Oeuvres poétiques Tome 2
The Project Gutenberg eBook of Oeuvres poétiques Tome 2
Title: Oeuvres poétiques Tome 2
Author: de Pisan Christine
Release date: July 4, 2004 [eBook #12812]
Most recently updated: October 28, 2024
Language: French
Credits: Carlo Traverso and the Online Distributed Proofreading Team
Carlo Traverso and the Online Distributed Proofreading Team.
This file was produced from images generously made available by the
Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
SOCIÉTÉ
DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS
OEUVRES POÉTIQUES
DE
CHRISTINE DE PISAN
II
OEUVRES
DE
CHRISTINE DE PISAN
PUBLIÉES
PAR
MAURICE ROY
TOME DEUXIÈME
L'ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS, LE DIT DE LA ROSE, LE DÉBAT DE DEUX AMANTS, LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS, LE DIT DE POISSY, LE DIT DE LA PASTOURE, ÉPITRE A EUSTACHE MOREL.
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET Cie.
RUE JACOB, 56
M DCCC XCI
Publication proposée à la Société le 23 avril 1884.
Approuvée par le Conseil le 25 février 1885, sur le rapport d'une commission composée de MM. Meyer, Paris et Raynaud
Commissaire responsable: M. P. MEYER.
INTRODUCTION
Avec ce deuxième volume nous abordons la publication d'oeuvres importantes formant de véritables poèmes. Façonné déjà par la composition de la plupart des petites pièces charmantes que nous connaissons, le génie poétique de Christine va maintenant se donner libre carrière et s'élever d'un degré.
1.—ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS
L'Épître au dieu d'amours paraît être le premier effort tenté par Christine pour réaliser ce progrès. Le sujet de ce poème était d'ailleurs bien fait pour inspirer celle qui a toujours eu à coeur la défense de son sexe, mais nulle part, peut-être, elle n'a répondu aux détracteurs de la femme avec plus d'esprit et d'à propos. Parodiant spirituellement la forme des Lettres Royaux, Christine suppose comme entrée en matière une requête adressée au dieu d'amours par des dames de toutes conditions qui portent plainte contre les hommes déloyaux et trompeurs [1].
Elle fait ensuite raconter par le dieu d'amours les stratagèmes que les mauvais chevaliers emploient habituellement pour parvenir à leurs fins et les actions déshonnêtes de ces hommes pervertis qui se vantent de leurs méfaits jusque dans les tavernes, chez les grands de la cour, et même dans le palais du roi. Cupido se déclare naturellement l'ennemi des personnes qui médisent aussi insolemment des femmes, et réserve tous les plaisirs dont il est le dispensateur aux chevaliers loyaux qui observent fidèlement ses salutaires commandements. Puis Christine, entrant au coeur de son sujet, développe avec un remarquable talent toutes les raisons que l'on peut faire valoir en faveur des femmes. C'est un véritable plaidoyer qu'elle entreprend; se posant en arbitre entre les détracteurs et les admirateurs exagérés du sexe féminin, elle se sert d'arguments empruntés plutôt à la simple logique et au bon sens qu'aux textes si souvent cités et interprétés par ses prédécesseurs; elle soutient la première une opinion moyenne, s'attachant surtout à faire remarquer que les femmes en général sont douées de bonnes qualités et qu'il ne faut pas faire retomber sur toutes les égarements de quelques-unes. Cependant, entraînée par l'ardeur de la discussion, elle ne peut s'empêcher de critiquer vivement les auteurs qui se sont, de parti pris, attaqués aux femmes et de dénoncer avec indignation l'Art d'aimer d'Ovide et le Roman de la Rose de Jean de Meun.
Certes une composition de ce genre, qui s'élevait si hardiment contre les théories essentielles d'une oeuvre jouissant encore d'une haute réputation, devait attirer à Christine la contradiction des nombreux et influents admirateurs de Jean de Meun; mais elle ne se laissa pas intimider et sut tenir tête à tous ceux qui l'attaquèrent. Dans cette lutte courageuse elle trouva même de puissants alliés qui embrassèrent complètement sa cause: il suffira de citer Jean Gerson [2], l'illustre chancelier, Guillaume de Tignonville, prévôt de Paris, et surtout le célèbre maréchal Boucicaut [3]. Ce dernier, qui revenait de sa brillante expédition en Orient, s'associa même si complètement aux sentiments de Christine qu'il fonda le jour de Pâques fleuries 1399 (11 avril 1400 n. st.), sous le nom de «l'écu verd a la dame blanche», un ordre de chevalerie pour la défense des femmes.
Mais, à côté de ces puissants personnages, qui venaient apporter leur concours à la vaillante femme, quelques contradicteurs s'efforçaient de faire entendre leurs protestations. Depuis long-temps Christine s'entretenait de littérature avec un humaniste distingué, Jean de Montreuil [4], prévôt de Lille. Plusieurs fois ils avaient échangé leurs appréciations sur certains ouvrages. Il paraît même probable que l'Épître au dieu d'amours, où Christine ne dissimulait pas son sentiment sur l'oeuvre de Jean de Meun, fut le point de départ de la fameuse querelle du roman de la Rose.
A la suite d'une discussion orale au cours de laquelle Christine avait de nouveau contesté les mérites de l'oeuvre si vantée, Jean de Montreuil lui envoya la copie d'une belle épître qu'il venait de préparer et d'adresser en réponse à «un sien ami, notable clerc» partageant la même opinion qu'elle, mais la rhétorique du prévôt de Lille fut sans effet sur les convictions de la célèbre femme qui répliqua par une attaque en règle contre l'immoralité du livre en question [5].
Un autre personnage jouissant d'une haute réputation politique, Me Gontier Col [6], secrétaire du roi, surgit alors pour défendre l'opinion de Jean de Montreuil, son disciple, et reprocha vivement à Christine d'avoir écrit «par maniere de invective» contre le roman de la Rose, la priant de lui envoyer l'épître qu'elle venait d'adresser au prévôt de Lille. Sa lettre est datée du 13 septembre 1401. Christine s'empressa de lui faire parvenir une copie de la lettre qu'il désirait connaître.
Gontier Col riposta immédiatement sur un ton arrogant et frisant presque l'insolence (15 septembre 1401), mais cette attaque inutile fut bientôt suivie d'une dernière lettre de Christine où elle persista dans son opinion et déclara qu'elle la soutiendrait partout publiquement, s'en rapportant au jugement «de tous justes preudes hommes, theologiens et vrays catholiques et gens de honneste et salvable vie».
On le voit, en dépit des attaques réitérées d'hommes érudits et investis d'un crédit considérable, Christine sut maintenir vaillament ses revendications sans laisser la moindre prise à ses adversaires. Bien plus, elle résolut de les confondre en soumettant leur contestation au jugement de l'autorité féminine la plus puissante et la plus redoutée; dans cette intention elle fit faire une copie de tout le débat et l'adressa à la reine Isabeau en même temps qu'au Prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville. Cette requête fut écrite la veille de la Chandeleur 1401[7] (1er février 1402 n. st.).
L'histoire ne nous dit pas si la Reine fit connaître son sentiment, mais nous devons constater qu'en tous cas la lutte ne se termina pas complètement à cette époque. La fameuse Vision écrite par Jean Gerson contre le roman de la Rose vint raviver cette polémique, et servit de thème à une nouvelle discussion littéraire entre Christine et Pierre Col, chanoine de Paris[8].
Après avoir fait ressortir les principaux traits de ce débat, nous sommes autorisés à penser que l'Épître au dieu d'Amours eut un retentissement considérable et dut certainement placer Christine au rang des écrivains les plus remarqués. Cette composition fut même, pour ainsi dire, le point de départ de toute une nouvelle littérature ayant pour but la défense des femmes. Longtemps avant, il est vrai, quelques écrivains[9] avaient déjà élevé leurs protestations, Guillaume de Digulleville surtout s'était distingué par son audace en appelant l'oeuvre de Jean de Meun «le roman de luxure», mais ces légitimes récriminations étaient demeurées à peu près sans écho, et l'on peut avancer qu'à Christine de Pisan revient l'honneur d'avoir la première profondément tracé la voie que suivra désormais toute une école de moralistes»
Pour s'en convaincre il suffira de citer quelques-uns de ces continuateurs et admirateurs[10].
Mathieu Thomassin rend hommage dans son Registre Delphinal aux sentiments de Christine, Martin Le Franc ne tarit pas d'éloges dans son Champion des dames; plus tard Jean Bouchet compose Le Jugement poétique de l'honneur femenin, et enfin Jean Marot se fait l'interprète des mêmes sentiments dans La vray disant advocate des dames[11].
Mais, malgré toutes ces nouvelles manifestations de la même pensée, le souvenir de l'oeuvre de Christine resta longtemps vivace et n'était nullement effacé au commencement du xvie siècle puisqu'à cette époque on jugea encore intéressant d'imprimer son Épître sous le titre de «contre romant de la Rose». Nous ne connaissons qu'un seul exemplaire[12] de cette édition; il a fait partie de la Bibliothèque que Fernand Colomb forma à Séville de 1510 à 1539. Cet unique exemplaire, dérobé à la Colombine, a été acquis en 1884 par M. le baron Pichon. Il consiste en une plaquette in-12 de quelques feuillets, sans date ni nom d'imprimeur. L'Épître au dieu d'amours y est seulement contenue et annoncée sous le titre «Le contre Rommant de la Rose nommé le Gratia dei». Cette édition, fautive comme toutes celles de son époque, paraît cependant avoir été établie sur un bon texte, c'est-à-dire d'après un ms. de la famille A.
Une traduction libre en vers anglais avait déjà été faite en 1402 par Thomas Occleve; elle a été imprimée à Londres en 1721 dans l'édition des oeuvres de Geoffroy Chaucer par John Urry (p. 534 à 537). Toutefois cette pièce, publiée sous le titre de «The Letter of Cupide», est beaucoup plus courte que son modèle, car elle comprend seulement 68 strophes de sept vers.
Le texte de l'Épître au dieu d'amours, que nous donnons plus loin, a été établi d'après les mss. Bibl. Nat. fr. 835 (A1), 604 (B1) et 12779 (B2), Musée Brit. Harl. 4431 (A2), que nous avons décrits dans la préface de notre premier volume[13]. Un autre ms. contenant ce poème existait dans l'ancienne bibliothèque de Bourgogne et se trouve signalé à ce titre dans un inventaire de 1467 publié par Barrois[14] (Inventaire de Bruges n° 1402), on ne sait ce qu'il est devenu.
II.—LE DIT DE LA ROSE
Le Dit de la Rose, daté du 14 février 1401 (anc. st.), est en quelque sorte le couronnement de la polémique de Christine contre l'oeuvre de Jean de Meun. Forte de l'appui de la reine Isabeau qu'elle avait dû certainement gagner à sa cause, Christine joue maintenant le rôle d'un défenseur attitré du sexe féminin et se met elle-même en scène dans une réunion tenue chez le duc Louis d'Orléans. S'inspirant du généreux exemple du maréchal Boucicaut et de la récente institution de la «Court amoureuse[15]», elle fonde, avec l'intervention allégorique de la déesse de Loyauté, l'Ordre de la Rose qui sera l'encouragement et la récompense des chevaliers loyaux défenseurs de la réputation des dames. Ce petit poème, entrecoupé de ballades gracieuses et fort bien présentées, offre un grand mérite par son tour élégant et facile en même temps que par la distinction et l'originalité des idées qui y sont remarquablement exprimées. Le texte du Dit de la Rose ne se trouve que dans les trois mss. de la famille B (Bibl. Nat. fr. 604 (B1), 12779 (B2) et ms. Morgand (B3) dont nous avons donné la description dans notre premier volume.
III.—LE DÉBAT DE DEUX AMANTS
Après avoir vengé son sexe des injures et des calomnies dont il était l'objet, Christine va maintenant se livrer à une étude complète de l'amour; elle le dissèquera sous toutes ses formes et traduira les sentiments si variables qu'il peut faire naître, en leur donnant quelquefois pour cadres des situations réelles empruntées à la vie de la société contemporaine. Ces compositions, inspirées par un esprit surtout métaphysique, se nommaient alors des dits ou ditiés d'amour. Ce genre, qui fut très en vogue au xve siècle, passionna au plus haut degré l'imagination de Christine qui y trouva l'inspiration de la plupart de ses meilleures poésies. En dehors de quelques ballades ou rondeaux qui laissent déjà deviner une semblable tendance, le Débat de deux Amants paraît être le début d'une nouvelle série de compositions entièrement consacrées à l'amour.
La scène de ce poème intéressant doit se placer dans l'hôtel même du duc Louis d'Orléans. Christine retrace une des splendides fêtes qui eurent lieu dans cette demeure magnifique, et, spectatrice attentive des divertissements de la haute société qui s'y était donnée rendez-vous, elle remarque en sa qualité de philosophe et de moraliste les allures opposées de deux seigneurs: l'un, chevalier, porte en son coeur toute l'amertume d'un amour déçu ou incompris, l'autre, un jeune écuyer, se laisse entraîner par l'ardeur d'une vie facile et semble refléter toutes les impressions d'un bonheur complet. De ces deux personnages Christine va faire de l'un le censeur et de l'autre l'apologiste de l'amour; puis, n'osant donner une solution définitive à une question aussi délicate, elle soumet le différend à la haute appréciation de son puissant protecteur, le duc d'Orléans.
Deux faits historiques qui se trouvent cités dans le cours du poème permettent de lui assigner une date certaine. Christine parle aux vers 1593 et 1594 du connétable de Sancerre, et dit qu'il est encore de ce monde; or il mourut le 6 février 1402 et était connétable depuis le 26 juillet 1397. Plus loin (vers 1627 à 1637) elle fait allusion à la défense héroïque de la petite garnison laissée à Constantinople sous le commandement de Jehan de Châteaumorand; cet événement eut lieu au commencement de l'année 1400 (n. st.)» et Jehan de Châteaumorand était de retour en France dès septembre 1402 [16]. C'est donc entre 1400 et 1402 que doit forcément se placer l'intervalle pendant lequel fut composé le Débat de deux Amants.
Nous avons décrit dans la préface du tome I plusieurs mss. qui donnent, avec d'autres oeuvres, le texte de ce poème, mais le Débat de deux Amants fut en outre plusieurs fois transcrit isolément. Un de ces exemplaires (probablement celui même qui fut offert à Charles d'Albret, car il contient une ballade de dédicace adressée à ce prince et publiée dans notre tome I, p. 231) faisait partie de la Bibliothèque de Bourgogne et est mentionné dans les inventaires des librairies de Bruges en 1467 et de Bruxelles en 1487 [17]. C'est aujourd'hui le n° 11034 de la Bibl. royale de Belgique. Ce ms. du xve siècle sur vélin renferme en tête une grisaille à la plume légèrement teintée qui représente Christine agenouillée offrant son oeuvre au duc d'Orléans. Un autre ms. existe à la Bibl. Nat. sous le n° 1740 du fonds français, il porte les cotes annciennes 1023 (Fontainebleau), 980 (inventaire de 1645, Dupuy), et 7692 du catalogue de 1682. Cette copie sur vélin et reliée actuellement en maroquin jaune au chiffre de Louis XIV contient 32 feuillets et une grisaille assez médiocre.
Ces deux mss., absolument identiques pour le texte, constituent une nouvelle famille C qui vient ainsi prendre sa place dans la généalogie précédemment dressée des familles A et B:
A
A1 A2 [B] [C] /————\ /——-\ B1 B2 B3 C1 C2
IV.—LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS
Cet ouvrage, dédié au célèbre et vaillant sénéchal de Hainaut, contient l'exposé de trois cas d'amours.
Le premier récit nous montre une dame, remarquable par ses vertus et sa beauté, qui ayant été délaissée par son premier amant se reprend à donner son amour à un second plus sincère. Est-elle pour cela parjure? Telle est la question que pose Christine.
Le second offre une situation analogue. Un chevalier qui a perdu tout espoir de revoir sa dame, durement retenue en prison par un mari jaloux, peut-il au bout d'un certain temps se livrer à un nouvel amour?
Enfin le troisième cas renferme a la fois une question et un enseignement moral. Une demoiselle, abandonnée par un noble chevalier qui s'adresse à une puissante dame et qui repoussé revient implorer sa grâce, doit-elle acorder son pardon ou le refuser impitoyablement?
Ces trois controverses délicates sont soumises par Christine à la sagace appréciation du bon sénéchal.
V.—LE LIVRE DU DIT DE POISSY
Ce gracieux poème, un des plus intéressants qui soient sortis de la plume de Christine, comprend deux parties bien distinctes. Dans la première Christine nous raconte avec une simplicité charmante le petit voyage qu'elle fit en avril 1400 pour aller rendre visite à sa fille, religieuse au couvent de Poissy; elle partit en compagnie d'une brillante et joyeuse société de dames et gentilhommes qui égayaient la route de leurs chants et de leurs devis amoureux. Les beautés du chemin que suivit la joyeuse chevauchée servent de thème à une description complète des charmes de la campagne par une délicieuse matinée de printemps; les brillantes parures de la nature, les chants harmonieux des oiseaux, les divertissements des pastoures, le doux «bruire» de la rivière, l'aspect sévère des grands bois de Saint-Germain fournissent les éléments d'un tableau gracieux et vrai où Christine fait preuve d'un remarquable talent de description.
Arrivée au but de son excursion, Christine nous conduit à travers la célèbre abbaye et nous décrit exactement la façon de vivre des religieuses, leur habitation avec toutes ses dépendances, leurs privilèges, les ressources qu'elles possèdent, les richesses de leur superbe église, enfin mille détails intéressants. La journée s'écoule rapidement au cours de cette visite, et, le soir arrivé, l'aimable société se retire dans un hôtel de Poissy pour y passer la nuit. Le lendemain de grand matin on entend la messe et l'on vient prendre congé des religieuses et les remercier de leur accueil empressé, puis on reprend le chemin de Paris.
C'est ici que s'ouvre la seconde partie du poème entièrement consacrée au débat amoureux. A peine le joyeux cortège a-t-il pénétré dans la forêt qu'une jeune dame «la plus belle de toutes» s'écarte et affecte de se tenir à distance, laissant deviner quelque triste préoccupation. Christine s'en aperçoit la première et, entraînant avec elle un bel écuyer qui semblait également affligé, se rapproche de la jeune dame pensive et la supplie de lui faire connaître le motif de sa tristesse. Alors commence la controverse: chacune des parties, la dame et l'écuyer, se prétendant tour à tour la plus mal partagée et la plus digne de compassion. La dame nous expose d'abord la vive douleur qu'elle ressent de la captivité de son amant, retenu prisonnier de Bajazet depuis la défaite de Nicopolis, et pour accentuer encore ses regrets, énumère minutieusement les charmes physiques du chevalier qu'elle a perdu. L'écuyer nous raconte ensuite son aventure: c'est celle d'un amant éconduit par une dame qu'il ne peut oublier et à laquelle il reste fermement attaché, malgré tout son dépit. Dans sa douleur il nous retrace à son tour les avantages physiques de sa bien aimée.
Ces deux portraits sont fort intéressants, et réalisent en quelque sorte le type des conditions qui constituaient alors l'idéal de la beauté.
Comme toujours, Christine n'ose se prononcer sur la question délicate qui lui est soumise et remet le jugement de cette controverse à l'appréciation du vaillant sénéchal de Hainaut, pour lequel d'ailleurs elle a vraisemblablement composé tout son poème (voy. note p. 311).
Le texte du Dit de Poissy a été établi d'après les mss. que nous avons signalés dans l'introduction du tome I. (Bibl. Nat. fr. 835 (A1), 604 (B1), 12779 (B2); Musée Brit. Harl. 4431 (A2).
VI.—LE DIT DE LA PASTOURE
Christine se révèle ici dans un genre nouveau. Cette jolie pastorale fait sans doute allusion à quelque intrigue amoureuse, comme l'auteur prend soin de nous en avertir dès le prologue. Car nous ne pouvons croire, comme l'a avancé M. R. Thomassy [18], que Christine ait eu l'intention d'établir une opposition entre l'amour naïf, primitif, et l'amour chevaleresque, afin de placer des sentiments absolument purs en contraste avec la fureur de voluptés décrite par Jean de Meun dans son poème allégorique. Mais il s'agit plus vraisemblablement d'une histoire d'amour dont le héros fut quelque prince contemporain et que Christine dut, sans doute, écrire sur commande.
C'est la pastoure qui parle et présente son aventure amoureuse comme exemple et avertissement aux dames qui ont fait le serment de n'aimer jamais. Elle raconte avec une naïveté charmante et une grâce exquise ses occupations champêtres, nous énumérant les soucis de la bergère et toutes les notions qu'elle doit acquérir pour donner des soins intelligents à son troupeau. Christine s'inspire sans doute dans ces citations de l'expérience de ce Jehan de Brie qui avait composé, à la demande de Charles V, un traité bien connu [19], intitulé «le vray regime et gouvernement des bergers et bergères» où il enseigne la pratique de «l'Art de Bergerie». Puis la Pastoure nous fait un tableau complet de la vie rustique d'alors avec ses jeux enfantins et ses divertissements de toutes sortes. Après ce long exposé, d'ailleurs rempli de détails nouveaux et intéressants, l'action commence à se dérouler. Un jour que la pastoure, se retirant «seulette» dans les bois, gardait son troupeau, assise au bord d'une belle fontaine, ses chants harmonieux attirèrent jusqu'à elle un brillant chevalier et son escorte qui passaient par la grande route voisine. Ici commence l'idylle de la pastoure, qui aura désormais le galant chevalier pour objet constant de toutes ses pensées. Dès lors elle se tient à l'écart de ses compagnes. Seule Lorete, son amie fidèle, connaît son secret et cherche à la détourner d'une si imprudente passion en lui en montrant les dangers et la trop grande disproportion. Mais la pastoure, dominée par l'amour, s'abandonne aux élans de son coeur, elle nous retrace avec une exquise sensibilité les diverses émotions qu'elle ressent tour à tour, et cesse tristement sa mélodie en implorant les prières de tous les vrais amants en faveur du chevalier qu'elle n'a pas revu depuis longtemps, et que sa haute vaillance a sans doute entraîné sur quelque terre lointaine.
Indépendamment des recueils mss. que nous avons signalés dans notre tome I et qui renferment le dit de la Pastoure, ce poème se trouve transcrit séparément dans le ms. fr. 2184 de la Bibl. Nat. C'est une copie du xve siècle sur vélin, comprenant 45 feuillets, et reliée en maroquin rouge au chiffre de Louis XIV sur le dos, elle provient de la bibliothèque de Colbert (n° 5239) et a porté ensuite le n° 7993 du catalogue de 1739. Nous lui avons assigné dans la généalogie la lettre B4.
Un autre ms. du même genre figure au catalogue de la collection Barrois d' «Ashburnham Place» sous le n° LXXII. Ce volume, relié en maroquin vert, comprend 15 feuillets. Il n'est pas au nombre des mss. de cette provenance qui ont fait retour à la Bibliothèque Nationale.
Une troisième transcription isolée du dit de la Pastoure existait aussi dans l'ancienne bibliothèque de Bourgogne et est signalée par Barrois dans sa Bibl. protypographique aux inventaires de 1467 sous le n° 1368 et de 1487 sous le n° 2128. Nous ne savons ce qu'est devenu ce ms.
VII.—EPITRE A EUSTACHE MOREL
Cette lettre, écrite la même année que le dit de la Pastoure, présente un certain intérêt en ce sens qu'elle est la seule parvenue jusqu'à nous qui permette de constater les relations de Christine avec l'un des meilleurs poètes de son époque. Elle a pour objet la critique des moeurs contemporaines, thème si souvent traité par Eustache Deschamps dans le style incisif et personnel qu'on lui connaît.
La lettre de Christine, au contraire, se distingue par sa forme recherchée; malheureusement l'abus des rimes équivoquées en rend la lecture difficile et fatiguante, mais, aux yeux des contemporains, cette recherche était un mérite. Eustache Deschamps y répondit par une ballade pleine d'éloges et de compliments (voy. édit. Queux de Saint-Hilaire, VI, p. 251).
Les deus mss. de la famille A (Bibl. Nat. fr, 605 (_A_1) et Mus. Brit. Harl. 4431 (_A_2), que nous avons signalés dans l'introduction du tome I, renferment seuls l'Épître à Eustache Morel.
[1] Il n'est peut-être pas sans intérêt de faire remarquer que la Chronique du maréchal Boucicaut renferme, au chap. XXXVIII de la 1re partie, la relation d'une requête présentée au roi par des dames qui se plaignent «d'aucuns puissans hommes qui par leur force et puissance les vouloient desheriter de leurs terres, de leurs avoirs et de leurs honneurs…». Bien que ce fait ne soit pas absolument semblable à celui exposé au début de l'Épître au dieu d'amours, il y a pourtant entre eux une certaine analogie et une coïncidence de date qui ne peuvent passer inaperçues. Toutefois il ne faut pas perdre de vue que la Chronique du maréchal Boucicaut paraît avoir été composée par Christine elle-même, ainsi que l'a indiqué pour la première fois M. Kervyn dans son Étude littéraire sur Froissart, I, p. 230. Les divers rapprochements que nous avons faits de notre côté semblent également confirmer cette opinion.
[2] Jean Gerson fit un sermon dans lequel il défendit la lecture du roman de la Rose et écrivit, le 18 mai 1402, un traité allégorique contre l'immoralité de ce poème.
[3] Voy. le rôle que Christine fait jouer au maréchal, Livre des faicts, 1re partie, chap. XXXVIII.
[4] Jean de Montreuil, prévôt de Lille, fut secrétaire du Dauphin, du duc de Bourgogne, puis de Charles VI. Il mourut à Paris en 1418 l'une des premières victimes de la trahison de Perrinet Leclerc. Un choix de ses lettres a été publié par D. Martène (Amplissima Collectio, II, p. 1311 à 1465), mais d'autres en assez grand nombre sont encore inédites (Voy. A. Thomas. De Johannis de Monsteriolo vita et operibus. Thèse de la Faculté des Lettres de Paris, 1883).
[5] Cette réplique n'est pas datée, mais il paraît certain qu'elle a du être écrite en 1401. Elle se trouve avec les lettres suivantes parmi les «Epistres du debat sur le Rommant de la Rose.» (Bibl. Nat. fr. 835, 604, 1563 et 12779).
[6] Issu d'une famille de la bourgeoisie de Sens, Gontier Col était dès 1879 receveur des aides «es terres entre les rivières de Seine et de Dyve» (Delisle, Mandements de Charles V, n° 1869). Secrétaire du roi en mars 1380 (Douet-D'Arcq, Comptes de l'Hôtel, p. 22) il fut, à partir de 1395, chargé de plusieurs missions importantes qui lui valurent bientôt la réputation d'un fin diplomate. Il se fit surtout remarquer par ses habiles négociations avec le roi d'Angleterre. Condamné au bannissement en 1412 pour avoir soutenu le parti du duc d'Orléans (Arch. Nat. X'IA*[** not sure about this word**] 1479 fol. 207 et 278), il rentra bientôt en faveur et reçut dès 1414 une mission auprès de Jean VI, duc de Bretagne; il fit également partie l'année suivante de l'ambassade envoyée en Angleterre et composée, suivant le témoignage du Religieux de Saint-Denys, «des personnages les plus considérables et des plus fameux orateurs du royaume» (Chr. V, p. 507). En même temps qu'il acquérait une grande renommée d'homme politique, Gontier Col se distinguait aussi comme érudit et philosophe. Il était devenu l'ami intime du grand théologien Nicolas de Clemangis et avait réuni une collection d'ouvrages savants de la plus haute valeur. On remarque, en effet, qu'il autorisa le pape Benoît XIII à faire faire la copie d'un exemplaire des lettres de Pline le jeune existant dans sa bibliothèque (Delisle, Cabinet des Mss., I, p. 486) et qu'il offrit aussi au duc de Berry «une bien grande mappemonde bien historiée, enroollée dans un grand et long estuy de bois» (Delisle, Cab. des mss., III, librairie du duc de Berry, n° 191).
Gontier Col avait épousé Marguerite Chacerat appartenant à une famille de riches marchands drapiers de Sens, et était devenu seigneur de Paron.
Il eut un fils, Nicolas Col, né en 1397, qui fut maître des requêtes de l'Hôtel et prévôt de Sens. (Arch. de l'Yonne, E. 300 et H. 528
[7] Nous devons rectifier ici une erreur qui s'est glissée dans la Préface de notre tome 1er, p. xviii, note, où sur la foi d'un ms. et de nombreux auteurs, nous avons incidemment avancé que la requête de Christine à la reine était datée du 1er février 1407; la date exacte est 1401, la plus vraisemblable d'ailleurs et qui se trouve seule confirmée par tous les autres ms. Toutefois l'induction que nous avions tirée de la date en question ne se trouve en aucune façon détruite par le fait de cette inexactitude, car le ms. du duc de Berry renferme d'autres oeuvres composées à une époque très voisine de 1407.
[8] Voy. A. Piaget, Chronologie des Épîtres sur le roman de la Rose, dans Études romanes dédiées à Gaston Paris, 1891, p. 113 à 120.
[9] Voy. «le Bien des Femmes» (Romania, VI, 500), «la Bonté des Femmes» (Romania, XV, 315), etc., mais les pièces dirigées contre le sexe faible étaient bien plus nombreuses, M. P. Meyer en a donné une liste dans Romania, VI, 499.
[10] A partir du milieu du xve siècle la littérature en faveur des femmes comprend un très grand nombre de pièces importantes, telles que le Chevalier aux dames, le Miroir des dames de Bouton, la déduction du procès de Honneur féminin ou l'Advocat des dames par Pierre Michaut, etc. M. A. Piaget en a donné un aperçu fort intéressant dans son Martin Le Franc, Thèse de la Faculté des Lettres de Genève, Lausanne, 1888, p. 127 à 167.
[11] Voy. divers extraits de ces auteurs donnés par R. Thomassy dans son Essai sur les écrits politiques de Chr. de Pisan, p. 92 à 102.
[12] Voy. Harisse, Excerpta Colombiniana, Paris, 1887, p. 80, n° 46
[13] Nous ne parlons pas d'un ms. appartenant à Westminster Abbey et signalé par M. Paul Meyer (Bull, de la Société des Anc. Textes, 1875). C'est une copie sur papier faite au milieu du xve siècle et qui ne paraît pas avoir une bien grande valeur. Elle renferme à la suite de diverses poésies l'Épître au Dieu d'Amours et le Dit de la Pastoure de Christine de Pisan.
[14] Barrois, Bibliothèque protypographique ou Librairie des fils du roi Jean, Paris, 1830, p. 204.
[15] L'association connue sous le nom de «Court amoureuse» avait été fondée dans l'hôtel du duc de Bourgogne le 14 février 1400 un an, jour pour jour, avant la date que Christine donne à son poème du Dit de la Rose. Elle avait été instituée dans l'intention d'honorer le sexe féminin et ne comprenait pas moins de 600 membres dont les noms nous ont été conservés par les mss. du fonds français 5233 et 10469; voy. l'art, de M. A. Piaget dans Romania, XX, p. 417 à 454. On est étonné toutefois de rencontrer parmi les membres d'une semblable société des noms tels que ceux de Gontier Col et de Pierre Col qui, on le sait, étaient de fidèles disciples de Jean de Meun et des adversaires de Christine.
[16] Delaville le Roulx, La France en Orient, I, p. 379.
[17] Barrois, Bibl. protyp. n° 1353 (Bruges) et 1952 (Bruxelles)
[18] R. Thomassy, Essai sur les écrits politiques de Chr. de Pisan, p. 119 et 120.
[19] «Le bon berger ou le vray régime et gouvernement des bergers et bergères, composé par le rustique Jehan de Brie,» publié, d'après l'édit. de 1541, par Paul Lacroix. Paris, Liseux, 1870.
L'ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS LE DIT DE LA ROSE, LE DÉBAT DE DEUX AMANTS LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS LE DIT DE POISSY, LE DIT DE LA PASTOURE ÉPITRE A EUSTACHE MOREL
L'EPISTRE
AU DIEU D'AMOURS
(Mai 1399).
CI COMMENCE L'EPISTRE AU DIEU D'AMOURS
Cupido, roy par la grace de lui, Dieu des amans, sanz aide de nullui Regnant en l'air du ciel trés reluisant, Filz de Venus la deesse poissant, 5 Sire d'amours et de tous ses obgiez, A tous nos vrais loiaulx servans subgiez, SALUT, AMOUR, FAMILIARITÉ, Savoir faisons en generalité Qu'a nostre Court sont venues complaintes 10 Par devant nous et moult piteuses plaintes De par toutes dames et damoiselles, Gentilz femmes, bourgoises et pucelles, Et de toutes femmes generaument, Nostre secours requerans humblement, 15 Ou, se ce non, du tout desheritées De leur honneur seront et ahontées. Si se plaingnent les dessusdittes dames Des grans extors, des blasmes, des diffames, Des traïsons, des oultrages trés griefs, 20 Des faussetez et de mains autres griefs, Que chascun jour des desloiaulx reçoivent, Qui les blasment, diffament et deçoivent. Sur tous païs se complaignent de France, Qui jadis fu leur escu et deffense, 25 Qui contre tous de tort les deffendoit, Com il est droit, et si com faire doit Noble païs ou gentillece regne. Mais a present elles sont en ce regne, Ou jadis tant estoient honnourées, 30 Plus qu'autre part des faulz deshonnourées, Et meismement, dont plus griefment se deulent, Des nobles gens qui plus garder les seulent. Car a present sont pluseurs chevaliers Et escuiers mains duis et coustumiers 35 D'elles traÿr par beaulx blandissemens. Si se faignent estre loyaulx amans Et se cueuvrent de diverse faintise; Si vont disant que griefment les atise L'amour d'elles, qui leur cuer tient en serre, 40 Dont l'un se plaint, a l'autre le cuer serre, L'autre pleure par semblant et souspire, Et l'autre faint que trop griefment empire, Par trop amer tout soit descoulouré Et presque mort et tout alangoré, 45 Et jurent fort et promettent et mentent Estre loiaulx, secrez, et puis s'en vantent. D'aler souvent et de venir se peinent, Par ces moustiers ça et la se pormenent En regardant, s'apuient sus aultelz 50 Par faulx semblans, moult en y a de telz; Parmi rues leurs chevaulx esperonnent Gays et mignos a cliquetes qui sonnent; Moult font semblant d'en estre embesoignez: Mules, chevaulz ne sont pas espargniez. 55 Diligens sont de bailler leurs requestes; Moult enquierent ou sont nopces et festes, La vont pluseurs jolis, mignoz et cointes, Si font semblant de sentir de noz pointes Si qu'a peine les peuvent endurer. 60 Aultres mettent grant peine a procurer Par messages ou par quelque acointance A mettre a fin ce que leur faulz cuer pense. Par telz maintiens en plus de mille guises Les faulz amans se cueuvrent de faintises, 65 C'est assavoir les desloiaulz qui héent Foy, loiaulté, et a decevoir béent; Car les loyaulz ne sont pas en ce compte, Et ceulz doit on amer et tenir compte, Car decevoir en nul cas ne vouldroient: 70 Je leur deffens; pour ce consens qu'ilz aient De noz doulz biens savoureux bonne part, Car a mes gens largement en depart; Et ceulz tienent mes vrais commandemens, Justes, loiaulz, et bons enseignemens; 75 Si leur deffens villenie et meffait, Et leur commans poursuivre honneur de fait, Estre loiaulz, secrez et voir disans, Larges, courtois, et fuïr mesdisans, Humbles et doulz, jolis et assesmés, 80 Fermes et frans, poursuivre a estre amez, Armes suïr a ceulx qu'il apartient Loz acquerir. Qui en ce point se tient, Sache pour vray que ne lui fauldray mie A lui donner dame belle et amie; 85 Car, quant ainsi je suis d'aucun servi, Guerdon lui rens comme il a desservi. Mais se bien vient a ces faulz d'aventure N'est pas droit bien, combien que je l'endure, Car en tous cas le bien est moult petit 90 Quant il est pris sanz desir n'appetit. Et que vauldroit a homs descouragié Grans viandes, ypocras ou saugié Puis que saveur nulle ou pou y aroit? Mais a cellui qui desirant seroit 95 De pain faittis ou d'une miche blanche, S'ataindre y puet, Dieu scet com il la tranche Joyeusement et de grant cuer s'en paist! Ainsi de toute riens desirée est. Ainsi, se trop ne sont aperceües, 100 Sont maintes fois les dames deceües, Car simples sont, n'y pensent se bien non, Dont il avient souvent, veullent ou non, Qu'amer leur fault ceulz qui si les deçoivent, Traïes sont ains qu'elles l'aperçoivent. 105 Mais quant ainsi sont fort envolopées, Les desloiaulz qui les ont attrapées, Or escoutez comment ilz s'en chevissent: Ne leur souffist ce qu'ainsi les trahissent, Ains ont compaings de leur male aliance; 110 Si n'y remaint ne fait ne couvenance Qui ne soit dit l'un a l'autre, et, trop plus Qu'ilz n'ont de bien, se vantent que reclus Sont devenus en la chambre leurs dames Dont sont amez, puis jurent corps et ames 115 Comment du fait il leur est avenu Et que couché braz a braz y ont nu. Les compaignons ce dient es tavernes, Et les nobles font leurs pars et leurs sernes En ces grans cours de noz seigneurs les ducs, 120 Ou chieux le roy, ou ailleurs espandus, Et la tienent de telz plais leurs escoles, Pluseurs y a qui deussent leurs paroles En bons contes drecier sanz bourderie A raconter pris de chevalerie; 125 Mais aux grans feux a ces soirs, ou sus couches, La rigolent l'un l'autre, et par reproches S'entredient: «Je sçay bien de tes fais, Telle est t'amie et tu le jolis fais Pour sienne amour, mais pluseurs y ont part, 130 Tu es receu quant un autre s'en part!» La diffament les envieux la belle Sanz achoison ne nul mal savoir d'elle Et lors cellui qui en est rigolé Monstre semblant qu'il en soit adoulé; 135 Mais moult lui plaist de ce qu'on l'en rigole Et de son bec mainte parole vole Qui blasme vault, combien qu'il s'en excuse; En excusant celle nomme et accuse, Et fait semblant de celer et couvrir 140 Ce qu'il lui plaist a dire et descouvrir. D'aultres y a qui le rigol commencent Ad celle fin que les autres s'avancent D'eulx rigoler et d'eulx ramentevoir Ce qu'ilz veulent a tous faire assavoir; 145 Si s'en rient et, tout en accusant, Se vont du fait laschement excusant. Si en y a qui se sont mis en peine Qu'on les amast, mais perdu ont leur peine; Si sont honteux dont ilz sont reffusé; 150 Ne veulent pas qu'on croie que musé Ayent en vain, pour ce de ce se vantent Qu'oncques n'avint, et, se en ce lieu hantent, Pour aucun cas ou par quelque accointance, De tout l'ostel conteront l'ordenance 155 Pour enseignes de confermer leurs bourdes. La sont dites maintes paroles lourdes; Et qui dire ne les veult mie apertes Les monstre au doigt par paroles couvertes; La sont femmes moult laidement nommées 160 Souventes fois et sanz cause blasmées, Et meismement d'aucunes grans maistresses, Tant ayent ilz blondes ou brunes treces. Dieux, quelz parleurs! Dieux, quelles assemblées Ou les honneurs des dames sont emblées! 165 Et quel proffit vient d'ainssi diffamer A ceulz meismes qui se deussent armer Pour les garder et leur honneur deffendre? Car tout homme doit avoir le cuer tendre Envers femme qui a tout homme est mere 170 Et ne lui est ne diverse n'amere, Ainçois souefve, doulce et amiable, A son besoing piteuse et secourable, Qui tant lui a fait et fait de services, Et de qui tant les oeuvres sont propices 175 A corps d'omme souefvement nourrir; A son naistre, au vivre et au morir, Lui sont femmes aidans et secourables, Et piteuses, doulces et serviables. Si est celui maucognoiscent et rude 180 Qui en mesdit, et plein d'ingratitude. Encor dis je que trop se desnature Homme qui dit diffame, ne laidure, Ne reproche de femme en la blasment, Ne une, ne deux, ne tout generaulment. 185 Et supposé qu'il en y ait de nyces Ou remplies de pluseurs divers vices, Sanz foy n'amour ne nulle loiaulté, Fieres, males, plaines de cruaulté, Ou pou constans, legieres, variables, 190 Cautelleuses, fausses et decevables, Doit on pour tant toutes mettre en fremaille Et tesmoignier qu'il n'est nulle qui vaille? Quant le hault Dieu fist et forma les angelz, Les cherubins, seraphins et archangelz, 195 N'en y ot il de mauvais en leurs fais? Doit on pour tant angelz nommer mauvais? Mais qui male femme scet, si s'en gart Sanz diffamer ne le tiers ne le quart Ne trestoutes en general blasmer 200 Et tous leurs meurs femenins diffamer; Car moult en fu, est et sera de celles Qui a louer sont com bonnes et belles Et ou vertus et graces sont trouvées, Sens et valeur en bonté esprouvées. 205 Et de blasmer celles qui le moins valent Ceulz qui ce font, encor dis je qu'ilz falent, S'ils les nomment, disant qui elles sont, Ou demeurent, quoy ne quelz leurs fais sont. Car le pecheur on ne doit diffamer, 210 Ce nous dist Dieux, n'en publique blasmer. Les vices bien puet on et les pechiez Trés fort blasmer, sanz ceulz qui entechiez En sont nommer, ne diffamer nullui, Ce tesmoigne l'escript ou je le lui. 215 De telz parleurs en y a a grans sommes, Dont grant honte est tel vice en gentilz hommes: Je di a ceulz qui en sont entechié Non mie a ceulz qui n'y ont nul pechié, Car maint y a des nobles si vaillans 220 Que mieulx perdre vouldroient leurs vaillans Que de telz fais restez ne reprouvez Fussent pour riens, n'en telz cas pris prouvez; Mais les mauvais, dont je fais mencion, Qui n'ont bon fait ne bonne entencion, 225 Ne prenent pas au bon Hutin exemple De Vermeilles, ou bonté ot si ample Qu'oncques nulz homs n'y sceut que reprochier, Ne nul mesdit en diffamant n'ot chier; Souvrainement porta honneur aux femmes, 230 Ne peust ouïr d'elles blasme ou diffames; Chevalier fu preux, sage et bien amé, Pour ce fu il et sera renommé. Le bon Othe de Grançon le vaillant, Qui pour armes tant s'alla traveillant, 235 Courtois, gentil, preux, bel et gracieux Fu en son temps, Dieux en ait l'ame es cieulx! Car chevalier fu moult bien entechié. Qui mal lui fist je tiens qu'il fist pechié, Non obstant ce que lui nuisi Fortune, 240 Mais de grever aux bons elle est commune. Car en touz cas je tiens qu'il fu loiaulz, D'armes plus preux que Thalemon Ayaux. Onc ne lui plot personne diffamer, Les dames voult servir, prisier, amer. 245 D'aultres pluseurs furent bons et vaillans, Estre doivent exemple aux deffaillans; Encor en est maint, il est bien mestiers, Qui des vaillans suivent les bons sentiers; Honneur les duit, vaillance les y meine, 250 A acquerir pris et loz mettent peine, De nobles meurs bien entechiez se perent, Par leurs beaulz fais leurs vaillances apperent En ce royaume, ailleurs et oultremer. Mais je me tais de cy leurs noms nommer 255 Qu'on ne deïst que ce feust flaterie, Ou qu'il peüst tourner a vanterie. Et telz doivent gentilz hommes par droit Estre, autrement gentillece y fauldroit. Si se plaingnent les dessusdittes dames 260 De pluseurs clers qui sus leur mettent blasmes, Dittiez en font, rimes, proses et vers, En diffamant leurs meurs par moz divers; Si les baillent en matiere aux premiers A leurs nouveaulx et jeunes escolliers, 265 En maniere d'exemple et de dottrine, Pour retenir en age tel dottrine. En vers dient, Adam, David, Sanson, Et Salemon et autres a foison Furent deceuz par femme main et tart; 270 Et qui sera donc li homs qui s'en gart? Li autres dit que moult sont decevables, Cautilleuses, faulses et pou valables. Autres dient que trop sont mençongieres, Variables, inconstans et legieres. 275 D'autres pluseurs grans vices les accusent Et blasment moult, sanz que riens les excusent. Et ainsi font clers et soir et matin, Puis en françois, leurs vers, puis en latin, Et se fondent dessus ne sçay quelz livres 280 Qui plus dient de mençonges qu'uns yvres. Ovide en dit, en un livre qu'il fist, Assez de maulz, dont je tiens qu'il meffist, Qu'il appella le Remede d'amours, Ou leur met sus moult de villaines mours, 285 Ordes, laides, pleines de villenie. Que telz vices aient je le luy nye, Au deffendre de bataille je gage Contre tous ceulz qui giter voldront gage; Voire, j'entens des femmes honnorables, 290 En mes contes ne metz les non valables. Si ont les clers apris trés leur enfance Cellui livret en premiere science De gramaire, et aux autres l'aprenent A celle fin qu'a femme amer n'emprenent. 295 Mais de ce sont folz et perdent leur peine, Ne l'empeschier si n'est fors chose vaine. Car, entre moy et ma dame Nature, Ne souffrerons, tant com le monde dure, Que cheries et amées ne soient 300 Maugré touz ceulz qui blasmer les vouldroient, Et qu'a pluseurs meismes qui plus les blasment N'ostent les cuers, et ravissent et emblent. Sanz nul frauder ne faire extorsion, Mais tout par nous et nostre imprecion, 305 Ja n'en seront hommes si accointiez Par soubtilz clers, ne pour touz leurs dittiez, Non obstant ce que mains livres en parlent Et les blasment qui assez pou y valent. Et s'aucun dit qu'on doit les livres croire 310 Qui furent fais d'ommes de grant memoire Et de grant sens, qui mentir ne daignerent, Qui des femmes les malices proverent, Je leurs respons que ceulz qui ce escriprent En leurs livres, je trouve qu'ilz ne quistrent 315 En leurs vies fors femmes decepvoir; N'en pouoient yceulz assez avoir, Et tous les jours vouloient des nouvelles, Sanz loiaulté tenir, nez aux plus belles. Qu'en ot David et Salemon le roy? 320 Dieu s'en courça et puni leur desroy. D'autres pluseurs, et meismement Ovide Qui tant en voult, puis diffamer les cuide; Et tous les clers, qui tant en ont parlé, Plus qu'autre gens en furent affolé, 325 Non pas d'une seule mais d'un millier. Et, se tel gent orent dame ou moillier Qui ne feïst du tout a leur vouloir Ou qui meïst peine a les decevoir, Quel merveille? Car il n'est nulle doubte 330 Que, quant uns homs en tel vilté se boute, il ne va pas querant les vaillans dames Ne les bonnes prisiées preudes femmes, Ne les cognoist, ne il n'en a que faire: Fors ceulz ne veult qui sont de son affaire; 335 De filletes se pare et de pietaille. Est il digne d'avoir chose qui vaille Un vilotier qui toutes met en conte Et puis cuide trop bien couvrir sa honte. Quant plus n'en puet et qu'il est ja vieulz homs, 340 D'elles blasmer par ses soubtilz raisons? Mais qui blasmast seulement les données Aux grans vices et les abandonnées, Et conseillast a elles non suivir Comme ilz ont fait, bien s'en pourroit suivir 345 Et ce seroit chose moult raisonnable, Enseignement digne, juste et louable, Sanz diffamer toutes generaument. Et a parler quant au decevement, Je ne sçay pas penser ne concevoir 350 Comment femme peust homme decevoir: Ne le va pas ne cerchier ne querir, Ne sus son lieu prier ne requerir, Ne pense a lui, ne ne lui en souvient, Quant decepvoir l'omme et tempter la vient. 355 Tempter comment?—Voire par tel maniere Qu'il n'est peine qui ne lui soit legiere A endurer et faissel a porter. A aultre riens ne se veult deporter Fors a pener a elles decevoir, 360 Pour y mettre cuer et corps et avoir. Et par long temps dure la trioleine, Souventes fois avient, et celle peine, Non obstant ce que moult souvent y faillent, A leurs esmes ja soit ce qu'ils travaillent. 365 Et de ceulz parle Ovide en son traittié De l'Art d'amours; car pour la grant pitié Qu'il ot de ceulz compila il un livre, Ou leur escript et enseigne a delivre Comment pourront les femmes decevoir 370 Par faintises et leur amour avoir; Si l'appella livre de l'Art d'amours; Mais n'enseigne condicions ne mours De bien amer, mais ainçois le contraire. Car homs qui veult selon ce livre faire 375 N'amera ja, combien qu'il soit amez, Et pour ce est li livres mal nommez, Car c'est livre d'Art de grant decevance, Tel nom li don, et de fausse apparence. Et comment donc quant fresles et legieres, 380 Et tournables, nyces et pou entieres Sont les femmes, si com aucuns clers dient, Quel besoing donc est il a ceulz qui prient De tant pour ce pourchacier de cautelles? Et pour quoy tost ne s'i accordent elles 385 Sanz qu'il faille art n'engin a elles prendre? Car pour chastel pris ne fault guerre emprendre. Et meismement pouëte si soubtil Comme Ovide, qui puis fu en exil, Et Jehan de Meun ou Romant de la Rose, 390 Quel long procès! quel difficile chose! Et sciences et cleres et obscures Y met il la et de grans aventures! Et que de gent soupploiez et rovez Et de peines et de baraz trouvez 395 Pour decepvoir sanz plus une pucelle, S'en est la fin, par fraude et par cautelle! A foible lieu faut il donc grant assault? Comment peut on de près faire grant saut? Je ne sçay pas ce veoir ne comprendre 400 Que grant peine faille a foible lieu prendre, Ne art n'engin, ne grant soubtiveté. Dont convient il tout de neccessité, Puis qu'art convient, grant engin et grant peine, A decevoir femme noble ou villaine, 405 Qu'elz ne soient mie si variables, Comme aucun dit, n'en leur fait si muables. Et s'on me dit li livre en sont tuit plein, C'est le respons a maint dont je me plain. Je leur respons que les livres ne firent 410 Pas les femmes, ne les choses n'i mirent Que l'en y list contre elles et leurs meurs; Si devisent a l'aise de leurs cuers Ceulz qui plaident leur cause sanz partie, Sanz rabatre content, et grant partie 415 Prenent pour eulx, car de legier offendent Les batailleux ceulz qui ne se deffendent. Mais se femmes eussent les livres fait Je sçay de vray qu'autrement fust du fait, Car bien scevent qu'a tort sont encoulpées, 420 Si ne sont pas a droit les pars coupées, Car les plus fors prenent la plus grant part, Et le meilleur pour soy qui pieces part. Encor dient li felon mesdisant, Qui les femmes vont ainsi desprisant, 425 Que toutes sont fausses seront et furent N'oncques encor nulles loiaulté n'urent, Et qu'amoureux telles, qui qu'elles soient, Toutes treuvent quant les femmes essoient; A toutes fins leur est le tort donné, 430 Qui qu'ait meffait, sur elles est tourné; Mais c'est maudit; et on voit le rebours; Car, quant ad ce qui afflert a amours, Trop de femmes y ont esté loiales Sont et seront, non obstant intervales 435 Ou faussetéz, baraz ou tricheries, Qu'on leur ait fait et maintes manteries. Que fut jadis Medée au faulz Jason? Trés loialle, et lui fist la toison D'or conquerir par son engin soubtil, 440 Dont il acquist loz plus qu'autres cent mil. Par elle fu renommé dessus tous, Si lui promist que loial ami doulz Seroit tout sien, mais sa foy lui menti Et la laissa pour autre et s'en parti. 445 Que fu Dido, roÿne de Cartage? De grant amour et de loial corage, Vers Eneas qui, exillé de Troye, Aloit par mer las, despris et sanz joye, Presque pery lui et ses chevaliers. 450 Recueilli fu, dont lui estoit mestiers De la belle, qu'il faussement deçut; Car a trés grant honneur elle receut Lui et ses gens et trop de bien lui fist; Mais puis après vers elle tant meffist, 455 Non obstant ce qu'il lui eust foy promise Et donnée s'amour, voire, en faintise, Si s'en parti, ne puis ne retorna, Et autre part la sienne amour torna; Dont a la fin celle, pour s'amistié, 460 Morut de dueil, dont ce fu grant pitié. Penelope la feme Ulixès, Qui raconter vouldroit tout le procès De la dame, trop trouveroit a dire De sa bonté ou il n'ot que redire: 465 Trés belle fu requise et bien amée, Noble, sage, vaillant et renommée. D'aultres pluseurs, et tant que c'est sanz nombre, Furent et sont et seront en ce nombre; Mais je me tais adès d'en plus compter, 470 Car long procès seroit a raconter. Si ne sont pas femmes si desloiales Comme aucun dit, ains sont pluseurs loiales; Mais il avient, et c'est de commun cours, Qu'on les deçoipt et traïst en amours, 475 Et quant ainsi se treuvent deceües Les aucunes des plus aperceües S'en retraient; de ce font grant savoir. Doivent elles donc de ce blasme avoir? Est ce doncques se Dieux vous doint santé 480 Mal ne folour, barat ne fausseté? Nanil certes, ains est grans sens ainçois; Mais je cognois de voir et aperçois Que se amans tenissent verité, Foy, loyaulté, sanz contrarieté 485 Vers leurs dames, et feissent leur devoir, Comme amant doit faire par droit devoir, Je croy que pou ou nulle fausseroit, Et que toute femme loial seroit. Au moins le plus: rigle n'est qui ne faille, 490 De toute riens n'est pas tout bien sanz faille; Mais par ce que pluseurs faussent et mentent, Et en maint lieux par desloiaulté hantent, Leur fausse l'en, et c'est tout par leur couppe Se on leur fait de tout autel pain souppe. 495 Et aucuns sont qui jadis en mes las Furent tenus, mais il sont d'amer las Ou par vieillece ou deffaulte de cuer, Si ne veulent plus amer a nul fuer, Et convenant m'ont de tous poins nyé, 500 Moy et mon fait guerpy et renié, Comme mauvais serviteurs et rebelles. Et telle gent racontent telz nouvelles Communement, et se plaignent, et blasment Moy et mon fait, et les femmes diffament 505 Pour ce que plus ne s'en pevent aidier Ou que leurs cuers veulent de moy vuidier. Si les cuident faire aux autres desplaire Par les blasmer, mais ce ne pevent faire. Si hé tel gent trop plus qu'autre riens, certes, 510 Et les paye souvent de leurs dessertes; Car, en despit de leurs males paroles, Eulx assoter d'aucunes femmes foles, De pou d'onneur, males, maurenommées, Je fais yceulz: de tel gent sont amées. 515 Si ne remaint en eulz plume a plumer, Bien les scevent a leur droit reclamer. La sont surpris et bien envelopé Ceulz qui le mieulx cuident estre eschappé. Comme il affiert sont tel gent avoyé; 520 Si leur est bien tel meschief emploié. Et encor pis, car ceulz qui plus souvent Vont les femmes par grant soing decevant Et qui le plus se peinent et travaillent, N'il ne leur chault qu'il leur coste ou qu'il baillent, 525 Ne quel peine ilz doient endurer Pour a grant soing leur voloir procurer, Tant qu'ilz tant font par malices prouvées, Par faulz semblans, par choses controuvées, Qu'ilz attraient pluseurs a leurs cordelles 530 Par leurs engins et par fausses cautelles; Et puis après s'en moquent et s'en vantent, Et vont disant que femmes se consentent Legierement, com legieres et frailles, Et qu'on ne doit avoir fiance en elles. 535 C'est mal jugié et trop male sentence De trestoutes pour tant mettre en la dance. Mais s'aucunes attraient en tel guise, Quel merveille! Ne fu pas par faintise, Par faulz consaulz, par traïson bastie, 540 Par parlemens, engins et foy mentie, La grant cité de Troye jadis prise, Qui tant fu fort, et toute en feu esprise? Et tous les jours par engins et desrois Ne traïst on et royaumes et roys? 545 Trop deçoivent les beaulz blandissemens, Tous en sont pleins et livres et romans; Si n'est pas donc chose a trop merveillier Quant, pour mentir, pener et traveillier, On peut vaincre une chose simplete, 550 Une ignorant petite femmellete. Et fust ores malicieuse et sage Si n'est ce pas en ce grant vasselage A homme agu, de grant malice plein, Qui peine y met comme il en est tout plein. 555 Et ainsi sont les femmes diffamées De pluseurs gens et a grant tort blasmées Et de bouche et en pluseurs escrips, Ou qu'il soit voir ou non, tel est li crys. Mais, qui qu'en ait mesdit ou mal escript, 560 Je ne truis pas en livre n'en escript Qui de Jhesus parle ou de sa vie Ou de sa mort pourchacée d'envie, Et mesmement des Apostres les fais Qui pour la foy porterent maint dur fais, 565 N'euvangile qui nul mal en tesmoigne, Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne, Grant prudence, grant sens et grant constance, Perfaitte amour, en foy grant arrestance, Grant charité, fervente volenté, 570 Ferme et entier corage entalenté De Dieu servir, et grant semblant en firent, Car mort ne vif oncques ne le guerpirent. Fors des femmes fu de tous delaissié Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié. 575 Toute la foy remaint en une femme. Si est trop folz qui d'elles dit diffamme, Ne fust ores que pour la reverence De la haulte Roÿne, en remembrance De sa bonté, qui tant fu noble et digne, 580 Que du filz Dieu porter elle fu digne! Grant honneur fist a femme Dieu le pere Qui faire en voult son espouse et sa mere, Temple de Dieu a la Trinité jointe. Bien estre doit femme joyeuse et cointe 585 Qui autelle, comme Celle, fourme a; Car oncques Dieux nulle rien ne fourma De digneté semblable, n'aussi bonne, Fors seulement de Jhesus la personne. Si est trop folz qui de riens les ramposne 590 Quant femme est assise en si hault trone Coste son filz, a la destre du Pere, C'est grant honneur a femmenine mere. Si ne trouvons qu'oncques les desprisast Le bon Jhesus, mais amast et prisast. 595 Dieu la forma a sa digne semblance Et lui donna savoir et cognoiscence Pour soy sauver, et don d'entendement. Si lui donna fourme moult noblement, Et fut faitte de moult noble matiere, 600 Car ne fu pas du lymon de la terre Mais seulement de la coste de l'omme, Lequel corps ja estoit, c'en est la somme, Le plus noble des choses terriennes. Et les vrayes hystoires anciennes 605 De la Bible, qui ne puet mençonge estre, Nous racontent qu'en Paradis terrestre Fu formée femme premierement Non pas l'omme; mais du decevement, Dont on blasme dame Eve nostre mere, 610 Dont s'ensuivi de Dieu sentence amere, Je di pour vray qu'oncq Adam ne deçut Et simplement de l'anemi conçut La parole qu'il lui donna a croire, Si la cuida estre loial et voire, 615 En celle foy de lui dire s'avance; Si ne fu donc fraude ne decepvance, Car simplece, sanz malice celée, Ne doit estre decepvance appellée. Nul ne deçoit sanz cuidier decepvoir, 620 Ou aultrement decepvance n'est voir. Quelz grans maulz donc en pevent estre diz? Par desservir n'ont elles paradis? De quelz crismes les peut on accuser? Et s'aucuns folz a leur amour muser 625 Veulent, par quoy a eulz mal en conviegne, N'en pevent mais; qui est sage s'en tiegne: Qui est deceu et cuidoit decepvoir Nulz fors lui seul n'en doit le blasme avoir. Et se sur ce je vouloie tout dire 630 Double aroie d'encorir d'aucuns l'ire; Car moult souvent pour dire verité Mautalent vient et contrarieté. Pour ce n'en vueil faire comparoisons, Haineuses sont maintes foiz telz raisons. 635 Si me souffist de louer sanz blasmer; Car on peut bien quelque riens bon clamer Sanz autre riens nommer mauvais ou pire, Car son bon droit aucune fois empire Cellui qui blasme autrui pour s'aloser; 640 Si se vault mieulz du dire reposer. Pour ce m'en tais, si en soit chascun juge Et justement selon verité juge; Si trouvera, se vient a droit jugier, Que le plus grant mal puet pou dommagier: 645 N'occient gent, ne blescent, ne mahagnent, Ne traïsons ne pourchacent n'empregnent, Feu ne boutent, ne desheritent gent, N'empoisonnent, n'emblent or ne argent, Ne deçoivent d'avoir ne d'eritage 650 N'en faulz contras et ne portent domage Aux royaumes, aux duchiez, n'aux empires; Mal ne s'ensuit gaires, meismes des pires. Communement une ne fait pas rigle. Et qui vouldra par hystoire ou par bible 655 Me rampronner, pour moy donner exemple D'une ou de deux ou de pluseurs ensemble Qui ont esté reprouvées et males, Encore en soit celles mais enormales; Car je parle selon le commun cours 660 Et moult pou sont qui usent de telz tours; Et s'on me veult dire que mie enclines Condicions ne taches femmenines Ne soit ad ce, n'a user de batailles, N'a gens tuer, ne a faire fouailles 665 Pour bouter feu, ne a telz choses faire, Pour ce nul preu, louenge ne salaire Ne leur en puet ne doit apertenir D'elles souffrir de telz cas ne tenir, Mais, sauve soit la grace des diseurs, 670 Je consens bien qu'elles n'ont pas les cuers Enclins ad ce, ne a cruaulté faire; Car nature de femme est debonnaire, Moult piteuse, paourouse et doubtable, Humble, doulce, coye et moult charitable, 675 Amiable, devote, en payx honteuse, Et guerre craint, simple et religieuse, Et en courroux tost apaise son yre, Ne puet veoir cruaulté ne martire, Et telles sont par nature sanz doubte 680 Condicions de femme, somme toute. Et celle qui ne les a d'aventure Contre le droit toute se desnature; Car cruaulté fait en femme a reprendre Ne l'en n'y doit fors toute doulceur prendre. 685 Et puis qu'elz n'ont meurs ne condicions A faire fais de sang n'occisions, N'a autres granz pechiez laiz et orribles, Dont sont elles innocens et paisibles Voire des grans et ennormes pechiez, 690 Car chascun est d'aucun vice tachiez, Si ne seront doncques pas encoulpées Des grans meffais ou ne sont attrapées; Si n'en aront, n'en peine ne en coulpe Punicion puis qu'elles n'y ont coulpe, 695 Dont dire puis, ce n'est pas heresie, Que moult leur fist le hault Dieu courtoisie D'elles fourmer sanz les condicions Qui mettent gent a griefs perdicions; Car des desirs s'en ensuivent les fais 700 Dont maint portent sur leurs armes griefz fais. Si vault trop mieulz qu'on n'ait pas le desir Dont l'acomplir fait souvent mort gesir. Qui soustenir vouldroit seroit herite Que qui tempté n'est n'a point de merite 705 De non pechier et de soy abstenir. Telles raisons ne font a soustenir, Car nous veons par les sains le contraire: Saint Nycolas n'eust sceü pechié faire, Onc ne pecha n'oncques n'en fu tempté, 710 N'aultres pluseurs n'en orent volenté; Je di pechier quant est mortelement, Pechier porrent ilz venielement; Si sont tous ceulz appellez preesleus, Predestinez et de Dieu esleüs. 715 Par ces raisons conclus et vueil prover Que grandement femmes a approver Font et louer, et leurs condicions Recommander, qui inclinacions N'ont aux vices qui humaine nature 720 Vont domagiant et grevant creature. Par ces preuves justes et veritables Je conclus que tous hommes raisonables Doivent femmes prisier, cherir, amer, Et ne doivent avoir cuer de blasmer 725 Elles de qui tout homme est descendu; Ne leur soit pas mal pour le bien rendu, Car c'est la riens ou monde par droiture Que homme aime mieulz et de droitte nature. Si est moult lait et grant honte a blasmer 780 La riens qui soit que l'en doit plus amer Et qui plus fait a tout homme de joye. Homs naturel sanz femmes ne s'esjoye: C'est sa mere, c'est sa suer, c'est s'amie, Et pou avient qu'a homs soit anemie; 735 C'est son droit par qui a lui est semblable, La riens qui plus lui puet estre agreable, Ne on n'y puet pris ne los conquester A les blasmer, mais grant blasme acquester; N'il n'est blasme si lait ne si nuisant 740 Comme tenus estre pour mesdisant, Voire encor plus especialement De diffamer femmes communement: C'est un vice diffamable et villain, Je le deffens a homme quant je l'aim; 745 Si s'en gard donc trestout noble corage, Car bien n'en puet venir, mais grant domage, Honte, despit et toute villennie; Qui tel vice a n'est pas de ma maisnie. Or ay conclus en tous cas mes raisons 750 Bien et a droit, n'en desplaise a nulz homs, Car se bonté et valeur a en femme Honte n'est pas a homme ne diffame, Car il est né et fait d'aultel merrien; Se mauvaise est il ne puet valoir rien, 755 Car nul bon fruit de mal arbre ne vient, Telle qu'elle est ressembler lui convient, Et se bonne est il en doit valoir mieulz, Car aux meres bien ressemblent les fieulz. Et se j'ay dit d'elles bien et louenge, 760 Comme il est vray, ne l'ay fait par losange N'a celle fin que plus orgueil en aient, Mais tout a fin que toudis elles soyent Curieuses de mieulz en mieulz valoir, Sanz les vices que l'en ne doit avoir; 765 Car qui plus a grant vertu et bonté En doit estre moins d'orgueil surmonté, Car les vertus si enchacent les vices. Et, s'il est des femmes aucunes nyces, Cest' Epistre leur puist estre dottrine: 770 Le bien prengnent pour loiale dottrine, Le mal laissent; les bonnes vueillent en ce Prendre vouloir d'avoir perseverence: Si aront preu, grant honneur, joye et los Et Paradis a la fin, dire l'os. 775 Pour ce conclus en diffinicion Que des mauvais soit fait punicion Qui les blasment, diffament et accusent Et qui de faulz desloiaulz semblans usent Pour decepvoir elles; si soient tuit 780 De nostre Court chacié, bani, destruit, Et entrediz et escommenié, Et tous noz biens si leur soient nyé, C'est bien raison qu'on les escomenie. ET COMMANDONS de fait a no maisnie 785 Generaument et a noz officiers, A noz sergens et a touz noz maciers, A noz prevoz et maires et baillis, Et vicaires, que tous ceulz maubaillis Et villennez soient trés laidement, 790 Injuriez, punis honteusement, Pris et liez, et justice en soit faitte, Sanz plus souffrir nulle injure si faitte, Ne plus ne soit souffert telle laidure. Nous le voulons ainsi et c'est droitture, 795 Accompli soit sanz faire aucun delais. DONNÉ en l'air, en nostre grant palais, Le jour de May la solempnée feste Ou les amans nous font mainte requeste, L'An de grace Mil trois cens quatre vins 800 Et dis et neuf, present dieux et divins. PAR LE DIEU D'AMOURS poissant A la relacion de cent Dieux et plus de grant pouoir, Confermans nostre voloir: 805 Jupiter, Appollo et Mars, Vulcan, par qui Feton fu ars, Mercurius, dieu de lenguage, Eolus, qui vens tient en cage, Neptunus, le dieu de la mer, 810 Glaucus, qui mer fait escumer, Les dieux des vaulz et des montaignes, Des grans forès et des champagnes, Et les dieux qui par nuyt obscure S'en vont pour querir aventure, 815 Pan, dieu des pastours, Saturnus, Nostre mere la grant Venus, Pallas, Juno et Lathona, Ceres, Vesta, Anthigona, Aurora, Thetis, Aretusa 820 Qui le dieu Pluto encusa, Minerve la bataillerresse, Et Dyane la chacerresse, Et d'aultres dieux no conseillier Et deesses plus d'un millier. 825 CUPIDO LE DIEU D'AMOURS CUI AMANS FONT LEURS CLAMOURS.
CREINTIS
Explicit l'Epistre au dieu d'amours
Rubrique manque dans A1 et B2.
1 A dieu p.
2 A Roy d. a.
5 B t. les o.
36 B Et se f.
39 A2 leurs cuers t.
41 A2 ajoute et en s.
44 A2 Ou p. m. ou t.
45 A2 Si j.
49 A1 regardent
50 A2 mains en
51 B Et par r.
57 A2 m. j. et c.
62 A2 De m.
74 B J. et l.
82 B L. a. Et qui ainsi se t.
83 B Savoir de vray puet que ne f. m.
84 B b. d. et a.
86 A1 rends
101 B ne veulent se
105 A2 a. les ont e.
108 B s. dont a.
114 B D. a. s.
125 A1 a. ses s.
128 A2 B T. t'aime
129 B1 a. et p.
140 B Ce que l.
144 A2 f. savoir.
152 A1 et s'en—A2 s'en cellui l.—A1 hentent
153 B Par a. c. ou pour q.
162 B brunes ou b. t.
163 A2 q. parole
164 B s. blasmées
165 B ajoute les d.
169 A E. f. qui est sa chiere m.
170 B Qui ne
171 B A. lui est s.
172 B A ses b.
174 B Et de q. t. les envies s. p.
178 A2 et amiables
185 B Et s. qu'on en trouvast de n.
200 A1 Ne t.
201 B de telles
207 B Si.
212 B Forment
213 B ne encuser n.
214 A2 Le t.
227 A2 n'y scet
230 B D'elles ne pot avoir b. ne d.
239 A1 l. nuise.
249 B H. suivent
251 et 252 omis dans B
256 B1 q. pleust t.
257 B a d.
260 A1 B l. seurmettent b.
273 B q. pou s.
276 A2 s. qu'en r.
283 A1 appelle
287 A2 B par b.
288 B. S'il est aucun qui contregecte g.
289 B les f.
293 B et a a.
294 B que femmes.
305 B ne s.
309 B l. hommes c.
318 B ne a.
319 le omis dans A1
320 A2 B courrouça.
324 A1 afolié
327 A1 faist
328 B Et
333 et 334 intervertis dans A2.
340 A2 traÿr p.
343 B a celles
346 A2 E. j. d. et l.—B E. loyal j. et l.
347 B t. communement
351 B prier ne requerir
352 B l. n'en son hostel querir
357 A2 ne f.
363 A2 ilz f.
366 B c. par
369 A1 Comme.
375 A1 aimera
392 A Mist il y la
399 A2 ne v.
402 A2 Ou il c. t.
403 A1 que a.
406 B aucuns dient
408 le omis dans B.
410 A1 mistrent
417 B ajoute les f.
420 B l. p. a d. c.
426 B nulle l.
427 A2 Et que t. amans q.—B Les a.
428 B Les treuvent
431 B car on.
459 B D. en la.
469 B je m'en.
472 B mais s.
478 B doncques ce b.
485 et omis dans B
486 B C. amans doivent f.
489 et 490 omis dans A
491 A2 B pour ce
492 A1 hentent
493 B et ce t.
494 B Que l'en l.
497 Ou omis dans B
498 B pas a.
500 A f. de tous poins r.
509 A2 Je hé.
516 B le s.
520 A b. tout m.
527 A1 m. celées—B m. trouvées
528 B f. seremens.
536 B a la
537 B part. g.
547 B p. c. d.
548 omis dans B1
549 B On ne p.
552 A1 vacellage
559 A1 m. ne m.
561 B p. ne de
562 B Ne
563 et 564 omis dans A
571 B Le D.
573 A du tout d.
593 ne omis dans B.
601 B Ains fu faicte de
602 A s'en—602 B e. en toute forme
613 A1 qui lui d.
620 B a. n'est ce d. v.
623 B Desquelz
628 A Fors l. tout s.
631 B par d.
633 B ne v.
634 B s. a la f.
642 A2 Si j.
644 A Q. leurs p. g. maulz pevent p.
646 B ne preingnent
648 A1 ajoute n' devant or
650 B ne ne p.
654 A Car q.
655 A1 Moy r.—B par in.
657 A e. rampronnées.
668 A2 c. n'abstenir
671 A1 a telz choses f.—A2 a. faiz de tel affaire
673 B P. m. p.
686 n' manque dans B
690 B v. entechiez
691 A1 s. p. d. e.
694 A1 que e.
698 B Q. g. m.
703 A s. desherite
705 B Se n. p. de
707 B c. p. l. s. n. v. le
709 B ne fu
711 B Non de p.—A1 mortelment
712 A1 venielment—A2 P. pouoient
720 Tous les mss. portent Va—B et degrevant c.
721 B P. c. raisons
722 B Je preuve.
729 est omis dans B
739 B Il
741 A1 especialment
744 le omis dans A
746 A1 puent
760 A p. louenge.
768 A2 B Et s'aucunes d. f. est de n.
773 A2 Si en a. p. j. h.
774 B en la f.
776 B Ou d.
780 B b. c. d.
785 B G. a tous n.
793 A2 s. enduré t.
800 et omis dans A1
810 A1 q. f. m. e.
813 et 814 viennent après 822 dans B
815 Tous les mss. portent Le d. d. p. P. S.
819 Corr. T. Anrore A.—les mss. portent Arecusa.
Creintis manque dans A2 et B.
On trouve dans «Creintis» l'anagramme de Cristine.
NOTES
ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS (p. 1 à 27.)
Cette pièce a été publiée au xvie siècle, mais on ne connait qu'un seul exemplaire de cette édition (voy. Introduction p. IX). Quelques vers ont été en outre cités par:
1° Mlle de Kéralio dans la Collection des meilleurs ouvrages composés par des dames (III, p. 69 et suiv.), vers 1 à 46, 259 à 266, 279 à 304, 775 à 824.
2° Paulin Paris (Manuscrits françois de la Bibl. du roi, V, p. 168) vers 1 et 2, 168 à 196, 796 à 800.
Vers 225 à 232.—Hutin de Vermeilles, chevalier et chambellan du roi, figure dès 1370 dans un compte de Jean le Mercier[1], comme envoyé par le roi à Avignon avec Bureau de la Rivière à la tête d'une compagnie de trente hommes d'armes. L'année suivante, il reçoit 200 fr. d'or en payement de ses frais de voyage auprès du Sire de Parthenay (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 2969); puis nous le trouvons en 1377, capitaine et garde du château royal de Vivier en Brie, aux gages de 300 fr. d'or par an (Pièces orig., vol. cité). Il fut encore chargé de plusieurs missions importantes: en 1383 le roi lui fait don de 1,000 fr. d'or, très probablement pour couvrir de nouvelles dépenses de voyage. Plus tard il touche, en vertu de Lettres du 7 juillet 1388, une même somme de 1,000 fr. qui lui est accordée en récompense de son ambassade auprès du roi d'Aragon et du comte de Foix (Pièces orig., vol. cité). Enfin, d'après la chronique du bon duc Loys de Bourbon il est un des deux chevaliers français admis à Marienbourg à la table d'honneur dressée par le roi de Prusse après sa victoire contre les Suédois.—Hutin de Vermeilles épousa Marguerite de Bourbon, fille de Louis Ier de Bourbon, comte de la Marche; cette dernière mourut en 1362 et fut enterrée dans l'Église de Saint-Pierre-d'Aronville, près de Pontoise, où son mari devait reposer plus tard (P. Anselme, I, 298). Nous avons retrouvé que Charles VI fit faire à Paris en 1390, à l'Église des Blancs Manteaux, l'«obsèque» pour le repos des âmes d'Olivier de Mauny et de Hutin de Vermeilles, chambellans (Bibl. nat., Quittances, vol. 26024, n°. 1493). 233 à 244.—Sur Othe de Granson et ses compositions poétiques, voy. l'intéressant travail que M. A. Piaget a publié dans la Romania, XIX, p. 237 et 403. 267 à 269.—Allusion à certains personnages de l'antiquité qui auraient été trompés par les femmes (voy. Romania, XV, 316 et Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1876, p. 129).
[1] H. Moranvillé, Etude sur la vie de Jean le Mercier, dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des inscr., 2e série, t. VI, p. 250.
LE DIT
DE LA ROSE
(14 février 1401, anc. st.).
CI COMMENCE LE DIT DE LA ROSE
A tous les Princes amoureux
Et aux nobles chevalereux,
Que vaillantise fait armer,
Et a ceulz qui seulent amer
5 Toute bonté pour avoir pris,
Et a tous amans bien apris
De ce Royaume et autre part,
Partout ou vaillance s'espart:
A toutes dames renommées
10 Et aux damoiselles amées,
A toutes femmes honnorables,
Saiges, courtoises, agréables:
Humble recommandacion
De loyal vraye entencion.
15 Si fais savoir a tous vaillans,
Qui pour honneur sont travaillans,
Unes nouvelles merveilleuses,
Gracieuses, non perilleuses,
Qui avenues de nouvel
20 Sont en beau lieu plain de revel;
Aussi est droiz que ceulz le sachent
Qui mauvaistié devers eulz sachent,
A fin qu'ilz amendent leurs fais
Pour estre avec les bons parfais.
25 Si fu voir qu'a Paris advint,
Presens nobles gens plus de vint,
Joyeux et liez et senz esmois,
L'An quatre cens et un, ou mois
De janvier, plus de la moictié
30 Ains la date de ce dictié
Du mois passé, quant ceste chose
Advint en une maison close
Et assemblée de nobles gens,
Riches d'onnour et beaulx et gens.
35 Chevaliers y ot de renom
Et escuiers de vaillant nom.
Ne m'estuet ja leurs noms nommer,
Mais chascun les seult bons clamer;
Notables sont et renommés,
40 Des plus prisiez et mieulx amez:
Du trés noble duc d'Orliens,
Qui Dieu gart de tous maulx liens,
Si sont de son hostel tous ceulz.
Et n'y avoit pas un tout seulz
45 Qui n'aime, je croy, tous bons fais;
Leans a assez de si fais.
Assemblez les ot celle part
Courtoisie qui ne depart
De ceulz qui sont de gentil sorte.
50 La fu bien fermée la porte,
Car vouloient en ce lieu estre
Senz estranges gens privez estre
Pour deviser a leur plaisir.
La fu appresté a loisir
55 Le soupper; si furent assis
Joyeux et liez et non pensis.
Bien furent servis par les tables
De mez a leur gré delitables.
Car ne fu, j'en ose jugier,
60 Pas tout leur plaisir ou mangier
Mais en la compaignie qui
De vraye et bonne amour nasqui.
Liez estoient et esbatans,
Gays et envoisiez et chantans
65 Tout au long de cellui souper,
Comme gent qui sont tout un per
Et amis vrais sens estrangier.
La n'ot parlé a ce mangier
Fors de courtoisie et d'onnour,
70 Senz diffamer grant ne menour,
Et de beaulx livres et de dis,
Et de balades plus de dix,
Qui mieulx mieulx chascun devisoit,
Ou d'amours qui s'en avisoit
75 Ou de demandes gracieuses.
Viandes plus délicieuses
N'y ot, com je croy, a leur goust,
Tout soyent d'assez petit coust,
Et de ris et de bonne chiere;
80 De ce n'orent ils pas enchiere.
Ainsi se sirent longuement
En ce gracieux parlement.
Mais Amours, ses loyaulx amis,
Qui a valeur se sont soubzmis,
85 Volt visiter droit en ce point.
Car alors seurvint tout a point,
Non obstant les portes barrées
Et les fenestres bien sarrées,
Une dame de grant noblesse
90 Qui s'appella dame et deesse
De Loyauté, et trop belle yere.
La descendi a grant lumiere
Si que toute en resplent la sale.
Toute autre beauté si fut pale
95 Vers la sienne de corps, de vis
Et de beau maintien, a devis
Bien parée et bien atournée.
Si fu entour avironnée
De nymphes et de pucelletes,
100 Atout chappellès de fleurettes,
Qui chantoient par grant revel
Hault et cler un motet nouvel
Si doulcement, pour voir vous dis.
Que bien sembloit que Paradis
105 Fut leur reduit et qu'elz venissent
De cellui dont fors tous biens n'issent,
Celle deesse a tel maisgnie.
Devant la table acompaignie
Vint o les siennes bien parées,
110 Si tenoient couppes dorées,
Si comme pour faire en present
A celle gent nouvel present.
Adonc fu la sale estourmie,
Il n'y ot personne endormie,
115 Tuit furent veoir la merveille,
Il n'y ot cellui qui l'oreille
Ne tendist pour bien escouter
Que celle leur vouloit noter;
Chascun se tut pour y entendre.
120 Quant les pucelles a cuer tendre
Orent leur chançon affinée
Adonc se prist la belle née,
Qui d'elles dame et maistresse yere,
A dire par belle maniere
125 Ces parolles qui cy escriptes
Sont en ces balades et dittes.
Ne plus ne moins les ennorta
Et les balades apporta:
Balade.
Cil qui forma toute chose mondaine
Vueille tousdiz en santé mantenir
Et en baudour de grant leesse plaine
Ceste belle compaignie et tenir.
Deesse suis, si me doit souvenir
De trestous bons et des bonnes et belles.
135 Pour ce qu'ainsi il doit appartenir
Venue suis vous apporter nouvelles.
De par le dieu d'amours, qui puet la peine
Des fins amans desmettre et defenir,
Present nouvel, gracieux, d'odeur saine,
140 Je vous apport et salus sens fenir,
Si m'escoutez et vueilliez retenir:
Car je vous di que de haultes querelles,
Dont il pourra assez de biens venir,
Venue suis vous apporter nouvelles.
145 De Loyauté deesse souveraine
On m'appelle, et a mon seurvenir
Je ne port pas de discorde la graine,
Com fist celle qui Troyes fist bannir;
Ains, pour tousjours loyauté soustenir
150 Et pour oster les mauvaises favelles
Et les mauvais desloyaulx escharnir,
Venue suis vous apporter nouvelles.
Balade.
Le dieu d'Amours par moy il vous presente
Ces roses ci de voulenté entiere,
155 Cueillies sont de trés loyal entente
Es beaulx vergiers dont je suis courtilliere.
Si vous mande qu'a trés joyeuse chiere
Preigniez le don, mais c'est par convenant.
Que desormais en trestoute maniere
160 Yrez l'onneur des dames soustenant.
Si veult qu'ainçoiz que nullui se consente
A recevoir la rose belle et chiere,
Qu'il face veu que jamaiz il n'assente
Blasme ou mesdit en nesune maniere
165 De femme qui son honneur tiengne chiere,
Et pour ce a vous m'envoye maintenant.
Si vouez tous qu'a parolle pleniere
Yrez l'onneur des dames soustenant.
Chevaliers bons et tous de noble sente,
170 Et tous amans, c'est bien droit qu'il affiere
Qu'a ce veu ci vo cuer se represente;
Amours le veult, si n'y mettés enchiere,
Mais ne soit pas de voulenté legiere,
Car a l'estat de vous appartenant;
175 Et si jurez que jusques a la biere
Yrez l'onneur des dames soustenant.
En disant ces balades cy
La deesse, sienne mercy,
Assist les couppes sur les tables.
180 Dedens ot roses odorables,
Blanches, vermeilles et trop belles,
Et cueillies furent nouvelles.
Et avecques ce presentoit
En beaulx rolez qu'elle gectoit
185 Ceste balade qui recorde
Qu'Amours veult, qu'ainçois qu'on accorde
A prendre la jolie rose,
Que l'en face veu de la chose
Qui est en l'escript contenu
190 Et qu'il soit juré et tenu.
Et qui tout ce vouldra vouer
Et celle promesse advouer,
Hardiement preingne la rose
Ou toute doulçour est enclose.
195 Si oyez lire la balade
Qu'apporta la deesse sade:
Balade.
A bonne amour je fais veu et promesse
Et a la fleur qui est rose clamée,
A la vaillant de Loyauté deesse,
200 Par qui nous est ceste chose informée,
Qu'a tousjours mais la bonne renommée
Je garderay de dame en toute chose
Ne par moy ja femme n'yert diffamée:
Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.
205 Et si promet a toute gentillesse
Qu'en trestous lieux et prisée et amée
Dame sera de moy comme maistresse.
Et celle qui j'ay ma dame nommée
Souveraine, loyauté confermée
210 Je lui tendray jusques a la parclose,
Et de ce ay voulenté affermée:
Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.
Et si merci Amours et son humblesse
Qui nous a cy tel semence semée
215 Dont j'ay espoir que serons en l'adresse
De mieulx valoir; c'est bien chose informée
Que de lui vint honneur trés renommée.
Si defendray, s'aucun est qui dire ose,
Chose par quoy dame estre puist blasmée:
220 Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.
Princes haultains, ou valeur est fermée,
Faites le veu, bonté y est enclose,
L'enseingne en vueil porter en mainte armée:
Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.
225 Adonc furent en audiance
Levez, et, senz contrariance,
Firent tous le beau veu louable
Qui est gentil et honnorable.
Quant nullui ne vit contradire
230 La deesse adonc prist a dire
Ce rondelet, prenant congié,
Si n'y a pensé ne songié:
Or m'en vois dire les nouvelles.
Au dieu d'Amours qui m'envoya.
235 De ses belles roses nouvelles
Or m'en vois dire les nouvelles.
A Dieu vous dy, tous ceulz et celles
Que bonne amour cy avoya,
Or m'en vois dire les nouvelles.
240 Quant ce fut dit, lors s'envola
Celle deesse qui vint la.
Mais les nymphes qui furent liez
De leurs doulces voix deliez
Commencierent tel mellodie,
245 Ne cuidez que mençonge die,
Que il sembloit a leur doulz chant
Qu'angelz feussent ou droit enchant.
Ainsi parti de celle place
La deesse, qui de sa grace
250 Ot la conpaignie esjoÿe,
Tel nouvelle leur ot gehie,
D'elle font feste et de ses choses
Et tous se parent de ses roses,
Par teste, par braz, par poitrine,
255 En promettant foy enterine,
Si comme ou veu est devisé
Qu'ilz orent moult bien avisé.
Quant assez selon leur loisir
Orent esté en ce plaisir,
260 Chantans, rians a chiere lie
Senz dueil et senz merencolie,
Partis s'en sont, congié ont pris,
Emportant la rose de pris.
Et je qui n'oz pas le cuer noir
265 Demouray en cellui manoir
Ou ot esté celle assemblée,
Ou je ne fus de riens troublée.
Tart fut ja et saison en l'eure
D'aler couchier et bien fu heure;
270 Mais la deesse qui m'ama,
Sienne merci, et me clama
Sa belle suer de cuer eslit
M'ot appresté un trop beau lit,
Blanc comme noif, encourtiné
Richement et bien ordonné,
En belle chambre toute blanche
Comme la noif qui chet sur branche;
Pour ce l'ot fait, je n'en doubt mie,
Que je suis a Dyane amie,
280 La deesse trés honnourée
Qui toudiz de blanc est parée.
La me couchay seulette et nue,
Et m'endormy. Lors une nue
Si m'apparu en mon dormant
285 Clere et luisant; de ce forment
Me merveillay que pouoit estre.
De la nue, qui fu a destre
Costé du lit, luisant et clere,
Comme en esté temps qui esclere,
290 Yssi une voix gracieuse,
Trop plaisant et trop amoureuse;
Adonc, ou que dormisse ou non,
La voix m'appella par mon nom,
Si me dist lors: «Amie chiere
295 Qui m'as amée et tenu chiere
Toute ta vie, bien le sçay,
Car souvent t'ay mise a l'essay,
Je suis la deesse loyale
De la haulte ligne royale
300 De Dieu qui me fist et fourma
Et de ses rigles m'enforma.
Or m'entens, m'amie certaine,
Et je te diray qui me maine:
Tu scez comment en ta presence
305 Je vins presenter par plaisance
Nagueres les roses jolies,
Qui en nul temps ne sont palies,
De par vraye Amour, qui conduit
Ceulx qui de bien faire sont duit,
310 «Qui encor devers toy m'envoye,
«Messagiere de ceste voye
«Lui plaist que soye par usage,
«Et voulentiers fais le message:
«Amours se plaint trop fort et duelt
315 «D'une coustume qui trop suelt
«Estre en mains lieux continuée,
«Bien vouldroit qu'elle fust muée.
«Car elle est male, laide et vilz,
«Et vilaine, je te plevis,
320 «Et par especial en ceulx
«Qui ne doivent estre preceux
«D'acquerir toutes bonnes meurs
«Pour plus acroistre leurs honneurs,
«C'est es nobles et es gentilz
325 «Hommes qui doivent ententis
«Estre a mieulx valoir qu'autre gent;
«Bonté leur siet mieulx que or n'argent;
«Mais des vilains ne fais je force,
«Car ceulx ne font bien fors a force
330 «N'on ne les pourroit amender
«Pour leur ennorter ne mander,
«Car la condicion vilaine,
«Qui pis flaire que male alaine,
«Si est trop fort a corrigier;
335 «Trop est fort cil vice a purgier.
«J'appelle villains ceulz qui font
«Villenies, qui les deffont,
«Je n'entens pas par bas lignaige
«Le vilain, mais par vil courage;
340 «Mais cellui qui noble se fait
«De lignie trop se deffait
«Se sa noblesse en villenie
«Tourne, dis je voir ne le nye,
«Si font plus qu'autres a reprendre
345 «S'on les puet en vilains faiz prendre.
«Et pour ce diz, ce n'est pas bourde,
«Qu'en lait fait n'en parolle lourde
«Tout nobles homs, s'il aime pris,
«Se doit garder d'estre repris.
350 «Car trop en vauldroit mains senz faille,
«Tout feust il bien preux en bataille;
«Car la prouesse seulement
«Ne gist pas ou grant hardement
«D'assaillir ne de soy defendre
355 «Contre aucun qui le vueille offendre,
«Car ce sont prouesses de corps,
«Mais certes mieulx valent encors
«Les bontez qui viennent de l'ame;
«Ce ne me puet nyer nulle ame.
360 «C'est vaillantise et grant prouesse
«Quant un noble cuer si s'adresse
«Qu'en vertus il soit bien propice
«Et eschever et fuïr vice
«Ne qu'on ne puist trouver en lui
365 «Riens dont puist mesdire nullui,
«Se n'est a tort ou par envie;
«Car n'est en ceste mortel vie
«Homme qui soit de touz amez
«Ne de toutes gens bons clamez.
370 «Ce fait Envie qui s'efforce
«D'abatre loz, n'y face force
«Bon homme ains face toudiz bien,
«Car loz vaintra, je te diz bien,
«Et s'un tel homme ainsi apris
375 «Peut aussi d'armes avoir pris
«Tant que renommée tesmoingne
«Qu'en tout bien faire s'embesoingne
Et qu'en rien ne soit recreant,
Un tel vassal, je te creant,
380 Est bien digne de loz acquerre
Se bon est en paix et en guerre,
Et juste et loyal en tous cas
Et o lui ait pour advocas
Courtoisie qui si l'enseingne
385 Que de gentil porte l'enseingne
En fait, en dit et en parolle.
Senz orgueil qui maint homme affolle
Si ait hault cuer et haulte emprise,
Ce n'est pas l'orgueil qu'on desprise
390 Que d'avoir si haultain courage
Qu'on ne daingnast faire viltage
Et que l'en aime les haultaines
Choses contraires aux vilaines.
Telz choses sont appartenans
395 Aux nobles, et que soustenans
Soient justice en tout endroit
Et toute bonté, c'est leur droit.
Mais pour revenir au propos
Pour quoy vins ça sur ton repos
400 Par le commandement mon maistre
Amours, qu'au monde Dieu fist naistre,
Et de quoy se deult et complaint
Et dont par moy a toy se plaint,
C'est de la coustume perverse,
405 Qui l'onneur de mainte gent verse,
De mesdire, que Dieux mauldie,
Par qui mainte femme est laidie
A tort et a grant desraison
Et maint bon homme senz raison,
410 Qui queurt ores plus qu'onques mais.
Ce fait Envie qui tel mais
Apporte d'enfer pour donner
Aux gens, et tout empoisonner
«Et occirre de double mort
415 Qui a si fait vice s'amort.
Mesdire, qui bien y regarde,
C'est tel glaive et si faite darde
Que meismes cil qui le balance
Occist et cil sur qui le lance,
420 Mais aucunes fois plus blecié
Demeure cil qui l'a lancié
Que ne fait cil sur qui le rue.
Ou soit en maison ou en rue,
Et son ame plus griefment blece
425 Et son honneur et sa noblece
Que ne fait souvent l'encusé.
Et tel s'est maintes foiz rusé
D'autre qui mieulx de soy valoit
Pour ce que son bien lui douloit;
430 Et tel diffame autrui souvent
Qui est plus seurpris, je m'en vent,
Du mesmes meffait et tachié
Qu'il dit que l'autre est entachié;
Si est faulte de congnoissance
435 Et d'envie vient la naissance;
Car nul ne vouldroit que tel verve
On deist de lui, quoy qu'il desserve,
Mais chascun puet estre certain
Qu'il est un juge si certain
440 Qui tout congnoist et hors et ens,
Tout scet et tout est clerveans,
Si rendra a chascun desserte
De bien ou de mal, chose est certe,
Trop font mesdisans a haïr
445 Et leur compaignie a fuïr
Plus que de gent bataillereuse.
Plus male et trop plus perilleuse
Est compaignie et plus nuysant
D'omme jangleur et mesdisant;
450 Qui maie compaignie hante
Ne puet que du mal ne se sente,
Et avec les loups fault huler
Et de leur peau soy affuler.
Et, quant je di homs, j'entens famme
455 Aussi, s'elle jangle et diffame;
Car chose plus envenimée
Ne qui doye estre moins amée
N'est que langue de femme male
Qui soit acertes ou par gale
460 Mesdit d'autrui, moque ou ramposne;
Et se mal en vient, c'est aumosne
A celle qui s'i acoustume,
Car c'est laide et orde coustume.
N'a femmes n'affiert a mesdire,
465 Ainçois, quant elles oyent dire
Chose qui face autrui dommage,
Abaissier doivent le langage
A leur pouoir ou elles taire,
S'autre chose n'en pevent faire;
470 Car avoir doit, en verité,
Doulçour en femme et charité;
S'autrement font c'est leur contraire,
Car bien siet a femme a point taire.
Mais, pour ce que ceste coustume
475 Court en mains lieux qu'envie alume,
Vouldroit bien Amours errachier
D'entre ceulz qu'il aime et tient chier,
C'est des nobles a qui tel tache
Trop messiet, s'elle s'i atache;
480 Car si preux n'est, je l'ose dire,
Que, s'il a renom de mesdire,
Qu'il n'en soit partout moins amé,
Moins prisié et jangleur clamé.
Mais sur toutes autres diffames
485 Het Amours qu'on parle des femmes
Laidement en les diffamant,
Ne veult que ceulz qui noblement
Se veulent mener pour acquerre
Pris et honneur en mainte terre
490 Soient de tel tache tachié,
Car c'est maufait et grant pechié.
Et pour estrapper tel verjus
M'envoya bonne Amour ça jus
Atout l'Ordre belle et nouvelle,
495 De quoy j'apportay la nouvelle,
Present toy, n'a gueres de temps,
Mais encor veult, si com j'entens,
Amours que ceste chose soit
Publiée comment qu'il soit
500 Et qu'on le sache en maint paÿs
A fin que mesdit soit haÿs
En toutes pars ou noble gent
Sont d'acquerre loz diligent.
Si veult qu'ayes legacion
505 De faire en toute nacion
Procureresses qui pouoir
Ayent, s'elles veulent avoir,
De donner l'Ordre delictable
De la belle rose agreable
510 Avec le veu qui appartient.
Mais Amours veult, bien m'en souvient,
Que nulle ne soit establie
A donner l'Ordre gente et lie
S'elle n'est dame ou damoiselle
515 D'onnour, courtoise, franche et belle,
Toutes sont belles quant bonté
A la beauté plus seurmonté.
Ainsi auras par ce convent
Ceste charge d'ore en avant,
520 Si l'envoye par toute terre
Ou noble gent poursuivent guerre
Aux dames, de qui renommée
Est de leur grant bonté semée:
A celles veulz et te commande
525 Bonne Amour par moy et te mande
Que tu commettes le bel Ordre
Ou nulz ne puet par droit remordre.
Et combien que j'aye apportées
Les roses qui seront portées
530 Des bons a qui je les donnay,
Et de telles assez en ay,
Car en mon vergier sont cueillies,
Ne veult pas Amours que faillies
Els soient es autres contrées
535 Ou telles ne sont encontrées;
Car quiconques d'orfaverie
D'or, d'argent ou de brouderie
De soye ou d'aucune autre chose,
Mais que soit en façon de rose,
540 Portera l'ordre qui donnée
Sera de la dame, ordonnée
De par toy pour l'Ordre establir,
Il souffist; et pour acomplir
Ceste chose voicy les bulles,
545 Ou monde n'a pareilles nulles,
Si tesmoing la commission.
Cil Dieu qui souffri passion
Te maintiengne toudiz en l'euvre
D'estude qui grant science euvre
550 Et t'otroit son saint paradis,
Je m'en vois et a Dieu te dis.»
Adonc est celle esvanoÿe.
Je m'esveillay toute esbahye;
Ne vy ouvert huys ne fenestre,
555 Merveillay moy que ce pot estre;
Si me pensay que c'estoit songe,
Mais ne le tins pas a mençonge
Quant coste moy trouvay la lettre
De la deesse au royal sceptre
560 Qu'elle mist dessus mon chevet
Coste moy, puis volant s'en vet.
Par grant entente prises ay
Les bulles et moult y musay,
Car j'avoye lumiere d'oile.
565 Je me levay et la chandoile
Alumay adonc senz tarder
Pour mieulx la bulle regarder.
Mais oncques ne vy en ma vie
Si de beauté lettre assouvie,
570 Merveilles os, je vous plevy,
De la grant beauté que g'i vy.
Estrange en est moult la maniere:
Le parchemin de fin or yere
Et les lettres furent escriptes
575 De fin azur, non trop petites
Ne trop grans, mais si bien formées
Que mieulx ne peust, non pas rimées
Ne furent, mais en belle prose
La contint l'Ordre de la rose.
580 Le laz en fu de soye azure,
Et le seel de belle mesure
Fut d'une pierre precieuse
Resplandissant et gracieuse:
Le dieu d'Amours fut d'une part.
585 Les piez ot sur un liepart,
De l'autre part fut la deesse,
De Loyauté dame et princesse.
Les empraintes moult merveilleuses
En furent et trop gracieuses;
590 Et bien sembla de si bel estre
Que n'estoit pas chose terrestre.
Si leuz la lettre senz y point
Faillir et notay chascun point.
Lye fuz de la vision
595 Et d'avoir tel commission;
Car combien que je ne le vaille
Ay je desir que nul ne faille,
Et pour ce moy, qui suis commise
A ce, ne doy estre remise
600 De faire si bien mon devoir
Que je n'en doye blasme avoir.
Et pour ce ay je fait ce dictié
Ou j'ay tout l'estat appointié
Et mis la fourme et la maniere
605 Comme il avint et ou ce yere,
A fin qu'on le sache en tous lieux.
Si soient tous jeunes et vieux
Desireux d'estre retenus
En l'Ordre, maiz n'y entre nulz
610 S'il n'en veult bien son devoir faire,
Car il se pourroit trop meffaire.
Aussi aux dames amoureuses
Qui de tout bien sont desireuses,
J'entens de l'amour ou n'a vice,
615 Mal, villenie, ne malice,
Car quiconques le die ou non
En bonne amour n'a se bien non,
Et a celles generaulment
Qui aiment honneur bonnement,
620 Soit en ce regne ou autre part,
Qui ont les cuers de noble part,
De par la deesse je donne
Le plain pouoir et habandonne
De donner l'Ordre gracieux
625 A tous nobles et en tous lieux
Ou bien employé le verront
A ceulz qui avoir le voulront;
Mais s'aucun le prent et le jure
Et puis après il s'en parjure
630 Cellui soit tenu pour infame,
Haÿ de tout homme et de famme,
Car ainsi le veult la deesse
Qui ceste chose nous adresse.
Si feray fin, il en est temps,
635 Priant Dieu que aux escoutans
Et a ceulz qui liront mes dis
Doint bonne vie et paradis.
Escript le jour Saint Valentin
Ou mains amans trés le matin
640 Choisissent amours pour l'année,
C'est le droit de celle journée.
De par celle qui ce dictié
A fait par loyale amitié,
S'aucun en veult le nom savoir,
645 Je lui en diray tout le voir:
Qui un tout seul cry crieroit
Et la fin d'Aoust y mettroit
Se il disoit avec une yne
Il savroit le nom bel et digne.
EXPLICIT LE DIT DE LA ROSE.
Ce poème ne se trouve que dans les mss. de la famille B.
26 B1 Present
46 B1 m'aime.
78 B1 p. goust.
105 B1 qu'el
115 B1 T. fuyent.
137 le omis dans B1
163 B1 Qui f.
216 B1 ceste c. i.
299 manque dans B1
338 B1 baz.
345 B1 le p.
351 bien omis dans B1
425 B1 noblesse
435 manque dans B2
457 B1 q. doy
469 B1 ne p.
503 B1 lez d.
519 B2 d'ores
534 B1 Eles s.
594 B1 L. fu
603 B2 t. le fait a.
646 à 649 renferment l'anagramme de Crystyne.
Rubrique B1 Cy fine le d. de la R.
NOTES
LE DIT DE LA ROSE
Petit poème inédit, quelques vers seulement ont été donnés par Paulin Paris (Mss. françois, V, p. 170), vers 638 à 649. 32.—Christine veut parler ici de l'hôtel du duc Louis d'Orléans. Cette demeure avait porté successivement les noms d'hôtel de Flandre, de Nesle, de Bohême et d'Artois, jusqu'à l'époque où le roi Charles VI l'acheta de Marie de Chatillon, veuve de Louis d'Anjou, pour la donner à son frère alors duc de Touraine (1388). Le duc d'Orléans augmenta considérablement l'importance primitive de l'hôtel, en y réunissant plusieurs maisons situées du côté de la rue Coquillière et de la rue des deux Écus et en y ajoutant encore l'hôtel du Grand Maître des Arbalétriers qui donnait sur la rue de Grenelle, de nombreuses cours et de vastes jardins étaient également compris dans cette propriété qui devint bientôt l'une des plus belles résidences de Paris[1]. Christine, qui devait souvent habiter chez le duc Louis, aimait à retracer les fêtes et réjouissances splendides auxquelles elle pouvait assister de temps à autre. La description qu'elle nous donne au commencement de son Débat de deux Amants, ne peut évidemment s'appliquer qu'à l'une des magnifiques réceptions de son puissant protecteur; son poème du dit de la Rose a aussi pour sujet une réunion toute intime des officiers de la maison du duc Louis, réunion que l'on pourrait peut-être supposer imaginaire, mais qui à notre avis a dû certainement avoir lieu. Nous croyons donc intéressant de donner ici les noms des officiers qui faisaient à cette époque partie de la maison du duc, et qui ont pu pour la plupart assister à la joyeuse assemblée à laquelle Christine fait allusion. L'intéressant travail de M. Jarry sur la vie politique de Louis de France[2] et la collection de Bastard nous ont permis de reconstituer la liste suivante:
Guillaume de Bracquemont «mareschal de guerre».
Robert de Bracquemont.
Jean de Trie, maréchal.
Arnaud Guilhem de Barbazan.
Guillaume du Chastel,
Archambaud de Villars.
Clignet de Brebant.
Guillaume Bataille.
Yves de Karouis.
Guillaume de la Champagne[3].
Pierre l'Orfèvre, chancelier du duc.
Jean de Craon, chambellan.
Henri, comte de Saumes, id.
Le Sire de Beaussant, id.
Le Sire de Ferrières, id.
Jean de Dreux, id.
Jean de Béthune, id.
Pierre de Wisque, sire de Rasse, id.
Philippe de Florigny, id.
Guillaume et Raoul de Laire, id.
Jean de Miraumont, id.
Alain de Beaumont, id.
Guy de Nesle, seigneur d'Offémont, id.
Olivier de Mauny, id.
Guillaume de Coucy, seigneur de Montmirail, id.
Gadifer de la Sale, id.
Jean de Saquainville, dit Sacquet, seigneur de Blarru, id.
Amaury de Lignières, id.
Jean des Mousures, seigneur de Morvilliers.
Guillaume de Meulhon.
Jean de Garencières.
Jean de Roussay.
Jean de Bueil.
Yves, seigneur de Vieuxpont.
Aubert de Cany.
Raoul de Saint-Remy.
G. de Fayel, dit le Bègue.
Robert de Cadillac.
Jean de Tillières.
Robert Ryout, maître d'hôtel.
Jean Bracque, id.
Le poète Eustache Deschamps, id.
Enguerrand de Marcoignet, id.
Jean Prunelé, chambellan, depuis le 24 août 1400 gouverneur de
Charles d'Orléans.
Ogier de Nantouillet, premier écuyer de corps.
Hector de Pontbriant, écuyer d'écurie.
Olivier Ferron, id.
Bertrand du Mesnil, écuyer.
Guy et Jacques de Renty, id.
Jean de Coutes, dit Minguet, id.
Pierre Paviot, écuyer, échanson.
Robert de Villequier, écuyer tranchant.
Richard de Mainemaires, dit Bellegarde, pannetier.
Denis Mariete, argentier.
Raoul de Baubigny, huissier d'armes.
[1] Lebeuf, Hist. du dioc. de Paris, édit. Cocheris, t. I, p. 131 et 265, et Bonamy dans les Mém. de l'Acad. des inscr. XXIII, p. 262.
[2] Jarry, Hist. politique de Louis de France, duc d'Orléans, Paris, 1889.
[3] Ce chevalier et les six qui précèdent furent les champions français au combat du 19 mai 1402. Christine a chanté leur victoire (voy. tome I, p. 240 et 305).
LE DEBAT
DE DEUX AMANS
CI COMMENCE LE DEBAT DE DEUX AMANS
Prince royal, renommé de sagece, Hault en valeur, poissant, de grant noblece, Duit et apris en honneur et largece, 4 Trés agreable Duc d'Orliens, seigneur digne et valable, Filz de Charles, le bon roy charitable, De qui l'ame soit ou ciel permanable, 8 Mon redoubté Seigneur vaillant, par vostre grant bonté Mon petit dit soit de vous escouté, Ne par desdaing ne soit en sus bouté 12 Par pou de pris; Si ne l'ait pas vo haultece en despris Pour ce que j'ay pou de savoir apris, Ou pour ce qu'ay faible matiere pris 16 Et hors l'usage De vo bon sens qui n'escoute language Qui tout ne soit trés vertueux et sage. Mais a la fois point ne tourne a domage 20 A ouïr choses De divers cas en textes ou en gloses, Et meismement ou matieres encloses Joyeuses sont, soient rimes ou proses; 24 Et par ouïr Choses qui font par nature esjouïr On fait souvent tristece hors fouïr. Car trop grant soing tolt souvent a joïr 28 Cuer occupé D'avoir soulas, quant trop envelopé Est es choses ou il s'est entrappé, Ne corps humain, tant soit bien attrempé, 32 Ne pourroit vivre Toudis en soing; et j'ay leu en un livre Que quant David, qui la loy Dieu voult suivre, Vouloit estre de tristece delivré, 36 Lors de sa lire Moult doucement jouoit, et souvent l'yre Il rapaisoit de Dieu; et ouïr lire Choses plaisans font souvent joye eslire 40 Aux escoutans. Si n'est nul mal et en lieu et en temps Lire et ouïr de choses esbatens. Et pour ce, Prince excellent, mal contemps 44 Vous ne soiez De moy pour tant s'ay desir que voiez Un petit dit, lequel ay rimoiez Ad celle fin que vo cuer avoiez 48 A soulacier Aucunement. Si vous vueil commencier A raconter, Dieu m'en vueille avancier, Un grant debat dont j'oÿ fort tencier 52 A deux amans. Car tout d'amours sera cilz miens rommans: Si l'entendront François et Alemans Et toute gent, s'ilz entendent rommans; 56 Mais jugement Y apertient; si suppli humblement Vo noble cuer qu'il daigne bonnement Droit en jugier, si comme sagement 60 Le sara faire. Car li amant, ou il n'a que reffaire, Le requierent, et de tout cest affaire Il vous chargent, noble Duc debonnaire, 64 Et si se tienent A vostre dit, car bien scevent et tienent Que droitturiers les jugemens qui viennent De vous touz sont, nez ceulx qui appartiennent 68 Es faiz d'amours, Qui aux jeunes font souvent changier mours En bien ou mal, en joyes ou clamours; Mais naturel est a tous cil demours, 72 Tant comme il dure, Si ne le doit nul tenir a laidure; Car tout ce qui est donné de Nature Nul ne le peut tollir, dit l'Escripture. 76 Si vous diray Le grant debat, ne ja n'en mentiray, De deux amans, que je moult remiray; Car leur descort a ouïr desiray 80 Et leur tençon Gracieuse, non mie en contençon. Ce fu en May, en la doulce saison, Qu'assemblée ot en moult belle maison 84 Et gracieuse, Qui a Paris siet en place joyeuse, Compagnie joenne, belle et soingneuse De soulacier: creature envieuse 88 N'ot en la route, Fors de jouer, si com je croy sanz doubte. Trés belle fu la compagnie toute, Ou mainte dame ot qui d'amer n'ot goute 92 Et mainte gente Damoiselle parée par entente, Mainte gentil pucelle, et, que ne mente, De chevaliers y avoit plus de trente 96 Et d'autre gent, Beaulz et gentilz, papellotés d'argent, Gays et jolis, assesmés bel et gent; Si furent tous et toutes deligent 100 De joye faire. La ot moult bons menestrelz plus d'un paire Qui haultement faisoient le repaire Tout retentir. Si devoit a tous plaire 104 Celle assemblée, Car feste et joye y estoit si comblée Qu'a cent doubles fu plus qu'autre doublée, N'elle n'estoit de discorde troublée 108 Mais trés unie, Toute tristece en estoit hors banie. Et en place bien parée et ounie, Grant et large, nette, non pas honnie, 112 Menoient tresche Joyeusement par dessus l'erbe fresche; Maint jolis tour, maint sault, mainte entrevesche Y veïst on, et lancier mainte fleche 116 A doulz regart, Tout en requoy traire par soubtil art, Et qui mieulz mieulz chascun faisoit sa part De ce que doulz Deduit aux siens depart. 120 Ainsi dançoient Tous et toutes, ne point ne s'en lassoient, Et en dançant leurs cuers entrelaçoient Par les regars que ils s'entrelançoient. 124 Qui veist jolies Femmes dancier a contenances lies Si gayement de manieres polies, A chapiaulz vers de flours et d'acolies, 128 Par mignotise Bien avenant, doulcetement assise, Rire et jouer, elles plaindre en faintise, Parler attrait de maniere rassise, 132 Les contenances De ces amans a chascun tour des dances, Muer couleur, faire maintes semblances, Moult en prisast les doulces ordenances. 136 Et puis après Les menestrelz, qui bien jouoient très Parmi chambres et parmi ces retrès, Oist on chanter hault et cler a beaulz trèz 140 Bien mesurez. A brief parler, tant furent procurés La ris et jeux qu'il sembloit que jurez Fussent d'ainsi estre a feste adurez 144 A tousjours mais. Et moy, en qui tout anuy est remais Depuis le jour que Mort de trop dur mais M'ot servie, dont je n'aré jamais, 148 C'est chose voire, Plaisir joyeux au monde, ains aré noire Pensée adès pour la dure memoire De cil que je porte en ma memoire 152 Sanz nul oubly, Dont l'esperit soit ou ciel establi, Qui seulete me laissa, n'entroubli Ne fait mon dueil, ou que soye, affoibli 156 En nulle guise, Fus sus un banc en cellui lieu assise Sanz mot sonner, regardant la devise Des fins amans gentilz, plains de cointise, 160 Tant renvoisiez Qui de mener soulaz furent aisiez. Mais je qui oz l'esperit acoisiez Consideray que de tous les proisiez 164 De celle place Un escuier, bel de corps et de face, Y ot jolis, mais tant fut en sa grace Qu'il sembloit bien qu'il eüst plus grant masse 168 De toute joye Qu'autre qui fust ou lieu, se Dieux me voie; Car mon regart a lui toudis avoye, En remirant la gracieuse voie 172 De son maintien; Car il dançoit et chantoit si trés bien, Si liement jouoit, je vous di bien, Que il sembloit que le monde fust sien, 176 Tant resjoÿ Forment estoit, ou qu'il eüst jouÿ De tous les biens dont oncqu' homme jouÿ, Tant parestoit son gay cuer esjoÿ, 180 A droit voir dire; Car ne finoit de jouer et de rire, Ou de chanter et dancer tout a tyre. Mais de ses jeulz nul ne peüst mesdire 184 Tant lui seoient, Car les autres tous resjoïr faisoient, Et ses soulas si gracieux estoient Qu'a toute gent communement plaisoient; 188 N'il ne parlast Fors en riant et sembloit qu'il volast Quant il dançoit. Mais, quoy qu'il se celast, A peine un pas de nul costé alast 192 Que de doulz oeil Ne regardast simplement sanz orgueil Telle qui fu present, ou tout son vueil Estoit assis, mais par soubtil recueil, 196 Comment qu'il fust, Son regarder gittoit, qu'on n'apperceust Qu'a celle plus qu'a autre pensée eust. Si ne cuide je pas que pou lui pleust, 200 Car bien sembloit Que pour elle fust en amoureux ploit, Tout non obstant que des gens tant s'embloit Comme il pouoit. Mais l'amoureux esploit 204 Fort a celler Est aux amans qu'Amours fait afoler Par trop amer et venir et aler. Ainsi surpris d'amours, a brief parler, 208 Cil sembla estre. Mais près du banc ou je seoie a destre Avoit assis decoste une fenestre Un chevalier qui sus sa main senestre 212 Tint appoyé Son chief enclin, comme tout anoyé Et tout pensif, et pou ot festoyé, Ne il n'estoit joyeux ne desroyé, 216 Ne esbatant Ne sembla pas, mais n'estoit pas pour tant Lait ne vieillart, ains de beauté ot tant Com nul qui y fust et moult entremetant 220 En gentillece Et en honneur sembla et de jeunece Assez garny, jolis et sanz parece, Mais bien sembloit que pou eust de leesce 224 Et pou de joye. Car moy qui lors dessus le banc seoie Soingneusement son maintien regardoie Pour ce que si pensif je le veoie 228 Et sanz soulas, Par maintes fois li oÿ dire, hé las! Bassetement, n'estre ne pouoit las De souspirer comme homme qui en laz 232 Est enserré; Et avec ce tant ot le cuer serré Que il sembloit qu'on l'eüst desterré, Tant pale estoit, ou qu'il fust enferré 236 D'un fer trenchant. Et non obstant qu'il s'alast embruschant D'un chapperon, dessus ses yeulz sachant, Qu'on n'aperceust le pié dont fu clochant 240 Ne son malage, Et tout fust il loyal, secret et sage, Si com je croy, si faindre son corage Ne pot qu'il n'eust tout au long du visage 244 Souvent les larmes, Tant ne pouoit estre constant ne fermes Que couvrir peust les trés ameres armes Qu'Amours livre a ceulz qu'il rend trop enfermes 248 Et maladis. Ainsi cellui fut la, com je vous dis. Morne, pensis et petit esbaudis. Mais, si me doint Jhesu Crist paradis, 252 Telle pitié Me fist de lui veoir si dehaitié Qu'oncques homme, tant y eusse amistié, Ne m'atendry le cuer a la moitié 256 Comme cellui Me fist, que la je veoie a par lui Morne, pensif, larmoier; ne nullui N'apercevoit, je croy, l'anui de lui 260 Fors moy sanz plus. Car les autres toudis de plus en plus S'esbatoient, et cil estoit reclus Entre la gent plus simple qu'un reclus, 264 Ne ne pensoit Que le maintien qui triste le faisoit Nul aperceust, car chascun y dançoit Fors lui et moy, et pour ce ne cessoit 268 D'estre pensifs. Mais la cause qui si le tint rassis J'aperceu bien, car des fois plus de six Mua coulour quant près de lui assis 272 Le corps gentil D'une dame belle et gente entre mil Estoit; adonc tout se transmuoit cil, Si la suivoit aux yeulz, mais si soubtil 276 Fu son regart Qu'apercevoir ne le peust par nul art Nul ne nulle, n'avoit l'ueil autre part, Dont j'aperceu et vi tout en appert 280 Que le meschief Qui lui troubloit et le cuer et le chief Venoit de la, je ne sçay par quel chief, Mais sanz cesser souspiroit de rechief. 284 Ainsi se tint La longuement, dont trop de mal soustint. Mais or oiez après qu'il en avint: Quant ot songié assez il se revint 288 Un pou a soy, Comme homme qui un pou a sa grant soy Estanchée; et je qui l'aperçoy Le regarday, mais, s'oncques nul bien soy, 292 Me fu avis A son regart et au semblant du vis Qu'il aperceut que tout son maintien vis, Et come la estoit si com ravis, 296 Si lui greva Que veü l'os. Ne sçay comme il en va, Mais assez tost de ce lieu se leva Et vers moy vint et achoison trouva 300 De m'arresner. Et moy qui moult me voulsisse pener De l'esjouïr, se g'y sceusse assener, Pour la pitié qu'oy eu, dont atorner 304 En tel conroy L'avoie veu, quant devers la paroy Le vi venir vers moy sanz nul desroy Je me levay; mais, s'il fust filz de roy 308 Ou duc ou conte, Sot il assez que gentillece monte. Courtoisie, qui les bons en pris monte Et qui aprent, enseigne, duit et domte 312 Tout bon courage, Lui ot apris; adonc le doulz et sage Si me rassist, et, sanz querre avantage De nul honneur, humblement, sanz hauçage, 316 Dessus le banc Decoste moy s'assist cil qui fu blanc Et pale ou vis, ou n'ot couleur ne sang Par trop amer, et son bras par le flanc 320 Adonc me mist Courtoisement, et bellement me dist: «Que pensez vous cy seule? Car il n'yst De vous nul mot, bien croy qu'il vous souffist 324 De cy penser Sanz autre esbat, pour quoy n'alez dancer?» Et je respons: «Mais vous, sire, avancer Pou vous en voy et ne deussiez cesser 328 De vous esbatre, Ce m'est advis, car en ce lieu n'a quatre Qui plus soient joennes, mais pou embatre Je vous y voy, ne sçay qui fait rabatre 332 Si vo pensée?» Et cil, qui voult la doulour qu'amassée Avoit ou cuer moy celler, a pessée Parole dist: «En peu d'eure est passée 336 Certes ma joye, Tant suis rudes que dancer ne saroye Ne autrement jouer, et toutevoie N'ay je courroux ne chose qui m'anoye, 340 Mais c'est ma guise D'estre pensif, ce n'est pas par faintise; Dieux a en moy tel condicion mise. Ou qu'il m'anoit ou que bien me souffise, 344 C'est ma nature.» Ainsi parlions a bien basse murmure Et ja avions conté mainte aventure Quant vers nous vint cellui tout a esture, 348 Dont j'ay parlé Ycy dessus, qui n'ot cuer adoulé Ains fu joyeux; si a l'autre acolé Tout en riant, et a lui rigolé 352 S'est bellement, Et d'un et d'el parlerent longuement, Mais sus amours tourna le parlement. Si dist adonc l'escuier liement: 356 «A ma requeste Parlons d'amours un pou, et, sanz arreste, D'entre nous trois de deviser s'apreste Son bon avis chascun, et s'amours preste 360 Plus joye ou mains Aux vrais amans, vous pry a jointes mains Qu'en devision, que nul ne l'oye; au mains Pouons parler de ce dont joye ont mains. 364 Si faisons conte Que c'est d'amer, de quoy vient n'a quoy monte Ycelle amour qui le cuer prent et dompte, A quoy c'est bon, s'onneur en vient ou honte; 368 Chascun en die Ce qu'il en scet, ou se c'est maladie Ou grant santé, ou se l'amant mendie Qui dame sert. Le corps Dieu le maudie 372 Qui mentira De son avis et qui tout ne dira Des tours d'amours ce qu'il en sentira! Or y perra qui le mieulx enlira. 376 Mais je conseil Que nous yssions trestous trois hors du sueil De cel huis la et alions en ce brueil, Ou il fait vert, nous seoir en recueil 380 Joyeusement, Pour deviser la plus secretement, Que nul n'oye l'amoureux plaidement Fors que nous trois.» Et adonc vistement 384 Nous nous levasmes, Mais par mon loz une dame appellames Avecques nous, qui het mesdis et blasmes; Encore avec pour le mieulx y menames 388 Une bourgoise Belle, plaisant, gracieuse et courtoise; Par mon conseil fu fait, car qui racoise Des mesdisans la murmure et la noise 392 Moult sages est. Si partismes de la, et, sanz arrest, Ou bel vergier entrames qui fu prest A deduire, plus dru qu'une forest 396 D'arbres moult beaulx, Qui en saison portent bons fruis nouviaulx, Ou en printemps se deduisent oisiault, Et en beau lieu, qui y fist ses aviaulx, 400 Fusmes assis. Adonc cellui qui fu le moins pensis Dist a l'autre qui ot plus de soussis: «Dites, sire, car plus estes rassis 404 Et le plus sage, Vo bon avis de l'amoureux servage, S'il en vient preu, joye, honneur ou dommage?» Et cil respont: «Beaulz amis, c'est l'usaige 408 Selon raison Qu'en trestous cas et en toute saison Honneur porte aux dames tout gentilz hom, Premier diront, beau sire, et nous taison. 412 Dites, ma dame, Vo bon avis de l'amoureuse flamme, Se joye en vient ou dueil a homme et femme?» Et celle dit et respont: «Par mon ame, 416 Je ne sçaroye Qu'en dire au fort, quant est de moy loueroie Que vous deissiez et voulentiers l'orroie, Car proprement certes n'en parleroie; 420 Dites, beau sire, Car je sçay bien que mieulx en sçarés dire.» Et cil respont: «Ne vous doy contredire. Ne vueille Dieux qu'a ce ja mon cuer tire 424 Que vous desdie. Puis qu'il vous plaist, ma dame, que je die Ce qu'il m'est vis, quoy qu'autre contredie, Des fais d'amours et de la maladie 428 Qui vient d'amer, Se plus en vient de doulz et moins d'amer, Selon que sçay et que puis extimer Par essaier et par m'en informer, 432 J'en parleray Ce que j'en sens, ne ja n'en mentiray, Combien qu'autres trop mieulz que ne sçaray En parleroit, toutefois en diray 436 Tout mon avis, S'oncques je sçoz cognoistre ne ne vis Les tours d'amours par qui cuers sont ravis. C'est un desir qui ja n'est assouvis, 440 Qui par plaisir En jeune cuer se vient mettre et choisir Lui fait amour; de ce naist un desir De franc vouloir, qui le cuer vient saisir 444 De tel nature Qu'il rent amant le cuer et plein d'ardure Et desireux d'estre amé tant qu'il dure. Mais tant est grant celle cuisant pointure 448 Qu'elle bestourne Toute raison et tellement atourne Cil qui est pris que du joyeux fait mourne Et le morne en joyeuseté tourne, 452 Souvent avient. C'est une riens de quoy l'omme devient Tout tresmué, si qu'il ne lui souvient De nulle honneur ne de preu ne li tient; 456 Souventes fois Oublier fait et coustumes et drois, Fors volenté n'y euvre en tous endrois. C'est Sereine qui endort a sa vois 460 Pour homme occire. C'est un venin envelopé de mirre Et une paix qui en tout temps s'aÿre; Un dur liain, ou desplaisir ne yre 464 N'a nulle force Du deslier. C'est vouloir qui s'efforce De nuire a soy; une pensée amorse A desirer, par voie droitte ou torse, 468 Avoir aisance De ce en quoy on a mis sa plaisance, Et quant on l'a, n'y a il souffisance. Car le las cuer est toudis en balance 472 S'il aime fort, Car s'il avient que l'amant tant au fort Ait fait qu'il soit amé, et reconfort Lui soit donné, si me rens je bien fort 476 Que celle joye N'yert ja si grant qu'Amours ne lui envoie Mille soussis contre une seule voie D'avoir plaisir, ne que ja son cuer voie 480 Asseüré, Et tout soit il ou jeune ou meüré, Ou bel ou bon, ja si beneüré Ne se verra que trés maleüré 484 Il ne se claime Souventes fois, se parfaittement aime. Car Fortune, qui les discordes semme, En plus perilz que nef qui va a reme, 488 Par maintes voyes, Le fichera, mais le las toutevoies Tout le peril ne prisera deux oies Mais qu'il ne perde aucunes de ses joyes 492 Chier achetées. Haÿ, vray Dieux! quantes doleurs portées Sont es las cuers ou amours sont boutées! Quant m'en souvient, de moy sont redoubtées 496 Les dures larmes, Les durs sangloux et les mortelz voacarmes, Et les souspirs plus poignans que gisarmes. Et se parler en doy comme clerc d'armes, 500 Ce scet bien Dieux, Et quel dongier et quel torment mortieulx Porte l'amant, ou soit jeunes ou vieulx, Pour faire tant qu'il lui en soit de mieulz 504 Devers sa dame, S'il est a droit espris de l'ardent flamme Qui par desir l'amant art et enflamme, Avant qu'il soit amé, je croy, par m'ame, 508 Qu'assez endure De griefs anuis, je ne sçay comme il dure En tel torment, en si mortel pointure, N'il n'a en soy autre soin n'aultre cure 512 Que celle part Ou il aime; si a quitté sa part De tous les biens que Fortune depart Pour cellui seul, qui pou lui en espart, 516 Certes peut estre. Ainsi le las son paradis terrestre A fait de ce qui son cuer plus empestre, Et tout soit il roy ou duc ou grant maistre 520 Fault qu'il s'asserve, Ou vueille ou non, et que sa dame serve Et vraye amour, ains que joye desserve. Et puis y a encor plus dure verve: 524 S'on l'escondit, Or se tient mort le las, or se maudit, Et puis Espoir autre chance lui dit, Puis Desconfort revient et l'en desdit; 528 Ainsi n'a paix. En tous endrois le sert de divers mais Ycelle amour, qui ne lairoit jamais Avoir repos le cuer ou est remais 532 Cellui vouloir. Mais supposé qu'a l'amant tant valoir Lui vueille Amour que cause de doloir N'ait en nul cas, ne lui doie chaloir 536 Fors de leece, Et qu'a son gré du tout de sa maistrece Il soit amé, qui lui tiegne promesse Et loiaulté, ne croiez qu'a destrece 540 Pour tant ne soit; Car Faulz Agait, qui moult tost aperçoit Le couvine des amans et conçoit Par leurs semblans leur fait, comment qu'il soit, 544 Ne s'en taist pas; Si reveille moult tost, plus que le pas, Les mesdisans, cui Dieux doint mau repas, Qui font gaitier Jalousie au trespas 548 Et mettre barres Es doulz deduis des amans et enserres. Lors commencent et murmures et guerres Souventes fois, trop plus grans que pour terres 552 Ne pour avoir. Beau sire Dieux! qui pourroit concepvoir Le grant tourment qu'il convient recepvoir Au povre amant, qui ne peut bien avoir 556 Pour le parier Des mesdisans qui lui tollent l'aler Devers celle qu'il aime et veult celer. Trop durement font l'amant adoler 560 Les mesdisans Ou le jaloux, qui trop lui est nuisans. Ceulz lui tollent ses doulz biens deduisans, Dont tel dueil a qu'au lit en est gisans 564 En desespoir Souventes fois, ou il se met apoir En grant peril de mort, s'il n'a pouoir De soy chevir autrement, ne espoir 568 Qu'autrement puist Celle veoir pour qui le cuer lui cuist. Encor y a une chose qui nuist Trop aux amans et qui a dueil les duist 572 C'est jalousie, Qui oublier fait toute courtoisie Au las amant, qui si fort se soussie Qu'il est aussi comme homme en frenesie 576 Et loings et près. S'il s'aperçoit que un autre amant engrès De celle amer soit, ou son cuer est trais, Sachiez de voir, s'il y voit nulz attrais 580 Qu'elle lui face. Il en muera sens et couleur et face, Ne je ne cuid qu'autre meschief efface Ce mortel soin, quoy qu'il se contreface 584 Joyeux ne lié. C'est mort et dueil, qui estre appalié Certes ne peut, n'en paix estre alié, Le cuer qui est de tel tourment lié. 588 C'est une rage Trop amere qui met l'omme en courage De faire assez de maulz et de domage. Pluseurs en ont honneur et heritage 592 Souvent perdu. Qui jaloux est a meschief s'est rendu, Mieulz lui vauldroit gesir mort estendu, Mais grant amour lui a ce bien rendu 596 En guerredon; Car trop amer si empetre ce don Au pouvre amant, qui de son cuer fist don; Si lui semble que trop perderoit don 600 S'un autre avoit Le bien que si chier comparer se voit. Mais certes se le las mourir devoit N'en partiroit, nez s'il ores savoit 604 Que relenqui Et delaissié l'eüst sa dame, en qui Son cuer a tout, puis qu'amours le vainqui Par un regart qui du doulz oeil nasqui, 608 Que il tant prise. Et qu'a celle qui tant est bien apprise Il s'est donné et qu'elle a s'amour prise; Jamais nul jour n'en doit estre desprise, 612 Comme il lui semble, Pour riens qui soit, mais tous les maulz assemble En son las cuer: qui d'aïr sue et tremble Et souvent het, et puis amour rassemble, 616 C'est dure dance Et moult estrange vie et concordance; Et tout d'amour en vient la dependence. Ainsi en soy n'a ne paix n'acordance, 620 Ains derve d'yre Le las amant jaloux, quant il ot dire Ou apperçoit qu'a autre amour se tire Celle de qui ne peut ouïr mesdire 624 Et si le laisse. Si est plus serf que chien qu'on meine en laice, Que le veneur tient n'aler ne delaisse; Ainsi le tient celle qui pou l'eslece 628 En son dongier. Ha! quel amour qu'on ne puet estrangier Du dolent cuer, tant sache dommagier! On s'en doit bien de dueil vif enragier 632 Que il conviengne A force amer ce dont fault que mal viegne, Et que subgiet obeïssant se tiengne Le las amant, quelque mal qu'il soustiengne, 636 C'est grant merveille. Amours! amours! nul n'est qui ne s'en dueille, Cil qui te sert pou repose et moult veille, Et trop pener lui fault, vueille ou ne vueille, 640 Qui tu accointes. Mais regardons encore les plus cointes, Les mieulz amez et ceulz qui n'ont les pointes Qu'ont les jaloux, qui sont d'amertume ointes, 644 Sont ilz dehors Ces grans meschiefs?—Je croy que non encors, Ains y perdent pluseurs et ame et corps; S'il m'en souvient et se j'en ay recors, 648 Quant sont peris Par tel amour en France et a Paris Et autre part! Ainsi furent meris Jadis pluseurs amans: meismes Paris, 652 Qui belle Helaine Ot ravie en Grece a moult grant peine, Dont Troye, qui tant fu cité haultaine, Fu puis arse, destruitte et de dueil pleine, 656 Ou fu perie La plus haulte et noble chevalerie Qu'ou monde fust, et si grant seigneurie; Meisme a Paris durement fut merie 660 L'amour sanz faille, Car Thelamon l'occist en la bataille. Et deux amans autres, que je ne faille, Reçurent mort, comme Ovide le baille 664 En un sien livre, Pour celle amour qui les folz cuers enyvre; Car moult souvent, pour joyeusement vivre, S'assembloient, et leur vouloir ensuivre, 668 En un bouscages Qu'ot nom Limaux; la les bestes sauvages Devorerent l'amant, ce fu domages. Et Piramus, l'enfant cortois et larges, 672 Et la trés belle Doulce Thysbé, la jeunete pucelle, Ne s'occirent ilz sus la fontenelle? Soubz le meurier blanc il moru pour elle 676 Et elle aussi S'occist pour lui, dont le meurier noircy Pour la pitié dont morurent ainsi. Ainsi grief mort les deux enfans corsi 680 Par trop amer. Piteusement aussi peri en mer Lehander qui, pour garder de blasmer Belle Hero, qui le voult sien clamer, 684 Par nuyt obscure, Le las amant! prenoit telle aventure De mer passer en sa chemise pure, Dont une fois, par grant mesaventure, 688 Y fu noyés Par tempeste de temps. Voiez, voiez Comment les las amans sont avoiez Qui par amours sont pris et convoiez! 692 Qu'ont ilz de peine? Et Achillès aussi pour Polixenne Ne morut il quant en promesse vaine Il se fia, dont mort lui fu prochaine? 696 Ne fut donc mie Raison en lui bien morte et endormie Quant il eslut pour sa dame et amie Celle qui ert sa mortel anemie? 700 Mal lui en prist. Ce fist Amours, par qui maint en perist, Mais, quant mal vient aux gens, il s'en soubzrist. Et ceste amour trop durement surprist 704 Aessacus, Filz au bon roy Priant, qui si vaincus Fu d'amer trop, que sanz querir escus En mer sailli, comme trop yrascus 708 Que reffusé L'ot celle, a qui long temps avoit musé; Dont les fables, qui le fait encusé Ont, tesmoignent qu'en plungon fut rusé 712 Et tresmué: Si com se fu dedens l'eaue rué, En cel oisel fut tantost remué; Pour amour fu en tel forme mué, 716 En tel maniere, Son corps gentil oncques n'ot autre biere; Veoir le peut on en mainte riviere Ou de noier encor monstre maniere; 720 Les Dieux de lors Pour memoire changierent si son corps. Mais regardons d'autres amans encors Qui pour amer furent periz et mors 724 Et exillié. Ypis aussi tant fort fu traveillié Par tel amour, qui si l'ot bataillié, Qu'il s'en pendi, comme mal conseillié, 728 A l'uis de celle Qui reffusé a response cruelle L'ot durement, et pour celle nouvelle Le las s'occist; mais les Dieux de la felle 732 Vengence en pristrent, Car ymage de pierre dure firent Son corps cruel devenir; si la virent Pluseurs dames qui exemplaire y prirent, 736 Ce fu raison. Et a Romme, pour autelle achoison, Un jouvencel s'occist qui sa raison Ot comptée, ne sçay en quel saison, 740 A son amée; Mais la felle, comme mal informée, Le reffusa, et cil en la fumée Tout devant elle a sa char entamée 744 D'agus couteaux, Ainsi fina. Mais de temps plus nouveaux Or regardons: de Tristan qui fu beaulz, Preux et vaillant, amoureux et loyaulz, 748 Quelle la fin En fu pour bien amer de vray cuer fin? Ne le gaita son oncle a celle fin Qu'il l'occisist et mort a la perfin 752 Il lui donna. Mais celle amour Yseut si ordenna Qu'entre les bras de son ami fina; Par mon serment, cy piteuse fin a 756 De deux amans. Et Cahedins, si com dit li romans, Ne morut il plus noircy qu'arremans, Pour tel amour: si fu ses testamans 760 Plein de pitié. Encor depuis regardons l'admistié Du chastellain de Coussy, se haitié Il fu d'amours, je croy, qu'a grant daintié 764 En avoit bien, Mais la dame du Faël, qui pour sien Tout le tenoit, je croy, l'acheta bien, Car puis que mort le sçot ne voult pour rien 768 Plus estre en vie. Et du Vergy la trés belle assouvie Chastellaine, qui de riens n'ot envie Fors de cellui a qui avoit plevie 772 Amour loyale; Mais elle et lui orent souldée male Par trop amer, car mort en ieurent pale. Si ont fait maint et en chambre et en sale 776 A grant dolour Par tel amour, qui fait changier coulour Souventes fois, ou soit sens ou folour, Suer en froit et trembler en chalour. 780 Mais je m'en passe Pour plus briefté, et, se tous vous nommasse, G'y mettroye, je croy, un an d'espace. Mais des periz en y a si grant masse 784 Que c'est sanz nombre, Par tel amour, qui passe comme un ombre Et le las cuer sy empesche et encombre Que ses meschiefs il ne compte ne nombre. 788 En maintes guises Sont les peines des amoureux assises: Les uns si ont voies couvertes quises Pour bien avoir, mais doulours ont acquises 792 Estrangement, L'un pour raport, l'autre pour changement, L'autre ne peut avoir alegement, L'autre par non soy mener sagement 796 En gist pasmé, Par divers cas et tels qu'ilz ont amé Trop haultement, dont ont esté clamé Faulz, desloiaulz, et en chartre enfermé 800 Ou detrenchiez; Et de telz qui en ont perdu les chiefs Diversement, et mains autres meschiefs En sont venus a ceulz qui atachiez 804 En tel maniere Sont tous les jours, c'est chose coustumiere. Pour tel amour sont maint portez en biere Qui comparent yceste amour trop chiere, 808 En maint endroit. Qui tous les cas deviser en vouldroit. Qui avienent, long temps y convendroit. Mais trop souvent avient, soit tort ou droit, 812 Dont c'est domages. Quantes noises sordent es mariages Pour ceste amour qui dompte folz et sages; Car ou s'esprent il n'est si fort corages 816 Qu'elle ne change. Si fait amer souvent le plus estrange Et delaissier le privé pour eschange, Estrangement les cuers entremeslange 820 Sanz que raison Clamée y soit, si n'y vise saison Ne temps ne lieu: c'est l'amoreux tison Qui meismement fait mainte mesprison 824 Faire au plus sage, C'est le piteux et mal pelerinage, La ou Paris ala par mer a nage, Ou il ravi Heleine au cler visage 828 Qui comparée Fu durement par Venus l'aourée Et Cupido son filz, qui procurée A mainte amour, dont pluseurs la courée 832 Et les entrailles Ont eux perciés, ne sont pas devinailles. Quels que soient d'amours les commençailles Tousjours y a piteuses deffinailles. 836 Fuiez, fuiez Yceste amour, jeunes gens, et voiez Comment on est par lui mal avoiez! Ses promesses, pour Dieu, point ne croiez! 840 Car son attente Coste plus chier que ne fait nulle rente, Nul ne s'y met qu'après ne s'en repente, Car trop en est perilleuse la sente, 844 Sachiez sanz doubte, Et moult en est de legier la foy roupte. C'est un trespas obscur, ou ne voit goute Cil qui s'y fiert et nycement s'i boute, 848 N'est pas mençonge; Tant de meschiez en vient que c'est un songe, Si tient plus court que l'esparvier la longe, Et mal en vient, le plus de ce respons je, 852 C'est fait prouvé; Croiez cellui qui bien l'a esprouvé. Si ne suis je mie pour tant trouvé Sage en ce cas, mais nyce et reprouvé, 856 C'est mon dommage. Mais a la fois un fol avise un sage, Et qui esté a en longtain voiage Peut bien compter comment on s'i heberge 860 En mainte guise. Qui s'y vouldra mirer je l'en advise; Car tous les jours avient par tel devise, Mais du peril ne se gaite ny vise 864 L'amant musart, Qui sa vie met en si fait hasart Et n'eschieve l'ardent feu, ou tout s'art, Ainçois le suit et celle amour de s'art 868 L'amant esprent Par le plaisir qui a amer l'aprent; Si le tient si qu'il ne scet s'il mesprent Ou s'il fait bien, et, s'aucun l'en reprent 872 Il s'en courrouce Ne gré n'en scet, tant a pleines de mouce Ses oreilles, qui de raison escouse Sont si qu'ouïr lui semble chose doulce 876 De chose amere, Et sa marastre il retient pour sa mere; Felicité lui semble estre misere, Et de misere et servage se pere; 880 Est il bien bugle? Ainsi amours fait devenir aveugle Le fol amant qui se cuevre d'un creuble Et bien cuide veoir, ou temps de neuble, 884 Le cler soleil, Et juge bon ce qui lui plaist a l'ueil. Ainsi est il; pour tant, dire ne vueil Ce que je di pour ce que n'aye vueil 888 D'amours servir, Ne pour blasmer qui s'y veult asservir, Mais pour dire comme il s'i fault chevir Qui a amours veult loiaulté plevir 892 De cuer certains! Ainsi, ma dame, et vous, beau doulz compains, Ouïr pouez que l'amant a trop mains De ses plaisirs, s'il est a droit atains, 896 Qu'il n'a de joye. Ce scevent ceulz qu'amours destraint et loie En ses lïans, ou maint homme foloie; Savoir le doy, car griefment m'en doloie 900 Quant en ce point Estoie pris, encor n'en suis je point Quitte du tout, dont dessoubz mon pourpoint Couvertement ay souffert maint dur point 904 A grant hachée. Mais je ne croy qu'a nul si bien en chée Que tel peine ne lui soit approuchée, Com je vous ay yci ditte et preschée, 908 Ce n'est pas fable.» Quant le courtois chevalier amiable Ot finée sa parole notable, Que li pluseur tendroient veritable, 912 Et bien contée, Ditte a biaulz trais, ne peu ne trop hastée, La dame adonc, qui bien l'ot escoutée, Recommença et dist: «Se j'ay nottée 916 Vostre parole, Bien a son droit Amours a dure escole Tient les amans, qui n'est doulce ne mole, Si com j'entens, et qui maint homme affole 920 Sanz achoison. Mais quant a moy tiens que mie foison Ne sont d'amans pris en telle prison, Tout non obstant que pluseurs leur raison 924 Vont racontant Puis ça, puis la, aux dames, mais pour tant N'y ont le cuer ne ne sont arrestant En un seul lieu, combien qu'assés gastant 928 A longue verve De leurs moz vont, mais que nul s'i asserve Si durement ne croy, ne que ja serve Si loiaulment de pensée si serve 932 Amours et dame; Et, sauve soit vostre grace, par m'ame Ne croy que nul tant espris de tel flamme Soit qu'il ait tant de griefs dolours pour femme; 936 Mais c'est un conte Assez commun qu'aux femmes on raconte Pour leur donner a croire, et tout ne monte Chose qui soit, et celle qui aconte 940 A tel language A la perfin on la tient a pou sage; Et quant a moy tiens que ce n'est qu'usage D'ainsi parler d'amours par rigolage 944 Et passer temps. Et s'il fu voir ce que dire j'entens Qu'ainsi fussent vray en l'ancïen temps Li amoureux, il a plus de cent ans 948 Au mien cuidier Que ce n'avint, ce n'est ne d'ui ne d'ier Qu'ainsi attains soient; mais par plaidier Et bien parler se scevent bien aidier 952 Li amoureux, Et, se jadis et mors et langoreux Ilz en furent et mains maulz doloreux Endurerent, meismes li plus eureux, 956 Comme vous dittes, Je croy qu'adès leurs doleurs sont petites, Mais es romans sont trouvées escriptes A droit souhaid et proprement descriptes 960 A longue prose. Bien en parla le Romans de la Rose A grant procès et aucques ainsi glose Ycelle amour, com vous avez desclose 964 En ceste place, Ou chapitre Raison qui moult menace Le fol amant, qui tel amour enlace, Et trop bien dit que pou vault et tost passe 968 La plus grant joye D'ycelle amour, et conseille la voie De s'en oster, et bien dit toutevoye Que c'est chose qui trop l'amant desvoye 972 Et dur fleyaulx, Et que c'est la desloiaulté loiaulz Et loiaulté qui est trop desloyaulz, Un grant peril aux nobles et royaulz, 976 Et toute gent Sont perillé s'ilz en vont approchant. Ainsi fu dit, mais je croy qu'acrochant Pou y vont, mais tous n'aiment fors argent 980 Et vivre a aise. Et qui pourroit aussi vivre ou mesaise Qu'avez conté? Je croy, par saint Nycaise! Qu'homme vivant n'est, a nul n'en desplaise, 984 Qui peust porter, Tant soit il fort, les maulz que raconter Vous oy yci, sanz la mort en gouster; Mais je n'ay point ou sont ouÿ conter 988 Ly cymentiere Ou enfouÿ sont ceulz qu'amours entiere A mis a mort, et qui por tel matiere Ont jeu au lit ou porté en litiere 992 Soient au saint Dont le mal vient; et, quoy que dient maint, Je croy que nul, fors a son aise, n'aint. Pour desdire vo dis et vo complaint 996 Ne le dis pas, Sauve vo paix, ne je ne me debas Qu'estre ne puist, mais je croy qu'a lent pas Sont trouvez ceulz qui ont si mal repas 1000 Par trop amer.» Adonc cellui qui ja n'esteut nommer, C'est l'escuier ou n'ot goute d'amer, Parla ainsi com m'orrez affermer 1004 Et briefment dire: «Beaulz doulz compaings et amis, et chier sire, Je me merveil n'il ne me peut souffire Dont vous dittes que c'est des maulz le pire 1008 Que cil qui vient De par amours amer, s'il m'en souvient Vous avez dit que l'amant tout devient Morne et pensis quant telle amour survient 1012 En ses pensées Et qu'aux plus lié ses joyes sont passées Souventes fois et doulours amassées En lieu de ris; et de vous sont tauxées 1016 Moult pou les joyes Qui a l'amant vienent par maintes voies, Par doulz desirs et par pensées coyes Et en mains cas autres; et toutevoies 1020 Tout le plaisir Envers le mal, qui avient par desir Et par servir sa dame a long loisir, Petit prisiez; qui vous orroit choisir 1024 Il sembleroit Que le loial amant, qui aimeroit De tout son cuer, jamais nul bien n'aroit. Espoventé seroit qui vous orroit 1028 D'amer acertes, Quant si payé seroit de ses dessertes: S'ainsi estoit, ja nul n'ameroit certes, Quant telz peines lui seroient offertes 1032 Et nul loier Ou bien petit, il n'est nul qui loier En tel liain se voulsist, mieulz noyer Trop lui vauldroit que ainsi s'avoier 1036 A tel contraire. Mais de tout ce que ouÿ vous ay retraire, Sauve vo paix, je tiens tout le contraire Et que plus bien par amer sanz retraire 1040 Il peut venir Au vray amant que mal, qui maintenir S'y veult a droit et loyaulté tenir. Quant est de moy, je tiens et vueil tenir 1044 Que d'amour vienent Tous les plaisirs qui homme en joye tienent Et tous les biens qui aux bons apartienent. En sont apris et tout honneur retienent 1048 Li amant fin, Qui loiaument aiment a celle fin De mieulz valoir et d'avoir en la fin Joye et plaisir; ne croy qu'a la parfin 1052 Mal leur aviengne; Je consens bien que de frang voloir viegne Ycelle amour, mais que l'amoureux tiegne Morne et dolent n'est drois qu'il apartiegne. 1056 Et supposé Q'amé ne soit, ne tant ne soit osé Qu'a celle en qui tout son cuer a posé Le die, et que ja ne soit repposé 1060 D'amer sanz ruse, S'il fait le droit n'est raison qu'il s'amuse A duel mener; poson qu'on le reffuse: Quant en ce cas, se de raison n'abuse, 1064 Bonne esperance Le doit tenir, ou qu'il soit, en souffrance, Ne doit pour tant s'enfuïr hors de France Ou par despoir son corps mettre a oultrance 1068 De mort obscure. Si ne vient point tant de male aventure, Sauf vostre honneur, ne reçoit tant d'injure, A homs qui met en bien amer sa cure, 1072 Comme vous dittes; Ainçois Amours paye si hault merites A ses servans que toutes sont petites Leurs peines vers les grans joyes eslites 1076 Qu'il leur en rend. Quar quant l'amant a vraye amour se rend, Qui le reçoipt et lui promet garent Contre tous maulz, comme prochain parent, 1080 Il le remplist D'un doulz penser qui trop lui abelist, Qui ramentoit la belle qu'il eslist A sa dame et la doulceur qui d'elle yst 1084 Et tous ses fais. La est l'amant de joye tous reffais Quant lui souvient du gent corps trés parfais De la trés belle, et c'est ce qui le fais 1088 D'amour parfaite Lui fait porter, et espoir qui l'affaitte Et qui lui dit qu'encore sera faitte L'acointance, sanz ja estre deffaitte, 1092 De lui et d'elle; Et ainsi sert, en esperant, la belle Et bonne amour qui souvent renouvelle Ses doulz plaisirs; car, se quelque nouvelle 1096 Ouïr il peut Dont esperer puist avoir ce qu'il veult Ou regardé en soit plus qu'il ne seult, Sachiez de vray que ja si ne s'en deult 1100 Que le confort Ne soit plus grant que tout le desconfort, Ne ja desir ne le poindra si fort Qu'il n'ait espoir et doulz penser au fort 1104 Qui le conforte. Ycelle amour toute pensée torte Tolt a l'amant et tout bien lui enorte; Si met grant peine a estre de la sorte 1108 Aux bons vaillans. S'il aime a droit, courtois et accueillans En devendra et a tous bienvueillans; Si het orgueil ne il n'est deffaillans 1112 En nul endroit, Nul villain tour ja faire ne vouldroit, Tous vices het, si est larges a droit, Joyeux et gay, cointe, apert et adroit 1116 Est devenu. Je n'ara tant esté rude tenu Qu'il ne lui soit lors si bien avenu Que on dira que de tout vice est nu 1120 Et de rudece. Si est apris en toute gentillece Et aime honneur et vaillance et proece Et la poursuit a fin que sa maistrece 1124 Oye bien dire De tous ses fais; son cuer est vuidié d'yre Et du pechié d'avarice qui tyre A maint meschiefs; et gentement s'atire 1128 En vestement Et entre gent se tient honnestement, Liez et appert, et saillant vistement; Joyeux, riant, gracieux, prestement 1132 Apareillié Est a tous biens, songneux et resveillié. Et vous dittes qu'il est si traveillié Par celle amour qui l'a desconseillié 1136 Et mis en trace D'estre plus serf que chien qui suit a trace, Plein de meschief! Mais, Sire, sauf vo grace, Ains est entré en voie plaine et grace 1140 Et plantureuse De tous les biens, benoite et eüreuse, Doulce, plaisant, trés sade et savoureuse; Ne fu il dit de la vie amoureuse, 1144 Trés assouvie: En amer a plaisant et doulce vie, Jolie, qui bien la scet sanz envie Maintenir, et qui vray amant renvie 1148 A tous soulas? Et il y pert; car ja si fort le las N'estraint l'amant que il puist estre las D'ycelle amour, combien qu'il die: hé las! 1152 Tant lui agrée La pensée trés loiale et secrée Qu'il a ou cuer, qui tant lui est sucrée Qu'il ne vouldroit pour riens que deshencrée 1156 De lui ja fust. C'est un doulz mal, chascun amer deüst, Ne blasmée, se le monde le sceust, N'en deust estre femme, qui m'en creüst, 1160 Car c'est plaisance Trop avenant, et de gaye naiscence Vient celle amour qui oste desplaisance Du jolis cuer et remplist tout d'aisance 1164 Et de baudour. Beau Sire Dieux! quel trés souesve ardour Rend doulz regard au vray cuer amadour Quant il s'espart sus l'amant! Onque odour 1168 Tant precieuse Ne fu a corps d'omme si gracieuse, Ne viande, tant fust delicieuse; Si n'en doit pas estre avaricieuse 1172 A son amant Dame qui paist cellui en elle amant, Qu'elle a s'amour tire com l'aïmant Atrait le fer, et, com le dyamant, 1176 Est affermé En sienne amour, et des armes armé Qu'Amours depart a ceulz qu'il a charmé Pour lui servir et du tout confermé. 1180 Mais or dison Quelle joye reçoit le gentilz hom, Le fin amant, qui est en la prison De sa dame sanz avoir mesprison 1184 En riens commise: Se il avient que il ait tel peine mise Que sa dame son bon vouloir avise Tant que s'amour lui donne par franchise 1188 En guerredon, Je croy qu'il soit bien enrichi adon; Car plus joye a, se Dieux me doint pardon, Je croy, que s'il eust le monde a bandon, 1192 Voire plus, certes! S'il aime bien et la desire acertes. Or est il bien meri de ses dessertes, Car ne prise ne ses deulz ne ses pertes, 1196 Or est il aise. Quelle est la riens qui peut mettre a messaise Le fin amant que sa dame rapaise Et doulcement l'embrace et puis le baise? 1200 Que lui faut il? N'est il aise? N'a il plus de cent mil De doulz plaisirs? Je le tendroie a vil Se plus vouloit, certes eureux est cil 1204 Qui en tel cas A eu pour lui Amours pour avocas, Il n'a garde d'estre flati a cas; Joyeux est cil, ne doit pas parler cas 1208 Ne enroué; Bien l'a gari le saint ou s'est voué. Mais dit avez, si ne l'ay contrové, Que Faulz Agait, qui maint homme a trouvé 1212 En recellée, Par qui mainte grant euvre est descellée, Ne s'en tait pas; par lui est pou cellée La chose, car parlant a la voulée 1216 L'amant acuse, Si reveille Jalousie qui muse Pour agaitier et a l'amant reffuse Son doulz soulas; si ne le tient a ruse 1220 Ne s'en deporte, Ainçois le las si fort s'en desconforte Que joye et paix dedens son cuer est morte, Et mesdisans, qui resont a la porte, 1224 De l'autre part Le grievent tant qu'il a petite part De ses soulas, et ainsi lui depart Amours cent maulx pour un tout seul espart 1228 De ses desirs. Quant en ce cas, je consens que souspirs Au pouvre amant sourdent et desplaisirs Quant empesché lui sont ses doulz plaisirs; 1282 Mais vraiement, Quant il bien pense et scet certainement Que sa dame l'aime trés loiaulment, Ce reconfort lui fait paciemment 1236 Porter son deuil, Et s'un doulz ris, regardant de doulz oeil, Lui fait de loing par gracieux accueil, Il souffist bien pour avoir joyeux vueil, 1240 Qui mieulx ne peut. Si est trop folz l'amant qui tant se deult Com vous dites, car en tous cas, s'il veult, Assez de bien et de doulceur recueult 1244 Pour s'esjoïr. Mais merveilles je puis de vous ouïr, S'ainsi estoit mieulz s'en vauldroit fouïr Qu'en tel langour son cuer laissier rouïr 1248 N'en tel courroux, Qui nous dittes que l'amant est jaloux, S'il aime bien, et plus dervé qu'un loups, S'il voit qu'autre pourchace ses biens doulz, 1252 Et souspeçon Sur sa dame a, dont a tel cuisençon Qu'ester ne peut n'en rue n'en maison, Et dont il lit mainte laide leccon 1256 Sanz courtoisie. Si suis dolent quant vous tel heresie Sur vraye amour metés, qui jalousie Y adjoutez, qui tant est desprisie 1260 Et tant maudite. Si nous avez or tel parole ditte Que d'amours vient jalousie despite, Dieux! de l'amour certes elle est petite! 1264 Ne sçay entendre Qu'estre ce puist ne je ne puis comprendre Que souspeçon et amour on puist prendre Parfaittement ensemble, sanz mesprendre 1268 Vers amour fine; Car vraye amour toute souspeçon fine, Et qui mescroit certes l'amour deffine; Car loiaulté, qui tout bon cuer affine, 1272 On doit penser Estre en celle qu'on aime sanz cesser, Et qu'en nul cas ne daigneroit fausser; Ne tel penser en son cuer amasser 1276 En nulle guise Amant ne doit, car chascun croit et prise Ce qu'il aime, c'est communal devise, Si est bien droit qu'a l'amant il souffise 1280 Sanz autre preuve. Et que d'Amours ne viegne je vous preuve Jalousie, que tout homme repreuve, Oïr pourrez la raison que g'i treuve 1284 Sanz variance: Chascun veoir peut par experience Que mains maris pleins de contrariance, Maulz et felons, et de grant tariance 1288 Sont et divers A leurs femmes, et jalous plus que vers Sont ou que chien, et tousjours en travers Leur giettent moz en frapant a revers, 1292 Et tant les batent Souventes fois qu'a leurs piez les abatent, Tant sont jaloux, et non obstant s'esbatent D'autres femmes et en mains lieux s'embatent 1296 De vilté pleins. Diront ilz puis: «Ma femme, je vous aims!» —«Mais vo gibet, Sire, trés ort villains!» Respondre doit et, s'elle n'ose, au mains 1300 Penser le peut. Doncque est ce amour qui ainsi les esmeut? Mais telle amour tire a soy qui se veult; Car quant a moy celle dont on se deult 1304 Je n'en prens point. Si vous respons pour vray dessus ce point Que qui bien aime et est d'amours compoint Je ne cuide que cop ne buffe doint 1308 Ne nul mal face A soy meisme n'a autre, dont defface Ycelle amour qui lui tient cuer et face Joyeux et lié, ne que ja tant mefface 1312 Que jaloux soit De celle dont maint plaisant bien reçoit Et toute riens a bonne fin conçoipt Quanque elle fait; et, s'ores s'aperçoit 1316 Que un ou deux Ou mains aultres en soient amoureux, N'en ara il ne pesance ne deulx, Ains pensera qu'il est amé tous seulz 1320 Et que liece Doit bien avoir quant il a tel maistrece En qui tel bien et tel beaulté s'adrece Que chascun veult amer pour sa noblece 1324 Et grant valour. Si n'a l'amant ne cause ne coulour D'estre jaloux ne de vivre en doulour Pour bien amer, mais maint par leur folour 1328 Mettent la rage Sus a amours, mais c'est leur fol corage Qui recepvoir ne prendre l'avantage Ne scet d'amer; si sont de tel plumage 1332 Et de tel sorte, Et puis dient qu'en eulz est joye morte Par trop amer qui tant les desconforte, Mais ce n'est que leur condicion torte 1336 Qui si les tient. Si a grant tort, sanz faille, qui maintient Que doulce amour, a qui joye apartient, Rende l'amant jaloux; car point ne vient 1340 Tel maladie Fors de failli, lasche cuer, quoy qu'on die, Et d'envie triste et acouardie, Qui personne fait estre pou hardie 1344 Et mescreant, Et soussier fait l'omme de neant; Si cuide estre plus lourt et pis seant Que les autres, et quant il est veant 1348 Jolis et gais Jeunes hommes, lors est en male paix, Car il cuide estre de tous li plus lais, Si ne lui plaist ne souffreroit jamais 1352 Qu'acointés fussent De ses amours de paour que plus plussent; Si sont tristes telz gens et se demussent Pour agaitier qu'aperçeü ne fussent. 1356 Dont par nul tour Ne dites que jalousie d'amour Viengne, ainçois vient de cuer plein de cremour, Ou souspeçon et desdaing fait demour 1360 Par mal vouloir Pour ce que autre ne cuide pas valoir, Et c'est ce qui le cuer fait tant doloir Au maleureux qui n'a autre chaloir 1364 Par foliance. Aussi ne doy pas mettre en oubliance Ce qu'avez dit qu'amoureuse aliance A fait perir par sa contraliance 1368 Maint vaillant homme Ou temps jadis et en France et a Romme Et autre part, si en nommez grant somme Qui dure mort receurent toute somme, 1372 Com vous contez, Par telle amour; mais un pou m'escoutez: Je di pour vray, et de ce ne doubtez, Que, s'il fu vray que ainsi fussent matez 1376 Et mis en biere, Blasme n'en doit en nesune matiere Amours avoir; car leur fole maniere Les fist morir, non pas amour entiere. 1380 Je vous demande: N'est pas bonne, doulce et sade, l'amande? Mais se cellui qui la veult et demande S'en rompt le col ou a l'arbre se pende, 1384 Vault elle pis? Le vin est bon, mais, s'aucun tant ou pis S'en est fichié qu'yvre soit acroupis Ou comme porc gisant com par despis, 1388 Ou une bigne Se fait ou front, par yvrece foligne, Ou il s'occist, ou un autre l'engigne, En doit, je croy, pour ce arrachier la vigne 1392 Qui tel fruit donne? Ne peut on pas de toute chose bonne Trés mal user; d'une bonne personne Peut venir mal a qui mal s'en ordonne. 1396 Ainsi sanz faille Est il d'amours, ce n'est pas controvaille, Car il n'est chose ou monde qui tant vaille, Mais cil est folz qui tel robe s'en taille 1400 Dont pis li viegne. C'est drois qu'amant a une amour se tiegne, De tout son cuer aime et toudis maintiegne Foy, loiaulté, et verité soustiegne; 1404 Mais pour ce faire N'est pas besoing s'occire et soy deffaire. Amours faitte fu pour l'omme perfaire Et non pas pour lui grever ne mefaire, 1408 C'est chose voire. Mais pour ce que ramentu mainte hystoire Avez yci, que li contes avoire, Des vrais amans, dignes de grant memoire, 1412 Qui moult souffrirent Par grant amour et qui a mort s'offrirent, Aussi compter vueil de ceulz qui eslirent Le mieux du jeu et pour amours tant firent 1416 Que renommée Par le monde fu de leur bien semmée Par vaillans fais en mainte grant armée Faire, par quoy a tousjours mais semmée 1420 Sera leur grace Trés honnourable, et riens n'est qui ne passe Fors bon renom, mais après qu'on trespasse Demeure los, sages est qui l'amasse. 1424 Or regardons: Se Lancelot du Lac, qui si preudons Fu en armes, reçut de nobles dons Pour celle amour, de quoy adès plaidons, 1428 Fu il vaillant? Qu'en dittes vous? S'ala il exillant Pour celle amour ne son corps besillant? Je croy que non, ains plus que son vaillant 1432 Lui fu valable, Plus qu'autre riens et bonne et profitable; Car par ce fu vaillant et agreable, Dont ne lui fu ne male ne nuisable, 1486 Je croy au mains, Si ne s'occist, ne fu par autres mains Mort ne blecié, ains de joye en fu pleins. Aussi d'aultres en fu, encore est, mains: 1440 Et meismement Tristan, de qui parlastes ensement, En devint preux; se l'ystoire ne ment, Pour amours vint le bon commencement 1444 De sa prouece; Et non obstant qu'il moru a destrece Par Fortune, qui maint meschief adrece, Tant de bien fit pour sa dame et maistrece 1448 Qu'a tousjours mais Sera parlé de ses haultains biensfais, Ce fist Amours par qui il fu parfais. Si avez dit que de l'amoureux fais 1452 Fors mal ne vient; Or regardons, pour Dieu, s'il m'en souvient, Se a chascun d'amours si mesadvient: Jason jadis, si com l'ystoire tient, 5456 Fu reschappé De dure mort, ou estoit entrapé Se du peril ne l'eüst destrappé Medée, qui de s'amour ot frapé 1460 Le cuer si fort Que le garda et restora de mort, Quant la toison d'or conquist par le sort Que lui aprist en Colcos, quant au port 1464 Fu arrivé; Qui qu'en morust, cellui fu avivé Par telle amour, mais trop fu desrivé Quant faulte fist a celle qui privé 1468 L'ot du peril. Et Theseüs, du roy d'Athenes filz, Quant envoyé fu en Crete en exil, Adriane par son engien soubtil 1472 Le reschapa De dure mort; si le desvelopa De la prison Minos quant s'agrapa A son filé et la gorge copa 1476 Au cruel monstre; Ne nuisi pas Amours, je le vous monstre, A cestuy cy, car hystoire desmontre Qu'il eschapa par mer plus tost que loustre 1480 Gué ne trespasse. Et Eneas, après qu'ot esté arse La grant cité de Troye, a qui reverse Fu Fortune qui maint reaume verse, 1484 Quant il par mer Aloit vagant a cuer triste et amer Ne ne finoit de ses Dieux reclamer, Mais bon secours lui survint pour amer, 1488 Car accueilli Fu de Dido la belle et recueilli; S'elle ne fust, esté eust maubailli, Dont ot grant tort quant vers elle failli. 1492 Si n'en morurent Mie ces trois, ains reschapez en furent. Et mains aultres assez de biens en eurent: Et, si est vray, com les hystoires jurent, 1496 Que Theseüs, Dont j'ay parlé, qui tant fu esleüs Qu'avec le fort Hercules fu veüs En grans effors, en mains lieux fu sceüs, 1500 Quant enfançon Estoit petit, il estoit lait garçon, Boçu, maufait, si com dit la chançon De l'ystoire, mais il changia façon 1504 Pour belle Heleine; Pour lui fu preux et emprist mainte peine. Vous le véés en ces tapis de laine En un aigle d'or, qu'on conduit et meine, 1508 Ou fu mucié Tant qu'il se fu a la belle anoncié; Puis la ravi, dont furent corroucié Tous ses parents, si ne lui fu laissié 1512 La mener loings. Si n'est on pas exillé de tous poins Pour ceste amour quant on aprent les poins D'estre vaillant par honnourables soings. 1516 Autres hystoires Si racontent assez de choses voires Des vrais amans, dont les haultes memoires A tousjours mais seront partout notoires: 1520 Et Flourimont D'Albanie, il n'ot en tout le mont Nul plus vaillant, mais dont li vint tel mont De vaillances fors d'Amours qui semont 1524 Ses serviteurs A estre bons, tant anoblist les cuers; Pour Rome de Naples mains grans labeurs Il endura, non obstant a tous feurs 1528 Il conquestoit Pris et honneur; son temps donc ne gastoit En bien amer, par qui il acquestoit Les vaillances qu'Amours lui aprestoit. 1532 Et le Galois Durmas vaillant, qui fu filz au bon roys Danemarchois, cellui ot si grant voix De proueces que plus n'en orent trois; 1536 Je vous demande Que il perdi quant Roÿne d'Yrlande Prist a amer et tout en sa commande Il se soubsmist, dont passa mainte lande 1540 Pour lui conquerre Son royaume et demena si grant guerre Qu'il le conquist et lui rendi sa terre, Dont il dot bien par droit honeur acquerre. 1544 Cleomadès Fu il vaillant pour Amours? Et adès Armes suivoit aussi Palamedès; Vous souvient il des proeces et des 1548 Grans vaillantises Qu'on dit de lui assez en maintes guises? Tout pour Amours faisoit ses entreprises; Si vous suppli ne soient voz devises 1552 Que mal en prengne. Aussi Artus, qui fu duc de Bretaigne, Pour Fleurance, qui puis fu sa compaigne, Il chevaucha et France et Alemaigne 1556 Et maintes terres, En mains beaulz fais et en maintes grans guerres, Tout pour Amours qui le mettoit es erres D'avoir honeur, pour ce emprenoit ces erres. 1560 Mais sanz aler Plus loings querir, encor pouons parler De nostre temps. Ne devons pas celer Les bons vaillans, qui, sanz eulz affoler 1564 Ne eulz mal mettre, Vouldrent leurs cuers en parfaitte amour mettre. Ne me fault ja autre preuve promettre Ne autre escript pour tesmoin n'aultre lettre, 1568 Car veritable- Ment le scet on: Le vaillant conestable De France, dont Dieux ait l'ame acceptable, Le bon Bertran, le preux et le valable 1572 De Gleaquin, Qui aux Anglois fist maint divers hutin, Dont ot honneur, leurs chatiaulz a butin Mettoit souvent, ou fust soir ou matin, 1576 Et renommé Sera tousjours et des bons reclamé; Premierement pour Amours fu armé, Ce disoit-il, et desir d'estre amé 1580 Le fist vaillant; De bonne heure le fist si traveillant Amours, qui fait chascun bon cuer veillant A poursuivre honneur si est vueillant 1584 Loz qui mieulz vault Que riens qui soit. Et le bon Bouccicaut Le mareschal, qui fu preux, saige et cault, Tout pour Amours fu vaillant, large et bault, 1588 Ce devenir Le fist ytel, celle voie tenir Ses deux enfans veulent, et maintenir D'armes le fais, pour le temps a venir 1592 Louenge acquerre. Et a present encore vit sus terre, Dieu l'i tyengne, le vaillant de Senserre Connestable, si ne convient enquerre 1596 De chevalier Milleur de lui; en son temps bataillier L'a fait Amours, qui moult bon conseillier Lui a esté quant par soy traveillier 1600 A tant conquis Que il a loz entre les bons acquis; Ce fait Amours qui lui a ce pourquis. Aussi d'autres, si com j'en ay enquis, 1604 En ce regné En a esté qu'Amours a gouverné; Encore en est, le jeu n'est pas finé, Qui en armes se sont si bien mené 1608 Qu'a tousjours mais Sera retrait de leurs beaulz et bons fais. Des chevaliers ne sçay pour quoy me tais Qui sont adès en vie, qui le fais 1612 D'armes porter Pour bien amer a fait en pris monter. Des trespassez encore puis conter: Du bon Othe de Grançon raconter 1616 Avez assez Ouÿ comment du bien ne fu lassez, En lui furent tous les biens amassez. De Vermeilles Hutin mie effacez 1620 D'entre les bons Ne doit estre, Dieu lui face pardons! Mais aux vivans chevaliers regardons S'il en y a qui doivent grans guerdons, 1624 Par esprouver, A bonne amour, que l'en peut bons trouver Vaillans, sages, courtois et non aver: Le bon Chastiaumorant, que Dieu sauver 1628 Et garder vueille, Qui en armes sus les Sarrazins veille En la cité Constantin, qu'il conseille, Aide et garde, pour la foy Dieux traveille; 1632 Cil doit avoir Pris et honneur, car il fait son devoir Et ceulz qui sont o ly, a dire voir, Loz acquierent, qui trop mieulz vault qu'avoir, 1636 Et aux François Font grant honneur. Et encor m'aperçois De maint vaillant sages en tous endrois Qu'Amours a fais bons, courtois et adrois 1640 Et honnourables: Bon chevalier est L'Ermite et valables De la Faye, et d'autres telz semblables En est assez de vaillans et louables, 1644 Mais pour briefté M'en tais; mais, se Dieux vous envoit santé, Or regardons, s'en trouverons plenté De plus jeunes, qui plus bien que griefté 1648 Ont et conduis Sont pour Amours, qui si bien les a duis Qu'a toute honeur poursuivre sont aduis; Courtoisie, vaillance est leur reduis, 1652 Ce n'est pas fable. De Monseigneur d'Alebret trés valable Charles, qui est a chascun agreable, Qu'en dites vous? Vous semble il point louable 1656 Ne que son pris Soit bien digne qu'il soit en tout pourpris Ramenteü? Est il sage et apris, Duit aux armes? Peut il estre repris 1660 En nul endroit? Qui vouldroit mieulx souhaidier, il faudroit, Je croy, que lui; car raison aime et droit. Et tout bon fait Amours lui a a droit 1664 Et avoiez. Le Seneschal de Hainault, or voiez S'il est d'amours a droit bien convoiez? Ses jeunes jours sont il bien emploiez? 1668 Est il oiseux? Va il suivant armes, est il parceux? Que vous semble il? N'est il bien angoisseux D'acquerir loz? Dieux lui doint et a ceulz 1672 Qui lui ressemblent; Je croy qu'en lui assez de biens s'assemblent. Courtoisie, valeur ne s'en dessemblent; N'est pas de ceux a qui tous les cuers tremblent 1676 De couardie. Et de Gaucourt que voulez que je die? Il m'est avis qu'en maniere hardie Armes poursuit, nul n'est qui en mesdie 1680 Tant bien s'i porte, Ce fait Amours qui lui euvre la porte De vaillantise; et tout par autel sorte Le bon Charles de Sauvoisi enorte 1684 Et fait vaillant Si que son corps n'espargne ne vaillant Pour avoir loz com preux et traveillant, Ou soit de lance ou d'espée taillant, 1688 En armes faire. Castelbeart et autres plus d'un paire En qui bonté et vaillance repaire, Ce fait Amours qui leur fait tout ce faire 1692 Pour loz aquerre, Car chevaliers meilleurs ne convient querre. Aussi Clignet de Berban, qui enquerre Vouldroit de lui, en France et aultre terre 1696 Est renommé, Car en mains lieux pour Amours s'est armé, Par quoy il est et sera renommé. Si sont jolis, jeunes et assesmé 1700 Et pour leurs dames Vont com vaillans en mains lieux faisant armes, Dont quant les corps seront dessoubz les lames D'eulx remaindra loenges et grans fames 1704 En tout empire; Mais que tousdis se gardent de mesdire, Car c'est chose qui trop noble homme empire, Si feront ilz, car leur bon cuer ne tire 1708 Qu'a fuïr vice Et a suivir toute chose propice; Amours le fait, car c'est son droit office, Dont leur rendra loier et benefice, 1712 S'il le desservent. Si ne dites jamais qu'amans s'asservent Pour bien amer quant un tel maistre servent Qui les fait bons, et se bien le parservent, 1716 Sachiez de voir, Qu'ilz acquerront en faisant leur devoir Prouece, honneur, sens, louenge et avoir. De telz assez, ce pouez vous savoir, 1720 En est sanz doubte, Mais qui vouldroit nommer la somme toute, Des bons et beaulz amans toute la route Dureroit trop, car souvent qui escoute 1724 Un trop long compte Il anuie, mais ceulz dont je vous conte Et d'aultres tant que je n'en sçay le conte Sont gracieux, car il n'est duc ne conte 1728 Prince ne roy, S'il aime a droit, qu'il ne hée desroy Et tout mesdit et qu'en tout son arroy Ne vaille mieulx, car l'amoureux conroy 1732 Les fait apprendre. Dont, beaulz amis, se bien voulez entendre, Ouïr pouez que se l'amant veult tendre A joye avoir, Amours lui est plus tendre 1736 Qu'elle n'est dure, Se doulcement et coyement endure En esperant, combien qu'ycelle ardure Lui soit poignant, mais trop fait grant laidure 1740 Qui tant mesprent Que le mieulx voit et le pis pour soy prent. Si ay prouvé qu'en amours on aprent Bien et honneur et a faire on se prent 1744 Toute vaillance. Se ne dites plus que si grant dueillance Ait en amours et tele deffaillance De reconfort, ne si grant traveillance 1748 Ne si penible.» Quant l'escuier, qui fu sage et sensible, Qui verité ot dit comme la Bible Ce lui sembla, adoncques fu taisible 1752 Sanz plus mot dire, Le chevalier un pou prist a sousrire Et en pensant sanz parler le remire, Et puis vers lui courtoisement se tire 1756 Et dist a trait: «Par Dieu, Sire, vous avez cy retrait Grans merveilles et qui vers vous se trait Pour medecine avoir et bon entrait 1760 A tost tarir Les maulz d'amours, bien en savez garir Et bon conseil donner pour tost perir Toute douleur pour servant remerir 1764 Bien a son aise. Mais qu'on vous creust: mais de petit s'apaise Qui pou a dueil et qui n'a nul mesaise; Ainsi l'avez gaignié, mais que je taise, 1768 Sanz mot sonner, Les grans raisons que je puis assener Contre les ditz que vous oy raisonner; Car vous voulez droittement ordener 1772 A droit souhait Les maulz d'amours et chascun a son hait Pou ou assez a volonté en ait, Si que le bien en prengne et le mal lait. 1776 Ne plus ne mains Mettre voulez et la tenir au mains Bride a Amours et, fors en poins certains, Le faire aler et qu'on n'en soit attains 1780 Fors a sa poste. Autrement va, compaings, qui a tel hoste, A son vouloir ne le met pas decoste. Avez vous cuer qui joye met et oste 1784 A voulenté? Donc n'amez vous, dire l'ose, plenté? Aussi ne font tous ceulz qui sont renté De tel plaisir, com vous avez conté, 1788 Sanz dueil avoir Estre ne puet; il est bon assavoir Que qui aime de cuer sanz decepvoir Perfaittement qu'il ne lui faille avoir 1792 Mainte durté, Ou vueille ou non, ja si bien ahurté Ne se sera qu'il y ait ja seurté Et que toudis yl y ait beneurté 1796 En sa querelle; Mais vous comptez cy d'une amour novelle A vo voloir, ne sçay comme on l'appelle, Dont nous avez conté longue nouvelle. 1800 Mais encor dis je Que l'amant qui est droit, vray subgiet lige Trés grant amour son cuer si fort oblige Qu'estre le fait jaloux, et tant engrige 1804 Celle grief peine Qu'il n'a repos nul jour de la sepmaine, S'il s'aperçoit qu'un autre amant se peine A acquerir l'amour qui le demeine 1808 En maint endroit. Et vous cuidiez noz prover cy en droit, Que, qui jaloux seroit, amours fauldroit; Et je vous di qu'amours ne puet a droit 1812 Sanz jalousie; Si soit de ce vo pensée acoisie, Car je vous di que trop plus se soussie Un cuer amant et mains est adoulcie 1816 Sa peine grieve Qu'a un autre qui de legier s'en lieve. Mais vous parlez d'une amour qui pou grieve, De qui ne chault se elle est ou longue ou brieve 1820 Et se tost passe, Mais elle sert de dire: Amours m'enlace, J'en suis jolis, de servir ne me lasse, Et si n'en ay nulle pensée lasse 1824 C'est avantage.» Adonc respont l'autre et rompt le language Et dit: «Par Dieu, estre cuidiez trop sage; Aultrement va et tout d'autre plumage 1828 Sont amours fines; Et nous serions yci jusqu'a matines, Mais je vous di qui plus sont enterines Vraies amours et mieulx en sont les signes 1832 Et plus certains, Quant un amant qui d'amours est attains Est liez et bault et de gayeté pleins Pour la joye qu'il a, dont est attains 1836 D'amour loiale Quant lui souvient de la haulte royale Dame qui sert toute pensée male Pour sa valeur de son cuer se ravale, 1840 Si s'en tient gay Et envoisiez en Avril et en May Et en tout temps, si n'a douleur n'esmay Par vraye amour qui de son luisant ray 1844 Tout l'enlumine. Quoy que dissiez, encor di et termine Que c'est plus grant et trop plus parfait signe De grant amour parfaitte er enterine 1848 De soy fier En ses amours que de s'en deffier N'estre jaloux; j'ose bien affier Que plus aime cil qui, sanz soussier, 1852 Argent ou or Baille a garder ou aucun grant tresor A un autre et si lui di: «Trés or Me fie en vous, garde vous fais encor 1856 De mon avoir» Que cil qui veult grant seureté avoir Et le conte veult chascun jour savoir Qu'on fait du sien, de paour que decepvoir 1860 L'autre le vueille. Ainsi est il, a qui que plaise ou dueille, Du fait d'amours, car cil qui se despoeille De son vray cuer et tel fiance accueille 1864 Que il le donne A un aultre et du tout lui abandonne Sanz marchander, ne que plus en sermone, C'est mieulz signe que la personne a bone, 1868 Il tient sanz faille, Que cellui qui en marchandant le baille Et qui tousjours se double qu'on lui faille Ou que bonté et loiaulté deffaille 1872 Aucunement; Car qui aime se fie entierement Come j'ay dit, ne seroit autrement Perfaitte amour, et le vray jugement 1876 En ose attendre. S'il est aucun qui sache bien entendre Noz deux raisons et tous les poins comprendre; Si vous suppli que juge vueilliez prendre 1880 Tout a vo guise, Et tout sur lui soit ceste cause mise.» Le chevalier respont: «Et sanz faintise Le jugement consens, a vo devise 1884 Soit juge pris Et esieü, mais qu'en lui ait tel pris Qu'il soit vaillant, preux, sage et bien apris, Noble et gentil, et des amans sur pris 1888 Sache jugier. Car quant a moy, sanz plus tant langagier, Je dis et tiens que plus comparer chier Les biens d'amours convient sans alegier 1892 Qu'on n'en a joye, Et pour un bien plus de cent maulz envoie, Et que l'ome qui a amer s'avoie De tous perilz il se met en la voie. 1896 Et du surplus Je di encor que cellui aime plus Qui pour amours devient mat et reclus, Pensif, pali, morne, taisant et mus, 1900 Que cil qui lié Plus en devient, ne point n'est si lié Le cuer qui a joye c'est alié Comme est cellui qui est contralié 1904 Par tel amour, Et qu'il convient qu'en lui face demour Jalousie, dont les yeulz pleins d'umour En a souvent faisant mainte clamour, 1908 Se sanz retraire Il aime a droit tel mal lui convient traire. Et vous dittes et tenez le contraire; Or nous doint Dieux vers loial juge traire 1912 Prochainement.» Adonc les deux amans leur parlement Ont afiné, mais en grant pensement De juge avoir furent, qui proprement 1916 Sentence a droit Leur sceust donner justement selon droit; Maint hault baron choisirent la en droit, Maint chevalier, cointe, apert et adroit 1920 Gay et jolis, Y nommerent, et de la fleur de lis, Que Dieu maintiegne en joye et touz delis, Eslisoient de telz qui sont palis 1924 Soubz leurs chapeaulz Pour ce que pas ne font tous leurs aviaulz Es fais d'amours, qui depart ses tortiaulz Diversement et amaigrir les peaulz 1928 Fait a maint bons Souventes fois; et ainsi a leurs bons Choisissoient et nommoient les noms De maint vaillant, disans: «Cellui arons»; 1932 Et puis disoient Que mieulz valoit un autre qu'ilz nommoient. Et quant je vi qu'en tel descort estoient Qu'a leur droit gré nul juge ne trovoient 1936 Lors m'avisay Tout en pensant et pris mon avis ay Que pour leur fait un bon juge visay; Quant pensé l'oz, ainsi leur devisay 1940 Com vous pourrez Yci ouïr; si me tiray plus près Et si leur dis: «S'il vous plaist, vous orrez Ce qu'il m'est vis et me pardonnerez 1944 Se je m'avance De mettre accord en l'amoureuse tance Dont vous plaidiez, et croiez sanz doubtance Que j'en desir droitturiere sentence 1948 Et si le fais A bonne fin, et, se chargier le fais De ce descort voulez et soit parfais Selon mon loz, vous en serez reffais 1952 Et tous contens Et assovis a droit gré a tout temps. Se le trés hault noble duc, que j'entens, S'en veult chargier et estre consentens 1956 De ce juge estre, Bon juge arez, vaillant, sage et grant maistre, C'est le trés hault, puissant, de noble encestre Duc d'Orliens, qui ait joye terrestre 1960 Et paradis; Cellui est bon, sage en fais et en dis, Juste, loial, et aux bons de jadis Veult ressembler, car maintenir toudis 1964 Lui plait justice, Si est humain, humble, doulz et propice En trestous cas et meismes en l'office De droit jugier, si n'est mie si nice 1968 Qu'il n'ait apris Les tours d'amours, non obstant son hault pris. Si vous conseil que de vous il soit pris Et esleü a juge, et bien empris 1972 Arez sanz faille; Car je ne cuid que nul autre le vaille, Mais qu'il lui plaise et que tant en travaille Son noble cuer que sentence il en baille, 1976 Ne pourriez mieulx.» Adonc les deux amans, haulçant les yeulz, Respondirent: «Et louez en soit Dieux, Vous nous avez assis en noble lieux 1980 Et ramenteu Juge loial et par nous esleü, Se il lui plaist sera le cas veü, En jugera a son vueil et sceü 1984 S'a gré lui vient. Si vous prions, puis que tant vous souvient De nostre bien, que vous a qui avient Et bien et bel faire dis, dont survient 1988 En mainte place Maint grant plaisir, que de vo bonne grace Faciez un dit du fait et de l'espace De no debat, si nous ferez grant grace 1992 Et grant leesce.» Adonc respons: «Je ne suis pas maistrece De faire dis, non pour tant sanz parece Je le feray pour la haulte noblece 1996 Du bon vaillant Prince royal qui nul temps n'est faillant De bien jugier, d'estre bien conseillant Et en tous fais adroit et traveillant, 2000 Pour mettre en joye Son noble cuer, se il daigne qu'il l'oie. Or me doint Dieux, ainsi com je vouldroie, Faire chose, dont esjouïr se doye 2004 Et faire feste.» Ainsi, trés hault Prince de noble geste, Mon redoubté Seigneur, a qui Dieux preste Longue vie et puis a l'ame apreste 2008 Sa vraye gloire, Ce dittié fis pour vous duire a memoire Joye et solas par oïr ceste hystoire Qui d'amours fait mencion et memoire; 2012 Dont je supplie Vo haultece qu'elle tant s'umilie Qu'en bon gré l'ait, ne le tiegne a folie; Car voulenté et vray desir me lie 2016 A moy pener De vous servir, si g'y sceusse assener. Et or est temps de mon oeuvre affiner, Mais de trouver, s'aucun au deffiner 2020 A volenté, Quel est mon nom, sanz y querir planté, Si le serche, trouver le peut enté En tous les lieux ou est cristienté.
EXPLICIT LE DEBAT DE DEUX AMANS
La rubrique manque dans A1; dans A2 Ci c. le livre du d. des d. a.
2 B g. prouesse
13 A1 haulté
15 B m. empris
21 B Ne
24 C Et a o.
25 B1 q. sont pour n.
42 B2 des c.
83 A1 assemblé
86 A1 et joyeuse
87 B c. ennuyeuse
95 C y ot p.
97 A1 B. et jolis
122 A1 les c.
129 B et doulcement a.—C a. doulcement a.
130 A2 et B1 suppriment et
133 B t. de
143 B a. d'estre
155 B C N'en
161 A2 de nener
163 de omis dans A1 et C
166 B C tout f.
169 A1 ou bien
173 B c. et d.
174 B Et l.
177 B Tant fort e.
181 B ne de r.
199 A2 ne cuidoye p.
219 A1 supprime y
245 C2 contens ne
247 trop manque dans B
266 A N. perceüst—B N. n'apperceust
270 A2 supprime J'
273 B1 supprime et
277 le omis dans A1
281 B1 t. tout le
285 B Moult l.
303 A2 B C qu'ay eu
306 A2 vi v. adont s.
319 A2 a. s. b. dessus le f.
357 B1 un p. d'a.
362 C Que d.
374 B1 De t.
386 A1 Avec n.
391 A2 B De m.
398 A1 primtemps
399 B les a.
410 tout omis dans B1
421 A2 sariés d.
435 B1 Et p.
438 A1 cuer
467 A1 Houblier
469 C ce a q.
476 BC Q. icelle j.
510 A2 de si—B n'en si
515 A1 en depart
519 B1 De t.
531 B en e.
557 A2 t. d'a.
567 A2 n'a e.
573 A1 houblier
575 B C ainsi c.
582 B Je ne c. pas q.
593 B1 supprime s' devant le 2'me est
599 B2 perdroit le d.
619 B n'a p. ne a.
621 B l. j. a.
631 B C on se d.
650 B f. peris
652 A Q. dame H.
657 B n. et h. c.
658 A1 Que ou—B C Qui ou
681 A1 B C a. moru
686 A1 m. passoit
690 B omet las
698 A1 omet sa
710 A2 le cas e.
714 B En tel o.
725 A2 a. en fu t. t.—B C Y. fu si durement t.
733 A2 ajoute en f.
746 A1 Or regardez
751 A1 B1 Q. l'occist
783 A2 p. il y
785 A2 Ou t.
788 B C En quantes g.
795 A1 m. mausagement (ce mot a été écrit après grattage, mais on a oublié de rayer non)
797 A2 t. qui o.
801 B1 leurs c.
806 B1 P. celle a.
818 A2 C en e.
847 B se b.
860. A1 Et
863. A1 garre—B C ne s'i g.
866 A2 le grant f. et t.
867 A de sa art
869 A2 a. le prent
883 B C ne t.
933 BC Mais s.
957 B1 omet sont
965 A1 c. traison q.
975 B1 et n. et 1.—A1 et loyaulz
979 A2 P. s'i v.
981 B ainsi v.
983 A1 Que h.
986 B V. voy i.
998 B qu'au l. p.
1031 B1 celz p.
1033 à 1035 A2
Hom ne seroit qui se voulsist l.
En t. l. mieulx lui vauldroit n.
Que soy aler soubmettre et avoyer
1052 B C l. en viengne
1073 A2 si grans m.
1089 B et c'est ce q.
1097 B omet avoir
1123 B C la m.
1133 B et esveillié
1141 A2 beneurée et e.
1147 A2 M. qui le v.
1159 A2 Ne d.
1188 A1 guerdon
1193 B S'il l'a.
1207 B omet pas
1214 B1 omet pas.—B pour l.
1217 B Si s'esveille
1221 A1 l. amant s'.
1233 B C omettent bien
1257 A1 dont v.
1265 B omet le second ne
1281 A2 le v. p.
1287 A2 Rudes et m. et
1322 B et loyauté s'a.
1331 A2 d'amours
1341 A1 que on
1350 A2 supprime li
1357 B1 Ne d. plus q.
1377 A1 B2 C n. maniere
1387 A2 c. mort g.
1388 A1 u. igne (b gratté)
1389 A ajoute et p.
1399 B1 M. il e.
1402 A1 t. s'i m. (toudis rayé)
1433 A2 Sur toute r.
1439 A2 d'a. encores en e.
1458 A1 Et du
1461 B C Qu'elle le g.
1471 B1 pour s.
1478 C c. l'h.
1479 B2 e. de m.
1485 A1 A. najant a
1493 B2 a. eschappés
1526 A1 P. Roÿne de N. m. l.
1543 B C il doit b.
1550 B1 par a.
1552 B en viengne
1572 A1 De Clequin
1583 B2 C s'il e.
1587 B v. saige et
1593 A1 vid
1594 B1 C D. lui t.
1598 B2 Le f.
1602 A2 S'a f.
1617 B C c. oncques de b.
1618 et 1619 intervertis dans B
1658 B Il est s.
1670 B C omettent N'
1709 A2 a fuïr t.
1726 A2 t. dont je
1733 B C b. compains se
1738 A1 que y.
1759 A2 et pour b. trait.
1760 B C Pour t.
1765 B m. d'un p.
1773 A2 L. fais d'a.
1787 A1 c. nous a.
1789 A1 ne puent
1794 A2 B C omettent ja
1795 B C omettent y
1797 B C suppriment d'u.
1801 A2 e. vray et s.—B C v. d. s.
1817 A2 Que un—B se l.
1827 A1 A. est et
1835 B C e. ençains
1841 B Et renvoisiez
1860 C se v.
1871 A1 Ou qu'en b.
1883 A2 j. conseil
1889 A2 Et q.
1891 B C Le b.
1922 et 1923 A2 Eslisoient de tieulx qui sont palis Par fort amer dont n'ont pas tous delis
1923 A1 Choisissoient de
1930 A1 et nommerent
1935 B C g. bon j.
1939 A1 p. l'ot
1977 A1 haulcent
2001 B c. que il
2005 A2 Et a. h.
2010 B1 C pour o.
2018 B1 Car or
2023 On trouve dans cristienté l'anagramme de Cristine