Physiologie de l'amour moderne
que vous citez toujours, sans le comprendre, se traduirait alors pour cet amant malheureux en images précises. Quand il penserait que sa maîtresse l'a trahi, au lieu de voir dans le plus simple des faits la cruelle énigme, il y verrait un phénomène vulgaire, quelque chose d'aussi banal que la toux quand on a le rhume, ou que l'éternuement sous un courant d'air. C'est Adrien Sixte qui l'a dit, et ce n'est pas mal pour un benêt de philosophe: «L'amour, c'est l'obsession du sexe.» Et de cette obsession-là il faut se débarrasser comme de toutes les autres, par la vision bien nette de la misérable cause qui produit ce grand effet.... Bon, me voici encore obligé de vous quitter; j'en ai pour cinq minutes, cette fois.»
Il en passa plus de cinquante. L'endroit était mal choisi pour m'y faire stationner. C'était à deux pas de l'entrée du Vaudeville, rue de la Chaussée-d'Antin. Or, à ce théâtre du Vaudeville se rattache un de mes plus tristes souvenirs. J'ai vu ma maîtresse en sortir avec un de mes rivaux, après que je l'avais laissée, trois heures auparavant, assise au coin de son feu, me disant qu'elle se mourait d'une migraine. J'étais moi-même rentré chez moi, et, le souci de sa santé m'ayant empêché de travailler, j'avais quitté ma chambre et gagné à pied les bureaux d'un journal. Désireux de causer pour tromper ma mélancolie, j'y avais cueilli André Mareuil, et nous allions, devisant sur le boulevard, entre Tortoni et l'Opéra, indéfiniment. Et puis le mauvais destin veut qu'André s'arrête pour voir la sortie du théâtre. Et le reste!... Je me rappelais, dans la voiture de Noirot, cette scène de trahison. Mes sentiments d'alors me revenaient, après tant de jours, avec une extraordinaire précision. Cela me déchirait à nouveau tout le cœur, et je m'amusais à discuter mentalement avec le cynique docteur que je venais de quitter:
—«Non,» me disais-je, «j'ai beau m'imaginer qu'en me trompant Colette a obéi à des nécessités de pure, ou plutôt d'impure physiologie, cela ne peut pas me consoler, puisque c'est là ma peine: qu'avec ce joli visage, qui ressemble tant à mon rêve, elle soit soumise à cette perversion de son cœur par ses sens. Quand même je croirais que son mensonge n'a jamais été que de l'hystérie, et quand je posséderais la véritable théorie de ce mal mystérieux, l'arche sainte de la doctrine nouvelle, cette théorie m'empêcherait-elle d'éprouver que c'est là une grande misère: ne jamais, jamais pouvoir croire aux paroles de cette bouche que j'aime tant? Ah! ces bouches comme en peignait le divin Sandro, dont la ligne est un peu renflée et fine, sensuelle avec un rien d'amertume dans le pli qui touche à la joue, comment peuvent-elles tant mentir et rester si belles?...»
Pour chasser l'image de cette bouche trop chérie, je me remis à feuilleter la brochure sur l'agoraphobie, l'oïchophobie ou peur des maisons, sans doute, la topophobie ou peur des endroits, je suppose,—et, à la suite de mes réflexions de tout à l'heure, j'écrivis l'aphorisme suivant sous la rubrique:—Illogisme.
XCIII
Un savant me démontre, pour me consoler, les motifs physiologiques de l'inconstance d'une femme que j'aime. Il y a des gens aussi qui vous disent, quand vous pleurez un mort: «Vos larmes ne vous le rendront pas.» Hélas! c'est justement pour cela que vous le pleurez.
Le docteur reparut. Il avait la figure toute soucieuse:
—«Je vous ai fait attendre,» reprit-il; «je viens d'assister à une scène navrante. Un homme atteint d'un cancer et qui m'a supplié de lui avouer son état pour qu'il arrangeât ses affaires.... Il en a pour un mois.... Je le lui ai dit. Les raisons qu'il m'a données m'en faisaient un devoir. C'est le plus dur de notre métier, cela.... Il a pris son visage dans ses mains, et il a pleuré, sans parler, de grosses larmes qui tombaient sur le drap.... Puis il m'a dit: merci, et il m'a demandé que sa femme n'en sût rien.... Quand elle est rentrée, il causait avec moi en souriant.... C'est toujours beau, un caractère....»
—«Et cela ne vous fait pas croire à l'âme, à quelque chose d'indéfinissable, d'irréductible au scalpel, qui palpite à travers les défaillances des organes?...»
—«Pas le moins du monde,» dit-il en secouant la tête; «un sentiment ne doit jamais prévaloir contre une idée.... Mais dépêchons-nous, parce que j'ai un pauvre diable à visiter très loin.... Encore une histoire navrante....»
Il avait oublié notre discussion, et je n'eus pas le courage de la reprendre. Je l'écoutais me détailler une infortune affreuse, comme il n'y en a qu'à Paris. Je comprenais, sans qu'il me le dit, qu'il perdait une heure de son temps chaque jour, depuis des semaines, à soigner ainsi une pauvre famille.... Comment ce grand ouvrier des misères du corps aurait-il le loisir d'apprendre à connaître les misères de l'âme, et à quoi bon? C'est moi qui suis un égoïste et un insensé de venir ennuyer un homme comme celui-là, entre le chevet d'un cancéreux et le chevet d'un typhoïdique, en lui demandant un remède contre une maladie qui ne se touche pas au doigt, qui ne s'apprécie pas au thermomètre, qui ne se sonde pas, qui ne s'opère pas avec l'acier. Ah! que la religion était intelligente, qui bâtissait les cloîtres, précisément pour ces maladies-là! Mais, voilà! Port-Royal est devenu la Bourbe. La Bourbe a sa raison d'être. Port-Royal l'avait aussi. Aujourd'hui il n'y a plus que des Bourbes, et pas un seul Port-Royal. C'est une grande lacune dans l'assistance publique. Noirot ne s'en doutera jamais. Les choses sont mieux ainsi, car s'il s'en doutait, il y penserait trop, et s'il pensait trop, il agirait moins.
MÉDITATION XX
THÉRAPEUTIQUE DE L'AMOUR
II
LE SYSTÈME DU PROFESSEUR SIXTE
J'ai pourtant essayé de suivre les deux conseils du docteur Noirot, en vertu de la sage maxime que ce même docteur applique aux eaux minérales: ««Je recommande toujours,» dit-il, «celles qui ne peuvent pas faire de mal.... Alors, si elles ne font pas de bien....» Et il hoche la tête. Je retournai dans une célèbre salle d'armes de la rive gauche, tenue par un ancien dragon de l'impératrice, espèce de géant maigre et roux, à profil de don Quichotte, qui venait chez moi autrefois et qui me divertissait par ses ingénieuses plaisanteries prononcées avec un accent méridional. «Il y a neuf parades, monsieur Larcher,» me disait-il. Et il m'expliquait la prime, la seconde, les autres jusqu'à l'octave: «Et la neuvième,» continuait-il en clignant l'œul gauche, «qui consiste à ficher le camp....» Il m'accueillit fort cordialement dans sa petite salle de la rue Jacob, puis, ayant visité mes fleurets délaissés depuis des années, il en conclut que je devais en acheter de nouveaux, un nouveau masque, une nouvelle veste, de nouvelles sandales, sans compter une paire d'épées d'occasion qu'il prenait la liberté de me recommander: «C'est pour rien,» me dit-il, «et nous les travaillerons ensemble, vous verrez....» Car il est de l'école de ceux qui méprisent l'escrime savante. Pour lui, la planche n'a de raison d'être que si elle vous prépare au terrain. Aussi la salle est-elle fréquentée uniquement par des utilitaires. Avec son jeu, sans élégance aucune, mais qui touche beaucoup, le père Lecontre (niez donc la prédestination des noms!) s'est fait une renommée de maître pratique aussi méritée que sa renommée de terrible carottier. Si j'avais été encore l'homme d'autrefois, le maniaque de caractères, capable de suivre un personnage de semaine en semaine, par curiosité, je me serais plu dans cette petite salle, véritable séminaire de spadassins, dont les habitués principaux sont: quatre députés véreux, deux journalistes diffamateurs, cinq maris de jeunes et jolies femmes, plusieurs amants professionnels. Hélas! Ma pauvre machine nerveuse ne me permet plus le violent exercice des muscles. Ils oublient cela, les médecins, quand ils vous conseillent la vie d'athlète, que cette vie suppose d'abord l'athlétisme, et cet athlétisme la santé. Après huit jours de plastronnage quotidien, je ne mangeais plus, je dormais moins que jamais. Je pensais à Colette davantage encore, et aux temps où j'étais du moins auprès d'elle à griser de caresses ma jalousie. Je me récitais des vers écrits à cette époque:
Je sens la trahison enveloppante et tendre
A chaque doux baiser sur ma tête descendre,
Et je dis: «Trahis-moi, mais donne-moi tes yeux,
«Donne-moi tes deux seins frais et délicieux,
Et ta Beauté troublante ou se dissout mon être....»
Ces séances d'escrime alternaient, toujours d'après les conseils de Noirot, avec des séances à l'hôpital, où je voyais des nudités féminines à dégoûter du vice un équipage de marins en bordée. Mais non, ces corps misérables et rongés des pires maladies de l'impureté, sur ces grabats d'agonie, dans ce décor de chirurgie et de pharmacie, me rendaient plus présente l'adorable ligne du corps de ma maîtresse, et le frissonnement parfumé autour d'elle des batistes transparentes et des souples dentelles, et sa chambre tendue de satin mauve, et nos enlacements dans les draps de soie molle, et je me rappelais d'autres vers, tels que ce fragment d'un sonnet perdu:
Tu t'en servis, ainsi que d'un sûr instrument,
Afin de régner mieux sur un trop faible amant
Toi qui savais l'extase où la Beauté me plonge....
Ah! qu'un physiologiste ne voie qu'un sexe dans chaque femme, toujours le même, et qu'il me dise que je suis un romantique d'y voir autre chose! Qu'est-ce que cela prouve? sinon qu'à lui aussi l'on peut jeter cette éloquente apostrophe qui commence une strophe d'un poème, lu je ne sais où:
Et toutes les laideurs du monde ne font qu'augmenter la nostalgie de cette Beauté quand on l'a possédée dans un cadre digne d'elle, et perdue,—perdue volontairement! Quelle sottise!
A la suite d'une de ces visites à l'hôpital, je me réveillai un matin d'un sommeil hanté de cauchemars. J'avais vu Colette morte, étendue sur la dalle de l'amphithéâtre, et un carabin me tendait un scalpel pour l'enfoncer dans cette gorge blanche, à demi voilée de ses fins cheveux blonds. Avec cela je ressentais dans toutes mes jointures la douloureuse lassitude du muscle trop travaillé. «Si cela continue,» me dis-je, «je deviendrai fou....» Et, réfléchissant à la méthode du docteur Noirot, dans cette paresse du lit où la pensée se dévide toute seule, comme la laine d'un rouet mis en branle par une main d'enfant, j'en aperçus avec une extrême netteté le vice initial, que je formulai ainsi:
XCIV
Un remède physique ne peut rien contre un mal moral, pour la même raison qu'une liasse de billets de banque ne peut rien contre une attaque de rhumatisme. L'âme seule agit sur l'âme.
Mais qui connaît aujourd'hui les choses de l'âme? Les psychologues, sans doute, puisque c'est leur métier. Si j'allais consulter le fameux Adrien Sixte; l'auteur de l'Anatomie de la Volonté et de la Théorie des Passions? Il m'a fait le grand honneur de citer une phrase d'une de mes pièces dans une note de son dernier ouvrage. Je ne l'en ai jamais remercié. Ce sera l'occasion, et aussi de le connaître. Je m'habille en me félicitant de cette résolution nouvelle.—On se raccrocherait à une touffe d'herbes, avec une folie d'espérance, lorsqu'on se noie, la lanterne au cou.—Je cherche l'adresse de Sixte dans le Tout-Paris. Elle n'y est pas. Dans le Bottin? Pas davantage. Je me souviens qu'en effet je n'ai jamais lu d'article personnel sur le célèbre analyste. N'habiterait-il pas ici? Je cours chez son éditeur. Après bien des pourparlers et en déclinant mon nom, j'arrive à savoir que le psychologue demeure rue Guy-de-La-Brosse, près du Jardin des Plantes, et le numéro. Me voici donc en fiacre, et roulant vers ce paisible fond du quartier Latin où j'ai vécu mes années de jeunesse. Je dis au cocher de prendre par le versant de la montagne Sainte-Geneviève qui regarde le Val-de-Grâce, afin de longer la sombre rue de la Vieille-Estrapade, où se trouve la pension Vanaboste. Je donnais des leçons dans cette «boîte», il y a tantôt quinze ans. Que de fois j'ai franchi le seuil de la porte peinte en vert pour aller empâter de latin et de grec les estomacs récalcitrants des retoqués de tous les baccalauréats, et j'étais si fervent alors, si passionné d'art!... Je composais des vers entre deux conférences,—à quatre francs l'une. Je griffonnais des pages de roman sur la table d'angle d'un petit estaminet, qui existe toujours, auprès de la pension, en attendant l'heure de mon cours. Mon rêve unique était de vivre de ma plume, afin d'écrire des chefs-d'œuvre,—comme Balzac. Mon temps à moi pour travailler, et je comptais remuer le monde! O chute éternelle de l'éternel Icare! Qu'en ai-je fait, de cette liberté conquise, de mon commencement de réputation, de mon temps pour travailler? Qui m'eût dit alors que j'en arriverais à regretter les froids matins de neige, où, levé à trois heures, ayant écrit jusqu'à sept, sous l'influence d'un café plus noir que mon encre, je courais chez le Vanaboste vers les sept et demie, déjeunant en route d'un croissant et d'un verre de vin pris sur un comptoir, comme un ouvrier? «Ah! pauvre, pauvre, qu'as-tu fait de ton Idéal?» me disent les pavés sur lesquels mon fiacre tressaute et que je foulais jadis d'un pied si fier.—Allons, allons, n'y pensons pas!... D'autant que la pente de la montagne Sainte-Geneviève est dépassée. La voiture a descendu la rampe de la rue Lacépède, elle tourne par la rue Linné et s'arrête devant la maison du Maître:
—«Monsieur Sixte, s'il vous plaît?...» demandai-je à un vieux portier qui travaillait à un ressemelage de bottes, et j'aperçus avec étonnement qu'un coq au plumage lustré sautelait dans la loge sur le marbre d'une commode en acajou, à côté du concierge-cordonnier. C'était la toute petite loge d'une antique maison, avec des gravures familiales, rappelant des premières communions, et une image coloriée de Napoléon III à cheval, pendues sur le mur.
—«Au quatrième, la porte à droite,» glapit le vieillard, qui, jaloux sans doute de montrer au visiteur les talents de son coq, s'écrie avec une feinte colère:—«Ferdinand, veux-tu descendre, grand abateleux....»
Ferdinand—c'était, paraît-il, le nom de ce coq familier—descendit en voletant. Et moi, je gravissais l'escalier, ravi de cette entrée dans la maison de l'illustre psychologue. «C'est là évidemment un sage,» me disais-je, «un Spinoza moderne qui mène la vie que j'ai rêvé de mener autrefois.» Ce fut donc avec un mélange de vénération et de curiosité que je sonnai à la porte indiquée. Cette curiosité se changea en stupeur quand je constatai, au bruit du battant tiré, qu'une chaîne de sûreté le retenait à l'intérieur. Dans l'entre-bâillement, je via apparaître une figure de grenadier, la dure face moustachue d'une servante aux yeux perçants qui me demanda rudement ce que je voulais. Je lui nommai M. Sixte, et je lui tendis ma carte, qu'elle prit en bougonnant: «J'vas voir s'il est là ...» mais sans me faire entrer. Elle revint après deux minutes, puis, décadenassant sa chaîne, et devenue un peu moins rogue:
—«J'vas vous dire, monsieur, c'est que nous avons été volés une fois, par un quelqu'un qui avait demandé pour écrire un mot à Monsieur, et un quelqu'un nippé comme vous.... Alors, vous comprenez....»
Et elle m'introduisit dans un cabinet tapissé de livres, où se tenait assis à une méchante table un bonhomme en cheveux blancs, le chef coiffé d'une calotte noire, le torse pris dans une redingote râpée, les bras protégés par des manches de lustrine. Les lunettes noires de ce personnage, sa face hâve, son air minable, lui donnaient un chétif aspect de pauvre employé qui m'étonna un peu. Je distinguai bien de son côté une certaine surprise à rencontrer l'écrivain d'analyse qu'il avait cité dans ses graves livres, si jeunet encore et vêtu d'un costume de gommeux. J'avais à la main, je m'en aperçus alors, une mince badine que Colette m'avait donnée pour ma fête, et qui se terminait, faut-il l'avouer? par un petit ivoire japonais représentant un singe en train de se gratter. Nous faisions, le Maître et moi, un contraste éminemment philosophique. Il était, lui, le Faust d'avant la Tentation et sans Marguerite, et moi, le Faust d'après toutes les marguerites,—un Faust, hélas! aussi effeuillé qu'elles. Derrière la fenêtre s'approfondissait un horizon d'arbres nus, avec la masse noire du cèdre du Jardin des Plantes. Le feu mourait dans la cheminée. Et nous échangions des compliments embarrassés. J'en vins au fait, et j'expliquai au professeur Sixte—comme l'appellent les revues allemandes: Herr Professor—que j'écrivais, moi aussi, un livre sur l'amour, mais sous forme humoristique, et que j'en étais à l'article des remèdes:
—«En connaissez-vous?» lui demandai-je.
Le philosophe releva ses lunettes fumées sur son front, s'enfonça dans son fauteuil, prit son coude droit dans sa main gauche, son menton dans sa main droite, et me répondit:
—«Mais, comment? Comment?... C'est là un problème psychologique des plus faciles à résoudre, pourvu qu'il soit nettement posé.... Qu'est-ce que l'amour? N'entrons pas dans son essence. Entre parenthèses, n'entrons jamais dans les essences, puisqu'il n'y en a pas.... L'amour, c'est, au point de vue purement phénoménal, l'absorption de toutes les forces de l'âme autour de l'idée d'un objet aimé. Admettez-vous cette définition?»
«Je n'y vois pas d'inconvénients,» lui répondis-je, un peu interloqué par son assurance et un peu confus aussi de penser que la définition d'où je suis parti moi-même ressemble fort à celle-là et veut à peu près dire comme elle: qu'est-ce que l'amour? C'est l'amour.
—«Précisons,» continua-t-il. «J'appelle grand A cet objet aimé, et les diverses forces de l'âme absorbées par grand A, je les appelle a' b' c' d', etc. (a prime, c prime....)»
—«Seigneur Dieu!» soupirai-je intérieurement, «serait-ce là cette psychologie moderne dont j'ai eu la religion? Consisterait-elle à appeler Colette grand A, et nos sentiments a', b', c', d'?... Ce serait fortement comique.... Mais oui! Déprime!» dis-je tout haut, sans que le digne philosophe s'aperçût de mon infâme jeu de mots.
—«Cela posé,» continua-t-il, «vous admettez bien que grand A n'existe point en soi?»
—«Comment,» interrompis-je, «la femme que j'aime n'existe pas en soi?...»
—«Indiscutablement non,» dit le philosophe, «je veux dire que ce que vous aimez en elle, c'est une image que vous vous faites d'elle, image créée, développée et nourrie par les puissances de votre âme que j'ai appelées a', b', c', d'....»
—«Si vous voulez dire que je l'aime parce que je l'aime....»
—«Justement,» reprit le philosophe, «allez au fond de tout et vous trouverez une tautologie. Le problème de la guérison de l'amour consiste donc à détourner sur d'autres objets quelconques ces puissances a', b', c', d'.... Est-ce clair?» insista-t-il; et avec un air de triomphe: «La psychologie, voyez-vous, ne sera constituée à l'état de science exacte que si l'on s'habitue à parler de l'âme humaine comme on parle des triangles et des carrés, ou plutôt des roues et des cylindres.... Au fond, qu'est-ce que c'est qu'une âme? Une horloge qui sonne des idées et des sentiments.»
—«Et qui peut faire aller ses aiguilles comme elle veut....» dis-je.
—«Elle se l'imagine,» répliqua le savant en haussant les épaules. «Mais reprenons notre raisonnement. Posons donc l'équation suivante: grand A=a'+b'+c'+d'.... Cela signifie que la force que vous concentrez sur l'objet aimé doit et peut se décomposer en une série de forces moindres. Ce n'est qu'une addition, et ce même problème de la guérison de l'amour se ramène à cet autre: détacher successivement a', b ', c', d', jusqu'à ce que nous ayons grand A=o.»
—«Les choses du cœur sont pourtant plus complexes que cela....» insinuai-je.
—«Traduisons simplement les formules. Vous allez comprendre,» dit le philosophe; et il eut un: «C'est ici que je vous attendais,» d'une audace égale à celle de l'Empereur, montrant un point de la carte à Duroc et disant des ennemis: «Et ici je les battrai....» «Je vous résume le chapitre sur l'Amour dans ma THÉORIE DES PASSIONS. Je le crois complet. Le premier élément que nous rencontrons dans l'Amour, soit a', c'est la sensualité. Le second, b', c'est l'amour-propre du mâle, qui veut dominer la femelle, la posséder moralement autant que physiquement, d'où cette forme de duel que revêt aussitôt l'amour. Le troisième, c', c'est l'instinct de destruction développé dans toutes les créatures en même temps que l'instinct du sexe et qui pousse certains animaux à tuer l'objet de leur jouissance aussitôt après cette jouissance. L'araignée femelle, par exemple, dévore son mâle, à peine fécondée. Quant à d', ce sera ce besoin d'anxiété, cet appétit d'émotion qui produit l'inquiétude des amoureux déjà signalée par Lucrèce dans son admirable quatrième livre; e'....»
—«Je comprends,» dis-je en l'interrompant, «et arrêtons-nous à ces quatre points.—C'est dommage,» pensai-je, «qu'il lui faille tant de détours pour arriver à dire ce qu'il veut dire. Car il y voit juste. Mais ne pouvait-il énoncer simplement cette vérité que l'amour est d'ordinaire sensuel et orgueilleux, cruel et inquiet?»—Et le moqueur que je porte au fond de mon esprit et qui s'est si souvent raillé de mes propres idées faillit ajouter: «Mais, s'il énonçait une vérité simple simplement, serait-ce encore de la psychologie?...»
—«Cherchons donc,» reprit Adrien Sixte, «le moyen de détacher d'abord a' de notre polynome. Il s'agit, ce qui est tout simple, d'appliquer la sensualité à un autre objet que grand A.... J'ouvre Lucrèce et j'y lis: «Celui qui évite l'amour ne manque pas pour cela des joies de Vénus.... Nec Veneris fructu caret is qui vitat amorem....»
—«Ce qui veut dire que vous conseillerez à un amant malheureux de prendre d'autres maîtresses?...»
—«Sans les aimer,» insista le philosophe, «sans les aimer. Tout est là. Si vous pouvez parvenir à associer l'image de la volupté à des femmes différentes de celle qui fait en vous idée fixe, il est évident que vous serez plus fort pour lutter contre votre passion.»
—«Mais voilà,» dis-je, «c'est précisément en cela que consiste l'amour, à ne pouvoir éprouver avec aucune autre femme les sensations que vous donne votre maîtresse.»
—«Passons à b',» reprit Sixte, qui paraissait n'avoir pas entendu ma boutade. J'observai que son regard, au lieu d'aller au dedans au dehors, se repliait du dehors au dedans pour mieux suivre son raisonnement—«Je conseillerai en second lieu à cet amant malheureux de donner à son amour-propre une puissante satisfaction dans son métier. Mon avis est qu'il faut entendre dans ce sens la célèbre formule de Goethe: «Poésie, c'est délivrance.» Poésie, traduisons toujours, c'est-à-dire création.... Le simple fait de se rendre capable d'un travail en dehors de l'amour constitue un triomphe qui produit en vous une certaine joie, en vertu du théorème de Spinoza: «Quand l'âme contemple sa puissance, elle se sent augmentée et elle est heureuse.» Je dirai à un avocat: Plaidez et gagnez votre procès; à un marchand: Vendez beaucoup; à un médecin: Augmentez votre clientèle; à un écrivain: Composez un grand livre.»
—«Permettez,» interrompis-je encore, «du moment qu'un homme est capable de s'occuper avec ardeur de son métier, il n'est plus amoureux.»
—«Justement. Je l'ai donc guéri,» dit le philosophe avec un bon sourire. «Et j'arrive à c'.... Cet instinct de cruauté est plus difficile à diriger. Pourtant il y a tels exercices, la chasse et la pêche, par exemple, que j'ai le premier signalés, chez les Anglais, comme les plus efficaces dérivatifs à la férocité du sexe. J'attribue à leur prédominance la chasteté relative de ce peuple.... Voyez-vous, monsieur, l'art de la civilisation, ce n'est pas de détruire les dangereux instincts hérités de la brute ancestrale, du pithecanthropus erectus dont nous descendons, c'est de les employer savamment. Considéré au point de vue de l'intérêt social, un vice bien appliqué est l'équivalent d'une vertu. C'est ce que je me propose d'établir dans mon traité de Dynamique sociale. Ainsi pour d'..., dans le sujet qui nous occupe, je ne répugnerais pas à conseiller le jeu,—oh! à petite dose,—comme un alibi à ce besoin d'anxiété, à cet appétit d'émotion dont je vous parlais. Oui, le jeu, ou plutôt les dangers de grands voyages.... Je me résume, j'ai détaché a', b', c', d'....»
—«Et grand A égale zéro,» dis-je en riant.
—«Et grand A égale zéro,» répéta-t-il; et il eut de nouveau son bon sourire en abaissant ses lunettes sur ses yeux; «ce qui veut dire encore une fois que l'amoureux est guéri.»
—«Me permettrez-vous une question?» lui demandai-je en me levant, «car je ne veux pas abuser de votre complaisance.»
—«Une et dix,» répliqua-t-il avec bonhomie. «Ces problèmes m'intéressent beaucoup, et il est rare de pouvoir en causer avec un homme qui les analyse comme vous.»
—«Avez-vous jamais été amoureux?»
—«Jamais, mon cher monsieur, jamais,» répondit-il; «je n'ai pas eu le temps.... Mais j'ai une théorie, c'est que l'on comprend d'autant mieux les passions qu'on les a moins éprouvées. On se place plus facilement au point de vue objectif, comme disent les Allemands.»
MÉDITATION XXI
THÉRAPEUTIQUE DE L'AMOUR
III
LE PROCÉDÉ CASAL
Je partis de chez le philosophe Sixte, étonné d'avoir trouvé, dans ce grand analyste, un côté....—oserai-je le dire?—un peu niais. Mais à qui n'est-il pas arrivé de quitter un écrivain, admiré dans ses œuvres, sur cette impression-là? Au fond, il ne faudrait jamais voir de près ceux dont on goûte les livres, pour cette simple raison que, chez la plupart des hommes, l'être social et l'être intérieur ne se ressemblent pas. Plus l'être intérieur est vigoureux et riche, ample et fécond, plus il a de peine à se manifester dans sa vérité à travers l'être social. D'où malaise, d'où timidité, d'où gaucherie chez l'homme célèbre à qui l'admirateur rend visite; et, pour cet admirateur, déplaisir et désillusion.—En y réfléchissant, je dus pourtant reconnaître que la méthode du psychologue, traduite en termes par trop pédantesques et avec une si maladroite précision, résumait quelques-uns des procédés capables d'atténuer l'Amour, surtout complétée par les indications du docteur Noirot. Je comprends qu'un amoureux qui la suivrait, cette méthode, en tirerait un réel soulagement. Pourquoi donc éprouvé-je qu'elle est en même temps très inefficace et jugerais-je grotesque d'en essayer la sérieuse application? C'est tout uniment qu'elle repose sur une pétition de principes, pour parler le dur langage cher aux Adriens Sixtes. Pouvoir s'y soumettre suppose que l'on est déjà plus d'à moitié guéri. C'est le désir premier de la guérison, un vrai désir, qu'il faudrait susciter chez le malade d'amour, et ce désir, il ne l'a pas, tout gémissant qu'il est sur son mal. Moi-même, depuis que j'ai commencé ce livre, qu'ai-je fait d'autre que de me complaire dans ma misère en la maudissant? Je souffre de ma maîtresse absente; mais, au fond, tout au fond, j'aime cette souffrance dont j'agonise, et je me souviens du mot étrange que me dit une femme abandonnée par Mareuil: «Ah! laissez-moi pleurer, c'est tout ce qui me reste de mon bonheur....» Le voilà enfin jeté, le triste aveu! Il justifie l'indifférence absolue des confidents pour nos lamentations à nous autres, les amoureux professionnels, qui arrivons toujours, comme des policiers chargés de rapports, avec des perfidies nouvelles à dénoncer. Nous ressemblons à ces morphinomanes qui se désespèrent sur les funestes conséquences de l'assoupissante drogue, sur leur santé perdue, sur leurs énergies détruites,—et ils vous quittent pour se piquer une fois de plus. Dieu! L'admirable phrase du Père de l'Eglise, et si juste pour toutes les lèpres morales, pour ces vices douloureux dont on est à la fois le Jérémie et le Narcisse: «Il n'y a qu'un remède contre la tristesse, c'est de ne pas l'aimer!...» Autant dire qu'il n'y en a pas, car pouvoir ne plus se complaire dans sa tristesse, c'est n'être plus triste. Vouloir guérir, c'est être guéri, ce qui revient à cet aphorisme, d'autant plus affreux qu'il est trop évident:
XCV
Le seul remède contre l'amour, c'est de ne plus aimer, comme le seul remède contre la mort, c'est de vivre.
Je me souviens.... Je la formulai, cette peu consolante maxime, le soir de ma visite à l'ermitage d'Adrien Sixte. J'avais dîné en tête à tête avec mon spleen dans un restaurant quelconque, et puis tué une couple d'heures dans une stalle du Cirque à suivre de ma lorgnette des acrobates, de ceux dont cet étonnant Barbey me disait jadis: «C'est la seule école de style, mon fils (il prononçait fi). Ce qu'ils font avec leur corps, nous devons le faire avec notre esprit....» Le désœuvrement m'avait ramené, vers le tournant de minuit, au cercle de la place Vendôme. J'entrai dans la vaste salle d'en bas, juste au moment où la voix du valet de chambre criait: «Messieurs, il y a deux cents louis en banque.» Les joueurs, épars de-ci de-là, s'approchaient de la table, comme dans Virgile les essaims d'abeilles à l'appel de l'airain. Il y a des années que je n'ai pas touché une carte. Mais la phrase de Sixte m'étant revenue tout d'un coup: «Je conseillerais le jeu. Oh! à petite dose....»—«Pourquoi pas?...» me dis-je, et je demande cinquante modestes louis au maître d'hôtel chargé de ce service. «Quand je les aurai perdus, je m'en irai....» Me voici, un râteau en main, accoudé sur le tapis vert, entre deux camarades en frac de soirée, un crayon devant moi et une petite carte à plusieurs colonnes avec les lettres fatidiques B. et P. (Banque et Ponte) imprimées alternativement en tête de ces colonnes, pour y pointer les coups,—«l'esprit de la taille,» disent les joueurs. Et déjà les cartes commencent d'aller, et les discours entendus autrefois à cette même place volent dans l'air, entre les «En cartes.—J'en donne.—Huit.—C'est bien bon,» réglementaires.
—«Saveuse gagne toujours son premier coup....»
—«La main de Machault, c'est presque déloyal de la jouer. Il passe toujours six fois....»
—«Voilà ce que c'est d'avoir tiré à cinq. Le tableau est empoisonné....»
—«Moi, je ne bats jamais les cartes; c'est un principe....»
—«De Hère est à notre tableau. Rien d'étonnant si nous avons la guigne....»
Il y a, comme cela, pour tout endroit spécial, des discours obligatoires qui s'y prononcent nécessairement dans un intervalle d'une heure. Il y en a pour les coulisses des théâtres, pour les boutiques de librairie, pour les salles d'armes, pour les ateliers de peintres, pour les cabinets de restaurants. Je dirais volontiers à ceux qui en sourient: «Essayez de venir là deux fois, et vous prononcerez malgré vous ces mêmes formules, car elles résument ce qui flotte dans l'atmosphère de l'endroit.» Ces incohérents discours des joueurs ne font qu'exprimer la sensation du hasard, et tous, même ceux qui jouent pour gagner et qui, par conséquent, ne sont pas de vrais joueurs, c'est bien cette sensation-là qu'ils viennent chercher ici. Le bonhomme Sixte n'avait pas tort. Nous portons dans l'âme un besoin d'anxiété dont les moralistes à courte vue n'ont jamais tenu compte. Mais de quoi tiennent-ils compte, ces moralistes? Ils prononcent un solennel: «C'est malsain ...» et puis, ils vous tracent le portrait de l'homme équilibré que vous devriez être. Qui nous donnera des connaisseurs d'âme humaine assez courageux pour la regarder en face, cette âme malade, assez lucides pour y lire, assez tendres pour la plaindre, assez sages pour la diriger, assez complets pour appliquer leur science avec ce je ne sais quel doigté d'artiste qui manquera toujours aux philosophes de métier?...
Tout en avançant et retirant à mesure mes jetons blancs ou rouges, et malgré les alternatives de la veine et de la déveine, je ne pouvais arriver, moi, à m'intéresser vraiment au jeu, et je constatais, une fois de plus, combien le virement moral, recommandé par mon psychologue, est difficile à pratiquer. Depuis que la fatale manie de l'amour habite en moi, je suis réfractaire à toute émotion qui n'est pas celle-là. J'ai constaté que tour à tour l'amour-propre d'auteur s'en est allé, en allé le goût de la culture, en allé le goût de la vie élégante. Les nobles et les vilains appétits, mes aspirations hautes et mes prétentions enfantines, la passion a tout fondu,—comme la petite vérole brouille tous les traits d'un visage. Il n'est demeuré, de mon ancien «moi», que cet étrange pouvoir de me dédoubler, de me servir de spectacle à moi-même, qui fut mon orgueil à de certaines heures, mon remords à d'autres, et qui est devenu ma distraction dernière. J'ai encore écrit des vers là-dessus. Pourquoi me reviennent-ils tous, depuis quelques jours, les âcres vers de ces dernières années?
Un insensible esprit qui me regarde vivre.
Rien n'a pu l'endormir, hélas! ni le griser.
Même à l'heure troublante et folle du baiser,
Entre des bras lascifs et sur des seins de femme,
L'étrange esprit est là, tout au fond de mon âme,
Qui me voit m'exalter, trembler et m'attendrir,
Comme à d'autres moments il me verra souffrir,
Sans plus d'émotion ni de pitié bénie
Qu'un médecin penché sur un lit d'agonie....
Je me regardais donc jouer,—et gagner,—car j'avais des mains, moi aussi!—et perdre, en constatant que mon unique émotion était de savoir le point de la carte donnée par le banquier,—tout juste cela, une petite curiosité de rien.—Puis je regardais autour de moi, je cherchais à savoir au juste quelles impressions diverses asseyaient à cette même table les quinze ou seize personnes qui pontaient, le banquier qui taillait, celui qui croupait, et les assistants qui, debout autour des joueurs, suivaient les coups d'un regard attentif ou distrait. La lumière du gaz éclairait ces visages de Parisiens du vrai jour qui sied à des physionomies travaillées par la vie. Un bruit très spécial, celui des jetons de nacre remués les uns contre les autres par des mains énervées, accompagnait les diverses rumeurs de la table. Derrière la plupart des figures, je pouvais mettre sinon une histoire, du moins une situation et un caractère. Je me disais: «Celui-ci joue parce qu'il a besoin d'argent et cet autre aussi, mais le premier est prudent, le second non. Je vais voir l'un s'en aller après une série de pertes ou de gains, l'autre rester et courir après ses mauvaises cartes.» Je distinguais, chez quelques autres que je sais riches, et qui viennent ici tous les soirs, ou presque, la machinale habitude, l'impossibilité de se coucher qui veut qu'à Paris certains hommes arrivent à ne pas pouvoir dormir avant cinq heures. J'en soupçonnais d'autres d'être là par chic, afin de dire demain: «J'ai perdu ou gagné hier deux cents louis.» D'autres, relégués en province une partie de l'année, jouent au baccara comme ils vont aux courses ou chez les cocottes,—pour être dans le train. D'autres étaient, comme moi, de la race des ennuyés qui cherchent partout de quoi tromper leur peine. Je les éliminai successivement pour arriver à concentrer mon attention sur trois personnages, tous les trois célèbres pour avoir gagné et perdu d'énormes sommes, et en ceux-là seuls je reconnus le Joueur,—le véritable amant de la sensation du hasard, l'homme profondément, absolument possédé par le démon. En étudiant leurs visages, j'y découvrais des traces de volontés fortes, les signes de l'énergie puissante et violente qui pousse l'homme aux pires dangers. Il y poursuit une certaine palpitation qui, au fond, très au fond, est analogue à celle de la guerre. Je comprenais, en regardant ces hommes, qu'il y a, dans toute passion réellement complète, une poésie, un je ne sais quoi de tragique et de presque grandiose. Un d'eux avait pris la banque. Il venait de la remettre plusieurs fois et de perdre à peu près trente mille francs. Je le savais marié, père de famille, un très intelligent et très galant homme, pas très fortuné. Son visage, impassible et comme serré, exprimait une espèce de résolution en donnant les cartes, qui dut être celle de Bonaparte à la veille de Brumaire,—toutes proportions gardées. Et au demeurant, y a-t-il des proportions à garder? Nous n'avons que notre vie, et, de quelque manière que nous la risquions, de la risquer avec plaisir est toujours saisissant, fût-ce un risque sans raison. Mentalement, je me rappelais Benjamin Constant au Cercle des Etrangers, demandant à ces mêmes cartes un dernier sursaut de sensibilité. Et, tout en philosophant, je poussai devant moi la masse entière de mes jetons, qui, à ce moment, était doublée. La main était à moi, je retournai huit. Huit, sur l'autre tableau.... Il y eut un silence. Les pontes avaient compté sur la déveine du banquier, qui regarda, à sa gauche et à sa droite, les piles éparses des jetons. Le coup était énorme. Il retourna ses cartes à son tour. Il avait neuf! J'avais perdu mes cinquante louis, ce qui est bien une somme pour un pauvre diable d'écrivain. Le plaisir que j'eus à constater l'immobilité du masque de cet homme, que ce gain sauvait peut-être d'un suicide,—qui sait?—fit que je me levai sans regrets. Je venais de voir le jeu incarné dans un passionné, qui se brûlera certainement la cervelle un de ces jours; mais, c'est vrai, il aura vécu. Et je l'enviai à l'idée que je ne lui ressemblerai jamais, ni moi ni aucun amoureux. Nous n'avons pas l'âme assez trempée.
—«Et vous jouez, maintenant? Toutes les élégances....» me dit en me frappant sur l'épaule, comme je quittais la table, quelqu'un en qui je reconnus Raymond Casal. Depuis des mois je ne l'avais pas vu; mon Dieu! oui, depuis le jour où il m'avait envoyé ses notes sur la Jalousie des sens.—Il eut, pour me prononcer cette phrase, un sourire d'imperceptible ironie. Je sens bien qu'il me considère un peu comme un de ces hommes de lettres nigauds qui singent les hommes du monde. Cette impression qu'il eut, voici quatre ou cinq ans, faillit être juste alors. Elle ne l'est plus, et il l'ignore. Pourquoi lui en voudrais-je? Ne sommes-nous pas tous ainsi les uns pour les autres, ne tenant jamais compte de cette vérité, cependant banale, que tout change, surtout le cœur, d'années en années, de mois en mois? Je ne relevai donc pas la légère moquerie de Raymond, car il m'aime avec cela,—en me voyant un snobisme que je crois ne plus avoir. Après tout, je n'ai fait que changer mon fusil d'épaule. Et n'est-ce pas un snobisme encore que d'attacher tant d'importance aux coucheries d'une maîtresse avec le tiers et avec le quart?
—«Ma foi,» répondis-je à cet homme d'esprit, «je viens de payer cinquante louis le plaisir de vérifier la niaiserie d'un homme de génie....»
—«Ce n'est pas cher.... Mais comment cela?» me demanda-t-il; et, tous deux assis sur un divan du salon, je lui raconte mes visites chez Noirot et chez Adrien Sixte, mes questions à ce médecin et à ce philosophe, leurs théories, mes tentatives diverses pour les appliquer. Ce prince des viveurs m'écoutait en battant du bout de sa canne de théâtre la pointe de son soulier verni. Lorsque je commençais de sortir un peu, et quand mes premiers succès me jetèrent brusquement de ma cellule du quartier Latin dans un opulent décor de haute vie, la tenue de Casal, je m'en souviens, m'hypnotisait d'une manière qui m'eût valu de jolies notes dans le journal de tel ou tel de mes confrères, s'ils avaient soupçonné l'intensité de ma badauderie. Encore aujourd'hui j'ai une joie d'artiste à constater que, si un Van Dyck—un peintre de la créature comblée et de la poésie du costume, le Van Dyck de ce portrait étonnant du marquis de Brignole-Sale dans le Palais Rouge, à Gênes—revenait au monde, il trouverait dans ce grand Parisien un modèle digne de son pinceau. Et puis Casal a aimé, il aime encore une femme de son monde aussi perfide pour lui que le fut Colette pour moi, et, d'avoir senti les mêmes rancœurs, cela vous lie deux hommes, même quand l'un est un gentleman surveillé qui tait ses misères et l'autre un bohémien détraqué qui raconte trop volontiers les siennes. Car je ne manquai pas à ma déraisonnable habitude, et je ne lui cachai pas que c'était moi, toujours moi, le malade à guérir. Casal haussa les épaules, et, passant sa main restée libre sur sa moustache si longue et si fine:
—«Les philosophes et les médecins,» dit-il, «savent les passions comme on sait la grammaire d'une langue que l'on n'a jamais parlée.... Noirot vous a pris pour un dyspeptique et pour un hystérique; Adrien Sixte, pour un débauché, pour un oisif et pour un agité.... Il y a de tout cela dans votre affaire, mais à côté, hors de votre amour.... L'amour, voyez-vous, ça ne s'analyse pas, ça ne se dissèque pas, ça ne se raisonne pas....»
—«Vous êtes dur pour mon livre,» fis-je en l'interrompant.
—«Mais non, mais non,» dit-il; «vous vous soulagez en noircissant votre papier. Il y aura toujours une dizaine de lecteurs qui vous ressemblent et que cela soulagera de vous lire. C'est un résultat.... Mais vous auriez mieux fait, pour votre guérison, en n'écrivant ni physiologie, ni psychologie, ni rien en logie, et en voyant votre maîtresse le matin, à midi; le soir, la nuit, et la possédant autant que vous auriez pu....»
—«Et mon honneur d'homme,» m'écriai-je.
—«Vous appelez ça de l'honneur,» reprit-il, «tout au plus de la vanité blessée.... Allez, moi aussi, j'ai réfléchi à ce que les gens d'Institut appellent la philosophie, mais sans formules et d'après les faits. Lorsqu'on rentre chez soi à deux heures du matin, en se disant que l'on n'arrivera plus jamais, jamais, à se débarrasser d'une certaine image que l'on a là devant les yeux, on regarde quelquefois son revolver, et on se souvient des camarades qui se sont procuré l'oubli de tout avec ce petit joujou d'acier. Puis on théorise aussi à sa manière. On se demande pourquoi une ligne de bouche, pourquoi une couleur de prunelles, pourquoi le contact et l'odeur d'une certaine peau, pourquoi une certaine ardeur d'étreinte, dissolvent en vous les forces de l'être et comment cela peut vous arriver sur le tard, à trente-six ans passés, quand on se croyait vacciné,—et que, jusque-là!... Et on trouve qu'il n'y a pas d'autre réponse, sinon que cela est parce que cela est. Une fois cette vérité bien établie, vous n'avez que trois partis à prendre. Le petit joujou, c'en est un. Mais ce parti-là, on ne le prend pas, c'est lui qui vous prend. Le suicide est un accès de folie qui ne se commande pas plus qu'il ne s'évite.... Le second parti, vous l'avez suivi: il consiste à lutter. Depuis quand dure-t-il?»
—«Ah! des mois!» lui répondis-je.
—«Vous voyez avec quel succès. Vous avez subi les pires souffrances de la passion, sans goûter aucune des joies qu'elle comporte,—joies déshonorantes, joies empoisonnées, joies âcres et dures, joies féroces, abjectes, je veux bien, mais des joies tout de même ...—Et c'est là le troisième parti, le seul raisonnable, à mon avis, dans cette frénésie de déraison qui est l'amour, s'accepter et accepter cet amour, et y plonger, y enfoncer toujours plus avant, se griser, se saouler de cette femme qui est votre vice.... Qui dit assouvi dit souvent guéri.... Et si cet assouvissement n'aboutit pas à la guérison, c'est du moins un bénéfice que vous aurez tiré de votre folie.... Voilà ma méthode, je vous la donne pour ce qu'elle vaut. Et maintenant, il est deux heures.... Voulez-vous prendre quelque chose avant de vous coucher?»
—«J'ai une manie,» lui dis-je, comme nous nous installions à la petite table sur laquelle le bouillon et la viande froide étaient préparés.
—«Une autre?» demanda gaiement Raymond en dépliant sa serviette.
—«Celle de formuler en aphorismes les observations qui me semblent justes.»
—«Comment,» dit-il, «vous travaillez dans la pensée? Vous n'avez donc pas remarqué combien il est facile de retourner les plus célèbres? Et elles sont aussi vraies.... Voulez-vous des exemples: Le cœur vient des grandes pensées.... On n'a pas toujours assez de force pour supporter les maux d'autrui.... Le moi seul est aimable.... Rien n'est vrai que le beau.... Ce sont quelques célèbres maximes que je me suis amusé à mettre ainsi à l'envers, et vous voyez....»
—«Vous me dépravez,» dis-je à moitié sérieux; «vous ne croyez donc à rien?»
—«Puisque vous y tenez,» reprit-il, «cherchons vos aphorismes, ils ne seront pas plus faux que d'autres.»
Et quand je rentrai chez moi, je pus noter les cinq réflexions suivantes, produit de cette conversation de souper. Comme disait encore Casal, cela valait mieux que de perdre de nouveau cinquante louis.
XCVI
Plus on lutte contre un sentiment, plus on y pense, et y penser, c'est l'exaspérer.
XCVII
Il n'y a que la femme que nous aimons qui puisse nous guérir d'elle-même.
XCVIII
Se donner des raisons pour ne pas aimer, c'est pour un malade, se démontrer qu'il est misérable d'être malade. Il en est plus misérable, et aussi malade.
XCIX
On sait qu'on aime; mais on ignore pourquoi l'on aime, quand on a commencé d'aimer, et combien, et comment. Le simple bon sens vous conseille donc de ne compter, contre un pareil sentiment si indéfinissable, si instinctif, si ténébreux, que sur cette idée, que tout finit.
C
Quitter sa maîtresse pour l'oublier est une maxime à peu près aussi sage que celle-ci: ne plus manger pour n'avoir jamais mal à l'estomac. C'est donner à choisir à un gourmand entre mourir de faim ou d'indigestion.—N'est-il pas insensé de choisir la faim?
MÉDITATION XXII
UN SENTIMENT VRAI
Du village de Saint-Saturnin (Puy-de-Dôme).
Un doute me vient. Ces troubles que j'ai essayé de définir pour les avoir ressentis, cette affolante épilepsie intérieure dont j'ai raconté les angoisses, ces rencontres du mâle et de la femelle dont j'ai dénombré les cruautés mêlées de si cuisantes douceurs, cette plaie ouverte dans l'âme dont j'ai demandé le remède, vainement, au cynisme des médecins, à la logique des philosophes, au scepticisme des viveurs,—tout cela, est-ce vraiment la vie? Oui, j'ai souffert par ma maîtresse jusqu'à l'agonie. J'ai connu auprès d'elle et dans ses bras des ivresses de volupté qui dépassaient les forces de mon être, si intenses qu'elles confinaient au désespoir. La jalousie m'a tordu dans sa dure tenaille, et, à de certaines minutes, quand de certaines images passaient seulement devant ma pensée, les nerfs défaillaient en moi, une invisible main me serrait la nuque, une pointe de couteau fouillait mon cœur, mon cerveau se contractait, mes jambes se brisaient, et j'avais mal. Ah! que j'avais mal!... Et maintenant je me demande: à travers tout cela, ai-je vécu? Je veux dire, ai-je connu dans leur intensité suprême les sensations qui peuvent émaner de la femme? Etrange question que je me pose pour avoir, hier, dans ce coin perdu de province où je suis venu passer quelques jours chez ma vieille tante, rencontré un de mes camarades d'enfance, un pauvre médecin d'ici dont l'histoire m'a remué,—comme la vérité seule nous remue. Puis cette histoire m'a donné sur moi-même ces doutes singuliers qui vous saisissent au moment du départ pour la vie, à vingt ans, et lorsqu'on se demande: «Suis-je dans le vrai? Ne manquerai-je pas ma destinée en suivant cette route? Ne serai-je pas un raté?»—C'est le mot d'à présent, vilain et veule comme la chose.—Que je me suis donné de peine pour m'éprouver, pour m'exaspérer au contact de toutes les impressions, et je trouve qu'un pauvre garçon qui n'a pas quitté son trou de province en a eu plus que moi et de plus fortes! A quoi bon, alors? A quoi bon ne pas m'être laissé aller tranquillement au fil des jours, au lieu de m'empoisonner à coups d'idées et de me paralyser par la plus vaine des analyses?...
Auguste Dupuis—c'est le simple nom de ce simple docteur—était, dès le collège, un timide, un petit, un humble. C'était l'écolier modèle qui ne fait jamais parler de lui, qui tient ses cahiers de corrigés avec une régularité irréprochable, et qui, du quinzième rang, passe au huitième, vers la fin de l'année, à force de travail ordonné et continu. Un trait pourtant distinguait Auguste de ses confrères en médiocrité méthodique. Parmi les incohérences des sympathies momentanées qui tour à tour enrôlaient tel collégien dans telle bande, puis dans telle autre, il demeurait, lui, d'année en année, l'ami fidèle de deux autres camarades adoptés dès son entrée au lycée, et avec lesquels il se promenait toujours, ne les quittant ni dans les rangs, ni en étude, ni au réfectoire. Nous les appelions «les trois Mages», plaisanterie assez sotte que ne justifiait aucun des trois, et en particulier le pauvre Auguste, lequel n'avait rien d'un roi, ni d'un mage, rien de Gaspard, de Balthazar et de Melchior, ces somptueux pèlerins que les vieux peintres, comme le Gozzoli de la chapelle du palais Riccardi, à Florence, nous montrent vêtus de soie verte ou rouge, le chef couvert d'un turban à pierreries, et cheminant à travers les défilés, parmi les dromadaires chargés de coffres précieux? Notre Auguste, lui, offrait au regard cette bonne physionomie placide où se reflète une longue hérédité de soumissions bourgeoises. Tout était épais et commun chez ce garçon: le visage, les pieds, les mains, le geste, la tenue,—tout, excepté les yeux, de frais yeux bleus où riait une âme candide, des yeux de croyant, comme ces mêmes maîtres primitifs en peignent dans la face pieuse des donateurs agenouillés à l'angle modeste des éclatantes fresques. Ces yeux disaient qu'un cœur très tendre habitait cette vulgaire enveloppe. Je n'étais moi-même, à cette époque éloignée, qu'un adolescent peu renseigné sur les différences des natures humaines, et pourtant un instinct précoce me révélait la valeur de cette sensibilité du Pataud».—C'était son second surnom, plus justifié que le premier par sa pesante démarche. Je me souviens que je tentai d'entrer dans la société des «trois Mages», à cause de lui, sans succès d'ailleurs; car ces trois amis avaient fait vœu, assez solennellement, en se donnant leur amitié, de ne pas admettre entre eux un quatrième compagnon, et malgré que la maison du père Dupuis fût voisine de celle de mon père, dans ce petit village de Saint-Saturnin, où je passais mes vacances, jamais Auguste ce consentit à transgresser pour moi son enfantin engagement. Je nous vois causant tous deux près de la Monne, une rivière dont j'ai le bruit sous ma fenêtre en écrivant ceci,—le même bruit, mais quelle autre âme pour l'écouter! Je nous vois courant sous les saules et poursuivant les sauterelles aux ailes bleues que nous jetions à l'eau ensuite, afin de suivre l'effort de ces bestioles en train d'allonger par coups secs leurs grandes pattes unies, et de nager vers une pierre. Je m'entends disant à Auguste: «Veux-tu être mon ami?...» et lui me répondant: «Si je n'avais pas pour amis tel et tel, je voudrais bien, mais c'est impossible....» O naïveté touchante et ridicule d'un âge où l'on croit à ce point au sérieux du cœur, et que les nouvelles sympathies sont une trahison envers les anciennes! A-t-on raison alors, dans cette époque de l'exclusivisme jaloux, ou plus tard, quand on pratique le proverbe commode: «Un de perdu, dix de retrouvés?...» Mais qui n'a pas connu ces susceptibilités jalouses de l'affection fut-il jamais un ami?
La vie avait passé depuis les jours où nous lancions, innocents bourreaux, les frêles insectes dans l'eau murmurante. Depuis la mort de mon père et de ma mère, j'avais désappris le chemin de ce village perdu au creux des montagnes, dans cette province du centre de la France qui n'est sur la route d'aucune villa où un amant pût cacher ma Colette. Je savais cependant, par les lettres de ma tante, que Dupuis avait fait sa médecine,—tranquillement toujours. Il avait pris toutes ses inscriptions à l'école de Clermont-Ferrand sans venir à Paris. Je savais qu'il s'était établi comme praticien à Saint-Saturnin, qu'il s'était marié avec une fille de Saint-Amant-Tallende, le gros bourg voisin, et aussi que sa femme l'avait quitté pour courir le monde en compagnie d'un journaliste venu dans le pays à une époque d'élection. La fuite de Mme Dupuis était demeurée légendaire dans la contrée, et, quand ma pauvre vieille tante croyait devoir m'adresser des lettres sur mes pièces ou mes nouvelles,—que je lui envoyais, un peu par malice, et qu'elle lisait consciencieusement,—elle ne manquait jamais de comparer mes héroïnes à Mme Dupuis. Puis elle ajoutait quelques détails sur la vie de cette malheureuse. Elle me demandait si je l'avais rencontrée à Paris, s'imaginant que nous habitons, nous autres gens de lettres, une sorte de Casino interlope où se donnent rendez-vous les pires déclassées de France et d'Europe. Cette correspondance familiale avait subi, par ma faute, de longues intermittences, et la bonne dame avait eu d'autres questions à me poser, sur mes dettes et sur mes propres désordres. Aussi fut-ce une nouvelle profondément imprévue pour moi quand, interrogée sur Dupuis le soir même de mon arrivée, elle me dit:
—«Comment? Tu ne sais pas? il a repris sa femme....»
—«Je la verrai, alors,» répondis-je, me promettant d'avance un régal littéraire et une distraction à causer avec cette Bovary authentique. Je venais de débarquer à Saint-Saturnin pour m'y reposer de Paris, et déjà le boulevard me manquait, lui que je déteste quand je m'y trouve emprisonné. «Ni avec toi, ni sans toi....» dit une petenera espagnole, une de ces chansons que les gitanes chantent avec accompagnement de olé, olé. Quelle devise pour toutes les amours de mon cœur inquiet, pour tous ses goûts aussi!...
—«Elle est morte, il y a six mois,» répliqua ma tante, qui n'a jamais entendu chanter de gitanes et qui pratique ingénument la devise contraire, celle de la plante qui meurt où elle s'attache.—Que devient l'hérédité avec des contrastes pareils?—Et elle continuait, me détaillant avec horreur la fin de la mystérieuse Mme Dupuis: «Et conçois-tu qu'elle avait eu le front, en revenant ici, d'amener avec elle une petite fille qu'elle avait eue, Dieu sait avec qui?... Et le docteur a gardé cette enfant. Si c'était par charité seulement.... Mais non, il l'aime comme si c'était la sienne.... Oh! ça lui a fait beaucoup de tort dans le pays....»
Cette naïve remarque m'eût bien diverti par ce qu'elle traduisait de fausse moralité bourgeoise, si je n'avais été du coup intéressé au dernier point par la bizarrerie sentimentale que ma tante venait de me révéler chez cet Auguste Dupuis, dit «le roi Mage», dit «Pataud», et considéré de tous temps, par moi, comme le plus banal des hommes. Couché dans mon lit aux draps rudes, mais parfumés à la lavande fraîche, dans ce silence de la campagne qui empêche de dormir plus que ne ferait un bruit, au sortir du tumultueux Paris, j'oubliai de me ramentever—c'est encore un mot de ma tante—mes souvenirs de jeunesse, pour tourner et retourner en pensée le cas de mon ancien camarade des bords de la Monne, rendu plus inintelligible pour moi par le souvenir du cas de Roger Valentin (voir la Méditation XII).—Comme la plainte de la rivière se faisait douce cette nuit-là, et qu'elle berçait ma rêverie avec une mélancolique tendresse!—«Ainsi,» pensais-je, «Roger souffre de l'existence d'une enfant que sa femme a eue d'un premier mari, quoique l'existence de cette enfant ne représente ni une honte ni une perfidie, au lieu qu'Auguste a devant lui, auprès de lui, à chaque heure, à chaque minute, la preuve vivante de la trahison de sa femme incarnée dans cette petite fille, et il supporte de la voir qui va, qui vient, qui sourit et qui regarde, avec des sourires où il y a un peu de la ressemblance de sa femme et de l'autre, le vrai père, avec des yeux où il retrouve la couleur des prunelles qui lui ont menti, avec des cheveux où flottent des reflets des cheveux que l'autre a défaits et noués? Qu'il la supporte, cela se comprend encore, mais ma tante prétend qu'il aime l'enfant. Soit! C'est qu'il n'a jamais aimé sa femme. Et cependant ma tante m'a prouvé elle-même le contraire. Je me rappelle ce qu'elle me contait dans ses lettres, que la douleur de ce mari abandonné fendait le cœur à tout le monde. Il en avait les esprits lunés. C'était son expression à elle. Il paraît que ses cheveux ont grisonné en quelques mois, et lui, si gai, si bon compagnon autrefois, il avait perdu le rire. Comment mettre ensemble cet amour pour la femme infidèle et pour l'enfant de l'adultère?...» Afin d'arriver à comprendre mon vieux camarade, par analogie, je me figurais, moi, mes sentiments pour une fille que Colette aurait eue d'un de mes rivaux, de Salvaney, par exemple, ce bookmaker du monde dont j'ai eu le dégoût d'être jaloux. Je la voyais, cette fille imaginaire, et il me semblait que sa seule respiration m'eût fait crier. La douleur des plus anciennes angoisses se fût réveillée du coup. Pourtant Colette était une maîtresse choisie par moi dans un milieu de galanterie. Je n'ignorais pas, en la prenant, que je prenais une créature possédée déjà par d'innombrables amants.—C'est encore un problème, cela. On sait qu'une drôlesse s'est donnée à l'un et à l'autre, que cet un l'a payée, et cet autre. Mais oui, elle a débuté ainsi, au sortir du Conservatoire. On a entendu des camarades raconter des anecdotes sur sa manière de se livrer. Ils vous ont décrit ses secrètes beautés. On a éprouvé, à l'user, que ces anecdotes étaient vraies, ces descriptions exactes, et puis on est jaloux de cette maîtresse méprisée par avance, jaloux comme si l'on avait été le premier.—Que doit être cette jalousie quand on a été réellement ce premier, quand il s'agit d'une femme initiée par vous à la vie du cœur et à celle des sens? Car l'un ne s'éveille réellement qu'après que les autres ont parlé. Et cette jalousie ne saignerait pas chez un homme jadis épris, devant une enfant que cette femme a eue d'un autre, quand lui-même, et c'est là le cas pour Dupuis, n'en a pas eu d'elle?... Allons donc!...» Et j'éclatais de rire tout seul, et très haut, avec quelle amertume, à cause des images auxquelles je venais de me meurtrir l'âme.
—«Hé bien!» me disais-je en continuant ces réflexions, «Auguste sera un de ces héros de la moralité personnelle, comme en évoque Dumas. Le mari de Monsieur Alphonse pardonne, lui aussi, à sa femme d'avoir eu une fille d'un autre. L'ai-je assez défendue, cette scène, quand la pièce fut jouée pour la première fois, et avais-je si tort de soutenir qu'il y a là, dans ce pardon, une humanité profonde? Dans le Petit-Fils de Mascarille, ce moqueur de Meilhac se rencontre avec cet apôtre de Dumas. La différence est grande, pourtant, car l'enfant de M. Alphonse et celui de Valentine dans le Petit-Fils sont tous deux d'avant le mariage, au lieu que l'enfant adoptée par Auguste est d'après. Un abîme sépare les deux situations. Mais quoi! si feu Mme Dupuis est arrivée repentante, si elle a joué à ce «pataud» la comédie classique: «Ah! je t'ai méconnu, toi si bon, toi si noble.... Mais va, je n'ai jamais aimé que toi....»—Trémolo à l'orchestre!—Il y a des femmes qui vous servent cette colossale bourde, qu'elles ne vous ont trompé que pour vous préférer. C'est assez logique, puisqu'il n'y a pas de préférence sans comparaison. Quand il était tout petit, Auguste avait des yeux à devoir digérer de ces couleuvres, une fois homme. Qui sait s'il n'aura pas cru par-dessus le marché qu'elle avait eu cette fille en pensant à lui? Alfred de Vigny, prête bien ce vers étonnant à un mari perfide:
Malgré ces réflexions, ou à cause d'elles, je m'acheminais aujourd'hui, vers une heure, après le dîner, ce dîner de province pris copieusement au milieu du jour, du côté de la maison du docteur, avec une curiosité bien vive. Il habite à une extrémité du village la maison où il est né, où son père est mort, où le grand-père Dupuis a vieilli, goutteux et rieur. Que cet incorrigible Jacobin nous a chanté de fois l'inepte chanson libérale de 1830:
Grand-papa,
J'voudrais bien r'tourner par là!...
Je contemplais, en marchant d'un pied flâneur, cet horizon que j'ai gardé si vaste dans ma mémoire et que je retrouvais tout rétréci, mais plus intime, plus doux encore: une seule rue avec des maisons serrées et qui dominent l'étroite vallée où court la Monne. De l'autre côté de la petite rivière, une montagne étage ses pentes boisées et couronnées de constructions étranges. Par une année de chômage, un grand seigneur charitable imagina d'employer les ouvriers pauvres à fortifier la crête de cette âpre colline avec des tourelles et des murailles formées de pierre sans ciment. Par ce jour d'été d'un bleu intense, une brise fraîche, venue des sommets lointains et comme conduite par le couloir de la rivière, tempérait l'ardente chaleur. Je me demandais si je n'aurais pas été sage de demeurer là, fixé au pays natal, apprivoisé à une vie régulière, plutôt que de courir le monde à la poursuite de chimères aussi vaines que le mince tire-bouchon de fumée bleue qui tremblotait sur la cheminée d'une chaumière perdue dans le bois. Mais non, puisque le docteur, mon ami d'enfance, a rencontré dans son coin de campagne la même perfidie que moi dans les coulisses d'un théâtre parisien. Et il n'a pas eu, pour le consoler de cette perfidie, un décor exquis autour de sa misère, avec le souvenir de sensations dont le regret reste voluptueux même dans la douleur....
Je m'arrêtai longtemps devant la maison Dupuis. Un jardinet la sépare de la route. Je le connais si bien, comme le grand verger qui, par derrière, dévale du côté de l'eau. J'observai que le colombier était à la même place; à la même place le vieux cadran solaire, sur lequel le grand-père avait lui-même gravé en latin l'inscription: «Il ne marque que les heures sereines.» Mais l'aboiement du chien qui s'élança de sa niche quand je poussai la grille me prouva que je n'étais plus l'hôte familier de ce calme asile, comme aussi l'étonnement du gros homme qui vint au-devant de moi lorsque la servante m'eut annoncé: «Comment, c'est toi, Claude; pas possible!...» Et il me poussait dans un cabinet encombré de livres et de brochures où jouait, assise sur un tapis un peu râpé, une fillette, de huit ans peut-être, fine et menue, avec des cheveux blonds, tressés en une natte épaisse, à qui le gros homme dit d'une voix adoucie:
—«Allons, Louise, va au jardin.»
—«Oui, papa,» dit l'enfant, «mais j'emporte Lucie, n'est-ce pas?...» Et elle sortit, enlevant, en effet, entre ses bras, une poupée qu'elle était en train d'habiller. Le hasard me mettait du premier coup devant la fille de l'autre, et je reconnus aussitôt les bons yeux mouillés de mon vieux camarade du lycée de Clermont qui riaient, en regardant l'enfant, dans le visage du médecin vieilli. Ses prunelles avaient toujours leurs quinze ans. Seulement les rides précoces des joues et du front, le grisonnement dont ma tante m'avait parlé et une expression particulière de la bouche témoignaient que cet homme, né pour la gaieté dans la bonhomie confiante, avait beaucoup souffert. Une photographie presque de grandeur naturelle, pendue au-dessus du bureau, représentait une femme très jolie et gracieuse, encore jeune. Je soupçonnai du premier coup d'œul, à la ressemblance, que c'était la mère de l'enfant. Par la fenêtre ouverte, tandis qu'Auguste m'accablait d'affectueuses questions, j'entendais le rire de la fillette, qui avait lâché sa poupée pour jouer avec le chien, et la voix de la servante gourmandait la bête d'être trop vive.
—«Et voilà ma vie,» conclut mon camarade, après m'avoir raconté un peu pêle-mêle ses occupations; «et je suis, non pas heureux, mais content, comme disait l'autre.» Puis, après un silence un peu embarrassé: «Tu as su que j'ai été très malheureux?»
Il prononça cette phrase d'un ton triste et simple qui eût arrêté le sourire sur la bouche la plus ironique, et qui me remua profondément. Ah! je serai bien vieux quand je ne tressaillerai plus au contact de la souffrance humaine!
—«Que veux-tu?» continua-t-il, «j'avais épousé une femme à laquelle il fallait plus de tendresse que n'en pouvait donner un pataud comme moi. C'était une artiste, une musicienne, élevée à Paris.... Et moi....»
Il se montra naïvement du geste. Je comprenais le motif de sa confidence. Ma tante, il le devinait, avait dû me raconter toute sa misère, et cela lui faisait de la peine que je condamnasse la femme qu'il avait aimée, sans que rien plaidât pour elle. Et il insistait:
—«Ce que j'ai compris, vois-tu, mais trop tard, c'est qu'il y avait beaucoup de ma faute, et lorsqu'elle m'a écrit qu'elle était seule, pauvre et malade, et que je suis allé la chercher, si tu avais vu son étonnement, ses larmes, sa reconnaissance! Les six derniers mois de sa vie, elle m'a payé en bonheur toutes les larmes que j'avais versées.... Tu viens de voir l'enfant, comme elle est fine.... C'est sa mère, toute sa mère.... Elle me la rappelle par ses moindres mots, ses moindres gestes.... Oui, je sais que l'on m'a blâmé, que l'on me trouve faible, ridicule....»
Il eut un haussement d'épaules, puis il dit, en secouant la tête et avec une voix très basse:
—«Vois-tu, quand on a aimé une femme comme j'ai aimé la mienne, c'est pour toujours, et on aime tout de ce qui vous la rend vivante.... Tout, entends-tu bien?...»
Je voyais, tandis qu'il me parlait, ses yeux, d'une si fraîche candeur, se remplir de larmes, et, au lieu de trouver cette émotion ridicule, j'en suis à me demander où est la vie profonde du cœur, entre le sentiment qu'il garde à celle qui l'a honteusement trahi, si doux, si tendre, si étranger à toute haine, et ma féroce, mon avilissante rancune, à moi.—Hélas! Après avoir tant écrit sur l'amour, en avoir tant joui, tant souffert, n'aurais-je jamais aimé?
MÉDITATION XXIII [2]
PHYSIOLOGIE DU PHYSIOLOGISTE
A monsieur le Directeur de la Vie Parisienne.
Meggen, près Lucerne, septembre 1889.
Vous avez publié, mon cher directeur et ami, tout ce que je vous avais envoyé du manuscrit de mon pauvre Claude Larcher, avec une bonne grâce qui n'a pas été sans mérite. C'est qu'il est tombé chez vous et chez moi, simple exécuteur testamentaire, des cinquantaines de lettres atroces depuis le jour où le premier chapitre de cette Physiologie a paru dans les colonnes de la Vie! Nous ne nous doutions guère, n'est-ce pas, que cette année d'un lamentable centenaire marquait une restauration définitive de l'antique pudeur dans le domaine de la littérature? Il faut le croire, pour ce qui nous concerne, tant nos correspondants, et bon nombre de faiseurs d'articles, ont paru choqués jusqu'au scandale du ton de ces analyses. Je viens de la relire, cependant, cette suite de Méditations. J'en trouve quelques-unes amères, d'autres assez brutales. Beaucoup m'ont semblé redire, sous une forme plus ou moins heureuse, des vérités déjà dites par tous les observateurs de tous les temps. Je vois nettement qu'il y manque un grand et fort chapitre initial qui serve d'assise à l'ouvrage. Mais j'en suis à chercher une phrase immorale dans cette œuvre d'un artiste que j'ai connu déséquilibré, compliqué, souvent partagé entre la poésie et la sensualité, pénétré pourtant de Christianisme jusqu'aux moelles, souffrant de ne pas croire davantage et toujours épris d'Idéal. J'ai donc cherché ailleurs la raison pour laquelle les fragments de ce livre, un peu incohérent et contradictoire, je l'avoue, ont déplu si vivement à beaucoup de lecteurs. Cette raison, j'ai cru la trouver dans le caractère même de l'auteur et dans un contraste que j'ai grande envie de marquer ici, ne fût-ce que pour sauver sa mémoire du reproche d'avoir spéculé, en vue d'un scandale fructueux, sur des crudités d'expression et des audaces de peinture. D'ailleurs, la conclusion manquerait à ces études, si un ami ne la donnait, et quel ami, sinon celui que l'auteur a jugé assez fidèle pour lui confier le soin de revoir et de publier son œuvre inachevée?
Quand je vivais avec Claude, dans cette familiarité des jeunes gens de lettres où les natures se montrent ingénument, je m'étonnais souvent que l'intelligence de mon camarade lui servît si peu à se diriger dans la vie. Il lui arrivait, au cours du plus banal entretien, d'énoncer des phrases qui prouvaient une curiosité de l'expérience vicieuse, trop voisine du cynisme. Sa misanthropie précoce abondait en remarques cruellement désenchantées. Puis ce cynique se laissait prendre aux plus grossiers mensonges du premier venu; ce misanthrope était la dupe de n'importe quel aigrefin ou de n'importe quelle doucefine qui se donnait la peine de le flatter. Il y avait en lui de l'enfant et du vieillard, quelque chose de presque desséché par l'abus de la réflexion, et une ingénuité inguérissable d'impression conservée malgré cela. Le singulier malaise que j'éprouve moi-même à relire la Physiologie me paraît procéder de cette double tendance. Nous admettons le cynisme dans la littérature et dans la vie, mais avec les qualités de décision froide, avec ce décompte exact des hommes et des situations, avec cette maturité de jugement qui complète la misanthropie chez un Mérimée ou un Morny. Pareillement, le bel optimisme persistant de George Sand nous fait lui pardonner le poétisme souvent irréel de ses idylles. N'y a-t-il pas, au contraire, quelque chose d'anormal, de presque monstrueux, à rencontrer, comme chez Claude, un lot de maximes qui visent à imiter Chamfort, et, à côté, un lot de sentiments dignes d'un écolier? Ce physiologiste professionnel, qui nous arrive avec ce titre à énormes prétentions: l'Amour moderne, nous raconte sa petite histoire, et nous apprenons, quoi? qu'une actrice galante, longtemps entretenue par le tiers et le quart, l'a aimé quelques jours et trompé des années. Cette fille va souper avec un de ses rivaux. Et voilà notre philosophe en fureur et qui écrit des sonnets comme celui-ci, qu'il m'avait récité autrefois. Je l'ai retrouvé dans ses papiers, recopié sous ce titre: l'Enfer.
Celui d'un dur labeur recommencé sans fin,
T'ai-je assez prodigué de tendresses, en vain,
Pour emplir de douceur tes yeux à jamais vides?
Tu donnais bien ta bouche à manger à ma faim,
Décevante pâture!... Et là, dans ton beau sein,
Ton âme était un fruit plein de sables arides.
Hélas! en essayant de porter ton cœur mort
Jusqu'au vivant éther de la passion vraie,
La jalousie, en moi, saigne comme une plaie
Que ronge un immortel, un affamé vautour.
—«Sais-tu à quoi tu me fais songer?» lui demandai-je le jour où il me débita ce sonnet, suivi de plusieurs autres qu'il voulait réunir sous ce titre: Ma Douleur.
—«A quoi?» fit-il, un peu interloqué, car, en véritable homme de lettres, il attendait un compliment.
—«Oh!» lui dis-je, «à un mot si célèbre qu'il en est banal; celui que l'on fit sur Beaumarchais emprisonné ... avec une légère variante....»
—«Laquelle?»
—«Tu ne te fâcheras pas?»
—«Non,» fit-il.
—«Hé bien! Il ne suffit pas d'être trompé, il faut encore être modeste....»
—«Tu as raison,» répondit-il en haussant les épaules; «mais comment trouves-tu mes vers?...»
J'avais presque l'idée de transcrire ce bout de dialogue comme exergue à cette Physiologie. Cette épigramme inoffensive avait amusé Claude, car il avait cette coquetterie de se railler volontiers lui-même. Mais la critique qu'elle enfermait était-elle absolument juste? Parmi des notes de sa main que j'ai découvertes dans des circonstances assez bizarres,—je les dirai tout à l'heure,—traînait celle-ci, où mon ami semble avoir répondu par avance à cette objection: «Ecrire un livre intéressant sur l'amour, c'est écrire un livre sur sa façon à soi de sentir l'amour. Un tel livre a tout juste la valeur d'un mémoire rédigé par un malade sur sa maladie. Beyle avait peur de ne noter qu'une émotion lorsqu'il voulait noter une vérité. Etrange illogisme du plus logique des analystes! Hé! quelle vérité cherchais-tu donc à dire, grand disputeur, sinon des vérités sur des émotions?...» De ce point de vue, même la misère enfantine de Claude, son impuissance à se débarrasser de l'idée fixe, l'espèce d'anarchie intérieure dont la trace se retrouve dans ses réminiscences, et qui le faisait vivre cette vie décomposée, entre les voyages, le cercle, les restaurants, les théâtres et les coulisses; cet étalage chirurgical à propos des plus humbles sensations, cette sorte de pédantisme involontaire dans l'analyse, oui, tous ces défauts me paraissent donner à ce livre une date, et du moins, par suite, une valeur de document. Il est visible que la sensation heureuse en est absente et absente aussi l'émotion simple. Mais le personnage en était incapable, comme aussi de raisonner avec une suite ininterrompue dans ses déductions. La vérité posée au commencement de son ouvrage, et qui en fait la secrète moralité, à savoir que l'amour sensuel confine sans cesse à la haine, méritait—quoique vieille comme le demi-monde—une démonstration plus rigoureuse. C'est là ce chapitre initial dont je regrettais tout à l'heure l'absence. Notre maniaque s'est contenté de jeter sur le papier une série de notes capables de servir à cette démonstration. Puis, comme il était naturellement curieux de théories, de menues analyses et de dissections microscopiques, il a mêlé à ces notes une foule de détails parasites que je lui aurais conseillé d'enlever, par goût de la régulière ordonnance classique. A quoi il m'eût sans doute répondu, comme à propos d'autres travaux:
—«Ce que j'aime le mieux dans les livres des autres, ce sont les détails oiseux, les digressions et les défauts. Il n'y a que cela qui me fasse penser....»
Faire penser,—c'était là toute sa rhétorique.—Il prétendait que le seul rôle de l'écrivain consiste à inquiéter, à suggérer. Parmi les papiers dont je parlais, se trouvait encore la phrase suivante: «Un livre qui ne me parle pas comme un homme, comme un ami, comme un frère, qui ne me dise pas des mots capables de me changer le cœur, qu'en ferais-je? L'art n'est rien sans l'âme. Les faits ne sont rien que par l'âme et pour l'âme. La pensée est à la littérature ce que la lumière est à la peinture....» Et sur une autre feuille: «Type idéal du roman: l'Imitation de Jésus-Christ.» Je ne me charge pas d'expliquer ce que Claude entendait au juste par là, ni comment il conciliait son admiration, sans blasphème, pour le solitaire du moyen âge avec son goût pour le prince des détraqués. Benjamin Constant, qu'il eût volontiers traité de grand Saint, à la manière de mon autre ami, le subtil Maurice Barrès. Il était coutumier de ces étrangetés, associant dans son enthousiasme des œuvres et des noms qui frémissent de se rencontrer: les Pensées de Pascal et les Liaisons dangereuses, par exemple. J'ai entre les mains une sorte de volume pot-pourri, si l'on peut dire, dans lequel il a fait relier ensemble:—dix pages détachées de Baudelaire, le fragment sur Orphée dans les Gèorgiques de Virgile, la Maison du berger de Vigny, Mes Ecarts ou Ma Tête en liberté du prince de Ligne, le fragment des Mémoires apocryphes de Richelieu sur Mme Michelin, quelques feuillets de Candide et la moitié d'une nouvelle d'Hippolyte Castille, intitulée: Histoire de ménage!...—Autant que j'ai bien compris ses paradoxes, il estimait avant tout, chez un écrivain, le mélange de la passion, quelle qu'elle fût, coupable ou sublime, et de la lucidité. Il lui fallait des âmes assez ardentes pour vivre beaucoup, assez curieuses pour se connaître, assez hardies pour se confesser,—c'est-à-dire pour conter d'elles non pas des actions, mais des états; non pas des faits, mais des habitudes. Je l'ai vu ainsi raffoler du Journal d'Amiel, ce protestant si pur, pêle-mêle, et des mémoires de ce ruffian de Casanova. «J'aime à sentir sentir....» cette étrange formule qu'il a employée, je crois, au cours de son livre, il la répétait sans cesse. Peut-être trouverez-vous, mon cher directeur, dans le détail de ces goûts disparates, la clef des contradictions de cette Physiologie, à qui vous avez donné une large hospitalité. Pourquoi ne vous dirais-je pas aussi la raison qui lui fit désirer vivement d'être publié dans votre journal? Claude cherchait ainsi à se prouver à lui-même son parisianisme. Il avait eu, par-dessus le marché et à travers le fatras de ses théories, de passagères prétentions à la vie élégante. Je l'ai vu hypnotisé à la lettre par les pantalons et les bouquets de boutonnière de son rival Salvaney, un clubman ignare comme son cheval, et dont la principale aristocratie consistait à faire le voyou anglais, mais de ce côté-ci du détroit, vous savez, ces cads qui disent: «Arry, my boy...» dans le Punch, sans h, et en traînant la voix.
La vérité, et voilà le motif qui rend ce livre sur l'Amour si incohérent,—je reprends le mot dans son sens d'étymologie, «incohaerere, qui ne se tient pas,» comme d'ailleurs toutes les autres œuvres de Claude,—la vérité, c'est que Larcher, pareil en cela aux neuf dixièmes d'entre nous, avait grandi sans milieu définitif et précis. Par suite il n'avait pu prendre ni une forme d'âme ni une forme d'existence définitive et précise. Il était comme né hors la loi. Il le sentait lui-même, car il avait, à la suite de la Méditation IV, sur l'Amant moderne, copié cette phrase de Michelet: «...Dans leurs livres, ils ont surabondamment parlé de la divagation, jamais marqué la grande voie simple, féconde, de l'initiation que l'amour mieux inspiré continuerait jusqu'à la mort. Il est arrivé à ces ingénieux romanciers ce qui arriva jadis aux casuistes, Escobar et Busenbaum, grands analyseurs aussi, et qui dans leurs recherches subtiles n'oublièrent rien que ce qui faisait le fond même de leur science. Ils ont perdu le mariage de vue et réglementé le libertinage.» Claude avait ajouté: «Noble phrase, si saine, si lucide, si tristement vraie de mon œuvre! Mais dire les douleurs de la faute, n'est-ce pas aussi montrer la route?... C'est l'épave qui marque où le navigateur a sombré et le récif à fuir. Cela sert encore.... Et puis il ne faut pas mentir. Il faut raconter ce que le sort a fait de nous, en nous souvenant du mot de Marc-Aurèle: Il y a à cela même une raison. Oui, il y a une raison à mon existence, aux contrastes étranges que la destinée m'a imposés. Dieu! que cette vie fut contraire au cœur!» Il disait vrai en qualifiant de la sorte son expérience. J'en ai eu la preuve une fois de plus dans la visite que j'ai rendue le printemps dernier à sa vieille tante, au cours d'un voyage en Auvergne. J'allais dans cette montagneuse province chercher quelques notes exactes pour un roman auquel je travaillais, et, me trouvant à trois heures seulement du petit village de Saint-Saturnin, d'où est datée la Méditation XXII, je me décidai à cette excursion. Tout en roulant dans un mauvais coupé de louage, je regardais le paysage du bord de la Limagne, si joliment rustique et laborieux. Les sarments secs des vignes s'enroulaient aux longs échalas gris. Le blé pointait, vert sur la terre sombre. Les bourgeons germaient sur les branches nues des arbres qui bordaient le chemin, et les fleurs roses des pêchers me souriaient dans la lumière. Il y avait de la neige sur les hautes montagnes, et, le long de l'Allier, deviné à la dépression du terrain, flottait une buée douce et transparente. Je me souvins de ce que Claude m'avait raconté sur son adolescence écoulée tout entière dans ce pays perdu, et, comme nous nous étions arrêtés pour faire boire le cheval à la porte d'une auberge, dans un hameau, je crus voir l'image de ce qu'avait été mon ami enfant dans deux petits garçons en train de se promener avec un vieux monsieur, quelque rentier de la localité. Ils montraient de grands yeux si simples dans de si larges faces. «Il est parti de là,» songeai-je, et, par opposition, je l'évoquai tel que je l'avais vu tant de fois, assis à une table de restaurant de nuit et me racontant, en phrases heurtées comme ses sensations mêmes, sa journée d'homme de lettres, à moitié bohémienne, à moitié mondaine. Entre le point d'arrivée et le point de départ, la distance était trop grande. L'équilibre moral a pour première condition que l'homme fait continue l'enfant. Faut-il chercher ailleurs la raison du détraquement observable chez tant d'artistes modernes? Combien d'entre nous peuvent dire que leur trentième année ressemble à leur dixième? Et ce ne devrait être, cette trentième année, que la dixième épanouie.
Je roulais de nouveau, et je philosophais à perte de vue sur cette loi de l'hygiène intellectuelle, lorsque j'arrivai à ce village de Saint-Saturnin, fort pittoresquement dressé sur une colline. Son château féodal, encore intact, domine une vallée où coule cette petite rivière babillarde, décrite par Claude avec tant de complaisance. Il n'y a qu'une rue dans le village, mais tortueuse et si mal entretenue que le cocher me demanda de m'attendre au bas. Je m'engageai donc à pied dans cette allée étroite, après m'être renseigné sur la demeure de Mlle Claudia Larcher, la tante et la marraine de mon ancien compagnon de vie littéraire. J'admirai combien la magie du souvenir métamorphose la médiocrité des endroits, à constater la misère de la plupart des maisons qui composent le village, jadis vanté par mon ami comme une oasis de solitude fleurie. Des tas de fumier s'entassaient, bruns et suintants, devant les portes, où des truies te vautraient, où des poules picoraient, où des enfants jouaient, pieds nus et vêtus de haillons. Il convient de dire qu'il avait plu les jours derniers, et qu'un mauvais déjeuner pris en route m'avait indisposé contre le pays. Ma vilaine humeur céda devant le clocher de l'église, du plus délicat roman auvergnat, et, comme j'aperçus, en contournant le chevet, la porte du cimetière, j'y entrai. Je n'eus pas de peine à trouver la sépulture de la famille Larcher, tous notaires à Saint-Saturnin depuis trois générations. «C'est ici qu'il repose,» pensai-je en regardant la pierre mélancolique où le nom de mon terrible camarade, placé à la suite des noms des honnêtes tabellions du village, ricanait ironiquement. Je vous dispense, mon cher directeur, des réflexions éveillées en moi. Cette antithèse ne semblait-elle pas prolonger par delà le tombeau les contradictions sur lesquelles avait vécu ce fils de braves bourgeois, devenu, par un caprice du sort, un auteur dramatique à la mode, puis, par celui de l'amour, un névropathe et un maniaque, le tout pour finir, usé par l'abus des alcools anglais, à l'ombre du clocher que ses pères avaient eu la sagesse de ne jamais quitter?
Ah! le vers profond, le vers admirable de Sainte-Beuve! Comme j'en sentais le charme nostalgique en quittant ce cimetière et la sépulture de famille entretenue pieusement parmi son lierre, ses pétunias et ses capucines, par les soins, sans doute, de la vieille tante! Et elle, la digne femme, elle était un commentaire bien touchant de ce cri du plus intime des poètes. Telle mon ami me l'avait décrite avec un humour attendri, telle je la trouvai quand on m'introduisit dans l'espèce de ferme bourgeoise où Claude avait passé les derniers mois de sa vie. Mlle Larcher était vêtue de noir, avec un visage gaiement ridé, où souriait cette innocence indulgente qui se remarque dans certaines physionomies ecclésiastiques. Elle lisait de ses clairs yeux gris, le nez chevauché par des lunettes montées en argent, un livre qu'elle posa sur la table, et je pus voir que c'était l'Imitation. Pour quelles simples raisons et combien étrangères, combien supérieures à celles qui faisaient dire à Claude que c'est là le chef-d'œuvre du roman d'analyse!...
—«Ah! monsieur,» gémit-elle, quand je me fus nommé et que je lui eus expliqué mon désir de feuilleter les papiers laissés par mon vieux complice, c'est de ce nom qu'il s'appelait lui-même, «si vous aviez vu quel désordre et comme il avait emballé le tout au hasard dans une grande caisse de bois, avant de quitter Paris?... Et il y avait de tout, dans cette caisse, et des portraits de la mauvaise femme et des lettres!...» Elle faillit se signer, tant ce qu'elle avait lu dans ces lettres l'avait évidemment scandalisée.... «J'ai pris le conseil de M. le curé, et j'ai tout brûlé,» continua-t-elle, «excepté le paquet à votre nom qui était ficelé et prêt à être envoyé, et puis quelques feuilles d'un papier très épais, où il n'y avait pas grand'chose, mais il nous a été utile pour nos derniers pots de confitures.... Il y a bien encore sur ce papier des lignes de son écriture. Voulez-vous les voir?»
La sainte fille se leva, et, cherchant une clef parmi celles qui battaient pendues à son trousseau, sous sa première jupe, elle alla pour m'ouvrir un placard, et elle me tendit un pot de grès, puis un autre. Sur le papier qui les fermait et qui était du papier du Japon,—qui sait? peut-être un présent de Colette,—je reconnus en effet l'écriture nerveuse de mon ami. J'ai recopié là ces deux ou trois remarques citées au cours de cette oraison funèbre de celui que je surnommais, moi, à cause de son amitié à mon égard et de ses folies: «mon frère ivre,» en parodie du titre du beau roman de Pierre Loti. La tante, qui ne savait comment recevoir le plus fidèle compagnon de ce neveu qu'elle avait beaucoup aimé, n'eut pas de cesse que tous les pots ainsi recouverts du papier de Claude ne fussent étalés sur la table, et elle bavardait, pendant ce temps-là:
—«Je sais qu'il avait des moyens, monsieur,» disait-elle, «quoique je n'aie jamais trop compris pourquoi il se plaisait à inventer de si vilaines histoires. J'aurais voulu qu'il prît une place, qu'il se fît nommer préfet, comme M. Mareuil, son confrère dans un journal, qui est venu à son enterrement. Dans notre pays, il n'aurait pas eu à chasser les sœurs, il aurait été si heureux! Quand il est arrivé, Jésus Dieu! il avait une figure!... Et maigre et jaune!... J'ai bien vu qu'il était malade, et puis je l'ai si bien soigné!... Tous les jours des truites du vivier qu'il allait prendre lui-même, de la bonne viande, de la vraie, et du vrai vin de notre vigne, de celui que défunt son père avait mis en bouteille lui-même voici plus de vingt ans.... Mais il se rongeait, il s'ennuyait, et alors il griffonnait sur ces carrés de papier, vous voyez: ici, là, au milieu, un peu partout.... Enfin il est mort comme un chrétien....»
Et Mlle Larcher essuyait ses larmes du coin de son tablier de soie noire, tandis que je déchiffrais des fragments dont voici encore quelques-uns, vers et prose mêlés. C'était d'abord un début de pièce, avec cette indication: «pour Ma Douleur.»
Vers toi, mystérieux Esprit de l'univers.
Inconnaissable Esprit qui soutiens notre rêve,
Tromperas-tu toujours nos pauvres bras ouverts?
Au-dessous, la tante avait écrit de son écriture un peu tremblée: Cassis, et le jour de la mise en pot. Sur un autre papier où se lisaient les mots: Fraises blanches, se trouvait l'axiome suivant: «On aimerait mieux, si l'on ne savait pas qu'on aime.» Sur un autre et à côté des mots: Gelée de coings: «Rien de dangereux comme les femmes qui nous conduisent à la tendresse par le trouble des sens....» Sur un autre, marqué encore cassis, cette stance:
Que la haine parfois le cède à la pitié.
Le mal que tu m'as fait souffrir est oublié,
Et je pleure ton âme à tout jamais flétrie.
Puis sur un autre, qui, heureusement, fermait une espèce de jarre, avec cette inscription: Résiné, j'ai pu déchiffrer un dernier sonnet, qui atteste un certain effort vers la santé, trop rare chez ce malheureux garçon pour n'être pas signalé à son éloge:
Enveloppe les bois ou verdissent les mousses,
L'air est plein de senteurs magnétiques et douces,
Et jamais les oiseaux n'ont plus gaîment chanté.
D'émeraude et d'azur jusqu'aux génisses rousses
Qui broutent l'herbe humide entre les jeunes pousses,
Tout être semble vivre avec félicité.
Ma blessure d'amour depuis des ans ouverte,
Ne connaîtrai-je plus jamais de renouveau?
Comme la terre oublie, en ce matin si beau,
Et la neige et l'hiver et les bises glacées?
Permettez-moi, mon cher directeur, de clore cette lettre sur cette note apaisée et plus fraîche. C'est la fenêtre ouverte dans une chambre d'hôpital que ces vers de nature au terme de cette œuvre pleine de tristesse, d'ironie et de doute. Je ne sais si j'aurai dissipé ou aggravé les préventions des lecteurs hostiles à Claude Larcher par le récit de cette visite à son dernier asile. Son livre fournira peut-être à un vrai maître en psychologie, de la race de M. Taine ou de M. Ribot,—ou à un vrai moraliste de la tradition du hardi et pur Lacordaire,—de quoi mettre une bonne annotation au bas d'une page, et moi, j'aurai eu l'occasion de vous remercier au nom de mon ami pour votre gracieux accueil et de me dire votre dévoué,
P.B.
Toblach, mai 1888.—Meggen, septembre 1889.
NOTES:
[1] On se permet de faire remarquer qu'à l'époque ou la Vie parisienne publiait cette Méditation (septembre 1888) et à plus forte raison quand feu Claude Larcher l'écrivait, ce mot n'était pas devenu une plaisanterie courante et aussitôt banalisé.—P.B.
[2] Quoique la préface actuelle du présent livre contienne des indications suffisantes sur le but que s'était proposé feu Claude Larcher, les lecteurs qui auront bien voulu suivre avec quelque sympathie ce héros de la Physiologie, de Mensonges, de Gladys Harvey, etc., etc., trouveront peut-être un intérêt aux documents trop peu nombreux recueillis sur ses derniers jours. On a cru devoir laisser à ces documents une forme qui les fait rentrer dans le plan général de l'ouvrage, auquel ils servent de postface et aussi de conclusion.
TABLE DES MATIÈRES
I.—Nuit étrange d'où est sorti le présent livre
II.—Les Exclus
III.—Le Vrai et le Faux Homme à femmes
IV.—De l'Amant moderne
V.—De la Maîtresse
VI.—De la Maîtresse (suite)
VII.—De la Maîtresse (suite et fin)
VIII.—Du Flirt et des coquettes
IX.—Bonheurs contemporains
I. Les Drawbacks
X.—Bonheurs contemporains
II. Les Désastres
XI.—Bonheurs contemporains
III. Les Désastres (suite).
Les Jalousies
XII.—Bonheurs contemporains
IV. Les Désastres (suite).
Les Jalousies
XIII.—Bonheurs contemporains
V. Les Désastres (suite).
Les Jalousies
XIV.—Bonheurs contemporains
VI. Les Désastres (fin).
Une anecdote
XV.—De la Rupture.
I. Avant
XVI.—De la Rupture.
II. Après
XVII.—De la Rupture.
III. Après (suite).
De quelques Vengeances
XVIII.—De la Rupture.
IV. Après (fin).
Les Enfants de l'Amour
XIX.—Thérapeutique de l'Amour.
I. La Méthode du docteur Noirot
XX.—Thérapeutique de l'Amour.
II. Le Système du professeur Sixte
XXI.—Thérapeutique de l'Amour.
III. Le Procédé Casal
XXII.—Un Sentiment vrai
XXIII.—Physiologie du Physiologiste