Mémoires du général baron de Marbot (3/3)
CHAPITRE XXXII
Épisode.—Bataille de Hanau.—Retraite sur le Rhin.—Derniers efforts des ennemis.—Azolan.—Fuite de Czernicheff.—Reconstitution des corps de troupes.
Voici maintenant quels motifs avaient retenu Exelmans en arrière lors de notre passage dans le défilé. Avant l'entrée de la vallée, les éclaireurs lui avaient présenté deux soldats autrichiens faits prisonniers au moment où, éloignés de leur armée, ils maraudaient et buvaient dans un village isolé. Exelmans, les ayant fait questionner en allemand par un de ses aides de camp, fut très étonné qu'ils répondissent en bon français et leur demanda où ils avaient si bien appris notre langue. Un de ces malheureux, à moitié ivre, croyant alors se donner de l'importance, s'écria qu'ils étaient Parisiens! À peine ces mots étaient-ils prononcés que le général, furieux de voir des Français porter les armes contre leurs compatriotes, ordonna qu'on les fusillât sur-le-champ. On les saisit, et le pauvre garçon qui, pour faire le gentil, s'était vanté d'être Français, venait d'être mis à mort, lorsque son camarade, dégrisé par ce terrible spectacle, protesta que ni l'un ni l'autre n'avaient jamais mis les pieds en France, mais qu'étant nés à Vienne, de parents parisiens naturalisés Autrichiens, ils avaient été considérés comme regnicoles et forcés, comme tels, d'obéir à la loi du recrutement et d'entrer dans le régiment qu'on leur avait désigné. Pour prouver ce qu'il avançait, il montra son livret et celui de son infortuné compagnon, qui constataient le fait. Cédant enfin aux instances de ses aides de camp, Exelmans consentit à épargner cet innocent.
Entendant alors le bruit du combat qui commençait, le général voulut gagner la tête de la colonne que je commandais; mais, arrivé à l'entrée du défilé, il lui devint impossible d'y pénétrer et de trouver place dans les rangs, tant était rapide le galop des deux régiments qui l'occupaient en poursuivant les ennemis. Après l'avoir tenté à maintes reprises, le général fut bousculé avec son cheval et roula dans la Kinzig, où il fut sur le point de se noyer.
L'Empereur, se préparant à combattre, profita de la nuit pour diminuer la file des voitures. Tous les bagages furent dirigés vers la droite, sur Coblentz, sous l'escorte de quelques bataillons et de la cavalerie des généraux Lefebvre-Desnouettes et Milhau. Ce fut un grand allégement pour l'armée.
Le 30 au matin, l'Empereur n'avait encore à sa disposition que les corps d'infanterie de Macdonald et de Victor, qui ne présentaient qu'un effectif de 5.000 baïonnettes, soutenu par les divisions de cavalerie de Sébastiani.
Du côté par lequel nous arrivions, une grande forêt que la route traverse couvre les approches de Hanau. Les gros arbres de cette forêt permettent d'y circuler sans trop d'embarras. La ville de Hanau est bâtie sur la rive opposée de la Kinzig.
Le général de Wrède, qui ne manquait pourtant pas de moyens militaires, avait commis la faute énorme de placer son armée de telle sorte qu'elle avait la rivière à dos, ce qui la privait de l'appui qu'auraient pu lui donner les fortifications de Hanau, avec lesquelles le général bavarois ne pouvait communiquer que par le pont de Lamboy, qui restait son seul moyen de retraite. Il est vrai que la position occupée par lui barrait la route de Francfort et de France, et qu'il se croyait certain de nous empêcher de forcer le passage.
Le 30 octobre, au point du jour, la bataille s'engagea comme une grande partie de chasse. Quelques coups de mitraille, le feu de nos tirailleurs d'infanterie et une charge en fourrageurs exécutée par la cavalerie de Sébastiani, dispersèrent la première ligne ennemie, assez maladroitement postée à l'extrême lisière du bois; mais dès qu'on eut pénétré plus avant, nos escadrons ne pouvant agir que dans les rares clairières qu'ils rencontraient, les voltigeurs s'engagèrent seuls sur les pas des Bavarois, qu'ils poussèrent d'arbre en arbre jusqu'au débouché de la forêt. Alors ils durent s'arrêter en face d'une ligne ennemie forte de 40,000 hommes, dont le front était couvert de 80 bouches à feu!
Si l'Empereur eût eu alors auprès de lui toutes les troupes qu'il ramenait de Leipzig, une attaque vigoureuse l'aurait rendu maître du pont de Lamboy, et le général de Wrède aurait payé cher sa témérité; mais les corps des maréchaux Mortier, Marmont, et le général Bertrand, ainsi que le grand parc d'artillerie, retardés par le passage de plusieurs défilés, principalement par celui de Gelnhausen, n'étant pas encore arrivés, Napoléon ne pouvait disposer que de 10,000 combattants!… Les ennemis auraient dû profiter de ce moment pour fondre vivement sur nous. Ils ne l'osèrent point, et leur hésitation donna à l'artillerie de la garde impériale le temps d'arriver.
Dès que le brave général Drouot, qui la commandait, eut quinze pièces sur le champ de bataille, il commença à canonner, et sa ligne, s'accroissant successivement, finit par présenter cinquante bouches à feu, qu'il fit avancer en tirant, bien que fort peu de troupes fussent encore derrière lui pour la soutenir. Mais, à travers l'épaisse fumée que vomissait cette formidable batterie, il n'était pas possible que les ennemis s'aperçussent que les pièces n'étaient pas appuyées. Enfin, les chasseurs à pied de la vieille garde impériale parurent, au moment où un coup de vent dissipait la fumée!…
À la vue des bonnets à poil, les fantassins bavarois, saisis de terreur, reculèrent épouvantés. Le général de Wrède, voulant à tout prix arrêter ce désordre, fit charger sur notre artillerie toute la cavalerie autrichienne, bavaroise et russe dont il pouvait disposer, et en un instant notre immense batterie fut entourée par une nuée de cavaliers ennemis!… Mais à la voix de l'intrépide général Drouot, leur chef, qui, l'épée à la main, leur donnait l'exemple d'une courageuse résistance, les canonniers français, saisissant leurs fusils, restèrent inébranlables derrière les affûts, d'où ils tiraient à brûle-pourpoint sur les ennemis. Cependant, le grand nombre de ceux-ci aurait fini par les faire triompher, lorsque, sur l'ordre de l'Empereur, toute la cavalerie de Sébastiani ainsi que toute celle de la garde impériale, grenadiers à cheval, dragons, chasseurs, mameluks, lanciers et gardes d'honneur, fondant sur les cavaliers ennemis avec furie, en tuèrent un très grand nombre, dissipèrent le surplus, et s'élançant ensuite sur les carrés de l'infanterie bavaroise, ils les enfoncèrent, leur firent éprouver des pertes immenses, et l'armée bavaroise, mise en déroute, s'enfuit vers le pont de la Kinzig et la ville de Hanau.
Le général de Wrède était fort brave; aussi, avant de s'avouer vaincu par des forces moitié moins considérables que les siennes, il résolut de tenter un nouvel effort, et, réunissant tout ce qui lui restait de troupes disponibles, il nous attaqua à l'improviste. Tout à coup la fusillade se rapprocha de nous, et la forêt retentissait de nouveau du bruit du canon; les boulets sifflaient dans les arbres, dont les grosses branches tombaient avec fracas… L'œil cherchait en vain à percer la profondeur de ce bois; à peine pouvait-on entrevoir la lueur des décharges d'artillerie, qui brillaient par intervalles dans l'ombre projetée par le feuillage épais des hêtres immenses sous lesquels nous combattions.
En entendant le bruit occasionné par cette attaque des Austro-Bavarois, l'Empereur dirigea de ce côté les grenadiers à pied de sa vieille garde, conduits par le général Friant, et bientôt ils eurent triomphé de ce dernier effort des ennemis, qui se hâtèrent de s'éloigner du champ de bataille pour se rallier sous la protection de la place de Hanau, qu'ils abandonnèrent aussi pendant la nuit en y laissant une énorme quantité de blessés. Les Français occupèrent cette place.
Nous n'étions plus qu'à deux petites lieues de Francfort, ville considérable, ayant un pont en pierre sur le Mein. Or, comme l'armée française devait longer cette rivière pour gagner, à Mayence, la frontière de France qui était à une marche de Francfort, Napoléon détacha en avant le corps du général Sébastiani et une division d'infanterie pour aller occuper Francfort, s'emparer de son pont et le détruire. L'Empereur et le gros de l'armée bivouaquèrent dans la forêt.
La grande route de Hanau à Francfort longe de très près la rive droite du Mein. Le général Albert, mon ami, qui commandait l'infanterie dont nous étions accompagnés, était marié depuis quelques années à Offenbach, charmante petite ville bâtie sur la rive gauche, précisément en face du lieu où, après avoir laissé derrière nous les bois de Hanau, nous fîmes reposer nos chevaux dans l'immense et belle plaine de Francfort.
En se voyant si près de sa femme et de ses enfants, le général Albert ne put résister à l'envie d'avoir de leurs nouvelles et surtout de les rassurer sur son compte, après les dangers qu'il venait de courir aux batailles de Leipzig et de Hanau, et pour cela il s'exposa peut-être plus qu'il ne l'avait été dans ces sanglantes affaires, car, s'avançant en uniforme et à cheval jusqu'à l'extrême rivage du Mein, il héla, malgré nos observations, un batelier dont il était connu; mais pendant qu'il causait avec cet homme, un officier bavarois, accourant à la tête d'un piquet de fantassins, fit apprêter les armes et allait tirer sur le général français, lorsqu'un groupe nombreux d'habitants et de bateliers, se plaçant devant les fusils, empêcha les soldats de faire feu, car Albert était très aimé à Offenbach.
En voyant cette ville où je venais de combattre pour mon pays, j'étais bien loin de penser qu'elle deviendrait un jour mon asile contre la proscription du gouvernement de la France, et que j'y passerais trois ans dans l'exil!…
L'Empereur, après avoir quitté la forêt de Hanau pour se rendre à Francfort, avait à peine fait deux lieues, lorsqu'il apprit que la bataille recommençait derrière lui. En effet, le général bavarois, qui avait craint, après sa déconfiture de la veille, d'être talonné à outrance par l'Empereur, s'était rassuré en voyant l'armée française plus empressée de gagner le Rhin que de le poursuivre, et, revenant sur ses pas, il attaquait vivement notre arrière-garde. Mais les corps de Macdonald, Marmont et celui de Bertrand, qui avaient occupé Hanau pendant la nuit, ayant laissé les Austro-Bavarois s'engager encore une fois au delà de la Kinzig, les reçurent à coups de baïonnette, les culbutèrent et en firent un très grand massacre!… Le général en chef de Wrède fut grièvement blessé, et son gendre, le prince d'Œttingen, fut tué.
Le commandement de l'armée ennemie échut alors au général autrichien Fresnel, qui ordonna la retraite, et les Français continuèrent tranquillement leur marche vers le Rhin. Nous le repassâmes le 2 et le 3 novembre 1813, après une campagne entremêlée de victoires éclatantes et de revers désespérants qui, ainsi que je l'ai déjà dit, eurent pour principale cause l'erreur dans laquelle tomba Napoléon, lorsqu'au lieu de faire la paix au mois de juin, après les victoires de Lutzen et de Bautzen, il se brouilla avec l'Autriche, ce qui entraîna la Confédération du Rhin, c'est-à-dire toute l'Allemagne; de sorte que Napoléon eut bientôt toute l'Europe contre lui!…
Après notre rentrée en France, l'Empereur ne s'arrêta que six jours à Mayence, et se rendit à Paris, où il s'était fait précéder de vingt-six drapeaux pris à l'ennemi. L'armée blâma le prompt départ de Napoléon. On convenait que de grands intérêts politiques l'appelaient à Paris, mais on pensait qu'il aurait dû se partager entre sa capitale et le soin de réorganiser son armée, et aller de l'une à l'autre pour exciter le zèle de chacun, car l'expérience avait dû lui apprendre qu'en son absence rien ou très peu de chose se faisait.
Les derniers coups de canon que j'entendis en 1813 furent tirés à la bataille de Hanau, comme aussi ce jour-là faillit être le dernier de ma vie! Mon régiment chargea cinq fois, dont deux sur les carrés d'infanterie, une sur l'artillerie et deux sur les escadrons bavarois. Mais le plus grand danger que je courus provint de l'explosion d'un caisson chargé d'obus qui prit feu tout auprès de moi. J'ai dit que, par ordre de l'Empereur, toute la cavalerie française fit une charge générale dans un moment très difficile. Or, il ne suffit pas, en pareil cas, qu'un chef de corps, surtout lorsqu'il est engagé dans une forêt, lance son régiment droit devant lui, comme je l'ai vu faire à plusieurs; mais il doit, d'un coup d'œil rapide, examiner le terrain sur lequel vont arriver ses escadrons, afin d'éviter de les conduire dans des fondrières marécageuses.
Je marchai donc quelques pas en avant, suivi de mon état-major régimentaire, ayant à côté de moi un trompette qui, d'après mon ordre, signalait aux divers escadrons les obstacles qu'ils allaient trouver devant leur ligne. Bien que les arbres fussent largement espacés entre eux, le passage de la forêt était difficile pour la cavalerie, parce que le terrain se trouvait jonché de morts, de blessés, de chevaux tués ou mourants, d'armes, de canons et de caissons abandonnés par les Bavarois; et l'on comprend qu'il est très difficile, en pareil cas, qu'un colonel allant au grand galop sur les ennemis au milieu des balles et des boulets, tout en examinant le terrain que ses escadrons vont traverser, puisse s'occuper de sa personne!… Je m'en rapportais donc pour cela à l'intelligence et à la souplesse de mon excellent et brave cheval turc Azolan! Mais le petit groupe qui me suivait de plus près ayant été infiniment diminué par un coup de mitraille qui avait blessé plusieurs de mes ordonnances, je n'avais à mes côtés que le trompette de service, charmant et bon jeune homme, lorsque sur toute la ligne du régiment j'entends ces cris: «Colonel! colonel! Prenez garde!…» Et j'aperçois à dix pas de moi un caisson de l'artillerie bavaroise qu'un de nos obus venait d'enflammer!
Un arbre énorme, abattu par quelques boulets, me barrait le chemin en avant; passer de ce côté m'eût pris trop de temps. Je crie au trompette de se baisser, et, me couchant sur l'encolure de mon cheval, je le présente devant l'arbre pour le sauter. Azolan s'élance très loin, mais pas assez pour franchir toutes les branches touffues, au milieu desquelles ses jambes sont empêtrées. Cependant le caisson flambait déjà, et la poudre allait prendre feu! Je me considérais comme perdu… quand mon cheval, comme s'il eût compris notre danger commun, se mit à faire des bonds de quatre à cinq pieds de haut, toujours en s'éloignant du caisson, et dès qu'il fut en dehors des branchages, il prit un galop tellement rapide en allongeant et baissant son corps, qu'il s'en fallait de bien peu qu'il ne fût réellement ventre à terre.
Je frissonnai lorsque la détonation se produisit. Il paraît que je me trouvais hors de la portée des éclats d'obus, car ni moi ni mon cheval ne fûmes atteints. Mais il n'en avait pas été de même pour mon jeune trompette; car, le régiment ayant repris sa marche après l'explosion, on aperçut ce malheureux jeune homme mort et horriblement mutilé par les éclats de projectiles. Son cheval était aussi broyé en morceaux.
Mon brave Azolan m'avait déjà sauvé à la Katzbach. Je lui devais donc la vie pour la seconde fois. Je le caressai, et la pauvre bête, comme pour exprimer sa joie, se mit à hennir de sa voix la plus claire. Il est des moments où l'on est porté à croire que certains animaux ont infiniment plus d'intelligence qu'on ne le pense généralement.
Je regrettai vivement mon trompette, qui, tant par son courage que par ses manières, s'était fait aimer de tout le régiment. Il était fils d'un professeur du collège de Toulouse, avait fait ses classes, et trouvait un grand plaisir à débiter des tirades de latin. Une heure avant sa mort, ce pauvre garçon ayant remarqué que presque tous les arbres de la forêt de Hanau étaient des hêtres, dont les branches, se projetant au loin, formaient une espèce de toit, l'occasion lui parut favorable pour réciter l'églogue de Virgile qui commence par ce vers:
Tityre, tu patulæ recubans sub tegmine fagi…
ce qui fit beaucoup rire le maréchal Macdonald, qui, passant en ce moment devant nous, s'écria: «Voilà un petit gaillard dont la mémoire n'est pas troublée par ce qui l'entoure! C'est bien certainement la première fois qu'on récite des vers de Virgile sous le feu du canon ennemi!»
«Celui qui se sert de l'épée périra par l'épée», disent les Livres saints. Si cette parabole n'est point applicable à tous les militaires, elle l'était sous l'Empire à beaucoup d'entre eux. Ainsi M. Guindet, qui, en octobre 1806, avait tué au combat de Saalfeld le prince Louis de Prusse, fut tué lui-même à la bataille de Hanau. Ce fut sans doute la crainte d'avoir un pareil sort qui engagea le général russe Czernicheff à fuir devant le danger.
Vous devez vous rappeler que, dans les premiers mois de 1812, cet officier, alors colonel aide de camp et favori de l'empereur Alexandre, se trouvant à Paris, avait abusé de sa haute position pour séduire deux pauvres employés du ministère de la guerre, qui furent exécutés pour avoir vendu l'état de situation des armées françaises, et que le colonel russe n'évita la juste punition que lui auraient infligée les tribunaux qu'en s'échappant furtivement de France. Rentré dans son pays, M. de Czernicheff, bien qu'il fût plus courtisan que militaire, y devint officier général et commandait à ce titre une division de 3,000 Cosaques, la seule troupe russe qui parût à la bataille de Hanau, où son chef joua un rôle qui le rendit la fable des Autrichiens et des Bavarois présents à cet engagement.
En effet, Czernicheff, qui, en marchant contre nous, chantait hautement victoire tant qu'il crut n'avoir à combattre que des soldats malades et sans ordre, changea de ton dès qu'il se vit en présence de braves et vigoureux guerriers revenant de Leipzig. Le général de Wrède eut d'abord toute sorte de peine à le faire entrer en ligne, et dès que Czernicheff entendit la terrible canonnade de notre artillerie, il mit ses 3,000 cavaliers au trot et s'éloigna bravement du champ de bataille, au milieu des huées des troupes austro-bavaroises, indignées de cette honteuse conduite. Le général de Wrède étant accouru en personne lui faire de sanglants reproches, M. de Czernicheff répondit que les chevaux de ses régiments avaient besoin de manger, et qu'il allait les faire rafraîchir dans les villages voisins. Cette excuse fut trouvée si ridicule que, quelque temps après, les murs de presque toutes les villes d'Allemagne furent couverts de caricatures représentant M. de Czernicheff faisant manger à ses chevaux des bottes de lauriers cueillis dans la forêt de Hanau. Les Allemands, malgré leur flegme habituel, sont quelquefois très caustiques.
En repassant le Rhin, les troupes dont se composaient les débris de l'armée française s'attendaient à voir finir leurs misères dès qu'elles toucheraient le sol de la patrie; mais elles éprouvèrent une bien grande déception, car l'administration et l'Empereur lui-même avaient tellement compté sur des succès, et si peu prévu notre sortie de l'Allemagne, que rien n'était préparé sur notre frontière pour y recevoir des troupes et les réorganiser. Aussi, dès le jour même de notre entrée à Mayence, les soldats et les chevaux auraient manqué de vivres si l'on ne les eût dispersés et logés chez les habitants des bourgs et villages voisins. Mais ceux-ci, qui, depuis les premières guerres de la Révolution, avaient perdu l'habitude de nourrir des soldats, se plaignirent hautement, et il est de fait que cette charge était trop lourde pour les communes.
Comme il fallait garder, ou du moins surveiller les divers points de l'immense ligne que forme le Rhin depuis Bâle jusqu'à la Hollande, on établit comme on le put les nombreux malades et blessés dans les hôpitaux de Mayence. Tous les hommes valides rejoignirent les noyaux de leurs régiments; puis les divisions et corps d'armée, dont la plupart ne se composaient que de très faibles cadres, furent répartis le long du fleuve. Mon régiment, ainsi que tout ce qui restait du corps de cavalerie de Sébastiani, descendit le Rhin à petites journées; mais, bien que le temps fût superbe et le paysage charmant, chacun était navré de douleur, car on prévoyait que la France allait perdre ces belles contrées, et que ses malheurs ne se borneraient pas là.
Mon régiment passa quelque temps à Clèves, puis quinze jours dans la petite ville d'Urdingen, et descendit ensuite jusqu'à Nimègue. Pendant ce triste voyage, nous étions péniblement affectés en voyant à la rive opposée les populations allemandes et hollandaises arracher de leurs clochers le drapeau français pour y replacer celui de leurs anciens souverains!… Malgré ces tristes préoccupations, tous les colonels tâchaient de réorganiser le peu de troupes qui leur restaient; mais que pouvions-nous faire sans effets, équipements ni armes de rechange?…
La nécessité de faire vivre l'armée forçait l'Empereur à la tenir disséminée, tandis que pour la réorganiser il aurait fallu créer de grands centres de réunion. Nous étions donc dans un cercle vicieux. Cependant les ennemis, qui auraient dû passer le Rhin peu de jours après nous pour empêcher notre réorganisation, se sentaient encore si affaiblis par les rudes coups que nous leur avions portés dans la dernière campagne, qu'il leur fallait du temps pour se remettre. Ils nous laissèrent donc tranquilles tout le mois de novembre et de décembre, que je passai en grande partie sur les bords du Rhin, dans un fantôme de corps d'armée, commandé par le maréchal Macdonald.
Je reçus enfin, ainsi que les autres colonels de cavalerie, l'ordre de conduire tous mes hommes démontés au dépôt de mon régiment, pour tâcher d'y reconstituer de nouveaux escadrons. Le dépôt du 23e de chasseurs étant encore à Mons, en Belgique, je m'y rendis. Ce fut là que je vis la fin de l'année 1813, si fertile en grands événements, et pendant laquelle j'avais couru bien des dangers et supporté bien des fatigues.
Avant de terminer ce que j'ai à dire sur cette année, je crois devoir indiquer sommairement les derniers événements de la campagne de 1813.
CHAPITRE XXXIII
Derniers événements de 1813.—Reddition des places.—Violation déloyale
de la capitulation de Dresde.—Désastres en Espagne.—Affaire de
Vitoria.—Joseph regagne la frontière.—Retraite de Soult sur
Bayonne.—Suchet en Catalogne.—Situation en Tyrol et en Italie.
Les places fortes d'Allemagne dans lesquelles, en se retirant, l'armée française avait laissé des garnisons, furent bientôt cernées et plusieurs même assiégées. Presque toutes succombèrent. Quatre seulement tenaient encore à la fin de 1813.
C'était d'abord Hambourg, où commandait l'intrépide maréchal Davout, qui sut conserver cette place importante jusqu'au moment où, l'Empereur ayant abdiqué, le nouveau gouvernement rappela la garnison en France; secondement, Magdebourg, que le général Le Marois, aide de camp de l'Empereur, sut aussi conserver jusqu'à la fin de la guerre; troisièmement, Wittemberg, que défendait avec courage le vieux général Lapoype, et qui fut enlevé d'assaut le 12 janvier suivant; enfin Erfurt, qui fut obligé de capituler faute de vivres.
Toutes les autres forteresses que l'Empereur avait voulu conserver au delà du Rhin, et dont les plus importantes étaient Dresde, Danzig, Stettin, Zamosk, Torgau et Modlin, se trouvaient déjà au pouvoir de l'ennemi. L'occupation des deux premières fut un déshonneur pour les armées alliées! En effet, lorsque, après la bataille de Leipzig, Napoléon se retira vers la France avec les débris de son armée, en laissant à Dresde un corps de 25,000 hommes, commandé par le maréchal Saint-Cyr, celui-ci essaya de s'ouvrir, les armes à la main, un passage au travers des troupes ennemies qui le bloquaient. Il les repoussa plusieurs fois, mais enfin, accablé par des forces supérieures et manquant de vivres, il fut contraint d'accepter la capitulation honorable qui lui était offerte. Elle portait que la garnison conserverait ses armes, qu'elle ne serait pas prisonnière de guerre et retournerait en France par journées d'étape.
Le maréchal aurait voulu que ses troupes réunies marchassent en corps d'armée et bivouaquassent tous les soirs sur le même point, ce qui leur eût permis de se défendre en cas de trahison; mais les généraux ennemis ayant fait observer que, par suite de l'épuisement du pays, il ne serait pas possible de trouver tous les jours vingt-cinq mille rations dans la même localité, le maréchal français dut céder devant cette nécessité. Il consentit donc à ce que son armée fût divisée en plusieurs petites colonnes de 2 à 3,000 hommes, qui voyageraient à une et même deux étapes de distance.
Pendant les premiers jours, tout se passa convenablement; mais dès que la dernière colonne française fut sortie de Dresde, après avoir fait la remise des forts et des munitions de guerre, les généraux étrangers déclarèrent qu'ils n'avaient pas eu le droit de signer la capitulation sans l'agrément de leur généralissime prince de Schwartzenberg, et que celui-ci la désapprouvant, elle était nulle! Mais on offrait de ramener nos troupes à Dresde, et de les replacer exactement dans la situation où elles se trouvaient le jour de la capitulation, c'est-à-dire avec des vivres pour quelques jours seulement, pénurie que les Français avaient cachée aux étrangers tant que nous occupions la place, et qui, désormais connue par ceux-ci, rendait leur nouvelle proposition illusoire!…
Nos troupes furent indignées de cet odieux manque de foi; mais que pouvaient entreprendre des détachements isolés de 2 à 3,000 hommes, que les ennemis avaient pris la précaution de faire entourer par des bataillons placés d'avance sur les lieux où chaque petite colonne française devait apprendre la rupture de la capitulation de Dresde? Toute résistance devenait impossible; nos gens furent donc dans la triste nécessité de mettre bas les armes!…
Après la trahison commise sur le champ de bataille de Leipzig, venait la transgression des capitulations, engagements jusque-là sacrés parmi toutes les nations civilisées. Les Allemands n'en ont pas moins chanté victoire, car tout, même l'infamie, leur paraissait permis pour abattre l'empereur Napoléon. Tous les souverains alliés ayant adopté ce nouvel et inique droit des gens, inconnu de nos pères, ils le mirent en pratique à l'égard de la garnison de Danzig.
Le brave général Rapp, après avoir longtemps défendu cette place avec la plus grande vigueur, mais n'ayant enfin plus de vivres, consentit à se rendre, à condition que la garnison rentrerait en France. Cependant, malgré le traité signé par le prince de Wurtemberg, commandant le corps d'armée qui faisait le siège, cette condition fut indignement violée, et les courageux défenseurs de Danzig, encore au nombre de 16,000, furent envoyés comme prisonniers en Russie, où la plupart périrent de misère.
Un des traits les plus saillants de ce siège mémorable fut la conduite d'un capitaine d'infanterie de la garnison, nommé M. de Chambure. Cet officier, rempli de courage et d'intelligence, avait demandé et obtenu l'autorisation de faire une compagnie franche, choisie parmi les plus intrépides volontaires. Cette troupe s'était vouée aux entreprises les plus téméraires. Elle allait pendant la nuit surprendre les postes des assiégeants, pénétrait dans leurs tranchées, dans leurs camps, détruisait leurs ouvrages sous le feu même de leurs batteries, enclouait leurs pièces et allait au loin dans la campagne enlever ou piller leurs convois. Chambure, s'étant embarqué pendant la nuit avec ses hommes, surprit un cantonnement russe, mit le feu à un parc de munitions, détruisit plusieurs magasins, tua ou blessa plus de cent cinquante hommes, n'en perdit que trois et rentra dans la place, triomphant.
Peu de temps après, M. de Chambure se porte une nuit sur la batterie de brèche, s'en empare, encloue toutes les bouches à feu, et, joignant la raillerie au courage, il dépose dans la gueule d'un mortier une lettre adressée au prince de Wurtemberg et ainsi conçue: «Prince, vos bombes m'empêchant de dormir, je suis venu enclouer vos mortiers; ne m'éveillez donc plus, ou je serai forcé de vous faire de nouvelles visites.» En effet. Chambure revint plusieurs fois, réussit constamment et répandit la terreur parmi les travailleurs et les canonniers ennemis. Horace Vernet a popularisé son nom en le représentant au moment où il dépose dans un mortier la lettre adressée au prince de Wurtemberg.
Les nombreuses défections qui se produisirent à cette époque me rappellent l'anecdote suivante[20]. Parmi les généraux qui secondèrent le célèbre Washington, combattant pour l'indépendance américaine, le plus brave, le plus capable, le plus estimé de l'armée était le général Arnold. Il perdit une jambe dans une bataille, et son patriotisme était si grand qu'il n'en continua pas moins à combattre les ennemis de son pays; mais enfin, s'étant brouillé avec Washington au sujet d'un passe-droit dont il croyait avoir à se plaindre, le général Arnold déserta, alla prendre du service dans l'armée anglaise et devint un des plus grands ennemis de ses compatriotes. Quelque temps après, un armistice ayant été signé et quelques officiers américains s'étant avancés entre les deux camps, plusieurs officiers anglais, au nombre desquels se trouvait le général Arnold, s'approchèrent d'eux, et l'on causa paisiblement.
Cependant le général Arnold, s'apercevant que sa présence déplaisait à ses anciens amis, leur dit qu'il s'en étonnait, car s'il était actuellement leur adversaire, ils ne devaient pas oublier les éminents services qu'il avait rendus jadis à l'Amérique, pour laquelle il avait perdu une jambe. Alors un Américain lui répondit: «Nous nous en souvenons si bien que, si jamais nous te faisons prisonnier, ta jambe de bois sera déposée dans le temple de la Patrie, comme un monument destiné à rappeler à nos derniers neveux l'héroïque valeur dont tu fis preuve lorsque tu combattais pour l'indépendance de ta patrie; mais après avoir rendu cet honneur à ta jambe, nous ordonnerions d'accrocher le surplus de ton corps à la potence, pour servir d'exemple à tous les traîtres qui combattent contre leur patrie!»
Mais reprenons l'examen de la situation des armées françaises en décembre 1813.
L'Espagne, cause première de toutes les catastrophes qui signalèrent la fin du règne de Napoléon, avait été dégarnie, dans le cours de cette année, d'une grande partie de ses meilleures troupes, que l'Empereur envoya renforcer l'armée d'Allemagne. Cependant, l'effectif de celles qui restèrent dans la péninsule Ibérique s'élevait encore à plus de 100,000 nommes. Ce nombre, bien qu'insuffisant, aurait cependant contenu les ennemis, si Napoléon en avait laissé le commandement au maréchal Soult. Mais comme il voulait absolument faire de son frère Joseph un général qui sût défendre le royaume qu'il lui avait donné, ce fut à ce prince, homme fort estimable, mais antimilitaire, que l'Empereur confia la direction des armées d'Espagne. Il lui donna, il est vrai, pour major général et conseil, le maréchal Jourdan; mais celui-ci, vieilli avant l'âge, et qui n'avait pas fait la guerre depuis les premières campagnes de la Révolution, était aussi usé au moral qu'au physique et n'inspirait aucune confiance aux troupes. Aussi, malgré les talents dont firent preuve Suchet, Reille, Bonnet, Gazan, Foy, Harispe, Decaen, Clausel et autres généraux qui servaient sous les ordres du roi Joseph, les armées anglo-portugaises, commandées par lord Wellington et aidées par les guérillas espagnoles, nous firent éprouver d'irréparables pertes.
Les Français, resserrés sur tous les points, avaient déjà été contraints d'abandonner Madrid, les deux Castilles, et de repasser l'Èbre, pour concentrer leurs principales forces autour de la ville de Vitoria, lorsque, attaqués dans cette position par des masses trois fois supérieures en nombre, ils perdirent une bataille dont les suites furent d'autant plus désastreuses que le roi Joseph et le maréchal Jourdan n'avaient pris aucune précaution pour assurer la retraite; aussi fut-elle des plus désordonnées. Les équipages du Roi, les parcs d'artillerie, les nombreuses voitures d'une foule d'Espagnols qui, ayant pris parti pour Joseph, cherchaient à fuir la vengeance de leurs compatriotes, les fourgons du trésor, ceux de l'administration militaire, etc., etc., tout cela se trouva bientôt pêle-mêle, au point que les routes en furent encombrées et que les régiments avaient grand'peine à se mouvoir au milieu de cette confusion. Cependant, ils ne se débandèrent pas, et, malgré les vigoureuses attaques des ennemis, le gros de l'armée parvint à gagner Salvatierra et la route de Pampelune, par laquelle la retraite fut exécutée.
La bataille de Vitoria fit honneur aux talents et à la valeur du général Clausel, qui rallia l'armée et lui donna une direction. Dans cette malheureuse journée, les Français perdirent 6,000 hommes tués, blessés ou faits prisonniers, et laissèrent au pouvoir des ennemis une grande partie de leur artillerie et presque tous leurs bagages.
Malgré cet échec, nos troupes, dont le moral était excellent, auraient pu se maintenir dans la Navarre, en s'appuyant à la place forte de Pampelune et aux montagnes des Pyrénées; mais le roi Joseph ordonna de continuer la retraite et de franchir la Bidassoa, dont notre arrière-garde, commandée par le général Foy, eut ordre de détruire le pont. Ainsi, dès la fin de juin, nous avions abandonné l'Espagne sur cette partie de la frontière; néanmoins, le maréchal Suchet tenait encore en Aragon, en Catalogne et dans le royaume de Valence; mais les résultats de la bataille de Vitoria furent si malheureux pour nous que, Wellington ayant pu envoyer des renforts dans le midi de, l'Espagne, Suchet dut évacuer le royaume et la ville de Valence.
Ceci avait lieu au moment où l'Empereur était encore triomphant en Allemagne. Dès qu'il fut informé de la situation des affaires au delà des Pyrénées, il s'empressa de révoquer les pouvoirs donnés par lui au roi Joseph ainsi qu'au maréchal Jourdan, et nomma le maréchal Soult son lieutenant général auprès de toutes les armées d'Espagne.
Celui-ci, après avoir réorganisé les divisions, fit de grands efforts pour secourir la garnison française laissée dans Pampelune; mais ce fut en vain; cette place fut obligée de capituler, et le maréchal Soult dut ramener ses troupes sur la Bidassoa. La forteresse de Saint-Sébastien, gouvernée par le brave général Rey, se défendit très longtemps; mais enfin elle fut prise d'assaut par les Anglo-Portugais, qui, oubliant les droits de l'humanité, pillèrent, violèrent et massacrèrent les malheureux habitants de cette ville espagnole, bien qu'ils fussent leurs alliés! Les officiers anglais ne prirent aucune mesure pour mettre un terme à ces atrocités, qui durèrent trois fois vingt-quatre heures, à la honte de Wellington, des généraux de son armée et de la nation anglaise!…
Le maréchal Soult défendit pied à pied la chaîne des Pyrénées, et battit plusieurs fois Wellington; mais les forces supérieures dont celui-ci disposait lui permettant de reprendre sans cesse l'offensive, il parvint enfin à s'établir en deçà de nos frontières et porta son quartier général à Saint-Jean de Luz, première ville de France, que n'avaient pu lui faire perdre ni les défaites éprouvées par le roi François Ier, ni les guerres désastreuses de la fin du règne de Louis XIV.
On ne conçoit pas qu'après la défection des troupes allemandes à Leipzig, le maréchal Soult ait cru pouvoir conserver dans l'armée française des Pyrénées plusieurs milliers de soldats d'outre-Rhin!… Ils passèrent tous à l'ennemi dans une même nuit, et augmentèrent les forces de Wellington.
Cependant, le maréchal Soult, après avoir réuni plusieurs divisions sous les remparts de Bayonne, se reporta contre les Anglo-Portugais. Il y eut le 9 décembre, à Saint-Pierre de Rube, une bataille qui dura cinq jours consécutifs, et qui fut une des plus sanglantes de cette guerre, car elle coûta 16,000 hommes aux ennemis et 10,000 aux Français, qui revinrent néanmoins prendre leur position autour de Bayonne.
Avant que ces événements se produisissent vers les Basses-Pyrénées, le maréchal Suchet, ayant appris en octobre les revers que Napoléon venait d'éprouver en Allemagne, et comprenant qu'il lui serait impossible de se maintenir dans le midi de l'Espagne, se prépara à se rapprocher de la France. À cet effet, il se replia sur Tarragone, dont il fit sauter les remparts après avoir retiré la garnison, qui vint augmenter son armée, dont la retraite, bien qu'inquiétée par les Espagnols, s'opéra dans le plus grand ordre, et à la fin de décembre 1813, Suchet et les troupes sous ses ordres se trouvèrent établis à Girone.
Pour compléter cet examen de la situation des armées françaises à la fin de 1813, il est nécessaire de rappeler qu'au printemps de cette année, l'Empereur, comptant fort peu sur l'Autriche, avait réuni dans le Tyrol et dans son royaume d'Italie une nombreuse armée, dont il avait confié le commandement à son beau-fils Eugène de Beauharnais, vice-roi de ce pays. Ce prince était bon, fort doux, très dévoué à l'Empereur; mais quoique infiniment plus militaire que Joseph, roi d'Espagne, il s'en fallait cependant de beaucoup qu'il fût capable de conduire une armée. La tendresse que l'Empereur avait pour Eugène l'abusait sur ce point.
Ce fut le 24 août, jour où devait finir en Allemagne l'armistice conclu entre Napoléon et les alliés, que les Autrichiens, jusque-là restés neutres, se déclarèrent nos ennemis au delà des Alpes. Les troupes italiennes combattaient dans nos rangs, mais les Dalmates avaient abandonné notre parti pour prendre celui de l'Autriche. Le prince Eugène avait sous ses ordres d'excellents lieutenants, parmi lesquels on distinguait: Verdier, Grenier, Gardanne, Gratien, Quesnel, Campo et l'Italien Pino. Les hostilités ne furent jamais bien vives, car les chefs des deux armées avaient compris que ce serait des événements qui surviendraient en Allemagne que dépendrait le succès de la campagne. Il y eut néanmoins de nombreux combats avec des résultats divers; mais enfin les forces supérieures des Autrichiens, auxquelles vint bientôt se joindre un corps anglais débarqué en Toscane, contraignirent le vice-roi à ramener l'armée franco-italienne en deçà de l'Adige.
On apprit au mois de novembre la défection de Murat, roi de Naples. L'Empereur, auquel il devait tout, ne put d'abord y croire. Elle n'était cependant que trop réelle! Murat venait de joindre ses drapeaux à ceux de l'Autriche, qu'il avait si longtemps combattue, et ses troupes occupaient déjà Bologne. Telle est la versatilité des Italiens, qu'ils accueillirent partout avec acclamations les Austro-Napolitains, qu'ils détestaient auparavant et haïrent encore davantage peu de temps après. Au mois de décembre, l'armée du vice-roi, forte seulement de 43,000 hommes, occupait Vérone et ses environs.
L'empereur Napoléon, voyant toute l'Europe coalisée contre lui, ne put se dissimuler que la première condition de paix qu'on lui imposerait serait le rétablissement des Bourbons sur le trône d'Espagne. Il résolut donc de faire de son propre mouvement ce qu'il prévoyait devoir être forcé de faire plus tard. Il rendit la liberté au roi Ferdinand VII, retenu à Valençay, et ordonna à l'armée de Suchet de se retirer sur les Pyrénées.
Ainsi, à la fin de 1813, nous avions perdu toute l'Allemagne, toute l'Espagne, la plus grande partie de l'Italie, et l'armée de Wellington, qui venait de franchir la Bidassoa et les Pyrénées occidentales, campait sur le territoire français, en menaçant Bayonne, la Navarre et le Bordelais.
CHAPITRE XXXIV
1814. Je suis nommé au commandement du département de Jemmapes.—Situation difficile.—Soulèvement conjuré.—Extermination d'un parti de Cosaques dans Mons.—Rappel de nos troupes vers Paris.—Mon dépôt est transféré à Nogent-le-Roi.
Je commençai à Mons l'année 1814, pendant laquelle je ne courus pas d'aussi grands dangers physiques que dans les précédentes, mais où j'éprouvai de bien plus grandes peines morales.
Comme j'avais laissé à Nimègue tous les cavaliers de mon régiment qui avaient encore leurs chevaux, je ne trouvai à Mons, où était le dépôt, que des hommes démontés, auxquels je cherchais à donner des chevaux tirés des Ardennes, lorsque les événements s'y opposèrent.
Le 1er janvier, les ennemis, après avoir hésité près de trois mois avant d'oser envahir la France, passèrent le Rhin sur plusieurs points, dont l'un des deux plus importants fut d'abord Caub, bourgade située entre Bingen et Coblentz, au pied des rochers de Lurlai, qui, en resserrant infiniment le fleuve, rendent sa traversée très facile. L'autre passage eut lieu à Bâle, dont les Suisses livrèrent le pont de pierre, en violant la neutralité de leur territoire, neutralité qu'ils réclament ou abandonnent tour à tour, selon leurs intérêts du moment.
On évalue de 5 à 600,000 hommes le nombre des troupes que les alliés, nos ennemis, firent alors entrer dans la France, épuisée par vingt-cinq ans de guerre, qui avait plus de la moitié de ses soldats prisonniers en pays étrangers, et dont plusieurs provinces étaient prêtes à se séparer à la première occasion. De ce nombre était la province dont Mons, chef-lieu du département de Jemmapes, faisait partie.
Cette vaste et riche contrée, annexée à la France d'abord en fait par la guerre en 1792, et puis en droit par le traité d'Amiens, s'était si bien habituée à cette union, qu'après les désastres de la campagne de Russie, elle avait montré le plus grand zèle et fait d'énormes sacrifices pour aider l'Empereur à remettre ses troupes sur un bon pied. Hommes, chevaux, équipement, habillement…, elle avait obtempéré à toutes les demandes sans murmurer!… Mais les pertes que nous venions d'éprouver en Allemagne ayant découragé les Belges, je trouvai l'esprit de cette population totalement changé. Elle regrettait hautement le gouvernement paternel de la maison d'Autriche, sous lequel elle avait longtemps vécu, et désirait vivement se séparer de la France, dont les guerres continuelles ruinaient son commerce et son industrie. En un mot, la Belgique n'attendait que l'occasion de se révolter, ce qui eût été d'autant plus dangereux pour nous que, par sa position topographique, cette province se trouvait sur les derrières du faible corps d'armée que nous avions encore sur le Rhin. L'Empereur envoya donc quelques troupes à Bruxelles, dont il donna le commandement au général Maison, homme capable et des plus fermes.
Celui-ci, ayant parcouru plusieurs départements, reconnut que celui de Jemmapes, surtout la ville de Mons, était animé du plus mauvais esprit. On y parlait publiquement d'une prise d'armes contre les faibles garnisons françaises qui l'occupaient, ce que ne pouvait empêcher le général O…, qui en avait le commandement; car ce général, vieux, goutteux, sans énergie, étant né en Belgique, paraissait craindre de se compromettre vis-à-vis de ses compatriotes. Le comte Maison le suspendit de ses fonctions et me donna le commandement du département de Jemmapes.
La mission était d'autant plus difficile que, après les Liégeois, les habitants du Borinage, ou pays montois, sont les plus hardis et les plus turbulents de toute la Belgique, et que, pour les contenir, je n'avais qu'un petit bataillon de 400 conscrits, quelques gendarmes, et 200 cavaliers démontés de mon régiment, parmi lesquels se trouvaient une cinquantaine d'hommes nés dans le pays, et qui, en cas de collision, auraient été se joindre aux insurgés. Je ne pouvais donc vraiment compter que sur les 150 autres chasseurs, qui, provenant de l'ancienne France, et ayant tous fait la guerre avec moi, m'auraient suivi partout. Ils avaient de bons officiers. Ceux de l'infanterie, et surtout le chef de bataillon, étaient on ne peut mieux disposés à me seconder.
Je ne pouvais cependant me dissimuler que, si l'on en venait aux mains, la partie ne serait pas égale. En effet, de l'hôtel où j'étais logé, je voyais tous les jours 3 à 4,000 paysans et ouvriers de la ville, armés de gros bâtons, se réunir sur la grande place et prêter l'oreille aux discours de plusieurs anciens officiers autrichiens, tous nobles et riches, et qui, ayant quitté le service lors de la réunion de la Belgique à la France, prêchaient actuellement contre l'Empire, qui les avait accablés d'impôts, leur avait enlevé leurs enfants pour les envoyer à la guerre, etc., etc. Ces propos étaient écoutés avec d'autant plus d'avidité, qu'ils sortaient de la bouche de seigneurs grands propriétaires, et s'adressaient à leurs fermiers et aux gens qu'ils occupaient, et sur lesquels ils avaient une très grande influence!…
Ajoutez à cela que chaque jour apportait des nouvelles de la marche des ennemis, qui approchaient de Bruxelles, en poussant devant eux les débris du corps d'armée du maréchal Macdonald. Tous les employés français quittaient le département pour se réfugier à Valenciennes et à Cambrai. Enfin, le maire de Mons, M. Duval de Beaulieu, homme des plus honorables, crut devoir me prévenir que ma faible garnison et moi n'étions plus en sûreté au milieu d'une nombreuse population exaltée, et que je ferais bien d'évacuer la ville, ce à quoi personne ne mettrait obstacle, mon régiment et moi y ayant toujours parfaitement bien vécu avec les habitants.
Je compris que cette proposition partait d'un comité composé d'anciens officiers autrichiens, et qu'on avait chargé le maire de venir me la transmettre dans l'espoir de m'intimider!… Je résolus donc de montrer les dents, et dis à M. Duval que je le priais d'assembler le conseil municipal ainsi que les notables, et qu'alors je répondrais à la proposition qu'il venait de me faire.
Une demi-heure après, toute ma garnison était sous les armes, et dès que le conseil municipal, accompagné des plus riches habitants, se présenta sur la place, je montai à cheval pour être entendu de tous, et après avoir prévenu le maire qu'avant de causer avec lui et son conseil j'avais un ordre très important à donner aux troupes, je fis connaître à mes soldats la proposition qu'on venait de m'adresser d'abandonner sans combat la ville confiée à notre garde. Ils en furent indignés et l'exprimèrent hautement!… J'ajoutai que je ne devais pas leur dissimuler que les remparts étant démolis sur plusieurs points et manquant d'artillerie, il serait fort difficile de les défendre contre des troupes de ligne; que cependant, le cas échéant, nous combattrions vigoureusement; mais que si, contre le droit des gens, c'étaient les habitants de la ville et de la campagne qui se portaient contre nous, nous ne devrions pas nous borner à la défensive, mais que nous les attaquerions en employant tous les moyens, car tous sont permis contre des révoltés!… qu'en conséquence, j'ordonnais à mes soldats de s'emparer du clocher, d'où, après une demi-heure d'attente et trois roulements de tambour, ils feraient feu sur les attroupements qui occuperaient la place, tandis que des patrouilles dissiperaient ceux qui obstrueraient les rues, en fusillant principalement les gens de la campagne qui avaient quitté leur travail pour venir nous chercher noise. J'ajoutai que, si le combat s'engageait, j'ordonnais, comme le meilleur moyen de défense, de mettre le feu à la ville pour occuper les habitants, et de tirer constamment sur l'incendie pour les empêcher de l'éteindre!…
Cette allocution vous paraîtra sans doute bien acerbe; mais songez à la position critique dans laquelle je me trouvais, n'ayant que 700 hommes, dont très peu avaient fait la guerre, n'attendant aucun renfort et me voyant entouré d'une multitude qui augmentait à chaque instant; car l'officier qui commandait le poste envoyé sur le clocher m'informa que toutes les routes aboutissant à la ville étaient couvertes de masses de charbonniers, sortant des mines de Jemmapes et se dirigeant sur Mons. Ma faible troupe et moi courions le risque d'être écrasés, si je n'eusse montré une grande énergie!… Mon discours avait produit beaucoup d'effet sur les riches nobles, promoteurs de l'émeute, ainsi que sur les habitants de la ville, qui commencèrent à se retirer; mais comme les paysans ne bougeaient pas, je fis avancer deux caissons de munitions, distribuer cent cartouches à chaque soldat, charger les armes, et ordonnai aux tambours de faire les trois roulements précurseurs de la fusillade!
À ce terrible signal, la foule immense qui encombrait la place se mit à courir tumultueusement vers les rues voisines, où chacun se pressait à l'envi pour chercher un refuge, et peu d'instants après, les chefs du parti autrichien, ayant le maire à leur tête, vinrent me serrer les mains et me conjurer d'épargner la ville! J'y consentis, à condition qu'ils enverraient à la minute porter l'ordre aux charbonniers et ouvriers de retourner chez eux. Ils s'exécutèrent avec empressement, et les jeunes élégants les mieux montés s'élancèrent sur leurs beaux chevaux et sortirent par toutes les portes de la cité, pour aller au-devant des masses, qu'ils renvoyèrent dans leurs villages sans que personne y mît d'opposition.
Cette obéissance passive me confirma dans la pensée que l'émeute avait des chefs puissants, et que ma garnison et moi eussions été arrêtés si je n'eusse intimidé les meneurs, en les menaçant d'employer tous les moyens, même le feu, plutôt que de rendre à des émeutiers la ville confiée à ma garde!…
Les Belges sont grands musiciens. Il devait y avoir ce soir-là un concert d'amateurs, auquel mes officiers et moi étions invités, ainsi que M. de Laussat, préfet du département, homme ferme et courageux. Nous convînmes de nous y rendre comme à l'ordinaire, et nous fîmes bien, car on nous reçut parfaitement, du moins en apparence. Tout en causant avec les nobles qui avaient dirigé le mouvement, nous leur fîmes comprendre que ce n'était pas aux populations à décider par la rébellion du sort de la Belgique, mais bien aux armées belligérantes; qu'il y aurait donc folie à eux d'exciter au combat des ouvriers et des paysans et de faire verser le sang pour hâter de quelques jours une solution qu'il fallait attendre.
Un vieux général autrichien retiré à Mons, où il était né, dit alors à ses compatriotes qu'ils avaient eu grand tort de comploter l'arrestation de la garnison, car c'eût été attirer de nombreuses calamités sur la ville, puisque des militaires ne doivent jamais rendre les armes sans combattre! Chacun convint de la justesse de l'observation, et à compter de ce jour, la garnison et les habitants vécurent en très bon accord, comme par le passé. Les Montois nous donnèrent même peu de jours après une preuve éclatante de leur loyauté; voici à quelle occasion.
À mesure que l'armée des alliés avançait, une foule de vagabonds, surtout des Prussiens, s'équipaient en Cosaques, et, poussés par le désir du pillage, ces maraudeurs se ruaient sur tout ce qui avait appartenu à l'administration pendant l'occupation des Français et s'emparaient même sans répugnance des effets des individus non militaires de cette nation.
Une forte bande de ces prétendus Cosaques, après avoir traversé le Rhin et s'être répandue dans les départements de la rive gauche, avait poussé jusqu'aux portes de Bruxelles et pillé le château impérial de Tervueren, où elle avait enlevé tous les chevaux du haras que l'Empereur y avait formé; puis, se fractionnant en divers détachements, ces maraudeurs parcouraient la Belgique. Il en vint dans le département de Jemmapes, où ils essayèrent de soulever les populations; mais n'ayant pas réussi, ils pensèrent que cela provenait de ce que Mons, le chef-lieu, ne se prononçait pas pour eux, tant était grande la terreur que le colonel qui y commandait avait inspirée aux Montois!… Ils résolurent donc de m'enlever ou de me tuer; mais pour ne point me donner l'éveil en employant un trop grand nombre d'hommes à cette expédition, ils se bornèrent à envoyer 300 Cosaques.
Il paraît que le chef de ces partisans avait été assez bien renseigné, car, sachant que j'avais trop peu de monde pour faire bien garder les vieilles portes et les anciens remparts, alors à moitié démolis, il fit pendant une nuit obscure approcher de la ville ses cavaliers, dont la majeure partie, après avoir mis pied à terre, pénétra en silence dans les rues et se dirigea vers la grande place et l'hôtel de la Poste, où j'avais d'abord logé. Mais depuis que j'étais informé du passage du Rhin par les ennemis, je me retirais tous les soirs à la caserne, où je passais la nuit au milieu de mes troupes. Bien m'en prit, car les Cosaques allemands entourèrent l'hôtel dont ils fouillèrent tous les appartements, et furieux de ne pas trouver d'officiers français, ils s'en prirent à l'aubergiste, qu'ils maltraitèrent, pillèrent, et dont ils burent le meilleur vin au point de se griser, officiers comme soldats.
Un Belge, ancien brigadier de mon régiment, nommé Courtois, auquel j'avais fait obtenir la décoration comme étant l'un de mes plus braves guerriers, entrait en ce moment à l'hôtel. Cet homme, né à Saint-Ghislain près de Mons, avait perdu une jambe en Russie l'année précédente. J'avais été assez heureux pour le sauver en lui procurant les moyens de regagner la France. Il en avait conservé une telle reconnaissance que, pendant le séjour que je fis à Mons dans le cours de l'hiver de 1814, il venait très souvent chez moi et se parait, dans ces occasions, de l'uniforme du 23e de chasseurs qu'il avait si honorablement porté. Or, il advint que pendant la nuit dont il est question, Courtois, regagnant le logis d'un de ses parents chez lequel il recevait l'hospitalité, aperçut le détachement ennemi qui se dirigeait vers l'hôtel de la Poste. Bien que le brave brigadier sût que je n'y passais plus les nuits, il voulut néanmoins s'assurer que son colonel ne courait aucun danger, et pénétra bravement dans l'hôtel, où il entraîna son parent.
À la vue de l'uniforme français et de la décoration de la Légion d'honneur, les Prussiens eurent l'infamie de se jeter sur le malheureux estropié et voulurent lui arracher la croix qui brillait sur sa poitrine!… Le vieux soldat ayant cherché à défendre sa décoration, les Cosaques prussiens le tuèrent, traînèrent son cadavre dans la rue, puis continuèrent leur orgie!
Mons était si grand relativement à ma faible garnison, que je m'étais retranché dans la caserne, et concentrant ma défense de nuit sur ce point, j'avais interdit à ma troupe d'aller du côté de la grande place, bien que je fusse instruit que les ennemis s'y trouvaient, car je ne connaissais pas leur nombre et craignais que les habitants ne se réunissent à eux!… Mais dès que ceux-ci furent informés de l'assassinat de Courtois, leur compatriote, homme estimé de toute la contrée, ils résolurent de le venger, et, oubliant momentanément leurs griefs contre les Français, ils députèrent vers moi le frère de Courtois ainsi que les plus notables et les plus braves d'entre eux, pour m'engager à me mettre à leur tête, afin de chasser les Cosaques!
Je crois bien que les excès et le pillage que ceux-ci avaient commis à l'hôtel de la Poste, inspirant à chaque bourgeois des craintes pour sa famille et sa maison, les portaient, au moins autant que la mort de Courtois, à repousser les Cosaques, et qu'ils eussent agi tout différemment si, au lieu d'assassins et de pillards, des troupes réglées eussent pénétré dans la ville! Néanmoins, je crus devoir profiter de la bonne volonté de ceux des habitants qui venaient de s'armer en notre faveur. Je pris donc une partie de ma troupe, et me portai vers la place, tandis qu'avec le surplus, le chef de bataillon, qui connaissait parfaitement la ville, allait, par mon ordre, s'embusquer auprès de la brèche par laquelle les Cosaques prussiens avaient pénétré dans la place.
Dès les premiers coups de fusil que nos gens tirèrent sur ces drôles, le plus grand tumulte régna dans l'hôtel et sur la place!… Ceux des ennemis qui ne furent pas tués à l'instant s'enfuirent à toutes jambes; mais beaucoup s'égarèrent dans les rues, où ils furent assommés en détail. Quant à ceux qui parvinrent jusqu'au lieu où ils avaient laissé leurs chevaux attachés aux arbres de la promenade, ils y trouvèrent le chef de bataillon qui les accueillit par une fusillade à brûle-pourpoint! Le jour venu, on compta dans la ville ou sur la vieille brèche plus de 200 ennemis morts, et nous n'avions pas perdu un seul homme, nos adversaires ne s'étant point défendus, tant ils étaient abrutis par le vin et les liqueurs fortes!… Ceux d'entre eux qui survécurent à cette surprise, en se laissant glisser le long des débris des vieux remparts, se jetèrent dans la campagne, où ils furent tous pris ou tués par les paysans devenus furieux en apprenant la mort du malheureux Courtois, considéré comme la gloire de la contrée, et qui, surnommé par eux la jambe de bois, leur était devenu aussi cher que le général Daumesnil, autre jambe de bois, l'était aux faubouriens de Paris.
Je ne cite pas le combat de Mons comme une affaire dont je puisse tirer vanité, car, avec les gardes nationaux, j'avais douze à treize cents hommes, tandis que les Cosaques prussiens n'en comptaient guère que 300; mais j'ai cru devoir rapporter cet engagement bizarre, pour démontrer combien l'esprit des masses est versatile. En effet, tous les paysans et charbonniers du Borinage qui, un mois avant, se portaient en masse pour exterminer ou du moins désarmer le petit nombre de Français laissés dans Mons, venaient de prendre parti pour eux contre les Prussiens, parce que ceux-ci avaient tué l'un de leurs compatriotes! Je regrettai aussi beaucoup le brave Courtois, tombé victime de l'attachement qu'il avait pour moi.
Le trophée le plus important de notre victoire fut les 300 et quelques chevaux que les ennemis abandonnèrent entre nos mains. Ils provenaient presque tous du pays de Berg, et étaient fort bons; aussi je les incorporai dans mon régiment, pour lequel cette remonte inattendue arriva fort à propos.
Je passai encore un mois à Mons, dont les habitants étaient redevenus parfaits pour nous, malgré l'approche des armées ennemies. Mais les progrès de celles-ci devinrent enfin si considérables que les Français durent non seulement abandonner Bruxelles, mais toute la Belgique, et repasser les frontières de l'ancienne France. Je reçus ordre de conduire le dépôt de mon régiment à Cambrai, où, avec les chevaux pris naguère aux Cosaques prussiens, je pus remettre dans les rangs 300 bons cavaliers revenus de Leipzig, et former deux beaux escadrons, qui, sous la conduite du commandant Sigaldi, furent bientôt dirigés sur l'armée que l'Empereur avait réunie en Champagne. Ils s'y firent remarquer, et soutinrent la gloire du 23e de chasseurs, surtout à la bataille de Champaubert, où fut tué le brave capitaine Duplessis, officier des plus remarquables.
J'ai toujours eu une grande prédilection pour la lance, arme terrible entre les mains d'un bon cavalier. J'avais donc demandé et obtenu l'autorisation de distribuer à mes escadrons des lances que les officiers d'artillerie ne pouvaient emporter en évacuant les places du Rhin. Elles furent si bien appréciées que plusieurs autres corps de cavalerie en demandèrent aussi, et se félicitèrent d'en avoir.
Les dépôts des régiments étant obligés de passer sur la rive gauche de la Seine afin de ne pas tomber entre les mains des ennemis, le mien se rendit à Nogent-le-Roi, arrondissement de Dreux. Nous avions un assez bon nombre de cavaliers, mais presque plus de chevaux. Le gouvernement faisait les plus grands efforts pour en réunir à Versailles, où il avait créé un dépôt central de cavalerie, sous les ordres du général Préval.
Celui-ci, de même que son prédécesseur le général Bourcier, entendait beaucoup mieux les détails de remonte et d'organisation que la guerre, qu'il avait très peu faite. Il s'acquittait fort bien de la mission difficile dont l'Empereur l'avait chargé; mais comme il ne pouvait cependant improviser des chevaux ni des équipements, et qu'il tenait d'ailleurs à ne mettre en route que des détachements bien organisés, les départs étaient peu fréquents. J'en gémissais, mais aucun colonel ne pouvait se rendre à l'armée sans un ordre de l'Empereur, qui, pour ménager ses ressources, avait défendu d'envoyer à la guerre plus d'officiers que n'en comportait le nombre d'hommes qu'ils avaient à commander. Ce fut donc vainement que je priai le général Préval de me laisser aller en Champagne. Il fixa mon départ pour la fin de mars, époque à laquelle je devais conduire à l'armée un régiment dit de marche, composé des hommes montés de mon dépôt et de plusieurs autres.
Je fus autorisé à résider jusqu'à ce moment-là à Paris, au sein de ma famille, car M. Caseneuve, mon lieutenant-colonel, suffisait pour commander et réorganiser les 200 hommes qui se trouvaient encore à Nogent-le-Roi, et je pouvais, du reste, les inspecter en quelques heures. Je me rendis donc à Paris, où je passai une grande partie du mois de mars, un des plus pénibles de ma vie, bien que je fusse auprès de ce que j'avais de plus cher. Mais le gouvernement impérial, auquel j'étais attaché et que j'avais si longtemps défendu au prix de mon sang, croulait de toutes parts. Les armées ennemies occupaient, de Lyon, une grande partie de la France, et il était facile de prévoir qu'elles arriveraient bientôt dans la capitale.
CHAPITRE XXXV
Belle campagne de Napoléon.—La résistance devient impossible.—Insuffisance des mesures prises pour préserver Paris.—Arrivée des alliés.—Retour tardif de l'Empereur sur la capitale.—Paris aurait dû tenir.—Intrigues ourdies contre Napoléon.
Les plus grands antagonistes de l'Empereur sont forcés de convenir qu'il se surpassa lui-même dans la campagne d'hiver qu'il fit dans les trois premiers mois de 1814. Jamais général n'avait fait preuve de tant de talents, ni réalisé d'aussi grandes choses avec d'aussi faibles ressources. On le vit, avec quelques milliers d'hommes, dont une grande partie étaient des conscrits inexpérimentés, tenir tête à toutes les armées de l'Europe, faire face partout avec les mêmes troupes, qu'il portait d'un point à un autre avec une rapidité merveilleuse, et, profitant habilement de toutes les ressources du pays pour le défendre, il courait des Autrichiens aux Russes, des Russes aux Prussiens, pour revenir de Blücher à Schwarzenberg et de celui-ci à Sacken, quelquefois repoussé par eux, mais beaucoup plus souvent vainqueur. Il eut un moment l'espoir de chasser du territoire français les étrangers qui, découragés par leurs nombreuses défaites, songeaient à repasser le Rhin. Il n'eût fallu pour cela qu'un nouvel effort de la nation; mais la lassitude de la guerre était générale, et de toutes parts, surtout à Paris, on conspirait contre l'Empire.
Plusieurs écrivains militaires ont exprimé leur étonnement de ce que la France ne s'était pas levée en masse, comme en 1792, pour repousser les étrangers, ou bien qu'elle n'ait pas imité les Espagnols en formant dans chaque province un centre de défense nationale.
On répond à cela que l'enthousiasme qui avait improvisé les armées de 1792 était usé par vingt-cinq ans de guerres et les trop fréquentes conscriptions anticipées faites par l'Empereur, car il ne restait dans la plupart de nos départements que des vieillards et des enfants. Quant à l'exemple tiré de l'Espagne, il n'est nullement applicable à la France, qui, ayant laissé prendre trop d'influence à la ville de Paris, ne peut rien quand celle-ci ne se met pas à la tête du mouvement, tandis qu'en Espagne, chaque province, formant un petit gouvernement, avait pu agir et se créer une armée, lors même que Madrid se trouvait occupé par les Français. Ce fut la centralisation qui perdit la France.
Il n'entre point dans le plan que je me suis donné de raconter les hauts faits de l'armée française dans la célèbre campagne de 1814; car il faudrait pour cela écrire des volumes, commenter tout ce qui a été publié à ce sujet, et je ne me sens pas le courage de m'appesantir sur les malheurs de mon pays; je me bornerai donc à dire qu'après avoir disputé pied à pied le terrain compris entre la Marne, l'Aube, la Saône et la Seine, l'Empereur conçut un vaste projet qui, s'il réussissait, devait sauver la France. C'était de se porter avec le gros de ses troupes, par Saint-Dizier et Vitry, vers la Lorraine et l'Alsace, ce qui, en menaçant fortement les derrières de l'ennemi, devait lui faire craindre d'être séparé de ses dépôts, de n'avoir plus aucun moyen de retraite, et le déterminer à se retirer vers la frontière, tandis qu'il en avait encore les moyens.
Mais pour que le superbe mouvement stratégique projeté par l'Empereur pût avoir un bon résultat, il fallait le concours de deux conditions qui lui manquaient, savoir: la fidélité des hauts fonctionnaires de l'État, et les moyens d'empêcher les ennemis de s'emparer de Paris, dans le cas où, sans se préoccuper de la marche que l'Empereur faisait sur leurs derrières, ils se porteraient vers la capitale. Malheureusement, la fidélité à l'Empereur était tellement affaiblie dans le Sénat et le Corps législatif, que ce furent les principaux membres de ces assemblées, tels que Talleyrand, le duc de Dalberg, Laisné et autres, qui, par des émissaires secrets, informaient les souverains alliés de la désaffection de la haute classe parisienne à l'égard de Napoléon, et les engageaient à venir attaquer la capitale.
Quant aux moyens de défense, je dois avouer que Napoléon n'y avait pas suffisamment pourvu, car on s'était borné à couvrir de quelques palissades les barrières de la rive droite, sans faire aucun ouvrage pour y placer du canon. Et comme le très petit nombre de troupes de ligne, d'invalides, de vétérans et d'élèves de l'École polytechnique qui formaient la garnison était insuffisant pour qu'on pût même essayer de résister, l'Empereur, en s'éloignant de la capitale au mois de janvier, pour aller se mettre à la tête des troupes réunies en Champagne, avait confié à la garde nationale la défense de Paris, où il laissait son fils et l'Impératrice. Il avait réuni aux Tuileries les officiers de la milice bourgeoise, qui, selon l'habitude, avaient répondu par de nombreux serments et les plus belliqueuses protestations au discours chaleureux qu'il leur adressa. L'Empereur avait nommé l'Impératrice régente, et désigné pour lieutenant général commandant supérieur son frère Joseph, ex-roi d'Espagne, le meilleur, mais le plus antimilitaire de tous les hommes.
Napoléon, se faisant illusion au point de croire qu'il avait ainsi pourvu à la sûreté de la capitale, pensa qu'il pouvait la livrer pour quelques jours à ses propres forces, pour aller avec le peu de troupes qui lui restaient exécuter le projet de se jeter sur les derrières des ennemis. Il partit donc pour la Lorraine vers la fin de mars. Mais à peine était-il à quelques jours de marche, qu'il apprit que les alliés, au lieu de le suivre, ainsi qu'il l'avait espéré, s'étaient dirigés sur Paris, en poussant devant eux les faibles débris des corps des maréchaux Marmont et Mortier, qui, postés sur les hauteurs de Montmartre, essayaient de les défendre, sans que la garde nationale les secondât autrement que par l'envoi de quelques rares tirailleurs.
Ces fâcheuses nouvelles ayant dessillé les yeux de Napoléon, il fit rétrograder ses colonnes vers Paris, dont il prit lui-même la route sur-le-champ.
Le 30 mars, l'Empereur, voyageant rapidement en poste et sans escorte, venait de dépasser Moret, lorsqu'une vive canonnade se faisant entendre, il conçut l'espoir d'arriver avant l'entrée des alliés dans la capitale, où sa présence aurait certainement produit une très vive sensation sur le peuple, qui demandait des armes. (Il y avait cent mille fusils et plusieurs millions de cartouches dans les casernes du Champ de Mars, mais le général Clarke, ministre de la guerre, ne voulut pas en permettre la distribution.)
Arrivé au relais de Fromenteau, à cinq lieues seulement de Paris, l'Empereur, n'entendant plus le canon, comprit que cette ville était au pouvoir des ennemis, ce qui lui fut confirmé à Villejuif. En effet, Marmont avait signé une capitulation qui livrait la capitale aux ennemis!…
Cependant, à l'approche du danger, on avait éloigné de Paris l'Impératrice et son fils le roi de Rome, qui s'étaient rendus à Blois, où le roi Joseph, abandonnant le commandement dont l'Empereur l'avait revêtu, les suivit bientôt. Les troupes de ligne évacuèrent Paris par la barrière de Fontainebleau, route par laquelle on attendait l'Empereur.
Il est impossible de donner une idée de l'agitation dans laquelle se trouvait alors la capitale, dont les habitants, divisés par tant d'intérêts différents, venaient d'être surpris par une invasion que peu d'entre eux avaient prévue… Quant à moi, qui m'y attendais, et qui avais vu de si près les horreurs de la guerre, j'étais bien tourmenté de savoir où je mettrais en sûreté ma femme et mon jeune enfant, lorsque le bon vieux maréchal Sérurier ayant offert un asile à toute ma famille à l'hôtel des Invalides, dont il était gouverneur, je fus tranquillisé par la pensée que, les lieux habités par les vieux soldats ayant été partout respectés par les Français, les ennemis agiraient de même envers nos anciens militaires. Je conduisis donc ma famille aux Invalides et m'éloignai de Paris avant l'entrée des alliés, pour me rendre à Versailles aux ordres du général Préval, qui me donna le commandement d'une petite colonne composée de cavaliers disponibles de mon régiment, ainsi que de ceux des 9e et 12e de chasseurs.
Lors même que les alliés n'eussent pas marché sur Paris, cette colonne devant être réunie ce jour-là même à Rambouillet, je m'y rendis. J'y trouvai mes chevaux et équipages de guerre, et pris le commandement des escadrons qui m'étaient destinés.
La route était couverte par les voitures des personnes qui s'éloignaient de la capitale. Je ne m'en étonnai pas; mais je ne pouvais comprendre d'où provenait le grand nombre de troupes de diverses armes qu'on voyait arriver de toutes les directions par détachements qui, si on les eût réunis, auraient formé un corps assez considérable pour arrêter les ennemis devant Montmartre et donner le temps à l'armée, qui accourait de la Champagne et de la Brie, de sauver Paris. Mais l'Empereur, trompé par son ministre de la guerre, n'avait donné aucun ordre à ce sujet, et ignorait probablement qu'il lui restât encore de si grands moyens de défense, dont voici l'énumération, d'après les documents pris au ministère de la guerre, savoir:
Quatre cents canons, suffisamment approvisionnés, soit à Vincennes, soit à l'École militaire du Champ de Mars, ou au dépôt central d'artillerie. Plus de 50,000 fusils neufs dans ces mêmes lieux. Quant aux hommes, le roi Joseph et Clarke, le ministre de la guerre, pouvaient disposer de troupes amenées à Paris par les maréchaux Marmont et Mortier, et dont l'effectif s'élevait à 19,000 hommes; de 7 à 8,000 soldats de la ligne casernés à Paris; de 3,000 hommes appartenant aux dépôts de la garde impériale; de 15 à 18,000 cavaliers démontés, casernés à Versailles ou dans les environs; de 18 à 20,000 conscrits ou soldats de dépôts destinés aux régiments de la ligne, et des gardes nationales actives casernées à Saint-Denis, Courbevoie, Rueil et autres villages des environs de Paris; de plus de 2,000 officiers en congé, blessés, sans emploi ou en retraite, qui étaient venus offrir leurs services; enfin de 20,000 ouvriers, presque tous anciens soldats, qui demandaient à contribuer à la défense de Paris.
Ces forces réunies présentaient un effectif de plus de 80,000 hommes, qu'il était facile de rassembler en quelques heures et d'utiliser à la défense de la capitale jusqu'à l'arrivée de Napoléon et de l'armée qui le suivait.
Joseph et Clarke, prévenus dès le 28 mars au matin de l'approche des ennemis, qui n'attaquèrent que le 30, eurent donc quarante-huit heures pour employer ces ressources, mais aucune ne fut mise en usage. Enfin, pour comble d'impéritie, au moment où les troupes ennemies attaquaient Romainville, Joseph et Clarke faisaient sortir de Paris, par la barrière de Passy, 4,000 des meilleurs fantassins ou cavaliers de la garde impériale, pour aller renforcer à Blois l'escorte de l'Impératrice qui était déjà plus nombreuse qu'il n'était nécessaire pour le moment.
Dès que Napoléon apprit que Paris avait capitulé et que les deux petits corps de Marmont et de Mortier avaient évacué la place en se retirant vers lui, il leur envoya l'ordre de venir prendre position à Essonnes, à sept lieues et à mi-chemin de Paris à Fontainebleau, et se rendit lui-même dans cette dernière ville, où arrivaient les têtes de colonnes de l'armée revenant de Saint-Dizier, ce qui indiquait l'intention dans laquelle était l'Empereur de marcher sur Paris, dès que ses troupes seraient réunies.
Les généraux ennemis ont avoué plus tard que s'ils eussent été attaqués par l'Empereur, ils n'auraient osé recevoir la bataille, en ayant derrière eux la Seine et l'immense ville de Paris avec son million d'habitants, qui pouvaient se révolter pendant la bataille, barricader les rues ainsi que les ponts, et leur couper la retraite; aussi étaient-ils résolus à se retirer pour aller camper sur les hauteurs de Belleville, Charonne, Montmartre et les buttes Chaumont, qui dominent la rive droite de la Seine et la route d'Allemagne, lorsque survinrent dans Paris de nouveaux événements qui les retinrent dans cette ville.
M. de Talleyrand, ancien évêque marié, avait été, en apparence, l'un des hommes les plus dévoués à l'Empereur, qui l'avait comblé de richesses, fait prince de Bénévent, grand chambellan, etc., etc. M. de Talleyrand, dont l'amour-propre était blessé de n'être plus le confident de Napoléon et le ministre dirigeant de sa politique, s'était mis, surtout depuis les désastres de la campagne de Russie, à la tête de la sourde opposition que faisaient les mécontents de tous les partis, et principalement le faubourg Saint-Germain, c'est-à-dire la haute aristocratie, qui, après s'être soumise en apparence et avoir même servi Napoléon aux jours de sa prospérité, s'était posée en ennemie et, sans se compromettre ouvertement, attaquait par tous les moyens le chef du gouvernement. Les principaux chefs de ce parti étaient: l'abbé de Pradt, que l'Empereur avait nommé archevêque de Malines; le baron Louis, l'abbé de Montesquiou, M. de Chateaubriand, le député Laisné, etc., etc.
Presque tous ces hommes de talent, dirigés par Talleyrand, le plus habile et le plus intrigant de tous, attendaient depuis quelque temps l'occasion de renverser Napoléon. Ils comprirent qu'ils n'en trouveraient jamais une aussi favorable que celle que leur offrait l'occupation de la France par un million et demi d'ennemis, et la présence à Paris de tous les souverains de l'Europe, dont la plupart avaient été grandement humiliés par Napoléon. Mais, bien que celui-ci fût en ce moment très affaibli, il n'était point encore totalement abattu, car, outre l'armée qu'il ramenait avec lui et qui venait de faire des prodiges, il lui restait celle de Suchet entre les Pyrénées et la Haute-Garonne, des troupes nombreuses commandées par le maréchal Soult, et il y avait deux belles divisions à Lyon; enfin, l'armée d'Italie était encore formidable, de sorte que, malgré l'occupation de Bordeaux par les Anglais, Napoléon pouvait encore réunir des forces considérables et prolonger indéfiniment la guerre, en soulevant les populations exaspérées par les exactions des ennemis.
M. de Talleyrand et son parti comprirent que s'ils donnaient à l'Empereur le temps de faire arriver sous Paris les troupes qui le suivaient, il pourrait battre les alliés dans les rues de la capitale ou se retirer dans quelques provinces dévouées, où il continuerait la guerre jusqu'à ce que les alliés, fatigués, consentissent à faire la paix. Il fallait donc, selon Talleyrand et ses amis, changer la face du gouvernement. Mais là se trouvait la grande difficulté, car ils voulaient rétablir en la personne de Louis XVIII la famille des Bourbons sur le trône, tandis qu'une partie de la nation désirait y laisser Napoléon, ou tout au moins y appeler son fils.
La même divergence d'opinion existait parmi les souverains alliés, car les rois d'Angleterre et de Prusse se rangeaient du côté des Bourbons, tandis que l'empereur de Russie, qui ne les avait jamais aimés et qui craignait que l'antipathie de la nation française pour ces princes et les émigrés n'amenât quelque nouvelle révolution, n'était pas éloigné de prendre les intérêts du fils de Napoléon.
Pour couper court à ces discussions et décider la question en prenant les devants, l'astucieux Talleyrand, voulant en quelque sorte forcer la main aux souverains étrangers, fit paraître à cheval sur la place Louis XV une vingtaine de jeunes gens du faubourg Saint-Germain, parés de cocardes blanches et conduits par le vicomte Talon, mon ancien compagnon d'armes, de qui je tiens ces détails. Ils se dirigèrent vers l'hôtel de la rue Saint-Florentin, habité par l'empereur Alexandre, en criant à tue-tête: «Vive le roi Louis XVIII! Vivent les Bourbons! À bas le tyran!…»
Ces cris ne produisirent d'abord sur les curieux rassemblés qu'un sentiment de stupéfaction, à laquelle succédèrent les menaces de la foule, ce qui ébranla les membres les plus résolus de la cavalcade. Ce premier élan de royalisme ayant manqué son effet, ils recommencèrent la scène sur différents points des boulevards. Sur quelques-uns on les hua, sur d'autres on les applaudit. Comme l'entrée des souverains alliés approchait et qu'il fallait aux Parisiens un cri pour les animer, celui jeté par le vicomte Talon et ses amis retentit toute la journée aux oreilles de l'empereur Alexandre, ce qui permit à Talleyrand de dire le soir à ce monarque: «Votre Majesté a pu juger par elle-même avec quelle unanimité la nation désire le rétablissement des Bourbons!»
À compter de ce moment, la cause de Napoléon fut perdue, bien que ses adhérents fussent infiniment plus nombreux que ceux de Louis XVIII, ainsi que les événements le prouvèrent l'année suivante.
LETTRES ÉCRITES PAR LE COLONEL DE MARBOT EN 1815[21]
* * * * *
(Après le licenciement du 23e de chasseurs et son incorporation au 3e de la même arme, le colonel de Marbot est nommé au commandement du 7e de hussards (d'Orléans). Ce régiment fait partie du 1er corps d'observation, aux ordres du comte d'Erlon.)
Cysoing, 10 avril 1815.
… Je suis en face de Tournay et je garde la ligne depuis Mouchin jusqu'à Chéreng. Quand je dis que je garde la ligne, je n'ai pas grand'peine, car les Anglais ne font aucun mouvement et sont aussi tranquilles à Tournay que s'ils étaient à Londres. Je crois que tout se passera à l'amiable. J'ai été hier à Lille, où j'ai été on ne peut mieux reçu par le général en chef comte d'Erlon.
Saint-Amand, 5 mai.
… Je viens de recevoir l'ordre de former une députation de cinq officiers et dix sous-officiers ou soldats pour aller à Paris, au Champ de Mai. L'ordre porte que le colonel sera lui-même à la tête de la députation. Celles de tous les régiments de la division doivent se mettre en route pour être rendues le 17 à Arras et partir le lendemain pour Paris. Tout est ici fort tranquille, et l'on n'y parle pas de guerre. Il y a beaucoup de désertions dans les troupes étrangères. Les hommes qui en arrivent assurent que tout ce qui est belge, saxon ou hollandais, désertera à nous. Mon régiment devient de jour en jour plus considérable. J'ai 700 hommes. Dans mon dépôt, il en est arrivé 52 hier; le costume les flatte tant qu'ils arrivent drus comme mouches; on ne sait où les fourrer…
Saint-Amand, 8 mai.
… Depuis huit jours, la désertion est au dernier degré dans les troupes étrangères. Les soldats belges, saxons, hanovriens, arrivent par bandes de 15 à 20. Ils affirment que les Russes ne viennent pas et qu'on croit qu'il n'y aura pas de guerre. Cela paraît ici presque certain. S'il en arrive ainsi, que de paroles perdues! Que de projets qui se trouveront manqués!…
Pont-sur-Sambre, 13 juin.
… Je suis arrivé ce matin de Paris à Valenciennes. J'ai trouvé mon régiment sur la place. Il traversait la ville pour aller vers Maubeuge. Je n'ai eu que le temps de mettre mes effets sur mes chevaux, de confier ma voiture à un ami et de partir. Je tombais de sommeil, mais il a fallu marcher toute la journée au milieu d'une armée immense. Nous venons de prendre position pour cette nuit… Nous marchons!… Il paraît que le gant est jeté définitivement… Je ne crois pas qu'on se batte avant cinq jours…
Merbes-le-Château, 14 juin.
… Nous avons encore marché aujourd'hui, et j'ai été à cheval ce matin à trois heures… Nous voilà sur l'extrême frontière. L'ennemi se retire, et je ne crois pas qu'il y ait un grand engagement. Tant pis, car nos troupes sont bien animées…
(Après une brillante affaire, le 17 juin, à Jenappe, le colonel de Marbot est nommé général de brigade; la chute de l'Empire empêche que cette nomination soit confirmée. Après Waterloo, le colonel se retire avec son régiment sur Valenciennes, puis vers Paris et derrière la Loire.)
Laon, 26 juin 1813.
Je ne reviens pas de notre défaite!… On nous a fait manœuvrer comme des citrouilles. J'ai été, avec mon régiment, flanqueur de droite de l'armée pendant presque toute la bataille. On m'assurait que le maréchal Grouchy allait arriver sur ce point, qui n'était gardé que par mon régiment, trois pièces de canon et un bataillon d'infanterie légère, ce qui était trop faible. Au lieu du maréchal Grouchy, c'est le corps de Blücher qui a débouché!… Jugez de la manière dont nous avons été arrangés!… Nous avons été enfoncés, et l'ennemi a été sur-le-champ sur nos derrières!… On aurait pu remédier au mal, mais personne n'a donné d'ordres. Les gros généraux ont été à Paris faire de mauvais discours. Les petits perdent la tête, et cela va mal… J'ai reçu un coup de lance dans le côté; ma blessure est assez forte, mais j'ai voulu rester pour donner le bon exemple. Si chacun eût fait de même, cela irait encore, mais les soldats désertent à l'intérieur; personne ne les arrête, et il y a dans ce pays-ci, quoi qu'on dise, 50,000 hommes qu'on pourrait réunir; mais alors il faudrait peine de mort contre tout homme qui quitte son poste et contre ceux qui donnent permission de le quitter. Tout le monde donne des congés, et les diligences sont pleines d'officiers qui s'en vont. Jugez si les soldats sont en reste! Il n'y en aura pas un dans huit jours, si la peine de mort ne les retient… Si les Chambres veulent, elles peuvent nous sauver; mais il faut des moyens prompts et des lois sévères… On n'envoie pas un bœuf, pas de vivres, rien…; de sorte que les soldats pillent la pauvre France comme ils faisaient en Russie… Je suis aux avant-postes, sous Laon; on nous a fait promettre de ne pas tirer, et tout est tranquille…
(Lettre écrite en 1830 par le colonel de Marbot au général E. de
Grouchy.)
MON GÉNÉRAL,
J'ai reçu la lettre par laquelle vous exprimez le désir de connaître la marche des reconnaissances dirigées par moi sur la Dyle, le jour de la bataille de Waterloo. Je m'empresse de répondre aux questions que vous m'adressez à ce sujet.
Le 7e de hussards, dont j'étais colonel, faisait partie de la division de cavalerie légère attachée au 1er corps, formant, le 18 juin, la droite de la portion de l'armée que l'Empereur commandait en personne. Au commencement de l'action, vers onze heures du matin, je fus détaché de la division avec mon régiment et un bataillon d'infanterie placé sous mon commandement. Ces troupes furent mises en potence à l'extrême droite, derrière Frichemont, faisant face à la Dyle.
Des instructions particulières me furent données, de la part de l'Empereur, par son aide de camp Labédoyère et un officier d'ordonnance dont je n'ai pas retenu le nom. Elles prescrivaient de laisser le gros de ma troupe toujours en vue du champ de bataille, de porter 200 fantassins dans le bois de Frichemont, un escadron à Lasne, poussant des postes jusqu'à Saint-Lambert; un autre escadron moitié à Couture, moitié à Beaumont, envoyant des reconnaissances jusque sur la Dyle, aux ponts de Moustier et d'Ottignies. Les commandants de ces divers détachements devaient laisser de quart de lieue en quart de lieue des petits postes à cheval, formant une chaîne continue jusque sur le champ de bataille, afin que, par le moyen de hussards allant au galop d'un poste à l'autre, les officiers en reconnaissance pussent me prévenir rapidement de leur jonction avec l'avant-garde des troupes du maréchal Grouchy, qui devaient arriver du côté de la Dyle. Il m'était enfin ordonné d'envoyer directement à l'Empereur les avis que me transmettraient ces reconnaissances. Je fis exécuter l'ordre qui m'était donné.
Il me serait impossible, après un laps de temps de quinze années, de fixer au juste l'heure à laquelle le détachement dirigé vers Moustier parvint sur ce point, d'autant plus que le capitaine Éloy, qui le commandait, avait reçu de moi l'injonction de s'éclairer au loin et de marcher avec la plus grande circonspection. Mais en remarquant qu'il partit à onze heures du champ de bataille, et n'avait pas plus de deux lieues à parcourir, on doit présumer qu'il les fit en deux heures, ce qui fixerait son arrivée à Moustier à une heure de l'après-midi. Un billet du capitaine Éloy, que me transmirent promptement les postes intermédiaires, m'apprit qu'il n'avait trouvé aucune troupe à Moustier, non plus qu'à Ottignies, et que les habitants assuraient que les Français laissés sur la rive droite de la Dyle passaient la rivière à Limal, Limelette et Wavre.
J'envoyai ce billet à l'Empereur par le capitaine Kouhn, faisant fonction d'adjudant-major. Il revint accompagné d'un officier d'ordonnance, lequel me dit de la part de l'Empereur de laisser la ligne des postes établie sur Moustier, et de prescrire à l'officier qui éclairait le défilé de Saint-Lambert de le passer, en poussant le plus loin possible dans les directions de Limal, Limelette et Wavre. Je transmis cet ordre, et envoyai même ma carte au chef du détachement de Lasne et Saint-Lambert.
Un de mes pelotons, s'étant avancé à un quart de lieue au delà de Saint-Lambert, rencontra un peloton de hussards prussiens, auquel il prit plusieurs hommes, dont un officier. Je prévins l'Empereur de cette étrange capture, et lui envoyai les prisonniers.
Informé par ceux-ci qu'ils étaient suivis par une grande partie de l'armée prussienne, je me portai avec un escadron de renfort sur Saint-Lambert. J'aperçus au delà une forte colonne, se dirigeant vers Saint-Lambert. J'envoyai un officier à toute bride en prévenir l'Empereur, qui me fit répondre d'avancer hardiment, que cette troupe ne pouvait être que le corps du maréchal Grouchy venant de Limal et poussant devant lui quelques Prussiens égarés, dont faisaient partie les prisonniers que j'avais faits.
J'eus bientôt la certitude du contraire. La tête de la colonne prussienne approchait, quoique très lentement. Je rejetai deux fois dans le défilé les hussards et lanciers qui la précédaient. Je cherchais à gagner du temps en maintenant le plus possible les ennemis, qui ne pouvaient déboucher que très difficilement des chemins creux et bourbeux dans lesquels ils étaient engagés; et lorsque enfin, contraint par des forces supérieures, je battais en retraite, l'adjudant-major, auquel j'avais ordonné d'aller informer l'Empereur de l'arrivée positive des Prussiens devant Saint-Lambert, revint en me disant que l'Empereur prescrivait de prévenir de cet événement la tête de colonne du maréchal Grouchy, qui devait déboucher en ce moment par les ponts de Moustier et d'Ottignies, puisqu'elle ne venait pas par Limal et Limelette.
J'écrivis à cet effet au capitaine Éloy; mais celui-ci, ayant vainement attendu sans voir paraître aucune troupe, et entendant le canon vers Saint-Lambert, craignit d'être coupé. Il se replia donc successivement sur ses petits postes, et rejoignit le gros du régiment resté en vue du champ de bataille, à peu près au même instant que les escadrons qui revenaient de Saint-Lambert et Lasne, poussés par l'ennemi.
Le combat terrible que soutinrent alors derrière les bois de Frichemont les troupes que je commandais et celles qui vinrent les appuyer, absorba trop mon esprit pour que je puisse spécifier exactement l'heure; mais je pense qu'il pouvait être à peu près sept heures du soir; et comme le capitaine Éloy se replia au trot et ne dut pas mettre plus d'une heure à revenir, j'estime que ce sera vers six heures qu'il aura quitté le pont de Moustier, sur lequel il sera, par conséquent, resté cinq heures. Il est donc bien surprenant qu'il n'ait pas vu votre aide de camp, à moins que celui-ci ne se soit trompé sur le nom du lieu où il aura abordé la Dyle.
Tel est le précis du mouvement que fit le régiment que je commandais pour éclairer pendant la bataille de Waterloo le flanc droit de l'armée française. La marche, la direction de mes reconnaissances furent d'une si haute importance dans cette mémorable journée, que le maréchal Davout, ministre de la guerre, m'ordonna à la fin de 1815 d'en relater les circonstances dans un rapport que j'eus l'honneur de lui adresser et qui doit se trouver encore dans les archives de la guerre[22].
Des faits que je viens de raconter est résultée pour moi la conviction que l'Empereur attendait sur le champ de bataille de Waterloo le corps du maréchal Grouchy. Mais sur quoi cet espoir était-il fondé? C'est ce que j'ignore, et je ne me permettrai pas de juger, me bornant à la narration de ce que j'ai vu.
J'ai l'honneur d'être, etc.
[Illustration: Extrait d'une Lettre du général de Marbot, datée de
Tirlemont, 18 août 1831.
(Communiqué par M. Élie Massenat.)]
Les récits du général de Marbot se terminant à la bataille de Waterloo, nous avons pensé que le lecteur désirerait connaître la suite de la carrière du vaillant soldat. Nous la trouvons retracée dans un article biographique publié au Journal des Débats, par M. Cuvillier-Fleury, le lendemain de la mort du général: il y parle précisément des Mémoires dont il avait eu connaissance et qu'il engage vivement la famille à publier. Nous avons donc cru ne pouvoir mieux faire que de terminer cette publication en reproduisant ici in extenso l'article de M. Cuvillier-Fleury, l'un des morceaux les plus éloquents du célèbre académicien.
* * * * *
LE GÉNÉRAL DE MARBOT
(Article du Journal des Débats du 22 novembre 1854.)
Une nombreuse assistance, composée de parents et d'amis, de généraux, de magistrats, de membres de l'ancienne pairie, et de personnes distinguées, au milieu desquelles on remarquait le maréchal ministre de la guerre, accompagnait, samedi dernier, à l'église de la Madeleine, et conduisait ensuite au champ du repos les restes mortels de M. le général baron de Marbot, enlevé le 16 novembre, et après une courte maladie, à l'affection et aux regrets de sa famille.
Le nom de Marbot avait été doublement inscrit dans l'histoire de la Révolution et de l'Empire. Le père du général qui vient de mourir, ancien aide de camp de M. de Schomberg, député de la Corrèze à l'Assemblée constituante, avait commandé la 1re division militaire, présidé le Conseil des Anciens, et il était mort des suites d'une blessure qu'il avait reçue au siège de Gênes. Ce fut pendant cette campagne, si fatale à son père, que Jean-Baptiste-Marcellin de Marbot fit le premier apprentissage de la guerre, comme simple soldat au 1er régiment de hussards. Il était né le 18 août 1782, au château de la Rivière (Corrèze), et il n'avait que dix-sept ans quand il entra au service. Un mois plus tard, à la suite d'un brillant fait d'armes, il fut nommé sous-lieutenant; et c'est ainsi que s'ouvrit pour lui, entre cette perte irréparable qui lui enlevait son plus sûr appui et cette promotion rapide qui le désignait à l'estime de ses chefs, la rude carrière où il devait s'illustrer.
Marbot appartenait à cette génération qui n'avait que très peu d'années d'avance sur le grand mouvement de 89, et pour laquelle la Révolution précipitait pour ainsi dire la marche du temps; car il faut bien le remarquer ici: parmi ceux qui, voués au métier des armes, devaient porter si haut et si loin la gloire du nom français, tous n'avaient pas eu le même bonheur que le jeune Marbot. L'ancien régime faisait payer cher aux plus braves le tort d'une origine obscure et d'une parenté sans blason. On attendait quelquefois quinze et vingt ans une première épaulette. Plusieurs quittaient l'armée faute d'obtenir un avancement mérité. Ce fut ainsi que Masséna prit son congé le 10 août 1789, après quatorze ans de service comme soldat et sous-officier. Moncey mit treize ans à gagner une sous-lieutenance. Soult porta six ans le fusil. Bernadotte ne fut sous-lieutenant qu'après avoir passé dix ans dans le régiment de Royale-Marine. Il mit à peine le double de ce temps-là, une fois la Révolution commencée, pour devenir de sous-lieutenant roi de Suède[23]. Marbot, soldat en 1799, était déjà capitaine en 1807. On lui avait tenu compte des canons qu'il avait enlevés aux Autrichiens, dans une brillante charge de cavalerie, pendant la seconde campagne d'Italie; on lui avait su gré de l'énergique activité de ses services comme aide de camp du maréchal Augereau pendant la bataille d'Austerlitz. Ce fut donc comme capitaine qu'il fit la campagne d'Eylau. Pendant la bataille de ce nom, et au moment le plus critique de cette sanglante journée, Augereau lui donna l'ordre de se rendre en toute hâte sur l'emplacement qu'occupait encore le 14e de ligne, cerné de tous côtés par un détachement formidable de l'armée russe, et d'en ramener, s'il le pouvait, les débris. Mais il était trop tard. Pourtant Marbot, grâce à la vitesse de son cheval, et quoique plusieurs officiers du maréchal, porteurs du même ordre, eussent rencontré la mort dans cette périlleuse mission, Marbot pénètre jusqu'au monticule où, pressés de toutes parts par un ennemi acharné, les restes de l'infortuné régiment tentaient leur dernier effort et rendaient leur dernier combat. Marbot accourt; il demande le colonel; tous les officiers supérieurs avaient péri. Il communique à celui qui commandait à leur place, en attendant de mourir, l'ordre qu'il avait reçu. Cependant les colonnes russes, débouchant sur tous les points et bloquant toutes les issues, avaient rendu toute retraite impossible… «Portez notre aigle à l'Empereur, dit à Marbot, avec d'héroïques larmes, le chef du 14e de ligne, et faites-lui les adieux de notre régiment en lui remettant ce glorieux insigne que nous ne pouvons plus défendre…» Ce qui se passa ensuite, Marbot ne le vit pas: atteint par un boulet qui le renversa sur le cou de son cheval, puis emporté par l'animal en furie hors du carré où le 14e achevait de mourir jusqu'au dernier homme, l'aide de camp d'Augereau fut renversé quelques moments après, puis laissé pour mort sur la neige, et il eût été confondu dans le même fossé avec les cadavres qui l'entouraient, si un de ses camarades ne l'eût miraculeusement reconnu et ramené à l'état-major.
Le général Marbot racontait parfois, et avec une émotion communicative, ce dramatique épisode de nos grandes guerres; et c'est bien le lieu de faire remarquer ici tout ce qu'il mettait d'esprit, de verve, d'originalité et de couleur dans le récit des événements militaires auxquels il avait pris part; il n'aimait guère à raconter que ceux-là. Précision du langage, vigueur du trait, abondance des souvenirs, netteté lumineuse et véridique, don de marquer aux yeux par quelques touches d'un relief ineffaçable les tableaux qu'il voulait peindre, rien ne manquait au général Marbot pour intéresser aux scènes de la guerre les auditeurs les plus indifférents ou les plus sceptiques. Son accent, son geste, son style coloré, sa vive parole, cette chaleur sincère du souvenir fidèle, tout faisait de lui un de ces conteurs si attachants et si rares qui savent mêler au charme des réminiscences personnelles tout l'intérêt et toute la gravité de l'histoire.
Le général Marbot a laissé plusieurs volumes de mémoires manuscrits, qui ne sont entièrement connus que de sa famille. Pour nous, à qui sa confiante amitié avait pourtant donné plus d'une fois un avant-goût de ce rare et curieux travail, œuvre de sa vigoureuse vieillesse, nous n'anticiperons pas sur une publication qui ne saurait être, nous l'espérons, ni éloignée, ni incomplète. Depuis Eylau jusqu'à Waterloo, les services de Marbot ont d'ailleurs assez d'éclat pour qu'il ne soit pas nécessaire de les rappeler longuement, et mieux vaut attendre qu'il nous les raconte. De l'état-major d'Augereau, Marbot passe en 1808 à celui du maréchal Lannes, en 1809 à celui du maréchal Masséna. Il fait sous ces deux chefs illustres les deux premières campagnes d'Espagne, blessé le 1er novembre 1808 d'un coup de sabre à Agreda, puis d'un coup de feu qui lui traverse le corps au siège de Saragosse, La même année, il reçoit un biscaïen à la cuisse et un coup de feu au poignet à Znaïm, au moment même où une trêve vient d'être signée, et où il est envoyé entre les deux armées ennemies avec mission de faire cesser le feu. Marbot, comme on a pu le remarquer, est blessé partout, et partout on le retrouve. L'ambulance ne le retient jamais si longtemps que le champ de bataille. Sa vigoureuse constitution le sauve des suites de ses blessures. Sa convalescence même est héroïque. Son courage et sa vocation tirent parti même des mauvaises chances. Blessé ou non, les maréchaux, commandant en chef des corps d'armée dans des positions difficiles, veulent tous avoir Marbot dans leur état-major, et on comprend que ce n'est pas seulement l'intrépide sabreur que les maréchaux recherchent, c'est aussi l'officier sérieux, instruit, d'excellent conseil, l'homme de bon sens, l'esprit avisé et plein de ressources, l'intelligence au service du courage, et le calme dans la décision[24]; c'est tout cela qui désigne sans cesse le jeune Marbot à la confiance et au choix des généraux; et c'est ainsi qu'il passe les dix premières années de sa vie militaire, faisant la guerre sous les yeux des plus illustres lieutenants de Napoléon, à la grande école, celle du commandement supérieur, ayant vu de près, dans plusieurs campagnes mémorables, le fort et le faible de ce grand art si plein de prodiges et de misères, de concert et d'imprévu, de hautes conceptions et de méprisable hasard, ayant saisi son secret, et capable pour sa part de nous le donner dans cette confidence posthume dont il a laissé à de dignes fils la primeur et l'héritage.
En 1812, le capitaine Marbot quitte définitivement l'état-major des maréchaux. Nous le retrouvons à la tête d'un régiment de cavalerie (le 23e de chasseurs), qu'il commande avec supériorité pendant toute la campagne de Russie; et à la Bérézina c'est lui qui protège, autant que la mauvaise fortune de la France le permet alors, le passage de nos troupes, et qui contribue à refouler les forces ennemies qui écrasaient leurs héroïques débris. Blessé tout à la fois d'un coup de feu et d'un coup de lance à Jacobowo pendant la retraite, il revient peu de mois après, et à peine guéri, recevoir en pleine poitrine la flèche d'un Baskir sur le champ de bataille de Leipzig. Au combat de Hanau, le dernier que nos troupes livrèrent sur le sol de l'Allemagne, le colonel Marbot retrouve sa chance, il est blessé par l'explosion d'un caisson; et enfin à Waterloo, dans une charge de son régiment, il reçoit d'une lance anglaise, et après des prodiges de valeur, une nouvelle blessure, mais non pas encore la dernière.
L'aveugle et fanatique réaction qui emporta un moment le gouvernement restauré après les Cent-jours fit inscrire le nom de Marbot sur la liste de proscription du 24 juillet 1815. La réaction lui devait cela. Marbot se réfugia en Allemagne; et c'est là, sur ce théâtre de nos longues victoires, qu'il composa ce remarquable ouvrage[25] qui lui valut quelques années après, de la part de l'empereur Napoléon mourant sur le rocher de Sainte-Hélène, cet immortel suffrage de son patriotisme et de son génie: «… Au colonel Marbot: je l'engage à continuer à écrire pour la défense de la gloire des armées françaises, et à en confondre les calomniateurs et les apostats[26]!…»
La Restauration était trop intelligente pour garder longtemps rancune à la gloire de l'Empire. Elle pouvait la craindre, mais elle l'admirait. La lettre de Vérone, dans laquelle le sage roi Louis XVIII avait rendu un si grand témoignage au héros d'Arcole et des Pyramides, était toujours le fond de sa politique à l'égard des serviteurs du régime impérial. Le général Rapp était un aide de camp du Roi. Les maréchaux de Napoléon commandaient ses armées. Marbot fut rappelé de l'exil et nommé au commandement du 8e régiment de chasseurs à cheval. Déjà, en 1814, et très peu de temps après le rétablissement de la monarchie des Bourbons, le colonel Marbot avait été appelé à commander le 7e de hussards, dont M. le duc d'Orléans était alors le colonel titulaire. Cette circonstance avait décidé en lui le penchant qui le rapprocha depuis de la famille d'Orléans, et qui, plus tard, l'engagea irrévocablement dans sa destinée. Homme de cœur et d'esprit comme il l'était, attaché plus encore peut-être par sa raison que par sa passion à ces principes de 89 et à ces conquêtes de la France démocratique que la Charte de 1814 avait consacrés, esprit libéral, cœur patriote, Marbot s'était senti tout naturellement entraîné vers un prince qui avait pris une part si glorieuse en 1792 aux premières victoires de l'indépendance nationale et qui, le premier aussi, en 1815, avait protesté du haut de la tribune de la pairie contre la réaction et les proscripteurs. Aussi quand le duc de Chartres fut en âge de compléter par des études militaires la brillante et solide éducation qu'il avait reçue à l'Université, sous la direction d'un professeur éminent, ce fut au colonel Marbot que fut confiée la mission de diriger le jeune prince dans cette voie nouvelle ouverte à son intelligence et à son activité; et tout le monde sait que le disciple fit honneur au maître. Dès lors le général Marbot (le Roi l'avait nommé maréchal de camp après la révolution de Juillet) ne quitta plus le duc d'Orléans jusqu'à sa mort; et il le servit encore après, en restant attaché comme aide de camp à son jeune fils. Devant le canon d'Anvers, en 1831; plus tard, en 1835, pendant la courte et pénible campagne de Mascara où il commanda l'avant-garde; en 1839, pendant l'expédition des Portes de Fer; en 1840, à l'attaque du col de Mouzaïa, partout Marbot garda sa place d'honneur et sa part de danger auprès du prince, et il reçut sa dernière blessure à ses côtés. «… C'est votre faute si je suis blessé», dit-il en souriant au jeune duc, comme on le rapportait à l'ambulance.—«Comment cela? dit le prince.—Oui, monseigneur; n'avez-vous pas dit au commencement de l'action: Je parie que si un de mes officiers est blessé, ce sera encore Marbot? Vous avez gagné!…»
Je montre là, sans y insister autrement, un des côtés de la physionomie militaire de Marbot: il avait, dans un esprit très sérieux, une pointe d'humeur caustique très agréable. Il était volontiers railleur sans cesser d'être bienveillant. Une singulière finesse se cachait dans ce qu'on pouvait appeler quelquefois chez lui son gros bon sens. J'ajoute que les dons les plus rares de l'intelligence, la puissance du calcul, la science des faits et le goût des combinaisons abstraites s'alliaient en lui à une imagination très inventive, à une curiosité très littéraire et à un génie d'expression spontanée et de description pittoresque qui n'était pas seulement le mérite du conteur, comme je l'ai dit, mais qui lui assurait partout, dans les délibérations des comités, dans les conseils du prince, et jusque dans la Chambre des pairs, sur les questions les plus générales, un légitime et sérieux ascendant. D'un commerce très sûr, d'une loyauté à toute épreuve, sincère et vrai en toute chose, Marbot avait, dans la discussion, une allure, non pas de guerrier ni de conquérant,—personne ne supportait mieux la contradiction,—mais de raisonneur convaincu et déterminé, qui pouvait se taire, mais qui ne se rendait pas. Il avait, si on peut le dire, la discussion intrépide comme le cœur; il marchait droit à la vérité, comme autrefois à la bataille. Il affirmait quand d'autres auraient eu peut-être intérêt à douter; il tranchait des questions qu'une habileté plus souple eût réservées, et il n'y avait à cela, je le sais, aucun risque sous le dernier règne. L'époque, le lieu, l'habitude des controverses publiques, l'esprit libéral et curieux du prince qu'il servait, tout autorisait et encourageait chez Marbot cette franchise civique du vieux soldat. D'ailleurs, comment l'arrêter? Elle lui était naturelle comme sa bravoure et elle découlait de la même source.
Le livre que l'Empereur avait si magnifiquement récompensé par deux lignes de sa main, plus précieuses que le riche legs qu'il y avait joint, ce livre aujourd'hui épuisé, sinon oublié, est pourtant ce qui donnerait à ceux qui n'ont pas connu le général Marbot l'idée la plus complète de son caractère, de son esprit et de cet entrain qui n'appartenait pas moins à sa raison qu'à son courage. Le livre est presque tout entier technique, et il traite de l'art de la guerre dans ses plus vastes et dans ses plus minutieuses applications; malgré tout et en dépit de cette spécialité où il se renferme, c'est là une des plus attachantes lectures qu'on puisse faire. Je ne parle pas de cette verve de l'auteur qui anime et relève les moindres détails; c'est là l'intérêt qui s'adresse à tout le monde, c'est le plaisir; l'ouvrage a d'autres mérites, je veux dire cette vigueur du ton, cette ardeur du raisonnement, ce choix éclairé et cette mesure décisive de l'érudition mise au service des théories militaires,—mais surtout cet accent de l'expérience personnelle et ce reflet de la vie pratique, lumineux commentaire de la science. Tel est ce livre du général Marbot. Il l'écrivit à trente-quatre ans. Le livre est l'homme; et je comprends qu'il ait plu à l'Empereur et qu'il ait agréablement rempli quelques-unes de ces longues veillées de Sainte-Hélène; il lui rappelait un de ses officiers les plus énergiques et les plus fidèles; il ralliait dans leur gloire et ranimait dans leur audace tous ces vieux bataillons détruits ou dispersés; il flattait, dans le vainqueur d'Austerlitz, l'habitude et le goût de ces grandes opérations de guerre offensive[27] dont la théorie intrépide et la pratique longtemps irrésistible avaient été l'instrument de sa grandeur et la gloire de son règne. Marbot flattait ces souvenirs dans l'Empereur déchu plus qu'il ne l'aurait voulu faire peut-être dans l'Empereur tout-puissant; mais il écrivait en homme convaincu. Il défendait la guerre d'invasion comme quelqu'un qui n'avait jamais fait autre chose, avec conviction, avec vérité, par entraînement d'habitude et sans parti pris de plaire à personne. Il était l'homme du monde qui songeait le moins à plaire, quoiqu'il y eût souvent bien de l'art dans sa bonhomie, bien du cœur et bien de l'élan dans sa rudesse. Le général Rogniat avait écrit[28] que les passions les plus propres à inspirer du courage aux troupes étaient, selon lui, «le fanatisme religieux, l'amour de la patrie, l'honneur, l'ambition, l'amour, enfin le désir des richesses… Je passe sous silence la gloire, ajoute l'auteur; les soldats entendent trop rarement son langage pour qu'elle ait de l'influence sur leur courage…» C'était là, il faut bien l'avouer, une opinion un peu métaphysique pour l'époque où le général Rogniat écrivait, et qui, fût-elle fondée (ce que je ne crois pas), n'était ni utile à répandre ni bonne à dire. «… Mais quoi! s'écrie le colonel Marbot dans sa réponse, quoi! ils n'entendaient pas le langage de la gloire, ces soldats qui jurèrent au général Rampon de mourir avec lui dans la redoute de Montélésimo! Ceux qui, saisissant leurs armes à la voix de Kléber, préférèrent une bataille sanglante à une capitulation honteuse! Ils n'entendaient pas le langage de la gloire, ces soldats d'Arcole, de Rivoli, de Castiglione et de Marengo, ceux d'Austerlitz, d'Iéna et de Wagram! Ces milliers de braves qui couraient à une mort presque certaine dans le seul espoir d'obtenir la croix de la Légion, n'entendaient pas le langage de la gloire!… Que veulent donc ces braves soldats qui s'élancent les premiers sur la brèche ou s'enfoncent dans les rangs des escadrons ennemis? Ils veulent se distinguer, se faire une réputation d'hommes intrépides, qui attirera sur eux l'estime de leurs chefs, les louanges de leurs compagnons et l'admiration de leurs concitoyens. Si ce n'est pas là l'amour de la gloire, qu'est-ce donc[29]?…»
J'ai cité cette héroïque tirade, non pas pour donner une idée du style du général Marbot: il a d'ordinaire plus de tempérance, plus de mesure, plus d'originalité, même dans sa force; mais ce style à la baïonnette, qu'on aurait pu taxer de déclamation dans un temps différent du nôtre, a aujourd'hui un incontestable à-propos.
Une fois en guerre, qui ne reconnaît que cette façon de juger le soldat français est à la fois la plus équitable, la plus politique et la plus vraie? Marbot était le moins pindarique et le moins déclamateur des hommes, quoiqu'il y eût parfois bien de l'imagination dans son langage. Mais un sûr instinct lui avait montré ce qui fait battre la fibre populaire sous l'uniforme du soldat et sous le drapeau de la France; et aujourd'hui, après quarante ans, en rapprochant de ces lignes épiques, détachées d'un vieux livre, la liste récemment présentée au général Canrobert des 8,000 braves qui se sont fait inscrire pour l'assaut de Sébastopol, n'est-ce pas le cas de répéter avec le général Marbot: Si l'amour de la gloire n'est pas là, où est-il donc?…
Cette solidarité traditionnelle de la bravoure dans les rangs de l'armée française, aussi loin que remontent dans le passé ses glorieuses annales, est très nettement marquée dans l'ouvrage que le colonel Marbot écrivait en 1816 et qu'il publiait quelques années après. S'il l'eût écrit vingt ou trente ans plus tard, il n'eût pas seulement nommé les conquérants de l'Égypte, de l'Allemagne et de l'Italie; il eût signalé, dans les héritiers de ces belliqueux instincts, la même flamme d'héroïsme qui animait les pères; il les eût suivis sous les murs de Cadix, dans les champs de la Morée et à l'attaque du fort l'Empereur. Plus tard, il eût cité ces infatigables soldats qui nous ont donné l'Afrique: il les avait vus à l'œuvre. Il est mort en faisant comme nous tous de patriotiques vœux pour le succès de nos armes, engagées si glorieusement et si loin! Les drapeaux changent, les révolutions s'accumulent, les années s'écoulent: la bravoure française ne varie pas. Elle est dans la race et dans le sang. Marbot était plus que personne un type éminent de ce courage de nature, comme il l'appelle, qui n'a pas seulement la solidité, mais l'élan, qui n'attend pas l'ennemi, qui court à lui et le surprend, comme les zouaves à l'Alma, par ces apparitions soudaines qui font de la vitesse elle-même un des éléments de la victoire. Ce courage de l'invasion, de l'offensive, cet art ou plutôt ce don de marcher en avant, «de tirer avantage des lenteurs de l'ennemi, de l'étonner par sa présence, et de frapper les grands coups avant qu'il ait pu se reconnaître», cette sorte de courage était bien celle qui convenait à une nation prédestinée, plus qu'aucune autre, par la franchise de son génie, par l'expansion contagieuse de son caractère, par la facilité de sa langue acceptée de tous, à la diffusion de ses sentiments et de ses idées; et il n'est pas inutile de le rappeler, au moment où un si grand nombre de Français sont en ligne devant un redoutable ennemi. Marbot avait, avec toutes les qualités sérieuses du métier, ce courage d'avant-garde, et il était cité dans l'armée pour l'audace de ses entreprises ou de ses aventures. Un jour (c'était, je crois, au début de la campagne de Russie, et il venait d'être nommé colonel), il arrive à la tête de son régiment devant un gué qu'il avait mission de franchir. Le passage était défendu par un nombreux détachement de Cosaques, appuyés sur une artillerie imposante. Marbot fait reconnaître la position, qui est jugée imprenable. «Marchons, dit-il, mes épaulettes sont d'hier, il leur faut un baptême; en avant!…» En disant cela, il pique des deux. Il y eut là, pendant quelques instants, une lutte corps à corps, sabre contre sabre, et des provocations d'homme à homme, comme dans un chant d'Homère. Enfin l'ennemi céda, les canons furent pris. Marbot reçut sa huitième blessure, mais il passa.
Le général Marbot avait été fidèle à l'Empire jusqu'à souffrir, en mémoire de cette glorieuse époque, la proscription et l'exil. Nous avons vu comment la Restauration lui rendit à la fin justice, et comment la dynastie de Juillet lui donna sa confiance. La révolution de Février le mit à la retraite. Le général Marbot se résigna. Il accepta sans se plaindre une disgrâce qui le rattachait encore à la royauté déchue. Il avait la qualité des nobles cœurs, il était fidèle. Le souci très éclairé et très intelligent du père de famille n'avait jamais affaibli chez lui le citoyen ni le soldat. Après avoir été un des héros de l'épopée impériale, il fut un des personnages les plus considérables et les plus favorisés de la monarchie de Juillet, et il s'en est souvenu jusqu'à son dernier jour, non sans un mélange de douloureuse amertume quand il songeait à cette jeune branche d'un tronc royal, brisée fatalement sous ses yeux, mais avec une imperturbable sérénité de conscience en songeant aussi qu'il n'avait jamais cessé, depuis soixante ans, de servir son pays sur tous les champs de bataille, dans toutes les rencontres sérieuses, dans l'armée, dans le Parlement, dans les affaires publiques, dans l'éducation d'un prince, et jusque dans ces derniers et trop courts loisirs de sa verte vieillesse, consacrés au récit de nos grandes guerres et au souvenir de nos victoires immortelles.
CUVILLIER-FLEURY.
[Illustration: Annotation du général de Marbot, en marge des
Considérations sur l'art de la guerre, du général Rogniat.]
ÉTATS DE SERVICE de JEAN-BAPTISTE-ANTOINE-MARCELLIN BARON DE MARBOT NÉ À
ALTILLAC (CORRÈZE) LE 18 AOÛT 1782
Entré au 1er régiment de hussards 28 septembre 1799.
Maréchal des logis 1er décembre 1799.
Sous-lieutenant 31 décembre 1799.
Passé au 25e régiment de chasseurs à cheval 11 juin 1801.
Envoyé à l'école d'équitation de Versailles 12 septembre 1802.
Nommé aide de camp du général Augereau 31 août 1803.
Lieutenant 11 juillet 1804.
Capitaine 3 janvier 1807.
Passé aide de camp du maréchal Lannes 2 novembre 1808.
Chef d'escadrons 3 juin 1809.
Passé aide de camp du maréchal Masséna 18 juin 1809.
Passé au 1er régiment de chasseurs 23 novembre 1811.
Passé au 23e — 28 janvier 1812.
Colonel — — 15 novembre 1812.
Passé au 7e de hussards 8 octobre 1814.
Porté sur la 2e liste de l'ordonnance royale du 24 juillet 1815.
Sorti de France d'après la loi du 12 janvier 1816.
Rappelé par l'ordonnance du 15 octobre 1818.
Admis au traitement de réforme 1er avril 1820.
Rétabli en demi-solde avec rappel du 1er avril 1820.
Colonel du 8e régiment de chasseurs 22 mars 1829.
Aide de camp de S. A. R. le duc d'Orléans 12 août 1830.
Maréchal de camp 22 octobre 1830.
Compris dans le cadre d'activité de l'état-major général 22 mars 1831.
Commandant la 1re brigade de cavalerie au camp de Compiègne 18 juin 1834.
Commandant une brigade de grosse cavalerie au camp de Compiègne 10 juillet 1836.
Lieutenant général maintenu dans ses fonctions d'aide de camp de S. A. R. le duc d'Orléans 21 octobre 1838.
Mis à la disposition du gouverneur de l'Algérie 3 avril 1840.
Rentré en France 11 avril 1840.
Membre du comité d'état-major 20 septembre 1841.
Nommé inspecteur général pour 1842 du 14e arrondissement de cavalerie 22 mai 1842.
Commandant les troupes destinées à figurer la ligne ennemie dans le corps d'opérations sur la Marne 29 mai 1842.
Aide de camp de S. A. R. Monseigneur le comte de Paris 20 juillet 1842.
Inspecteur général pour 1843 du 8e arrondissement de cavalerie 11 juin 1843.
Inspecteur général pour 1844 du 6e arrondissement de cavalerie 25 mai 1844.
Membre du comité de cavalerie 13 avril 1845.
Inspecteur général pour 1845 du 2e arrondissement de cavalerie 24 mai 1845.
Inspecteur général pour 1846 du 2e arrondissement de cavalerie 27 mai 1846.
Inspecteur général pour 1847 du 13e arrondissement de cavalerie 11 juin 1847.
Maintenu dans la 1re section du cadre de l'état-major général 1er août 1847.
Admis à faire valoir ses droits à la retraite par décret du 17 avril 1848.
Retraité par arrêté du 8 juin 1848.
Décédé à Paris 16 novembre 1854.
CAMPAGNES
An VIII, Italie.—An IX, Ouest.—An X, Gironde.—An XII, au camp de
Bayonne.—An XIII, au camp de Brest.—An XIV, 1805, 1806 et 1807, Grande
Armée.—1808 et 1809, Espagne et Autriche.—1810 et 1811,
Portugal.—1812, Russie.—1813 et 1814, Grande Armée.—1815,
Belgique.—1831, 1832, à l'armée du Nord.—1835, 1839 et 1840, en
Algérie.
BLESSURES
Un coup de baïonnette au bras gauche. Affecté d'étourdissements considérables par le passage d'un boulet, qui a enlevé la corne de son chapeau à la bataille d'Eylau 8 février 1807.
Un coup de sabre au front à Agréda 1er novembre 1808.
Un coup de feu au travers du corps au siège de Saragosse 9 février 1809.
Un coup de biscaïen dans la cuisse droite à la bataille d'Essling 22 mai 1809.
Un coup de feu au poignet gauche au combat de Znaïm 12 juillet 1809.
Un coup d'épée dans le visage et un coup de sabre dans le ventre au combat de Miranda de Corvo 14 mars 1811.
Un coup de feu à l'épaule gauche au combat de
Jakoubowo                                      31 juillet 1812.
Un coup de lance au genou droit au combat de Plechtchénitsoui 4 décembre 1812.
Un coup de flèche dans la cuisse droite à la bataille de Leipzig 18 octobre 1813.
Un coup de lance dans la poitrine à la bataille de Waterloo 18 juin 1815.
Une balle au genou gauche dans l'expédition de Médéah 12 mai 1840.
DÉCORATIONS
Ordre de la Légion d'honneur. Chevalier 16 octobre 1808.
— Officier 28 septembre 1813
— Commandeur 21 mars 1831.
— Grand officier 30 avril 1836.
Chevalier de Saint-Louis 10 septembre 1814.
Grand-croix de la Couronne de chêne de Hollande décembre 1832.
Grand officier de Léopold de Belgique août 1842.
Pair de France en 1845.
NOTES
[1: Le général Lamarque raconte dans ses Mémoires comment il eut la désagréable mission d'annoncer à Masséna la confiscation de ses millions. La scène se passe la nuit au palais Acton. (Note de l'éd.)]
[2: Frédéric-Guillaume IV.]
[3: M. Thiers parle de 400,000 hommes en chiffres ronds.]
[4: On lit dans le livre de M. de Ségur: «La mort de Koulnieff fut, dit-on, héroïque; un boulet lui brisa les deux jambes et l'abattit sur ses propres canons; alors voyant les Français s'approcher, il arracha ses décorations et, s'indignant contre lui-même de sa témérité, il se condamna à mourir sur le lieu même de sa faute en ordonnant aux siens de l'abandonner.»]
[5: Le baron Alfred de Marbot, maître des requêtes au Conseil d'État, mort en 1865.]
[6: M. de Ségur écrit: «On ne cherche plus à cacher, à Moscou, le sort qu'on lui destine… La nuit, des émissaires vont frapper à toutes les portes; ils annoncent l'incendie… On enlève les pompes; la désolation monte à son comble… Ce jour-là, une scène effrayante termina ce triste drame… Les prisons s'ouvrent: une foule sale et dégoûtante en sort tumultueusement… Dès lors, la grande Moscou n'appartient plus ni aux Russes, ni aux Français, mais à cette foule impure, dont quelques officiers et soldats de police dirigèrent la fureur. On les organisa; on assigna à chacun son poste, et ils se dispersèrent pour que le pillage et l'incendie éclatassent partout à la fois…»]
[7: Si nous en croyons les Mémoires de Tchitchakoff, le funeste désaccord qui régnait trop souvent parmi les lieutenants de Napoléon existait également parmi ceux d'Alexandre. C'est à ce désaccord que les débris de la Grande Armée auraient dû en partie leur salut lors du passage de la Bérésina. (Note de l'éditeur.)]
[8: La tête de pont sur la rive droite.
Le comte de Rochechouart, alors aide de camp de l'empereur Alexandre, donne dans ses Mémoires de nombreux détails sur toute l'affaire de Borisoff, à laquelle il prit une grande part. (Note de l'éditeur.)]
[9: Les Mémoires de Tchitchakoff confirment pleinement tous ces détails.]
[10: Ou Stakof.]
[11: Dans une curieuse et dramatique relation illustrée de la campagne de Russie, publiée à Stuttgard en 1843, Faber du Faur signale cette vacuité des ponts dans la nuit du 27 au 28 novembre, et même dans celle du 28 au 29. (Note de l'éditeur.)]
[12: Le général Partouneaux se défendit d'ailleurs héroïquement; sa division était réduite à quelques centaines de combattants lorsqu'elle dut se rendre. (Voy. THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire.)]
[13: Tchitchakoff a rendu justice à la vigueur de notre cavalerie dans cette affaire. Du reste, ses Mémoires (publiés en 1862) et ceux du comte de Rochechouart confirment de point en point les détails donnés sur ces événements: la prise et la perte de Borisoff par les Russes; leur mouvement intempestif sur Beresino inférieur; le combat de Zawniski près Brillowa et Stakowo; la fatale rupture des ponts et la retraite de nos troupes par les marais gelés de Zembin. (Note de l'éditeur.)]
[14: Tchitchakoff a trouvé dans ce fait une excuse à sa négligence.]
[15: «Des malheureux se précipitèrent dans ces brasiers… leurs compagnons affamés les regardaient sans effroi… il y en eut même qui attirèrent à eux ces corps défigurés et grillés… et il est trop vrai qu'ils osèrent porter à leur bouche cette révoltante nourriture!» (DE SÉGUR, Histoire de Napoléon.)]
[16: Dans sa brochure publiée en 1823, Rostopschine insiste particulièrement sur les causes accidentelles de l'incendie.]
[17: M. Thiers établit comme il suit le compte de nos pertes. Selon lui, 420,000 hommes passèrent le Niémen, et ce chiffre fut porté à 533,000 par des renforts successifs: 300,000 auraient péri, tant Français qu'alliés. (Note de l'éditeur.)]
[18: Ou Janowitz.]
[19: Le comte de Rochechouart nous raconte d'une façon très pittoresque la mission qu'il eut à remplir auprès de Bernadette, qui hésitait encore à passer l'Elbe au mois de septembre; il nous décrit également sa rencontre avec le prince royal de Suède, «superbe au milieu de la mitraille, entouré de morts et de blessés…», sur le champ de bataille de Leipzig. (Note de l'éditeur.)]
[20: Dans les garnisons de la plupart des places fortes, et notamment dans celle de Danzig, composées de troupes de diverses nationalités, on eut à regretter quelques désertions même parmi les officiers; ceux-ci trouvèrent dans le camp russe l'accueil le plus empressé et nous combattirent dans la campagne de France.]
[21: Ces lettres sont les seuls documents que nous possédions sur la campagne de Waterloo.]
[22: Les démarches faites au ministère de la guerre pour trouver ce rapport sont malheureusement restées infructueuses. (Note des éditeurs.)]
[23: Voir les Portraits militaires de M. de La Barre-Duparcq, p. 23 Paris, 1853.]
[24: Plurimum audaciæ ad pericula capessenda, plurimum consilii intra ipsa pericula erat…» (Tite-Live, lib. XXI, De Annibale.)]
[25: Remarques critiques sur l'ouvrage de M. le lieutenant général Rogniat, intitulé: Considérations sur l'art de la guerre, par le colonel Marbot (Marcellin), Paris, 1820. Marbot écrivit aussi en 1825 un autre ouvrage, qui eut alors un certain retentissement et qui le méritait; il est intitulé: De la nécessité d'augmenter les forces militaires de la France.]
[26: Paragraphe II, n° 31, du testament de Napoléon. Le legs de l'Empereur à Marbot était de cent mille francs.]
[27: Voir le chapitre intitulé: Des grandes opérations offensives, p. 597 et suiv. de l'ouvrage précité.]
[28: Considérations sur l'art de la guerre, p. 410.]
[29: Remarques critiques, etc., p. 191-192.]
TABLE DES NOMS
Abal (dom), I.
Adam, I.
Aguesseau (d'), II.
Aister (d'), I.
Albert (général), I; III.
Albuqueuque (d'), II.
Alexandre Ier, I; III.
Alorna (marquis d'), II.
Amy (colonel), II.
Andréossi, III.
Angoulême (duc d'), II; III.
Antonio (don), II.
Argenton, II.
Arnold, III.
Arrighi (duc de Padoue), III.
Aspre (comte d'), II.
Aspre (général d'), II.
Assalagny (docteur), II.
Auersperg (prince d'), I.
Augereau (maréchal), I; II; III.
Augereau (général), I.
Auguste (prince de Prusse), I.
B
Bachelet, III.
Bagration, I; III.
Balachoff (comte de), III.
Baour-Lormian, I.
Baraguey d'Hilliers, III.
Barain, II; III.
Barairon, I.
Barclay de Tolly, III.
Bareiros (José), II.
Barral (de), II.
Barras, I.
Bassano (duc de), III.
Bastide, I.
Bavastro, III.
Bayard, II.
Beaufort d'Hautpoul, II.
Beauharnais (prince Eugène de), I; II; III.
Beauharnais (comte de), II.
Beaumont, I.
Becker (général), II.
Belair, I.
Bellavène (général), I.
Belliard (général), II; III.
Benningsen, I; III.
Berckheim (général), III.
Beresford (général), II.
Berlier (colonel), II.
Bernadotte, I; II; III.
Bernard, I.
Berthier (maréchal), I; II; III.
Bertin, III.
Bertrand (général), I; II; III.
Bessières (maréchal), I; II; III.
Blancheton (docteur), II.
Blancheville, I.
Blankensée (de), III.
Blücher, I; III.
Boivin, III.
Bonaparte (Jérôme), I; II; III.
Bonaparte (Joseph), I; II; III.
Bonaparte (Louis), I; II.
Bonaparte (Lucien), I; II.
Bonaparte (Caroline), II.
Bonaparte (Pauline), I.
Bonnet (général), II; III.
Bonnier, II.
Bordenave, I; III.
Bordesoulle (général de), III.
Boudet (général), II.
Bourcier (général), I; III.
Bourgoing (de), III.
Boutourlin, III.
Brame, I.
Brénier (général), II.
Briqueville (de), II.
Brisset (docteur), II.
Bro, I.
Bronilowski, III.
Brune, I.
Brunswick (prince de), I.
Brunswick-Œls (prince de), II.
Bruyère (général), II; III.
Buget, I.
Bulow, III.
C
Cadoudal, I; III.
Cambacérès, I; II.
Cambronne (général), III.
Campbell (général), II.
Campo (général), III.
Canisy (comte de), II.
Canon, I.
Canouville (de), II.
Canrobert (Certain de), I.
Capucino (Le), II.
Carlos (don), II.
Carra Saint-Cyr, (général), II.
Casabianca, II; III.
Caseneuve, III.
Castaños (général), II.
Castex (général), III.
Catherine II. I; II; III.
Catinat, III.
Caulaincourt (duc de Vicence), III.
Caulaincourt (général), III.
Cavalier, II.
Certain (de), I.
Cervoni (général), II.
Chabot, III.
Chabot (représentant), I.
Chalopin, I.
Chambure (de), III.
Chamot, I.
Championnet (général), I; III.
Charles IV, II.
Charles XII. III.
Charles le Téméraire, II.
Charles-Quint, II.
Charles (archiduc), I; II; III.
Chasteler (marquis de), II.
Chateaubriant (vicomte de), III.
Chateauville (de), I.
Chaudron (maréchal), II.
Chauvet d'Arlon, III.
Chérin (général), I.
Chévetel, I.
Christine (archiduchesse), II.
Christophe (général), III.
Claparède (général), II.
Clarke (duc de Feltre), II; III.
Clary, I.
Clausel (général), II; III.
Cobourg (prince de), I.
Cœli (don Raphaël), I; II.
Colbert, II.
Comnène, II.
Condorcet (madame), I.
Condras (général), III.
Conroux (général), II.
Constantin (grand-duc), I; III.
Corbineau (général), I; II; III.
Cortès (Fernand), II.
Cosnac (de), I.
Costa (Bernardo), II.
Cotton (général), II.
Coupé, I.
Courteau, III.
Courtois, III.
Coutard (colonel), II.
Cox (général), II.
Crawfurd (général), II.
Curély (général), III.
Curial (général), III.
Czartoryski (prince), I.
Czernicheff (comte de), II; III.
D
Dagusan, II.
Dahlmann (général), I.
Dalberg (duc de), III.
Dannel, I.
Daru (comte), III.
Daumesnil (général), II; III.
David, I.
Davout (maréchal), I; II; III.
Debry, II.
Decaen (général), I; III.
Defermon (comte), I; II.
Delaborde (général), II.
Delmas (général), III.
Delzons (général), III.
Demont (général), I; II.
Denniée, I.
Derneberg (colonel), II.
Desaix (général), I; II; III.
Desbrières, I; II; III.
Desjardins (général), I.
Despaulx (dom), I.
Despenoux, II.
Devence (colonel), III.
Doctoroff, III.
Domanget (général), III.
Dombrowski (général), III.
Donnadieu (général), I; II.
Donzelot (général), I.
Dorignac, I.
Dorsenne (général), II.
Doumerc (général), III.
Drouet (comte d'Erlon), II; III.
Drouot (général), III.
Dubois (colonel), III.
Ducos (général), I.
Dugommier (général), I.
Duhesme (général), II.
Dulauloy (général), III.
Dulimberg, II.
Dulong (général), II.
Dumouriez (général), II.
Duphot (général), III.
Duplessis (capitaine), III.
Dupont (général), I; II.
Dupont (Jean), III.
Durbach, III.
Duroc (général), I; II; III.
Durosnel (général), I; II.
Durutte (général), III.
Duval de Beaulieu, III.
E
Éblé (général), II; III.
Éloy, III.
Enghien (duc d'), I; II.
Espagne (général), II.
Estresse (colonel, marquis d'), I.
Étrurie (reine d'), II.
Exelmans (général), III.
F
Fabius, III.
Fabvier (général), III.
Fain, III.
Fénérol (général), I.
Ferdinand VII (prince des Asturies), II; III.
Ferdinand (archiduc), I.
Ferdinand (prince de Prusse), I.
Ferey (général), II.
Ferlus (dom), I.
Ferlus (Raymond), I.
Finguerlin, I.
Fontaine, III.
Fouché (duc d'Otrante), I; III.
Foucher, III.
Fourcart, I.
Fournier (capitaine), I.
Fournier (général), II.
Fousse, III.
Foy (général), II; III.
Franceschi, I; II.
Francisco (don), II.
Franck (docteur), II.
François de Nantes, III.
François Ier (empereur d'Autriche), I; II; III.
François Ier, III.
Frayssinous (l'abbé de), I.
Frédéric II. I.
Frédéric II (Guillaume-Charles, roi de Wurtemberg), II; III.
Frédéric-Auguste (roi de Saxe), I; III.
Frédéric-Guillaume III (roi de Prusse), I; III.
Frederichs (général), III.
Freira (général), II.
Frère (général), II.
Fresnel (général), III.
Friant (général), I; III.
Fririon (général), II.
Froissard, I.
Furstemberg (prince de), I.
G
Gardanne (général), II; III.
Garran, I.
Gault, I.
Gauthier (général), II.
Gautrin (colonel), II.
Gavoille, I.
Gazan (général), I; III.
Gérard (maréchal), I; III.
Gérard (baron), I.
Giulay (comte de), I; III.
Godard, I.
Godoy (prince de la Paix), I; II.
Gohier, I.
Gortschakoff, I.
Gouache, II.
Gourgaud (général), III.
Gouvion Saint-Cyr (maréchal), I; II; III.
Graft, III.
Graindorge (général), II.
Gratien (général), II; III.
Gravina (amiral), I.
Graziani, I.
Grenier (général), III.
Gressot (général), III.
Griffon, III.
Grouchy (maréchal), I; II; III.
Grundler (général), III.
Gudin (général), I; II; III.
Guéhéneuc (général), I; II.
Guindet, I; III.
Guiraud, I.
Guiton (général), II.
Gustave-Adolphe, III.
Gustave IV, I.
H
Harispe (général), III.
Harpin, I.
Hatzfeld (princesse), I.
Haugwitz (comte), I.
Hautpoul (général d'), I.
Haxo (général), III.
Hernandès, II.
Hernoux, III.
Herrasti (Andréas), II.
Hersent, II.
Hesse-Cassel (grand électeur de), I.
Hesse-Darmstadt (landgrave de), I.
Hesse-Hombourg (prince de), II.
Heudelet (général), I; II.
Hijar (duc de), II.
Hill (général), II.
Hiller (général), II.
Hoche (général), I; III.
Hofer (Andréas), II.
Hogendorf (général), III.
Hohenlohe (prince de), I.
Holstein-Augustenbourg (prince de), I.
Houdetot (général d'), I.
Houston (général), II.
Hulot d'Hozery, II.
Humières (d'), I.
I
Infantado (duc de l'), II.
Isembourg (prince d'), II.
J
Jacqueminot (général), I.
Jacques II. II.
Jardin, I.
Jardon, II.
Jean (archiduc), I; II.
Jean VI (roi de Portugal), II.
Jellachich, I.
Joinville (prince de), II.
Joly, III.
Jomini (général), III.
Joséphine (impératrice), I; II.
Joubert (général), I; III.
Jourdan (maréchal), I; III.
Julian (don), II.
Junot (duc d'Abrantès), II; III.
Junot (duchesse d'Abrantès), II.
K
Kalkreuth (maréchal), I.
Katt, II.
Keith (amiral), I.
Kellermann (maréchal), I; II; III.
Kienmayer (général), I.
Kinglin (général), I.
Kirgener (général), III.
Kléber, III.
Kleist (général), III.
Klenau (général), III.
Koch (général), II.
Kosciusko, I.
Korsakow (général), III.
Kouhn, III.
Koulnieff (général), III.
Koutousoff (maréchal), I; III.
L
Labanoff (prince), III.
Labaume, III.
Labédoyère (de), II.
Laborde, II; III.
La Bourdonnaye (de), II.
Lachèze, I.
La Coste (Certain de), I.
Lacoste (général), II.
Lacour (commandant), III.
Lacour (général), II.
Lacuée (comte de Cessac), III.
Lafitte (colonel), II.
Laforest, I.
Lagarde, I.
Lagrange (de), II.
Lagrange (général), III.
Laisné, III.
Lajolais, I.
Lalouette, III.
La Majorie, I.
Lamarque (général), II; III.
Lamarre, III.
Lambert (général), I; III.
Lambesc (prince de), I.
Lami, II.
Lamothe, II.
Lamotte (général), II.
Lamour (colonel), II.
Languenau (général), III.
Lanneau, I.
Lannes (maréchal), I; II; biogr.: III.
La Nougarède (colonel de), III.
Lapanonie (de), I.
Lapisse (général), II.
Lapoype (général), III.
La Riboissière (général de), III.
La Romana (général marquis de), II.
Larrey (docteur), I; II.
Lasalle (général), I; II.
Lasalle (de), II.
Lasowski (général), II.
Latour, II.
Latour d'Auvergne (de), II.
Latour-Maubourg (général de), II; III.
Launay (de), I.
Lorencez (général de), III.
Lauriston (général de), II; III.
Lauriston (comtesse de), I.
Laussat (de), III.
Leclerc (général), I.
Le Couteulx de Canteleu, II; III.
Lefebvre (maréchal), I; II; III.
Lefebvre-Desnouettes (général), II; III.
Lefrançois, II.
Legendre, III.
Legrand (général), II; III.
Leistenschneider, I.
Le Marois, III.
Léopold Ier, III.
Lepic (général), II.
Letermillier, II.
Lichtenstein (prince de), I.
Liégeard, III.
Ligne (prince de), II.
Ligniville (comte de), II.
Lima (général), II.
L'Isle (Certain de), I.
Loison (général), II; III.
Lorentz (Schilkowski), III.
Lorge (général), II.
Louis (baron), III.
Louis XIV, II; III.
Louis XVIII. III.
Louis-Philippe, II; III.
Louis (prince de Prusse), I; III.
Louise (reine des Belges), III.
Louise-Amélie (reine de Prusse), I.
Louverture (Toussaint), I.
Lubenski (comte), III.
M
Macard, I.
Macdonald, II; III.
Mack (feld-maréchal), I; III.
Magon (amiral), I.
Mailand, III.
Mainvielle, I.
Maison (général), I; III.
Malet (général), III.
Malseigne (général comte de), I.
Manuel, III.
Marchand (général), II.
Marbot (général Antoine), I; II.
Marbot (Adolphe de), I; II; III.
Marbot (baron Alfred de), III.
Marbot (Félix de), I.
Marbot (Théodore de), I.
Maréchal, III.
Marescalchi (comte), II.
Maria (reine de Portugal), II.
Marie-Charlotte (reine d'Espagne), II.
Marie-Louise (impératrice), II; III.
Marlborough, II.
Marmont (maréchal), I; II; III.
Marulaz (général), II.
Mascareguas (de), II.
Masséna, I; II; III; biogr.: III.
Masséna (Augustin), III.
Masséna (Jules), III.
Masséna (Marcel), III.
Masséna (Prosper), II; III.
Masséna (Victor), II.
Massy, I.
Mathis, I.
Maucune (général), II.
Maurice (colonel), I.
Maurin, I; III.
Maximilien-Joseph (roi de Bavière), III.
Maximilien (archiduc), II.
Mélas, I.
Ménard (colonel), I.
Méneval (de), I.
Merfeld (général), III.
Mergey, I.
Méric, II.
Merle (général), II; III.
Merlhes (docteur), I.
Mermet, II.
Meslin, III.
Metternich, III.
Michaud (général), III.
Michaux, III.
Milhau (général), III.
Mina, II.
Moerner (général comte de), I.
Molitor, II; III.
Mollendorf, I.
Monceau (général du), III.
Moncey, I; II.
Monck, I.
Mongalvi, I.
Monginot, III.
Monnier (colonel), II.
Montbrun (général), II; III.
Montesquiou (colonel de), II.
Montesquiou (l'abbé de), III.
Montezuma, II.
Montfort (général de), III.
Montluc, II.
Montmorency, I.
Moore, II.
Morand (général), I; II; III.
Moreau (général), I; III.
Moreau (colonel), I.
Morland (général), I.
Mortier (maréchal), I; II; III.
Moulins, I.
Mounier, I; II.
Moustache, I.
Mouton (comte de Lobau), I; II; III.
Mouton-Duvernet (général), III.
Muller (général), I.
Muller, I.
Murat, I; II; III.
Mustapha, I; II.
N
Nansouty (général), II; III.
Napier, II.
Napper-Tandy, I.
Narbonne (de), I.
Nelson (amiral), I.
Ney (maréchal), I; II; III.
Niocel, I.
Noailles (Alfred de), III.
Nordmann (général), II.
O
Odier, III.
Œttingen (prince d'), III.
O'Meara (colonel), II.
Ordener (général), I.
O'Reilly (général), II.
Orléans (duc d'), I; II; III.
Orléans (Gaston d'), I.
Ott (général), I.
Oudinet (De Beaulieu), I.
Oudinot (maréchal), I; II; III.
Oudinot (Victor), II.
P
Pack (général), II.
Paget (général), II.
Palafox, II.
Pamplona (général comte), II.
Papon, I.
Parot (docteur), III.
Parque (duc del), II.
Partouneaux (général), III.
Pasqual, II.
Pasquier (duc).
Paul Ier, III.
Pelet (général), II; III.
Percy, II.
Pereiras (général), II.
Pérignon (maréchal), I.
Perquit (colonel), III.
Perron, II.
Pertelay, I; II.
Philippe le Bon, II.
Picart (colonel), I.
Pichegru (général), I; III.
Pierre le Grand, III.
Pierre III (roi de Portugal), II.
Pignatelli (prince), II.
Pino (général), III.
Pinoteau (colonel), I.
Platow (hetman), III.
Poitevin, III.
Polignac (prince de), I.
Pombal (marquis de), II.
Pommereul (comte de), I.
Poniatowski (prince), III.
Ponthon (colonel de), III.
Porcher de Richebourg, II.
Potemkin, II.
Pouzet (général), II.
Pozac, III.
Pradt (l'abbé de), III.
Préval (général), III.
Prud'homme, III.
Puy (Certain du), I.
Q
Quesnel (général), III.
R
Radetzky, II.
Rambuteau (comte de), I.
Rapatel, III.
Rapp (général), I; II; III.
Raymond (docteur), I.
Razout (général), II; III.
Reding (général), II.
Régnier (général), II.
Reille (général), III.
Renique, II; III.
Repnin (prince), I.
Rességuier (de), I.
Rey (général), III.
Reynier (général), II; III.
Richard Ier, roi d'Angleterre, II.
Rivière (de), I.
Roderjot, II.
Rochambeau (général de), III.
Roger-Ducos, I.
Rogniat (général), II.
Roguet (général), III.
Rouan (prince de), I.
Rome (roi de), III.
Romestan, I.
Ronsin (général), I.
Rosily (amiral), I.
Rostopschine, III.
Rothschild, I.
Roumestain, I.
Roussel d'Urbal (général), III.
Roustan, I.
Ruchel (général), I.
Russel (général), III.
S
Sacken (général), III.
Sacleux (colonel), I.
Sahuguet d'Espagnac (général), II.
Sainte-Croix (général d'Escorches de), II.
Sainte-Croix (Robert d'Escorches de), II.
Sainte-Église, II.
Saint-Geniès (général de), III.
Saint-Georges (chevalier de), I.
Saint-Germain (général de), III.
Saint-Hilaire (général), II.
Saint-Marc (général), II.
Saint-Mars (général de), II; III.
Saint-Sulpice, II.
Salicetti, I.
Salme (général), II.
Samson (général), I.
San Carlos (duc de), II.
Sanchez (Julian), II.
Sanguinet (de), I.
Sans-gêne (Mlle), I.
Sarrut (général), II.
Savary (duc de Rovigo), I; II; III.
Savary (colonel), I.
Saxe (maréchal de), II; III.
Saxe-Teschen (prince Albert de), II.
Schérer (général), I.
Schérer, I.
Schill, II.
Schmettau, I.
Schneit (colonel), III.
Schomberg (général comte de), I.
Schwartzenberg (prince de), III.
Sébastiani (général), III.
Ségur (général comte de), III.
Ségur (Octave de), II; III.
Sénarmont (général), I.
Septeuil (de), II.
Séras (général), I; II.
Sérurier (maréchal), I; III.
Sibille, I.
Sibuet (général), III.
Sicard (colonel), I.
Sieyès, I.
Sigaldi, III.
Simon (général), I; II.
Solignac, II; III.
Souham (général), III.
Soulès (général), III.
Soult (maréchal), I; II; III.
Soult (Pierre), II.
Souwaroff (général), I; III.
Spencer (général), II.
Spire, I.
Stabenrath (général), II.
Stabs, II.
Staël (Mme de), I.
Stein (baron de), III.
Steinghel (général), III.
Stibar (comtesse de), II.
Stoch (baron de), I; III.
Suchet (maréchal), I; II; III.
Sudernanie (duc de), I.
Sylveira (général), II.
T
Talbot (colonel), II.
Talleyrand (prince de), I; II; III.
Talleyrand-Périgord (de), II.
Talon (vicomte), III.
Tantz, III.
Tassin, II.
Tchitchakoff (amiral), III.
Teste (général), III.
Tharreau (général), II.
Thielmann (général), III.
Thomières (général), II.
Tillet, II.
Tolstoï (prince), III.
Trent, II.
Trepano (Colindo), I.
Trivulce (maréchal de), II.
Truguet (amiral), I.
Tzcinski, III.
U
Urquigo (d'), II.
V
Valois, I.
Van Berchem, III.
Vandamme, II; III.
Vauban (maréchal de), III.
Vaux (général de), I.
Vedel (général), II.
Verdal (de), I.
Verdier, III.
Verdier (général), II; III.
Vernet (Horace), III.
Vial (général), III.
Viana, II.
Victor (maréchal), II; III.
Villeneuve (amiral), I.
Vincent, II.
Virion (général), I.
Viry (de), II.
W
Washington, III.
Waters (colonel), II.
Wathier (général), II.
Wathiez (général), III.
Watteville (de), II.
Weber (général), II.
Weimar (prince de), I.
Wellington, I; II; III.
Willatte (général), I.
Williams (colonel), II.
Wilson, III.
Wittgenstein, III.
Woirland, I; II; III.
Wrède (général de), III.
Wukassowitz (général), II.
Wurtemberg (prince Eugène de), III.
Y
York (général), III.
Yvan (docteur), II.
Yzquierdo, II.
Z
Zach (général), I.
Zaniboni, II.