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Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (7/9)

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M. le duc d'Angoulême acquit de la popularité pendant cette campagne et montra un caractère qui l'honora. Le général Guilleminot ayant été choisi pour être son major général, le parti ultra-royaliste murmura. On voulut effrayer le prince par les opinions supposées à ce général, qu'on essaya même de compromettre. On fit partir par la diligence une malle remplie de cocardes tricolores, à l'adresse d'un de ses aides de camp. Cet envoi, qui fut dénoncé en même temps, et sans doute par ceux qui l'avaient fait, fut arrêté à la barrière. Grand éclat, grand scandale, grands cris; courrier expédié par le duc de Bellune pour faire arrêter cet officier; proposition de remplacer le général Guilleminot, et voyage du duc de Bellune à Bayonne dans l'intention d'être son successeur. M. le duc d'Angoulême vit le piége, et, il faut en convenir, le piége était grossier. Il dit que, puisque, quinze jours auparavant, on avait cru le général Guilleminot capable et digne de sa confiance, il devait en être de même encore en ce moment, et il avança l'officier contre lequel on avait dirigé cette misérable intrigue. Cette conduite sage et ferme éleva dans l'opinion M. le duc d'Angoulême et fit penser qu'on pouvait s'attacher à lui.

L'armée une fois en mouvement, ce prince se plaça au milieu des troupes, marcha à la tête des colonnes et se fit garder par les troupes de ligne, de préférence aux gardes du corps et à la garde royale. Enfin il fit à propos et noblement tout ce qui convenait pour se populariser.

On connaît cette campagne. Nulle part l'armée ne trouva la moindre résistance. On célébra beaucoup le premier coup de canon, tiré à la frontière contre un petit nombre de Français rassemblés autour du drapeau tricolore. L'on parla avec trop d'éloges d'une fidélité qui ne pouvait être mise en doute, en pareille circonstance. On eut l'air de mettre en parallèle cette dispersion de quelques centaines de pauvres diables sur un territoire étranger avec les événements de 1815 et la rencontre de Napoléon après son débarquement à Cannes, quand il se présentait lui-même à des troupes qui étaient peu de temps auparavant sous son autorité et qui étaient pleines de ses souvenirs. Le général Valin, commandant l'avant-garde, acquit en cette occasion une sorte de gloire. Les troupes constitutionnelles se retirèrent partout sans combattre. L'opération, au reste, fut bien conduite. On prit possession de Madrid. Maître de la capitale, M. le duc d'Angoulême organisa un gouvernement provisoire, une sorte de régence, qui, à peine établie, le contraria et rendit ses opérations difficiles. Il eût été sage de se déclarer lui-même régent, jusqu'au moment de la liberté du roi. Sa qualité de Bourbon lui donnait des droits particuliers à cette dignité. Il aurait ainsi évité des chocs scandaleux entre les troupes et ceux qu'elles avaient délivrés. Le parti persécuteur et avide qui faisait arrêter sous le plus frivole prétexte, et souvent dans le but unique d'avoir une rançon, n'aurait pas eu d'appui.

Les Cortès se réfugièrent à Cadix. On les y poursuivit. Les généraux Bordesoulle et Bourmont furent chargés du commandement des troupes dirigées sur ce point. À leur arrivée il était facile de s'emparer du fort du Trocadero, dont la possession donne le moyen d'approcher assez près de Cadix pour bombarder la ville; mais les Espagnols, revenus de leur première surprise, y mirent des troupes et l'armèrent. M. le duc d'Angoulême arriva avec des renforts, et on disposa tout pour attaquer ce poste, d'abord avec du canon et ensuite pour l'enlever de vive force. Cette entreprise réussit. Les troupes montrèrent de la valeur et entrèrent dans l'eau jusqu'aux épaules, sous le feu de l'ennemi. Quelque mauvaises que fussent les troupes espagnoles, l'entreprise était hardie, et le succès honore les soldats qui l'exécutèrent.

Une circonstance particulière marqua ce fait d'armes. Le prince de Carignan, déclaré héritier du trône de Sardaigne, le même qui, en 1821, avait été entraîné dans un mouvement politique coupable par des intrigues révolutionnaires, s'était décidé, pour expier ses torts, à venir en personne combattre la révolution d'Espagne. Il servait dans l'armée française comme volontaire. Il se plaça, lors du coup de main du Trocadero, avec les grenadiers de la colonne d'attaque, traversa le bras de mer au gué, soutenant, au moyen de sa haute taille et de sa main puissante, plusieurs officiers, qui, moins grands que lui, perdirent pied et étaient au moment de se noyer. Il parvint un des premiers sur les retranchements ennemis. Cette conduite énergique, qui honore celui qui en est l'auteur, éclaira sur-le-champ d'une auréole brillante les marches du trône sur lequel il devait s'asseoir un jour.

La prise du Trocadero fit combler de louanges M. le duc d'Angoulême. Il méritait certainement quelques éloges; mais les flatteurs le placèrent à la tête des grands capitaines. Ils dirent et répétèrent qu'il avait réussi là où Napoléon avait échoué, sottise dont la moindre réflexion fait voir l'absurdité. Il y eut une émulation incroyable parmi les flatteurs. Et M. de Chateaubriand fut un des premiers qui contribuèrent puissamment à enivrer M. le duc d'Angoulême, qui finit par se croire réellement un grand général. Il finit par s'imaginer qu'il avait fait la guerre, lorsqu'il n'avait fait que marcher contre des troupes qui se retiraient toujours à la seule vue de la poussière de sa cavalerie. Cela ressemblait plus à une chasse qu'à toute autre chose. Les récompenses furent prodiguées. Il était bon d'en donner quelques-unes; mais on ne mit aucune réserve dans leur distribution. Les intrigants furent encouragés. On faisait des récits solennels des moindres rencontres. L'on en vint jusqu'à rendre compte de prétendus combats, où pas un seul homme ne s'était trouvé, pour demander des grâces qui furent accordées.

Une fois le roi Ferdinand en liberté et replacé sur son trône, M. le duc d'Angoulême rentra en France, ramenant avec lui la plus grande partie de l'armée et ne laissant à Madrid qu'un corps d'occupation.

Je le répète, cette expédition fut bien conduite et elle mérite des éloges; mais aussi les difficultés étaient nulles. Elle fut un grand événement par l'esprit qu'elle donna aux troupes. Dès ce moment, les Bourbons eurent une armée. Pour peu qu'ils eussent gouverné avec sagesse, rien n'aurait pu les renverser. Leurs ennemis les plus ardents n'en concevaient alors ni la possibilité ni l'espérance.

Je ne veux pas quitter cet article de la guerre d'Espagne, en 1823, sans entrer dans quelques détails sur les intrigues de toute nature qui se sont liées à cet événement. L'expédition fut résolue, ainsi que je l'ai déjà dit, au congrès de Vérone, et la France fut chargée de l'exécuter au nom de toute l'Europe. Mais, l'opération à peine commencée, les fautes politiques d'un côté, et le mauvais vouloir de plusieurs de ceux qui l'avaient conseillée et demandée, semblaient créer à plaisir des obstacles à ses succès.

M. le duc d'Angoulême avait trois partis à prendre. Il pouvait traiter l'Espagne en pays conquis, ne fonder ses actes que sur les droits de la conquête, au titre de général de l'armée française, jusqu'au moment où Ferdinand, mis en liberté, serait remonté sur son trône et aurait repris les rênes du gouvernement.

Il pouvait aussi, en sa qualité de Bourbon, se déclarer régent pendant l'interrègne, et il pouvait enfin établir une régence composée de nationaux.

C'est à ce dernier parti qu'il s'est arrêté, et il était le plus mauvais; car c'était appeler, dans la mission sainte qui lui était donnée de rétablir l'ordre dans le pays, le concours des passions espagnoles, qui, aveugles et ardentes de leur nature, accompagnées toujours d'un fol orgueil, faisaient naître mille complications plus funestes les unes que les autres. Il arriva, ce qu'il aurait dû prévoir, que les mêmes Espagnols, que la Révolution avait matés et soumis, ne voulurent plus compter pour rien ceux qui venaient de leur rendre la liberté et sous l'appui desquels ils respiraient. Non-seulement ils ne montrèrent aucune déférence pour l'autorité française, mais encore ils devinrent une puissance rivale qui lutta contre elle avec la prétention de l'égalité. Ainsi les actes qu'une politique sage avait commandés, les traités sous l'empire desquels la pacification s'était opérée, et que le généralissime avait revêtus de son approbation, furent foulés aux pieds par les régents insensés.

Une nation, révoltée et en armes, capitule quand elle se soumet. Elle ne se rend pas à discrétion. Les armées qu'elle a levées ne peuvent pas être proscrites en masse. Si on veut la destruction de tout ce qui s'est soulevé, on éternise la guerre, dont les alliés libérateurs soutiennent seuls le poids. Enfin les questions capitales doivent être décidées par une politique sage et généreuse, et non par des passions populaires.

Il arriva cependant que la régence donna des ordres absolument opposés à ceux du duc d'Angoulême, et que ceux qui avaient mis bas les armes à la suite d'un traité et d'une amnistie régulière, comme les troupes de Ballesteros, furent poursuivies, incarcérées, dépouillées et fusillées. Bien plus, les passions politiques servirent souvent de masque à une cupidité honteuse; et tel individu ne fut arrêté que pour être mis à contribution quand on lui ouvrait les portes de sa prison.

Mais c'était une grande insulte faite à l'armée française, et ces fautes allaient ressusciter des troubles qu'il était important d'empêcher de naître. M. le duc d'Angoulême le sentit et se décida à rendre l'ordonnance d'Anduxar, devenue fort célèbre, contre laquelle quelques personnes ont beaucoup crié, mais qui était impérieusement commandée par la nécessité, la raison, la justice et la dignité de l'armée française.

Un de ceux qui l'ont le plus ouvertement critiquée est le prince de Metternich. En cela on peut supposer, avec quelque fondement, qu'il regrettait seulement de voir cesser une partie des embarras de l'armée française, et que, jaloux de ses succès, il voulait rendre sa tâche presque impossible. On en sera convaincu quand on saura qu'au commencement de l'expédition il avait décidé le roi de Naples à demander la régence pendant l'interrègne, et qu'il avait soutenu cette prétention de tout son pouvoir. Ainsi ce n'était pas assez, à leurs yeux, pour l'armée française, de rencontrer les obstacles de toute nature que le pays, l'esprit du peuple espagnol, ses passions, son ignorance et son orgueil insensé devaient lui créer à chaque pas, il fallait encore y ajouter ceux qui naîtraient de l'autorité et du concours d'un régent étranger à l'armée, ignorant les affaires du pays, et dont le pouvoir aurait été exercé par l'ambassadeur de Naples à Paris, le prince de Castelcicala, l'homme le plus intrigant et le plus brouillon qui fût jamais.

M. le duc d'Angoulême revint à Paris; il y fit une entrée solennelle. Toutes les troupes étaient sous les armes. Il vint trouver le roi, qui l'attendait aux Tuileries sur le balcon de l'horloge, du côté du jardin. Les troupes défilèrent. Étant de service à cette époque, c'est moi qui lui fis les honneurs de cette journée.

La santé de Louis XVIII allait, depuis une année, en décroissant d'une manière rapide. Tout faisait présager sa fin prochaine. L'affaiblissement de ses facultés et l'influence de madame du Cayla avaient contribué à mettre Monsieur dans les affaires. Ce prince finit par gouverner tout à fait, de manière qu'au moment où il monta sur le trône rien ne fut changé; et cependant il se manifestait des espérances vagues qu'une nouvelle direction allait être donnée à la marche du gouvernement.

La mort de Louis XVIII est un des spectacles les plus admirables dont j'aie jamais été témoin. Son courage, sa résignation, son calme, furent extraordinaires. Il envisagea sa fin sans inquiétude et sans terreur. Il la vit arriver sans montrer la moindre faiblesse. Je ne puis exprimer l'impression que je ressentis dans ce temps. Louis XVIII n'avait pas pour soutien les idées religieuses, si consolantes à l'heure suprême; il n'éprouvait pas cette foi vive qui créé des espérances au moment où tout est prêt à nous échapper. Il pratiquait régulièrement les devoirs de la religion, plus comme chose d'exemple et d'étiquette que comme un voeu de son coeur et une conviction de son esprit. Son affaiblissement progressif lui annonça, longtemps d'avance, l'approche du terme de sa vie. Cette vue si prodigieuse s'éteignait et lui faisait pressentir les ténèbres prêtes à succéder à la lumière. Il voulut être mis dans le secret de sa fin, et questionna Portal, son premier médecin. Il lui demanda si ses derniers moments seraient accompagnés de beaucoup de souffrances et d'un long séjour dans son lit. Portal refusa de répondre et rejeta bien loin l'idée de sa fin. Le roi insista et lui commanda de répondre, en ajoutant qu'il savait bien sa mort prochaine. Portal lui obéit et lui dit: «Sire, vous souffrirez peu et vous mourrez dans votre fauteuil si vous le voulez, et, dans tous les cas, vous resterez peu de temps dans votre lit.--Tant mieux, répondit le roi; je serai préservé des surplis de mon frère.» Réponse remarquable et qui indique les limites de sa croyance.

Ce pauvre roi s'affaissa graduellement, et au point d'avoir le corps courbé en cercle et le menton proche des genoux. Sa vie était presque éteinte. Malgré cet état de souffrance, il remplissait toujours les devoirs apparents de la royauté. Il reçut, le jour de la Saint-Louis, les visites d'usage. Ce spectacle faisait mal à voir. Quelle triste disposition pour célébrer sa fête! Le samedi, 11 septembre, il déjeuna encore avec nous, ou plutôt il vint à table occuper sa place accoutumée. On fit de grands efforts pour le relever assez pour lui faire avaler un verre de vin de liqueur. Ce jour-là fut le premier où il eut des moments d'absence. Je ne sais ce qu'il fit de désagréable à madame la duchesse d'Angoulême. Il revint à lui et, s'en étant aperçu, il lui dit, avec un calme admirable et une douceur angélique: «Ma nièce, quand on meurt, on ne sait pas bien ce qu'on fait.» Le même jour, madame du Cayla le vit pour la dernière fois, et elle ne sortit pas de son cabinet les mains vides. Elle lui présenta à signer un ordre d'acheter pour elle l'hôtel de Montmorency, situé sur le quai; et lui, aveugle et mourant, apposa au bas un trait informe, qui fut pris pour une signature régulière par M. le duc de Doudeauville, ministre de la maison du roi. Cet hôtel, immédiatement acheté et payé comptant au maréchal Mortier la somme de sept cent mille francs, devint la propriété de madame du Cayla.

Le roi répugnait à se mettre au lit. On l'y engagea fortement, et il répondit: «Ce sera l'avis officiel de ma fin prochaine; alors, jusqu'à ma mort, les spectacles seront fermés et la Bourse en férie. Tout sera suspendu: c'est une grande chose que la mort d'un roi de France. Il faut faire en sorte que le fardeau pèse le moins longtemps possible sur le peuple.» Il avait dit: «Je prévois aller jusqu'à jeudi; je pourrai encore tenir mon conseil le mercredi, et puis ensuite je partirai.» Le dimanche au soir cependant, il se coucha pour ne plus se relever. Le mardi, vers les deux heures après midi, on crut l'agonie arrivée, et tout le monde courut au château. Les prêtres, remplissant leur office, se mirent à réciter les prières des agonisants. Il reprit ses sens, et, ayant entendu l'un d'eux lui dire: «Sire, unissez-vous d'intention à nos prières,» il lui répondit: «Je ne croyais pas en être déjà là; mais, peu importe, continuez!» Sa vie se soutint encore pendant la journée et la nuit du mercredi. Le jeudi, à trois heures du matin, il expira. Il est impossible de ne pas admirer une fin si courageuse, si calme et si ferme. Il y a près de neuf ans, au moment où j'écris, que ce spectacle s'est offert à mes yeux, et j'en éprouve encore de l'émotion. Il n'est pas de grand homme dont la vie ne serait honorée par une semblable mort.

Tous les courtisans étaient rassemblés dans la galerie de Diane. La famille royale, les prêtres, les médecins et le service de chambre étaient seuls auprès du roi. Au moment où le médecin, qui tenait le bras de louis XVIII, eut déclaré qu'il avait cessé de vivre, madame la duchesse d'Angoulême se tourna vers Monsieur et le salua roi. Un moment après, le duc Charles de Damas vint, et, les larmes aux yeux, nous dit: «Messieurs, le roi est mort!» Peu de minutes après, le duc de Blacas sortit et dit: «Messieurs, le roi!» et Charles X parut. Sensation difficile à peindre que celle produite par cette double annonce en si peu de moments. Le nouveau roi fut entouré des charges, et tout, sauf la personne du roi, se trouva dans l'ordre accoutumé. Belle et grande pensée que celle de cette vie non interrompue du dépositaire de la souveraine puissance! Par cette fiction, il n'y a pas de lacune dans l'existence de ce pouvoir protecteur de la société, si nécessaire à sa conservation.

Le gouvernement était, par le fait, depuis plus d'une année, dans les mains de Monsieur. Ainsi le même ordre de choses devait continuer, et cependant il y avait du mouvement dans les figures; on voyait des espérances naître et des existences pâlir. Tout le monde accompagna le nouveau roi dans son appartement, au pavillon Marsan. Il fit connaître aux ministres qu'il les confirmait dans leurs fonctions. Chacun se retira et tout rentra dans l'ordre accoutumé.

Le roi alla s'établir à Saint-Cloud; là, il reçut les félicitations de tous les corps de l'État. Beaucoup de harangues lui furent adressées. Toutes renfermaient l'expression de l'amour public, et je crois qu'elles étaient sincères; mais l'amour du peuple est, de tous les amours, le plus fragile et le plus sujet à s'évanouir. Le roi répondit d'une manière admirable, avec à-propos, avec esprit et avec chaleur. Ses réponses, peut-être moins correctes que celles de Louis XVIII, avaient du mouvement et de l'âme; et il est si précieux d'entendre, chez ceux qui sont investis de la souveraine puissance, des choses qui partent du coeur, que Charles X eut un grand succès. Je l'écoutai avec soin, et j'admirai sincèrement cette facilité de varier son langage en parlant des mêmes sujets, et de modifier ses expressions suivant le degré d'éminence de l'autorité qui l'avait complimenté. Ainsi, au tribunal de première instance, à la cour royale et à la cour de cassation, on ne peut leur parler que de justice, et cependant la réponse adressée à l'un de ces tribunaux n'aurait pas convenu aux deux autres, tant la mesure était observée.

Les obsèques du roi eurent lieu suivant les formes de l'étiquette et les usages consacrés. Elles furent célébrées avec magnificence. Toutes les troupes qui étaient à portée furent réunies. M. le Dauphin fut chargé de mener le deuil. Chose remarquable! une discussion de prérogative et de droit s'étant élevée entre le grand aumônier et l'ordinaire, c'est-à-dire l'archevêque, il ne se trouva pas de prêtres dans le cortége funèbre du roi très-chrétien, dans le trajet du château des Tuileries à l'église de Saint-Denis.

Les restes du roi défunt forent déposés à Saint-Denis, dans une chapelle ardente. Pendant quinze jours chacun put s'y rendre pour prier. Enfin l'inhumation eut lieu. Cette cérémonie, dont les circonstances ont quelque chose de poétique et conservent encore l'empreinte du moyen âge, mérite d'être racontée avec détail.

Tout rappelle, dans cette occasion, l'origine des souverains, autrefois chefs militaires, menant les nations à la guerre et combattant à leur tête. Tout ce qui composait l'armure ou l'ornement de bataille d'un chevalier se trouvait réuni et était censé avoir été à l'usage personnel du roi. On y avait joint les symboles de la puissance publique. Ainsi, depuis les éperons jusqu'au heaume du roi, depuis sa lance jusqu'à l'épée de France et le drapeau de France, tout était porté par des individus de la cour, désignés à cet effet. Ces objets divers furent portés processionnellement dans le cortége. À une certaine époque de la cérémonie, le chef des hérauts d'armes appela successivement chaque individu en ces termes: «Monsieur le..., apportez les brassards (ou tout autre objet) du roi.» Celui qui en était chargé sortait de sa place, faisait huit révérences, et jetait dans le caveau ce dont il était porteur. Le drapeau du 1er régiment de la garde royale était placé entre mes mains.

Comme le pays ne meurt pas, deux insignes, destinés à représenter sa puissance, le drapeau et l'épée de France, sont appelés les derniers, s'inclinent sur la tombe sans y être précipités, et se relèvent après que le nouveau souverain a été proclamé aux cris de Vive le roi!

M. de Talleyrand portait le drapeau de France. J'ignore si sa charge de grand chambellan lui donnait cette prérogative. S'il en était autrement et s'il a été désigné par un choix spécial, on aurait pu le confier à quelqu'un qui aurait semblé mieux garantir sa conservation.

Cette cérémonie des funérailles d'un roi de France, dont peu de personnes vivantes avaient été témoins, eut un grand effet; car, quoiqu'elle soit éloignée de nos moeurs, elle a quelque chose de symbolique qui peint la société et indique les bases sur lesquelles elle est fondée. Un magnifique catafalque était placé dans l'élise; mais sa forme élégante et la nature de ses ornements ne rappelaient pas assez une cérémonie funèbre. Tels furent les derniers soins dont Louis XVIII fut l'objet.


CORRESPONDANCE ET DOCUMENTS

RELATIFS AU LIVRE VINGT-DEUXIÈME.

LYON EN 1817, PAR LE COLONEL FABVIER.

Ayant fait les fonctions de Chef d'État-Major du Lieutenant du Roi dans
les septième et dix-neuvième divisions militaires
18.

Note 18: (retour) Les événements de Lyon, quelque peu éloignés de nous par la date, sont tellement oubliés, que nos lecteurs seront sans doute bien aises d'en trouver une relation un peu plus étendue dans l'extrait que nous insérons ici. (Note de l'Éditeur.)

«... Les événements qui s'étaient passés à Lyon et dans quelques communes voisines, le 8 juin, avaient été présentés au gouvernement comme le résultat d'une conspiration aussi vaste dans son plan que grave dans son objet et atroce dans ses moyens.

«Il ne s'agissait de rien moins que de renverser le gouvernement après avoir immolé les autorités et livré au meurtre et au pillage la demeure de tous les vrais royalistes. Des bandes nombreuses, disait-on, étaient partout organisées; des armes leur avaient été distribuées; des sommes considérables consacrées à leur solde; elles avaient des chefs audacieux et entreprenants, et ce n'était là qu'une des ramifications d'un plan immense qui n'embrassait pas seulement les départements environnants, mais la France entière, qui se liait avec les mouvements de Lisbonne, avec la révolution de Fernambouc.

Cependant on apprenait, par les rapports mêmes, que ces bandes nombreuses n'avaient paru nulle part. Vingt gendarmes et quelques chasseurs des Pyrénées avaient suffi pour maintenir le calme ou pour le rétablir partout où il avait été un instant troublé; la ville de Lyon n'avait été témoin d'aucun mouvement, aucun membre du prétendu comité directeur n'avait été arrêté; quelques malheureux paysans avaient été seuls surpris dans leurs villages, s'agitant sans chef et sans but déterminé.

«Le gouvernement dut s'étonner en comparant de pareils résultats avec les suppositions qu'on vient de lire sur l'importance, la réalité et les causes du mouvement. Ses doutes s'augmentèrent à l'arrivée des documents officiels envoyés par un fonctionnaire dont le dévouement à la cause royale avait été prouvé d'une manière éclatante dans des circonstances difficiles.

«Mais ce témoignage isolé ne pouvait effacer les assertions unanimes des autres autorités. Celles-ci donnaient d'ailleurs, chaque jour, un nouveau poids à leurs accusations en dénonçant de nouveaux complots, en se disant sur la trace d'autres conspirateurs, en multipliant les arrestations. La cour prévôtale venait encore jeter dans la balance le poids de ses arrêts sanguinaires; le fatal tombereau parcourait lentement les communes qui entourent Lyon; au moment même où la hache faisait tomber les têtes de quelques malheureux, elle menaçait les jours d'un plus grand nombre; des horreurs sans cesse renaissantes semblaient ainsi destinées à couvrir les traces des premières horreurs, et la vérité devenait à chaque instant plus difficile à découvrir.

«Toutefois, au milieu des incertitudes où le jetaient des avis discordants, le gouvernement apprenait que le département du Rhône était livré à la plus grande terreur; que des soldats égarés traitaient les paisibles citoyens des campagnes comme les habitants d'une ville prise d'assaut; que les agents des autorités leur livraient une guerre plus terrible encore, et qu'il était à craindre que bientôt, lasse de sa résignation, la population, réellement révoltée, ne se fît elle-même justice de tous les excès dont elle était victime.

«C'est au milieu de ces graves circonstances que le maréchal duc de Raguse a été envoyé dans les septième et dix-neuvième divisions, avec les titres et les pouvoirs de lieutenant du roi. Il arriva le 3 septembre à Lyon.

«Il éprouva d'abord, pour connaître la vérité, les mêmes embarras qui avaient arrêté le gouvernement. Les principales autorités fournissaient des relations si uniformes, elles paraissaient encore si alarmées des dangers terribles qu'elles avaient conjurés, disaient-elles; elles citaient un si grand nombre de faits, se prévalaient de tant de révélations, se louaient si vivement de leur dévouement et de leur énergie, attaquaient enfin le témoignage et l'opinion du fonctionnaire qui s'élevait contre elles par des imputations si graves en apparence, qu'il fallut croire un moment que la conspiration n'était que trop réelle, que la France leur devait des actions de grâce, et que tout le mal qu'elles avaient fait avait été un mal nécessaire.

«Mais, à mesure qu'il lui fut permis de sortir du cercle étroit dans lequel il avait été renfermé pendant les premiers jours; lorsqu'il eut donné accès auprès de lui à tout ce que Lyon offrait de citoyens respectables par leur fortune, leurs lumières, leur industrie, leur caractère ou leur conduite, la situation terrible de cette ville et les événements qui l'y avaient plongée s'offrirait à lui sous un jour bien différent. Il s'imposa alors l'obligation de tout voir par lui-même: les nombreuses procédures de la cour prévôtale furent déroulées et examinées avec soin; tous ceux qui pouvaient donner des renseignements utiles furent interrogés. Il ne tarda pas ainsi à se mettre au courant de ce qui se passait encore, à apprendre ce qui s'était fait avant son arrivée, et bientôt le rapprochement du présent et du passé présenta d'abord la pénible conviction que des ennemis du repos de la France, abusant sans doute de la faiblesse et de l'erreur des principaux chefs de l'autorité, s'étaient emparés du pouvoir et qu'ils s'en servaient pour livrer à la plus étrange persécution tout ce qui ne partageait ni leurs principes ni leurs intérêts.

«La ville de Lyon et les communes qui l'entourent avaient vu renaître pour elles le régime de 1793. Comme alors, les hommes qui avaient le pouvoir proclamaient que la terreur seule pouvait le faire respecter, et n'agissaient que trop bien en conséquence de ce principe; comme alors, la haine avait pris la place de la justice, et tous les moyens paraissaient légitimes pour écraser ceux qu'on regardait comme des ennemis. Dans ces derniers temps, on ne frappait les victimes qu'après les avoir trompées, et la violence n'était que le dernier terme des combinaisons les plus révoltantes.

«Une foule d'agents parcouraient la ville et les campagnes, s'introduisaient dans les cabarets et jusque dans les maisons particulières, y prenaient le rôle d'un mécontent, exhalaient les plaintes les plus vives contre l'autorité, annonçaient des changements, des révolutions, et, s'ils arrachaient un signe d'approbation à de malheureux citoyens pressés par la misère ou tourmentés par mille vexations, ils s'empressaient d'aller les dénoncer et recueillir te prix de leurs infâmes stratagèmes.

«Les procédures de la cour prévôtale ont attesté l'emploi de ces moyens odieux; mais l'excès même avec lequel on s'y livrait les a bientôt rendus publics. Chacune des autorités ayant ses moyens de police à part, à chaque instant ces vils instruments se rencontraient sans se connaître, s'attaquaient avec une égale ardeur, et bientôt le moins diligent, dénoncé par l'autre, expiait un moment sous les verrous son infamie. Il fallait alors décliner sa mission: l'autorité intervenait pour réclamer son agent; le prisonnier disparaissait et allait ailleurs chercher une nouvelle proie ou préparer un nouveau scandale.

«À l'aide de ces nombreux délateurs, les prisons regorgeaient de victimes entassées avec un tel désordre, que la lecture seule des registres d'écrou prouvait à quel point était porté le mépris des lois et de l'humanité. Indépendamment de celles que la procédure ordinaire plaçait sous la main de la cour prévôtale, on voyait encore dans les caves de l'hôtel de ville des centaines de malheureux, victimes de vaines terreurs ou de funestes conseils; et là, ces malheureux, privés de tous soins comme de tout secours, attendaient des mois entiers la faveur d'être interrogés; et tel, qui ne l'a été qu'au bout de quatre-vingt-deux jours, a fini par être acquitté. L'arbitraire était porté dans toutes les parties de l'administration. Les autorités municipales prenaient des arrêtés contraires aux lois et condamnaient à l'emprisonnement pour des faits qu'aucune loi ne considère comme des délits.

«Un aussi funeste exemple ne pouvait manquer d'être suivi par les maires des communes rurales: aussi voyait-on plusieurs de ces fonctionnaires, oubliant leurs devoirs et méprisant toutes les lois, administrer leurs communes d'après leurs passions, imposer des amendes, des corvées, et tel d'entre eux, pour satisfaire sa haine, disposer des propriétés particulières sur le plus vain prétexte, et, par les insultes les plus graves, exciter le mécontentement de ses administrés.

«Lorsque les magistrats s'abandonnaient ainsi à leurs passions sans réserve et sans pudeur, il est facile de pressentir à quels excès se livreraient ceux qui étaient appelés à exécuter leurs ordres.

«Des colonnes mobiles parcouraient les campagnes, imposaient arbitrairement telle commune à leur fournir, non pas seulement des vivres qui ne leur étaient pas dus, mais des effets d'habillement.

«Des détachements chargés de protéger de cruelles exécutions ont ajouté à l'horreur de ce spectacle, en insultant, en maltraitant les femmes et les enfants que la terreur n'avait pas fait fuir de leur domicile, l'épouse qu'on venait de rendre veuve, la mère dont on venait de frapper l'enfant.

«Et, lorsqu'un cri d'indignation générale a forcé de livrer les coupables à la sévérité des lois, elles n'ont pu les atteindre, et c'est la terreur qu'ils avaient répandue qui assurait leur impunité 19.

Note 19: (retour) Le capitaine Darillon, qui commandait à Saint-Genis-Laval le détachement dont je viens de rappeler la conduite, acquitté par le conseil de guerre, était resté dans les rangs de son régiment, malgré les instantes demandes du corps d'officiers, et ce n'est que quelques jours après l'arrivée de M. le maréchal de Raguse qu'on a obtenu son renvoi.

Condamné en l'an XI comme parricide, le sieur Darillon s'était réfugié en Espagne, d'où il est rentré en France, à la suite de l'armée anglaise, en 1814.

«Ce n'était pas seulement au milieu des campagnes que les lois et l'humanité, plus respectable encore, étaient foulées aux pieds par des hommes indignes de porter l'habit de soldat; au milieu même de la ville de Lyon, sous les yeux de leurs chefs, ils prodiguaient l'insulte et l'outrage.

«Pendant notre séjour dans cette ville, un soldat, placé en sentinelle près d'une prison, lâche son coup de fusil à bout portant sur un malheureux qui, à travers les barreaux de sa fenêtre, leur reprochait les attentats de Saint-Genis-Laval. Au bruit de l'explosion la garde accourt, et, sans attendre l'ordre de son chef, fait feu sur les infortunés qui s'empressaient autour de leur camarade mourant. Deux sont blessés à ses côtés; l'officier du poste, traduit devant un conseil de guerre avec les soldats, a invoqué pour leur défense l'usage suivi jusqu'alors. Jusqu'à présent, disait-il, on a tiré dans les prisons presque journellement. Et cette horrible justification, qui n'eût dû servir qu'à livrer à la justice d'autres coupables, a suffi pour sauver ceux-ci 20. En vain les nombreuses irrégularités de ce jugement ont été dénoncées au conseil de révision; on n'en a retiré que la triste certitude que, dans l'état où se trouvaient les choses à Lyon, ce n'était plus la justice impartiale, mais l'aveugle et féroce esprit de parti qui départissait les peines et les absolutions, et nous verrons bientôt si les arrêts de la cour prévôtale étaient faits pour affaiblir cette conviction.

Note 20: (retour) En effet, on a appris que, depuis six semaines, la même chose était arrivée quatre fois, et qu'un détenu avait été tué roide à la prison de Roanne, sans qu'on eût fait aucune recherche.

Le jugement repose sur une prétendue consigne verbale que le lieutenant général commandant la division disait avoir retirée, et que plusieurs chefs de ce poste déclarent cependant avoir reçue.

«Ici je néglige une foule de détails qui ajouteraient à l'horreur de la situation de cette malheureuse contrée à l'époque de l'arrivée du maréchal. Je ne parle pas des patrouilles commandées et volontaires parcourant la ville à chaque instant du jour et de la nuit, après avoir chargé publiquement leurs armes. Je ne dis pas que chaque jour, depuis un an, des visites domiciliaires, exécutées avec plus de brutalité qu'on ne peut en supposer, allaient répandre l'effroi dans les asiles les plus respectables, dans les familles les plus honorées. Je ne rends pas compte des circonstances du désarmement opéré; je ne dis pas que tel habitant, après avoir abandonné les armes qu'il avait réellement, était obligé d'en aller acheter un plus grand nombre pour les livrer encore, parce qu'il avait plu aux agents de l'autorité de fixer la quantité qu'il était présumé posséder. Je ne dis pas que la persécution contre les officiers à demi-solde avait été poussée à l'excès le plus inconcevable; que, dans certaines communes, ils avaient reçu l'ordre de déposer jusqu'à leurs épées; que nulle part ils ne pouvaient se présenter en uniforme, ni paraître au spectacle et au café plus de deux ensemble sans s'exposer à être insultés et dénoncés.

«Il serait trop long aussi de raconter les destitutions pour cause d'opinion, de parler des femmes et des enfants jetés dans les cachots pour les forcer à indiquer l'asile de leur époux et de leur père.

«Le tableau révoltant dont je viens de tracer une légère ébauche devait bien faciliter l'explication des véritables causes de l'événement qui avait servi de prétexte à d'aussi terribles représailles. En voyant des magistrats se livrer tout entiers à l'esprit de persécution dans un moment où le besoin de concilier et de ramener les coeurs se faisait si vivement sentir, n'était-il pas naturel de soupçonner ou leur témoignage ou leur jugement à propos des faits sur lesquels la persécution était fondée.

«L'examen de ces faits eux-mêmes vint bientôt renforcer ces soupçons. Je crois qu'il est difficile de les connaître et de douter encore.

«Il est à remarquer qu'antérieurement au 8 juin, toutes les fois que des bruits de conspiration ont circulé, que des agitations sont devenues probables, des agents des autorités ont été arrêtés comme fauteurs de ces bruits ou de ces mouvements.

«Cette observation est justifiée par ce qui s'est passé à l'époque de la prétendue conspiration du 22 octobre 1816. Il fut alors constaté que le révélateur n'était autre chose qu'un agent de la police militaire, et qu'il avait lui-même organisé le complot par lui dénoncé.

«Aux mois de novembre et de décembre c'étaient encore des instruments de la même autorité qui fomentaient des troubles.

«Au mois de février, l'agitation devînt plus sensible, parce que la misère sans cesse croissante de la classe ouvrière les rendait plus susceptibles de recevoir les impressions funestes qu'on cherchait à leur faire prendre. C'est dès cette époque qu'on entendit parler d'enrôlements secrets.

«Le lieutenant de police fit alors arrêter plusieurs individus qui lui étaient signalés comme coupables de ces menées. Parmi eux se trouva le nommé Brunet, ancien facteur de la poste. Il ne nia pas la part qu'il avait prise aux enrôlements; mais il fut réclamé comme agent de police militaire, et à ce titre mis en liberté.

«Au mois de mai, ce fut le sieur Cormeau, capitaine de l'ex-garde, qui fut pris en flagrant délit. Mais, comme le sieur Brunet, il déclara qu'il n'avait fait qu'exécuter les ordres de l'autorité supérieure.

«Ce qui est remarquable, c'est qu'à chacune de ces époques l'arrestation de ces divers agents ne manquait jamais d'être suivie d'un calme profond, comme pour mieux attester que l'agitation était leur ouvrage.

«Nous voici arrivés au 8 juin. Je supprime une foule de détails pour n'offrir ici que les faits les plus importants.

«Voyons d'abord par quels effets s'est manifesté ce complot immense qui devait, ce jour-là, éclater à la fois dans Lyon et dans toutes les communes environnantes; entraîner sur cette ville la population presque entière des campagnes, armée et enrégimentée, pour s'y réunir avec des bandes non moins nombreuses, qui s'étaient déjà réparti les divers postes qu'il s'agissait d'enlever en plein jour en bravant une garnison nombreuse et dévouée aux ordres de ses chefs.

«Il est constant que Lyon n'a pas été témoin, le 8 juin, de la plus légère tentative. Pas un seul homme n'a été arrêté les armes à la main. Un ouvrier a été saisi à la barrière, se dirigeant hors de la ville et portant des cartouches; mais cet homme a affirmé sur-le-champ que le sac qui les contenait, à son insu, venait de lui être confié, une minute auparavant, par un individu qui devait le reprendre une minute après; mais la barrière par laquelle il sortait ne conduisait à aucune des communes en révolte, et enfin, dans aucun cas, cette circonstance n'empêcherait de conclure que la ville est restée étrangère au mouvement dans lequel elle devait jouer un si grand rôle.

«Qu'est-il arrivé dans les campagnes? Des communes qui entourent Lyon, onze seulement ont entendu sonner le tocsin, et, sur ces onze, quatre sont placées précisément à l'opposé des autres, et, par conséquent, à une distance qui ne leur permettrait ni de se réunir ni de se secourir mutuellement.

«Et combien d'hommes croit-on que le tocsin ait rassemblés dans ces onze communes? Deux cent cinquante en tout, parmi lesquels soixante seulement étaient bien ou mal armés, mais sans munitions, et dont un grand nombre est accouru avec des seaux, croyant être appelé pour éteindre un incendie 21.

Note 21: (retour) Ceux de Millery.

«Cette faible troupe a-t-elle du moins cherché à se réunir et s'est-elle dirigée sur Lyon? Deux communes seulement ont vu quelques-uns de leurs habitants sortir du territoire; partout ailleurs on s'est tumultueusement assemblé dans l'intérieur des villages pour se disperser après quelques cris séditieux et quelques voies de fait qui n'ont coûté la vie à personne.

«Tous ces faits sont constatés par les procédures dirigées contre ces malheureux par la cour prévôtale.

«Ce simple aperçu suffirait peut-être pour nous montrer cette prétendue conspiration comme la suite des combinaisons perfides, heureusement déjouées au mois d'octobre, au mois de novembre, au mois de février, au mois de mai précédents. Ne semblerait-il pas, en effet, que tout avait été disposé de manière à fournir un prétexte à la haine, un levier à l'ambition, sans faire cependant courir de danger réel aux spéculateurs?

«Mais ces considérations déjà si puissantes ne prennent-elles pas plus de poids encore lorsqu'on rapproche de ces faits quelques circonstances non moins remarquables; lorsque l'on considère que, d'après leur propre aveu, les autorités étaient instruites depuis plusieurs jours, et surtout dès le 7 juin, que le complot devait éclater le lendemain au soir; et cependant, ni le 7 juin ni le 8 au matin, il n'a été pris de leur part aucune mesure pour prévenir le mouvement des campagnes.

«Lorsqu'on trouve encore, parmi les plus ardents moteurs de l'émeute, des agents de l'autorité;

«Lorsqu'on voit que le nommé Brunet, le même homme qui, arrêté au mois de février comme coupable d'enrôlement séditieux, avait été mis en liberté en qualité d'agent de police militaire, à été saisi de nouveau comme l'un des hommes qui avait prêché l'insurrection avec le plus d'audace; lorsqu'on sait que ce misérable, relâché bientôt après par un ordre du prévôt, arrêté de nouveau par celui du lieutenant de police, a été définitivement élargi d'après une déclaration écrite d'un adjudant de place, portant que Brunet n'a rien fait que par ses ordres;

«Lorsqu'il est constant que presque tous ceux qui avaient affecté de se mettre à la tête du mouvement ont disparu sans qu'on ait fait aucune démarche pour faire tomber sur eux les rigueurs dont on a accablé les malheureux paysans qu'ils avaient égarés ou trompés;

«Lorsqu'on voit les événements qui ont suivi le 8 juin empreints du même caractère que ceux qui l'ont précédé.

«Le gouvernement, on s'en souvient, averti par les rapports du lieutenant de police, avait manifesté quelques doutes sur les causes et l'importance du complot. Si, dès lors, le calme eût subitement succédé au court orage qui venait de gronder pendant quelques heures dans quelques communes rurales, il eût été difficile d'échapper à la manifestation de la vérité. On sentit le besoin de le faire gronder encore pour convaincre de sa réalité, et il faut convenir qu'il y a lieu de s'étonner qu'une semblable conduite n'ait pas rendu ce département le théâtre d'une épouvantable catastrophe.

«Si l'on se rappelle, en effet, les horreurs commises, les actes arbitraires, les vexations, les insultes dont on a accablé une population généreuse; si l'on fait attention que ces persécutions frappaient des hommes que la stagnation du commerce, que la misère, qu'une administration malfaisante, excitaient au mécontentement; si l'on considère qu'avant l'arrivée du maréchal ces hommes semblaient abandonnés par le gouvernement lui-même, mal instruit des faits, à la haine de leurs ennemis et ne pouvaient attendre leur délivrance que de leur désespoir, pourrait-on assez admirer leur longanimité, assez louer le sacrifice généreux qu'ils ont fait pendant si longtemps de leurs trop justes ressentiments?

«Eh bien, pour se faire une idée de cette admirable conduite, il faut connaître les piéges affreux qu'on a semés partout sous les pas de ceux dont on avait exaspéré les esprits.

«Le moyen le plus fréquemment employé, et le plus dangereux sans doute, était d'indiquer des points de ralliement, de répandre le bruit d'une conspiration générale, de placer à sa tête des généraux renommés par leur bravoure et par la haine qu'on leur suppose contre le gouvernement actuel.

«Dès la fin du mois de juin, on entendit répéter partout que les mécontents, désespérés de n'avoir pu se réunir le 8 juin, allaient tenter une nouvelle attaque. On annonçait surtout, pour un jour fixe, un mouvement à Tarare et dans les communes environnantes; les forêts voisines recélaient, disait-on, un grand nombre de révoltés: un agent du gouvernement, qui a visité cette forêt dans le plus grand détail, n'y a trouvé que deux mendiants et un vagabond.

«Un nommé Fiévée, dit Champagne, est arrêté comme l'un des provocateurs de ces troubles; il avoue qu'il a reçu une mission d'un particulier connu.

«À l'instant les bruits cessent, et Tarare est tranquille.

«Quelques jours après, des bruits plus intenses circulent dans la ville et dans les campagnes; c'est décidément le 25 août que les révolutionnaires ont assigné pour se livrer au massacre et au pillage, et renverser le gouvernement. Le nommé Blanc, arrêté au moment où il se rendait à Villefranche, pour y suivre des opérations, se déclare agent de l'autorité. Sur son carnet étaient inscrits comme conspirateurs dix-huit habitants des plus respectables de Villefranche, avec lesquels il prétendait avoir assisté à une réunion séditieuse; interrogé et confronté, il avoue qu'il n'en a vu aucun, et que ces noms lui ont été fournis chez un fonctionnaire public de cette ville.

«Le bruit de cette prétendue insurrection était tellement répandu, que, la veille du jour fixé, plus de six mille habitants sortirent de Lyon, pour fuir les dangers dont cette ville leur paraissait menacée.

«Toutefois tout fut tranquille le 25 août, comme les jours précédents. C'est peu de jours après que le maréchal duc de Raguse arriva à Lyon: il y a paru sans troupes, n'y a fait aucune menace, aucune démonstration militaire; et depuis lors, non-seulement il n'y a pas eu le plus léger mouvement, mais aucun bruit alarmant n'a désormais circulé. Cette circonstance ne semble-t-elle pas faite pour achever de démontrer que le repos de cette contrée n'eût jamais été troublé, si l'autorité y avait été constamment entre les mains d'hommes capables de résister à toutes les tentations, à toutes les passions, pour veiller courageusement à l'exécution des lois, premier intérêt et première volonté du roi.

«Je n'ai pas parlé encore de tous les moyens employés pour essayer de tromper le gouvernement et la France sur l'intensité du mal que l'on prétendait avoir arrêté, sur la gravité des dangers dont on se vantait d'avoir sauvé le royaume.

«Il me reste à jeter un coup d'oeil sur le plus déplorable, sur le plus odieux de tous ces moyens, parce qu'il a entraîné des malheurs irréparables, parce que la justice elle-même en est devenue complice, et que des malheureux ont succombé dans le sanctuaire même où l'indépendance et les lumières des magistrats semblaient leur promettre et protection et justice.

«Il devenait essentiel, pour ceux qui avaient proclamé l'existence d'un atroce et immense complot, que les malheureux, de l'ignorance et de la misère desquels on avait abusé, fussent jugés avec la plus grande rigueur. La gravité des peines et le nombre des condamnés parurent un moyen puissant de faire croire à la gravité du crime et au grand nombre des coupables. Par une fatalité que je ne cherche point à expliquer, la cour prévôtale n'a que trop bien servi cette odieuse combinaison.

«On remarque d'abord le soin qu'elle a mis à diviser en onze procédures différentes ce qui ne devait évidemment faire l'objet que d'une seule, d'après le propre système de l'accusation. En effet, bien que les mouvements eussent eu lieu dans diverses communes, ils avaient éclaté le même jour et à la même heure, et dépendait, disait-on, d'un seul et même complot.

«Or cette division insolite et illégale n'a pas seulement eu l'effet de prolonger pendant quatre mois la terreur que devaient répandre l'instruction, les arrêts et les exécutions qui en étaient la suite; elle a encore fourni, pour augmenter le nombre des victimes, un prétexte qu'une seule et même procédure eût sans doute fait disparaître.

«Vainement les auteurs du Code pénal, cédant à un sentiment d'humanité et de justice et aux leçons de la prudence, avaient prescrit de ne frapper, et même de ne poursuivre que les auteurs et les chefs, soit qu'il s'agisse d'une association de malfaiteurs, soit qu'il s'agisse de punir un attroupement séditieux. (Articles 100, 267 et 292.)

«Vainement ici les procédures elles-mêmes attestaient-elles que les auteurs ou directeurs vrais ou apparents du complot étaient contumaces; que les infortunés qui gémissaient aux pieds de la cour prévôtale n'étaient presque tous que de misérables paysans, qui s'étaient assemblés en tumulte au bruit du tocsin et s'étaient dissipés, peu d'heures après s'être réunis, sans avoir reçu les armes qui leur avaient été promises, sans avoir vu les chefs qui devaient se mettre à leur tête, et enfin sans avoir fait la plus légère tentative pour exécuter le plan qu'on leur supposait.

«La cour prévôtale, cédant sans doute à l'erreur, mais à l'erreur la plus cruelle et la plus déplorable, a fait passer sur la fatale sellette, à l'aide de ses onze procédures, cent cinquante-cinq accusés, dont cent vingt-deux présents; et, dans ce nombre, le plus considérable peut-être qu'aucune procédure criminelle ait jamais traîné devant les tribunaux, chose horrible à dire! presque aucun n'a échappé à une peine plus ou moins grave. Vingt-huit ont été condamnés à la mort; six aux travaux forcés; trente-quatre à la déportation; quarante-deux à un emprisonnement plus ou moins long, et les autres soumis à une longue surveillance et à un cautionnement qu'ils sont hors d'état de fournir.

«Ainsi, sur un attroupement qui n'a pas excédé deux cent cinquante hommes, et dont soixante seulement étaient armés, plus de cent dix auront été condamnés comme auteurs ou comme chefs de la sédition 22.

Note 22: (retour) Dans une seule commune, Amberieux, dix-neuf sont désignés comme ayant rempli des emplois.

«Et, de tous ces malheureux, un seul a fait résistance à la force publique en blessant un gendarme qui allait le frapper. Tous les autres ont fui désarmés avant que quelques cavaliers, envoyés à leur poursuite, eussent eu le temps de les atteindre; et ceux qui, dans un premier moment de terreur, avaient cherché un refuge dans les bois étaient sortis de cet asile, se fiant aux proclamations et aux promesses, qui étaient faites par leurs maires et par leurs curés, d'un pardon généreux.

«C'est dans ces circonstances, c'est au mépris de la double garantie qu'offraient à ces hommes égarés et l'indulgence de la loi et la parole de leurs magistrats et de leurs pasteurs, que cent cinquante familles sont plongées dans le deuil, dans la misère et dans la désolation.

«Cet aperçu est révoltant sans doute; il serait facile de le rendre plus révoltant encore, en offrant ici le tableau des irrégularités graves et nombreuses qui ont signalé et l'instruction et les arrêts. On eût dit que la justice et la loi, indignées, avaient refusé, dans cette circonstance, et leurs formes et leur langage. L'accusation, vaguement conçue, était toujours suivie d'une non moins vague condamnation. Souvent même la condamnation supposait un attentat dont l'accusation n'avait pas parlé. En un mot, les arrêts ne ressemblaient que trop souvent à ces jugements en masse qui nous rappellent une si terrible époque, et dans lesquels le seul point important était qu'ils continssent le nom des victimes.

«La douzième procédure n'était pas encore terminée lors de l'arrivée du maréchal dans la dix-neuvième division. Celle-ci était destinée à faire justice des coupables qui pouvaient appartenir à la ville de Lyon.

«L'instruction durait depuis quatre mois, et rien n'annonçait encore le jour du jugement. Le maréchal demanda les causes de ce retard extraordinaire et fâcheux; on ne put en donner de satisfaisantes. Il insista pour qu'il fût mis un terme à l'horrible agonie des malheureux que la hache menaçait encore et à l'épouvante que la contrée entière éprouvait. Il l'obtint avec peine.

«Le résultat a prouvé que la cour prévôtale n'avait pas épuisé ses rigueurs. Mais la procédure est venue confirmer, ce qui était devenu déjà si évident, que l'insurrection qui avait eu lieu ne tenait nullement à ce plan vaste et combiné qu'on avait supposé; qu'il n'y avait parmi les insurgés aucun but arrêté; les uns croyant s'armer pour rétablir Napoléon, d'autres pour le prince d'Orange, ceux-ci pour la république, ceux-là contre les étrangers; qu'il n'existait ni bandes organisées, ni dépôt d'armes, ni chefs connus, ni sommes distribuées 23; que les séditieux n'ont su qu'entreprendre, et n'ont rien entrepris; elle a prouvé enfin que l'insurrection était l'ouvrage de quelques misérables, ardents à compromettre par les bruits mensongers, par de fausses espérances et par des menées criminelles, tous ceux que leur faiblesse, leur mécontentement et leurs besoins rendaient plus susceptibles d'être leurs dupes.

Note 23: (retour) Si ce n'est environ mille francs, sur lesquels le sieur Barbier, révélateur, a réservé pour lui huit cent vingt et un francs.

«Mais ce qui en résulte de plus remarquable encore, c'est l'indice des étrange moyens employés pour parvenir à ajouter au témoignage des espions le témoignage de quelques-unes de leurs malheureuses victimes.

«Cinq accusés, Vernay, Coindre, Caffe, Gaudet et Geibel, avaient, dans leurs interrogatoires écrits, compromis diverses personnes; dans les débats ils ont désavoué, comme d'horribles mensonges, les déclarations qui les mettaient à l'abri de la justice et de la vengeance, et protesté qu'elles leur avaient été arrachées par des menaces atroces, par l'espérance que ces révélations les feraient acquitter; plusieurs même ont protesté qu'on avait écrit ce qu'ils n'avaient pas dit dans leurs interrogatoires, subis à la mairie. L'un d'eux surtout, le nommé Vernay, qui, condamné à la peine de mort par contumace, avait été surpris dans son asile, et se trouvait réduit à lutter contre une première condamnation, épouvanté par sa position, par le sort de tant de malheureux, avait perdu la raison et adopté aveuglément toutes les fables dont on avait cru avoir besoin pour donner quelque crédit au système d'accusation.

«Arrivé devant la cour prévôtale, en présence d'un nombreux auditoire, ce malheureux balbutia d'abord quelques mots dans le sens de ses prétendues révélations; mais bientôt, cédant à ses remords et au cri de sa conscience, il ne veut plus d'un salut qui lui coûte un parjure, et, subissant l'entraînement que fait naître presque toujours une inspiration généreuse, il s'écrie, avec cet accent que le mensonge n'imite pas: «J'atteste ce Christ, qui est devant mes yeux, que ce que j'ai dit n'est pas la vérité; on m'y a forcé par les plus terribles menaces. Je vous eusse accusé vous-même, monsieur le président, si on l'eût exigé. Me voilà à votre disposition; vous pouvez me faire mourir, je le sais; mais j'aime mieux mourir sans honte et sans remords que de vivre déshonoré par le mensonge et la calomnie: quand vous voudrez, je suis prêt.»

«Nous autres spectateurs de ce débat, nous nous souviendrons longtemps de la profonde émotion que fit naître ce désaveu noble et touchant. Il ne désarma pas les juges de Vernay: ils condamnèrent ce malheureux au dernier supplice, pour n'avoir pas persisté dans sa prétendue révélation. À côté de lui, Barbier, Volozan et Bitternay, qui s'avouaient chef du complot, furent acquittés comme révélateurs.

«Je me hâte d'ajouter que la cour prévôtale, sans doute subjuguée elle-même par cette scène touchante, crut devoir surseoir à l'exécution de son arrêt et que Vernay a sur-le-champ obtenu sa grâce.

«Ici se terminent enfin les opérations de la cour prévôtale, relatives aux événements du 8 juin. En parcourant cette esquisse rapide, le lecteur ne verra que trop bien que les actes de l'autorité judiciaire ne sont pas faits pour changer ou affaiblir l'opinion qu'on a recueillie de l'examen des faits; il peut connaître maintenant la nature des événements dont la France a été un instant la dupe, et le département du Rhône la déplorable victime.

«Après avoir essayé de donner une idée des malheurs qui ont accablé cette contrée, de l'état de trouble et d'angoisse dans lequel elle était plongée, il me reste à dire ce qui a été fait pour arrêter le mal et prévenir celui qui était encore à craindre.

«Les premiers soins du maréchal ont été de faire cesser l'arbitraire et de rendre aux lois la force qu'elles avaient perdue; de faire tous ses efforts pour rapprocher ce qu'on avait affecté d'isoler, calmer les esprits qu'on avait exaspérés, former des réunions faites pour représenter la ville, et non une faction, rendre à tous une justice égale, tendre aux malheureux une main secourable.

«Il a fallu ensuite inspirer aux persécuteurs une crainte utile, donner quelque satisfaction aux persécutés; pour cela, huit maires ont été suspendus de leurs fonctions 24, et six officiers ont été renvoyés. Le gouvernement a sanctionné ces mesures. Les maires ont été définitivement révoqués 25, et les six officiers renvoyés dans leurs foyers.

Note 24: (retour) Deux de ceux qui ont signé la pétition adressée à la Chambre des députés avaient chacun deux mairies à la fois. On leur a laissé celle des communes où ils avaient leur résidence; le troisième réside à Lyon, où son état de médecin le fixe toute l'année.
Note 25: (retour) On a feint de craindre une réaction dangereuse pour ces maires révoqués. Deux rapports officiels ont été demandés sur cet objet; tous deux ont prouvé que les craintes étaient mal fondées: les lois protégent ces messieurs comme elles auraient dû protéger leurs administrés.

«Il n'en a pas coûté davantage pour rétablir le calme; de nouvelles autorités le maintiennent, et se feront bénir par une population paisible.

«Tous les condamnés à moins de cinq ans ont eu leur grâce entière; ceux à plus de cinq ans ont été remis à un an; ceux à la déportation à trois ans, ainsi que ceux condamnés aux travaux forcés; la peine de Vernay a été commuée en dix ans de prison.

«Toutes les amendes ont été remises, et c'est un bienfait qui touche plus de cinq cents habitants.»


À SON EXCELLENCE, MONSIEUR LE DUC DE RICHELIEU

président du conseil des ministres.

«Monsieur le duc,

«Vous vous rappellerez sans doute les sentiments pénibles que j'éprouvai il a quelques mois, lorsqu'au retour d'une mission toute pacifique les passions se déchaînèrent contre moi, quoique les résultats les plus évidents et les plus salutaires attestassent à la France entière et les intentions paternelles de Sa Majesté en me chargeant de cette mission, et le but de mes efforts. Je pus mépriser les écrits obscurs qui furent répandus contre moi; je dédaignai même de répondre aux sorties violentes qui retentirent dans la Chambre des députés; j'avais pour moi l'approbation publique et solennelle du roi, le sentiment d'avoir bien fait, et l'ardeur de mes amis à me défendre et à fixer l'opinion sur les circonstances qui caractérisent les événements qui ont momentanément troublé la paix de la seconde ville du royaume. Aujourd'hui que la résolution généreuse que prit dans le temps le colonel Fabvier est un motif d'accusation contre lui; aujourd'hui que l'on veut mettre en question la véracité de ses récits, lorsque ses récits lui ont été inspirés par son amour du bien public et son attachement pour moi, je dois prendre la parole, et par mon assertion y ajouter tout le poids que je puis leur donner.

«Les rapports que vous avez reçus de moi, monsieur le duc, lorsque toute la vérité m'a été connue, établissent tous les faits dont le colonel Fabvier a publié le tableau. Tout ce qu'il a écrit peut être justifié, et, si jamais une enquête faite avec courage et impartialité constate aux yeux de la France ce qui s'est passé dans ce malheureux pays, on verra que de choses il aurait pu dire encore; et vous savez, monsieur le duc, que ce n'est pas la première fois que j'exprime le voeu de cette enquête. Beaucoup de gens ont paru blâmer les révélations faites par le colonel Fabvier, et ceux-là mêmes n'avaient pas trouvé mauvais des attaques injustes. Singulier privilége que celui qui autoriserait l'attaque et proscrirait la défense!

«On s'est récrié contre la censure qui a été faite des actes d'un tribunal malheureusement trop célèbre. Je sais le respect que l'on doit à la chose jugée; mais, lorsque les lois sont impuissantes pour réparer les iniquités, il faut que l'opinion en fasse justice, qu'elles lui soient signalées afin d'en prévenir le retour: ainsi, loin qu'il soit contraire aux intérêts de la société de montrer au grand jour ce triste monument des passions des hommes, cette manifestation est conforme aux devoirs d'un bon citoyen, et certes ce serait assumer la durée de leurs déplorables effets que de les enfouir au centre de la terre, comme certaines gens en ont exprimé le désir avec tant de candeur.

«On a prétendu que c'était attenter à la dignité du gouvernement, que de signaler la coupable conduite de ses agents. L'honneur du gouvernement n'est pas dans l'impunité de ceux qu'il emploie. L'homme qui, revêtu d'un pouvoir, en use dans un but différent de celui pour lequel il lui a été confié, l'homme qui en tolère un emploi condamnable, l'un et l'autre sont coupables. Dépositaires d'une portion de l'autorité royale, de cette autorité protectrice et salutaire à l'ombre de laquelle reposent les citoyens, ils sont responsables du mal qu'ils ont fait comme du mal qu'ils n'ont pas empêché; le dépôt qu'ils ont entre les mains est un trésor dont le bon emploi intéresse autant et plus encore le souverain que les citoyens; car, si la victime d'une injustice est blessée dans ses droits, le souverain est menacé dans le premier de ses biens, dans l'affection de ses peuples... Et quelle épouvantable conséquence ne résulte-t-il pas de la conduite d'agents faibles ou passionnés, de représenter aux yeux du peuple entier celui qui est dépositaire de la toute-puissance comme incapable de protéger, et de représenter au prince le peuple que des souffrances ont blessé, comme son ennemi, quand au fond dur coeur ce peuple ne demandait pour prix de sa fidélité et de son dévouement que la protection qu'il était en droit d'exiger, protection qu'il était également dans l'intérêt, dans les devoirs et dans les sentiments du monarque de lui accorder?

«Pour combattre les assertions du colonel Fabvier, le général Canuel se prévaut du dédommagement très-léger que je demandais en sa faveur, en même temps que j'insistais sur la nécessité de son changement; il ne devait voir dans ma conduite que mon impartialité et les incertitudes que j'éprouvais encore. La vérité ne se montre qu'avec lenteur au grand jour, et celui qui la cherche de bonne foi la contemple souvent pendant longtemps avant de la reconnaître. Ce n'est que plus tard que j'ai acquis les lumières qui ont fixé d'une manière absolue mon opinion sur les événements de Lyon. Le général Canuel attaque en calomnie le colonel Fabvier; il doit me comprendre dans son accusation, car je déclare ici solennellement que l'écrit qu'il attaque ne renferme que la vérité. Au surplus, si le général Canuel appelle devant les tribunaux tous ceux qui professent hautement la même opinion, il y fera comparaître la France presque entière.

«Je vous demande pardon, monsieur le duc, de la publicité que je donne à cette lettre; vous rendrez justice au motif qui me décide, et vous êtes trop familier avec les sentiments d'honneur et de délicatesse pour ne pas l'approuver.

«Je prie Votre Excellence de recevoir l'assurance de ma haute considération.

«LE MARÉCHAL, DUC DE RAGUSE.



«Châtillon-sur-Seine, le 1er juillet 1818.»


NOTE DU DUC DE RAGUSE SUR LES ÉVÉNEMENTS DE LYON
adressée aux membres de la chambre des députés.

«On vient de rendre compte à la Chambre des députés d'une pétition signée par trois maires du département du Rhône qui réclament contre les dispositions qui les révoquent. Les conclusions de la commission, adoptées par la Chambre, en ont fait justice et pourraient me dispenser de donner des explications à cet égard. Cependant, comme il est étrange que des individus placés dans leur position osent appeler l'attention publique sur eux, et comme le profond silence qui a été gardé sur les événements de Lyon pourrait donner de la consistance à ces libelles répandus chaque jour pour égarer les esprits, je sens qu'il est de mon devoir de donner, sinon un détail complet de ce qui s'est passé, ce serait dépasser les bornes que je me suis prescrites, et d'autres s'en chargeront bientôt; mais au moins je veux soulever assez le voile pour que l'opinion publique puisse enfin se fixer.

«Je commencerai d'abord par répondre à la pétition des maires; j'entrerai ensuite en matière.

«La pétition est signée par MM. Henri Destournelles, Durand et Figurey.

«M. Destournelles était tout à la fois maire du faubourg de la Guillotière et de la commune de Saint-Didier au Mont-d'Or. Il lui était impossible de remplir cette double fonction; je lui ai ôté la mairie qui était loin de sa résidence.

«M. Durand était également maire de deux communes, celle de Neuville et celle de Fleurieux. Il ne pouvait pas occuper deux mairies ensemble; je lui ai ôté celle de Neuville, et cet acte a paru un grand bienfait aux habitants, qui en ont témoigné hautement toute leur joie.

«M. Figurey est un médecin qui passe sa vie à Lyon, et qui cependant avait été nommé maire de Brignais. Les occupations de son état l'empêchaient de remplir ses fonctions municipales, et notamment le 8 juin il s'est bien gardé de se rendre à son poste pour y faire respecter l'autorité du roi.

«Tels sont les individus et les circonstances qui servent de prétexte à une pétition présentée contre un prétendu abus de pouvoir. Voyons maintenant ce qui s'est passé à Lyon.

«Je n'ai pas le projet de repousser des injures; mais je sens le besoin de prendre la défense de Français que l'on signale à la haine de leurs concitoyens sans qu'ils l'aient méritée. L'exposé de quelques faits préparera les esprits à la connaissance de tristes vérités, et il sera prouvé un jour que cette ville qu'on se plaît présenter comme un foyer de troubles et de révoltes a éprouvé tous les maux que les malheurs de notre époque et l'esprit de persécution de quelques individus pouvaient réunir sur elle, sans que la masse de sa population ait cessé d'être résignée, fidèle, amie de l'ordre et de la paix.

«J'arrivai à Lyon le 3 septembre, muni des pouvoirs les plus étendus pour les circonstances les plus extraordinaires. Je ne vis d'abord que les autorités. Toutes s'accordaient dans leurs récits. À les entendre, le danger avait été immense; on devait le salut de la ville et de la France à leur énergie; le peuple était comprimé par la terreur militaire, malgré le nombre et la fureur des factieux; leurs combinaisons embrassaient, disait-on, le monde entier, et les révolutions de Lisbonne et de Fernambouc, d'accord avec celle de Lyon, en étaient la conséquence. Depuis le 8 juin, on n'avait cessé de prédire des mouvements pour les jours fixes: le 25 août avait été désigné pour une insurrection générale; la tranquillité ne fut pas troublée, mais la terreur avait été si vive, que, suivant le rapport de M. le maire de Lyon, six mille personnes en étaient sorties l'avant-veille.

«Par suite de ces inquiétudes, fondées ou imaginaires, les autorités prenaient, sans s'inquiéter des lois, les précautions que leur inspiraient leurs craintes ou tout autre motif. Ainsi les troupes faisaient le service le plus actif et les patrouilles les plus rigoureuses, auxquelles se joignaient encore des hommes de bonne volonté, choisis particulièrement pour ce service. Les espions des différentes polices organisées dans Lyon se croisaient dans les ateliers et les cabarets; les prisons étaient remplies sans qu'on songeât à exécuter les articles peu nombreux des lois qui veillent aux droits et à la santé des détenus. Les rapports des diverses autorités au gouvernement s'accordaient dans leurs éloges réciproques et dans les plans de conspiration qu'ils prétendaient découvrir. Les agents subalternes imitaient ce zèle. Ainsi chaque citoyen était exposé à l'action illégale d'une foule d'agents plus ou moins insolents; des visites domiciliaires se faisaient arbitrairement depuis un an par des officiers, des commissaires, etc., sans qu'on observât aucune des formalités voulues par les lois; des espions, qui ne trouvaient pas matière à montrer leur zèle et à gagner leur argent, cherchaient à organiser des troubles; lorsqu'un d'eux était tombé dans les filets de quelque autre, il était réclamé par une autorité qui l'avouait, et il sortait de prison pour aller opérer ailleurs. Le spectacle, les lieux publics, avaient été abandonnés par les citoyens opprimés. Les officiers en non-activité étaient principalement l'objet de toutes les persécutions, de toutes les embûches, de toutes les humiliations; dans quelques communes, on voulut même, lors du désarmement, les forcer à déposer leurs épées à la mairie!

«Le maire de Lyon avait fait jeter dans les cachots et entasser dans les caves de l'hôtel de ville plus de deux cents personnes, et tel individu, ainsi qu'il a été prouvé par les débats devant la cour prévôtale, est resté quatre-vingt-deux jours au secret sans être interrogé, et cependant a fini par être acquitté. Plus de vingt personnes, qui n'étaient accusées d'aucun délit, avaient été également arrêtées d'après ses ordres, et dans l'objet seul de les forcer à dire où étaient leurs parents ou leurs amis, leurs pères mêmes!

«Le même magistrat présidait un tribunal que la loi ne connaît pas et condamnait à des amendes et à la prison.

«Les campagnes éprouvaient aussi des vexations sans nombre et presque incroyables. Des rapports officiels que j'ai entre les mains, font connaître que tel ou tel maire a imposé les corvées les plus pénibles aux habitants de sa commune, sans autres règles que son caprice ou sa haine, dégradé, sous de vains prétextes, les propriétés de ceux de ses administrés qui avaient encouru sa disgrâce, imposé des amendes et levé des contributions sans y être autorisé et sans en rendre compte; que tels ou tels autres, qui se prétendent royalistes, ont défendu de fêter la Saint-Louis, et ont requis la gendarmerie pour dissiper, ce jour-là, des danses paisibles, par opposition, sans doute, à l'esprit de sagesse, de modération et d'équité qui anime le roi.

«Partout enfin la terreur et la tristesse étaient peintes sur tous les visages, et les gens sages voyaient qu'une semblable conduite amènerait une insurrection réelle et une catastrophe.

«Telle était la situation de Lyon à l'époque de mon arrivée.

«Après quelques visites et des revues, je réunis chez moi toutes les sociétés, rompues depuis longtemps. J'invitai toutes les administrations, des officiers de chaque régiment, quelques officiers en non-activité, et les principaux négociants et fabricants sur la liste qui me fut fournie par le maire.

«Pendant la première soirée, un de mes aides de camp remarqua un factionnaire qui, placé sur le quai, repoussait au loin les habitants qui passaient sous la croisée. L'officier, interrogé sur cette consigne, que personne n'avait donnée, répondit: «Oh! les habitants sont si méchants, que, si on les laissait approcher, ils jetteraient des pierres dans les croisées.» On fit retirer cet homme, et bientôt le quai fut couvert de curieux, sans qu'on entendît d'autre bruit que quelques cris de Vive le roi! en signe d'un commencement d'espérance.

«Un dernier trait, ajouté à ceux que j'ai déjà cités plus haut, achèvera de faire connaître jusqu'à quel point était porté le système de terreur militaire adopté par les autorités.

«Peu de jours après mon arrivée à Lyon, quelques prisonniers, détenus à la maison de Saint-Joseph, se prennent de dispute avec le factionnaire placé à l'extérieur. La querelle s'échauffe; le soldat se prétend insulté: il fait feu; la garde sort; on tire encore deux coups de fusil: trois prisonniers sont grièvement blessés, et le concierge manque être tué lui-même. Et c'est sur l'usage que l'officier prétend s'excuser! «Jusque-là, dit-il dans son rapport, on a tiré presque journellement.» Effectivement, l'enquête qui fut faite prouva que, antérieurement, dans trois circonstances différentes, on avait tiré, et qu'une fois un prisonnier avait été tué roide sur la place.

«Je fis mettre au conseil de guerre l'officier et les soldats qui avaient fait feu. Ils furent acquittés. Le procureur du roi appela de ce jugement au conseil de révision, et, quoique la procédure offrît de nombreuses omissions dans les formalités exigées par la loi, quoique le jugement lui-même fût entaché d'une cause de nullité, il fut confirmé par le conseil de révision. J'avais fait ce que j'avais pu pour qu'un pareil attentat ne demeurât pas impuni. On peut voir le jugement à la suite de cette note; on y lira qu'il suppose qu'une consigne existait qui ordonnait de tirer sur les prisonniers qui se montreraient à travers les barreaux de leurs croisées.

«Je pourrais ajouter d'étranges choses à ce tableau; mais cela me paraît superflu. Je ne puis cependant m'empêcher de parler des travaux de la cour prévôtale; ses travaux expirent, et je me restreindrai autant que possible.

«Un mouvement insurrectionnel éclate le 8 juin, mouvement prévu et annoncé. Le tocsin sonne dans onze communes. À ce signal, calcul fait sur les lieux, deux cent cinquante à trois cents individus se réunissent, chacun dans leur commune. Un certain nombre accourt avec des seaux, ainsi qu'il a été prouvé par les débats, croyant arriver à un incendie. Sur les deux cent cinquante, à peine soixante étaient armés; aucun d'eux n'avait de munitions. De ces deux cent cinquante individus, cent cinquante-cinq ont été mis en jugement, presque tous condamnés, dont vingt-huit à mort, parmi lesquels onze ont été exécutés. Un enfant de seize ans perd la vie pour avoir fait une menace que cependant il n'a pas exécutée. Les dispositions du Code qui sont favorables aux accusés sont violées ouvertement, et la procédure est conduite de telle manière, que les individus qui sont condamnés le plus justement le sont cependant d'une manière illégale. Cette malheureuse procédure dure cinq mois, et pendant cinq mois la terreur règne partout.

«Telle est, en peu de mots, l'histoire de la cour prévôtale de Lyon; mais le roi, dont la justice est toujours là pour tout réparer, dont la bonté est inépuisable pour pardonner, vient de rendre un grand nombre de ces malheureux à la société et d'adoucir beaucoup le sort de ceux auxquels il ne pouvait pas entièrement faire grâce.

«Tel est, je le répète, le tableau fidèle de ce qui s'est passé à Lyon. J'ai trouvé ce pays dans un état d'agitation extrême, chacun croyant marcher sur un volcan. Je n'ai point amené de troupes avec moi, je n'ai point fait de dispositions qui pussent en imposer, et, du jour de l'arrivée de l'envoyé du roi, la tranquillité a été rétablie et n'a pas cessé un instant de régner; et, quoique les dispositions qui, dans mon opinion, doivent en assurer la durée n'aient pas été complétement prises, il est probable qu'elle ne sera plus troublée. Ce qui s'est passé avant et depuis mon arrivée suffit pour expliquer à tout esprit clairvoyant la cause des troubles et le moyen de maintenir le calme et la paix chez une population qui ne demande que repos et protection.

«Les actes que j'ai faits dans ma mission se bornent à la révocation de quelques maires, devenue indispensable; au renvoi de six officiers, dont la conduite avait provoqué cet acte de sévérité, et à la mise en jugement, et, par suite, la condamnation de deux gendarmes qui avaient laissé échapper un prisonnier. J'ai réclamé partout l'exécution des lois, fermé le tribunal arbitraire présidé par le maire de Lyon, envoyé les détenus devant leurs juges naturels, et, pénétré de l'esprit qui anime le roi et de l'importance des devoirs qui m'étaient imposé, j'ai mis toute l'énergie dont j'étais capable à assurer le règne de la justice. Pas un seul individu n'a été arbitrairement arrêté par mes ordres, mais j'ai fait élargir ceux qui étaient détenus illégalement. Enfin, je suis parvenu à rétablir l'empire des lois, premier besoin des hommes qui vivent en société, et garantie de leur repos et de leur bonheur. Plus les passions seront déchaînées contre moi, et mieux je sentirai le bonheur, je dirai presque le mérite d'avoir rendu la paix à une si nombreuse population, à la seconde ville du royaume, à ce foyer si admirable de notre industrie.»


PIÈCES RELATIVES À L'AFFAIRE DE LYON.

notice des arrêts de la cour prévôtale du département du rhône, à l'occasion des événements du mois de juin 1817; et motifs de lettres de grâce et de contestation de peines pour la plupart des accusés qu'elle a condamnés.

«La ville de Lyon et le département du Rhône ont prouvé leur amour pour les lois et leur disposition à la tranquillité, par la longue patience qu'ils ont montrée dans l'état d'oppression et de persécution où ils ont gémi pendant longtemps, et la richesse de ce pays garantit suffisamment l'éloignement qu'il doit avoir pour l'anarchie, et son attachement pour l'ordre.

«Les mouvements qui se sont fait sentir au mois de juin dernier, sur deux points du département, dans dix ou douze communes, ne démentent point ce bon esprit: conçus sans aucun but fixe, sans plan déterminé, sans aucuns moyens d'exécution, par un petit nombre d'obscurs perturbateurs, ils ne furent, pour la plupart des habitants qui y ont pris part, paysans grossiers, pauvres et crédules, que le fruit d'une surprise.

«Ce n'est pas sans étonnement que les hommes non prévenus ont entendu répéter jusqu'à satiété, par une certaine faction, que ces passagères et vagues agitations avaient mis l'État et le trône en danger. La moindre attention aux moyens employés pour les produire, au peu de suites qu'elles eurent, à l'impuissance et au petit nombre des insensés qui avaient rêvé un mouvement, aurait suffi pour dissiper toutes ces illusions si elles avaient été de bonne foi.

«Il est certain que, dans toutes les communes où il y a eu de l'agitation, on avait commencé par sonner inopinément la cloche d'alarme, signal accoutumé des incendies, bien certain qu'on était de voir accourir aussitôt, comme dans un piége, la foule des curieux et des oisifs, avec celle des bons habitants qui croiraient voler au secours de leurs voisins. À cet appel inattendu même des officiers municipaux, comme les débats l'ont constaté, on accourut en effet de toute part. À Millery surtout on vit beaucoup d'habitants se présenter sur la place avec des seaux; ceux d'Irigny accoururent à Saint-Genis où le tocsin se faisait aussi entendre, mais isolément ou par petits groupes et presque tous sans armes; la même cause produisit ailleurs de semblables effets.

«Lorsque ces rassemblements furent formés, des chefs plus ou moins audacieux, comme l'a dit le procureur du roi, cherchèrent, soit par des menaces, soit par de fallacieuses illusions à égarer, à entraîner la multitude, ce qui prouve qu'elle n'était ni instruite ni complice des desseins des agitateurs.

«Ces fourberies, ces menaces, ont été constatées par tous les débats et même par un grand nombre de déclarations écrites; elles étaient de nature à intimider une population ignorante et grossière, façonnée par état à l'obéissance et à la servitude; toutefois elles eurent peu de succès. M. le procureur du roi l'a dit lui-même: «on ne put faire en chaque endroit que de fort légères recrues 26 parmi les propriétaires;» il n'y eut qu'un petit nombre d'hommes appartenant aux dernières classes de la société, les vrais prolétaires, qui se laissèrent entraîner: circonstance qui diminue beaucoup encore l'importance qu'on a voulu donner au mouvement.

Note 26: (retour) Il est constant que deux cent cinquante personnes au plus ont pris part aux rassemblements, et que, dans ce nombre, il n'y eut pas soixante ou soixante-dix hommes de réellement armés, et la plupart sans munitions.

«Dans le fait, que se passa-t-il? la populace fit ce que fait toujours en pareil cas une populace déchaînée: elle commit çà et là quelques excès en pillant dans quatre ou cinq maisons des boissons, des comestibles, des effets mobiliers; elle insulta ou arrêta trois curés, trois ou quatre maires et autant de gardes champêtres; elle enleva dans quelques lieux le drapeau blanc; plusieurs reprirent la cocarde tricolore; d'autres firent entendre des cris de Vive l'Empereur! À Millery, la nuit se passa à combattre entre le maire des Cent-Jours et le nouveau maire, pour la conservation ou la conquête du fauteuil municipal; mais nulle part on ne vit aucun corps organisé, formé en bande proprement dite; nulle part il n'y eut un seul officier nommé; nulle part on ne forma aucune entreprise; ni l'on ne se mit en marche régulière contre Lyon; tout se passa en vaines agitations, sans but, sans plan et sans moyens, comme on l'a déjà dit.

«Telle est l'histoire très-fidèle de tous les événements des 8 et 9 juin: elle est constatée par les déclarations écrites des témoins, par les débats des audiences, par les arrêts mêmes de la cour prévôtale; un seul coup de pistolet fut tiré dans les douze communes; tout le bruit ne fut, comme l'a dit encore M. le procureur du roi, «qu'un court orage que nos campagnes entendirent gronder. Il ne fallut que diriger quelques brigades de gendarmerie, quelques détachements de chasseurs sur les divers points menacés... Et, à la fin du jour, la plupart de ces bandes étaient presque de toutes parts rompues, fugitives et dispersées.» Le lendemain, à six heures du matin, tout était rentré dans l'ordre.

«Voilà ce qu'on a présenté à la France et à l'Europe comme un attentat qui avait compromis les destinées du royaume. Ce n'est pas seulement l'ambition de quelques hommes en place qui s'est livrée à ces exagérations pour surprendre les faveurs du prince, une faction trop connue, celle des ultra-royalistes, en a fait encore son point d'appui pour décrier le roi, son gouvernement et ses principes, pour diffamer le ministère et ses intentions, pour rejeter sur les débris épars de l'armée les fautes de quelques militaires en retraite. C'est cette faction qui, affectant de confondre tous les royalistes constitutionnels et soumis, c'est-à-dire la masse du peuple français, avec une poignée d'obscurs séditieux, se félicitait avec une joie barbare d'un événement qui lui semblait devoir ruiner à son profit le système politique adopté par le roi et ses ministres.

«C'est dans ces circonstances que la cour prévôtale a tiré son glaive.

«Appelée spécialement, par la loi de son institution, à poursuivre et punir toute réunion séditieuse, elle ne fit que son devoir en procédant contre les coupables.

«Mais ce devoir avait sa mesure et ses bornes tracées par la politique et l'humanité non moins que par les lois, et c'est ce qu'elle ne comprit pas.

«En général, lorsqu'il s'agit de crimes commis par la multitude, la raison d'État demande une grande circonspection. L'utilité publique, qui est la première mesure des peines, veut quelquefois qu'on fasse grâce à cause des conjonctures des temps et des lieux; il est des cas où le vrai magistrat, reculant, effrayé comme la loi elle-même, devant un trop grand nombre de coupables, renonce à punir comme il le pourrait, ou ne frappe qu'à demi, de peur qu'une justice trop sévère ne ressemblât à une vengeance, et les supplices à une réaction.

«Cette modération est surtout nécessaire après une grande révolution: «Quand une république, suivant le langage de Montesquieu, et l'on sait que ce nom ici signifie toute espèce d'État; quand une république est parvenue à détruire ceux qui voulaient la renverser, il faut se hâter de mettre fin aux vengeances, aux peines, aux récompenses mêmes... Il vaut mieux, dans ce cas, pardonner beaucoup que punir beaucoup; exiler peu qu'exiler beaucoup... sous prétexte de la vengeance de la république, on établirait la tyrannie des vengeurs... Il faut rentrer le plus tôt que l'on peut dans ce train ordinaire du gouvernement où les lois protégent tout et ne s'arment contre personne.» Ce tableau semble avoir été fait pour le temps où nous sommes.

«Au moins n'aurait-on dû rechercher que les excitateurs, les chefs attroupements.

«Une cause, disent les criminalistes, qui doit faire diminuer la peine due au crime est la multitude et le grand nombre des délinquants, comme dans les séditions, émotions populaires, rébellions, etc.; car, dans ces cas, on ne doit punir que les principaux moteurs du crime.»

«Les philosophes ont été du même sentiment que les criminalistes; ils ont écrit partout cette maxime déjà énoncée plus haut, «qu'en matière de crimes commis par une multitude la raison d'État et l'humanité demandent une grande clémence.»

«Les législateurs ont mille fois consacré cette doctrine tutélaire.

«Louis le Grand, dans sa célèbre ordonnance de 1670, ordonna que, dans le cas d'un crime commis par une communauté d'habitants, le procès fût fait particulièrement aux principaux auteurs du crime et à leurs complices.

«Bonaparte et son gouvernement, qu'on n'accusera certainement ni de pusillanimité ni d'une excessive indulgence, a rempli son Code pénal, le même qui nous gouverne aujourd'hui, des distinctions à faire entre les chefs et leurs instruments.

«S'agit-il par exemple d'une association de malfaiteurs? L'article 267 prescrit de poursuivre les auteurs et directeurs de l'association, les commandants en chef ou en sous-ordre de ces bandes, et épargne le reste.

«S'agit il de réunions illicites? L'article 292 ne prescrit encore de poursuivre que les chefs, directeurs ou administrateurs de l'association.

«S'agit-il enfin d'attroupements séditieux, de bandes armées, quel qu'en soit l'objet? Les articles 100 et 213 ordonnent expressément «qu'il ne soit prononcé aucune peine contre ceux qui, ayant fait partie de ces bandes, sans y exercer aucun commandement, et sans y remplir aucun emploi ni fonction, se seront retirés au premier avertissement des autorités civiles ou militaires, ou même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des lieux de la réunion séditieuse, sans opposer de résistance et sans armes.

«Ils ne seront punis dans ces cas (ajoute la loi), que des crimes particuliers qu'ils auraient personnellement commis, et néanmoins ils pourront être renvoyés pour cinq ans, ou au plus jusqu'à dix, sous la surveillance spéciale de la haute police.

«La raison de cette indulgence est que, s'il importe de punir les séditieux, il importe encore plus de prévenir les séditions. Il fallait donc poursuivre les chefs et épargner leurs malheureux instruments, au lieu de frapper en détail et d'affaiblir, en la divisant, l'action de la justice. Une seule séance de deux ou trois jours eût suffi au plus terrible exemple, et ce coup unique, tombé avec l'éclat et la rapidité de la foudre sur ceux qui s'étaient mis à la tête des attroupements, eût été pour toutes les factions une leçon plus utile que cette profusion de supplices, qui n'a jamais rendu les hommes meilleurs, et qui, en se répétant de mois en mois, depuis le mois de juin, sans qu'on puisse encore en apercevoir le terme, n'a pu servir qu'à aigrir les esprits, à tourmenter l'opinion, et épouvanter toutes les imaginations.

«Malheureusement la cour prévôtale, entourée de clameurs ultra-royalistes, et se faisant peut-être elle-même une fausse idée des dangers qu'on avait pu courir, s'est laissé dominer par un système aveugle de sévérité; réunissant ce qu'il fallait séparer, séparant ce qu'il fallait réunir, elle a confondu les chefs avec leurs instruments, et elle a divisé en onze procédures, qui ont duré quatre mois, la poursuite de ces divers attroupements, qui pourtant, ne formant à ses yeux qu'un seul et même crime, ne devaient être dans cette pensée que la matière d'une seule et même instruction.

«C'est ainsi que cent vingt-deux individus présents ont été mis en jugement, et trente-trois par contumace, en tout cent cinquante-cinq, nombre effrayant, dont aucune conspiration, aucune sédition, aucun événement, n'avaient jamais donné l'exemple; de ces cent cinquante-cinq accusés, quarante-cinq seulement ont été acquittés, mais à la charge, pour la plupart, d'une surveillance et d'un cautionnement qu'ils ne sauraient fournir; vingt-huit ont été condamnés au dernier supplice, que onze ont subi; quarante-deux ont été condamnés à un emprisonnement plus ou moins long; six aux travaux forcés; trente-quatre à la déportation.

«Cent cinquante familles ainsi retranchées en un instant de la société; deux ou trois cents enfants réduits à la misère et au désespoir, non moins perdus pour la société, par la mendicité, le vagabondage et les vices qui en sont la suite; une foule de parents, de vieillards privés de tout appui sur les bords de la tombe; un nombre si extraordinaire de victimes aurait droit d'intéresser la bonté et la sagesse du gouvernement, quand même les méprises déplorables qui ont déterminé leurs condamnations ne seraient pas un appel suffisant à sa justice.

«D'abord on se plaint, non sans quelque apparence de raison, de l'espèce de déloyauté avec laquelle ont été arrêtés et livrés à la cour prévôtale la plupart des accusés qu'elle a atteints. Dispersés, comme on l'a dit, à la première apparition des gendarmes, et revenus bientôt du funeste égarement où les avaient entraînés leur crédulité et leur faiblesse, ils s'étaient retirés dans les bois, isolés et sans armes, poursuivis par le remords non moins que par la crainte. Des maires, des curés, même des militaires, prennent sur eux de publier, et ce fut sans doute de bonne foi, qu'un pardon généreux attend les fugitifs qui rentreront paisiblement dans leurs foyers, et que la justice ne s'arme que contre les chefs. Pleins de confiance en ces paroles, et incapables de mesurer la profondeur du précipice creusé par leur imprudence, les fugitifs regagnent paisiblement leurs habitations et se présentent volontairement aux autorités civiles et militaires. Deux jours s'écoulent, et ils sont tous arrêtés. Trois d'entre eux, dans la seule commune de Saint-Andéol, payent de leur tête leur fatale sécurité; sept, de la déportation; deux, des travaux forcés; ceux des autres communes ne sont pas plus heureux.

«L'instruction et les débats s'ouvrent enfin, et ne répondent que trop aux préliminaires: les jugements semblent arrêtés d'avance d'après de secrètes notions indépendantes des débats. Tout le monde a remarqué que les accusés étaient toujours rangés, sur la fatale sellette, dans l'ordre où ils devaient être frappés. Ils étaient rangés en forme de demi-cercle ouvert du côté des juges; les premiers, en commençant par l'extrémité du côté gauche, étaient destinés à la mort; ceux qui les suivaient, à la déportation: les autres, aux travaux forcés; ensuite, à l'emprisonnement; les derniers, formant l'extrémité à droite, composaient le petit nombre qui devait être acquitté. Il est remarquable que, de dix arrêts rendus par la cour prévôtale, il n'en est pas un seul qui ait trahi ces prévoyantes dispositions: ni les efforts des avocats, ni les lumières produites par les débats, n'y ont jamais apporté le moindre changement. L'événement était tellement prévu d'après cet arrangement, que le peuple, toujours si avide de ce genre de spectacle, avait presque déserté les audiences dans les derniers temps.

«Abordons maintenant chacun des arrêts de la cour prévôtale; apprécions-en les dispositions principales.

«La première erreur où la cour prévôtale est tombée, c'est de se considérer comme juge du crime de complot ou attentat contre l'État ou le gouvernement, tandis quelle ne doit connaître que des réunions séditieuses, soit qu'elles aient rapport à des crimes d'État ou à tout autre crime ou délit.

«En effet, ce qui constitue la juridiction prévôtale, c'est moins la nature du crime que la manière dont il est commis.

«C'est ainsi, par exemple, que l'assassinat est cas prévôtal, s'il a été commis sur un grand chemin, et non s'il a été commis ailleurs.

«C'est ainsi que les actes séditieux sont cas prévôtaux, s'ils ont été commis dans les lieux publics ou destinés aux réunions habituelles de citoyens, et non s'ils ont éclaté dans d'autres lieux.

«C'est pour cela que, d'après l'article 9 de la loi prévôtale du 20 décembre 1815, les réunions séditieuses sont toujours cas prévôtaux, quel qu'en soit l'objet, et, s'il est permis à ces tribunaux d'examiner les rapports qu'elles peuvent avoir avec la sûreté de l'État, ce n'est nullement comme juges des crimes d'État, c'est seulement comme juges de la peine qui doit être infligée aux séditieux, selon les circonstances.

«La mission de la cour prévôtale était donc uniquement de poursuivre les réunions séditieuses reprochées à quelques habitants des campagnes, soit qu'elles eussent ou non des rapports avec des complots contre le gouvernement. Ses devoirs et son autorité, dans cette circonstance, étaient réglés par l'article 97 du Code pénal, qui a pour objet la sédition formée pour le renversement du gouvernement; par l'article 98 qui se rapporte à d'autres crimes politiques; par les articles 209, 210, 211, 212, qui ont en vue des crimes ou délits privés; elle pouvait punir de mort dans le cas de l'article 97; de la déportation dans le cas de l'article 98; de réclusion, de travaux forcés ou d'emprisonnement, dans le cas des articles 209, 210, 211 et 212; elle devait acquitter, d'après les articles 100 et 213, les accusés qui, n'ayant exercé aucun commandement ou emploi dans les réunions séditieuses, auraient été arrêtés hors du lieu des réunions séditieuses, sans résistance et sans armes. Mais, en aucun cas, elle ne devait appliquer les articles 87, 88 et 91, qui n'ont pour objet que les attentats ou complots contre la sûreté de l'État, lesquels ne sont point dans ses attributions, et qui n'ont jamais cessé d'appartenir aux cours d'assises; témoin, à Paris, la conspiration de l'Épingle noire, quoiqu'elle parût avoir reçu un commencement d'exécution; témoin à Lyon la conspiration toute récente de Chambouret, et auparavant celle de Nossel, Lavalette et Montain, auxquelles on a prétendu rattacher celle qui nous occupe, et qui n'ont pas laissé d'être jugées par la cour d'assises, quoique postérieures à la loi institutive des cours prévôtales.

«C'est ce que la cour prévôtale de Lyon n'a jamais voulu comprendre; de onze arrêts qu'elle a rendus, il en est huit où les condamnations ont été opiniâtrement fondées sur les crimes d'État définis aux articles 87, 88 et 91 du Code pénal, sans que jamais elle ait voulu appliquer les articles 97 et 98, qui, réunis à l'article 9 de la loi prévôtale, étaient cependant la source principale de sa compétence; d'où il suit que des arrêts, même justes au fond, et qu'on pourrait justifier par les articles 97 et 98, n'en sont pas moins illégaux.

«En vain le barreau, affligé d'une si cruelle méprise, après les deux premiers arrêts, se réunit pour charger Me Guerre, l'un des anciens du barreau, et l'un des défenseurs dans la cause des habitants de Saint-Andéol, de défendre, au nom de tous, la vraie doctrine; tous les efforts de cet orateur et de ses collègues furent inutiles: rien ne put retirer la cour prévôtale de la fausse voie où elle s'était engagée.

«Il faut donc retenir, sous ce premier point de vue, que toutes les condamnations fondées sur les articles 87, 88 et 91 ont été très-illégales; s'il en est plusieurs qu'on puisse justifier par l'application qui eût dû être faite des articles 97 et 98, il en est un bien plus grand nombre qu'on peut blâmer, d'après le refus constant qui a été fait de l'application des articles 100 et 213.

«Un autre genre de crime, dont la cour prévôtale s'est emparée, et qui n'était pas de sa compétence, c'est celui de non-révélation: elle a souvent puni ce crime; et cependant la loi du 20 décembre 1815 ne lui en attribue point le pouvoir. Il est aisé de comprendre, en effet, que la cour prévôtale, n'étant appelée à connaître que de crimes connus très-publiquement, ne pouvait être compétente pour juger le crime de non-révélation, qui est le crime du silence, et, par conséquent, l'opposé de ceux attribués aux cours prévôtales.

«Ce qui n'est pas moins affligeant dans les arrêts de la cour prévôtale, c'est de voir que souvent les condamnations ne répondent pas même aux accusations qui y sont énoncées, c'est-à-dire que des prévenus ont été condamnés pour des crimes dont ils n'avaient pas été accusés, dont ils n'ont pu se défendre, et sur lesquels ne portaient pas les arrêts de compétence.

«Enfin ce qui comble la mesure de ses irrégularités, c'est la manière vague dont les accusations et les condamnations se trouvent exprimées dans les arrêts: la plupart des accusations qui y sont rappelées consistent en imputations d'avoir «fait partie des bandes armées, et d'avoir ainsi pris part à l'attentat dont le but, y est-il dit, était de renverser le gouvernement, d'exciter les Français à s'armer contre l'autorité du roi, et de porter le pillage, le massacre ou la dévastation partout où l'insurrection éclaterait.»

«Rien de plus vague assurément; ce n'est là qu'un vaste cadre où toutes sortes de crimes peuvent trouver place, mais qui n'exprime ni la part que chaque individu a pu prendre à la prétendue conspiration, ni les faits particuliers dont chacun a pu se rendre coupable.

«Les condamnations n'ont rien de plus positif: plusieurs accusés sont déclarés convaincus de cris, de discours, de faits et d'actions très-caractérisés, y est-il dit, mais qu'on ne rapporte pas.

«En sorte qu'il est impossible de reconnaître quels sont les crimes pour lesquels chaque prévenu est frappé! Tout est incertain et indéterminé; tout paraît arbitraire; et quand on songe qu'on rassemblait et frappait jusqu'à vingt individus dans une même séance par une si vague accusation, on se rappelle involontairement ces jugements en masse qui ont particulièrement souillé les plus terribles jours de notre Révolution, et qui conviennent si peu au temps où nous vivons, au prince juste et sage qui nous a été rendu pour nous ramener à de meilleurs principes.

«Toutes ces observations vont être justifiées par une courte et rapide analyse de tous les arrêts qui en sont l'objet.

Premier arrêt.--15 juin 1817.

«Claude Raymond et Saint-Dubois, condamnés à mort.

«Ces deux infortunés ayant subi leur supplice, ce n'est pas pour eux qu'on va apprécier l'arrêt de leur mort, mais ce sera pour se fixer sur l'ensemble des opérations de la cour, et pour faire servir, s'il est possible, le malheur de ces deux hommes, au salut des autres accusés.

«Il résulte textuellement de l'arrêt que Raymond fut «accusé et ensuite déclaré convaincu d'avoir fait partie de la bande armée qui s'est réunie à Saint-Genis-Laval, le dimanche 8 juin, à six heures du soir, et d'avoir été arrêté les armes à la main.» Raymond pouvait être condamné à mort en vertu de l'article 97, qui punit de mort les réunions séditieuses formées pour renverser le gouvernement; on lui a appliqué l'article 87, qui punit le complot, l'article 88, qui punit l'attentat, l'article 91, qui punit les moyens employés pour exciter la guerre civile; trois crimes dont Raymond n'était pas accusé.

«Quant à Saint-Dubois, c'est encore pis.

«Le fait pour lequel il a été condamné, et qui a été constaté par les débats, est d'avoir été arrêté, le dimanche 8 juin, à Lyon, par les préposés de l'octroi, à la porte de Serin, chargé de seize paquets de cartouches à fusil, qu'il paraissait porter hors de la ville.

«Aucune lumière n'a été acquise, dans les débats, sur la destination réelle de ces munitions.

«L'accusé prétendit seulement qu'à quelque distance de la barrière un ouvrier l'avait prié, sous quelque prétexte, de porter ce paquet hors la barrière, où on le reprendrait de ses mains, mais qu'il ne vérifia pas ce qui le composait.

«La suite des événements apprendra peut-être que le paquet fut remis à cet infortuné par un espion de la faction, qui, lui-même le fit ensuite arrêter à la barrière.

«Quoi qu'il en soit, Saint-Dubois fut accusé «d'avoir fourni et procuré des munitions aux bandes armées, ou du moins d'avoir tenté de leur en fournir et procurer.»

«Il fut déclaré convaincu «d'avoir agi pour procurer des munitions aux bandes armées qui s'étaient formées pour consommer l'attentat dont il s'agit.»

«Il est bien constant que, dans le fait, aucunes munitions ne furent fournies par Saint-Dubois à des bandes armées; toutefois la simple tentative, dans cette matière, eût pu être punie comme le crime même.

«Mais quelle était la loi à appliquer? C'était l'article 96 du Code pénal, qui se rapporte textuellement à cet objet. Qu'a-t-on fait cependant? On l'a condamné comme conspirateur, d'après les articles 87, 88 et 91; en sorte qu'on l'a puni pour un crime dont il n'avait pas été accusé, et qu'il n'avait pas commis.

«Était-il au moins coupable du crime d'avoir remis ou tenté de remettre des munitions à des rebelles? C'est ce qui n'a été nullement vérifié, quoi qu'en dise l'arrêt.

«Saint-Dubois a été arrêté sortant par la porte de Serin; or il n'y a eu ni bandes ni attroupements de ce côté.

«Les munitions que portait Sainte-Dubois n'étaient certainement pas destinées aux attroupements de Saint-Genis et des communes environnantes, car ces communes sont au midi, et il marchait au nord.

«Elles n'étaient pas mieux destinées pour les insurgés de Charnay et des communes voisines, car la route qui y conduit est celle de Vaise, sur la rive droite de la Saône, et Saint-Dubois, qui s'en serait fort éloigné en suivant celle de Serin, qui est sur la rive gauche de la Saône, avait dépassé le dernier pont qui y conduit, lorsqu'il fut saisi.

«Ces munitions n'étaient donc point destinées aux insurgés connus; la condamnation a donc été au moins hasardée.

deuxième arrêt.--19 juin 1817.

«Jean Valençot fut accusé d'avoir levé et organisé la bande armée qui, le dimanche 1er juin, se réunit au pré de la Serrandière, dans la commune d'Amberieux, pour l'exécution d'un attentat dont le but était de détruire ou de changer le gouvernement, d'exciter les citoyens à s'armer contre l'autorité du roi, et de porter la dévastation, le meurtre et le pillage dans les communes où l'insurrection se manifesterait.»

«Jean Valençot fut déclaré convaincu des mêmes faits; on eût pu le punir de mort, en vertu de l'article 97 du Code pénal; on lui appliqua les articles 87, 88 et 91 du code pénal, qui lui étaient étrangers.

troisième arrêt.--25 juin 1817.

«Joseph Lourd, dit Dechamps, fut accusé, avec Jean Trouchon et Jacques Pélissier, «d'avoir fait partie de la bande armée qui a été levée et organisée à Brignais, le dimanche 8 juin, à six heures du soir, pour l'exécution d'un attentat dont le but était de détruire ou de changer le gouvernement, d'exciter les citoyens à s'armer contre l'autorité du roi, et de porter le pillage, le meurtre et la dévastation dans les lieux où l'insurrection se manifesterait.»

«Trouchon et Pélissier furent acquittés; Lourd fut «déclaré coupable d'avoir fait partie de la bande armée de Brignais, et d'avoir par là participé à l'attentat et au crime dont il s'agit.»

«En conséquence, il fut condamné à mort, en vertu des articles 87, 88 et 91 du Code pénal.

«Condamnation illégale, puisqu'il n'avait été ni convaincu ni même accusé du crime de complot ou d'attentat qui est l'objet de ces articles; condamnation injuste, puisque l'article 100 défend de prononcer aucune peine contre celui qui, ayant fait partie d'une bande armée sans y exercer aucun emploi ni commandement, a été saisi hors du lieu de la réunion séditieuse, et que Joseph Lourd, n'ayant été arrêté que le lendemain, 9 juin, à six heures du matin, dans son lit, sans résistance, ne pouvait subir aucune condamnation.

quatrième arrêt.--28 juin.

«Vingt et un habitants de la commune de Saint-Andéol ont été accusés «d'avoir fait partie de la bande armée qui a été levée et organisée à Saint-Andéol le lundi 9 juin, à sept heures du matin, et d'avoir participé par là à l'attentat dont le but était de changer ou de détruire le gouvernement, etc...» (Même formulaire que dans le précédent arrêt.)

«Voici quel fut le jugement:

«1º Jean-Baptiste Fillion, Laurent Colomban et Andéol Desgranges furent déclarés coupables d'avoir concerté l'attentat dont il s'agit avec Aimé Barret (chef des mouvements de Saint-Andéol) dans la nuit du 8 au 9 juin, et d'avoir concouru à son exécution.

«En conséquence, et en vertu des articles 87, 88 et 91 du Code pénal, ces trois victimes ont été mises à mort.

«Fillion, Colomban et Desgranges ont donc péri pour un crime de complot ou d'attentat dont ils n'avaient pas été accusés, et dont la cour prévôtale n'aurait pas été juge.

«2º François Desgranges, dit Gros, Jean-Antoine Champin, Alexandre Guillot, Andéol Colomban, François Charvin et Claude Guillot père furent déclarés «coupables, non-seulement d'avoir, par leurs cris et leurs discours, mais encore par leurs actions, provoqué au renversement du gouvernement.»

«Et, en vertu de l'article 1er de la loi du 9 novembre 1815, ils furent condamnés à la déportation.

«Encore un crime très-indéterminé, et pour lequel il n'y avait point d'accusation.

«3º Jean-François Champin fils et Étienne Targe fils ont été déclarés «coupables de rébellion envers les officiers et agents de la police administrative de la commune de Saint-Aodéol.»

«D'après les articles 209 et 210 du Code pénal, ils ont été condamnés à cinq ans de travaux forcés.

«Même observation: Champin et Targe ont été condamnés pour un crime dont ils n'avaient jamais été accusés, et sur lequel il n'y avait eu ni instruction, ni jugement de compétence, ni défense.

«Autre observation non moins grave: Ce fait de rébellion ou de résistance avec violence et voies de fait à l'autorité n'a été mis, ni par la loi du 20 décembre 1815, ni par la loi sur les cours spéciales, à laquelle celle-là se réfère, au nombre des cas prévôtaux.

cinquième arrêt.--4 juillet 1817.

«Neuf prévenus ont été accusés, suivant l'arrêt, d'avoir fait partie de la bande armée qui a été levée et organisée à Charnay, le dimanche 8 juin, à quatre heures du soir, au son de la cloche, et qui est sortie de Charnay pour marcher sur Lyon; d'avoir participé par là à l'attentat, etc., etc.»

«Les condamnations n'ont point répondu à cette accusation.

«1º Jean-François Dechet a été condamné à mort pour avoir eu un emploi dans la bande armée. L'arrêt ne dit pas quel emploi. Et l'accusation, rapportée par l'arrêt même, n'en supposait aucun.

«2º Jean-François Bocuse et Laurent Charbonnay ont été condamnés à la déportation, pour avoir, selon l'arrêt, «provoqué directement, par leurs cris et leurs discours, et par des faits et actions, très-caractérisés de leur part, au renversement du gouvernement.»

«Condamnation vague et non motivée; condamnation prononcée sous un prétexte totalement étranger à l'accusation énoncée en l'arrêt.

«3º Benoît Montaland, déclaré coupable du crime de rébellion envers un agent de l'autorité administrative dans l'exercice de ses fonctions, et condamné aux travaux forcés pour cinq ans.

«Montaland n'avait point été accusé de ce crime suivant le titre de l'accusation consignée dans l'arrêt.

sixième arrêt.--18 juillet.

«Vingt individus étaient accusés d'avoir «fait partie, ayant à leur tête, comme chef supérieur, le nommé François Oudin, du rassemblement armé, formé au son du tocsin et aux cris de: Vive l'Empereur! à Saint-Genis-Laval, dans le but de renverser le gouvernement; d'avoir rempli dans cette bande divers emplois, fonctions ou commandements; d'avoir cherché à entraîner dans leur révolte toute la population de Saint-Genis et des communes environnantes; de s'être réunis aux séditieux du village de Brignais, où ils ont commis divers excès; d'avoir marché contre la ville de Lyon, point central de la sédition, avec l'intention d'y porter le pillage et le massacre, etc.; de s'être rendus coupables et complices de l'assassinat commis sur un gendarme et d'une résistance avec armes et violence à la force armée.»

«Cette accusation serait la plus complète et la plus positive de toutes, si on avait dit quels genres d'excès avaient été commis à Brignais et par quels accusés nommément ils l'avaient été; si on avait dit encore quelle espèce d'emplois, fonctions ou commandements avaient été remplis par chaque accusé dans la bande, ou quels étaient particulièrement les prévenus qui les auraient remplis.

«On ne l'a pas fait; on a préféré de promener au hasard le glaive prévôtal sur la tête de tous, sur la tête des innocents comme sur celle des coupables; en un mot, on a, en quelque sorte, jugé en masse.

«Voici quel a été l'arrêt:

«1º Oudin, convaincu «d'être l'un des agents de l'attentat, et d'y avoir participé en levant et organisant une bande armée, à la tête de laquelle il a marché sur Lyon et Brignais,» a été condamné à la peine de mort, en vertu des articles 87, 88 et 91 du Code pénal. La cour prévôtale aurait pu et dû appliquer l'article 97, où était exclusivement le siége de la matière, et son arrêt eût été irréprochable; mais, en punissant François Oudin pour un crime d'attentat dont elle n'était pas juge, elle a imprimé un caractère évident d'illégalité à un jugement qui, d'ailleurs, était très-juste.

«2º Pierre Dumont, convaincu de deux faits: l'un, d'avoir fait partie du rassemblement armé; l'autre, d'avoir commis une tentative d'assassinat sur le curé d'Irigny, a aussi été condamné à mort. Il était âgé de seize à dix-sept ans.

«Il est impossible d'approuver cet arrêt. D'abord la première des deux imputations ne pouvait donner lieu à aucune peine, puisque Dumont avait été saisi sans résistance et sans armes hors du lieu de la réunion séditieuse, où il n'avait exercé aucun emploi. C'était, sous ce rapport, le cas de lui appliquer l'article 100.

«La seconde imputation n'avait point été la matière de l'accusation; elle était outrée. L'enfant avait dit au curé: «Crie Vive l'Empereur! ou je te tue!» Et, en disant ces paroles criminelles, il avait, en effet, un pistolet à la main. Mais, d'une part, il n'a point été vérifié, et l'arrêt n'énonce pas même que le pistolet se trouvât chargé; d'autre part, il ne paraît pas que le curé ait voulu racheter sa vie en prononçant l'invocation qu'on exigeait de lui. L'arrêt enfin n'exprime pas que le coup ait été détourné par aucune circonstance fortuite, indépendante de la volonté de l'enfant. Ce ne fut donc point là une véritable tentative d'assassinat dans le sens de la loi.

«D'un autre côté, en admettant ce fait, il n'aurait pas autorisé un arrêt de mort, car il n'y avait évidemment ni préméditation ni guet-apens dans le sens des articles 296 et 297 du Code pénal, l'enfant n'ayant pu prévoir l'arrivée fortuite du curé d'Irigny, dans ces circonstances, à Saint-Genis Laval. On n'eût pu prononcer, tout au plus, d'après l'article 304, que la peine des travaux forcés à perpétuité.

«3º Gaspard Berger, Jean Foy, Denis Bauchet et François Guillermin, convaincus, dit l'arrêt, d'avoir, «non-seulement par leurs cris et leurs discours, mais encore par des faits et des actions très-caractérisés, provoqué au renversement du gouvernement,» ont été condamnés à la déportation.

«Imputations vagues, comme on l'a déjà dit, et qui ne sauraient justifier une condamnation aussi terrible.

«4º Étiennette Templardon, Jean Rapet, Benoît Rivoire, Michel Rivoire, Antoine Roman, dit Lavigne, et François Thiollin, déclarés coupables d'avoir commis des actes séditieux en invoquant le nom de l'usurpateur, ont été condamnés à deux ans, trois ans et cinq ans d'emprisonnement, sauf Étiennette Templardon, dont la condamnation n'est que de trois mois.

«Au premier coup d'oeil, ces condamnations paraissent autorisées par l'article 17 de la loi prévôtale, et justifiées par l'article 10 de la loi du 9 novembre 1815; mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on reconnaît bientôt qu'elles n'auraient pas du être prononcées.

«Ces actes séditieux faisaient partie de la sédition principale. Or, puisque l'article 100 du Code pénal accordait leur pardon à tous ceux qui, n'ayant point exercé d'emploi, avaient été saisis sans résistance et sans armes, comme tous ces accusés, hors de la réunion séditieuse, il n'était pas permis d'éluder cette disposition. Le plus grave des actes séditieux était la sédition même; l'attroupement ne pouvait donc pas être puni en partie quand la loi pardonne pour le tout.

septième arrêt.--25 juillet.

«Dix-neuf individus mis en jugement.

«Tous accusés, dit l'arrêt, d'avoir participé à l'attentat dont le but était de détruire ou de renverser le gouvernement, etc., etc...; d'avoir fait partie des bandes qui se sont formées, le 1er juin, à la Serrandière, et, le 8, dans la commune d'Amberieux; d'avoir levé et organisé les bandes; d'y avoir rempli divers emplois ou commandements; d'avoir accepté différentes missions relatives à l'insurrection.»

«Accusation illégale quant au crime d'attentat, puisque la cour prévôtale n'était pas juge. Quant aux autres faits, ils sont déclarés communs à tous les accusés. Cependant il est bien aisé de voir que tous les accusés n'ont pas pu lever la même bande, c'est-à-dire se commander eux-mêmes; que tous n'ont pu y commander ou y remplir des emplois en même temps.

«Voici, au reste, les condamnations qui ont été prononcées:

«1º Louis Tavernier et Claude Nenne ont été condamnés à mort comme coupables d'avoir été «les agents de l'attentat, et d'avoir participé à l'exécution, en se réunissant aux bandes armées.»

«Comme agents de l'attentat, ils n'étaient pas justiciables de la cour prévôtale;

«Comme réunis aux bandes armées, sans le concours d'aucune autre circonstance, l'article 100 du Code pénal défendait de leur infliger aucune peine.

«2º Jean Prieur, déclaré coupable de faits semblables, mais acquitté d'après l'article 108, pour cause de révélation, n'exige aucune observation.

«3º Jean-Marie Soubry, condamné à la déportation, comme coupable d'avoir provoqué au renversement du gouvernement par des cris, des discours, des faits et des actions «très-caractérisés,» dit l'arrêt, mais non cités, peut être considéré comme condamné sans cause connue et arbitrairement.

«4º Jean Rampon, convaincu, dit l'arrêt, d'avoir volontairement reçu chez lui une troupe d'insurgés, a été condamné aux travaux forcés.

«Il n'avait pas été accusé de ce crime et n'avait pu s'en défendre. Il n'y avait pas même eu d'arrêt de compétence sur ce point, lequel n'est pas cas prévôtal.

«5º Jean Tissut, Claude Joannard, Annet Bouvant, Pierre-Charles Latreille, Antoine Charnay fils, Jean Valeurot, Louis Magnin, Guillard, dit Casaud, ont été condamnés à un emprisonnement et à une amende, pour avoir répandu des nouvelles alarmantes et invoqué le nom de l'usurpateur.

«Ils n'en avaient pas été accusés, et n'ont pas été entendus sur ces faits.

huitième arrêt.--7 août.

«Cet arrêt a été rendu contre trente-trois contumaces. Il condamne à mort seize prévenus comme moteurs des réunions séditieuses, et tous les autres, deux seulement exceptés, à d'autres peines.

«On n'a rien à dire sur cet arrêt, si ce n'est que, frappant de mort, quoique de loin, les chefs, la cour pouvait se dispenser d'atteindre les autres et de priver l'État d'un si grand nombre de familles, perdues pour la société.

neuvième arrêt.--12 août.

«Douze prévenus.

«Tous accusés, dit l'arrêt, d'avoir fait partie de la bande armée qui s'est formée à Millery, dans la nuit du 8 au 9 juin dernier, pour l'exécution d'un attentat dont le but était de renverser le gouvernement, etc.; laquelle bande a attaqué MM. les maire et adjoints de ladite commune, et a tiré des coups de fusil sur eux, etc.»

«Les condamnations ne répondent point à cette accusation.

«1º Jean-Pierre Gervais, Favier-Prince, Paul Decroze, Fleury Brottet, Jean Luquel, déclarés coupables d'avoir provoqué au renversement du gouvernement par des cris, des discours, des faits et des actions très-caractérisés, y est-il dit, mais qui n'y sont pas rapportés, sont condamnés à la déportation.

«Condamnation non motivée et tout à fait arbitraire.

«2º Odet Potin, Gervais Potin, Jean Champin, Étienne Guinand, Antoine Vaillard et Matthieu Jumeau, comme coupables d'actes séditieux en invoquant le nom de l'usurpateur et arborant la cocarde tricolore, ont été condamnés à un emprisonnement de plusieurs années et à l'amende.

«Les prévenus n'avaient point été accusés de ces faits.

dixième arrêt.--20 août.

«Treize prévenus.

«Tous accusés, dit l'arrêt, de participation à l'attentat qui a été commis le 8 juin dernier, dont le but était de détruire le gouvernement...

«1º Pierre Dautant, dit l'Escarpin, est condamné à la déportation, comme coupable de cris, discours, faits et actions tendants au renversement du gouvernement, mais que l'arrêt ne rapporte pas.

«Condamnation extrêmement illégale, puisqu'elle ne constate point la cause précise de la condamnation, et que Dautant n'avait point été accusé de semblables faits.

«2º Jean Damas, Pierre Guillot, Benoît Jaricot, Justinien Lhopital, Antoine Clamaron, Jean Antoine Hannequin, Joseph Poisat et Pierre Guy, déclarés coupables d'actes séditieux à l'occasion de l'attentat dont il s'agit, mais sans qu'on exprime en quoi ils consistent, condamnés à un emprisonnement et à l'amende.

«Condamnation vague, arbitraire, et qui peut être réputée sans cause.

onzième arrêt.--8 septembre.

«Vingt-deux prévenus.

«Tous accusés, selon l'arrêt, «de participation à l'attentat qui a été commis dans le département du Rhône, dont le but était de renverser le gouvernement.»

«Pierre Clemel, Henri Mattet, Berthaud, dit Cluvier, et Simon Trevenet, condamnés à la déportation, comme ayant participé aux mouvements insurrectionnels, et comme s'étant rendus coupables d'actes de provocation au renversement du gouvernement.

«Comme ayant participé aux mouvements insurrectionnels dans lesquels ils n'avaient exercé aucune autorité, ils ne pouvaient être soumis à aucune peine suivant l'article 100 du Code pénal.

«Comme coupables d'actes de provocation, ils pouvaient d'autant moins être punis, qu'il n'y avait pas même eu d'accusation sur ce point.

«Hubert Mouchetand, François Delhorme, François Chapuy, Pierre Durdilly, Philippe Blanc, Pierre Rebut, Benoît Desgouttes, Jean Boulon, Jean Guigoud, Aimé Lestra et François Coupier, ont été condamnés à un emprisonnement et à une amende comme coupables d'actes séditieux.

«Point d'accusation de ce genre.

«Point de définition des faits.

«Condamnation illégale et arbitraire.

«Tels sont les arrêts rendus par la cour prévôtale du Rhône sur les événements du 8 juin.

«L'analyse rapide qu'on vient d'en faire justifie ce qu'on a dit en commençant, qu'elle a fait beaucoup trop de victimes, que presque toutes ont été condamnées d'une manière illégale et le plus souvent injuste.

«Ne dirait-on pas que tous ces arrêts ont été rendus sous la funeste influence d'une faction trop connue, qui voudrait établir ou conserver sa prépondérance par la terreur, et donner au gouvernement, par l'exagération des fautes et par la multitude des supplices, un démenti sur la direction qu'il suit?

«Les opérations de la cour prévôtale ont été affranchies de la censure de la cour de cassation, mais non pas de la révision du roi, source et principe de toute justice, et encore moins de l'usage que Sa Majesté peut faire de la touchante et sublime prérogative de faire grâce ou de commuer les peines.

«Que la justice prenne ici le nom de clémence, elle n'y perdra rien et personne ne s'en plaindra. La cour prévôtale elle-même, qu'on peut ne pas renouveler, du moins en ce moment, mais qu'il ne faut pas avilir, conservera sa terrible considération.

«Que le salut de cette foule de condamnés et de leurs nombreuses familles, non moins condamnées qu'eux-mêmes, paraisse l'ouvrage du roi, et l'amour du peuple pour ce prince, déjà si cher à tous les vrais Français, s'en accroîtra encore, s'il est possible.

«La mission de la cour prévôtale, on ne saurait trop le répéter, était principalement dans les articles 97, 98 et 100 du Code pénal, et dans l'article 9 de la loi prévôtale.

«Elle avait donc à constater avant tout s'il y avait eu sédition, et quel était le caractère et le but de la sédition. Elle avait à reconnaître ensuite si les accusés avaient exercé ou non une autorité quelconque dans les attroupements, et s'ils avaient été saisis dans les réunions séditieuses ou au dehors.

«Elle était autorisée à punir de mort dans le cas de l'article 97, à prononcer la déportation dans le cas de l'article 98; mais il fallait pardonner dans le cas de l'article 100, et ce cas était celui de la presque totalité des accusés.

«Voilà ce qu'elle n'a point fait.

«Jamais elle n'a appliqué les articles 97 et 98, qui constituaient essentiellement sa compétence, préférant de recourir aux articles 87, 88 et 91 qui n'appartiennent qu'aux cours d'assises, mais qui ne pardonnent jamais.

«Jamais surtout elle n'a appliqué l'article 100, qui convenait à la position de la plupart des accusés, et qui les épargnait.

«Et ce qui comble la mesure de l'étonnement, c'est que le procureur général, saisi de chaque arrêt de compétence, d'après l'article 39 de la loi prévôtale, n'ait jamais élevé la voix en faveur des principes; c'est que la chambre d'accusation de la Cour royale, méconnaissant la noblesse et l'importance de ses fonctions, ait toujours accordé une prompte et aveugle approbation à des erreurs si extraordinaires. Que de maux on eût évités si l'on se fût sérieusement pénétré de ces premiers devoirs!

«Tant de fautes n'ont pas peu contribué à tourmenter l'opinion publique, à alarmer une classe nombreuse de la société, à entretenir les divisions, à placer les partis extrêmes dans un état déplorable d'hostilité, à corrompre enfin dans ces derniers temps la conscience des électeurs, qui se sont si malheureusement égarés dans plusieurs de leurs suffrages.

«Un acte éclatant de justice ou de clémence peut seul réparer le mal qui a été fait, et ramener dans les rangs des royalistes constitutionnels qui, à Lyon, comme ailleurs, se serrent de plus en plus autour du trône, et les ultra-royalistes, en leur montrant que le règne des exagérations est passé, et les ultra-libéraux en leur faisant connaître que le gouvernement ne fait acception de personne, et que sa justice est la même pour tous.

«On pense qu'il convient, dans ces circonstances, de commuer la peine de tous ceux qui ont été condamnés à des peines afflictives ou infamantes, et de prendre en considération la longue détention déjà subie par les autres, pour leur faire grâce entière.

«Et, pour appliquer cette distinction d'une manière positive aux infortunés qui en sont l'objet, on les divisera en quatre classes.

PREMIÈRE CLASSE.--DÉPORTATION.

«On propose de la commuer en un emprisonnement de deux ans, en leur tenant compte de la détention que les condamnés auront déjà subie lorsque cette mesure pourra être prise.

«Une exacte justice exigerait peut-être grâce entière, puisque tous les déportés ont été condamnés illégalement. Mais, comme au fond ils n'étaient rien moins qu'irréprochables, et qu'il ne faut jamais avilir l'autorité, alors même qu'elle s'égare, on pense que toutes les considérations seront conciliées par la commutation proposée.

«Les individus à qui cette mesure doit être appliquée sont les ci-après nommés:

«Claude Guillot père, François Desgranges, Jean-Antoine Champin, Alexandre Guillot, Andéol Colomban, Andéol Millet, François Charvin, Joseph Bocuse, Laurent Charbonnay, Gaspard Berger, Jean Poy, Denis Bauchet, François Guillermin, Jean-Joseph-Marie Soubry, Jean-Pierre Gervais, dit Culat, Favier Prince, Paul Decroze, Fleuri Brottet, Jean Luquet, Pierre Dautant, dit l'Escarpin, Pierre Clunel, Henri Mattet, Berthaud, dit Cluvier, Simon Trevenet.

DEUXIÈME CLASSE.--TRAVAUX FORCÉS.

«On propose de commuer cette peine en un emprisonnement d'un an.

«Ceux à qui cette grâce s'appliquera sont:

«Jean-Pierre Champin fils, Jean-Étienne Targe, Benoît Montaland, Jean Rampon.

TROISIÈME CLASSE.--EMPRISONNEMENT.

«Le plus grand nombre des prévenus de cette classe a été condamné à cinq ans d'emprisonnement et à des amendes; d'autres, à trois ans; un petit nombre, à une année ou à quelques mois.

«Ils auront subi près de six mois de détention lorsqu'il sera possible de s'occuper d'eux. On propose de leur faire grâce entière de l'emprisonnement et de l'amende.

«Ceux à qui cette faveur s'appliquera sont:

«Étiennette Templardon, femme Bertholat, Jean Rapet, Benoît Rivoire, Michel Rivoire, Antoine Roman, François Thiollier, Jean Tissut, Annet Bouvant, Pierre-Charles Latreille, Antoine Charnay fils, Jean Valençot, Louis Magnin, Guillard, dit Casaud, Odet Potin, Gervais Potin, Jean Champin, Étienne Guinand, Antoine Saillard, Michel Jumeau, Jean Damas le jeune, Pierre Guillot père, Benoît Jaricot, Justinien Lhopital, Antoine Clamaron, Jean-Antoine Hannequin, Joseph Poisat, Pierre Guy, Hubert Mouchetand, François Delhorme, François Chapuy, Pierre Durdilly, Philippe Blanc, Pierre Rebut, Benoît Desgouttes, Jean Bouton, Jean Guigoud, Aimé Lestra, François Coupier.

QUATRIÈME CLASSE.--MISE EN LIBERTÉ.

«La plupart des prévenus mis en liberté ont été soumis à deux, trois et cinq ans de surveillance. On propose de laisser subsister cette disposition, soit parce qu'en dernière analyse ces prévenus, quoique non convaincus, faute de témoins, ne paraissent pas avoir été beaucoup plus irréprochables que les condamnés, soit parce que cette mesure est bonne à maintenir partout où il y a eu de l'agitation.

«On propose conséquemment de soumettre à cinq ans de surveillance les condamnés de la première classe, à trois ans ceux de la seconde, à un an ceux de la troisième, à compter du moment de leur mise en liberté; mais de réduire en même temps le cautionnement dont ils sont tenus à trois cents francs, deux cents francs et cents francs.

«On propose enfin de faire grâce à tous des frais, ou tout au moins d'en retrancher la solidarité, pour ne pas ruiner plusieurs familles, qui seraient obligées de payer pour toutes.»


SUITE À LA NOTE RELATIVE AUX OPÉRATIONS DE LA COUR PRÉVÔTALE DU RHÔNE
par suite des événements du mois de juin 1817.

CONSPIRATION DE LYON.

«Il y avait vingt-huit accusés présents.

«Suivant les arrêts de compétence ils étaient prévenus «de participation à l'attentat commis dans le département du Rhône, etc., dont le but était de détruire ou changer le gouvernement.»

«Madame de Lavalette en particulier était prévenue d'avoir secondé le complot par sa correspondance avec des chefs de comités insurrecteurs, ou tout au moins d'avoir eu connaissance de leurs desseins.

«L'acte d'accusation était conforme à ces énonciations.

«Il avait pour vice capital de n'être, comme les précédents, qu'un accusation en masse, et de ne point préciser les faits attribués à chaque prévenu individuellement.

«La session s'est ouverte sous des formes aussi sinistres que les précédentes. On a semblé prendre à tâche de prolonger la discussion et d'éloigner autant qu'on l'a pu le jugement, en ne donnant chaque jour qu'une seule audience de quatre à cinq heures. Ce n'est que lorsqu'il a été question d'entendre la défense des accusés que la cour prévôtale a changé de système.

«Rien d'irrégulier comme cette instruction.

«1º Le premier jour on fit retirer les témoins pendant qu'on examinait les accusés; mais aux trois audiences suivantes les témoins demeurèrent librement dans la salle et purent régler sur ce qu'ils entendaient les dépositions qu'ils avaient à faire. On n'en fit point l'appel.

«2º On donna publiquement lecture de plusieurs interrogatoires de prévenus non présents aux débats. En vain les avocats des prévenus s'y opposèrent; cette lecture fut ordonnée par arrêt.

«3º On avait appelé pour témoin un nommé Leprieur, précédemment coaccusé et acquitté dans l'affaire des campagnes. Cet homme n'a pas paru. On a donné lecture des déclarations qu'il avait faites, quoique jamais on ne puisse lire les déclarations d'un témoin, s'il n'est pas mort depuis.

«4º On a entremêlé l'examen de deux témoins, en présence même l'un de l'autre dans l'examen des accusés.

«5º On a même lu à l'audience du 28 une déposition écrite du nommé Fiévée, dit Champagne, témoin désigné pour être entendu, et qu'en effet on a entendu à l'audience du 30, et qui était alors en accusation par ordre du ministre de la police générale, et qu'on a mis brusquement en liberté pour pouvoir le produire.

«Voilà pour la forme.

«Au fond les débats n'ont répondu ni à l'acte d'accusation ni à certaines passions.

«D'abord on a vu cinq accusés, les nommés Vernay, Coindre, Caffre, Gaudet et Gribel, désavouer hautement les récits consignés dans leurs interrogatoires écrits, et les révélations faites en leur nom contre diverses personnes. Ils ont dit qu'ils n'avaient tenu ce langage que parce qu'ils étaient menacés de la guillotine par le maire, ou par le sieur Guichard, son secrétaire, et même qu'on avait écrit beaucoup plus qu'ils n'avaient dit.

«Ensuite les accusés, dont plusieurs sont évidemment des agents d'intrigues, et particulièrement le nommé Barbier, n'ont plus osé reproduire en public une partie de leurs impostures. Barbier avait prêté son nom devant le prévôt, soit contre M. de Saineville, qu'une certaine faction calomnie depuis longtemps, soit contre madame de Lavalette que l'on voulait atteindre à tout prix. Il avait représenté M. de Saineville comme le principal complice de la conspiration; il n'a pas osé le répéter. Il disait avoir vu des lettres de madame de Lavalette, adressées aux chefs de la prétendue conspiration; il n'a pas osé le répéter face à face, et dans le fait il avait formellement déclaré, dans son interrogatoire du 22 juin, que jamais il n'avait vu de semblables pièces; ce que M. le prévôt et Barbier avaient apparemment oublié.

«En dernière analyse, les débats ont prouvé:

«1º Que des insinuations perfides avaient éveillé dans la tête de quelques individus des pensées très-coupables, et peut-être même des desseins criminels; mais qu'aucun mouvement séditieux n'avait éclaté dans Lyon; ce qui, sans justifier l'immoralité de plusieurs prévenus, écartait pourtant la compétence de la cour prévôtale, qui n'est juge, suivant l'article 9 de la loi du 20 décembre, que des séditions, quel qu'en soit l'objet.

«2º Que ces hommes, qu'on avait égarés par de très-fausses espérances, par des annonces de mesures et d'apprêts chimériques, n'avaient ni argent, ni armes, ni aucuns moyens d'exécution, et se seraient seulement réunis dans des cabarets pour attendre l'événement.

«3º Qu'on n'a rien fait pour constater ces prétendues réunions, n'ayant jamais voulu faire entendre ni les cabaretiers du faubourg de Serin, qui ne sont qu'au nombre de six, et chez qui l'on supposait cependant une réunion de huit cents hommes, ni les maîtres des autres lieux publics où se seraient faites ces réunions.

«4º Que le but des mouvements suggérés par une faction trop connue à ses dupes n'avait rien de fixe, les uns croyant agir pour se défendre d'une nouvelle invasion de l'étranger, d'autres pour Napoléon et sa famille; ceux-là pour le prince d'Orange; ceux-ci pour une république; les autres pour un gouvernement provisoire, et le plus grand nombre pour faire baisser le prix du pain: divergence qui prouve qu'il n'y avait point de véritable complot.

«5º Qu'il n'y a point eu d'argent distribué par des chefs de parti, car on n'a constaté qu'un mouvement de mille à onze cents francs; encore paraît-il que, sur cette somme, le nommé Barbier avait reçu pour lui huit cent vingt francs à titre de prêt, et a retenu cette somme entre ses mains sans en faire part à ses prétendus complices.

«6º Que les prétendus conjurés n'ont rien entrepris ni voulu entreprendre.

«Enfin la cour prévôtale a prononcé le 2 novembre.

«Elle a fait grâce aux nommés Barbier, Volozan cadet et Bitternay, en vertu de l'article 108 du Code pénal, sous prétexte qu'ils avaient fait d'utiles révélations.

«Elle a condamné à la peine de mort Jean-Marie Vernay, quoiqu'il n'eût pas moins fait de révélations.

«Elle a condamné, comme coupables de non-révélation, huit accusés, savoir:

«Les nommés Coindre, Gervais, Manquat, Perrot, à cinq ans d'emprisonnement et cinq cents francs d'amende chacun;

«Le nommé Sériziat, à trois ans de prison et cinq cents francs d'amende;

«Et les nommés Gagnère, Meyer et Granger, à deux ans d'emprisonnement et cinq cents francs d'amende.

«Les autres accusés ont été acquittés.

«On n'a rien à dire des trois premiers, si ce n'est qu'on a moins récompensé en eux d'utiles révélations que la lâche complaisance avec laquelle ils ont adopté toutes les fables qu'on leur a faites dans l'objet de donner de la consistance à la supposition d'un véritable complot, tandis que, dans le fait, tout s'est réduit à quelques vaines démarches sans accord et sans but, et que l'on ne voulait que surprendre les hommes qu'on avait égarés, dans quelques coupables démonstrations. Cette vérité, qui ne tardera peut-être pas beaucoup à éclater, est déjà constatée par l'instruction préliminaire de la procédure d'un nommé Cormeau, dont la prochaine cour d'assises est saisie, et où ce misérable a textuellement avoué qu'en excitant deux ou trois paysans du village de Saint-Rambert-l'Île-Barbe à s'armer contre le gouvernement, il avait agi comme commissaire de la police militaire et dans l'objet de les compromettre: ce sont ses propres termes.

«La cour prévôtale n'avait pas plus de motifs de condamner Vernay à la peine de mort. Cet homme, déjà condamné à mort par contumace, lorsqu'il a été arrêté, et épouvanté par sa position non moins que par les promesses et les menaces du maire, perdit la raison, et à son tour adopta toutes les nouvelles fables dont on crut avoir besoin pour justifier le système de la faction. Mais, revenu à lui-même lorsque les débats se sont ouverts, il a rétracté tout ce qu'il y avait de faux dans ses interrogatoires écrits. «J'atteste, a-t-il dit, ce Christ qui est devant mes yeux que ce que j'ai dit n'est pas la vérité; on m'y a forcé par les plus terribles menaces: je vous aurais accusé vous-même, monsieur le président, si on l'eût exigé. Je suis à votre disposition. Vous pouvez me faire mourir; mais j'aime mieux mourir sans honte et sans remords que de vivre déshonoré par le mensonge et la calomnie.» C'est à peu près en ces termes que parla cet infortuné.

«Ce langage parut ne pas plaire aux juges. Vernay a été condamné à la peine de mort, mais avec sursis et sans doute aussi avec recommandation à la clémence du roi.

«La grâce de Vernay se recommande assez par la générosité de ses rétractations. Sa grâce lui était assurée par l'article 108 du Code pénal en persistant, tandis qu'il courait à la mort en changeant de langage. Qui a pu l'y porter? aucun autre intérêt que celui de la vérité et de l'honneur; et, en effet, son défenseur montra clairement aux juges la fausseté presque matérielle des déclarations qu'on lui avait arrachées.

«Tant de courage mérite de fixer les regards du roi. Chaque jour sa bonté inépuisable récompense des actions mille fois moins difficiles et moins honorables: celle-là eut deux mille témoins qui admirèrent une si rare vertu et qui pleurèrent sur le malheur auquel il s'exposait. Une grâce entière honorera l'individu, le gouvernement du roi et le nom français.

«La condamnation, d'ailleurs, fut illégale. Elle a été fondée encore sur la supposition d'un complot ou d'un attentat, tels qu'ils sont définis par les articles 87, 88, 91 du Code pénal, tandis qu'elle n'aurait pu l'être que dans le cas où il y aurait eu sédition pour l'exécution du complot suivant l'article 97. On n'a pas invoqué cet article parce qu'il n'y a pas eu sédition, et la cour prévôtale n'est cependant jamais juge du complot quand il n'y a pas sédition.

«Le crime de non-révélation, imputé aux autres condamnés, n'était pas énoncé dans l'acte d'accusation: on ne l'a imaginé que pour dire qu'il y avait quelque chose à révéler, et voilà huit victimes de plus. Ces individus méritent aussi d'obtenir la remise entière de la peine à laquelle ils ont été condamnés, en les laissant tous néanmoins, ainsi que Vernay, pendant un certain temps sous la surveillance de la haute police.»

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