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Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2/2: Écrits à Sainte-Hélène par les généraux qui ont partagé sa captivité

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The Project Gutenberg eBook of Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2/2

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Title: Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2/2

Author: Baron Gaspard Gourgaud

Release date: January 28, 2012 [eBook #38696]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES POUR SERVIR À L'HISTOIRE DE FRANCE SOUS NAPOLÉON, TOME 2/2 ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

Dans le chapitre «ÉGYPTE.—USAGES, SCIENCES ET ARTS», la numérotation des sections saute de II à IV.

MÉMOIRES
DE NAPOLÉON

Se trouve aussi à Paris,

A LA GALERIE DE BOSSANGE PÈRE,
Libraire de S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans,
RUE DE RICHELIEU, No 60.

DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT.

MÉMOIRES
POUR SERVIR
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
SOUS NAPOLÉON,

ÉCRITS A SAINTE-HÉLÈNE,

Par les généraux qui ont partagé sa captivité,

ET PUBLIÉS SUR LES MANUSCRITS ENTIÈREMENT CORRIGÉS DE LA MAIN

DE NAPOLÉON.

TOME DEUXIÈME,

ÉCRIT PAR LE GÉNÉRAL GOURGAUD.

PARIS,
FIRMIN DIDOT, PÈRE ET FILS, LIBRAIRES.
BOSSANGE FRÈRES, LIBRAIRES.

G. REIMER, A BERLIN.


1823.

Manuscrit

Manuscrit
Agrandissement

MÉMOIRES DE NAPOLÉON.

DIPLOMATIE.—GUERRE.

1800 ET 1801.

Préliminaires de paix signés par le comte de Saint-Julien.—Négociations avec l'Angleterre, pour un armistice naval.—Commencement des négociations de Lunéville.—Affaires d'Italie; invasion de la Toscane.—Positions des armées.—Opérations de l'armée Gallo-Batave. Combat de Burg-Eberach.—Opérations de l'armée du Rhin. Bataille de Hohenlinden.—Passage de l'Inn, de la Salza. Armistice du 25 décembre 1800.—Observations.—Armée des Grisons; passage du Splugen; marche sur Botzen.—Armée d'Italie; passage du Mincio; passage de l'Adige.—Suspension d'armes de Trévise, le 16 janvier 1801; Mantoue cédée le 26 janvier.—Corps d'observation du Midi. Armistice avec Naples, signé à Foligno, le 28 février 1801.

§ Ier.

Le lieutenant général comte de Saint-Julien arriva à Paris, le 21 juillet 1800, porteur d'une lettre de l'empereur d'Allemagne, au premier consul. Il s'annonça comme plénipotentiaire chargé de négocier, conclure et signer des préliminaires de paix. La lettre de l'empereur était précise; elle contenait des pouvoirs, car il y était dit: Vous ajouterez foi à tout ce que vous dira de ma part le comte de Saint-Julien, et je ratifierai tout ce qu'il fera. Le premier consul chargea M. de Talleyrand de négocier avec le plénipotentiaire autrichien, et en peu de jours les préliminaires furent arrêtés et signés. Par ces préliminaires, il était convenu que la paix serait établie sur les conditions du traité de Campo-Formio, que l'Autriche recevrait, en Italie, les indemnités que ce traité lui accordait en Allemagne; que jusqu'à la signature de la paix définitive, les armées des deux puissances resteraient, tant en Italie qu'en Allemagne, dans leur situation actuelle; que la levée en masse des insurgés de la Toscane ne recevrait aucun accroissement, et qu'aucune troupe étrangère ne serait débarquée dans ce pays.

Le rang élevé du plénipotentiaire, la lettre de l'empereur dont il était porteur, les instructions qu'il disait avoir, son ton d'assurance, tout portait à regarder la paix comme signée; mais en août, on reçut des nouvelles de Vienne: le comte de Saint-Julien était désavoué et rappelé; le baron de Thugut, ministre des affaires étrangères d'Autriche, faisait connaître que, par un traité conclu entre l'Angleterre et l'Autriche, cette dernière s'était engagée à ne traiter de la paix, que conjointement avec l'Angleterre, et qu'ainsi l'empereur ne pouvait ratifier les préliminaires du comte de Saint-Julien, mais que ce monarque desirait la paix; que l'Angleterre la desirait également, comme le constatait la lettre de lord Minto, ministre anglais à Vienne, au baron de Thugut. Ce lord disait que l'Angleterre était prête à envoyer un plénipotentiaire pour traiter, conjointement avec le ministre autrichien, de la paix définitive entre ces deux puissances et la France.

Dans une telle circonstance, ce que la république avait de mieux à faire, c'était de recommencer les hostilités. Cependant le premier consul ne voulut négliger aucune des chances qui pouvaient rétablir la paix avec l'Autriche et l'Angleterre; et, pour parvenir à ce but, il consentit, 1o à oublier l'affront que venait de faire à la république le cabinet de Vienne, en désavouant les préliminaires qui avaient été signés par le comte de Saint-Julien; 2o à admettre des plénipotentiaires anglais et autrichiens au congrès; 3o à prolonger l'armistice existant entre la France et l'Allemagne, pourvu que, de son côté, l'Angleterre consentît à un armistice naval, puisqu'il n'était pas juste que la France traitât avec deux puissances alliées, étant en armistice avec l'une et en guerre avec l'autre.

§ II.

Un courrier fut expédié à M. Otto, qui résidait à Londres comme commissaire français, chargé de l'échange des prisonniers. Le 24 août, il adressa une note au lord Grenville, en lui faisant connaître que lord Minto ayant déclaré l'intention où était le gouvernement anglais, de participer aux négociations qui allaient s'ouvrir avec l'Autriche, pour le rétablissement de la paix définitive entre l'Autriche et la France, le premier consul consentait à admettre le ministre anglais aux négociations; mais que l'œuvre de la paix en devenait plus difficile; que les intérêts à traiter étant plus compliqués et plus nombreux, les négociations en éprouveraient nécessairement des longueurs; et qu'il n'était pas conforme aux intérêts de la république que l'armistice conclu à Marengo, et celui conclu à Bayarsdorf, continuassent plus long-temps, à moins que, par compensation, on n'établît aussi un armistice naval.

Les dépêches de lord Minto n'étaient pas encore arrivées à Londres, et lord Grenville, fort étonné de la note qu'il recevait, envoya le chef du transport-office, prier M. Otto de remettre les pièces qui y avaient donné lieu, ce qu'il fit aussitôt. Mais peu après, le cabinet de Saint-James reçut son courrier de Vienne; lord Grenville répondit à M. Otto, que l'idée d'un armistice applicable aux opérations navales, était neuve dans l'histoire des nations. Du reste, il déclara qu'il était prêt à envoyer un plénipotentiaire au lieu qui serait désigné pour la tenue du congrès; il fit connaître que ce plénipotentiaire serait son frère Thomas Grenville, et demanda les passe-ports pour qu'il pût se rendre en France. C'était éluder la question; et M. Otto, le 30 août, réclama une réponse catégorique avant le 3 septembre, vu que, le 10, les hostilités devaient recommencer en Allemagne et en Italie. Lord Grenville, le 4 septembre, fit demander un projet par écrit, attendu qu'il avait peine à comprendre ce qu'on entendait par un armistice applicable aux opérations navales. M. Otto envoya le projet du gouvernement français rédigé. Les principales dispositions étaient celles-ci: 1o les vaisseaux de guerre et de commerce des deux nations, jouiront d'une libre navigation, sans être soumis à aucune espèce de visite; 2o les escadres, qui bloquent les ports de Toulon, Brest, Rochefort et Cadix, rentreront dans leurs ports respectifs; 3o les places de Malte, Alexandrie et Belle-Isle en mer, seront assimilées aux places d'Ulm, Philipsbourg et Ingolstadt; et, en conséquence, tous les vaisseaux français et neutres pourront y entrer librement.

Le 7 septembre, M. Grenville répondit que S. M. Britannique admettait le principe d'un armistice applicable aux opérations navales, quoique cela fût contraire aux intérêts de l'Angleterre; que c'était un sacrifice que cette puissance voulait faire en faveur de la paix et de son alliée l'Autriche; mais qu'aucun des articles du projet français n'était admissible; et il proposa d'établir les négociations sur un contre-projet qu'il envoya. Ce contre-projet portait: 1o les hostilités cesseront sur mer; 2o on accordera aux places de Malte, Alexandrie et Belle-Isle, des vivres pour quatorze jours à la fois, et d'après le nombre d'hommes qu'elles ont pour garnison; 3o le blocus de Brest et des autres ports français ou alliés sera levé; mais aucun des vaisseaux de guerre, qui y sont, n'en pourra sortir pendant toute la durée de l'armistice; et les escadres anglaises resteront à la vue de ces ports.

Le commissaire français répondit le 16 septembre, que son gouvernement offrait le choix à S. M. Britannique, que les négociations s'ouvrissent à Lunéville, que les plénipotentiaires anglais et autrichiens fussent admis à traiter ensemble, et que pendant ce temps-là la guerre eût lieu sur terre comme sur mer; ou bien qu'il y eût armistice sur terre et sur mer; ou enfin, qu'il y eût armistice avec l'Autriche, et qu'on ne traitât à Lunéville qu'avec elle; qu'on traitât à Londres ou à Paris avec l'Angleterre, et que l'on continuât à se battre sur mer. Il observait que l'armistice naval devait offrir à la France des compensations pour ce qu'elle perdait par la prolongation de l'armistice sur le continent, pendant lequel l'Autriche réorganisait ses armées et son matériel, en même temps que l'impression des victoires de Marengo et de Moeskirch s'effaçait du moral de ses soldats; que, pendant cette prolongation, le royaume de Naples, qui était en proie à toutes les dissensions et à toutes les calamités, se réorganisait et levait une armée; qu'enfin c'était à la faveur de l'armistice, que des levées d'hommes se faisaient en Toscane et dans la marche d'Ancône.

Le vainqueur n'avait accordé au vaincu tous ces avantages, que sur sa promesse formelle de conclure sans délai une paix séparée. Ceux que la France pouvait trouver dans le principe d'un armistice naval, ne pouvaient consister dans l'approvisionnement des ports de la république, qui certes ne manquait pas de moyens intérieurs de circulation, mais bien dans le rétablissement de ses communications avec l'Égypte, Malte et l'Ile-de-France. M. Grenville fit demander, le 20 septembre, de nouvelles explications; et M. Otto lui fit savoir le lendemain, que le premier consul consentait à modifier son premier projet; que les escadres françaises ou alliées ne pourraient changer de positions pendant la durée de l'armistice; qu'il ne serait autorisé, avec Malte, que les communications nécessaires pour fournir à la fois pour quinze jours de vivres, à raison de dix mille rations par jour; qu'Alexandrie n'étant pas bloquée par terre et ayant des vivres en assez grande abondance pour pouvoir en envoyer même à l'Angleterre, la France aurait la faculté d'expédier six frégates qui, partant de Toulon, se rendraient à Alexandrie, et en reviendraient sans être visitées, et ayant à bord un officier anglais parlementaire.

C'étaient là les deux seuls avantages que la république pût retirer d'une suspension d'armes maritime. Ces six frégates armées en flûte auraient pu porter 3,600 hommes de renfort; on n'y eût mis que le nombre de matelots strictement nécessaire pour leur navigation, et elles auraient même pu porter quelques milliers de fusils et une bonne quantité de munitions de guerre et d'objets nécessaires à l'armée d'Égypte.

La négociation ainsi engagée, lord Grenville crut devoir autoriser M. Ammon, sous-secrétaire d'état, à conférer avec M. Otto, afin de voir s'il n'y aurait pas quelque moyen de conciliation. M. Ammon vit M. Otto, et lui proposa l'évacuation de l'Égypte par l'armée française, comme une conséquence du traité d'El-Arich, conclu le 24 janvier, et rompu le 18 mars, au reçu de la décision du gouvernement britannique, qui s'était refusé à reconnaître cette convention. Une telle proposition ne demandait aucune réponse; M. Ammon n'insista pas. Les deux commissaires, après quelques jours de discussion, se mirent d'accord sur toutes les difficultés, excepté sur l'envoi des six frégates françaises à Alexandrie. Le 25 septembre, M. Otto déclara que cet envoi de six frégates était le Sine quâ non; et le 9 octobre, M. Ammon lui écrivit pour lui annoncer la rupture des négociations.

§ III.

Dans les pourparlers qui avaient eu lieu, on n'avait pas tardé à s'appercevoir que le cabinet anglais ne voulait que gagner du temps, et que jamais il ne consentirait à faire, à la république française, aucun sacrifice, ou à lui accorder aucun avantage qui pût l'indemniser des pertes que lui faisait éprouver la prolongation de l'armistice avec l'empereur d'Allemagne. Les généraux en chef des armées du Rhin et d'Italie avaient donc reçu l'ordre de dénoncer l'armistice le 1er septembre, et de reprendre sur le champ les hostilités. Brune avait remplacé, au commandement de l'armée d'Italie, Masséna, qui ne pouvait s'entendre avec le gouvernement de la république cisalpine. Le général Moreau, qui commandait l'armée du Rhin, avait son quartier-général à Nimphenbourg, maison de plaisance de l'électeur de Bavière, auprès de Munich. Le 19 septembre, il commença les hostilités. Cependant le comte de Lerbach, arrivé sur l'Inn, sollicitait vivement la continuation de l'armistice; il promettait que son maître allait sincèrement entamer des négociations pour la paix; et, comme garantie de la sincérité de ses dispositions, il consentait à remettre les trois places d'Ulm, Philipsbourg et Ingolstadt. En conséquence, de ces propositions, une convention signée à Hohenlinden, le 20 septembre, prolongea l'armistice de quarante-cinq jours.

La mauvaise foi de la cour de Vienne était évidente; elle ne voulait que gagner la saison pluvieuse, afin d'avoir ensuite tout l'hiver pour rétablir ses armées. Mais la possession par l'armée française, de ces trois places, était regardée comme de la plus haute importance; elles assuraient cette armée en Allemagne, en lui donnant des points d'appui. D'ailleurs, si l'Autriche employait le temps de l'armistice à recruter et à rétablir ses armées, la France de son côté mettrait tout en œuvre pour lever de nouvelles armées; et les nombreuses populations de la Hollande, de la France et de l'Italie, permettraient de faire des efforts plus considérables que ceux que pouvait faire la maison d'Autriche. Pendant ces quarante-cinq jours de trève, l'armée d'Italie gagnerait la soumission de Rome, de Naples et de la Toscane, qui, n'étant pas comprises dans l'armistice, se trouvaient abandonnées à leurs propres forces. La soumission de ces pays, qui pouvaient inquiéter les derrières et les flancs de l'armée, était également utile.

Le ministre Thugut, qui dirigeait le cabinet de Vienne, était sous l'influence anglaise. On lui reprochait des fautes politiques et des fautes militaires, qui avaient compromis et compromettaient encore l'existence de la monarchie. Sa politique avait mis obstacle au retour du pape, du grand duc de Toscane, et du roi de Sardaigne, dans leurs états; ce qui avait achevé d'indisposer le czar. Ce ministre avait conclu avec le cabinet de Saint-James un traité de subsides, au moment où il était facile de prévoir que la maison d'Autriche serait contrainte à faire une paix séparée. On attribuait à ses plans les désastres de la campagne; on le blâmait d'avoir fait de l'armée d'Italie l'armée principale; c'était sur le Rhin, disait-on, qu'il eût dû réunir les grandes forces de la monarchie. Il avait cherché, en cela, à complaire à l'Angleterre, qui voulait incendier Toulon, et par là faire tomber l'expédition d'Égypte; enfin, il venait de compromettre la majesté de son souverain, en le faisant aller à ses armées sur l'Inn, pour y donner lui-même l'ordre déshonorant de livrer les trois boulevards de l'Allemagne. Thugut fut renvoyé du ministère. Le comte de Cobentzell, le négociateur de Campo-Formio, fut élevé à la dignité de vice-chancelier d'état, qui, à Vienne, équivaut à celle de premier ministre. Tout ce qui pouvait faire espérer le rétablissement de la paix, était fort populaire à Vienne, et sanctionné par l'opinion publique.

Le comte de Cobentzell s'annonçait comme l'homme de la paix, le partisan de la France; il se prévalait hautement de son titre de négociateur de Campo-Formio, et de la confiance dont l'honorait le premier consul; c'est à cette même confiance qu'il devait le poste important qu'il occupait. L'état de 1756 allait renaître; ce temps de gloire où Marie-Thérèse traîna la France après son char, est une des époques les plus brillantes de la monarchie autrichienne. Le comte de Cobentzell informa le cabinet des Tuileries que le comte de Lerbach allait se rendre à Lunéville. Peu après, il fit connaître qu'il ne voulait s'en rapporter à personne pour une mission aussi importante, et partit de Vienne avec une nombreuse légation. Mais il voyagea lentement; arrivé à Lunéville, il saisit le prétexte que le plénipotentiaire français n'y était pas encore, pour venir à Paris payer ses respects au premier magistrat de la république. Tout lui était bon pour gagner du temps. Il fut présenté aux Tuileries, et traité de la manière la plus distinguée. Mais interpellé le lendemain, par le ministre des affaires étrangères, de montrer ses pouvoirs, il balbutia. Il fut dès lors évident qu'il avait voulu amuser le cabinet français, et que sa cour, malgré le changement de ministère, persistait dans le même systême. Le premier consul avait nommé Joseph Bonaparte plénipotentiaire au congrès de Lunéville, le comte de Laforêt son secrétaire de légation, et le général Clarke, commandant de Lunéville et du département de la Meurthe. Il exigea que les négociations s'ouvrissent sans délai. Les plénipotentiaires se rendirent à Lunéville; et le 6 novembre, les pouvoirs furent échangés. Ceux du comte de Cobentzell étaient simples, ils furent admis. Mais à l'ouverture du protocole, ce ministre déclara qu'il ne pouvait traiter sans le concours d'un ministre anglais. Or, un ministre anglais ne pouvait être reçu au congrès, qu'autant qu'il adhérerait au principe de l'application de l'armistice aux opérations navales. Quelques courriers furent échangés entre Paris et Vienne; et aussitôt que la mauvaise foi du cabinet autrichien fut bien reconnue, les généraux en chef des armées de la république reçurent l'ordre de dénoncer l'armistice et de commencer aussitôt les hostilités: ce qui eut lieu le 17 novembre à l'armée d'Italie, et le 27 à celle du Rhin. Cependant les négociateurs continuèrent à se voir, signèrent tous les jours un protocole, et se donnèrent réciproquement des fêtes.

§ IV.

L'évêque d'Imola, cardinal Chiaramonti, avait été placé par le sacré collége sur le siége Saint-Pierre, à Venise, le 18 mars 1800. Mais la maison d'Autriche, qui était alors maîtresse de toute l'Italie, avait suivi, à l'égard du pape, la même politique qu'envers le roi de Piémont; elle s'était constamment refusée à le remettre en possession de la ville de Rome, satisfaite de le tenir à Venise, sous son influence immédiate. Ce ne fut qu'après Marengo, que le baron de Thugut, voyant qu'il perdait son influence en Italie, se hâta de diriger le pape sur Rome; mais Ancône, la Romague, étaient restés au pouvoir de l'Autriche, qui y avait un corps de troupes. L'armée de vingt mille Anglais, formée dans l'île de Mahon pour seconder les opérations de Mélas en 1800, était enfin réunie dans cette île; mais les victoires des Français avaient déjoué ce plan. La convention de Marengo, par laquelle Gênes fut remise aux Français, laissait dans une inaction absolue cette armée anglaise. Le traité qui unissait l'Angleterre et l'Autriche, et par lequel ces deux puissances étaient convenues de ne faire la paix avec la France que conjointement, maintenait leur état d'alliance.

L'Autriche demanda donc le secours de l'armée de Mahon pour son armée d'Italie; et il fut convenu qu'elle débarquerait en Toscane, et occuperait Livourne, ce qui obligerait les Français à une diversion considérable. Dans la convention de Marengo, il n'avait pas été question de la Toscane, mais il avait été stipulé que les Autrichiens conserveraient Ferrare et sa citadelle. L'autorité du grand-duc avait été rétablie dans ce pays, et le général autrichien Sommariva y commandait une division autrichienne et toutes les troupes toscanes.

Les deux mois d'août et de septembre, en entier, furent employés à former l'armée toscane, ainsi que celle du pape. Des officiers autrichiens commandaient les différents bataillons, les Anglais accordaient des subsides; et une partie des émigrés, qui étaient dans le corps anglais destiné à agir contre la Provence, et à la tête desquels était Willot, furent placés dans l'armée toscane. L'état d'armistice, où se trouvaient les armées françaises et autrichiennes, pendant le courant de juillet, août et septembre, ne permit pas aux Anglais d'opérer leur débarquement en Toscane, puisque cela serait devenu une cause certaine de rupture, et qu'on aurait alors cessé d'espérer la paix. D'ailleurs, l'empereur avait grand intérêt à prolonger le plus possible la durée de l'armistice, pendant lequel ses armées se réorganisaient, et perdaient le souvenir de leurs défaites en Italie et en Allemagne.

Le 7 septembre, Brune annonça la reprise des hostilités, et le 11, il porta son quartier-général à Crémone: mais la suspension d'armes de Hohenlinden, du 20 septembre, s'étant étendue en Italie, le général Brune signa de son côté, le 29, l'armistice de Castiglione. Cependant la concentration de toute l'armée d'Italie, sur la rive gauche du Pô, avait nécessité le rappel sur Bologne de la division du général Pino, qui occupait la ligne du Rubicon. Dans cet état de choses, les troupes du pape, celles de Toscane, et les insurgés du Ferrarais, se répandirent dans la Romagne, et établirent la communication entre Ferrare et la Toscane. Le général Dupont, instruit de cette invasion, repassa le Pô; les insurgés furent attaqués en Romagne, battus dans diverses directions par les généraux Pino et Ferrand, et poursuivis jusque auprès de Ferrare, d'Arrezzo et des débouchés des Apennins. Les gardes nationales de Ravenne et des autres villes principales secondèrent les mouvements des troupes françaises et cisalpines.

Cependant les insurgés se maintenaient toujours en Toscane. Cet état de choses dura jusqu'en octobre, où, persuadé que la cour de Vienne ne voulait pas sincèrement la paix, et voyant qu'il n'y avait plus rien à espérer pour une suspension d'armes navale, Brune somma le général Sommariva de faire désarmer la levée en masse de Toscane. Sur son refus, le 10 octobre, le général Dupont entra dans ce pays; le 15, il occupa Florence, et le 16, le général Clément entra à Livourne. Le général Monnier ne put réussir, le 18, à s'emparer d'Arrezzo, foyer de l'insurrection; mais le lendemain, après une vive résistance, cette ville fut enlevée d'assaut, et presque tous les insurgés qui la défendaient, furent passés au fil de l'épée. Le général Sommariva et les troupes autrichiennes se retirèrent sur Ancône. La levée en masse fut désarmée et dissoute, la Toscane entièrement conquise et soumise, et les marchandises anglaises confisquées partout où l'on en trouva. Dans cette expédition, de grandes dilapidations furent commises et donnèrent lieu à de vives réclamations.

Les ôtages toscans, qui étaient depuis un an en France, furent renvoyés dans leur patrie. Ils avaient été très-bien traités, et ne portèrent en Toscane que des sentiments favorables aux Français. Cependant la cour de Naples continuait à réorganiser son armée; et, dans le mois de novembre, elle put envoyer, sous les ordres de M. Roger de Damas, une division de 8 à 10 mille hommes, pour couvrir Rome, conjointement avec le corps autrichien du général Sommariva. La plus grande anarchie régnait dans les états du pape; ils étaient livrés à toute espèce de désordre.

§ V.

Depuis cinq mois que la suspension d'armes existait, l'Autriche avait reçu de l'Angleterre soixante millions qu'elle avait bien employés. Elle comptait en ligne 280 mille hommes présents sous les armes, y compris les contingents de l'empire, du roi de Naples et de l'armée anglaise, savoir: 130 mille hommes en Allemagne, sous les ordres de l'archiduc Jean; l'insurrection mayençaise, le corps d'Albini et la division Simbschen, 20,000 hommes sur le Mein; Les corps sur le Danube et l'Inn 80,000 hommes; celui du prince de Reutz, dans le Tyrol, 20,000 hommes. 120,000 hommes étaient en Italie, sous les ordres du feld-maréchal Bellegarde; savoir: le corps de Davidowich, dans le Tyrol italien, 20,000; le corps cantonné derrière le Mincio, 70,000; dans Ancône et la Toscane, 10,000; les troupes napolitaines, l'insurrection toscane, etc., 20,000. Une armée anglaise de 30,000 hommes, sous les ordres des généraux Abercombry et Pulteney, était dans la Méditerranée, embarquée sur des transports et prête à se porter partout.

La France avait en ligne 175,000 hommes en Allemagne; savoir: l'armée gallo-batave, commandée par le général Augereau, 20,000 h.; la grande armée d'Allemagne, commandée par le général Moreau, 140,000 hommes; l'armée des Grisons, commandée par le général Macdonald, 15,000. En Italie, elle avait 90,000 hommes sous le général Brune, et le corps d'observation du midi, sous le général Murat, 10,000. L'effectif des armées de la république s'élevait à 500,000 hommes, mais 40,000 se trouvaient en Orient, à Malte et aux Colonies; 45,000 étaient gendarmes, vétérans ou gardes-côtes; et l'on comptait 140,000 hommes en Hollande, sur les côtes, dans les garnisons de l'intérieur, aux dépôts ou aux hôpitaux.

La cour de Vienne fut consternée, lorsqu'elle apprit que les généraux français avaient dénoncé les hostilités. Elle se flattait qu'ils ne voudraient pas entreprendre une campagne d'hiver dans un climat aussi âpre que celui de la haute Autriche. Le conseil aulique décida que l'armée d'Italie resterait sur la défensive, derrière le Mincio, la gauche appuyée à Mantoue, la droite à Peschiera; que l'armée d'Allemagne prendrait l'offensive et chasserait les Français au-delà du Lech.

Le premier consul était résolu de marcher sur Vienne, malgré la rigueur de la saison. Il voulait profiter des brouilleries qui s'étaient élevées entre la Russie et l'Angleterre; le caractère inconstant de l'empereur Paul, lui faisait craindre un changement pour la campagne prochaine. L'armée du Rhin, sous les ordres du général Moreau, était destinée à passer l'Inn et à marcher sur Vienne par la vallée du Danube. L'armée gallo-batave, commandée par le général Augereau, devait agir sur le Mein et la Rednitz, tant pour combattre les insurgés de Westphalie conduits par le baron d'Albini, que pour servir de réserve dans tous les cas imprévus, donner de l'inquiétude à l'Autriche sur la Bohême, dans le temps que l'armée du Rhin passerait l'Inn, et assurer les derrières de la gauche de cette dernière armée. Elle était composée de toutes les troupes qu'on avait pu tirer de la Hollande, que la saison mettait à l'abri de toute invasion.

C'était pour n'avoir pas ajouté foi à la force de l'armée de réserve que la maison d'Autriche avait perdu l'Italie à Marengo. Une nouvelle armée ayant des états-majors pour six divisions, quoique seulement de 15,000 hommes, fut réunie en juillet à Dijon, sous le nom d'armée de réserve. Le général Brune en eut le commandement. Plus tard, il passa au commandement de l'armée d'Italie, et fut remplacé par le général Macdonald, qui, sur la fin d'août, se mit en marche, traversa la Suisse et se porta, avec l'armée de réserve, dans les Grisons, occupant le Voralberg par sa droite, et l'Engadine par sa gauche. Tous les regards de l'Europe furent dirigés sur cette armée; on la crut destinée à porter quelque coup de jarnac comme la première armée de réserve. On la supposa forte de 50,000 hommes, elle tint en échec deux corps d'armée autrichiens de 40,000 hommes.

L'armée d'Italie, sous les ordres du général Brune, qui, ainsi qu'on l'a vu, avait remplacé dans le commandement le général Masséna, devait passer le Mincio et l'Adige, et se porter sur les Alpes noriques. Le corps d'armée commandé par le général Murat, qui avait d'abord porté le nom de corps de grenadiers et éclaireurs, ensuite de troupes du camp d'Amiens, de grande-armée de réserve, prit enfin celui de corps d'observation du midi. Il était destiné à servir de réserve à l'armée d'Italie et à flanquer sa droite.

Deux grandes armées et deux petites allaient ainsi se diriger sur Vienne, formant un ensemble de 250 mille combattants présents sous les armes; et une cinquième était en réserve, en Italie, pour s'opposer aux insurgés et aux Napolitains. Les troupes françaises étaient bien habillées, bien armées, munies d'une nombreuse artillerie et dans la plus grande abondance; jamais la république n'avait eu un état militaire aussi réellement redoutable. Il avait été plus nombreux en 1793; mais alors la plupart des troupes étaient des recrues mal habillées, non aguerries; et une partie était employée dans la Vendée et dans l'intérieur.

§ VI.

L'armée gallo-batave était sous les ordres du général Augereau, qui avait le général Andréossy pour chef d'état-major. Le général Treillard commandait la cavalerie; le général Macors l'artillerie. Cette armée était forte de deux divisions françaises, Barbou et Duhesme, et de la division hollandaise Dumonceau; en tout, 20,000 hommes. A la fin de novembre, le quartier-général était à Francfort.

L'armée mayençaise, commandée par le baron d'Albini, était composée, 1o d'une division de 10,000 insurgés des états de l'électeur de Mayence et de l'évêché de Wurtzbourg, troupes qui augmentaient ou diminuaient selon les circonstances et l'esprit public de ces contrées; 2o d'une division autrichienne de 10,000 hommes sous les ordres du général Simbschen. L'armée gallo-batave avait donc 20,000 hommes, mais 20,000 h. de mauvaises troupes devant elle. Son général dénonça, le 2 novembre, les hostilités pour le 24. Le baron Albini, qui était à Aschaffembourg, voulut essayer, avant de se retirer, de surprendre le corps qui lui était opposé. Il passa le pont à deux heures du matin, mais après un moment de succès il fut repoussé. Le quartier-général français arriva à Aschaffembourg, le 25. Albini se retira sur Fulde, Simbschen sur Schweinfurth; la division Dumonceau entra dans Wurtzbourg, le 28, et cerna la garnison qui se renferma dans la citadelle. L'armée de Simbschen, réduite à 13,000 hommes, prit une belle position à Burg-Eberach pour couvrir Bamberg. Le 3 décembre, Augereau se porta à sa rencontre. Le général Duhesme attaqua avec cette intrépidité dont il a donné tant de preuves; et après une assez vive résistance, l'ennemi opéra sa retraite sur Forcheim. Le baron Albini resta sur la rive droite du Mein, entre Schweinfurth et Bamberg, afin d'agir en partisan. Le lendemain, l'armée gallo-batave prit possession de Bamberg, passa la Rednitz, et poussa des partis sur Ingolstadt, pour se mettre en communication avec les flanqueurs de la grande armée. Ce même jour, 3 décembre, l'armée du Rhin était victorieuse à Hohenlinden. Le général Klenau, avec une division de 10,000 hommes, qui n'avait pas donné à la bataille, fut envoyé sur le Danube pour couvrir la Bohême; il se joignit, à Bamberg, au corps de Simbschen, et avec 20,000 hommes, il marcha contre l'armée française pour la rejeter derrière la Rednitz. Il attaqua la division Barbou dans le temps que Simbschen attaquait celle de Duhesme; le combat fut vif. Toute la journée du 18 décembre, les troupes françaises suppléèrent au nombre par leur intrépidité, et rendirent vaines toutes les tentatives de l'ennemi; elles se maintinrent, sur la rive droite de la Rednitz, en possession de Nuremberg. Mais le 21, Klenau ayant continué son mouvement, le général Augereau repassa sans combat la Rednitz. Sur ces entrefaites, le corps de Klenau ayant été rappelé en Bohême, l'armée gallo-batave rentra dans Nuremberg, et reprit ses anciennes positions, où elle reçut la nouvelle de l'armistice de Steyer.

Ainsi, avec 20,000 hommes, dont 8,000 Hollandais, le général Augereau occupa tout le pays entre le Rhin et la Bohême, et désarma l'insurrection mayençaise. Il contint, indépendamment du corps du général Simbschen, la division Klenau; ce qui affaiblit de 30,000 hommes l'armée de l'archiduc Jean, qui l'était aussi sur sa gauche de 20,000 hommes détachés dans le Tyrol, sous les ordres du général Hiller, pour s'opposer à l'armée des Grisons. Ce furent donc 50,000 hommes de moins que la grande-armée française eut à combattre; au lieu de 130,000 hommes, l'archiduc Jean n'en opposa à Moreau que 80,000.

§ VII.

La grande-armée du Rhin était divisée en quatre corps, chacun de trois divisions d'infanterie et d'une brigade de cavalerie; la grosse cavalerie formait une réserve. Le général Lecourbe commandait la droite composée des divisions Montrichard, Gudin, Molitor; le général en chef commandait en personne la réserve, formée des divisions Grandjean (depuis Grouchy), Decaen, Richepanse; le général Grenier commandait le centre, formé des divisions Ney, Legrand, Hardy (depuis Bastoul, depuis Bonnet); le général Sainte-Suzanne commandait la gauche, formée des divisions Souham, Colaud, Laborde; le général d'Hautpoult commandait toute la cavalerie, le général Eblé l'artillerie. L'effectif était de 150,000 hommes, y compris les garnisons et les hommes aux hôpitaux. 140,000 étaient disponibles et présents sous les armes. L'armée française était donc d'un tiers plus nombreuse que l'armée ennemie; elle était en outre fort supérieure par le moral et la qualité des troupes.

Les hostilités commencèrent le 28 novembre; l'armée marcha sur l'Inn. Le général Lecourbe laissa la division Molitor aux débouchés du Tyrol, et se porta sur Rosenheim avec deux divisions. Les trois divisions de la réserve se dirigèrent par Ebersberg, savoir, le général Decaen sur Roth, le général Richepanse sur Wasserbourg, le général Grandjean en réserve sur la chaussée de Mühldorf. Les trois divisions du centre marchèrent, celle de Ney en rasant la chaussée de Mühldorf, celle de Hardy en réserve, et celle de Legrand par la vallée de l'Issen. Le colonel Durosnel, avec un corps de flanqueurs fort de deux bataillons d'infanterie et de quelques escadrons, prit position à Wils-Bibourg, en avant de Landshut; les trois divisions de la gauche, sous le lieutenant-général Sainte-Suzanne, se concentrèrent entre l'Altmühl et le Danube. Moreau s'avançait ainsi sur l'Inn avec huit divisions en six colonnes, et laissant ses quatre autres divisions, pour observer ses flancs, le Tyrol et le Danube.

Le 28 novembre, tous les avant-postes de l'ennemi furent reployés; Lecourbe entra à Rosenheim; Richepanse rejeta sur la rive droite de l'Inn ou dans Wasserbourg tout ce qu'il rencontra; mais il échoua dans sa tentative pour enlever cette tête de pont. La division Legrand déposta, de Dorfen au débouché de l'Issen, une avant-garde de l'archiduc. Le lieutenant-général Grenier prit position sur les hauteurs d'Ampfingen, Ney à la droite, Hardy au centre, Legrand à la gauche un peu en arrière; le camp avait trois mille toises. Ces huit divisions de l'armée française garnissaient, sur la rive gauche de l'Inn, une étendue de quinze lieues, depuis Rosenheim jusque auprès de Mühldorf. Ampfingen est à quinze lieues de Munich, dont l'Inn s'approche à dix lieues. La gauche de l'armée française se trouvait donc prêter le flanc au fleuve, pendant l'espace de cinq lieues. Il était bien délicat et fort dangereux d'en aborder ainsi le passage.

L'archiduc Jean avait porté son quartier-général à Oetting: il avait chargé le corps de Condé, renforcé de quelques bataillons autrichiens, de défendre la rive droite depuis Rosenheim jusqu'à Kuffstein, et de maintenir ses communications avec le général Hiller, qui était dans le Tyrol avec un corps de 20,000 h. Il avait placé le général Klenau avec 10,000 hommes à Ratisbonne, afin de soutenir l'armée mayençaise, insuffisante pour s'opposer à la marche d'Augereau. Son projet était, avec le reste de son armée (80,000 hommes) de déboucher par Wasserbourg, Craybourg, Mühldorf, Oetting et Braunau, qui avaient de bonnes têtes de pont, de prendre l'offensive et d'attaquer l'armée française. Il passa l'Inn, fit un quart de conversion à droite sur la tête de pont de Mühldorf, et se plaça en bataille, la gauche à Mühldorf, la droite à Landshut sur l'Iser. Le général Kienmayer, avec ses flanqueurs de droite, attaqua le colonel Durosnel, qui se retira derrière l'Iser. Le quartier-général autrichien fut successivement porté à Eggenfelden et à Neumarkt sur la Roth, à mi-chemin de Mühldorf à Landshut. L'armée de l'archiduc occupa, par ce mouvement, une ligne perpendiculaire sur l'extrême gauche de l'armée française; son extrême droite se trouva à Landshut à douze lieues de Munich, plus près de trois lieues que la gauche française, qui en était à quinze lieues. C'était par sa droite qu'il voulait manœuvrer, débouchant par les vallées de l'Issen, de la Roth et de l'Iser.

Le 1er décembre, à la pointe du jour, l'archiduc déploya 60,000 hommes devant les hauteurs d'Ampfingen, et attaqua de front le lieutenant-général Grenier, qui n'avait que 25,000 hommes, dans le temps qu'une autre de ses colonnes, débouchant par le pont de Craybourg, se porta sur les hauteurs d'Achau, en arrière et sur le flanc droit de Grenier. Le général Ney, d'abord forcé de céder au nombre, se reforma, remarcha en avant et enfonça huit bataillons; mais l'ennemi continuant à déployer ses grandes forces, et débouchant par les vallées de l'Issen, le lieutenant-général Grenier fut contraint à la retraite. La division Grandjean, de la réserve, s'avança pour le soutenir; Grenier prit position à la nuit sur les hauteurs de Haag. L'alarme fut grande dans l'armée française, le général en chef fut déconcerté. Il était pris en flagrant délit; l'ennemi attaquait, avec une forte masse, ses divisions séparées et éparpillées. Le général Legrand, après avoir soutenu un combat très-vif dans la vallée de l'Issen, avait évacué Dorfen.

Cette manœuvre de l'armée autrichienne était fort belle, et ce premier succès lui en promettait de bien importants. Mais l'archiduc ne sut pas tirer parti des circonstances, il n'attaqua pas avec vigueur le corps de Grenier, qui ne perdit que quelques centaines de prisonniers et deux pièces de canon. Le lendemain 2 décembre, il ne fit que de petits mouvements, ne dépassa pas Haag, et donna le temps à l'armée française de se rallier et de revenir de son étonnement. Il paya cher cette faute, qui fut la première cause de la catastrophe du lendemain.

Moreau ayant eu la journée du 2 pour se reconnaître, espéra avoir le temps de réunir son armée. Il envoya l'ordre à Sainte-Suzanne, qu'il avait mal à propos laissé sur le Danube, de se porter avec ses trois divisions sur Freisingen; elles ne pouvaient y être arrivées que le 5; à Lecourbe, de marcher toute la journée du 3 pour s'approcher sur la droite et prendre, à Ebersberg, les positions qu'occupait Richepanse, afin de masquer le débouché de Wasserbourg; il ne pouvait y arriver que dans la journée du 4; à Richepanse et à Decaen, de se porter au débouché de la forêt de Hohenlinden, au village de Altenpot; ils devaient opérer ce mouvement dans la nuit pour y prévenir l'ennemi; le premier n'avait que deux lieues à faire, le deuxième que quatre. Le corps de Grenier prit position sur la gauche de Hohenlinden: la division Ney appuya sa droite à la chaussée, la division Hardy au centre, la division Legrand observa Lendorf et les débouchés de l'Issen; la division Grandjean, dont le général Grouchy avait pris le commandement, coupa la chaussée, appuyant la gauche à Hohenlinden et refusant la droite le long de la lisière du bois. Par ces dispositions, le général Moreau devait avoir, le 4, huit divisions en ligne; le 5, il en aurait eu dix. Mais l'archiduc Jean, qui avait déja commis cette grande faute de perdre la journée du 2, ne commit pas celle de perdre la journée du 3. A la pointe du jour, il se mit en mouvement; et les dispositions du général français pour réunir son armée devinrent inutiles; ni le corps de Lecourbe, ni celui de Sainte-Suzanne ne purent assister à la bataille; la division Richepanse et celle de Decaen combattirent désunies; elles arrivèrent trop tard, le 3, pour défendre l'entrée de la forêt de Hohenlinden.

L'armée autrichienne marcha au combat sur trois colonnes: la colonne de gauche de 10,000 hommes, entre l'Inn et la chaussée de Munich, se dirigeant sur Albichengen et Saint-Christophe; celle du centre, forte de 40,000 hommes, suivit la chaussée de Mühldorf à Munich, par Haag vers Hohenlinden; le grand parc, les équipages, les embarras suivirent cette route, la seule qui fut ferrée. La colonne de droite, forte de 25,000 hommes, commandée par le général Latour, devait marcher sur Bruckrain; Kienmayer, qui, avec ses flanqueurs de droite, faisait partie de ce corps, devait se porter de Dorfen sur Schauben, tourner tous les défilés et être en mesure de déboucher dans la plaine d'Amzing, où l'archiduc comptait camper le soir, et attendre le corps de Klenau, qui s'y rendait en remontant la rive droite de l'Iser.

Les chemins étaient défoncés, comme ils le sont au mois de décembre; les colonnes de droite et de gauche cheminaient par des routes de traverse impraticables; la neige tombait à gros flocons. La colonne du centre, suivie par les parcs et les bagages, marchait sur la chaussée; elle devança bientôt les deux autres; sa tête pénétra sans obstacle dans la forêt. Richepanse, qui la devait défendre à Altenpot, n'était pas arrivé; mais elle fut arrêtée au village de Hohenlinden, où s'appuyait la gauche de Ney, et où était la division Grouchy. La ligne française, qui se croyait couverte, fut d'abord surprise, plusieurs bataillons furent rompus, il y eut du désordre. Ney accourut, le terrible pas de charge porta la mort et l'effroi dans une tête de colonne de grenadiers autrichiens; le général Spanochi fut fait prisonnier. Dans ce moment, l'avant-garde de la droite autrichienne déboucha des hauteurs de Bruckrain. Ney fut obligé d'accourir sur sa gauche pour y faire face; il eût été insuffisant, si le corps de Latour eut appuyé son avant-garde; mais il en était éloigné de deux lieues. Cependant les divisions Richepanse et Decaen, qui auraient dû arriver avant le jour au débouché de la forêt, au village de Altenpot, engagées, au milieu de la nuit, dans des chemins horribles et par un temps affreux, errèrent sur la lisière de la forêt une partie de la nuit. Richepanse, qui marchait en tête, n'arriva qu'à 7 heures du matin à Saint-Christophe, encore à deux lieues de Altenpot. Convaincu de l'importance du mouvement qu'il opérait, il activa sa marche avec sa première brigade, laissant fort en arrière la deuxième. Lorsque la colonne autrichienne de gauche atteignit le village de Saint-Christophe, elle le coupa de cette deuxième brigade; le général Drouet qui la commandait se déploya. La position de Richepanse devenait affreuse; il était à mi-chemin de Saint-Christophe à Altenpot; il se décida à continuer son mouvement, afin d'occuper le débouché de la forêt, si l'ennemi n'y était pas encore, ou de retarder sa marche et de concourir à l'attaque générale, en se jetant sur son flanc, si déja, comme tout semblait l'annoncer, l'archiduc avait pénétré dans la forêt. Arrivé au village de Altenpot, avec la huitième, la quarante-huitième de ligne et le premier de chasseurs, il se trouva sur les derrières des parcs et de toute l'artillerie ennemie, qui avaient défilé. Il traversa le village, et se mit en bataille sur les hauteurs. Huit escadrons de cavalerie ennemie, qui formaient l'arrière-garde, se déployèrent; la canonnade s'engagea, le premier de chasseurs chargea et fut ramené. La situation du général Richepanse était toujours très-critique; il ne tarda pas à être instruit qu'il ne devait pas compter sur Drouet, qui était arrêté par des forces considérables, et n'avait aucune nouvelle de Decaen. Dans cette horrible position, il prit conseil de son désespoir: il laissa le général Walter avec la cavalerie, pour contenir les cuirassiers ennemis, et à la tête des 48e et 8e de ligne, il entra dans la forêt de Hohenlinden. Trois bataillons de grenadiers hongrois, qui composaient l'escorte des parcs, se formèrent; ils s'avancèrent à la baïonnette contre Richepanse qu'ils prenaient pour un partisan. La 48e les culbuta. Ce petit combat décida de toute la journée. Le désordre et l'alarme se mirent dans le convoi: les charretiers coupèrent leurs traits, et se sauvèrent, abandonnant 87 pièces de canon et 300 voitures. Le désordre de la queue se communiqua à la tête. Ces colonnes, profondément entrées dans les défilés, se désorganisèrent; elles étaient frappées des désastres de la campagne d'été, et d'ailleurs composées d'un grand nombre de recrues. Ney et Richepanse se réunirent. L'archiduc Jean fit sa retraite en désordre et en toute hâte sur Haag, avec les débris de son corps.

Le général Decaen avait dégagé le général Drouet. Il avait contenu, avec une de ses brigades, la colonne de gauche de l'ennemi à Saint-Christophe, et s'était porté dans la forêt, avec la seconde brigade, pour achever la déroute des bataillons, qui s'y étaient réfugiés. Il ne restait plus de l'armée autrichienne, que la colonne de droite, commandée par le général Latour, qui fût entière; elle s'était réunie avec Kienmayer, qui avait débouché sur sa droite par la vallée de l'Issen, ignorant ce qui s'était passé au centre. Elle marcha contre le lieutenant-général Grenier, qui avait dans la main les divisions Legrand et Bastoul et la cavalerie du général d'Hautpoult. Le combat fut fort opiniâtre; le général Legrand rejeta le corps de Kienmayer dans le défilé de Lendorf, sur l'Issen; le général Latour fut repoussé et perdit du canon; il se mit en retraite et abandonna le champ de bataille, aussitôt qu'il fut instruit du désastre du principal corps de son armée. La gauche de l'armée autrichienne repassa l'Inn sur le pont de Wasserbourg, le centre sur les ponts de Craybourg et de Mühldorf, la droite sur le pont d'Oetting. Le général Klenau, qui s'était mis en mouvement pour s'approcher de l'Inn, se reporta sur le Danube, pour couvrir la Bohême, menacer et combattre l'armée gallo-batave. Le soir de la bataille, le quartier-général de l'armée française fut porté à Haag. Dans cette journée, qui décida du sort de la campagne, six divisions françaises, la moitié de l'armée, combattirent seules contre presque toute l'armée autrichienne. Les forces se trouvèrent à peu près égales sur le champ de bataille, 70,000 hommes de chaque côté. Mais il était impossible à l'archiduc Jean d'avoir plus de troupes réunies, et Moreau pouvait en avoir le double. La perte de l'armée française fut de 10,000 hommes tués, blessés ou prisonniers, soit au combat de Dorfen, soit à celui d'Ampfingen, soit à la bataille. Celle de l'ennemi fut de 25,000 hommes, sans compter les déserteurs; 7,000 prisonniers, parmi lesquels 2 généraux, 100 pièces de canon et une immense quantité de voitures, furent les trophées de cette journée.

§ VIII.

Lecourbe, qui n'était pas arrivé à temps pour prendre part à la bataille, se reporta sur Rosenheim; il n'en était qu'à peu de lieues. Decaen marcha sur la tête de pont de Wasserbourg qu'il bloqua étroitement; Grouchy resta en réserve à Haag; Richepanse se porta à Romering, vis-à-vis le pont de Craybourg; Grenier, avec ses trois divisions, passa l'Issen et se dirigea sur la Roth, à la poursuite de Latour et de Kienmayer, qui s'étaient retirés sur le bas Inn. Le général Kienmayer occupa les retranchements de Mühldorf, sur la gauche de l'Inn; le général Baillet Latour s'établit derrière Wasserbourg et Riesch, sur la route de Rosenheim à Salzbourg.

Le 9 décembre (six jours après la bataille) Lecourbe jetta un pont à deux lieues au-dessus de Rosenheim, au village de Neupeuren, descendit la rive droite avec les divisions Montrichard et Gudin, se porta vis-à-vis Rosenheim, où le corps de Condé, qui avait été complété à 12,000 hommes par des bataillons autrichiens, se trouvait en position en avant de Rarsdorf, appuyant la droite à l'Inn, vis-à-vis Rosenheim, la gauche au lac de Chiemsée. La division Gudin manœuvra sur Endorf, pour tourner cette gauche, ce qui décida la retraite de ce corps derrière l'Alza. Les divisions Decaen et Grouchy, qui avaient passé l'Inn au pont qu'avait jeté Lecourbe, arrivèrent en ligne au milieu de la journée. Decaen prit la gauche de la ligne, Grouchy resta en réserve, Lecourbe continua à suivre l'ennemi par la route de Seebruck, Traunstein et Teissendorf; Grouchy suivit son mouvement. Richepanse et Decaen marchèrent d'abord sur la grande route de Wasserbourg, et par un à droite, se portèrent sur Lauffen, où ils passèrent la Salza le 14. Richepanse avait jeté un pont de bateaux vis-à-vis Rosenheim, et passé l'Inn dans la journée du 11. Grenier entra dans la tête de pont de Wasserbourg que l'ennemi évacua, passa l'Inn et se dirigea sur Altenmarkt. Les parcs, la réserve de cavalerie, les deux divisions de la gauche passèrent sur le pont de Mühldorf, dans les journées des 10, 11 et 12. Car, aussitôt que l'ennemi vit que la barrière de l'Inn était forcée, il en abandonna en toute hâte les rives, pour se concentrer entre l'Ems et Vienne.

Le 13, Lecourbe se porta à Seebruck, passa l'Alza et s'avança aux portes de Salzbourg. Il rencontra, vis-à-vis Salzbourg, l'arrière-garde ennemie, forte de 20,000 hommes, la plus grande partie cavalerie, l'attaqua et fut repoussé avec perte de 2,000 hommes, et obligé de se reployer sur la rive gauche de la Saal. Les Autrichiens se disposaient à le suivre; mais le général Decaen ayant passé la Salza à Lauffen, Moreau marcha sur Salzbourg par la rive droite, ce qui obligea l'ennemi à abandonner cette rivière et à se retirer en hâte pour couvrir la capitale. Le 15, le général Decaen entra dans Salzbourg; le général Richepanse, de Lauffen se dirigea, le 16, sur Herdorf, et gagna, par une grande marche, la chaussée de Vienne. Le lieutenant-général Grenier marcha sur la chaussée de Braunau à Ried. Lecourbe, continuant à former la droite, s'avança par les montagnes. Le 17, Richepanse rencontra, à Frankenmarkt, l'arrière-garde de l'archiduc; il se battit toute la soirée. Le 18, on se battit aussi à Schwanstadt. L'arrière-garde ennemie n'avait fait qu'une lieue et demie dans cette journée, et prétendait passer la nuit dans cette position; mais elle fut attaquée avec la plus grande impétuosité et culbutée; elle perdit 200 prisonniers. Le 19, le général Decaen ayant pris l'avant-garde, attaqua le général Kienmayer à Lambach, le culbuta, fit prisonnier le général Mezzery et 1200 hommes. Les bagages, les parcs eurent beaucoup de peine à passer le pont, et furent long-temps exposés au feu des batteries françaises. L'ennemi fut poussé arec une telle activité, qu'il n'eut pas le temps de brûler le pont, qui était en bois et déjà couvert d'artifices. La division Decaen se porta dans la nuit sur Wels, où elle atteignit un corps ennemi, qui se retirait sur Linz, et fit quelques centaines de prisonniers; la division Richepanse passa la Traün à Lambach et marcha sur Kremsmünster, où Lecourbe et Decaen arrivèrent dans la soirée du 20. La division Grouchy et le grand quartier-général se portèrent à Wels; le corps de Grenier, après avoir passé la Salza à Lauffen et à Burkhausen et bloqué Braunau par la division Ney, arriva à Ebersberg. Le prince Charles venait de prendre le commandement de l'armée: l'opinion des peuples et du soldat l'appelait à grands cris au secours de la monarchie; mais il était trop tard.

Pendant ce temps, le général Decaen battait, à Kremsmünster, l'arrière-garde commandée par le prince de Schwartzenberg, et lui faisait un millier de prisonniers. Le 21, il entra à Steyer; le général Grouchy à Ems. L'armée passa l'Ems le même jour; les avant-postes furent placés sur l'Ips et l'Erlaph; la cavalerie légère s'avança jusqu'à Mölk. Le grand quartier-général fut établi à Kremsmünster. Le 25 décembre, on signa une suspension d'armes; elle était conçue en ces termes:

Art. 1er. La ligne de démarcation entre la portion de l'armée gallo-batave, en Allemagne, sous les ordres du général Augereau, dans les cercles de Westphalie, du Haut-Rhin et de Franconie, jusqu'à Bayarsdorf, sera déterminée particulièrement entre ce général et celui de l'armée impériale et royale qui lui est opposée. De Bayarsdorf, cette ligne passe à Herland, Nuremberg, Neumarck, Parsberg, Laver, Stadt-am-Lof et Ratisbonne, où elle passe le Danube dont elle longe la rive droite jusqu'à l'Erlaph, qu'elle remonte jusqu'à sa source, passe à Marckgamingen, Kogelbach, Goulingen, Hammox, Mendleng, Leopolstein, Heissemach, Vorderenberg et Leoben; suit la rive gauche de la Mühr jusqu'au point où cette rivière coupe la route de Salzbourg à Clagenfurth, qu'elle suit jusqu'à Spritat, remonte la chaussée de Vérone par l'Inenz et Brixen jusqu'à Botzen; de là passe à Maham, Glurens et Sainte-Marie, et arrive par Bormio dans la Valteline, où elle se lie avec l'armée d'Italie.—Art. 2. La carte d'Allemagne, par Chauchard, servira de règle dans les discussions qui pourraient s'élever sur la ligne de démarcation ci-dessus.—Art. 3. Sur les rivières qui sépareront les deux armées, la section ou la conservation des ponts sera réglée par des arrangements particuliers, suivant que cela sera jugé utile, soit pour le besoin des armées, soit pour ceux du commerce; les généraux en chef des armées respectives s'entendront sur ces objets, ou en délégueront le droit aux généraux, commandant les troupes sur ces points. La navigation des rivières restera libre, tant pour les armées que pour le pays.—Art. 4. L'armée française non-seulement occupera exclusivement tous les points de la ligne de démarcation ci-dessus déterminée, mais encore pour mettre un intervalle continu entre les deux armées; la ligne des avant-postes de l'armée impériale et royale sera, dans toute son étendue, à l'exception du Danube, à un mille d'Allemagne, au moins, de distance de celle de l'armée française.—Art. 5. A l'exception des sauvegardes ou gardes de police, qui seront laissées ou envoyées dans le Tyrol par les deux armées respectives, et en nombre égal, mais qui sera le moindre possible (ce qui sera réglé par une convention particulière). Il ne pourra rester aucune autre troupe de sa majesté l'empereur dans l'enceinte de la ligne de démarcation: celles qui se trouvent en ce moment dans les Grisons, le Tyrol et la Carinthie, devront se retirer immédiatement par la route de Clagenfurt sur Pruck, pour rejoindre l'armée impériale d'Allemagne, sans qu'aucune puisse être dirigée sur l'Italie; elles se mettront en route des points où elles sont, aussitôt l'avis donné de la présente convention, et leur marche sera réglée sur le pied d'une poste et demie d'Allemagne par jour. Le général en chef de l'armée française du Rhin est autorisé à s'assurer de l'exécution de cet article par des délégués chargés de suivre la marche des armées impériales jusqu'à Pruck. Les troupes impériales qui pourraient avoir à se retirer du haut Palatinat, de la Souabe ou de la Franconie, se dirigeront par le chemin le plus court, au-delà de la ligne de démarcation. L'exécution de cet article ne pourra être retardée sous aucun prétexte au-delà du temps nécessaire, eu égard aux distances.—Art. 6. Les forts de Kufstein, Schoernitz et tous les autres points de fortifications permanentes dans le Tyrol, seront remis en dépôt à l'armée française, pour être rendus dans le même état où ils se trouvent à la conclusion et ratification de la paix, si elle suit cet armistice sans reprise d'hostilités. Les débouchés de Fientlermünz, Naudert et autres fortifications de campagne dans le Tyrol, seront remis à la disposition de l'armée française.—Art. 7. Les magasins appartenant dans ce pays à l'armée impériale, seront laissés à sa disposition.—Art. 8. La forteresse de Wurtzbourg, en Franconie, et la place de Braunau, dans le cercle de Bavière, seront également remises à l'armée française, pour être rendues aux mêmes conditions que les forts de Kufstein et Schoernitz.—Art. 9. Les troupes, tant de l'empire que de sa majesté impériale et royale qui occupent les places, les évacueront, savoir: la garnison de Wurtzbourg, le 6 janvier 1801 (16 nivose an IX); celle de Braunau, le 4 janvier 1801 (14 nivose an IX), et celle des forts du Tyrol, le 8 janvier (18 nivose).—Art. 10. Toutes les garnisons sortiront avec les honneurs de la guerre, et se rendront, avec armes et bagages, par le plus court chemin, à l'armée impériale. Il ne pourra rien être distrait par elles de l'artillerie, munitions de guerre et de bouche et approvisionnements en tout genre de ces places, à l'exception des subsistances nécessaires pour leur route jusqu'au-delà de la ligne de démarcation.—Art. 11. Des délégués seront respectivement nommés pour constater l'état des places dont il s'agit; mais sans que le retard qui serait apporté à cette mission puisse en entraîner dans l'évacuation.—Art. 12. Les levées extraordinaires ordonnées dans le Tyrol seront immédiatement licenciées, et les habitants renvoyés dans leurs foyers. L'ordre et l'exécution de ce licenciement ne pourront être retardés sous aucun prétexte.—Art. 13. Le général en chef de l'armée du Rhin voulant, de son côté, donner à son altesse l'archiduc Charles une preuve non équivoque des motifs qui l'ont déterminé à demander l'évacuation du Tyrol, déclare, qu'à l'exception des forts de Kufstein, Schoernitz, Fientlermünz, il se bornera à avoir dans le Tyrol des sauvegardes ou gardes de police déterminées dans l'art. 5, pour assurer les communications. Il donnera en même temps aux habitants du Tyrol, toutes les facilités qui seront en son pouvoir pour leurs subsistances, et l'armée française ne s'immiscera en rien dans le gouvernement de ce pays.—Art. 14. La portion du territoire de l'empire et des états de sa majesté impériale, dans le Tyrol, est mise sous la sauvegarde de l'armée française pour le maintien du respect des propriétés et des formes actuelles du gouvernement des peuples. Les habitants de ce pays ne seront point inquiétés pour raison de services rendus à l'armée impériale, ni pour opinions politiques, ni pour avoir pris une part active à la guerre.—Art. 15. Au moyen des dispositions ci-dessus, il y aura entre l'armée gallo-batave, en Allemagne, celle du Rhin, et l'armée de sa majesté impériale et de ses alliés dans l'empire germanique, un armistice et suspension d'armes qui ne pourra être moindre de trente jours. A l'expiration de ce délai, les hostilités ne pourront recommencer qu'après quinze jours d'avertissement, comptés de l'heure où la signification de rupture sera parvenue, et l'armistice sera prolongé indéfiniment jusqu'à cet avis de rupture.—Art. 16. Aucun corps ni détachement, tant de l'armée du Rhin que de celle de sa majesté impériale, en Allemagne, ne pourront être envoyés aux armées respectives, en Italie, tant qu'il n'y aura pas d'armistice entre les armées française et impériale dans ce pays. L'inexécution de cet article sera regardée comme une rupture immédiate de l'armistice.—Art. 17. Le général en chef de l'armée du Rhin fera parvenir le plus promptement possible la présente convention aux généraux en chef de l'armée gallo-batave, des Grisons et de l'armée d'Italie, avec la plus pressante invitation, particulièrement au général en chef de l'armée d'Italie, de conclure de son côté une suspension d'armes. Il sera donné en même temps toutes facilités pour le passage des officiers et courriers que son altesse royale l'archiduc Charles croira devoir envoyer, soit dans les places à évacuer, soit dans le Tyrol, et en général dans le pays compris dans la ligne de démarcation durant l'armistice.

A Steyer, le 25 décembre 1800 (4 nivose an 9).

Signés, V. F. Lahorie, le comte de Grune, Wairother-de-Vetal.

L'armée resta dans ses positions jusqu'à la ratification de la paix de Lunéville, signée le 9 février 1801. Elle évacua, en exécution de ce traité, les états héréditaires, dans les dix jours qui suivirent la ratification, et l'empire dans l'espace de 30 jours après l'échange desdites ratifications.

§ IX.

OBSERVATIONS.

Plan de campagne. Le plan de campagne adopté par le premier consul, réunissait tous les avantages. Les armées d'Allemagne et d'Italie étaient chacune dans une seule main; l'armée gallo-batave devait être indépendante, parce qu'elle n'était qu'un corps d'observation, qui ne devait pas se laisser séparer de la France, et devait toujours se tenir en arrière de la gauche de la grande armée, pour permettre au général Moreau de concentrer toutes ses divisions et de réunir d'assez grandes forces, pour pouvoir manœuvrer, indépendamment des bons ou mauvais succès de ce corps d'observation.

L'armée des Grisons, deuxième armée de réserve, menaçait à la fois le Tyrol allemand et italien. Elle fixa toute l'attention des généraux Hiller et Davidowich, et permit au général Moreau d'attirer à lui sa droite, et au général Brune d'attirer à lui sa gauche. Il importait qu'elle fût aussi indépendante, parce qu'elle devait réaccorder les armées d'Allemagne et d'Italie, menacer la gauche de l'armée de l'archiduc, et la droite de celle du maréchal Bellegarde.

Ces deux corps d'observation, qui n'étaient ensemble que de 35,000 hommes, occupèrent l'armée mayençaise et les corps de Simbschen, Klenau, Reuss et Davidowich, 70,000 hommes; lorsque, par un effet opposé, ils permirent aux deux grandes armées françaises, qui étaient destinées à entrer dans les états héréditaires, de tenir réunies toutes leurs forces.

Augereau. Le général Augereau a rempli le rôle qui lui avait été assigné. Ses instructions lui ordonnaient de se tenir toujours en arrière, afin de ne pas s'exposer à être attaqué par un détachement de l'armée de l'archiduc. Au reste, son combat de Burg-Eberach, le 3 décembre, jour même de la bataille de Hohenlinden, est fort honorable, ainsi que les combats qu'il a soutenus plus tard en avant de Nuremberg, où il a eu à lutter contre des forces supérieures. Mais s'il se fût mieux pénétré du rôle qu'il avait à remplir, il eût évité des engagements; ce qui lui devenait facile, en ne passant pas la Rednitz. Cependant son ardeur a été utile, puisqu'elle a obligé l'archiduc à détacher le corps de Klenau, pour soutenir l'armée mayençaise.

Moreau. La marche du général Moreau sur l'Inn est défectueuse; il ne devait pas aborder cette rivière sur six points et sur une ligne de quinze à vingt lieues. Lorsque l'armée, qui vous est opposée, est couverte par un fleuve, sur lequel elle a plusieurs têtes de pont, il ne faut pas l'aborder de front. Cette disposition dissémine votre armée, et vous expose à être coupé. Il faut s'approcher de la rivière que vous voulez passer, par des colonnes en échelons, de sorte qu'il n'y ait qu'une seule colonne, la plus avancée, que l'ennemi puisse attaquer sans prêter lui-même le flanc. Pendant ce temps, vos troupes légères borderont la rive; et lorsque vous serez fixé sur le point où vous voulez passer, point qui doit toujours être éloigné de l'échelon de tête, pour mieux tromper votre ennemi, vous vous y porterez rapidement et jetterez votre pont. L'observation de ce principe était très-importante sur l'Inn, le général français ayant fait de Munich son point de pivot. Or, il n'y a de Munich à l'endroit le plus près de cette rivière, que dix lieues; elle court obliquement, en s'éloignant toujours davantage de cette capitale, de sorte que, lorsque l'on veut jeter un pont plus bas, on prête le flanc à l'ennemi. Aussi le général Grenier se trouva-t-il fort exposé dans le combat du 1er décembre; il fut obligé de lutter deux jours, un contre trois.

Si le général français voulait occuper les hauteurs d'Ampfingen, il ne le pouvait faire qu'avec toute son armée. Il fallait qu'il y réunît les trois divisions de Grenier, les trois divisions de la réserve, et la cavalerie du général d'Hautpoult, plaçant Lecourbe en échelons sur la droite. Ainsi rangée, l'armée française n'aurait couru aucun risque; elle eût battu et précipité dans l'Inn l'archiduc. Avec une armée, qui eût été même supérieure en nombre, les dispositions prises eussent été dangereuses. C'est de Landshut qu'il faut partir, pour marcher sur l'Inn.

Pendant que le sort de la campagne se décidait aux champs d'Ampfingen et de Hohenlinden, les trois divisions de Sainte-Suzanne et les trois divisions de Lecourbe, c'est-à-dire la moitié de l'armée, n'étaient pas sur le champ de bataille. A quoi bon avoir des troupes, lorsqu'on n'a pas l'art de s'en servir dans les occasions importantes? L'armée française était de 140,000 hommes sur le champ d'opérations; celle de l'archiduc de 80,000 hommes, parce qu'elle était affaiblie des deux détachements qu'elle avait faits contre l'armée gallo-batave et celle des Grisons. Néanmoins, l'armée autrichienne se trouva égale en nombre sur le champ de Hohenlinden, et triple au combat d'Ampfingen.

La bataille de Hohenlinden a été une rencontre heureuse; le sort de la campagne y a été joué sans aucune combinaison. L'ennemi a eu plus de chances de succès que les Français; et cependant ceux-ci étaient tellement supérieurs en nombre et en qualité, que, menés sagement et conformément aux règles, ils n'eussent eu aucune chance contre eux. On a dit que Moreau avait ordonné la marche de Richepanse et de Decaen sur Altenpot, pour prendre en flanc l'ennemi! cela n'est pas exact; tous les mouvements de l'armée française, pendant la journée du 3, étaient défensifs. Moreau avait intérêt à rester, le 3, sur la défensive, puisque, le 4, le général Lecourbe devait arriver sur le champ de bataille, et que, le 5, il devait recevoir un autre puissant renfort, celui de Sainte-Suzanne. Le but de ce mouvement de Decaen et de Richepanse, était d'empêcher l'ennemi de déboucher dans la forêt, pendant la journée du 3; il était purement défensif.

Si la manœuvre de ces deux divisions avait eu pour but de tomber sur le flanc gauche de l'ennemi, elle eût été contraire à la règle, qui veut que l'on ne fasse pas de gros détachements, la veille d'une bataille. L'armée française n'avait de réunies que six divisions; c'était beaucoup hasarder que d'en détacher deux, la veille de l'action. Il était possible que ce détachement ne rencontrât pas les ennemis, parce que ceux-ci auraient manœuvré sur leur droite, ou auraient déja emporté Hohenlinden, avant son arrivée à Altenpot. Dans ce cas, les divisions Richepanse et Decaen, isolées, n'eussent été d'aucun secours aux quatre autres, qui eussent été rejetées au-delà de l'Iser; ce qui eût entraîné la perte de ces deux divisions détachées.

Si l'archiduc eût fait marcher en avant son échelon de droite, et ne fût entré dans la forêt, que lorsque le général Latour aurait été aux prises avec le lieutenant-général Grenier, il n'eût trouvé à Hohenlinden que la division Grouchy. Il se fût emparé de la forêt, eût coupé l'armée par le centre, et tourné la droite de Grenier, qu'il eût jetée au delà de l'Iser; les deux divisions Richepanse et Decaen, isolées dans des pays difficiles, au milieu des glaces et des boues, eussent été acculées à l'Inn; un grand désastre eût frappé l'armée française. C'était mal jouer, que d'en courir les chances; Moreau était trop prudent pour s'exposer à un pareil hasard.

Le mouvement de Richepanse et de Decaen devait s'achever dans la nuit; mais il eût fallu que ces deux divisions marchassent réunies. Elles étaient au contraire séparées, et fort éloignées l'une de l'autre, dans des pays sans chemins et en décembre; elles errèrent toute la nuit. A sept heures du matin, le 3, lorsque Richepanse, avec la première brigade, arriva en avant de Saint-Christophe, il se trouva coupé de sa deuxième brigade; l'ennemi s'était placé à Saint-Christophe. Ce général devait-il poursuivre sa marche, ou rétrograder au secours de sa seconde brigade? Cette question ne peut être douteuse; il devait rétrograder. Il l'eût dégagée, se fût joint au général Decaen, et eût pu, dès lors, marcher en avant avec de grandes forces. Il devait s'attendre à trouver, au village d'Altenpot, une des colonnes de l'archiduc fort supérieure à lui; quel espoir pouvait-il avoir? il eût été attaqué en tête et en queue, ayant l'Inn sur son flanc droit. Dans sa position, les règles de la guerre voulaient qu'il marchât réuni, non-seulement avec sa deuxième brigade, mais même avec la division Decaen. 20,000 hommes ont toujours des moyens d'influer sur la fortune; et au pis aller, surtout en décembre, ils ont toujours le temps de gagner la nuit et de se tirer d'affaire. Le général Richepanse fit donc une imprudence; cette imprudence lui réussit, et c'est à elle que doit spécialement être attribué le succès de la bataille. Car, de part et d'autre, il n'a tenu à rien; et le sort de deux grandes armées a été décidé par le choc de quelques bataillons.

Archiduc Jean.—L'archiduc Jean a eu tort de prendre l'offensive, et de passer l'Inn. Son armée était trop démoralisée; elle avait trop de recrues; enfin, elle avait à combattre des forces trop considérables, et opérait dans une saison, où tous les avantages sont pour celui qui reste sur la défensive.

Il a fort bien engagé le combat du 1er décembre, mais il n'y a pas mis de vigueur; il a passé toute la journée à se déployer. Ces mouvements exigent beaucoup de temps, et les jours sont bien courts en décembre; ce n'était pas le cas de parader. Il fallait attaquer par la gauche et par le centre, par la droite en colonnes et au pas de charge, tête baissée. En profitant ainsi de sa grande supériorité, il eût entamé et mis en déroute les divisions Ney et Hardy.

Il eût dû, dès le lendemain, pousser les Français, l'épée dans les reins et à grandes journées; il fit la faute de se reposer, ce qui donna le temps à Moreau de se rasseoir et de réunir ses forces. Son mouvement avait complètement surpris l'armée française; elle était disséminée; il ne fallait pas lui donner le temps de respirer et de se reconnaître. Mais, à moins que l'archiduc n'eût eu le bonheur de remporter un grand avantage, l'armée française, rejetée au delà de l'Iser, s'y fût ralliée, et n'eût pas moins fini par le battre complètement.

Ses dispositions pour la bataille de Hohenlinden sont fort bien entendues; mais il a commis des fautes dans l'exécution. La nature de son mouvement voulait que son armée marchât en échelons, la droite en avant; que la droite commandée par le général Latour, et les flanqueurs du général Kienmayer, fussent réunis et aux mains avec le corps du lieutenant-général Grenier, avant que le centre n'entrât dans la forêt. Pendant ce mouvement, l'archiduc devait se tenir en bataille avec le centre, à hauteur d'Altenpot, faisant fouiller la forêt par une division, pour favoriser la marche du général Latour. Les trois divisions de Grenier, commandées par Legrand, Bastoul et Ney, étant occupées par Latour, l'archiduc n'eût trouvé à Hohenlinden, que Grouchy, qui ne pouvait pas tenir une demi-heure. Au lieu de cela, il marcha le centre en avant, sans faire attention que sa droite et sa gauche, qui s'avançaient par des chemins de traverse, dans des pays couverts de glaces, ne pouvaient pas le suivre; de sorte qu'il se trouva seul engagé dans une forêt, où la supériorité du nombre est de peu d'importance. Cependant, il repoussa, mit en désordre la division Grouchy; mais le général Latour était à deux lieues en arrière. Ney, qui n'avait personne devant, lui accourut au soutien de Grouchy; et lorsque, plusieurs heures après, les ailes de l'archiduc arrivèrent à sa hauteur, il était trop tard. Il était contraire à l'usage de la guerre, d'engager, sans utilité, plus de troupes que le terrain ne lui permettait d'en déployer, et surtout de faire entrer ses parcs et sa grosse artillerie dans un défilé, dont il n'avait pas l'extrémité opposée. En effet, ils l'ont embarrassé pour opérer sa retraite, et il les a perdus. Il aurait dû les laisser en position, au village d'Altenpot, sous une escorte convenable, jusqu'à ce qu'il fût maître du débouché de la forêt.

Ces fautes d'exécution font présumer que l'armée de l'archiduc était mal organisée. Mais la pensée de la bataille était bonne; il eût réussi le 2 décembre, il eût encore réussi le 3, sans ces fautes d'exécution.

On a voulu persuader que la marche de l'armée française sur Ampfingen, et sa retraite sur Hohenlinden, étaient une ruse de guerre: cela ne mérite aucune réfutation sérieuse. Si le général Moreau eût médité cette marche, il en eût tenu à portée les six divisions de Lecourbe et de Sainte-Suzanne; il eût tenu réunis Richepanse et Decaen, dans un même camp; il eût, etc., etc. Sans doute la bataille de Hohenlinden fut très-glorieuse pour le général Moreau, pour les généraux, pour les officiers, pour les troupes françaises. C'est une des plus décisives de la guerre; mais elle ne doit être attribuée à aucune manœuvre, à aucune combinaison, à aucun génie militaire.

Dernière observation.—Le général Lecourbe qui formait la droite, n'avait pas donné à la bataille; il eût dû jeter un pont sur l'Inn, et passer cette rivière, au plus tard, le 5. Toute l'armée eût dû se trouver, dans la journée du 6, sur la rive droite; elle n'y a été que le 12. Le quartier-général, qui eût pu arriver le 12 à Steyer, n'y a été que le 22. Cette perte de sept jours a permis à l'archiduc de se rallier, de prendre position derrière l'Alza et la Salza, d'organiser une bonne arrière-garde et de défendre le terrain, pied à pied, jusqu'à l'Ems. Sans cette lenteur impardonnable, Moreau eût évité plusieurs combats, pris une quantité énorme de bagages, de prisonniers isolés, et coupé des divisions non ralliées. Il était beaucoup plus près de Salzbourg, le lendemain de la bataille de Hohenlinden, que l'archiduc qui s'était retiré par le bas Inn; en marchant avec activité et dans la vraie direction, Moreau l'eût acculé au Danube, et fût arrivé à Vienne avant les débris de son armée.

Le petit échec qu'a essuyé Lecourbe devant Salzbourg, et la résistance de l'ennemi dans la plaine de Vocklebruck, proviennent du peu de cavalerie, qui se trouvait à l'avant-garde. C'était cependant le cas d'y faire marcher la réserve du général d'Hautpoult, et non de la tenir en arrière. C'est à la cavalerie à poursuivre la victoire, et à empêcher l'ennemi battu de se rallier.

§ X.

L'armée des Grisons avait attiré l'attention du cabinet de Vienne; elle le devait spécialement à sa première dénomination d'armée de réserve. Mélas et son état-major avaient reproché au conseil aulique de s'être laissé tromper sur la formation et la marche de la première armée de réserve, qui avait coupé les derrières de l'armée autrichienne, et lui avait enlevé à Marengo toute l'Italie; on s'occupa donc avec une scrupuleuse attention, de connaître la force et d'éclairer la marche de cette deuxième armée de réserve. La première avait été jugée trop faible; la deuxième fut supposée trop forte. Le gouvernement français employa tous les moyens, pour induire en erreur les agents autrichiens. On donna pour chef, à cette armée, le général Macdonald, connu par sa campagne de Naples, et par la bataille de la Trébia. Elle fut composée de plusieurs divisions; et l'on persuada facilement qu'elle était de 40,000 hommes, lorsqu'elle n'était réellement que de 15,000. On y envoya des corps de volontaires de Paris, dont la levée avait fixé l'attention des oisifs, et qui étaient composés de jeunes gens de famille. Sous le rapport des opérations purement militaires, cette armée était inutile, et eût rendu plus de services, si on n'en eût formé qu'une seule division, que l'on aurait mise sous les ordres de Moreau ou de Brune. Mais le souvenir de la première était tel chez les Autrichiens, qu'ils pensèrent que cette seconde armée était destinée à manœuvrer comme l'autre, et à tomber sur leurs derrières, soit en Italie, soit en Allemagne. Dans la crainte qu'elle leur inspirait, ils placèrent un corps considérable dans les débouchés du Tyrol et de la Valteline, afin de la tenir en respect, soit qu'elle voulût se diriger sur l'Allemagne, ou sur l'Italie. Elle produisit donc le bon effet, pendant une partie de novembre et de décembre, de paralyser près de 40,000 ennemis, tant de l'armée d'Allemagne, que de celle de l'Italie. Ainsi l'on peut dire que cette deuxième armée de réserve contribua au succès des armées françaises, en Allemagne, bien plus par son nom, que par sa force réelle.

La bataille de Hohenlinden ayant entièrement décidé des affaires d'Allemagne, l'armée des Grisons reçut ordre d'opérer en Italie, de descendre dans la Valteline, et de se porter au cœur du Tyrol, en débouchant sur la grande chaussée à Botzen. Le général Macdonald exécuta lentement cette opération et n'y mit que peu de résolution; soit qu'il vît avec peine le général Brune, avec qui il était mal, à la tête d'une aussi belle armée que celle d'Italie; soit qu'une expédition de cette nature ne fût pas dans le caractère de ce général. Conduite par Masséna, Lecourbe ou Ney, une semblable opération aurait eu les plus grands résultats. Le passage du Splugen offrait sans doute quelques difficultés; mais l'hiver n'est pas la saison la plus défavorable pour le passage des montagnes élevées. Alors la neige y est ferme, le temps bien établi, et l'on n'a rien à craindre des avalanches, véritable et unique danger à redouter sur les Alpes. En décembre, il y a, sur ces hautes montagnes, de très-belles journées, d'un froid sec, pendant lequel règne un grand calme dans l'air.

Ce ne fut que le 6 décembre, que l'armée des Grisons passa enfin le Splugen et arriva à Chiavenna. Mais au lieu de se diriger, par le haut Engadin, sur Botzen, cette armée vint se mettre en deuxième ligne, derrière la gauche de l'armée d'Italie. Elle ne fit aucun effet, et ne participa en rien au succès de la campagne; car le corps de Baraguey d'Hilliers, détaché dans le haut Engadin, était trop faible. Il fut arrêté dans sa marche par l'ennemi, et ne pénétra à Botzen, que le 9 janvier, c'est-à-dire 14 jours après les combats qui avaient été livrés par l'armée d'Italie sur le Mincio, et six jours après le passage de l'Adige par cette armée. Le général Macdonald arriva à Trente, le 7 janvier, lorsque déja l'ennemi en était chassé par la gauche de l'armée d'Italie, qui se portait sur Roveredo, sous les ordres de Moncey et de Rochambeau. L'armistice de Trévise, conclu le 16 janvier 1801, par l'armée d'Italie, comprit également l'armée des Grisons; elle prit position dans le Tyrol italien; et son quartier-général resta à Trente.

§ XI.

Dans le courant de novembre 1800, le général Brune, qui commandait l'armée française en Italie, dénonça l'armistice au général Bellegarde, et les hostilités commencèrent le 22 novembre. La rivière de la Chiesa, jusqu'à son embouchure dans l'Oglio, et cette dernière, depuis ce point, jusqu'à son embouchure dans le Pô, formaient la ligne de l'armée française. Cette armée était très-belle et très-nombreuse; elle était composée de l'armée de réserve et de l'ancienne armée d'Italie, réunies. Pendant cinq mois qu'elle s'était rétablie dans les belles plaines de la Lombardie, elle avait été renforcée considérablement, tant par des recrues venant de France, que par de nombreuses troupes italiennes. Le général Moncey commandait la gauche, Suchet le centre, Dupont la droite, Delmas l'avant-garde, et Michaud la réserve; Davoust commandait la cavalerie, et Marmont l'artillerie, qui avait deux cent bouches à feu, bien attelées et approvisionnées. Chacun de ces corps était composé de deux divisions; ce qui faisait un total de dix divisions d'infanterie et deux de cavalerie. Une brigade de l'avant-garde était détachée au quartier-général, et portait le titre de réserve du quartier-général. Ainsi l'avant-garde était de trois brigades.

Le général Miollis commandait en Toscane; il avait sous ses ordres 5 à 6,000 hommes, dont la plus grande partie étaient des troupes italiennes. Soult commandait en Piémont; il avait 6 ou 7,000 hommes, la plupart Italiens. Dulauloy commandait en Ligurie, et Lapoype dans la Cisalpine. Le général en chef Brune avait près de 100,000 hommes sous ses ordres; il lui en restait, réunis sur le champ de bataille, plus de 80,000.

L'armée des Grisons, que commandait Macdonald, occupait des corps autrichiens dans l'Engadine et dans la Valteline. Cette armée peut donc être comptée comme faisant partie de celle d'Italie. Elle augmentait la force de celle-ci de 15,000 hommes; c'était donc à peu près 100,000 hommes présents sous les armes, qui agissaient sur le Mincio et l'Adige.

Lors de la reprise des hostilités, le 22 novembre, le général Brune restait sur la défensive; il attendait sa droite qui, sous les ordres de Dupont, était en Toscane. Elle passa le Pô à Sacca, le 24, vint se placer derrière l'Oglio, ayant son avant-garde à Marcaria. L'ennemi restait également sur la défensive. Quelque ordre que reçût Brune d'agir avec vigueur, il hésitait à prendre l'offensive.

Le général Bellegarde, qui commandait l'armée autrichienne, n'était pas un général redoutable. Il avait pour instructions de défendre la ligne du Mincio; la maison d'Autriche attachait de l'importance à conserver cette rivière, tant pour communiquer avec Mantoue, qu'afin de l'avoir pour limite à la paix. L'armée autrichienne, forte de 60 à 70,000 hommes, avait sa gauche appuyée au Pô; elle était soutenue par Mantoue, et couverte par le lac, sur lequel il y avait des chaloupes armées. La droite s'appuyait à Peschiera et au lac Garda, dont une nombreuse flottille lui assurait la possession. Un corps détaché était dans le Tyrol, occupant les positions du Mont-Tonal et celles opposées aux débouchés de l'Engadine et de la Valteline. Le Mincio, qui, de Peschiera à Mantoue, a vingt milles, ou 7 petites lieues de cours, est guéable en plusieurs endroits dans les temps de sécheresse; mais, dans la saison où l'on se trouvait, il ne l'est nulle part. Le général autrichien avait d'ailleurs fermé toutes les prises d'eau qui appauvrissent cette rivière. Toutefois, c'était une faible barrière; elle n'a pas plus d'une vingtaine de toises de largeur, et ses deux rives se dominent alternativement. Le point de Mozembano domine la rive gauche, ainsi que celui de Molino della Volta; les positions de Salionzo et de Valleggio, sur la rive gauche, ont un grand commandement sur celle opposée. Le général Bellegarde avait fait occuper fortement les hauteurs de Valleggio; il y avait fait rétablir un reste de château-fort, antique, qui pouvait servir de réduit; il commande toute la campagne sur les deux rives. Borghetto avait été fortifié, et était comme tête de pont, sous la protection de Valleggio. L'enceinte de la petite ville de Goîto avait été rétablie, et sa défense augmentée par les eaux. Bellegarde avait aussi fait élever quatre redoutes fraisées et palissadées, sur les hauteurs de Salionzo; elles étaient aussi rapprochées que possible de Valleggio. Lorsqu'il eut pourvu à ses principales défenses sur la rive gauche, il les étendit sur la rive droite. Il fit occuper les hauteurs de la Volta, position, qui domine tout le pays, par de forts ouvrages; mais ils étaient à près d'une lieue du Mincio, et à une et demie de Goîto et de Valleggio. Ainsi, sur un espace de quinze milles, le général autrichien avait cinq points fortement retranchés: Peschiera, Salionzo, Valleggio, Volta, et Goîto.

Le 18 décembre, l'armée française passa la Chiesa; le quartier-général se porta à Castaguedolo. Les 19 et 21, toute l'armée marcha sur le Mincio en quatre colonnes; la droite, sous les ordres de Dupont, se dirigea sur l'extrémité du lac de Mantoue; le centre, conduit par Suchet, marcha sur la Volta; l'avant-garde, ayant pour but de masquer Peschiera, se porta sur Ponti; la réserve et l'aile gauche se dirigèrent sur Mosembano. Dupont, à l'aile droite, rejeta avec sa division de droite, la garnison de Mantoue au-delà du lac. La deuxième division (Vatrin) chassa l'ennemi dans Goîto. Suchet, au centre, marcha sur Volta avec circonspection. Il s'attendait à un mouvement de l'armée autrichienne pour soutenir la tête de sa ligne. Mais l'ennemi ne fit contenance nulle part; il craignait probablement d'être coupé du Mincio; il abandonna ses positions. La belle hauteur de Mozembano, qui commande le Mincio, ne fut pas disputée. Les Français s'emparent de toutes les positions sur la rive droite, excepté de Goîto et de la tête de pont de Borghetto. Lorsque l'ennemi s'était aperçu qu'il avait affaire à toute l'armée française, il avait craint un engagement général; et il s'était reployé sur la rive gauche du Mincio, ne conservant, sur la droite, que Goîto et Borghetto. Le résultat des pertes des Autrichiens, sur toute la ligne, fut de 5 à 600 hommes prisonniers. Le quartier-général des Français fut placé à Mozembano.

Il fallait, le jour même, jeter des ponts sur le Mincio, le franchir, et poursuivre l'ennemi. Une rivière d'aussi peu de largeur, est un léger obstacle, lorsqu'on a une position qui domine la rive opposée, et que, de là, la mitraille des batteries dépasse au loin l'autre rive. A Mozembano, au moulin de la Volta, l'artillerie peut battre l'autre rive à une grande distance, sans que l'ennemi puisse trouver une position avantageuse pour l'établissement de ses batteries. Alors le passage n'est réellement rien; l'ennemi ne peut pas même voir le Mincio, qui, semblable à un fossé de fortification, couvre les batteries de toute attaque.

Dans la guerre de siége, comme dans celle de campagne, c'est le canon qui joue le principal rôle; il a fait une révolution totale. Les hauts remparts en maçonnerie ont dû être abandonnés pour les feux rasants et recouverts par des masses de terre. L'usage de se retrancher chaque jour, en établissant un camp, et de se trouver en sûreté derrière de mauvais pieux, plantés à côté les uns des autres, a dû être aussi abandonné.

Du moment où l'on est maître d'une position qui domine la rive opposée, si elle a assez d'étendue pour que l'on puisse y placer un bon nombre de pièces de canon, on acquiert bien des facilités pour le passage de la rivière. Cependant, si la rivière a de deux cents à cinq cents toises de large, l'avantage est bien moindre; parce que votre mitraille n'arrivant plus sur l'autre rive, et l'éloignement permettant à l'ennemi de se défiler facilement, les troupes, qui défendent le passage, ont la faculté de s'enterrer dans des boyaux, qui les mettent à l'abri du feu de la rive opposée. Si les grenadiers, chargés de passer pour protéger la construction du pont, parviennent à surmonter cet obstacle, ils sont écrasés par la mitraille de l'ennemi, qui, placé à deux cents toises du débouché du pont, est à portée de faire un feu très-meurtrier, et est cependant éloigné de quatre ou cinq cents toises des batteries de l'armée qui veut passer; de sorte que l'avantage du canon est tout entier pour lui. Aussi, dans ce cas, le passage n'est-il possible, que lorsqu'on parvient à surprendre complètement l'ennemi, et qu'on est favorisé par une île intermédiaire, ou par un rentrant très-prononcé, qui permet d'établir des batteries croisant leurs feux sur la gorge. Cette île ou ce rentrant forme alors une tête de pont naturelle, et donne tout l'avantage de l'artillerie à l'armée qui attaque.

Quand une rivière a moins de soixante toises, les troupes qui sont jetées sur l'autre bord, protégées par une grande supériorité d'artillerie et par le grand commandement que doit avoir la rive où elle est placée, se trouvent avoir tant d'avantage, que, pour peu que la rivière forme un rentrant, il est impossible d'empêcher l'établissement du pont. Dans ce cas, les plus habiles généraux se sont contentés, lorsqu'ils ont pu prévoir le projet de leur ennemi, et arriver avec leur armée sur le point de passage, de s'opposer au passage du pont, qui est un vrai défilé, en se plaçant en demi-cercle alentour, et en se défilant du feu de la rive opposée, à trois ou quatre cents toises de ses hauteurs. C'est la manœuvre que fit Vendôme, pour empêcher Eugène de profiter de son pont de Cassano.

Le général français décida de passer le Mincio le 24 décembre, et il choisit pour points de passage, ceux de Mozembano et de Molino della Volta, distants de deux lieues l'un de l'autre. Sur ces deux points, le Mincio n'étant rien, il ne faut considérer que le plan général de la bataille. Était-il à propos de se diviser entre Mozembano et Molino? L'ennemi occupait la hauteur de Valleggio et la tête de pont de Borghetto. La jonction des troupes, qui auraient effectué les deux passages, pouvait donc éprouver des obstacles et être incertaine. L'ennemi pouvait lui-même sortir par Borghetto, et mettre de la confusion dans l'une de ces attaques. Ainsi il était plus conforme aux règles de la guerre, de passer sur un seul point, afin d'être sûr d'avoir toujours ses troupes réunies. Dans ce cas, lequel des deux passages fallait-il préférer?

Celui de Mozembano avait l'avantage d'être plus près de Vérone; la position était beaucoup meilleure. L'armée ayant donc passé à Mozembano, sur trois ponts éloignés l'un de l'autre de deux à trois cents toises, ne devait point avoir d'inquiétude pour sa retraite, parce que sa droite et sa gauche étaient constamment appuyées au Mincio, et flanquées par les batteries qu'on pouvait établir sur la rive droite. Mais Bellegarde, qui l'avait parfaitement senti, avait occupé, par une forte redoute, les deux points de Valleggio et de Salionzo. Ces deux points, situés au coude du Mincio, forment avec le point de passage, un triangle équilatéral de trois mille toises de côté. L'armée autrichienne venant à appuyer sa gauche à Valleggio, sa droite à Salionzo, se trouvait occuper la corde, et sa droite et sa gauche étaient parfaitement appuyées. Elle ne pouvait pas être tournée; mais sa ligne de bataille était de 3,000 toises. Brune ne pouvait donc espérer que de percer son centre; opération souvent difficile, et qui exige une grande vigueur et beaucoup de troupes réunies.

Le point de Molino della Volta était moins avantageux. Si l'on eût été battu, il y aurait eu plus de difficultés pour la retraite; car Pozzolo domine la rive droite. Mais dans cette position, l'ennemi n'aurait pas eu l'avantage d'avoir ses ailes appuyées par des ouvrages de fortification.

En faisant un passage à Mozembano, le général français, trouvait sur sa droite les hauteurs de Valleggio, qui étaient fortement retranchées, et sur sa gauche, celles de Salionzo, occupées également par de bons ouvrages. L'armée française, en voulant déboucher, se trouvait dans un rentrant, en butte aux feux convergents de l'artillerie ennemie, et ayant devant elle l'armée autrichienne, appuyée, par sa droite et sa gauche, à ces deux fortes positions. D'un autre côté, le corps, qui passait à la Volta, avait sa droite à une lieue et demie de Goîto, place fortifiée sur la rive droite, et à une lieue, sur sa gauche, Borghetto et Valleggio.

Il fut cependant résolu que l'aile droite passerait à la Volta, tandis que le reste de l'armée passerait à Mozembano.

Le général Dupont, arrivé à Molino della Volta à la pointe du jour, construisit des ponts, et fit passer ses divisions. Il s'empara du village de Pozzolo, où il établit sa droite; et sa gauche appuyée au Mincio, fut placée vis-à-vis de Molino, et protégée par le feu de l'artillerie des hauteurs de la rive droite, qui dominent toute la plaine. Une digue augmentait encore la force de cette gauche. Lors du passage, l'ennemi était peu nombreux. Sur les dix heures, le général Dupont apprit que le passage que le général Brune devait effectuer devant Mozembano, était remis au lendemain. Le général Dupont aurait dû sur-le-champ faire repasser sur la rive droite, la masse de ses troupes, en ne laissant, sur la rive gauche, que quelques bataillons, pour y établir une tête de pont, sous la protection de ses batteries. D'ailleurs, la position était telle, que l'ennemi ne pouvait approcher jusqu'au pont. Cette opération aurait eu tout l'avantage d'une fausse attaque, aurait partagé l'attention de l'ennemi. L'on aurait pu, à la pointe du jour, avoir forcé la ligne de Valleggio à Salionzo, avant que toute l'armée ennemie n'y eût été réunie. Le général Dupont resta cependant dans sa position sur la rive gauche. Bellegarde, profitant de l'avantage que lui donnait son camp retranché de Valleggio et de Salionzo, marcha avec ses réserves contre l'aile droite. On se battit sur ce point, avec beaucoup d'opiniâtreté; les généraux Suchet et Davoust accoururent au secours du général Dupont; et un combat très-sanglant, où les troupes déployèrent la plus grande valeur, eut lieu sur ce point, entre 20 à 25,000 Français, et 40 à 45,000 Autrichiens, dans l'arrondissement d'une armée qui, sur un champ de bataille de trente lieues carrées, avait 80,000 Français contre 60,000 Autrichiens. C'est au village de Pozzolo que se passa l'action la plus vive; la gauche, protégée par le feu de l'artillerie de la rive droite et par la digue, était plus difficile à attaquer. Pozzolo, pris et repris alternativement par les Autrichiens et par les Français, resta enfin à ces derniers. Mais il leur en coûta bien cher; ils y perdirent l'élite de trois divisions, et éprouvèrent au moins autant de mal que l'ennemi. La bravoure des Français fut mal employée; et le sang de ces braves ne servit qu'à réparer les fautes du général en chef, et celles causées par l'ambition inconsidérée de ses lieutenants-généraux. Le général en chef, dont le quartier-général était à deux lieues du champ de bataille, laissa se battre toute son aile droite, qu'il savait avoir passé sur la rive gauche, sans faire aucune disposition pour la secourir. Une telle conduite n'a besoin d'aucun commentaire.

Il est impossible d'expliquer comment Brune, qui savait que sa droite avait passé et était aux mains avec l'ennemi, ne se porta pas à son secours, n'y dirigea pas ses pontons pour y construire un autre pont. Pourquoi du moins, puisqu'il avait adopté le plan de passer sur deux points, ne choisit-il pas Mozembano, en profitant du mouvement où était l'armée autrichienne, pour s'emparer de Salionzo, Valleggio, et tomber sur les derrières des ennemis? Suchet et Davoust ne vinrent au secours de Dupont, que de leur propre mouvement, ne prenant conseil que de la force des évènements.

Le 25, le général Marmont plaça ses batteries de réserve sur les hauteurs de Mozembano, pour protéger la construction des ponts; c'était bien inutile. L'ennemi n'avait garde de venir se placer dans un rentrant de trois mille toises de corde, pour disputer le passage d'une rivière de vingt toises, commandée par une hauteur, vis-à-vis de laquelle son artillerie, quelque nombreuse qu'elle fût, n'aurait pas pu se maintenir plus d'un quart d'heure en batterie. Le passage effectué, Delmas, avec l'avant-garde, marcha sur Valleggio; Moncey, avec la division Boudet, Michaud, avec la réserve, le soutinrent. Suchet resta en réserve devant Borghetto, et Dupont, avec l'aile droite, resta à Pozzolo. Les troupes eurent à souffrir des feux croisés de Valleggio et de Salionzo; mais le général autrichien avait déja calculé sa retraite, considérant la rivière comme passée, et après l'affront qu'il avait reçu la veille, malgré l'immense supériorité de ses forces, il cherchait à gagner l'Adige. Il avait seulement conservé des garnisons dans les ouvrages de Salionzo et de Valleggio, afin de pouvoir opérer sûrement sa retraite et évacuer tous ses blessés. Brune lui en laissa le temps. Dans la journée du 25, il ne dépassa pas Salionzo et Valleggio, c'est-à-dire qu'il fit trois mille toises. Le lendemain, les redoutes de Salionzo furent cernées, et on y prit quelques pièces de canon et 1200 hommes. Il faut croire que c'est par une faute de l'état-major autrichien, que ces garnisons n'ont pas reçu l'ordre de se retirer sur Peschiera. Il est difficile, toutefois, de justifier la conduite de ce général.

Les Français firent une attaque inutile en voulant enlever Borghetto; la brave soixante-douzième demi-brigade, qui en fut chargée, y perdit l'élite de ses soldats. Il suffisait de canonner vivement ce poste et d'y jeter des obus; car on ne peut pas entrer dans Borghetto, si l'on n'est pas maître de Valleggio; et une fois maître de ce dernier point, tout ce qui est dans Borghetto est pris. Effectivement, peu après l'attaque de la soixante-douzième, la garnison de Borghetto se rendit prisonnière; mais on avait sacrifié en pure perte 4 à 500 hommes de cette brave demi-brigade.

§ XII.

Les jours suivants, l'armée se porta en avant, la gauche à Castelnuovo, la droite entre Légnano et Vérone. Elle avait envoyé un détachement pour masquer Mantoue; et deux régiments avaient été placés sur les bords du lac Garda, pour couper toute communication par le Mincio, entre Mantoue et Peschiera, que devait investir la division Dombrowski.

L'armée française passa l'Adige le premier janvier, c'est-à-dire, six jours après le passage du Mincio; un général habile l'eût passé le lendemain. Cette opération se fit sans éprouver aucun obstacle à Bussolingo. Dans cette saison, le bas Adige est presque impraticable. Le lendemain, l'ennemi évacua Vérone, laissant une garnison dans le château. La division Rochambeau s'était portée de Lodron sur l'Adige, par Riva, Torboli et Mori. Ce mouvement avait obligé les Autrichiens d'évacuer la Corona. Le 6 janvier, ils furent chassés des hauteurs de Caldiero; les Français entrèrent à Vicence. Le corps de Moncey était à Roveredo. Le 11, l'armée française passa la Brenta devant Fontanina. Pendant ces mouvements, le corps d'armée d'observation du midi entrait en Italie; le 13 il arriva à Milan. D'un autre côté, Macdonald avec l'armée des Grisons, était entré à Trente, le 7 janvier, avait poursuivi les Autrichiens dans la vallée de la Brenta; et, dès le 9, il se trouvait en communication avec l'armée d'Italie, par Roveredo. L'armée autrichienne, au contraire, s'affaiblissait de plus en plus. Inférieure d'un tiers, dès l'ouverture de la campagne, à l'armée française, elle avait, depuis, éprouvé de grandes pertes. Le combat de Pozzolo lui avait coûté beaucoup de morts et de blessés, et ses pertes en prisonniers, s'élevaient de 5 à 6,000 hommes. Les garnisons qu'elle avait laissées dans Mantoue, Peschiera, Vérone, Ferrare, Porto-Legnano, l'avaient beaucoup réduite. Toutes ces pertes la mettaient hors d'état de tenir aucune ligne devant l'armée française. L'Adige une fois passé, l'armée autrichienne fut obligée d'envoyer une partie de ses forces pour garder les débouchés du Tyrol; et ces troupes se trouvèrent occupées par l'armée des Grisons, qui arrivait en ligne. Le général Baraguey d'Hilliers était à Botzen. A tous ces motifs de découragement, se joignit la nouvelle de l'arrivée de l'armée du Rhin aux portes de Vienne. En un mot, il fallait que l'armée autrichienne fût bien faible et bien découragée, puisqu'elle ne garda pas les hauteurs de Caldiero, et laissa franchir à l'armée française tous les points qu'elle lui pouvait disputer. Aussitôt que cette dernière eut passé la Brenta, M. de Bellegarde renouvela la demande d'un armistice.

Le général Marmont et le colonel Sébastiani furent chargés par le général en chef de le négocier. Les ordres les plus positifs du premier consul portaient de n'en faire aucun, que lorsque l'armée française serait sur l'Isonzo, afin de bien couper l'armée autrichienne de Venise; ce qui l'eût obligée de laisser une forte garnison dans cette ville, dont les habitants n'étaient pas bien disposés pour les Autrichiens. Cette circonstance pouvait procurer de nouveaux avantages à l'armée française. Mais le premier consul avait insisté surtout pour ne rien conclure, avant qu'on n'eût la place de Mantoue. Le général français montra, dans cette négociation, peu de caractère, et il signa, le 16 janvier, l'armistice à Trévise.

Brune renonça de lui-même à demander Mantoue; c'était la seule question politique. Il se contenta d'obtenir Peschiera, Porto-Legnano, Ferrare, etc. Les garnisons n'en étaient pas prisonnières de guerre; elles emmenaient avec elles leur artillerie, et la moitié des vivres des approvisionnements de ces places. La flottille de Peschiera, qui appartenait de droit à l'armée française, ne fut pas même livrée.

La convention de Trévise porta le cachet de la faiblesse des négociateurs qui la conclurent. Il est évident que toutes les conditions étaient à l'avantage de l'Autriche. Par suite des succès que l'armée française avait obtenus, et en raison de sa supériorité numérique et morale, Peschiera, Ferrare, etc., étaient des places prises: c'étaient donc des garnisons formant un total de 5 à 6,000 hommes, de l'artillerie, des vivres, et une flottille, que l'on rendait à des ennemis vaincus. La seule place qui pût tenir assez long-temps, pour aider l'Autriche à soutenir une nouvelle campagne, était Mantoue; et, non-seulement cette place restait au pouvoir des ennemis, mais on lui accordait un arrondissement de huit cents toises, et la faculté de recevoir des approvisionnements au-delà de ceux nécessaires à la garnison et aux habitants.

Au mécontentement que le premier consul avait éprouvé de toutes les fautes militaires commises dans cette campagne, se joignit celui de voir ses ordres transgressés, les négociations compromises, et sa position en Italie incertaine. Il fit sur-le-champ connaître à Brune qu'il désavouait la convention de Trévise, lui enjoignant d'annoncer que les hostilités allaient recommencer, à moins qu'on ne remît Mantoue. Le premier consul fit faire la même déclaration au comte de Cobentzel, à Lunéville. Ce ministre, qui commençait enfin à être persuadé de la nécessité de traiter de bonne foi, et dont l'orgueil avait plié devant la catastrophe, qui menaçait son maître, signa, le 26 janvier, l'ordre de livrer Mantoue à l'armée française. Ce qui eut lieu le 17 février. A cette condition, l'armistice fut maintenu. Pendant les négociations, le château de Vérone avait capitulé, et sa garnison de 1700 hommes avait été prise.

Cette campagne d'Italie donna la mesure de Brune, et le premier consul ne l'employa plus dans des commandements importants. Ce général, qui avait montré la plus brillante bravoure et beaucoup de décision à la tête d'une brigade, ne paraissait pas fait pour commander en chef.

Néanmoins les Français avaient toujours été victorieux dans cette campagne, et toutes les places fortes d'Italie étaient entre leurs mains. Ils étaient maîtres du Tyrol et des trois quarts de la terre-ferme du territoire de Venise, puisque la ligne de démarcation de l'armée française suivait la gauche de la Livenza, depuis Sally jusqu'à la mer, la crête des montagnes entre la Piave et Zeliné, et redescendait la Drave jusqu'à Lintz, où elle rencontrait la ligne de l'armistice d'Allemagne.

§ XIII.

Le général Miollis, qui était resté en Toscane, commandait un corps de 5 à 6,000 hommes de toutes armes; la majorité de ces troupes était des troupes italiennes. Les garnisons qu'il était obligé de laisser à Livourne, à Lucques, au château de Florence, et sur divers autres points, ne lui laissaient de disponible qu'un corps de 3,500 à 4,000 hommes. Le général de Damas, avec une force de 16,000 hommes, dont 8,000 Napolitains, était venu prendre position sur les confins de la Toscane, après avoir traversé les états du pape. Il devait combiner ses opérations dans la Romagne et le Ferrarois, avec des troupes d'insurgés, chassés de Toscane par la garde nationale de Bologne, et par une colonne mobile qu'avait envoyée le général Brune, sur la droite du Pô. La retraite de l'armée autrichienne qui, successivement, avait été obligée de passer le Pô, le Mincio, l'Adige, la Brenta, avait déconcerté tous les projets des ennemis sur la rive droite du Pô. Le général Miollis, établi à Florence, maintenait le bon ordre dans l'intérieur; et les batteries élevées à Livourne, tenaient en respect les bâtiments anglais. Les Autrichiens, qui s'étaient montrés en Toscane, s'étaient retirés, partie sur Venise pour en renforcer la garnison, et partie sur Ancône.

Le 14 janvier, le général Miollis, instruit qu'une division de 5 à 6,000 hommes du corps de Damas, s'était portée sur Sienne, dont elle avait insurgé la population, sentit la nécessité de frapper un coup, qui prévînt et arrêtât les insurrections prêtes à éclater sur plusieurs autres points. Il profita de la faute que venait de commettre le général de Damas, officier sans talent ni mérite militaire, de détacher aussi loin de lui une partie de ses forces, et marcha contre ce corps avec 3,000 hommes. Le général Miollis rencontra les Napolitains et les insurgés en avant de Sienne, les culbuta aussitôt sur cette ville, dont il força les portes à coups de canon et de hache, et passa au fil de l'épée tout ce qu'il y rencontra les armes à la main. Il fit poursuivre, plusieurs jours, les restes de ces bandes, et les rejeta au-delà de la Toscane, dont il rétablit ainsi, et maintint la tranquillité.

Cependant de nouvelles forces étaient parties de Naples, pour venir renforcer l'armée de M. de Damas.

Le général Murat, commandant en chef la troisième armée de réserve, qui venait de prendre la dénomination d'armée d'observation d'Italie, et dont le quartier-général était à Genève, dans les premiers jours de janvier, passa le Petit-Saint-Bernard, le mont Genèvre et le mont Cénis, et arriva, le 13 janvier, à Milan. Cette armée continua sa route sur Florence; elle était composée des divisions Tarreau et Mathieu, et d'une division de cavalerie. Un des articles de la convention de Trévise, portait que la place d'Ancône serait remise à l'armée française. Le général Murat, en conséquence, eut ordre de prendre possession de cette place, de chasser les troupes napolitaines des états du pape, et de les menacer même dans l'intérieur du royaume de Naples. Ce général, arrivé à Florence le 20 janvier, expédia le général Paulet, avec une brigade de 3,000 hommes de toutes armes, pour prendre possession d'Ancône et de ses forts. Ce dernier passa à Cézenna, le 23 janvier, et le 27, il prit possession des forts et de la ville d'Ancône. Cependant le premier consul avait ordonné qu'on eût pour le pape les plus grands égards. Le général Murat avait même écrit de Florence, le 24 janvier, au cardinal, premier ministre de S. S., pour l'informer des intentions du premier consul, et de l'entrée de l'armée d'observation dans les états du saint-père, afin d'occuper Ancône, d'après la convention du 16, et de rendre à sa Sainteté le libre gouvernement de ses états, en obligeant les Napolitains à évacuer le château Saint-Ange et le territoire de Rome. Il prévint aussi le cardinal, qu'il avait ordre de ne s'approcher de Rome, que dans le cas où sa sainteté le jugerait nécessaire.

Dès son arrivée en Toscane, le général français avait écrit à M. de Damas, pour lui demander les motifs de son mouvement offensif en Toscane, et lui signifier qu'il eût à évacuer sur-le-champ le territoire romain. M. de Damas lui avait répondu de Viterbe, que les opérations du corps sous ses ordres, avaient toujours dû se combiner avec celles de l'armée de M. de Bellegarde; que, lorsque le général Miollis avait attaqué son avant-garde, à Sienne, à vingt-six milles de son corps d'armée, il allait se retirer sur Rome, imitant le mouvement de l'armée autrichienne, sur la Brenta; mais que, puisqu'un armistice avait été conclu avec les Autrichiens, les troupes qu'il commandait, étant celles d'une cour alliée de l'empereur, se trouvaient aussi en armistice avec les Français.

Le général Murat lui répondit sur-le-champ, que l'armistice conclu avec l'armée autrichienne, ne concernait en rien l'armée napolitaine; qu'il était donc nécessaire qu'elle évacuât le château Saint-Ange et les états du pape; que la considération du premier consul pour l'empereur de Russie, pouvait seule protéger le roi de Naples; mais que ni l'armistice, ni le cabinet de Vienne, ne pouvaient en rien le protéger. En même temps, le général Murat mit sa petite armée en mouvement. Les deux divisions d'infanterie furent dirigées, le 28 janvier, par la route d'Arezzo, sur Foligno et Perruvio, où elles arrivèrent le 4 février. Le général Paulet eut ordre de se rendre d'Ancône, avec deux bataillons, à Foligno, en passant par Macerata et Tolentino. Pendant ces mouvements, l'artillerie, qui se dirigeait sur Florence, par le débouché de Pistoia, eut ordre de continuer sa route par Bologne et Ancône. Ainsi le corps d'observation marchait sans son artillerie; faute qui ne peut jamais être excusée, que lorsque les chemins par où passe l'armée, sont absolument impraticables au canon. Or, celui de Bologne à Florence n'est pas dans ce cas, les voitures peuvent y passer. Aussitôt que l'armée napolitaine fut instruite de la marche du corps d'observation, elle se replia en toute hâte sous les murs de Rome.

Le général Paulet, dès son arrivée à Ancône, y avait fait rétablir les autorités et placer les couleurs du pape; ce qui excita la reconnaissance de ce pontife, qui se hâta de faire écrire au général Murat, par le cardinal Gonsalvi, le 31 janvier, pour lui exprimer le vif sentiment dont il était pénétré pour le premier consul; auquel, dit-il, est attachée la tranquillité de la religion, ainsi que le bonheur de l'Europe.

Le 9 février, l'armée française était placée sur la Neva, jusqu'à son embouchure dans le Tibre, et jusqu'aux confins des états du roi de Naples.

Enfin, après quelques pourparlers, le général Murat consentit, par égard pour la Russie, à signer, le 18 février, à Foligno, un armistice de trente jours, entre son corps d'armée et les troupes napolitaines. D'après cet armistice, elles durent évacuer Rome et les états du pape. Le premier mars, à la suite de l'arrivée à Naples du colonel Beaumont, aide-de-camp du général Murat, l'embargo fut mis sur tous les bâtiments anglais, qui se trouvaient dans les ports de ce royaume. Tous les Anglais en furent expulsés, et l'armée napolitaine rentra sur son territoire. Le 28 mars suivant, un traité de paix fut signé à Florence, entre la république française et la cour de Naples, par le citoyen Alquier et le chevalier Micheroux. D'après l'un des articles, un corps français pouvait, sur la demande du roi de Naples, être mis à sa disposition, pour garantir ce royaume des attaques des Anglais et des Turcs. En vertu de ce même article, le général Soult fut envoyé, le 2 avril, avec un corps de 10 à 12,000 hommes, pour occuper Otrante, Brandisi, Tarente, et tout le bout de la presqu'île, afin d'établir des communications plus faciles avec l'armée d'Égypte. Ce corps arriva à sa destination vers le 25 avril. Dans le courant de ce mois, la Toscane fut remise au roi d'Étrurie, conformément au traité de Lunéville, et à celui conclu entre la France et l'Espagne. Cependant les Anglais occupaient encore l'île d'Elbe. Le premier mai, le colonel Marietty, parti de Bastia avec 600 hommes, débarqua près de Marciana, dans cette île, pour en prendre possession, d'après le traité conclu avec le roi de Naples. Le lendemain, il entra à Porto-Longone, après avoir chassé un rassemblement considérable de paysans insurgés, d'Anglais et de déserteurs. Il fut joint dans cette place, le même jour, par le général de division Tharreau, qui s'était embarqué à Piombino avec un bataillon français et 300 Polonais. Ces troupes réunies, marchèrent aussitôt pour cerner Porto-Ferrajo, qui fut sommé de se rendre. Ainsi toute la partie de l'île cédée par le traité de Florence, fut remise au pouvoir des Français.

MÉMOIRES DE NAPOLÉON.

NEUTRES.

Du droit des gens, observé par les puissances dans la guerre de terre; et du droit des gens, observé par elles dans la guerre de mer.—Des Principes du droit maritime des puissances neutres.—De la neutralité armée de 1780, dont les principes, qui étaient ceux de la France, de l'Espagne, de la Hollande, de la Russie, de la Prusse, du Danemarck, de la Suède, étaient en opposition avec les prétentions de l'Angleterre à cette époque.—Nouvelles prétentions de l'Angleterre, mises en avant, pour la première fois et successivement, dans le cours de la guerre de la révolution, depuis 1793 jusqu'en 1800. L'Amérique reconnaît ces prétentions; discussions qui en résultent avec la France.—Opposition à ces prétentions de la part de la Russie, de la Suède, du Danemarck, de la Prusse. Évènements qui s'ensuivent. Convention de Copenhague, où, malgré la présence d'une flotte anglaise supérieure, le Danemarck ne reconnaît aucune des prétentions de l'Angleterre. Leur discussion est ajournée.—Traité de Paris entre la république française et les États-Unis d'Amérique, qui termine les différends survenus entre les deux puissances, par suite de l'adhésion des Américains aux prétentions des Anglais. La France et l'Amérique proclament solennellement les principes du droit maritime des neutres.—Causes qui indisposent l'empereur Paul Ier contre l'Angleterre.—La Russie, le Danemarck, la Suède, la Prusse, proclament les principes reconnus par le traité du 30 septembre entre la France et l'Amérique. Convention, dite neutralité armée, signée le 16 décembre 1800.—Guerre entre l'Angleterre d'un côté, la Russie, le Danemarck, la Suède et la Prusse de l'autre. Ce qui constate qu'à cette époque ces puissances, non plus que la France, la Hollande, l'Amérique et l'Espagne ne reconnaissaient aucune des prétentions de l'Angleterre.—Bataille de Copenhague, le 2 avril 1801.—Assassinat de l'empereur, Paul Ier.—La Russie, la Suède, le Danemarck, se désistent des principes de la neutralité armée. Nouveaux principes des droits des neutres reconnus par ces puissances. Traité du 17 juin 1801, signé par lord St-Helens. Ces nouveaux droits n'engagent que les puissances qui les ont reconnus par ledit traité.

§ Ier.

Le droit des gens, dans les siècles de barbarie, était le même sur terre que sur mer. Les individus des nations ennemies étaient faits prisonniers, soit qu'ils eussent été pris les armes à la main, soit qu'ils fussent de simples habitants; et ils ne sortaient d'esclavage qu'en payant une rançon. Les propriétés mobilières, et même foncières, étaient confisquées, en tout ou en partie. La civilisation s'est fait sentir rapidement et a entièrement changé le droit des gens dans la guerre de terre, sans avoir eu le même effet dans celle de mer. De sorte que, comme s'il y avait deux raisons et deux justices, les choses sont réglées par deux droits différents. Le droit des gens, dans la guerre de terre, n'entraîne plus le dépouillement des particuliers, ni un changement dans l'état des personnes. La guerre n'a action que sur le gouvernement. Ainsi les propriétés ne changent pas de mains, les magasins de marchandises restent intacts, les personnes restent libres. Sont seulement considérés comme prisonniers de guerre, les individus pris les armes à la main, et faisant partie de corps militaires. Ce changement a beaucoup diminué les maux de la guerre. Il a rendu la conquête d'une nation plus facile, la guerre moins sanglante et moins désastreuse. Une province conquise prête serment, et, si le vainqueur l'exige, donne des ôtages, rend les armes; les contributions se perçoivent au profit du vainqueur, qui, s'il le juge nécessaire, établit une contribution extraordinaire, soit pour pourvoir à l'entretien de son armée, soit pour s'indemniser lui-même des dépenses que lui a causées la guerre. Mais cette contribution n'a aucun rapport avec la valeur des marchandises en magasin; c'est seulement une augmentation proportionnelle plus ou moins forte de la contribution ordinaire. Rarement cette contribution équivaut à une année de celles que perçoit le prince, et elle est imposée sur l'universalité de l'état; de sorte qu'elle n'entraîne jamais la ruine d'aucun particulier.

Le droit des gens qui régit la guerre maritime, est resté dans toute sa barbarie; les propriétés des particuliers sont confisquées; les individus non combattants sont faits prisonniers. Lorsque deux nations sont en guerre, tous les bâtiments de l'une ou de l'autre, naviguant sur les mers, ou existant dans les ports, sont susceptibles d'être confisqués, et les individus à bord de ces bâtiments, sont faits prisonniers de guerre. Ainsi, par une contradiction évidente, un bâtiment anglais (dans l'hypothèse d'une guerre entre la France et l'Angleterre), qui se trouvera dans le port de Nantes, par exemple, au moment de la déclaration de guerre, sera confisqué; les hommes à bord seront prisonniers de guerre, quoique non combattants et simples citoyens; tandis qu'un magasin de marchandises anglaises, appartenant à des Anglais existants dans la même ville, ne sera ni séquestré ni confisqué, et que les négociants anglais voyageant en France ne seront point prisonniers de guerre, et recevront leur itinéraire et les passe-ports nécessaires pour quitter le territoire. Un bâtiment anglais, naviguant et saisi par un vaisseau français, sera confisqué, quoique sa cargaison appartienne à des particuliers; les individus trouvés à bord de ce bâtiment, seront prisonniers de guerre, quoique non combattants; et un convoi de cent charrettes de marchandises, appartenant à des Anglais, et traversant la France, au moment de la rupture entre les deux puissances, ne sera pas saisi.

Dans la guerre de terre, les propriétés même territoriales que possèdent des sujets étrangers, ne sont point soumises à confiscation; elles le sont tout au plus au séquestre. Les lois qui régissent la guerre de terre, sont donc plus conformes à la civilisation et au bien-être des particuliers; et il est à desirer qu'un temps vienne, où les mêmes idées libérales s'étendent sur la guerre de mer, et que les armées navales de deux puissances puissent se battre, sans donner lieu à la confiscation des navires marchands, et sans faire constituer prisonniers de guerre les simples matelots du commerce ou les passagers non militaires. Le commerce se ferait alors, sur mer, entre les nations belligérantes, comme il se fait, sur terre, au milieu des batailles que se livrent les armées.

§ II.

La mer est le domaine de toutes les nations; elle s'étend sur les trois quarts du globe, et établit un lien entre les divers peuples. Un bâtiment chargé de marchandises, naviguant sur les mers, est soumis aux lois civiles et criminelles de son souverain, comme s'il était dans l'intérieur de ses états. Un bâtiment, qui navigue, peut être considéré comme une colonie flottante, dans ce sens que toutes les nations sont également souveraines sur les mers. Si les navires de commerce des puissances en guerre pouvaient naviguer librement, il n'y aurait, à plus forte raison, aucune enquête à exercer sur les neutres. Mais, comme il est passé en principe, que les bâtiments de commerce des puissances belligérantes sont susceptibles d'être confisqués, il a dû en résulter le droit, pour tous les bâtiments de guerre belligérants, de s'assurer du pavillon du bâtiment neutre qu'ils rencontrent; car, s'il était ennemi, ils auraient le droit de le confisquer. De là, le droit de visite, que toutes les puissances ont reconnu par les divers traités; de là, pour les bâtiments belligérants, celui d'envoyer leurs chaloupes à bord des bâtiments neutres de commerce, pour demander à voir leurs papiers et s'assurer ainsi de leur pavillon. Tous les traités ont voulu que ce droit s'exerçât avec tous les égards possibles, que le bâtiment armé se tînt hors de la portée de canon, et que deux ou trois hommes seulement, pussent débarquer sur le navire visité, afin que rien n'eût l'air de la force et de la violence. Il a été reconnu qu'un bâtiment appartient à la puissance dont il porte le pavillon, lorsqu'il est muni de passe-ports et d'expéditions en règle, et lorsque le capitaine et la moitié de l'équipage sont des nationaux. Toutes les puissances se sont engagées, par les divers traités, à défendre à leurs sujets neutres, de faire, avec les puissances en guerre, le commerce de contrebande; et elles ont désigné, sous ce nom, le commerce des munitions de guerre, telles que poudre, boulets, bombes, fusils, selles, brides, cuirasses, etc. Tout bâtiment ayant de ces objets à bord, est censé avoir transgressé les ordres de son souverain, puisque ce dernier s'est engagé à défendre ce commerce à ses sujets; et ces objets de contrebande sont confisqués.

La visite faite par les bâtiments croiseurs, ne fut donc plus une simple visite pour s'assurer du pavillon; et le croiseur exerça, au nom même du souverain dont le pavillon couvrait le bâtiment visité, un nouveau droit de visite, pour s'assurer si ce bâtiment ne contenait pas des effets de contrebande. Les hommes de la nation ennemie, mais seulement les hommes de guerre, furent assimilés aux objets de contrebande. Ainsi cette inspection ne fut pas une dérogation au principe, que le pavillon couvre la marchandise.

Bientôt il s'offrit un troisième cas. Des bâtiments neutres se présentèrent pour entrer dans des places assiégées, et qui étaient bloquées par des escadres ennemies. Ces bâtiments neutres ne portaient pas de munitions de guerre, mais des vivres, des bois, des vins et d'autres marchandises, qui pouvaient être utiles à la place assiégée et prolonger sa défense. Après de longues discussions entre les puissances, elles sont convenues, par divers traités, que dans le cas où une place serait réellement bloquée, de manière qu'il y eût danger évident, pour un bâtiment, de tenter d'y entrer, le commandant du blocus pourrait interdire au bâtiment neutre l'entrée dans cette place, et le confisquer, si, malgré cette défense, il employait la force ou la ruse pour s'y introduire.

Ainsi les lois maritimes sont basées sur ces principes: 1o Le pavillon couvre la marchandise. 2o Un bâtiment neutre peut être visité par un bâtiment belligérant, pour s'assurer de son pavillon et de son chargement, dans ce sens qu'il n'a pas de contrebande. 3o La contrebande est restreinte aux munitions de guerre. 4o Des bâtiments neutres peuvent être empêchés d'entrer dans une place, si elle est assiégée, pourvu que le blocus soit réel, et qu'il y ait danger évident, en y entrant. Ces principes forment le droit maritime des neutres, parce que les différents gouvernements se sont librement et par des traités, engagés à les observer et à les faire observer par leurs sujets. Les diverses puissances maritimes, la Hollande, le Portugal, l'Espagne, la France, l'Angleterre, la Suède, le Danemarck et la Russie, ont, à plusieurs époques et successivement, contracté l'une avec l'autre, ces engagements, qui ont été proclamés aux traités généraux de pacification, tels que ceux de Westphalie, en 1646, et d'Utrecht, en 1712.

§ III.

L'Angleterre, dans la guerre d'Amérique, en 1778, prétendit, 1o que les marchandises propres à construire les vaisseaux, telles que bois, chanvre, goudron, etc., étaient de contrebande; 2o qu'un bâtiment neutre avait bien le droit d'aller d'un port ami dans un port ennemi, mais qu'il ne pouvait pas trafiquer d'un port ennemi à un port ennemi; 3o que les bâtiments neutres ne pouvaient pas naviguer de la colonie à la métropole ennemie; 4o que les puissances neutres n'avaient pas le droit de faire convoyer, par des bâtiments de guerre, leurs bâtiments de commerce, ou que, dans ce cas, ils n'étaient pas affranchis de la visite.

Aucune puissance indépendante ne voulut reconnaître ces injustes prétentions. En effet la mer étant le domaine de toutes les nations, aucune n'a le droit de régler la législation de ce qui s'y passe. Si les visites sont permises sur un bâtiment qui arbore un pavillon neutre, c'est parce que le souverain l'a permis lui-même, par ses traités. Si les marchandises de guerre sont contrebande, c'est parce que les traités l'ont réglé ainsi. Si les puissances belligérantes peuvent les saisir, c'est parce que le souverain, dont le pavillon est arboré sur le bâtiment neutre, s'est lui-même engagé à ne point autoriser ce genre de commerce. Mais vous ne pouvez pas étendre la liste des objets de contrebande à votre volonté, disait-on aux Anglais; et aucune puissance neutre ne s'est engagée à défendre le commerce des munitions navales, telles que bois, chanvre, goudron, etc.

Quant à la deuxième prétention, elle est contraire, ajoutait-on, à l'usage reçu. Vous ne devez vous ingérer dans les opérations de commerce des neutres, que pour vous assurer du pavillon, et qu'il n'y a pas de contrebande. Vous n'avez pas le droit de savoir ce que fait un bâtiment neutre, puisqu'en pleine mer ce bâtiment est chez lui, et, en droit, hors de votre puissance. Il n'est pas couvert par les batteries de son pays, mais il l'est par la puissance morale de son souverain.

La troisième prétention n'est pas plus fondée. L'état de guerre ne peut avoir aucune influence sur les neutres; ils doivent donc faire en guerre, ce qu'ils peuvent faire pendant la paix. Or, dans de l'état de paix, vous n'avez pas le droit d'empêcher, et vous ne trouveriez pas mauvais qu'ils fissent le commerce des colonies avec la métropole. Si les bâtiments étrangers sont empêchés de faire ce commerce, ils ne le sont pas d'après le droit des gens, mais par une loi municipale; et, toutes les fois qu'une puissance a voulu permettre à des étrangers le commerce de ses colonies, personne n'a eu le droit de s'y opposer.

Quant à la quatrième prétention, on répondait que, comme le droit de visite n'existait que pour s'assurer du pavillon et de la contrebande, un bâtiment armé, commissionné par le souverain, constatait bien mieux le pavillon et la cargaison des bâtiments marchands de son convoi, ainsi que les réglements relatifs à la contrebande, arrêtés par son maître, que ne le faisait la visite des papiers d'un navire marchand; qu'il résulterait de la prétention dont il s'agit qu'un convoi, escorté par une flotte de huit ou dix vaisseaux de 74, d'une puissance neutre, serait soumis à la visite d'un brick ou d'un corsaire d'une puissance belligérante.

Lors de la guerre d'Amérique (1778), M. de Castries, ministre de la marine de France, fit adopter un réglement relatif au commerce des neutres. Ce réglement fut dressé, d'après l'esprit du traité d'Utrecht et des droits des neutres. On y proclama les quatre principes ci-dessus énoncés, et on y déclara qu'il aurait son exécution pendant six mois, après lesquels il cesserait d'avoir lieu envers les nations neutres qui n'auraient pas fait reconnaître leurs droits par l'Angleterre.

Cette conduite était juste et politique; elle satisfit toutes les puissances neutres, et jeta un nouveau jour sur cette question. Les Hollandais, qui faisaient alors le plus grand commerce, chicanés par les croiseurs anglais et les décisions de l'amirauté de Londres, firent escorter leurs convois par des bâtiments de guerre. L'Angleterre avança cet étrange principe, que les neutres ne pouvaient escorter leurs convois marchands, ou que du moins, cela ne pouvait les dispenser d'être visités. Un convoi, escorté par plusieurs bâtiments de guerre hollandais, fut attaqué, pris, et conduit dans les ports anglais. Cet évènement remplit la Hollande d'indignation; et peu de temps après, elle se joignit à la France et à l'Espagne, et déclara la guerre à l'Angleterre.

Catherine, impératrice de Russie, prit fait et cause dans ces grandes questions. La dignité de son pavillon, l'intérêt de son empire, dont le commerce consistait principalement en marchandises propres à des constructions navales, lui firent prendre la résolution de se constituer, avec la Suède et le Danemark, en neutralité armée. Ces puissances déclarèrent qu'elles feraient la guerre à la puissance belligérante qui violerait ces principes: 1o que le pavillon couvre la marchandise (la contrebande exceptée); 2o que la visite d'un bâtiment neutre par un bâtiment de guerre, doit se faire avec tous les égards possibles; 3o que les munitions de guerre, canons, poudre, boulets, etc., seulement, sont objets de contrebande; 4o que chaque puissance a le droit de convoyer les bâtiments marchands, et que, dans ce cas, la déclaration du commandant du bâtiment de guerre, est suffisante, pour justifier le pavillon et la cargaison des bâtiments convoyés; 5o enfin, qu'un port n'est bloqué par une escadre, que lorsqu'il y a danger évident d'y entrer, mais qu'un bâtiment neutre ne pourrait être empêché d'entrer dans un port précédemment bloqué par une force, qui ne serait plus présente devant le port, au moment où le bâtiment se présenterait, quelle que fût la cause de l'éloignement de la force qui bloquait, soit qu'elle provînt des vents ou du besoin de se réapprovisionner.

Cette neutralité du Nord fut signifiée aux puissances belligérantes, le 15 août 1780. La France et l'Espagne, dont elle consacrait les principes, s'empressèrent d'y adhérer. L'Angleterre seule témoigna son extrême déplaisir; mais, n'osant pas braver la nouvelle confédération, elle se contenta de se relâcher, dans l'exécution, de toutes ses prétentions, et ne donna lieu à aucune plainte de la part des puissances neutres confédérées. Ainsi, par cette non-mise à exécution de ses principes, elle y renonça réellement. Quinze mois après, la paix de 1783 mit fin à la guerre maritime.

§ IV.

La guerre entre la France et l'Angleterre commença en 1793. L'Angleterre devint bientôt l'ame de la première coalition. Dans le temps que les armées autrichiennes, prussiennes, espagnoles et piémontaises envahissaient nos frontières, elle employait tous les moyens pour arriver à la ruine de nos colonies. La prise de Toulon, où notre escadre fut brûlée, le soulèvement des provinces de l'Ouest, où périt un si grand nombre de marins, anéantirent notre marine. L'Angleterre alors ne mit plus de bornes à son ambition. Désormais, prépondérante sur mer et sans rivale, elle crut le moment arrivé où elle pourrait, sans danger, proclamer l'asservissement des mers. Elle reprit les prétentions auxquelles elle avait tacitement renoncé dans la guerre de 1780, savoir: 1o que les marchandises propres à la construction des vaisseaux, sont de contrebande; 2o que les neutres n'ont pas le droit de faire convoyer leurs bâtiments de commerce; ou du moins que la déclaration du commandant de l'escorte n'ôte pas le droit de visite; 3o qu'une place est bloquée, non-seulement par la présence d'une escadre, mais même lorsque l'escadre est éloignée de devant le port, par les tempêtes ou par le besoin de faire de l'eau, etc. Elle alla plus loin, et mit en avant ces trois nouvelles prétentions: 1o que le pavillon ne couvre pas la marchandise, que la marchandise et la propriété ennemies sont confiscables sur un bâtiment neutre; 2o qu'un bâtiment neutre n'a pas le droit de faire le commerce de la colonie avec la métropole; 3o qu'un bâtiment neutre peut bien entrer dans un port ennemi, mais non pas aller d'un port ennemi à un port ennemi.

Le gouvernement d'Amérique voyant la puissance maritime de la France anéantie, et craignant pour lui l'influence du parti français qui se composait des hommes les plus exagérés, jugea nécessaire à sa conservation, de se rapprocher de l'Angleterre, et reconnut tout ce que cette puissance voulut lui prescrire, pour nuire et gêner le commerce français.

Les altercations entre la France et les États-Unis furent vives. Les envoyés de la république française, Genet, Adet, Fauchet, réclamèrent fortement l'exécution du traité de 1778; mais ils eurent peu de succès. En conséquence, diverses mesures législatives, analogues à celles des Américains, furent prises en France; diverses affaires de mer eurent lieu, et les choses s'aigrirent à un tel point, que la France était comme en guerre avec l'Amérique. Cependant la première de ces deux nations sortit enfin triomphante de la lutte qui menaçait son existence; l'ordre et un gouvernement régulier firent disparaître l'anarchie. Les Américains éprouvèrent alors le besoin de se rapprocher de la France. Le président lui-même sentait toute la raison qu'avait cette puissance, de réclamer contre le traité qu'il avait conclu avec l'Angleterre; et au fond de son cœur, il rougissait d'un acte que la force des circonstances l'avait seule porté à signer. MM. Prinkeney, Marschal et Gerry, chargés des pleins pouvoirs du gouvernement américain, arrivèrent à Paris à la fin de 1797. Tout faisait espérer un prompt rapprochement entre les deux républiques: mais la question restait tout entière indécise. Le traité de 1794 et l'abandon des droits des neutres lésaient essentiellement les intérêts de la France; et l'on ne pouvait espérer de faire revenir les États-Unis à l'exécution du traité de 1778, à ce qu'ils devaient à la France et à eux-mêmes, qu'en opérant un changement dans leur organisation intérieure.

Par suite des évènements de la révolution, le parti fédéraliste l'avait emporté dans ce pays, mais le parti démocratique était cependant le plus nombreux. Le directoire pensa lui donner plus de force, en refusant de recevoir deux des plénipotentiaires américains, parce qu'ils tenaient au parti fédéraliste, et en ne reconnaissant que le troisième, qui était du parti opposé. Il déclara d'ailleurs ne pouvoir entrer dans aucune négociation, tant que l'Amérique n'aurait pas fait réparation des griefs dont la république française avait à se plaindre. Le 18 janvier 1798, il sollicita une loi des conseils, portant que la neutralité d'un bâtiment ne se déterminerait pas par son pavillon, mais par la nature de sa cargaison; et que tout bâtiment chargé, en tout ou en partie, de marchandises anglaises, pourrait être confisqué. La loi était juste envers l'Amérique, dans ce sens, qu'elle n'était que la représaille du traité que cette puissance avait signé avec l'Angleterre, en 1794; mais elle n'en était pas moins impolitique et déplacée; elle était subversive de tous les droits des neutres. C'était déclarer que le pavillon ne couvrait plus la marchandise, ou, autrement, proclamer que les mers appartenaient au plus fort. C'était agir dans le sens et conformément à l'intérêt de l'Angleterre, qui vit, avec une secrète joie, la France elle-même proclamer ses principes, et autoriser son usurpation. Sans doute les Américains n'étaient plus que les facteurs de l'Angleterre; mais des lois municipales, réglementaires du commerce en France avec les Américains, auraient détruit un ordre de choses contraire aux intérêts de la France; la république aurait pu déclarer tout au plus, que les marchandises anglaises seraient marchandises de contrebande, pour les pavillons qui auraient reconnu les nouvelles prétentions de l'Angleterre. Le résultat de cette loi fut désastreux pour les Américains. Les corsaires français firent de nombreuses prises; et aux termes de la loi, toutes étaient bonnes. Car il suffisait qu'un navire américain eût quelques tonneaux de marchandises anglaises à son bord, pour que toute la cargaison fût confiscable. Dans le même temps, comme s'il n'y avait pas déja assez de cause d'irritation et de désunion entre les deux pays, le directoire fit demander aux envoyés américains un emprunt de quarante-huit millions de francs; se fondant sur celui que les États-Unis avaient fait autrefois à la France, pour se soustraire au joug de l'Angleterre. Les agents d'intrigues dont le ministère des relations extérieures était rempli à cette époque, insinuèrent qu'on se désisterait de l'emprunt pour une somme de douze cent mille francs, qui devait se partager entre le directeur B..... et le ministre T..........

Ces nouvelles arrivèrent en Amérique dans le mois de mars; le président en informa la chambre, le 4 avril. Tous les esprits se rallièrent autour de lui; on crut même l'indépendance de l'Amérique menacée. Toutes les gazettes, toutes les nouvelles étaient pleines des préparatifs qui se faisaient en France pour l'expédition d'Égypte; et soit que le gouvernement américain craignît réellement une invasion, soit qu'il feignît de le croire, pour donner plus de mouvement aux esprits, et renforcer le parti fédéraliste, il fit proposer le commandement de l'armée de défense au général Washington. Le 26 mai, un acte du congrès autorisa le président à enjoindre aux commandants des vaisseaux de guerre américains de s'emparer de tout vaisseau qui serait trouvé près des côtes, et dont l'intention serait de commettre des déprédations sur les navires appartenant à des citoyens des États-Unis, et de reprendre ceux de ces vaisseaux, qui auraient été capturés. Le 9 juin, un nouveau bill suspendit toutes les relations commerciales avec la France. Le 25, un troisième bill déclara nuls les traités de 1778 et la convention consulaire du 4 novembre 1788, portant que les États-Unis sont délivrés et exonérés des stipulations desdits traités. Ce bill fut motivé 1o sur ce que la république française avait itérativement violé les traités conclus avec les États-Unis, au grand détriment des citoyens de ce pays, en confisquant, par exemple, des marchandises ennemies à bord des bâtiments américains, tandis qu'il était convenu que le bâtiment sauverait la cargaison; en équipant des corsaires contre les droits de la neutralité, dans les ports de l'Union; en traitant les matelots américains, trouvés à bord des navires ennemis, comme des pirates, etc.; 2o sur ce que la France, malgré le désir des États-Unis d'entamer une négociation amicale, et au lieu de réparer le dommage causé par tant d'injustices, osait, d'un ton hautain, demander un tribut, en forme de prêt ou autrement. Vers la fin du mois de juillet, le dernier plénipotentiaire américain, M. de Gerry, qui était resté jusque alors à Paris, partit pour l'Amérique.

La France venait d'être humiliée; la deuxième coalition s'était emparée de l'Italie, et avait attaqué la Hollande. Le gouvernement français fit faire quelques démarches par son ministre en Hollande, M. Pichon, près de l'envoyé américain, auprès de cette puissance. Des ouvertures furent faites au président des États-Unis, M. Adams. Celui-ci annonçant, à l'ouverture du congrès, les tentatives faites par le gouvernement français, pour rouvrir les négociations, disait que, bien que le desir du gouvernement des États-Unis fût de ne pas rompre entièrement avec la France, il était cependant impossible d'y envoyer de nouveaux plénipotentiaires sans dégrader la nation américaine, jusqu'à ce que le gouvernement français eût donné les assurances convenables, que le droit sacré des ambassadeurs serait respecté. Il termina son discours, en recommandant de faire de grands préparatifs pour la guerre. Mais la nation américaine était loin de partager les opinions de M. Adams, sur la guerre avec la France. Le président céda à l'opinion générale, et, le 25 février 1799, nomma ministres plénipotentiaires, près la république française, pour terminer tous les différents entre les deux puissances, MM. Ellsvorth, Henry et Murray. Ils débarquèrent en France au commencement de 1800.

La mort de Washington, qui eut lieu le 15 décembre 1799, fournit au premier consul une occasion de faire connaître ses sentiments pour les États-Unis d'Amérique. Il porta le deuil de ce grand citoyen, et le fit porter à toute l'armée, par l'ordre du jour suivant, en date du 9 février 1800: Washington est mort! Ce grand homme s'est battu contre la tyrannie; il a consolidé la liberté de sa patrie. Sa mémoire sera toujours chère au peuple français, comme à tous les hommes libres des deux mondes, et spécialement aux soldats français, qui, comme lui et les soldats américains, se battent pour l'égalité, la liberté. Le premier consul ordonna en outre, que, pendant dix jours, des crêpes noirs seraient suspendus à tous les drapeaux et guidons de la république.

§ V.

Le 9 février, une cérémonie eut lieu à Paris, au Champ de Mars. L'on y porta en grande pompe les trophées conquis par l'armée d'Orient; on y rendit un nouvel hommage au héros américain, dont M. de Fontanes prononça l'oraison funèbre devant toutes les autorités civiles et militaires de la capitale. Ces circonstances ne laissèrent plus aucun doute dans l'esprit des envoyés des États-Unis, sur le succès de leur négociation.

Le traité de 1794, entre l'Angleterre et l'Amérique, avait été un vrai triomphe pour l'Angleterre; mais il avait été désapprouvé par les puissances neutres de l'Europe. En toute occasion, le Danemark, la Suède, la Russie, proclamaient avec affectation, les principes de la neutralité armée de 1780.

Le 4 juillet 1798, la frégate suédoise la Troya, escortant un convoi, fut rencontrée par une escadre anglaise, qui l'obligea de se rendre à Margate avec les navires qu'elle accompagnait. Aussitôt que le roi de Suède en fut informé, il donna ordre, au commandant du convoi, de se rendre à sa destination. Mais quelque temps après, un deuxième convoi sorti des ports de Suède, sous l'escorte d'une frégate (la Hulla Fersen), commandée par M. de Cederstrom, éprouva le même sort que la première. Le roi de Suède fit traduire devant un conseil de guerre les deux officiers commandant les frégates d'escorte; M. de Cederstrom fut condamné à mort.

A la même époque, un vaisseau anglais s'empara d'un navire suédois, et le conduisit à Elseneur; mais bientôt, bloqué dans ce port par plusieurs frégates danoises, il fut obligé de rendre sa prise. Pendant les deux années suivantes, les esprits s'aigrirent encore. La destruction de l'escadre française à Aboukir, les malheurs de la France dans la campagne de 1799, accrurent la superbe anglaise. A la fin de décembre 1799, la frégate danoise la Hanfenen, capitaine Van Dockum, escortait des bâtiments marchands de cette nation et entrait dans le détroit, lorsqu'elle fut rencontrée par plusieurs frégates anglaises. L'une d'elles envoya un canot, pour faire connaître au capitaine danois qu'on allait visiter son convoi. Celui-ci répondit que ce convoi était de sa nation, qu'il était sous son escorte, qu'il en garantissait le pavillon et le chargement, et qu'il ne souffrirait pas qu'on le visitât. Aussitôt un canot anglais, se dirigea sur un navire du convoi, pour le visiter. La frégate danoise fit feu, blessa un Anglais, et s'empara du canot; mais le capitaine Van Dockum le relâcha sur la menace des anglais, de commencer aussitôt les hostilités. Le convoi fut conduit à Gibraltar.

Dans une note, par laquelle M. Merry, envoyé anglais à Copenhague, demanda, le 10 avril 1800, le désaveu, l'excuse et la réparation qu'était en droit d'attendre le gouvernement britannique; il dit: «Le droit de visiter et d'examiner les vaisseaux marchands en pleine mer, de quelque nation qu'ils soient, et quelle que soit leur cargaison ou destination, le gouvernement britannique le regarde comme le droit incontestable de toute nation en guerre; droit qui est fondé sur celui des gens, et qui a été généralement admis et reconnu.»

A cette note, M. Bernstorf, ministre de Danemark, répondit, que le droit de faire visiter les bâtiments convoyés, n'avait été reconnu par aucune puissance maritime indépendante, et qu'elles ne pourraient le faire sans avilir leur propre pavillon; que le droit conventionnel de visiter un bâtiment marchand neutre, avait été attribué aux puissances belligérantes, seulement pour s'assurer de la sincérité du pavillon; que cette vérité était bien mieux constatée, quand c'était un bâtiment de guerre de la nation neutre qui le certifiait; que s'il en était autrement, il s'ensuivrait que les plus grandes escadres, escortant un convoi, seraient soumises à l'affront de le laisser visiter par un brick, ou même par un corsaire. Il terminait en disant que le capitaine danois, qui avait repoussé une violence, à laquelle il ne devait pas s'attendre, n'avait fait que son devoir.

La frégate danoise la Freya, escortant un convoi marchand, se trouva, le 25 juillet 1800, à l'entrée de la Manche, en présence de quatre frégates anglaises, sur les onze heures du matin. L'une d'elles envoya à bord de la danoise, un officier, pour demander où elle allait, et prévenir qu'il allait visiter le convoi. Le capitaine Krapp répondit que son convoi était danois; il montra à l'officier anglais les papiers et les certificats qui constataient sa mission, et fit connaître qu'il s'opposerait à toute visite. Alors une frégate anglaise se dirigea sur le convoi, qui reçut ordre de se rallier à la Freya. En même temps, une autre frégate s'approcha de cette dernière, et tira sur un bâtiment marchand. Le danois répondit à son feu, mais de façon que le boulet passa par dessus la frégate anglaise. Sur les huit heures, le commodore anglais arriva, avec son vaisseau, près de la Freya, et réitéra la demande de visiter le convoi sans aucune opposition. Sur le refus du capitaine Krapp, une chaloupe anglaise se dirigea sur le marchand le plus voisin. Le danois donna ordre de tirer sur la chaloupe; alors le commodore anglais, qui prenait en flanc la Freya, lui envoya toute sa bordée. Cette dernière riposta, se battit une heure contre les quatre frégates anglaises, et, perdant l'espoir de vaincre des forces si supérieures, amena son pavillon. Elle avait reçu trente boulets dans sa coque, et un grand nombre dans ses mats et agrès. Elle fut conduite, avec le convoi, aux Dunes, où on la fit mouiller à côté du vaisseau amiral. Les Anglais firent hisser, à bord de la Freya, le pavillon danois, et y mirent une garde de soldats anglais sans armes.

Cependant les esprits étaient fort aigris. Le Danemark, la Suède, la Russie armaient leurs escadres, et annonçaient hautement l'intention de soutenir leurs droits par les armes. Lord Wilworth fut envoyé à Copenhague, où il arriva le 11 juillet, avec les pouvoirs nécessaires pour aviser à un moyen d'accommodement. Ce négociateur fut appuyé par une flotte de vingt-cinq vaisseaux de ligne, sous les ordres de l'amiral Dikinson, qui parut, le 19 août, devant le Sund. Tout était en armes sur la côte de Danemark; on s'attendait à chaque instant au commencement des hostilités. Mais les flottes alliées de la Suède et de la Russie n'étaient pas prêtes. Ces puissances avaient espéré que des menaces seraient suffisantes; comme elles n'avaient pas prévu une attaque si subite, aucun traité n'avait été contracté entre elles à ce sujet. Après de longues conférences, lord Wilworth et le comte de Bernstorf signèrent une convention, le 31 août. Il y fut stipulé 1o que le droit de visiter les bâtiments allant sans convoi, était renvoyé à une discussion ultérieure; 2o que sa majesté danoise, pour éviter les évènements pareils à celui de la frégate la Freya, se dispenserait de convoyer aucun de ses bâtiments marchands, jusqu'à ce que des explications ultérieures, sur cet objet, eussent pu effectuer une convention définitive; 3o que la Freya et le convoi seraient relâchés; que la frégate trouverait, dans les ports de sa majesté britannique, tout ce dont elle aurait besoin pour se réparer, et ce, suivant l'usage entre les puissances amies et alliées.

On voit, que l'Angleterre et le Danemark cherchaient également à gagner du temps. Par cette convention, faite sous le canon d'une flotte anglaise supérieure, le Danemark échappa au danger imminent qui le menaçait; il ne reconnut aucune des prétentions de l'Angleterre. Seulement, il sacrifia son juste ressentiment et les réparations qu'il était en droit de demander pour les outrages faits à son pavillon.

Aussitôt que l'empereur de Russie, Paul Ier, fut informé de l'entrée d'une flotte anglaise dans la Baltique, avec des intentions hostiles, il fit mettre le séquestre sur tous les bâtiments anglais, qui se trouvaient dans ses ports; il y en avait plusieurs centaines. Il fit délivrer à tous les capitaines des navires, qui partaient des ports russes, une déclaration, portant, que la visite de tout bâtiment russe par un bâtiment anglais, serait considérée comme une déclaration de guerre.

§ VI.

Le premier consul nomma, pour traiter avec les ministres des États-Unis, les conseillers d'état, Joseph Bonaparte, Rœderer et Fleurieu. Les conférences eurent lieu successivement à Paris et à Morfontaine; on éprouva beaucoup de difficultés. Les deux républiques avaient-elles été en guerre ou en paix? Ni l'une ni l'autre n'avait fait de déclaration de guerre; mais le gouvernement américain avait, par le bill du 7 juillet 1798, déclaré les États-Unis exonérés des droits que la France avait acquis par le traité du 6 février 1778. Les envoyés ne voulaient pas revenir sur ce bill; cependant, on ne peut perdre des droits acquis par des traités, que de deux manières, par son propre consentement ou par l'effet de la guerre. Les Américains demandaient à être indemnisés de toutes les pertes que leur avaient fait éprouver les corsaires français, et, en dernier lieu, la loi du 18 janvier 1798. Ils convenaient que, de leur côté, ils dédommageraient le commerce français de celles qu'il avait essuyées. Mais la balance de ces indemnités était de beaucoup à l'avantage de l'Amérique. Les plénipotentiaires français firent aux ministres américains le dilemme suivant: «nous sommes en guerre ou en paix. Si nous sommes en paix et que notre état actuel ne soit qu'un état de mésintelligence, la France doit liquider tout le tort que ses corsaires vous auront fait. Vous avez évidemment perdu plus que nous, nous devons solder la différence. Mais alors les choses doivent être établies comme elles étaient auparavant, et nous devons jouir de tous les droits et priviléges dont nous jouissions en 1778. Si, au contraire, nous sommes en état de guerre, vous n'avez pas droit d'exiger des indemnités pour vos pertes, tout comme nous n'avons pas le droit d'exiger les priviléges des traités que la guerre a rompus.»

Les ministres américains se trouvèrent fort embarrassés. Après de longues discussions, on adopta le mezzo-termine, de déclarer qu'une convention ultérieure statuerait sur l'une ou l'autre de ces situations. Cette difficulté une fois écartée, il ne restait plus qu'à stipuler pour l'avenir, et l'on aborda franchement les principes des droits des neutres. L'aigreur, qui existait entre les puissances du Nord et l'Angleterre, les divers combats qui avaient déja eu lieu, plusieurs causes qui avaient influé sur le caractère de l'empereur Paul, la victoire de Marengo qui avait changé la face de l'Europe, tout faisait sentir de quelle utilité, pour les affaires générales, serait une déclaration claire et libérale des principes du droit maritime. Il fut expressément reconnu dans le nouveau traité: 1o que le pavillon couvre la marchandise; 2o que les objets de contrebande ne doivent s'entendre que des munitions de guerre, canons, fusils, poudre, boulets, cuirasses, selles, etc.; 3o que la visite, qui serait faite d'un navire neutre, pour s'assurer de son pavillon et des objets de contrebande, ne pourrait avoir lieu que hors de la portée de canon du bâtiment de guerre visitant; que deux ou trois hommes, au plus, monteraient à bord du neutre; que, dans aucun cas, on ne pourrait obliger le navire neutre d'envoyer à bord du bâtiment visitant; que chaque bâtiment serait porteur d'un certificat, qui justifierait de son pavillon; que l'aspect seul de ce certificat serait suffisant; qu'un bâtiment, qui porterait de la contrebande, ne serait soumis qu'à la confiscation de cette contrebande; qu'aucun bâtiment convoyé ne serait soumis à la visite; que la déclaration du commandant de l'escorte du convoi suffirait; que le droit de blocus ne devait s'appliquer qu'aux places réellement bloquées, où l'on ne peut entrer sans un danger évident, et non à celles censées bloquées par des croisières; que les propriétés ennemies étaient couvertes par le pavillon neutre, tout comme les marchandises neutres, trouvées à bord de bâtiments ennemis, suivaient le sort de ces bâtiments, excepté toutefois pendant les deux premiers mois après la déclaration de guerre; que les vaisseaux et corsaires des deux nations seraient traités, dans les ports respectifs, comme ceux de la nation la plus favorisée.

Ce traité fut signé par les ministres plénipotentiaires des deux puissances à Paris, le 30 septembre 1800. Le 3 octobre suivant, M. Joseph Bonaparte, président de la commission chargée de la négociation, donna une fête, dans sa terre de Morfontaine aux envoyés américains: le premier consul y assista. Des emblêmes ingénieux, des inscriptions heureuses rappelaient les principaux évènements de la guerre de l'indépendance américaine, partout on voyait réunies les armes des deux républiques. Pendant le dîner, le premier consul porta le toast suivant: Aux mânes des Français et des Américains morts sur le champ de bataille pour l'indépendance du Nouveau-Monde. Celui-ci fut porté par le consul Cambacérès: Au successeur de Washington. Et le consul Lebrun porta le sien ainsi: A l'union de l'Amérique avec les puissances du Nord, pour faire respecter la liberté des mers. Le lendemain, 4 octobre, les ministres américains prirent congé du premier consul. On remarqua dans leurs discours les phrases suivantes: Qu'ils espéraient que la convention signée le 30 septembre, serait la base d'une amitié durable entre la France et l'Amérique, et que les ministres américains n'omettraient rien pour concourir à ce but. Le premier consul répondit que les différends, qui avaient existé, étaient terminés; qu'il n'en devait pas plus rester de trace que de démêlés de famille; que les principes libéraux, consacrés dans la convention du 30 septembre, sur l'article de la navigation, devaient être la base du rapprochement des deux républiques, comme ils l'étaient de leurs intérêts; et qu'il devenait, dans les circonstances présentes, plus important que jamais, pour les deux nations, d'y adhérer.

Le traité fut ratifié le 18 février 1801, par le président des États-Unis, qui en supprima l'article 2, ainsi conçu:

«Les ministres plénipotentiaires des deux partis ne pouvant, pour le présent, s'accorder, relativement au traité d'alliance du 6 février 1778, au traité d'amitié et de commerce de la même date, et à la convention en date du 4 novembre 1788; non plus que relativement aux indemnités mutuellement dues ou réclamées, les parties négocieront ultérieurement sur ces objets, dans un temps convenable, et jusqu'à ce qu'elles se soient accordées sur ces points, lesdits traités et convention n'auront point d'effet, et les relations des deux nations seront réglées ainsi qu'il suit, etc.:»

La suppression de cet article faisait cesser à la fois les priviléges, qu'avait la France par le traité de 1778, et annulait les justes réclamations que pouvait faire l'Amérique, pour des torts éprouvés en temps de paix. C'était justement ce que le premier consul s'était proposé, en établissant ces deux objets, l'un comme la balance de l'autre. Sans cela, il eût été impossible de satisfaire le commerce des États-Unis, et de lui faire oublier les pertes qu'il avait éprouvées. La ratification que donna le premier consul, le 31 juillet 1801, portait que, bien entendu, la suppression de l'article 2 annulait toute espèce de réclamation d'indemnités, etc.

Il n'est pas d'usage de faire des modifications aux ratifications. Rien n'est plus contraire au but de tout traité de paix, qui est de rétablir la bonne harmonie. Les ratifications doivent toujours être pures et simples; le traité doit y être transcrit, sans qu'il y soit opéré de changements, afin d'éviter d'embrouiller les questions. Si cet évènement avait pu être prévu, les plénipotentiaires auraient fait deux copies, l'une avec l'article 2, et l'autre sans cet article: tout alors aurait été suivant les règles.

§ VII.

L'empereur Paul avait succédé à l'impératrice Catherine II. Ennemi jusqu'au délire de la révolution française, ce que sa mère s'était contentée de promettre, il l'avait effectué; il avait pris part à la deuxième coalition. Le général Suwarow, à la tête de 60,000 Russes, s'avança en Italie, tandis qu'une autre armée russe entrait en Suisse, et qu'un corps de 15,000 hommes était mis par le czar, à la disposition du duc d'Yorck, pour conquérir la Hollande. C'était tout ce que l'empire russe avait de troupes disponibles. Vainqueur aux batailles de Cassano, de la Trebbia, de Novi, Suwarow avait perdu la moitié de son armée dans le Saint-Gothard et dans les différentes vallées de la Suisse, après la bataille de Zurich, où Korsakow avait été pris. Paul sentit alors toute l'imprudence de sa conduite; et, en 1800, Suwarow retourna en Russie, ramenant avec lui à peine le quart de son armée. L'empereur Paul se plaignait amèrement d'avoir perdu l'élite de ses troupes, qui n'avaient été secondées ni par les Autrichiens, ni par les Anglais. Il reprochait au cabinet de Vienne de s'être refusé, après la conquête du Piémont, à remettre, sur son trône, le roi de Sardaigne; de n'être point animé d'idées grandes et généreuses; mais de se laisser entièrement dominer par des vues de calcul et d'intérêt. Il se plaignait aussi de ce que les Anglais, maîtres de Malte, au lieu de rétablir l'ordre de Saint-Jean et de restituer cette île aux chevaliers, se l'étaient appropriée. Le premier consul ne négligeait rien pour faire fructifier ces germes de mécontentement. Peu après la bataille de Marengo, il trouva le moyen de flatter l'imagination vive et impétueuse du czar, en lui envoyant l'épée que le pape Léon X avait donnée à l'Ile-Adam, comme un témoignage de sa satisfaction, pour avoir défendu Rhodes contre les infidèles. 8 à 10,000 soldats russes avaient été faits prisonniers en Italie, à Zurich, en Hollande; le premier consul proposa leur échange aux Anglais et aux Autrichiens. Les uns et les autres refusèrent: les Autrichiens, parce qu'ils avaient encore beaucoup de leurs prisonniers en France; et les Anglais, quoiqu'ils eussent un grand nombre de prisonniers français, parce que, suivant eux, cette proposition était contraire à leurs principes. Quoi! disait-on au cabinet de Saint-James, vous refusez d'échanger même les Russes, qui ont été pris en Hollande, en combattant dans vos propres rangs sous le duc d'Yorck? Comment! disait-on au cabinet de Vienne, vous ne voulez pas rendre à leur patrie ces hommes du Nord, à qui vous devez les victoires de la Trebbia, de Novi, vos conquêtes en Italie, et qui ont laissé chez vous une foule de français qu'ils ont faits prisonniers! Tant d'injustice m'indigne, dit le premier consul. Eh bien! je les rendrai au czar sans échange; il verra l'estime que je fais des braves. Les officiers russes prisonniers reçurent sur le champ des épées, et les troupes de cette nation furent réunies à Aix-la-Chapelle, où bientôt elles furent habillées complètement à neuf, et armées de belles armes de nos manufactures. Un général russe fut chargé de les organiser en bataillons, en régiments. Ce coup retentit à la fois à Londres et à Saint-Pétersbourg. Attaqué par tant de points différents, Paul s'exalta, et porta tout le feu de son imagination, toute l'ardeur de ses vœux vers la France. Il expédia un courrier au premier consul, avec une lettre où il disait: «Citoyen premier consul, je ne vous écris point pour entrer en discussion sur les droits de l'homme ou du citoyen: chaque pays se gouverne comme il l'entend. Partout où je vois à la tête d'un pays, un homme qui sait gouverner et se battre, mon cœur se porte vers lui. Je vous écris pour vous faire connaître le mécontentement que j'ai contre l'Angleterre, qui viole tous les droits des nations, et qui n'est jamais guidée que par son égoïsme et son intérêt. Je veux m'unir avec vous pour mettre un terme aux injustices de ce gouvernement.»

Au commencement de décembre 1800, le général Sprengporten finlandais, qui avait passé au service de la Russie, et qui, de cœur, était attaché à la France, arriva à Paris. Il portait des lettres de l'empereur Paul, et était chargé de prendre le commandement des prisonniers russes, et de les ramener dans leur patrie. Tous les officiers de cette nation, qui retournaient en Russie, se louaient sans cesse des bons traitements et des égards qu'ils avaient reçus en France, surtout depuis l'arrivée du premier consul. Bientôt la correspondance entre l'empereur Paul et ce dernier, devint journalière; ils traitaient directement des plus grands intérêts et des moyens d'humilier la puissance anglaise. Le général Sprengporten n'était pas chargé de traiter de la paix, il n'en avait pas les pouvoirs. Il n'était pas non plus ambassadeur; la paix n'existait pas. C'était donc une mission extraordinaire: ce qui permit d'accorder, sans conséquence, à ce général toutes les distinctions propres à flatter le souverain qui l'avait envoyé.

§ VIII.

L'expédition de l'amiral Dikinson et la convention préalable de Copenhague, qui en avait été la suite, avaient déconcerté le projet des trois puissances maritimes du nord, d'opposer une ligue à la tyrannie des Anglais. Ceux-ci continuaient de violer tous les droits des neutres; ils disaient que, puisqu'ils avaient pu attaquer, prendre et conduire en Angleterre la frégate la Freya avec son convoi, sans que, malgré cet évènement, le Danemarck eût cessé d'être allié et ami de l'Angleterre, la conduite de la croisière anglaise avait été légitime; et que le Danemarck avait, par cela même, reconnu le principe qu'il ne pouvait convoyer ses bâtiments. Néanmoins cette dernière puissance était loin d'approuver l'insolence des prétentions de l'Angleterre. Prise isolément et au dépourvu, elle avait cédé; mais elle espérait qu'à la faveur des glaces, qui allaient fermer le Sund et la Baltique, elle pourrait, agissant de concert avec la Suède et la Russie, faire reconnaître les droits des puissances neutres. La Suède était indignée de la conduite du cabinet de St.-James; et quant à la Russie, nous avons déja fait connaître ses motifs de haine contre les Anglais. Le traité du 30 septembre entre la France et l'Amérique, venait de proclamer de nouveau les principes de l'indépendance des mers; l'hiver était arrivé; le czar se déclara ouvertement pour ces principes que, dès le 15 août, il avait proposé aux puissances du nord de reconnaître.

Le 17 novembre 1800, l'empereur Paul ordonna, par un ukase, que tous les effets et marchandises anglaises, qui étaient arrêtées dans ses états par suite de l'embargo qu'il avait mis sur les navires de cette nation, fussent réunis en une masse, pour liquider tout ce qui serait dû aux Russes par les Anglais. Il nomma une commission de négociants, qu'il chargea de cette opération. Les équipages des bâtiments furent considérés comme prisonniers de guerre, et envoyés dans l'intérieur de l'empire. Enfin, le 16 décembre, une convention fut signée entre la Russie, la Suède et le Danemarck, pour soutenir les droits de la neutralité. Peu après, la Prusse y adhéra. Cette convention fut appelée la quadruple alliance. Ses principales dispositions sont: 1o le pavillon couvre la marchandise; 2o tout bâtiment convoyé ne peut être visité; 3o ne peuvent être considérés comme effets de contrebande, que les munitions de guerre, telles que canons, etc.; 4o le droit de blocus ne peut être appliqué qu'à un port réellement bloqué; 5o tout bâtiment neutre doit avoir son capitaine et la moitié de son équipage de la nation, dont il porte le pavillon; 6o les bâtiments de guerre de chacune des puissances contractantes protégeront et convoyeront les bâtiments de commerce des deux autres; 7o une escadre combinée sera réunie dans la Baltique, pour assurer l'exécution de cette convention.

Le 17 décembre, le gouvernement anglais ordonna la course sur les bâtiments russes; et le 14 janvier 1801, en représailles de la convention du 16 décembre 1800, qu'il appellait attentatoire à ses droits, il ordonna un embargo général sur tous les bâtiments appartenant aux trois puissances, qui avaient signé la convention.

Aussitôt qu'elle avait été ratifiée, l'empereur Paul avait expédié un officier au premier consul, pour la lui faire connaître. Cet officier lui fut présenté à la Malmaison, le 20 janvier 1801, et lui remit les lettres de son souverain. Le même jour, parut un arrêté des consuls, qui défendit la course sur les bâtiments russes. Il n'y fut pas question des bâtiments danois et suédois, parce que la France était en paix avec ces puissances.

Le 12 février, la cour de Berlin fait connaître au gouvernement anglais, qu'elle accède à la convention des puissances du nord. Elle le somme de révoquer et de lever l'embargo mis, en Angleterre, sur les bâtiments danois et suédois, en haine d'un principe général; distinguant ce qui est relatif à ces deux puissances, de ce qui est relatif à la Russie seule.

Le ministre de Suède en Angleterre remet, le 4 mars, au cabinet britannique, une note dans laquelle il donne connaissance du traité du 16 décembre 1800. Il s'étonne de l'assertion de l'Angleterre, que la Suède et les puissances du nord veulent innover, tandis qu'elles ne soutiennent que les droits établis et reconnus par toutes les puissances dans les traités antérieurs, et notamment par l'Angleterre elle-même, dans ceux de 1780, 1783 et 1794. Une convention pareille lia la Suède et le Danemarck; l'Angleterre ne protesta pas, et même resta spectatrice des préparatifs de guerre de ces puissances pour soutenir ce traité. Elle ne prétendit pas alors que ce traité et ces préparatifs fussent un acte d'hostilité; aujourd'hui elle se conduit autrement; mais cette différence ne vient pas de ce que les puissances ont ajouté à leurs demandes; elle n'est que la suite d'un principe maritime que l'Angleterre a adopté et voudrait faire adopter dans la présente guerre. Ainsi une puissance, qui s'est vantée d'avoir pris les armes pour la liberté de l'Europe, médite aujourd'hui l'asservissement des mers.

S. M. suédoise récapitule les offenses impunies, que les commandants des escadres anglaises se sont permises, même dans les ports de la Suède, les visites inquisitoriales que les croiseurs anglais ont fait subir aux navires suédois, l'arrestation des convois en 1798, l'outrage fait au pavillon suédois devant Barcelonne, et le déni de justice dont se sont rendus coupables les tribunaux anglais. S. M. suédoise ne cherche pas à se venger, elle ne cherche qu'à assurer le respect dû à son pavillon. Cependant, en représailles de l'embargo mis par les Anglais, elle en a fait mettre un sur les navires de ceux-ci dans ses ports. Elle le lèvera, lorsque le gouvernement anglais donnera satisfaction sur l'arrestation des convois en 1798, sur l'affaire devant Barcelonne, et enfin sur l'embargo du 14 janvier 1801.

La teneur de la convention du 16 décembre, fait assez voir qu'il n'est question, pour la Suède, que des droits des neutres, et qu'elle reste étrangère à toute autre querelle. Le ministre danois termine en demandant ses passe-ports.

Lord Hawkersbury répondit à cette note, que S. M. britannique avait proclamé plusieurs fois son droit invariable de défendre les principes maritimes qu'une expérience de plusieurs années avait fait connaître comme les meilleurs, pour garantir les droits des puissances belligérantes. Rétablir les principes de 1780, est un acte d'hostilité dans ce temps-ci. L'embargo sur les bâtiments suédois sera maintenu, tant que S. M. suédoise continuera à faire partie d'une confédération tendant à établir un systême de droits incompatible avec la dignité, l'indépendance de la couronne d'Angleterre, les droits et l'intérêt de ses peuples. L'on voit, par cette réponse de lord Hawkersbury, que le droit que réclame l'Angleterre est postérieur au traité de 1780. Il eût donc fallu qu'il citât les traités par lesquels, depuis cette époque, les puissances ont reconnu les nouveaux principes de la Grande-Bretagne sur les neutres.

§ IX.

La guerre se trouvait ainsi déclarée entre l'Angleterre d'une part, la Russie, la Suède, le Danemarck, de l'autre. Les glaces rendaient la Baltique impraticable; des expéditions anglaises furent envoyées pour s'emparer des colonies danoises et suédoises, dans les Indes occidentales. Dans le courant de mars 1800, les îles de Ste.-Croix, St.-Thomas, St.-Bartholomé, tombèrent sous la domination britannique.

Le 29 mars, le prince de Hesse, commandant les troupes danoises, entra dans Hambourg, afin d'intercepter l'Elbe au commerce anglais. Dans la proclamation de ce général, le Danemarck se fonde sur la nécessité de prendre tous les moyens qui peuvent nuire à l'Angleterre, et l'obliger à respecter enfin les droits des nations, et surtout ceux des neutres.

De son côté, le cabinet de Berlin fit prendre possession du Hanovre, et ferma ainsi aux Anglais les bouches de l'Ems et du Wézer. Le général prussien, dans son manifeste, motive cette mesure sur les outrages dont les Anglais abreuvent constamment les nations neutres, sur les pertes qu'ils leur font supporter, enfin sur les nouveaux droits maritimes que l'Angleterre prétend faire reconnaître.

Une convention eut lieu, le 3 avril, entre la régence et les ministres prussiens, par laquelle l'armée hanovrienne fut licenciée, et les places livrées aux troupes prussiennes. La régence s'engageait, de plus, à obéir aux autorités de cette nation. Ainsi le roi d'Angleterre avait perdu ses états d'Hanovre; mais ce qui était d'une plus grande conséquence pour lui, la Baltique, l'Elbe, le Wézer, l'Ems, lui étaient fermés comme la Hollande, la France et l'Espagne. C'était un coup terrible porté au commerce des Anglais, et dont les effets étaient tels, que sa prorogation seule les eût obligés de renoncer à leur systême.

Cependant les puissances maritimes du nord armaient avec activité. 12 vaisseaux de ligne russes étaient mouillés à Revel, 7 autres suédois étaient prêts à Carlscrona; ce qui, joint à un pareil nombre de vaisseaux danois, eût formé une flotte combinée de 22 à 24 vaisseaux de ligne, qui aurait été successivement augmentée, les trois puissances pouvant la porter jusqu'à 36 et 40 vaisseaux.

Quelque grandes que fussent les forces navales de l'Angleterre, une pareille flotte était respectable. L'Angleterre était obligée d'avoir une escadre dans la Méditerranée, pour empêcher la France d'envoyer des forces en Égypte, et pour protéger le commerce anglais. Le désastre d'Aboukir était en partie réparé, et il y avait, en rade à Toulon, une escadre de plusieurs vaisseaux. Les Anglais étaient également forcés d'avoir une escadre devant Cadix, pour observer les vaisseaux espagnols, et empêcher les divisions françaises de passer le détroit. Une flotte française et espagnole était dans Brest. Il leur fallait en outre une escadre devant le Texel; mais, au commencement d'avril, les flottes russe, danoise et suédoise n'étaient pas encore réunies, quoiqu'elles eussent pu l'être au commencement de mars. C'est sur ce retard que le gouvernement anglais basa son plan d'opération pour attaquer successivement les trois puissances maritimes de la Baltique, en portant d'abord tous ses efforts sur le Danemarck, et obligeant cette puissance à renoncer à la convention du 16 décembre 1800, et à recevoir les vaisseaux anglais dans ses ports.

§ X.

Une flotte anglaise forte de 50 voiles, dont 17 vaisseaux de ligne, sous le commandement des amiraux Parker et Nelson, partit d'Yarmouth le 12 mars; elle avait 1000 hommes de troupes de débarquement. Le 15, elle essuya une violente tempête, qui la dispersa. Un vaisseau de 74 (l'Invincible) fut jeté sur un banc le Hammon-banc, et périt corps et biens. Le 20 mars, elle fut signalée dans le Cattégat. Le même jour une frégate conduisit à Elseneur le commissaire Vansittart, chargé, conjointement avec M. Drumond, de remettre l'ultimatum du gouvernement anglais. Le 24, ils revinrent à bord de la flotte, et donnèrent des nouvelles de tout ce qui se passait à Copenhague et dans la Baltique. La flotte russe était encore à Revel, et celle suédoise à Carlscrona. Les Anglais craignaient leur réunion. Le cabinet anglais avait donné pour instructions à l'amiral Parker, de détacher le Danemarck de l'alliance des deux puissances, en agissant par la crainte ou par l'effet d'un bombardement. Le Danemarck ainsi neutralisé, la flotte combinée se trouvait de beaucoup diminuée, et les Anglais avaient l'entrée libre de la Baltique. Il paraît que le conseil hésita sur la question de savoir s'il devait passer le Sund ou le grand Belt. Le Sund, entre Cronembourg et la côte suédoise, a 2300 toises; la plus grande profondeur est à 1500 toises des batteries d'Elseneur et à 800 de la côte de Suède. Si donc les deux côtes avaient été également armées, les vaisseaux anglais auraient été obligés de passer à la distance de 1100 toises de ces batteries. A Elseneur et à Cronembourg, on comptait plus de 100 pièces ou mortiers en batterie. On conçoit les dommages qu'une escadre doit éprouver dans un pareil passage, tant par la perte des mâts, vergues, que par les accidents des bombes. D'un autre côté, le passage par les Belts était très-difficile, et les officiers, opposés à ce projet, annonçaient que l'escadre danoise pouvait alors sortir de Copenhague, pour aller se joindre aux flottes française et hollandaise.

Cependant, l'amiral Parker se décida pour ce passage, et le 26 mai, toute la flotte fit voile pour le grand Belt. Mais quelques bâtiments légers, qui éclairaient la flotte, ayant touché sur les roches, elle revint le même jour à son ancrage. L'amiral prit alors la résolution de passer par le Sund; et après s'être assuré des intentions qu'avait le commandant de Cronembourg de défendre le passage, la flotte, profitant d'un vent favorable, le 30, se dirigea dans le Sund. La flottille de bombardes s'approcha d'Elseneur pour faire diversion, en bombardant la ville et le château; mais bientôt la flotte s'étant aperçue que les batteries de la Suède ne tiraient pas, appuya sur cette côte, et passa le détroit, hors de la portée des batteries danoises, qui firent pleuvoir une grêle de bombes et de boulets. Tous les projectiles tombèrent à plus de 100 toises de la flotte, qui ne perdit pas un seul homme.

Les Suédois, pour se justifier de la déloyauté de leur conduite, ont allégué que, pendant l'hiver, il n'avait pas été possible d'élever des batteries, ni même d'augmenter celle de 6 canons qui existait; que d'ailleurs, le Danemarck n'avait pas paru le desirer, dans la crainte probablement que la Suède ne fît de nouveau valoir ses anciennes prétentions, en voulant prendre la moitié du droit, que le Danemarck perçoit sur tous les bâtiments qui passent le détroit. Leur nombre est annuellement de 10 à 12,000; ce qui rapporte à cette puissance de 2 millions 500 mille, à 3 millions. On voit combien ces raisons sont futiles. Il ne fallait que peu de jours pour placer une centaine de bouches à feu en batteries; et les préparatifs que l'Angleterre faisait, depuis plusieurs mois, pour cette expédition, et en dernier lieu, la station de plusieurs jours de la flotte dans le Cattégat, avait donné à la Suède bien au-delà du temps qu'il lui fallait.

Le même jour 30 mars, la flotte mouilla entre l'île de Huen et Copenhague. Aussitôt les amiraux anglais et les principaux officiers s'embarquèrent dans un schooner, pour reconnaître la position des Danois.

Lorsque l'on a passé le Sund, on n'est pas encore dans la Baltique. A 10 lieues d'Elseneur est Copenhague. Sur la droite de ce port, se trouve l'île d'Amack, et à 2 lieues de cette île, en avant, est le rocher de Saltholm. Il faut passer dans ce détroit, entre Saltholm et Copenhague, pour entrer dans la Baltique. Cette passe est encore divisée en 2 canaux, par un banc, appelé le Middle-Ground, qui est situé vis à vis Copenhague; le canal royal est celui qui passe sous les murs de cette ville. La passe entre l'île d'Amack et Saltholm, n'est bonne que pour des vaisseaux de 74; ceux à 3 ponts la franchissent difficilement, et sont même obligés de s'alléger d'une partie de leur artillerie. Les Danois avaient placé leur ligne d'embossage entre le banc et la ville, afin de s'opposer au mouillage des bombardes et chaloupes canonnières, qui auraient pu passer au-dessus du banc. Les Danois croyaient ainsi mettre Copenhague à l'abri du bombardement.

La nuit du 30 fut employée par les Anglais à sonder le banc; et le 31, les amiraux montèrent sur une frégate, avec les officiers d'artillerie, afin de reconnaître de nouveau la ligne ennemie et l'emplacement pour le mouillage des bombardes. Il fut reconnu que, si l'on pouvait détruire la ligne d'embossage, des bombardes pourraient se placer pour bombarder le port et la ville; mais que, tant que la ligne d'embossage existerait, cela serait impossible. La difficulté, pour attaquer cette ligne, était très-grande. On en était séparé par le banc de Middle-Ground, et le peu d'eau qui restait au-dessus de ce banc, ne permettait pas aux vaisseaux de haut bord de le franchir. Il n'y avait donc de possibilité qu'en le doublant et venant ensuite, en le rasant par stribord, se placer entre lui et la ligne danoise, opération fort hasardeuse. 1o Car, on ne connaissait pas bien le gisement et la longueur du banc, et l'on n'avait que des pilotes anglais qui n'avaient navigué dans ces mers qu'avec des bâtiments de commerce. On sait d'ailleurs que les pilotes les plus habiles ne peuvent se guider, en pareilles circonstances, que par les bouées; mais les Danois, avec raison, les avaient ôtées, ou mal placées exprès. 2o Les vaisseaux anglais, en doublant le banc, étaient exposés à tout le feu des Danois, jusqu'à ce qu'ils eussent pris leur ligne de bataille. 3o Chaque vaisseau désemparé serait un vaisseau perdu, parce qu'il s'échouerait sur le banc, et cela sous le feu de la ligne et des batteries danoises.

Les personnes les plus prudentes croyaient qu'il ne fallait pas entreprendre une attaque qui pouvait entraîner la ruine de la flotte. Nelson pensa différemment, et fit adopter le projet d'attaquer la ligne d'embossage et de s'emparer des batteries de la couronne, au moyen de 900 hommes de troupes. Appuyé à ces îles, le bombardement de Copenhague devenait facile, et le Danemarck pouvait être considéré comme soumis. Le commandant en chef ayant approuvé cette attaque, détacha, le 1er avril, Nelson avec 12 vaisseaux de ligne et toutes les frégates et bombardes. Celui-ci mouilla le soir à Draco-Pointe, près du banc, qui le séparait de la ligne ennemie, et si près d'elle, que les mortiers de l'île d'Amack, qui tirèrent quelques coups, envoyèrent leurs bombes au milieu de l'escadre mouillée. Le 2, les circonstances du temps étant favorables, l'escadre anglaise doubla le banc, et le rangeant à stribord, vint prendre la ligne entre lui et les Danois. Un vaisseau anglais de 74 toucha, avant d'avoir doublé le banc, et 2 autres s'échouèrent après l'avoir doublé. Ces 3 vaisseaux dans cette position, étaient exposés au feu de la ligne ennemie, qui leur envoya bon nombre de boulets.

La ligne d'embossage des Danois était appuyée, à sa gauche, aux batteries de la couronne, îles factices à 600 toises de Copenhague, armées de 70 bouches à feu, et défendues par 1500 hommes d'élite; et sa droite se prolongeait sur l'île d'Amack. Pour défendre l'entrée du port, sur la gauche des trois couronnes, on avait placé 4 vaisseaux de ligne, dont 2 entièrement armés et équipés.

Le but de la ligne d'embossage étant de garantir le port et la ville d'un bombardement, et de rester maître de toute la rade comprise entre le Middle-Ground et la ville; cette ligne avait été placée le plus près possible du banc. Sa droite était très en avant de l'île d'Amack; la ligne entière avait plus de trois mille toises d'étendue, et était formée par vingt bâtiments. C'étaient de vieux vaisseaux rasés, ne portant que la moitié de leur artillerie, ou des frégates et autres bâtiments, installés en batteries flottantes, portant une douzaine de canons. Pour l'effet qu'elle devait produire, cette ligne était suffisamment forte et parfaitement placée; aucune bombarde ou chaloupe canonnière ne pouvait l'approcher. Pour les raisons ci-dessus énoncées, les Danois ne craignaient pas d'être attaqués par les vaisseaux de haut bord. Lors donc qu'ils virent la manœuvre de Nelson, et qu'ils prévirent ce qu'il allait entreprendre, leur étonnement fut grand. Ils comprirent que leur ligne n'était pas assez forte, et qu'il aurait fallu la former, non de carcasses de bâtiments, mais au contraire des meilleurs vaisseaux de leur escadre; qu'elle avait trop d'étendue, pour le nombre de bâtiments qui y étaient employés; qu'enfin la droite n'était pas suffisamment appuyée; que s'ils eussent rapproché cette ligne de Copenhague, elle n'eût eu que 15 à 1800 toises; qu'alors la droite aurait pu être soutenue par de fortes batteries, élevées sur l'île d'Amack, qui auraient battu en avant de la droite, et flanqué toute la ligne. Il est probable que, dans ce cas, Nelson eût échoué dans son attaque; car il lui aurait été impossible de passer entre la ligne et la terre, ainsi garnie de canons. Mais il était trop tard, ces réflexions étaient inutiles, et les Danois ne songèrent plus qu'à se défendre avec vigueur. Les premiers succès qu'ils obtinrent, en voyant échouer 3 des plus forts vaisseaux ennemis, leur permettaient de concevoir les plus hautes espérances. Le manque de ces trois vaisseaux obligea Nelson, pour ne point trop disséminer ses forces, à dégarnir son extrême droite. Dès lors, le principal objet de son attaque, qui était la prise des trois couronnes, se trouva abandonné. Aussitôt que Nelson eut doublé le banc, il s'approcha jusqu'à 100 toises de la ligne d'embossage, et se trouvant par 4 brasses d'eau, ses pilotes mouillèrent. La canonnade était engagée avec une extrême vigueur; les Danois montrèrent la plus grande intrépidité; mais les forces des Anglais étaient doubles en canons.

Une ligne d'embossage présente une force immobile contre une force mobile: elle ne peut donc surmonter ce désavantage, qu'en tirant appui des batteries de terre, surtout pour les flancs. Mais, ainsi qu'on l'a dit plus haut, les Danois n'avaient pas flanqué leur droite.

Les Anglais appuyèrent donc sur la droite et sur le centre, qui n'étaient pas flanqués, en éteignirent le feu, et obligèrent cette partie de la ligne d'amener, après une vive résistance de plus de 4 heures. La gauche de la ligne, étant bien soutenue par les batteries de la couronne, resta entière. Une division de frégates espérant, à elle seule, remplacer les vaisseaux qui avaient dû attaquer ces batteries, osa s'engager avec elles, comme si elle était soutenue par le feu des vaisseaux. Mais elle souffrit considérablement, et, malgré tous ses efforts, fut obligée de renoncer à cette entreprise, et de s'éloigner.

L'amiral Parker, qui était resté avec l'autre partie de la flotte au-dehors du banc, voyant la vive résistance des Danois, comprit que la plupart des bâtiments anglais seraient dégréés par suite d'un combat aussi opiniâtre; qu'ils ne pourraient plus manœuvrer, et s'échoueraient tous sur le banc, ce qui eut lieu en partie. Il fit le signal de cesser le combat, et de prendre une position en arrière; mais cela même était très-difficile. Nelson aima mieux continuer l'action. Il ne tarda pas à être convaincu de la sagesse du signal de l'amiral, et il se décida enfin à lever l'ancre et à s'éloigner du combat. Mais, voyant qu'une partie de la ligne danoise était réduite, il eut l'idée, avant de prendre ce parti extrême, d'envoyer un parlementaire proposer un arrangement. Il écrivit, à cet effet, une lettre adressée aux braves frères des Anglais, les Danois, et conçue en ces termes: «Le vice-amiral Nelson a ordre de ménager le Danemarck; ainsi il ne doit résister plus long-temps. La ligne de défense, qui couvrait ses rivages, a amené au pavillon anglais. Cessez donc le feu, qu'il puisse prendre possession de ses prises, ou il les fera sauter en l'air avec leurs équipages, qui les ont si noblement défendues. Les braves Danois sont les frères et ne seront jamais les ennemis des Anglais.» Le prince de Danemarck, qui était au bord de la mer, reçut ce billet, et, pour avoir des éclaircissements à ce sujet, il envoya l'adjudant-général Lindholm auprès de Nelson, avec qui il conclut une suspension d'armes. Le feu cessa bientôt partout, et les Danois blessés furent remis sur le rivage. Cette suspension avait à peine eu lieu, que trois vaisseaux anglais, y compris celui que montait Nelson, s'échouèrent sur le banc. Ils furent en perdition, et ils n'auraient jamais pu s'en relever, si les batteries avaient continué le feu. Ils durent donc leur salut à cet armistice.

Cet évènement sauva l'escadre anglaise. Nelson se rendit, le 4 avril, à terre. Il traversa la ville au milieu des cris et des menaces de toute la populace; et, après plusieurs conférences avec le prince régent, on signa la convention suivante: «Il y aura un armistice de 3 mois et demi, entre les Anglais et le Danemarck; mais uniquement pour la ville de Copenhague et le Sund. L'escadre anglaise, maîtresse d'aller où elle voudra, est obligée de se tenir à la distance d'une lieue des côtes du Danemarck, depuis sa capitale jusqu'au Sund. La rupture de l'armistice devra être dénoncée quinze jours avant la reprise des hostilités. Il y aura statu quo parfait sous tous les autres rapports, en sorte que rien n'empêche l'escadre de l'amiral Parker de se porter vers quelque autre point des possessions danoises, vers les côtes du Jutland, vers celles de la Norwège; que la flotte anglaise qui doit être entrée dans l'Elbe, peut attaquer la forteresse danoise de Glukstadt; que le Danemarck continue à occuper Hambourg et Lubeck, etc.

Les Anglais perdirent, dans cette bataille, 943 hommes tués ou blessés. Deux de leurs vaisseaux furent tellement maltraités, qu'il ne fut plus possible de les réparer; l'amiral Parker fut obligé de les renvoyer en Angleterre. La perte des Danois fut évaluée un peu plus haut que celle des Anglais. La partie de la ligne d'embossage, qui tomba au pouvoir de ces derniers, fut brûlée, au grand déplaisir des officiers anglais, dont cela lésait les intérêts. Lors de la signature de l'armistice, les bombardes et chaloupes canonnières étaient en position de prendre une ligne pour bombarder la ville.

§ XI.

L'évènement de Copenhague ne remplit pas entièrement les intentions du gouvernement britannique; il avait espéré détacher et soumettre le Danemarck, et il n'était parvenu qu'à lui faire signer un armistice, qui paralysait les forces danoises pendant 14 semaines.

L'escadre suédoise et l'escadre russe s'armaient avec la plus grande activité, et présentaient des forces considérables. Mais l'appareil militaire était désormais devenu inutile; la confédération des puissances du nord se trouvait dissoute par la mort de l'empereur Paul, qui en était à la fois l'auteur, le chef et l'ame. Paul Ier avait été assassiné, dans la nuit du 23 au 24 mars; et la nouvelle de sa mort arriva à Copenhague, au moment où l'armistice venait d'être signé!

Lord Withworth était ambassadeur à sa cour; il était fort lié avec le comte de P....., le général B......., les S...., les O...., et autres personnes authentiquement reconnues pour être les auteurs et acteurs de cet horrible parricide. Ce monarque avait indisposé contre lui, par un caractère irritable et très-susceptible, une partie de la noblesse russe. La haine de la révolution française avait été le caractère distinctif de son règne. Il considérait comme une des causes de cette révolution, la familiarité du souverain et des princes français, et la suppression de l'étiquette à la cour. Il établit donc à la sienne une étiquette très-sévère, et exigea des marques de respect peu conformes à nos mœurs et qui révoltaient généralement.

Être habillé d'un frac, avoir un chapeau rond, ne point descendre de voiture, quand le czar ou un des princes de sa maison passait dans les rues ou promenades; enfin, la moindre violation des moindres détails de son étiquette excitait toute son animadversion; et par cela seul on était jacobin. Depuis qu'il s'était rapproché du premier consul, il était revenu sur une partie de ces idées; et il est probable que, s'il eût vécu encore quelques années, il eût reconquis l'opinion et l'amour de sa cour, qu'il s'était aliénés. Les Anglais mécontents, et même extrêmement irrités du changement qui s'était opéré en lui depuis un an, n'oublièrent rien pour encourager ses ennemis intérieurs. Ils parvinrent à accréditer l'opinion qu'il était fou, et enfin nouèrent une conspiration pour attenter à sa vie. L'opinion générale est que.....................

La veille de sa mort, Paul étant à souper avec sa maîtresse et son favori, reçut une dépêche, où on lui détaillait toute la trame de la conspiration; il la mit dans sa poche, en ajournant la lecture au lendemain. Dans la nuit il périt.

L'exécution de cet attentat n'éprouva aucun obstacle: P..... avait tout crédit au palais; il passait pour le favori et le ministre de confiance du souverain. Il se présente à deux heures du matin à la porte de l'appartement de l'empereur, accompagné de B......., S.... et O.... Un Cosaque affidé, qui était à la porte de sa chambre, fit des difficultés pour les laisser pénétrer chez lui; ils le massacrèrent aussitôt. L'empereur s'éveilla au bruit, et se jeta sur son épée; mais les conjurés se précipitèrent sur lui, le renversèrent et l'étranglèrent: B....... fut celui qui lui donna le dernier coup; il marcha sur son cadavre. L'impératrice, femme de Paul, quoiqu'elle eût beaucoup à se plaindre des galanteries de son mari, témoigna une vraie et sincère affliction; et tous ceux qui avaient pris part à cet assassinat furent constamment dans sa disgrace.................................

Bien des années après, le général Benigsen commandait encore....................... Quoi qu'il en soit, cet horrible évènement glaça d'horreur toute l'Europe, qui fut surtout scandalisée de l'affreuse franchise, avec laquelle les Russes en donnaient des détails dans toutes les cours. Il changea la position de l'Angleterre et les affaires du monde. Les embarras d'un nouveau règne,............................. ............................. ............................. donnèrent une autre direction à la politique de la cour de Russie. Dès le 5 avril, les matelots anglais, qui avaient été faits prisonniers de guerre par suite de l'embargo, et envoyés dans l'intérieur de l'empire, furent rappelés. La commission qui avait été chargée de la liquidation des sommes dues par le commerce anglais, fut dissoute. Le comte Pahlen, qui continua à être le principal ministre, fit connaître aux amiraux anglais, le 20 avril, que la Russie accédait à toutes les demandes du cabinet anglais; que l'intention de son maître était que, d'après la proposition du gouvernement britannique de terminer le différend à l'amiable par une convention, on cessât toute hostilité jusqu'à la réponse de Londres. Le desir d'une prompte paix avec l'Angleterre fut hautement manifesté, et tout annonça le triomphe de cette puissance. Après l'armistice de Copenhague, l'amiral Parker s'était porté vers l'île de Moën, pour observer les flottes russe et suédoise. Mais la déclaration du comte de Pahlen le rassura à cet égard; et il revint à son mouillage de Kioge, après avoir fait connaître à la Suède, qu'il laisserait passer librement ses bâtiments de commerce.

Le Danemarck cependant continuait à se mettre en état de défense. Sa flotte restait tout entière, et n'avait éprouvé aucune perte; elle consistait en seize vaisseaux de guerre. Les détails de cet armement, et les travaux nécessaires pour mettre les batteries de la couronne et celles de l'île d'Amack dans le meilleur état de défense, occupaient entièrement le prince royal. Mais, à Londres et à Berlin, les négociations étaient dans la plus grande activité, et lord Saint-Hélens était parti d'Angleterre, le 4 mai, pour Saint-Pétersbourg. Bientôt l'Elbe fut ouverte au commerce anglais. Le 20 mai, Hambourg fut évacué par les Danois, et le Hanovre par les Prussiens.

Nelson avait succédé à l'amiral Parker dans le commandement de l'escadre; et dès le 8 mai, il s'était porté vers la Suède, et avait écrit à l'amiral suédois que, s'il sortait de Carlscrona avec la flotte, il l'attaquerait. Il s'était ensuite dirigé, avec une partie de l'escadre, sur Revel, où il arriva le 12. Il espérait y rencontrer l'escadre russe, mais elle avait quitté ce port dès le 9. Il n'est pas douteux que, si Nelson eût trouvé la flotte russe dans ce port, dont les batteries étaient en très-mauvais état, il ne l'eût attaquée et détruite. Le 16, Nelson quitta Revel, et se réunit à toute sa flotte, sur les côtes de Suède. Cette puissance ouvrit ses ports aux Anglais le 19 mai. L'embargo sur leurs bâtiments fut levé en Russie le 20 mai. La Prusse se trouvait déja en communication avec l'Angleterre, depuis le 16. Cependant lord Saint-Hélens était arrivé à Saint-Pétersbourg, le 29 mai, et le 17 juin, il signa le fameux traité, qui mit fin aux différends survenus entre les puissances maritimes du nord et l'Angleterre. Le 15, le comte de Bernstorf, ambassadeur extraordinaire de la cour de Copenhague, était arrivé à Londres, pour y traiter des intérêts de son souverain; et le 17, le Danemarck leva l'embargo sur les navires anglais.

Ainsi, trois mois après la mort de Paul, la confédération du nord fut dissoute, et le triomphe de l'Angleterre assuré.

Le premier consul avait envoyé son aide-de-camp Duroc à Pétersbourg, où il était arrivé le 24 mai; il avait été parfaitement accueilli, et reçu avec toute espèce de protestation de bienveillance. Il avait cherché à faire comprendre la conséquence qui résulterait pour l'honneur et l'indépendance des nations, et pour la prospérité future des puissances de la Baltique, du moindre acte de faiblesse, acte que la circonstance ne pourrait justifier. L'Angleterre, disait-il, avait en Égypte la plus grande partie de ses forces de terre, et avait besoin de plusieurs escadres, pour les couvrir et empêcher celles de Brest, de Cadix, de Toulon, d'aller porter des secours à l'armée française d'Orient. Il fallait que l'Angleterre eût une escadre de quarante à cinquante vaisseaux pour observer Brest, et plus de vingt-cinq vaisseaux dans la Méditerranée; en outre, elle devait tenir des forces considérables devant Cadix et le Texel. Il ajoutait que la Russie, la Suède et le Danemarck pouvaient lui opposer plus de trente-six vaisseaux de haut bord bien armés; que le combat de Copenhague n'avait eu pour résultat que la destruction de quelques carcasses, mais n'avait en rien diminué la puissance des Danois; que même, loin de changer leurs dispositions, il n'avait fait que porter l'irritation au dernier point; que les glaces allaient obliger les Anglais à quitter la Baltique; que, pendant l'hiver, il serait possible d'arriver à une pacification générale; que, si la cour de Russie était décidée, comme il paraissait par les démarches déja faites, à conclure la paix, il fallait au moins ne faire que des sacrifices temporaires, mais se garder d'altérer en rien les principes reconnus sur les droits des neutres et l'indépendance des mers; que déja le Danemarck, menacé par une escadre nombreuse, et luttant seul contre elle, avait, au mois d'août de l'année dernière, consenti à ne point convoyer ses bâtiments, jusqu'à ce que cette affaire eût été discutée; que la Russie pourrait suivre la même marche, gagner du temps en concluant des préliminaires et en renonçant au droit de convoyer, jusqu'à ce qu'on eût trouvé des moyens définitifs de conciliation.

Ces raisonnements, exprimés dans plusieurs notes, avaient paru faire de l'effet sur le jeune empereur. Mais il était lui-même sous l'influence d'un parti qui avait commis un grand crime, et qui, pour faire diversion, voulait, à quelque prix que ce fût, faire jouir la Baltique des bienfaits de la paix, afin de rendre plus odieuse la mémoire de leur victime et de donner le change à l'opinion.

L'Europe vit avec étonnement le traité ignominieux que signa la Russie, et que, par contre, dûrent adopter le Danemarck et la Suède. Il équivalait à une déclaration de l'esclavage des mers, et à la proclamation de la souveraineté du parlement britannique. Ce traité fut tel, que l'Angleterre n'avait rien à souhaiter de plus, et qu'une puissance du troisième ordre eût rougi de le signer. Il causa d'autant plus de surprise, que l'Angleterre, dans l'embarras où elle se trouvait, se fût contentée de toute autre convention, qui l'en eût tirée. Enfin la Russie eut la honte, qui lui sera éternellement reprochée, d'avoir consenti la première au déshonneur de son pavillon. Il y fut dit 1o que le pavillon ne couvrait plus la marchandise; que la propriété ennemie était confiscable sur un bâtiment neutre; 2o que les bâtiments neutres convoyés seraient également soumis à la visite des croiseurs ennemis, hormis par les corsaires et les armateurs; ce qui, loin d'être une concession faite par l'Angleterre, était dans ses intérêts et demandé par elle: car les Français, étant inférieurs en force, ne parcouraient plus les mers qu'avec des corsaires.

Ainsi l'empereur Alexandre consentit à ce qu'une de ses escadres de cinq à six vaisseaux de 74, escortant un convoi, fût détournée de sa route, perdît plusieurs heures, et souffrît qu'un brick anglais lui enlevât une partie de ses bâtiments convoyés. Le droit de blocus se trouva seul bien défini; les Anglais attachaient peu d'importance à empêcher les neutres d'entrer dans un port, lorsqu'ils avaient le droit de les arrêter partout, en déclarant que la cargaison appartenait en tout ou en partie à un négociant ennemi. La Russie voulut faire valoir, comme une concession en sa faveur, que les munitions navales n'étaient pas comprises parmi les objets de contrebande! Mais il n'y a plus de contrebande, lorsque tout peut le devenir par la suspicion du propriétaire, et tout est contrebande, quand le pavillon ne couvre plus la marchandise.

Nous avons dit dans ce chapitre, que les principes des droits des neutres sont: 1o que le pavillon couvre la marchandise; 2o que le droit de visite ne consiste qu'à s'assurer du pavillon, et qu'il n'y a point d'objet de contrebande; 3o que les objets de contrebande sont les seules munitions de guerre; 4o que tout bâtiment marchand, convoyé par un bâtiment de guerre, ne peut être visité; 5o que le droit de blocus ne peut s'entendre que des ports réellement bloqués. Nous avons ajouté que ces principes avaient été défendus par tous les jurisconsultes et par toutes les puissances, et reconnu dans tous les traités. Nous avons prouvé qu'ils étaient en vigueur en 1780, et furent respectés par les Anglais; qu'ils l'étaient encore en 1800, et furent l'objet de la quadruple alliance, signée le 16 décembre de cette année. Aujourd'hui il est vrai de dire que la Russie, la Suède, le Danemarck, ont reconnu des principes différents.

Nous verrons, dans la guerre, qui suivit la rupture du traité d'Amiens, que l'Angleterre alla plus loin, et que ce dernier principe qu'elle avait reconnu, elle le méconnaissait, en établissant celui du blocus, appelé blocus sur le papier.

La Russie, la Suède et le Danemarck ont déclaré, par le traité du 17 janvier 1801, que les mers appartenaient à l'Angleterre; et par là, ils ont autorisé la France, partie belligérante, à ne reconnaître aucun principe de neutralité sur les mers. Ainsi, dans le temps même où les propriétés particulières et les hommes non combattants sont respectés dans les guerres de terre, on poursuit dans les guerres de mer, les propriétés des particuliers, non-seulement sous le pavillon ennemi, mais encore sous le pavillon neutre; ce qui donne lieu de penser que, si l'Angleterre seule eût été législateur dans les guerres de terre, elle eût établi les mêmes lois qu'elle a établies dans les guerres de mer. L'Europe serait alors retombée dans la barbarie, et les propriétés particulières auraient été saisies comme les propriétés publiques.

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