Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 7)
[Note 114: Le 1er et 18 août 1845.]
M. Rossi disait là le vrai et dernier mot de la situation. La routine, la pusillanimité, les embarras intérieurs et personnels, l'absence de toute appréciation profonde et prévoyante sur l'état politique et moral de la France ne permettaient pas que nous obtinssions de la cour de Rome, dans cette délicate affaire, tout ce qui eût été désirable et efficace dans l'intérêt de la religion comme de la société civile, de l'Église comme de l'État. Mais nous avions obtenu le strict nécessaire; et malgré les oppositions sourdes, les contestations subtiles, les lenteurs prolongées, ce que nous avions obtenu s'exécutait, et recevait, à chaque nouvelle tentative de résistance, une nouvelle confirmation. Au milieu de ses perplexités, le pape saisissait avec empressement toutes les occasions de manifester ses bons rapports avec le gouvernement français, avec le ministre de France, et son désir de les maintenir. Le 25 août 1845, la fête de saint Louis fut célébrée à Rome avec un éclat inaccoutumé: «A neuf heures et demie, m'écrivit M. Rossi[115], je me suis rendu avec toutes les personnes qui composent l'ambassade du Roi, à notre église nationale. M. le directeur de l'Académie, avec MM. les pensionnaires, s'y était rendu de son côté. Dix-huit cardinaux, c'est-à-dire presque tous les membres du sacré collége présents à Rome, ont assisté à la messe. Ce chiffre est le plus élevé qu'ait jamais atteint la réunion des cardinaux invités à cette solennité, et le registre des cérémonies conservé à l'ambassade indique qu'il est resté le plus ordinairement au-dessous. A cinq heures de l'après-midi, je suis retourné à l'église, accompagné, comme le matin, de MM. les secrétaires et attachés de l'ambassade. A cinq heures vingt minutes, Sa Sainteté est arrivée. Un intérêt de curiosité, facile à comprendre dans les circonstances actuelles, avait rassemblé, sur les degrés de l'église et sur la place, une foule considérable de spectateurs. C'était la première rencontre publique du saint-père avec le ministre du Roi depuis notre négociation et son succès. Selon le cérémonial établi, j'allai ouvrir la portière de la voiture de Sa Sainteté qui, pénétrée, comme tout le monde l'était, de l'importance de chacun de ses mouvements en cette occasion solennelle, me prit affectueusement la main pour descendre de voiture, la garda dans la sienne pour monter les degrés; et à mes remerciements de l'honneur qu'il daignait faire à notre église nationale en venant y prier pour le roi, la famille royale et la France, le pape répondit à voix haute et assez sonore pour être entendu de la foule qui nous entourait: «C'est un devoir que j'ai toujours un vrai plaisir à accomplir; ne manquez pas d'envoyer au Roi cette expression de mes sentiments.» La cérémonie achevée, j'ai reconduit Sa Sainteté à sa voiture dont j'ai refermé la portière. Au départ comme à l'arrivée, le saint-père a été, dans ses gestes et dans ses discours, prodigue de témoignages de bonté. L'effet de cette visite et de son caractère a été général et profond, sur nos amis comme sur nos ennemis. Tous les yeux ont vu, toutes les consciences ont senti que, dans l'accomplissement de cette auguste et pieuse courtoisie, le saint-père était plein d'affection pour nous et voulait le paraître. Pendant la soirée du 25 et la journée du lendemain, les détails que je viens de résumer ont fait le sujet des entretiens et des commentaires de toute la ville. Nos amis y ont trouvé la sanction, nos ennemis la condamnation de leurs efforts, et les indécis la manifestation éclatante de la vérité qu'on s'était efforcé d'obscurcir.»
[Note 115: Le 28 août 1845.]
Un fait plus direct encore vint confirmer le sens et l'effet de ces manifestations publiques. A la suite des doutes qu'on avait essayé de répandre sur les mesures convenues, une nouvelle conférence des cardinaux les plus influents en cette matière eut lieu chez le cardinal Lambruschini: «Là, m'écrivit M. Rossi[116], tout a été mis en pleine lumière, et celui-là même des membres de la conférence qui n'approuvait pas les faits accomplis a loyalement reconnu que, dans l'état des choses, il ne restait qu'à faire exécuter tout ce qui avait été promis. C'est ce qui a été décidé à l'unanimité. Un cardinal s'étant rendu auprès du général des jésuites pour lui faire connaître cette décision, le père Roothaan a répondu qu'il n'avait qu'à s'y conformer, et qu'il allait transmettre aux jésuites de France les instructions nécessaires pour que l'exécution fût à la fois prompte et conforme aux conditions stipulées.»
[Note 116: Le 28 août 1845.]
Que les instructions du père Roothaan fussent, ou non, aussi formelles que me le disait M. Rossi, elles apportèrent peu de changement dans l'état et le cours de l'affaire. Elles n'empêchèrent pas que, sur plusieurs points du royaume, les jésuites de France ne continuassent leurs tentatives d'ajournement ou même de résistance. M. Rossi fut, à plusieurs reprises, obligé de recommencer, auprès du pape et du cardinal Lambruschini, ses pressantes réclamations et ses inquiétantes prédictions si les conseils du saint-siége n'étaient pas plus efficaces. Les mesures convenues n'étaient point exécutées d'une façon générale et nette; mais de mois en mois, à chaque nouvelle démarche du ministre de France, cette exécution faisait un pas de plus. Le pape s'impatientait contre les jésuites et les ennuis qu'ils lui donnaient: «Nous autres moines, nous sommes tous les mêmes,» dit-il un jour avec un mélange d'humeur et de sourire. Le cardinal Lambruschini, dans ses entretiens avec les ecclésiastiques français qui venaient à Rome, s'expliquait chaque jour plus vivement; il reçut, le 27 novembre 1845, la visite de l'évêque de Poitiers: «Je sais, lui dit-il, qu'à propos des mesures convenues à l'égard des jésuites, on parle de suicide; non, monseigneur; se couper un bras lorsque cela est nécessaire pour sauver sa vie, c'est du courage et de la prudence; ce n'est pas un suicide. Les jésuites sont-ils populaires en France?» L'évêque fut obligé d'avouer que non: «Eh bien donc, reprit le cardinal, veut-on compromettre la cause de la religion pour ne pas disperser les jésuites? Veut-on provoquer des mesures législatives?» L'évêque allégua les libertés garanties par la Charte: «Moi aussi, je connais la France, répliqua le cardinal; j'y ai passé six ans de ma vie, et je sais ce que valent toutes ces généralités contre une opinion populaire. Croyez-moi, monseigneur; rentrez chez vous en prenant le chemin de l'école; voyez les jésuites, voyez les évêques; dites à ceux-là d'obéir et à ceux-ci de rester tranquilles.» Tel était enfin, dans les esprits, le progrès du sentiment de la nécessité que l'assistant de France dans la congrégation de Jésus, le père Rozaven, Breton aussi obstiné que sincère, qui n'avait cessé d'encourager les jésuites à la résistance, en vint à comprendre lui-même la situation: «Il faut, dit-il un jour[117] à un prêtre de ses amis, tenir compte aux rois et aux ministres constitutionnels des difficultés de leur position; ils ont devant eux les Chambres, les électeurs, les magistrats, la presse; il ne faut pas exiger d'eux l'impossible. J'ai bien compris tout cela et je l'ai écrit en France.»
[Note 117: En mars 1846.]
Je n'avais donc, quant au résultat définitif de la négociation, point d'inquiétude; il suffisait évidemment que le gouvernement du Roi tînt bon à Paris et M. Rossi, en son nom, à Rome, pour que la lutte n'éclatât point en France entre l'État et l'Église, et pour qu'on pût reprendre, sans qu'elle fût posée sur la tête des jésuites, cette question de la liberté d'enseignement dont les esprits continuaient d'être fortement préoccupés, et que, dans l'intérêt de l'État comme de l'Église, j'avais à coeur de résoudre loyalement. Mais nous commencions alors à avoir en perspective, à Rome, des questions plus grandes encore que celles des jésuites et de la liberté d'enseignement. Vers la fin de septembre 1845, des troubles sérieux éclatèrent dans la Romagne; la sédition fut si générale et si vive que le courrier qui en apportait à Rome la nouvelle fut obligé de faire un long détour pour y arriver: «Je n'ai pas voulu, m'écrivit sur-le-champ M. Rossi[118], que le cardinal pût dire qu'en ce moment de crise il n'avait pas vu le ministre de France. Je me suis rendu au Quirinal: «Éminence, lui ai-je dit, j'apprends de fâcheuses nouvelles; j'espère qu'elles sont exagérées; quoi qu'il en soit, je n'ai pas voulu laisser passer la journée sans vous exprimer le vif et sincère intérêt que prend le gouvernement du Roi à tout ce qui touche à la sûreté du saint-siége et du gouvernement pontifical.» En me remerciant, le cardinal me dit que ce désordre serait promptement réprimé, que c'étaient des insensés qui forçaient le gouvernement à les traiter avec toute la sévérité militaire. Le but de ma visite se trouvant atteint, je me levai pour lui faire bien comprendre que je ne voulais pas traiter verbalement l'autre sujet. Le cardinal paraissait assez abattu. Je le comprends. Sans doute ils ont déjà réprimé et ils réprimeront les émeutes des Romagnols qui ne sont que de déplorables folies. Mais peuvent-ils ne pas s'effrayer du fond même de la situation? Le mécontentement des Légations et des Marches est général et profond. Il n'y a pas jusqu'aux ecclésiastiques de ces pays qui ne l'avouent. Sans les régiments suisses, le gouvernement y serait culbuté en un clin d'oeil. Mais ces régiments sont en même temps une charge énorme pour le trésor pontifical. Il y a là un cercle vicieux et une situation trop tendue.
[Note 118: Le 28 septembre 1845.]
«Y a-t-il un remède? Oui, et très-facile avec un peu d'intelligence et de courage. Sans mot dire à personne, j'ai fait mes observations et mes études. Si vous saviez combien il serait aisé de donner satisfaction à ces provinces sans rien bouleverser, sans rien dénaturer, sans rien introduire ici d'incompatible avec ce qu'il est essentiel de maintenir! Toute la partie saine et respectable de ces populations ne demande qu'un peu d'ordre et de bon sens dans l'administration. Qu'on gouverne raisonnablement, et à l'instant même les démagogues seront ici, comme ils le sont ailleurs, isolés et impuissants.
«Mais ce qui serait facile en soi est presque impossible avec les hommes et les choses que nous avons. Le moment des conseils viendra. Il n'est pas encore arrivé. Il ne faut pas les offrir; il faut qu'on nous les demande. En attendant, appliquons-nous à leur faire comprendre qu'ils n'ont pas d'ami plus sûr et plus désintéressé que la France, que nous ne permettrons jamais que le pape devienne un patriarche autrichien, que nous comprenons les nécessités du pontificat, etc., etc. J'ai toujours travaillé et je travaille dans ce sens; et sur ce point mes paroles ont peut-être plus de poids que celles de tout autre. Ils sont convaincus, et ils ne se trompent pas, que je n'aimerais pas à voir perdre à l'Italie la seule grande chose qui lui reste, la papauté.»
Je répondis sur-le-champ à M. Rossi[119]: «Vous avez très-bien fait d'aller témoigner au cardinal Lambruschini tout notre intérêt à l'occasion des troubles de Rimini. Établissez bien en ce sens notre position et la vôtre. Ne laissez échapper aucune occasion de bons offices, politiques et personnels, à rendre au gouvernement romain. Cela nous convient à nous France, et certainement cela tournera au profit de l'Italie. Vous avez toute raison; ce qu'il y a de grand en Italie, c'est le pape. Que le pape prenne bien sa place au milieu du monde catholique moderne et s'y adapte; l'Italie conservera ce qu'elle a de grand, et gagnera un jour le reste.»
[Note 119: Le 7 octobre 1845.]
En même temps qu'il m'informait des troubles renaissants dans les États romains, M. Rossi m'annonçait que, malgré les assurances contraires, la santé de Grégoire XVI déclinait, que son chirurgien le voyait tous les jours, et qu'il fallait se préparer à la chance d'un prochain conclave.
Avant cette information, ma résolution était prise. Je m'étais de plus en plus convaincu que, pour pratiquer à Rome notre politique à la fois libérale et anti-révolutionnaire, M. Rossi était l'ambassadeur le plus capable, le plus sûr et le plus efficace. J'en avais entretenu plusieurs fois le Roi, qui n'avait pas tardé à partager mon avis. Quelques bruits coururent qu'en effet le ministre par intérim de France à Rome serait bientôt nommé ambassadeur permanent. Le 18 mars 1846, M. Rossi m'écrivit: «Ma situation provisoire ici est désormais décidément fausse. Il n'y a pas un de nos amis qui ne le sente, et tous ont fini par me le dire. Il y a un mois, la nouvelle s'étant répandue ici, je ne sais comment, de l'arrivée de mes nouvelles lettres de créance, cardinaux, prélats, noblesse, tout le monde m'accablait de compliments que je ne pouvais accepter. L'homme du pape est venu quatre fois me demander si je les avais reçues. Aujourd'hui on s'étonne, et chacun veut expliquer le fait à sa guise. Mais tandis que les amis sont embarrassés, les malveillants ont beau jeu. On va jusqu'à supposer l'intention de me refuser toute marque visible d'approbation pour ce que j'ai fait. Tout cela est absurde, mais n'est pas moins répété et colporté. D'où vient ma force? Des bontés du Roi pour moi et de votre amitié. Le jour où cela serait révoqué en doute, je suis impuissant.
«Le pape a dit hautement plus d'une fois qu'il serait content de me voir ici ambassadeur. Les cardinaux les plus intimes ont été les premiers à me féliciter de la fausse nouvelle. Le cardinal Franzoni, l'ami intime de Lambruschini, dit à qui veut l'entendre qu'ils ne peuvent rien désirer de mieux. Enfin, si je suis bien renseigné, il vous serait facile de vous assurer, à Paris même, de leurs sentiments à mon endroit, si toutefois le nonce Fornari ose remplir son mandat et répondre.
«Vous l'avez dit, mon cher ami; si je dois rester à Rome, j'ai besoin d'y être enraciné et grandi. Que serait-ce si le pape nous était enlevé prochainement sans que nous eussions consolidé et agrandi notre position? Tenez pour certain qu'un grand effort se prépare pour faire un pape contre nous. Nous pouvons l'emporter; mais il faut, pour cela, qu'on puisse parler, s'ouvrir, avoir confiance; toutes choses impossibles avec un homme qui est un oiseau sur la branche et dans une position secondaire.»
Je lui répondis sur-le-champ[120]: «Votre nomination comme ambassadeur est à peu près convenue, et se fera bientôt après Pâques. Voici deux choses seulement qui préoccupent, l'une le Roi et moi, l'autre le Roi sans moi. Répondez-moi sans retard sur l'une et sur l'autre.
[Note 120: Le 7 avril 1846.]
«Il a toujours été regardé comme impossible pour la France, la première puissance catholique, d'avoir à Rome un ambassadeur dont la femme fût protestante. Cette seule considération a fait écarter plusieurs fois tel ou tel candidat, par exemple le duc de Montebello. Nous en avons parlé pour vous-même, vous vous le rappelez, quand vous avez été nommé ministre et il a été convenu que vous iriez seul à Rome. Le Roi compte que vous resterez dans la même situation. C'est aussi l'avis du duc de Broglie. Les congés, les petits voyages diminueront ce qu'il peut y avoir de pénible dans cet arrangement. Mais dites-moi que vous êtes toujours, à cet égard, dans la même persuasion et la même intention.
«Le Roi pense, en outre, qu'il devrait vous donner le titre de comte, que cela vous serait utile à Rome et qu'il vaut mieux y être appelé signor conte que signor commendatore. Je n'ai, sur ceci, quant à moi, aucune opinion. Dites-moi la vôtre. Je parlerai dans le sens que vous m'indiquerez.
«Post-scriptum. Quatre heures et demie. Le roi a vu hier soir le nonce qui lui a dit, à votre sujet, des choses qu'il faut que j'éclaircisse. Je vais le faire venir. Rien qu'officieusement. Ne parlez à personne de ce qui vous touche. Il m'est impossible, faute de temps, d'entrer aujourd'hui dans aucun détail. Je vous écrirai dès que j'aurai causé avec le nonce.»
Le courrier du 20 avril apporta à M. Rossi les informations qu'il attendait: «Je reviens, lui écrivis-je, où je vous ai laissé le 7 avril. La veille donc, le Roi avait vu le nonce, et lui avait parlé de vous, de son désir de vous nommer bientôt ambassadeur, et de son espoir que le pape vous verrait avec plaisir auprès de lui, sous ce titre et en permanence. Le nonce dit qu'on y avait pensé à Rome, et qu'il ne pouvait se dispenser d'élever, à ce sujet, des objections, qu'il en avait reçu ordre du cardinal Lambruschini, qu'il avait même une lettre où ces objections étaient développées, et il offrit de la montrer au Roi. Le Roi refusa et le renvoya à moi quant à la lettre, l'engageant du reste à n'en faire aucun usage officiel, témoignant sa surprise, son déplaisir, et parlant de vous comme il convient. Le nonce aussi en parla très-bien, mais revint sur votre passé politique, sur votre qualité de réfugié, etc. Le Roi, dans la conversation, dit que madame Rossi n'irait point à Rome. Ceci parut frapper le nonce qui se le fit répéter.
«Vous n'avez pas besoin que je vous redise ce que j'ai dit au Roi quand il m'a raconté son entretien; tout aboutissait à ceci: «C'est une intrigue politique et jésuitique qu'il faut déjouer.» Le Roi en est d'accord. Le conseil en est d'accord. Ils sont tous convaincus que personne ne peut faire nos affaires à Rome aussi bien que vous. Mais imposer brusquement et par force un ambassadeur au pape, le Roi s'arrête devant cet acte; il demande du temps, et que nous ici, et vous à Rome, nous fassions ce qu'il faut pour arriver au but.
«J'ai fait venir le nonce. J'ai témoigné vivement ma surprise. Ni le pape, ni son ministre, ai-je dit, ne veulent à coup sûr, être complices, par connivence ou par faiblesse, d'une intrigue des ennemis du gouvernement du Roi. C'est pourtant ce qui serait, ce qui paraîtrait du moins. J'ai étalé tout ce qu'auraient de grave pour Rome, en France, une telle situation et une telle opinion. J'ai rappelé l'état général des questions catholiques chez nous, toutes celles que, tout à l'heure, nous aurions à résoudre, les Chambres, l'Université, la liberté d'enseignement, etc. Faites vous-mêmes ma conversation. Le nonce est tombé d'accord; il a protesté contre mes suppositions, mes prédictions, et a tiré de sa poche la lettre du cardinal. J'ai consenti à la lire inofficiellement; il est convenu entre nous qu'il ne me l'a pas montrée. Elle est du 14 février dernier. Ordre, en effet, d'objecter à votre nomination comme ambassadeur. Des allusions à vos antécédents de réfugié. Rien d'exprès à cet égard. Madame Rossi protestante, là est l'objection fondamentale, avouée. Il y a à Rome, pour les ambassadrices, des droits, des traditions, des habitudes que Rome veut maintenir, et qui sont impossibles avec une protestante. En 1826, la cour d'Autriche voulut nommer ambassadeur à Rome le comte de Lebzeltern qui avait épousé une schismatique grecque, une princesse Troubetzkoï. La cour de Rome déclara qu'elle ne le recevrait pas, que c'était impossible. On y renonça à Vienne. Rome ne pourrait agir autrement aujourd'hui. Là est toute la lettre. Les autres objections ne sont qu'indiquées et de loin. C'est dans celle-ci qu'on se retranche.
«J'ai maintenu mon dire. J'ai répété que madame Rossi n'avait point l'intention d'aller à Rome. Le nonce n'a ni accepté, ni refusé cette porte. Il a enchéri sur tout ce que j'ai dit des témoignages d'estime, de bienveillance, de confiance que vous donnaient Sa Sainteté et son secrétaire d'État, répétant que tout leur désir était de vous garder comme ministre. J'ai dit en finissant que la mission spéciale dont vous aviez été chargé par le Roi n'était point terminée, qu'il s'en fallait bien que tout ce qu'on avait promis fût accompli, que cet accomplissement était indispensable, etc. Nous nous sommes séparés, le nonce inquiet et troublé, moi froid et silencieux.
«J'ai repris la conversation avec le Roi. J'ai causé à fond avec le duc de Broglie. Nous sommes du même avis. Il faut prendre du temps pour déjouer l'intrigue et gagner notre bataille. Soyez tranquille sur le résultat définitif; ou vous resterez à Rome comme il vous convient d'y rester, ou vous reviendrez ici avec éclat pour prendre place dans le cabinet. Le Roi est on ne peut mieux pour vous, croyant avoir besoin de vous et décidé à vous soutenir dans son propre intérêt. Mais comment, dit-il, traiter le pape plus mal que les autres cours à qui l'on n'impose point un ambassadeur? Aidez-moi donc, mon cher ami, comme je vous aiderai; faites-leur comprendre à Rome que vous êtes, pour eux, l'ambassadeur le plus souhaitable, le plus utile, le plus efficace, et que, s'ils avaient de l'esprit, ils vous demanderaient. Je vous répète que nous arriverons, pour vous, à l'un ou à l'autre des résultats qui sont dignes de vous.»
Ni l'action de M. Rossi à Rome, ni sa réponse à Paris ne se firent longtemps attendre; il m'écrivit le 5 mai 1846: «Je ne vous dirai pas, mon cher ami, que nous avons gagné une autre bataille; le mot serait ambitieux et fort au-dessus de la valeur du fait qui n'est, au fond, qu'une faiblesse, une misère monacale. On ne les en corrigera jamais; mais il importe à notre crédit de leur faire sentir sur-le-champ le ridicule et l'impuissance de ces pauvretés.
«Voici ce que j'ai fait. Comme il s'agissait de ma personne, j'ai prié l'abbé d'Isoard, dont vous connaissez le bon esprit et le zèle, de voir le cardinal Lambruschini, et au besoin le pape. C'était, de ma part, une réserve et une malice. Averti, bien que sans y croire, je l'avoue, de la lettre du cardinal au nonce, j'en avais, dans le temps, dit un mot à Isoard, qui avait trouvé l'occasion d'en parler à Lambruschini; et celui-ci, tout en lui disant que la présence d'une ambassadrice protestante à Rome était une difficulté, lui avait cependant affirmé qu'il n'en avait point écrit au nonce: «Vous avez bien fait, avait répliqué Isoard, car je sais que madame Rossi ne songe pas à s'établir à Rome, et qu'ainsi l'objection tombe.»
«Je priai donc l'abbé d'Isoard de leur dire qu'il m'avait trouvé fort surpris et plus que surpris des objections du nonce; que, s'ils s'étaient mis dans l'esprit de me garder à Rome comme simple ministre, et de donner ainsi gain de cause à ceux qui affectaient de ne plus regarder la mission de France que comme une légation, ils avaient fait un rêve que mon gouvernement ni moi ne partagions pas le moins du monde. Le cardinal a été fort embarrassé; mais comme, fidèle à vos instructions, je n'avais pas dit que vous aviez lu sa lettre, il a pu tout à son aise tomber sur le nonce; il a dit que Fornari allait toujours trop loin, qu'il n'y avait absolument rien qui me fût personnel, qu'ainsi qu'on me l'avait fait sentir mille fois, on était enchanté de m'avoir et de me garder, que la seule difficulté était la présence à Rome d'une ambassadrice protestante; que, si le nonce avait dit autre chose, cela lui avait sans doute été suggéré par ses amis de Paris. Enfin, more solito, il a mis la chose sur le compte du pape.
«L'abbé d'Isoard a été le jour même chez le pape. Le pape lui a dit qu'il était fâché d'apprendre que cela m'avait fait de la peine, que ce n'était certes pas son intention, que tout le monde savait tout ce qu'il avait pour moi d'estime et d'affection, et combien il aimait à traiter d'affaires avec moi: «Je puis, a-t-il dit, m'expliquer avec lui directement, et je me suis toujours plu à reconnaître hautement sa prudence, sa modération et sa loyauté. Mais que voulez-vous? On m'a dit que je ne pouvais pas ne pas faire l'observation d'une ambassadrice protestante; je l'ai faite, voilà tout; mon rôle est fini. Je n'ai pas dit que je ne recevrais pas M. Rossi comme ambassadeur, bien que mari d'une protestante. Je le recevrai, et je le recevrai avec la même bienveillance.—Votre Sainteté m'autorise à le lui dire?—Sans doute.»
«M. Rossi, a repris l'abbé d'Isoard, sera touché de la bonté de Votre Sainteté; mais, comme il s'agit de sa personne, il ne voudrait pas… il ne pourrait pas…—Je comprends, a dit le pape; vous avez raison; mais que pourrait-on faire? Je ne puis pas me donner un démenti à moi-même.—Cela n'est nullement nécessaire; il suffirait d'une lettre explicative au nonce, disant ce que Votre Sainteté m'a fait l'honneur de me dire.—Eh bien, parlez-en au cardinal, et dites-lui de me porter un projet de lettre à l'audience de demain. Je désire faire tout ce qui sera décemment possible. Dites-le à M. Rossi.
«Bref, la lettre à été signée hier, et on a assuré qu'elle était partie.
On l'a lue à M. d'Isoard; elle porte:
«Que lors de ma nomination comme ministre, certains journaux avaient répandu beaucoup de bruits sur mon compte;
«Que néanmoins j'avais été reçu à Rome avec tous les égards dus à un représentant du roi;
«Qu'ensuite j'avais, dans toutes les circonstances, été accueilli par le saint-père avec toute la bienveillance (amorevolezza) que j'avais su mériter par la manière dont j'avais rempli ma mission et traité les affaires;
«Qu'ayant appris que j'allais être nommé ambassadeur, on n'avait pas pu ne pas faire connaître qu'il ne serait pas agréable d'avoir à Rome une ambassadrice protestante, à laquelle on ne pourrait pas témoigner tous les égards que l'usage avait consacrés;
«Mais que néanmoins, si j'étais nommé, je recevrais du Saint-Père l'accueil que Sa Sainteté fera toujours au représentant d'un Roi pour lequel elle professe la plus vive affection, etc., etc.
«La lettre porte donc uniquement sur la présence de l'ambassadrice. Elle est faite pour se faire dire:—Comme il n'y aura pas d'ambassadrice, il n'y a pas d'objection.
«Vous le voyez, tout se réduit à une vétille. Ils le savent, et, comme ils me l'ont fait dire ce matin encore, ils ne doutent pas que la réponse ne soit ma nomination.»
On ne pouvait déjouer plus galamment une plus timide manoeuvre. Si timide qu'on put se demander si ce n'était pas une complaisance vaine pour les adversaires de M. Rossi plutôt qu'une tentative sérieuse d'entraver sa nomination comme ambassadeur. Quoi qu'il en fût, ma réponse fut immédiate. J'écrivis le 17 mai à M. Rossi: «Votre nomination comme ambassadeur est signée. On va préparer vos lettres de créance. Vous les recevrez par le prochain paquebot. J'ai vu le nonce; il venait de recevoir la lettre que vous m'aviez annoncée, et il m'a déclaré qu'il n'avait plus d'objection ni d'observation à faire, plus rien à dire.» Le courrier du 27 mai porta en effet à M. Rossi ses lettres de créance: «Vous voilà définitivement établi, lui dis-je, dans la situation et au milieu des affaires que je vous désire depuis longtemps. Il y a là d'immenses services à rendre à ce pays-ci, à ce gouvernement-ci, et à la bonne politique de l'Europe. Vous les rendrez. Personne n'y est plus propre que vous. Quand notre session sera finie, nos élections faites, et moi en repos pour quelques semaines au Val-Richer, je vous écrirai de là avec détail ce que je pense de l'attitude et de la conduite qui conviennent à la France catholique moderne, en Europe et en Orient.»
M. Rossi n'avait pas encore reçu cette lettre quand il m'écrivit le 1er juin 1846: «Le saint-siége est vacant; Rome est dans la stupeur; on ne s'attendait pas à une fin si prompte. Toute conjecture sur le conclave serait aujourd'hui prématurée. Il ne s'offre aucune candidature fortement indiquée, aucun de ces noms que tout le monde a sur les lèvres. Si vous demandez quels seront les cardinaux papeggianti, chacun vous en nommera sept ou huit, la plupart des hommes peu connus et absents de Rome. Chacun sait ce qu'il ne veut pas, non ce qu'il veut.»
Ce n'était plus des jésuites, ni de la liberté d'enseignement qu'il s'agissait. En obtenant, sur ce point, tout ce qui nous importait, nous avions donné un exemple de l'influence qu'on pouvait exercer sur le Saint-Siége, même contre ses propres penchants, quand on lui inspirait la ferme confiance qu'on respectait et qu'on respecterait scrupuleusement, en toute occasion, ses droits et sa situation dans le monde. Nous étions à la veille de problèmes et de périls bien autrement graves. C'était le monde catholique tout entier, État et Église, qui allait tomber en fermentation et en question. Je pressentais l'immensité et les ténèbres de cet avenir. Quels qu'en fussent les événements, nous étions bien résolus à nous y conduire selon la politique libérale et anti-révolutionnaire dont nous avions fait partout notre drapeau, et je me félicitais d'avoir établi à Rome un ambassadeur capable de la soutenir habilement et dignement. J'étais loin de prévoir quel sort et quelle gloire l'y attendaient.
FIN DU SEPTIÈME VOLUME.
PIÈCES HISTORIQUES
I
1º Instructions données à l'amiral Dupetit-Thouars par M. l'amiral Duperré, ministre de la marine et des colonies.
Paris, 15 octobre 1841.
«Monsieur le contre-amiral,
«Parmi les services importants que vous êtes appelé à rendre dans l'exercice du commandement que le Roi vous confie dans les mers du Sud, et pour lequel des instructions générales vous ont été remises sous la date du 17 septembre, il en est un spécial pour lequel Sa Majesté attend de vous sagesse, prudence et fermeté.
«Notre commerce, et surtout nos pêcheurs de baleine, ont besoin d'un point de relâche et d'appui dans le grand Océan.
«L'archipel des îles Marquises, dont la principale, Nouka-Hiva, est située par les 9° de latitude méridionale et 142° 30' de longitude occidentale (méridien de Paris), se trouve éloigné d'environ 1,100 lieues des côtes du Pérou.
«Ces îles, dont la position a d'ailleurs été déterminée par vous-même dans un voyage d'exploration, semblent être, d'après vos propres rapports, le point le plus convenable pour atteindre le but que se propose le gouvernement du Roi, de fonder un établissement offrant abri et protection à notre pavillon dans le grand Océan.
«Les habitants de ces îles, parmi lesquels résident, depuis plusieurs années, des missionnaires français, n'opposeront sans doute aucun obstacle sérieux à notre établissement.
«Une attitude, ferme au début, doit assurer notre souveraineté; des procédés humains et généreux envers les chefs et les populations achèveront de la consolider.
«Vous jugerez, sur les lieux, des moyens d'établir cette souveraineté, soit qu'elle doive être acquise par des concessions et des présents, ou obtenue par la force.
«Dans tous les cas, notre domination devra être confirmée par des traités avec les chefs, et constatée par un acte authentique dressé par triplicata. Deux expéditions en seront adressées au ministre de la marine qui en transmettra une au ministre des affaires étrangères, et la troisième sera réservée par le commandant de la station, jusqu'à son retour en France où il en fera remise au ministre de la marine.
«Une somme de 6,000 fr. sera mise à votre disposition par M. le ministre des affaires étrangères, pour l'achat des présents.
«Vous trouverez, dans le personnel et le matériel des bâtiments de guerre réunis sous vos ordres, monsieur le contre-amiral, les moyens d'assurer le succès de l'opération à la fois délicate et importante qui vous est confiée par le gouvernement de Sa Majesté.
«La division stationnaire, aujourd'hui commandée par M. le capitaine de vaisseau Buglet, se compose d'une frégate, d'une corvette et de deux grands bricks de guerre.
«Vous allez rejoindre cette division avec une frégate de second rang et deux corvettes, l'une de premier, l'autre de deuxième rang.
«Le personnel de ces sept bâtiments sera d'environ 1,700 à 1,800 hommes.
«Pour la formation des garnisons que vous aurez à établir sur les îles, soit simultanément, soit successivement, ainsi que vous le jugerez le plus convenable, vous embarquerez, sur les bâtiments de votre division, une compagnie d'équipage de ligne, deux compagnies d'infanterie de marine et un détachement d'artillerie.
«L'effectif de ce corps expéditionnaire présentera donc environ 400 hommes. Il sera pourvu d'un petit matériel d'artillerie en pièces de campagne, obusiers de montagne et fusils de rempart.
«Vous disposerez, en outre, de toutes les ressources que vous offrira, en hommes, en artillerie et en munitions de guerre, votre division navale.
«Les deux groupes réunis des îles seront sous le commandement supérieur de l'officier du rang le plus élevé et le plus ancien de grade.
«Un capitaine de corvette ou un lieutenant de vaisseau sera appelé au commandement de chacune des deux grandes îles.
«Chacune des petites îles de chaque groupe, quand elles recevront garnison, sera commandée par l'officier ou le sous-officier, chef du poste.
«Le premier soin de chaque officier commandant sera de prendre toutes les dispositions nécessaires pour se mettre à l'abri de toute attaque, à l'intérieur ou à l'extérieur.
«A cet effet, il fera établir les ouvrages de défense qu'il jugera utiles.
«Après la prise de possession au nom du Roi et l'établissement des garnisons, vous aurez à veiller à leur sûreté, et vous assurerez leur subsistance.
«Vous pourvoirez à ce double objet par les bâtiments sous vos ordres, dont un ou deux devront stationner dans les îles, et par les ressources, en vivres, que vous trouverez à Valparaiso et sur d'autres points de la côte d'Amérique.
«Les garnisons devront d'ailleurs chercher à se créer des ressources par les cultures dont les terres seront jugées susceptibles, en élevant des bestiaux, en multipliant les espèces volatiles et en se livrant à la pêche.
«Vous donnerez à la culture et aux industries, particulièrement à celles qui s'appliqueront à créer des ressources alimentaires, tous les encouragements en votre pouvoir.
«Vous pourvoirez, jusqu'à nouvel ordre, au payement des diverses dépenses auxquelles donneront lieu l'établissement, l'entretien de vos bâtiments et la subsistance de vos équipages ainsi que des troupes, par l'émission de traites, suivant le mode prescrit par ma dépêche du 22 avril 1841, dont copie vous sera transmise.
«Vous profiterez, monsieur le contre-amiral, de toutes les occasions pour me tenir au courant de vos opérations.
«Une nouvelle voie de communication, ouverte entre Panama et la côte du Chili et du Pérou, vous offrira sans doute des moyens de correspondance plus prompts. Vous vous servirez alors du couvert de M. le consul général du Roi à Londres.
«Mais je dois vous recommander de ne vous servir de cette voie anglaise qu'autant que vous le jugerez absolument sans inconvénient et non susceptible de nuire à la réserve et à la discrétion que vous devrez garder dans cette opération, comme dans toutes celles qui se rattacheront au commandement dont vous êtes chargé.
«Enfin, l'intérêt du service du Roi exige de prévoir le cas où, par une cause quelconque, vous vous trouveriez dans l'impossibilité de continuer l'exercice de votre commandement.
«Ce cas échéant, l'officier du rang le plus élevé et le plus ancien de grade serait appelé de droit à vous remplacer. Il lui est bien recommandé, en prenant le commandement, de se conformer en tout point aux présentes instructions et aux directions que vous auriez prescrites, soit pour le commandement de la station, soit pour la conduite de toutes les affaires relatives à l'opération spéciale de la prise de possession et de la conservation des îles Marquises.
«En vous appelant au commandement de ses forces navales dans les mers du Sud, et en vous chargeant de réaliser un projet dont le succès est à ses yeux d'un si grand intérêt pour notre pavillon, le Roi vous prouve, monsieur le contre-amiral, toute sa confiance en votre caractère comme en votre habileté.
«Vous ne pouvez manquer de justifier cette confiance du Roi et d'acquérir de nouveaux titres à la bienveillance de Sa Majesté.
«Recevez, monsieur le contre-amiral, avec l'expression des voeux qui vous suivront, l'assurance de ma considération très-distinguée.
«Le ministre secrétaire d'État de la marine et des colonies,
«Signé: Amiral DUPERRÉ.»
2º Le contre-amiral Dupetit-Thouars à M. le ministre de la marine et des colonies.
Baie de Taiohae, frégate la Reine-Blanche,
le 25 juin 1842.
«Monsieur le ministre,
«J'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que la prise de possession, au nom du Roi et de la France, des deux groupes qui forment l'archipel des îles Marquises, est aujourd'hui heureusement effectuée.
«La reconnaissance de la souveraineté de S. M. Louis-Philippe Ier a été obtenue par les voies de conciliation et de persuasion, et, conformément à vos ordres, elle a été confirmée par des actes authentiques dressés en triple expédition; j'en adresse une ci-jointe à Votre Excellence. Je ferai parvenir la seconde qu'elle m'a demandée, par la frégate la Thétis.
«Je suis, etc.
«Signé: Amiral DU PETIT-THOUARS.»
II
Le contre-amiral Dupetit-Thouars au ministre de la marine. Rade de Taïti, frégate la Reine-Blanche,
le 25 septembre 1842.
Monsieur le ministre,
«A mon arrivée en ce port, le 30 août dernier, j'ai été accablé d'une masse de réclamations faites par tous les Français établis ici, y compris même les missionnaires. Tous m'adressaient des plaintes, tant contre le gouvernement local que contre le consul de France qui, selon eux, a négligé de prendre leurs intérêts ou de les défendre avec assez d'instance auprès du gouvernement de S. M. la reine Pomaré. Le consul lui-même se plaignait aussi de plusieurs Français qui, étant sans cesse en contravention avec les lois du pays en vendant des liqueurs prohibées, étaient souvent saisis en fraude par la police, et prétendaient pourtant devoir être indemnisés des pertes qu'ils éprouvaient; car, seuls, disent-ils, et par un esprit de vengeance du gouvernement taïtien contre les nôtres, ils sont victimes des vexations que leur attire ce commerce, tandis que les Anglais et les Américains le font ouvertement sans jamais en éprouver de préjudice. D'autres Français, qui se sont volontairement rendus acquéreurs de terres encore en litige, prétendent que le consul devait employer son influence pour les leur faire adjuger, droit ou non, et ils auraient voulu qu'usant de la force dont je dispose, je l'employasse pour faire prononcer, en leur faveur, une spoliation manifeste.
«Après avoir bien écouté toutes les plaintes et attendu jusqu'au 6 septembre pour m'éclairer sur tous ces faits, j'ai reconnu que les plaintes, tant d'un côté que de l'autre, n'étaient pas tout à fait sans fondement, mais que d'un côté comme de l'autre, il y avait une exagération ridicule et des prétentions exorbitantes. J'ai également reconnu:
«1º Qu'il n'était que trop vrai que le gouvernement local, oublieux du passé, ou plutôt toujours sous la même influence étrangère qu'il subit, n'était point exempt de blâme et se montrait souvent hostile dans sa conduite envers nos compatriotes;
«2º Que MM. les missionnaires, précédemment à l'arrivée de l'Aube, avaient été expulsés très-brutalement d'une vallée qu'ils avaient acquise bona fide, et que, rentrés en possession de leurs biens à la demande de M. Dubouzet, ils réclament aujourd'hui des indemnités pour des vexations dont ils ont déjà obtenu le redressement;
«3º Qu'un Français, M. Lucas, le même qui a perdu le navire l'Oriental, sous le phare de Valparaiso, acquéreur d'un bien dont il avait été injustement dépossédé comme les missionnaires, et dans lequel il est également rentré à la demande du commandant de l'Aube, veut aussi, comme les missionnaires, être indemnisé du retard qu'il a éprouvé dans son établissement, prétendant qu'aujourd'hui ses cafés auraient 18 pouces de haut;
«4º Qu'un autre Français, M. Desentis, venu de la Nouvelle-Zélande à Taïti, ayant acheté d'un Anglais une propriété dont celui-ci n'était point en jouissance, prétendait que le consul devait le faire mettre en possession, afin de donner cours à son contrat. Le fait de ce marché m'ayant paru cacher une horrible connivence pour spolier un indigène au moyen d'un abus de pouvoir, j'ai repoussé de si honteuses prétentions;
«5º Que la conduite de la police envers les Français était toujours plus brutale qu'envers les autres étrangers, et qu'elle avait profité d'une querelle élevée à l'occasion d'un combat de chiens, pour assommer quelques Français qui en étaient témoins, entre autres le capitaine d'un bâtiment baleinier en relâche dans le port, et que M. Dubouzet, ayant également obtenu justice de la reine Pomaré pour ce fait, elle avait prononcé l'exil du plus coupable de ses agents; mais qu'aussitôt que l'Aube, qui venait d'apporter des présents du Roi à la reine Pomaré, avait été sous voiles, cette sentence de la Reine avait été mise en oubli, et que le coupable, restant impuni malgré une promesse formelle, était encore libre à Taïti, lors de notre arrivée.
«Tous ces dénis de justice et ce manque continuel à toutes les bienséances envers le Roi et son gouvernement sont, à n'en pas douter, l'effet de la triste influence à laquelle la reine obéit; mais ces faits ne m'en ont pas moins paru d'une nature tellement grave et compromettante pour notre dignité nationale, et si dangereux pour nos compatriotes si je n'en demandais pas le redressement, que je me suis décidé, étant chargé de soutenir dans ces mers l'honneur de notre pavillon et de le faire respecter, à envoyer à la reine Pomaré la déclaration dont je joins ici une copie conforme, ainsi que de celles:
«1º De la proposition à laquelle cette déclaration a donné lieu de la part de la reine et des chefs principaux qui forment le gouvernement de Taïti;
«2º De l'acceptation que j'ai faite au nom du Roi et, sauf sa ratification, du protectorat des États de la reine Pomaré et de la souveraineté extérieure de ces États, qui m'ont été offerts;
«3º De ma lettre au régent pour qu'il fasse arborer le pavillon du protectorat et qu'il notifie aux consuls étrangers la détermination que venaient de prendre la reine Pomaré et les principaux chefs de Taïti;
«4º De la proclamation que j'ai publiée pour calmer les inquiétudes des indigènes, pour arrêter les déclamations des missionnaires biblistes, et donner un commencement d'exécution au protectorat, afin de l'établir;
«5º Enfin, les copies conformes de toutes les lettres qui ont rapport à ces transactions et que j'ai dû écrire, a cette occasion, tant au gouvernement de la reine Pomaré, aux consuls des États-Unis d'Amérique et de la Grande-Bretagne, qu'au gouvernement provisoire que j'ai établi.
«Votre Excellence verra, par ces diverses correspondances, que les consuls étrangers ont grandement approuvé les mesures que j'ai prises, et applaudi à l'établissement de l'ordre à Taïti. Votre Excellence reconnaîtra encore que, par la conduite pleine de circonspection que j'ai tenue dans cette mission, je me suis concilié l'assentiment des indigènes, celui des populations étrangères établies à Taïti et même celui des missionnaires anglicans.
«J'ai amené les choses au point que, s'il convient au Roi et à son gouvernement d'accepter cette très-belle et très-fertile possession, d'une défense si facile et d'un intérêt si grand dans un avenir peu éloigné, située au vent de toutes les colonies anglaises et à portée de recevoir et de donner des nouvelles à la métropole en moins de trois mois, au moyen d'une correspondance par la vapeur et par Panama, si, dis-je, la France ne veut pas laisser échapper l'occasion, unique peut-être, de faire une si belle proie, il suffira presque de dire: oui. Alors, si le gouvernement m'envoie les objets d'armement que j'ai demandés pour les Marquises, je trouverai dans ce secours le moyen de fortifier Taïti, même contre une division, fut-elle nombreuse; car la nature, en enveloppant ces îles de ceintures de coraux qui les rendent inaccessibles sans de bons pilotes, a fait presque tout ce qui était nécessaire pour leur défense.
«Le gouvernement, cependant, pensera peut-être que je suis allé un peu loin dans cette affaire, mais voici quels ont été les motifs qui m'ont déterminé.
«Dans la position où se trouvaient les relations de la France avec Taïti, il était impossible de partir sans faire des représentations ou même des menaces, tout en annonçant que j'en référerais à mon gouvernement: mais dans l'état où étaient les esprits et les choses, l'une ou l'autre de ces mesures eût été sans aucun effet, et on se serait, comme par le passé, moqué de nous; d'ailleurs cela n'obviait à rien dans l'attente où l'on était de voir arriver à Taïti une corvette anglaise qui en était partie brusquement pour la Nouvelle-Hollande, où les Anglais ont maintenant une station, en apprenant que nous avions pris possession des îles Marquises, et avait annoncé devoir revenir pour prendre Taïti; il fallait donc, et il y avait urgence, recourir à d'autres moyens plus efficaces pour conjurer ce danger.
«Peut-être encore pensera-t-on que j'aurais dû, sans refuser le protectorat qui nous était offert, en ajourner l'acceptation jusqu'à la réponse du Roi ou m'en tenir à la demande d'une garantie matérielle pour assurer l'avenir de nos relations. La solution de cette affaire eût été ainsi plus modérée, il est vrai; mais ni l'une ni l'autre de ces mesures n'apportait d'obstacle à la prise de possession de Taïti, que les Anglais auraient pu effectuer pendant qu'on en eût référé au Roi et à son gouvernement, et il me paraissait surtout essentiel d'empêcher ce résultat probable, pour laisser à Sa Majesté son libre arbitre sur la question du protectorat, et éviter le désagrément auquel on se serait trouvé exposé si le Roi acceptant, par exemple, sa réponse ne fût arrivée que lorsqu'il n'aurait plus été temps; d'un autre côté, toute minime qu'était la garantie matérielle que je demandais par ma note, il était à craindre que la reine ne pût réunir cette somme; et, ne l'obtenant pas, je me serais trouvé dans la nécessité de prendre le fort de Moutou-Outa comme garantie d'une meilleure exécution des traités; et alors aussi ma position serait devenue très-difficile dans le dénûment où nous étions de toutes choses, après l'établissement que nous venons de faire aux Marquises.
«L'occupation de Moutou-Outa, comme je l'ai dit, n'obviait à rien non plus; elle laissait toujours aux Anglais le temps d'arriver et la facilité de s'emparer de Taïti en se le faisant donner, ce qui eût été bien fâcheux, à cause du voisinage de nos établissements, et ce qu'il était très-important pour moi d'éviter, je le répète, pour assurer au Roi et à son gouvernement la faculté de se prononcer sur cette grande question qui, par la position où elle est amenée, peut être regardée comme résolue, s'il lui convient, et à la France, de posséder l'archipel de la Société; car, on ne peut disconvenir que le gouvernement de la Grande-Bretagne aurait bien mauvaise grâce de vouloir élever un conflit à l'occasion de ce protectorat, au moment même où, d'un trait de plume, il s'empare d'États aussi importants que le sont ceux de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle-Guinée, dont on m'a annoncé qu'il vient tout récemment de prendre possession.
«L'adjonction de notre pavillon à celui de la reine Pomaré était aussi une garantie indispensable pour nous assurer que rien ne sera entrepris contre Taïti avant que le Roi ait pu se prononcer. Toute autre mesure, sans celle-là, eût été illusoire et n'eût pas arrêté un amiral anglais qui, sans cet obstacle, n'aurait point hésité à s'en emparer et à nous dire après, comme à la presqu'île de Banks: Nous y étions les premiers.
«Je sais que j'ai encouru le risque d'être désapprouvé, s'il ne convient point au Roi d'accepter ce protectorat, ou plus exactement ce riche et important archipel; mais ma conscience me dit que mon devoir était de m'y exposer; je me suis seul compromis, mais je l'ai fait pour un intérêt national très-réel et dans celui de la couronne de Sa Majesté; cela en valait bien la peine.
«Si le Roi et son gouvernement acceptent le protectorat, tout sera terminé; car, à la rigueur, le gouvernement provisoire actuel permettrait d'attendre qu'une institution simple et analogue, qui serait à la fois suffisante et peu dispendieuse pour le Trésor, pût être créée pour l'exercer.
«Avec des procédés généreux envers la reine et les cinq ou six chefs principaux, nous nous les attacherons invariablement. Jusqu'à ce jour, les étrangers ne leur ont fait que du mal, et la reine comme les chefs sont devenus pauvres par les besoins nouveaux que la civilisation leur a donnés. Le peuple est bon et facile à conduire; il est toujours attaché à ses chefs, et en faisant du bien à ceux-ci, on est sûr de le gagner.
«Le protectorat et la souveraineté extérieure des îles de l'archipel de la Société équivaut, sous le rapport politique et commercial, à une prise de possession définitive et nous assure les mêmes avantages; il nous délivre de voisins incommodes et ne blesse pas, au même degré, l'orgueil et l'intérêt des tiers. Quant aux Américains, ils préfèrent nous voir l'exercer plutôt que les Anglais, et il était devenu de toute impossibilité que ce pays continuât à s'administrer par lui-même; le désordre était déjà venu à son comble; il ne lui restait qu'à opter entre les Anglais et nous.
«Si le Roi juge ne pas devoir accepter ce protectorat, il me désapprouvera nécessairement. Dans ce cas, je demande à être rappelé, car l'influence que j'ai acquise dans ces mers serait ainsi détruite et m'ôterait la possibilité d'y conduire les affaires avantageusement pour la France; mais, si au contraire, je suis assez heureux pour que le Roi approuve ma conduite, je prie Sa Majesté d'avoir aussi la bonté de me témoigner publiquement sa satisfaction, ne serait-ce qu'en me donnant l'autorisation d'ajouter à mon titre de commandement, celui d'inspecteur ou de gouverneur général des possessions françaises dans la Polynésie orientale, jusqu'à ce que le gouvernement ait régularisé le service de ces nouveaux établissements; ce sera d'ailleurs un appui moral qui me donnera le moyen d'accélérer notre colonisation, en aplanissant bien des difficultés.
«Je suis, etc.
«Signé: DUPETIT-THOUARS.»
2º Instructions de l'amiral Roussin, ministre de la marine et des colonies, à M. le capitaine Bruat, nommé gouverneur des îles Marquises.
Paris, 28 avril 1843.
Monsieur le gouverneur, vous connaissez les motifs qui ont inspiré le gouvernement du Roi lorsqu'il a fait prendre possession des îles Marquises. Procurer, dès à présent, à nos bâtiments de guerre ainsi qu'à nos navires de commerce, et principalement à nos baleiniers, un lieu de relâche et de ravitaillement dans l'Océanie; assurer pour l'avenir à la France une des meilleurs positions militaires et maritimes que présentent ces archipels, telles étaient les considérations dominantes qui avaient motivé l'occupation effectuée, d'après les ordres de mon prédécesseur, par M. le contre-amiral Dupetit-Thouars.
Vous savez par quel concours de circonstances les îles de la Société ont été placées sous le protectorat de la France, immédiatement après le débarquement de notre expédition aux Marquises. Le gouvernement du Roi a résolu d'accepter ce protectorat, à l'exécution duquel vous serez chargé de présider, en réunissant à votre titre de gouverneur des îles Marquises, celui de commissaire du Roi près de la reine de Taïti.
Cette détermination n'est pas de nature à faire sensiblement modifier les bases de l'organisation qui avait d'abord été adoptée pour notre nouvelle possession. Les îles Marquises restent destinées à devenir le chef-lieu de votre gouvernement et de nos établissements militaires. Vous serez maître toutefois d'établir à Taïti votre résidence habituelle si les circonstances, les besoins du service et les intérêts politiques et commerciaux qui forment l'ensemble de votre mission vous paraissent exiger que vous preniez ce parti. Vous disposerez de la même manière et dans le même but, pour les porter de préférence sur l'un ou l'autre point, des forces actives et des ressources matérielles qui seront réunies sous votre direction.
En vous investissant de cette double autorité, Sa Majesté vous accorde une haute et honorable marque de confiance. Vos services passés me donnent l'assurance que vous saurez la justifier, et je compte que vous serez secondé, avec tout le dévouement et l'intelligence désirables, par les officiers, par les fonctionnaires civils, par les troupes et les marins placés sous vos ordres. Chacun comprendra, comme vous, qu'il s'agit de contribuer à l'accomplissement d'une grande et belle entreprise sur les suites de laquelle le gouvernement, les chambres et le pays vont avoir les yeux incessamment fixés.
A Taïti, comme aux îles Marquises, vous exercerez l'autorité seul et sans partage. Comme commandant de la subdivision navale de l'Océanie, vous serez placé sous les ordres de M. le contre-amiral commandant la station de l'océan Pacifique. Je vous adresserai, à ce sujet, des instructions spéciales sous le timbre de la première direction.
Votre mission comporte, par sa nature même, une grande latitude d'action, une large liberté d'initiative. Vous marcherez cependant d'autant plus sûrement dans les voies qu'il faudra suivre quand vous connaîtrez les intentions du gouvernement sur les principaux résultats qu'il se propose. Je diviserai les instructions que j'ai à vous donner, à cet effet, en deux parties, l'une relative à nos possessions proprement dites, l'autre concernant les îles à l'égard desquelles nous ne devons exercer qu'un pouvoir de protection.
ILES MARQUISES.
Occupation générale des îles Marquises.
Le gouvernement ratifie les divers actes par lesquels les chefs des principales îles de cet archipel ont fait cession de leurs droits de souveraineté, et les ont soumises à l'autorité française. Cette ratification, suivant l'usage général suivi pour les traités passés avec les chefs de peuplades, n'a pas besoin d'être exprimée par l'apposition de la signature du Roi sur les actes originaux. Elle résultera de la notification que je vous charge d'en faire aux signataires et de l'exécution subséquente des clauses de ces conventions.
Depuis la prise de possession effectuée par M. le contre-amiral Dupetit-Thouars, un rapport du commandant particulier de Nouka-Hiva m'a fait connaître que des hostilités avaient éclaté à l'île Taouata (Whitaho) entre la garnison et les indigènes. J'ignore comment ces hostilités se seront terminées. Je ne puis douter toutefois que, même en l'absence de M. le contre-amiral Dupetit-Thouars, on n'ait promptement réussi à réprimer les agressions des naturels et à ramener la paix entre eux et notre poste. Quoi qu'il en soit, vous aurez, dès votre arrivée aux îles Marquises, pour lesquelles vous ferez route en premier lieu, à assurer ou à rétablir notre domination à Taouata, comme sur les autres points de l'archipel où elle pourrait avoir été troublée, méconnue ou interrompue.
Après les îles Nouka-Hiva et Taouata, les seules qui aient été d'abord occupées, la plus importante est celle d'Ohivava, et il est même possible qu'après une exploration plus complète que celle à laquelle elle a été soumise, on reconnaisse que cette dernière île offre plus d'avantages que la seconde. Dans tous les cas, Ohivava doit être effectivement occupée par un détachement, en attendant que vous fassiez étudier cette localité à l'effet de juger quelle espèce d'établissement elle est susceptible de recevoir.
Si vous pouvez, en outre, sans trop disséminer vos forces, placer un poste sur l'île d'Houa-Poeu (Rao-Poua), vous le ferez avec d'autant plus d'utilité que cette île paraît être une de celles dans lesquelles l'influence des missionnaires semble avoir jusqu'à ce jour obtenu le plus de succès. Au surplus, toutes les îles habitées par les naturels, sur lesquelles vous ne mettrez pas de garnison, devront cependant avoir un pavillon aux couleurs de la France, et ce pavillon sera confié à la garde des indigènes qui sauront que vous serez toujours prêt à punir les tribus qui ne le respecteraient pas.
Ports à ouvrir, dans les Iles Marquises, aux bâtiments de guerre et aux navires de commerce.
Une des premières mesures que vous aurez à prendre en arrivant sera de faire connaître, par un arrêté, les ports des Marquises qui seront ouverts aux bâtiments de guerre des autres nations, et aux navires de commerce français et étrangers; ports à l'exception desquels l'accès des côtes devra être défendu et interdit au besoin par la force. Ces ports seront placés sous un régime de franchise absolue, sans distinction de pavillon; l'entrée et la sortie de toutes les marchandises y seront libres et exemptes de tous droits. Vous vous réserverez, toutefois, de prendre, au besoin, des dispositions exceptionnelles pour assurer de préférence à nos nationaux l'usage des aiguades, celui des mouillages et les achats de provisions. Des priviléges et des redevances existent à cet égard au profit des chefs indigènes. Il ne pourrait être question, sans manquer aux conventions faites avec eux, de supprimer purement et simplement les règles établies à cet égard. Mais comme il importe que l'autorité française demeure entièrement libre de faire, sur ce point, tous les règlements, il conviendra de racheter des intéressés les redevances en question, ce qui pourra être obtenu, sans doute, au moyen d'arrangements peu dispendieux. Vous aurez, en outre, à prohiber le débarquement des armes et munitions de guerre, en prononçant à l'égard des contrevenants, en vertu des pouvoirs qui vous seront attribués, les pénalités qui seront nécessaires pour prévenir tout trafic de ce genre, qui ne peut tendre qu'à fournir aux populations indigènes des moyens de se détruire entre elles, et de se mettre en lutte contre la domination française. Le commerce des spiritueux devra être aussi l'objet de mesures exceptionnelles, propres à empêcher parmi les indigènes l'abus des liqueurs fortes, source de désordre et de dégradation, et cause active de mortalité.
Je ne vous désigne pas les points des îles Marquises qui pourront être choisis comme ports de guerre ou de commerce. Une étude attentive des localités pourra seule permettre de faire utilement cette désignation. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d'autres, des notions importantes auront sans doute été recueillies depuis l'occupation jusqu'à l'époque de votre installation. Je me borne à vous faire remarquer que, dans les premiers temps surtout, il conviendrait de concentrer les lieux de mouillage, de relâche et d'échanges sur un très-petit nombre de points. La surveillance à exercer sera partout confiée à l'autorité militaire. Les opérations des navires n'entraîneront pas, pour l'administration, d'écritures compliquées. Vous aurez seulement à faire tenir, et à m'envoyer tous les trois mois, des relevés sommaires qui feront connaître les noms et le tonnage des navires, la force de leurs équipages, leurs ports d'armement, la nature ainsi que l'importance présumées de leurs chargement et de leurs opérations, et enfin, autant que possible, la nature et la valeur des marchandises, vivres, etc.; débarqués et embarqués par eux aux Marquises.
Rapports à établir avec divers pays.
Parmi les pays que la navigation a déjà mis ou peut mettre en communication directe avec les îles Marquises, les uns sont, dès à présent, des centres importants d'activité commerciale, les autres commencent seulement à attirer l'attention sous ce rapport; d'autres enfin sont restés étrangers à tout mouvement d'échange, et en quelque sorte à tout germe de civilisation.
Les premiers sont: à l'est des Marquises, les divers États de l'Amérique occidentale, principalement le Chili, le Pérou et le Mexique; au sud-ouest, les établissements anglais de Sidney et de Van-Diemen; au nord-ouest, les archipels de la Sonde et des Philippines, et le continent asiatique. Vous ne manquerez aucune occasion de vous mettre en relation, soit avec les autorités de ces pays, soit avec les agents consulaires que nous y entretenons, soit enfin avec les représentants des puissances européennes. Vous leur ferez connaître tout d'abord la franchise des ports français dans l'Océanie, et vous leur signalerez successivement les avantages qui vous paraîtront pouvoir déterminer le commerce à y diriger des expéditions.
Quant aux autres localités, vous étudierez les nouvelles combinaisons que vous semblera pouvoir faire naître, dans les opérations du commerce, un fait aussi considérable que la formation d'un grand établissement dans des mers où jusqu'à ce jour, depuis la Nouvelle-Hollande jusqu'à la côte nord-ouest d'Amérique, depuis le Chili jusqu'à la Chine, il n'a existé aucun centre de protection et d'influence européennes. Vous vous appliquerez à rechercher quelles relations pourraient se former, dans les îles Marquises et de Taïti; aux îles Sandwich où l'influence du gouvernement des États-Unis tend à s'établir d'une manière presque exclusive; à la Nouvelle-Zélande, où nous n'avons pu fonder qu'un établissement tardif et précaire, et où il ne sera peut-être pas possible de prévenir la prééminence prochaine et générale de l'occupation anglaise. Enfin sur des points plus rapprochés et notamment dans les archipels situés à l'ouest de celui de la Société, vous ferez apparaître, le plus souvent qu'il vous sera possible, le pavillon français, en vous concertant à cet effet avec M. le commandant de la station de l'océan Pacifique: ce dernier objet se rattache d'ailleurs plus particulièrement au protectorat de Taïti, et je vais avoir l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Admission des consuls étrangers aux îles Marquises.
Je ne vois que de l'avantage à permettre aux gouvernements étrangers d'acréditer près de vous, aux îles Marquises, des agents consulaires qui seront chargés de surveiller et de servir les intérêts commerciaux de leurs sujets respectifs. Mais vous devez tenir strictement la main à ce que, sous aucun prétexte, ils ne s'immiscent dans les affaires intérieures de la colonie. Jusqu'à nouvel ordre, ce sera par vous que l'exequatur devra être donné ou retiré à ces agents.
Immigrations aux îles Marquises.
Par un avis inséré au Moniteur du 23 février, j'ai fait connaître que mon département ne se proposait pas, quant à présent, de favoriser le passage d'émigrants de France aux Marquises. Toutes dispositions en ce sens seraient au moins prématurées, et le gouvernement attendra, pour prendre un parti à ce sujet, que vos rapports aient fait suffisamment connaître l'intérêt qu'il pourrait y avoir à attirer spécialement dans ces îles une population européenne autre que celle qui sera attachée aux divers services publics, ainsi que les moyens d'existence que des immigrants français pourraient se procurer sur les lieux. Il n'est pas probable qu'il vous en arrive par la voie du commerce. Le cas échéant, vous ne perdrez pas de vue que vous avez dans vos pouvoirs le droit de refuser le débarquement, ou de le subordonner à toutes les garanties nécessaires pour le bon ordre et pour la sûreté de nos possessions. La même observation s'applique aux immigrations qui pourraient avoir lieu, soit de la côte ouest d'Amérique, soit de tout autre point du globe. L'intérêt de l'établissement sera la seule règle à consulter à l'égard de l'admission ou du renvoi des individus qui se présenteront pour y fixer leur résidence.
L'achat des terres par les étrangers a été provisoirement défendu aux îles Marquises par M. le contre-amiral Dupetit-Thouars. Vous aurez à examiner s'il ne convient pas de maintenir provisoirement cette défense.
Il pourra être utile que vous preniez l'initiative d'une introduction de cultivateurs de la Chine ou de l'archipel d'Asie. J'aurai à vous écrire spécialement à ce sujet; et, à cette occasion, je vous entretiendrai plus particulièrement des questions qui se rattachent à l'emploi, dans les îles de l'Océanie, de travailleurs étrangers appartenant à des races propres à supporter la fatigue sous le climat des tropiques.
Politique à suivre à l'égard des naturels.
J'aurai des instructions spéciales à vous donner au sujet de l'exercice du culte et de l'administration de la justice aux îles Marquises. Je me borne à vous dire ici que les dispositions que j'ai prises sous ce double rapport ont été combinées dans la vue de faire concourir l'action religieuse et l'action judiciaire à la moralisation et à la civilisation des indigènes, ainsi qu'à la consolidation de notre influence parmi ces populations. Toute votre conduite, ainsi que celle des fonctionnaires et des autorités militaires, devra tendre à leur faire aimer la domination française, à leur en faire apprécier le caractère tutélaire et pacifique. A une administration toujours juste et paternelle, vous joindrez une intervention à la fois active et prudente dans les guerres et les dissensions qui agitent les tribus; une protection vigilante contre tout abus, contre toute injustice de la part des Européens, et de grands égards pour toutes les coutumes civiles et religieuses de ces peuples, afin que l'empire de la persuasion, l'exemple et le contact de notre civilisation accomplissent seuls la révolution morale et intellectuelle à laquelle on peut espérer de les conduire.
ILES DE LA SOCIÉTÉ.
Protectorat.
L'acte par lequel les îles de la Société ont été placées sous le protectorat de la France a stipulé:
«1º Le maintien de la souveraineté de la reine et de l'autorité des principaux chefs: toutes les lois et tous les règlements doivent continuer à émaner de la reine et être signés par elle;
«2º Le droit de propriété des indigènes sur les terres, et celui de faire juger exclusivement par les tribunaux du pays les contestations relatives à ce droit de possession;
«3º La liberté générale des cultes, et l'indépendance des ministres de toutes les religions.
«A ces conditions, la reine et les chefs ont demandé la protection du gouvernement français et lui ont abandonné la direction de toutes les affaires avec les gouvernements étrangers, les règlements de port, etc., etc., en le chargeant, en outre, de prendre telle autre mesure qu'il pourrait juger utile pour la conservation de la bonne harmonie et de la paix.»
Le gouvernement du Roi, en accordant la protection qui lui est demandée, accepte ces stipulations comme base de son intervention. C'est ce que vous aurez à faire connaître à la reine et aux chefs en leur déclarant que Sa Majesté compte sur leur fidélité à leurs engagements, comme ils peuvent désormais se confier au loyal et tutélaire appui de la France.
Le droit international offre plusieurs exemples d'une situation analogue à celle où les îles de la Société se trouvent maintenant placées à l'égard de la France. Le lien qui nous les rattache peut être comparé particulièrement à celui par lequel les îles Ioniennes ont été mises dans la dépendance du gouvernement de la Grande-Bretagne. D'après leur charte constitutionnelle du 26 août 1817, le pouvoir exécutif réside dans un lord haut-commissaire, nommé par le gouvernement anglais, lequel exerce ce pouvoir avec le concours d'un sénat électif dont les membres doivent être agréés par lui. Ce sénat fait les règlements administratifs, et nomme, sauf l'approbation du lord haut-commissaire, à tous les emplois administratifs et judiciaires. Les lois votées par l'assemblée élective sur la proposition du sénat sont soumises à la sanction du lord haut-commissaire.
Si l'on compare à cette organisation celle que M. le contre-amiral Dupetit-Thouars a provisoirement adoptée, afin de mettre sans retard le protectorat en vigueur, on voit que cet officier général s'est attaché à procéder d'après des principes analogues, autant que le lui permettaient les circonstances locales, l'état politique des populations qui invoquaient notre appui et l'urgence de la situation. Il faut donc considérer seulement, comme une première ébauche, les institutions qu'il a établies; des modifications devront probablement y être introduites. Vous y réfléchirez attentivement, et vous ne ferez rien d'ailleurs que de concert avec la reine Pomaré, et d'après les principes que j'ai rappelés plus haut.
Conseil de gouvernement.
Quelle que soit, au surplus, la combinaison à laquelle vous vous arrêtiez, il y a, dans l'organisation du conseil de gouvernement, une première réforme à introduire. M. le commandant de la station en a conféré alternativement la présidence au commissaire civil qu'il a institué près le gouvernement de la reine, et au gouverneur militaire, suivant la nature des questions dont le conseil doit s'occuper. Les motifs qu'il a pu avoir pour effectuer ce partage d'autorité ne sauraient être de nature à le faire maintenir. Il n'y aura près de la reine Pomaré d'autre représentant du gouvernement français que vous-même. C'est comme commissaire du Roi que vous agirez. Il convient, sans contredit, qu'un fonctionnaire civil, à poste fixe, fasse partie du conseil; mais il ne doit y siéger, comme les autres, qu'à titre consultatif. En votre absence, la présidence du conseil de gouvernement et l'exercice de l'autorité appartiennent exclusivement à l'officier que vous aurez délégué à cet effet, et près duquel le conseil ne doit également exercer qu'une action consultative.
Les fonctions civiles dont je viens de parler devront rester confiées à M. Moërenhout. Cet ancien consul a été, de la part de beaucoup de résidents et de nos missionnaires eux-mêmes, l'objet de plaintes et d'accusations qui étaient de nature à altérer beaucoup la confiance du gouvernement dans l'utilité de ses services. Mais, en définitive, M. le contre-amiral Dupetit-Thouars n'a pas pensé que les principaux torts fussent de son côté. J'approuve donc le parti qu'il a pris de substituer à son titre de consul, devenu incompatible avec notre protectorat, celui d'agent du gouvernement français, dans lequel vous lui annoncerez qu'il est confirmé. Cet emploi réunira dans ses attributions les affaires politiques et commerciales, dont la direction supérieure appartiendra au commissaire du Roi, et en son absence à l'officier qui le remplacera et qui présidera le conseil. M. Moërenhout aura donc toujours, dans l'exercice de ses fonctions, à prendre ou vos ordres ou ceux de votre délégué militaire; mais, dans le second cas, s'il y a dissidence entre M. Foucher d'Aubigny et M. Moërenhout, celui-ci, tout en se conformant provisoirement aux ordres qu'il recevra, aura droit de correspondre directement avec vous et d'en appeler à votre décision supérieure.
M. Moërenhout, devenu fonctionnaire public, doit nécessairement cesser toutes opérations commerciales et liquider immédiatement ses affaires pour se vouer à ses nouveaux devoirs avec un désintéressement égal à l'intelligence et à l'utile expérience dont il a fait preuve. J'ai décidé qu'un traitement de 8,160 francs lui serait alloué, par analogie avec ce qui est réglé pour M. le sous-commissaire chef du service administratif aux îles Marquises.
Sous le rapport militaire, le protectorat des îles Ioniennes donne au gouvernement de la Grande-Bretagne le droit d'y tenir garnison et d'y former des établissements de défense. Ce gouvernement a, de plus, le commandement supérieur de toutes les forces indigènes. Loin de s'opposer à ce que les îles de la Société soient placées, sous ce rapport, dans des conditions analogues, les termes de l'acte de protectorat et l'objet de cet acte nous en font en quelque sorte une obligation, puisque, indépendamment de la protection contre l'ennemi extérieur, il nous charge de prendre les mesures nécessaires pour la conservation de la bonne harmonie et de la paix. Je vous ai déjà dit que vous auriez la faculté de disposer, dans l'intérêt de votre mission spéciale à Taïti, de telle partie de vos forces que vous jugeriez utile d'en détacher dans ce but. Il sera, en effet, indispensable que vous fassiez établir, sur le point que vous reconnaîtrez le plus convenable pour cette destination, une batterie fortifiée, et que vous en donniez la garde à un détachement qui servira en même temps pour la police intérieure, en attendant que vous soyez amené à adopter, dans ce dernier objet, une organisation particulière appropriée aux localités.
La police des ports et des rades est une attribution qui dérive nécessairement du protectorat. Il n'est pas nécessaire d'examiner si elle pourrait aller jusqu'à nous permettre d'exclure tels pavillons ou telles marchandises, ou d'établir des tarifs différentiels ou prohibitifs au profit de notre commerce. L'intention du gouvernement du Roi n'est pas d'user, dans un but étroit de nationalité, des prérogatives et de l'ascendant que lui donnera sa suprématie à l'égard de cet archipel. Il faut, au contraire, chercher, tout en régularisant les opérations commerciales et en les concentrant, autant que possible, sous notre surveillance, à leur procurer, sans distinction d'origine, toutes les franchises favorables au développement de la navigation. On peut considérer, sous ce rapport, comme des obstacles fâcheux, les taxes et redevances établies en ce moment à Taïti au profit de la reine. C'est ce que vous aurez à lui représenter en vous attachant à lui faire comprendre tous les avantages qu'il y aurait, pour la prospérité de ces îles, à attirer, par toutes les facilités possibles, un grand nombre de navires à Papeïti. J'espère que vous parviendrez à vous concerter avec elle pour effectuer la suppression des droits en question.
Le port de Papeïti paraît être le seul que fréquentent les navires: il est à désirer, au moins pour les premiers temps, que tous les autres soient fermés à la navigation. Tout ce que j'ai dit à ce sujet, en ce qui concerne les îles Marquises, se trouve donc naturellement applicable aux îles de la Société. L'inclination des naturels pour la navigation n'est pas douteuse. Un de vos soins les plus constants devra être de développer et d'encourager ce penchant qui peut concourir puissamment à la civilisation de ce peuple, et créer d'utiles éléments de commerce. Vous ferez acheter deux petits bâtiments qui feront partie de la marine locale, exclusivement placée sous vos ordres, et vous composerez en partie leurs équipages d'indigènes que vous ferez passer, après le temps d'apprentissage nécessaire, sur les bâtiments de commerce, et notamment sur ceux qui établiront avec les archipels une navigation de cabotage.
Les rapports politiques du commissaire et du conseil de gouvernement avec les consuls et les résidents étrangers me paraissent avoir été, quant à présent, convenablement déterminés par les actes de M. le contre-amiral Dupetit-Thouars. Je n'ai pas besoin d'y joindre la recommandation d'agir toujours, dans vos relations et dans vos décisions en ce qui les concerne, avec un constant esprit de conciliation et avec les égards dus aux sujets de gouvernements amis. Il importe qu'ils soient toujours les premiers à s'apercevoir que, si le protectorat de la France s'est étendu sur ces îles, c'est afin que les hommes paisibles et industrieux de toutes les nations y trouvent appui et sécurité. Vous aurez donc, à moins de motifs d'une véritable gravité, à respecter chez les étrangers déjà établis à Taïti leurs droits acquis à la résidence, et à laisser également la faculté de s'y fixer à ceux qui se présenteraient en offrant les garanties nécessaires d'industrie et de bonne conduite.
C'est principalement aux missionnaires étrangers que cette recommandation s'applique. Dans votre conduite et vos actes à leur égard, vous ne perdrez jamais de vue que le gouvernement doit rester fidèle à trois grands principes, celui de la liberté des cultes, celui de la protection due aux sujets d'une puissance amie, enfin le devoir non moins sacré de favoriser les travaux entrepris pour étendre les bienfaits du christianisme.
3º Instructions confidentielles de l'amiral Roussin, ministre de la marine et des colonies, au capitaine Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie.
Paris, le 28 avril 1843.
Monsieur le commandant, le Roi, en vous donnant le titre de gouverneur des établissements français dans l'Océanie et de commissaire près de la reine des îles de la Société, vous confie d'importantes et délicates fonctions. Plusieurs points de votre mission méritent de fixer particulièrement votre attention. Je vais vous les signaler sommairement, et vous indiquer les règles de conduite que vous devrez suivre pour chacun de ces points.
Gouvernement des Marquises.
Votre autorité, en qualité de gouverneur, s'exerce seulement dans les îles Marquises. Là, elle n'est limitée que dans vos rapports de déférence vis-à-vis du gouvernement du Roi. Aux termes des conventions passées avec M. le contre-amiral Dupetit-Thouars et les chefs indigènes de ces îles, la souveraineté de la France est reconnue sans restriction aucune. Il vous est donc loisible de prendre, tant pour l'administration intérieure de ces établissements que pour nos affaires extérieures, les arrêtés et décisions que vous croirez nécessaires. Vous n'avez, à ce sujet, qu'à vous préoccuper des besoins du service et du soin de votre propre responsabilité. Les pouvoirs qui vous seront confiés ont la plus grande étendue. Vous disposerez de forces imposantes relativement aux populations extrêmement réduites qui vous entoureront. Le régime militaire, qui prévaut dans l'organisation administrative et judiciaire que vous êtes chargé de constituer, vous donne des moyens énergiques d'action, tant sur les indigènes que sur les étrangers qui viendront habiter ces îles. Mais plus votre autorité est grande, plus il est de votre devoir d'en user avec prudence et circonspection. Je ne prévois pas de grandes difficultés dans le gouvernement des îles Marquises. Peut-être éclatera-t-il encore quelques tentatives d'insurrection comme celle du roi Iotété. Les naturels, trop faibles pour vous attaquer autrement que par des embûches, auront besoin d'être surveillés. Vous devrez donc, surtout tant que la confiance la plus entière n'aura pas remplacé, entre les Français et les insulaires, le sentiment de surprise et de défiance qui a dû résulter de notre occupation, vous devrez, dis-je, prescrire par voie de discipline et de règlements, une certaine réserve à nos soldats dans leurs rapports avec les indigènes. Il importe qu'en toute occasion, vous vous montriez plein de bienveillance et de générosité pour les chefs et les tribus qui seront animés de bons sentiments pour les Français; mais aussi que vous réprimiez avec énergie et promptitude tous les actes d'hostilité qui seraient commis contre votre autorité et la souveraineté de la France.
Les étrangers qui aborderont passagèrement dans les îles seront traités par vous de la manière la plus bienveillante. Vous savez que le gouvernement se propose de faire de nouveaux établissements des ports francs; il est donc essentiel que nous donnions à toutes les marines des motifs de les préférer, pour leurs relâches et leur ravitaillement, aux autres points de l'Océanie. Dans ce but, il sera convenable que vous entreteniez de bonnes relations avec les consuls étrangers qui sont accrédités auprès des États de la côte d'Amérique, et que vous ayez de bons procédés avec les commandants des bâtiments de guerre et les capitaines marchands des puissances amies qui aborderont dans notre établissement. Mais, si notre intérêt vous prescrit des devoirs de bienveillance, notre dignité vous impose des obligations rigoureuses. Vous aurez à réprimer sévèrement les désordres et les délits que des étrangers commettraient sur notre territoire. Jusqu'à présent, les équipages baleiniers et les aventuriers qui fréquentent ces parages ont montré qu'en face de la barbarie ils se croient libres de se livrer à toutes sortes d'excès. Il vous appartiendra, monsieur le gouverneur, de les contraindre, quelle que soit la nationalité qu'ils invoquent, à respecter les moeurs et les principes de tous les peuples civilisés.
Clergé aux îles Marquises.
Nous devons donner un grand ascendant à la religion catholique. Jusqu'à présent, les missionnaires de cette Église paraissent avoir exercé une influence presque exclusive dans l'archipel des Marquises. Il doit entrer dans nos vues de la leur conserver. Vous réunissez dans vos mains des moyens suffisants pour obtenir que l'action de ces prêtres se combine avec la pensée de votre administration. Vous savez qu'une convention a été passée avec le supérieur de la maison de Picpus, et que, par elle, le département de la marine a consenti à reconnaître, à chacun des membres de cette congrégation qui exercent leur saint ministère dans notre établissement, un traitement et des frais d'installation. Cette condition servira naturellement votre influence sur ce personnel religieux. Sans vous immiscer dans la direction spirituelle que le chef des missions de l'Océanie imprimera seul aux démarches des missionnaires, il vous sera possible, précisément en considération des dépenses que le département de la marine fait tant pour les prêtres que pour le service du culte, de vous concerter avec M. l'évêque et d'obtenir de lui le redressement des actes qui vous paraîtraient répréhensibles, et le changement des ecclésiastiques qui feraient obstacle aux vues de votre administration. Les rapports qui s'établiront à ce sujet sont d'une nature trop délicate pour que je ne compte pas que vous y mettrez toute la réserve et toute la circonspection désirables.
Protectorat des îles de la Société.
La convention passée entre M. le contre-amiral Dupetit-Thouars et la reine Pomaré doit servir de base à notre protectorat. Les pouvoirs qui nous y sont attribués sont mal définis. Vous devrez néanmoins observer, dans la forme de tous vos actes, le caractère ostensible qui est assigné à notre autorité, sans cependant compromettre, par trop de scrupule, le bien du service et nos intérêts politiques. Vous comprendrez que la limite si imparfaitement fixée à notre pouvoir ne peut être une barrière infranchissable pour votre influence. Déjà, si vous comparez le protectorat qu'exerce l'Angleterre sur les îles Ioniennes avec celui qui nous est conféré sur l'archipel de la Société, vous jugerez combien ce dernier est restreint.
Aux îles Ioniennes, le protectorat s'exerce d'après les conditions suivantes. Une assemblée élective fait les lois que lui propose un sénat également électif, mais remplissant les fonctions de pouvoir exécutif. Les personnes élues pour composer ce dernier corps sont subordonnées, dans leur élection, à l'approbation du lord haut-commissaire, qui représente le gouvernement de la Grande-Bretagne. Les votes de l'assemblée législative sont soumis à la sanction du sénat et, en dernier lieu, à l'approbation de ce commissaire, qui a de plus le droit de sanctionner toutes les nominations aux emplois administratifs et judiciaires. Le haut-commissaire possède, en outre, le commandement général des forces anglaises et celui des forces indigènes. Par cette combinaison qui fait rentrer les actes aussi bien que les personnes sous l'autorité du représentant de la Grande-Bretagne, le gouvernement anglais pèse de tout son poids sur l'administration comme sur la direction des affaires extérieures de ce pays.
A Taïti, M. le contre-amiral Dupetit-Thouars s'est cru dans la nécessité de faire, à l'indépendance des pouvoirs locaux, une part beaucoup plus large. Je n'ai pas l'intention de formuler dans ces instructions une organisation que vous deviez nécessairement appliquer. Je reconnais qu'il est impossible de le faire a priori, et que pour y procéder avec connaissance de cause, il faut se livrer à une étude dont les éléments ne se rencontrent que sur les lieux. Mais j'ai pensé que cette indication vous serait utile.
Rapports avec les consuls étrangers et les autorités étrangères.
Dans les premiers temps, votre position vis-à-vis des consuls étrangers sera entourée de difficultés. Elle exigera de votre part les plus grands ménagements. Vous considérerez comme régulièrement accrédités les consuls que vous trouverez en exercice. Il ne serait pas prudent, quant à présent, de soulever à leur égard des contestations sur la valeur des pouvoirs qu'ils tiennent du gouvernement local. Mais si d'autres puissances que celles qui en ont déjà envoient des agents à Taïti, ou si quelques changements s'effectuent dans le personnel actuel, vous ne donnerez aux nouveaux consuls votre autorisation d'exercer leurs fonctions qu'à la condition que leur titre reconnaîtra expressément le protectorat de la France. Aucune contestation sur ce point ne saurait être admise par vous, car c'est principalement dans le but de confier au roi des Français la direction des affaires extérieures de son État, que la reine Pomaré a signé la convention du 9 septembre.
Par ces premiers actes, M. Dupetit-Thouars a reconnu aux consuls le droit d'intervenir comme assesseurs dans les procédures qui intéressent leurs nationaux. Par cette concession, probablement motivée par les embarras de sa position, il a accordé plus que le droit international n'exigeait. Tous les crimes et délits commis par des étrangers doivent être soumis à la juridiction du lieu où les faits se sont accomplis. Les consuls n'ont droit d'intervenir que dans les affaires commerciales de leurs nationaux. Il sera donc essentiel que vous rappeliez les principes, et que vous obteniez de ces agents qu'ils rentrent dans leurs attributions. Mais ce retrait d'une concession déjà faite doit s'opérer avec prudence et ménagement.
Lorsque je rappelle le droit de protection qui nous est conféré, il me paraît surabondant de vous dire que c'est vous qui devez entretenir les rapports politiques avec les agents des puissances étrangères établis sur la côte d'Amérique ou dans les archipels de l'Océanie, aussi bien qu'avec les commandants des bâtiments de guerre des puissances navales. Vous surveillerez attentivement leurs démarches. Vous ferez en sorte de connaître les projets politiques et commerciaux qu'ils auront formés ou à l'exécution desquels ils seront employés, afin de tenir le gouvernement du Roi averti des événements qui pourraient avoir quelque influence sur nos établissements nouveaux ou compromettre notre prépondérance sur ces mers. Si quelque circonstance venait à exiger de vous une action extérieure pour prévenir des faits qui menaceraient notre occupation, vous auriez, avant d'agir, à consulter le commandant de la station sous les ordres duquel vous restez comme commandant de la subdivision navale de l'océan Pacifique. Si cependant ces circonstances présentaient un caractère de danger imminent, et que le commandant de la station fût, à votre connaissance, trop éloigné pour recevoir à temps vos communications, vous auriez à prendre une décision sous votre responsabilité.
Excepté dans ces cas d'urgence, toutes les fois que des difficultés surgiront entre vous et les représentants des puissances étrangères ou les commandants des stations, vous devrez prendre une altitude expectante et demander, en prétextant l'importance des questions, le temps d'en référer au gouvernement du Roi.
Conduite envers les résidents étrangers.
Quant aux résidents étrangers, vous observerez scrupuleusement toutes les règles du droit international. Si quelques-uns avaient obtenu, par privilège, la faculté de s'immiscer, soit dans l'administration locale, soit dans la magistrature, il sera nécessaire de la leur dénier, à moins qu'ils ne renoncent à se prévaloir du bénéfice de leur nationalité, et ne consentent à se placer, vis-à-vis de votre autorité, dans la classe des indigènes.
Culte; missionnaires à Taïti.
Ainsi que je vous l'exprime dans les instructions officielles, vous vous ferez un devoir de protéger tous les cultes, et vous veillerez à ce qu'ils se pratiquent en toute liberté. Votre conduite à l'égard des ministres de la religion protestante sera animée d'une parfaite bienveillance. Il ne faut pas oublier qu'ils ont déjà acquis une grande autorité sur la population de ces îles, que c'est à eux qu'elle doit les rudiments de civilisation qu'elle possède. Il serait aussi impolitique qu'injuste de chercher à rompre le lien moral qui existe entre eux. Des prêtres catholiques s'efforcent, depuis plusieurs années, d'attirer à leur foi les habitants de Taïti. Le gouvernement, qui prévoit toutes les difficultés que cette lutte entre les deux religions peut susciter, vous recommande l'impartialité la plus absolue. Vos rapports avec les ministres des deux Églises devront être empreints du respect que méritent toujours ceux qui améliorent l'homme par la double influence de la morale et de la religion. Afin que votre arrivée ne puisse être une menace contre le culte des méthodistes et un triomphe pour les prêtres catholiques, vous laisserez aux Marquises les missionnaires de Picpus qui partent avec vous. Cette même raison nous a décidés à ne point admettre de clergé rétribué à Taïti. Les prêtres catholiques que vous y trouverez seront tout à fait indépendants du gouvernement, et continueront à agir sous la seule direction de leur évêque. Ils insisteront beaucoup auprès de vous pour obtenir, en qualité de Français et de catholiques, des marques toutes particulières de votre bienveillance. Ils voudront que vous répariez, par quelque acte de protection manifeste, tous les torts que le gouvernement local a eus envers eux et pour le redressement desquels nos navires de guerre sont venus souvent réclamer. Mais il sera nécessaire que vous mesuriez votre intervention de manière à ne leur accorder que ce qui leur est dû comme Français. Votre action en leur faveur devra éviter de prendre un caractère religieux.
Cette partie de votre administration est celle qui présente le plus de difficultés. Les missionnaires méthodistes sont anglais. Vous respecterez leur culte et leur laisserez toute liberté pour le pratiquer. Mais il ne faut pas qu'à l'aide de la religion, ils s'immiscent dans l'administration et le gouvernement, et pèsent par leur influence dans vos rapports avec la reine et les chefs. La protection sans réserve que vous leur accorderez est à ce prix. Ainsi vous ne pouvez point admettre qu'ils conservent le droit de délibérer dans les assemblées des chefs, d'émettre leur avis et de provoquer des mesures administratives ou des actes politiques; leur qualité d'étrangers suffit pour que vous demandiez qu'ils soient exclus de la direction des affaires. Ils ont aussi acquis la faculté de percevoir des amendes ou des redevances pour oubli de certains devoirs religieux ou pour violation de règlements administratifs qu'ils ont eux-mêmes rendus. Vous aurez à faire cesser cette intervention en dehors de l'Église, car le gouvernement du Roi ne peut permettre que des étrangers se substituent à la reine Pomaré ou aux chefs indigènes pour exercer la police ou une autorité quelconque dans les îles mises sous notre protectorat. Je comprends que difficilement l'autorité du ministre de la religion s'arrêtera dans les limites que j'indique. La population de Taïti, naguère régie par des institutions théocratiques, sera longtemps disposée à se laisser diriger par ceux qui inspirent sa foi. Il importe donc que nous lui donnions le plus tôt possible des missionnaires qui s'associent par sentiment patriotique autant que par conviction, à nos vues et à nos efforts. A cette fin, nous provoquerons le départ de cinq à six ministres protestants français qui devront, avec l'assistance que vous leur aurez ménagée de la part des chefs et de la reine Pomaré, se substituer peu à peu aux missionnaires anglais. Ce changement ne pourra s'opérer qu'avec beaucoup de prudence. Mais c'est un but qu'il faut atteindre.
Étendue du protectorat.
Nous occupons les îles Marquises et nous avons accepté le protectorat des îles de la Société. Ce dernier fait, ainsi que les rapports du contre-amiral Dupetit-Thouars l'établissent, a été commandé par le premier. Il aurait été très-nuisible à notre politique et peut-être dangereux pour nos intérêts qu'une autre puissance navale fût venue s'emparer de Taïti. Ces actes déjà accomplis tracent une politique qu'il sera de votre devoir de suivre. Il nous importe beaucoup d'éloigner, autant que possible, les rivalités qui pourraient nous disputer la prépondérance sur la partie de la Polynésie au milieu de laquelle flotte notre drapeau. Les îles Gambier, les îles Pomotou ou Archipel dangereux forment, avec les Marquises et les îles de la Société, un triangle où notre pouvoir doit régner sans contestation. Les renseignements qui nous sont fournis par les voyageurs nous apprennent que la reine Pomaré exerce un droit de souveraineté ou de suzeraineté sur la plupart de ces îles. La cession qu'elle a faite au roi des Français de sa souveraineté extérieure étend ses effets sur celles des îles qui relèvent, à un titre quelconque, de son autorité. L'insuffisance des forces militaires de la reine a probablement permis à quelques chefs de se déclarer indépendants ou de se soustraire à son pouvoir. Il sera nécessaire que, de concert avec elle, vous les fassiez rentrer, soit par des négociations, soit par la crainte, et s'il est indispensable, par des moyens coërcitifs, dans leur ancienne obéissance. Toutes les îles qui dépendent de Taïti devront donc reconnaître le protectorat de la France. Quant à celles qui sont indépendantes et qui cependant sont comprises dans la région que j'ai indiquée plus haut, vous aurez à provoquer par de bons rapports, par des marques de bienveillance, par votre intervention officieuse et toujours conciliante dans leurs démêlés et leurs embarras intérieurs, la cession de leur souveraineté au roi des Français, ou la demande de son protectorat. Vous pourrez commencer cette opération importante par les îles Gambier. Elles sont déjà préparées à nous donner leur accession. L'arrivée d'un bâtiment de guerre avec des cadeaux pour les chefs suffira pour les déterminer. Vous savez que là les missionnaires catholiques ont obtenu un plein succès et dirigent la population. Vous devez donc concerter avec eux les mesures qui amèneront la reconnaissance de notre autorité et leur assurer la conservation des avantages qu'ils ont acquis dans ces îles.
Le principe de votre conduite à l'égard des missionnaires sera, partout où les deux Églises seront en présence, le respect de leur culte, la liberté complète pour eux de le pratiquer et d'y attirer des indigènes. Là où le clergé catholique se trouvera en possession exclusive de l'autorité spirituelle, vous devrez la lui maintenir. Enfin dans les îles qui auront résisté jusqu'à ce jour à l'influence salutaire de l'une ou de l'autre religion, vous aurez à réclamer de préférence le concours des prêtres catholiques, car la pompe extérieure de leurs cérémonies doit agir puissamment sur l'imagination vive de ces peuples.
Une somme de 300,000 francs est mise à votre disposition et devra être employée à faire reconnaître notre souveraineté ou notre protectorat sur les archipels désignés. Le gouvernement français n'entend pas que vous tentiez aucune entreprise au delà de la sphère que je vous ai marquée. Il ne veut pas non plus que, même dans cette limite, vous agissiez par la force, et que le pouvoir que vous acquerrez soit le résultat de la violence. Les fonds que vous avez entre les mains, la prépondérance que les derniers événements nous ont assurée, doivent nous suffire pour mener pacifiquement cette opération à bonne fin. Sur les points qui proclameront la souveraineté de la France ou qui accéderont à son protectorat, vous devrez arborer le drapeau national ou le drapeau de l'union comme à Taïti, et lier vis-à-vis de vous des rapports de dépendance qui tiennent les autorités locales sous votre administration.
Commerce.
Vous avez dû remarquer que l'importance commerciale de nos établissements est principalement fondée sur la franchise de leurs ports. Il faut donc que vous fassiez cesser au plus tôt les taxes et les redevances que les bâtiments payent, dans la rade de Papeïti, à la reine ou aux chefs principaux de l'île. Mais il est de toute justice que cette mesure ne soit point une cause de sacrifice pour l'autorité locale. Vous supprimerez ces droits en les rachetant au moyen d'une allocation équitable qu'à titre de pension vous reconnaîtrez à la reine. Vous agirez de même à l'égard des chefs qui touchent une partie de ces droits, soit en leur attribuant une part équivalente dans la pension de la reine, soit en leur accordant directement une indemnité qui leur sera payée annuellement. Cette transaction doit être conduite par vous de manière à ce que ceux qui y sont intéressés n'aient point à se plaindre du changement de régime.
Telles sont, monsieur le commandant, les instructions confidentielles que j'ai à vous donner pour vous identifier complétement à la pensée du gouvernement du Roi. Je n'ai voulu traiter que les questions principales, et tracer très-sommairement la marche que vous aurez à suivre dans les cas les plus difficiles. Vos précédents, les services que vous avez rendus m'inspirent la confiance que vous remplirez votre mission avec autant d'habileté que de dévouement, et conformément aux vues que je viens d'exposer.
Recevez, etc.
III
1º Le ministre de la marine à M. Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie, commissaire du Roi près la reine des îles de la Société.
Paris, le 2 juillet 1844.
Monsieur le commandant, ainsi que vous l'ont annoncé mes dépêches des 9 et 12 mars, et que je vous l'ai de nouveau expliqué par celle du 27 avril, le gouvernement n'a pas approuvé la prise de possession des îles de la Société, et a résolu de s'en tenir au protectorat. Cette détermination vous replace, en ce qui concerne vos fonctions à Taïti, dans la situation à laquelle se rapportaient les instructions générales qui vous ont été données par mon prédécesseur, le 28 avril 1843. Je me les suis fait représenter; elles me paraissent devoir être maintenues de point en point. C'est, en effet, la convention du 9 septembre 1842 qu'il s'agit de faire exécuter. J'ai seulement à entrer dans quelques explications nouvelles que comportent les événements survenus dans l'intervalle: sans altérer aucune des bases essentielles du traité, ces événements exigent, sur certains points, des solutions que le gouvernement n'avait pas eu à prévoir à l'époque de votre départ.
Je dois d'abord bien préciser de nouveau votre position comme commandant de la subdivision affectée spécialement au service et à la protection de nos établissements. Le remplacement de M. le contre-amiral Dupetit-Thouars par M. le contre-amiral Hamelin n'a rien changé, sous ce rapport, à l'ordre de service primitivement établi. La situation de cet officier général sera celle de son prédécesseur. Il est placé à la tête de nos forces navales dans ces mers; mais vous dirigerez les mouvements de votre subdivision et vous disposerez des équipages et des officiers qui la composent selon les nécessités du double service qui vous est confié; seulement, si des circonstances graves, dont l'appréciation est laissée à M. le contre-amiral Hamelin, viennent à rendre nécessaire la combinaison des deux stations, votre subdivision rentrera sous les ordres directs de cet officier général, de qui vous relèverez alors pour votre commandement naval. Mais, hors ce cas tout exceptionnel, je ne mets aucune restriction à l'indépendance de votre position. Vous correspondrez directement avec le département de la marine pour tout ce qui sera relatif aux bâtiments placés sous vos ordres.
Ainsi que je vous le fais connaître sous le timbre de la direction du personnel et des mouvements, votre subdivision se compose des bâtiments suivants:
La frégate l'Uranie, La corvette l'Ariane, Le Phaéton, bâtiment à vapeur, La Meurthe et la Somme, corvettes de charge.
Il est dans mes intentions de vous expédier, dans le courant de cette année, les deux bâtiments à vapeur l'Australie et le Narval, qui vont bientôt quitter les chantiers. Vous savez aussi que par une décision récente, et pour satisfaire à votre demande, j'ai ordonné la construction d'un troisième bâtiment à vapeur de trente chevaux, le Pingouin, qui sera prêt probablement et que je vous expédierai à la même époque que les deux autres. Je combinerai leur départ de manière à ce qu'ils puissent franchir le cap Horn dans la belle saison. Ces bâtiments vous fourniront le moyen de donner un grand déploiement à votre action maritime, et je ne doute pas qu'ainsi fortifiée, elle ne vous permette, non-seulement de consolider notre autorité sur les points que nous occupons, mais encore de faire prévaloir, d'une manière plus générale, notre influence dans cette partie de la Polynésie.
M. le contre-amiral Hamelin reçoit l'ordre de se rendre directement à Taïti. Dès qu'il sera arrivé, il conférera avec vous au sujet des dispositions à prendre pour le rétablissement du protectorat. Il importe essentiellement que cette mesure reçoive, aux yeux des indigènes, son véritable caractère. Les torts de la reine Pomaré sont graves; mais le Roi a bien voulu prendre en considération sa faiblesse et accueillir sa supplique. Il veut qu'un acte solennel de clémence accompagne l'avénement de l'influence française dans la Polynésie; il espère, par l'observation scrupuleuse de la convention que la reine a cherché à éluder, lui montrer le respect dû aux traités et lui donner un salutaire exemple de la bonne foi politique.
M. Hamelin est porteur d'une lettre du Roi à la reine Pomaré. Vous en trouverez ici une copie.
La remise de cette lettre aura lieu à titre de notification du rétablissement du protectorat. Ce rétablissement sera, immédiatement après, proclamé par vous dans une assemblée générale des chefs. Vous règlerez, en même temps, par un ordre du jour, ce qui concerne les pavillons. Le pavillon de la France, signe de la souveraineté extérieure que nous exerçons, devra continuer de flotter seul sur tous les postes militaires et sur les points défensifs de Taïti. Le pavillon du protectorat, c'est-à-dire l'ancien pavillon taïtien, écartelé des couleurs françaises, sera arboré sur les autres établissements publics.
Vous devrez faire saluer ces deux pavillons séparément de vingt et un coups de canon par tous les bâtiments placés sous vos ordres, le jour où l'un et l'autre auront été définitivement arborés. Vous exigerez dans la suite qu'ils reçoivent le même salut des bâtiments de guerre étrangers qui aborderont à Taïti.
Je vous laisse le soin d'arrêter et de faire exécuter toutes les mesures et dispositions qui devront avoir pour effet d'opérer, au plus grand honneur de la France, l'acte important du rétablissement du protectorat. Le gouvernement du Roi procède, dans cette circonstance, selon le voeu d'une politique loyale et éclairée. Il n'a rien à dissimuler, ni de ses intentions, ni de leur accomplissement; il veut agir au grand jour, avec fermeté et dignité: connaissant toute sa pensée, vous saurez mettre chacun de vos actes en parfait accord avec ses vues.
Nous continuerons d'occuper le fort de Moutou-Outa et les autres points défensifs de Taïti, et vous y maintiendrez les forces militaires que vous jugerez nécessaires à cette occupation. Ce n'est pas là seulement un droit qui résulte du protectorat, c'est une obligation qu'il nous impose; et le concours du gouvernement local pour créer ou pour conserver les établissements de garnison et les travaux de défense est également dans ses devoirs et dans son intérêt. Vous requerrez ce concours avec toute la latitude que les besoins du service public vous paraîtront exiger.
Ces diverses conséquences de la souveraineté mixte qui régnera désormais sur l'archipel de la Société sont applicables aux îles qui reconnaissent la suzeraineté de la reine Pomaré et aux chefs de ces îles. La convention du 9 septembre 1842 les place également sous le régime du protectorat; mais, tout en constatant notre droit à cet égard, il n'est à propos d'en établir les signes extérieurs, par le placement du pavillon, que sur les points de l'archipel qui peuvent offrir, sous le rapport maritime et commercial, une véritable importance.
L'intention formelle du gouvernement du Roi est d'ailleurs de ne rien tenter pour étendre officiellement sa souveraineté extérieure sur les îles Gambier et sur tous autres points ne relevant pas de la souveraineté de la reine Pomaré, et vous devrez vous abstenir de donner suite aux dispositions que vous auriez pu être précédemment amené à prendre dans un pareil but.
Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est de vous que doivent continuer à émaner les règlements de port et les mesures de police relatives à l'admission des bâtiments et à la surveillance des équipages à Papeïti et dans les autres ports ou rades des îles de la Société.
Un des usages les plus fâcheux qui s'étaient introduits à Taïti, avant le protectorat, c'était la participation des étrangers aux assemblées des chefs, et l'habitude qu'ils avaient prise d'y exprimer leur opinion sur les affaires du pays, habitude essentiellement contraire à la liberté comme à la tranquillité des délibérations. Cet usage a dû cesser depuis votre arrivée à Taïti. Comme commissaire du Roi, vous avez droit d'exiger qu'il ne se rétablisse pas, et je vous invite à vous y opposer formellement. Dans ces assemblées on met souvent en discussion des questions qui ont un rapport plus ou moins direct avec l'autorité que vous exercez comme représentant du Roi. Vous devez donc toujours être admis, quand vous le demandez, ou y faire admettre un de vos délégués, et vous avez toujours le droit de prendre part à la délibération.
Les consuls qui viendront désormais résider à Taïti ne seront admis à exercer leurs fonctions qu'après avoir été régulièrement accrédités auprès du gouvernement protecteur et après avoir reçu du Roi leur exequatur. L'application de cette règle sera faite au successeur de M. Pritchard; celui-ci a reçu du gouvernement anglais une autre destination.
Je n'ai pas besoin de vous recommander d'entretenir avec les représentants des puissances étrangères les relations les plus amicales; en maintenant et en faisant respecter vos droits, vous saurez accorder à ces fonctionnaires toutes les facilités désirables pour qu'ils remplissent, à l'égard de leurs nationaux, les devoirs de la protection comme ceux de la surveillance.
Je n'ai aucune recommandation nouvelle à vous adresser en ce qui concerne l'exercice de la religion à Taïti. La liberté des cultes doit y être complète; c'est une des bases de la convention de 1842; c'est un des principes de notre gouvernement. Les missionnaires étrangers ont donc le même droit que les nôtres à votre protection, tant qu'ils se renferment dans leur ministère de piété et qu'ils s'abstiennent de toute intervention dans les affaires politiques. Si vous aviez malheureusement à prévenir ou à réprimer, de leur part, quelques menées contraires à nos intérêts, vous feriez d'abord un loyal appel au consul de leur nation afin qu'il vous secondât dans les avertissements que vous donneriez aux agitateurs qui cacheraient leurs entreprises sous le manteau de la religion. Si ces avertissements ne suffisaient pas et que leur exclusion des îles de la Société vous parût indispensable, vous devriez la prononcer, après avoir prévenu le représentant officiel de leur gouvernement.
Vous vous attacherez, en outre, avec un soin particulier, à maintenir entre les ministres des différentes religions un esprit de concorde et de fraternité, et vous empêcherez toujours que le zèle du prosélytisme n'engendre des rivalités et des querelles soit entre eux, soit à leur instigation entre les indigènes. Vous y emploierez votre ascendant, votre autorité morale, et au besoin les pouvoirs dont vous disposez, dans l'intérêt du maintien de la tranquillité générale.
Je termine, monsieur le commandant, en vous réitérant l'expression de ma pleine confiance dans vos lumières, dans votre dévouement, et dans le concours des officiers et fonctionnaires appelés à vous seconder.
Signé: DE MACKAU.
2º Le ministre de la marine à M. Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie, commissaire du Roi près la reine des îles de la Société.
Paris, le 16 juillet 1844.
Monsieur le commandant, M. le contre-amiral Hamelin se rend à Taïti. Dès son arrivée, il conférera avec vous au sujet des mesures à prendre pour l'exécution du traité du 9 septembre 1842, et le rétablissement du protectorat. Je vous laisse le soin d'examiner avec cet officier général qui de vous deux devra procéder officiellement à la réintégration de la reine Pomaré dans la situation et l'autorité que lui conservait ledit traité. La solution de cette question dépend beaucoup de la position que vous aura faite, vis-à-vis des indigènes et des chefs, l'exercice de la souveraineté pendant plusieurs mois. Ce qui importe essentiellement, c'est que le fait qu'il s'agit d'accomplir conserve, aux yeux de tous, le caractère que le gouvernement du Roi veut lui imprimer. Les torts de la reine ont été graves, mais le Roi prend sa faiblesse en considération. Il tient à ce que l'avénement de l'influence française dans ces mers soit accompagné d'un acte solennel de clémence; il veut de plus que, par l'observation scrupuleuse de la convention du 9 septembre 1842, que la reine a essayé d'éluder, nous lui enseignions le respect dû aux traités; ce sera tout à la fois lui donner une preuve de bonne foi et un exemple de générosité. M. Hamelin est porteur d'une lettre du Roi par laquelle Sa Majesté accorde à la reine Pomaré l'acte de haute indulgence qu'elle a sollicité dans sa lettre du 9 novembre.
Pour attacher au rétablissement de la reine Pomaré la signification que je viens d'indiquer, il y aurait certainement avantage à ce que cet acte fût accompli par vous. Vous devez rester commissaire du Roi près de la reine; il serait d'un bon effet, pour la suite de vos relations avec elle, que ce fût de vous qu'elle tînt la restitution de son autorité. Cependant, je vous le répète, c'est une question de conduite que vous déciderez suivant les circonstances et après en avoir conféré avec M. le contre-amiral Hamelin.
Ainsi que je vous l'ai indiqué plus haut, c'est le rétablissement du protectorat, tel qu'il résulte de la convention du 9 septembre 1842, que nous entendons opérer. Je ne puis donc que maintenir ici, dans leur sens général, les instructions confidentielles que vous avez reçues de mon prédécesseur, sous la date du 28 avril 1843, en tout ce qui a rapport à votre autorité et aux vues qui devront vous diriger pour assurer et fortifier votre intervention protectrice dans les affaires du pays. Je les ai relues avec grand soin, et les événements qui se sont passés depuis qu'elles ont été rédigées ne me fournissent que des motifs de les confirmer et de vous inviter à en faire la règle constante de votre conduite. Il est quelques points seulement sur lesquels je dois plus spécialement appeler votre attention.
Vous garderez, pour occuper le fort Moutou-Outa et les autres points défensifs de Taïti, les forces militaires que vous jugerez nécessaires. L'exercice du protectorat nous en fait une obligation, et nous donne le droit de réclamer le concours du pouvoir local pour conserver ou créer les établissements militaires qu'exige notre garnison.
Le pavillon national français continuera d'être arboré sur tous les postes militaires et sur les points défensifs de l'île.
Le pavillon du protectorat, c'est-à-dire l'ancien pavillon taïtien écartelé du pavillon français, flottera sur les établissements municipaux. Si la reine veut avoir un troisième pavillon, comme signe de son autorité personnelle, vous pourrez le lui accorder; mais vous devrez préalablement obtenir qu'elle renonce à celui qui a été la cause de sa rupture avec l'amiral Dupetit-Thouars. C'est un point qu'il vous appartient de régler dans les conférences que vous aurez avec elle, avant de procéder à la réinstallation de son autorité royale. Elle comprendra sans doute qu'elle doit cette marque de déférence à un gouvernement qui agit avec tant de loyauté et de déférence à son égard.
Quant aux saluts, vous exigerez de la part des étrangers ceux qui sont dus au pavillon français et à celui du protectorat; et vous pourrez convenir avec la reine Pomaré, lorsque vous serez satisfait de vos rapports avec elle, qu'un salut de dix-sept coups de canon sera fait à son pavillon particulier, à celui qu'elle aura reçu de vos propres mains et que vous apporte M. le contre-amiral Hamelin.
Les dispositions que je viens de vous prescrire, pour les signes extérieurs de la souveraineté mixte qui régnera désormais sur l'archipel de la Société, sont applicables aux îles et aux chefs qui reconnaissent la suzeraineté de la reine Pomaré, car la convention du 9 septembre étend également sur eux notre protectorat. Néanmoins, tout en constatant votre droit à cet égard, il sera suffisant d'arborer le pavillon français sur les points du groupe qui auront une importance réelle sous le rapport commercial ou maritime.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que c'est de vous que devront émaner les règlements de port et les mesures de police pour l'admission et la surveillance des bâtiments et des équipages qui aborderont la rade de Papeïti et les autres baies.
Dans les instructions particulières qui vous ont été délivrées, à la date du 28 avril 1843, il était dit, sous le titre: Étendue du protectorat, que vous deviez vous efforcer de provoquer, près des indigènes des îles Gambier, la cession de la souveraineté de ces îles au roi des Français ou la demande de son protectorat.
Les vues du gouvernement à cet égard sont aujourd'hui d'éviter toute tentative qui aurait pour effet d'engager sa politique dans le sens indiqué. Vous devrez donc vous abstenir d'entrer à l'avenir dans des négociations dirigées vers un but semblable, et vous aurez à interrompre celles qui auraient été précédemment ouvertes par vous en vertu des instructions précitées.
Vous vous bornerez, dans ce cas, à me faire connaître exactement à quel point vous vous trouverez avancé envers les chefs de ces îles indépendantes, par les démarches ou communications qui ont pu avoir lieu de votre part.
Depuis plusieurs années une législation a été donnée au peuple de Taïti. Je ne l'examinerai pas en détail; mais vous avez dû être frappé de ce qu'elle renferme d'incohérent et d'inconciliable avec la part d'autorité qui nous appartient; son vice radical est d'attribuer aux missionnaires un pouvoir sans contrôle, de leur accorder la faculté de prononcer des pénalités qui se traduisent, dans la plupart des cas, en amendes, et d'établir des impôts dont la perception tourne le plus souvent à leur profit. Lors du séjour de la Vindictive à Taïti, des assemblées ont eu lieu où des ordonnances conçues dans le même esprit ont été rendues. Je pense que, pendant l'exercice de la souveraineté absolue, vous aurez rapporté ceux de ces actes qui blessaient le plus nos droits ou qui conféraient à des étrangers une action quelconque dans l'administration intérieure des îles. Je suppose que ces réformes n'auront soulevé aucune réclamation de la part des indigènes et des chefs, et qu'elles n'auront froissé que les personnes qui jouissaient de l'ancien état de choses. En conséquence, vous devez maintenir vos décisions. Si, par des motifs légitimes ou sous l'influence d'anciens usages, la reine et les chefs venaient à réclamer le rétablissement de quelques-unes de ces ordonnances, vous devriez vous y prêter, mais après avoir obtenu d'eux qu'il en soit délibéré dans la forme usitée dans le pays et en constatant que tel est le voeu général.
Vous avez déjà probablement aboli le droit que des étrangers s'étaient arrogé de concourir aux réunions publiques des chefs et de délibérer sur les affaires du pays. Il vous appartient, dans votre position de commissaire du Roi, d'établir et de faire prévaloir cette règle. Les habitants seuls de Taïti devront désormais prendre part aux réunions qui ont pour objet leurs affaires propres et intérieures; mais il est évident que souvent les matières de ces délibérations auront quelque corrélation avec l'autorité que vous exercez au nom du roi des Français. Vous ferez donc reconnaître votre droit d'assister, en personne ou par délégué, à toutes les assemblées du peuple et des chefs, et d'y faire entendre votre avis. Votre présence dans ces réunions, les relations que vous avez nouées avec les hommes les plus considérables des îles, et les moyens d'influence dont vous disposez, vous assurent le pouvoir de faire presque toujours prévaloir vos vues. Cependant, je vous invite, excepté pour les actes qui seraient réellement contraires à nos intérêts, tels que ceux dont j'ai parlé plus haut, à ne provoquer la réforme de l'ancienne législation qu'avec prudence et ménagement. Ne cherchons pas à tout changer du jour au lendemain. C'est une oeuvre qui, pour être bien faite et ne point choquer des habitudes prises, a besoin de l'aide du temps. Un peuple aussi neuf à la civilisation que celui de Taïti serait d'ailleurs, plus qu'un autre, exposé à des mécomptes qui nuiraient à ses progrès, s'il voyait s'opérer, dans la manière de le diriger, de trop brusques changements.
Indépendamment de la faculté d'assister aux réunions, vous devez, pour les mêmes raisons, vous faire reconnaître, ainsi qu'il vous a été prescrit dans les premières instructions confidentielles qui vous ont été remises, le droit d'approuver ou de désapprouver, en conseil de gouvernement, les actes et règlements qui émaneront de la reine ou de l'assemblée des chefs.
Ce n'est là que la simple conséquence de l'ensemble des attributions dont ce conseil a été investi par la proclamation qui a suivi le traité du 9 septembre 1842, à la même date et sous les mêmes signatures; et d'ailleurs vous ne perdrez pas de vue que si, pour obtenir le plein exercice de ce droit, il est nécessaire de donner quelques garanties à la reine et aux notables, vous êtes autorisé à le faire en consentant à l'admission, dans le conseil de gouvernement, de quelques-uns des chefs qui inspireront le plus de confiance.
Les consuls qui viendront désormais résider à Taïti devront être régulièrement accrédités près du gouvernement protecteur et munis de l'exequatur du roi des Français. Il est probable que la première application de cette règle sera faite au successeur de M. Pritchard, car cet agent a dû recevoir de son gouvernement l'ordre d'aller remplir ses fonctions dans les îles des Navigateurs. Nos communications avec le cabinet britannique ne laissent prévoir aucune difficulté pour vous lors de l'arrivée du nouveau consul. Je n'ai pas besoin de vous recommander d'entretenir, avec les représentants des puissances étrangères, les relations les plus amicales; maintenez et faites respecter tous vos droits, mais accordez à ces agents toutes les facilités possibles pour qu'ils exercent sur leurs nationaux la protection et la surveillance qu'ils leur doivent.
Enfin, il est un point sur lequel je ne saurais trop appeler votre sollicitude: je veux parler de la situation religieuse de ces îles. Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de vous le faire observer, c'est la partie de nos rapports avec les indigènes qui offre les plus graves difficultés. Ceux des insulaires qui ont une croyance la doivent aux missionnaires anglais qui se sont succédé depuis près d'un demi-siècle à Taïti. Ils ont confiance dans ces prêtres; ils suivent leurs leçons et pratiquent le culte qui leur a été enseigné par eux; nous devons tenir grand compte d'un fait si grave. D'ailleurs le respect que nous accorderons aux croyances des indigènes est non-seulement conforme au texte de la convention du 9 septembre 1842, mais au principe de notre gouvernement qui a proclamé la liberté des cultes. Les missionnaires étrangers répandus dans l'archipel de la Société pourront continuer, en toute sécurité, l'oevre qu'ils ont commencée. Vous leur donnerez votre assistance, mais à la condition qu'ils se renfermeront dans leur ministère de charité et de religion, et qu'ils s'abstiendront de tout tentative d'influence politique et de menées contraires à nos intérêts. Vous serez, je n'en doute pas, appuyé dans les avertissements que vous donnerez sur ce dernier point aux missionnaires anglais, par le résident anglais, qui voudra vous épargner la nécessité de recourir à des mesures de sévérité. Si, contre mon attente, vous aviez à prévenir quelque entreprise d'agitation ou d'hostilité qui se cacherait sous le manteau de la religion, vous devriez, après en avoir donné avis au consul de la nation de celui ou de ceux qui en seraient les auteurs, prononcer leur exclusion des îles de la Société; mais cette mesure est extrême, et vous ne la prendrez qu'avec la conviction qu'elle est réellement indispensable.
Indépendamment des intrigues politiques que vous surveillerez soigneusement, je vous recommande expressément de prévenir, autant qu'il dépendra de vous, soit entre les indigènes, soit entre les missionnaires de différents cultes, l'explosion de dissentiments religieux. C'est pour éviter de donner motif à des troubles semblables que le gouvernement du Roi n'a pas voulu que des missionnaires catholiques fussent attachés, au moins dans les premiers temps, à notre protectorat de Taïti.
J'ai lieu de supposer que vous ne vous serez point écarté de la ligne de neutralité qui vous a été tracée à cet égard. J'ajoute aujourd'hui que vous pourrez vous borner à avoir le personnel ecclésiastique nécessaire à Taïti pour le service de la garnison et de l'administration française.
L'exemple de nos pratiques et des vertus de notre clergé, la pompe de notre culte, pourront éveiller quelques âmes et les prédisposer à recevoir la lumière de notre foi; mais vous devrez rester maître de diriger et de restreindre les entreprises de conversion qui pourront être faites.
A cet effet, vous prendrez telles dispositions que vous jugerez convenables pour qu'aucun missionnaire ne s'introduise dans l'archipel de la Société, sans, au préalable, avoir obtenu une autorisation de vous. Par là, vous serez en mesure de prévenir tout conflit. Vous accorderez au Père de la congrégation de Picpus la faculté de résider dans telle ou telle localité et de propager la religion catholique lorsqu'il sera réclamé par les habitants, ou lorsque vous vous serez assuré qu'il ne peut résulter de sa présence aucun inconvénient.
Telles sont, monsieur le gouverneur, les instructions que j'ai à vous donner pour vous identifier avec la pensée du gouvernement du Roi. J'ai la confiance que vous les exécuterez avec autant d'habileté que de dévouement.
Signé: Baron DE MACKAU.
P. S.—En même temps que la présente dépêche, vous recevrez des instructions officielles et ostensibles qui sont conformes à celles-ci, à l'exception des explications qui m'ont paru de nature à être réservées pour vous seul. Je me réfère au post-scriptum de ces instructions, en date du 2 de ce mois, pour ce qui concerne les points sur lesquels des relations ordinaires de service sont obligatoires entre vous et M. le contre-amiral Hamelin.
IV
1º Résumé des campagnes du maréchal Bugeaud, de 1841 à 1847, et principaux résultats de ces campagnes quant à l'extension et à la consolidation de la domination française en Algérie.
Système du maréchal Bugeaud au sujet de l'Algérie.
L'occupation de l'Algérie, dans les idées du maréchal Bugeaud, nécessitait trois lignes de postes parallèles entre elles:
1º Les postes du littoral, pied-à-terre obligé des arrivages de la métropole, grandes bases d'opération de l'armée, places d'où les réserves pouvaient être rapidement transportées d'une province à l'autre, à l'aide de la mer et des bâtiments à vapeur;
2º Les postes agissants de la ligne centrale, embrassant dans leur rayonnement contigu toute la surface du Tell;
3º Les postes de la ligne des Keffs, sentinelles du désert, bases d'opérations avancées pour nos colonnes mobiles, véritables bras de leviers nécessaires pour les transporter au loin et maintenir le Sud dans l'obéissance.
C'est au complet établissement de ces trois lignes que va se vouer le maréchal pendant son gouvernement de l'Algérie, de 1841 à 1847.
RÉSUMÉ DES CAMPAGNES DU MARÉCHAL BUGEAUD.
Année 1841. Campagne du printemps.
Les instructions du lieutenant général Bugeaud lui prescrivant de poursuivre la destruction de la puissance de l'Émir, son premier soin fut de choisir de bonnes bases d'opération.
Ces bases d'opération, choisies dans la ligne centrale (ligne intérieure du Tell) furent: Médéah et Milianah pour la province d'Alger, Mostaganem pour la province d'Oran.
Les ravitaillements de Médéah et Milianah sont, en conséquence, le prélude de la campagne.
Le 18 mai, la campagne du printemps commence.
De ces nouvelles bases, les colonnes du maréchal se dirigent vers le
Sud. Le maréchal s'empare d'abord de Tegedemt une des meilleures places
de l'Émir (25 mai). De Tegedemt, le gouverneur général marche sur
Mascara, dont il se rend maître également (30 mai), puis il revient à
Mostaganem.
Au même moment, le général Baraguey d'Hilliers détruisait Boghar (23 mai), puis Thaza (26 mai), pendant que le général Négrier détruisait l'influence d'Abd-el-Kader à Msilah (28 lieues de Sétif.)
En résumé:
La campagne du printemps était terminée: des combats heureux, dans lesquels l'ennemi éprouva des pertes considérables, l'invasion de pays qui nous étaient encore inconnus, la capture de nombreux troupeaux, des récoltes abondantes de céréales, la création de bases importantes munies de garnisons agissantes, enfin, la destruction de Tegedemt, de Boghar, de Thaza, la prise et l'occupation de Mascara, tels avaient été ses résultats.
Campagne d'automne.
Le gouverneur général arrive à Mostaganem le 19 septembre pour la diriger.
Le 21, il sort de Mostaganem, se dirigeant vers le Chéliff pour appuyer Hadj-Mustapha (fils de l'ancien bey Osman) que les succès de la campagne du printemps avaient permis de nommer bey de Mostaganem et de Mascara. Le gouverneur général pénètre, à la poursuite des tribus hostiles, dans les montagnes de Sidi-Yahia, où les Turcs n'avaient jamais osé s'engager. Après une forte razzia, la colonne rentre à Mostaganem.
En même temps, le général de Lamoricière opérait le ravitaillement de
Mascara.
Le corps expéditionnaire se porte ensuite au sud de Mascara, détruit le village de la Guetna, berceau de la famille d'Abd-el-Kader, et renverse le fort de Saïda.
Enfin, le général de Lamoricière, commandant de la province d'Oran, reçoit l'ordre d'établir son quartier général à Mascara même.
En résumé:
De grands progrès sont accomplis pendant cette première année de commandement du général Bugeaud. La guerre a changé de face; Abd-el-Kader se voit réduit à la défensive; tandis qu'il venait, à la fin de 1839, incendier nos établissements non loin d'Alger, il a essayé vainement, en 1841, de défendre les siens, détruits et brûlés jusque sur la limite du désert.
Année 1842. Campagne du printemps.
Le gouverneur général part de Mostaganem le 14 mai, rallie à sa colonne 2,300 cavaliers arabes de la basse Mina; et remonte la vallée du Chéliff, allant à la rencontre du général Changarnier, parti de Milianah. Pendant cette marche, il obtient de nombreuses soumissions. Après s'être rejointes, les deux colonnes se séparent de nouveau pour envelopper dans un grand mouvement combiné les tribus de l'Atlas entre Milianah et Médéah. Le 9 juin, le mouvement est achevé et le lendemain une grande partie des tribus envoient leur soumission.
Résumé:
«Le cercle de granit qui enveloppe la Mitidja est brisé… j'entends par là cette chaîne de montagnes que peuplent des Kabyles hostiles et belliqueux qui nous tenaient étroitement bloqués et qui rendaient si difficiles nos convois sur Médéah et Milianah.» (Le lieutenant général Bugeaud au Ministre de la Guerre.—Alger, 13 juin 1842.—Archives du Dépôt général de la guerre.)
Sauf la tribu des Beni-Menacer, toute la montagne était conquise depuis les Beni-Salah (sources de l'Harratch) jusqu'à Cherchell. Le général Bugeaud se flattait d'avoir facilement raison de l'autre quart de cercle des montagnes que forme l'Atlas entre les sources de l'Harratch et l'embouchure de l'Isser. «Alors, nous aurons autour de la Mitidja l'obstacle continu qui convient à une grande nation comme la nôtre… Les montagnards garderont longtemps le souvenir de la rude guerre que nous leur avons faite, et cette pensée gardera mieux la Mitidja qu'un misérable fossé garni de blockhaus… etc…» (Le lieutenant général Bugeaud au Ministre de la Guerre.—Alger, 13 juin 1842.)
Il faut ajouter que l'arrivée du général Bugeaud à Blidah, amenant avec lui 2,300 cavaliers arabes pris dans les diverses tribus soumises de l'Ouest, dut produire un immense effet moral et politique sur les tribus encore insoumises.
Campagne d'automne.
Expédition contre Ben-Salem, par le gouverneur général.
La campagne d'automne nous laisse dans la situation suivante:
Du pied du Jurjura à une ligne tirée de l'embouchure de l'Oued-Ruina dans le Chéliff jusqu'à Thaza et le désert, tout le pays est soumis et commerce avec Alger. Il en est de même de tout le pays compris entre la Mina, la frontière du Maroc et le désert.
La guerre se trouve ainsi concentrée entre le Chéliff et la Mina, sur un carré d'environ 25 lieues de côté. Or, comme il y a environ 150 lieues du Jurjura à la frontière du Maroc, il en résulte qu'Abd-el-Kader a perdu les cinq sixième de ses États, tous ses forts ou dépôts de guerre, son armée permanente et une partie du prestige qui l'entourait encore en 1840.
Campagne d'hiver.
Expédition contre Abd-el-Kader, par le gouverneur général.
Abd-el-Kader s'étant établi dans la chaîne de montagnes de l'Ouarensenis, le maréchal se décide à une campagne d'hiver (24 novembre—17 décembre). A la fin de cette campagne, Abd-el-Kader n'avait plus à sa disposition que quelques tribus comprises entre Tegedemt, notre aghalick du sud de Milianah, la chaîne de l'Ouarensenis et le désert.
Résumé général.
A la fin de 1842, tout, dans la province de Tittery, était soumis et organisé jusqu'au désert. L'aghalick du sud, de même que les aghalicks du sud et de l'ouest de l'ancien gouvernement de Sidi M. Barck, seuls exigeaient encore de temps à autre la présence de nos troupes. Au-dessous de Milianah, toutes les tribus de la vallée du Chéliff étaient sérieusement soumises. Presque tous les Kabyles, jusqu'à Tenez, s'étaient réunis sous un chef dont le dévouement à la France était connu. La ville de Mazouna s'était repeuplée. Entre Tenez et Cherchell, il restait quelques tribus kabyles à réduire. La soumission était réelle et bien assurée dans tout l'Atlas, depuis l'Arba jusqu'à Cherchell. Une égale sécurité régnait dans le carré entre Oran et Tlemcen, Mascara et Mostaganem. La construction de ponts sur le bas Chéliff et sur la Mina devant favoriser l'action de notre autorité, les reconnaissances nécessaires dans ce but avaient été faites. Enfin, la possibilité des communications entre Bône et Philippeville était constatée, et des troupes établies dans l'Édough, continuant la route stratégique déjà ouverte dans cette contrée par les soins du général Randon, préparaient les moyens d'entreprendre l'exploitation des riches forêts qui couvrent cette montagne.
Année 1843. Campagne du printemps.
Abd-el-Kader avait su profiter habilement de la retraite forcée de nos troupes. (Il n'y avait pas encore d'établissement ni de dépôt de vivres dans la vallée du Chéliff, le Dahra et l'Ouarensenis). Il reparut dès le mois de janvier 1843 et porta l'insurrection jusqu'aux portes de Cherchell, menaçant de l'étendre dans tout l'Atlas, autour de la Mitidja.
Le gouverneur général jette les bases d'Orléansville et de Tenès, puis il pénètre dans le pays soulevé par Abd-el-Kader avec trois colonnes. La marche simultanée de ces colonnes arrête les progrès de l'Émir. La ville d'Haïnda est brûlée; Abd-el-Kader est refoulé dans les monts Gouraïa, et les tribus sont ramenées à la soumission.
L'Émir en retraite est poursuivi par le duc d'Aumale à la tête d'une colonne légère de 500 cavaliers. Le prince rencontre la smalah d'Abd-el-Kader près de Taguin; elle comptait plus de 5,000 combattants: «C'était, dit le général Bugeaud, une grande ville ambulante, qu'on pouvait considérer comme la capitale de l'empire arabe.» (Le lieutenant général Bugeaud au Ministre de la guerre.—Alger, 28 juillet 1848.) La petite colonne du prince lui tue 300 hommes, prend 4 drapeaux, un canon, un immense butin et ramène près de 4,000 prisonniers. Coup funeste porté à la fortune d'Abd-el-Kader.
Au mois de juin, une seconde expédition, conduite par le gouverneur général dans l'Ouarensenis, achève de soumettre ce pays à l'obéissance, et amène une première organisation sous un chef dévoué à la France, l'agha Hadj-Ahmed-Ben-Salah.
Campagne d'automne.
A peine les colonnes françaises étaient-elles rentrées à Milianah et à Orléansville qu'il se formait dans l'Ouarensenis une association des principaux chefs arabes de ces contrées ayant pour but de relever le drapeau d'Abd-el-Kader.
Le gouverneur général envahit de nouveau les montagnes avec quatre colonnes et eut bientôt forcé les chefs ligués à faire leur soumission. Le commandement de l'Ouarensenis fut maintenu à l'agha Ben-Slah, moins influent, il est vrai, mais plus sûr que les chefs soumis.
Le poste de Teniet-el-Had (3e ligne) était en même temps établi par le général Changarnier et celui de Tiaret (3e ligne) par le général de Lamoricière.
Résumé:
La smalah d'Abd-el-Kader prise.
Le Dahra, la vallée du Chéliff, la plus grande partie de l'Ouarensenis soumis.
Les bases de quatre établissements nouveaux jetées; (Orléansville,
Tenès, Teniet-el-Had et Tiaret.)
D'autre part:
Par suite de la plus grande sécurité, développement plus rapide de la colonisation. 65,000 colons à la fin de 1843, au lieu de 44,531 à la fin de 1842.
22 villages créés par nous sont habités par des colons européens.
16 autres sont en construction ou en projet.
19 grandes routes sont entreprises.
12 sont déjà praticables dans tout leur parcours, parmi lesquelles il faut citer celle de Tenès à Orléansville et celle de Milianah à Teniet-el-Had.
Enfin:
Sur 450 mètres de développement que devait avoir la jetée du nord, au port d'Alger, 259 étaient déjà faits.
Année 1844. Campagne du printemps.
Le gouverneur général dirige en personne une expédition contre la
Kabylie.
Le 29 avril, il arrive sur les bords de l'Isser. Le 3 mai, il s'empare de Dellys où il installe l'autorité française. Deux combats sont livrés aux Kabyles. A la suite de ces combats, quelques tribus des versants de la Kabylie font leur soumission. Le gouverneur général divise le pays soumis en trois aghalicks, installe les aghas et leurs khalifas le 30 mai.
Résultats:
Acquisition d'une excellente base d'opération contre le Jurjura. (Ville de Dellys.)
Destruction de l'influence d'un lieutenant de l'Émir dans ces montagnes.
(Ben-Salem.)
Ce coup d'autorité permet au gouverneur général de se porter dans la province d'Oran pour agir contre le Maroc sans crainte d'être attaqué pendant son absence, du côté de l'Isser.
A la suite d'une expédition du général Marey dans le sud de la province d'Alger (mai et juin 1844) une partie du petit désert reconnaît notre domination. Le marabout Tedjini envoie sa soumission.
Dans la province de Constantine, le duc d'Aumale expulse du Zab les agents de l'Émir, s'empare de Biskra, soumet les Ouled Sultan et pacifie le Belezma tout entier.
Une excursion dans la subdivision de Bône permet au général Randon de reconnaître la ligne frontière entre l'Algérie et la régence de Tunis, et de faire cesser l'anarchie qui régnait dans les tribus de Hanencha. De nouvelles relations s'établissent alors entre Bône et les contrées du sud.
Campagne d'été. Guerre contre le Maroc.
Un camp est établi à Lalla-Maghrania, en face d'Ouschda.
Le 30 mai, un corps marocain de 12 à 1,500 chevaux, franchit la frontière et vient insulter le général de Lamoricière.
Le gouverneur général, après son expédition contre les Kabyles du Jurjura (voir campagne du printemps), revient à Oran pour prendre le commandement des forces françaises. Le 15 juin et le 3 juillet, deux nouvelles attaques des Marocains sont également repoussées; à la suite de cette dernière affaire, le gouverneur général franchit la frontière et s'empare d'Ouchda.
6 août.—Bombardement de Tanger.
14 août.—Bataille d'Isly.
14 août.—Prise de Mogador.
Paix signée avec le Maroc, le 10 septembre 1844.
Les résultats de cette campagne sont évidents, vis-à-vis le Maroc et vis-à-vis Abd-el-Kader. A partir de ce moment, le calme, partout rétabli, favorise de plus en plus les progrès de la colonisation; et, en dehors des territoires civils, de Guelma jusqu'à Sétif et Msilah, de Boghar jusqu'à Teniet-el-Had, Tiaret, Mascara et Tlemcen, la France possède une ligne de points fortifiés, protecteurs et garants de notre domination de l'Algérie.
Année 1845. Campagne du printemps.
Abd-el-Kader, qui, depuis la bataille d'Isly, sentait l'appui du Maroc perdu pour lui, redouble d'énergie pour agiter l'Algérie et y préparer l'insurrection; ses prédications et ses menaces agissent rapidement sur l'esprit mobile et inquiet des populations. Une fermentation sourde présage une révolte générale qui éclate bientôt à la voix d'un chériff fanatique Sidi-Mohammed ben Abd-Allah (surnommé Bou-Maza, l'homme à la chèvre). Le Dahra donne le signal et l'Ouarensenis tout entier ne tarde pas à suivre l'exemple du Dahra.
Le gouverneur général envoie trois colonnes dans le Dahra qui est soumis et désarmé par les opérations des colonels Pélissier, Saint-Arnaud, et Ladmirault.
Le gouverneur général se porte de sa personne dans l'Ouarensenis (26 mai), atteint succesivement chacune des tribus révoltées et les amène à capituler. Il leur impose alors la plus dure des conditions pour ces peuples guerriers: «l'obligation de verser toutes leurs armes entre nos mains. Cette mesure produit le plus salutaire effet.»
Le général Marey réprime en même temps les germes d'insurrection qui se manifestaient parmi les tribus du Djebel-Dira. (Province de Tittery.)
Le colonel Géry prend possession des ksours (villages) de Stitten et
Brézina (au sud de Mascara.)
Le général Bedeau dirige une expédition dans les monts Aurès (au sud de Bathna), soumet les tribus de ces montagnes, chasse le khalifat d'Abd-el-Kader et l'ancien bey de Constantine. (Province de Constantine.)
Résumé:
La révolte fomentée par Abd-el-Kader et Bou-Maza est apaisée; le Dahra et l'Ouarensenis sont de nouveau soumis et désarmés.
Le Djebel-Dira est pacifié.
La domination française est définitivement reconnue par les populations nombreuses, riches et guerrières de l'Aurès.
Nos armes paraissent avec éclat, pour la première fois, chez les
Ouled-Sidi-Cheikh (à plus de quatre-vingts lieues de la côte.)
Campagne d'été.
L'insurrection de l'Ouest avait eu son contre-coup dans la Kabylie.
Ben-Salem, qui s'y était réfugié, suscite des troubles dans le cercle de
Dellys.
Le gouverneur général part le 23 juillet d'Alger et peu de jours lui suffisent pour ramener l'ordre dans ce cercle important. Le 28 juillet, les tribus révoltées des Beni-Ouaguenoun et des Flicet-el-Bahar sollicitent l'aman.
Comme résultat de la campagne du printemps et de celle d'été, on peut dire qu'au commencement de septembre, la plupart des tribus révoltées étaient rentrées dans l'ordre; toutefois, les principaux instigateurs de ces troubles n'ayant pu être atteints, on pouvait prévoir que de nouvelles tentatives d'insurrection auraient lieu bientôt.
Le gouverneur général est parti pour la France en congé, le 4 septembre 1845 (congé de trois mois à compter du 1er septembre.)
Campagne d'automne
Le lieutenant général de Lamoricière gouverneur général par intérim.
Abd-el-Kader envahit notre territoire au commencement de septembre; nouvelle levée de boucliers dans l'Ouest; (22 septembre) massacre de la garnison de Djemma-Ghazaouât au marabout de Sidi-Brahim. En quelques jours, la majeure partie des tribus de la subdivision de Tlemcen rejoint la deïra de l'Émir.
Les troupes entrent immédiatement en campagne. Leurs premiers mouvements sont dirigés par le général de Lamoricière.
Le gouverneur général apprend à Excideuil, le 6 octobre, la catastrophe de Djemma-Ghazaouât, et part pour Alger dans la nuit du 7 au 8. Il arrive à Alger le 15, et dès le 24 il était à Teniet-el-Had avec une colonne destinée à barrer à Abd-el-Kader sa rentrée dans le Tell. Le succès de nos troupes fut prompt et décisif.
Dès le commencement de novembre, les Traras et les Ghossels sont battus; la tribu des Ouled-Ammar rasée se rend à discrétion. D'autres tribus suivent cet exemple; une grande fraction des Medjehers demande l'aman; les Beni-Chougran eux-mêmes qui, les premiers, avaient levé l'étendard de la révolte, se soumettent, et toutes ces tribus reviennent sur leurs territoires qu'elles avaient abandonnés pour suivre l'Émir.
Campagne d'hiver.
La province de Titteri est maintenue dans l'ordre.
L'agitation excitée dans la province de Constantine par un nouveau
Bou-Maza est apaisée par le colonel Herbillon. Les Ouled-Sellam et les
Ouled-Sultan, soulevés par ce chériff, sont ramenés à l'obéissance.
Résumé:
L'Algérie, soulevée tout entière par Abd-el-Kader, est de nouveau conquise et apaisée. Ce résultat prouve aux indigènes l'inanité des efforts d'Abd-el-Kader, et leur fait comprendre que l'armée française qui a conquis l'Algérie saura toujours la maintenir dans l'obéissance.
Année 1846. Campagne d'hiver. (Janvier, février et mars 1846.)
Abd-el-Kader, expulsé du Tell à la fin de 1845, reparaît inopinément au commencement de 1846. Il se porte dans le sud-est de Médéah, rase les tribus du Petit Désert, les entraîne à sa suite, échappe aux colonnes françaises qui le poursuivent, et, trompant la vigilance de tout le monde, apparaît sur le bas Isser, aux portes d'Alger.
Le général Gentil, qui gardait les abords de la Mitidja, se porte droit à l'Émir, surprend son camp et le met en fuite. Le gouverneur général, qui depuis sa rentrée de France opérait dans l'Ouarensenis, accourt de ce côté et force Abd-el-Kader à se jeter dans les pentes sud du Jurjura. Il lance à la poursuite de l'Émir une colonne légère (Yusuf) qui va le harceler, le détruire en partie et finalement le rejeter dans le Maroc.
Campagne du printemps.
Le gouverneur général dirige plusieurs colonnes contre Bou-Maza qui avait reparu dans le Dahra.
De sa personne, il marche pour la cinquième fois dans l'Ouarensenis pour y détruire la puissance d'El-Hadj-Seghir, nouveau khalifat d'Abd-el-Kader. Le duc d'Aumale dirige cette expédition.
Résumé de ces deux campagnes:
L'insurrection générale de 1845 est éteinte.
Le Djebel-Amour, l'Ouarensenis, le Dahra, l'Ouennougha, ont soumis.
Le Bou-Thaleb (Constantine) et le sud de la province d'Oran sont pacifiés.
Quelques tribus marocaines, qui avaient violé notre territoire, sont vigoureusement châtiées.
La France paraît, à l'issue de cette longue lutte, aux yeux des indigènes, plus grande et plus redoutable qu'avant la crise.
Campagne d'été.
L'événement le plus intéressant de cet été de 1846 est la grande poursuite de l'Émir par le général Yusuf. Abd-el-Kader est surpris une première fois par lui, le 13 mars, à Gouigua, une seconde fois, le 5 avril, à Djemmet-el-Messad, et le 22, une troisième fois à Gharza. Vaincu, isolé, désespéré, l'Emir finit par disparaître dans le sud-ouest et s'enfonce dans le Maroc (juin 1846). Une conséquence affreuse de la situation critique de l'Emir fut le massacre des prisonniers de la deïra. 270 Français furent mis à mort; onze seulement furent épargnés, dans le but d'en tirer rançon.
Résultats:
Abd-el-Kader quitte l'Algérie.
Les tribus nomades de la province d'Oran se soumettent (Ouled-Ziad,
O-Abd-el-Kerim, Derraga, O-Houmen, O-Bou-Zezig, O-Aïssa, gens de
Chellala, de Bou-Semghoun, Hamian Charaga, O-Sidi-Nasser-Mackna,
etc…)
Fondation d'Aumale et soumission des Beni-Zala.
Soumission des tribus kabyles du Sahel de Sétif.
L'automne et l'hiver se passent sans troubles sérieux.
Le 25 novembre, nos onze prisonniers de la deïra sont délivrés.
Les établissements militaires sont portés dans la zone intérieure. Médéah, chef-lieu de la division d'Alger; Batna, principal siége de l'autorité militaire dans la province de Constantine; Sidi-Bel-Abbès, chef-lieu de la subdivision d'Oran. (Le gouvernement et l'autorité militaire en Algérie étaient d'accord sur ce projet dont le développement devait être progressif.)
Le gouverneur général se propose de créer un poste chez les Flittas.
La position de Dar-ben-Abdallah est étudiée.
Année 1847. Faits accomplis pendant les quatre premiers mois.
Reconnaissance de notre autorité par les tribus kabyles des environs de
Sétif et de Bougie.
Reconnaissance de notre autorité par Ben-Salem, ancien khalifat de l'Émir.
Reconnaissance de Bel-Kassem ou Kassy, personnage très-influent du
Sebaou.
Reconnaissance de notre autorité par tous les chefs notables du Sebaou et des revers ouest et sud du Jurjura.
Bou-Maza se livre lui-même à Orléansville; il est amené en France.
Campagne de printemps.
Il s'agissait de mettre à profit les soumissions de Ben-Salem et de
Bel-Kassem.
Le gouverneur général voulut assurer les communications entre Sétif et Bougie et dirigea deux colonnes sur la Kabylie (mai 1847). Ces colonnes se rejoignent après de légers combats.
Résultats:
Reconnaissance de notre autorité par 55 tribus comprises dans le triangle formé par les trois points, Bougie, Hamza et Sétif. Le pays est organisé administrativement.
Dans la province de Constantine, trois colonnes sous le commandement du général Herbillon obtiennent la soumission de la grande tribu des Nemencha.
Les Beni-Salah se soumettent également et s'engagent à prévenir désormais tout désordre sur la route de Philippeville à Constantine.
Le maréchal quitte définitivement l'Algérie le 5 juin.
Voici l'état de nos positions stratégiques en Algérie à la fin du gouvernement du maréchal Bugeaud (1847).
Première ligne.—Ligne du littoral.
  PROVINCE D'ORAN……… Nemours, Rachgoun, Mers-el-Kebir,
  Arzew, Mostaganem.
  PROVINCE D'ALGER…….. Tenès, Cherchell, Alger, Dellys,
  Bougie.
  PROVINCE DE CONSTANTINE………. Gigelli, La Calle, Bône,
          Philippeville.
Deuxième ligne.—Ligne intérieure du Tell.
  PROVINCE D'ORAN……… Lalla-Maghrania, Tlemcen, Sidi-bel-Abbès,
  Mascara.
  PROVINCE D'ALGER……… Orléansville, Milianah, Medeah,
  Aumale.
PROVINCE DE CONSTANTINE…….. Sétif, Constantine, Guelma.
Troisième ligne.—Ligne des postes avancés au sud du Tell.
PROVINCE D'ORAN……… Sebdou, Daïa, Saïda, Tiaret.
PROVINCE D'ALGER…….. Teniet-el-Had, Boghar.
PROVINCE DE CONSTANTINE……. Batna, Biskara.
2º Bureaux arabes.
En 1831 (24 juin), le général Berthezène nomma un agha des Arabes (Sidi-Hadj-Maiddin), avec pouvoir de nommer dans les tribus les cheiks et les caïds, de recevoir les plaintes des Arabes, de les transmettre au commandant en chef et de punir les coupables d'après les lois musulmanes. Sidi-Hadj-Maiddin garda cette charge très-peu de temps et se retira chez les Hadjoutes (septembre 1832).
En 1833 (10 avril), pendant l'absence du duc de Rovigo, le maréchal de camp Avizard, commandant en chef par intérim, fit établir, par les conseils du général Trézel, un bureau qui prit le nom de Bureau arabe. Ce bureau, qui faisait partie de l'état-major général, fut dirigé d'abord par M. de Lamoricière, alors capitaine des zouaves[121].
[Note 121: Un des principaux avantages de la création du bureau arabe fut d'enlever la direction des affaires arabes aux interprètes qui jusque-là avaient été les seuls intermédiaires entre les indigènes et l'autorité française.]
En 1834 (18 novembre), le comte d'Erlon réunit la direction de ce bureau à la charge d'agha des Arabes, et y plaça un officier supérieur français (lieutenant-colonel Marey, commandant le corps des spahis réguliers d'Alger), qui fut chargé des rapports avec les tribus de l'intérieur et de la police du territoire.
Le nouvel agha devait avoir à sa disposition, pour l'aider, deux officiers et deux interprètes désignés par le commandant en chef.
On reconnut bientôt que cette institution de l'agha des Arabes n'atteignait pas le but qu'on se proposait, d'étendre nos rapports avec les tribus de l'intérieur et de les attirer sous notre domination, en respectant leurs usages et protégeant leurs intérêts; l'institution fut remplacée par la création d'une direction des affaires arabes, sous l'action immédiate du gouverneur général (15 avril 1837).
Le comte de Damrémont nomma, par arrêté du même jour, M. Pelissier, capitaine d'état-major, directeur des affaires arabes, auteur des Annales algériennes, et depuis consul à Sous (régence de Tunis).
Le 5 mars 1839, le maréchal comte Valée supprima la direction des affaires arabes, dont les attributions furent conférées à l'état-major général du gouverneur.
Enfin, le 16 août 1841, la direction des affaires arabes, créée par arrêté du 15 avril 1837, et rentrée dans les attributions de l'état-major général par décision du maréchal Valée, fut rétablie par ordre du lieutenant général Bugeaud.
Voici les considérants sur lesquels était basé le rétablissement de la direction des affaires arabes:
1º Considérant que le commandement des troupes indigènes irrégulières de la province d'Alger est devenu assez important pour absorber tous les moments de l'officier qui en est chargé[122];
[Note 122: Elles se montaient alors à un effectif de 806 hommes et 332 chevaux.]
2º Que la police du pays, en ce qui concerne les indigènes soumis, les relations à ouvrir avec les tribus non encore soumises, et généralement tout ce qui se rattache aux fonctions dévolues par les précédents arrêtés à l'agha des Arabes et au directeur des affaires arabes, suffisent pour motiver la création d'un emploi spécial.
3º Qu'il est important, tant sous le rapport de la discrétion que de la promptitude d'exécution, que l'officier revêtu de cet emploi soit attaché à notre état-major particulier, etc., etc.
M. Daumas, chef d'escadron au 2e régiment de chasseurs d'Afrique fut nommé directeur des affaires arabes.
La direction fonctionna ainsi jusqu'en 1844.
A cette époque, les affaires arabes avaient pris une telle extension que le maréchal Bugeaud crut devoir organiser à nouveau cette direction en même temps que le gouvernement des indigènes.
L'organisation du gouvernement des indigènes par le maréchal Bugeaud fut calquée sur celle d'Abd-el-Kader, au moins quant à ce qui concerne la hiérarchie adoptée pour les chefs indigènes; mais elle fut rendue mixte par l'adjonction des agents français, qui devaient représenter aux yeux des Arabes l'autorité suprême dont ils étaient les délégués.
Le but que voulait atteindre le maréchal était double:
1º Imposer aux tribus une hiérarchie des pouvoirs bien combinée, déjà pratiquée et entrée dans leurs habitudes.
2º Laisser la preuve de la conquête constamment sous leurs yeux et en marquer la trace dans toutes leurs transactions. Ce dernier rôle était réservé aux agents français qui, comme chefs militaires et comme chefs politiques, devaient tenir entre leurs mains la source réelle du pouvoir.
Le bureau arabe, dans la pensée du maréchal, ne devait pas être une autorité proprement dite, mais une sorte d'état-major chargé des affaires arabes auprès du commandant proprement dit, et n'agissant qu'au nom et par ordre de celui-ci. Ainsi, chaque cercle, chaque subdivision eut un bureau arabe, ou état-major spécial des affaires arabes. Le directeur des affaires arabes de la division fut le chef d'état-major des affaires arabes de la province. Enfin, le directeur central fut, auprès du gouverneur général, le chef d'état-major général des affaires arabes de toute l'Algérie. Un des grands avantages de ce système était le suivant: les commandants de cercles, de subdivisions, de divisions, le gouverneur général lui-même pouvaient changer; les institutions restaient, et les traditions de gouvernement des Arabes se transmettaient sans interruption dans le fonctionnement général de l'administration.
Un code succinct, renfermant les principales mesures administratives et judiciaires applicables aux tribus suivant les lieux et les circonstances, fut rédigé par les soins du lieutenant-colonel Daurnas, premier directeur central des affaires arabes. Ce code devint une règle uniforme pour tous les bureaux.
Ce travail achevé, parut le décret constitutif des bureaux arabes. Il est signé du maréchal duc de Dalmatie, et porte la date du 1er février 1844.
Article premier.—Il y aura, dans chaque division militaire de l'Algérie, auprès et sous l'autorité immédiate de l'officier général commandant, une direction des affaires arabes.
Des bureaux, désignés sous le nom de bureaux arabes, seront en outre institués:
Dans chaque subdivision, auprès et sous les ordres directs de l'officier général commandant;
Subsidiairement sur chacun des autres points occupés par l'armée où le besoin en sera reconnu, et sous des conditions semblables de subordination à l'égard des officiers investis du commandement.
Art. 2.—Les bureaux arabes seront de deux classes, savoir: de première classe, ceux établis aux chefs-lieux de subdivision; de deuxième classe, ceux établis sur les points secondaires.
Ces bureaux ressortiront respectivement à chacune de divisions militaires dans la circonscription de laquelle ils se trouveront placés.
Art. 3.—Les directions divisionnaires et les bureaux de leur ressort seront spécialement chargés des traductions et rédactions arabes, de la préparation et de l'expédition des ordres et autres travaux relatifs à la conduite des affaires arabes, de la surveillance des marchés et de l'établissement des comptes de toute nature à rendre au gouverneur général sur la situation politique et administrative du pays.
Indépendamment de ses attributions comme direction divisionnaire, la direction d'Alger centralisera le travail des directions d'Oran et de Constantine, sera chargée de la réunion et de la conservation des archives, et de la préparation des rapports et des comptes généraux à adresser au ministère de la guerre, et prendra, en conséquence, le titre de Direction centrale des affaires arabes.
Elle exercera sous l'autorité immédiate du gouverneur général.
Art. 4.—Partout et à tous les degrés, les affaires arabes dépendront du commandant militaire, qui aura seul qualité pour donner et signer les ordres, et pour correspondre avec son chef immédiat, suivant les règles de la hiérarchie, etc.
Les bureaux arabes, constitués comme il vient d'être dit, ont fonctionné pendant toute la durée du gouvernement du maréchal Bugeaud.
La seule modification qui y fut introduite fut celle par laquelle le directeur central des affaires arabes devint membre du conseil supérieur d'administration de l'Algérie, réorganisé par ordonnance royale du 15 avril 1845.
Le motif allégué à ce sujet par le maréchal duc de Dalmatie, dans son rapport au Roi, était l'importance du gouvernement des indigènes, qui exigeait que ce service fût représenté dans le conseil appelé à délibérer sur les grands intérêts du pays.
Il reste maintenant à faire connaître le nombre et l'emplacement des bureaux arabes.
A mesure que notre occupation s'étendait, les bureaux arabes s'installaient sur les points nouvellement conquis. Dès 1844, aux bureaux de Constantine, Médeah, Milianah, Mascara, Tlemcen, il fallait ajouter ceux de Boghar, Teniet-el-Had, Tiaret, Saïda. Cette même année, des points nouveaux dans le Tell étaient fortifiés, recevaient garnison et bureau arabe: Sétif, Batna, Orléansville, Ammi-Moussa, Tenès.
Enfin, la dernière année du commandement du maréchal Bugeaud, on comptait dans les trois provinces trente bureaux des deux classes, ainsi répartis:
Situation des bureaux arabes à la fin du gouvernement du maréchal Bugeaud (1847).
Direction centrale à Alger. +———————————-+————————————+——————————-+ | Direction | Direction | Dir. divisionnaire | | divisionnaire d'Alger.| divisionnaire d'Oran. | de Constantine. | | Bureaux arabes. | Bureaux arabes. | Bureaux arabes. | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ |1re classe | 2e classe |1re classe | 2e classe |1re classe |2e classe| +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | Alger. | | Oran. | Nemours. |Constantine| | | Dellys. | |Mostaganem.|Ammi-Moussa.| Bône. |La Calle.| | Blidah. | | Mascara. | Tiaret. | Sétif. | | | Milianah. |Cherchell. | | Saïda. | Batna. |Biskra. | | |Teniet-el- | Tiemcen. | Sebdou. | Guelma. | | | | Had. | | | | | | Médéah. | Boghar. | |Lalla-Ma- | Philippe- | | | | | | ghrania. | ville. | | | Aumale. | | | | | | | Orléans- | Tenès. | | | | | | ville. | | | | | | | Bougie. | | | | | | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | 8 | 4 | 4 | 6 | 6 | 2 | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | 12 | 10 | 8 | +———————————-+————————————+——————————-+ | Ensemble: 30 bureaux arabes. | +———————————————————————————————————+
On peut se rendre compte du développement des institutions des bureaux arabes en comparant leur situation en 1847 avec celle d'aujourd'hui.
Situation actuelle des bureaux arabes (1864).
+———————————-+————————————+——————————-+ | Direction | Direction | Dir. divisionnaire | | divisionnaire d'Alger.| divisionnaire d'Oran. | de Constantine. | | Bureaux arabes. | Bureaux arabes. | Bureaux arabes. | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ |1re classe | 2e classe |1re classe | 2e classe |1re classe |2e classe| +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | Dellys. |Tizi-Ouzou.| Oran. |Aïn-Temou- |Constanti- |El-Miliah| | | | | hent | ne. |(annexe).| | | | | (annexe). | | | | |Drà el-Miz-| Mostaga- | Ammi- | | Colio. | | | an. | nem.| Moussa.| | | | |Fort-Napo- | | Zamorah | |Djidgelli| | | léon. | | (annexe). | | | | Aumale. |Beni-Man- |Sidi-bel- | Daya | |Aïn-Beïda| | | çour | Abbès. | (annexe). | | | | | (annexe). | | | | | | Médeah. |Boghar. | Mascara. | Tiaret. | |Tebessa. | | |Laghouat. | | Saïda. | Bône. |La Calle.| | |Djelfa | | Géryville. | |Souk-Ak- | | | (annexe). | | | | ras. | | Milianah. |Cherchell. | Tlemcen. | Nemours. | Sétif. |Bordj- | | | | | | | ben- | | | | | | | Areridj.| | |Teniet-el- | | Lalla-Ma- | | Bougie. | | | Hàd. | | ghrania. | | | |Orléans- | Tenès. | | Sebdou. | |Bouçaada.| | ville. | | | | | | | | | | | |Takitount| | | | | | |(annexe).| | | | | | Batna. |Biskra. | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | 5 | 10 | 5 | 10 | 4 | 12 | +—————-+—————-+—————-+——————+—————-+————-+ | 15 | 15 | 16 | +———————————-+————————————+——————————-+ | Ensemble: 46 bureaux arabes. | +———————————————————————————————————+
FIN DES PIÈCES HISTORIQUES DU TOME SEPTIÈME.
TABLE DES MATIÈRES DU TOME SEPTIÈME.
Chapitre XXXIX.
Élections de 1842.—Mort de M. le Duc d'Orléans. Loi de régence. (1842).
M. Royer-Collard et le général Foy.—Par quels motifs je me suis appliqué à garder toute l'indépendance de ma pensée et de ma conduite en présence des sentiments et des désirs populaires.—Mes entretiens avec le comte Siméon et M. Jouffroy peu avant leur mort.—Leur opinion sur notre politique.—Caractère et résultats des élections de la Chambre des députés en juillet 1842.—Mort de M. le duc d'Orléans.—Ma correspondance diplomatique après sa mort.—Attitude des gouvernements européens.—Conversation du prince de Metternich avec le comte de Flahault.—Obsèques de M. le duc d'Orléans à Paris et à Dreux.—Préparation et présentation du projet de loi sur la régence.—Discussion de ce projet dans les deux Chambres.—Le duc de Broglie, M. Dupin, M. Thiers, M. de Lamartine, M. Berryer et moi.—Sollicitude du roi Louis-Philippe.—Adoption du projet.—M. le duc d'Orléans et son caractère.—Conséquences de sa mort.
CHAPITRE XL.
Les îles Marquises et Taïti. (1841-1846.)
Un inconvénient du gouvernement représentatif.—Premières navigations dans l'océan Pacifique.—Découverte de l'île de Taïti.—Divers voyageurs qui l'ont visitée du XVIIe au XIXe siècle.—La Nouvelle-Zélande et la Compagnie nanto-bordelaise.—L'amiral Dupetit-Thouars et les îles Marquises.—Motifs de notre prise de possession des îles Marquises.—L'amiral Dupetit-Thouars à Taïti.—Établissement et conditions du protectorat français à Taïti.—Les missionnaires anglais à Taïti.—Les missions protestantes et les missions catholiques dans l'océan Pacifique.—Débats dans la Chambre des députés à ce sujet.—Le capitaine Bruat nommé gouverneur des établissements français dans l'océan Pacifique.—Retour de l'amiral Dupetit-Thouars à Taïti.—Il substitue la complète souveraineté de la France au protectorat.—Réclamation de la reine Pomaré et des Taïtiens.—Fermentation à Taïti.—Menées de M. Pritchard, ancien missionnaire anglais.—Il abat son pavillon de consul d'Angleterre et en cesse les fonctions.—Le gouvernement français ordonne le rétablissement du protectorat.—Débats dans les Chambres à ce sujet.—Arrestation, emprisonnement et expulsion de M. Pritchard à Taïti.—Effet de cet incident à Londres.—Langage de sir Robert Peel.—Mon langage.—Négociation à ce sujet.—Conduite et correspondance du capitaine Bruat.—L'expulsion de M. Pritchard est maintenue et une indemnité lui est accordée.—Motifs de cette double mesure.—Les amiraux Hamelin et Seymour, commandants des stations française et anglaise dans l'océan Pacifique, sont chargés de s'entendre pour la fixation du taux de l'indemnité.—Lettre que m'écrit le roi Louis-Philippe pour se charger du payement de l'indemnité.—Le cabinet s'y refuse.—Débat dans la Chambre des députés.—Attitude du cabinet.—Il n'obtient qu'une faible majorité.—Il annonce sa résolution de se retirer.—Démarche du parti conservateur.—Le cabinet reste en fonctions.—Appréciation de cet incident.
CHAPITRE XLI.
L'Algérie et le Maroc. (1841-1847).
Le général Bugeaud gouverneur général de l'Algérie.—Son caractère et ses deux idées principales sur sa mission.—Désaccord entre ces idées et les dispositions des Chambres.—Le cabinet est résolu à soutenir fortement le général Bugeaud dans l'oeuvre de la complète domination française sur toute l'Algérie.—Campagnes et succès du général Bugeaud.—Son jugement sur Abd-el-Kader.—Sa susceptibilité dans ses rapports avec le ministère de la guerre, les Chambres et les journaux.—Ses brochures.—Sa correspondance particulière avec moi.—Il est fait maréchal.—Abd-el-Kader se replie sur le Maroc.—Dispositions du peuple marocain et embarras de l'empereur Abd-el-Rhaman.—Invasion des Marocains sur le territoire de l'Algérie.—Nos réclamations à l'empereur du Maroc.—Mes instructions au consul général de France à Tanger.—Le prince de Joinville est nommé commandant d'une escadre qui se rend sur les côtes du Maroc.—Inquiétude du gouvernement anglais.—Méfiance de sir Robert Peel.—Sagacité et loyauté de lord Aberdeen.—Ses démarches pour décider l'empereur du Maroc à se rendre à nos demandes.—Elles ne réussissent pas; la guerre est déclarée.—Le prince de Joinville bombarde Tanger et prend Mogador.—Le maréchal Bugeaud bat et disperse l'armée marocaine sur les bords de l'Isly.—L'empereur du Maroc demande la paix.—Elle est conclue à Tanger.—Ses conditions et ses motifs.—Débats dans les Chambres à ce sujet.—Négociation pour la délimitation des frontières entre l'Algérie et le Maroc.—Traité de Lalla-Maghrania.—Velléités de retraite du maréchal Bugeaud.—Abd-el-Kader recommence la guerre en Algérie.—Incident des grottes du Dahra.—Le maréchal Bugeaud met en avant son plan de colonisation militaire.—Ce plan est mal vu dans les Chambres et dans le ministère de la guerre.—Le maréchal Bugeaud veut se retirer.—Il vient en France.—Nouvelle et générale insurrection en Algérie.—Le maréchal Bugeaud y retourne et triomphe de l'insurrection.—Il est disposé à poursuivre Abd-el-Kader dans le Maroc.—Je lui écris à ce sujet.—Il y renonce.—Il insiste sur son plan de colonisation militaire.—Sa lettre au Roi pour le réclamer.—Présentation à la Chambre des députés d'un projet de loi conforme à ses vues.—Mauvais accueil fait à ce projet.—Le maréchal Bugeaud en pressent l'insuccès.—Il est souffrant et ne se rend pas à Paris.—La commission de la Chambre des députés propose le rejet du projet de loi.—Le gouvernement le retire.—Le maréchal Bugeaud donne sa démission.—Le duc d'Aumale est nommé gouverneur général de l'Algérie.
CHAPITRE XLII.
Les musulmans à Paris.—La Turquie et la Grèce. (1842-1847.)
Chefs musulmans à Paris, de 1845 à 1847.—Ben-Achache, ambassadeur du Maroc.—Ahmed-Pacha, bey de Tunis.—Ibrahim-Pacha, fils du vice-roi d'Égypte Méhémet-Ali.—Mirza-Mohammed-Ali-Khan, ambassadeur de Perse.—Réchid-Pacha, grand-vizir.—Stérilité des tentatives de réforme de l'Empire ottoman.—Il ne faut pas se payer d'apparences.—Affaires de Syrie.—Progrès dans la condition des chrétiens de Syrie, de 1845 à 1848.—Affaire du consulat de France à Jérusalem en 1843.—Question des renégats en Turquie.—De la situation de l'Empire ottoman en Europe.—Affaires de Grèce.—M. Colettis et M. Piscatory.—M. Piscatory et sir Edmond Lyons.—Le roi Othon.—Mes instructions à M. Piscatory.—Révolution d'Athènes (15 septembre 1843).—Opinion de M. Colettis.—Assemblée nationale en Grèce.—Établissement du régime constitutionnel.—Sentiments des cabinets de Londres, de Pétersbourg et de Vienne.—Arrivée de M. Colettis en Grèce.—Ministère Maurocordato.—Sa chute.—Ministère Colettis et Metaxa.—M. Metaxa se retire.—Ministère Colettis.—Hostilité de sir Edmond Lyons.—Ma correspondance avec M. Colettis.—Attitude de sir Edmond Lyons envers M. Piscatory.—Instructions de lord Aberdeen.—Chute du cabinet de sir Robert Peel et de lord Aberdeen.—Lord Palmerston rentre aux affaires en Angleterre.—Son attitude envers la Grèce et le ministère de M. Colettis.—Fermeté de M. Colettis.—Troubles intérieurs en Grèce.—M. Colettis les réprime.—Querelle entre les cours d'Athènes et de Constantinople.—Maladie et mort de M. Colettis.
CHAPITRE XLIII.
La liberté d'enseignement.—Les jésuites et la cour de Rome. (1840-1846.)
En quoi consiste la liberté d'enseignement.—Résolution du cabinet du 29 octobre 1840 de tenir, à cet égard, la promesse de la charte de 1830.—Divers projets de loi présentés par MM. Villemain et Salvandy.—Caractère de l'Université de France, corps essentiellement laïque et national.—Que la liberté d'enseignement peut et doit exister en même temps que l'Université.—Succès permanent de l'Université.—Difficulté de sa situation quant à l'éducation religieuse.—Légitimité et nécessité de la liberté d'enseignement.—Lutte entre l'Université et une partie du clergé.—Par quelle fâcheuse combinaison les jésuites devinrent les principaux représentants de la liberté d'enseignement.—Du caractère primitif et historique de la congrégation des jésuites.—Méfiance et irritation publique contre elle.—On demande que les lois de l'État qui la frappent soient exécutées.—Je propose que la question des jésuites soit portée d'abord à Rome, devant le pouvoir spirituel de l'Église catholique.—Le Roi et le conseil adoptent ma proposition.—M. Rossi est nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire par intérim à Rome.—Motifs de ce choix.—Négociation avec la cour de Rome pour la dissolution en France de la congrégation des jésuites, sans l'intervention du pouvoir civil.—Embarras et hésitation de la cour de Rome.—Grégoire XVI et le cardinal Lambruschini.—Succès de M. Rossi.—Le Saint-Siége décide la Société de Jésus à se dissoudre d'elle-même en France.—Effet de ce résultat de la négociation.—Efforts pour en retarder ou en éluder l'exécution.—Ces efforts échouent et les mesures convenues continuent de s'exécuter, quoique lentement.—Maladie du pape Grégoire XVI.—Troubles dans la Romagne.—M. Rossi est nommé ambassadeur ordinaire de France à Rome.—Mort de Grégoire XVI.—Pressentiments du conclave.
PIÈCES HISTORIQUES
I
1º Instructions données à l'amiral Dupetit-Thouars, par M. l'amiral Duperré, ministre de la marine et des colonies.
2º Le contre-amiral Dupetit-Thouars à M. le ministre de la marine et des colonies.
II
1º Le contre-amiral Dupetit-Thouars au ministre de la marine.
2º Instructions de l'amiral Roussin, ministre de la marine et des colonies, à M. le capitaine Bruat, nommé gouverneur des îles Marquises.
3º Instructions confidentielles de l'amiral Roussin, ministre de la marine et des colonies, à M. le capitaine Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie.
III
1º Le ministre de la marine à M. Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie, commissaire du Roi près la reine des îles de la Société.
2º Le ministre de la marine à M. Bruat, gouverneur des établissements français dans l'Océanie, commissaire du Roi près la reine des îles de la Société.
IV
1º Résumé des campagnes du maréchal Bugeaud, de 1841 à 1847, et principaux résultats de ces campagnes quant à l'extension et à la consolidation de la domination française en Algérie.
2º Bureaux arabes.
Fin de la table du tome septième.
___________________________________________________ Paris.—Imprimé chez Bonaventure, Ducessois et Cie.