiæ instituta vel prohibita, pro eâdem occasione ad tempus remittuntur pro quâ inventa sunt, non est institutionum damnosa prævaricatio, sed laudabilis et saluberrima dispensatio[28].

Cela est surtout vrai quand il s'agit du renoncement passager à une réserve qui n'est fondée sur aucune loi divine ou même ecclésiastique, et du retour temporaire à l'exercice d'un droit inaliénable de sa nature, tel que celui qui est inhérent au caractère épiscopal, d'accorder les dispenses que l'usage réservait au saint siége; et lorsque de puissans motifs d'utilité publique, du bien de la religion et des besoins spirituels des fidèles, déterminent les évêques à reprendre, pour un temps, l'exercice du droit suspendu par la réserve, alors, loin de pouvoir être accusés d'une prévarication dangereuse contre la règle, leur conduite à cet égard est, selon Yves de Chartres, une dispensation louable et salutaire, que leur prescrivent le bon gouvernement et les besoins de leurs diocèses.

Depuis long-temps, l'église gallicane a su mettre ces maximes en pratique. Au quinzième siècle, un schisme déplorable affligeait l'église, et la difficulté de reconnaître quel était le pape légitime équivalait à une sorte d'impossibilité de recourir à lui, afin d'en obtenir les absolutions ou dispenses dont les fidèles pouvaient avoir besoin. Alors fut convoquée l'assemblée du clergé, qu'on regardait en ces rencontres, dit le savant et religieux P. Berthier, comme le souverain tribunal ecclésiastique de la nation. Les évêques réunis en 1408, avec les députés des chapitres et des universités, dans la Sainte-Chapelle de Paris, firent, au mois d'octobre, le fameux réglement connu sous le titre d'Advisamenta Ecclesiæ gallicanæ. Le second article règle que les absolutions communément réservées au pape, les dispenses de mariage et d'irrégularités, seront données, si cela se peut, par le pénitencier de l'église romaine, sinon par l'ordinaire, ou, en certains cas, par le concile de la province[29].

Une résolution semblable fut prise par le concile de l'église gallicane, assemblée en 1510 à Tours, sous Louis XII. On y statua (art. IV) que les prélats et sujets du roi se conformeraient à l'ancien droit commun. Conclusum est per concilium servandum esse jus commune antiquum.

Venant à nos temps modernes, nous voyons un Pape aussi savant que zélé pour le maintien de la discipline de l'église, regarder la difficulté de recourir au saint siége comme un motif de s'écarter de la sage réserve qui attribuait au Pape les absolutions et dispenses dont il s'agit. Ultrò concedimus episcopis, dit Benoît XIV, relaxandi facultatem, modò facilè adiri non possit prima sedes. Or, si ce grand Pape accordait volontiers aux évêques la faculté de dispenser, lorsqu'il prévoyait qu'il ne serait pas facile de recourir au saint siége, à plus forte raison croyait-il que, si des circonstances impérieuses ne permettent pas d'y recourir, les évêques doivent user provisoirement de la faculté de dispenser, dont l'usage ne peut jamais rester suspendu dans l'église. La raison en est, comme le dit fort bien l'auteur du Traité des Dispenses, que la réserve «doit cesser quand le vrai bien des fidèles l'exige; et il n'y aurait ni prudence ni sagesse à vouloir qu'elle subsistât dans des occasions où elle ne pourrait subsister sans être préjudiciable à ceux pour l'avantage desquels on peut assurer qu'elle a été et qu'elle a dû être établie[30].»

La réserve des dispenses est odieuse, dit encore le même théologien, parce qu'elle déroge au droit des évêques; et dans son Traité du Mariage, il prouve que cette réserve, qui n'a pu s'établir que pour le bien de l'église, lui deviendrait souvent préjudiciable, si elle ne cessait pas lorsqu'il est impossible ou même simplement incommode de recourir au siége apostolique: Eo quòd ad apostolicam sedem, vel nullatenùs, vel opportunè recurri non possit[31].

À ces autorités il serait facile de joindre celles de M. d'Argentré, évêque de Tulle, dans son Explication des Sept Sacremens; de Pontas; du docteur Bailly, auteur d'une Théologie dogmatique et morale à l'usage des séminaires; des Conférences de Paris et d'Angers. Le docteur Ducasse lui-même, qui a plaidé avec tant de zèle en faveur du droit exclusif qu'il attribue au Pape d'accorder les dispenses de mariage, avoue que la réserve cesse en certains cas, notamment dans celui de la difficulté du recours, parce que, dit-il, «la réservation qui est faite au Pape et la puissance que Jésus-Christ lui a donnée, est pour édifier et non pour détruire[32].»

En un mot, tous les théologiens et canonistes qui jouissent de quelque estime en-deçà comme au-delà des monts, s'accordent à penser que, si le recours au saint siége devient impossible, dangereux ou même simplement difficile, la réserve est suspendue pour tout le temps que durent l'impossibilité, la difficulté ou le danger de ce recours.

Ainsi nous répondrons à la première question que Sa Majesté nous a fait l'honneur de nous proposer, en disant: Lorsque des circonstances malheureuses interrompent, pour un temps, la communication entre le Pape et les sujets de l'empereur, c'est aux évêques diocésains que les fidèles doivent s'adresser, afin d'obtenir les dispenses qu'accordait le saint siége.

Mais cette réponse qu'il a fallu généraliser, parce que la question nous était proposée en termes généraux, a besoin elle-même d'une explication dont nous avons indiqué le principe, en distinguant deux sortes de dispenses: les unes relatives à l'administration générale de l'église et à sa discipline intérieure, les autres qui ont pour objet les besoins journaliers des fidèles. C'est uniquement à ces dernières que doit se rapporter la réponse que nous venons de faire à Sa Majesté; car il y aurait trop d'inconvénient à laisser à la volonté particulière de chaque évêque l'exercice du droit de disposer des lois que l'église a portées pour le bon ordre et l'uniformité de son gouvernement.

SECONDE QUESTION.

La seconde question que Sa Majesté nous fait l'honneur de nous proposer est celle-ci:

«Quand le Pape refuse persévéramment d'accorder des bulles aux évêques nommés par l'empereur pour remplir les sièges vacans, quel est le moyen légitime de leur donner l'institution canonique?»

Pour répondre à cette importante question, nous croyons devoir rappeler celle qui nous fut proposée l'année dernière en ces termes:

«Le gouvernement français n'ayant point violé le concordat, si, d'un autre côté, le Pape refuse de l'exécuter, l'intention de Sa Majesté est de regarder le concordat comme abrogé; mais, dans ce cas, que convient-il de faire pour le bien de la religion?»

Après une exposition succincte de la doctrine catholique, concernant la juridiction de l'église, nous terminions notre réponse en observant que le conseil n'avait pas l'autorité nécessaire pour indiquer les mesures propres à remplacer l'intervention du Pape dans la confirmation des évêques; que son avis, à cet égard, ne serait que celui d'un très petit nombre de prélats, sans pouvoir, sans caractère pour représenter l'église de France. En conséquence, disions-nous, nous pensons que, dans une circonstance aussi délicate, où il est essentiel de ne point s'écarter des principes consacrés par la religion, de ne pas alarmer les consciences, Sa Majesté ne peut rien faire de plus sage et de plus conforme aux règles, que de convoquer un concile national, où le clergé de son empire examinerait la question qui nous est proposée, et indiquerait les moyens propres à prévenir les inconvéniens de refus des bulles pontificales.

En 1688, à l'occasion d'un refus semblable, fait par le pape Innocent XI aux évêques nommés par Louis XIV depuis 1681, le parlement de Paris, sur les conclusions du procureur-général Talon, rendit un arrêt portant que le roi serait supplié de convoquer les conciles provinciaux et même un concile national. Cet arrêt, dit d'Héricourt, est conforme à ce qui s'est pratiqué en France en des occasions pareilles. Les exemples en sont rapportés dans les Preuves des libertés de l'Église gallicane.

Sa Majesté jugea et nous fit dire que cette réponse ne satisfaisait pas entièrement à la question, en ce qu'elle ne déterminait pas si le concile national avait en lui-même l'autorité nécessaire pour suppléer au défaut des bulles apostoliques, ou s'il faudrait encore recourir à une autorité supérieure à la sienne.

Sans vouloir prévenir ni préjuger la décision du concile appelé à prononcer sur une matière d'un aussi grand intérêt, le conseil indique la marche qu'il pourrait suivre, et conclut son opinion par ces réflexions que nous allons transcrire, parce qu'elles renferment le principe de la réponse à la question qui nous est proposée aujourd'hui.

«Jusqu'à présent, nous avons raisonné d'après les lois de la discipline ecclésiastique, et dans l'état ordinaire des choses, il n'est jamais permis de s'en écarter. Mais un point de discipline, établi pour le gouvernement et la conservation des églises particulières, cesse d'obliger lorsqu'il est évident qu'on ne peut l'observer sans exposer une grande église aux plus grands dangers. Si le chef de l'église universelle paraît abandonner l'église de France à elle-même, en refusant de concourir, comme il le doit, à l'institution de ses évêques, cette église si ancienne, et qui occupe une place si considérable dans la catholicité, doit trouver en elle-même des moyens de se conserver et de se perpétuer. Elle est autorisée à recourir à l'ancien droit, lorsque, sans qu'il y ait eu faute de sa part, l'exercice du droit nouveau est devenu impraticable à son égard.

«En conséquence, nous pensons qu'après avoir protesté de son attachement inviolable au saint siége et à la personne du souverain pontife, après avoir réclamé l'observation de la discipline actuellement en vigueur, le concile pourrait déclarer qu'attendu l'extrême difficulté, ou l'impossibilité de recourir à un concile oecuménique, vu le danger imminent dont l'église de France est menacée, l'institution donnée concilièrement par le métropolitain, à l'égard de ses suffragans, et par le plus ancien évêque de la province à l'égard du métropolitain, tiendra lieu des bulles pontificales, jusqu'à ce que le Pape ou ses successeurs consentent à l'exécution du concordat.

«Ce retour provisoire à une partie de l'ancien droit ecclésiastique serait justifié par la première de toutes les lois, la loi de la nécessité que notre saint père le Pape lui-même a reconnue, à laquelle il s'est soumis, lorsque, pour rétablir l'unité dans l'église de France, il s'est mis au-dessus de toutes les règles ordinaires, en supprimant, par un acte d'autorité sans exemple, toutes les anciennes églises de France, pour en créer de nouvelles.»

Telle est l'opinion que nous avions l'honneur d'exposer à Sa Majesté au mois de janvier 1810.

Depuis ce temps, le Pape a continué de refuser des bulles, sans alléguer aucune raison canonique de son refus; il ne s'est point rendu aux instances et respectueuses prières que lui ont adressées, au nom de toute l'église de France, les évêques qui se rencontraient à Paris, il y a près d'un an. Le nombre des diocèses qui n'ont point de premier pasteur augmente chaque année d'une manière effrayante, et bientôt l'épiscopat s'éteindrait en France, si l'on ne trouvait pas quelque moyen canonique de remédier à l'inexécution du concordat, et au refus persévérant des bulles apostoliques.

Louis XIV éprouva la même difficulté de la part des papes Innocent XI et Alexandre VIII. Tant que dura la mésintelligence entre les deux cours, c'est-à-dire depuis 1681 jusqu'en 1693, les évêques nommés par le roi gouvernèrent leurs diocèses en vertu des pouvoirs qu'ils recevaient du chapitre de l'église vacante. Nous en avons la preuve pour quelques uns, et notamment pour le célèbre Fléchier, nommé successivement à Lavaur et à Nîmes, et nous sommes fondés à présumer qu'il en a été de même des autres, sur lesquels il ne nous reste pas de renseignemens positifs.

Cette mesure, conseillée, à ce que l'on croit, par l'oracle de l'église gallicane, par l'immortel Bossuet, et parfaitement conforme aux principes de la hiérarchie, supposait les droits assurés au Pape par le concordat, et tendait même à les conserver; et quoique les droits de la nomination royale parussent compromis par cette espèce d'accommodement, Louis XIV voulut bien y condescendre. Les papes Innocent XI et Alexandre VIII ne s'y opposèrent pas, et Innocent XII l'approuva tacitement, en accordant les bulles aux évêques nommés, sans leur faire un crime de la part qu'ils avaient eue dans l'administration de leurs diocèses.

C'est un principe reconnu dans toute l'église, et consacré par le concile de Trente (session 24, chap. 16), qu'à l'instant même de la mort d'un évêque, la juridiction épiscopale passe de plein droit au chapitre cathédral; et dans l'église de France, c'est un usage immémorial que les chapitres confèrent les pouvoirs dont ils sont dépositaires, pendant la vacance du siége, à l'ecclésiastique nommé par le souverain à l'évêché vacant. S'il existe pour l'Italie, ou pour quelques autres pays, une loi, ou un usage contraire, cette loi, cet usage ne sont d'aucune autorité dans l'église de France, qui est toujours maintenue dans la possession de se gouverner selon son ancienne discipline.

C'est pour l'église de France, dans les circonstances actuelles, une précieuse ressource que le pouvoir donné aux évêques nommés d'exercer canoniquement, dans leurs diocèses, la juridiction épiscopale. Pourquoi faut-il que le Pape ait tenté de les dépouiller d'un droit si légitime, et qui ne peut tourner qu'à l'avantage des fidèles?

Dans ses brefs aux chapitres de Florence, de Paris et d'Asti, le Pape déclare, en principe général, que les chapitres des églises vacantes ne peuvent déléguer leurs pouvoirs aux évêques nommés par l'empereur, et il défend à ceux-ci d'accepter les pouvoirs qui leur seraient offerts; et de s'immiscer dans le gouvernement de leur église.

Nous savons bien que les brefs, qui ne sont reçus nulle part, ne prévaudront jamais contre notre antique discipline. Nous n'y voyons qu'une triste preuve des préventions inspirées au Pape par des hommes peu instruits de nos usages, et de la situation de l'église de France. Ce vertueux pontife, qui a donné à cette église des preuves si marquées de son affection paternelle, se serait empressé d'accueillir toutes les mesures de conciliation, s'il n'eût pas été trompé par des rapports infidèles.

C'est dans cet état de choses qu'après nous avoir déclaré qu'elle ne veut plus faire dépendre l'existence de l'épiscopat en France, de l'institution canonique du Pape, qui serait ainsi le maître de l'épiscopat, Sa Majesté nous demande quelles sont les mesures à prendre pour que les évêques aient le caractère requis pour exercer leur juridiction épiscopale. Sa Majesté s'en rapporte à nous pour lui faire connaître ce qui convient le mieux.

Nous nous montrerons dignes de la confiance dont Sa Majesté nous honore, par une exposition franche et loyale des vues que nous suggéreront notre dévoûment à sa personne et notre zèle pour la religion. Ces deux sentimens se prêtent une force mutuelle: évêques et Français, nous ne séparerons jamais les intérêts de l'église de ceux de l'État.

En déclarant que désormais l'existence de l'épiscopat en France ne dépendra plus de l'institution canonique du Pape, Sa Majesté abroge le concordat passé entre Léon X et François Ier, et renouvelé entre Sa Majesté et notre saint père le Pape.

Ce concordat, en effet, donne au Pape un avantage trop marqué sur nos monarques. Par une des clauses du concordat, le prince perd le droit de nommer, si, dans un temps fixé, il ne présente pas au Pape un sujet capable. Pour qu'il y eût égalité de droits entre les augustes parties contractantes, il eût fallu que, de son côté, le Pape se fût obligé de donner l'institution ou de produire un motif canonique de refus dans un temps déterminé, faute de quoi le droit d'instituer serait dévolu, par ce seul fait, au concile de la province où serait situé l'évêché vacant.

Au moyen de cette clause ajoutée au concordat, il ne serait plus au pouvoir des Papes de prolonger à leur gré la vacance des siéges. Les Papes ne seraient plus les maîtres de l'épiscopat. Nous conserverions tous les avantages du concordat, sans inconvéniens et sans danger.

Et puisque Sa Majesté nous permet de lui exposer ce qui nous paraît convenir le mieux pour assurer, dans tous les temps, le plein exercice de la juridiction épiscopale, nous oserons lui dire que, de toutes les mesures possibles, le concordat ainsi modifié est la plus simple, la plus conforme aux principes, la plus propre à rallier tous les esprits et à rassurer les consciences timorées.

Le changement que nous proposons dans le concordat est trop essentiel pour ne pas demander le consentement des deux parties contractantes. L'empereur est en droit de l'exiger, pour que ses nominations ne soient plus éludées par des refus, ou par des délais arbitraires. Le Pape doit y consentir, pour donner à l'empereur une garantie contre des abus qui se sont reproduits si souvent. Nous présumons de la justice et de la sagesse du saint père qu'il ne se refusera pas à une proposition si raisonnable; mais s'il n'y accédait pas, son refus justifierait, aux yeux de toute l'église, l'entière abolition du concordat, et le recours à un autre moyen de conférer l'institution canonique.

Nous ne devons pas le dissimuler à Sa Majesté, dans une affaire de cette nature, où le succès dépend uniquement de la persuasion, il s'agit moins de savoir ce que permet la rigueur des principes, que de consulter et de ménager l'opinion publique. Quelque juste que fût, d'après la conduite du Pape, l'entière abolition du concordat, quelque légitime que pût être le rétablissement de la sanction pragmatique, ou tout autre moyen d'institution canonique, nous ne croyons pas qu'on doive les proposer sans y avoir préparé les esprits, sans avoir convaincu les fidèles qu'il ne reste pas d'autre ressource pour donner des évêques à l'église de France, et que ce n'est qu'après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, que l'on se permet un changement si important dans la discipline de l'église.

Une autre considération n'échappera pas à la sagesse de Sa Majesté. On n'a pas oublié les troubles excités dans toute la France à l'occasion de la constitution civile du clergé; l'empereur, qui seul a pu les apaiser, ne voudra pas que de nouvelles dissensions, qu'un nouveau schisme viennent les ressusciter. Il ne faut donc pas que les fidèles tiennent pour suspecte la mission des évêques institués selon les formes nouvelles; il ne faut pas que la malveillance puisse emprunter de la religion mal entendue un prétexte pour former un parti dans l'État.

Sous un gouvernement aussi ferme que celui de Sa Majesté, nous ne craignons pas pour la chose publique. On ne verra pas renaître les séditions et la guerre civile; mais tout le monde sait que les divisions religieuses sont la source d'une infinité de maux particuliers, et n'eussent-elles d'autre effet que de relâcher le ressort de la religion et d'affaiblir son heureuse influence sur les moeurs publiques, il n'est rien que l'on ne doive tenter pour les prévenir.

Nous n'ignorons pas qu'il serait injuste et déraisonnable de confondre le rétablissement de la sanction pragmatique, ou toute autre mesure adoptée d'après l'avis et sous l'autorité de l'église de France, avec la constitution du clergé, décrétée par une autorité purement séculière, malgré les justes réclamations du souverain pontife et de tous les évêques de France; mais nous savons aussi que le peuple ne saisirait pas cette différence, qui tient à des notions trop au-dessus de sa portée, et qu'il ne verrait dans les nouvelles mesures substituées au concordat que l'absence de l'intervention du Pape, qu'il est accoutumé à regarder comme nécessaire.

En vain nous flatterions-nous de l'éclairer par nos instructions. Loin de le ramener, nous nous exposerions à perdre sa confiance: il nous croirait en opposition avec le chef de l'église, et hors de sa communion; il se partagerait entre le Pape et nous, et la plupart des fidèles ne connaissant pas les limites précises de la juridiction pontificale, les uns refuseraient au Pape l'autorité qui lui appartient de droit divin dans le gouvernement de l'église universelle, les autres abandonneraient des évêques qu'ils croiraient séparés du centre de l'unité catholique. Le schisme renaîtrait avec tous ses désordres; et quel remède pourrait-on y apporter, tant qu'il existerait une division entre le Pape et les évêques?

Et qu'on ne croie pas que nous cédons à de vaines terreurs. Nous connaissons les sentimens et les dispositions des peuples confiés à notre sollicitude. Nous nous rappelons les difficultés que nous avons éprouvées au commencement de notre épiscopat, et les ménagemens qu'il nous a fallu employer pour les concilier avec des changemens amenés par les circonstances, mais contre lesquels d'anciennes habitudes les avaient prévenus. Nous savons que nous n'avons obtenu leur confiance et celle de leurs pasteurs immédiats, qu'en nous présentant à eux au nom du saint siége. Nous savons encore, et il est de notre devoir de le dire à Sa Majesté, qu'au premier bruit de la mésintelligence qui a éclaté entre les deux puissances, l'inquiétude s'est répandue dans les esprits, les consciences ont été alarmées, et que, malgré tous nos efforts pour les rassurer, les peuples craignent de se voir replongés dans l'anarchie religieuse dont la sagesse de Sa Majesté avait su les tirer.

Dans plusieurs diocèses, il s'est formé une secte de prétendus catholiques purs qui exercent un culte clandestin, auquel président des prêtres qui, se dérobant à la surveillance des évêques, ne donnent au gouvernement aucune garantie de leurs principes et de la morale qu'ils enseignent. Nous sommes instruits que cette secte, qui commençait à se dissiper, a pris une nouvelle force des circonstances actuelles, et sans doute elle s'accroîtra d'une multitude d'hommes simples et ignorans, à qui il ne sera pas difficile de persuader qu'un changement aussi important dans la discipline de l'église annonce le projet de détruire la religion de leurs pères.

Une autre classe d'hommes encore plus dangereux, et surtout dans les campagnes, ce sont les restes d'une faction trop connue par ses excès. Toujours prêts à saisir toutes les occasions de semer le mécontentement et de troubler l'ordre public, ils affectent souvent auprès du peuple un zèle ardent pour la religion. Au plus léger changement introduit dans le culte, ils s'écrient que tout est perdu; ils se plaisent à alarmer la piété des bons villageois, pour les prévenir et les indisposer contre le gouvernement. C'est de la part de ces hommes sans religion, et par une suite de leurs perfides insinuations, que nous avons éprouvé les plus fortes oppositions à la suppression de quelques fêtes. Et qui peut prévoir l'effet des nouvelles manoeuvres, que mettent en jeu ces ennemis éternels de l'ordre et de la tranquillité publique, s'ils trouvent les esprits préparés à recevoir les impressions de la malveillance?

Quelles conséquences prétendrons-nous tirer de ces réflexions? Dirons-nous qu'il faut laisser les choses dans l'état où elles sont, et attendre qu'il plaise au souverain pontife d'accorder des bulles aux évêques nommés par l'empereur?

Non, le besoin de l'église de France et la dignité de l'empereur ne le permettent pas.

La juridiction déléguée par les chapitres cathédraux aux évêques nommés ne peut être regardée que comme un expédient passager. Outre le gouvernement des églises, l'épiscopat a des fonctions qui lui sont essentiellement réservées, et que les fidèles sont en droit de réclamer. Des évêques réduits à la qualité de simples administrateurs capitulaires ne pourraient remplir qu'une partie des devoirs de l'épiscopat, il faut que les pouvoirs de l'ordre soient unis aux pouvoirs de la juridiction; il faut que chaque diocèse trouve dans son sein la plénitude du ministère épiscopal.

Nous nous sommes permis d'exprimer le désir que l'on déclarât à S. S., ou que le concordat, déjà rompu par son propre fait, serait authentiquement aboli par l'empereur, ou qu'il ne serait conservé qu'à la faveur d'une clause propre à rassurer l'empereur et l'église de France contre ces refus arbitraires qui rendent illusoires les droits que le concordat assure à nos souverains. Si l'empereur daignait accepter ce tempérament; si, de son côté, le Pape, en reconnaissait la justice et les inestimables avantages, les bulles attendues depuis si long-temps seraient expédiées sur-le-champ; l'ordre et la paix se rétabliraient dans l'église de France sans secousse et sans déchiremens, l'on aurait obtenu tout ce que l'on a demandé, et nous n'aurions plus à craindre pour l'avenir le retour de semblables difficultés.

Mais si l'empereur ne jugeait pas convenable de se prêter à cette proposition, si le Pape refusait d'y acquiescer, le concordat devenant inexécutable tant que les choses demeureraient en cet état, par quel moyen faudrait-il le remplacer?

À cette question, l'esprit se reporte naturellement aux temps qui ont précédé les concordats, et la réponse qui se présente d'abord, c'est qu'il faudrait rétablir, pour ce qui concerne l'institution des évêques, les réglemens de la sanction pragmatique, rédigés dans l'assemblée de Bourges, en 1438, d'après les décrets du concile de Bâle.

Cependant la pragmatique ayant été abolie solennellement par la publication du concordat, on ne peut la faire revivre, à moins que l'autorité ecclésiastique n'intervienne dans son rétablissement. Car, ainsi que nous le disions l'année dernière, «au milieu de toutes les variations introduites dans la discipline de l'église, relativement à l'institution des évêques, le principe de la nécessité d'une institution ecclésiastique est demeuré invariable; ces divers changemens se sont toujours faits du consentement exprès ou tacite de l'église, et c'est par son autorité que les élections ont pris successivement différentes formes, que le droit de confirmer les évêques élus a passé des conciles provinciaux et des métropolitains aux souverains pontifes, et que les élections capitulaires ont été remplacées par la nomination du chef de l'État; et si jamais il devenait nécessaire d'adopter un autre mode d'institution, il faudrait commencer par le faire approuver par l'église.

«Nous disons plus: cette approbation de l'église serait indispensable, quand même on proposerait de revenir à l'une des méthodes adoptées dans les siècles précédens. Une loi abrogée n'est plus une loi, et ne peut en reprendre le caractère que de l'autorité qui l'a abrogée. L'église ne se gouvernerait plus elle-même, elle n'aurait plus le droit de faire des lois et des réglemens pour sa discipline intérieure, si quelque autre puissance pouvait la forcer à reprendre les lois et les réglemens qu'elle aurait abolis.»

C'est dans le concile oecuménique que réside l'autorité suprême de l'église, et, au défaut du concile, c'est au souverain pontife qu'il appartient régulièrement de statuer sur ce que le droit appelle les causes majeures. Mais lorsqu'il s'agit de la discipline d'une grande église, lors, surtout, qu'il est question de pourvoir à sa conservation, si de malheureuses circonstances ne lui permettent pas de se fortifier de l'autorité du chef de l'église, nous pensons qu'on ne peut lui contester le droit et le pouvoir d'abroger, ou du moins de suspendre, pour un temps et provisoirement, des réglemens qu'il est devenu impossible d'observer, et d'y en substituer d'autres convenables à ses besoins.

L'église de France ne peut se passer du ministère des évêques. Si le Pape refuse, sans motifs canoniques, de concourir à leur institution, quel autre moyen reste-t-il, sinon de recourir à l'ancien droit, selon lequel les bulles n'étaient pas nécessaires?

C'est par une espèce de réserve, introduite insensiblement dans le moyen âge, et érigée en loi pour la France par le concordat, que les papes jouissent du droit de confirmer les évêques. Cette réserve, ainsi que celle des dispenses, est certainement de droit positif. Or il est certain qu'une réserve de droit positif cesse, lorsqu'on est dans l'impossibilité de s'adresser à celui en faveur de qui elle a été faite, et, à plus forte raison, si cette impossibilité vient de son propre fait.

Les règles de la discipline ecclésiastique ne sont établies que pour le bien de l'église. Il est dit dans le concordat de Léon X et de François Ier qu'il a pour but l'utilité commune et publique de la France: Pro communi et publica regni tui utilitate. (Chap. 2.) Or, s'il n'y avait aucun moyen d'instituer les évêques lorsque le Pape refuse des bulles sans motifs canoniques, ce traité, conclu pour l'avantage de la France, lui deviendrait extrêmement préjudiciable.

Toutes les fois que nous avons eu à nous plaindre de la conduite ou des entreprises des papes, nous avons invoqué le retour à l'ancien droit; et ce ne sont pas seulement nos rois et les parlemens qui l'ont réclamé, le clergé lui-même en a reconnu la nécessité dans certaines circonstances. Nous en avons deux exemples célèbres, l'un en 1408, l'autre en 1510.

Charles VI, de l'avis du clergé, des princes, des barons et des universités du royaume, avait ordonné, en 1407, la soustraction d'obédience à l'égard de Benoît XIII, celui des prétendans à la papauté qui avait été reconnu par la France. En 1408, il se tint un concile de l'église gallicane, à Paris, dans la Sainte-Chapelle du Palais, à l'effet de délibérer sur la manière dont l'église de France devait se gouverner pendant la soustraction d'obédience. Les résolutions de cette assemblée furent publiées sous le titre d'Advisamenta super modo regiminis ecclesiæ gallicanæ, durante neutralitate, etc.

En parlant de la manière de pourvoir aux bénéfices, l'assemblée ordonne que les élections et les postulations se fassent conformément au droit, ut jura volunt; que les évêques soient confirmés et ordonnés par le métropolitain, le métropolitain par le primat, ou même par les évêques de la province, s'il n'y a point de primat reconnu.

Louis XII, en 1510, convoqua à Tours tous les évêques de son royaume, et leur proposa diverses questions relatives au différend qui s'était élevé entre lui et le pape Jules II. À la troisième question, le concile avait répondu que, dans le cas d'une haine notoire et d'une agression injuste de la part du pape contre la France, le roi pouvait se soustraire à son obéissance, non pas cependant en tout et indistinctement, non tamen in totum et indistinctè, mais autant que le demandaient la conservation et la défense de ses droits temporels. Cette réponse se rapportait également à la question suivante: en supposant la soustraction faite légitimement, que devront faire le roi et ses sujets, les prélats et tous les ecclésiastiques du royaume, dans les choses pour lesquelles on avait coutume de recourir au siége apostolique? Arrêté par le concile qu'il faudra se conformer au droit commun ancien, et à la pragmatique sanction du royaume, tirée des décrets du saint concile de Bâle: Conclusum est per concilium servandum esse jus commune antiquum, et pragmaticam sanctionem regni, ex decretis sacro-sancti concilii basileensis desumptam.

À ces deux témoignages si exprès de l'église gallicane, nous pouvons ajouter celui des évêques députés à l'assemblée nationale, consigné dans l'Exposition des principes sur la constitution civile du clergé.

Après avoir établi, comme une maxime indubitable, que, dans la situation où se trouvait alors l'église de France, il fallait sacrifier à la nécessité des circonstances tout ce que l'on pourrait abandonner sans altérer le dépôt inviolable de la foi, ils laissent entrevoir, comme un moyen de conciliation, la possibilité du retour à l'ancien droit sur l'institution des évêques. Citons les paroles mêmes de l'Exposition.

«Il est, sans doute, conforme à l'antique discipline de l'église gallicane, d'attribuer aux métropolitains et aux plus anciens évêques des métropoles l'institution des évêques.

«Mais il ne faut pas oublier que les métropolitains mêmes empruntaient leurs pouvoirs des conciles provinciaux.

«C'étaient les évêques de chaque métropole, qui s'assemblaient pour la confirmation et la consécration des évêques de la province.

«C'étaient les conciles provinciaux qui donnaient l'institution canonique, par la voix des métropolitains ou des plus anciens évêques, et c'est au défaut des conciles provinciaux que les métropolitains ou les anciens évêques en ont exercé les droits.

«Si l'on veut rétablir les principes et les usages de l'église dans toute leur intégrité, il faut que les conciles provinciaux s'assemblent pour reprendre le droit de donner l'institution canonique, et il serait de toute justice qu'ils fussent convoqués et consultés sur des articles qui concernent une partie essentielle de leurs droits et de leurs pouvoirs.»

Les évêques de l'assemblée nationale ne disent point que l'intervention du Pape soit absolument indispensable pour opérer le retour à l'ancienne discipline: ils l'eussent certainement demandée, ils l'eussent jugée nécessaire, si elle eût été possible; mais ils savaient que l'assemblée nationale n'aurait pas permis d'y recourir, et, dans cette supposition, et parce qu'ils ne voient aucun autre moyen de conserver en France la religion catholique, ils indiquent le rétablissement des anciennes formes par l'autorité de l'église gallicane réunie en conciles provinciaux. Sur quoi nous observerons que si, dans une matière si importante, ils proposent seulement des conciles provinciaux, et non un concile national, ou une assemblée générale du clergé de France, c'est parce qu'ils présument avec raison que le Pape ne refusera pas d'approuver les décisions des conciles provinciaux.

L'Exposition des principes est signée de tous les évêques de France, et des évêques étrangers qui avaient en France une partie de leurs diocèses. Le pape Pie VI l'approuva par un bref du 13 avril 1791.

C'est ainsi que la nécessité, qui est la loi suprême, l'emporte sur toutes les lois positives, quand, pour de grands maux, comme dit saint Augustin, «il faut chercher de grands remèdes, quand il faut arracher tout un peuple à la mort.» C'est ainsi que saint Cyprien justifie le pape saint Corneille; on l'accusait de faiblesse: «il a cédé, disait saint Cyprien, à la nécessité, à cette nécessité des temps, à cette force des circonstances que Dieu permet, et que l'homme ne commande pas.»

D'après les raisons et les autorités que nous venons d'alléguer, nous ne craignons pas de dire que, dans l'extrême nécessité où se trouve l'église de France, sans qu'il y ait faute de sa part, elle peut avec le concours du souverain, son protecteur-né, pourvoir par elle-même à sa propre conservation. Pour assurer la perpétuité de l'épiscopat, elle peut, ou invoquer le rétablissement de la pragmatique de Bourges, ou adopter tout autre forme d'institution qui ne soit contraire ni aux canons, ni à l'autorité divine et imprescriptible du saint siége apostolique: Salvâ etiam, comme s'exprimait le concile de 1408, que nous avons déjà cité, debitâ sanctæ sedi apostolicæ everentiâ et domino Papæ.

Mais dans une affaire d'une si haute importance, où tous les fidèles ont le plus grand intérêt, où il faut bannir de l'esprit des peuples toute anxiété, toute inquiétude de conscience, et ne laisser à des hommes malintentionnés aucun prétexte pour exciter des troubles, le voeu de l'église de France ne peut se manifester d'une manière trop imposante.

Le suffrage d'un petit nombre d'évêques serait compté pour rien. Il faut une délibération faite en commun, une décision solennelle rendue dans la forme conciliaire. C'est ainsi que les grandes affaires se sont toujours traitées dans l'église.

Il n'est qu'une voie par laquelle l'église de France puisse manifester son voeu, et lui imprimer le caractère de l'autorité, c'est la réunion des suffrages du corps épiscopal, soit dans un concile national, auquel tous les évêques seraient appelés, soit dans une assemblée du clergé, composée d'un certain nombre d'évêques pour chaque métropole, nommés par leurs provinciaux et chargés de leurs procurations.

Sa Majesté pèsera dans sa sagesse les avantages et les inconvéniens de l'une et de l'autre forme de réunion.

Les résolutions prises dans le concile ou dans l'assemblée, à la pluralité des voix, seraient soumises, conformément à nos anciens usages, à l'approbation de Sa Majesté.

Les voeux de l'église de France seraient comblés, si elle pouvait obtenir l'assentiment de notre saint père le Pape. On se fera du moins un devoir de le solliciter dans la forme la plus respectueuse, et s'il est refusé, on protestera que c'est avec la plus vive douleur que l'église de France voit se rompre un des liens qui l'attachent au saint siége; qu'elle ne se départira jamais de l'obéissance et de la soumission que lui doivent toutes les églises particulières; qu'elle désire ardemment que des circonstances plus heureuses lui permettent de revenir à cette forme d'institution qui multiplie ses rapports avec le chef de l'église, et dont elle ne s'écarte en ce moment que parce qu'elle y est forcée par la nécessité de pourvoir à sa propre conservation.

Tel est le voeu que nous avons l'honneur de déposer aux pieds de Sa Majesté. Nous osons nous flatter qu'elle y reconnaîtra le langage et les sentimens qu'elle a droit d'attendre des ministres d'une religion qui place au premier rang de ses préceptes l'amour de l'ordre, le respect pour les lois, et la fidélité au souverain.

Nous croyons aussi que Sa Majesté trouvera dans nos principes, et dans la mesure que nous prenons la liberté de lui proposer, une garantie suffisante contre toute entreprise de la part des Papes, au préjudice des droits de la souveraineté.

Déjà l'empressement avec lequel tout le clergé de son empire a souscrit la déclaration de 1682, a convaincu Sa Majesté que les prétentions surannées de Grégoire VII, s'il était possible qu'on osât les reproduire, rencontreraient dans l'église de France une résistance unanime et insurmontable. Et, quant au refus arbitraire des bulles d'institution, cet abus n'aura plus lieu désormais, soit que l'on ajoute au concordat la clause que nous avons indiquée, soit que l'église de France adopte un autre mode de conférer l'institution canonique à ses évêques.

Nous terminerons ce rapport comme les évêques assemblés par Louis XII, en 1510, ont terminé leur consultation: «Il semble au concile, disaient-ils, qu'avant tout il faudrait que l'église gallicane envoyât des députés au pape Jules, pour lui faire entendre les admonitions et les conseils de la charité fraternelle, et le rappeler à des sentimens pacifiques.»

Si l'on croyait devoir cette déférence à Jules II, pontife ambitieux, implacable ennemi de la France, et armé contre elle, combien plus est-elle due à Pie VII! La droiture de ses intentions est généralement reconnue. Il n'a besoin que d'être éclairé sur le véritable état des choses, et nous sommes persuadés qu'il ne résisterait pas aux remontrances et aux prières de toute l'église de France, si elles lui étaient portées par quelques évêques à qui Sa Majesté aurait permis de se rendre auprès de lui.

Cette démarche, si conforme d'ailleurs aux maximes et à l'esprit de l'Évangile, est un devoir pour les évêques, à qui l'on ne pardonnerait pas de s'expliquer avec tant de liberté sur la conduite de leur chef, sans avoir tenté tous les moyens de le fléchir et d'éclairer sa religion.

Toutes les difficultés s'aplaniraient, si cette députation avait le succès dont nous osons nous flatter. Mais si, contre toute espérance, ce dernier effort était inutile, les peuples qui portent un oeil inquiet sur nos délibérations reconnaîtraient que nous n'avons rien négligé de ce qu'exige de nous le profond respect dû par des évêques au chef de l'église universelle. Leur confiance et l'autorité de notre ministère ne seraient point affaiblies, et ils montreraient moins de répugnance pour un nouvel ordre de choses, que des circonstances impérieuses, et la nécessité de pourvoir à leurs besoins spirituels, nous auraient forcés d'adopter.

FIN DU CINQUIÈME VOLUME.

NOTES

[1: Le maréchal d'Ancre fut tué en 1617, sur le pont-levis du Louvre par l'Hopital de Vitry, et sa femme fut décapitée et brûlée comme sorcière. La maison de Luynes fut enrichie de ses dépouilles.]

[2: Le prince Auguste, fils du prince Ferdinand, frère du grand Frédéric.]

[3: Depuis le mariage de l'empereur, l'Autriche avait à Londres un chargé d'affaires (M. Weissemberg), et elle avait demandé à la France de pouvoir communiquer avec lui par Calais.]

[4: L'armée d'Andalousie avait fait un mouvement dans la Vallée de Guadiana, avait pris Badajoz et Elvas. Elle entrait en Portugal; mais elle se retira lorsque le maréchal Masséna commença sa retraite.]

[5: On connaissait l'opinion qu'en avait son prédécesseur. Pie VI aimait le monde, et ne parlait point volontiers d'affaires après dîner. Un jour, on annonça un évêque de la banlieue de Rome, qui venait l'entretenir; il gronda de ce que l'on n'avait pas su lui éviter la visite de ce prélat, que l'on savait, aussi bien que lui, être un homme difficultueux et très-opiniâtre: mais comme on ne pouvait pas le renvoyer, le pape le fit entrer. C'était effectivement une difficulté, qu'il avait avec la daterie sur quelques portions de son fisc, qui l'avait amené en réclamation près du S. Père; pour avoir le repos, on lui accorda ce qu'il demandait, et comme il sortait du salon, le pape dit aux cardinaux, qui étaient présens: Messieurs, si jamais celui-là vient à la tête de l'église, on verra de belles choses. Cet évêque devint précisément le pape Pie VII. Il est même vraisemblable que le conclave ne le choisit qu'à cause de ce caractère qui convenait aux difficultés de toute espèce dont l'église allait être entourée.]

[6: J'ai déjà dit que l'empereur ne l'avait pas ordonné; il se contenta d'en écrire au roi de Naples, que la tranquillité de l'Italie intéressait aussi, en prévoyant le cas où l'application de cette mesure deviendrait urgente. Je ne sais si c'est celui-ci qui a pris de suite la chose au pire, ou l'agent qui commandait à Rome.]

[7: Il avait été placé au diocèse de Paris par le respectable M. Portalis père.]

[8: Le ministre actuel.]

[9: M. Franchet, ex-directeur de la police, fut arrêté comme ayant été un de ces messagers. Il était à cette époque-là employé dans un bureau d'administration à Lyon, et augmentait ses émolumens du produit de ses voyages.]

[10: M. Daunou était membre de l'Institut et chef des archives.]

[11: Cette inquiétude m'a paru dater de l'époque du mariage: j'ai su en effet qu'il avait été dit, parmi beaucoup d'autres absurdités, que, si l'empereur avait épousé une princesse russe au lieu d'une autrichienne, l'empire d'Autriche aurait fini par être divisé, et qu'ayant épousé une princesse de cette maison, ce serait vraisemblablement la Russie qui le serait. De pareils contes ont trouvé à s'accréditer, et la malveillance s'est attachée à en pénétrer ceux qui pouvaient être le plus intéressés à approfondir la vérité.]

[12: Je l'ai vu, au retour de l'île d'Elbe, encore très irrité d'une lettre écrite par M. de Caulaincourt à l'empereur Alexandre, dans laquelle ce ministre se disculpait de toute participation à l'affaire du duc d'Enghien.

Cette lettre, publiée dans le Journal des Débats, m'a paru expliquer tout ce qui est arrivé, parce qu'elle avait dû mettre notre ambassadeur à la disposition d'Alexandre.]

[13: On vendait à Leipsick et même à Mayence du sucre et du café qui venaient de Riga.]

[14: Je me rappelle qu'étant en 1808 en Russie, j'eus une discussion chez l'empereur Alexandre sur divers officiers de notre armée. L'empereur s'en mêla et répondit, en m'adressant la parole: «Vous avez raison, parce que votre maître est incomparablement au-dessus de tout ce qui a commandé des armées; mais après lui nous verrons.»]

[15: Parce qu'ordinairement on repousse les agens de police de toutes les maisons où ils se présentent.]

[16: Depuis l'arrivée en France de l'impératrice Marie-Louise, l'empereur avait établi ces petits spectacles tous les jeudis, afin qu'elle pût juger du talent de tous les bons acteurs de la capitale.

Il y avait peu de personnes invitées à ces représentations, qui étaient suivies de quelques parties de jeux.

L'empereur aimait beaucoup la musique, particulièrement le chant italien; il disait que la musique le reposait, et changeait la situation de son cerveau.

La conversation d'un grand artiste l'intéressait; je l'ai vu causer souvent et long-temps avec le célèbre Paësiello, avec Lesueur, et avec Lays, premier chanteur de l'Opéra. En s'entretenant de leur art avec eux, il portait autant d'attention à la conversation que lorsqu'il causait avec MM. de Laplace, Fontanes, Chaptal, Monges ou Bertholet.

Il aimait de même à causer avec Talma, qui avait la permission de venir à son déjeuné; ce célèbre acteur y manquait rarement le lendemain d'un jour où il avait joué un des grands rôles tragiques dans lesquels il est resté sans pareil.

L'empereur aimait passionnément la tragédie, ainsi que tout ce qui parle à l'âme.

Il était d'une grande générosité envers les personnes de talens, et jamais, sous Louis XIV, les artistes ne furent rémunérés avec autant de magnificence que sous son règne.]

[17: Cet employé était entré pour la première fois en rapport avec l'officier russe sous prétexte de prendre des leçons d'écriture, il donnait effectivement quelques leçons en ville.]

[18: Je les ai toutes connues.]

[19: L'empereur avait divisé le commandement par suite de ce qui s'était passé en Portugal en 1809.]

[20: Monsieur le maréchal, le roi m'a chargé de vous dire qu'il n'a pas reçu de vos nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14 du courant. Depuis lors il a circulé ici des bruits de toute espèce; mais ce qu'on a pu démêler au milieu de tous ces rapports contradictoires, c'est que l'armée anglaise est en position sur la Tormès, et que vous avez réuni la vôtre sur le Duero. Vous sentez, monsieur le maréchal, que Sa Majesté est fort impatiente de recevoir de vos nouvelles. On dit ici que l'armée ennemie est forte d'environ 50,000 hommes, parmi lesquels on ne compte que 18,000 Anglais. Le roi pense que, si cela est vrai, vous êtes en état de battre cette armée, et le roi désirerait bien connaître les motifs qui vous ont empêché d'agir. Il me charge donc de vous inviter à lui écrire par des exprès.

Le roi me charge en même temps de vous communiquer les nouvelles qu'il a reçues d'Andalousie. Les dernières lettres de M. le duc de Dalmatie sont du 16 courant, et la dernière lettre de M. le comte d'Erlon est du 18. À cette époque, le général Hill, qui est toujours resté sur la Guadiana avec un corps de 15,000 hommes et 3 à 4,000 Espagnols, s'était avancé sur la Zafra et même sur Herena.

Des troupes de l'armée du midi sont en marche pour se réunir au général Drouet, et ce général doit être en opération depuis le 20 contre le général Hill. Le roi a réitéré au duc de Dalmatie l'ordre de diriger le général Drouet sur la vallée du Tage, si lord Wellington appelle à lui le général Hill; mais comme il serait possible, le cas arrivant, que cet ordre ne fut pas exécuté assez promptement, Sa Majesté désirerait que vous profitassiez du moment où lord Wellington n'a pas toutes ses forces réunies pour le combattre.

Le roi a aussi demandé des troupes au général Suchet, mais ces troupes n'arriveront pas. Ainsi tout ce que Sa Majesté a pu faire, c'est d'envoyer un renfort de troupes dans la province de Ségovie, et d'ordonner au général Estive, gouverneur de cette province, de secourir au besoin la garnison d'Avila et de lui envoyer des vivres.

Le maréchal de l'empire, chef de l'état-major de Sa Majesté Catholique.

Madrid, le 30 juin 1812.

Signé, JOURDAN. ]

[21: De Concord., liv. I, ch. II, n° 2.]

[22: Déf. de la Décl., t. II, p. 407.]

[23: Ep. Conventûs Eccl. Gall. ad. univers. Eccl. Gall. Præsules, 1682.]

[24: Ep. S. Bern. ad Lud. Reg. Francorum. CCLV.]

[25: Anc. et Nouv. Disc. de l'Égl., tom. I, liv. I, ch. VI.]

[26: Disc. de l'Égl., tom. II, liv. III, ch. XXVII.]

[27: Tom. II, liv. III, ch. XXVII.]

[28: Ivo Carnot. Epistola 238.]

[29: Hist. de l'Égl. gal., tom. XV, p. 266 et suiv.]

[30: Tr. des Disp., liv. I, ch. II.]

[31: De Matrim., p. 340.]

[32: Tr. de la Jurid. eccl., tom. I, ch. X. §4.]

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