Oeuvres poétiques Tome 2
NOTES
LE DÉBAT DE DEUX AMANTS (p. 49 à 109.)
M. Paulin Paris (Mss. françois, V, p. 162 à 167) a seul donné jusqu'à présent quelques extraits de ce poème, vers 1 à 5 et surtout 1520 à 1688. Toutefois, l'abbé Sallier avait déjà dans les Mémoires de l'Acad. des inscr., XVII, 515, consacré une courte notice à ce poème et cité quelques vers: 1 à 6, 8 à 10, 53 à 55, 82 à 89, 99 à 104, 120 à 123, 145 à 154, 384 à 392, 746 à 749, 753, 754 et 757.
671 à 680.—Ovide, Métamorphoses, Livre IV, vers 55 à 165.
681 à 689.—Ovide, Héroïdes. Ep. XVIII et XIX. Le même sujet est traité par Christine dans la Ballade III du recueil des «Cent Balades». (Voy. tome I. p. 3.)
693 à 700.—Ovide, Métamorphoses, Livre XII, vers 580 à 628, et Livre XIII, vers 399 à 575.
704 à 721.—Esacus, fils de Priam et d'Alexirhoé, nymphe du Mont Ida, devint amoureux de la belle Hespérie (Ovide, Métamorphoses, Livre XI, vers 749 à 795).
725 à 736.—Iphis et Anaxarète (Ovide, Métamorphoses, Livre XIV, vers 698 à 764. Allusion déjà faite par Christine dans une complainte amoureuse. (Voy. t. I, p. 285 et 286).
757 à 760.—Cahedin, héros du roman de Tristan.
761 à 768.—Inspirés du châtelain de Coucy, roman de la fin du XIIIe siècle. Voy.Hist. littéraire de la France, XXVIII, p. 352 à 390.
769 à 774.—Châtelaine du Vergy. Voy. Méon,Fabl. IV, 296. Cf.Romania, XIX, 341.
960 à 975.—Passage reproduisant des idées émises dans le roman de la Rose (Discours de Raison à l'Amant. Voy. éd. F. Michel, tome I, p. 98 à 100).
1455 à 1468.—Ovide, Métamorphoses, Livre VII, vers 1 à 158.
1469 à 1476.—Ovide, Héroïdes, Ep. X; Métamorphoses, Livre VIII, vers 154 à 182, et Les Fastes, Livre III.
1496 à 1512.—Christine fait ici allusion au roman de Thésée. La tapisserie qu'elle nous montre devait effectivement figurer dans l'Hôtel du duc Louis qui l'avait payée, en 1389, au célèbre Nicolas Bataille la somme de 1,200 fr. (Voy. Guiffrey,Hist. de la Tapisserie. Tours, 1886, p. 34.)
1520 à 1531.—Florimont d'Albanie, héros principal du roman d'Aimon de Varenne (1188), épousa la belle Romadanaple, fille de Philippe, roi de Grèce. M. Paulin Paris (Manuscrits françois, V, p. 163, note) a cru deviner dans la citation de Christine l'anagramme de Romanadaple, mauvaise leçon que l'on trouve dans quelques passages des mss. de Florimont qui s'accordent presque tous d'ailleurs pour donner la véritable forme Romadanaple, c'est-à-dire Rome de Naples (Bibl. nat., F. fr. 353, 1374, 1376 et 1491).
1532 à 1543.—Voy. sur Durmart le Gallois Hist. littéraire de la France, XXX, p. 141 à 159. Le texte de ce roman a été publié en 1873 par M. Edm. Stengel dans la Bibliothèque du Cercle littéraire de Stuttgart (116° vol.)
1544.—Cléomadès, héros du roman d'Adenet le Roi (fin du XIIIe siècle).
1546 à 1550.—Palamède est le titre d'un important roman du cycle de la Table Ronde.
1553 à 1559.—Christine fait allusion au roman connu sous le nom de Petit Artus ou Artus le Restoré (Bibl. Nat. F. Fr. 761, 1431, 1432 et 12549), qui a été plusieurs fois imprimé aux XVe et XVIe siècles. (Voy. Brunet au mot ARTUS).
1569 à 1584.—Le passage relatif à Bertrand du Guesclin doit se rapporter aux prouesses que ce héros fit pendant le siège de Rennes (1356-1357) et qui furent le point de départ de sa brillante renommée. Il était alors épris de Tiphaine Raguenel qu'il épousa un peu plus tard vers 1363. (Voy. Siméon Luce,Hist. de Bertrand du Guesclin, I, p. 195 à 229 et 399 à 401, édit. in-8, Paris, 1876).
1585 à 1592.—Jean le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, mort en 1367.
Ses deux fils, dont la réputation était déjà établie à l'époque où écrivait Christine, furent:
1° Jean II, né vers 1364, le célèbre maréchal dont nous possédons la chronique, auteur de ballades et de rondeaux.
Toujours prêt à défendre l'honneur des dames, il fonda en 1399, à son retour d'Orient, l'ordre de chevalerie de la Dame blanche à l'écu verd (Voy. tome I, note, p. 303). Il mourut prisonnier en Angleterre en 1421.
2° Geoffroy, gouverneur du Dauphiné en 1399, mort en 1429.
1593 à 1601.—Louis de Sancerre, né vers 1342, nommé maréchal de France en 1369, seigneur de Charenton, Beaumez, Condé et Luzy, chargé du commandement de la Guyenne en 1381, dirigea l'année suivante l'avant-garde de l'armée à la bataille de Rosebecque. Créé connétable le 26 juillet 1397, il marcha, en 1398, contre le captal de Buch auquel il imposa la paix. Il mourut le 6 février 1402.
1615 à 1618.—Othe de Granson (voy. ci-dessus, p. 304).
1619 à 1621.—Hutin de Vermeilles (voy. aussi plus haut, p. 303).
1627 à 1637.—Jehan de Chateaumorand était le second fils de Hugues de Chatelus, seigneur de Chateaumorand. Il fut l'un des chevaliers les plus distingués de son temps et suivit le duc Louis de Bourbon dans tous les hasards de sa vie militaire, d'abord comme écuyer portant le pennon ducal, puis comme chevalier à la tête d'une compagnie de gens d'armes. Il fit ses premières armes vers 1371, à la détrousse d'un aventureux partisan anglais, Michelet La Guide, puis il assista au siège de Chateauneuf-Randon et à celui de Nantes où il commandait les gens du duc de Bourbon. Au banquet donné le jour du sacre de Charles VI (4 nov. 1380), l'écuyer placé sous la table où le roi tenait ses pieds était Jehan de Chateaumorand qui fut très probablement armé chevalier le même jour «pour le honneur du sacre». Puis nous le retrouvons successivement à Vannes, où eut lieu le combat de cinq Français contre cinq Anglais, devant Courbies les Granges et Montvalent, où il contribue à la délivrance du Poitou[1], ensuite à Gênes avec Boucicaut et comme négociateur de la rançon des prisonniers de Nicopolis[2]. Enfin le maréchal Boucicaut ayant réussi en 1399 à repousser les Turcs et à délivrer Constantinople, confia la garde de cette ville à Jehan de Chateaumorand qui, avec les cent hommes d'armes placés sous son commandement, résista vaillamment aux attaques de l'ennemi[3]. A peine rentré en France en 1402, Chateaumorand retourna en Orient à la tête de 200 hommes d'armes formant l'escorte de Manuel qui revenait prendre possession de ses États après la défaite de Bajazet par Tamerlan, le grand prince des Tartares.
Plus tard, lorsque l'âge l'obligea à se retirer des combats, il rassembla ses souvenirs et sous sa dictée, un pauvre pèlerin nommé Jehan Cabaret d'Orville, composa, en 1429, l'intéressante chronique du bon duc Loys de Bourbon. Jehan de Chateaumorand faisait partie de l'Association fondée par Boucicaut pour la défense de l'honneur des dames.
1641 à 1642.—Guillaume de Montrevel, plus connu sous le nom de L'Hermite de la Faye, fut un des plus fidèles compagnons d'armes du duc Louis II de Bourbon. Il était, d'après une pièce du cabinet des Titres, seigneur de Chasteaubon. (Pièces orig., vol. 2038). Nous le voyons d'abord venir en aide au roi de Prusse contre les Suédois, se distinguer au siège de Verteuil, combattre vaillamment à Rosebecque, puis faire partie de la tentative de débarquement sur l'Angleterre qui eut lieu en 1386; nous le retrouverons plus tard, en 1399, marchant avec Boucicaut au secours de l'empereur grec. Il fut l'un des exécuteurs testamentaires du duc de Bourbon qui mourut le 19 août 1410[4].
1653 à 1664.—Charles d'Albret (voy. tome I, p. 302).
1665 à 1676.—Jehan de Werchin, sénéchal de Hainaut (voy. tome I, p. 307 et plus bas p. 311).
1677 à 1682.—Raoul de Gaucourt, seigneur d'Argicourt et en partie de Luzarches, chambellan du roi, faisait partie de l'Hôtel en 1388 et accompagna la même année Charles VI dans son expédition en Allemagne contre le duc de Gueldre. Il fut ensuite désigné pour remplir plusieurs missions lointaines et reçut le 16 août 1397 une somme de 1,000 écus en récompense de ses services. En 1399 il fut charger de traiter des affaires de la reine Yolande d'Aragon, plus tard nous le retrouvons au service du duc de Bourbon, puis marchant au secours de Boucicaut, gouverneur de Gênes. Nommé bailli de Rouen, il périt dans une sédition qui éclata dans cette ville en 1417. Raoul de Gaucourt avait épousé Marguerite de Beaumont, dame de Luzarches, fille de Jean de Beaumont, chevalier. Il était le frère d'Eustache de Gaucourt, grand Fauconnier de France. (P. Anselme, VIII, p. 370).
1683 à 1688.—Charles de Savoisy, seigneur de Seignelay, conseiller et premier chambellan du roi, grand échanson de France, fut élevé à la cour de Charles VI dont il était chevalier d'Honneur en 1388. Il servit en Poitou en 1397 à la tête d'une compagnie de treize écuyers, mais il est surtout connu par les fâcheuses aventures dont il fut victime: ayant commis l'imprudence de faire maltraiter chez lui le procureur de l'Hôtel du roi venu pour arrêter un de ses domestiques, il n'échappa aux poursuites qu'en vertu de lettres de rémission du 23 janvier 1402. Quelque temps après, il fut déclaré responsable des outrages et des coups dont ses gens s'étaient rendus coupables le 14 juillet 1404 envers quelques écoliers de l'Université de Paris. Cependant, malgré ces incidents compromettants, Charles de Savoisy resta toujours fort bien en cour et exerça la charge de grand Échanson de 1407 à 1413, puis devint premier chambellan du roi en 1418. Il mourut vers 1420. (P. Anselme, VIII, p. 548).
1689 à 1693.—Bernard de Castelbajac (voy. tome I, p. 304).
1694 à 1698.—Pierre de Brebant, dit Clignet (voy. tome I, p. 306).
[1] Chronique du bon duc Loys de Bourbon, édit. Ghazaud, 1876, p. 153
et suiv.
[2] Chroniques de J. Froissart, édit. Buchon, III, p. 293, et Livre
des faicts du Mareschal Boucicaut, 1re partie, chap. XXVIII.
[3] Chronique du Religieux de Saint-Denys, III, 51.
[4] Chronique du bon duc Loys de Bourbon, p. 64, 145, 172, 185 et 314, et Livre des faicts du Mareschal Boucicaut, 1re partie, chap. XXX.
LE LIVRE
DES TROIS JUGEMENS
CY COMMENCE LE LIVRE DES TROIS JUGEMENS
Bon Seneschal de Haynault, preux et sage. Vaillant en fais et gentil de lignage, Loyal, courtois de fait et de langage, 4 Duit et apris De tous les biens qui en bon sont compris, Par noblece de cuer soubsmis et pris Es laz d'amours pour accroistre le pris 8 De vo noblece, Sage a jugier du mal d'amours qui blece Quelz sont les tours, soit en force ou foiblece, Pour ce vous ay, chier Sire, plein d'umblece, 12 Esleu a juge. Car vo bon cuer bien sçay que le droit juge Ou il affiert; pour ce vien a reffuge A vous, ainsi comme ou temps du deluge 16 Qui tout noya Le coulomb blanc a l'arche s'avoya, La attendi tant que soleil roya, Aucques ainsi mon cuer celle voye a 20 Prise sans faille Pour le debat de certaine fermaille Qu'aucuns amans beaulx de corps et de taille Ont ensemble; si veullent que j'en taille 24 Le court ou long. Mais je ne vi tel cas avenir onc Et trop peu sçay pour en bien jugier, donc Juge en soyez et je diray au long 28 Tout leur descort De mot a mot, si com j'en ay record, Et a voz diz en tous cas je m'accord. Si feront ilz, car vostre bon record 32 Doit bien souffire. Le premier cas, ainsi com j'oÿ dire, Fu tel qu'il a en France ou en l'Empire Une dame si belle qu'a redire 36 Ne scet nul ame, Sage, vaillant, prisiée et haulte dame, Envoisiée, loyal de corps et d'ame, Ou n'a meffait, reproche ne diffame: 40 Amer souloit Un chevalier qui pour elle affoloit, Avant qu'elle l'amast tant se doloit, Ce disoit il, et mieux morir voloit 44 Qu'endurer plus L'amoureux mal qui le rendait conclus, Tant le tenoit morne, mat et reclus, Ne fors la mort n'attendoit au surplus, 48 Se brief mercy Elle n'avoit de lui qui d'amer si En grief langueur estoit taint et noircy, Dont pour secours lui requeroit mercy 52 D'umble vouloir. Ainsi long temps l'oÿ plaindre et doloir, Mais celle tout mettoit en nonchaloir; Quanqu'il disoit pou lui pouoit valoir 56 Ains qu'elle amast Lui ne ses fais, ne en riens se tournast Devers Pitié, ne secours lui donnast, Ne que pour lui nul bon point ordenast, 60 Tant qu'en la fin Loyal Amour, qui sieult a la parfin Aux vrays amans, qui aiment de cuer fin, Faire secours et ayde, a celle fin 64 Qu'il fust amez, Fist que Pitié, par qui sont informez Les gentilz cuers et pris et enfermez Es laz d'Amours, fist tant qu'ami clamez 68 Fu de la belle, Qu'Amours navra de l'ardent estincelle Qui mainte dame et mainte damoyselle Contraint d'amer, ou soit vesve ou pucelle 72 Ou d'autre guise; Quant il lui plaist soubsmettre a sa devise Qui qu'elle veult, riens n'est qu'elle n'atise. Ainsi avint de celle en qui Franchise 76 Fist ottroyer Le nom d'ami a cil qui par proyer Et bien amer ne le devoit noyer, Car bien l'avoit desservi en loyer, 80 Comme il disoit. Dont une fois a elle devisoit En la priant du mal qui lui cuisoit Elle eust pitié, se assez souffisoit 84 La grieve peine Qu'il ot souffert, si disoit: «Dame, pleine De grant doulçour et plus belle qu'Heleine, Pour vous ay eu mainte dure sepmaine 88 Et maint meschief Pour bien amer, et n'en suis pas a chief, Ainçois croistra ma doulour de rechief: Se reffusé suis de vous, par mon chief, 92 Je suis honnis. Dame plaisant, sanz per com le phenis, Desservi n'ay a tort estre punys; Si ne soye maubaillis et honnis 96 Par escondit, Doulce dame, ne de mon vueil desdit, Mais m'acordez l'amour sans contredit De vous, belle, car je vueil a vo dit 100 Moy gouverner. Si me ferez comme droit roy regner Se il vous plaist vostre amour moy donner, Or en vueilliez en tous cas ordenner 104 A vo bon vueil. Mais garison du mal dont je me dueil Me promettent vo doulz riant vair oeil Qui en joye font remuer mon vueil 108 Souventes fois, Car leurs regards doulz, amoureux et cois, Me garissent et blecent a la foiz Si que ne sçay souvent ce que je fois.» 112 Par tel semblant Se complaingnoit cil qui le cuer emblant, A celle aloit par beaulz moz assemblant Et tout estoit devant elle tremblant 116 Ou sembloit estre. Adonc celle, qui sieult estre senestre A son vouloir par reffus qui empestre Aux vrays amans toute joye terrestre, 120 Lui dist: «Amis, Je ne te vueil plus tenir si soubmis, Car il est temps que tu soies remis Es doulz soulas qui d'Amours sont promis, 124 Qui me commande Que sans reffus a lui servir me rende. Si j'ay meffait, que j'en paye l'amende Et que guerdon du service te rende 128 Que tu as fait A lui et moy, et je voy bien de fait Que tu es mien, et de vray cuer parfait M'aimes et crains, ne je ne cuid meffait 132 En toy trouver, Car par long temps t'ay peü esprouver Par quoy te puis bon et loyal prouver. Pour ce m'amour t'otroy sanz plus rouver 136 A tousjours mais; Car je ne cuid que tu ayes jamais Desir d'avoir nul autre amoureux mais Fors le mien cuer, car le tien m'est remais, 140 Ce sçay je bien. Si suis tienne, tout aussi tu es mien, Or soyes lié et ne pensez qu'a bien Amours servir, et gayement te tien, 144 Mon doulz ami, Car tout est tien le mien cuer sanz demi, Si soies bon tout pour l'amour de mi, Plus ne te plaing d'amours disant: Aymi! 148 Mais soies lié.» Adonc l'amant, qui ot esté lié Par dur reffus qui l'ot contralié, Devant sa dame se est humilié 152 A humble chiere Et liement lui dist: «Ma dame chiere, Que j'aim et craing et ay plus que riens chiere, Dire ne doy qu'aye comparé chiere 156 Si doulce amour Qui tant me vault qu'elle fait sanz demour Mon povre cuer, en qui n'avoit humour De nul plaisir, saillir hors de cremour 160 De desespoir, Car par ce don d'or en avant j'espoir Trop plus de bien que ne penses apoir, Et le confort de si joyeux espoir 164 Bien doit garir L'amoureux mal dont j'estoye au mourir. Et puis qu'ainsi me daignez secourir Je prie a Dieu qu'il le me doint merir, 168 Ma dame gente Que je mercy de toute mon entente, Et vous promet que jamais autre attente N'aray qu'a vous servir, car doulce rente 172 M'en payera; C'est la doulceur qu'Amours m'envoyera En vous servant, qui me convoyera A haulte honneur et me ravoyera 176 A tous bons fais.» Ainsi l'amant de cuer lié et reffais La mercia et promist que tous fais, Foibles ou fors, et deust estre deffais, 180 Il porteroit Pour sienne amour ne ja n'arresteroit Mais qu'ou païs ou la dame seroit, Fors pour honneur conquerre ou il pourroit 184 Et pour vaillance Yroit il hors; ja n'en eüst deuillance Par son congié, mais de lui sanz faillance Nouvelle aroit. Ainsi sa bienvueillance 188 Garder vouloit Cil qui si lié qu'a pou qu'il ne voloit Sembloit qu'il fust, ne plus ne se douloit Et plus joyeux seroit qu'il ne souloit 192 Comme il promist, Et tout sembloit que de joye fremist. A brief parler, l'un a l'autre soubmist Tout cuer et corps et sus le livre mist 196 Chascun sa main, Et par serment promistrent main a main Que loyaulté tendroient soir et main; Sans attendre du soir a lendemain 200 S'entreverroyent A tousjours mais, tout le plus qu'ilz porroyent, Honneur gardant, et tousjours s'aimeroient De vraye amour ne ja ne fausseroient 204 Jour de leur vie. Et ainsi fut ycelle amour plevie Et bien sembloit que l'amant n'eust envie Fors que par lui la dame fust servie 208 D'umble courage, Et promettoit en lui faisant hommage Qu'a tousjours mais seroit en son servage Et que s'amour comme droit heritage 212 Vouloit garder. Ainsi promist, mais j'oÿ recorder Qu'autrement fist sanz longuement tarder Et son faulz cuer, que l'en devroit larder, 216 Tost se changa Et pou a pou d'ycelle s'estrangia Qui tant l'amoit qu'a pou vive enraga Pour son maintien qui trop la domaga, 220 Si com j'entens; Non pas troys moys mais encor moins de temps Cellui l'ama qui fu pou arrestans En celle amour, si vous diray par temps 224 Qu'il en avint: La dame, qui pour lui pale devint, Maigre et lasse, car toudis lui souvint Du doulent jour qu'elle sienne devint, 228 Si ne pouoit Cil oublier a qui donné avoit Tout cuer et corps et de certain savoit, Dont la lasse toute vive desvoit, 232 Qu'il n'amoit mie Elle en nul cas; car heure ne demie Ne peu n'assez celle qui fu blesmie Pour sienne amour et que dame et amie 236 Souloit clamer, N'enjoÿssoit, ne nul semblant d'amer Ne lui monstroit, n'en recepvoit qu'amer. Et ce faisoit la doulente pasmer 240 Qu'il avenoit Que cil, a qui moult peu en souvenoit, Aucunes fois devers elle venoit Parce qu'elle du mander ne finoit; 244 La lasse adonc, Pleine de plour et de griefs souspirs dont Son cuer fondoit, lui disoit: «Lasse! et dont Mourray je ainsi, car, se Dieu me pardont, 248 Ne puis plus vivre Se je ne suis de ce meschief delivre. Et je vous jur et promet sur le livre Que je ne sçay ou je suis ne qu'un' yvre, 252 Souvent avient. Hé las! amis, nostre amour que devient! Je muir de dueil certes quant me souvient Que si tost fault, mais par moy pas n'avient. 256 Et qui vous meut! Ne voyés vous comment mon cuer se deult Et je ne sçay que le vostre se veult! Mais je voy bien que moult petit recueult 260 En soy mes larmes; Si soit mon fait exemple a toutes dames De croire pou ceulz qui jurent leurs ames, Car ce n'est tout fors pour decepvoir femmes. 264 C'est fole attente, Beau doulz ami, et se je me guermente Ne pensez vous, que je soye doulente Quant ne vous voy ne en chemin n'en sente 268 Ne autre part, Ne nouvelles n'en oy, dont mon cuer part, Dont je puis bien de vous quitter ma part; Je le voy bien, mais se avez a part 272 Autre pensée Par quoy l'amour de moy en vous cessée Soit et autre vous ayez en pensée Et de tous poins la moye aiez cassée, 276 Ne le cellez, Mais dites moy le fait, se vous voulez, Car je ne sçay de quel mal vous dolez, Mais devers moy ne venez ne alez, 280 Et se j'en mens, Ce savez vous, non obstant les sermens Que m'avez fais pleins de decevemens, Qui me livrent au cuer trop de tourmens; 284 Mais c'est pechié D'un pouvre cuer livrer a tel meschié Et quant il est pris et fort atachié De lui laissier durement empeschié. 288 Et dont me dittes Se vous vouldriez de m'amour estre quittes Et se j'aray tout mal pour mes merites, Ou se voulez la valeur de deux mittes 292 Vous amender Par devers moy qui ne fais que mander Souvent vers vous sanz pou en amender, Si m'en dittes, je vous pry, sanz tarder, 296 Trestout le voir.» Ainsi souvent la dame son devoir Faisoit vers cil qui n'en vouloit avoir Nulle pitié, mais pour la decepvoir 300 Il s'excusoit Qu'il avoit trop a faire et lui nuysoit De mesdisans le parler qui cuisoit, Mais en la fin promettoit et disoit 304 Qu'il la verroit D'or en avant souvent quant il pourroit, Mais non pour tant son honneur garderoit, Mais jamais jour nul autre n'aimeroit. 308 Ce promettoit Le desloyal qui en tous cas mentoit, Et celle qui a lui se guermentoit L'en croioit bien et du tout s'attendoit 312 Au mençongier; Car fole amour fait croire de legier. Ainsi parfois lui faisoit alegier Son grief tourment ou par son messagier 316 Lui envoyer, Mais moult souvent avoit petit loier Celle qu'amours faisoit si foloier, Si se pouoit en douleur desvoier 320 S'elle vouloit; Car moult petit a cellui en chaloit Qui pas souvent a elle ne parloit Ne vers elle ne venoit ne aloit 324 Et qui loisir Avoit assez, mais qu'il y eust plaisir Et qu'il voulsist point et heure choisir, Mais n'y avoit ne amour ne desir. 328 Ainsi dura Troys ans ou plus, ainsi com me jura Celle qui tant de maulz en endura Que je ne sçay comment elle dura 332 Sans la mort traire, Si ne pouoit son cuer de cil retraire Qui par nul tour elle ne pot attraire. Ainsi vesqui en dueil et en contraire 336 Un grant termine, Mais il n'est riens ou monde qui ne fine Et malade quiert par droit medecine, Si commença pou a pou la racine 340 A estrangier De celle amour qui la tint en dongier, Dont ot perdu repos, boire et mengier; Si n'envoya plus vers lui messagier, 344 Et de tous poins Le frain aux dens et la bride a deux poings Elle saisi, et de près et de loings, Pour s'en oster, tant qu'elle vint aux poins 348 Qu'elle vouloit; Et par raison, qui pas ne lui celoit Que folement pour cellui se douloit Qui de son fait en riens ne lui chaloit, 352 Si s'en osta, Mais du faire mie ne se hasta, Ainçoys long temps en l'amour arresta Qui maint meschief et mal lui apresta, 356 Et a tant vint La dame, a qui yceste chose avint, Que le sien cuer a raison se revint Et assez pou de cellui lui souvint 360 Qui l'ot deceue, Dont elle avoit mainte douleur receue, Tout se fust elle assez tart aperceue, Mais plus cellui n'yra a sa sceüe 364 Ou elle soit. Si avint cas comme elle devisoit Qu'un autre amant durement la pressoit Qu'il fust amez et souvent lui disoit 368 Qu'il l'amoit tant Qu'a toujours mais seroit sien, mais pour tant De quanque cil lui aloit promettant Ne lui chaloit en riens, mais non obstant 372 Sans amesir Cil ne finoit de lui faire plaisir Ne pour reffus ne cessoit son desir, Ains lui disoit que, sans autre choisir, 376 Son vray amant A tousjours mais seroit en elle amant, Ferme et loyal com pierre d'aÿmant. Ou que cil fust François ou Alemant 380 Ou d'autre part, Toudis avoit son penser celle part Ne de tous biens, pour en choisir sa part, Autre soulas, n'en publique n'a part, 384 Ne desiroit, Comme il disoit; et aussi y parroit, Car par le fait tout le vray apparoit Que cil l'amoit, car il ne reparoit 388 Ne mais es lieux Ou peust veoir la trés belle aux beaulz yeulz, Qu'il aouroit et servoit comme Dieux, Se ce n'estoit es places ou de mieulz 392 Quant a valour Li peust venir, car pour nulle doulour Qu'amours lui fist, ou fust sanz ou folour, Ne s'arrestoit quant il avoit coulour 396 D'aler de hors Pour esprouver en vaillance son corps, Car en honneur estoit tous ses depors. Mais bien cuida pour amours estre mors 400 Ains que pitié Celle eust de lui, pour laquelle amistié Malade en fu long temps et dehaitié Ains que pour lui eust pensé n'apointié 404 Nul bon accord; Car la dame toudis avoit record Du faulz amant, par qui si grant descord Fu en son cuer qu'a pou en receupt mort; 408 Si n'ot besoing De jamais jour ne de près ne de loing Nul homme amer, car elle avoit tesmoing Que mal venoit et meschief de tel soing, 412 Et pour ce attraire Ne vouloit plus si penible contraire. Si n'en pouoit l'amant nullement traire Fors escondit, mais pour tant s'en retraire 416 Ne voult il mie N'ycelle amour remesse n'endormie Ne fu en lui, ains com dame et amie Il la servoit, ne heure ne demie 420 Il n'arrestoit Que ou service d'elle, ou pou conquestoit Et moult de ses paroles y gastoit, Mais non pour tant souvent l'amonnestoit 424 De sa besoingne. Ainsi long temps dura par mainte alongne Cest' affaire, com la dame tesmoingne; Mais il n'est riens qui bien s'en enbesogne 428 Que on n'achiefve Ne si pesant fardel que l'en ne lieve. Au vray du fait dire en parole briefve, Cil tant l'ama, quoi qu'il eust peine grieve 432 Et tant servi De vray loyal cuer, subgiet asservi, Que par raison il avoit desservi, Qu'il ne fust pas de joye desservi 436 Mais guerdonnez Et que le don d'ami lui fust donnez; Car tant s'estoit doulcement ordonnez En elle amant et pour elle penez 440 Qu'apercevoir Que il l'amoit de cuer sanz decepvoir Elle pouoit, tant faisoit son devoir D'elle servir, et si, qu'a dire voir, 444 Tort lui feïst Se pitié n'eust de lui, se Dieux m'aïst, Car n'estoit droit que son servant haïst Ne qu'en reffus le sien cuer envaïst 448 Par fel dongier. Alors Amours, qui sieult assouagier Les maulx crueulx qu'en ceulz fait hebergier Qui le servent, voult adonc alegier 452 Les griefs anuys Qu'il eut souffert par maintes dures nuys, Dont son las cuer estoit de joye vuis; Si fist Pitié a Secours ouvrir l'uis 456 De Reconfort, Si ne pot plus souffrir la dame au fort Tenir l'amant en si grief desconfort, Car bien savoit qu'il n'estoit riens si fort 460 Comme il l'amoit. Adonc un jour l'amant se reclamoit De ses douleurs a celle qu'il cremoit, Piteusement de l'amour l'informoit 464 Qui l'ot surpris Par sa beaulté, a qui se rendoit pris, Et pour son los, la grace et le hault pris Dont elle estoit, si ne l'ait en despris 468 Par desdaingnier. Et adonc celle, ou il n'ot qu'enseignier, Qui tout veoit l'amant en plours baignier, Vid qu'en sa mort ne pouoit riens gaigner, 472 Si le retint Pour son amant, ainsi qu'il apertint. Et lui, qui fu loyal, si se contint Devers celle qui son cuer ot et tint 476 Qu'elle l'ama De tout son cuer et ami le clama. Ainsi l'amant promist et afferma Qu'il l'aimeroit, et elle conferma 480 Tout cest affaire, Ainsi promist et ainsi le voult faire; Quar il l'ama loyaument sanz meffaire Si bien, si bel qu'il n'y ot que reffaire 484 Par long espace, Et non obstant que tel amour tost passe Souventes fois cil sembla le toupase Qui de verdeur et de clarté trespasse 488 Toute autre pierre. Ainsi toudis fu en lui plus vert que yerre Ycelle amour qu'il n'ot pas, par saint Pierre, Tost acquise n'emblée comme lierre 492 Qui moult tost emble. Ains y souffri maint grant grief, ce m'en semble, Mais il n'est riens, quoy que descort dessemble, Que vraye amour ne racorde et assemble 496 En un moment Quant il lui plaist. Ainsi trés loyaument Li dui amant s'amerent longuement Sanz nul descord et sans decepvement 500 En tel plaisir Que leurs deux cuers n'avoyent qu'un desir: Ce qui plaisoit a l'un ja desplaisir Ne peüst estre a l'autre, ne choisir 504 Aultre solas Ne voulsissent qu'estre ensemble, et ja las Ilz n'en fussent, car tous deux d'un seul las Furent lié, plaisant, sans dire, hé las! 508 Et ainsi furent Par moult long temps, mais maint scevent et sceurent Que faulz parleurs sur les amans murmurent; Si leur avint que mesdisans s'esmurent 512 A parler d'eulx Pour les semblans qu'ilz choisirent es deux, Dont ilz orent au cuer pesance et deulx. Si ne porent si souvent estre seulz 516 A leur deport Com souloient, si furent a dur port Lors arrivé, ou peu orent deport, Et raconté fu par mauvais raport 520 Et par envie Au faulz amant premier toute leur vie Et tout comment la dame fu servie Du vray amant, a qui elle eut plevie 524 E toute assise L'amour d'elle du tout a sa devise. Et quant cellui ot bien par mainte guise La verité toute sceue et enquise, 528 Lors a quis voye Qu'il peust parler, en chemin ou en voye Ou en secret si que nul ne le voye, A celle a qui un messagier envoye 532 En lui priant, Moult chierement, non mie en mescriant, Que parler puist a elle, et detriant Ne voit le jour. Lors celle en sousriant 536 A pris journée A y parler par une matinée, Et quant furent en la place ordonnée Adonc cellui a la dame arresnée 540 Par tel maintien: «Dame certes, ne cuidasse pour rien Que vostre cuer, que disiez estre mien, Daignast jamais consentir fors que bien. 544 Ne que fausser Vous daignissiez en fait ne en penser, Tant vous sceüst nul autre amant presser, Que voulsissiez vostre serment casser 548 Ne loyaulté Que vous avez brisiée et feaulté. Si prise pou tel grace et tel beaulté Ou il n'a foy, car serment sur l'auté 552 Et sur les saints Me jurastes Dieu, sa mere et les saints, Que jamais jour vostre cuer n'yert desçains De moye amour, dont il estoit enceins, 556 Ce disiez vous, Et seroye vo loyal ami doulz, Et ainsi fu accordé entre nous. Mais or vous puis faulse par devant tous 560 Et parjurée Prouver certes, et pou asseürée, Puis qu'autre amour vous avez procurée; Si est la foy que vous aviez jurée 564 Fausse sans doubte.» Adonc respond celle et plus ne l'escoute: «Beau sire Dieux, je me merveille toute De vostre fait et, s'oncques je vi goute, 568 Voicy merveilles: Vous me cuidez par vo tabour aux veilles Encor mener, mais jamais mes oreilles N'escouteront telles ou les pareilles 572 Com voz paroles Sont envers moy toudis toutes frivoles; Car ne vous chault pas de deux poires moles Se j'ay ami ou non, et telz bricoles 576 M'alez gitant, Mais non pour tant vous en diray je tant Que, se je l'ay, fausse ne suis pour tant. Car vostre cuer fu premier consentant 580 De moy laissier Et grans sermens feistes au commencier Que jamais jour ne verroye plaissier L'amour de vous qui trop a fait blecier 584 Mon cuer long temps, Ce savez vous; si ne sçay ne n'entens Comment, puis que vous estiez consentans De m'esloingnier, que mon cuer arrestans 588 Y deüst estre A tousjours mais a douleur si senestre, Puis que veoir je pouoye vostre estre, Car par l'oeuvre on doit louer le maistre; 592 Et grant injure Vous m'avez dit de m'appeller parjure, Car ne le suis, g'y mettroye gageure, Car qui promet quoy que ce soit et jure 596 Se doit entendre Cil qui reçoit le serment, s'il veult tendre A loyaulté, qu'aussi doit il entendre A desservir le bien qu'on li veult tendre 600 Et son devoir Doit faire aussi; il est bon assavoir Que qui promet pour quelque chose avoir, Se il ne l'a, quitte doit estre voir 604 De son serment. Ainsi a vous promis mon sacrement, Voire en espoir que j'eusse entierement L'amour de vous comme premierement 608 M'aviez promis.» Adonc respond cellui: «Certes tost mis M'ariez au bas, dame, et moult tost remis Par voz raisons, mais de ce qu'entremis 612 Je me seroye De soustenir, partout ou je seroie, Par devant tous proposer oseroie. Et pour ce di, car mentir n'en saroye, 616 Que vous avez Vers moy faussé, et pour riens vous sauvez De dire que certainement savez Qu'en moy n'avoit amour, ainsi trouvez 620 Vostre excusance. Car se vers vous tout a vostre ordennance Je n'aloye, fust a feste ou a dance Ou autre part, tout estoit en doubtance 624 De mesdisans, Pour vostre honneur garder des moz cuisans De leurs parlers, et, se fusse dix ans Sans vous veoir, mais que obeïssans 628 Ne fusse mie A autre amour ou de dame ou d'amie, Ne deussiez vous ja heure ne demie Pour tant fausser, mais a droitte escremie 632 D'amour entiere Et loyaulté vraye en toute maniere Vous bien garder. Mais d'amour trop legiere M'avez amé, bien en voy la maniere; 636 Pour ce redi Que fausse estes, et de ce que je di Le jugement devant le plus hardi En ose attendre et tous ceulz contredi 640 Qui au contraire Vouldront dire, ne vous vueille desplaire.» Adonc respond la dame debonnaire: «Or nous doint Dieux vers loyal juge traire, 644 Mais voycy rage Et merveilles que de vostre langage: Qu'il soit ainsi qu'une dame en servage Se soit mise en recevant l'omage 648 De son servant Qu'elle cuidoit bon, loyal et fervent, Si voit après qu'il la va desservant De tout plaisir, ne il n'est desservant 652 Qu'amer le doye; Et vous dittes qu'elle doit toutevoye En celle amour se tenir ferme et coye, Mais la raison n'en voy par nulle voye. 656 Pour ce consens Que ce debat nous mettions en tous sens Dessus loyal juge ou il ait sens, Car nullement je ne voy ne ne sens 660 Vostre raison.» Adonc pristrent congié, il fu saison, Et s'entourna chascun en sa maison, Et en escript chascun mist sa raison 664 Pour juge querre. Après vindrent devers moy pour enquerre Le mien avis, mais pou pourroye acquerre De complaire a l'un pour avoir guerre 668 A la partie Adversaire, pour ce m'en suis partie. Et autressi ne sçay tout ou partie De tel debat jugier, pou apertie 672 Y suis sans faille. Pour ce, Sire, la charge vous en baille, Ne convient ja que querre autre juge aille Pour les amans, chascun d'eulz me rebaille 676 Pouoir du faire, Si sont d'acord que vous soit de l'affaire, Car bien scevent qu'il n'y a que reffaire En vostre bon, noble cuer, qui meffaire 680 Ne daigneroit; Ce jugement, s'il vous plaist, selon droit Vous jugerez. Et encor or en droit Deux autres cas diray ou il fauldroit 684 Donner sentence, Et tout sur vous en est mise la tence Et le descord. Or vueil sans arrestance Vous raconter, fust foiblece ou constance, 688 Ce qu'il avint A deux amants beaulz et gens entre vint, Loyaulz et bons, mais trop leur mesavint Par Fortune, dont chascun d'eulx devint 692 Morne et pensis: Il n'a mie des ans encore six Qu'une dame, en qui tous biens sont assis, Un chevalier amoit sage et rassis, 696 Joenne et joly, Et qui toute bonne tache ot o ly; Et tout fust il mignot, cointe et poli, Oncques encor fausseté n'amoli 700 Son bon courage, Ce disoit il. Aussi fu belle et sage La dame, qui de cuer et de langage Vaillant estoit et riche d'eritage. 704 Si s'entr' amoyent Lui dui amant loyaument et clamoyent L'un l'autre amour souvraine et ne cremoient Fors mesdisans qui les amans esmoyent, 708 Et longuement S'entr'amerent et si secretement Que de leur fait ne fut grant parlement. Si la servoit l'amant soingneusement 712 Comme il devoit. Et celle qui entierement savoit Que son ami loyaument la servoit Le sien cuer tout entierement ravoit 716 En lui fichiés. Si souffrirent tous deux mains griefs meschiez Par trop amer qui les ot si fichiez En grant desir qu'ilz furent tous sechiez 720 De souffrir peine; Car grant Amour, qui les amans demaine, Trop durement mainte dure sepmaine Leur fist avoir, car les amans a peine 724 Et a dongier S'entreporent veoir, ne de legier N'avenoit pas souvent, car dommagier Ne vouloient honneur pour alegier 728 Leur grant desir. Car tant fu vray l'amant que mieulz choisir Voulsist la mort et tout meschief saisir Que deshonneur ne riens qu'a desplaisir 732 Peust ja tourner Envers celle, de qui tel atourner Le voult Amours qu'il ne savoit tourner De nulle part ou il peust destourner 736 Ne mettre jus Le grief fardel qu'il portoit sus et jus; Et de trop plus griefve aigreur que verjus Li ot Amours destrempé et fait jus 740 Un divers boire Qu'adès avoit en cuer et en memoire, Tant en eut beu, non en coupe n'en voirre, Qu'il en fut tout rempli, c'est chose voire 744 Et enyvré; Et tel hanap a celle ot relivré Loyal amour qui son cuer ot livré A si dur point que jamais delivré 748 Ne s'en verra, Car sans partir en ses las l'enserra Amour ferme qui oncques jour n'erra Vers loyaulté; si dit qu'elle querra 752 Coment qu'il soit Voye et chemin, car trop fort l'angoissoit Desir de cil veoir qui la pressoit Qu'il la veïst, et ainsi l'oppressoit 756 De toutes pars Amours, Desir encor plus les deux pars Le vray amant, dont souvent les espars De ses doulz yeulz sur elle erent espars. 760 Si n'en pot plus Celle souffrir en qui ot amours plus Qu'en nul autre, tout fust son corps reclus Par fel dongier qui rend amans conclus 764 Et desconfis. Tant l'estraingnoit Cupido d'Amours filz, Qu'elle aouroit plus que le crucefilz, Qu'elle trouva, fust domage ou proffis, 768 Au paraler Voye comment a cellui peust parler Que tant amoit que ne pouoit celer La grant amour qui faisoit afoler 772 Son cuer sans doubte; Car qui d'amours afole ne voit goute, Ne nul peril ne meschief ne redoubte; Ainsi celle, qui a l'amant fu toute, 776 Tant y mist peine Qu'a son ami plus d'un jour la sepmaine, Sans le sceü de personne mondaine, Parloit souvent, tout fust de paour pleine 780 Et de grant crainte Pour les perilz qui avienent a mainte En si fait cas quant la chose est attainte, Mais non pour tant tant fu d'amours contrainte 784 Qu'elle oublioit Tout le meschief qu'avenir li pouoit. Ainsi souvent son doulz ami veoit, Si lui dura, si comme elle disoit, 788 Tout un esté Ce trés doulz temps, mais Fortune apresté A mains meschiefs aux amans et esté Leur contraire, et souvent a arresté 792 Tous leurs depors. Ainsi adonc par desloyaulz rapors Sceut le mari d'ycelle les accors Des deux amans, tout le fait et les pors, 796 Le lieu, la place Ou moult souvent, a qui qu'il en desplace, S'assembloient; si dist qu'il fault qu'il face Tant que tous deux les treuve face a face, 800 Comment qu'il aille. Dont le mary, qui fu de laide taille Ne en bonté ne valoit une maille, Tant se muça ou en fain ou en paille 804 Qu'il esprouva La verité et tous deux les trouva En lieu secret, mais l'amant bien sauva L'onneur d'elle par ce qu'il controuva 808 Bonne excusance, Qu'il avoit loy, juste cause et aisance, De y parler, ja n'en eust desplaisance, Et lors trouva cas juste ou la semblance 812 Par quoy raison Ot d'y parler en ycelle maison; Si n'y ot mal, pechié; ne desraison, Ja n'en doubtast, car en nulle saison 816 Ne vouldroit faire, Ce disoit il, riens qui li deust desplaire. Et le mary, pour sa deshonneur taire, Faisoit semblant, quoy qu'il creust au contraire, 820 Qu'il creoit bien Ce qu'il disoit; mais oncques puis n'ot bien La dolente, car lors sur toute rien Lui deffendi cellui, de mal merrien 824 Que bien gardast, Que jamais jour en place n'arrestast Ou cellui fust, et que ja ne doubtast Que la vie du corps ne lui ostast 828 S'apercevoir Pouoit jamais par sens ne par savoir Qu'a lui parlast pour nul cas, recepvoir Lui feroit mort; ce lui faisoit savoir 832 Par grant promesse. Or fu tourné en doulente tristece L'amoureux temps qui tenoit en leesce Les deux amans, or ne voient adrece 836 Par nulle voye De jamais jour avoir solas ne joye, Tant ont doulour que vivre leur anoye, Ne leurs piteux regrais tous ne saroye 840 Conter ne dire, Ne le dur temps ne le crueux martire Que la lasse dame ot, car tire a tire Son dolent cuer fondoit comme la cire 844 En pleurs et lermes. Mais non obstant toudis constans et fermes Fu son las cuer en amours, dont li termes Estoit la mort attendre, n'autres armes 848 N'avoit d'espoir Qui gardassent encontre desespoir Son dolent cuer, et cheoite y fust apoir Se grant raison, qui en a le pouoir, 852 Ne l'eust gardée. Et le dolent amant d'autel souldée Refu payé; mais trop griefment fraudée Fu la lasse, plus loyal que Medée, 856 De ce que point N'osoit faire semblant par nesun point Du mal amer qui si au cuer la point. Dont moult souvent se mettoit en tel point, 860 Quant seule estoit, Qu'a pou ses jours et sa vie hastoit Et son cler vis tout de larmes gastoit, Mais en ce pleur moult petit conquestoit, 864 Car n'y ot tour De son ami veoir, car une tour, Forte de murs et close d'eaue autour, Bien la gardoit, n'il n'y avoit destour 868 Ne voye aucune, Fust en secret ou en voye commune, De lui veoir, ne maniere nesune; Dont moult souvent pleurant seule a la lune 872 Se complaignoit A vraye Amour que si la destregnoit. Et d'aultre part l'amant ne se faignoit, Ains en griefs plours le dolent tout baignoit, 876 En regraittant La belle qui de savoureux biens tant Faire li sieult, or en a autretant De griefs doulours dont se va guermentant 880 Piteusement. Mais non pour tant enquist soigneusement D'elle en secret et paoureusement Que le mary nel sceust aucunement, 884 Et par message Bon et secret, certain, loyal et sage, Lui escrisoit souventes fois la rage Ou ot esté, puis que son doulz visage 888 Et son gent corps Ne pot veoir, dont moult divers acords Font en son cuer desir et les records Des doulz soulas, dont lui souvient encors, 892 Qu'il a perdus; Si s'en treuve dolent, mat, esperdus, Et a tousjours yert du tout confondus S'il ne la voit, et, deust estre pendus, 896 Fault qu'il la voye, Et par escript tel complaint lui envoye: «Dame sans per, le chemin et la voye Qui a vie ou a mort me convoye, 900 Tout mon desir, Tout mon espoir, sans qui je n'ay plaisir, Celle qu'Amours desur toutes choisir En remirant vo beaulté a loisir 904 Me fist, ma dame Sage, vaillant, bonne sur toute femme, Que j'aim et serfs et obeïs, par m'ame, Plus qu'aultre riens, ne ne pourrait plus ame 908 Amer maistresse Que je fais vous, si oyez la destrece Ou suis pour vous qui si le cuer mestrece Que je n'y voy fors de la mort l'adrece 912 Se ne vous voy, Ma doulce amour, et tout vif me desvoy Quant je pense qu'ay perdu le convoy De vo doulz oeil; quant m'en souvient, avoy! 916 Je muir de dueil, Belle plaisant, de ma joye le sueil, Mon paradis terrestre, autre ne vueil, Reconforter le mal que je recueil 920 Vous plaise, hé las! Et que fera mon doloureux cuer las Sans vous veoir, mon gracieux soulas. Belle, bonne, qui me tient en ses las! 934 Or mettez peine Que vous voye, ma dame souveraine, S'il peut estre, car je vous acertaine Que grant desir a desespoir me meine 928 Tant me destraint, Et pour ce suis du requerir contraint; Mais non pour tant mieulz vouldroie estre estraint Jusqu'a la mort que cil qui a restraint 932 Noz doulz deduis, C'est le jaloux de tout mal faire aduis, Aperceüst qu'a vous servir suis duis Ne qu'en appert ou en aucun reduis 936 A vous parlasse; Non pas pour tant qu'en riens je le doublasse, Mais tout pour vous, dame qui toutes passe, De qui je vueil l'onneur en toute place 940 Tout mon vivant Garder, chierir; mieulx morir en vivant Vueil pour amer que ce qu'aille estrivant A vostre honneur. Dame, a qui suis servant, 944 Me pardonnez Se j'ay requis secours, car certenez Suis que par vous ne puet estre donnez A moy qui suy a grant meschief menez, 948 Mais plus me poyse De vostre mal, doulce dame courtoise, Que du tourment qui si griefment me poise, Car je sçay bien que, sanz mener grant noise, 952 Grant dueil portez, Ne que en riens vous ne vous deportez Sanz moy veoir, dont vous vous deportez A grant peine, car vo cuer raportez 956 A loyaulté Qui vous conduit en especiaulté, Car sur toutes portez la reaulté De vaillance, d'onneur et de beaulté, 960 Qui vous conduit, Et tous les biens font en vous leur reduit. Si ne pourriez pour loyaulté, qui duit Vostre bon cuer, joye avoir ne deduit 964 Sans vostre ami; Mais je vous pri, belle, pour qui gemy, Que vous vueilliez, tout pour l'amour de mi, Reconforter vo cuer qui sans demi 968 Est trestout mien Et esperer qu'encor arons du bien Maulgré le faulz, jaloux, desloyal chien! Car par souffrir bonnement, vous di bien, 972 Le gaignerons, Et l'eust juré, nous nous entr'amerons Et a grant joye encore nous verrons Et noz douleurs doulcement porterons 976 En esperant. Si ne diray plus que j'aille mourant Pour vous, belle, de qui en desirant Nomme le nom souvent en souspirant; 980 Si vous tenez Joyeusement, mais toudis maintenés Foy, loyaulté, ne moy qui suis penez Point n'obliez; s'ainsi vous ordennez 984 Mieulx en vauldrez N'envers Amours de riens ne deffauldrez, Ainçois a voz desirs trop moins fauldrez Par joye avoir, car par ce vous perdrez 988 Le faulz agait Du desloial mary qui en agait Est sans cesser, et, pour ce qu'en dehait Vous voit, toudis a vous gaitier ne lait 992 Ne jour ne nuit. Si confortez le mal qui si vous nuyt En moy amant, ne ja ne vous anuyt Un pou de temps qui ne demain n'anuyt 996 Ne passera, Ma doulce amour ou mon cuer pensera Tout mon vivant ne ja ne cessera De vous aimer tant que trespassera 1000 L'ame du corps. Cent mille fois et plus, mes doulz depors, Me recommand a vous et aux records Doulz amoureux que vous arez encors 1004 De voz amours, Et pri a Dieu par devotes clamours Que vo gent corps, garni de bonnes mours, En ce monde face long temps demours 1008 Par bonne vie Et puis après vostre ame soit ravie Avecques Dieu ou ciel, ou n'a envie, Et de tous biens vous soiez assouvie 1012 A tousjours mais.» Ainsi l'amant, servi de divers mais, Reconfortoit sa belle dame, mais En son las cuer tous maulz furent remais. 1016 Et puis la belle, Qui conforter pour nesune nouvelle L'amoureux mal, qui desoubz la mamelle Trop l'angoissoit, ne pot, adoncques celle 1020 Lui rescripsoit Piteusement et ainsi devisoit: «Beau doulz ami, en qui se deduisoit Mon cuer a qui vous tout seul souffisoit 1024 Pour seule amour Depuis le jour qu'il receupt la clamour De vo complaint, qui en lui fist demour, Sachiez de vray, cil par qui en cremour 1028 Vif en dongier, Que j'aime tant qu'il n'est riens qu'estrangier Peüst le mal qui me fait enragier, Quant ne vous puis veoir riens alegier 1032 Ne me pourroit Et mon las cuer de dueil ainçois morroit Qu'il s'esjoïst, car qui souvent orroit Ses griefs complains grant pitié en aroit, 1036 Ne il n'est dueil Pareil au mien, ne je n'ay autre vueil Fors de mourir et trop je me merveil Coment je vif, car sanz cesser je veil 1040 Ne ne repose. Et ce qui m'est encor plus dure chose C'est qu'il convient que ma dolour enclose Porte en mon cuer, ne semblant faire n'ose 1044 De mon meschief, Ne je n'espoir jamais venir a chief De cest anuy, car je ne voy bon chief De vous veoir jamais, dont, par mon chief, 1048 Je mourray d'yre! Et ce sera briefment. vous l'orrez dire, Et je desir que la mort hors me tire De ce grief dueil qui trop mon cuer martire 1052 Et mal demeine Ma doulce amour, puis que je suis certaine Qu'il n'y a tour jamais pour nulle peine Que vous voye et plus que riens mondaine 1056 Je vous desir. Et comment donc pourroye avoir plaisir, Dont me venroit quand je ne sçay choisir Aultre soulas qui feïst amesir, 1060 Pour nul avoir, Mes griefs peines n'espoir ne puis avoir? Car n'y a tour que peusse decepvoir Ceulz qui bien font en tous cas leur devoir 1064 De nous gaitier. Trés doulz ami, si n'y a nul sentier De vous veoir, n'en chemin, n'en moustier, Ne autre part, si ne puis apointier 1068 Nul autre tour. Si en mettez vo cuer hors de tristour, Laissiez a moy le duel faire en destour, Et vous prenez en faucon ou oustour 1072 Ou en deduit De chace en bois, amis, vostre deduit, Car a amant pour passer temps aduit. En ce prenoit Pyramus son reduit, 1076 Ou temps jadis, Quant pour rapors et desloyaulz mesdiz La trés belle Tysbé, en qui toudis Fu son vray cuer, c'estoit son paradis, 1080 Fu mise en mue, Qui pour meschief oncques ne fu desmeue De lui amer, car droit ne se remue Qui bien aime ne change ne ne mue 1084 Pour infortune. Mon vray ami, je n'y sçay voye aucune D'autre deport. Dieux qui fist ciel et lune Vous reconfort et moy qui par Fortune 1088 Suis mise au bas Doint brief finer, car de tous les esbas Quitte ma part et en plourant rabas Tous mes soulas, ne vueil autre repas 1092 Ne autre joye.» Ainsi la dame a son ami renvoye Ses griefs complains, ne n'y scet lieu ne voye Que jamais jour par nesun tour le voye 1096 Pour les agais Des mesdisans qui plus que papegais Vont barbetant et tousjours firent gais, Si ne fu plus son corps jolis ne gais 1100 Come ot esté. Ainsi Fortune ot tout mal apresté Aux deux amans et tout leur bien osté, Et ja par deux yvers et un esté 1104 Enduré orent Ces grans anuys, ne veoir ne se porent, Tant traveillier ne pener ne s'i sçorent; Dont tout l'espoir avoir perdu ilz dorent, 1108 Comme il sembla A l'amant qui gaires mais n'en troubla Et avec gent plus souvent assembla Qu'il n'ot apris et son corps affubla 1112 Plus sur le gay; Et tout ainsi com le cerf pour l'abay Des chiens s'enfuit, qui l'ont mis en esmay, Cil esloingna sa dame ou moys de may 1116 Qui renouvele Et oublia du tout en tout la belle Ne n'envoya plus messagier vers elle, Et accointa autre dame nouvelle 1120 Que il ama Tant et servi qu'a ami le clama Ne l'autre plus en riens ne reclama. Dont après moult l'en reprist et blasma 1124 La premieraine Qui bien un an après en fut certaine, Dont li pesa si durement qu'a peine N'en receupt mort, si n'ot mais tant de peine 1128 Des agaitans Comme el souloit, car toutes riens leur temps Ont et saison, ne riens n'est arrestans En un estat. Et ainsi, com j'entens, 1132 Un jour avint Qu'en certain lieu cellui amant survint Ou sa prime dame fu qui devint Vermeille ou vis; quant le vid lui sovint 1136 Du temps passé, Dont ne fu pas de son cuer effacé Le souvenir qu'Amours ot entassé Si que jamais il n'en sera lassé, 1140 Ains lui duroit Tousjours l'amour dont mains maulz enduroit Et de rechief durement souspiroit; Si se pensa que a lui parleroit, 1144 Car n'y ot gent Mie foison, ne gaitte ne sergent Qui en ce cas lui fussent domagent; Si l'appella adonc et bel et gent, 1148 Vers lui se trait Et commença a lui dire en retrait: «Ha! qui pensast en vous trouver faulz trait Ne que pour riens fussiez jamais retrait 1152 De moy amer Ne qu'on vous peust faulz ne mauvais nommer! Car tant de foys vous oÿ affermer Que mieulz vouldriez estre noyé en mer 1156 Que moy laissier Ne loyaulté enfraindre ne froissier, Et vous m'avez, dont moins vous doy prisier, Deguerpie, si n'en puis apaisier 1160 Mon cuer, par m'ame, Et faulz estes d'avoir fait autre dame Et desloyal vers moy! C'est grant diffame A vous certes a qui affiert grant blasme 1164 D'avoir ce fait!» Ainsi celle blasma cellui de fait; Tout en plourant se complaint du tort fait Qu'il a commis; mais il dit «que meffait 1168 Il n'a vers elle En nesun cas et a tort faulz l'appelle, Ne d'autre amer, soit dame ou damoiselle, Il n'a mespris et de son dit appelle 1172 Par devant tous Juges d'amours, et y fussent trestous, Soubsmettre veult que son corps soit aux loups Livré ou pris de malage ou de tous 1176 S'il est jugié Qu'il ait mespris ne qu'il soit estrangié De loyaulté, non obstant que changié Il ait dame sanz ce qu'il eust congié 1180 D'elle du faire; Devant juge ne pense mie a taire Ces grans raisons et comment neccessaire Il lui estoit de soy d'elle retraire 1184 Et mesmement Pour son honneur, car elle scet comment Il ne pouoit la veoir nullement Et le peril et grant encombrement 1188 Ou ilz en furent, Et mesdisans, qui encor en murmurent, Tout ce tourment par faulz rapors esmurent, Et telz parleurs aux amoureux procurent 1192 Trop de meschief; Et elle aussi lui manda de rechief Que jamais jour ne porroit par nul chief A lui parler ne en long temps n'en brief 1196 Le veoir plus, Dont longuement en fu morne et enclus, Mais n'estoit droit qu'il se rendit reclus A tousjours mais ou du tout fust desclus 1200 De joye avoir; Car sans amours ne pourroit recepvoir Nul joenne cuer joye, a dire le voir. Et doncques puis que pour nesun avoir 1204 Ne la pouoit Veoir, certes pourchacier se devoit En autre part, pour ce mespris n'avoit, Ce disoit il, du faire bien savoit; 1208 Mais s'il espoir D'elle veoir eüst eü apoir Il eust mespris, mais elle en desespoir Trop le mettoit, si n'avoit plus pouoir 1212 De soustenir La grant dolour qu'il lui falut tenir Par trop long temps; doncques pour revenir A reconfort li falu retenir 1216 Dame nouvelle Pour en avoir quelque bonne nouvelle, Car par long temps il n'avoit receu d'elle Fors que doulour; si a tort qui l'appelle 1220 Faulz pour ce cas.» Mais la dame qui ot le parler cas Pour le grief plour, ou elle chut a cas, Lui dist: «Certes ne vous fault advocas 1224 Pour raconter Vostre raison, mais je m'ose vanter Que, se juge loyal veult escouter Noz deux raisons, tort arez sanz doubter 1228 Si com moy semble, Car vostre cuer qui du mien se dessemble Si n'a trouvé en moy riens qui ressemble A fausseté depuis le jour qu'ensemble 1232 Premier parlames. Si n'avez droit, juge en fois toutes dames Et tous amans loyaulz et sanz diffames, Et si soustiens que vous n'avez deux drames 1236 De cause bonne. Si soit juge trouvé, bonne personne Qui de noz cas tous deux nous araisonne. Plus n'est mestier que je vous en sermonne, 1240 Au jugement Je m'en attens du tout entierement.» Atant fina d'eulz deux le parlement, Et tost après vindrent soingneusement 1244 En ma maison, De leur debat me distrent l'achoison En moy priant qu'oÿe leur raison J'en jugiasse, mais je dis qu'a foison 1248 Ilz trouveroient Ailleurs meilleurs juges qui mieulz saroient Droit en jugier; si distrent qu'ilz vouloient Que j'en jugiasse ou que ilz me prioient 1252 Que je leur queisse Juge loyal et bien en enqueïsse Et sur cellui tout le fait asseïsse; Et je leur dis que voulentiers feïsse 1256 Leur bon plaisir, Mais, s'en tel fait je devoie choisir Juge pour moy, ne vouldroie saisir Aultre que vous pour l'amoureux desir 1260 Bien discerner Et pour savoir bon jugement donner. Et lors distrent qu'en nul autre assener Ne pourroient mieulz, et pour ce ordener, 1264 S'il vous plaisoit, Vous vouloyent leur juge et souffisoit Vo jugement, si com chascun disoit; Pour ce, Sire, tout le fait sur vous soit, 1268 S'a gré vous vient. Et du tiers cas, si comme il me souvient, Je vous diray le fait, il apertient Puis que leur vueil a juge vous retient. 1272 Tel fu l'affaire: Un chevalier, si com j'ouÿ retraire, Avoit promis a tousjours sans retraire Toute s'amour a doulce et debonnaire 1276 Et bonne et belle Et si plaisant qu'aultre ne passoit celle Fors seulement qu'elle estoit domoiselle, Jeune d'age, simple comme pucelle 1280 Jolie et gente; Et elle aussi ravoit mise s'entente A lui amer, et de loial entente S'entr'amoient et bien, que je ne mente, 1284 Plus de deux ans S'entr'amerent leaument les amans. Ce me jura saint Julien du Mans Celle qui cuer ferme ot com dyamans 1288 Que d'un descort En leur amour elle n'avoit record; Ainçois tous deux furent si d'un accord Qu'oncques n'y ot un tout seul mesaccort 1292 En ce termine. Mais il n'est mur si fort que l'en ne mine Ne si grant tas, que qui veult mine a mine L'apetissier, que l'en ne le termine, 1296 Ne riens ne dure Sans avoir fin par le cours de nature En ce monde, n'il n'est chose tant dure Qui ne s'use, soit chaleur ou froidure, 1300 Et qui ne tire A quelque fin, et ainsi tire a tire S'usent amours souvent, s'ay je ouy dire, Et non obstant que souvent on souspire 1304 Par trop amer Et que les maulz d'amours soient amer, Si ne voit on mie amours affermer A tousjours mais, ains les ot on clamer 1308 Et c'est souvent, Fol s'i fie; fole amour est tout vent Qui peu dure et les cuers va decevant Et un espoir dont après ensuivent 1312 Va joye vaine. Ainsi fina, qui qu'en eust après peine, Ycelle amour qui souloit si certaine Estre, et puis fut desprise et incertaine 1316 Et deffaillie. Car l'amant qui l'amour en sa baillie De celle avoit, qui puis fu maubaillie Pour lui amer et en grief dueil saillie, 1320 Se changia tout Et delaissa et estrangia de bout Celle qu'amer souloit, et fu derout Leur joyeux temps qu'elle cuidast qu'a bout 1324 Ne deust ja estre; Si lui sembla qu'il estoit trop grant maistre Pour elle amer et voult en plus hault estre Mettre son cuer, et bien cuida a destre 1328 Droit assener. Pour haultement son cuer mettre et donner Si s'acointa, com j'oÿ raisonner, D'une poissant dame a qui sans finer 1332 Son cuer promist, Et tant l'ama et si grant peine y mist Qu'elle l'ama en la fin, tant lui dist Que il l'amoit qu'elle en grace le prist 1336 Et le retint Pour son servant et a ami le tint. Si ne sçay pas comment il s'i contint, Car pou dura l'amour, a qui il tint 1340 Ne sçay je pas; Mais il n'est nul qui vous deist en nul pas La grant doulour et le mauvais repas Que la lasse ot, qui auques au trespas 1344 Et mise en biere En fu pour lui la doulente premiere, Quant elle vid et perceut la maniere De son amant qui se tyroit arriere 1348 De sienne amour Et trop faisoit d'elle veoir demour Ne n'ot pitié de sa lasse clamour, Non obstant ce que souvent, en cremour 1352 Et a dongier, A lui parloit d'elle le messagier Et lui disoit pour quoy si estrangier Vouloit celle qui mie de legier 1356 Ne l'oblieroit Ains pour s'amour sans faille se morroit, S'il la laissoit, du mal qu'elle tiroit. Il respondoit qu'au plus tost qu'il porroit 1360 Yroit vers elle, Mais survenu il lui estoit nouvelle Qui l'empeschoit pour certaine querelle. Si s'excusoit ainsi de veoir celle 1364 Qui ne finoit De dueil mener, car bien apercevoit Que delaissier son ami la vouloit, Dont trop griefment la lasse se doloit, 1368 Mais pour neant Se travailloit et s'aloit delaiant, Car bien pouoit, s'elle estoit clerveant, Apercevoir qu'il s'aloit recreant 1372 D'elle sans doubte; Si en ploura en grant dueil mainte goute Et de courroux elle se fondi toute. A brief parler, du tout en tout desroute 1376 Celle amour fu, Et la laissa et la mist en reffu Le faulz amant, que fust il ars en feu! Ainsi celle bien vid et aperceu 1380 Qu'une aultre amoit, Dont longuement dolente se clamoit, Mais n'y ot tour: pour riens le reclamoit. Si s'en souffri quant vid qu'elle semoit 1384 Pour riens ses larmes. Car il n'est riens qui n'ait saisons et termes, Si n'estoit droit que tousjours mais fust fermes Son cuer en dueil qui fait perdre les armes 1388 Et corps en terre; Si apaisa son cuer de celle guerre Au chief d'un temps et ne voult plus enquerre De son amant n'aucune voie querre 1392 Pour luy veoir, Ne autre part sienne amour asseoir, Car d'amer plus ne lui devoit seoir En son vivant ne d'ami pourveoir 1396 Son cuer jamais, Ce lui sembloit, car trop lui fut remais Dolent penser pour amer et dur maiz, Si s'en tendroit, ce disoit, des or mais. 1400 Mais escoutez Ce qu'il avint de ce fait et notez Coment l'amant estoit peu arrestez, Car ains que fust l'an passé, ne doubtez, 1404 Il esprouva Grant fausseté en la dame et trouva, Ce disoit il; car s'il le controuva Ne sçay je pas, mais par ce se sauva 1408 D'elle laissier Et dist que cuer haultain et boubensier Avoit vers lui et legier a ploissier A autre amour plus que verge d'osier. 1412 Si lui souvint Des doulz plaisirs de celle qui devint Pale pour lui et comment y avint. Alors son cuer a raison se revint 1416 Et s'avisa Qu'il l'aimeroit, car oncques n'avisa Plus loiale, si comme il devisa, Ne pouoit mieulx; pour ce se ravisa 1420 Et repenti Dont oncques mais loiaulté lui menti Ne dont son cuer a aultre consenti. Si a dit lors comme vray converti 1424 Que humblement Lui requerroit mercis piteusement Et du meffait a son vueil vengement Prensit sur lui, mais qu'après bonnement 1428 Lui pardonnast Et de bon cuer loial elle l'amast, Si qu'en tout cas son vueil lui ordenast, Et se jamais failloit, si le blasmast 1432 Comme mauvais. Ainsi cellui voult pourchassier sa paix Devers la belle, a qui peu chaloit mais De son amour, et vers elle s'est trais: 1436 Si l'araisonne Moult doulcement et qu'elle lui pardonne Prie humblement, et de ce la sermonne Moult longuement et dist qu'oncques personne 1440 N'ama plus dame Qu'il l'aimera des or mais, par son ame! Et lors celle, en qui plus n'avoit la flamme De fole amour qui deçoit homme et femme, 1444 Prist a respondre Et dist «qu'on la devroit bien a sec tondre, Puis qu'elle estoit hors du meschief qui fondre Son cuer faisoit, pour prier ne semondre, 1448 S'a tel meschief Se mettoit plus; si ne l'aimeroit brief Puis que laissée il l'avoit de rechief, Ne s'i fieroit jamais par nesun chief 1452 Puis que deceue L'a une fois et mauvaistié perceue En lui; jamais n'en quiert avoir veüe, Ne plus ne veult estre d'amer meüe 1456 Certainement. Si ne lui en tiengne plus parlement, Car n'aimera jamais jour nullement.» Et cil respont et lui dit doulcement 1460 «Qu'elle aroit tort, Car repentant on ne doit mettre a mort Et le pecheur que conscience mort Dieu a mercy le prent, s'il se remort 1464 Com repentant.» Et celle dit «qu'il s'en peut bien atant Souffrir, s'il veut, car moult peu arrestant Il y seroit, quoy qu'il voit promettant, 1468 Mais que nouvelle Dame veïst qui lui semblast plus belle; Si n'en veult plus ouïr male nouvelle.» Et cil a dit «que de son dit appelle 1472 En jugement, Car monstrer veult par raison clerement Qu'elle grant tort lui feroit s'ensement Le guerpissoit, puis qu'a repentement 1476 De son meffait, Et se plaindra aux amans du tort fait Qu'elle lui fait et juge veult de fait Pour en jugier; car oncques si parfait 1480 Homs ne nasqui Qui ne mesprist, fors Dieu qui tout vainqui, Ce disoit il, ne si vaillant en qui N'eust vice aucun; et d'estre relenqui 1484 En tel maniere Ne seroit pas chose bien droitturiere, Et pour ce veult que loial juge on quiere; Et s'il est dit en si faitte maniere 1488 Qu'elle nel doie Prendre a mercy, aler s'en veult sa voye.» Et celle dit «qu'au jugement s'autroie, Mais non obstant elle veult toutevoie 1492 Que, ains que l'en rende Le jugement, aux dames on demende Leur bon avis, et si se recommande En leur priant que chascune y entende 1496 Diligement, Et puis si soit donné le jugement.» Ainsi greé cest accort bonnement Ont ambedeux; atant leur parlement 1500 Ont afiné. Et puis après de cerchier n'ont finé Juge par qui il soit determiné De leur debat et leur procès finé. 1504 Si sont venu Par devers moy, combien qu'apartenu N'ait pas a moy, et si se sont tenu Sur mon avis. Adonc m'est souvenu 1508 De vous, chier Sire, Si leur ay dit qu'il vous vueillent eslire, Car mieulx sarez de leur debat voir dire. Et droit jugier que moy; car a bon mire 1512 Doit le naivré. Soy adrecier, s'estre veult delivré De son grief mal, dont par vous decevré Le droit du tort soit: si ont recovré 1516 Droit justicier En vous, Sire, s'il vous plaist radrecier Le grant debat dont j'ai oÿ tencier. Mais or est temps de mon oeuvre avancier 1520 Et affiner, Le demourant commet a parfiner A vo bon sens, car bien sarez finer De ce qu'il fault a bien l'euvre affiner 1524 Et la parfaire. Si est saison que je m'en doie taire, Mais au dernier ver vueil dire et retraire Quel est mon nom, qui le voldra hors traire 1528 Comme il deffine. Et en la fin, de pensée enterine, Qui vous ottroit joye parfaitte et fine Pri Jhesu Crist, qui ne fault ne ne fine.
EXPLICIT LE DIT DES TROIS JUGEMENS
Rubrique: A2 ajoute qui s'adrece au Seneschal de Haynault—B1 Ci c. le dit d.
2 B g. en l.
3 B c. en f.
6 A2 c. duis et appris
9 B supprime a j.
10 B s. ou f.
21 B omet Pour
27 B et le d.
29 B m. en. m.
36 B N'y s.
46 A1 mate et
59 B1 l. nulle riens o.—B2 b. secours o.
75 A2 c. a q.
106 A2 d. v. r. o.
107 A2 m. dueil
111 A2 Si q. je ne
125 B l. s. entende
126 B q. j'en soye a l'a.
127 A1 q. guedon
131 A2 ne ja ne
161 A2 Mais p.
182 A1 que ou
184 A2 B Car p.
185 B1 e. doubtance
187 A2 B N. orroit
199 B1 au l.
22l A2 p. ij m.
238 B ne r.
255 B pour m. p.
273 B q. en m. l'a. de v. c.
273 A1 cessé
279 A2 ajoute vous ne v.
286 A1 p. f. et a.
330 B1 t. ou plus e.
365 B a. lors c.
366 A2 omet Qu'un
375 A1 chosir
393 B c. par n.
394 A1 folor—A1 Que on li faist
399 B1 omet amours
401 B omet de lui
406 B si mal d.
407 B en recevoit m.
409 A2 Que j.
433 B v. c. l.—A1 s. et a.
447 A1 c. esbaïst
454 A1 Donc
457 A2 Et ne
461 B l'a. un j.
466 A2 et de h.
493 A2 m. mal g.—A2 B ce me s.
494 B1 omet que
501 A1 que un
502 A2 Ce qu'il p.
515 A2 Tout ne
547 A1 serement
553 B et ses s.
569 B cuidiez—A1 a. velles
572 A1 c. vous p.
573 B omet toudis
577 A2 je y t.
583 A2 q. tant a
589 A2 Et a t. m. en d. s.—B en d.
595 A2 Et q.
602 A2 B p. autre c.
605 A2 A. avoye p. par m.—A1 par m. serment
610 B1 M'avez
611 A2 De v.
615 A2 d. tant m.
630 A1 supprime ja
639 A omet En
641 A Vouldroit
649 A2 et servant
655 A1 r. n'i v.
663 B e. ont mise leur r.
675 A2 B a. car c. me r.
677 B qu'en v.
697 B ot en li
699 A1 faussetté
703 A2 Ere v. et
706 Les mss. portent souveraine
717 B m. grans m.
731 A1 n'a r.
737 A2 porta
745 A2 Et t. h. ot a c. livré
759 A1 errent
761 B ot amer p.
770 B qu'elle ne pot c.
791 B omet a
792 A2 les d.
795 A1 et le p.
809 B Q. a. lors j.
811 A2 Et la t.
818 B p. son d.
829 A2 J. nul jour p. s.
841 B Ne le doulz t.
849 A1 encourre d.
863 A2 m. p. acquestoit
873 B De v.
879 A2 B d. s'en va
885 A2 B et s. l. ami et s.
891 B Les d.
893 A m. et e.
933 B de tous maulz f.
936 B Qu'a v.
950 A2 omet si
957 A2 v. porter en
961 B1 t. ces b.
965 B par q.
980 A2 Et v.
985 B Ne vers A.
990 A c. car p.
991 A1 a nous g.
1010 A1 B2 Avec D.
1019 B a. ne p. c.
1027 B S. amis p. q. vif en c.
1028 B Et en d.
1034 A1 oroit
1039 B v. et s.—A1 je vueil
1041 A1 encore
1059 B s. me f.
1061 A1 Mais g.
1070 B1 m. de d.
1073 et 1074 intervertis dans A2
1085 B1 je ne s.
1097 B De m.
1098 A1 borbetant—B fureut g.
1109 B1 ne t.
1117 A1 houblia
1135 A2 V. q. le v. si l. s.
1137 A2 p. en s.
1165 A2 ajoute Et a.
1197 B omet en
1205 B omet veoir
1213 A qui l.
1217 A2 a. fait une autre n.
1217 et 1219 intervertis dans A2
1253 B1 omet en
1269 A2 supprime Et
1307 A2 l. voit on
1309 A et t.
1321 A2 et remist en debout
1323 A1 que b.—B q. cuidoit
1333 A et tant g.
1337 B1 a amant
1338 B il se c.
1343 A1 q. oncques au—B Qu'en la l. et q.
1348 B De son a.
1373 A2 B en grief d.
1380 A2 B Que a.
1383 A1 que e.
1387 A2 c. ou d.—B2 l. ames
1393 B p. son a.
1403 B n'en d.
1409 A2 c. hault et
1446 A1 omet du m.
1454 A2 n'en j. q.
1470 A2 o. nulle n.—B vueil p.
1473 A2 C. p. r. v. m. c.
1486 A2 q.j.l.
1499 B adonc 1.
1506 A2 p. ami et
1509 A2 ait
1518 A1 d. je le oy—A2 d. les oÿ
1529 A1 entrine
1530 A1 joy p.
1531 On trouve dans ce vers l'anagramme de Cristine
Rubrique A1 Explicit seulement
NOTES
LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS (p. 111 à 157.)
33 à 681.—Cf. tome I, Autres Ballades, XIII, p. 221.
591.—Cf. tome I, Cent Ballades, LVI, p. 57.
LE LIVRE
DU DIT DE POISSY
(Avril 1400).
CY COMENCE LE LIVRE DU DIT DE POISSY
Bon chevalier, vaillant, plein de savoir, Puis qu'il vous plaist a de mes diz avoir Et le m'avez par escript fait savoir 4 De vostre humblece, Non obstant ce que ma povre foiblece Ne soit digne que vostre gentillece S'encline ad ce, j'en tendré la promesse 8 Que je promis Au messagier que vous m'avez tramis De loings de cy, et comme a vrais amis Me recommant a vous de cuer soubsmis. 12 A vo comant Si vous envoy faire ce jugement Dont deux amans contendent durement; Si m'ont prié et requis chierement 16 Que je leur quiere Juge loyal et que bien en enquiere Pour droit jugier leur descort en maniere Qu'il leur en doint sentence droituriere 20 Selon raison. Et non obstant qu'en France ait grant foison De bons et biaux, qui en toute saison Saroient droit jugier, pour achoison 24 Du bien de vous Vous ay choisy a juge desur tous, Tout non obstant soiez vous loings de nous, Si en vueilliez, s'il vous plaist, Sire doulz, 28 Le droit jugier. Et, s'il vous plaist a du fait vous chargier, Je vous diray le cas pour abrigier; Comme il avint vous orrez sans targier 32 Et en quel temps, La ou ce fu vous sera dit par temps, Car il n'a pas ne mille ne cent ans, Non pas un mois, ains fu en l'esbatans 36 Gracieux moys D'Avril le gay, ou reverdissent bois, Ce present an Mil quatre Cens ainçois La fin du mois. Il avint une fois 40 Que j'os vouloir D'aler jouer, si voulz aler veoir Une fille que j'ay, a dire voir, Belle et gente, joenne et de bon savoir, 44 Et gracieuse Au dit de tous; si est religieuse En abbaïe riche et precieuse, Noble, royal et moult delicieuse, 48 Et est assise Loings de Paris six lieues celle eglise, Qui moult faite est de gracieuse guise; Poissi a nom la ville ou elle est mise 52 Et celle terre. Si apprestay a un lundi mon erre, Compagnie plaisant envoyay querre Qui tout plaisir me vouldroient pourquerre 56 Sans deslaier, Si y avoit maint jolys escuier Qui de leur bien me vindrent convoier Pour esbatre, non pour autre loier. 60 Lors a grant joye Nous partismes de Paris, nostre voye Chevauchames, et moult joyeuse estoie; Si furent ceulx qu'avecques moy menoie 64 Et toutes celles, Ou il avoit de gentilz damoiselles, Doulces, plaisans, gracieuses et belles. Lors liement devisions des nouvelles 68 Et des estours Qui moult souvent aviennent en amours; En chevauchant gayement de mains tours Nous parlames, n'y ot muez ne sours 72 Ne nul taisant, Ainçois chascun y aloit devisant Ce que le mieulx lui estoit advisant; La n'avoit dit ne sonné mot cuisant 76 Mais tous joyeux. Si y chantoit qui savoit chanter mieulx, Si hault, si bien, que souvent tous li lieux Retentissoit, et ainsi qui mieulx mieulz 80 S'esjouïssoit Chascun en soy; et moult resjouïssoit Le temps nouvel qui adonc commençoit, Et le soleil clerement reluisoit 84 Sur l'erbe vert. Tout le chemin y fu plein et couvert De floretes, chascune a l'ueil ouvert Vers le soleil qui luisoit descouvert. 88 Mais en l'anée Il n'avoit fait si doulce matinée Et toute fu la terre enluminée De rosée que le ciel ot donnée, 92 Qui resplendir Fist l'erbe vert pour les cuers esbaudir, La n'avoit riens pour la terre enlaidir, Tout estoit bel pour amans enhardir 96 A bien amer. Parmi ces prez Nature ot fait semer Marguarites et flours qu'on sieult nommer Fleurs de printemps; partout veist on germer 100 Maintes diverses Herbes et flours qui a la terre aherses Encor furent, verdes, rouges et perses, Jaunes, indes, qui malles ne diverses 104 Ne furent mie. La ot la flour de ne m'oubliez mie, Souviengne vous de moy, qui n'est blesmie Mais vermeille, dont amant et amie 108 Font chappellez Et qu'il mettent souvent en anellez Pour devises et autres jouellez Qu'ilz se donnent jolis et nouvellez 112 Par druerie. Ainsi adonc fu la terre flourie, Mais il n'est nul qui deist la chanterie Des oysillons qui de voix trés serie 116 Nottes nouvelles Chantoient hault, et ces aloues belles En l'air sery disoient les nouvelles Du doulz printemps, chantant de voix ysneles 120 Et a haulx sons; Sur les arbres et parmi ces buissons Ces oissillons disoient leurs chançons; La peüst en oïr maintes lecçons 124 De rossignolz Qui disoient leurs virelais mignos, Et pastoures qui gardoient aignaulx Leurs chappellez faisoient a lignaulx 128 Parmi ces champs Tous purs de flours, en escoutant les chans Des oisillons et par buissons crochans. Près de Seine venimes approchans 132 A lie chiere. Si fist plus bel encor sur la riviere, Car oisillons de plus lie maniere Par ces ysles a haulte voix plainiere 136 Se deduisoient Si liement que tous esjouïssoient Les cuers de nous, et trop fort nous plaisoient Arbres et prez qui partout verdissoient, 140 Et ces saussoies Reverdissans et ces jolies voies Souef flairans; ces buissons et ces haies Ou rossignolz disoyent chançons gaies, 144 Et le doulz bruire De l'eaue qui en courant faisoit bruire Ces gors, ces pieux, pour noz cuers plus deduire, Si qu'il n'est dueil qui la ne deüst fuire 148 N'estre remis. Adonc d'errer nous sommes entremis Pour estre la a l'eure qu'os promis. Alors fichié s'est entre nous et mis 152 Un ventelez Doulz et plaisant, qui noz cours mantellez Nous soubslevoit souefs et freschelés, C'est zephirus qui boutons novellez 156 Fait espanir Et ces belles doulcetes fleurs venir Et aux amans donne maint souvenir De leurs amours; pour ce voult survenir 160 En celle place Que le soleil ne gastast nostre face, Ce fist Amours, ce croy je, de sa grace Qui l'envoya ainsi en tel espace. 164 Par le serain Chevauchames tant que tous main a main Arivames, encor ert assez main, Au bel chastel qui a nom Saint Germain 168 Qu'on dit en Laie. Adonc entrer nous convint en la gaie Doulce forest, mais ou monde n'a laye Gent ne lettrés, qui nel scet ou essaie, 172 Qui peüst croire Le doulz deduit du lieu, car j'ay memoire Que tout ainsi comme a marche ou a foire S'assemblent gent a tas, c'est chose voire; 176 Avoit atant De rossignolz en cellui lieu chantant, Qui ça et la aloient voletant, Qu'oncques je croy ensemble on n'en vid tant 180 Comme il eut cy, Qui disoient: «ocy, ocy, ocy Le faulz jaloux, se il passe par cy Sans le prendre n'a pitié n'a mercy 184 En no pourpris.» Et la forest espesse que moult pris Reverdissoit si qu'en hault furent pris L'un a l'autre les arbres qui repris 188 Sont, et planté Moult près a près li chaine a grant planté Hault, grant et bel, non mie en orphanté, Ce scevent ceulz qui le lieu ont hanté, 192 Si que soleil Ne peut ferir a terre a nul recueil. Et l'erbe vert, fresche et belle a mon vueil, Est par dessoubz, n'on ne peut veoir d'ueil 196 Plus belle place A mon avis, et qui peut face a face La ses amours veoir ou les embrace Je ne cuide mie que pou li place, 200 Car c'est deduit Trop avenant que d'estre en ce reduit Ou doulz printemps, ou oisillons sont duit De demener leur soulas et leur bruit 204 Ou temps d'esté. Si croy pour vray qu'Amours ot apresté A cellui jour toute gaye honnesté; Aussi croient ceulz qui orent esté 208 O moy le jour, Car d'esbatre ne cessames tousjour Rire et jouer, et chanter sans sejour, Ou deviser d'aucun parti d'amour. 212 Et la forest Nous passames et vimes sanz arrest Droit a Poissi, ou tost trouvames prest Quanqu'il convint et tout ce que bon est 216 A droit souffire. Quant descendus fumes, chascun s'atire Le mieulz qu'il peut de vesteure et se mire Si qu'en l'atour il n'y a que redire; 220 Et puis alames Ensemble en l'abbaïe vers les dames Au parlouer, et puis dedens entrames, Tout non obstant que portes a grans lames 224 Y ait moult fortes; Mais par congié on eut ouvert les portes. La trouvames dames de belles sortes, Car il n'y eut contrefaittes ne tortes 228 Mais moult honnestes De vestemens et des atours des testes, Simples, sages et a Dieu servir prestes. La nous firent noz amies grans festes 232 Et lie chiere. Adonc celle que j'aim moult et tiens chiere Vint devers moy, de trés humble maniere S'agenoilla, et je baisay sa chiere 236 Doulcete et tendre, Puis main a main alames, sanz attendre En l'Eglise pour servise a Dieu rendre; Si oÿmes la messe et congié prendre 240 Vosmes après, Mais les dames si nous prierent trés De boire un cop et ylec assés près Nous menerent en lieu bel, cler et frès 244 Pour desjuner, Car n'estoit pas encor temps de disner. Mais n'ommes pas loisir de sejourner La longuement ne gaires desrener, 248 Quant la soingneuse Et trés vaillant, noble religieuse, Ma redoubtée dame gracieuse, Marie de Bourbon, qui est prieuse 252 De celle place, Tante du roy de France, en qui s'amasse Toute bonté et qui tout vice efface, Si nous manda de sa benigne grace 256 Que allissions Devers elle, ne point ne laississions; Joyeux fumes de ce, ne voulsissions Que sans veoir elle nous yssissions 260 De ce pourpris. Si nous sommes deux a deux entrepris Et alames a la dame de pris: Par les degrez de pierre, que moult pris, 264 En hault montames Ou bel hostel royal, que nous trouvames Moult bien paré, et en sa chambre entrames De grant beaulté, si nous agenoillames 268 Lors devant elle, Et la trés humble dame nous appelle Plus près de soy et de mainte nouvelle Nous arainna doulcement, comme celle 272 En qui humblece A, et bonté et tout sens et noblece. Et tost après la trés noble princece, Fille du roy, qui venoit de la messe 276 Et est rendue En cellui lieu et voillée et vestue, A Dieu servir donnée et esleüe, A qui honneur est donnée et deüe, 280 Entre en la chambre, C'est ma dame Marie, joenne et tendre, Mais ne fu pas seule, bien m'en remembre, Ains mainte dame ot o soy, dont la mendre 284 Fu gentil femme, Noble, poissant, et avec celle dame Fu la noble fille de bonne fame Du conte de Harecourt, ait son ame 288 Dieu qui ne fine, Qui près estoit sa parente et cousine: Et adonc ma dame, sans plus termine, La prieuse se lieve et si s'encline, 292 Si fimes nous Trés humblement, si nous reçut trestous Si doulcement que ja ne fussions saoulx D'elle veoir, tant a le maintien doulz 296 Et humble chiere. Si nous plut moult a veoir la maniere Du bel estat royal qui leans yere, Toutes dames, car en nulle maniere 300 N'i entreroit Pour les servir nul homme, on n'i lairoit, Ne a elles aucun ne parleroit, S'il n'est parent, ou ceulz que il menroit 304 Avecques lui; N'on n'y lairoit jamais entrer nullui Fors par congié, a dongier, n'a par lui N'entre dedens seul, n'il n'y a cellui 308 Non en convent. Ne je ne sçay se il leur va grevant, Mais jamais jour pour pluye ne pour vent De la n'ystront et ne voient souvent 312 Les gens estranges. Et de belles plusiers y a comme angelz. Si ne vestent chemises, et sus langes Gisent de nuis; n'ont pas coultes a franges 316 Mais materas Qui sont couvers de biaulx tapis d'Arras Bien ordenés, mais ce n'est que baras, Car ilz sont durs et emplis de bourras, 320 Et la vestues Gisent de nuis celles dames rendues, Qui se lievent ou elles sont batues A matines; la leurs chambres tendues 324 En dourtouer Ont près a près, et en refectouer Disnent tout temps, ou a beau lavouer. Et en la court y a le parlouer 328 Ou a treillices De fer doubles a fenestres coulices, Et la en droit les dames des offices A ceulz de hors parlent pour les complices 332 Et neccessaires Qu'il leur convient et fault en leurs affaires. Si ont prevosts, seigneuries et maires, Villes, chastiaulx, rentes de plusieurs paires 336 Moult bien assises; Et riches sont, ne nulles n'y sont mises Fors par congié du roy qui leurs franchises Leur doit garder, et maintes autres guises 340 A la en droit, Dont me tairay, car qui conter voldroit Toutes choses longuement y mettroit. Si tourneray a parler or en droit 344 Coment prenimes De noz dames congié et nous enveimes; Mais ne l'omes mie quant le requismes, Tout non obstant notre devoir en feismes. 348 Ains voult, ainçois Que partissions, que bussions une fois Ma dame la prieuse, a basse voix Moult nous pria par doulz maintien cortois 352 De desjuner, Car en ce lieu nullui n'ose disner. Si nous convint son vueil enteriner, Et par pluseurs dames nous fist mener 356 En une chambre Belle, plaisant, la ou ot fait estendre Nappes flairans blanches et tapis tendre; Vins, viandes aportent sans attendre 360 A grant largece En vaissiaulz d'or et d'argent par noblece; Et les dames pleines de gentillece, Ou voulsissions ou non, de leur humblece 364 S'entremettoient De nous servir et les mez aportoient Delicieux et goute n'en goustoient, Dont nous pesoit fort, et moult se penoient 368 D'umble maniere De nous servir, Dieux leur rende la chiere Qu'ilz nous firent liement sanz enchiere. Et après ce devers ma dame chiere 372 Nous retournames Prendre congié et la remerciames, Puis les degrez du palais avalames, Vers le convent de rechief nous alames 376 Pour congié prendre Des dames de leans, car point mesprendre Ne voulsissions; lors nous pristrent a prendre Parmi les mains et nous vouldrent aprendre 380 Le trés bel estre De cellui lieu qui fu fait de bon maistre, Car ce semble droit paradis terrestre. Si nous firent devaler en leur cloistre 384 Qui tant est bel Que plus plaisant depuis le temps Abel. Ne fut veüs, car maint jolis chambel Y a ouvré, et sus maint fort corbel 388 Sont soustenues Les grans voultes, haultes devers les nues, Et par dessoubz pavées de menues Pierres, faittes a ouvrages, et nues 392 Luisans et belles, Et tout autour a haultes colombelles Bien ouvrées a fueillage et tourelles D'entailleure de pierre; ainsi sont elles 396 En tous les lieux Du cloistre grant, large et espacieux, Qui est quarré, et, a fin qu'il soit mieulx, A un prael ou milieu gracieux, 400 Vert, sans grapin, Ou a planté en mi un trés hault pin, Ne fut veü plus bel depuis Pepin, Si est fueillu et plus droit que sapin; 404 Bien y avient. Après ou reffectouer on revient Qui tant est bel que pas ne me souvient Qu'oncques si bel lieu veisse, et si contient 408 Moult grant espace; Hault, grant et cler est et luisans com glace, Les voirrieres y sont de belle face Et de menus karriaulx par la terrace 412 Est tout pavé Et si trés net qu'il semble estre lavé, Et près de la le chapitre est trouvé Qui est moult bel et gentement ouvré. 416 A brief parler Par tant de lieux biaux on nous fist aler Que du veoir ne nous poions saouler Ne nulle part n'y a que regaler, 420 Tant sont plaisans Et en esté delictable et raisans. Mais de conter ne doi estre taisans Comment partout, pour estre plus aisans, 424 Vient la fontaine Clere, fresche, doulce, plaisant et saine, Qui en ce lieu sourt de dois et de vaine Et par tuyaulx vait par leans, n'a peine 428 A il reduit Nesun leans, grant ne petit, je cuit, Ou ne voise fontaine par conduit. Es cuisines es grans pierres y bruit 432 Toudis et chiet A grans gorgons ne nul temps n'y dechiet; Ainsi partout leans ou il eschiet Est assise, dont moult bien en enchiet 436 A mains affaires Qui sont ou lieu, qui de repos n'ont gaires; Tonnes a vin, celiers de plusieurs paires, Fours, despenses et aultres neccessaires 440 Tous a compas Y sont assis, car en ce lieu n'a pas Petit convent mais plus grant qu'au Hault Pas, Ainsi partout nous trassames maint pas 444 Et par grans cours Larges, longues plus d'un cheval le cours, Ou grans chantiers de busche furent sours, Bien pavées et belles a tous tours. 448 Mais encor voulrent Plus nous monstrer les dames qui moult sçorent; Car leur dortouer ordenné comme il l'orent Et leurs beaulz lis, que sur cordes fait orent, 452 Ilz nous monstrerent; Mais en ce lieu de noz hommes n'entrerent Nul quel qu'il fust, car hommes ne monterent Oncques mais la, par droit s'en deporterent 456 A celle fois. Si est moult bel, grant, large, cler et cois. Bien ordenné et fait en tous endrois, Si qu'il pert bien qu'il fu fondé de roys 460 Et de grant gent Qui espargné n'y ont or ne argent. Après tout ce, li degré bel et gent Descendimes, trouvasmes nostre gent 464 Et de rechief Volmes aler ou moustier, ou maint chief A de maint saint, si volmes en tout chief Considerer le lieu, mais ja a chief 468 Je ne venroie De deviser la beaulté qu'y veoie, Car tant est bel, hault, cler, se Dieux me voye, Que sa beaulté retraire ne saroie 472 Entierement, Et semble estre fait tout nouvellement, Tant est fin, blanc, et le maçonement Et ens et hors fait si joliement 476 Qu'on ne pourroit D'or ne d'argent ouvrer en nul endroit Mieulx qu'ovrées sont pierres la en droit. A brief parler, a souhaidier fauldroit 480 Qui vouldroit mieulx; Et si est grant et large, se m'aist Dieux, Et hault voulté a piliers gracieux, Qui soustiennent l'edifice, et li lieux 484 Moult bien ouvrez. Et le moustier est en deux decevrez A fin qu'omme d'elles ne soit navrez; N'y entreroit nesun pour dire: «ouvrez», 488 Ne d'aventure, Car ou milieu il a une closture Qui le moustier separe sans roupture; Ceulz qui dient la messe et l'escripture 492 De l'euvangile Si sont de hors et les gens de la ville, Et en la nef sont les dames sanz guile Qui respondent de haulte voix abile 496 A ceulz de hors Et de leurs voix femmenines accors Font gracieux; et vegiles de mors, Nonne, vespres, matines et recors 500 Chantent leans. Mais il n'est nul, tant fust il clerveans, Qui racontast, et tout seroit neans, Comment toutes choses y sont seans, 504 Ne je n'en mens, Car il y a tant beaulx aournemens, Riches, nouveaulz, et nobles paremens Sur les autelz et tous estoremens, 508 Et ces doreures Sur chapitiaulx et pomiaulx a pointures D'or et d'azur, tant belles pourtraitures, Biaulx ymages et propres pourtraitures 512 Selon la guise Que il convient a paremens d'eglise, Qu'il n'est chose qui n'y soit a droit mise, Dont les dames et le lieu chacun prise 516 En tous affaires, Car devotes, sages et debonnaires Simples, doulces sont, et portent deux paires De vesteures, carfros et scapulaires, 520 Et leur gonnelle Qui est dessoubz blanche est com noif nouvelle, Large, floutant, ceinte soubz la mamelle, Mantel de noir ont dessus, n'y a celle 524 Qui aultre aroy Ait a vestir, neis la fille du roy, Et de ventres de conins sanz desroy Sont ces manteaulz fourez de bon conroy, 528 Mais bien ont robes De bons fins draps, ce ne sont mie lobes, Tout ne soient ne mignotes ne gobes, Blanches, nettes, sanz ordures ne bobes, 532 Et cuevrechiefs Blans comme noif, desliez sur leurs chiefs, Et un voille noir dessus atachiez. Sans cointise, simplement sanz pechiez 536 Sont atournées, Et en tous cas si bien sont ordenées Que je les tiens pour de bonne heure nées D'estre ensement a servir Dieu données; 540 S'il leur souffist: Oïl, je croy, car c'est leur grant proffit, Ne oncques mais nulle ne s'i meffist Et bien leur plaist servir Dieu qui les fist 544 En celle guise. Quant nous omes bien remiré l'eglise, Clere com jour et couverte de bise Pierre ardoise, bien taillée et assise 548 Comme il convient, Et tout le lieu qui grant place contient, Encor dient que veoir nous convient Leurs beaulx jardins, la ou maint bon fruit vient. 552 Si nous menerent En leurs jardins celles qui se penerent De nous faire plaisir et ne finerent Tant que leans fumes, ne s'en tanerent. 556 Mais pour voir dis Que ce semble estre un trés doulz paradis, Et y est on tout d'oisiaux essourdis, Car la, je croy, plus de soixante et dix 560 Y a de paires D'arbres portans fruit, et est cilz repaires Tout de haulz murs bien clos, ne il n'est gaires Choses estans en jardins neccessaires 564 Qui la ne soient. Et un beau clos, y a que moult prisoient Ceulz et celles qui en la place estoient, La y a dains a cornes qui couroient 568 Moult vistement; Lievres, connins y sont habondamment, Et deux viviers la sourdans proprement, Bien façonnez de tout estourement, 572 Pleins de poisson; Chevriaulx y a sauvages a foison, Qu'en diroie? Ja en nulle saison Ne fussions las d'estre en celle maison, 576 Se Dieux me gart, Tant y fait bel. Mais ja estoit moult tart Temps de disner au convent, ou sa part Celle perdroit qui y vendroit a tart 580 Et durement Reprise fust; et adonc haultement Ont le timbre sonné: le partement Convint faire lors bien hastivement 584 A grant reclaim, Et ma fille, qui toudis par la main M'aloit tenant, de cuer de desir plein Moult me prioit a jusque a l'endemain 588 De sejourner Et retourner leans après disner Nous voulsissions. Adonc falu finer Nostre parler et nostre erre ordener, 592 Et la portiere Bonne, sage et de doulce maniere, Et celles, qui tant nous firent grant chiere, Merciames; adonc la claceliere 596 A dessarrées Les grans portes, fortes et bien barrées, Hors yssimes, puis les ont ressarrées. Mais de celles qui la sont demourées 600 Et de la place N'y a cellui qui grant conte ne face; Tout en parlant vismes en pou d'espace Ou lieu qu'on dit Bourbon, ou gent s'amasse 603 Pour bien lougier. La trouvames tout prest nostre mengier, Si assismes au disner sans targier, Mais n'avions pas besoing de nous chargier 608 De grant viande, Mais on feroit bien une grant legende Du long parler de la chiere trés grande Qu'on nous ot fait et du lieu ou lavande 612 Croist et rosiers A grant foison sans façon de closiers, C'est es jardins ou a maint cerisiers, Et du beau lieu qui n'est pas clos d'osiers 616 Mais de cloison Fort et belle pour oster l'achoison Des maulx qu'on fait au monde a grant foison. Ainsi fu la ditte mainte raison, 620 Et puis lavames Après disner noz mains et nous levames, Et tout en piez une piece parlames, Puis reposer un petit nous alames, 624 Tant qu'il fust temps De retourner ou lieu si delittens; Car quant a moy me sembloit bien cent ans Que g'y fusse, mais gaires arrestans 628 Ne fusmes mie Après disner, je croy, heure et demie Quant celle, qui est maistresse et amie De ma fille, nous manda; endormie 632 Ne fus lors pas Et de dormir oz ja fait mon repas. Si esveillay les autres, et le pas Nous alames en devisant tout bas 636 Jusques au lices De la grant court de hors, ou edifices A grans et biaulx pour les gens des offices Qui sont au lieu neccessaire et propices. 640 De la nous vismes Au parlouer, longuement nous y tismes; Car d'entrer ens a peine nous chevimes Et requerir de grace le feïsmes 644 A la trés sage Ma dame la prieuse au franc corage. Car d'entrer ens deux fois n'est pas usage N'a estrangiers ne a ceulz du lignage 648 Non en un jour, Mais bien estre y voulsissions toutjour, Car aux hommes trop plaisoit la doulçour De ces dames qui de moult simple atour 652 Furent voillées; Si ne furent ne noires ne hallées, Mais comme lis blanches et potellées. Si sont de nous les nouvelles alées 656 Devers ma dame Qui l'entrer ens souffri; ce fu par m'ame A grant peine, car pour tant s'elle est femme De tel honneur, si craint elle le blasme 660 Des ancïenes. Quant ens fumes, les dames trés humaines Nous menerent ou jardin vers fontaines; La nous sismes et de choses mondaines 664 Pou devisames, N'y parlames d'amours ne ne dançames, Ains enquismes tout et leur demandames De leur ordre les poins, et n'y pensames 668 Decepcion, La n'ot parlé fors de devocion, De Dieu servir en bonne entencion, Et d'oroisons et de la Passion 672 Et de telz choses. Car les belles, plus freschetes que roses, Qui moult joennes furent ou lieu encloses, N'oyent parler fors de si faittes proses 676 En nul endroit, Et grant pechié feroit qui leur touldroit Leur bon propos. Et quant fu temps et droit De nos partir, lors nous levames droit 680 Pour congié prendre, Car demourer la trop on puet mesprendre; Mais nous convint le vin ainçois attendre: Si mengiames et bumes, et reprendre 684 De leurs joyaulx Il nous covint, non fermillez n'aniaulx Mais boursetes ouvrées a oysiaulx D'or et soies, ceintures et laz biaulx, 688 Moult bien ouvrez, Qui autre part ne sont telz recouvrez. Si leur deismes: « Dames, or nous ouvrez, Temps est d'aler, a peines decevrez 692 De vous serons, Mais guerdonner jamais ne vous pourrons Ne mercier assés, et ou serons Vos bons servans estre tousdis voulrons, 696 Et commander Vous nous pouez et au besoing mander Com les vostres, s'il vous plaist demander. » Ainsi parlant venimes sans tarder 700 Tout a loisir Vers la porte. Lors failli mon plaisir Si que des yeulx convint larmes yssir Quant je laissay celle ou est mon desir, 704 Qui m'est prochaine; En la baisant li dis « a Dieu » a peine, En l'enortant qu'a Dieu servir se peine, Et de toutes congié pris mate et vaine, 708 Et par pitié; Mais ceulz, qui la furent, de m'amistié Me blasmerent, dont j'oz cuer dehaistié Et a parler pristrent d'aultre dittié 712 Pour m'oublier Et moy tollir a malencolier, Dont je les doz de leur bien mercier. Ainsi parlant alions sanz detrier 716 A voix serie, Tant qu'au logis a nostre hostelerie Fumes venus, ou une galerie A et dessoubz une place fleurie, 720 Moult belle et gente, Et un jardin joly ou a mainte hente. Lors d'entrer ens nous mismes a la sente. Quant y fumes, adoncques sans attente 724 A chiere lie Une belle damoiselle jolie Jeune, gente, fresche, gaye et polie, Qui fu o nous, dist sans melancolie: 728 « Cy que ferons? Si vous m'en creez, trestous nous dancerons Et la carole yci commencerons. » Lors distrent tous: « Ne vous en desdirons. » 732 Si commença La dance adonc et chascun se pensa De sa chançon dire; si s'avança Celle qui au premier les empressa 736 Et sa chançon Dist haultement et de gracieux son Ou il avoit en la prime leçon: «Trés doulz amis, de bien amer penson.» 740 Et puis après Un escuier qui d'elle fu emprès, Qui moult courtois est et bel et doulz trés, Et voulentiers de chanter est engrés, 744 Voix enrouée Il n'avoit pas mais doulce et esprouvée, Si a dit lors, ne sçay s'il l'ot trouvée: « Gente de corps et de beaulté louée. » 748 Et de renc puis Chascun chanta tant qu'il fu près de nuys, Car le dancier ne tournoit a anuys A nul qu'y fust. Si fu le souper cuis, 752 Ce nous dist on, Adonc de la dance nous departon, Ou il avoit maint joli valeton, Mainte belle pucelle a doulz menton, 756 Mignote et gente, N'estions pas seulz mais bien, que je ne mente, Y avoit la, ce croy je, plus de trente Tous joenne gent et de joyeuse entente, 760 Que de nous gens Que d'autre gent, trestous mignoz et gens, Qui de servir deduit sont diligens Et bien semblent estre d'amours sergens 764 Moult amiables. Congié pristrent, adonc seismes aux tables Qui ou jardin soub treilles delictables Furent mises, adonc les mez notables 768 Nous aporterent Noz maignées, mais ne se deporterent Mie atant, ainçois nous presenterent Celles que Dieu et noblece enorterent 772 A tous biensfais, Car ma dame la prieuse un beau mais Nous envoya et de son bon vin, mais De meilleur vin ne buvra homs jamais 776 De Saint Porçain, En poz dorez, largement et a plain. Pour ce le fist qu'o nous avoit tout plain Des gens du roy, vaillans et de sens plein, 780 Trés noble gent. Si rendismes les biaulx vaissiaulz d'argent, Humble mercy en nous moult obligent A ma dame et mercy a son sergent 784 Qui l'aporta; Mais le convent pas ne se deporta, Car de par les dames nous enorta Un messagier salu et raporta 788 Bonnes goieres Bien sucrées, bien faittes et legieres, Pomes, poires de diverses manieres. Lors de leurs biens et de leurs bonnes chieres 792 Les merciames. Et après ce d'aultre chose parlames Et en propos de pluseurs cas entrames Et d'un et d'el la en droit devisames, 796 Tant qu'il avint Que a parler de chevaliers on vint: De ce royaume et d'autres plus de vint Furent nommez et de pluseurs souvint, 800 En celle place, Qui ont bonté, sens et valoir et grace. Qui plus a fais de beaulz fais et qui passe Autres en pris fu dit en cel espace, 804 Et qui se porte Si vaillamment que renom on lui porte En toutes pars, tant est de gentil sorte; Et ou prouece et valour n'est pas morte, 808 Fu raconté, Et ceulz qui plus ont les armes henté Et les hentent et qui plus surmonté Ont en beaulz faiz et ceulz qui voulenté 812 Ont et desir De faire bien, et qui ont leur plaisir De voyagier ne ne prenent loisir De nul repos et ne vueillent choisir 816 Aultre deport, Liquel sont bel et liquel joenne et fort, Et qui le mieulx se revenche de tort. Ainsi de ceulz lors devisames fort 820 A long sermons; Et adonc vous, Sire, que je semons Du jugement jugier, entre les bons Fustes nommé, pour tant s'oultre les mons 824 Estes adès, Car voiagier plus que Cleomadès, Vray fin amant comme Palamedès, Fustes nommé, et bien leur sovint des 828 Beaulz vacellages Que avez fais pluseurs fois en voiages Et corps a corps rabatus les oultrages De mains autres et porté les grans charges 832 En mainte guerre, Et la fu dit qu'il ne convenoit querre Nul chevalier meilleur en nulle terre, Ce savoit on en France et Angleterre 836 Et oultremer, Et en maints lieux allieurs, ainsi nommer Vous oÿ bon et pour voir affermer Que plus loyal oncques es fais d'amer 840 Ne fu de vous, Bel, gracieulx, franc, amiable et doulz, Ce disoient pluseurs qui avec nous Furent venus et noble gent trestous 844 Qui cognoissoient Vous et voz fais et du bien en disoient Si largement que voulentiere louoient Ceulz et celles qui en la place estoient, 848 Et de ditter Meisme en françois et gayement chanter Vous louoient, et voulentiers henter Dames d'onneur pour plus en vous planter 852 Toute noblece. Lors quant j'oÿ parler de vo sagece, Comme autrefois aye de vo prouece Ouÿ parler, je fis veu et promesse 856 Que je feroye Aucun beau dit et si l'envoyeroie A vous, Sire, quant messagier aroie, Car voulentiers vostre acointe seroie 860 En tout honnour, Car a tous bons on doit avoir amour. Adonc ot un qui lors dist sans demour Que ou païs, ou vous estes, un tour 864 Et sans targier Devoit aler, et se de ce chargier Le vouloie, voulentiers messagier Il en seroit. Et adonc du mengier 868 Somes levé, Dites graces après qu'omes lavé; Tout en parlant, par dessus le pavé Somes alez jouer tant que trouvé 872 Avons les champs, Ou grant deduit prenions d'oïr les chans Des rossignolz quant fumes approchans Des ysletes sur Seine, ou acrochans 876 Engins avoit Rez et filez pour prendre la en droit Le gros poisson se celle part venoit, Et moult joly païs entour soy voit 880 Qui la demeure, Car prez et bois, saulsoies qu'on labeure On peut veoir et vignes par desseure. La chantames et jouames une heure 884 Tant qu'il fut nuyt. Si laissames atant nostre deduit, Car il fu temps de soy traire au reduit. Lors devisans, sans riens qui nous anuyt, 888 Nous en tornames A nostre hostel ou a joye couchames. Et au matin la messe oïr alames, Primes congié des dames, puis montames 892 Sur haquenées Grosses, belles, gentement ordennées, Qui ains partir furent bien desjunées; Si fusmes nous pour ce que matinées 896 Furent longuetes. Lors au chemin par ou croissent herbetes Nous sommes mis et de flours nouveletes Eusmes chapiaulx, et parlant d'amoretes 900 Chevauchions fort Par la forest, pleine de grant deport, Ou oisillons font maint divers accort, Qui aux amans fist plus poignant record 904 De leurs amours. Lors s'avança en chevauchant tousjours La plus belle de toutes, et le cours Bien d'un cheval fu loins, et par destours 908 Aloit pensive; Mais les autres chantoient a l'estrive. Et quant je vi celle si ententive A fort penser, doubtay que maladive 912 Fust ou doulente, Car palie trop estoit et moult lente A soulacier, peu y avoit s'entente; Pour ce eus paour que d'aucun mal en sente 916 Fust ou troublée Pour quelque cas. Lors un de l'assemblée Qui bien voulsist avoir amour emblée, Ce croy je bien, et aucune affublée 920 D'amour entiere Vais appeller, ne en la place n'yere Nul escuier de plus gente maniere, Ne plus gentil ne de meilleure chiere, 924 Mais souspirant Aloit souvent, bien croy qu'en desirant Avoit maint mal. Lors dis en lui tirant: «Beau sire, veez com celle retirant 928 S'en va lontaine De nous; certes, je me doubt qu'elle ait peine De quelque anui ou qu'elle ne soit saine, Vers elle alons, qu'elle ne soit trop vaine 932 Ou a mal aise; Car ne cuid pas que sans cause se taise.» Et cil respont et dit: «Par saint Nicaise! Aler y fault, car elle n'est pas aise 936 Ce croy je bien.» Lors son cheval brocha et je le mien, Et en pou d'eure aconsumes le sien. Si lui dis lors: «Quel chiere? Avez vous rien 940 Qui bon ne soit Que si pensez?» Et celle demussoit Son visage, et pour ce le baissoit Que trop grief plour durement la pressoit, 944 Ne vouloit mie Qu'aperceussions que larme ne demie De l'ueil gitast ne qu'elle fust blemie. Et quant celle qui moult estoit m'amie 948 Je vi pleurer Trop m'en pesa, et lors, sans demourer, M'en tyray près, car moult volz labourer Ad ce savoir qui si fort acourer 952 Fist la doulente; Si lui priay de toute mon entente Que l'achoison me deïst sans attente Qui la troubloit et pour quoy se demente 956 Si durement. Adonc celle prist plus parfondement A souspirer et plourer tendrement. Quant l'escuyer perceut le plourement, 960 Tant en ot dueil Que les larmes lui en vindrent a l'ueil Et, com cellui ou tout bien ot recueil, Très doulcement lui dist et de bon vueil: 964 « Ma damoiselle Doulce, plaisant, trés gracieuse et belle, Ne nous cellez desplaisir ou nouvelle Que vous avez, car je vous jur, par celle 968 Vierge Marie Qui Dieu porta, qu'en vous sera tarie La grief douleur dont je vous voy marrie, Se c'est chose qui puist estre garie 972 Par mon labour. Si vous requier et pry par grant amour, Ne nous celez vostre trés grant doulour, Car bien savez qu'en tous cas vostre honneur 976 Vouldrions garder. Si nous dites vostre cas sanz tarder Et puis vous plaise a dire et commander; Se nullement il se puet amender 980 Je le feray, Sachiez de vray et secret vous tenray. » Et je li dis: « Amie de cuer vray, Ne nous celez vostre anuy ou seray 984 Trop courrouciée, Car ne croiez qu'il me plaise ne siée Dont si vous voy estre mal apaisiée, Si vous suppli que soiez acoisiée 988 Et nous contez Pour quoy adès si grant dolour sentez. » Et lors cellui de rechief presentez S'est a elle, si lui dist: « N'en doubtez, 992 Doulce, courtoise, Que l'amender vouldray comment qu'il voise. » Et lors celle respont a basse noise: « Vostre mercy, mais riens n'est qui racoise 996 Mon grief anuy Qui n'est mie commencié ne yer n'uy, Mais laissiez moy plourer: a nul ne nuy, Ne vous doit point chaloir de fait d'autrui; 1000 Laissiez m'ester, Car ne pourriez ma grief pesance oster, Ce poise moy dont m'oiez guermenter, Mais le grief plour ne puis ore arrester 1004 Qui si me point, Dont me desplait, car il vient mal a point, Mais de pieça, sachiez, suis en ce point, Non obstant ce que je n'en vueille point 1008 Faire semblant Devant les gens, combien c'aille tremblant Souventes fois du mal qui si troublant Va mon las cuer, mais je me vais emblant 1012 Souventes fois D'entre les gens, et lors mon grief duel fois.» Adonc respont cellui qui fu courtois: «Hé las! pour Dieu, gracieuse aux crins bloys, 1016 Ne nous cellez, Mais nous dittes vo mal, se vous voulez, Car pour voir croy que d'amours vous dolez, Mais il n'est nul qui soit plus affolez 1020 Las! que j'en suis, Quelque chiere que je face, et ne truis Nul bon repos et de joye suis vuis, Dont je me doubt qu'Amours a ouvert l'uis 1024 De ma grief mort; Ne point n'est tant grande, je m'en fais fort, Vostre doulour com le mal que je port, Car il n'est nul qui peust plus grief effort 1028 De dueil sentir Sans mort souffrir, car souvent consentir Me vueil a mort com d'amours vray martir Et d'entre gent m'esteut souvent partir 1032 Pour dueil mener. Si vueilliez donc vostre grief plour finer, A moy laissiez le grant dueil demener Qui plus en ay et dont me fault pener 1036 Toute ma vie.» Adonc celle qui n'ot de riens envie Fors de plourer dont n'estoit assouvie, Revint un pou a soy comme ravie 1040 Et dist: «Hé las! Comment puet cuer avoir moins de solas Que le doulent mien, douloureux et las! Et puis qu'il fault que descueuvre le laz 1044 Qui si me lie, Par quoy je suis en tel melancolie Que de dueil muir, ou soit sens ou folie, Et la cause pour quoy ne suis pas lie 1048 Je vous diray De mot a mot, ne ja n'en mentiray, Et la chose qu'oncques plus desiray, Et pour quoy plus de mal tire et tiray, 1052 Ja a long temps; Car a vo dit souffrez, si com j'entens, Plus mal que moy, mais ne suis consentens De croire que nul ait pis, et par temps 1056 Le voir sarez; Mais, avant tout, vo foy me baillerez Que tout le voir vous me regeïrez De vostre anuy et le mien celerés. » 1060 Adonc respont Cil qui maint mal dedens son cuer repont: « Tenez ma foy, car Cil qui fist le mont Me puist grever quant chose diray dont 1064 Soiez dolente, Et tout le mal qu'il convient que je sente Par trop amer vous diray sans attente, Mais qu'aiez dit le vostre et la tourmente 1068 Qui si vous tient. » Adonc celle qui trop d'anuy soustient Un grant souspir gita qui du cuer vient, Et puis a dit: « Or diray dont me vient 1072 La grant doulour Dont j'ay palie et tainte la coulour Ne qu'oublier ne puis de ma folour Et qui mon las dollent cuer noye en plour 1076 Souventes foys. Sire, il a bien sept ans et plusieurs moys Que je donnay m'amour au plus courtois Et au meilleur chevalier a mon chois 1080 Qu'on peust trouver En ce monde, car par soy esprouver A tous bons fais on le pouoit prover Pour le meilleur de tous; ainsi sauver 1084 Me vueille Dieux Com je ne cuid qu'il soit joene ne vieux Homs plus parfait adès dessoubz les cieulz; Car on ne peust esgarder de deux yeulz 1088 En nul endroit Nul plus trés bel, car long cors grant et droit Et si bien fait qu'a souhaidier faudroit Qui vouldroit mieulx, en riens ne l'amendroit, 1092 Et le coursage Il avoit bel a droit, aussi visage, Car cheveleure crespe ot et plumage Sus le brunet; mais sur tous l'avantage 1096 Ot de beaulté Son trés beau front karré en loyaulté, Car grant et large en especiauté Fu, avec ce portoit la royaulté 1100 De beaulx sourcilz; Longs enarchiez, bruns, grailles furent cilz Sur les doulz yeulz qui des maulz plus de six M'ont fait et font et livré mains soussis 1104 Et maint grief dueil, Car oncques homs ne porta plus doulz oeil Brunet, riant, persant, de doulz accueil, Qui ont occis mon cuer, mais son entreoeil 1108 Fu large et plain, Et son regart tant fu de doulçour plain Qu'il m'a donné le mal dont je me plain, Car quant sur moy l'espart venoit a plain. 1112 Je vous dy bien, Contenance n'avoie ne maintien, Car a mon cuer sembloit qu'il deist: «ça vien», Tant le tiroit a soy comme tout sien. 1116 Nés trés bien fait Longuet a point, traittis sanz nul meffait, Droit, et selon le vis si trés parfait Que le viaire en grant beauté reffait; 1120 Mais a merveilles Ses trés belles levres furent vermeilles, Grosses sans trop: n'ot pas jusqu'aux oreilles Bouche grande, mais petite et com fueilles 1124 De vert lorier Souef flairant ou rose de rosier; Li dent fin, blanc; petit, net et entier, Menton rondet; encor ot pou mestier 1128 De barbe faire, Car joenne estoit, et son trés doulz viaire, Qui de beaulté fu le droit exemplaire, Sanguin et plein, riant pour a tous plaire 1132 Estoit sans faille; Et col bien fait, gros par la chevessaille, Mais espaules ot de trop belle taille, Larges, droittes, plaines, et ou qu'il aille 1136 Croy que son per Ne trouvera de braz a coups fraper Pleins de force, legiers pour agrapper Contre ces murs pour ces chastiaulz happer 1140 Et prendre a force, Si les ot longs, gros, bien fais; n'ot pas torce Sa belle main, de tout bien faire amorce, Droitte, longue et plus dure qu'escorce, 1144 Ferme et ossue; Mais la beaulté est en mon cuer conceue De son beau pis, quant m'en souvient j'en sue De grant doulour, car maintes fois receue 1148 Par amour fine G'y ay esté, car sa belle poittrine Large, longue, bien faitte en tout termine Passe toutes de beaulté, c'est la mine 1152 De toutes graces. Ventre ot petit, basset, et hanches basses, Gent par les flans, rains rondes, non pas casses, Grosses cuisses qui onc ne furent lasses 1156 De souffrir peines En fais d'armes, jambes longues et pleines, De nerfs seches, droites depuis les haines, Grosses assez, en bas grailes, sans veines, 1160 Bien façonnées. Mais ses beautez de nature ordonnées Trés parfaittes ne furent pas finées, Car en ses piez furent enterinées: 1164 Ne furent pas Grans ne petiz trop, mais faiz par compas Selon le corps, droiz, longs, pour faire pas Bien mesurez et pour saillir trespas 1168 A la barriere. Sa charneure ferme, dure et entiere, Souefve au tast et de bonne maniere, Clere, brune, plaisant et si belle yere 1172 Que plus ne peust. Ainsi fu bel, si qu'a peine le creust Nul se veü avant sa beaulté n'eust, Cil qui mon cuer avoit; droit fu qu'il l'eust, 1176 Car desservi Bien le m'avoit puis que premier le vi; Mais ne cuid pas c'onques plus assouvi Chevalier fust ou mond, je vous plevi, 1180 En toute grace; Car de proece avoit en toute place Sur tous renom du joenne age et espace Qu'il ot d'armer, et si estoit la masse 1184 De gentillece; De lignée astrait de grant noblece, Riche d'amis, d'avoir et de sagece, Et si estoit encor de tel joenesce 1188 Qu'a mon avis Vint et quatre ans n'ot encor assouvis L'eure et le jour que premier je le vis Et que mon cuer fu par ses yeulz ravis 1192 En son amour; Et son gent corps, de beauté fait a tour, Tant fut aisié qu'il n'estoit si fort tour, Fust en armes pour conquester honnour 1196 Ou a jouster, Lancier barres et dars, baston oster, Saillir, lutter, legieretez haster, Nul ne pouoit devant lui arrester. 1200 En toutes choses, A brief parler, toutes graces encloses Furent en lui, n'en diroie les closes Jamais nul jour ne en rimes n'en proses, 1204 Mais son arroy Jolis et gay fu cointe sans desroy Et de maintien vous semblast filz de roy, Tant fu plaisant et de gentil conroy, 1208 Et humble et doulz Fu entre gent et gracieux sur tous, Joyeux, riant, envoisiez, sans courroux, Et belle voix ot et haulte sans toux, 1212 Et entre dames Franc et courtois, et servoit toutes femmes A son pouoir, mais n'en oïst diffames Pour riens qui fust, et qui en deïst blasmes 1216 Ne le souffrist, Certes son corps ainçois a mort offrist! Et s'a feste venist ou il se prist A la dance, je vous jur Jhesu Crist 1220 Que le dancier Et le chanter ou a soy envoysier Tant li seoit, ou a jeux commencier, Qu'il n'estoit nul qui le voulsist laissier, 1224 Tant fu amé, N'oncques de riens, je croy, ne fu blasmé; En fais, en dis estoit trés affermé, Et ja s'estoit en tant de lieux armé 1228 Que renommée Estoit de lui ja en maint lieux semée, Tant vaillamment s'estoit en mainte armée Bien esprové; mais de lui si amée 1232 Fus par long temps Trés qu'il n'avoit encore pas vint ans, Qu'oncques encor homs ne fu plus constans En nulle amour, plus loyal n'arrestans 1236 Qu'il fu en celle, N'oncques ne fu dame ne damoiselle Mieulx servie d'amant, non tant fust belle, Qu'il me servi; ainçois que sa querelle 1240 Voulsisse entendre Et en griefs plours sa belle face tendre Souvent moilloit, priant qu'a mercy prendre Le voulsisse, tant qu'Amours me fist rendre 1244 Et recevoir Sa doulce amour, mais tant fist son devoir De moy servir qu'oncques, a dire voir, Plus loiaulté ne pot amant avoir 1248 Envers sa dame. Si m'amoit tant et moy lui, par mon ame, Que n'avions soing ne d'omme ne de femme Ne d'autre riens, fors d'amer sans diffame 1252 Trés loyaulment. Ainsi deux ans regnames doucement Sanz avoir grief ne nul encombrement, Si n'avions soing ne autre pensement 1256 Qu'a bien amer. Lasse! doulente! or fault dire l'amer Qui mon dolent triste cuer faist pasmer Et qui me fait tant de larmes semer 1260 Pleine de rage! Ce fu le mal et doloreux voiage De Honguerie, ou trop ot grant dommage, Qui me tolli le bel et bon et sage 1264 Que tant amoye. Il a cinq ans et plus que celle voye Fu emprise, dont mon cuer en plours noye, Et qui me met de desespoir en voye, 1268 Tant suis marrie. Ha! voyage mauvais de Honguerie, La ou peri tant de chevalerie! Et Turquie, puisses estre perie 1272 Long et travers! Qui fis aler Monseigneur de Nevers En ton païs desloyal et divers, A qui Fortune ala trop a revers 1276 A celle fois, Ou moururent tant de vaillans François Et d'autre gent bons, gentilz et courtois, Dont le dommage est et fu de grief pois 1280 Et trop grevable. La s'en ala cil qui tant agreable Mon cuer avoit, dont j'ay dueil importable, Et le Basac, l'ame en soit au deable, 1284 L'emprisonna; Ne le fist pas occire ains rançonna Lui et d'aultres, si comme raisonna Un sien parent qui de la retourna 1288 Bien d'aventure. Si n'est pas mort cil en qui j'ai ma cure, Mais encor est en griefve prison dure; Il n'a pas moult que le vid, si com jure, 1292 Un vaillant homme Qui dudit lieu vint pelerin a Rome Puis en France, si raporta la somme Qu'on lui demande et la guise et la forme 1296 De sa rançon. Ainsi le bel et bon en tel façon Des Sarrazins est tenu en prison, Dont mon las cuer sueffre tel cuisançon 1300 Qu'il derve d'yre, Et ce qui plus encor mon mal empire C'est qu'il m'est vis qu'il n'y a qui l'en tire; Car leur devoir en font mal, a voir dire 1304 Comme il me semble, Tous ses parens, dont mon cuer de dueil tremble, Car leurs terres deussent tous vendre ensemble Ains qu'ilz n'eussent cil qui angel ressemble 1308 De beaulté fine. Et plust a Dieu, qui ne fault ne ne fine, Que traire hors l'en peusse en brief termine Pour tout vendre ma chevance enterine 1312 Et mon vaillant, Et moy mesmes alasse traveillant Jusques ou lieu ou est le bon vaillant; Certes mon cuer ne lui seroit faillant 1316 Jour de mon age, N'y querroye tramettre autre message Pour viseter le bel et bon et sage, Et se la mort me prenoit ou voyage, 1320 De par Dieu fust; Durast mon corps tant comme durer peust; Et se Fortune vouloit et li pleust Que jusques la alasse, et il y fust, 1324 Et tant feïsse Qu'en la prison ou il est me meïsse, Ne cuidiez pas que la durté haïsse, Non pour mon corps, du lieu, et l'en treïsse, 1328 Ce m'est avis. Ainsi seroit mon desir assovis Qui du veoir est si trés alouvis Qu'il n'en craindroit peine, je vous plevis, 1332 Pour prendre mort. Et qui saroit le dueil et le remord Que j'ai souffert pour lui tant grief et fort, Merveille aroit comment je suis si fort 1336 De le souffrir! Car bien cuiday mon corps a mort offrir Quant la nouvelle j'ouÿ descouvrir Du grant meschief, ou il convint mourir 1340 Tant de vaillans, Car mon las cuer senti si deffaillans Que je ne sçay qu'il ne me fu faillans Ou que mon corps de griefs cotiaulz taillans 1344 N'alay occire, Ne le grief dueil tout ne saroye dire Qu'ay eu depuis, car ne saroye eslire Quel m'est meilleur ou le plorer ou rire; 1348 Trestout m'est un. Et pour tant se bonne chiere en commun Je fais, certes mon cuer n'a bien nesun, Et moult souvent plorer devant chascun 1352 Il me convient Quant grant desir trop fort sur moy survient, Car sans cesser de cellui me souvient Qui a mon cuer, qu'en prison on retient 1356 Si durement, Et quant plus suis en grant esbatement Lors me souvient plus de son grief tourment Qui ma joye rabat trop durement. 1360 Ainsi vous ay Dit mon meschief et puis quant commençay: C'est la cause pour quoy je vous laissay Et pour plourer devant je m'avançay. 1364 Doncques ne dittes Jamais nul jour que plus soient petites Que les vostres mes griefs doulours despites; Car ce ne sont fors que roses eslites 1368 Envers les moyes. Mais les vostres, s'il vous plaist toutevoies, Vous me direz et les tours et les voies Dont vous vienent tristes pensées coyes 1372 Et si griefve yre.» Lors a finé son parler sans plus dire; Mais oncques mais ne raconter ne lire N'oÿ parler d'aultre qui tel martire 1376 Alast menant, Car en plorant si s'aloit demenant Qu'il convenoit que cellui soustenant Alast son corps et a force tenant 1380 Ou du cheval Cheoite fust plus de cent fois aval. Si nous faisoit a tous deux si grant mal Que les larmes couroient contreval 1384 De nostre face, Et de bon cuer nous confortions la lasse, Mais tant souffroit de tristece grant mace Que de plorer ne pouoit estre lasse 1388 Et de dueil faire. Adonc le doulz escuier debonnaire Li dist: «Hé las! Pour Dieu vueiliez vous traire De ce grief plour qui tant vous est contraire! 1392 Vous vous tuez Et vo beau corps tout changiez et muez. Si n'est pas sens dont si vous arguez, Et un petit tristece loings ruez. 1396 Si m'escoutez Et vous orrez comment suis assotez Par trop amer, plus ne vous guermentez, Laissiez a moy le dueil, car, n'en doubtez, 1400 Trop plus en ay. Si vous diray le fait de mon esmay: Il a cinq ans ou avra en ce may Que m'embati en lieu que trop amay 1404 En ma male heure. Mais Fortune, qui sans cesser labeure Pour nuyre aux gens, me voult lors corir sure, Car je n'avoye ains, se Dieux me sequeure, 1408 Soing ne tristour; Jolis et gay estoye en mon atour Et joennement je vivoie a tout tour, Ne cognoissoie alors d'amour le tour 1412 Ne sa pointure Qui m'a depuis esté diverse et dure. Si m'embati par ma mesaventure Un jour en lieu ou Amours sa droitture 1416 Vouloit avoir Des joennes gens, dont la, a dire voir, Avoit assez qui moult bien leur devoir En lui servir mettoient et savoir 1420 Entierement; En un jardin fu plein d'esbatement Ou de mon mal vint le commencement, Car en ce lieu me prist trop doulcement 1424 Le grief malage Qui puis m'a fait et fait trop de domage, Car par regart m'enyvray du buvrage Qu'Amours livre, qui met au cuer la rage 1428 De dueil comblée. En ce jardin avoit une assemblée Belle, plaisant, ou joye estoit doublée, Mainte dame de beauté affublée 1432 Et mainte belle Et avenant jolie damoiselle. Il y avoit mainte doulce pucelle, Son chevalier par la main n'y ot celle 1436 Qui ne tenist Ou eseuier se près d'elle venist; La dançoient, mais il vous souvenist Que Dieux y fust qui si les soutenist 1440 En grant leesce. Car onc ne vi de joye tel largece Et en ce lieu ot mainte grant maistrece Et mainte autre parée de noblece 1444 Et maint jolis Gay chevalier, car de la fleur de lis Noble et royal, ou lieu plein de delis Avoit aucuns et d'aultres si polis 1448 Que ce sembloient Dieux, deesses, qui ou lieu s'assembloient, Dont l'un a l'autre les cuers s'entr'embloient Moult soubtilment et du mal s'affubloient 1452 Qui a grant joye Est commencié et puis en griefs plours noye. Ou lieu entray ou Fortune la voye Lors m'adreça qui a mort me convoye 1456 Sans departance. Quant je fus près pour veoir l'ordenance, Une dame, qui de ma cognoiscence Estoit, adonc me va prendre a la dance, 1460 Voulsisse ou non; Lors de pluseurs fus nommé par mon nom, Si disoient que de chanter renom, Bien voulentiers, avoye, dont de non 1464 Je ne deïsse. Si fu raison que je leur obeïsse, Ou bien ou mal que mon chant asseïsse; Villennie fust se ne le feïsse. 1468 Adonc chantay, Si com je sceus, un rondel que dittay. Quant j'oz chanté, gaires la n'arrestay Qu'une dame chanta, mais n'escoutay 1472 Jour de mon age Chant si bien dit de voix et de langage, Ne si plaisant a ouïr, l'avantage Celle en avoit sur toutes par usage 1476 Et de nature. Quant le doulz chant oÿs dit par mesure Mes yeulz hauçay, regarday par grant cure De celle qui chantoit la pourtraitture 1480 Et le viaire Qui tant fut bel, doulcet et debonnaire Que je ne sçay com nature pourtraire Pot si bien fait n'en tel beauté parfaire 1484 Ne mettre a chief. Car celle avoit comme fin or le chief, Blont, crespellet, et d'un seul cuevrechief Bien delié le couvert de rechief 1488 Mignotement. Mais a son front ne fault amendement; Car grant et plain, ouny, blanc, proprement Comme yvoire ouvré poliement, 1492 Ert façonné, Et sy sorcil par nature ordenné, Grailes, longuez, bassez et affiné De grant beaulté, brunez; n'ymaginé 1496 Plus bel entroeil Ne puet estre, large, ouny, et si oeil Vairs et rians; plaisans et sans orgueil Fu son regard et de trés doulz accueil. 1500 Beau nés traittis Ot, non trop grant, trop long ne trop petiz, Mais droit, bien fait, odorant et faitis, Selon le vis gracieux et gentilz; 1504 Et ses trés belles, Doulces, plaisans jouetes et macelles Ce sembloit lis avec rouses nouvelles Entremeslé, n'aultre beaulté a celles 1508 Ne s'appareille, Car grassetes de beaulté non pareille Furent et sont, et sa petite oreille Assise a point et de coulour vermeille; 1512 Souef flairant La bouchete ot, petite et riant, Grossete a point, et quant en soubriant Elle parloit, corn perle d'Oriant 1516 Ses dens menus On veoit blans et serrez plus que nulz, Ouniz, doulcès, en santé maintenuz, Bien arrengiez, en tous lieux beaulz tenuz, 1520 Et deux petites Fosses plaisans, de grant doulçour eslites, En souriant, es jouetes escriptes, Ot bien seans; mais les doulçours, descriptes, 1524 Du mentonnet Rondet, plaisant, gracieux, sadinet Et fosselu, vermeillet, mignonnet, Ne pourroient, tant est fin, doulcinet, 1528 Et a doulz vis Bien respondant, qui fu tout assouvis De grant beaulté, rondelet a devis, Le plus doulcet et plus bel qu'oncques vis 1532 Mieulx façonné; Et son beau col, par mesure ordenné, D'un colier d'or entour avironné, Fu riche et bel, que le roy ot donné, 1536 Sur sa gorgete Moult avenant, qui fu blanche et bien faitte Et de petiz filez semble estre traitte. Mais Nature, qui mainte oeuvre a parfaitte, 1540 Ne fist ouvrage Oncques plus bel, je croy, ne dis oultrage, Que sa plaine, polie, blanche et large Poitrine, fu sans os ne vaine umbrage, 1544 C'est chose voire, Blanche com lis, polie comme yvoire, Et le tetin tout ainsi qu'une poire Poignant, rondet ot ou sain; ne memoire, 1548 Bien dire l'ose, N'ay d'avoir veu oncques si doulce chose. Hé las! eureux est qui la se repose! Mais plus tendrete et plus fresche que rose, 1552 Je vous asseure, Ferme, clere fu sa belle charneure Et ses beaulx braz longs, grailes par mesure, Et plus belle main oncques creature 1556 Longuete et lée Ne pot avoir, n'est pas chose cellée, Blanche a longs dois, grassete et potellée, Bien faitte, ounie, droitte et bien dolée; 1560 Et corsellet Grailet, longuet, droit, appert, grasselet. Hanches basses, rains voultis, rondelet, Le ventre avoit fin doulcet et mollet, 1564 Si com je tiens; Car Nature qui en lui mist tous biens Ou demourant, je croy, n'oblia riens, Ainçois la fist, ainsi com je maintiens, 1568 Toute parfaitte En grant beaulté; si ot jambe greslette Et petit pié, de guise nouvelete Doulcetement chauciez; et ainsi faitte 1572 Par moult grant cure L'ot creée et formée Nature Belle, plaisant sur toute creature; Et avec ce en bonté fu si pure 1576 Qu'il n'y ot vice En son bon cuer qui fu vuit de malice, Et en tous cas elle fu si propice Qu'elle n'estoit de riens faire novice 1580 Qui a valable Dame d'onneur soit faire raisonable, Et de lignée astraitte moult notable. Mais en tous fais elle est tant agreable 1584 En doulz maintien Et en parler et en tout autre bien Qu'il n'est tresor qui s'acompare au sien. Rire, jouer, dancer, sur toute rien 1588 Bien lui avient Et ses plaisans doulçours mon cuer retient, Comment ou lieu la vis bien m'en souvient. Rire, parler, jouer comme apertient 1592 A noble dame Par si trés doulz maintien que, par mon ame, Tant li seoit qu'il n'y avoit nulle ame Qui ne deïst qu'oncques si doulce femme 1596 N'avoit veüe, De gaietté par a point esmeüe, Lie, jouant et de sens pourveüe. Si ot vestu adonc la trés esleue 1600 Un vert corset De fin samit, ou son beau corps doulcet Estoit estroit cousu a un lacet A son cousté rondelet et grasset, 1604 Qui gentement Lui avenoit. Ainsi songeusement La regarday ne ne pos nullement D'elle mes yeulx retraire aucunement, 1608 Tant me plaisoit. Mais Amours, qui tout ce faire faisoit, Aperceut bien que mon cuer y musoit Et pour ce l'arc, qui souvent entesoit, 1612 Traÿ de poche Et fleche prist poignant et mist en coche, Tire vers moy et roidement descoche, Parmi le cuer m'assena de la floche 1616 De doulz regart, Or fus navrés: ne feri pas en dart, Car en tel point fus mis, se Dieux me gart, Ains que partis fusse de celle part 1620 Qu'en moy n'avoit Sens ne avis, mais encor pou grevoit La navreure qu'Amours faitte m'avoit, Ne savoie la force qu'elle avoit, 1624 Ains agreable Me fu ce trait ne me sembla grevable Mais si trés doulz et si trés savorable Qu'il m'yere avis qu'il me seroit valable 1628 En tous endrois Et seroie par ce trop plus adrois Et plus jolis et plus gay, c'estoit drois. Et si fus je, car j'en devins plus drois 1632 Et trop plus cointe. Ainsi devins adonc d'amours acointe Et me plut bien au de premier la pointe Qui m'a depuis esté d'amertume ointe 1636 Diverse et dure. Ou lieu me tins jusqu'a la nuit obscure, Car de veoir celle en qui mis ma cure Ne fusse las jamais, je le vous jure, 1640 Mais par raison De departir il fu temps et saison, Si s'en ala chascun en sa maison; Mais ne cuidiez que dormisse foison 1644 Celle nuittée. Tant doulcement s'est adonc delittée Ma pensée qui toute a recitée La grant beaulté qui en celle habitée 1648 A, qui largece En a. Ainsi pensant a sa noblece Fus maintes nuis et mains jours en simplece Sans sentir mal ne chose qui me blece, 1652 Ainçois estoie Gay et jolis plus qu'oncques, et hantoye Souvent les lieux ou ma dame sentoye. Si jouoye et dançoie et chantoie 1656 Par grant revel Moult liement comme amoreux nouvel, Et du gay temps le trés doulx renouvel Lié me tenoit, et ainsi me fu bel 1660 Par un espace De temps, ainçois qu'eusse pensée lasse; Mais vraye amour, qui les amans enlasce, Souffrir ne voult plus que me deportasse 1664 D'ardent desir D'elle estre amé: cellui me vint saisir Parmi le cuer tellement que plaisir Ne pos avoir oncques puis ne choisir 1668 Autre soulas Qu'elle veoir, dont oncques ne fus las; Mais ce veoir plus estraignoit le las De mon desir, dont souvent dire: hé las! 1672 En regraittant Me convenoit, desirant s'amour tant Que n'estoie nulle part arrestant Qu'ou service de ma dame, et pour tant 1676 Je m'acointay De ses amis et souvent les hantay, Plaisir leur fis, les servi et pourtay Leur grant honneur et si me presentay 1680 Du tout a eux. Ainsi tant fis par promesses et veux Et par servir ses amis en tous lieux Que je poz bien sans blasme aler tous seulz 1684 En son hostel Quant me plaisoit, dont j'en oz plaisir tel Que ne voulsisse avoir autre chastel; Et moult souvent parloie et d'un et d'el 1688 Avecques elle. Et par tel sens long temps hantay la belle Que mesdisans n'en esmurent nouvelle, Car sagement me gouvernoye en celle 1692 Amour qu'avoye Et ay encor et aray ou que soie Tout mon vivant, quoy qu'avenir m'en doye. Ainsi souvent m'esbatoie et jouoye 1696 D'umble maniere Avecq celle, que tant aim et tiens chiere, A toute heure liement sanz enchiere, Et elle aussi me faisoit bonne chiere 1700 Et me mandoit Souventes fois et son vueil commandoit. Si faisoie, comme amans faire doit, Tout son command; assez bien m'en rendoit, 1704 Ce m'yere avis, Le guerredon: quant de son trés doulz vis Avoie un ris, tous estoie assouvis, Ou un plaisant regart; quant vis a vis 1708 A long loisir La pouoie veoir, aultre plaisir Ne sceüsse en ce monde choisir. Mais ne cuidiez que mon ardent desir 1712 J'osasse dire Ne raconter comment pour lui martire, Car trop doubtoye encheoir en son yre Mais bien pouoit cognoistre mon martire 1716 A mon semblant. Car moult souvent estoie tout tremblant Devant elle, tant m'aloient troublant Souspirs et plours et mon vis affublant 1720 Par grant destrece, Mais non pour tant ma trés dure tristece Ne geïssoie a ma doulce maistresse Qui me veoit souvent par grant asprece 1724 Muer coulour Devant elle; et ainsi ma dolour Je lui cellay, bien croy que ce ert foulour. Et quant tout seul demenoie mon plour 1728 Par grant aïr, Lors pensoie a lui tout regehir, Mais la paour qu'elle m'en peust haïr Et que mon plaint ne daignast point oïr 1732 Si me touloit Force et vigour du mal qui me douloit Devant elle dire; si s'en aloit Tout mon propos et de moy s'envouloit 1736 Tout hardement. En ce point fus et souffris longuement Sans requerir nul autre alegement; Si me sembla que trop petitement 1740 Desservi eusse D'elle estre amé et que digne ne fusse D'elle prier ne qu'a dame l'eleusse, Pour tant que pou valoie; et pour ce en Pruce 1744 Et oultremer Et en mains lieux aillours me voulz armer. Pour moy vanter ne le dis, car amer Faisoit tout ce, dont louer ne blasmer 1748 On ne m'en doit. Par son congié d'elle mon corps partoit, Mais le vray cuer point ne s'en departoit; Au retourner elle me recevoit 1752 A lie chiere. Ainsi l'amay de vraye amour entiere Sans lui oser dire en nulle maniere, Ne d'aultre riens soingneux en nul temps n'yere 1756 Que de servir Elle, qui tant me pouoit desservir Qu'il m'yere avis que mon cuer asservir N'y pouoie assez pour assouvir 1760 Son bon vouloir. Mais autrement m'avint, dont tant douloir Il m'en esteut que tout en nonchaloir Ma vie met souvent, mais pou valoir 1764 Me pot mon dueil; Car la belle doulce, en qui j'ay mon vueil, Ne sçay pour quoy se changia ne acueil Plus ne me fist ne de chiere ne d'ueil 1768 Ne de maintien, Et tout m'osta l'esperance du bien Que j'avoie, et si me monstra bien, Qu'elle n'amoit moy ne mes fais en rien, 1772 Ne sçay pour quoy, Mais tout a cop me planta la tout coy, Sans moy vouloir n'en appert n'en recoy Plus regarder ne veoir entour soy, 1776 Tant me fu fiere. Et quant je vi et perceu la maniere Et que tant me faisoit diverse chiere Se j'en oz dueil, nul nel demant n'enquiere, 1780 Car esbaïs Si me trouvay d'estre d'elle haïs Et sans savoir pour quoy, qu'onc fol naïs Plus erragiez ne fu, et s'envaïs 1784 Et dechaciez De tout le mont fusse en exil chaciez, Ne me fust pas tant de mal pourchaciez, Ce m'yere avis, com le mal qu'enchaciez 1788 Fu et fichié En mon las cuer a tort et a pechié, N'oncques depuis il n'en fu relachié, Dont j'ay souffert et ay trop de meschié. 1792 Mais qu'avint il Quant je me vi gitté en tel exil? Trop bien cuiday ouvrer comme soubtil De lui compter mon trés mortel peril 1796 Et la grief peine Que j'oz souffert pour lui mainte sepmaine. Si la trouvay un jour en une plaine, Vers elle alay a chiere triste et vaine, 1800 Et hardement Je pris en moy de dire ouvertement Ma grief languour, si dis couardement La grant amour et le grant marrement 1804 La ou j'estoye, Et en plourant en grant doulour contoie Tout mon estat et si me guermentoye Pour quoy d'elle si estrangié estoie 1808 Et pour quel cas Elle m'avoit ainsi flati a cas Et de mon bien si estrangié et cas, Ne qui m'avoit esté tel avocas 1812 Ne si contraire. Car ne cuiday oncques dire ne faire A mon pouoir riens qui lui deust desplaire Mais la servir en tous cas et complaire 1816 A mon pouoir, Ce pouoit bien de vray apercevoir. Ainsi lui dis de tout mon fait le voir. Mais quant lui os mon cas fait assavoir 1820 Or valu pis, Car response si pleine de despis Me fist et fus d'elle si racroupis Que bien cuiday mortellement ou pis 1824 Tout devant elle M'aler ferir, car la response d'elle Me poingny trop, n'oncques n'oÿ nouvelle Si desplaisant, certes, comme fu celle. 1828 A brief parler, Celle me dist plainement sans celer Ne lui plaisoit ne mon venir n'aler, Ne se pour lui morir ou affoler 1832 Or en devoie Ne m'aimeroit jamais par nulle voie, Si n'y pensasse, ains alasse ma voie, Car autre riens jamais d'elle n'aroie, 1836 Par son serment, Et que je l'en creüsse seurement. Si s'en parti mal de moy durement; Je demouray plus noirci qu'arrement 1840 De grant doulour Et comme mort, sans poulz et sans coulour, Un mien compaing me trouva sans chalour La enroiddi, qui de ma grant folour 1844 Trop me reprist. Si m'emporta et a force me prist, Et bien cuidoit que dure mort surprist Mon povre corps, qui fu, par Jhesu Crist, 1848 Si tormenté Que mainte fois me vint en volenté De moy tollir la vie ou la santé, Si que je fusse en trés dure orphanté 1852 Trestout mon age. Ainsi me fu celle dame sauvage, Mais ne cuidiez qu'oncques puis son corage Vers moy changiast, mais toudis si ombrage 1856 Et si trés dure De pis en pis, et encor ainsi dure Que je ne sçay veoir comment j'endure Si grant meschief ne si cuisant ardure 1860 Ne tel contraire Come j'en ay et ne m'en puis retraire; Ne tant ne sçay pour elle de mal traire Que je m'en puisse eslongnier n'en sus traire 1864 Pour l'oublier. Ainçois la voy souvent pour plus lier Mon dolent cuer, ne par humilier, Las! je ne puis son cuer amolier, 1868 Ains est plus dur Encontre moy que de marbre un gros mur. Si sueffre mal et meschief pesme et sur, Ou je n'espoir fors la mort! je vous jur 1872 Dieu et les sains. Et pour ce di que vous avez trop mains De mal que moy et que vo cuer est sains Envers le mien qui de mal est ençains 1876 Et de pesance.» Ainsi cellui ot dit sa mesaisance Et comme il ert de mort en grant balance. Adonc respont celle sans arrestance 1880 Et dist: «Ay lasse! Que dites vous? Certes, sauve vo grace, J'ay plus de mal en un tout seul espace Que vous n'avez tant que tout un mois passe, 1884 Et c'est raison Ne il n'y a point de comparoison; Car quant je pense a la dure prison, Ou mon ami a ja mainte saison 1888 Esté en mue, Et qu'il est la comme une beste mue, N'ay si bon sens que tout ne se remue. Et comment donc pourroie estre desmue 1892 D'avoir la rage Douloureuse qui trop me fait d'oultrage? Mais vous avez sur moy grant avantage, Car vous veez la belle au cler visage, 1896 Souvent avient, Et si avez espoir qui vous soustient, Car s'a present vostre dame se tient Dure vers vous, certes mon cuer maintient 1900 Que desservir Pourrez encor s'amour par bien servir; Si vous pourra et donner et plevir Toute s'amour, ainsi pourrez chevir 1904 Tout a vo gré, Et puet estre qu'elle fait tout de gré Pour essaier vous; et, se tout en gré Prenez son vueil, encor en hault degré 1908 Vous pourra mettre. Si vous en di tout le voir a la lettre. Hé las! mais moy quel reconfort m'empetre Nul bon espoir fors ma vie desmettre 1912 Par desespoir!» Et cil respont: «Dites vous donc qu'espoir Ay qui me dit que bien aray apoir, Certes non ay, ains du tout me despoir 1916 D'avoir jamais L'amour d'elle, car ja long temps remais Suis en ce point, mais oncques n'en eux mais Que tout meschief et divers entremais 1920 Trop douloureux. Et si la voy, dont je suis eüreux, Ce dites vous, mais pou m'est savoureux Cellui veoir, las! dolent, meseureux; 1924 C'est vision Qui trop me vient a grant confusion, Car j'alume ma grant destruction Et le grief feu qui mon entencion 1928 Ne lait changier. Car, quant la voy si trés belle, estrangier Je ne m'en puis, mais vif doy enragier Quant ses semblans voy pour moy domagier 1932 Si trés contraire A mon vouloir, et si ay pluseurs paire De grant doulours, car trop me fait contraire Jalousie, dont ne me puis retraire. 1936 Car trop ay doubte Que ma dame d'elle tant me deboute Pour autre amer, a qui ne plaisoit goute Q'entour elle j'alasse, somme toute, 1940 Car n'a raison De moy haïr pour nulle autre achoison. Et donc, se bien entendés ma raison, J'ay plus de mal que vous, si nous taison, 1944 Atant souffise, Car bien savez qu'en vous est toute assise De vostre ami la vraye amour et mise, Et moy j'aime celle qui me desprise 1948 En grant contant; Dont vostre cuer ne pourroit avoir tant De grans anuys comme je vois sentant: Je ne dis pas que n'en aiez pour tant 1952 A grant planté, Mais vostre ami, a qui Dieux doint santé, Pourrez veoir brief, car son parenté Ne le lairoit mie en ce lieu planté 1956 Par long termine; Et si n'est dueil ne meschief qui ne fine, Car il a ja long temps que ce fu, si ne Peut estre que l'amour ne se decline, 1960 Car qui est d'oeil Moult esloingnié, pou lui dure son dueil; Et si pouez avenir a vo vueil Prochainement et tout en aultre fueil 1964 Soy atorner, Fortune qui a voulu bestourner Vo bien en mal, si se porra tourner Si que verrez vostre ami retourner 1968 Et tost mander. » Adonc le prist ycelle a regarder Et respondi: « Dieux le doint sans tarder! Mais s'il y meurt, Dieux l'en vueille garder! 1972 Comment ravoir Le pourray je? Il est bon assavoir Qu'a grant peine vif eschapera voir, Et c'est ce qui me fait plus recevoir 1976 De grief martire. Et je vous ay cy en droit ouÿ dire Que qui est loings d'oeil le cuer loings s'en tire, Hé las! aimi! Dieux scet que je desire 1980 Plus ou autant Mon doulz ami et l'aim tout autretant Com quant de moy estoit près arrestant, Ne jamais jour, tant que l'ame batant 1984 Me voit ou corps, Ne l'oblieray, et vous diray encors Ce qui me fait encor plus durs recors C'est que je sçay qu'il a de moy remors 1988 Et grant pitié, Car il scet bien que pour son amistié J'ay cuer dolent et triste et dehaitié. Et vous dittes que j'en ay la moitié 1992 Moins de doulour Pour ce que sçay que j'ay toute s'amour, Mais, sauve soit vo paix, ainçois mon plour En est plus grant et en ay plus favour 1996 A sa personne; Car plus trouvé ay sa doulce amour bonne Et tant plus l'aim. Mais celle qui fellonne Est si vers vous droitte achoison vous donne 2000 D'avoir moins dueil De son reffus, et par ce prouver vueil Que mille fois et plus que vous recueil De pesant mal et ay moins de recueil 2004 Et moins reffuge A bon espoir, et de ce requier juge, Sage et loial, qui de no debat juge. » Et cil respont: « Et de cel acort suis je. 2008 Or soit trouvé Juge loial, par qui il soit prouvé Et droit jugé, car par moy reprouvé Ne sera ja puis que l'avez rouvé. 2012 Or avison Qui il sera, et si soit gentilz hom Qui sache bien entendre no raison Et en jugier le droit selon raison, 2016 Et si soit sage En fais d'amours par sens et par usage. Si en mettrons sur lui toute la charge, Et nous tendrons de fait et d'arbitrage 2020 Au jugement Qu'il en donra, sanz nul descordement. » Ainsi greé l'ont tous deux bonnement, Et puis si m'ont prié moult chierement 2024 Que j'avisasse Qui seroit bon et que leur devisasse. Lors y pensay un bien petit d'espace, Si me souvint de la trés bonne grace 2028 Et bon renom De vous, chier Sire, ou il n'a se bien non, Si leur dis lors et vous nommay par nom Mais qu'il vous pleust ne leur dire de non, 2032 Qu'il m'yert avis Qu'ilz aroient en vous juge a devis Sage et loyal et de tout bon avis. Cé leur pleut moult et furent assouvis 2036 De leur vouloir, Car tant orent ouÿ, a dire voir, Dire de vous de bien et de savoir Q'aultre juge ja ne quierent avoir; 2040 Mieulx ne demandent Se il vous plaist, et si se recommandent A vous, Sire, a qui supplient et mandent Que vos pensers un petit y entendent, 2044 Non obstant qu'armes Vous occupent; et de leurs dures larmes Me prierent que le cas misse en termes Pour envoier a vous dedens briefs termes 2048 Pour droit jugier Lequel par droit doit avoir plus legier Mal a porter ou en doit plus chargier Et qui plus vit en peine et en dongier 2052 Des deux parties. Atant se sont noz paroles parties, Car de Paris approchions les parties, Et de noz gens, dont estions departies, 2056 Nous approchames Et liement ensemble chevauchames Tant que chieux moy a Paris arrivames. Ou a grant joye et a festes disnames. 2060 Et quant mengié Et solacié eusmes, prendre congié Vouldrent trestuit, mais bien m'ont enchargié Lui dui amant que tost fust abrigié 2064 De leur affaire; Dont tost après je commençay a faire Ce present dit, si com l'oiez retraire. Mais or est temps que je m'en doye taire 2068 Et en la fin Du derrenier vers de cuer loyal et fin Me nommeray, et Dieu pri au defin Que bonne vie et puis a la perfin 2072 Son paradis Il vous ottroit et a tous les gentilz Vrais fins amans loiaulz et non faintis Que vraye amour tient subgiez et creintis.
EXPLICIT LE DIT DE POISSY
Rubrique: A2 supprime l. du dit et ajoute qui s'adrece a un estrange
1 A1 Mon c.
i5 A1 priée et requier
22 A2 Des b.
41 A1 si vous
43 A2 supprime et g.
55 B p. si me voldrent p.
62 B1 Chevauchoye
63 A1 B2 qu'avec
77 A2 q. c. s. m.—B chantoit
88 A2 B Ne en
93 A2 p. tous c.—B1 c. resbaudir
110 A2 Par d.
121 B S. ces a.
129 B1 en estoient l.
154 B N. s. souvent et.
163 B l'envoyoit
174 B marchié ou f.
179 B on ne v.
181 A1 aussi a. a.
183 A2 supprime le 1er n'
201 B omet que
206 A1 honnesteté
219 A2 B ait q.
224 B Y ot
229 A2 Des v.
231 A1 f. nous a.
233 A1 et trés c.
242 A1 asés p.
262 B vers la d.
264 B1 Et h.
291 A2 B l'encline
292 A1 Si finees
302 A1 e. homme ne
307 B omet n'
313 B1 b. y a p.
325 B et ou r.
344 B preïsmes
345 A1 conjé
358 A2 N. b. f.
378 A2 v. e l. n. vindrent p.
386 B1 c. moult j.
401 A2 p ou mi—B t. bel p.
403 A2 qu'un s.
410 A2 voirriere
415 A1 b. ce puet estre prouvé
418 A1 et B2 omettent nous—A2 ne pouoit s.
435 B en eschiet
437 B1 r. n'a g.
452 B1 omet nous
461 A2 e. n'orent or ne a.
468 B1 ne verroye
475 B1 omet si
495 A1 hault v.
500 A1 chantant
502 A1 racontant
510 et 511 intervertis dans A2
514 B N'il
52l B1 omet le deuxième est
525 A2 A. de v.
527 A2 S. leurs m.
532 A1 De c.
536 B1 Vont
537 A1 s. si b. o.
540 B1 Si l.
544 B En telle
551 A1 b. vergiers
558 B Et la e.
559 B C. croy que bien p.
562 A2 de beaulz m.
570 A1 Et un v.
582 A2 s. departement
593 B ajoute et s.
601 A1 n'en f.
621 A1 d. et de table l.
631 A1 B2 f. est n.
632 B N'y f.
645 A2 au grant c.
647 A1 estrangier
649 A tousjour
663 B1 et des c.
665 A1 denssames—A2 Ne p.
694 B a. mais ou
702 A1 ques
703 A2 ou j'ay m.
707 A2 B p. c. m.
718 B1 v. en u.
719 A2 A par d.
721 B omet a
722 A1 d'entre eulx n.—B1 omet ens
726 A1 g. f. et p.
741 B1 Un e. delez elle fut près—B2 e. q. dellez e. fu e.
749 B1 presque n.
761 B omet trestous
763 A2 s. d'a. e. s.
765 A1 au t.
803 B en tel e.
813 A1 B2 l. desir
819 A1 de ce l.
851 B1 D. d'amour p.
855 veu et p. écrits après grattage dans A2—A2 B f. une p.
862 A2 l. q. d.—B q. d. l.
879 A1 voioit
887 B n. ait nuit
891 A2 P. d. d. c. et p.
902 A2 Dont o.
903 B a. font p.
907 B omet fu
913 B omet trop
916 B1 omet ou
919 B ou a. a.
928 B Se va
932 B ou en m.
938 A2 En p. d'e. aconsuivismes
939 B1 que c.
942 A1 vissage
943 B1 Car t.
949 B me p.
950 B1 Me t.
967 A2 v. ayés
984 A B courroucié
985 A1 B sié
998 et 999 intervertis dans B1
1001 B ma grant p.
1002 B1 m. vous m'o.
1006 B en tel p.
1017 A2 Car n.
1039 A2 B R. a s. un p. et com r.
1042 B m. d. d. et maz
1075 B l. c. d.
1081 B c. pour s.
1082 A2 En t.
1086 A2 H. de lui p. p. soubz l.
1092 A1 se c.
1094 A2 c. ot. c. et de p.—B omet ot
1100 A1 beau
1118 A t. bien fait
1122 A2 t. non pas.
1123 B omet et
1125 B com r. de
1126 A2 b. n. p.
1135 A2 L. p. d.
1145 B M. en m. c. e. la b. c.
1147 A2 d. qu'ay m.
1149 A1 ay est c.
1153 A1 ot pet b.
1163 A2 Ains en
1171 B C. b. et si trés p. y.
1174 B se a. v.
1178 B ajoute M. je
1183 B d'armes
1189 A et B2 omettent et
1197 A L. barre, lances, b.
1198 A2 l. hanter—B legierement hanter
1206 B f. d'un r.
1211 A2 B h. sur tous
1219 B1 omet jur
1233 A2 n'a. p. e.
1236 B1 omet fu
1249 B et je l.
1251 B supprime d' devant amer
1262 A2 B ou tant ot
1269 A1 B1 Hongrie
1273 A2 a. le Conte de N.
1285 A1 raçonna
1297 B bon et b. de t.
1309 B Hé! p.
1311 A2 Par t.
1319 B p. en v.
1321 A1 com d.
1324 A2 Certes t.
1337 A2 m. cuer a m.
1339 B Du grief m.—A2 c. perir
1341 A2 B c. je s. si dueillans
1372 B Et grief martire
1374 A m. r. n'oÿ l.
1375 A Moy p.
1377 A2 en parlant s'a. si d.
1390 A1 v. taire—A2 d. tous bas: P.
1393 B t. chargiez et
1419 A m. leur s.
1426 B r. je pris trop du b.
1430 A2 B et p.
1450 B Et l'u.
1463 A1 don
1470 A2 c. la g. n'a.
1491 B y. ouny p.
1492 Les mss. donnent Est
1501 A2 B Et n.
1504 B1 omet ses
1505 A1 Et trés p.
1523 B1 Et b.
1525 B R. doulcet, g.
1529 A1 respondent
1537 A1 M. avenoit
1546 B a. comme p.
1547 A2 s.; onc m.
1566 A1 demouroit
1569 A1 j. grassete
1573 A B creé
1580 A1 a sa v.
1586 B q. se compare
1590 A2 b. me s.
1591 A2 R. j. p. c.
1593 B t. bel m.
1597 A2 p. si meüe
1616 B Le d.
1634 A1 promier
1645 A omet s'e.
1647 A2 Sa g.
1649 A2 En va. A
1655 B Et j.
1661 A2 Le t.—A1 que e.
1667 A2 Ne p. o. p. a. ne
1670 B p. estrangoit
1675 A1 Qu'el
1678 A2 f. et s.
1681 A1 promesse et
1686 A1 Qu'en v. a. a. chetel—A2 Que n'en v.
1687 B supprime le deuxième et
1698 omis dans A1
1698 et 1699 intervertis dans A2
1705 A1 guerdon
1707 A2 En un p.
1710 A1 chosir
1713 A l. m'atire
1721 A1 B2 d. destrece
1729 B a elle t. r.
1733 B Le hardement du m.—A1 omet me
1742 B d. je l'eusse
1743 B supprime et
1745 A2 l. me v. pour elle a.
1782 A1 que o.—B q. n'onc f.
1802 A2 g. doulour, si d. couvertement
1822 A1 raccopis
1829 A2 Elle me
1830 B en m.
1846 B b. cuida
1858 A2 c. je dure
1862 A2 s. de m. p. e. t.
1863 B e. ne soustraire
1881 A1 s. vostre—B sauf vostre
1910 A2 q. confort
1912 à 1915 omis dans B1
1915 B1 desespoir
1918 A1 mains o.
1958 A1 omet ja
1975 B trop r.
1978 A1 d'o. que le c. s'en t.
1981 A2 t. autrement
1979 B s. se je
1987 A1 Ce qui je
2006 A1 supprime et l.
2013 B et qu'il s.
2023 A2 p. ilz m'o.
2034 A1 supprime et l.
2038 B Sire, de v.
2042 A2 q. prient et
2069 B2 Au d.
2075 On trouve dans creintis l'anagramme de Cristine
Rubrique B1: Cy fine le d. de P.
NOTES
LE LIVRE DU DIT DE POISSY (p. 159 à 222).
Des extraits assez importants de ce poème ont été donnés par Pougin dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, (4e série, III, p. 535 et suiv.) vers 1 à 14, 35 à 52, 212 à 731, 773 à 794. Paulin Paris a, de son côté, cité (Mss.fr. V, p. 171) les vers 34 à 46.
1 à 28.—Le chevalier auquel Christine dédie son livre de Poissy doit être sans aucun doute le célèbre sénéchal de Hainaut. Jean de Werchin était fils de Jacques de Werchin également sénéchal de Hainaut; d'abord simple écuyer à la tête d'une petite compagnie, (Revue passée à Corbeil le 1er sept. 1380. Titres scellés. Clair. III) il devint bientôt lui-même sénéchal et mérita d'être appelé par Froissart «moult vaillant homme et très renommé en armes». A l'époque où Christine composa le dit de Poissy, il était allé faire un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où il défia tous les chevaliers de France et d'Espagne. Christine fait allusion, dans deux passages différents, à ce lointain voyage et aux glorieuses actions qui en résultèrent (vers 7 à 10 et 821 à 829).
46 à 52.—L'Abbaye royale des dominicaines de Poissy fut fondée en 1304 par Philippe le Bel et placée sous l'invocation du roi Louis IX qui venait d'être canonisé. Ce monastère était d'une construction remarquable et jouissait des plus grands privilèges. On en trouve une description suffisamment complète dans Noël, Histoire de Poissy, 1869.
248 à 264.—Marie de Bourbon, fille de Pierre Ier de Bourbon, était la septième prieure de l'Abbaye de Poissy. Elle se trouvait être la tante du roi Charles VI, par suite du mariage de sa soeur Jeanne de Bourbon qui avait épousé Charles V. Elle prit l'habit religieux en 1351 dès l'âge de quatre ans, mais ne fit naturellement profession qu'à dix-sept ans. Élue prieure de l'abbaye le 14 août 1380, elle gouverna avec sagesse et distinction. Le duc de Bourbon, son frère, lui avait reconnu par acte du 1er mars 1380 une pension viagère de 500 liv., et fit en même temps don à la communauté de la seigneurie de Carrière, de l'hôtel de Bourbon sis à Paris et de la terre de Villevrard près de Lagny-sur-Marne. Marie de Bourbon mourut le 10 janvier 1401 et fut inhumée dans le choeur de l'église abbatiale de Saint-Louis où on lui érigea une belle statue en marbre blanc et noir. Ce monument, qui a échappé à la destruction du monastère, est aujourd'hui conservé dans l'église de Saint-Denis (Noël, op. cit.).
274 à 282—Marie de France, fille de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, née le 22 août 1392. A cinq ans elle prit le voile au prieuré de Poissy le jour de la Nativité de la Vierge, en 1397. Elle mourut le 28 août 1438 et laissa au couvent la terre de Pissefontaine ainsi qu'un fief situé à Triel (Bibl. Nat. Fr. 20,176, fol. 1185).
286 à 289.—Catherine d'Harcourt, fille de Jean, comte d'Harcourt. Elle était effectivement la cousine germaine de la princesse Marie, son père ayant épousé Catherine de Bourbon, soeur de Jeanne de Bourbon, reine de France. Entrée au couvent de Poissy en 1380, on lui reconnut 200 liv. de rente le 8 août 1396. Sa soeur Blanche, d'abord religieuse à Sainte-Marie de Soissons, était, depuis 1391, abbesse du célèbre monastère de Fonteyrault (Bibl. Nat., Pièces orig. 1479 et P. Anselme, V, 133).
317.—La ville d'Arras possédait dès le XIVe siècle des ateliers dont la réputation fut universelle (Voy. Guiffrey, Hist. de la Tapisserie, p. 59).
334 à 340.—Philippe le Bel, par sa charte de fondation (juillet 1304), assigna au couvent de Poissy des revenus considérables. Cette riche dotation se composait de la plus grande partie du produit des domaines royaux de Poissy, Béthisy, Verberie, Pierrefont, Vernon et Andilly, plus de droits de pâturages dans les forêts royales, excepté celles de Laye et de Coucy, etc. La communauté possédait en outre de nombreux droits et privilèges, tels que le droit de passage sous les arches du pont de Poissy (Arch. Nat. L 1084, liasse 1), le droit de chasse dans la garenne royale de Draveil où elle avait un hôtel (Arch. Nat. K 191, liasse 5), des rentes établies sur les halles et moulins de Rouen (Arch. Nat. Xia 1473 fol. 206 v°), et bien d'autres avantages. A tous ces revenus il fallait encore ajouter les rentes souvent fort importantes servies par les familles aux filles de grandes maisons et les donations ou legs faits par les religieuses elles-mêmes à leur communauté. Le nombre des soeurs fut d'abord fixé à cent vingt, il s'éleva plus tard à deux cents; elles devaient être issues de familles nobles et avoir obtenu pour leur admission une autorisation expresse du roi (Noël, op. cit.).
1273 à 1280.—Jean sans Peur, duc de Bourgogne et comte de Nevers, partit à l'âge de vingt-cinq ans au secours de Sigismond, roi de Hongrie dont la patrie était menacée de l'invasion des Turcs commandés par Bajazet. On sait que l'armée française éprouva une sanglante défaite à Nicopolis, le 28 septembre 1396, le comte de Nevers et quelques chevaliers échappèrent seuls au massacre qui suivit ce désastre. Moyennant une rançon considérable, Bajazet consentit à rendre la liberté au comte de Nevers et à quelques-uns de ses compagnons d'armes qui firent leur rentrée à Dijon le 28 février 1398.
LE DIT
DE LA PASTOURE
(Mai 1403).
CY COMMENCE LE LIVRE DE LA PASTOURE
Moy de sagece pou duitte
Ja par mainte fois deduitte
Me suis de faire dittiez
De plusieurs cas apointiez,
5 Combien que pou entremettre
M'en sache, mais pour desmettre
Aucunement la pesance
Dont je suis en mesaisance,
Qui jamais ne me fauldra
10 Jusques vie me fauldra;
Car oublier impossible
M'est le doulz et le paisible
Dont la mort me separa,
Ce dueil tousjours m'apparra.
15 Ay fait ce dittié en rimes,
A mon pouoir leonimes,
A requeste de personne
Dont par le mond le nom sonne,
Qui bien me puet commander
20 Et son bon vouloir mander.
Si le fis et le rimay
En ce desrain moys de may
L'An Mil Quatre Cens et troys;
Et m'est avis, qui veult drois
25 Y visier, qu'on puet entendre
Qu'a aultre chose veult tendre
Que le texte ne desclot,
Car aucune fois on clot
En parabole couverte
30 Matiere a tous non ouverte,
Qui semble estre truffe ou fable,
Ou sentence gist notable.
Si diray le sentement
En rimant presentement:
La Pastoure
35 Antendez mon aventure,
Vrais amans, par aventure
Oncques n'oïstes pareille,
Si y tendez tous l'oreille,
Voiez comment Amours traire
40 Scet soubtilment pour attraire
Les cuers et faire subgiez
De ceulz qu'il lie en ses giez.
Pastoure suis qui me plains
En mes amoureux complains,
45 Conter vueil ma maladie,
Puis qu'il fault que je la die.
Comme d'amours trop contrainte,
Par force d'amer estraintte,
Diray comment je fus prise
50 Estrangement par l'emprise
Du dieu qui les cuers maistroie
Et qui bien et mal ottroie.
Si soit exemplaire aux dames
Mon fait, qui jurent leur ames
55 Que jamais jour n'aimeront.
Voiez comment Amours rompt
Par son trés poisant effort
Tout propos, soit foible ou fort.
Trés que joenne touse estoie, 60 Parmi bouscages hantoye Et par ces landes sauvages Pour repaistre enmi herbages Les berbietes mon pere, Et quoy qu'adès en appere, 65 Ainsi par maintes anées Furent par moy pormenées, Tant que je fus ja percreue, Sans estre nul jour recreue Du mestier, qui me plaisoit, 70 De bergerie, et faisoit Matin lever par grant cure. D'autre riens n'avoye cure Fors de repairier en champs Et en bois, ou les doulz chans 75 Des oysiaulx souvent ouoye, N'autres gens je n'avouoye Fors pastoures et pastours. Si savoye tous les tours Du mestier de bergerie: 80 Aigniaulx en la bergerie Soignier, mettre fein en creche, Semer en toit paille fresche, Et les mottons d'une part Trier, oindre et mettre a part, 85 Berbis traire, et faire a heure Aigneulx teter, et desseure Le fourrage es rastiaulx mestre; Ne nulle mieulx entremettre Ne se sceust de tout l'affaire 90 Qu'il convient au mestier; faire Anble de son et d'aveine Pour faire remplir la veine Aux berbis, qui aignelé Avoyent qui n'est coulé, 95 Savoye, et mes berbis tondre En may assise en belle onbre Au matin et a vesprée, Et aporter de la prée Herbe aux aignelez petiz, 100 Pour leur donner appetiz Quant ilz viennent en saison Qu'on les tient en la maison; Et bien raporter des champs Aucunes berbis meschans, 105 Vieilles et a dos pelé; Et, s'aucune eust aignelé La hors, l'aignel entre bras Porter dedens mon rebras, Et eulz garir de la rongne. 110 N'y avoit si grant besoingne Dont je ne fusse maistresse Et des bergieres l'adrece. De tout ce soigneuse estoye. A droitte heure me hastoye 115 De mener a remontée Mes berbis sus la montée D'un tertre ou herbe ot menue; Et quant soleil ert soubz nue, Au matin a la rousée 120 D'ou terre estoit arrosée, Ou temps d'esté, par herbis Couvers mener mes berbis Bien savoye, et assembler Mon parc, que le loup embler 125 Ne m'en peüst chief ne queue Et que nulle ne fust seue. La en l'ombre me seoie Soubz un chaine et essayoye A ouvrer de filz de laine, 130 En chantant a haulte alaine; Ceinturetes je faisoie, Ouvrées com ce fust soye, Ou je laçoye coyfettes Gracieusetement faittes, 135 Bien tyssues et entieres, Ou raisiaux ou panetieres Ou l'en met pain et fromage. La soubz le chaine ramage S'assembloient pastourelles, 140 Et non mie tout par elles, Ainçois veissiez soir et main Son ami parmi la main Venir chascune tenant, Plus de vint en un tenant, 145 Dont l'un flajolant venoit Et l'autre un tabour tenoit, L'autre musete ou chievrete; N'il n'y avoit si povrete Qui ne fust riche d'ami. 150 Et la vous veissiez enmi La place mener la tresche Joliement sus l'erbe fresche Parrot, Soyer et Harnou Et Regnault, qui ot maint nou 155 D'amours fait sus son chappel Et boquet sus le jupel Que Rambourt ot atachié Et mis le chappel ou chié, Comme a son ami trés chier. 160 Ainsi les veissiez treschier Et karoler et baler, L'un en dançant reculer Tenant la main au cousté, Et le pan devant osté 165 Et a la ceinture mis, Puis en dançant s'est remis A la queue emprès Gilon Et devant met Sebilon. Joliement y vait Belote 170 Qui bien joue a la pelote, E Mangon et Jehanneton Et Belon, au joly ton Des instrumens acordés. La veissiez bergiers hordez 175 De gans blans et d'aumosnieres Et de diverses manieres D'outilz telz qu'il apartienent A bergiers qui gays se tiennent: Trenche pain, cysiaulx, forsetes, 180 Boiste a ointure, esguilletes, Aloine, cernoir, cordele, Une grande tace belle, Fil, aguille, et deel avec Y a, bergier n'est sanz hec; 185 Mainte autre chose a dedens Bonne, et lanieres pendans, Et la grant clef de la porte De la bergerie on porte Qui a une bille pent 190 Et derriere vait frappent, Et tout pent a la ceinture, Ou le mastin a esture On tient lié a toute heure Qu'après les conins ne cueure, 195 La houlete bien taillée, Par amoretes baillée, Que bergier tient en sa main, Et la panetiere a pain, Ou aulx et fromage on met. 200 Biaulx oysiaulz, je vous promet, Ont ceulz qui sont les plus cointes, Tout n'ayent ilz nulles pointes Qui leur voise au pas grevant, Et la poittrine devant 205 Desnoulée, ou le blanchet Pert blanc de nouvel achet Ou la croix de la chemise Quant toute neufve elle est mise. La a cotes de buriaulx 210 Vous veissiés ces pastoreaulx Mener feste a desmesure, Pour attaindre a la mesure Fraper du pié en dançant, Gautier emprès Helissant 215 A cloche pié faire un sault, Si comme amours les assault, Huer, crier, rigoler Et ensemble entr'acoler; Est ce vie vie vie? 220 Qui jamais a d'autre envie? Puis, quant de dancier sont las, Les veissiez par grant solas Eulx seoir sus l'erbe drue, Chascun amant lés sa drue, 225 Sus la clere fontenelle, En chantant de voix isnelle, Ataindre pain et fromage Et tout mettre sus l'erbage, Et ces pastoureaulx gentilz 230 Vous trenchier ce pain faitis Par lesches grandes et lées, Après doulces acollées Les gitter en la fontaine Et par bonne amour certaine 235 D'ycellui mengier eulx paistre. En celle lande champestre, De flours couverte a tous tours, Sont ilz aise ces pastours Berbis gardans par sillons, 240 Et ces jolis oysillons Qui les cuers leur resjoïst! En celle place on oÿst Chanter Parrot et Margot: «Larigot va larigot, 245 Mari, tu ne m'aimes mie, Pour ce a Robin suis amie.» Ainsi amont et aval Tout y retentist li val Des haultes voix deliées 250 De ces pastorelles liées, Chantans a joyeuse chiere. Et Robin, qui a moult chiere Marion qu'il aime moult, Si quiert aval et amont 255 Pour trouver couldre qui ploye, Large et longe, et la s'employe Atout un large coutel, Assis sus son bleu mantel, Si fent la couldre par mi 260 Et dit que, par Saint Remi! Esclisse fera de couldre, Ensemble veult les bous couldre, Si ara de flours chapiau Moult bien suroré d'orpeau 265 Que s'amie a en sa bourse. Adonc n'y a si rebourse Qui chapel a lie face A son doulz ami ne face De muguet et flours d'amer 270 Ou de roses d'oultremer. Tendis vont o leurs musetes Cueillir cormes ou noisetes, Ou chastaignes en ce boys Abatre ou cerner des noix, 275 Selon qu'il est la saisons, Ou roysins en moustoisons, Li pastours, puis les aportent Aux belles qui se deportent En l'ombre et leur font chapeaulz. 380 Chascun dit: «Li miens est beaulz.» Si broustent la tel viande Ne nul d'eulx plus ne demande. Telz y a qui jus leurs fleustes Mettent et trayent aux butes, 285 Aultres la lute commencent, Et les autres si s'avancent A faire aucuns jeux de forces, Ou arrachent les escorces Des arbres vieulx et mossus; 290 Leurs chaperons lient sus De bien estroitte maniere Et cousent une lasniere Grande et large a celle escorce, Leur main ou creux de la torse 295 Boutent et bouclier en font, Espées de boys reffont; Lors commence l'escremie, Chascun dru devant s'amie Joue du bouclier et fiert 300 Ses compains comme il affiert. La veissiez vous de beaulx coups Lancier sur teste et sur coulz, Et cellui qui mal se targe De l'escorce dont fait targe, 305 En emporte mainte boce Souvent quant lui fault l'escorce; L'aultre le mort, et se couche, Fait, et tient close la bouche; La chascun se vient ploier 310 Et au lever essaier, Et cellui qui mieulx le lieve Le pris et l'onneur enlieve. En yver jouent aux billes Et au parquet et aux quilles 315 Et aux meriaulx et aux noix Et a autres esbanois. D'aultres jeux font ilz assez Biaulx et plaisans, ce pensez, Devant leurs belles amies 320 Qui ne sont pas endormies A jugier des mieux apris Et bien asseoir le pris. Et orriez ces valetons, Quant ilz sont es sommetons 325 Des montaignes, jargonner Et l'un l'autre ramposner En jargon, tout en chantant, Que nul fors qu'entr'eulx n'entent. Ainsi se vont deportant 330 Li pastorel, mais pour tant Ne laissent a prendre garde Des berbis qu'ilz ont en garde; Puis au vespre s'en retournent Et tous et toutes s'atournent 335 De trier leurs berbietes; Congié de leurs amietes Prenant li joli pastour, Et se mettent au retour. Ainsi longuement hantay 340 Celle vie ou je chantay Mainte jolie chançon, Et en l'ombre du buisson, O mes compaignetes belles Et leur ami avec elles, 345 M'ombroyay mainte journée. Joenne estoye et atournée Comme pastoure polie: Surcot vert, cote jolie J'avoye et graille ceinture, 350 Bourse, espinglier a esture Fait et cotelet faitis Et tous les gentilz outilz Qu'apertiennent a bergiere, Et sus pelice legiere, 355 Chainse crespé et delié, Blanc flairant et bien lié. Mignote estoie et grassete, Et riant a voix bassete, Et gente, ce disoit on. 360 Si fus de maint valeton Amée moult chierement, Mais si me tins fierement Que nul ne daignay amer; Maint bergier a cuer amer 365 Plourant vint m'amour requerre, Mais nul ne la pot acquerre. Non obstant que mes compagnes Veoye par ces champaignes O leurs doulz amis deduire, 370 Nul ne pouoit mon cuer duire Ad ce que l'amer empreisse Ne qu'aultre vie appreïsse Que celle qu'aprise avoie. Qu'estoit amer ne savoie 375 N'aprendre ne le vouloie, Ne de riens ne me doloie. Tout mon soing ert de berbis Garder parmi ces herbis Et ces flours par prez cueillir 380 En may, ne un seul jour faillir On ne veist, main ne ressie, Que chappellet de soussie Ne meisse ou de passeroses Ou de muguet ou de roses 385 Ou d'aultres flours plus nouvelles. Ces pastoureaulx leurs nouvelles Me venoient raconter Et pour mieulx mon cuer domter Nouvellès dons m'aportoyent: 390 Ceinturetes ou estoient Pendans bourses et couteaulx, Et aultres soubz leurs manteaulx, Chappellez vers, devisez Gentement, moult desguisez, 395 Me presentoient en don; Et vous y veissiez adon Varlez descendens d'un tertre, Qui maton, formage et tartre M'aportoient ou flamiche; 400 Pomes, poires, blanche miche Me venoient presenter, Et de leurs maulx guermenter Piteusement se penoient, Et près de moy se tenoient 405 Pour moy servir, s'eusse chier Leur servise, ou pour trenchier Devant moy pain et fromage. L'un me disoit: «C'est dommage, Marotele, se tu n'aimes 410 Je te pry qu'ami me claimes, Pastourele gente et belle, Ne soiez vers moy si felle.» L'autre disoit: «Doulce amie, Et ne m'aimeras tu mie 415 Quant je suis ton chier ami? Tu vois que, s'un seul demi Pain avoie, la moitié T'en donroye a cuer haitié. Aime moy, fillete doulce, 420 Je te donray une bourse Jolie d'or et de soye.» Ainsi alors ne pensoie Nulle riens qui me grevast, N'il ne fust riens qui levast 425 De moy parole d'acort D'amer, pour tout leur recort. A tous faisoie response Que pour neant tel semonse M'aloient amonnestant; 430 Si s'en souffrissent atant, Car amer par tel devise Ne vouldroie en nulle guise. En ce point longuement fus Faisant de m'amour reffus 435 Et dongier a toute gent; Tant fussent preux, bel ou gent, Pou m'estoit de leurs clamours. Orgueilleusete d'amours On m'appelloit pour le temps; 440 Mais je vous diray par temps Coment Amours s'en venga, Qui bien mon vouloir changa, Combien qu'il m'estoit avis Que tant eust homme cler vis, 445 Gent corps, beaulté ne valour, N'aimeroie, ains grant folour Me sembloit d'ainsi amer Pour en sentir doulz n'amer. Or diray je que m'avint, 450 Il n'a mie des ans vint, Ains croy que quatre ans passez N'a mie encore d'assez: Un jour en l'ombre seoie Soubz un chaine et asseoie 455 Un vert jolis chappellet Dessus mon chief crespellet, Sus une fontaine belle. Et comme d'amours rebelle Vouloye la seulete estre; 460 Ou lieu avoit moult bel estre, Bois fueillu tout environ Et l'erbe jusqu'au giron, Par placetes drue et basse; De flouretes a grant masse 465 Diverses ot et planté, Sus la fontaine planté Arbres beaulz de moult belle ombre Que soleil ne feist encombre. Mes berbietes gardant, 470 La seoie en regardant Les floretes que cueilloye, Qu'en la fontaine mouilloie, Et de haulte voix serie Chantoye si que l'orie 475 Du boys en retentissoit. Droit a celle heure passoit Par le grant chemin ferré, Qui ert lez le bois querré, Une grant tourbe de gens 480 Sus chevaulx mignoz et gens Qui entendirent le son Et le dit de ma chançon. Adonc se sont arrestez Et ou boys, y ot de telz, 485 Entrerent, suivant la voix Du chant queroient ou bois, Mais ne m'ont pas tost trouvée, Car le boys fueillu leur vée; Mais moy, qui fus seule en crainte, 490 Des chevaulx ouÿ la frainte Qui par le bois se hastoient Et ja près de moy estoient, Tout ne me veissent ilz mie. Adonc la char me fremie 495 De paour, si me tins coye Et du tout mon chant acoye. Au chief de piece tant firent Ceulz qui en riens ne meffirent Que dessus la fontenelle 500 Me trouverent; voix ysnele N'oz pas a les saluer, Ainçoys, sans moy remuer, Me tins assise et honteuse Et de baudour souffraiteuse. 505 Tremblant et rougie ou vis Je devins quant je les vis, Car je n'oz gens de tel pris A veoir souvent apris: Frains dorez, selles couvertes 510 Avoyent blanches et vertes Et de diverses couleurs Faittes aux devises leurs. Dessus gros chevaulx mignos Et sus genez espagnolx 515 Montez estoient li ber, Plus gentilz que nul ober, Riches robes et trainans, Vestues trés avenans, D'or et de soye brodées 520 Et a devises bandées, L'une d'or, l'autre d'argent, Escharpes qui bel et gent Leur estoient avenans, Dont les cliquetes sonnans 525 Tout le boys retentissoient Pour les sons qui en yssoient, Chappeaulx jolis de festus Sus leurs chaperons vestus Avoyent jusques a l'ueil 530 Pour l'arsure du soleil. Moult furent bien assesmez Les gentilz hommes amez, Beaulx et gens a droit souhaid, Gracieux et de bon hait. 535 Adonc assembla la route Ou mainte haye fu route Pour venir a l'assemblée Ou sans cause fus troublée. Lors, comme frans, sans orgueil, 540 Tous descendirent ou brueil. Or me tins je pour surprise, Bien cuiday morte estre ou prise. Vers moy adreçant leur pas Tous ensemble isnel le pas 545 Distrent a joyeuse chiere: «Dieux vous gard, doulce bergiere.» Et je honteuse et tremblant Me lieve a couart semblant; Si com je sceus leur rendi 550 Leur salu, plus n'atendi Mais loings fus plus d'une toyse. En celle route courtoise Ot un si fait chevalier Que, s'ilz fussent un millier, 555 Si passast il, com moy semble, Trestous les aultres ensemble De valeur, de sens, de pris Et de quanque bien apris Doit avoir en tous endrois. 560 Beauls et gens, jolis et drois Fu dessus les aultres tous, Et me semble que trestous L'appelloient Monseigneur, Dont vi qu'il ert le greigneur 565 Et le plus autorisié. La un chevalier prisié S'avance et me prist a dire: «Pastoure, paour n'ayez n'yre, Car vous n'arez se bien non 570 Par nous.» Lors nomma par nom Cil qui les autres passoit Et dist: «Par cy trespassoit Monseigneur que voiez cy Et sa compagnie aussi. 575 Si chantiez, ce m'est avis, Bel et bien a droit devis De haulte voix deliée, Pour ce vostre chiere liée Moult desira a veoir 580 Et decoustes vous seoir Pour vostre doulz chant ouïr. Si ne nous pouez fouïr: Chanter il vous convendra Dont ja mal ne vous vendra.» 585 Adonc vers cellui me meine Qui Dieu doint bonne sepmaine, Et je humblement m'encline Devant lui la chiere cline, Si le saluay tout bas, 590 Mais cellui fist un grant pas Et tost relever me vint, Un doulz ris qui lui avint Gitta moult joyeusement Et dist gracieusement: 595 «Et, par Saint Sauveur d'Esture Voycy joyeuse aventure!» Adonc sus l'erbe menue S'assist et par la main nue Me prist et decouste lui 600 M'assist, si n'y ot cellui Qui ne se soit tost assis. Adonc des foys plus de six Me pria que je chantasse Hault et cler, riens ne doubtasse, 605 Mais longuement m'excusay De chanter, car je n'osay. Cil dist: «Doulce, pastourele, N'escondissez la querelle Que vous fais, ainçois chantez 610 La chançon que plus hantez.» Quant vis la grant courtoisie De ceulz, aucques acoisie Fut la paour qu'eue avoye; Si m'asseuray toutevoye 615 Et dis a cil, qui rioit Doulcement et me prioit, Que par son commandement Chanteroye ysnelement, Mais en gré le voulsist prendre, 620 Car moult y ot a reprendre. Lors a chanter commençay La chançon que je pensay Qui la plus nouvelle estoit Et qui le mieulx me goustoit. 625 Si vous diray la chançon Dont ouÿrent du chant son:
Bergierette
Il n'est si jolis mestier
Com de mener en pasture
Ces aigneaulx sus la verdure,
630 Jamais faire aultre ne quier.
Qui verroit ces bergieretes
Et ces jolis pastoureaulx
Entr'amer par amouretes
Et faire de flours chapeaulz,
635 Il diroit qu'il n'est sentier
Ne voye qui soit si pure,
Jamais d'aultre n'aroit cure,
Si s'en vouldroit accointier.
Il n'est si jolis mestier.
640 Ces pastours o leurs chevretes
Au joli chant des oysiaulx
Vous dient ces bergieretes
Et ces beaulx motez nouveaulx,
Et aiment de cuer entier,
645 Au son de leur turelure
Dançant tant comme esté dure,
D'autre joye n'ont mestier.
Il n'est si joli mestier.
Ainsi ma chançon finay
650 Et devant cil m'enclinay
Qui de chanter m'ot requise.
Mon chant loua de grant guise
De son bien et de sa grace,
Si m'en sceut et gré et grace
655 Et bien m'en remercia,
Et dist: «Pastoure, cy a
Maint gentil homme vaillant,
Si ne soyez deffaillant
D'encore une a leur requeste
660 Chanter, vous l'arez tost preste,
S'il vous plaist, en petit d'oure,
Or chantez, doulce pastoure.»
Adonc pour leur vueil perfaire
Plus prier ne me voulz faire,
665 Si chantay joliement
Ceste chançon liement:
Bergierete
Au joly bousquet
Vont ces pastoureles
Cueillir du muguet.
670 Chappellet de flours
Font a leurs amis,
Par fines amours
Ou chief leur ont mis.
La font maint hocquet
675 O leurs chalemeles
Parrot et Huguet,
Au joly bousquet.
Après ma chançon finée Joye et bonne destinée 680 Ilz m'ont trestuit aouré, Mais ja orent demouré Longuement, et la vesprée Fu ja bien près qu'avesprée Comme a soleil resconçant; 685 Mes berbis, qu' ou bois paissant Aloyent, fu temps de traire En leur toyt, et moy retraire. Si dis lors a voix rassise A cil lés qui fus assise: 690 «Monseigneur, trop tarde jé; S'il vous plaist, prendray congié Que je ne soye blasmée. Tart est, près de nuyt fermée, Temps est de mes berbis mettre 695 En toyt et de m'entremettre D'afforrer mes aignelez En noz petiz hostelez.» Lors en piez me suis levée, Et cil le congié ne vée, 700 Ains de bon cuer l'ottroya; Hors du boys me convoya, Ne point ne m'ot en despris Pour tant s'a trier me pris Mes bestes a mon appel, 705 Ainçois aida au tropel Assembler, dont pris a rire Et en souriant lui dire: «Monseigneur, par saint Legier! Bien vous siet estre bergier; 710 Oncques si jolis pastour Ne repaira cy entour.» A rire s'en commença, Congié pris, il me laissa, Mais ainçois a moy s'offry 715 Ne oncques il ne souffry Que genoil je meisse a terre N'au congié n'a don requerre. Tous me touchierent la main En disant: «Et soir et main 720 Vous doint Dieux, doulce bergiere, La riens que plus ariez chiere.» Ainsi adonc se partirent Ceulz de moy et congié prirent, Et ou terminoit li vaulz 725 On leur mena leurs chevaulz; Si s'en vont dessus ridant, Jouant, riant et chantant. Et je a l'ostel m'en tourne, Mais tart m'est que je retourne; 730 Si mis mes berbis en toit, Car la nuit ja me hastoit Et les pris a affourrer, Besoing n'oz de demourer. Ainsi celle nuit passay, 735 Mais sachiez que moult pensay A ceulz qui sus la fontaine Me trouverent a grant peine, Sur tous d'un me souvenoit Et au devant me venoit 740 Son beau corps, gent et faitis, Et son doulz maintien gentilz, Son parler, son regard doulz Qui plaire el me fist sur tous. Au matin, quant vachier corne, 745 Que toutes bestes a corne On meine aux champs pour repaistre, Mis mes berbis en champestre Et vers le bois me tournay, Mais ainçois bien m'atornay 760 D'estroitte cotte de vert; Mon peliçon fu couvert D'un beau ridé chainse blanc, Et ceinte parmi le flanc Fus de ceinture ferrée, 755 Reluisant com fust dorée, La ou pendoit la boursete De soye fine, doulcete. Et le faitis esguillier Lez le coutel a taillier. 760 La alay ou je souloye, Et ainsi comme j'aloye Mes compaignetes encontre; En alant en leur encontre De loings me pristrent a rire 765 Et commencerent a dire: «Dont me vient ce, Marotele, Qu'adès ta belle cotele Tu as vestue et es ceinte De ta jolie sursainte? 770 T'a ton pere fiancée, Ou se as nouvelle pensée? Oncques ne te veismes yer; Ou alas tu ombroier? Si fus tu bien demandée; 775 Or le demande a Houdée. En l'aunoy fusmes en l'ombre; De pastours y ot grant nombre Atout flajolz et bedons, Qui aporterent maints dons 780 Aux pastoureles qui tindrent La feste et bien s'i maintindrent: Parrot a la joue enflée Aporta de giroufflée Trestout fin plein son giron 785 A Belote du Firon; De soussie plein chappel Aporta Robin Happel A Marion la Gautiere; Une tartre toute entiere 790 Et un beau gros grant gastel Aporta soubz son mantel Colin Gautre de la Broce; Jehannot pendant a sa croce Aporta tout un jambon, 795 Oncques je ne vi si bon, Et la meilleure despense Qui oncques entrast en pense, Deux bouteilles toutes pleines. Si dançames en ces plaines 800 Ou ot moult belle assemblée De joye et baudour comblée. N'y a pastoure ou paÿs Jusqu'en ces larris laÿs Qui ne venist a la feste, 805 De dancer et chanter preste. Si n'y ot en ceste année Plus grant feste et mieulx menée. Girout te demanda moult, Ne oncques dancer ne voult 810 Pour ce que pas n'y estoies. Et ou fus tu toutesvoyes Quant avecques nous ne vins? Or nous di que tu devins?» Adonc Lorete appellay 815 Et tout bas a lui parlay, Car celle fu plus m'amie, Et dis: «Ne m'esgaray mie, Ains compagnie plaisant Plus que vous vi et faisant 820 Chiere bonne et doulcereuse, Dont je suis toute amoreuse. Si n'y avoit pas pastours, Mais ceulz qui scevent les tours De courtoisie et d'onneur, 825 Car n'y avoit nul menour De chevalier ou gentil Escuier, de baron fil. Sus la fontaine en ce bois, Ou souvent seulete vois, 830 Me trouverent ou chantoye Et mon entente mettoye A ces floretes cueillir. La me vindrent acueillir, Ainsi mon chant me traÿ. 835 Quant je les vi m'esbahy, Car cuiday estre honnie Et de toute honneur banie. Mais de ce garde n'avoye, Car oncques, se Dieux me voye, 840 Je ne vi gent si courtoise. Doulcement sans mener noise Gracieux salu me dirent, Puis des chevaulx descendirent Et s'assirent couste mi, 845 Mais sur tous, par saint Remi! Y ot un qu'ilz appelloient Monseigneur, quant l'appelloient, Qui estoit doulz et plaisant Et bonne chiere faisant, 850 Qui de chanter me requist Et moult doulcement m'enquist De mon estre et que faisoie En ce bois ou m'esbatoye; Et tant fist que je chantay, 855 Quant plus riens je ne doubtay, Une chançonnete ou deux, Et certes je fus bien d'eulx Merciée et chier tenue; Et ja estoit nuyt venue 860 Quant d'eulx je me departi. Or t'ay dit en quel parti Je fus yer la remontée, Mais en pensée boutée Nouvellete suis sans doubte, 865 Tant me plaist ycelle route De gens doulz et avenans, Et adès suis souvenans De cil qui le mieulz me plaist, Qui me dist sans trop long plaist 870 Qu'il me revendroit veoir Et decouste moy seoir. Si me tarde qu'il y viengne. Dieux doint qu'il lui en souviengne Et que, sans penser villain, 875 Me vueille amer com je l'aim, Sans villennie me faire! Car ne pense a me meffaire Pour homme qui soit en vie, Ne d'autre riens n'ay envie 880 Fors que nous chantions ensemble, Il n'y pense, ce me semble, Autre mal et non fais je.» «Hé Dieux! que c'est bien songé!» Lorete adonc respondi: 885 «Par le Dieu qu'en crois pendi! Or te voy en male cole Qui veulz laissier nostre escole Et renoncier au mestier Pour de tel gent t'acointier. 890 Laisse en paix tout, soterele. Est ce estat de pastorelle Qui bestes a a garder? Il te convient regarder A ton honneur, ou, sans doubte, 895 Tost la perderoies toute, Mieulx te vauldroit estre morte. Sont telle gent de ta sorte? Ilz t'aroient tost honnie De toy faire villennie. 900 Certes, pou tenroient conte. Te fault il un filz de conte Se d'amours te veulz tramettre? Certes, chascun son cuer mettre Doit, se joïr veult a droit 905 D'amours, selon son endroit. Il est tant de valetons Si beaulx qui gardent motons Et pour t'amour se deffrisent Et te servent et te prisent; 910 Choisis un, se veulz amer, Et ne te fay pas blasmer De ceulz qui d'amour legiere Aymeroient toy, bergiere.» Adonc respons: «Certes, suer, 915 Amer ne vueil a nul fuer Par amours, ce n'est pas fable, Qui qu'il soit, mais s'agreable M'est un seul plus qu'aultres mille Pour son corps gent et abille, 920 Pour tant n'ay je pas envie D'emprendre amoureuse vie; Ja Dieux ne m'y doint embatre! Mais je me vueil, bien esbatre Et jouer sans villennie, 925 Ne fault ja que je le nye. La veue riens ne me couste De cil qui me plaist et gouste; Si ne m'en fault ja blasmer, Car sans mal le vueil amer 930 Pour le bien qui en lui maint, Et ainsi sont amé maint Vaillans pour leur grant bonté Si com l'en m'a raconté.» Lorete adonc me respond: 935 «Voir est, si com lievre pont, Qu'a ton vueil a droit compas Aimeras, n'y fauldras pas. Cuides tu faire a ta guise D'Amours qui les cuers desguise 940 Estrangement et scet prendre? Et ja le pues tu aprendre Quant elle te fait tant plaire Homs de nature contraire Au mestier de bergerie. 945 Par Dieu! c'est grant resverie Coment ton cuer y puet tendre, Et si te pues bien attendre, Tant t'en vueil bien ores dire, Puis que le tien cuer y tire, 950 Se souvent as sa hantise, Qu'Amours, qui les cuers atise, Ne te laira pas durer Sans de lui t'enamorer, Se il est tel qu'il te face 955 Semblant ne d'ueil ne de face. Mais je te pri, toutevoye S'il te plaist, que je le voye Et que le secret tout sache, Car en soy maint mal ensache 960 Cuer qui aime ou veult haïr Sans a nul le regehir.» Lors dis qu'il me plaisoit bien, Car je la savoye bien Secrete, et o moy venroit 965 Ou boys ou j'aloye droit, Si seroye mieulx que seule, Mais ja n'yssist de sa gueule Chose qui a celer feist, Gardast que tant ne meffeist; 970 Et celle le me jura Par serment et asseura. Ainsi, noz berbis chaçant Qui devant nous vont paissant, Entre noz deux seulement, 975 De ce parlant belement, Vers le bois nous sommes traittes Et loings des autres retraittes Tant qu'a la fontaine veismes Et sus l'erbe nous seïsmes. 980 La fusmes la matinée, Reveismes a la disnée, A ressie retournames Ou boys, ou d'amours parlames. Ainsi trois ou quatre jours 985 En ce boys allons tousjours Qu'onques nul vers nous ne vint, Mais tost après cil revint Dont m'anuyoit la demeure; Les chevaulx senti en l'eure 990 Car l'oreille ailleurs n'avoye, Si saillis tost en la voye Pour savoir se cil estoit Que le cuer m'amonnestoit. Quant de loings le vi venir 995 Amours me fist devenir Vermeille ou vis, et couleur Muay, sans sentir douleur. De loings je le regardoye; A l'entrée l'attendoye 1000 Du boys dont il approchoit. Lui troisiesme chevauchoit Sans plus, li biaux et li gens. N'ot pas mené tant de gens Comme a l'aultre fois avoit. 1005 Ma compaingne qui le voit De paour prist a trembler Et ou vis morte sembler; Si me dist par grant freour: «Je mourray cy de paour, 1010 Nous serons ja tost honnies, De folie t'ensonnies De tel seigneur t'acointier. Yssons hors de ce sentier, Il nous en vault mieulx fouïr 1015 Et nous aler enfouïr Soubz ces fueilles en ce boys. Vien se tu veulz, je m'en vois; Mieulz voulsisse estre grevée D'un bras que t'avoir trouvée 1020 Anuyt n'ycy convoyée. —Dieux! que tu es effroyée!» Dis je, «Lorete, regarde Comme il rit; tu n'aras garde: Il n'est pas tel qu'il nous face 1025 Villennie ne mefface.» Cellui ainsi chevaucha Tant que de nous approcha, Et je contre lui m'aval. Il descent de son cheval, 1030 Je m'encline et le salue Comme affiert a sa value, Mais tost me vint relever Et dist: «Dieu vueille sauver Ceste bergierete gente, 1035 D'aigniaulx garder diligente.» Lors me prent parmi la main, Et je ou vert boys le main Seoir sus la fontenele. Doulcement dist: «Marotele, 1040 Vous veoir moult desiroye N'a aultre riens ne tiroye Qu'a cy retourner arriere, Car oncques ne vi bergiere, Dont je soye souvenant, 1045 A mon gré si avenant Ne dont le chant tant me pleust, Tant autre bien chanter sceust. Or vous pri je, doulce amie, Que ne m'escondissiez mie 1050 De chanter sans plus long plait, Car vostre chant moult me plait. Mais dites, doulce maignete, Est ce vostre compaignete Que je voy la toute seule 1055 Assise sus celle esteule?» Lors a respondre me pris Au chevalier que tant pris, Bassement sans arrestance, Et de mesprendre en doubtance 1060 Dis: «Monseigneur, grant mercy Dont tout mon fait vous plait si. C'est de vostre bien sans faille, Non mie que je le vaille. Si suis de bonne heure née 1065 Quant Dieu m'a ad ce menée Qu'a tel chevalier je plais Dont tout li mondes tient plais Du grant renom et vaillance; Si vueil du tout sans faillance 1070 Estre vostre en tout honneur, Car bien sçay que deshonneur Jamais ne pourchaceriez Vers moy, vous ne daigneriés. Si commandez a vo guise, 1075 Soit chant ou autre devise, Ja ne vous contrediray Mais du tout obeïray Sans que nulle riens remaigne, Monseigneur; mès ma compaigne, 1080 Que veez la, seure n'est mie.» Lors dist: «Venez ça, m'amie, N'aiez ja de moy doubtance, Car a vous faire ne pense Chose qui vous desagrée. 1085 —C'est ma conpagne secrée, Monseigneur, faittes lui chiere,» Ce dis je, «et l'aim et tiens chiere.» Lors celle c'est approchée Qui tint la chiere embrunchée, 1090 Et de contenance simple, Le chapperon, que ot sans guimple Affulé, de son chief oste Et s'agenoilla decoste Cellui, qui lui tend la main 1095 Et dit: «Dieux vous doint bon main, Bergierete savoureuse, Ne soiez pas paoureuse De moy qui suis vostre ami, Mais vous seez coste mi. 1100 Et dittes de voz nouvelles Entre vous deux, pastourelles, Car pastouriaux aussi sommes, Voz chiers amis et voz homes.» En sa compagnie avoit 1105 Deux chevaliers qu'il savoit Secrez, sages, sans murmure, Car d'autres gens n'ot il cure, Qui furent jolis et cointes, N'orent pas gonnele a pointes 1110 Mais haincellins a grans manches, Estrois, serrez sus les hanches. De velous vert decouppez, Brodez, d'or entour frappez, Et coliers d'orfavrefie, 1115 Moult riches a pierrerie; Si n'a de cy en Artois Nul chevalier plus courtois En fait, en dit, en langage Et en maintien doulz et sage. 1120 Cellui ou le plus pensoye Lors n'estoit vestu de soye, Mais d'une grant hoppellande Longue et ot une guerlande En son chief o un fermail 1125 De pierrerie et d'esmail, Un riche colier luisant Qui moult lui fu aduisant, De dyamans tout semé Et de perles asesmé, 1130 Mais de ce ne fais je conte Combien qu'adès vous en conte, Car ses condicions, faittes A souhait, toutes perfaittes Furent a mon gré, par m'ame, 1135 Telles qu'en ce monde dame N'a que on la deust blasmer D'un tel chevalier amer, Et ce plus l'embelissoit Que le fin or qui luisoit 1140 Ne la pierrerie aussi. Longuement fusmes yssi, Ou mainte raison ot ditte Que je n'ay pas cy escripte Pour le conte qui seroit 1145 Si long qu'anuyer porroit; Pluseurs chançons y chantay, Et cil chanter escoutay De qui le chant me plaisoit Et trestout quanque il faisoit. 1150 La devisames sans conte D'amours maint gracieux conte, Et a mainte belle enqueste Respondis a sa requeste; Maint doulz ris, maint doulz regart 1155 Fu gitté, se Dieux me gard, Celle part ou fist bel estre; Et, tout soit il bien grant maistre, En son fait n'en son accueil N'ot ne mauvaistié n'orgueil, 1160 Dont forment m'esbaÿssoie Quant a sa valour pensoye Et le veoie sur tous Humble, gracieux et doulz, Et ce yert ce que plaissoit 1165 Mon cuer a qui il plaisoit. Longuement ou lieu nous seismes, Ou maint plaisant conte deismes Qui a conter bien seoit Mais pas ne nous desseoit, 1170 Tant y fussions grant espace, Car legierement temps passe Cuer qui en ayse demeure, Un jour ne lui est une heure. Ja d'avesprir s'aprestoit; 1175 Un chevalier qui estoit En la place avoit ja dit Maintes fois, dont fu maudit De moy, a basse murmure: « Sire, le temps pou vous dure, 1180 Ja est tart, le jour nous fault; Souviengne vous qu'il vous fault Devers noz seigneurs aler A qui avez a parler. » Lors disoit cil: « Je m'en vois », 1185 Puis se rasseoit ou bois Et ne s'en pouoit partir, Et moy aussi sans mentir Voulsisse bien qu'a tousjours Près de lui fust mes sejours, 1190 Mais partir nous convenoit Pour la nuit qui ja venoit. De moy se parti atant Le bel et bon que j'aim tant; Au departir m'acola, 1195 Je m'encline, il s'en ala Esperonnant son cheval; Et je m'en viens contreval La prée, atout vert chappel Ou chief, menant mon tropel, 1200 Devisant a ma compagne. Et ainsi par la champagne Venismes en noz maisons, De hebergier fu saisons; Si failly no parlement 1205 Atant, mais tout bellement Avons l'une a l'autre ou bois Mis journée; a basse voix Deismes: « Lieve toy par main, A Dieu jusques a demain. » 1210 Celle nuit ainsi passa C'oncques mon cuer ne pensa Fors a cil sanz qui n'avoie Nul bien se ne le veoie. Si n'y ay gaires dormi, 1215 Mais en pensant a par mi Disoie ces mos yci Comme ouïr les pouez ci: