Paris nouveau et Paris futur
NOTES:
[1] Pour les côtés politiques, administratifs et financiers de la question, qu'on me permette de renvoyer, en toute humilité, et avec le sentiment profond de mon incompétence, aux discussions de la Chambre, aux articles de la plupart des journaux, et notamment aux travaux remarquables où M. Ferdinand de Lasteyrie a creusé bien des faces de ce vaste sujet, que la différence de mon cadre me condamnait à effleurer seulement.
[2] Voir, en particulier, plusieurs des innombrables communiqués adressés à l'Opinion nationale et au Journal des Débats. M. le préfet s'entend mieux que pas un à se faire une tribune de celle de ses adversaires.
[3] Il est difficile, pour le dire au moins en note, de ne point remarquer l'inaction obstinée qui condamne certains quartiers à un statu quo dangereux, en contraste avec l'activité fiévreuse et sans bornes qui impose à d'autres des transformations radicales dont ils n'avaient nul besoin. Sur la rive gauche, depuis l'origine des travaux actuels, on réclame en vain l'élargissement des étroites rues Saint-André-des-Arts, Sainte-Marguerite, du Four, du Vieux-Colombier, où l'abondance de la circulation rend les accidents presque journaliers. Mais ce ne serait là qu'une opération utile, modeste et sans gloire: on a préféré prolonger jusqu'au Panthéon la fastueuse inutilité du boulevard de Sébastopol. Comparez aussi l'abandon presque absolu dont se plaint la banlieue annexée, sauf sur deux ou trois points de la rive droite, avec tout ce qui se fait au centre de Paris. Ce que la banlieue a gagné jusqu'à présent à l'annexion, c'est l'honneur de payer l'octroi, de voir hausser les loyers et de participer aux charges de Paris sans participer à ce qu'elle prend, de loin, pour ses priviléges. La banlieue ne connaît pas son bonheur.
[4] Voir, à défaut des quartiers eux-mêmes, la série d'articles extrêmement curieux publiés par M. de Coëtlogon, dans la Gazette de France, en 1864 et 1865.
[5] Un journal de province s'est attiré un communiqué pour avoir évalué à une trentaine de millions les frais d'établissement de cette dernière promenade: ils ne paraissent pas devoir dépasser le quart de cette somme, dit le communiqué,—d'où l'on peut conclure hardiment qu'ils en atteindront au moins la moitié.
[6] Chaque arbre ainsi transplanté revient, en moyenne, à deux cents francs. (Revue des Deux Mondes du 1er février 1865, article de M. Clavé.)
[7] Depuis que ceci est imprimé, le Paradis artificiel a disparu, à ce que nous croyons, ou il a émigré. C'est dommage: il était là à sa vraie place.
[8] L'administration du bois de Boulogne comprend quatre services, et de véritables armées d'employés, le tout nécessité par sa transformation en parc à l'anglaise. L'entretien de ses plantations figure sur les budgets ordinaire et extraordinaire de 1865 pour une somme de trois millions trois cent quatre-vingt-six mille francs, et l'on sait la distance habituelle qu'il y a du budget projeté au budget définitif. Que dites-vous du prix? Il me semble que c'est cher, mais je me trompe peut-être.
[9] Aujourd'hui, la menace est accomplie. Il paraît qu'on avait conçu des craintes sur la solidité de cette galerie; mais ces craintes, venues à point nommé, et qui font honneur au zèle ingénieux de l'édilité actuelle, ont dû se convaincre qu'elles étaient singulièrement prématurées, devant ces fondations d'une solidité prodigieuse qui a opposé une résistance héroïque au vandalisme des pioches et des leviers conjurés contre elles. En restera-t-on là, du moins? M. Berryer a eu l'indiscrétion de le demander en pleine Chambre, dans la séance du 28 mai 1864, et l'organe du gouvernement a bien voulu le rassurer, en affirmant d'une façon solennelle qu'on n'avait pas actuellement l'intention de reconstruire en entier les Tuileries. Cet adverbe a fait frémir tous ceux qui sont au courant du vocabulaire officiel, et il suffit de jeter un coup d'œil sur les derniers travaux pour être fixé sur la valeur de cette réponse. Tout en professant le respect qui sied pour les paroles de l'orateur du gouvernement, on peut prédire, sans crainte de démenti et sans avoir la prétention de se poser en prophète, que le nouveau pavillon de Flore exigera un nouveau pavillon de Marsan, et que la reconstruction de la galerie du bord de l'eau entraînera celle de la galerie qui longe la rue de Rivoli. Nous serons trop heureux si l'on ne va pas plus loin.
[10] Depuis que ceci est écrit, j'ai lu dans quelques journaux qu'en effet on venait de s'aboucher avec les propriétaires du Grand-Hôtel pour leur acheter le droit de démolir l'angle du bâtiment qui masque l'Opéra, et qu'on était arrêté par le prix effrayant qu'ils en demandent. Il est à croire que ce temps d'arrêt ne sera pas long.
[11] Ce projet n'est pas nouveau. Je ne remonterai pas jusqu'à Henri IV, et l'idée qu'il avait conçue de faire converger vers la place de l'Europe des rues portant les noms des provinces: dans ces limites, rien n'était plus légitime. En son ouvrage intitulé: Paris à la fin du dix-huitième siècle (in-8°, p. 83), Pujoulx expose tout au long un plan qui lui est propre, et qui consiste, en considérant Paris comme le centre d'un vaste État, à présenter dans les dénominations de toutes ses rues, impasses, places et quartiers, un résumé de la carte géographique. Sous la Révolution, le 14 brumaire an II, le citoyen Chamouleau, au nom de la section des Arcis, avait fait sur le même sujet une proposition beaucoup plus originale à la Convention. Voici comme elle était formulée: «Les communes de la France seront divisées en arrondissements particuliers, dont chaque place publique sera le centre; toute place publique portera le nom d'une vertu principale. Les rues affectées à l'arrondissement de cette place seront désignées par les noms des vertus qui auront un rapport direct avec cette vertu principale. Lorsqu'il n'y aura pas assez de vertus, on se servira de ceux de quelques grands hommes; mais on les rangera dans l'arrondissement de leur vertu principale.—À Paris, par exemple, le Palais National s'appellera Temple ou Centre du républicanisme; l'Hôtel-Dieu, Temple de l'humanité républicaine; la Halle, Place de la frugalité républicaine. Les rues adjacentes, pour la première, seront les rues de la Générosité, de la Sensibilité, etc., et pour la seconde, de la Tempérance, de la Sobriété, etc. Il s'ensuivra que le peuple aura à chaque instant le mot d'une vertu dans la bouche, et bientôt la morale dans le cœur.» Pourquoi cet admirable projet n'a-t-il pas eu de suites? Mais on pourrait le reprendre aujourd'hui: ce serait une telle occasion de mettre les vertus du dix-neuvième siècle en lumière, à moins toutefois qu'on ne craigne, selon le cas prévu par le sagace citoyen Chamouleau, qu'il n'y on ait pas assez.
[12] Un bruit court,—et l'expérience nous a appris que, sur le chapitre des travaux de Paris, il faut tenir grand compte des bruits qui courent,—un bruit court qu'on nous prépare un nouveau pont entre celui des Arts et celui des Saints-Pères, pour correspondre à un guichet du Louvre qui n'est pas encore ouvert, et à une rue qu'on se propose de percer. Seulement, quand il aura été bâti, les deux autres seront devenus inutiles, et on trouvera encore vingt excellentes raisons pour les démolir.—M. Haussmann n'est pas heureux avec les ponts, comme l'a fait observer M. F. de Lasteyrie. Après avoir exécuté séparément les deux tronçons du boulevard de Sébastopol sur la rive droite et sur la rive gauche, il s'est aperçu non-seulement qu'ils n'étaient pas dans le même axe, mais encore qu'ils n'étaient ni l'un ni l'autre dans l'axe des deux ponts destinés à les mettre en communication. Il a fallu les abattre tous deux pour les reconstruire à côté: c'était l'affaire de quelques millions seulement, ce qui ne vaut pas la peine d'en parler. Mais, après cette opération, il s'est trouvé que le nouveau pont au Change n'était guère mieux que l'autre en ligne droite avec le boulevard. Voilà qui s'appelle jouer de malheur. Reste la ressource de le démolir une seconde fois.
[13] Ici encore ma conjecture s'est trouvée vérifiée. La plupart des journaux ont raconté, vers la fin de décembre dernier, l'histoire instructive de M. B., sujet anglais, domicilié à Paris, au lieu dit, il y a quatre ans, place Pentagonale; il y a deux ans, place Wagram, et connu aujourd'hui sous sa première appellation de place Pentagonale, le nom de Wagram ayant été donné récemment à un autre square placé dans le même quartier. M. B..... envoya, le 22 décembre, de la rue Vivienne, où il a son bureau, une dépêche à sa famille, laquelle dépêche lui fut retournée le lendemain avec cette mention: Destinataire inconnu.—La place Pentagonale n'existe pas. M. B...., qui habite depuis plusieurs années le lieu en question, trouva l'assertion un peu absolue. Français, il se le fût tenu pour dit, et serait resté convaincu que, par une erreur dont il était seul coupable, il avait cru demeurer en un endroit qui n'existait que dans son imagination. Mais M. B.... est Anglais, et, fidèle à la devise de l'Angleterre: Dieu et mon droit, il adressa une réclamation à la direction générale des lignes télégraphiques, qui s'excusa il faut lui rendre cette justice, avec le plus grand empressement.
«La dernière édition de la nomenclature des rues de Paris, était-il dit ou à peu près dans cette lettre justificative, bien que dressée par M. Sagansan, géographe de l'administration des postes, ne fait aucune mention de la place Pentagonale. Malgré le zèle apporté par l'administration pour se mettre sur la trace des changements opérés dans la dénomination des voies de communication, elle n'arrive pas toujours à des renseignements exacts, et doit s'en tenir à des documents officiels, malheureusement incomplets.»
Si une administration publique se trouve débordée par l'activité de M. Haussmann, dit le Temps, que feront d'humbles Parisiens, qui sont, au dire de M. le préfet de la Seine, gens nomades et tout à fait désordonnés dans leurs allures?
[14] M. Cocheris, chez Durand.
[15] Dicaearchiae Henrici regis christiannissimi progymnasmata, in-8.
[16] Trois parties réunies en un seul volume in-12, imprimé avec une page blanche au verso de chaque feuillet pour recevoir les observations du lecteur.
[17] Je trouve aussi dans la bibliographie de la France, de Girault de Saint-Fargeau, l'indication d'un Mémoire de Bouteville pour l'embellissement de l'île du palais, dont il ne donne pas la date.
[18] Le projet d'amener les eaux de la mer à Paris, en prolongeant jusque-là un port construit à Cherbourg, fut présenté à Louis XVI, et vivement combattu par les architectes, qui le regardaient comme capable d'entraîner la ruine de la capitale par la filtration de l'eau salée à travers le terrain calcaire qui sert de base à Paris. Le comte de Las Cases, dans le tome IV du Mémorial de Sainte-Hélène, dit qu'il présenta à Napoléon, en 1812, un plan pour transformer le Champ de Mars en une naumachie qui eût servi d'ornement au Palais du roi de Rome, et qu'on aurait creusée suffisamment pour recevoir de petites corvettes destinées à l'instruction d'une école de marine installée à l'École militaire. Cette idée est revendiquée par Naudy Perronnet, qui, dans un ouvrage publié en 1825, et où il revient longuement là-dessus, prétend l'avoir proposée lui-même en 1812, avec cette seule différence qu'il établissait sa rade ou son bassin dans la plaine de Grenelle.
[19] Le fameux Vriès, qui depuis devait acquérir une autre illustration sous le titre de Docteur noir, avait renouvelé dans des proportions grandioses, vers 1855, ce projet du Temple de Dieu, où il voulait opérer la fusion de tous les cultes.
[20] C'est fait.
[21] Plus loin, le prince de Ligne s'indigne encore contre ceux qui pourraient s'opposer à ses projets en prononçant ce vil mot d'argent. On voit qu'il avait les grandes traditions. Napoléon Ier disait de Corneille: «S'il avait vécu de mon temps, je l'aurais fait prince;» M. Haussmann pourrait dire du prince de Ligne: «Je l'aurais fait membre de ma commission municipale.»
[22] Avis à M. le préfet de la Seine: il rougira de n'y avoir pas encore pensé.
[23] Paris a marché depuis, sans tenir aucun compte de la volonté du prince de Ligne.
[24] Pour le coup, ce n'est pas cette phrase-là qui eût fait entrer le prince de Ligne au conseil municipal.
[25] On s'est avisé d'en bâtir quelques-unes: il est vrai que, depuis que l'auteur écrivait ceci, on en avait abattu beaucoup.
[26] Chamousset, philanthrope (1717-1773), qui a beaucoup fait pour l'amélioration des hôpitaux, des établissements de bienfaisance, et de l'assistance publique, ce qui est la meilleure manière de réformer Paris.
[27] Voilà nos squares, avec leurs plantations et leurs pelouses, qui n'ont rien de «contraire à la dignité,» et où la nature garde un parfait décorum.
[28] M. Haussmann, hélas! n'a pas été si sage.
[29] Rien que cela. Le plan actuel est plus complet: «Il ne s'agit que d'abattre tout Paris, et de le reconstruire.»
[30] Ceux de M. Haussmann ne l'étaient pas encore.
[31] Le conseil est un peu radical, il faut l'avouer, et il effrayerait des gens timides; mais M. le préfet de la Seine est homme à le comprendre.
[32] Il y a là une idée; mais démolir une demi-douzaine de maisons, c'est bien mesquin: le jour où nous nous en mêlerons, nous ferons mieux les choses.
[33] Passage recommandé à l'honorable général Husson.
[34] On a vu, par la lecture de l'Appendice précédent, à quel point cette dernière partie du vœu de Ch. de Villette a été exaucée.
[35] Beaucoup plus simple, en effet, comme il serait plus simple aussi de débaptiser les anciennes rues pour leur donner de beaux noms modernes.
[36] Cette raison était concluante: aussi l'église des Théatins devint-elle un magasin de blé, et Ch. de Villette vécut assez pour voir ce beau triomphe de l'utilité publique; puis on en fit une salle de spectacle, puis un café; après quoi il ne resta plus qu'à la renverser.
[37] C'est fait.
[38] On a fait mieux: on l'a démoli.
[39] C'est fait.
[40] Voilà encore une fois la rue de Rivoli.
[41] Admirable thème pour un nouveau discours de M. Duruy à l'Association polytechnique, ou pour un bas-relief au fronton d'une caserne! Les vieux partis ne s'en relèveraient pas.
[42] C'est l'auteur qui a souligné cent mille écus, tant il est épouvanté d'une prodigalité pareille. Il se serait formé, s'il eût vécu jusqu'à nos jours.
[43] Voilà l'idée des refuges, dont il est question depuis quelque temps.
[44] C'est dans ce concours, où Victorin Fabre, Millevoye et Soumel remportèrent le prix et les accessits, que M. Viennet s'écriait avec un enthousiasme lyrique:
À chaque pas m'arrête un prodige nouveau;
Tout fléchit sous l'équerre, obéit au cordeau.
Et on ne le couronna point!
[45] Dans les premières pages de son volume, M. Amédée Tissot recommande l'usage des voitures à vapeur, ne fût-ce que pour éviter les miasmes insalubres qui résultent pour les rues des grandes villes de l'emploi des chevaux. Il voudrait aussi qu'il fût défendu de fumer dans les rues, places, jardins et passages. Décidément M. Tissot n'aime point les mauvaises odeurs.
[46] Une centaine de pages plus haut, l'auteur avait préconisé l'emploi du fer au lieu de bois dans tous les bâtiments pour les dérober au péril d'incendie.
[47] C'est un commencement de phalanstère: nous nous y acheminons.
[48] À la bonne heure! Mais ce qui gâte l'idée, c'est que l'auteur veut réglementer la variété elle-même «suivant les quartiers.» Ce bon conseil n'en a que plus de chance d'être suivi aujourd'hui.
[49] Nos architectes sont classiques, très-classiques, mais cela ne les empêche pas d'employer l'architecture turque, chinoise et birmane.
[50] Cf. aussi Mémoire sur l'embellissement des Champs-Élysées, par Eugène Bérès. 1836, in-4°.
[51] Le conseil municipal de 1830, oui, peut-être; mais celui de 1865, non, à coup sûr. Il a déjà voté mieux que cela.
[52] Saint-Germain-l'Auxerrois.
[53] Plus loin, ce temple est décrit, comme la ville, dans le plus grand détail. De même que Paris est un homme, son temple est une femme!
[54] C'est la ceinture, comme le lecteur l'a compris sans doute.
[55] On voit que c'est tout à fait notre boulevard de Sébastopol, avec sa prolongation du boulevard de Strasbourg.
[56] Je ne parle pas de Paris moderne, plan d'une ville modèle que l'auteur a appelée Novutopie, par Couturier de Vienne (1860, in-12): c'est une fantaisie satirique, qui ne se rattache que de très-loin et très-indirectement à notre sujet.