Moyens infaillibles de devenir riche
CHAPITRE III
Les Économies
Pour que les économies conduisent réellement à la fortune, il faut qu’elles soient constantes. Ne voit-on pas des ouvriers prendre la bonne résolution de diminuer leurs dépenses, de se priver de certains plaisirs pour s’amasser quelque argent, et s’arrêter en chemin parce que leurs économies ne grossissent pas à leur gré et qu’elles ne forment pas en six mois un capital suffisant pour leur permettre d’en vivre sans continuer le travail ? Ceux qui raisonnent et agissent ainsi seront toujours pauvres. Ce n’est que par l’accumulation sans arrêt des petites épargnes que l’on parvient à se faire un capital respectable. Économisez sur toutes choses ; tenez-y la main et ne vous lassez pas ; vous verrez, au bout d’un an seulement, quel miracle se sera opéré dans votre bourse.
Un sou épargné reste dans votre poche. A vous de le faire fructifier et d’y joindre d’autres épargnes. Mais surtout, pour quelque cause que ce soit, évitez d’y toucher pour le dépenser en vous promettant de le remplacer rapidement, car ce serait prendre la mauvaise habitude de ne point garder intact le fruit de vos économies. Ce système vous conduirait à la vilaine manie de mettre de côté une somme d’argent que vous vous réserveriez de reprendre à la première occasion pour la faire servir à quelque dépense. Que pour vous l’argent économisé soit un dépôt sacré sur lequel vous ne mettrez la main que pour l’utiliser à faire une opération fructueuse, soit à la Caisse d’épargne, soit en achat d’obligations de tout repos. Du reste, ne gardez point longtemps cet argent chez vous. Placez-le aussitôt que possible, afin de n’être point tenté de le dépenser. Vous serez vous-même très heureux de constater l’accroissement de votre petite fortune naissante ; vous éprouverez le désir et le besoin d’y apporter souvent quelque chose. Il y aura de l’entraînement. Le jour où l’occasion se présentera de faire une dépense qui ne sera pas tout à fait urgente, vous direz : « Et mon magot ; il faut y penser ». Vous conserverez votre argent, et votre capital sera gonflé d’autant.
Un homme qui s’aviserait de ne faire que des économies occasionnelles, n’arriverait jamais à un bon résultat. C’est chaque jour que la préoccupation d’épargner doit être présente à l’esprit.
On dit parfois que les gens économes ne sont pas heureux pour la raison qu’ils restent étrangers aux plaisirs dont se délectent leurs contemporains. Pauvre raison. Eh ! n’éprouve-t-on point de bonheur à sentir que les choses que l’on a sont bien à soi ; à vivre dans une maison où règnent l’ordre et l’aisance ; à payer comptant chaque chose que l’on est obligé d’acheter ; à ne point connaître les créanciers bourrus qui réclament avec menace des sommes dues ; à ignorer les huissiers dont l’abord sévère produit une si mauvaise impression sur les débiteurs toujours à court d’argent. Pour un plaisir qui aura duré quelques heures chez l’homme amoureux des spectacles, des concerts et d’autres distractions coûteuses, mais qui sera suivi de l’affront des réclamations incessantes des dettes, quelles peines se prépare l’imprévoyant chez qui la misère s’installe en maîtresse : ennuis, brouilles dans le ménage, déceptions, désespoirs, malheur, pleurs des enfants, découragement des parents. La maison devient un enfer insupportable que la gaieté visite rarement ; on y remarque en complet désarroi tout ce qui fait chez d’autres le bonheur intime du foyer, sans compter les expédients — peu honnêtes parfois — qu’il faut imaginer pour sortir d’un mauvais pas et les craintes qu’une situation qui va en s’empirant, permettent de supposer.
L’économe qui n’use que du nécessaire est mille fois plus heureux que le prodigue qui abuse du superflu. L’un a sa conscience tranquille ; l’avenir lui sourit, l’existence lui est douce ; il se contente de ce qu’il a, n’ayant point de désirs au delà de ses moyens ; l’autre est toujours inquiet, il jouit bien par instants de quelques joies procurées par des distractions quelconques et des voyages, mais ces joies sont éphémères et bientôt neutralisées par une échéance qui arrive et à laquelle il ne peut satisfaire. Il sera obligé de descendre quelques degrés de l’échelle sociale et de subir l’affront de vivre dans une condition inférieure à celle où il avait prétendu se placer. Son honneur en souffrira. Le premier aura toutes les chances de s’élever et, parti du bas de l’échelle, il pourra aspirer à en gravir avec honneur les degrés qui le placeront dans le cadre qu’il mérite, respecté des autres hommes. D’un côté, l’honneur et le bonheur ; de l’autre, le déshonneur et la misère. Considérez maintenant laquelle des deux situations sera la plus digne d’envie.
Faire des économies en toutes choses est d’une grande simplicité. Avec de l’attention et de la persévérance, comme nous le disions tout à l’heure, tous les ménages peuvent gravir l’escalier facile qui conduit à la fortune.
Ne dépensez jamais un sou inutilement. Un sou, c’est peu de chose, dira-t-on. Remarquons que se laisser aller à dépenser en une circonstance donnée un seul sou sans besoin, peut amener une autre dépense plus importante également sans utilité. C’est une affaire de principe. Si je dépense ce matin cinq centimes pour un cigare, j’entrerai demain dans un café et j’y prendrai une consommation de dix centimes ; après-demain, j’achèterai une pâtisserie de dix centimes et ainsi de suite. Toutes choses dont j’aurais pu me passer. Comptez la somme que je ferais ainsi passer de ma poche dans celle d’autrui, et ce qu’elle produirait en vingt ans si je la faisais fructifier.
Achetez les marchandises nécessaires à vos besoins dans des maisons de confiance. Ne prenez point ce qui est trop bon marché. Souvent la marchandise de bonne qualité fait un plus long et meilleur usage que la médiocre. Une paire de chaussures que vous aurez payée vingt francs, par exemple, vous durera quatre ans et sera propre et convenable jusqu’au dernier jour. Si vous jetez votre choix sur une de dix francs, il vous faudra une paire chaque année, ce qui vous obligera à une dépense double dans les quatre années, et vous ne serez pas encore bien chaussé. Il en sera de même pour un grand nombre d’objets.
Payez comptant : votre premier gain sera une remise, le second, de posséder entièrement ce que vous avez. Du reste, on ne doit jamais acquérir ce qu’on n’est pas en mesure de payer immédiatement. Les dettes sont exactement comme les économies, elles s’enflent et grossissent les unes comme les autres sans que l’on s’en aperçoive. Une dette chez le marchand de chaussures vous autorisera à en créer une autre chez le tailleur, une autre chez le boulanger et ainsi de suite ; si bien qu’il viendra un temps où tous ces retards de paiements vous mettront dans l’impossibilité de régler vos dépenses qui seront alors trop considérables. Il ne vous semblera pas pénible de donner trente-cinq centimes au boulanger qui vous donnera un pain chaque jour ; mais vous ferez la grimace si pour cent pains dus au bout de cent jours, il vous faudra lui verser la grosse somme de 35 francs.
Acheter à crédit, c’est jeter le trouble dans son budget. Vous ne pouvez pas connaître nettement l’état de vos finances si vous devez. Vous paraissez heureux parce que vous avez aujourd’hui cent francs en caisse ; cela vous semble une fortune au premier abord ; mais vous réfléchissez et vous dites : je dois 20 francs au boulanger ; 10 francs au boucher ; 10 francs au tailleur ; 15 francs à l’épicier. Total 55 francs. Que vous reste-t-il ? Voilà votre fortune à moitié évanouie. D’où une cruelle déception qui vous plonge dans un désarroi tel que vous voyez la misère à votre porte en même temps que le vide dans votre porte-monnaie. Songez à quelle joie vous pourriez vous livrer, s’il vous était permis de dire : Ces cent francs sont à moi. Je n’ai rien prélevé sur eux avant de les posséder.
Ne faites donc jamais aucune dette, si petite soit-elle. Si vous n’avez pas d’argent aujourd’hui, privez-vous. Ne risquez point de perdre votre indépendance en vous créant des obligations envers des fournisseurs. Ceux qui paient en achetant sont, souvent aussi, mieux servis que ceux qui remettent à plus tard le paiement. Tout fournisseur est satisfait de toucher tout de suite le prix de la marchandise qu’il vend et, par réciprocité, sert bien ses bons clients ; il passe aussi ses marchandises médiocres, s’il en a, aux personnes qui le paient irrégulièrement, car il se sent exposé à perdre tout ou partie de sa fourniture. Dans ce cas, il perd moins que s’il avait fourni quelque chose de première qualité.
Qui paie toujours comptant peut se dire déjà riche, puisqu’il ne doit rien à personne. Mais faites attention qu’il ne tardera pas à le devenir, car les économies fructifient rapidement chez ceux qui aiment l’ordre et qui sont ennemis irréductibles des dettes. Ceux-ci deviennent-ils malades ? Des malheurs s’abattent-ils chez ceux ? Sont-ils quand même obligés d’aller à crédit ? On leur fera confiance. Ils trouveront partout aide et secours, et jamais aucune voix ne s’élèvera chez leurs créanciers pour leur réclamer des dettes forcément contractées, avant que, de leur bonne volonté et de leurs salaires réapparus, ils puissent s’acquitter.
Combien dépense-t-on inutilement au cabaret, au jeu, au théâtre, à une foule d’autres distractions ? Ce n’est pas le moyen de s’enrichir. N’y a-t-il pas d’autres façons agréables d’occuper ses loisirs, pour des familles économes ?
Si le mari va au café, il dépense quelque argent, pendant que sa femme, seule à la maison, s’ennuie et s’ingénie quelquefois, mais avec peu de succès le plus souvent, à réparer la perte subie.
Tout ouvrier véritablement désireux de s’enrichir, agira bien mieux en remplaçant ces stations coûteuses dans les cabarets par une promenade hygiénique qui n’entraînera aucun frais. A la campagne, les promenades sont toujours agréables. On visite les bois, les marais, les monts, les vallées, la plaine ; on observe la nature qui nous sourit et qui nous révèle toujours de nouveaux secrets ; et l’on rentre le soir, à la maison, les poumons remplis d’un air pur, le teint coloré, le sang rajeuni et l’esprit quiet. S’il y a des enfants, ils profitent grandement de ces exercices au grand air ; leur santé s’en améliore et leurs mœurs s’adoucissent à la vue des belles choses que recèle la nature et que bien des gens n’apprécient pas comme il conviendrait.
A la ville, ces promenades sont plus variées et plus utiles, surtout pour l’ouvrier qui respire chez lui ou dans les manufactures un air presque toujours vicié. Sur les boulevards, ombragés d’arbres superbes aux rameaux feuillus qui déversent à foison l’oxygène si bienfaisant pour les poumons, que d’agréments l’ouvrier et sa famille peuvent goûter ? Ils font pour une semaine leur provision d’air pur et trouvent la gaieté et la diversité à chaque pas.
Ces distractions innocentes ne sont-elles point préférables à d’autres qui seraient coûteuses et qui ne laissent point souvent un bon souvenir ?
Quand il faut rester à la maison pour une cause quelconque, il y a la lecture. Partout existent maintenant des bibliothèques bien garnies, et gratuitement tous les ouvriers sont à même de s’enrichir l’esprit par des ouvrages de science, d’histoire, de géographie, etc., par les romans et les œuvres des maîtres de la littérature. C’est là une suprême joie qui donne la faculté à l’ouvrier de s’instruire sans bourse délier, au lieu de courir s’amuser dans les lieux d’où l’on ne sort point sans laisser un peu de sa monnaie.
Avez-vous du goût pour le théâtre ? Pourquoi vous installer quelques heures devant une scène d’où surgiront des artistes qui vous diront ce que vous pourrez lire à tête reposée dans la bibliothèque de votre quartier ?
Aimez-vous la musique ? Allez sur la place publique le dimanche, vous y entendrez un concert ; courez — dans les villes — dans les jardins publics, les morceaux des maîtres, joués par une musique militaire de premier ordre, caresseront vos oreilles. Vous jouirez de tous ces plaisirs gratuitement. Comparez ensuite vos joies à celles de votre voisin qui aura passé son dimanche, assis devant la table d’un café, au milieu du bruit de voix des consommateurs et humant à pleine poitrine l’air empesté de la fumée bleuâtre des cigares et des cigarettes, qui irrite les organes respiratoires et les prédispose à une inflammation gênante et douloureuse.
Vous aurez, le soir, le cerveau rempli de bonnes pensées, de souvenirs agréables, de vos lectures, de vos promenades ; une sensation de bonheur et de bien-être aura été laissée en vous par les impressions saines, ressenties dans vos diverses distractions du jour ; votre voisin éprouvera de la lassitude et du dégoût. La congestion passagère de son cerveau, qui sera le fruit recueilli dans une atmosphère malsaine, s’opposera à son parfait contentement. Le lendemain, il se sentira la tête encore alourdie des excès de la veille, mais la bourse allégée des quelques francs dépensés. Rien ne sera à son profit. Engagez-le à rompre avec cette mauvaise habitude et à vous imiter ; sûrement il ne tardera pas à vous en être reconnaissant.
N’attachez pas trop d’importance à la toilette. Des vêtements propres, vous habillant décemment, vous seront suffisants. Les modifications de la mode sont si fréquentes qu’elles ne peuvent être suivies que par les personnes riches, en état de faire d’importantes dépenses sans faire un vide bien sérieux dans leur coffre-fort. On n’estime point, en général, les ouvriers et les ouvrières qui portent une toilette trop recherchée : la simplicité dans l’habillement est encore ce qu’on loue avec le plus de chaleur et de raison, du reste. Que signifient ces rubans, ces garnitures, répandus à profusion sur les vêtements féminins ? Ce ne sont point eux qui ont le pouvoir de donner des charmes à une personne quelconque. La correction dans l’ajustement, la perfection dans la coupe qui dessine bien les différentes parties du corps, l’élégance sans recherche dans l’exécution de la robe, du corsage, du manteau, etc. sont de nature à accuser plus parfaitement la grâce naturelle de la femme. Il n’est guère besoin que des modes originales et hardies s’entremettent ici pour détruire l’harmonie du corps humain, et posent sur une tête émergeant d’un corps fluet et enserré dans une robe collante, un chapeau aux dimensions gigantesques où pourraient prendre place, sans qu’il soit besoin d’exercer de compression, un quarteron d’œufs de poule. Nous parlons évidemment plutôt de la toilette féminine, cause de grosses dépenses quand on n’y prend point garde, que des vêtements masculins qui, en général, sont achetés avec économie et renouvelés seulement quand besoin est.
Ne dépensons donc pas trop pour la toilette ; nous ne serons point enviés ; on nous louera de notre modestie et notre argent nous restera.
Léocadie éblouit par l’éclat que projette sa robe de soie. On la salue au passage et on s’incline devant sa magnifique toilette. Elle pourrait en éprouver une juste fierté, mais le temps est brumeux et déjà une pluie fine voltige en l’air. Oh ! que va devenir ma robe, pense-t-elle ; et elle est prise d’une vive inquiétude.
Que sera-ce tout à l’heure quand le sol sera mouillé et que les taches blanches de la boue s’étaleront sur la soie ? Il lui faudra mille précautions pour la nettoyer et ne point ternir un objet d’un si haut prix.
Lucie n’a point ces désagréments avec sa robe en drap. S’il pleut, elle la laissera lentement sécher et il n’y paraîtra point ; si la boue la salit, il suffira d’une minute pour la remettre à neuf. Elle n’est point l’esclave de ses vêtements ; elle les soigne, les conserve le plus longtemps possible en état de propreté, ne les paie point trop cher et ne voit pas sa bourse s’aplatir pour ses goûts de toilette.
Prenez donc toujours garde à la dépense. Économisez sur toutes choses. Il n’est point de petites économies négligeables ; toutes concourent au même but et viennent confluer dans la même mer : la Fortune. Celle-ci est la conséquence naturelle et logique de l’épargne ; elle lui est intimement liée et ne peut être durable sans son vigilant concours. Les fortunes les plus grosses disparaissent dans le gouffre du domaine public dès qu’elle est absente ; les plus petites deviennent pléthoriques quand veille une sage et savante économie qui dirige et redresse leur flux qui monte.
Ouvriers économes, ne gardez jamais chez vous le superflu de votre argent. Placez-le sans retard à la Caisse d’épargne. Sans qu’il vous en coûte aucune peine, vous gagnerez un premier revenu ; et vous verrez comme votre avoir prospérera, grossi sans cesse des sommes nouvelles que vous y porterez et des intérêts qui y courront chaque jour. Quand votre livret atteindra le beau capital de mille francs, vous gagnerez ainsi, à 3 %, trente francs dans votre année. Que de choses on peut acheter avec 30 francs. Mais vous ne les dépenserez point et les laisserez produire eux-mêmes des intérêts, si bien que, sans autre versement, la fin de la deuxième année vous accusera une petite fortune de 1.060 fr. 90. Rendez-vous bien compte de la différence, et du succès croissant de vos opérations, sans apport nouveau.
Il faut toujours commencer un livret de Caisse d’épargne lorsqu’on ne peut faire que de petites économies, en rapport avec le modique salaire quotidien. Aussitôt que l’importance du capital dépasse un billet de mille francs, on agit sagement d’acheter une où plusieurs obligations à lots. Ce sont des valeurs de tout repos, comme on dit, qui donnent une rente annuelle assez raisonnable, dont le prix augmente plutôt qu’il ne baisse, et qui vous procurent la chance, plusieurs fois par an, de gagner un lot important. Certes, ce serait vous exposer à des déceptions que de vous illusionner au point d’avoir une trop grande confiance dans votre étoile et de supposer qu’un gros lot ne pourrait manquer de vous échoir. Sachez que la chance est presque nulle et que le nombre des heureux dans les tirages est infiniment petit, comparé au nombre des obligations émises ; mais sachez aussi que vous ne pourriez gagner sans numéro et qu’enfin le hasard peut vous favoriser. Vous ne risquez rien, puisque votre capital ainsi placé est en même temps productif d’intérêts. Néanmoins, consultez les journaux de temps en temps pour vous assurer que votre obligation ne diminue point de valeur et que si vous l’avez achetée 500 francs, elle ne vaille plus que 480 francs, ce qui ferait alors une perte de vingt francs. Souvent cet inconvénient ne se présentera point et ce sera le plus souvent une augmentation que vous aurez le plaisir de constater.
Les meilleurs placements sont les achats d’obligations et de rentes sur l’État. Vous aurez un intérêt moins élevé que dans d’autres opérations financières, mais votre argent aura l’avantage d’être placé en lieu sûr ; et c’est surtout ce point de vue que doit envisager le petit capitaliste. Vous laisser entraîner par des promesses de bénéfices élevés et faciles, sera un danger qu’il faudra éviter. Les bénéfices de dix, vingt et trente pour cent, existent certainement, mais il faut un flair spécial et une grande habitude des affaires de cette sorte pour conduire convenablement, dans ces cas, sa barque qu’une petite lame peut faire chavirer.
Tout ouvrier économe ne peut avoir ce goût des gros bénéfices, puisqu’il travaille lentement, mais sûrement, à augmenter son avoir. Il sait bien que l’argent trop facilement gagné est souvent trop vite dépensé, et qu’alors le gain final est nul. Un sage bénéfice sur ses valeurs péniblement acquises, lui assurera plus de jouissance qu’un gain exagéré qui le rendrait inquiet sur ses suites probables. L’économe est un sage et un pondéré, en général, qui ne se lance point dans l’inconnu et qui craint tout ce qui est démesuré. Nous pensons donc qu’il est sans utilité de lui répéter de prendre toutes ses précautions pour que ses économies ne lui échappent jamais, et, qu’au contraire, elles lui assurent pour un avenir très prochain, une fortune sinon élevée, du moins passable et capable de le mettre à l’abri de toute gêne et en état de vivre en partie du fruit de ses revenus.
Tout en s’assurant un capital personnel, l’ouvrier ne doit point négliger de faire des versements aux Sociétés diverses garanties par l’État, dans le but de se créer une retraite quand il atteindra un âge assez avancé. Qu’il commence sans retard et surtout qu’il soit prévoyant pour ses enfants en les faisant admettre à la mutualité scolaire. Si lui-même n’a pas eu l’avantage dans son enfance des progrès accomplis maintenant dans le domaine de la mutualité et de la prévoyance sociales, que toute son attention se porte à donner à ses descendants le bénéfice de ces œuvres de bienfaisance. Un versement hebdomadaire de dix centimes sur la tête d’un enfant, à partir de l’âge de 3 ans, lui assurera à 55 ans une pension viagère de 200 francs environ, et le droit de toucher en cas de maladie, jusqu’à l’âge de 18 ans seulement, une indemnité quotidienne de cinquante centimes pendant le premier mois et de vingt-cinq centimes pendant les deux mois qui suivraient. C’est un bien maigre sacrifice qu’une économie de dix centimes par semaine, soit 5 fr. 20 par an. Remarquez quels avantages avec ce léger versement non interrompu, vous faites à vos enfants. Quand ils seront livrés à eux-mêmes, qu’ils auront à leur tour fondé une famille, ils ne devront guère négliger d’apporter chaque semaine leur appoint à la Caisse de la Mutualité ; s’ils ont épousé une jeune femme qui ait été engagée dans la même voie d’économie et de prévoyance, ils verront tous deux, quand leurs bras seront moins robustes pour le travail, leur énergie musculaire diminuée, tomber en leur honnête logis, le joli revenu annuel de quatre cents francs, c’est-à-dire plus d’un franc par jour. Ce revenu, ajouté à celui provenant de leurs épargnes personnelles, leur permettra de vivre heureusement, de jouir en paix et dans l’aisance des derniers temps de leur existence. Voilà donc une preuve de plus que les ouvriers doivent commencer le plus tôt possible leurs épargnes. Si leurs parents n’ont rien fait pour eux, que leur préoccupation soit, dès les premiers jours du mariage, de penser à l’avenir, de dépenser seulement pour les choses nécessaires et de mettre précieusement de côté tout ce qu’ils pourront réaliser d’économies. Rien ne les rendra plus heureux. On s’oblige parfois à des dépenses dont on se passerait sans inconvénient, pourquoi ne prendrait-on pas l’obligation de verser chaque semaine une somme déterminée pour se former un capital, une autre, en vue d’obtenir une rente viagère dans ses vieux ans ? La crainte de la misère est le commencement de l’épargne.
Si dans le jeune ménage, arrive bientôt un bébé, il sera le bienvenu. Sans grande dépense, on saura l’élever d’une façon hygiénique.
Il sera peut-être alors nécessaire de recourir aux premières économies pendant les premières années. Qu’à cela ne tienne, et bien vite, par votre courage et votre ardeur nouvelle à procurer à un enfant que vous aimerez, toutes les satisfactions indispensables, vous aurez, ouvriers économes, comblé le vide que vous aurez dû faire. Retenez qu’il est sage de ne pas tarder à s’habituer à l’économie. Nous connaissons des ménages de quarante ans qui, après avoir commencé leur vie de labeur avec le rudimentaire mobilier des ouvriers, sans aucun autre avoir, ont élevé plusieurs enfants qu’ils ont pourvus de superbes situations, ont amassé un pécule respectable — fruit exclusif du travail et de l’économie leur permettant de vivre, vers l’âge de soixante ans, dans la plus grande aisance et en véritables rentiers.
Comment ont-ils fait ? Ils ont travaillé honnêtement, mettant un soin scrupuleux à ne dépenser jamais un sou sans absolue nécessité. Pas de toilette extravagante : La simplicité même ; ni cabaret, ni tabac, ni voyages d’agréments trop dispendieux. Comptez ce qu’ils ont pu économiser rien qu’en se privant de ces superfluités que certaines personnes appellent des distractions.
Ne rien dépenser sans besoin urgent et n’avoir en vue que les bons placements : telle est la base essentielle du commencement certain de la fortune.
A côté de la fortune que vous vous amassez et dont vous serez en droit de disposer librement, soit pour entreprendre un commerce, soit pour fonder une industrie, soit pour acquérir des immeubles, rien ne vous empêche de jeter les premiers éléments qui devront vous gratifier d’une rente importante à l’âge où l’on a gagné le repos. Versez un franc par semaine à la Caisse nationale des Retraites pour la Vieillesse, à partir de l’âge de 20 ans, vous obtiendrez, au taux actuel de 3 1/2 %, une belle retraite de 586 francs à soixante ans. Si vous désirez réserver à vos enfants le remboursement des sommes que vous aurez versées ainsi, il vous sera facile de le déclarer ; mais alors il faudra vous trouver satisfaits d’une retraite de 369 francs. Ce sera à vous de voir quels seront vos avantages et vos désirs.
Vous pouvez commencer ces versements à un âge plus avancé. Il est évident que dans ce cas vous serez obligés de donner davantage.
Que représente ce versement d’un franc par semaine ? La somme que beaucoup d’ouvriers, choisis parmi ceux qui dépensent le moins, laissent au café chaque dimanche. Cela doit provoquer la réflexion chez eux et les décider à éviter de gaspiller leur argent sans aucun profit autre qu’une satisfaction bien éphémère et dont ils se passeraient pour jouir plus tard d’un bien-être beaucoup plus sérieux.
Pensez aussi à vos enfants. Ils vous en garderont une vive reconnaissance quand leur viendra la raison. Ainsi que pour la mutualité, il est nécessaire de commencer de bonne heure pour que les sacrifices annuels soient moins importants. Avec 36 francs par an — soit dix centimes par jour — versés au nom de l’un de vos enfants pendant dix-huit ans, c’est-à-dire depuis l’âge de trois ans jusqu’à celui de vingt et un ans, vous lui assurerez à 60 ans une retraite de 564 francs. Ne sont-elles point merveilleuses ces combinaisons de la Caisse des Retraites pour la vieillesse, et dignes de fasciner tous les travailleurs qui rêvent d’un bel avenir ?
A défaut même de mise de fonds en réserve pour la formation d’un capital en vue de vous créer une fortune, ne voilà-t-il pas des moyens accessibles à tous les salaires, pour mettre entre la misère et vous une barrière infranchissable et vous assurer le pain des vieux jours ?
Il n’est donc point difficile d’arriver à la fortune, comme vous avez pu le constater. Il suffit de vouloir et d’être persévérant ; de ne faire aucune dépense inutile ; de placer son argent en lieu sûr et fécond ; de n’être point impatient, car la fortune ne peut se faire d’un seul coup. Une longue gestation lui est nécessaire. Mais elle arrivera sans manquer, à l’heure où vous pourrez encore en profiter, si vous ne lui infligez aucun arrêt dans sa marche.
Des personnes sans ordre sont dans l’impossibilité d’acquérir le bien-être et d’arriver à la fortune, car il y a toujours chez elles une force invincible qui les engage à suivre toutes les voies qui se présentent, et surtout les mauvaises, à vivre dans le désordre, à ne prendre soin de ce qu’elles ont, à prodiguer, à rester impassibles devant les soucis toujours plus âpres de l’existence, et à penser que demain pourvoira comme aujourd’hui aux nécessités de la vie. Elles s’en remettent au hasard du soin de leur assurer un avenir plus souriant ; selon elles, le destin ne pourra que leur être favorable. Il y a peu d’exemples cependant que seul le hasard ait favorisé quelqu’un au point de l’élever à la fortune. Qu’importe. C’est la planche de salut qu’on escompte, et qui, malheureusement, fait souvent défaut. Et l’argent est dépensé follement ; les choses du ménage ne sont ni entretenues ni soignées ; les objets de la toilette sont renouvelés sans besoin ; tout disparaît dans l’abominable gouffre du désordre, sans que personne en tire le moindre profit. Les années se suivent et la situation s’empire ; les dettes surviennent ; les mauvaises mœurs s’accentuent et enfoncent leurs profondes racines dans la misère du désespoir ; l’âge avancé arrive sans que la pauvreté et la misère aient eu le temps de déguerpir. Cette fois, le mal est irréparable et il faut subir les conséquences funestes d’une vie sans ordre et sans économie.
On a bien compté sur un héritage pour sauver la situation : il ne s’est pas produit. Oh ! ne comptez jamais que sur vous-même, sur votre travail, sur votre courage, sur votre conduite. Que rien ne soit livré au hasard, et tout vous réussira. Le temps des miracles est passé, dit-on quelquefois. Cela est vrai surtout ici, et il ne peut tomber une fortune chez vous que si vous l’avez recherchée, que si vous vous êtes efforcé de l’attirer à vous, par un incessant labeur et une persévérante économie.
N.-B. — La loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières, récemment promulguée, oblige une catégorie très importante de personnes à effectuer des versements en vue d’obtenir une retraite à l’âge de 65 ans — cet âge est maintenant descendu à 60. — Elle vient précisément au-devant de nos désirs et n’empêche point les versements particuliers que nous conseillons.