Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à l'histoire de l'empereur Napoléon, Tome 7
CHAPITRE XXI.
Motifs qui portent l'empereur à tenter de ressaisir le trône.—Incidens de navigation.—Le prince de Monaco.—L'empereur se présente seul devant les troupes.—Dialogue avec un chef de bataillon.—Entrée à Grenoble.—Prise de Lyon.—Le maréchal Ney.—C'est le seul que craigne l'empereur.—Signification qu'il lui fait faire.—M. de Bourmont.
Je reviens au point où j'ai laissé ma narration. Je vais dire comment l'empereur prit le parti de sortir de l'île d'Elbe. Ce n'était pas le rapport du jeune négociant qui l'avait porté à cette détermination, puisque celui-ci n'avait pas eu le temps de le rejoindre.
Ce n'était pas non plus le rapport de l'émissaire qui lui avait été envoyé, car lorsqu'il arriva, tous les préparatifs de l'empereur étaient faits; il n'y avait plus que les troupes à embarquer.
Voici comment il fut averti des dangers dont il était menacé. J'ai dit que l'on ne se taisait pas mieux à Vienne sur le sort qu'on lui réservait, qu'on ne le faisait à Paris sur ce qui se préparait.
Le congrès avait attiré à Vienne un grand nombre d'étrangers; parmi eux, se trouvaient plusieurs militaires qui avaient servi sous nos drapeaux. Un d'eux, qui avait été attaché à l'empereur, apprit par une personne de distinction, tout ce que le plénipotentiaire de France tramait contre ce prince. Il se mit en recherche avec tous les moyens d'informations dont il pouvait disposer, et il sut bientôt ce qu'il avait pris à tâche d'approfondir.
Cet officier, qui était un des grands admirateurs de l'empereur, partit aussitôt de Vienne, et alla par l'Italie trouver ce prince à l'île d'Elbe. Il lui apprit tout ce qui avait été résolu contre lui; il ajouta quelques détails qui portèrent la conviction dans l'esprit de l'empereur, car, d'une part, ces données coïncidaient avec les projets du retour de la régence qu'il connaissait déjà, et, de l'autre, il avait une grande confiance dans l'élévation d'âme de l'officier étranger, qui s'exposait à tant de dangers pour le prévenir.
L'empereur n'avait reçu jusqu'à ce moment que les feuilles publiques. Il n'avait pas d'autres nouvelles de France, mais celles-là lui suffisaient; il jugea de l'état dans lequel devait être l'opinion publique par les actes de l'administration, ainsi qu'il l'avait fait en Égypte à l'aide des journaux qui lui furent transmis par les Anglais.
Il forma, dans ce cas-ci, le projet de revenir en France, comme il l'avait conçu à cette première époque. Il n'y avait pas au reste à balancer; il savait qu'on se disposait à violer son asile, dans lequel il n'avait pas les moyens de se défendre long-temps, et où d'ailleurs il lui était impossible de subsister sans le traitement qu'on lui avait garanti, et qu'on ne lui payait pas.
La saison des longues nuits dans laquelle on était encore allait expirer; il n'y avait plus que très peu de jours dont on pût disposer pour surmonter les difficultés inséparables d'un départ inopiné avec autant de monde à la fois. L'empereur se décida à les braver toutes, et sans communiquer son projet à qui que ce fût, il fit disposer le peu de bâtimens qu'il avait, de manière à pouvoir transporter toute sa petite troupe.
Il avait un brick de guerre et trois ou quatre autres petits bâtimens; c'est avec cette escadrille qu'il vint faire la conquête du royaume de France.
Ses dispositions étaient faites; il n'attendait qu'une occasion opportune pour partir, lorsqu'elle se présenta tout à coup.
Les Anglais avaient mis près de lui, en qualité d'observateur, le colonel Campbell. Le hasard voulut que ce colonel se prît de passion pour une femme qui habitait Livourne; ses absences étaient longues et fréquentes, l'empereur en profita. Il fit embarquer tout son monde, mit à la voile, et se dirigea sur les côtes de France. Ce fut dans les derniers jours de février que son départ eut lieu.
Le deuxième ou troisième jour de navigation, il fut rencontré par un brick de guerre français qui croisait dans ces parages avec mission d'observer l'île d'Elbe. Le capitaine de ce brick était lié avec l'officier qui commandait celui de l'empereur; il était à craindre qu'on ne fût reconnu. On prévint cet inconvénient: on fit coucher à plat-ventre les soldats qui étaient à bord, et on passa sans éveiller de soupçons. La chose alla même si loin, que le brick français ouvrit la conversation avec celui de l'empereur, et lui souhaita bonne chance, tant il était loin de se douter de ce qu'il portait. Ils se séparèrent, et l'escadrille alla jeter l'ancre dans le golfe de Juan, le 1er mars, à peu près au même endroit où l'empereur avait pris terre en revenant d'Égypte. Il débarqua ainsi avec toute sa troupe, et prit position sur la grande route qui conduit à Monaco.
Le soir même de son débarquement, le prince de Monaco, qui retournait de Paris dans sa principauté, tomba dans ses postes. Il avait été aide-de-camp du grand-duc de Berg. L'empereur voulut le voir, et le laissa continuer son chemin après avoir causé avec lui.
Il se mit en marche sans perdre de temps, et coupant à travers les montagnes, il arriva en cinq jours à Grenoble.
La garnison de cette ville était composée de deux régimens d'infanterie, le 5e et le 7e de ligne, ainsi que d'un régiment d'artillerie. Le tout était commandé par le général de division Marchand.
Ce général avait envoyé un bataillon du 5e de ligne pour défendre un défilé qui se trouve à deux ou trois lieues en avant, sur la route par laquelle arrivait l'empereur.
La colonne de l'île d'Elbe ne fut pas plus tôt en vue, que les soldats s'approchèrent pour chercher à apercevoir leur ancien chef. Ils l'eurent bientôt reconnu à la redingote grise qu'il portait toujours sur son habit; il n'y avait pas un soldat de l'armée qui ne l'eût vu mille fois dans ce costume.
L'empereur s'approcha; le bataillon gardait un profond silence. L'officier qui le conduisait commanda de mettre en joue: il fut obéi; s'il avait commandé le feu, on ne peut pas dire ce qui serait arrivé.
L'empereur ne lui en laissa pas le temps; il adressa la parole aux soldats, et leur demanda comme à son ordinaire: «Eh bien! comment se porte-t-on au 5e régiment?» Les soldats répondirent: «Très bien, Sire.» L'empereur reprit: «Je viens vous revoir; est-ce qu'il y en a parmi vous qui veulent me tuer?» Les soldats s'écrièrent: «Oh! pour ça non.» Alors l'empereur se mit à les passer en revue comme à son ordinaire, et prit ainsi possession de ce bataillon du 5e régiment.
Le chef de bataillon paraissait mécontent. L'empereur lui demanda depuis quand il servait; celui-ci lui indiqua l'époque où il était entré dans les rangs.
L'empereur continua: «Qui est-ce qui vous a fait officier?—Vous, Sire.—Et lieutenant?—Vous, Sire—Et capitaine?—Vous, Sire.—Et chef de bataillon?—Vous, Sire.—Je devais donc m'attendre à de la reconnaissance; cependant je ne vous en demande pas. Donnez vos épaulettes au premier capitaine du bataillon et retirez-vous.» Il obéit.
Cela fait, l'empereur mit ce bataillon du 5e régiment à la tête de sa colonne, et marcha sur Grenoble, où ce premier succès l'avait déjà devancé.
Le général Marchand avait fait prendre les armes à la garnison, et en même temps fermer les portes de la ville. Il avait ordonné de charger l'artillerie des remparts; on exécuta son ordre, mais en mettant le boulet avant la poudre.
L'insurrection s'était mise parmi les troupes. Le 7e régiment de ligne, commandé par le colonel Labédoyère, sortit de la place tambour battant, avec ses aigles qu'il avait conservées, et marcha à la rencontre de l'empereur, qu'il rejoignit peu après le bataillon du 5e régiment.
Quand l'empereur se présenta devant Grenoble, il avait déjà la moitié de la garnison avec lui. Les sapeurs qui étaient à la tête de sa colonne se mirent à charpenter les portes; les cris de vive l'empereur! retentissaient dans la ville; les esprits s'échauffèrent; ceux qui étaient dans la place joignirent leurs efforts à ceux qui voulaient y pénétrer. Les portes cédèrent enfin, et l'empereur entra dans Grenoble au milieu des cris et des acclamations. La ville fut illuminée spontanément, et passa la nuit dans le délire.
L'esprit de parti a cherché à présenter le retour de l'empereur comme le résultat d'une conjuration: il n'y a que ceux qui n'ont pas été témoins des embrassemens des soldats entre eux qui puissent avoir cette opinion. Les conjurations portent un bien autre caractère que celui qu'avait la rencontre des troupes venant de l'île d'Elbe avec celles qui allaient à leur rencontre.
L'exemple de la garnison de Grenoble fut bientôt connu à Toulon, où commandait le maréchal Masséna. Il y avait dans cette place une forte garnison, et si elle ne se prononça pas de suite, c'est que l'empereur n'avait pas pris sa route dans cette direction.
L'on ne sut à Paris le débarquement de l'empereur que cinq jours après l'événement, c'est-à-dire lorsque ce prince arrivait déjà à Grenoble. On envoya le maréchal Macdonald prendre le commandement des troupes qui étaient à Lyon, et le maréchal Ney se mettre à la tête de celles qui étaient à Besançon. Le comte d'Artois et le duc d'Orléans se rendirent également à Lyon; mais comme l'empereur ne s'était point arrêté à Grenoble, et qu'il en avait emmené la garnison avec lui, entre autres le régiment d'artillerie avec ses pièces, il arriva à Lyon presque aussitôt qu'eux.
Déjà la nouvelle de sa marche était répandue d'un bout de la France à l'autre. On avait renvoyé les généraux dans leurs gouvernemens. La frontière n'était plus aussi éloignée qu'autrefois; les troupes surent presque aussitôt que l'empereur était en France, toutes brûlaient à l'envi d'aller le joindre.
À Lyon, l'on avait barricadé le pont de la Guillotière avec des pièces de bois, et l'on avait mis les troupes en bataille sur le quai. L'empereur arriva lui-même à la tête de sa colonne, et entra sur le pont comme si déjà les troupes qui se trouvaient de l'autre côté étaient à lui. Il ne se trompait pas: elles ne l'eurent pas plus tôt aperçu qui faisait travailler à détruire la barricade, qu'elles allèrent aider à précipiter dans le Rhône les pièces de bois qui séparaient les colonnes, et se jetèrent dans les bras les uns des autres. L'empereur entra à Lyon et alla de suite voir les régimens qui étaient sous les armes, et qui l'accueillirent par mille cris de vive l'empereur!
Le comte d'Artois, le duc d'Orléans et le maréchal Macdonald furent obligés de prendre la fuite en toute hâte, et revinrent à Paris.
Voilà donc l'empereur maître de Lyon, et ayant déjà assez de troupes pour y organiser la guerre, s'il était besoin. Il m'a dit depuis qu'il n'avait marché aussi rapidement que pour atteindre les troupes, et qu'il n'avait eu qu'une peur, c'était qu'au lieu de les envoyer contre lui, on ne les retirât assez loin pour qu'il ne pût les joindre: tant il connaissait l'affection que le soldat avait pour lui.
Pendant que l'empereur était à Lyon, le maréchal Ney, qui avait réuni les troupes de son gouvernement, s'était approché jusqu'à Lons-le-Saulnier. Il était de tous les maréchaux celui que l'empereur redoutait le plus; il craignait qu'il ne cherchât l'occasion de l'attaquer et n'engageât la lutte: aussi ne se borna-t-il pas à lui adresser la proclamation que l'on envoyait dans toutes les directions. Ce moyen était trop usé en France pour que le maréchal en fût dupe. L'empereur lui fit écrire par le général Bertrand, pour le prévenir qu'il eût à prendre garde à ce qu'il allait faire; qu'il le rendait responsable de la moindre goutte de sang qui serait répandue. Il le prévint qu'en revenant en France, ce n'était point une entreprise d'écolier qu'il avait faite; qu'il était sûr de réussir, quoi que lui, Ney, pût faire pour l'en empêcher. Cette lettre du général Bertrand fut remise au maréchal Ney à Lons-le-Saulnier, où étaient les généraux Lecourbe et Bourmont; aucun des trois ne fut à l'épreuve de cette injonction, ils s'imaginèrent que l'empereur était d'accord avec quelque puissance, qu'il y aurait de la folie à vouloir le traverser. Les deux généraux furent les premiers à conseiller au maréchal de ne pas s'opposer à un torrent qui serait plus fort que lui.
D'ailleurs les troupes savaient déjà ce qui s'était passé à Grenoble et à Lyon; elles n'eussent pas entendu à autre chose qu'à aller rejoindre l'empereur. Ney les fit assembler, leur lut la proclamation de l'empereur, et en ajouta une qu'il fit faire par un de ses secrétaires[34], car tous ceux qui l'ont connu savent que la chose à laquelle il était le moins propre, c'était à faire des proclamations.
On ne peut pas, sans doute, approuver sa conduite; il aurait dû se retirer comme avait fait Macdonald. Cela n'eût rien changé au cours des choses, mais il eût sauvé les convenances, et ne se fût pas compromis.
Il faut néanmoins ajouter que MM. Lecourbe et Bourmont étaient avec lui quand il se laissa entraîner, et pour ceux qui connaissaient le caractère du maréchal Ney, il ne peut y avoir de doute qu'il n'ait suivi les conseils de ces deux généraux.
Après avoir commis cette faute, le maréchal Ney en fit une plus grande encore. Il accusa réception de la lettre que le général Bertrand lui avait adressée, et écrivit lui-même à l'empereur pour lui rendre compte de ce qu'il avait fait, en lui annonçant qu'il se rendait à Auxerre, où il espérait avoir l'honneur de le voir; ce qu'il fit effectivement.
MM. Lecourbe et de Bourmont lui avaient conseillé cette conduite, afin d'éviter la guerre civile dans laquelle eux-mêmes ne se souciaient pas de s'engager. Le général Bourmont particulièrement n'avait pas oublié tout ce que les discordes lui avaient coûté de fatigues et de dangers. C'est lui qui observa au maréchal Ney que tout le monde l'abandonnerait, s'il prenait ce parti; il lui dit qu'il ferait beaucoup mieux de profiter de sa position pour se remettre bien avec l'empereur, et ne pas perdre le fruit de ses services passés par un dévouement inutile à la cause du roi, qui était perdue sans ressource.
CHAPITRE XXII.
L'empereur rallie toutes les troupes qu'il rencontre.—Le maréchal Oudinot.—Sa prévoyance.—Fouché ne sait qu'augurer du retour.—Parti auquel il s'arrête.—Surprise des troupes.—Entrevue de Fouché et du comte d'Artois.—Départ du roi.—Arrivée de l'empereur.—On eût dit qu'il revenait simplement de voyage.
Je reviens à l'effet que produisait sur l'opinion l'approche de l'empereur. Tout ce qui faisait partie de la cour se flattait qu'on parviendrait à l'arrêter dans sa marche, mais que de toute manière cela amènerait la guerre civile. Le roi avait envoyé M. le duc et madame la duchesse d'Angoulême dans le midi, et M. le duc de Bourbon dans la Vendée. On employait toutes les mesures dont on s'avisait pour arrêter l'empereur, et lui-même accourait partout où il savait qu'il y avait des troupes. Il faisait sur elles l'effet d'un talisman; dès qu'elles l'apercevaient, elles étaient à lui.
La garde impériale à pied était à Metz sous les ordres du maréchal Oudinot. Elle sut ce qui s'était passé à Lyon et à Lons-le-Saulnier, et n'hésita pas sur ce qu'elle avait à faire. Le maréchal, de son côté, eut bientôt pris son parti: il se ménagea entre la fidélité qu'il devait au roi, et les reproches qu'il craignait de la part de l'empereur. Une sorte d'insurrection éclata à point nommé parmi les troupes; il y avait eu violence, on ne pouvait lui imputer la défection du corps. Il resta cependant de sa personne à Metz, mais un aide-de-camp discret alla prendre les ordres de l'empereur. En même temps, il expédia son fils à Gand, et le chargea de protester au roi de sa fidélité.
Après avoir pris ces mesures, il se rendit à Paris, où le ministre l'avait mandé. La cause des Bourbons semblait perdue; les espérances dont on l'avait flatté ne lui paraissaient plus que des chimères, il livra tous les détails qu'il avait sur Gand.
Pendant que les événemens dont je viens de rendre compte se passaient à Grenoble, Lyon et autres lieux, l'intrigue de Paris faisait de sérieuses réflexions sur les conséquences dont le retour de l'empereur pourrait être suivi. Fouché ne s'abusait pas; il savait bien que toute la France se déclarerait pour l'empereur. Il ignorait encore son entrée à Grenoble et à Lyon, et comme il ne comprenait rien à un retour aussi inopiné, la première pensée qui lui vint fut que M. de Talleyrand l'avait joué, en faisant prévenir l'empereur de tout ce qui avait été convenu, pour se faire ainsi une position près de lui; il en était d'autant plus persuadé, qu'il attendait de Vienne le signal qui devait lui être donné pour faire agir contre le roi.
Et ce qu'il y a de singulier, c'est que, de son côté, Talleyrand crut que c'était Fouché qui l'avait joué en faisant avertir l'empereur, en sorte qu'ils furent en méfiance l'un de l'autre et se firent peur réciproquement. Fouché chercha aussitôt à se mettre en mesure, et voici à quoi il s'arrêta.
Il résolut de servir l'empereur, si celui-ci avait toutefois été prévenu par Talleyrand, et de se mettre en devoir de lui résister, si son retour était de son propre mouvement.
Il était loin d'imaginer que l'empereur arriverait si vite à Paris, n'aurait-il eu d'obstacles que la longueur du chemin; Fouché pensait que le trajet lui assurerait le temps dont il avait besoin.
Il fit venir le général Lallemand le 5 mars au soir, et lui parla de la nécessité de faire prendre de suite un parti au général Drouet, afin, disait-il, de s'opposer aux mesures arbitraires que la cour préparait contre tout ce qui lui était suspect, et après bien des discours il finit par conclure qu'il fallait que le général Drouet mît de suite toutes ses troupes en mouvement sur Paris, afin de hâter le départ du roi.
Fouché avait un double but. Il croyait que Drouet arriverait sans coup férir et assez tôt pour lui donner le temps de réunir la chambre des députés, qui était à Paris, et la faire appuyer par la garde nationale. Il se flattait, à la faveur de ces mesures, de pouvoir proclamer un gouvernement quelconque, et s'opposer à l'entrée de l'empereur, tant avec la garde nationale qu'avec les troupes du général Drouet, qu'il espérait aussi compromettre. Il croyait par là se remettre en harmonie avec Vienne et se donner le temps d'approfondir le mystère du retour.
Le général Lallemand partit en effet de Paris le 6 mars. Il se rendit à Lille, où il s'arrêta jusqu'à ce que le mouvement des troupes fût commencé. Dans le nombre se trouvaient les grenadiers à cheval ainsi que les chasseurs à cheval de l'ancienne garde. Lallemand commandait des dragons qui étaient placés dans le département de l'Aisne, vers Soissons; tout cela se mit en marche, et suivit pendant plusieurs jours la route de Paris. La cour en fut informée, et envoya en toute hâte le maréchal Mortier à Lille, pour faire rentrer toutes ces troupes dans leurs garnisons. Cela fut d'autant plus facile, que les colonels n'étaient pas dans la confidence du mouvement qu'ils exécutaient; tous croyaient marcher d'après des ordres du ministre de la guerre. Lorsqu'ils surent qu'on les avait abusés, ils firent d'autant moins de difficultés pour rentrer dans leurs quartiers respectifs, qu'ils n'ignoraient pas que l'empereur arrivait. Ils jugeaient dès-lors inutile de prendre l'initiative dans des événemens qui allaient d'eux-mêmes venir les trouver. Les grenadiers à cheval retournèrent à Arras après trois ou quatre marches inutiles.
Il n'y eut que les chasseurs à cheval avec les dragons du général Lallemand qui s'avancèrent jusqu'à Compiègne. Ils avaient essayé, en passant à La Fère, d'emmener le régiment d'artillerie qui occupait la place. Il refusa de les suivre, et ce fut ce qui commença à éveiller les soupçons des chasseurs. Ils se disaient entre eux: «Il faut qu'il y ait quelque chose là-dessous, ou les canonniers sont des j*** f*** qu'il faut sabrer, ou bien l'on nous abuse, et nous sommes dans une mauvaise affaire.»
En arrivant à Compiègne, on voulut déterminer le 6me chasseurs à suivre le même mouvement; celui-ci s'y refusa. Les officiers des chasseurs de la garde se réunirent alors, et délibérèrent sur la situation dans laquelle on les avait engagés. Ils résolurent de retourner à leurs quartiers à Cambrai; ils signifièrent cette résolution à leur colonel, le général Lefebvre-Desnouettes, et l'engagèrent à s'enfuir, ce qu'il fit, ainsi que le général Lallemand.
Les officiers du régiment de chasseurs envoyèrent une députation au roi pour lui renouveler l'assurance de leur fidélité, et l'entreprise de M. Fouché fut manquée. Si elle avait réussi, il n'y a nul doute qu'il se serait déclaré pour le duc d'Orléans, parce que l'empereur n'étant plus à portée d'être saisi comme lorsqu'il était à l'île d'Elbe, il n'aurait pas voulu de la régence, qui le ramenait naturellement. Cette forme de gouvernement ne pouvait lui plaire qu'autant que l'empereur serait mort ou à Sainte-Hélène; il était trop avisé pour la désirer tant que ce prince restait libre.
Le général Lallemand fut arrêté par la gendarmerie: il aurait infailliblement été fusillé, si l'empereur ne fût arrivé à Paris aussi promptement qu'il le fit.
Fouché lui-même eût peut-être été perdu sans cette célérité; néanmoins il ne se déconcerta pas. Ce fut le 10 mars qu'il fut informé de la mauvaise issue de la tentative qu'il avait faite; on connaissait déjà les événemens de Grenoble, on s'attendait à ceux de Lyon. Il songea à se garantir du soupçon qui pourrait arriver jusqu'à lui, en demandant au comte d'Artois l'honneur de l'entretenir en particulier; l'entretien fut accordé, et eut lieu chez la princesse de Vaudemont. L'ex-ministre conseilla au prince de nommer le duc d'Orléans régent du royaume. Il lui dit que sans cela on n'empêcherait pas l'empereur d'arriver à Paris; que, du reste, on pouvait s'en rapporter à sa parole, qu'il promettait que Napoléon n'y resterait pas trois mois. Il se garda bien, comme on peut croire, de lui parler de la part qu'il avait eue au mouvement des troupes de Flandre, ni de la correspondance qu'il entretenait avec Dalberg.
Il est nécessaire d'observer que Fouché était informé de ce qui se passait au conseil du roi.
M. de Vitrolles avait été, comme je l'ai dit, fait ministre secrétaire d'État. Comme tel, il tenait la plume au conseil. Il était lié avec M. Dalberg, comme on l'a vu, et surtout avec madame la princesse de Vaudemont, à laquelle il communiquait ce qu'il fallait que sût Fouché. Je crois que c'est par là que celui-ci avait été averti de la nécessité qu'il y avait pour lui à ce qu'il vît le comte d'Artois, afin qu'en tout état de choses cela lui devînt un antécédent utile.
Le mouvement des troupes de Flandre avait jeté la cour dans de vives alarmes. Elle le croyait excité par l'influence de l'empereur, tandis qu'au contraire il aurait été dirigé contre lui, si les choses eussent tourné comme Fouché l'espérait.
La défection successive de toutes les troupes donna au roi le soupçon que le ministre de la guerre, qui était alors le maréchal Soult, n'était pas étranger à un abandon aussi complet. Peut-être lui en avait-on parlé ainsi; c'était dans tous les cas une calomnie, le maréchal Soult était étranger à tout cela. Néanmoins le roi le changea, et nomma à sa place le duc de Feltre, qui avait été ministre de la guerre sous l'empereur.
Le duc de Feltre accepta, quoique la partie fût déjà à peu près perdue.
J'ai entendu faire à ce sujet plusieurs réflexions qui sont inutiles à
reproduire; quant à moi, je n'avais pas vu le duc depuis le voyage de
Blois, et je ne me mêlais plus de ce que chacun pouvait faire.
Il faut néanmoins convenir que c'était donner une preuve de dévouement au roi que de se charger du ministère de la guerre dans cette circonstance, d'autant plus qu'il ne devait pas s'écouler dix jours avant que l'empereur fût à Paris.
C'est aussi dans ce moment critique que le roi rétablit la préfecture de police de Paris, à laquelle il nomma M. de Bourienne. Il était trop tard pour prendre toutes ces mesures: l'empereur voyageait en poste; la population se précipitait sur son passage; toutes les troupes qu'on envoyait contre lui prenaient le plus court chemin pour le joindre. On touchait au dénouement; on rassembla un corps d'armée à Villejuif, mais on n'en était pas plus tranquille, et le roi dut songer à quitter Paris.
Il avait été à la chambre des députés pour la porter à prendre des mesures énergiques; l'empereur approchait: il n'y trouva que des paroles.
On essaya de former des corps de volontaires, mais il ne se présenta presque personne.
Enfin le 19 mars au soir, l'empereur arriva à Fontainebleau; il était à peine accompagné d'une vingtaine d'officiers.
Le roi, ainsi que le comte d'Artois et le duc de Berry, était encore à Paris, mais tout était prêt pour leur départ; on craignait même une insurrection, car l'on faisait bivouaquer de l'artillerie dans la cour du château des Tuileries.
À une heure du matin, le 20 mars, toute la maison du roi s'assembla dans la cour du château et sur la place du Carrousel. Le roi monta en voiture, et partit accompagné du comte d'Artois et du duc de Berry, qui était à la tête de la cavalerie de la maison du roi.
Le corps de troupes qui avait été rassemblé à Villejuif sous les ordres du général Rapp alla se placer à Saint-Denis dès que le roi eut quitté la capitale. Jusqu'à huit heures du matin, le plus grand calme et le plus grand silence régnèrent dans les environs du château.
Le cortége du roi passa par le boulevard; il prit la route de Beauvais, et alla jusqu'à Montreuil-sur-Mer, ce qui fit croire qu'il allait de nouveau en Angleterre; mais de Montreuil il se rendit à Lille par Béthune et Saint-Omer.
Toute la cavalerie de la maison du roi, formant à peu près deux mille hommes, était rassemblée à Béthune (Berthier, Marmont et Lauriston y étaient avec leurs compagnies). Le comte d'Artois en passa la revue, et, après avoir adressé à cette troupe quelques paroles de regrets, il lui annonça que le roi la remerciait de ses services, et que chacun pouvait retourner chez soi. La plupart revinrent en effet à Paris.
Toute la journée du 20 mars fut employée en petits mouvemens. Chacun s'empressait de prendre part à l'événement qui devait arriver à la fin de la journée. On placardait les rues des proclamations de l'empereur, lesquelles étaient à Paris depuis huit jours. On prit possession du trésor public; on allait aux casernes, et en même temps l'on envoya presser à Saint-Denis la défection des troupes que commandait le général Rapp.
On ne trouva de difficulté nulle part, parce que le roi était parti, et que chacun ne cherchait qu'à se faire une position près de celui qui venait le remplacer. Il en fut dans ce cas-ci comme il en a toujours été dans les révolutions: on a donné mal à propos le nom de conspiration à celle-ci, elle n'était que la conséquence du départ du roi. Si ce prince fût resté à Paris et se fût entouré de tout ce qui aurait voulu le défendre, vraisemblablement la solution du problème n'aurait pas été si paisible. On répandit que Louis XVIII ne s'était décidé à partir que sur la décision de son conseil. S'il l'avait assemblé, la résolution s'explique; elle eut lieu comme l'avait eu celle qu'on avait fait prendre à la régente au mois de mars précédent.
Il y avait en outre autour du roi des hommes qui faisaient déjà leur calcul particulier, et qui, regardant la partie comme perdue, pensaient à le quitter pour se rapprocher de celui qu'ils avaient précédemment abandonné. Or, en revenant, il fallait pouvoir se faire un mérite d'avoir contribué au départ du roi.
J'ai vu le 23 ou 24 mars, entre les mains d'un général fort connu dans l'armée, une lettre que Berthier lui avait écrite avant de sortir de la frontière, et dans laquelle il répétait ce qu'il avait dit moins d'un an auparavant à Fontainebleau, c'est-à-dire «qu'il n'était pas l'homme du roi, qu'il était l'homme de l'armée et Français avant tout, qu'il voulait servir son pays et ne pas émigrer. Enfin il se recommandait déjà à la générosité de l'empereur.»
Il lui écrivit quelques jours après; l'empereur lui répondit, mais il était trop tard, il avait dépassé la frontière lorsque la lettre lui parvint. Il se retira à Bamberg, essaya de repasser en France; mais arrêté par les alliés, il fut obligé de retourner sur ses pas, et périt misérablement à quelque temps de là.
L'empereur arriva à Paris le soir à sept heures. Tout était déjà réinstallé; chacun avait repris son poste au château. L'empereur y dîna, trouva son appartement fait; on eût dit qu'il revenait simplement de voyage. Les officiers du service d'honneur, les employés de toutes les espèces avaient repris leurs fonctions; rien ne manquait à la réception. Il y a des esprits gauches qui ont voulu voir les conséquences d'une conjuration dans la reprise de cette routine, tandis que chacun ne faisait que ce qu'il avait vu faire aux employés de la cour de Versailles, à l'époque du retour du roi. Il y avait plus de vingt ans que les uns étaient rentrés dans l'obscurité, et il y en avait à peine un que les autres avaient été congédiés.
Il ne se trouva qu'un bataillon de la garde nationale dans la cour du château au moment où l'empereur arriva; mais avec ce bataillon, il y avait plusieurs milliers d'officiers de toutes armes qui avaient été mis à la demi-solde.
L'on avait été à la rencontre de l'empereur sur la route de Fontainebleau; il revint entouré d'une foule d'officiers-généraux à cheval. Il passa le long du boulevard neuf, ainsi qu'il avait coutume de le faire chaque fois qu'il revenait de Fontainebleau, traversa le pont de la Concorde, et entra aux Tuileries par le guichet qui donne sur le quai.
Il y avait autour de sa voiture la valeur d'un régiment de cavaliers de tous les corps, qui présentaient un désordre imposant; tous ces hommes poussaient des cris de vive l'empereur jusqu'aux nues. Lorsqu'il entra dans la cour du château, il fut impossible aux postillons d'approcher la voiture du vestibule, où il devait descendre. La foule était si grande, que les chevaux ne purent avancer. On se précipita à la portière, on l'ouvrit et on tira l'empereur de sa calèche; il ne lui fut pas possible de mettre le pied par terre, ni dans la cour, ni sur l'escalier, ni dans les appartemens: on le porta, on le passa de bras en bras jusqu'à son cabinet.
Il fit de suite demander les anciens ministres et ordonna à chacun d'eux d'aller reprendre son portefeuille. Il n'y eut de nouvelle promotion que celle de M. Fouché, qui fut chargé de la police. Voici à ce sujet une petite anecdote qu'il n'est pas inutile de rapporter. Elle fera voir que l'intrigue s'agitait déjà, c'est-à-dire que l'on était déjà plus occupé d'éloigner ceux que l'on redoutait par des considérations personnelles, que d'aider l'empereur en l'entourant de tout ce qui pouvait le servir.
J'avais été, dans la matinée, rendre visite à l'archi-chancelier, que je n'avais pas vu depuis un an. Je présumais que l'empereur l'enverrait chercher tout en arrivant, ainsi qu'il en avait l'habitude, chaque fois qu'il revenait de voyage. J'étais allé le prier de vouloir bien (si cela devenait nécessaire) dire à l'empereur que je désirais rester en repos, et que, s'il voulait absolument m'employer, pour rien au monde je n'accepterais le ministère de la police. Je lui témoignai combien ces fonctions-là me déplaisaient, et lui dis que, prévoyant bien que l'intrigue s'agiterait en tout sens, je ne me sentais nullement disposé à vivre au milieu des passions qu'elle allait soulever.
L'archi-chancelier était pour le moins aussi las que moi des affaires: il me déclara qu'à moins que l'empereur ne lui fît violence, il n'accepterait non plus aucune fonction.
Ce que j'avais prévu arriva. L'archi-chancelier fut le premier grand fonctionnaire que l'empereur fit appeler. Les ministres, qui avaient également été mandés, ne se présentèrent que successivement. C'était un singulier spectacle que de revoir les choses remises aussi vite à leur ancienne place. On se retrouvait dans le même salon où l'on s'était quitté un an auparavant, et sans presque s'être rencontré depuis.
CHAPITRE XXIII.
Composition du ministère.—M. Fouché à la police.—Par quelles considérations ses nouveaux amis le recommandent à l'empereur.—Ce qu'il eût voulu.—Le roi ne se croit pas en sûreté à Lille.
L'empereur n'avait pas encore fini de dîner, qu'il arriva un officier venant de Soissons pour lui rendre compte que les deux frères Lallemand, qui y étaient enfermés, couraient des dangers, que le sous-préfet de cette ville refusait de les mettre en liberté. Il fit appeler le ministre de la police sans le désigner par son nom, et comme l'on hésitait à l'introduire, il m'appela par mon nom. Il m'ordonna d'écrire au sous-préfet de rendre les deux frères Lallemand à la liberté, ce que je fis.
Lorsque l'empereur me donna cet ordre, il y avait plusieurs personnes présentes, et toutes crurent que j'allais rentrer au ministère de la police. Elles ignoraient mes dispositions particulières, et se hâtèrent de croiser les intentions que l'empereur venait de manifester.
Après qu'il eut entretenu M. l'archi-chancelier, il fit entrer M. le duc de Bassano, qui était celui qui désirait le plus mon éloignement du ministère, et qui sans doute ne lui conseilla pas de me conserver. Il ne cherchait déjà qu'à mettre l'empereur dans une lanterne sourde, et il se préparait à l'entourer de tous ses amis exclusivement.
Après M. de Bassano, l'empereur reçut le maréchal Davout; puis je fus admis.
Après quelques mots de conversation, il me demanda s'il devait croire à ce que j'avais dit le matin à l'archi-chancelier. Je lui répondis affirmativement. Il voulut connaître les motifs de ma résolution. Je ne les lui cachai pas; je lui détaillai toutes les tracasseries dont j'avais été l'objet pendant son absence, et lui avouai qu'elles m'avaient ôté le goût des affaires; et puis, lui dis-je, si l'on rend à V. M. un compte fidèle de tout ce qui s'est passé ici depuis deux ou trois mois, elle verra que son retour contrarie plus d'un projet. Si elle eût tardé, elle eût sûrement trouvé un autre ordre de choses établi.
L'empereur se mit à rire et me dit: «Ainsi c'est un parti pris chez vous, vous ne voulez pas du ministère?—Non, Sire,» lui répondis-je.
Il ne me dit pas un mot de tout ce qu'avait dû lui insinuer M. de Bassano pour le dissuader d'un choix qu'il redoutait particulièrement; il me laissa les honneurs du refus, quoiqu'il ne m'eût peut-être pas nommé. Il voulut me donner le gouvernement de Paris. Je le refusai encore plus vivement que je n'avais refusé le ministère de la police. Je lui dis même que je ne me souciais pas de faire la moindre chose. Il me répondit que cela ne se pouvait pas, qu'il fallait travailler et le servir; qu'il voulait que je prisse la gendarmerie, puisqu'il était obligé de rendre le portefeuille à Fouché, contre lequel j'avais toujours été sa sauvegarde. Je n'avais rien à objecter de plausible, je me contentai de lui témoigner de l'étonnement de ce qu'il se confiait à un homme si peu sûr; il me dit alors qu'on lui avait assuré qu'il avait travaillé pour lui en faisant marcher les troupes de Flandre; je ne pus m'empêcher de sourire, tant j'étais indigné qu'on eût déjà osé lui faire un si impudent mensonge. Que peuvent jamais alléguer pour leur justification, ceux qui, pour éloigner un homme dont ils redoutaient les investigations, n'ont pas craint de se porter garans d'un traître, d'un homme qui se vantait d'avoir été l'âme de toutes les conspirations ourdies contre l'empereur?
Après m'avoir donné congé, l'empereur reçut M. Fouché; c'était une chose curieuse que de voir, jusqu'à la porte du cabinet de l'empereur, l'intrigue prendre poste et pousser à l'envi un homme qui avait trahi tous les partis, et avait déjà arrêté la perte du souverain auquel il venait offrir ses services. Cependant l'aveuglement était tel, qu'une personne du plus haut rang ne craignit pas de dire, lorsque le caméléon se présenta: «Laissez bien vite entrer M. Fouché, c'est l'homme qu'il importe le plus à l'empereur de voir en ce moment.» Cette respectable personne pleure encore son erreur.
Fouché entra effectivement chez l'empereur, et sans lui dire un mot de tous ses antécédens avec Vienne, il le félicita sur son heureuse arrivée. Il ajouta: «Je craignais que Votre Majesté n'éprouvât des difficultés en chemin: c'est pourquoi j'avais fait marcher les troupes pour déterminer le roi à partir; si quelques empêchemens s'étaient présentés, j'aurais été à la rencontre de Votre Majesté.»
Tel fut le langage que Fouché tint à l'empereur le soir de son arrivée. Appuyé comme il l'était par ses nouveaux amis, il était bien difficile que l'empereur ne lui accordât pas de la confiance: aussi le nomma-t-il son ministre de la police. Le duc d'Otrante fut peu satisfait de cette nomination, il me le dit à moi-même à l'issue de l'audience; ce n'était pas la police qu'il voulait, mais les relations extérieures. L'empereur l'avait forcé d'accepter, il l'avait fait.
Le motif de la préférence n'était pas difficile à entrevoir: on conspire plus à l'aise quand on est à la tête de la politique de l'État.
Le maréchal Davout fut nommé à la guerre; les autres ministres reprirent leurs fonctions, excepté M. Molé, qui était grand-juge avant la révolution de 1814.
L'archi-chancelier resta quelque temps chargé de la justice, et M. de
Montalivet fut remplacé par M. Carnot.
Toutes ces nominations furent signées le 21 mars au matin: chacun des nouveaux fonctionnaires alla prendre possession de son administration.
Voilà donc dès le soir de son arrivée l'empereur livré à Fouché. Dans quel but, je le demande, lui cachait-on tout ce qui avait été pratiqué avant son retour? Je veux croire qu'on était trompé; mais ne connaissait-on pas Fouché? Si l'on n'était pas dupe, on voulait donc rester l'associé du personnage, et se ménager son amitié en lui fournissant les moyens de mieux servir encore l'intrigue, dans laquelle on savait qu'il avait un des principaux rôles. Quel inconvénient y avait-il à faire connaître à l'empereur tout ce qu'on avait fait, avant son retour, pour renverser le gouvernement du roi? La confidence ne pouvait que l'éclairer.
On ne le fit pas, parce que l'on craignait de se trouver soi-même dans une position difficile, si l'empereur ne parvenait pas à se consolider, et que le roi ne fût encore une fois reporté sur le trône, comme cela est arrivé. D'un autre côté, si l'empereur réussissait, on ne pouvait que gagner beaucoup soi-même à lui avoir persuadé que l'on avait employé tous les moyens dont on pouvait disposer pour faciliter son retour; c'était un tour de force d'avoir enlacé Fouché, car la misérable vanité n'a jamais cessé de se montrer partout.
Nous verrons bientôt comment les idées de Fouché, après avoir été troublées par le retour subit de l'empereur, se replacèrent dans leur ornière, et combien sont coupables ceux qui ont contribué à tromper la confiance de l'empereur, en lui faisant de nouveau reprendre un tel homme.
Le délire qu'excita la réussite d'une entreprise aussi extraordinaire que celle du retour de l'île d'Elbe n'a pas encore eu d'exemple. Il n'y avait là ni armées étrangères, ni instigation d'aucun parti. Les battus ont prétendu que l'empereur avait été rappelé par l'intrigue, ils étaient dans l'erreur: il suffit, pour s'en convaincre, d'une simple observation.
Si l'empereur n'avait qu'un parti, comment l'a-t-il triomphé? Il est revenu avec six cents hommes; on en avait bien autant à lui opposer: or il n'a même pas été dans le cas de faire charger les fusils. De plus, il voyageait presque seul dans une voiture de poste; comment ne l'a-t-on pas arrêté?
La population courait à sa rencontre, on illuminait sur son passage; tous ceux qui l'ont accompagné rapportent qu'un million d'hommes se sont montrés sur son chemin. L'empereur a dit lui-même qu'il n'avait d'obligation à personne pour son retour, qu'il n'avait eu de parti en France que le Moniteur, qui lui avait appris lorsqu'il était temps de partir de l'île d'Elbe.
Tous ceux qui l'ont servi au temps de ses hautes prospérités doivent convenir que, dans aucune époque de sa vie, il n'a eu un triomphe aussi parfait que celui que lui décernait l'enthousiasme national; c'étaient bien les coeurs qui parlaient, car assurément aucun soin administratif n'avait été pris pour exciter la joie publique.
Le lendemain du retour de l'empereur aux Tuileries arriva le bataillon de la garde qui l'avait suivi à l'île d'Elbe. La curiosité de la multitude s'était changée en admiration; lorsqu'il entra dans la cour du château, où l'empereur passait la revue des troupes de la garnison, ce fut un cri de vivat qui se répéta d'un bout à l'autre de la ligne.
Une chose remarquable, c'est que, dans toute l'armée, chaque soldat avait conservé sa cocarde aux trois couleurs, ainsi que l'aigle de son schakos. On n'eut pas besoin de donner l'ordre de la reprendre, chacun le fit aussitôt qu'il sut l'empereur en France.
Pendant les premiers jours de son installation aux Tuileries, l'empereur reçut les corps constitués. On lui tenait alors un langage bien différent de celui qu'on tenait au roi quelques mois auparavant.
Ce ne fut que le 24 ou le 25 mars que l'on apprit à Paris que le roi, après s'être retiré à Lille, avait décidément quitté la France pour passer en Belgique[35]; on avait su auparavant le licenciement de sa maison à Béthune, et comme Lille est un chef-lieu de préfecture où il y avait une nombreuse garnison commandée par le maréchal Mortier, on jugea qu'il fallait bien qu'il y eût eu quelque avis fâcheux qui était parvenu jusque-là, puisque le roi ne s'était pas cru en sûreté dans la place, et en était parti. On lui dit probablement que les émissaires de l'empereur étaient déjà dans Lille, et soulevaient la garnison. Je le crois, parce que chacun était impatient de le voir partir, afin de pouvoir venir rendre compte à Paris du plus ou moins de part qu'on avait eue à lui exagérer les dangers qui lui avaient fait prendre cette résolution.
Le maréchal Mortier arriva à Paris, et se présenta au lever de l'empereur le lendemain. Non seulement il ne dit rien à personne qui pût l'empêcher de solliciter du service, mais lui-même en prit immédiatement ainsi que plusieurs officiers de la maison du roi, qui, avant d'en faire partie, avaient servi dans l'armée. De toutes parts, on s'empressait de montrer du zèle pour l'empereur; il ne laissait, de son côté, apercevoir aucun ressentiment contre qui que ce fût.
Il reçut les sénateurs, n'adressa de reproches à aucun d'eux; il ne parla que d'une manière générale de l'acte honteux par lequel ce corps avait prononcé sa déchéance, en ajoutant: «Je laisse cela à l'histoire; quant à moi, j'oublie tout ce qui s'est passé.»
CHAPITRE SUPPLÉMENTAIRE.
PIÈCES HISTORIQUES.
Au duc de Rovigo.
Paris, le 4 juillet 1822.
MONSIEUR LE DUC,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je m'empresse d'y répondre. Ce que l'on vous a dit sur ma mission est à peu près la vérité; plusieurs faits cependant sont inexacts, et il importe de les rectifier.
J'ai quitté l'empereur, le 29 au soir, au pont de Dolancourt près Vandoeuvre. Il m'ordonna de me rendre à Paris et d'annoncer qu'il allait s'y rendre avec son armée. Je n'avais pas d'ordres précis; je devais agir selon les circonstances, tâcher de faire traîner les choses en longueur jusqu'à l'arrivée de l'empereur, et annoncer que les négociations étaient rouvertes avec les alliés, et particulièrement avec l'Autriche. Arrivé à Paris le 30 à midi, je montai effectivement à cheval et je fus à Montmartre. Le roi Joseph venait d'en partir. Je le rejoignis dans le bois de Boulogne; il avait près de lui le prince Jérôme, les ministres Daru, Clarke et beaucoup d'autres personnes. Je lui communiquai les ordres de l'empereur, et l'engageai à retourner à Paris: il me répondit qu'on ne pouvait plus tenir, que des corps ennemis se dirigeaient sur Versailles, que la retraite pouvait être coupée; qu'il ne voulait pas qu'un frère de l'empereur fût livré en otage, et qu'il avait laissé ses ordres aux maréchaux Marmont et Mortier. Je quittai le roi Joseph, et je joignis le maréchal Mortier au bas de Montmartre; il ignorait encore le départ du roi, je le lui appris, et je lui communiquai mes ordres. Un moment après, il reçut un billet du roi Joseph qui contenait à peu près ces mots, autant que ma mémoire peut me les rappeler: «Si les maréchaux Marmont et Mortier ne peuvent plus défendre Paris, ils sont autorisés à entrer en négociation; ils se retireront sur la Loire.»
D'après ce billet, et ce que j'avais dit au maréchal Mortier, il se décida à écrire au prince Schwartzenberg, non pas pour traiter de la capitulation, mais pour proposer un armistice, basé sur ce que les négociations étaient rouvertes, et que probablement dans ce moment la paix était signée avec l'empereur d'Autriche. Pendant ce temps, l'ennemi avançait toujours, et peu de temps après le maréchal Mortier reçut une réponse très sèche du prince Schwartzenberg, qui lui marquait que les alliés ne feraient pas la paix séparément, et qu'il fallait rendre Paris. Presque au même moment arriva un officier-général, que je crois être le général Mestadier; il venait annoncer au maréchal Mortier que le duc de Raguse, que je n'avais pas encore vu, venait, d'après le billet du roi Joseph, d'entrer en négociation pour la reddition de Paris, et que les hostilités allaient cesser.
Voilà, monsieur le duc, tout ce que je puis vous dire sur cette journée. Je n'ai point apporté d'ordre pour capituler, et cette idée n'est jamais venue, je crois, dans la tête de l'empereur; il paraît même que le général Girardin, qui est arrivé après la signature de la capitulation, avait ordre de faire tenir Paris à tel prix que ce fût, et l'empereur, qui le suivait de près, espérait arriver encore à temps.
Agréez, je vous prie, monsieur le duc, l'assurance de ma haute considération.
Signé, Comte DEJEAN.
* * * * *
Au prince Metternich.
Châtillon, le 9 février 1814.
MON PRINCE,
Je me propose de demander aux plénipotentiaires des cours alliées, si la France, en consentant, ainsi qu'ils l'ont demandé, à rentrer dans ses anciennes limites, obtiendra immédiatement un armistice. Si, par un tel sacrifice, un armistice peut être sur-le-champ obtenu, je serai prêt à le faire. Je serai prêt encore, dans cette supposition, à remettre sur-le-champ une partie des places que ce sacrifice devra nous faire perdre.
J'ignore si les plénipotentiaires des cours alliées sont autorisés à répondre affirmativement à cette question, et s'ils ont des pouvoirs pour conclure cet armistice. S'ils n'en ont pas, personne ne peut, autant que Votre Excellence, contribuer à leur en faire donner. Les raisons qui me portent à l'en prier ne me semblent pas tellement particulières à la France, qu'elles ne doivent intéresser qu'elle seule. Je supplie Votre Excellence de mettre ma lettre sous les yeux du père de l'impératrice: qu'il voie les sacrifices que nous sommes prêts à faire, et qu'il décide.
Agréez, etc.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence.
* * * * *
À l'empereur Napoléon.
Châtillon, le 5 mars 1814.
SIRE,
J'ai besoin d'exprimer particulièrement à V. M. toute ma peine de voir mon dévouement méconnu. Elle est mécontente de moi; elle le témoigne et charge de me le dire. Ma franchise lui déplaisant, elle la taxe de rudesse et de dureté. Elle me reproche de voir partout les Bourbons, dont, peut-être à tort, je ne parle qu'à peine. V. M. oublie que c'est elle qui en a parlé la première dans les lettres qu'elle a écrites ou dictées. Prévoir comme elle les chances que peuvent leur présenter les passions d'une partie des alliés, celles que peuvent faire naître des événemens malheureux et l'intérêt que pourrait inspirer dans ce pays leur haute infortune, si la présence d'un prince et un parti réveillaient ces vieux souvenirs dans un moment de crise, ne serait cependant pas si déraisonnable, si les choses sont poussées à bout. Dans la situation où sont les esprits, dans l'état de fièvre où est l'Europe, dans celui d'anxiété et de lassitude où se trouve la France, la prévoyance doit tout embrasser, elle n'est que de la sagesse. V. M. voudrait, je le comprends, vacciner sa force d'âme, l'élan de son grand caractère, à tout ce qui la sert, et communiquer à tous son énergie; mais votre ministre, Sire, n'a pas besoin de cet aiguillon. L'adversité stimule son courage, au lieu de l'abattre; et s'il vous répète sans cesse le mot de paix, c'est parce qu'il la croit indispensable et même pressante pour ne pas tout perdre. C'est quand il n'y a pas de tiers entre V. M. et lui, qu'il lui parle franchement. C'est votre force, Sire, qui l'oblige à vous paraître faible, tout au moins plus disposé à céder qu'il ne le serait réellement. Personne ne désire, ne voudrait plus que moi consoler V. M., adoucir tout ce que lès circonstances et les sacrifices qu'elles exigeront auront de pénible pour elle; mais l'intérêt de la France, celui de votre dynastie, me commandent, avant tout, d'être prévoyant et vrai. D'un instant à l'autre, tout peut être compromis par ces ménagemens qui ajournent les déterminations qu'exigent les grandes et difficiles circonstances où nous sommes. Est-ce ma faute si je suis le seul qui tient ce langage de dévouement à V. M.? si ceux qui l'entourent, et qui pensent comme moi, craignant de lui déplaire et voulant la ménager, quand elle a déjà tant de sujets de contrariété, n'osent lui répéter ce qu'il est de mon devoir de lui dire? Quelle gloire, quel avantage peut-il y avoir pour moi à prêcher, à signer même cette paix, si toutefois on parvient à la faire? Cette paix ou plutôt ces sacrifices ne seront-ils pas pour V. M. un éternel grief contre son plénipotentiaire? Bien des gens en France, qui en sentent aujourd'hui la nécessité, ne me la reprocheront-ils pas six mois après qu'elle aura sauvé votre trône? Comme je ne me fais pas plus illusion sur ma position que sur celle de V. M., elle doit m'en croire. Je vois les choses ce qu'elles sont, et les conséquences ce qu'elles peuvent devenir. La peur a uni tous les souverains, le mécontentement a rallié tous les Allemands. La partie est trop bien liée pour la rompre. En acceptant le ministère dans les circonstances où je l'ai pris, en me chargeant ensuite de cette négociation, je me suis dévoué pour vous servir, pour sauver mon pays; je n'ai point eu d'autre but, et celui-là seul était assez noble, assez élevé pour me paraître au-dessus de tous les sacrifices. Dans ma position, je ne pouvais qu'en faire, et c'est ce qui m'a décidé. V. M. peut dire de moi tout le mal qu'il lui plaira; au fond de son coeur, elle ne pourra en penser, et elle sera forcée de me rendre toujours la justice de me regarder comme l'un de ses plus fidèles sujets, et l'un des meilleurs citoyens de cette France que je ne puis être soupçonné de vouloir avilir, quand je donnerais ma vie pour lui sauver un village.
Je suis, etc.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence.
* * * * *
Séance du 7 février 1814.
Les protocoles de la séance du 5 ayant été expédiés en double et collationnés dans la journée d'hier, MM. les plénipotentiaires, à l'ouverture de la présente séance, ont muni ces expéditions de leurs signatures, en observant l'alternative entre le plénipotentiaire de la France d'un côté, et les plénipotentiaires des cours alliées de l'autre, les derniers y ayant procédé entre eux, en adoptant la voie de pêle-mêle, tout préjudice sauf.
Cette formalité remplie, les plénipotentiaires des cours alliées consignent au protocole ce qui suit:
«Les puissances alliées réunissant le point de vue de la sûreté et de l'indépendance future de l'Europe avec le désir de voir la France dans un état de possession analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le système politique, et considérant la situation dans laquelle l'Europe se trouve placée à l'égard de la France, à la suite des succès obtenus par leurs armes, les plénipotentiaires des cours alliées ont ordre de demander:
«Que la France rentre dans les limites qu'elle avait avant la révolution, sauf des arrangemens d'une convenance réciproque sur des portions de territoire au-delà des limites de part et d'autre, et sauf des restitutions que l'Angleterre est prête à faire pour l'intérêt général de l'Europe, contre les rétrocessions ci-dessus demandées à la France, lesquelles restitutions seront prises sur les conquêtes que l'Angleterre a faites pendant la guerre; qu'en conséquence la France abandonne toute influence directe hors de ses limites futures, et que la renonciation à tous les titres qui ressortent des rapports de souveraineté et de protectorat sur l'Italie, l'Allemagne et la Suisse, soit une suite immédiate de cet arrangement.»
Après que M. le duc de Vicence a entendu la lecture de cette proposition, il s'établit de part et d'autre entre les plénipotentiaires une conversation explicative de l'objet, à la suite de laquelle S. Exc. le plénipotentiaire français observe que la proposition étant de trop grande importance pour pouvoir y répondre immédiatement, il désire à cet effet que la séance soit suspendue.
Les plénipotentiaires des cours alliées n'hésitent pas à déférer à ce désir, et l'on convient de continuer la séance à huit heures du soir.
Les plénipotentiaires reprenant la séance à l'heure convenue, M. le duc de Vicence déclare ce qui suit:
Le plénipotentiaire de France renouvelle encore l'engagement déjà pris par sa cour de faire, pour la paix, les plus grands sacrifices, quelque éloignée que la demande faite dans la séance d'aujourd'hui, au nom des puissances alliées, soit des bases proposées par elles à Francfort et fondées sur ce que les alliés eux-mêmes ont appelé les limites naturelles de la France; quelque éloignée qu'elle soit des déclarations que toutes les cours n'ont cessé de faire à la face de l'Europe; quelque éloignée que soit même leur proposition d'un état de possession analogue au rang que la France a toujours occupé dans le système politique, bases que les plénipotentiaires des puissances alliées rappellent encore dans leur proposition de ce jour. Enfin quoique le résultat de cette proposition soit d'appliquer à la France seule un principe que les puissances alliées ne parlent point d'adopter pour elles-mêmes, et dont cependant l'application ne peut être juste, si elle n'est point réciproque et impartiale, le plénipotentiaire français n'hésiterait pas à s'expliquer sans retard de la manière la plus positive sur cette demande, si chaque sacrifice qui peut être fait et le degré dans lequel il peut l'être ne dépendaient pas nécessairement de l'espèce et du nombre de ceux qui seront demandés, comme la somme des sacrifices dépend aussi nécessairement de celle des compensations; toutes les questions d'une telle négociation sont tellement liées et subordonnées les unes aux autres, qu'on ne peut prendre parti sur aucune, avant de les connaître toutes. Il ne peut être indifférent à celui à qui on demande des sacrifices de savoir au profit de qui il les fait et quel emploi on veut en faire, enfin si, en les faisant, on peut mettre tout de suite un terme aux malheurs de la guerre. Un projet qui développerait les vues des alliés dans tout leur ensemble remplirait ce but.
Le plénipotentiaire renouvelle donc de la manière la plus instante la demande que les plénipotentiaires des cours alliées veuillent bien s'expliquer positivement sur tous les points précités.
Après avoir pris lecture de ce qui vient d'être inséré au protocole de la part de M. le plénipotentiaire de France, les plénipotentiaires des cours alliées déclarent qu'ils prennent sa réponse ad referendum.
Châtillon-sur-Seine, le 7 février 1814.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence.
Signé, Le comte DE STADION, ABERDEEN, HUMBOLDT, le comte de RAZOUMOWSKI, CATHCART, Charles STEWART.
* * * * *
Séance du 10 mars 1814.
Le plénipotentiaire de France commence la conférence par consigner au protocole ce qui suit:
Le plénipotentiaire de France avait espéré, d'après les représentations qu'il avait été dans le cas d'adresser à MM. les plénipotentiaires des cours alliées, et par la manière dont LL. EE. avaient bien voulu les accueillir, qu'il serait donné des ordres pour que ses courriers pussent lui arriver sans difficulté et sans retards. Cependant le dernier qui lui est parvenu, non seulement a été arrêté très long-temps par plusieurs officiers et généraux russes, mais on l'a même obligé à donner ses dépêches, qui ne lui ont été rendues que trente-six heures après, à Chaumont. Le plénipotentiaire de France se voit donc à regret forcé d'appeler de nouveau sur cet objet l'attention de MM. les plénipotentiaires des cours alliées, et de réclamer avec d'autant plus d'instance contre une conduite contraire aux usages reçus et aux prérogatives que le droit des gens assure aux ministres chargés d'une négociation, qu'elle cause réellement les retards qui l'entravent.
Les plénipotentiaires des cours alliées n'étant point informés du fait, promettent de porter cette réclamation à la connaissance de leurs cours.
Le plénipotentiaire de France donne ensuite lecture de la pièce suivante, dont il demande l'insertion au protocole, ainsi que des pièces y annexées n° 1, 2, 3, 4 et 5.
Le plénipotentiaire de France a reçu de sa cour l'ordre de faire au protocole les observations suivantes:
«Les souverains alliés, dans leur déclaration de Francfort, que toute l'Europe connaît, et LL. EE. MM. les plénipotentiaires, dans leur proposition du 7 février, ont également posé en principe que la France doit conserver par la paix la même puissance relative qu'elle avait avant les guerres que cette paix doit finir; car ce que, dans le préambule de leur proposition, MM. les plénipotentiaires ont dit du désir des puissances alliées de voir la France dans un état de possession analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le système politique, n'a point et ne saurait avoir un autre sens. Les souverains alliés avaient demandé, en conséquence, que la France se renfermât dans les limites formées par les Pyrénées, les Alpes et le Rhin, et la France y avait acquiescé. MM. les plénipotentiaires ont au contraire, et par leur note du 7, et par le projet d'articles qu'ils ont remis le 17, demandé qu'elle rentrât dans ses anciennes limites. Comment, sans cesser d'invoquer le même principe, a-t-on pu, et en si peu de temps, passer de l'une de ces demandes à l'autre? Qu'est-il survenu depuis la première qui puisse motiver la seconde?
«On ne pouvait pas le 7, on ne pouvait pas plus le 17, et à plus forte raison ne pourrait-on pas aujourd'hui la fonder sur l'offre confidentielle faite par le plénipotentiaire de France au ministre du cabinet de l'une des cours alliées; car la lettre qui la contenait ne fut écrite que le 9, et il était indispensable d'y répondre immédiatement, puisque l'offre était faite sous la condition absolue d'un armistice immédiat, pour arrêter l'effusion du sang, et éviter une bataille que les alliés ont voulu donner; au lieu de cela, les conférences furent, par la seule volonté des alliés, et sans motifs, suspendues du 10 au 17, jour auquel la condition proposée fut même formellement rejetée. On ne pouvait, on ne peut donc, en aucune manière, se prévaloir d'une offre qui lui était subordonnée. Les souverains alliés ne voulaient-ils point, il y a trois mois, établir un juste équilibre en Europe? N'annoncent-ils pas qu'ils le veulent encore aujourd'hui? Conserver la même puissance relative qu'elle a toujours eue, est aussi le seul désir qu'ait réellement la France. Mais l'Europe ne ressemble plus à ce qu'elle était il y a vingt ans; à cette époque, le royaume de Pologne, déjà morcelé, disparut entièrement, l'immense territoire de la Russie s'accrut de vastes et riches provinces. Six millions d'hommes furent ajoutés à une population déjà plus grande que celle d'aucun État européen. Neuf millions devinrent le partage de l'Autriche et de la Prusse. Bientôt l'Allemagne changea de face. Les États ecclésiastiques et le plus grand nombre des villes libres germaniques furent réparties entre les princes séculiers. La Prusse et l'Autriche en reçurent la meilleure part. L'antique république de Venise devint une province de la monarchie autrichienne; deux nouveaux millions de sujets, avec de nouveaux territoires et de nouvelles ressources, ont été donnés depuis à la Russie, par le traité de Tilsit, par le traité de Vienne, par celui d'Yassi, et par celui d'Abo. De son côté, et dans le même intervalle de temps, l'Angleterre a non seulement acquis, par le traité d'Amiens, les possessions hollandaises de Ceylan et de l'île de la Trinité; mais elle a doublé ses possessions de l'Inde, et en a fait un empire que deux des plus grandes monarchies de l'Europe égaleraient à peine. Si la population de cet empire ne peut être considérée comme un accroissement de la population britannique, en revanche, l'Angleterre n'en tire-t-elle pas, et par la souveraineté et par le commerce, un accroissement immense de sa richesse, cet autre élément de la puissance? La Russie, l'Angleterre, ont conservé tout ce qu'elles ont acquis. L'Autriche et la Prusse ont, à la vérité, fait des pertes; mais renoncent-elles à les réparer, et se contentent-elles aujourd'hui de l'état de possession dans lequel la guerre présente les a trouvées? Il diffère cependant peu de celui qu'elles avaient il y a vingt ans.
«Ce n'est pas pour son intérêt seul que la France doit vouloir conserver la même puissance relative qu'elle avait; qu'on lise la déclaration de Francfort, et l'on verra que les souverains alliés ont été convaincus eux-mêmes que c'était aussi l'intérêt de l'Europe. Or, quand tout a changé autour de la France, comment pourrait-elle conserver la même puissance relative en étant replacée au même état qu'auparavant? Replacée dans ce même état, elle n'aurait pas même le degré de puissance absolue qu'elle avait alors; car ses possessions d'outre-mer étaient incontestablement un des élémens de cette puissance, et la plus importante de ces possessions, celle qui, par sa valeur, égalait ou surpassait toutes les autres ensemble, lui a été ravie; peu importe par quelle cause elle l'a perdue, il suffit qu'elle ne l'ait plus, et qu'il ne soit pas au pouvoir des alliés de la lui rendre.
«Pour évaluer la puissance relative des États, ce n'est pas assez de comparer leurs forces absolues, il faut faire entrer dans le calcul l'emploi que leur situation géographique les contraint ou leur permet d'en faire.
«L'Angleterre est une puissance essentiellement maritime, qui peut mettre toutes ses forces sur les eaux. L'Autriche a trop peu de côtes pour le devenir; la Russie et la Prusse n'ont pas besoin de l'être, puisqu'elles n'ont pas de possessions au-delà des mers: ce sont des puissances essentiellement continentales. La France est, au contraire, à la fois essentiellement maritime à raison de l'étendue de ses côtes et de ses colonies, et essentiellement continentale. L'Angleterre ne peut être attaquée que par des flottes. La Russie, adossée au pôle du monde et bornée presque de tous côtés par des mers ou de vastes solitudes, ne peut, depuis qu'elle a acquis la Finlande, être attaquée que d'un seul côté. La France peut l'être sur tous les points de sa circonférence, et à la fois du coté de la terre, où elle confine partout à des nations vaillantes, et du côté de la mer, et dans ses possessions lointaines.
«Pour rétablir un véritable équilibre, sa puissance relative devrait donc être considérée sous deux aspects distincts: pour en faire une estimation juste, il la faut diviser, et ne comparer ses forces absolues à celles des autres États du continent, que déduction faite de la part qu'elle en devra employer sur mer, et à celles des États maritimes, que déduction faite de la part qu'elle en devra employer sur le continent.»
Le plénipotentiaire de France prie LL. EE. MM. les plénipotentiaires des cours alliées de peser attentivement les considérations si frappantes de vérité qui précèdent, et de juger si les acquisitions que la France a faites en deçà des Alpes et du Rhin, et que les traités de Lunéville et d'Amiens lui avaient assurées, suffiraient même pour rétablir entre elle et les grandes puissances de l'Europe l'équilibre que les changemens survenus dans l'état de possession de ces puissances ont rompu.
Le plus simple calcul démontre jusqu'à l'évidence que ces acquisitions, jointes à tout ce que la France possédait en 1792, seraient encore loin de lui donner le même degré de puissance relative qu'elle avait alors, et qu'elle avait constamment eue dans les temps antérieurs, et cependant on lui demande, non pas d'en abandonner seulement une partie quelconque, mais de les abandonner toutes, quoique, dans leur déclaration de Francfort, les souverains alliés eussent annoncé à l'Europe qu'ils reconnaissaient à la France un territoire plus étendu qu'elle ne l'avait eu sous ses rois.
Les forces propres d'un État ne sont pas l'unique élément de sa puissance relative, dans la composition de laquelle entrent encore les liens qui l'unissent à d'autres États, liens généralement plus forts et plus durables entre les États que gouvernent des princes d'un même sang. L'empereur des Français possède, outre son empire, un royaume; son fils adoptif en est l'héritier désigné. D'autres princes de la dynastie française étaient possesseurs de couronnes ou de souverainetés étrangères. Des traités avaient consacré leurs droits, et le continent les avait reconnus. Le projet des cours alliées garde à leur égard un silence que les questions si naturelles et si justes du plénipotentiaire de France n'ont pu rompre. En renonçant cependant aux droits de ces princes et à la part de puissance relative qui en résulte pour elle, ainsi qu'à ce qu'elle a acquis en-deçà des Alpes et du Rhin, la France se trouverait avoir perdu de son ancienne puissance relative maritime et continentale, précisément en même raison que celle des autres grands États s'est déjà ou se sera accrue à la paix par leurs acquisitions respectives. La restitution de ses colonies, qui ne feraient alors que la replacer dans son ancien état de grandeur absolue (ce que même la situation de Saint-Domingue ne permettrait pas d'effectuer complètement), ne serait point, ne pourrait pas être une compensation de ses pertes; seulement ses pertes en seraient diminuées, et ce serait sans doute le moins auquel elle eût le droit de s'attendre; mais que lui offre à cet égard le projet des cours alliées?
Des colonies françaises tombées au pouvoir de l'ennemi (et les guerres du continent les y ont fait tomber toutes) il y en a trois que leur importance, sous des rapports divers, met hors de comparaison avec toutes les autres: ce sont la Guadeloupe, la Guyane et l'île de France.
Au lieu de la restitution des deux premières, le projet des cours alliées n'offre que des bons offices pour procurer cette restitution, et il semblerait d'après cela que ces deux colonies fussent entre les mains de puissances étrangères à la négociation présente et ne devant point être comprises dans la future paix. Tout au contraire les puissances qui les occupent sont du nombre de celles au nom de qui et pour qui les cours alliées ont déclaré qu'elles étaient autorisées à traiter: n'y sont-elles donc autorisées que pour les clauses à la charge de la France? cessent-elles de l'être dès qu'il s'agit de clauses à son profit? S'il en était ainsi, il deviendrait indispensable que tous les États engagés dans la présente guerre prissent immédiatement part à la négociation et envoyassent chacun des plénipotentiaires au congrès.
Il est en outre à remarquer que la Guadeloupe n'étant sortie des mains de l'Angleterre que par un acte que le droit des gens n'autorisait pas, c'est l'Angleterre encore qui, relativement à la France, est censée l'occuper, et que c'est à elle seule que la restitution en peut être demandée.
L'Angleterre veut garder pour elle les îles de France et de la Réunion, sans lesquelles les autres possessions de la France, à l'est du cap de Bonne-Espérance, perdent tout leur prix; les Saintes, sans lesquelles la possession de la Guadeloupe serait précaire; et l'île de Tabago, celle-ci sous le prétexte que la France ne la possédait point en 1792, et les autres quoique la France les possédât de temps immémorial, établissant ainsi une règle qui n'a de rigueur que pour la France, qui n'admet d'exceptions que contre elle, et devient ainsi un glaive à deux tranchans.
Une île d'une certaine étendue, mais qui a perdu son ancienne fertilité, deux ou trois autres infiniment moindres, et quelques comptoirs auxquels la perte de l'île de France forcerait de renoncer, voilà à quoi se réduisent les grandes restitutions que l'Angleterre promettait de faire. Sont-ce là celles qu'elle fit à Amiens où pourtant elle rendait Malte, qu'elle veut aujourd'hui garder et qu'on ne lui conteste plus? Qu'aurait-elle offert de moins, si la France n'eût eu rien à céder qu'à elle? Les restitutions qu'elle promettait avaient été annoncées comme un équivalent des sacrifices qui seraient faits au continent. C'est sous cette condition que la France a annoncé qu'elle était prête à consentir à de grands sacrifices. Elles en doivent être la mesure. Pouvait-on s'attendre à un projet par lequel le continent demande tout, l'Angleterre ne rend presque rien, et dont en substance le résultat est que toutes les grandes puissances de l'Europe doivent conserver tout ce qu'elles ont acquis, réparer les pertes qu'elles ont pu faire, et acquérir encore; que la France seule ne doit rien conserver de toutes ses acquisitions et ne doit recouvrer que la part la plus petite et la moins bonne de ce qu'elle a perdu?
Après tant de sacrifices demandés à la France, il ne manquait plus que de lui demander encore celui de son honneur!
Le projet tend à lui ôter le droit d'intervenir en faveur d'anciens alliés malheureux. Le plénipotentiaire de France, ayant demandé si le roi de Saxe serait remis en possession de ses États, n'a pu même obtenir une réponse.
On demande à la France des cessions et des renonciations, et l'on veut qu'en cédant elle ne sache pas à qui, sous quels titres et dans quelle proportion appartiendra ce qu'elle aura cédé! On veut qu'elle ignore quels doivent être ses plus proches voisins; on veut régler sans elle le sort des pays auxquels elle aura renoncé, et le mode d'existence de ceux avec lesquels son souverain était lié par des rapports particuliers; on veut, sans elle, faire des arrangemens qui doivent régler le système général de possession et d'équilibre en Europe; on veut qu'elle soit étrangère à l'arrangement d'un tout dont elle est une partie considérable et nécessaire; on veut enfin qu'en souscrivant à de telles conditions, elle s'exclue en quelque sorte elle-même de la société européenne.
On lui restitue ses établissemens sur le continent de l'Inde, mais à la condition de posséder comme dépendante et comme sujette ce qu'elle y possédait en souveraineté.
Enfin on lui dicte des règles de conduite pour le régime ultérieur de ses colonies et envers des populations qu'aucun rapport de sujétion ou de dépendance quelconque ne lie aux gouvernemens de l'Europe, et à l'égard desquelles on ne peut reconnaître à aucun d'eux aucun droit de patronage.
Ce n'est point à de telles propositions qu'avait dû préparer le langage des souverains alliés, et celui du prince régent d'Angleterre, lorsqu'il disait au parlement britannique qu'aucune disposition de sa part à demander à la France aucun sacrifice incompatible avec son intérêt comme nation ou avec son honneur ne serait un obstacle à la paix.
Attaquée à la lois par toutes les puissances réunies contre elle, la nation française sent plus qu'aucune autre le besoin de la paix et la veut aussi plus qu'aucune autre; mais tout peuple comme tout homme généreux met l'honneur avant l'existence même.
Il n'est sûrement point entré dans les vues des souverains alliés de l'avilir; et quoique le plénipotentiaire de France ne puisse s'expliquer le peu de conformité du projet d'articles qui lui avait été remis avec les sentimens qu'ils ont tant de fois et si explicitement manifestés, il n'en présente pas moins avec confiance au jugement des cours alliées elles-mêmes et de MM. les plénipotentiaires des observations dictées par l'intérêt général de l'Europe autant que par l'intérêt particulier de la France, et qui ne s'écartent en aucun point des déclarations des souverains alliés et de celle du prince régent au parlement d'Angleterre.
Les plénipotentiaires des cours alliées répondent que les observations dont ils viennent d'entendre la lecture ne contiennent pas une déclaration distincte et explicite du gouvernement français sur le projet présenté par eux dans la séance du 17 février, et par conséquent ne remplissent pas la demande que les plénipotentiaires des cours alliées avaient formée dans la conférence du 28 février, d'obtenir une réponse distincte et explicite dans le terme de dix jours, duquel ils étaient mutuellement convenus avec M. le plénipotentiaire de France.
Les plénipotentiaires des cours alliées se disposant là-dessus à lever la séance, M. le plénipotentiaire de France déclare verbalement que l'empereur des Français est prêt
À renoncer, par le traité à conclure, à tout titre exprimant des rapports de souveraineté, de suprématie, protection ou influence constitutionnelle, avec les pays hors des limites de la France,
Et à reconnaître
L'indépendance de l'Espagne dans ses anciennes limites, sous la souveraineté de Ferdinand VII;
L'indépendance de l'Italie, l'indépendance de la Suisse, sous la garantie de grandes puissances;
L'indépendance de l'Allemagne;
Et l'indépendance de la Hollande, sous la souveraineté du prince d'Orange.
Il déclare encore que, si, pour écarter des causes de mésintelligence, rendre l'amitié plus étroite et la paix plus durable entre la France et l'Angleterre, des cessions de la part de la France au-delà des mers peuvent être jugées nécessaires, la France sera prête à les faire moyennant un équivalent raisonnable.
Sur quoi la séance a été levée.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence; ABERDEEN; A. comte de RAZOUMOWSKI; CATHCART; le comte STADION; Ch. STEWART, lieutenant-général.
* * * * *
Séance du 13 mars 1814.
Les plénipotentiaires des cours alliées déclarent au protocole ce qui suit:
Les plénipotentiaires des cours alliées ont pris en considération le mémoire présenté par M. le duc de Vicence, dans la séance du 10 mars, et la déclaration verbale dictée par lui au protocole de la même séance. Ils ont jugé la première de ces pièces être de nature à ne pouvoir être mise en discussion sans entraver la marche de la négociation.
La déclaration verbale de M. le plénipotentiaire ne contient que l'acceptation de quelques points du projet de traité remis par les plénipotentiaires des cours alliées dans la séance du 17 février; elle ne répond ni à l'ensemble ni même à la majeure partie des articles de ce projet, et elle peut bien moins encore être regardée comme un contre-projet renfermant la substance des propositions faites par les puissances alliées.
Les plénipotentiaires des cours alliées se voient donc obligés à inviter M. le duc de Vicence à se prononcer s'il compte accepter ou rejeter le projet de traité présenté par les cours alliées ou bien à remettre un contre-projet.
Le plénipotentiaire de France, répondant à cette déclaration des plénipotentiaires des cours alliées, ainsi qu'à leurs observations sur le même objet, a dit:
Qu'une pièce telle que celle qu'il avait remise le 10, dans laquelle les articles du projet des cours alliées qui sont susceptibles de modifications étaient examinés et discutés en détail, loin d'entraver la marche de la négociation, ne pouvait au contraire que l'accélérer, puisqu'elle éclaircissait toutes les questions sous le double rapport de l'intérêt de l'Europe et de celui de la France;
Qu'après avoir annoncé aussi positivement qu'il l'a fait par sa note verbale du même jour, que la France était prête à renoncer par le futur traité à la souveraineté d'un territoire au-delà des Alpes et du Rhin, contenant au-delà de sept millions, et à son influence sur celle de vingt millions d'habitans, ce qui forme au moins les six septièmes des sacrifices que le projet des alliés lui demande, on ne saurait lui reprocher de n'avoir pas répondu d'une manière distincte et explicite;
Que le contre-projet que lui demandent les plénipotentiaires des cours alliées se trouve en substance dans sa déclaration verbale du 10, quant aux objets auxquels la France peut consentir sans discussion, et que, quant aux autres, qui sont tous susceptibles de modifications, les observations y répondent, mais qu'il n'en est pas moins prêt à les discuter à l'instant même.
Les plénipotentiaires des cours alliées répondent ici:
Que les deux pièces remises par M. le plénipotentiaire de France, dans la séance du 10 mars, ne se référaient pas tellement l'une à l'autre, qu'on pût dire que l'une renfermait les points auxquels le gouvernement français consent sans discussion, et l'autre ceux sur lesquels il veut établir la négociation; mais que, tout au contraire, l'une ne contient que des observations générales ne menant à aucune conclusion, et que l'autre énonce tout aussi peu d'une manière claire et précise ce que M. le plénipotentiaire de France vient de dire, puisque, pour ne s'arrêter qu'aux deux points suivans, elle n'explique pas même ce qu'on y entend par les limites de la France, et ne parle qu'en général de l'indépendance de l'Italie. Les plénipotentiaires ajoutent ensuite que, ces deux pièces ayant été mises sous les yeux de leurs cours, ils ont eu l'instruction positive, précise et stricte, de déclarer, ainsi qu'ils l'ont fait, que ces deux pièces ont été tenues insuffisantes, et d'insister sur une autre déclaration de la part de M, le plénipotentiaire de France, qui renfermât ou une acceptation ou un refus de leur projet de traité proposé dans la conférence du 17 février, ou bien un contre-projet. Ils invitent donc de nouveau M. le plénipotentiaire de France à leur donner cette déclaration.
Le plénipotentiaire de France renouvelle ses instances pour que l'on entre en discussion, observant que MM. les plénipotentiaires des cours alliées, en déclarant eux-mêmes, dans la séance du 28 février, qu'ils étaient prêts à discuter des modifications qui seraient proposées, avaient prouvé, par cela même, que leur projet n'était pas un ultimatum; que, pour se rapprocher et arriver à un résultat, une discussion était indispensable, et qu'il n'y avait réellement point de négociation sans discussion, etc.
Les plénipotentiaires des cours alliées répliquent qu'ils ont bien prouvé qu'ils ne voulaient point exclure la discussion, puisqu'ils ont demandé un contre-projet, mais que leur intention est de ne point admettre de discussion que sur des propositions qui puissent vraiment conduire au but.
Ayant en conséquence insisté de nouveau sur une déclaration catégorique, et ayant invité M. le plénipotentiaire de France à donner cette déclaration, il a désiré que la séance fût suspendue et reprise le soir à neuf heures.
Après avoir délibéré entre eux, les plénipotentiaires des cours alliées ont dit à M. le plénipotentiaire de France que, pour le mettre mieux en état de préparer sa réponse pour le soir, ils veulent le prévenir, dès à présent, qu'en suite de leurs instructions, ils devront l'inviter (après qu'il se sera déclaré ce soir s'il veut remettre une acceptation ou un refus de leur projet, ou un contre-projet) à remplir cet engagement dans le terme de vingt-quatre heures qui a été fixé péremptoirement par leurs cours.
Sur quoi la séance est remise à neuf heures du soir.
Continuation de la séance.
Les plénipotentiaires des cours alliées ayant renouvelé, de la manière la plus expresse, la déclaration par laquelle ils avaient terminé la première partie de la séance, le plénipotentiaire de France déclare qu'il remettra le contre-projet demandé demain soir à neuf heures; toutefois il a observé que, n'étant pas sûr d'avoir achevé jusque-là le travail nécessaire, il demandait d'avance de remettre dans ce cas la conférence à la matinée du 15.
Les plénipotentiaires des cours alliées ont insisté pour que la conférence restât fixée à demain au soir, et ne fût remise qu'en cas de nécessité absolue à après-demain matin, à quoi M. le plénipotentiaire de France a consenti.
Châtillon-sur-Seine, le 13 mars 1814.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence; ABERDEEN; comte de RAZOUMOWSKI; HUMBOLDT; CATHCART; comte de STADION; Ch. STEWART, lieutenant-général.
* * * * *
Séance du 15 mars 1814.
M. le plénipotentiaire français ouvre la séance en faisant lecture du projet de traité qui suit:
Projet de traité définitif entre la France et les alliés.
S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et médiateur de la confédération suisse, d'une part; S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, S. M. l'empereur de toutes les Russies, S. M. le roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, et S. M. le roi de Prusse, stipulant chacun d'eux pour soi et tous ensemble pour l'universalité des puissances engagées avec eux dans la présente guerre, d'autre part:
Ayant à coeur de faire cesser le plus promptement possible l'effusion du sang humain et les malheurs des peuples, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir:
Lesquels sont convenus des articles suivans:
Art. 1er. À compter de ce jour, il y aura paix, amitié sincère et bonne, intelligence entre S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et médiateur de la confédération suisse, d'une part, et S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, S. M. l'empereur de toutes les Russies, S. M. le roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, S. M. le roi de Prusse, et leurs alliés d'autre part, leurs héritiers et successeurs à perpétuité.
Les hautes parties contractantes s'engagent à apporter tous leurs soins à maintenir, pour le bonheur futur de l'Europe, la bonne harmonie, si heureusement rétablie entre elles.
Art. 2. S. M. l'empereur des Français renonce pour lui et ses successeurs à tous titres quelconques, autres que ceux tirés des possessions qui, en conséquence du présent traité de paix, resteront soumises à sa souveraineté.
Art. 3. S. M. l'empereur des Français renonce pour lui et ses successeurs à tous droits de souveraineté et de possession sur les provinces illyriennes et sur les territoires formant les départemens français au-delà des Alpes, l'île d'Elbe exceptée, et les départemens français au-delà du Rhin.
Art. 4. S. M. l'empereur des Français, comme roi d'Italie, renonce à la couronne d'Italie en faveur de son héritier désigné, le prince Eugène Napoléon, et de ses descendans à perpétuité.
L'Adige formera la limite entre le royaume d'Italie et l'empire d'Autriche.
Art. 5. Les hautes parties contractantes reconnaissent solennellement, et de la manière la plus formelle, l'indépendance absolue et la pleine souveraineté de tous les États de l'Europe, dans les limites qu'ils se trouveront avoir en conséquence du présent traité, ou par suite des arrangemens indiqués dans l'art. 16, ci-après.
Art. 6. S. M. l'empereur des Français reconnaît:
1° L'indépendance de la Hollande, sous la souveraineté de la maison d'Orange.
La Hollande recevra un accroissement de territoire.
Le titre et l'exercice de la souveraineté en Hollande ne pourront, dans aucun cas, appartenir à un prince portant ou appelé à porter une couronne étrangère.
2° L'indépendance de l'Allemagne, et chacun de ses États, lesquels pourront être unis entre eux par un lien fédératif.
3° L'indépendance de la Suisse, se gouvernant elle-même, sous la garantie de toutes les grandes puissances.
4° L'indépendance de l'Italie, et de chacun des princes, entre chacun desquels elle est ou se trouvera divisée.
5° L'indépendance et l'intégrité de l'Espagne sous la domination de Ferdinand VII.
Art. 7. Le pape sera remis immédiatement en possession de ses États, tels qu'ils étaient en conséquence du traité de Tolentino, le duché de Bénévent excepté.
Art. 8. S. A. I. la princesse Élisa conservera pour elle et ses descendans en toute propriété et souveraineté Lucques et Piombino.
Art. 9. La principauté de Neufchâtel demeure en toute propriété et souveraineté au prince qui la possède et à ses descendans.
Art. 10. S. M. le roi de Saxe sera rétabli dans la pleine et entière possession de son grand-duché.
Art. 11. S. A. R. le grand-duc de Berg sera pareillement remis en possession de son grand-duché.
Art. 12. Les villes de Bremen, Hambourg, Lubeck, Dantzig et Raguse seront des villes libres.
Art. 13. Les îles Ioniennes appartiendront en toute souveraineté au royaume d'Italie.
Art. 14. L'île de Malte et ses dépendances appartiendront en toute souveraineté et propriété à S. M. britannique.
Art. 15. Les colonies, pêcheries, établissemens, comptoirs et factoreries que la France possédait avant la guerre actuelle dans les mers, ou sur le continent de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie, et qui sont tombés au pouvoir de l'Angleterre ou de ses alliés, lui seront restitués, pour être possédés par elle aux mêmes titres qu'avant la guerre, et avec les droits et facultés que lui assuraient, relativement au commerce et à la pêche, les traités antérieurs, et notamment celui d'Amiens; mais en même temps la France s'engage à consentir, moyennant un équivalent raisonnable, à la cession de celles des susdites colonies que l'Angleterre a témoigné le désir de conserver, à l'exception des Saintes, qui dépendent nécessairement de la Guadeloupe.
Art. 16. Les dispositions à faire des territoires auxquels S. M. l'empereur des Français renonce, et dont il n'est pas disposé par le présent traité, seront faites; les indemnités à donner aux rois et princes dépossédés par la guerre actuelle seront déterminées, et tous les arrangemens qui doivent fixer le système général de possession et d'équilibre en Europe seront réglés dans un congrès spécial, lequel se réunira à…. dans les…. jours qui suivront la ratification du présent traité.
Art. 17. Dans tous les territoires, villes et places auxquels la France renonce, les munitions, magasins, arsenaux, vaisseaux et navires armés et non armés, et généralement toutes choses qu'elle y a placées, lui appartiennent, et lui demeurent réservées.
Art. 18. Les dettes des pays réunis à la France, et auxquels elle renonce par le présent traité, seront à la charge des dits pays et de leurs futurs possesseurs.
Art. 19. Dans tous les pays qui doivent ou devront changer de maître, tant en vertu du présent traité, que des arrangemens qui doivent être faits en conséquence de l'art. 16 ci-dessus, il sera accordé aux habitans naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu'ils soient, un espace de six ans, à compter de l'échange des ratifications, pour disposer de leurs propriétés acquises, soit avant, soit depuis la guerre actuelle, et se retirer dans tel pays qu'il leur plaira de choisir.
Art. 20. Les propriétés, biens et revenus de toute nature que des sujets de l'un quelconque des États engagés dans la présente guerre possèdent, à quelque titre que ce soit, dans les pays qui sont actuellement ou seront, en vertu de l'art. 16, soumis à un autre quelconque des dits États, continueront d'être possédés par eux, sans trouble ni empêchement, sous les seules clauses et conditions précédemment attachées à leur possession, et avec pleine liberté d'en jouir et disposer, ainsi que d'exporter les revenus, et, en cas de vente, la valeur.
Art. 21. Les hautes parties contractantes, voulant mettre et faire mettre dans un entier oubli les divisions qui ont agité l'Europe, déclarent et promettent que, dans les pays de leur obéissance respective, aucun individu, de quelque classe ou condition qu'il soit, ne sera inquiété dans sa personne, ses biens, rentes, pensions et revenus, dans son rang, grade ou ses dignités, ni recherché, ni poursuivi en aucune façon quelconque pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre, de quelque manière que ce soit, aux événemens qui ont amené la présente guerre, ou qui en ont été la conséquence.
Art. 22. Aussitôt que la nouvelle de la signature du présent traité sera parvenue aux quartiers-généraux respectifs, il sera sur-le-champ expédié des ordres pour faire cesser les hostilités, tant sur terre que sur mer, aussi promptement que les distances le permettront, les hautes puissances contractantes s'engageant à mettre de bonne foi toute la célérité possible à l'expédition des dits ordres, et de part et d'autre il sera donné des passe-ports, soit pour les officiers, soit pour les vaisseaux qui sont chargés de les porter.
Art. 23. Pour prévenir tous les sujets de plainte et de contestation qui pourraient naître à l'occasion des prises qui seraient faites en mer après la signature du présent traité, il est réciproquement convenu que les vaisseaux et effets qui pourraient être pris dans la Manche et dans les mers du Nord, après l'espace de douze jours, à compter de l'échange des ratifications du présent traité, seront de part et d'autre restitués; que le terme sera d'un mois, depuis la Manche et les mers du Nord jusqu'aux îles Canaries inclusivement, soit dans l'Océan, soit dans la Méditerranée; de deux mois, depuis les dites îles Canaries jusqu'à l'équateur, et enfin de cinq mois dans toutes les autres parties du monde, sans aucune exception ni autre distinction plus particulière de temps et de lieu.
Art. 24. Les troupes alliées évacueront le territoire français, et les places cédées ou devant être restituées par la France, en vertu de la présente paix, leur seront remises dans les délais ci-après: le troisième jour après l'échange des ratifications du présent traité, les troupes alliées les plus éloignées, et le cinquième jour après le dit échange, les troupes alliées les plus rapprochées des frontières commenceront à se retirer, se dirigeant vers la frontière la plus voisine du lieu où elles se trouveront, et faisant trente lieues par chaque dix jours, de telle sorte que l'évacuation soit non interrompue et successive, et que, dans le terme de quarante jours au plus tard, elle soit complètement terminée.
Il leur sera fourni jusqu'à leur sortie du territoire français les vivres et les moyens de transport nécessaires, mais sans qu'à compter du jour de la signature du présent traité, elles puissent lever aucune contribution ni exiger aucune prestation quelconque, autre que celle indiquée ci-dessus. Immédiatement après l'échange des ratifications du présent traité, les places de Custrin, Glogau, Palma-Nova et Venise seront remises aux alliés, et celles que les troupes françaises occupent en Espagne, aux Espagnols. Les places de Hambourg, de Magdebourg, les citadelles d'Erfurth et de Wurtzbourg seront remises lorsque la moitié du territoire français sera évacuée.
Toutes les autres places des pays cédés seront remises lors de l'évacuation totale de ce territoire.
Les pays que les garnisons desdites villes traverseront leur fourniront les vivres et moyens de transport nécessaires pour rentrer en France, et y ramener tout ce qui, en vertu de l'art. 17 ci-dessus, sera propriété française.
Art. 25. Les restitutions qui, en vertu de l'art. 15 ci-dessus, doivent être faites à la France, par l'Angleterre ou ses alliés, auront lieu, pour le continent et les mers d'Amérique et d'Afrique, dans les trois mois, et pour l'Asie, dans les six mois qui suivront l'échange des ratifications du présent traité.
Art. 26. Les ambassadeurs, envoyés extraordinaires, ministres, résidens et agens de chacune des hautes puissances contractantes jouiront, dans les cours des autres, des mêmes rangs, prérogatives et privilèges qu'avant la guerre, le même cérémonial étant maintenu.
Art. 27. Tous les prisonniers respectifs seront, d'abord après l'échange des ratifications du présent traité, rendus sans rançon, en payant de part et d'autre les dettes particulières qu'ils auraient contractées.
Art. 28. Les quatre cours alliées s'engagent à remettre à la France, dans un délai de…. un acte d'accession au présent traité de la part de chacun des États pour lesquels elles stipulent.
Art. 29. Le présent traité sera ratifié, et les ratifications seront échangées dans le délai de cinq jours, et même plus tôt si faire se peut.
Châtillon-sur-Seine, le 15 mars
(Suivent les signatures.)
* * * * *
Protocole de la séance du 18 mars 1814, et la continuation de cette séance, le 19 mars.
Les plénipotentiaires des cours alliées, au nom et par l'ordre de leurs souverains, déclarent ce qui suit:
Les plénipotentiaires des cours alliées ont déclaré, le 28 février dernier, à la suite de l'attente infructueuse d'une réponse au projet de traité, remis par eux le 17 du même mois, qu'adhérant fermement à la substance des demandes contenues dans les conditions du projet de traité, conditions qu'ils considéraient comme aussi essentielles à la sûreté de l'Europe que nécessaires à l'arrangement d'une paix générale, ils ne pourraient interpréter tout retard ultérieur d'une réponse à leurs propositions que comme un refus de la part du gouvernement français.
Le terme du 10 mars ayant été, d'un commun accord, fixé par MM. les plénipotentiaires respectifs, comme obligatoire pour la remise de la réponse de M. le plénipotentiaire de France, S. Exc. M. le duc de Vicence présenta ce même jour un mémoire qui, sans admettre ni refuser les bases énoncées à Châtillon, au nom de la grande alliance européenne, n'eût offert que des prétextes à d'interminables longueurs dans la négociation, s'il avait été reçu par les plénipotentiaires des cours alliées comme propre à être discuté. Quelques articles de détails qui ne touchent nullement le fond des questions principales des arrangemens de la paix furent ajoutés verbalement par M. le duc de Vicence dans la même séance. Les plénipotentiaires des cours alliées annoncèrent en conséquence, le 13 mars, que si, dans un court délai, M. le plénipotentiaire de France n'annonçait pas, soit l'acceptation, soit le refus des propositions des puissances, ou ne présentait pas un contre-projet renfermant la substance des conditions proposées par elles, ils se verraient forcés à regarder la négociation comme terminée par le gouvernement français. S. Exc. M. le duc de Vicence prit l'engagement de remettre dans la journée du 15 le contre-projet français; cette pièce a été portée par les plénipotentiaires des cours alliées à la connaissance de leurs cabinets; ils viennent de recevoir l'ordre de déposer au protocole la déclaration suivante:
L'Europe, alliée contre le gouvernement français, ne vise qu'au rétablissement de la paix générale, continentale et maritime. Cette paix seule peut assurer au monde un état de repos, dont il se voit privé depuis une longue suite d'années; mais cette paix ne saurait exister sans une juste répartition de force entre les puissances.
Aucune vue d'ambition ou de conquête n'a dicté la rédaction du projet de traité remis, au nom des puissances alliées, dans la séance du 17 février dernier; et comment admettre de pareilles vues dans des rapports établis par l'Europe entière, dans un projet d'arrangement présenté à la France par la réunion de toutes les puissances qui la composent? La France, en rentrant dans les dimensions qu'elle avait en 1792, reste, par la centralité de sa position, sa population, les richesses de son sol, la nature de ses frontières, le nombre et la distribution de ses places de guerre, sur la ligne des puissances les plus fortes du continent; les autres grands corps politiques, en visant à leur reconstruction sur une échelle de proportion conforme à l'établissement d'un juste équilibre en assurant aux États intermédiaires une existence indépendante, prouvent par le fait quels sont les principes qui les animent. Il restait cependant une condition essentielle au bien-être de la France à régler. L'étendue de ses côtes donne à ce pays le droit de jouir de tous les bienfaits du commerce maritime. L'Angleterre lui rend ses colonies, et avec elles son commerce et sa marine; l'Angleterre fait plus, loin de prétendre à une domination exclusive des mers, incompatible avec un système d'équilibre politique, elle se dépouille de la presque totalité des conquêtes que la politique suivie depuis tant d'années par le gouvernement français lui a valu. Animée d'un esprit de justice et de libéralité digne d'un grand peuple, l'Angleterre met dans la balance de l'Europe des possessions dont la conservation lui assurerait, pour long-temps encore, cette domination exclusive. En rendant à la France ses colonies, en portant de grands sacrifices à la reconstruction de la Hollande, que l'élan national de ses peuples rend digne de reprendre sa place parmi les puissances de l'Europe, et elle ne met qu'une condition à ces sacrifices, elle ne se dépouillera de tant de gages qu'en faveur du rétablissement d'un véritable système d'équilibre politique, elle ne s'en dépouillera qu'autant que l'Europe sera véritablement pacifiée, qu'autant que l'état politique du continent lui offrira la garantie qu'elle ne fait pas d'aussi importantes cessions à pure perte, et que ses sacrifices ne tourneront pas contre l'Europe et contre elle-même.
Tels sont les principes qui ont présidé aux conseils des souverains alliés, à l'époque où ils ont entrevu la possibilité d'entreprendre la grande oeuvre de la reconstruction politique de l'Europe; ces principes ont reçu tout leur développement, et ils les ont prononcés le jour où le succès de leurs armes a permis aux puissances du continent d'en assurer l'effet, et à l'Angleterre de préciser les sacrifices qu'elle place dans la balance de la paix.
Le contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire français part d'un point de vue entièrement opposé; la France, d'après ses conditions, garderait une force territoriale infiniment plus grande que le comporte l'équilibre de l'Europe; elle conserverait des positions offensives et des points d'attaque au moyen desquels son gouvernement a déjà effectué tant de bouleversemens, les cessions qu'elle ferait ne seraient qu'apparentes. Les principes annoncés à la face de l'Europe par le souverain actuel de la France et l'expérience de plusieurs années ont prouvé que des États intermédiaires, sous la domination de membres de la famille régnante en France, ne sont indépendans que de nom. En déviant de l'esprit qui a dicté les basés du traité du 17 février, les puissances n'eussent rien fait pour le salut de l'Europe. Les efforts de tant de nations réunies pour une même cause seraient perdus; la faiblesse des cabinets tournerait contre eux et contre leurs peuples; l'Europe et la France même deviendraient bientôt victimes de nouveaux déchiremens; l'Europe ne ferait pas la paix, mais elle désarmerait.
Les cours alliées considérant que le contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire de France ne s'éloigne pas seulement des bases de paix proposées par elles, mais qu'il est essentiellement opposé à leur esprit, et qu'ainsi il ne remplit aucune des conditions qu'elles ont mises à la prolongation des négociations de Châtillon, elles ne peuvent reconnaître dans la marche suivie par le gouvernement français que le désir de traîner en longueur des négociations aussi inutiles que compromettantes: inutiles, parce que les explications de la France sont opposées aux conditions que les puissances regardent comme nécessaires pour la reconstruction de l'édifice social, à laquelle elles consacrent toutes les forces que la Providence leur a confiées; compromettantes, parce que la prolongation de stériles négociations ne servirait qu'à induire en erreur et à faire naître aux peuples de l'Europe le vain espoir d'une paix qui est devenue le premier de leurs besoins.
Les plénipotentiaires des cours alliées sont chargés en conséquence de déclarer que, fidèles à leurs principes, et en conformité avec leurs déclarations antérieures, les puissances alliées regardent les négociations entamées à Châtillon comme terminées par le gouvernement français. Ils ont ordre d'ajouter à cette déclaration celle que les puissances alliées, indissolublement unies pour le grand but qu'avec l'aide de Dieu elles espèrent atteindre, ne font pas la guerre à la France; qu'elles regardent les justes dimensions de cet empire comme une des premières conditions d'un état d'équilibre politique, mais qu'elles ne poseront pas les armes avant que leurs principes n'aient été reconnus et admis par son gouvernement.
* * * * *
Déclaration des puissances coalisées.
Les puissances coalisées se doivent à elles-mêmes, à leurs peuples et à la France d'annoncer publiquement, dans le moment de la rupture des conférences de Châtillon, les motifs qui les ont portées à entamer une négociation avec le gouvernement français, et les causes de la rupture de cette négociation. Des événemens militaires tels que l'histoire aura peine à en recueillir dans d'autres temps, renversèrent, au mois d'octobre passé, l'édifice monstrueux compris sous la dénomination d'empire français; édifice politique fondé sur les ruines d'États jadis indépendans et heureux, agrandi par des provinces arrachées à d'antiques monarchies, soutenu au prix du sang, de la fortune et du bien-être d'une génération entière. Conduits par la victoire sur les bords du Rhin, les souverains alliés crurent devoir exposer de nouveau à l'Europe les principes qui forment la base de leur alliance, leurs voeux et leurs déterminations. Éloignés de toute vue de conquête, animés du seul désir de voir l'Europe reconstruite sur une juste échelle de proportion entre les puissances, décidés à ne pas poser les armes avant d'avoir atteint le noble but de leurs efforts, ils manifestèrent, par un acte public, la constance de leurs intentions, et n'hésitèrent pas à s'expliquer vis-à-vis du gouvernement ennemi dans un sens conforme à leur résolution invariable. Le gouvernement français se prévalut de la déclaration franche des cours alliées pour témoigner des dispositions pacifiques. Il avait besoin, sans doute, d'en prendre l'apparence pour justifier aux yeux de ses peuples les nouveaux efforts qu'il ne cessait de leur demander. Tout cependant prouvait aux cabinets alliés qu'il ne voulait que tirer parti d'une négociation apparente, dans l'intention de disposer l'opinion publique en sa faveur, et que la paix de l'Europe était encore loin de sa pensée. Les puissances alliées, pénétrant ses vues secrètes, se décidèrent à aller conquérir en France même cette paix si désirée. De nombreuses armées passèrent le Rhin; à peine eurent-elles franchi les premières barrières, que le ministre des relations extérieures de France se présenta aux avant-postes.
Dès-lors, toutes les démarches du gouvernement français n'eurent d'autre but que de donner le change à l'opinion publique, de fasciner les yeux du peuple français, et de chercher à rejeter sur les alliés l'odieux des malheurs de cette guerre d'invasion.
La marche des événemens avait donné, à cette époque, aux cours alliées le sentiment de toute la force de la ligue européenne. Les principes qui présidaient aux conseils des souverains coalisés, dès leur première réunion pour le salut commun, avaient reçu tout leur développement. RIEN N'EMPÊCHAIT PLUS QU'ILS N'EXPRIMASSENT LES CONDITIONS NÉCESSAIRES À LA RECONSTRUCTION DE L'ÉDIFICE SOCIAL. Ces conditions, après tant de victoires, ne devaient plus former un obstacle à la paix. La seule puissance appelée à mettre dans la balance des compensations pour la France, l'Angleterre, pouvait énoncer en détail les sacrifices qu'elle était prête à faire pour la pacification générale; les souverains alliés pouvaient espérer enfin que l'expérience des derniers temps aurait influé sur un conquérant, en butte aux reproches d'une grande nation, et témoin pour la première fois, dans sa capitale, des maux qu'il a attirés sur la France; cette expérience pouvait l'avoir conduit au sentiment que la conservation des trônes se lie essentiellement à la modération et à la justice. Toutefois les souverains alliés, convaincus que l'essai qu'ils feraient ne devait pas compromettre la marche des opérations militaires, convinrent que ces opérations continueraient pendant les négociations: l'histoire du passé et de funestes souvenirs leur avaient démontré la nécessité de cette mesure. Les plénipotentiaires se réunirent avec celui du gouvernement français.
Bientôt les armées victorieuses s'avancèrent jusqu'aux portes de la capitale; le gouvernement ne songea, dès ce moment, qu'à la sauver d'une occupation ennemie. Le plénipotentiaire de France reçut l'ordre de proposer un armistice, fondé sur des bases conformes à celles que les cours alliées jugeaient elles-mêmes nécessaires au rétablissement de la paix générale: il offrit la remise immédiate des places fortes dans les pays que la France céderait, mais sous la condition de la suspension des opérations militaires. Les alliés, convaincus par vingt années d'expérience qu'en traitant avec le cabinet français, les apparences devaient soigneusement être distinguées des intentions[36], substituèrent à cette proposition celle de signer sur-le-champ les propositions de la paix. Cette signature avait pour la France tous les avantages de la paix, sans entraîner pour les alliés les dangers d'une suspension d'armes. Quelques succès partiels venaient cependant de marquer les premiers pas d'une armée formée, sous les murs de Paris, de l'élite de la génération actuelle, dernière espérance de la nation, et des débris d'un million de braves qui avaient péri sur le champ de bataille, ou qui avaient été abandonnés sur les grandes routes depuis Lisbonne jusqu'à Moskou, sacrifiés à des intérêts étrangers à la France. Aussitôt les conférences de Châtillon changèrent de caractère; le plénipotentiaire français demeura sans instruction, et fut hors d'état de répondre aux propositions des cours alliées. Alors les projets du gouvernement français se montrèrent clairement aux cours: elles se décidèrent donc à une démarche décisive, la seule qui fût digne de leur puissance et de la droiture de leurs intentions. Elles chargèrent leurs plénipotentiaires de remettre un projet de traité préliminaire, qui contînt toutes les bases qu'elles jugeaient nécessaires pour le rétablissement de l'équilibre politique, et qui, peu de jours auparavant, avaient été offertes par le gouvernement français lui-même, dans un moment où il croyait sans doute son existence compromise. Les principes de la reconstruction politique de l'Europe se trouvaient établis dans ce projet.
La France, rendue à des dimensions que des siècles de gloire et de prospérité, sous la domination de ses rois, lui avaient assurées, devait partager avec l'Europe les bienfaits de sa liberté, de l'indépendance nationale et de la paix. Il ne dépendait que de son gouvernement de mettre, par un seul mot, un terme aux souffrances de la nation; de lui rendre, avec la paix, ses colonies, son commerce et le libre exercice de son industrie. Voulait-il plus? Les puissances s'étaient offertes à discuter, dans un esprit de conciliation, ses voeux sur plusieurs objets de possession d'une mutuelle convenance, qui dépasseraient les limites de la France avant la guerre de la révolution. Quinze jours se passèrent sans réponse de la part du gouvernement français. Les plénipotentiaires des alliés insistèrent sur un terme péremptoire pour l'acceptation ou le refus des conditions de la paix. On laissa au plénipotentiaire français la latitude de présenter un contre-projet, pourvu que ce contre-projet répondît à l'esprit et à la substance des conditions proposées par les cours alliées. Le terme du 10 mars fut fixé d'un commun accord. Le plénipotentiaire français ne présenta, à l'échéance de ce terme, que des pièces dont la discussion, loin de rapprocher du but, n'aurait fait que prolonger de stériles négociations. Sur la demande du plénipotentiaire de France, il fut accordé un nouveau terme de peu de jours. Le 15 mars, enfin, ce plénipotentiaire remit un contre-projet, qui ne laissa plus de doute que les malheurs de la France n'avaient pas encore changé les vues de son gouvernement. Revenant sur ce qu'il avait proposé lui-même, le gouvernement français demanda, dans un nouveau projet, que des peuples étrangers à l'esprit français, que des peuples que des siècles de domination ne pouvaient pas fondre dans la nation française, continuassent à en faire partie. La France devait conserver des dimensions incompatibles avec l'établissement d'un système d'équilibre, et hors de proportion avec les autres grands corps politiques de l'Europe; elle voulait conserver des points et des positions offensives, au moyen desquels son gouvernement avait, pour le malheur de l'Europe et de la France, amené la chute de tant de trônes, et opéré tant de bouleversemens. Des membres de la famille régnante en France devaient être replacés sur des trônes étrangers. Le gouvernement français enfin, ce gouvernement qui, depuis tant d'années, n'a pas moins cherché à régner sur l'Europe par la discorde que par la force des armes, devait rester l'arbitre des rapports intérieurs et du sort des puissances de l'Europe.
Les cours alliées, en continuant les négociations sous de tels auspices, eussent manqué à tout ce qu'elles se doivent à elles-mêmes; elles eussent, dès ce moment, renoncé au but glorieux qu'elles se proposent; leurs efforts n'eussent plus tourné que contre leurs peuples. En signant un traité sur les bases du contre-projet français, les puissances eussent déposé les armes entre les mains de l'ennemi commun; elles eussent trompé l'espérance des nations et la confiance de leurs alliés.
C'est dans un moment aussi décisif pour le salut du monde, que les souverains alliés renouvellent l'engagement solennel qu'ils ne poseront pas les armes avant d'avoir atteint le grand objet de leur alliance. La France ne peut s'en prendre qu'à son gouvernement des maux qu'elle souffre[37]. La paix seule peut fermer les plaies qu'un esprit de domination universelle et sans exemple dans les annales du monde lui a portées. Il est enfin temps que les princes puissent, sans influence étrangère, veiller au bonheur de leurs sujets; que les nations respectent leur indépendance réciproque; que les institutions sociales soient à l'abri des bouleversemens journaliers, les propriétés assurées, et le commerce libre.
L'Europe entière ne forme qu'un voeu, celui de faire participer à ces bienfaits de la paix la France, dont les puissances alliées elles-mêmes ne désirent, ne veulent, ne souffriront pas le démembrement. La foi de leurs promesses est dans les principes pour lesquels elles combattent. Mais par où les souverains pourront-ils juger que la France veut les partager ces principes, qui doivent fonder le bonheur du monde, aussi long-temps qu'ils verront que la même ambition qui a répandu tant de maux sur l'Europe est encore le seul mobile du gouvernement; que, prodigue du sang français et le versant à flots, l'intérêt public est toujours immolé à l'intérêt personnel? Sous de tels rapports, où serait la garantie de l'avenir, si un système aussi destructeur ne trouvait pas un terme dans la volonté générale de la nation? Dès-lors, la paix de l'Europe est assurée, et rien ne saurait la troubler à l'avenir[38].
* * * * *
Proclamation de Schwartzenberg.
HABITANS DE PARIS,
Les armées alliées se trouvent devant Paris; le but de leur marche vers la capitale de la France est fondé sur l'espoir d'une réconciliation sincère et durable avec elle. Depuis vingt ans, l'Europe est inondée de sang et de larmes; les tentatives faites pour mettre un terme à tous ses malheurs ont été inutiles, parce qu'il existe, dans le pouvoir même du gouvernement qui vous opprime, un obstacle insurmontable à la paix. Quel Français ne serait convaincu de cette vérité? Les souverains alliés cherchent de bonne foi une autorité salutaire, en France, qui puisse cimenter l'union de toutes les nations et de tous les gouvernemens avec elle.
C'est à la ville de Paris qu'il appartient, dans les circonstances actuelles, d accélérer la paix du monde; son voeu est attendu avec l'intérêt que doit inspirer un si immense résultat; qu'elle se prononce, et, dès ce moment, l'armée qui est devant ses murs devient le soutien de ses décisions.
Parisiens, vous connaissez la situation de votre patrie, la conduite de Bordeaux, l'occupation amicale de Lyon, les maux attirés sur la France, et les dispositions véritables de vos concitoyens.
Vous trouverez dans ces exemples le terme de la guerre étrangère, et celui de la discorde civile; vous ne sauriez plus le chercher ailleurs. La conservation et la tranquillité de votre ville seront l'objet des soins et des mesures que les alliés s'offrent de prendre avec les autorités et les notables qui jouissent le plus de l'estime publique.
Aucun logement militaire ne pèsera sur la capitale.
C'est dans ces sentimens que l'Europe, en armes devant vos murs, s'adresse à vous. Hâtez-vous de répondre à la confiance qu'elle met dans votre amour pour la patrie et dans votre sagesse.
Quartier-général de Bondy, le 29 mars 1814.
* * * * *
Capitulation de Paris.
Art. 1er. Les corps des maréchaux ducs de Trévise et de Raguse évacueront la ville de Paris, le 31 mars, à sept heures du matin.
Art. 2. Ils emmèneront le matériel de leur armée.
Art. 3. Les hostilités ne pourront recommencer que deux heures après l'évacuation de Paris, c'est-à-dire, le 31 mars, à neuf heures du matin.
Art. 4. Tous les arsenaux, ateliers, édifices militaires et magasins resteront dans l'état où ils se trouvaient avant la présente capitulation.
Art. 5. La garde nationale ou garde urbaine est entièrement séparée des troupes de ligne; elle sera conservée, désarmée ou licenciée, selon que les souverains alliés le jugeront nécessaire.
Art. 6. Le corps de la gendarmerie municipale partagera en tout le sort de la garde nationale.
Art. 7. Les blessés et maraudeurs qui, après sept heures, seront encore à Paris, seront prisonniers de guerre.
Art. 8. La ville de Paris est recommandée à la générosité des hautes puissances alliées.
Fait à Paris, le 31 mars, à deux heures du matin.
Signé, le colonel FABVIER, le colonel DENYS, le colonel ORLOFF, le comte PAAR.
FIN DU SEPTIÈME VOLUME.
NOTES
[1:
Épernay, le 17 mars 1814.
6 heures et demie du soir.
Monsieur le duc de Raguse, l'empereur en arrivant ici a appris que l'ennemi avait passé la Seine sur ses ponts à Pont et marchait sur Provins. Sa Majesté s'est résolue à marcher sur Troyes; le quartier-général de l'empereur sera demain à Semoins et après-demain à Arcis. Sa Majesté laisse à Épernay le général Vincent.
L'empereur désire, monsieur le maréchal, que vous ayez la direction de votre corps et de celui du duc de Trévise, qui dans ce moment est à Reims avec deux divisions d'infanterie et la cavalerie du général Roussel, et qui a la division Charpentier à Soissons. Le ministre de la guerre a dû envoyer un général de brigade avec quelques troupes à Compiègne.
Sa Majesté, monsieur le duc, désire que vous fassiez faire le plus de mouvemens possible de cavalerie pour imposer à Blücher et gagner du temps: si Blücher passe l'Aisne, vous devez lui disputer le terrain et couvrir la route de Paris. Il est probable que le mouvement de l'empereur va obliger l'ennemi à repasser la Seine; ce qui arrêtera Blücher, et rendra disponible le corps du duc de Tarante qui alors vous serait envoyé.
Il faut, monsieur le maréchal, pour les choses importantes écrire en chiffre par Épernay, et par des hommes intelligens qui sachent passer ailleurs que par les grandes routes.
Il est très important que vous envoyez ordre sur ordre à la division Durutte, composée de toutes les garnisons de la Meuse, de vous rejoindre sur Reims, Réthel ou Châlons. Envoyez cet ordre de toutes les manières.
Comme M. le maréchal duc de Trévise est le plus ancien, puisqu'il
est de la création, ayez l'air de vous concerter avec lui plutôt
que d'avoir la direction supérieure; c'est un objet de tact qui ne
vous échappera pas.
Je charge le duc de Trévise de nommer un major pour commander la
place de Reims, la garde nationale et les batteries qui s'y
trouvent, et de faire partir demain le général Corbineau pour venir
rejoindre l'empereur.
Je recommande au duc de Trévise de porter tous ses soins à l'organisation de la garde nationale et de la levée en masse, et de se procurer quelques chevaux pour atteler la batterie laissée à Reims.
Si Blücher prenait l'offensive dans la direction de Reims, de manière à ce que cette ville se trouvât sous les pas de l'ennemi, et que vous et le duc de Trévise ne fussiez pas en état de la défendre, alors vous retireriez avec vous l'un ou l'autre, la garnison et les pièces de canon et vous emmèneriez les gardes nationaux de la levée en masse avec vous.
Signé: Le prince vice-connétable, major général,
ALEXANDRE. ]
[2:
Ce 30 mars 1814.
MONSIEUR LE DUC,
Je viens de recevoir la lettre que V. Exc. m'a fait l'honneur de m'adresser.
L'union intime et indissoluble qui règne entre les souverains alliés m'est un sûr garant que les négociations que vous supposez avoir été entamées isolément entre l'Autriche et la France, n'ont pas eu lieu, et que vos données à cet égard sont destituées de fondemens.
La déclaration que j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint en est une preuve incontestable.
Il ne dépendra que de vous, M. le maréchal, et des autorités de la ville de Paris, de lui épargner les malheurs inévitables dont elle se trouve menacée.
Je prie V. Exc. d'agréer les assurances de ma haute considération
et de l'estime personnelle que je lui ai vouée.
SCHWARTZENBERG.
]
[3: «Que voulait-on? Deux choses: être délivré d'un joug, devenu intolérable, et continuer l'ordre établi. C'était évidemment le sens de tout ce qui avait influence dans les affaires, et c'est uniquement de ceux-là que l'on doit s'occuper dans les grands mouvemens des empires. Les voeux les plus légitimes ne sont pas toujours ceux qui comptent le plus: des milliers d'hommes s'imaginent avoir rétabli le roi, parce qu'ils l'ont désiré, ce dont on ne peut assez les louer; mais comme ils n'exerçaient aucun pouvoir ni aucune influence active, ils restent avec la seule chose qu'on ne peut leur contester, l'honneur de leurs sentimens. Des voeux, quelque ardens qu'ils soient, ne sont pas un pouvoir; il faut bien se garder de les confondre ensemble, car rien ne se ressemble moins. Tenons donc pour certain que cette masse d'hommes qui, depuis vingt-cinq ans, étaient en possession du pouvoir, qui le maniaient, qui avaient donné à la France les différentes formes qu'elles a subies, tendaient au double but que nous venons d'indiquer. Il faudrait n'avoir pas habité Paris une minute pour élever quelque doute à cet égard.» DE PRADT. De la Restauration de la Royauté, page 33. Chez Rosa.]
[4: Il m'a de même été assuré par quelqu'un qui a pris part à tous les événemens, et auquel je témoignais l'étonnement que me causait une telle conduite, que M. Tourton avait encore à rembourser au trésor une somme considérable sur celle que l'empereur lui avait fait prêter en 1811; elle passait un million. Dans l'interrègne qui eut lieu entre l'installation du gouvernement provisoire et l'arrivée du roi, M. de Talleyrand lui fit remettre les billets qu'il avait encore à retirer du trésor. Peut-être a-t-il fait sanctionner cela par le comte d'Artois; je n'en sais rien, je rapporte le fait comme on me l'a dit; s'il est vrai, il explique suffisamment la conduite que M. Tourton a tenue depuis. On peut vérifier la chose au trésor.
La conduite du banquier Tourton est d'autant plus étrange, que c'est lui qui se donna le plus de mouvement pour armer la garde nationale. Il vint trente fois me protester de sa bonne volonté pour l'empereur, et me proposer même de former un corps de bons garçons (c'était son expression), pour aller, comme il le disait, réchauffer l'armée qui revenait de Leipsig; c'est à cet excès de zèle qu'il dut d'être choisi pour le chef de l'état-major de la garde nationale.]
[5: L'empereur Alexandre, après avoir exprimé les magnanimes intentions qui animaient les alliés, à peu près comme il le fit devant nous, ainsi qu'on va le lire dans un moment, dit à M. de Talleyrand qu'il n'avait pas voulu arrêter une détermination définitive avant d'en avoir conféré avec lui; qu'il y avait trois partis à prendre:
1° Faire la paix avec Napoléon, en prenant toutes ses sûretés contre lui;
2° Établir la régence;
3° Rappeler la maison de Bourbon.
M. de Talleyrand s'attacha à faire sentir les inconvéniens des deux premières propositions, et à les ruiner dans l'esprit du conseil devant lequel il parlait. Il passa ensuite à l'établissement de la troisième, comme la seule chose qui convînt, qui fût désirée, qui pût être acceptée généralement, et qui finît pour tout et avec tous, en mettant un terme désiré à la tyrannie, et en donnant des garanties aussi fortement désirées pour la liberté, sous des princes d'un caractère connu par leur modération, instruits par le malheur et par un long séjour dans une terre toute de liberté. On ne lui contesta pas les convenances, mais bien l'existence d'un désir dont on n'avait pas trouvé la manifestation sur toute la route traversée par l'armée, dans laquelle au contraire la population s'était prononcée d'une manière hostile. On appuyait sur la résistance de l'armée qui se retrouvait au même degré dans les corps de nouvelles levées et dans les vétérans. On avait vu, il y avait peu de jours, à La Fère-Champenoise, un corps de plusieurs milliers d'hommes arrachés tout fraîchement à la charrue, se battre jusqu'au dernier contre les troupes alliées, au milieu desquelles ils étaient tombés sans s'en douter. Surpris, enveloppés, il fallut que l'empereur Alexandre arrachât leurs débris à la mort qu'ils continuaient de braver. On résistait donc à l'idée que le rappel de la maison de Bourbon ne fût pas contrarié par les dispositions d'un très grand nombre de personnes. L'empereur demanda à M. de Talleyrand quels moyens il se proposait d'employer pour arriver au résultat qu'il annonçait. Il répondit que ce seraient les autorités constituées, et qu'il se portait fort pour le sénat; que l'impulsion donnée par celui-ci serait suivie par Paris et par toute la France. Quelque solides que fussent les raisons qu'il allégua, et quelque confiance que l'on eût dans l'influence qu'il était dans le cas d'exercer sur le sénat, cependant la résistance durait encore, et ce fut pour la vaincre, qu'il crut devoir s'étayer du témoignage de M. le baron Louis et du mien, et qu'il proposa à l'empereur de nous interroger comme des personnes que, depuis plusieurs mois, il avait vu occupées des mêmes intérêts, et de la recherche des moyens de les ménager.
Cette proposition ayant été agréée, M. de Talleyrand nous introduisit dans la pièce où se tenait le conseil. On se trouva rangé de manière à ce que, du côté droit, le roi de Prusse et M. le prince de Schwartzenberg se trouvassent les plus rapprochés du meuble d'ornement qui est au milieu de l'appartement: M. le duc de Dalberg était à la droite de M. de Schwartzenberg; MM. de Nesselrode, Pozzo di Borgo, prince de Lichtenstein suivaient. M. le prince de Talleyrand se trouvait à la gauche du roi de Prusse, M. le baron Louis et moi placés auprès de lui: l'empereur Alexandre, faisant face à l'assemblée, allait et venait. Ce prince, du ton de voix le plus prononcé, et soutenu d'un geste très animé, débuta par nous dire que ce n'était pas lui qui avait commencé la guerre, qu'on avait été le chercher chez lui; que ce n'étaient ni la soif des conquêtes, ni celle de la vengeance, qui l'amenaient à Paris; qu'il avait tout fait pour épargner à cette grande capitale, qu'il qualifia des épithètes les plus honorables, les horreurs de la guerre; qu'il serait inconsolable, si elle en avait été atteinte; qu'il ne faisait point la guerre à la France, et que ses alliés et lui ne connaissaient que deux ennemis: l'empereur Napoléon et tout ennemi de la liberté des Français. Il s'adressa alors au roi de Prusse et au prince de Schwartzenberg, en leur demandant si ce n'étaient pas là leurs intentions. Leur acquiescement ayant suivi cette demande, il répéta avec la même action une partie de ce qu'il venait de dire, insistant sur des sentimens dont la générosité nous pénétrait d'admiration et de reconnaissance; et après nous avoir répété plusieurs fois que les Français étaient parfaitement libres, que nous l'étions aussi, que nous n'avions qu'à faire connaître ce qui nous paraissait certain dans les dispositions de la nation, et que son voeu serait soutenu par les forces alliées, il s'adressa à chacun de nous. Lorsque mon tour de parler fut venu, j'éclatai par la déclaration que nous étions tous royalistes; que toute la France l'était comme nous; que, si elle ne l'avait pas montré, il ne fallait en accuser que les négociations continues de Châtillon; qu'elles avaient suffi pour tout alanguir; qu'il en était de même de Paris; qu'il se prononcerait aussitôt qu'il serait appelé à le faire, et qu'il y aurait de la sûreté; que, d'après l'influence que Paris exerçait sur la France depuis la révolution, son exemple serait décisif et répété partout. L'empereur s'adressa de nouveau au roi de Prusse et au prince de Schwartzenberg: ils répondirent dans un sens parfaitement conforme à celui des opinions que nous avions énoncées. Eh bien! dit alors l'empereur Alexandre, je déclare que je ne traiterai plus avec l'empereur Napoléon: il fut observé que Napoléon seul se trouvait exclu par cette déclaration qui n'atteignait pas sa famille, et, sur nos représentations, l'empereur ajouta, ni avec aucun membre de sa famille. (DE PRADT, Précis historique de la Restauration, pag. 54 à 59.)]
[6: Les alliés étonnés de ne recevoir aucune manifestation des sentimens de la nation, se sentant sur un terrain tout neuf, au milieu d'élémens absolument inconnus, désiraient s'appuyer des connaissances des personnes qu'ils supposaient être les mieux informées de l'état interne de la France. MM. de Talleyrand et Dalberg avaient fixé leur attention d'une manière plus particulière. Quelque peu de titres que je pusse avoir à partager cet honneur, il m'avait été accordé. On avait poussé l'attention jusqu'à pourvoir à notre avenir, s'il eût été compromis par l'issue des événemens. (DE PRADT, Précis historique de la Restauration, p. 26.)]
[7: Un homme qui se disait mon allié, dit l'empereur Alexandre à la députation du sénat chargée de lui présenter la résolution que ce corps venait d'adopter, un homme qui se disait mon allié, est arrivé dans nos États en injuste agresseur (voyez les aveux de Boutourlin); c'est à lui que j'ai fait la guerre et non à la France (voir le traité de Paris). Je suis l'ami du peuple français; ce que vous venez de faire redouble encore ces sentimens: il est juste, il est sage de donner à la France des institutions fortes et libérales qui soient en rapport avec les lumières actuelles. Mes alliés et moi ne venons que pour protéger vos décisions.]
[8: Beau-frère de Roux-Laborie.]
[9: Lettre du prince Schwartzenberg au maréchal duc de Raguse.
Le 3 avril.
MONSIEUR LE MARÉCHAL,
J'ai l'honneur de faire passer à V. Exc., par une personne sûre, tous les papiers publics et documens nécessaires pour mettre parfaitement V. Exc. au courant des événemens qui se sont passés depuis que vous avez quitté la capitale, ainsi qu'une invitation des membres du gouvernement provisoire à vous ranger sous les drapeaux de la bonne cause française. Je vous engage, au nom de votre patrie et de l'humanité, à écouter des propositions qui doivent mettre un terme à l'effusion du sang précieux des braves que vous commandez.
Réponse du maréchal duc de Raguse.
MONSIEUR LE MARÉCHAL,
J'ai reçu la lettre que V. A. m'a fait l'honneur de m'écrire, ainsi que tous les papiers qu'elle renfermait. L'opinion publique a toujours été la règle de ma conduite. L'armée et le peuple se trouvent déliés du serment de fidélité envers l'empereur Napoléon par le décret du sénat. Je suis disposé à concourir à un rapprochement entre l'armée et le peuple, qui doit prévenir toute chance de guerre civile et arrêter l'effusion du sang; en conséquence, je suis prêt à quitter avec mes troupes l'armée de l'empereur Napoléon aux conditions suivantes, dont je vous demande la garantie par écrit:
ART. 1. Moi, Charles, prince de Schwartzenberg, maréchal et commandant en chef les armées alliées, je garantis à toutes les troupes françaises qui, par suite du décret du sénat du 2 avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, qu'elles pourront se retirer librement en Normandie avec armes, bagages et munitions, et avec les mêmes égards et honneurs militaires que se doivent réciproquement les troupes alliées;
2. Que si, par suite de ce mouvement, les événemens de la guerre faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seraient garanties dans un espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances alliées et du gouvernement français.
Réponse de M. le maréchal prince de Schwartzenberg.
MONSIEUR LE MARÉCHAL,
Je ne saurais assez vous exprimer la satisfaction que j'éprouve en apprenant l'empressement avec lequel vous vous rendez à l'invitation du gouvernement provisoire, de vous ranger, conformément au décret du 2 de ce mois, sous les bannières de la cause française.
Les services distingués que vous avez rendus à votre pays sont reconnus généralement; mais vous y mettez le comble en rendant à leur patrie le peu de braves échappés à l'ambition d'un seul homme.
Je vous prie de croire que j'ai surtout apprécié la délicatesse de l'article que vous demandez, et que j'accepte relativement à la personne de Napoléon. Rien ne caractérise mieux cette belle générosité naturelle aux Français, et qui distingue particulièrement le caractère de V. Exc.
Agréez les assurances de ma haute considération.
À mon quartier-général, le 4 avril 1814.
Signé: SCHWARTZENBERG. ]
[10:
ART. 1er.
Les troupes françaises qui, par suite du décret du sénat du 2 avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, pourront se retirer en Normandie avec armes, bagages et munitions, et avec les mêmes égards et honneurs militaires que les troupes alliées se doivent réciproquement.
ART. 2.
Si, par suite de ce mouvement, les événemens de la guerre faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seraient garanties dans un espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances alliées et du gouvernement français.
Chevilly, 4 avril 1814. ]
[11: Ceux qui connaissent le général Dessoles ne seront pas étonnés de cette réponse. Elle est noire comme son âme, et tout-à-fait dans le goût des images que dessine sa figure. Cette expression atroce n'a du reste rien d'étrange; c'est une réminiscence des élucubrations de 1798. Le général qui, en rendant compte des moyens qu'il avait employés pour insurger les Marches se flattait que «c'était une révolution faite par principes,» ne devait pas ménager les termes, lorsqu'il s'agissait d'en opérer une autre.]
[12:
Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était
le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur
Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre
du trône, à quitter la France et même la vie pour le bien de la
patrie, inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence
de l'impératrice et du maintien des lois de l'empire.
Fait en notre palais de Fontainebleau le 4 avril 1814.
NAPOLÉON. ]
[13: Roux-Laborie.]
[14: À cette époque, l'idée des étrangers était qu'il fallait faire la paix, lier strictement Napoléon, et prendre deux ou trois ans pour le détruire. (DE PRADT, Récit historique de la Restauration, etc., p. 56.)]
[15: Croira-t-on qu'après le retour de l'île d'Elbe, qui eut lieu l'année suivante, celui de ces généraux qui avait le plus contribué à la défection fut assez éhonté pour se présenter un des premiers chez l'empereur?]
[16: Ordre du prince de Schwartzenberg aux armées coalisées.
Le corps ennemi du maréchal Marmont marchera par Juvisy sur la grande route jusqu'à Fresnes, où il s'arrêtera pour repaître; il suivra ensuite son mouvement d'après les ordres du gouvernement provisoire.
Les troisième, quatrième, cinquième et sixième corps se tiendront à l'entrée de la nuit prêts à tout événement; il en sera de même de l'armée de Silésie. Le corps ennemi sera escorté jusqu'à Fresnes par deux régimens de cavalerie du cinquième corps, et de là à Versailles par deux régimens de cavalerie russe de la réserve. Tant par ce motif qu'à cause de l'indisposition des habitans de Versailles, cette ville devra être fortement occupée par les troupes alliées.]
[17: Ceci était écrit avant la mort de cette princesse, qui ne laissa point d'enfans.]
[18: Traité de Fontainebleau.
ARTICLE 1er.
S. M. l'empereur Napoléon renonce, pour lui et ses successeurs et descendans, ainsi que pour chacun des membres de sa famille, à tout droit de souveraineté et de domination, tant sur l'empire français et le royaume d'Italie que sur tout autre pays.
ART. 2.
LL. MM. l'empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise conservent ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant; la mère, les frères, soeurs, neveux et nièces de l'empereur conserveront également, partout où ils se trouveront, le titre de princes de sa famille.
ART. 3.
L'île d'Elbe, adoptée par l'empereur Napoléon pour le lieu de son séjour, formera, sa vie durant, une principauté séparée, qui sera possédée par lui en toute souveraineté et propriété. Il sera donné en outre à l'empereur Napoléon un revenu annuel de deux millions de francs, en rentes sur le grand-livre de France, dont un million réversible à l'impératrice.
ART. 4.
Toutes les puissances s'engagent à employer leurs bons offices pour faire respecter par les Barbaresques le pavillon et le territoire de l'île d'Elbe, et pour que, dans ses rapports avec les Barbaresques, elle soit assimilée à la France.
ART. 5.
Les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, seront donnés en toute souveraineté et propriété à S. M. l'impératrice Marie-Louise; ils passeront à son fils et à sa descendance en ligne directe. Le prince son fils prendra dès ce moment le nom de prince de Parme, Plaisance et Guastalla.
ART. 6.
Il sera réservé, dans les pays auxquels l'empereur Napoléon renonce, pour lui et sa famille, des domaines, ou donné des rentes sur le grand-livre de France, produisant un revenu annuel, net et déduction faite de toute charge, de deux millions cinq cent mille francs. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété, et pour en disposer comme bon leur semblera, aux princes et princesses de sa famille, et seront répartis entre eux, de manière à ce que le revenu de chacun soit dans la proportion suivante, savoir: à madame mère, 306,000 fr.; au roi Joseph et à la reine, 500,000 fr.; au roi Louis, 200,000 fr.; à la reine Hortense et à son enfant, 400,000 fr.; au roi Jérôme et à la reine, 500,000 fr.; à la princesse Élisa, 300,000 fr.; à la princesse Pauline, 300,000 fr. Les princes et princesses de la famille de l'empereur conserveront en outre tous les biens meubles et immeubles, de quelque nature que ce soit, qu'ils possèdent à titre particulier, et notamment les rentes dont ils jouissent, également comme particuliers, sur le grand-livre de France, ou le Mont-Napoléon de Milan.
ART. 7.
Le traitement annuel de l'impératrice Joséphine sera réduit à un million, en domaines ou en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle continuera à jouir, en toute propriété, de ses biens meubles et immeubles particuliers, et pourra en jouir conformément aux lois françaises.
ART. 8.
Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement convenable hors de la France.
ART. 9.
Les propriétés que S. M. l'empereur Napoléon possède en France, soit comme domaine extraordinaire, soit comme domaine privé, resteront à la couronne. Sur les fonds placés par l'empereur Napoléon, soit sur le grand-livre, soit sur la banque de France, soit sur les actions des forêts, soit de toute autre manière, il sera réservé un capital qui n'excédera pas deux millions, pour être employé en gratifications en faveur des personnes qui seront portées sur l'état que signera l'empereur Napoléon, et qui sera remis au gouvernement français.
ART. 10.
Tous les diamans de la couronne resteront à la France.
ART. 11.
L'empereur Napoléon fera versement au trésor et aux autres caisses publiques de toutes les sommes et effets qui auraient été déplacés par ses ordres, à l'exception de la liste civile.
ART. 12.
Les dettes de la maison de S. M. l'empereur Napoléon, telles qu'elles se trouvent à la signature du présent traité, seront immédiatement acquittées sur les arrérages dus par le trésor à la liste civile, d'après les états qui seront signés par un commissaire nommé à cet effet.
ART. 13.
Les obligations du Mont-Napoléon de Milan, envers tous ses créanciers, soit français soit étrangers, seront exactement remplies, sans qu'il soit fait aucun changement à cet égard.
ART. 14.
On donnera tous les saufs-conduits nécessaires pour le libre voyage de S. M. l'empereur Napoléon, de l'impératrice, des princes et princesses, et de toutes les personnes de leur suite qui voudront les accompagner ou s'établir hors de France, ainsi que pour le passage de tous les équipages, chevaux et effets qui leur appartiennent; les puissances alliées donneront en conséquence des officiers et des hommes d'escorte.
ART. 15.
La garde impériale française fournira un détachement de douze à quinze cents hommes de toutes armes, pour servir d'escorte jusqu'à Saint-Tropez, lieu de l'embarquement.
ART. 16.
Il sera fourni une corvette armée, et les bâtimens nécessaires pour conduire, au lieu de sa destination, S. M. l'empereur Napoléon, ainsi que sa maison; la corvette demeurera en toute propriété à S. M.
ART. 17.
S. M. l'empereur emmènera avec lui, et conservera pour sa garde, quatre cents hommes de bonne volonté, tant officiers que sous-officiers et soldats.
ART. 18.
Tous les Français qui auront suivi S. M. l'empereur Napoléon ou sa famille, seront tenus, s'ils ne veulent pas perdre leur qualité de Français, de rentrer en France dans le terme de trois ans, à moins qu'ils ne soient compris dans les emplois que le gouvernement français se réserve d'accorder après l'expiration de ce terme.
ART. 19.
Les troupes polonaises de toutes armes qui sont au service de France, auront la liberté de retourner chez elles, en conservant armes et bagages, comme un témoignage de leurs services honorables; les officiers, sous-officiers et soldats conserveront les décorations qui leur ont été accordées, et les pensions affectées à ces décorations.
ART. 20.
Les hautes puissances alliées garantissent l'exécution de tous les articles du présent traité; elles s'engagent à obtenir qu'ils soient adoptés et garantis par la France.
ART. 21.
Le présent traité sera ratifié, et les ratifications échangées à
Paris, dans l'espace de deux jours, et plus tôt si faire se peut.
Fait à Paris, le 11 avril 1814.
Signé, CAULAINCOURT, duc de Vicence; NEY, duc d'Elchingen; MACDONALD, duc de Tarente; le prince de METTERNICH; le comte de STADION; le comte RAZOUMOSKI; le comte de NESSELRODE; CASTLEREAGH; le baron de HARDENBERG.
Nous avons accepté le traité ci-dessus en tous et chacun de ses articles, le déclarons accepté et ratifié, et en promettons l'invariable observation. En foi de quoi nous avons délivré le présent, signé et revêtu de notre sceau impérial.
Ainsi fait à Fontainebleau, le 12 avril 1814.
Signé, NAPOLÉON.
Et plus bas,
Le ministre secrétaire d'État,
Duc de BASSANO. ]
[19: Les sommes contenues dans les caissons dépassaient vingt millions.]
[20: C'est ici le cas d'observer que, lors de l'avènement de l'empereur au gouvernement, il n'y avait pas une cuillère d'argent aux Tuileries, pas une pièce de vaisselle, ni de linge. Tout ce qui existe en ce genre aujourd'hui dans les palais du roi a été acheté sur les économies du traitement particulier de l'empereur, et non avec les deniers du trésor public. Les diamans de la couronne ont tous été achetés ou retirés par lui des lieux où on les avait mis en gage avant son arrivée au pouvoir. Il faut dire cependant que c'est avec l'argent du trésor qu'ils l'ont été; quant à l'argenterie, je me rappelle l'époque où l'on était obligé d'en louer à des orfèvres de Paris, lorsque le premier consul avait du monde à dîner. Dans le mobilier de vaisselle plate existant aujourd'hui aux Tuileries, se trouve la matière provenant de l'argenterie du général Bonaparte, qui a été fondue aux armes impériales.]
[21: On a prétendu que les lettres de l'empereur à l'impératrice avaient été remises au prince de Schwartzenberg. Cette infidélité serait trop noire. Il est probable qu'elle n'est pas vraie.]
[22: Grandeur et décadence des Romains, chap. V.]
[23: «Cette paix ou plutôt ces sacrifices ne seront-ils pas pour Votre Majesté un éternel grief contre son plénipotentiaire? Bien des gens en France, qui en sentent aujourd'hui la nécessité, ne me les reprocheront-ils pas six mois après avoir sauvé le trône?» (Dépêche du 5 mars.)]
[24:
M. le général de Maubreuil étant chargé d'une haute mission d'une
très grande importance, pour laquelle il est autorisé à requérir
les troupes de S. M. I. russe, M. le général en chef de
l'infanterie russe, baron Saken, ordonne aux commandans des troupes
de les lui mettre à sa disposition, pour l'exécution de sa mission,
dès qu'il les demandera.
Le général en chef de l'infanterie russe, gouverneur de Paris.
Cachet. Signé, baron SAKEN.
* * * * *
Paris, 17 avril 1814.
M. le général de Maubreuil étant autorisé à parcourir en France pour des affaires d'une très haute importance, et pour l'exécution de très hautes missions; que dans son besoin il peut avoir occasion de requérir les troupes des hautes puissances; en conséquence, et suivant l'ordre de M. le général en chef de l'infanterie russe, baron Saken, il est ordonné à MM. les commandans des troupes alliées de les lui fournir sur ses demandes, pour l'exécution de ces hautes missions.
Le général d'état-major.
Cachet. Signé, baron de BROKENHAUSEN.
Paris, 17 avril 1814. ]
[25: Direction générale des postes et des relais de France.
Le directeur-général des postes ordonne aux maîtres de postes de fournir à l'instant à M. de Maubreuil, chargé d'une importante mission, la quantité de chevaux qui lui sera nécessaire, et de veiller à ce qu'il n'éprouve aucun retard pour l'exécution des ordres dont il est chargé.
Le directeur-général des postes et relais de France,
Signé, BOURIENNE.
Hôtel des postes. Paris, 17 avril 1814.
P. S. Le directeur-général ordonne aux inspecteurs et maîtres de postes de veiller avec le plus grand soin à ce que le nombre de chevaux demandé par M. de Maubreuil lui soit fourni avant et de préférence à qui que ce soit, et qu'il n'éprouve aucune espèce de retard.
Le directeur-général,
Cachet. Signé, BOURIENNE.
Paris, 17 avril 1814. ]
[26: Ministère de la guerre.
Il est ordonné à toutes les autorités militaires d'obéir aux ordres qui leur sont donnés par M. de Maubreuil, lequel est autorisé à les requérir et en disposer selon qu'il le jugera convenable, étant chargé d'une mission secrète. MM. les commandans veilleront à ce que les troupes soient mises sur-le-champ à sa disposition, et qu'il n'éprouve aucun retard pour l'exécution des ordres dont il est chargé pour le service de S. M. Louis XVIII.
Le ministre de la guerre,
Cachet. Signé, le général comte DUPONT.
Paris, 16 avril 1814. ]
[27: Ministère de la police générale.
Il est ordonné à toutes les autorités chargées de la police de France, aux commissaires-généraux, spéciaux et autres, d'obéir aux ordres que M. de Maubreuil leur donnera, et de faire exécuter à l'instant même tout ce qu'il leur prescrira, M. de Maubreuil étant chargé d'une mission secrète de la plus haute importance.
Le commissaire provisoire au département de la police générale,
Cachet. Signé, ANGLÈS.
Paris, 16 avril 1814.
]
[28: Rapport de MM. Thouret et Brière de Valigny, substituts de M. le procureur impérial.]
[29: Il aurait été plus juste de dire que l'on ne pouvait pas compter deux fois sur un hiver comme celui de Moscou.]
[30: Ceci a été écrit en 1816.]
[31: Extrait de la communication officielle faite par le gouvernement de la Grande-Bretagne à l'ambassadeur de Russie, à Londres, le 19 janvier 1805.
On a mis sous les yeux de Sa Majesté le résultat des communications faites par le prince Czartorinski à l'ambassadeur de Sa Majesté à Pétersbourg, et des explications confidentielles données par Votre Excellence. Sa Majesté a vu avec une satisfaction inexprimable le plan de politique sage, grand et généreux que l'empereur de Russie est disposé à adopter dans la situation calamiteuse de l'Europe. Sa Majesté est encore heureuse de s'apercevoir que les vues et les sentimens de l'empereur, par rapport à la délivrance de l'Europe et à sa tranquillité et à sa sûreté future, répondent entièrement aux siens. En conséquence, le roi désire entrer dans l'explication la plus claire et la plus franche sur chaque point qui tient à ce grand objet, et de former avec Sa Majesté impériale l'union de conseil et le concert le plus intime, afin que, par leur influence et leurs efforts réunis, on puisse s'assurer de la coopération et de l'assistance d'autres puissances du continent dans une proportion analogue à la grandeur et à l'importance de l'entreprise, du succès de laquelle dépend le salut futur de l'Europe.
Pour cela, le premier pas doit être de fixer aussi précisément que possible les objets vers lesquels un tel concert doit tendre.
Il paraît, d'après l'explication qui a été donnée des sentimens de l'empereur, auxquels Sa Majesté adhère parfaitement, qu'ils se rapportent à trois objets, 1° de soustraire à la domination de la France les contrées qu'elle a subjuguées depuis le commencement de la révolution, et de réduire la France à ses anciennes limites, telles qu'elles étaient avant cette époque; 2° de faire, à l'égard des territoires enlevés à la France, des arrangemens qui, en assurant leur tranquillité et leur bonheur, forment en même temps une barrière contre les projets d'agrandissement futur de la France; 3° d'établir, à la restauration de la paix, une convention et une garantie pour la protection et la sûreté mutuelle des différentes puissances, et pour rétablir en Europe un système général de droit public.
Le premier et le second objet sont énoncés généralement et dans des termes qui admettent la plus grande extension; mais ni l'un ni l'autre ne peuvent être considérés en détail, sans avoir égard à la nature et à l'étendue des moyens par lesquels ils peuvent être obtenus. Le premier est certainement celui que les voeux de Sa Majesté et ceux de l'empereur voudraient voir établi sans aucune modification ni exception, et rien de moins ne pourrait complètement satisfaire les vues que les deux souverains ont pour la délivrance et la sécurité de l'Europe. S'il était possible de réunir à la Grande-Bretagne et à la Russie les deux autres grandes puissances militaires du continent, il paraît hors de doute qu'une pareille réunion de forces les mettrait en état d'accomplir tout ce qu'elles se seraient proposé. Mais si (comme il y a trop de raison de croire) il était impossible de faire entrer la Prusse dans la confédération, on peut douter qu'il y ait moyen de faire, dans toutes les parties de l'Europe, les opérations qui seraient nécessaires pour le succès de la totalité du projet.
Le second point renferme en lui-même la matière de plus d'une considération importante. Les vues et les sentimens qui animent également Sa Majesté et l'empereur de Russie, lorsqu'ils tentent d'établir ce concert, sont purs et désintéressés.
Leur principale vue à l'égard des pays qui peuvent être enlevés à la France doit être de rétablir, autant que cela est possible, leurs anciens droits et de fonder le bien-être de leurs habitans; mais, en envisageant cet objet, ils ne doivent pas perdre de vue la sécurité générale de l'Europe, d'où même cet objet particulier doit principalement dépendre.
Par suite de ce principe, il ne peut pas être douteux que, si quelques-uns de ces pays sont capables d'être rendus à leur ancienne indépendance, et placés dans une situation où ils puissent la défendre, un tel arrangement doit être analogue à la politique et aux sentimens sur lesquels ce système est fondé. Mais on en trouvera d'autres, parmi les pays actuellement soumis à la domination de la France, auxquels ces considérations ne sont point applicables, soit parce que dans ces pays les anciennes relations sont tellement détruites, qu'on ne peut pas les y rétablir, soit parce que leur indépendance n'aurait lieu que de nom, et serait aussi incompatible avec la sûreté de ces pays mêmes qu'avec celle de l'Europe. Heureusement le plus grand nombre entre dans la première catégorie. Si les armes des alliés étaient couronnées de succès au point de dépouiller la France de tous les pays qu'elle a acquis depuis la révolution, ce serait certainement leur premier but de rétablir les républiques des Provinces-Unies et de la Suisse, et les territoires du roi de Sardaigne, de la Toscane, de Modène (sous la protection de l'Autriche) et de Naples; mais celui de Gênes, celui de la république italienne, renfermant les trois légations, ainsi que Parme et Plaisance, et, d'un autre côté, les Pays-Bas autrichiens, les pays sur la rive gauche du Rhin qui ont fait partie de l'empire germanique, appartiennent à la seconde classe. Quant aux provinces italiennes que l'on vient d'indiquer, l'expérience a montré combien peu de dispositions il y a dans les unes, et combien peu de ressources dans les autres pour résister à l'agression et à l'influence de la France. Certainement le roi d'Espagne a trop participé au système dont une si grande partie de l'Europe a été la victime, pour que les anciens intérêts de sa famille méritent d'être pris en considération [A]; et la dernière conduite de Gênes et de quelques autres États d'Italie ne leur donne aucun droit à réclamer la justice ou la générosité des alliés. Il est, au surplus, manifeste que toutes ces petites souverainetés ne pourraient plus consolider leur existence politique, et qu'elles ne serviraient qu'à affaiblir et à paralyser la force qui, autant que possible, devrait être concentrée entre les mains de la principale puissance de l'Italie.
Il est inutile de s'arrêter particulièrement sur l'état des Pays-Bas. Les événemens qui se sont passés ne permettent plus d'élever la question s'ils doivent être rendus à la maison d'Autriche; il s'ensuit qu'il y a de nouveaux arrangemens à prendre à l'égard de ce pays et il est évident qu'il ne pourra jamais exister comme État séparé et indépendant. Les mêmes considérations s'appliquent à peu près aux électorats ecclésiastiques et aux autres provinces situées sur la rive gauche du Rhin, ces pays ayant une fois été détachés de l'empire, et leurs anciens possesseurs ayant reçu des indemnités. Il ne paraît donc pas contraire aux principes les plus sacrés de la justice et de la morale publique de faire, à l'égard de l'un ou de l'autre de ces pays, telle disposition qui paraisse convenable à l'intérêt général, et il est évident qu'après tant de misère et de sang répandu, il ne reste pas d'autre mode de parvenir au grand but de recréer de nouveau le repos et le salut de l'Europe sur une base solide et durable. Il est heureux qu'un pareil plan d'arrangement, essentiel en lui-même pour l'objet qu'on se propose, puisse aussi contribuer au plus haut degré à assurer les moyens par lesquels ce dessein important peut être promu.
Il est très certainement de la plus haute importance, sinon de la plus absolue nécessité, pour cela, de s'assurer de la coopération vigoureuse et efficace de l'Autriche et de la Prusse; mais il y a peu de raison d'espérer que l'une ou l'autre de ces puissances puisse être engagée à s'embarquer pour la cause générale, si on ne lui offre la perspective d'obtenir quelque acquisition importante pour la récompenser de ses efforts. D'après ces motifs déjà allégués, Sa Majesté conçoit que rien ne peut autant contribuer à la sécurité générale que de donner à l'Autriche de nouveaux moyens pour s'opposer aux places de la France du côté de l'Italie, et en plaçant la Prusse dans une position semblable à l'égard des Pays-Bas. La situation relative de ces deux puissances ferait naturellement de ces deux pays les points vers lesquels leurs vues se dirigeraient respectivement.
En Italie, une bonne politique exige que la puissance ou l'influence du roi de Sardaigne soit augmentée, et que l'Autriche soit replacée dans une situation qui lui fournisse les moyens de porter, en cas d'attaque, un secours immédiat et prompt à ses possessions. Sa Majesté voit avec satisfaction, par les communications secrètes et confidentielles que Votre Excellence vient de transmettre, que les vues de la cour de Vienne sont parfaitement d'accord avec ce principe, et que l'extension à laquelle cette cour vise peut non-seulement être admise avec sûreté, mais que, pour l'avantage de la sûreté générale, on peut encore y ajouter. Sous d'autres points de vue, Sa Majesté adopte entièrement le plan d'arrangement que S. M. l'empereur de Russie désire voir effectué dans ce pays. Sa Majesté regarde comme absolument nécessaire pour la sûreté générale, que l'Italie soit soustraite à la domination et à l'influence de la France, et qu'on ne souffre dans ce pays aucune puissance qui n'entrerait pas facilement dans un système général pour en maintenir l'indépendance. Pour cela, il est essentiel que les provinces qui composent maintenant ce que l'on appelle république italienne soient données à d'autres souverains. En distribuant ces provinces, on devra sans doute donner une augmentation de puissance et de richesse au roi de Sardaigne, et il paraît utile que son territoire, aussi bien que le duché de Toscane, qu'on propose de rendre au grand-duc, soient mis en contact immédiat, ou en état de communiquer facilement avec les possessions de l'Autriche. Sur ce principe, la totalité du territoire qui compose maintenant la république ligurienne pourrait, à ce qu'il paraît, être réuni au Piémont.
En supposant que les efforts des alliés fussent couronnés du succès le plus complet, et que les deux objets qu'on a discutés jusqu'à présent eussent été pleinement obtenus, cependant Sa Majesté regarderait cette oeuvre salutaire comme imparfaite, si la restauration de la paix n'était pas accompagnée par les mesures les plus efficaces pour donner de la solidité et de la stabilité au système ainsi établi. Beaucoup sera certainement fait pour le repos futur de l'Europe par ces arrangemens territoriaux, qui formeront contre l'ambition de la France une plus forte barrière qu'il n'en a jamais existé; mais, pour rendre cette sécurité aussi parfaite que possible, il paraît nécessaire qu'à l'époque de la pacification générale, on conclue un traité auquel toutes les principales puissances européennes prendront part, et par lequel leurs possessions et leurs droits respectifs, tels qu'ils auront été établis, seront fixés et reconnus, et ces puissances devraient toutes s'engager réciproquement à se protéger et se soutenir l'une et l'autre contre toute tentative pour l'enfreindre. Ce traité rendrait à l'Europe un système général de droit public, et viserait, autant que possible, à réprimer des entreprises futures pour troubler la tranquillité générale, et, avant tout, pour faire échouer tout projet d'agrandissement et d'ambition pareil à ceux qui ont produit tous les désastres dont l'Europe a été affligée depuis la malheureuse ère de la révolution française.]
[A: Pitt, tout en parlant de grands principes de justice, montre ici la griffe du léopard; l'Espagne a reconnu que ses intérêts maritimes étaient les mêmes que ceux de la France: dès-lors les princes de sa maison peuvent être dépouillés pour la grande satisfaction du cabinet de Londres. Voilà la justice et la légitimité de ce cabinet!!!]
[32: M. de Talleyrand a écrit plusieurs lettres à madame Aimée de Coigny, qui était une de ses correspondantes, et il lui mandait qu'on ne pouvait rien faire de mieux, pour le présent, que de s'attacher fortement à la constitution.]
[33: Ce D*** avait été sous-officier dans l'armée de Condé pendant la révolution; il est de l'Alsace.
À la dissolution du corps de Condé, il rentra en France, et, à la campagne de 1805, je l'avais envoyé en Allemagne comme espion. Il avait rempli deux ou trois missions avec assez d'intelligence, je l'envoyai après les affaires d'Ulm, à l'armée de l'archiduc Charles en Italie; il devait venir me prévenir aussitôt que cette armée se mettrait en marche pour regagner Vienne.
Comme il passait lui-même par cette capitale je lui avais donné une lettre à l'adresse d'un particulier de cette ville qui devait la remettre à un autre pour lequel elle renfermait des billets à ordre.
D*** rompit le cachet, vit de quoi il était question, prit les billets à ordre, et, pour éviter la réclamation de celui à qui ils étaient destinés, il alla le dénoncer au gouvernement autrichien, qui le fit arrêter; et lui, D***, au lieu de se rendre à l'armée de l'archiduc Charles, alla en Bohême, d'où il vint se placer près de Ratisbonne; et passant tantôt d'une rive du Danube sur l'autre, en se disant commissaire bavarois lorsqu'il était sur la rive autrichienne, et commissaire autrichien lorsqu'il était sur la rive bavaroise, il levait ainsi des contributions sur toutes les deux.
Il fut arrêté faisant ce métier, et il aurait été infailliblement fusillé, si la paix ne s'était pas faite; il fut renvoyé à Paris pour y être mis en prison jusqu'à ce que l'on eût pu tirer des mains des ennemis celui qu'il avait fait arrêter en le dénonçant, et comme cela fut long, ce D*** souffrit en France ce qu'il avait fait souffrir à son semblable en Autriche.
Je fus bien étonné de voir cet homme-là chevalier de Saint-Louis, garde de la porte du roi, et depuis chef d'escadron de gendarmerie.]
[34: J'ai vu depuis un officier fort respectable qui m'a assuré avoir vu M. de Bourmont travailler à Lons-le-Saulnier, chez le maréchal Ney, à la rédaction de la proclamation que celui-ci fit lire aux troupes.]
[35: En même temps que l'on apprit le départ du roi de Lille, on sut qu'un individu qui s'y trouvait avait tenu ce discours au duc d'Orléans, qui accompagnait le roi: «Voilà la branche aînée qui a fini, Bonaparte s'usera vite; ce sera naturellement vous qu'on appellera. N'allez point dans les armées qui vont faire la guerre à la France; retirez-vous paisiblement en Angleterre, et laissez faire le temps.»
Cette conversation avait été rapportée à Paris par quelqu'un qui disait l'avoir entendue.]
[36: Les coalisés, fidèles à ce principe, ont en effet toujours séparé leurs intentions des apparences, qu'ils mettaient en avant dans leurs manifestes.]
[37: Les publications allemandes de cette pièce portent: «La France ne peut attribuer qu'à elle-même, etc.»]
[38: Les éditions allemandes ne portent pas cet appel à la révolte, elles se terminent ainsi: «L'Europe entière ne forme qu'un voeu, et ce voeu est l'expression du besoin universel des peuples. Tous se sont réunis pour le soutien d'une seule et même cause; cette cause triomphera du seul obstacle qu'elle ait encore à vaincre.]