Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1/2: écrits à Sainte-Hélène par les généraux qui ont partagé sa captivité
Tous les départements doivent être également soumis à l'empire des lois générales; mais les premiers magistrats accorderont toujours et des soins et un intérêt plus marqué à l'agriculture, aux fabriques et au commerce, dans ceux qui ont éprouvé de plus grandes calamités.
Le gouvernement pardonnera; il fera grace au repentir; l'indulgence sera entière et absolue: mais il frappera quiconque, après cette déclaration, oserait encore résister à la souveraineté nationale.
Français habitants des départements de l'Ouest, ralliez-vous autour d'une constitution qui donne aux magistrats qu'elle a créés, la force comme le devoir de protéger les citoyens, qui les garantit également et de l'instabilité et de l'intempérance des lois!
Que ceux qui veulent le bonheur de la France, se séparent des hommes qui persisteraient à vouloir les égarer pour les livrer au fer de la tyrannie, ou à la domination de l'étranger!
Que les bons habitants des campagnes rentrent dans leurs foyers et reprennent leurs utiles travaux; qu'ils se défendent des insinuations de ceux qui voudraient les ramener à la servitude féodale!
Si, malgré toutes les mesures que vient de prendre le gouvernement, il était encore des hommes qui osassent provoquer la guerre civile, il ne resterait aux premiers magistrats qu'un devoir triste, mais nécessaire à remplir, celui de les subjuguer par la force.
Mais non: tous ne connaîtront qu'un seul sentiment, l'amour de la patrie. Les ministres d'un Dieu de paix seront les premiers moteurs de la réconciliation et de la concorde; qu'ils parlent aux cœurs le langage qu'ils apprirent à l'école de leur maître; qu'ils aillent dans ces temples qui se rouvrent pour eux, offrir, avec leurs concitoyens, le sacrifice qui expiera les crimes de la guerre et le sang qu'elle a fait verser.
Le premier consul, Bonaparte.
PROCLAMATION
Du premier consul,
A l'armée de l'Ouest.
15 nivose.
Soldats!
Le gouvernement a pris les mesures pour éclairer les habitants égarés des départements de l'Ouest; avant de prononcer, il les a entendus. Il a fait droit à leurs griefs, parce qu'ils étaient raisonnables. La masse des bons habitants a posé les armes. Il ne reste plus que des brigands, des émigrés, des stipendiés de l'Angleterre.
Des Français stipendiés de l'Angleterre! ce ne peut être que des hommes sans aveu, sans cœur et sans honneur. Marchez contre eux; vous ne serez pas appelés à déployer une grande valeur.
L'armée est composée de plus de soixante mille braves: que j'apprenne bientôt que les chefs des rebelles ont vécu. Que les généraux donnent l'exemple de l'activité! La gloire ne s'acquiert que par les fatigues, et si l'on pouvait l'acquérir en tenant son quartier-général dans les grandes villes, ou en restant dans de bonnes casernes, qui n'en aurait pas?
Soldats, quel que soit le rang que vous occupiez dans l'armée, la reconnaissance de la nation vous attend. Pour en être dignes, il faut braver l'intempérie des saisons, les glaces, les neiges, le froid excessif des nuits; surprendre vos ennemis à la pointe du jour, et exterminer ces misérables, le déshonneur du nom français.
Faites une campagne courte et bonne. Soyez inexorables pour les brigands; mais observez une discipline sévère.
Bonaparte.
PROCLAMATION
Du premier consul,
Aux habitants des départements de l'Ouest.
21 nivose an VIII.
Tout ce que la raison a pu conseiller, le gouvernement l'a fait pour ramener le calme et la paix au sein de vos foyers; après de longs délais, un nouveau délai a été donné pour le repentir. Un grand nombre de citoyens a reconnu ses erreurs et s'est rallié au gouvernement qui, sans haine et sans vengeance, sans crainte et sans soupçon, protége également tous les citoyens, et punit ceux qui en méconnaissent les devoirs.
Il ne peut plus rester armés contre la France que des hommes sans foi comme sans patrie, des perfides instruments d'un ennemi étranger, ou des brigands noircis de crimes, que l'indulgence même ne saurait pardonner.
La sûreté de l'état et la sécurité des citoyens veulent que de pareils hommes périssent par le fer, et tombent sous le glaive de la force nationale; une plus longue patience ferait le triomphe des ennemis de la république.
Des forces redoutables n'attendent que le signal pour disperser et détruire ces brigands, que le signal soit donné.
Gardes nationales, joignez les efforts de vos bras à celui des troupes de ligne! Si vous connaissez parmi vous des hommes partisans des brigands, arrêtez-les; que nulle part ils ne trouvent d'asyle contre le soldat qui va les poursuivre; et s'il était des traîtres qui osassent les recevoir et les défendre, qu'ils périssent avec eux!
Habitants de l'Ouest, de ce dernier effort dépend la tranquillité de votre pays, la sécurité de vos familles, la sûreté de vos propriétés; d'un même coup vous terrasserez et les scélérats qui vous dépouillent, et l'ennemi qui achète et paie leurs forfaits!
Le premier consul, Bonaparte.
Proclamation de la constitution.
18 pluviose an VIII.
Les consuls de la république, en conformité de l'art. 5 de la loi du 23 frimaire, qui règle la manière dont la constitution sera présentée au peuple français, après avoir entendu le rapport des ministres de la justice, de l'intérieur, de la guerre et de la marine.
Proclament le résultat des votes émis par les citoyens français sur l'acte constitutionnel.
Sur trois millions douze mille cinq cent soixante-neuf votants, 1562 ont rejeté; trois millions onze mille sept cents ont accepté la constitution.
Le premier consul, Bonaparte.
Extrait du rapport du ministre de la police générale, sur les naufragés de Calais.
Je suis loin d'atténuer le délit d'hommes coupables envers la patrie, et d'affaiblir le sentiment d'une juste indignation qu'ils inspirent; mais les émigrés naufragés à Calais ont subi plusieurs fois la peine portée contre le crime de l'émigration: car la mort n'est pas dans le coup qui frappe et qui nous enlève à la vie, elle est dans les angoisses et les tourments qui la précèdent. Depuis quatre années révolues, ces individus, jetés par la tempête sur le sol de leur patrie, n'y ont respiré que l'air des tombeaux. Quel que soit leur désir, ils l'ont donc expié, et ils en sont absous par le naufrage. A la suite de ce rapport, les consuls ont adopté l'arrêté suivant:
Les consuls de la république, chargés spécialement du rétablissement de l'ordre dans l'intérieur, après avoir entendu le rapport du ministre de la police générale;
Considérant 1o, que les émigrés détenus au château de Ham, ont fait naufrage sur les côtes de Calais;
2o Qu'ils ne sont dans aucun cas prévu par les lois sur les émigrés;
3o Qu'il est hors du droit des nations policées de profiter de l'accident d'un naufrage, pour livrer, même au juste courroux des lois, des malheureux échappés aux flots, arrêtent:
Art. Ier. Les émigrés français, naufragés à Calais le 23 brumaire an IV, et dénommés dans le jugement de la commission militaire établie à Calais le 9 nivôse an IV, seront déportés hors du territoire de la république.
II. Les ministres de la police générale et de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté, qui sera imprimé au bulletin des lois.
Signé, Roger-Ducos, Siéyes et Bonaparte.
Le ministre de la police générale,
Signé, Fouché.
Lettre du ministre des relations extérieures de la république française,
Au lord Grenville, ministre des affaires étrangères.
Paris, 5 nivose, an VIII
de la république.
Milord,
J'expédie, par l'ordre du général Bonaparte, premier consul de la république française, un courrier à Londres. Il est porteur d'une lettre du premier consul de la république, pour Sa Majesté le roi d'Angleterre. Je vous prie de donner les ordres nécessaires pour qu'il puisse vous la remettre sans intermédiaire. Cette démarche annonce d'elle-même l'importance de son objet.
Recevez, milord, l'assurance de ma plus haute considération.
Ch. Mau. Talleyrand.
République Française.—Souveraineté du Peuple.—Liberté.—Égalité.
Bonaparte, premier consul de la république,
A S. M. le roi de la Grande-Bretagne et d'Irlande.
Appelé par les vœux de la nation française à occuper la première magistrature de la république, je crois convenable, en entrant en charge, d'en faire directement part à votre majesté.
La guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties du monde, doit-elle être éternelle? N'est-il donc aucun moyen de s'entendre?
Comment les deux nations les plus éclairées de l'Europe, puissantes et fortes plus que ne l'exigent leur sûreté et leur indépendance, peuvent-elles sacrifier à des idées de vaine grandeur le bien du commerce, la prospérité intérieure, le bonheur des familles? Comment ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins comme la première des gloires?
Ces sentiments ne peuvent pas être étrangers au cœur de votre majesté qui gouverne une nation libre et dans le seul but de la rendre heureuse.
Votre majesté ne verra dans cette ouverture que mon desir sincère de contribuer efficacement, pour la seconde fois, à la pacification générale, par une démarche prompte, toute de confiance, et dégagée de ces formes qui, nécessaires peut-être pour déguiser la dépendance des états faibles, ne décèlent dans les états forts que le désir mutuel de se tromper.
La France, l'Angleterre, par l'abus de leurs forces, peuvent long-temps encore, pour le malheur de tous les peuples, en retarder l'épuisement; mais, j'ose le dire, le sort de toutes les nations civilisées est attaché à la fin d'une guerre qui embrase le monde entier.
De votre majesté, etc., etc.
BONAPARTE.
Réponse de lord Grenville,
Au Ministre des relations extérieures, à Paris.
Monsieur,
J'ai reçu et remis sous les yeux de sa majesté les deux lettres que vous m'avez adressées. Sa majesté ne voyant point de raison pour se départir des formes depuis long-temps établies en Europe, au sujet des affaires qui se transigent entre les états, m'a ordonné de vous rendre, en son nom, la réponse officielle qui se trouve incluse dans cette note.
J'ai l'honneur d'être, avec une haute considération, monsieur, votre très-humble serviteur,
Grenville.
Note au ministre des relations extérieures, à Paris.
Downing-Street, 4 janvier 1800.
Le roi a donné des preuves fréquentes de son desir sincère pour le rétablissement d'une tranquillité sûre et permanente en Europe. Il n'est, ni n'a été engagé dans aucune contestation pour une vaine et fausse gloire. Il n'a eu d'autres vues que celles de maintenir, contre toute agression, les droits et le bonheur de ses sujets.
C'est pour ces objets que jusque ici il a lutté contre une attaque non provoquée; c'est pour les mêmes objets qu'il est forcé de lutter encore; et il ne saurait espérer, dans le moment actuel, qu'il pût écarter cette nécessité, en négociant avec ceux qu'une révolution nouvelle a si récemment investis du pouvoir en France. En effet, il ne peut résulter d'une telle négociation aucun avantage réel, pour ce grand objet si desirable d'une paix générale, jusqu'à ce qu'il paraisse distinctement qu'elles ont cessé d'agir, ces causes qui originairement ont produit la guerre, qui en ont depuis prolongé la durée, et qui, plus d'une fois, en ont renouvelé les effets.
Ce même systême, dont la France accuse à juste titre l'influence dominante, comme la cause de ses malheurs présents, est aussi celui qui a enveloppé le reste de l'Europe dans une guerre longue et destructive, et d'une nature inconnue, depuis bien des années, aux usages des nations civilisées.
C'est pour étendre ce systême et exterminer tous les gouvernements établis, que, d'année en année, les ressources de la France ont été prodiguées et épuisées, au milieu même d'une détresse sans exemple.
A cet esprit de destruction qui ne savait rien distinguer, on a sacrifié les Pays-Bas, les Provinces-Unies, et les Cantons Suisses, ces anciens amis et alliés de sa majesté. L'Allemagne a été ravagée; l'Italie, maintenant arrachée à ses envahisseurs, a été le théâtre de rapines et d'anarchie sans bornes. Sa majesté s'est vue elle-même dans la nécessité de soutenir une lutte difficile et onéreuse, pour garantir l'indépendance et l'existence de ses royaumes.
Et ces calamités ne sont pas bornées à l'Europe seule; elles se sont étendues aux parties les plus reculées du monde, et même jusqu'à des pays si éloignés de la contestation présente, tant par leur situation que par leurs intérêts, que l'existence même de la guerre était peut-être inconnue à ceux qui se sont trouvés subitement enveloppés dans toutes ses horreurs.
Tant que dominera un systême pareil, et que le sang et les trésors d'une nation populeuse et puissante peuvent être prodigués pour soutenir ce systême, l'expérience a démontré qu'on ne pouvait s'en garantir efficacement d'aucune autre manière que par des hostilités ouvertes et fermes. Les traités les plus solennels n'ont fait que préparer la voie à de nouvelles agressions. C'est uniquement à une résistance déterminée que l'on doit aujourd'hui la conservation de ce qui reste en Europe, de stabilité pour les propriétés, pour la liberté personnelle, l'ordre social, et le libre exercice de la religion.
En veillant donc à la garantie de ces objets essentiels, sa majesté ne peut placer sa confiance dans le simple renouvellement de profession générale, annonçant des dispositions pacifiques. Ces professions ont été réitérativement proclamées par tous ceux qui ont successivement dirigé les ressources de la France vers la destruction de l'Europe; par ceux-là mêmes que les gouvernants actuels de la France ont déclarés, depuis le commencement et dans tous les temps, être tous incapables de maintenir les rapports d'amitié et de paix.
Sa majesté ne pourra que ressentir un plaisir particulier, dès qu'elle s'apercevra qu'il n'existe plus réellement, ce danger qui a si long-temps menacé et ses propres domaines, et ceux de ses alliés; dès qu'elle pourra se convaincre que la résistance n'est plus une nécessité; qu'enfin, après l'expérience de tant d'années de crimes et de malheurs, elle verra régner en France de meilleurs principes; en un mot, quand on aura totalement abandonné ces projets gigantesques d'ambition, et les plans inquiets de destruction qui ont mis en problême jusqu'à l'existence de la société civile.
Mais la conviction d'un pareil changement, quelque agréable qu'il doive être au vœu de sa majesté, ne peut résulter que de l'expérience et de l'évidence des faits.
Le garant le plus naturel et le meilleur, en même temps, et de la réalité et de la stabilité de ce changement, se trouverait dans le rétablissement de cette race de princes qui, durant tant de siècles, surent maintenir au dedans la prospérité de la nation française, et lui assurer de la considération et du respect au dehors. Un tel évènement aurait écarté à l'instant, et dans tous les temps il écartera les obstacles qui s'opposeraient aux négociations de paix. Il assurerait à la France la jouissance incontestée de son ancien territoire, et donnerait à toutes les nations de l'Europe, par des moyens tranquilles et paisibles, la sécurité qu'elles sont maintenant forcées de chercher par d'autres moyens.
Mais, quelque desirable que puisse être un pareil évènement, et pour la France et pour le monde entier, sa majesté n'y attache pas exclusivement la possibilité d'une pacification solide et durable. Sa majesté ne prétend pas prescrire à la France quelle sera la forme de son gouvernement, ni dans quelles mains elle déposera l'autorité nécessaire pour conduire les affaires d'une grande et puissante nation.
Sa majesté ne regarde que la sécurité de ses propres états, de ceux de ses alliés, ainsi que celle de l'Europe en général. Dès qu'elle jugera que cette sécurité peut s'obtenir d'une manière quelconque, soit qu'elle résulte de la situation intérieure de ce pays-là, dont la situation intérieure a causé le danger primitif; soit qu'elle provienne de toute autre circonstance qui mène à la même fin, sa majesté embrassera avec ardeur l'occasion de se concerter avec ses alliés sur les moyens d'une pacification immédiate et générale.
Malheureusement jusque ici il n'existe point une telle sécurité: nulle garantie des principes qui doivent diriger le nouveau gouvernement; nul motif raisonnable pour juger de sa stabilité.
Dans cette situation, il ne reste pour le présent à sa majesté, qu'à poursuivre de concert avec les autres puissances une guerre juste et défensive; que son zèle pour le bonheur de ses sujets ne lui permettra jamais, ni de continuer au-delà de la nécessité à laquelle elle doit son origine, ni de cesser à d'autres conditions que celles qu'elle croira devoir contribuer à leur garantir la jouissance de leur tranquillité, de leur constitution et de leur indépendance.
Grenville.
PROCLAMATION
Du premier consul de la république,
Aux Français.
Français!
Vous desirez la paix; votre gouvernement la desire avec plus d'ardeur encore. Ses premiers vœux, ses démarches constantes ont été pour elle. Le ministère anglais la repousse; le ministère anglais a trahi le secret de son horrible politique. Déchirer la France, détruire sa marine et ses ports, l'effacer du tableau de l'Europe, ou l'abaisser au rang des puissances secondaires, tenir toutes les nations du continent divisées, pour s'emparer du commerce de toutes et s'enrichir de leurs dépouilles; c'est pour obtenir ces affreux succès que l'Angleterre répand l'or, prodigue les promesses, et multiplie les intrigues.
Mais ni l'or, ni les promesses, ni les intrigues de l'Angleterre n'enchaîneront à ses vues les puissances du continent. Elles ont entendu le vœu de la France; elles connaissent la modération des principes qui la dirigent; elles écouteront la voix de l'humanité et la voix puissante de leur intérêt.
S'il en était autrement, le gouvernement, qui n'a pas craint d'offrir et de solliciter la paix, se souviendra que c'est à vous de la commander. Pour la commander, il faut de l'argent, du fer et des soldats.
Que tous s'empressent de payer le tribut qu'ils doivent à la défense commune; que les jeunes citoyens marchent; ce n'est plus pour le choix des tyrans qu'ils vont s'armer: c'est pour la garantie de ce qu'ils ont de plus cher; c'est pour l'honneur de la France; c'est pour les intérêts sacrés de l'humanité et de la liberté. Déja les armées ont repris cette attitude, présage de la victoire; à leur aspect, à l'aspect de la nation entière, réunie dans les mêmes intérêts et dans les mêmes vœux, n'en doutez point, Français, vous n'aurez plus d'ennemis sur le continent. Que si quelque puissance encore veut tenter le sort des combats, le premier consul a promis la paix; il ira la conquérir à la tête de ces guerriers qu'il a plus d'une fois conduits à la victoire. Avec eux il saura retrouver ces champs encore pleins du souvenir de leurs exploits; mais, au milieu des batailles, il invoquera la paix, et il jure de ne combattre que pour le bonheur de la France et le repos du monde.
Le premier consul, Bonaparte.
CONSTITUTION CONSULAIRE
DE 1799.
Loi qui supprime le directoire exécutif, et organise un gouvernement provisoire.
19 brumaire an VIII
(10 novembre 1799).
Le conseil des anciens, adoptant les motifs de la déclaration d'urgence qui précède la résolution ci-après, approuve l'acte d'urgence.
(Teneur de la déclaration d'urgence et de la résolution du 19 brumaire.)
Le conseil des cinq-cents, considérant la situation de la république, déclare l'urgence, et prend la résolution suivante:
Art. 1er. Il n'y a plus de directoire; et ne sont plus membres de la représentation nationale, pour les excès et les attentats auxquels ils se sont constamment portés, et notamment le plus grand nombre d'entre eux, dans la séance de ce matin, les individus ci-après nommés[12].
2. Le corps législatif crée provisoirement une commission consulaire exécutive, composée des citoyens Siéyes, Roger-Ducos, ex-directeurs, et Bonaparte, général, qui porteront le nom de consuls de la république française.
3. Cette commission est investie de la plénitude du pouvoir directorial, et spécialement chargée d'organiser l'ordre dans toutes les parties de l'administration, de rétablir la tranquillité intérieure, et de procurer une paix honorable et solide.
4. Elle est autorisée à envoyer des délégués, avec un pouvoir déterminé, et dans les limites du sien.
5. Le corps législatif s'ajourne au premier ventôse prochain; il se réunira de plein droit à cette époque, à Paris, dans ses palais.
6. Pendant l'ajournement du corps législatif, les membres ajournés conservent leur indemnité, et leur garantie constitutionnelle.
7. Ils peuvent, sans perdre leur qualité de représentants du peuple, être employés comme ministres, agents diplomatiques, délégués de la commission consulaire exécutive, et dans toutes les autres fonctions civiles. Ils sont même invités, au nom du bien public, à les accepter.
8. Avant sa séparation, et séance tenante, chaque conseil nommera dans son sein une commission composée de vingt-cinq membres.
9. Les commissions nommées par les deux conseils, statueront, avec la proposition formelle et nécessaire de la commission consulaire exécutive, sur tous les objets urgents de police, de législation et de finances.
10. La commission des cinq-cents exercera l'initiative; la commission des anciens, l'approbation.
11. Les deux commissions sont encore chargées de préparer dans le même ordre de travail et de concours, les changements à apporter aux dispositions organiques de la constitution, dont l'expérience a fait sentir les vices et les inconvénients.
12. Ces changements ne peuvent avoir pour but que de consolider, garantir et consacrer inviolablement la souveraineté du peuple français, la république une et indivisible, le systême représentatif, la division des pouvoirs, la liberté, l'égalité, la sûreté, et la propriété.
13. La commission consulaire exécutive pourra leur présenter ses vues à cet égard.
14. Enfin, les deux commissions sont chargées de préparer un code civil.
15. Elles siégeront à Paris, dans les palais du corps législatif, et elles pourront le convoquer extraordinairement pour la ratification de la paix, ou dans un plus grand danger public.
16. La présente sera imprimée, envoyée par des courriers extraordinaires dans les départements, et solennellement publiée et affichée dans toutes les communes de la république.
Après une seconde lecture, le conseil des anciens approuve la résolution ci-dessus.
A Saint-Cloud, le 19 brumaire an VIII de la république française.
Les consuls de la république ordonnent que la loi ci-dessus sera publiée, exécutée, et qu'elle sera munie du sceau de la république.
Fait au palais national des consuls de la république française, le 20 brumaire an VIII de la république.
Roger-Ducos, Bonaparte, Siéyes.
CONSTITUTION DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,
DÉCRÉTÉE PAR LES COMMISSIONS LÉGISLATIVES DES DEUX CONSEILS, ET PAR LES CONSULS.
22 frimaire an VIII (13 décembre 1799).
TITRE Ier.
De l'Exercice des Droits de cité.
Art. 1er. La république française est une et indivisible.
Son territoire européen est distribué en départements et arrondissements communaux.
2. Tout homme né et résidant en France, qui, âgé de vingt-un ans accomplis, s'est fait inscrire sur le registre civique de son arrondissement communal, et qui a demeuré depuis pendant un an sur le territoire de la république, est citoyen français.
3. Un étranger devient citoyen français, lorsque après avoir atteint l'âge de vingt-un ans accomplis, et avoir déclaré l'intention de se fixer en France, il y a résidé pendant dix années consécutives.
4. La qualité de citoyen français se perd,
Par la naturalisation en pays étranger;
Par l'acceptation de fonctions ou de pensions offertes par un gouvernement étranger;
Par l'affiliation à toute corporation étrangère qui supposerait des distinctions de naissance;
Par la condamnation à des peines afflictives ou infamantes.
5. L'exercice des droits de citoyen français est suspendu, par l'état de débiteur failli, ou d'héritier immédiat détenteur à titre gratuit de la succession totale ou partielle d'un failli;
Par l'état de domestique à gages, attaché au service de la personne ou du ménage;
Par l'état d'interdiction judiciaire, d'accusation ou de contumace.
6. Pour exercer les droits de cité dans un arrondissement communal, il faut y avoir acquis domicile par une année de résidence, et ne l'avoir pas perdu par une année d'absence.
7. Les citoyens de chaque arrondissement communal désignent par leurs suffrages ceux d'entre eux qu'ils croient les plus propres à gérer les affaires publiques. Il en résulte une liste de confiance, contenant un nombre de noms égal au dixième du nombre des citoyens ayant droit d'y coopérer. C'est dans cette première liste communale que doivent être pris les fonctionnaires publics de l'arrondissement.
8. Les citoyens compris dans les listes communales d'un département, désignent également un dixième d'entre eux. Il en résulte une seconde liste départementale, dans laquelle doivent être pris les fonctionnaires publics du département.
9. Les citoyens portés dans la liste départementale, désignent pareillement un dixième d'entre eux: il en résulte une troisième liste qui comprend les citoyens de ce département éligibles aux fonctions publiques nationales.
10. Les citoyens ayant droit de coopérer à la formation de l'une des listes mentionnées aux trois articles précédents, sont appelés tous les trois ans à pourvoir au remplacement des inscrits décédés, ou absents pour toute autre cause que l'exercice d'une fonction publique.
11. Ils peuvent, en même temps, retirer de la liste les inscrits qu'ils ne jugent pas à propos d'y maintenir, et les remplacer par d'autres citoyens dans lesquels ils ont une plus grande confiance.
12. Nul n'est retiré d'une liste que par les votes de la majorité absolue des citoyens ayant droit de coopérer à sa formation.
13. On n'est point retiré d'une liste d'éligibles par cela seul qu'on n'est pas maintenu sur une autre liste d'un degré inférieur ou supérieur.
14. L'inscription sur une liste d'éligibles n'est nécessaire qu'à l'égard de celles des fonctions publiques pour lesquelles cette condition est expressément exigée par la constitution ou par la loi. Les listes d'éligibles seront formées pour la première fois dans le cours de l'an IX.
Les citoyens qui seront nommés pour la première formation des autorités constituées, feront partie nécessaire des premières listes d'éligibles.
TITRE II.
Du Sénat conservateur.
15. Le sénat conservateur est composé de quatre-vingts membres, inamovibles et à vie, âgés de quarante ans au moins.
Pour la formation du sénat, il sera d'abord nommé soixante membres: ce nombre sera porté à soixante-deux dans le cours de l'an VIII, à soixante-quatre en l'an IX, et s'élèvera ainsi graduellement à quatre-vingts par l'addition de deux membres en chacune des dix premières années.
16. La nomination à une place de sénateur se fait par le sénat, qui choisit entre trois candidats présentés: le premier, par le corps législatif; le second, par le tribunat; et le troisième, par le premier consul.
Il ne choisit qu'entre deux candidats, si l'un d'eux est proposé par deux des trois autorités présentantes: il est tenu d'admettre celui qui serait proposé à la fois par les trois autorités.
17. Le premier consul sortant de place, soit par l'expiration de ses fonctions, soit par démission, devient sénateur de plein droit et nécessairement.
Les deux autres consuls, durant le mois qui suit l'expiration de leurs fonctions, peuvent prendre place dans le sénat, et ne sont pas obligés d'user de ce droit.
Ils ne l'ont point quand ils quittent leurs fonctions consulaires par démission.
18. Un sénateur est à jamais inéligible à toute autre fonction publique.
19. Toutes les listes faites dans les départements en vertu de l'art. 9, sont adressées au sénat: elles composent la liste nationale.
20. Il élit dans cette liste les législateurs, les tribuns, les consuls, les juges de cassation, et les commissaires à la comptabilité.
21. Il maintient ou annulle tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels par le tribunat ou par le gouvernement. Les listes d'éligibles sont comprises parmi ces actes.
22. Des revenus de domaines nationaux déterminés sont affectés aux dépenses du sénat. Le traitement annuel de chacun de ses membres se prend sur ces revenus, et il est égal au vingtième de celui du premier consul.
23. Les séances du sénat ne sont pas publiques.
24. Les citoyens Siéyes et Roger-Ducos, consuls sortants, sont nommés membres du sénat conservateur; ils se réuniront avec le second et le troisième consul nommés par la présente constitution. Ces quatre citoyens nomment la majorité du sénat, qui se complète ensuite lui-même, et procède aux élections qui lui sont confiées.
TITRE III.
Du Pouvoir législatif.
25. Il ne sera promulgué des lois nouvelles que lorsque le projet en aura été proposé par le gouvernement, communiqué au tribunat, et décrété par le corps législatif.
26. Les projets que le gouvernement propose, sont rédigés en articles. En tout état de la discussion de ces projets, le gouvernement peut les retirer; il peut les reproduire modifiés.
27. Le tribunat est composé de cent membres, âgés de vingt-cinq ans au moins, ils sont renouvelés par cinquième tous les ans, et indéfiniment rééligibles tant qu'ils demeurent sur la liste nationale.
28. Le tribunat discute les projets de loi; il en vote l'adoption ou le rejet.
Il envoie trois orateurs pris dans son sein, par lesquels les motifs du vœu qu'il a exprimé sur chacun de ces projets, sont exposés et défendus devant le corps législatif.
Il défère au sénat, pour cause d'inconstitutionnalité seulement, les listes d'éligibles, les actes du corps législatif, et ceux du gouvernement.
29. Il exprime son vœu sur les lois faites et à faire, sur les abus à corriger, sur les améliorations à entreprendre dans toutes les parties de l'administration publique, mais jamais sur les affaires civiles ou criminelles portées devant les tribunaux.
Les vœux qu'il manifeste, en vertu du présent article, n'ont aucune suite nécessaire, et n'obligent aucune autorité constituée à une délibération.
30. Quand le tribunat s'ajourne, il peut nommer une commission de dix à quinze membres, chargée de le convoquer si elle le juge convenable.
31. Le corps législatif est composé de trois cents membres, âgés de trente ans au moins: ils sont renouvelés par cinquième tous les ans.
Il doit toujours s'y trouver un citoyen au moins de chaque département de la république.
32. Un membre sortant du corps législatif ne peut y rentrer qu'après un an d'intervalle; mais il peut être immédiatement élu à toute autre fonction publique y compris celle de tribun, s'il y est d'ailleurs éligible.
33. La session du corps législatif commence chaque année le 1er frimaire, et ne dure que quatre mois; il peut être extraordinairement convoqué durant les huit autres par le gouvernement.
34. Le corps législatif fait la loi en statuant par scrutin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres, sur les projets de loi débattus devant lui par les orateurs du tribunat et du gouvernement.
35. Les séances du tribunat et celles du corps législatif sont publiques; le nombre des assistants, soit aux unes, soit aux autres, ne peut excéder deux cents.
36. Le traitement annuel d'un tribun est de quinze mille francs; celui d'un législateur, de dix mille francs.
37. Tout décret du corps législatif, le dixième jour après son émission, est promulgué par le premier consul, à moins que, dans ce délai, il n'y ait eu recours au sénat pour cause d'inconstitutionnalité. Ce recours n'a point lieu contre les lois promulguées.
38. Le premier renouvellement du corps législatif et du tribunat, n'aura lieu que dans le cours de l'an X.
TITRE IV.
Du Gouvernement.
39. Le gouvernement est confié à trois consuls nommés pour dix ans et indéfiniment rééligibles.
Chacun d'eux est élu individuellement, avec la qualité distincte ou de premier, ou de second, ou de troisième consul.
La constitution nomme premier consul le citoyen Bonaparte, ex-consul provisoire; second consul, le citoyen Cambacérès, ex-ministre de la justice; et troisième consul, le citoyen Lebrun, ex-membre de la commission du conseil des anciens.
Pour cette fois, le troisième consul n'est nommé que pour cinq ans.
40. Le premier consul a des fonctions et des attributions particulières, dans lesquelles il est momentanément suppléé, quand il y a lieu, par un de ses collègues.
41. Le premier consul promulgue les lois; il nomme et révoque à volonté les membres du conseil d'état, les ministres, les ambassadeurs et les autres agents extérieurs en chef, les officiers de l'armée de terre et de mer, les membres des administrations locales, et les commissaires du gouvernement près les tribunaux. Il nomme tous les juges criminels et civils, autres que les juges de paix et les juges de cassation, sans pouvoir les révoquer.
42. Dans les autres actes du gouvernement, le second et le troisième consul ont voix consultative; ils signent le registre de ces actes pour constater leur présence; et s'ils le veulent, ils y consignent leurs opinions: après quoi la décision du premier consul suffit.
43. Le traitement du premier consul sera de cinq cent mille francs en l'an VIII. Le traitement de chacun des deux autres consuls est égal aux trois dixièmes de celui du premier.
44. Le gouvernement propose les lois, et fait les réglements nécessaires pour assurer leur exécution.
45. Le gouvernement dirige les recettes et les dépenses de l'état, conformément à la loi annuelle qui détermine le montant des unes et des autres; il surveille la fabrication des monnaies, dont la loi seule ordonne l'émission, fixe le titre, le poids, et le type.
46. Si le gouvernement est informé qu'il se trame quelque conspiration contre l'état, il peut décerner des mandats d'amener et des mandats d'arrêt contre les personnes qui en sont présumées les auteurs ou les complices; mais si, dans un délai de dix jours après leur arrestation, elles ne sont mises en liberté ou en justice réglée, il y a de la part du ministre signataire du mandat, crime de détention arbitraire.
47. Le gouvernement pourvoit à la sûreté intérieure et à la défense extérieure de l'état; il distribue les forces de terre et de mer, et en règle la direction.
48. La garde nationale en activité est soumise aux réglements d'administration publique: la garde nationale sédentaire n'est soumise qu'à la loi.
49. Le gouvernement entretient des relations politiques au-dehors, conduit les négociations, fait les stipulations préliminaires, signe, fait signer et conclut tous les traités de paix, d'alliance, de trève, de neutralité, de commerce, et autres conventions.
50. Les déclarations de guerre et les traités de paix, d'alliance et de commerce, sont proposés, discutés, décrétés et promulgués comme des lois.
Seulement les discussions et délibérations sur ces objets, tant dans le tribunat que dans le corps législatif, se font en comité secret quand le gouvernement le demande.
51. Les articles secrets d'un traité ne peuvent être destructifs des articles patents.
52. Sous la direction des consuls, le conseil d'état est chargé de rédiger les projets de lois et les réglements d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative.
53. C'est parmi les membres du conseil d'état que sont toujours pris les orateurs chargés de porter la parole au nom du gouvernement devant le corps législatif.
Ces orateurs ne sont jamais envoyés au nombre de plus de trois pour la défense d'un même projet de loi.
54. Les ministres procurent l'exécution des lois et des réglements d'administration publique.
55. Aucun acte du gouvernement ne peut avoir d'effet, s'il n'est signé par un ministre.
56. L'un des ministres est spécialement chargé de l'administration du trésor public: il assure les recettes, ordonne les mouvements de fonds et les paiements autorisés par la loi. Il ne peut rien faire payer qu'en vertu, 1o d'une loi, et jusqu'à la concurrence des fonds qu'elle a déterminés pour un genre de dépenses; 2o d'un arrêté du gouvernement; 3o d'un mandat signé par un ministre.
57. Les comptes détaillés de la dépense de chaque ministre, signés et certifiés par lui, sont rendus publics.
58. Le gouvernement ne peut élire ou conserver pour conseillers d'état, pour ministres, que des citoyens dont les noms se trouvent inscrits sur la liste nationale.
59. Les administrations locales établies, soit pour chaque arrondissement communal, soit pour des portions plus étendues du territoire, sont subordonnées aux ministres. Nul ne peut devenir ou rester membre de ces administrations, s'il n'est porté ou maintenu sur l'une des listes mentionnées aux art. 7 et 8.
TITRE V.
Des Tribunaux.
60. Chaque arrondissement communal a un ou plusieurs juges de paix, élus immédiatement par les citoyens pour trois années.
Leur principale fonction consiste à concilier les parties, qu'ils invitent, dans le cas de non-conciliation, à se faire juger par des arbitres.
61. En matière civile, il y a des tribunaux de première instance et des tribunaux d'appel. La loi détermine l'organisation des uns et des autres, leur compétence, et le territoire formant le ressort de chacun.
62. En matière de délits emportant peine afflictive ou infamante, un premier jury admet ou rejette l'accusation: si elle est admise, un second jury reconnaît le fait, et les juges, formant un tribunal criminel, appliquent la peine. Leur jugement est sans appel.
63. La fonction d'accusateur public près un tribunal criminel est remplie par le commissaire du gouvernement.
64. Les délits qui n'emportent pas peine afflictive ou infamante, sont jugés par des tribunaux de police correctionnelle, sauf l'appel aux tribunaux criminels.
65. Il y a, pour toute la république, un tribunal de cassation, qui prononce sur les demandes en cassation contre les jugements en dernier ressort rendus par les tribunaux, sur les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique, sur les prises à partie contre un tribunal entier.
66. Le tribunal de cassation ne connaît point du fond des affaires; mais il casse les jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse à la loi, et il renvoie le fond du procès au tribunal qui doit en connaître.
67. Les juges composant les tribunaux de première instance, et les commissaires du gouvernement établis près ces tribunaux, sont pris dans la liste communale ou dans la liste départementale.
Les juges formant les tribunaux d'appel, et les commissaires placés près d'eux, sont pris dans la liste départementale.
Les juges composant le tribunal de cassation, et les commissaires établis près ce tribunal, sont pris dans la liste nationale.
68. Les juges, autres que les juges de paix, conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu'ils ne soient condamnés pour forfaiture, ou qu'ils ne soient pas maintenus sur les listes d'éligibles.
TITRE VI.
De la Responsabilité des fonctionnaires publics.
69. Les fonctions des membres soit du sénat, soit du corps législatif, soit du tribunat, celles des consuls et des conseillers d'état, ne donnent lieu à aucune responsabilité.
70. Les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre, soit du sénat, soit du tribunat, soit du corps législatif, soit du conseil d'état, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient, a autorisé cette poursuite.
71. Les ministres prévenus de délits privés emportant peine afflictive ou infamante, sont considérés comme membres du conseil d'état.
72. Les ministres sont responsables, 1o de tout acte de gouvernement signé par eux, et déclaré inconstitutionnel par le sénat; 2o de l'inexécution des lois et des réglements d'administration publique; 3o des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois, et aux réglements.
73. Dans les cas de l'article précédent, le tribunat dénonce le ministre par un acte sur lequel le corps législatif délibère dans les formes ordinaires, après avoir entendu ou appelé le dénoncé. Le ministre mis en jugement par un décret du corps législatif, est jugé par une haute-cour, sans appel et sans recours en cassation.
La haute-cour est composée de juges et de jurés. Les juges sont choisis par le tribunal de cassation, et dans son sein; les jurés sont pris dans la liste nationale: le tout suivant les formes que la loi détermine.
74. Les juges civils et criminels sont, pour les délits relatifs à leurs fonctions, poursuivis devant les tribunaux auxquels celui de cassation les renvoie après avoir annulé leurs actes.
73. Les agents du gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du conseil d'état: en ce cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires.
TITRE VII.
Dispositions générales.
76. La maison de toute personne habitant le territoire français, est un asyle inviolable.
Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation, ou de réclamation faite de l'intérieur de la maison.
Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé, ou par une loi, ou par un ordre émané d'une autorité publique.
77. Pour que l'acte qui ordonne l'arrestation d'une personne puisse être exécuté, il faut, 1o qu'il exprime formellement le motif de l'arrestation, et la loi en exécution de laquelle elle est ordonnée; 2o qu'il émane d'un fonctionnaire à qui la loi ait donné formellement ce pouvoir; 3o qu'il soit notifié à la personne arrêtée, et qu'il lui en soit laissé copie.
78. Un gardien ou geolier ne peut recevoir ou détenir aucune personne qu'après avoir transcrit sur son registre l'acte qui ordonne l'arrestation: cet acte doit être un mandat donné dans les formes prescrites par l'article précédent, ou une ordonnance de prise de corps, ou un décret d'accusation, ou un jugement.
79. Tout gardien ou geolier est tenu sans qu'aucun ordre puisse l'en dispenser, de représenter la personne détenue à l'officier civil ayant la police de la maison de détention, toutes les fois qu'il en sera requis par cet officier.
80. La représentation de la personne détenue ne pourra être refusée à ses parents et amis porteurs de l'ordre de l'officier civil, lequel sera toujours tenu de l'accorder, à moins que le gardien ou geolier ne représente une ordonnance du juge pour tenir la personne au secret.
81. Tous ceux qui, n'ayant point reçu de la loi le pouvoir de faire arrêter, donneront, signeront, exécuteront l'arrestation d'une personne quelconque; tous ceux qui, même dans le cas de l'arrestation autorisée par la loi, recevront ou retiendront la personne arrêtée, dans un lieu de détention non publiquement et légalement désigné comme tel, et tous les gardiens ou geoliers qui contreviendront aux dispositions des trois articles précédents, seront coupables du crime de détention arbitraire.
82. Toutes rigueurs employées dans les arrestations, détentions ou exécutions, autres que celles autorisées par les lois, sont des crimes.
83. Toute personne a le droit d'adresser des pétitions individuelles à toute autorité constituée, et spécialement au tribunat.
84. La force publique est essentiellement obéissante; nul corps armé ne peut délibérer.
85. Les délits des militaires sont soumis à des tribunaux spéciaux, et à des formes particulières de jugement.
86. La nation française déclare qu'il sera accordé des pensions à tous les militaires blessés à la défense de la patrie, ainsi qu'aux veuves et enfants des militaires morts sur le champ de bataille ou des suites de leurs blessures.
87. Il sera décerné des récompenses nationales aux guerriers qui auront rendu des services éclatants en combattant pour la république.
88. Un institut national est chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les sciences et les arts.
89. Une commission de comptabilité nationale règle et vérifie les comptes des recettes et des dépenses de la république. Cette commission est composée de sept membres choisis par le sénat dans la liste nationale.
90. Un corps constitué ne peut prendre de délibération que dans une séance où les deux tiers au moins de ses membres se trouvent présents.
91. Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales.
92. Dans le cas de révolte à main armée, ou de troubles qui menacent la sûreté de l'état, la loi peut suspendre, dans les lieux et pour le temps qu'elle détermine, l'empire de la constitution.
Cette suspension peut être provisoirement déclarée dans les mêmes cas, par un arrêté du gouvernement, le corps législatif étant en vacance, pourvu que ce corps soit convoqué au plus court terme par un article du même arrêté.
93. La nation française déclare qu'en aucun cas elle ne souffrira le retour des Français qui, ayant abandonné leur patrie depuis le 14 juillet 1789, ne sont pas compris dans les exceptions portées aux lois rendues contre les émigrés; elle interdit toute exception nouvelle sur ce point.
Les biens des émigrés sont irrévocablement acquis au profit de la république.
94. La nation française déclare qu'après une vente légalement consommée de biens nationaux, quelle qu'en soit l'origine, l'acquéreur légitime ne peut en être dépossédé, sauf aux tiers réclamants à être, s'il y a lieu, indemnisés par le trésor public.
95. La présente constitution sera offerte de suite à l'acceptation du peuple français.
Fait à Paris, le 22 frimaire an VIII de la république française, une et indivisible.
Loi qui règle la manière dont la constitution sera présentée au peuple français.
23 frimaire an VIII (14 décembre 1799).
La commission du conseil des anciens, créée par la loi du 19 brumaire, adoptant les motifs de la déclaration d'urgence qui précède la résolution ci-après, approuve l'acte d'urgence.
(Teneur de la déclaration d'urgence et de la résolution du 23 frimaire.)
La commission du conseil des cinq-cents, créée par la loi du 19 brumaire dernier;
Délibérant sur la proposition formelle contenue dans le message des consuls en date de ce jour, de régler par une loi la manière dont la constitution sera présentée au peuple français;
Considérant que la constitution qui doit substituer à un gouvernement provisoire un ordre de choses définitif et invariable, doit être sans délai présentée à l'acceptation des citoyens;
Que le mode d'acceptation le plus convenable et le plus populaire est celui qui répond le plus promptement et le plus facilement aux besoins et à la juste impatience de la nation,
Déclare qu'il y a urgence.
La commission, après avoir déclaré l'urgence, prend la résolution suivante:
Art. Ier. Il sera ouvert dans chaque commune des registres d'acceptation et de non-acceptation: les citoyens sont appelés à y consigner ou y faire consigner leur vote sur la constitution.
II. Les registres seront ouverts au secrétariat de toutes les administrations, aux greffes de tous les tribunaux, entre les mains des agents communaux, des juges de paix, et des notaires: les citoyens ont droit de choisir à leur gré entre ces divers dépôts.
III. Le délai pour voter dans chaque département est de quinze jours, à dater de celui où la constitution est parvenue à l'administration centrale: il est de trois jours pour chaque commune, à dater de celui où l'acte constitutionnel est arrivé au chef-lieu du canton.
IV. Les consuls de la république sont chargés de régulariser et d'activer la formation, l'ouverture, la tenue, la clôture, et l'envoi des registres.
V. Les consuls sont pareillement chargés d'en proclamer le résultat.
VI. La présente résolution sera imprimée.
Après une seconde lecture, la commission du conseil des anciens approuve la résolution ci-dessus (23 frimaire an VIII).
Les consuls de la république ordonnent que la loi ci-dessus sera publiée, exécutée, et qu'elle sera munie du sceau de la république.
Fait au palais national des consuls de la république, le 23 frimaire an VIII de la république.
Roger-Ducos, Bonaparte, Siéyes.
PROCLAMATION
Des consuls de la république.
24 frimaire an VIII (15 décembre 1799).
Les consuls de la république, aux Français.
Une constitution vous est présentée.
Elle fait cesser les incertitudes que le gouvernement provisoire mettait dans les relations extérieures, et dans la situation intérieure et militaire de la république.
Elle place dans les institutions qu'elle établit, les premiers magistrats dont le dévouement a paru nécessaire à son activité.
La constitution est fondée sur les vrais principes du gouvernement représentatif, sur les droits sacrés de la propriété, de l'égalité, de la liberté.
Les pouvoirs qu'elle institue, seront forts et stables, tels qu'ils doivent être pour garantir les droits des citoyens et les intérêts de l'état.
Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée: elle est finie.
Roger-Ducos, Bonaparte, Siéyes.
Loi concernant les opérations et communications respectives des autorités chargées par la constitution de concourir à la formation de la loi.
19 nivose an VIII (9 janvier 1800).
Au nom du peuple français, Bonaparte, premier consul, proclame loi de la république le décret suivant, rendu par le corps législatif le 19 nivôse an VIII, sur la proposition faite par le gouvernement le 12 dudit mois, communiquée au tribunat le 13 du même mois.
Décret.
Le corps législatif, réuni au nombre des membres prescrit par l'art. 90 de la constitution;
Lecture faite du projet de loi concernant les opérations et communications respectives des autorités chargées par la constitution de concourir à la formation de la loi, proposé par le gouvernement le 12 nivose présent mois, et communiqué au tribunat le lendemain;
Les orateurs du tribunat et ceux du gouvernement entendus dans la séance du 19 nivose; les suffrages recueillis au scrutin secret,
Décrète:
Art. 1er. Quand le gouvernement a arrêté qu'un projet de loi sera proposé, il en prévient le corps législatif par un message.
2. Le gouvernement indique le jour auquel il croit que doit être ouverte la discussion sur le projet de loi.
3. Après qu'un orateur du conseil d'état a lu au corps législatif le projet de loi, et en a exposé les motifs, il en dépose sur le bureau trois expéditions.
4. Sur l'une de ces expéditions mention est faite de la proposition de la loi; et elle est remise, signée du président et des secrétaires, à l'orateur ou aux orateurs du gouvernement.
5. Une des autres expéditions est déposée aux archives du corps législatif.
6. La troisième expédition est adressée, sans délai, par le corps législatif au tribunat.
7. Au jour indiqué par le gouvernement, le tribunat envoie au corps législatif ses orateurs pour faire connaître son vœu sur la proposition de loi.
8. Si, au jour indiqué, le tribunat demande une prorogation de délai, le corps législatif, après avoir entendu l'orateur ou les orateurs du gouvernement, prononce s'il y a eu lieu ou non à la prorogation demandée.
9. Si le corps législatif décide qu'il y a lieu à prorogation, le gouvernement propose un nouveau délai.
10. Si le corps législatif décide qu'il n'y a pas lieu à prorogation, la discussion est ouverte.
11. Si le tribunat ne fait pas connaître son vœu sur le projet de loi, il est censé en consentir la proposition.
12. Le bureau du corps législatif ne peut fermer la discussion ni sur les propositions de loi, ni sur les demandes de nouveau délai, qu'après que chacun des orateurs du gouvernement ou du tribunat aura été entendu au moins une fois, s'il le demande.
13. Pour mettre le gouvernement en état de délibérer s'il y a lieu ou non à retirer le projet de loi, les orateurs du gouvernement peuvent toujours demander l'ajournement, et l'ajournement ne peut leur être refusé.
14. Le Corps législatif vote, dans tous les cas, de la manière suivante: deux urnes sont placées sur le bureau; un secrétaire fait l'appel nominal des votants; à mesure qu'ils se présentent au bureau, un autre secrétaire remet à chacun une boule blanche destinée à exprimer le oui, et une boule noire destinée à exprimer le non: une des urnes seulement est destinée à recevoir les votes; dans l'autre sont jetées les boules inutiles. Quand l'appel est achevé, les secrétaires ouvrent, à la vue de l'assemblée, l'urne du scrutin, et font le compte des voix; le président proclame le résultat.
Soit la présente loi revêtue du sceau de l'état, insérée au bulletin des lois, inscrite dans les registres des autorités judiciaires et administratives, et le ministre de la justice chargé d'en surveiller la publication.
A Paris, le 29 nivose an VIII de la république.
Bonaparte, premier consul.
PROCLAMATION.
Des consuls de la république.
18 pluviose an VIII (7 février 1800)
Les consuls de la république, en conformité de l'article 5 de la loi du 23 frimaire, qui règle la manière dont la constitution sera présentée au peuple français; après avoir entendu le rapport des ministres de la justice, de l'intérieur, de la guerre, et de la marine,
Proclament le résultat des votes émis par les citoyens français sur l'acte constitutionnel:
Sur trois millions douze mille cinq cent soixante-neuf votants, quinze cent soixante-deux ont rejeté, trois millions onze mille sept ont accepté la constitution.
Les consuls de la république, arrêtent:
Art. 1er. Le résultat des votes émis, sur la constitution, sera proclamé, publié et affiché dans toutes les communes de la république.
2. Il sera célébré dans toutes les communes, pour l'acceptation de la constitution, une fête nationale consacrée à l'union des citoyens français.
3. Cette fête sera célébrée dans la décade qui suivra l'entière pacification des départements de l'Ouest.
Paris, 29 ventose an VIII (20 mars).
Aux jeunes Français.
Le premier consul reçoit beaucoup de lettres de jeunes citoyens empressés de lui témoigner leur attachement à la république et le desir qu'ils ont de s'associer aux efforts qu'il va faire pour conquérir la paix. Touché de leur dévouement, il en reçoit l'assurance avec un vif intérêt; la gloire les attend à Dijon. C'est lorsqu'il les verra réunis sous les drapeaux de l'armée de réserve, qu'il se propose de les remercier et d'applaudir à leur zèle.
Bonaparte.
Paris, le 12 germinal an VIII (2 avril 1800).
Au général Berthier, ministre de la guerre.
Les talents militaires dont vous avez donné tant de preuves, citoyen général, et la confiance du gouvernement vous appellent au commandement d'une armée[13]. Vous avez pendant l'hiver réorganisé le ministère de la guerre; vous avez pourvu, autant que les circonstances l'ont permis, aux besoins de nos armées; il vous reste à conduire pendant le printemps et l'été, nos soldats à la victoire, moyen efficace d'arriver à la paix et de consolider la république.
Recevez, je vous prie, citoyen général, les témoignages de satisfaction du gouvernement sur votre conduite au ministère.
Bonaparte.
Au quartier-général de Martigni, le 28 floréal an VIII
(18 mai 1800).
Au ministre de l'intérieur.
Citoyen ministre,
Je suis au pied des grandes Alpes, au milieu du Valais.
Le grand Saint-Bernard a offert bien des obstacles qui ont été surmontés avec ce courage héroïque qui distingue les troupes françaises dans toutes les circonstances. Le tiers de l'artillerie est déja en Italie; l'armée descend à force; Berthier est en Piémont; dans trois jours tout sera passé.
Bonaparte.
Au quartier-général de Milan, le 20 prairial an VIII
(9 juin 1800).
Aux deux consuls restés à Paris.
Vous aurez vu, citoyens consuls, par les lettres de M. de Mélas, qui étaient jointes à ma précédente lettre, que le même jour que l'ordre de lever le blocus de Gênes arrivait au général Ott, le général Masséna, forcé par le manque absolu de vivres, a demandé à capituler. Il paraît que le général Masséna a dix mille combattants; le général Suchet en a à peu près autant; si ces deux corps se sont, comme je le pense, réunis entre Oneille et Savone, ils pourront entrer rapidement en Piémont par le Tanaro, et être fort utiles, dans le temps que l'ennemi serait obligé de laisser quelques troupes dans Gênes.
La plus grande partie de l'armée est dans ce moment à Stradella. Nous avons un pont à Plaisance, et plusieurs trailles vis-à-vis Pavie. Orsi, Novi, Brescia et Crémone sont à nous.
Vous trouverez ci-joints plusieurs bulletins et différentes lettres interceptées, qu'il vous paraîtra utile de rendre publiques.
Je vous salue.
Bonaparte.
Au quartier-général de Broui, le 21 prairial an VIII
(10 juin 1800).
Au citoyen Petiet, conseiller d'état.
Nous avons eu hier une affaire fort brillante. Sans exagération, l'ennemi a eu quinze cents hommes tués, deux fois autant de blessés; nous avons fait quatre mille prisonniers et pris cinq pièces de canon. C'est le corps du lieutenant-général Ott, qui est venu de Gênes à marches forcées; il voulait rouvrir la communication avec Plaisance.
Comme je n'ai pas le temps d'expédier un courrier à Paris, je vous prie de donner ces nouvelles aux consuls par un courrier extraordinaire.
L'armée continue sa marche sur Tortone et Alexandrie.
La division de l'armée du Rhin est arrivée en entier; il y en a déja une partie au-delà du Pô.
Bonaparte.
Au quartier-général de Torre de Garofola, le 7 prairial an VII
(16 juin 1800).
Aux consuls de la république.
Le lendemain de la bataille de Marengo, citoyens consuls, le général Mélas a fait demander aux avant-postes qu'il lui fût permis de m'envoyer le général Zach. On a arrêté, dans la journée, la convention dont vous trouverez ci-joint la copie[14]. Elle a été signée dans la nuit, par le général Berthier et le général Mélas. J'espère que le peuple français sera content de son armée.
Bonaparte.
Lyon, le 10 messidor an VIII
(29 juin 1800).
Aux consuls de la république.
J'arrive à Lyon, citoyens consuls; je m'y arrête pour poser la première pierre des façades de la place Bellecourt, que l'on va rétablir. Cette seule circonstance pouvait retarder mon arrivée à Paris; mais je n'ai pas tenu à l'ambition d'accélérer le rétablissement de cette place que j'ai vue si belle et qui est aujourd'hui si hideuse. On me fait espérer que dans deux ans elle sera entièrement achevée.
J'espère qu'avant cette époque, le commerce de cette ville, dont s'énorgueillissait l'Europe entière, aura repris sa première prospérité.
Je vous salue.
Bonaparte.
FIN DU PREMIER VOLUME DES MÉMOIRES.
NOTES:
[1] Nom qu'on donne, dans le midi, aux maisons de campagne.
[2] Dans l'une, on représentait Nelson s'amusant à draper lady Hamilton, pendant que la frégate la Muiron passait entre les jambes de l'amiral.
[3] On sait aujourd'hui que Barras avait alors des entrevues avec des agents de la maison de Bourbon. Ce fut David Monnier qui servit d'intermédiaire à Barras, dans la négociation qui fut entamée à cette époque. Barras l'avait envoyé en Allemagne; mais, comme il n'osait espérer que le roi lui pardonnerait sa conduite révolutionnaire, il n'avait pu donner à cet émissaire aucune espèce d'instruction positive. Monnier négocia donc en faveur de Barras, sans que celui-ci eût connaissance d'aucune des clauses de la négociation; et ce fut ainsi que Monnier stipula que Barras consentait à rétablir la monarchie en France, à condition que le roi Louis XVIII lui accorderait sûreté et indemnité: «sûreté, c'est-à-dire l'entier oubli de sa conduite révolutionnaire, l'engagement sacré du roi d'annuler, par son pouvoir souverain, toutes recherches à cet égard; indemnité, c'est-à-dire une somme au moins équivalente à celle que pourraient lui valoir deux années qu'il devait passer au directoire, somme qu'il évaluait à douze millions de livres tournois, y compris les deux millions qu'il devait distribuer entre ses coopérateurs.» Sa majesté voulut bien, en cette occasion, accorder des lettres-patentes, qui furent transmises à Barras par le chevalier Tropès-de-Guerin, et échangées contre l'engagement souscrit par ce directeur, pour le rétablissement de la monarchie. Barras prit alors des mesures pour rappeler en France les Bourbons. Le 29 vendémiaire, dix-neuf jours avant le 18 brumaire, il se croyait assuré du succès; mais ce grand dessein échoua, et par le trop de confiance de Barras, et par les lenteurs qu'occasionna, dans l'exécution, un des agents du roi, qui, afin de se rendre nécessaire, éleva des contestations sur les pouvoirs que sa majesté avait donnés au duc de Fleury, pour négocier cette affaire, etc.
Biographie des hommes vivants. Michaud, 1816, tom. I, page 214.
[4] Lorsque Napoléon se rendait au conseil des anciens, Bernadotte, au lieu de suivre le cortège, s'esquiva et fut se joindre à la faction du manège.
[5] La loi de l'emprunt forcé et progressif de cent millions avait eu sur les propriétés des effets plus funestes encore que ceux de la loi des ôtages sur la liberté des citoyens. L'emprunt forcé et progressif pesait sur toutes les propriétés agricoles et commerciales, meubles et immeubles. Les citoyens devaient contribuer en vertu d'une cotte délibérée par un jury, et fondée: 1o sur la quotité de l'imposition directe; 2o sur une base arbitraire. Tout contribuable au-dessous de trois cents francs n'était pas passible de cet emprunt. Tout contribuable qui payait cinq cents francs, était taxé aux quatre dixièmes, celui de quatre mille francs et au-dessus, pour la totalité de son revenu. La deuxième base était relative à l'opinion: les parents d'émigrés, les nobles pouvaient être taxés arbitrairement par le jury: l'effet de cette loi fut ce qu'il devait être. L'enregistrement cessa de produire, car il n'y eut plus de transactions. Les domaines nationaux cessèrent de se vendre, car la propriété fut décriée; les riches devinrent pauvres sans que les pauvres devinssent plus riches: cette loi absurde produisit un effet contraire à celui qu'en avaient attendu ses auteurs: elle tarit toutes les sources du revenu public. Le ministre Gaudin ne voulut pas se coucher ni dormir une seule nuit, chargé du porte-feuille des finances, sans avoir rédigé et proposé une loi pour rapporter cette loi désastreuse, qu'il remplaça par vingt-cinq centimes additionnels aux contributions directes ou indirectes, qui rentrèrent sans effort, et produisirent cinquante millions. Les sommes déja versées à l'emprunt forcé, furent reçues à compte sur les centimes additionnels ou liquidées sur le grand-livre.
[6] Siéyes était fréquemment alarmé de ce que les jacobins tramaient dans Paris, et des menaces qu'ils faisaient d'enlever les consuls. Ce qui fit dire à Napoléon réveillé à trois heures du matin par ce consul que venait d'inquiéter un rapport de police: «Laissez-les faire, en guerre comme en amour, pour en finir, il faut se voir de près; qu'ils viennent. Autant terminer aujourd'hui qu'un autre jour.»
Ces craintes étaient exagérées. Les menaces sont plus faciles à faire qu'à effectuer, et dans la manière des anarchistes, elles précèdent toujours de beaucoup toute espèce d'exécution.
[7] La loi des ôtages avait été rendue le 12 juillet 1799: elle avait été dictée par les jacobins du manège; elle pesait sur cent cinquante à deux cents mille citoyens qu'elle mettait hors de la protection des lois; elle les rendait responsables, dans leurs personnes et leurs propriétés, de tous les évènements provenant des troubles civils. Ces individus étaient les parents des émigrés, les nobles, les aïeuls, aïeules, pères et mères de tout ce qui faisait partie des bandes armées, chouans ou voleurs de diligence. Par l'article 5, les administrateurs des départements étaient autorisés à réunir des ôtages pris dans ces classes, dans une commune centrale de leur département, et à déporter, à la Guyane, quatre de ces ôtages pour tout fonctionnaire public, militaire ou acquéreur de domaines nationaux, assassiné: ces classes devaient en outre pourvoir, par des amendes extraordinaires, aux dépenses qu'occasioneraient les dénonciateurs et surveillants; ils étaient passibles des indemnités dues aux patriotes par l'effet des troubles civils. En conséquence de cette loi, plusieurs milliers de vieillards, de femmes, étaient arrêtés. Un grand nombre était en fuite. Cette loi fut rapportée. Des courriers furent envoyés aussitôt dans tous les départements pour faire ouvrir les prisons.
[8] Le général La Fayette qui avait commencé la révolution, avait abandonné son armée devant Sedan, et passé à l'étranger. Arrêté par les Prussiens, il avait été livré au gouvernement autrichien, qui le tenait en prison. A l'époque du traité de Léoben, quoique le gouvernement français ne prît aucun intérêt à ce général, Napoléon crut de l'honneur de la France, d'exiger que la cour d'Autriche le mît en liberté; il l'obtint; mais La Fayette était sur la liste des émigrés, et ne pouvait encore rentrer en France.
Cet homme, qui a joué un si grand rôle dans nos premières dissensions politiques, est né en Auvergne. Lors de la guerre d'Amérique, il avait servi sous Washington, et s'y était distingué. C'était un homme sans talents, ni civils ni militaires; esprit borné, caractère dissimulé, dominé par des idées vagues de liberté, mal digérées chez lui et mal conçues. Du reste, dans la vie privée, La Fayette était un honnête homme.
[9] Les généraux Masséna, Brune, Lecourbe, Championnet étaient attachés à la personne de Napoléon, mais fort ennemis de Siéyes; ils partageaient plus ou moins les opinions des jacobins du manège: il devenait nécessaire de rompre tous les fils en changeant sans retard tous les généraux en chef. Si jamais l'armée devait donner de l'inquiétude, ce ne serait que par l'influence du parti exagéré et non pas celui des modérés, qui était alors en grande minorité.
[10] Moreau était ennemi du directoire, et surtout de la société du manège; quoiqu'il n'eût eu que des revers dans la campagne qui venait de se terminer, qu'il eût alors moins de considération que les généraux qui venaient de sauver la Suisse, à Zurich, et la Hollande à Alkmaer, en faisant capituler le fils du roi d'Angleterre, il avait une connaissance particulière du champ d'opération de l'armée d'Allemagne: ce qui décida le premier consul à lui donner toute sa confiance, et à le mettre à la tête de l'armée.
[11] Armée française, les 12 et 13 juin.
Divisions Vatrin et Mainoni. Lannes; aile droite à Castelnovo di Scrivia.
Divisions Boudet et Monnier. Desaix; centre. Ponte Curone.
Division Lapoype; ordre de rejoindre Desaix.
La cavalerie sous Murat, entre Ponte-Curone et Tortone, ayant une avant-garde au delà de Tortone, sous Kellermann.
Divisions Gardanne et Chambarlhac. Victor; aile gauche en avant de Tortone, et soutenant l'avant-garde Kellermann.
[12] Dénommés dans l'article, au nombre de soixante-un députés du conseil des cinq-cents.
[13] Celui de l'armée de réserve, auquel il était nommé par un arrêté transmis avec la lettre.
[14] C'est la fameuse capitulation du général Mélas à Alexandrie. Voyez page 247.
ERRATA
DU TOME PREMIER DES MÉMOIRES.
(Nota. M. le général Gourgaud se trouvant hors de France lors de l'impression de ce volume, et le manuscrit étant très-difficile à lire, il s'est glissé plusieurs erreurs ou omissions que nous nous empressons de rétablir.)