Poésies Complètes - Tome 2
II
Si ce n'était cette voix du tombeau
Qui vient chuchoter à la joie,
Ce corps charmant, ce visage si beau,
Ce soir des vers seront la proie;
Si ce n'était cette amertume au cœur,
Dans cette vie, oh! combien de bonheur!
Comme mon âme, à l'absorber avide,
Ne quitterait la coupe d'or que vide!
Dieu je serais, changeant la terre en cieux,
Si le plaisir pouvait faire les dieux!III
Aussi loin qu'aux clartés du plus limpide azur
Que jamais sur la sphère ait tendu le ciel pur,
L'œil saisit des objets les formes apparues,
On découvre toujours des jardins et des rues
Marquant de leurs piliers des parcours infinis,
Des temples, vaste amas de marbres, de granits,
Des palais de porphyre énormes et splendides,
Et s'élançant des eaux de hautes pyramides
Plus vieilles que le temps, et dont l'Éternité
N'ébréchera jamais le profil respecté.
Cependant sur le lac tout est tumulte et joie,
Et l'animation largement s'y déploie;
Le commerce, l'amour et le culte des dieux
Y forment un spectacle étrange et radieux.
Une procession sur les marches des temples
Avec ses prêtres blancs vêtus de robes amples
Se développe au son des cymbales d'argent.
Des embarcations au sillon diligent
Descendent vers la mer, venant de ces contrées
Qu'assourdissent du Nil les chutes effarées,
Avec leur cargaison riche comme un trésor,
Plumes, gemmes, parfums, ivoire et poudre d'or,
Au passage exhalant l'odeur aromatique
Que prennent les vaisseaux au soleil exotique.
Ici des pèlerins, enfants de tous pays,
Avant de repartir pour Bubaste ou Saïs,
Dans une baie ombreuse où l'onde est plus tranquille
Poussent l'esquif léger avec la rame agile.
D'autres sous les lotus bercent leur frais sommeil,
Ou par des chants joyeux se tiennent en éveil.
Plus loin des acacias parfument de leurs grappes
Une plage où du lac fendant les claires nappes
Folâtre un jeune essaim de riantes beautés
En attraits surpassant les charmes si vantés
De celle dont la chaîne aimable au captif même
Tint deux maîtres du monde et rompit au troisième.
IV
.............. Astre dont le rayon
S'épanchant sur le monde aux heures taciturnes,
Fait éclore le rêve avec les fleurs nocturnes,
Non cette lune froide et brumeuse du nord,
Versant aux jeunes cœurs, comme un philtre de mort,
Le sang pâle et glacé de la vestale chaste;
Mais l'ardente Phœbé qui règne dans Bubaste,
Et ne voit rien, du haut de son brillant séjour,
Chez l'homme et chez les dieux d'aussi beau que l'amour!
V
Rhodope, cette nymphe à la beauté splendide,
Qui vit, dit-on, plongée en un demi-sommeil,
Sur l'or et les bijoux inconnus au soleil,
La Dame de la Pyramide!
VI
Vous qui voulez courir
La terrible carrière,
Il faut vivre ou mourir
Sans regard en arrière.
Vous qui voulez tenter
L'onde, l'air et la flamme,
Terreurs à surmonter
Pour épurer votre âme,
Si, méprisant la mort,
Votre foi reste entière,
En avant!—le cœur fort
Reverra la lumière.
Et lira sur l'autel
Le mot du grand mystère
Qu'au profane mortel
Dérobe un voile austère.
VII
Bois cette coupe—Osiris la savoure
A petits traits dans l'empire des morts;
Il la fait boire au peuple qui l'entoure,
Chaque fantôme en effleure les bords.
Bois cette coupe—elle est, tout frais, remplie
D'une eau puisée au fleuve du Léthé;
En la vidant tout le passé s'oublie
Comme un vain songe au matin emporté!
Le plaisir, fausse ivresse,
Vin mêlé de poison;
La science, maîtresse
A la dure leçon;
L'espoir brillant et vide,
Semblable aux lacs amers,
Trompant la lèvre avide
Aux sables des déserts;
Tout ce que tu connus de mauvais ou d'infâme
Disparaîtra soudain dans un oubli profond,
De tout ressouvenir laissant pure ton âme
Quand ta soif de la coupe aura tari le fond.
VIII
Bois cette coupe—elle est pleine d'un divin baume.
Quand Isis vint aux cieux, Horus entre les bras,
Elle dit à son fils, lui montrant son royaume,
Bois cette coupe et toujours tu vivras!
Je te dis et te chante, ainsi que la déesse,
Toi qui des vastes cieux un jour hériteras:
Fusses-tu dans l'abîme, âme et corps en détresse,
Bois cette coupe et toujours tu vivras!
IX
La Mémoire viendra, menant le chœur des rêves,
Rêves d'un temps plus beau, plus ancien et plus pur;
Quand l'âme, hôte des cieux, n'avait pas sur les grèves
Laissé choir le duvet de ses ailes d'azur;
Souvenirs glorieux, pareils à cette flamme
Que lance, en s'éteignant, sur les eaux l'astre d'or,
Qui montre ce que fut et ce que n'est plus l'âme,
Mais ce qu'elle pourrait brillamment être encor.
X
O bel arbre d'Abyssinie!
Nous te prions par ton fruit d'or,
Par la pourpre à l'azur unie
Dans ta fleur plus splendide encor,
Par la muette bienvenue
Dont ta ramure, en s'abaissant,
D'un air hospitalier salue
L'étranger sous ton dais passant.
O bel arbre d'Abyssinie!
Quand la nuit, sans lune, descend,
Combien ta rencontre est bénie
Du voyageur au pas pesant!
Du bout caressant de tes branches
Tu viens baiser ses yeux mi-clos,
Sur lui tendrement tu te penches
Et tu lui dis: «Dors en repos!»
O bel arbre d'Abyssinie!
Ainsi, vers moi, penche ton front qui plie.
XI
Par une de ces nuits où l'étoile d'amour,
Isis, de son croissant dessinant le contour,
Dans le fleuve sacré mire son front de vierge,
Où les couples, guettant sa lueur de la berge,
Calculent en quel temps son cours recommencé
Doit la remettre aux bras du Soleil-fiancé.
XII
............ Le fleuve qui naguère
Glissait entre ses bords, garni des deux côtés
Par des palais de marbre et de riches cités,
Pareils à des joyaux sertis dans une chaîne,
Inondant à présent la vallée et la plaine,
Comme un géant qui sort de son lit brusquement,
S'étale et couvre tout de son flot écumant.
1865.
A MARGUERITE
A MADAME MARGUERITE DARDENNE DE LA GRANGERIE
SONNET I
Les poètes chinois, épris des anciens rites,
Ainsi que Li-Tai-Pé, quand il faisait des vers,
Mettent sur leur pupitre un pot de marguerites
Dans leurs disques montrant l'or de leurs cœurs ouverts.
La vue et le parfum de ces fleurs favorites,
Mieux que les pêchers blancs et que les saules verts,
Inspirent aux lettrés, dans les formes prescrites,
Sur un même sujet des chants toujours divers.
Une autre Marguerite, une fleur féminine,
Que dans le céladon voudrait planter la Chine,
Sourit à notre table aux regards éblouis,
Et pour la Marguerite, un mandarin morose,
Vieux rimeur abruti par l'abus de la prose,
Trouve encore un bouquet de vers épanouis.
19 juillet 1865.
A MARGUERITE
A MADAME MARGUERITE DARDENNE DE LA GRANGERIE
SONNET II
Il est, dans la légende, une vierge martyre,
Qui mène en laisse une hydre aux tortueux replis.
Près d'une roue à dents, tenant en main un lis,
L'Ange d'Urbin l'a peinte et le monde l'admire.
Aux prés, pousse une fleur, qu'en son naïf délire,
L'inquiète amoureuse avec ses doigts pâlis,
Questionne, comptant les pétales cueillis,
Et suspendant son âme au dernier qu'elle tire.
Mystérieusement dans son nid de satin,
Brûle un joyau sans prix qui porte un nom latin
Et dont le troupeau vil dédaigne le mérite.
Ne cherchez pas le mot de l'énigme à côté:
Martyre, fleur, joyau, vertu, parfum, beauté,
Tout cela simplement veut dire: Marguerite!
19 juillet 1866.
L'IMPASSIBLE
SONNET
La Satiété dort au fond de vos grands yeux;
En eux plus de désirs, plus d'amour, plus d'envie;
Ils ont bu la lumière, ils ont tari la vie,
Comme une mer profonde où s'absorbent les cieux.
Sous leur bleu sombre on lit le vaste ennui des Dieux,
Pour qui toute chimère est d'avance assouvie,
Et qui, sachant l'effet dont la cause est suivie,
Mélangent au présent l'avenir déjà vieux.
L'infini s'est fondu dans vos larges prunelles,
Et devant ce miroir qui ne réfléchit rien,
L'Amour découragé s'asseoit, fermant ses ailes.
Vous, cependant, avec un calme olympien,
Comme la Mnémosyne, à son socle accoudée,
Vous poursuivez, rêveuse, une impossible idée.
Chamarande, juillet 1866.
A L. SEXTIUS
ODE IV: TRADUITE D'HORACE
L'âpre hiver se dissipe aux souffles printaniers,
La barque oisive aux flots se livre;
L'étable et l'âtre enfin lâchent leurs prisonniers
Et le pré n'est plus blanc de givre.
Sous la lune déjà Vénus conduit le chœur;
Aux Nymphes les Grâces décentes,
Se mêlent dans la ronde, et Vulcain, plein d'ardeur,
Souffle les forges rougissantes.
C'est le temps d'entourer son front de myrtes verts
Ou de fleurs qu'avril renouvelle,
Et d'immoler à Faune, aux bois d'ombre couverts,
Le bouc ou, s'il lui plaît, l'agnelle.
La pâle mort, d'un pied égal, heurte taudis
Et palais.—O Sextius, songe
Combien les longs espoirs sont à l'homme interdits
La nuit et les Mânes—mensonge,
Et la cour de Pluton te réclament. Là-bas
Les dés ne font plus de monarque,
Et l'on n'admire plus le tendre Lycidas,
Que la vierge déjà remarque.
1866.
A L'IMPÉRATRICE
Suave et pur jasmin d'Espagne
Où se posa l'abeille d'or,
Une grâce vous accompagne
Et vous possédez un trésor;
Vous, le sourire de la force,
Le charme de la majesté,
Vous avez la puissante amorce
Qui prend les âmes—la bonté!
Et, derrière l'Impératrice
A la couronne de rayons,
Apparaît la consolatrice
De toutes les afflictions.
Sans que votre cœur ne l'entende
Il ne saurait tomber un pleur;
Quelle est la main qui ne se tende
Vers vous, du fond de son malheur?
Pensive, auguste et maternelle,
Tenant compte des maux soufferts,
Vous rafraîchissez de votre aile
Les feux mérités des enfers.
Ce n'est pas seulement vers l'ombre
Que va le regard de vos yeux,
Dans la cellule étroite et sombre
Faisant briller l'azur des cieux;
Ce regard que chacun implore,
Qui luit sur tous comme un flambeau,
S'arrête, plus touchant encore,
Quand il a rencontré le Beau.
L'enthousiasme y met sa flamme
Sans en altérer la douceur;
Si le génie est une femme,
Vous lui dites: «Venez, ma sœur,
«Je mettrai sur vous cette gloire
Qui fait les hommes radieux,
Ce ruban teint par la victoire,
Pourpre humaine digne des dieux!»
Et votre main d'où tout ruisselle
Sur le sein de Rosa Bonheur
Allumant la rouge étincelle,
Fait jaillir l'astre de l'Honneur!
II
Oh! quelle joie au séjour morne
Des pauvres Enfants détenus,
Limbes grises, tombeau que borne
Un horizon de grands murs nus.
Lorsque la porte qui s'entr'ouvre,
Laissant passer le jour vermeil,
A leurs yeux ravis vous découvre
Comme un ange dans le soleil!
Pour le penseur chose effrayante!
L'homme jetant à la prison
La faute encore inconsciente
Et le crime avant la raison!
Là sont des Cartouches en herbe
Dont les dents de lait ont mordu,
Comme un gâteau, le fruit acerbe
Qui pend à l'arbre défendu;
Des scélérats sevrés à peine;
De petits bandits de douze ans,
D'un mauvais sol mauvaise graine,
Tous coupables mais innocents!
Hélas! pour beaucoup la famille
Fut le repaire et non le nid,
La caverne où gronde et fourmille
Le monde fauve qu'on bannit.
Vous arrivez là, douce femme,
Lorsque sommeille encor Paris,
Faisant l'aumône de votre âme
A ces pauvres enfants surpris.
Vous accueillez leur plainte amère
Leur long désir de liberté,
Et chacun d'eux vous croit sa mère
A se voir si bien écouté.
Vous leur parlez de Dieu, de l'homme,
Du saint travail et du devoir,
Des grands exemples qu'on renomme,
Du repentir qui suit l'espoir;
Et la prison tout éblouie
Par la céleste vision,
De la lumière évanouie
Conserve longtemps un rayon!
III
Il est d'autres cités dolentes
Que d'autres Dante décriront;
Les heures s'y traînent bien lentes,
La faute a la rougeur au front.
Là gémissent les vierges folles
Qui vont sans lampe dans la nuit;
Les paresseuses aux mains molles
Que l'éclat d'un bijou séduit;
La coupable, presque novice,
Trébuchée au chemin glissant,
Et toutes celles que le vice
Sur son char emporte en passant.
Sans craindre pour vos pieds la fange,
Vous traversez ces lieux maudits,
Comme en enfer, un bel Archange
Qui descendrait du Paradis.
Vous visitez dortoirs, chapelle,
Et la cellule et l'atelier,
Allant où chacun vous appelle
Et ne voulant rien oublier.
Si, dans la triste infirmerie,
Au chevet, où râle la mort,
Vous trouvez une sœur qui prie,
L'innocence près du remord,
Vous ployez les genoux, et l'âme,
Dont l'aile bat pour le départ,
Croit voir resplendir Notre-Dame
A travers son vague regard.
Lorsque se tait la litanie,
Vous vous penchez pour mieux saisir
Sur les lèvres de l'agonie
Le suprême et secret désir.
La jeune mourante, éperdue,
Qui ne parlait plus qu'avec Dieu,
D'une voix à peine entendue
Confie à votre cœur son vœu.
Cet humble vœu, dernier caprice,
Est recueilli pieusement,
Et de l'enfant l'Impératrice
Exécute le testament.
15 août 1866.
A CLAUDIUS POPELIN
SONNET
Le Temps efface l'Art avec un doigt trop prompt,
Et l'Éternité manque à la forme divine.
Le Vinci sous son crêpe à peine se devine,
Et de Monna Lisa l'ombre envahit le front.
Ce que nos yeux ont vu, bien peu d'yeux le verront.
On cherche au Vatican Raphaël en ruine,
Michel-Ange s'éteint aux murs de la Sixtine,
Comme Apelle et Zeuxis ils s'évanouiront.
Mais toi, mon Claudius, tu fixes ta pensée;
Tel que l'ambre une fleur, l'immarcescible émail
Contre les ans vaincus abrite ton travail.
Des reflets de l'iris ton œuvre est nuancée,
L'ardente transparence y luit sur le paillon,
Et chez toi l'Idéal a toujours son rayon.
1866.
A INGRES
SONNET
(En réponse à l'envoi d'un fragment de l'Apothéose d'Homère)
Du plafond où, les pieds sur le blanc escabeau,
Trône Homère, au milieu de l'immortelle foule
Dont le chœur dans l'azur s'étage et se déroule,
Pour m'en faire présent tu coupas un lambeau.
Merci, maître invaincu, prêtre fervent du beau,
Qui de la forme pure as conservé le moule,
Et seul, resté debout dans ce siècle qui croule,
De l'antique idéal tiens toujours le flambeau!
Tes nobles fils, Eschyle, Euripide et Sophocle,
Descendus de ton ciel pour rayonner chez moi,
Déposent leurs lauriers et leurs vers sur un socle;
Et mon humble logis, devenu, grâce à toi,
Riche comme un palais et sacré comme un temple,
Pour ces hôtes divins est à peine assez ample!
1866.
LE ROSE
SONNET
Je connais tous les tons de la gamme du rose,
Laque, pourpre, carmin, cinabre et vermillon.
Je sais ton incarnat, aile du papillon,
Et les teintes que prend la pudeur de la rose.
A Grenade, des bords que le Xénil arrose
J'ai, sur le Mulhacen lamé de blanc paillon,
Vu la neige rosir sous le dernier rayon
Que l'astre, en se couchant, comme un baiser y pose.
J'ai vu l'aurore mettre un doux reflet pourpré
Aux Vénus soulevant le voile qui leur pèse,
Et surpris dans les bois la rougeur de la fraise.
Mais le rose qui monte à votre front nacré
Au moindre madrigal qu'on vous force d'entendre
De la fraîche palette est le ton le plus tendre.
1867.
L'HIRONDELLE
SONNET
Je suis une hirondelle et non une colombe,
Ma nature me force à voltiger toujours.
Le nid où des ramiers s'abritent les amours,
S'il y fallait couver, serait bientôt ma tombe.
Pour quelques mois, j'habite un créneau qui surplombe,
Et vole, quand l'automne a raccourci les jours,
Pour les blancs minarets quittant les noires tours,
Vers l'immuable azur d'où jamais pleur ne tombe.
Aucun ciel ne m'arrête, aucun lieu ne me tient,
Et dans tous les pays je demeure étrangère;
Mais partout de l'absent mon âme se souvient.
Mon amour est constant, si mon aile est légère,
Et sans craindre l'oubli, la folle passagère
D'un bout du monde à l'autre au même cœur revient.
1867.
L'ODALISQUE A PARIS
A MADAME RIMSKI KORSAKOW
Est-ce un rêve? Le harem s'ouvre,
Bagdad se transporte à Paris,
Un monde nouveau se découvre
Et brille à mes regards surpris.
Pardonnez mon luxe barbare,
Bariolé d'argent et d'or;
J'ignorais tout, un maître avare
M'enfouissait comme un trésor.
A l'Orient mon élégance
Laissant son antique oripeau,
Saura bientôt faire une ganse
Et mettre un semblant de chapeau.
A tout retour je suis rebelle,
Qu'Oshman cherche une autre houri!
Il est ennuyeux d'être belle,
Incognito, pour son mari!
1867.
A CHARLES GARNIER
(Réponse à une invitation à dîner)
ÉPITRE MONORIME
Garnier, grand maître du fronton,
De l'astragale et du feston,
Demain, lâchant là mon planton,
Du fond de mon lointain canton,
J'arriverai, tardif piéton,
Aidant mes pas de mon bâton,
Et précédé d'un mirliton,
Duilius du feuilleton,
Prendre part à ton gueuleton,
Qu'arrosera le piqueton.
Sans gants, sans faux col en carton,
Sans poitrail à la Benoîton,
Et sans diamants au bouton,
Ce qui serait de mauvais ton,
Je viendrai, porteur d'un veston
Jadis couleur de hanneton,
Sous mon plus ancien hoqueton.
Que ce soit poule ou caneton,
Perdreaux truffés ou miroton,
Barbue ou hachis de mouton,
Pâté de veau froid ou de thon,
Nids d'hirondelles de Canton,
Ou gousse d'ail sur un croûton,
Pain bis, galette ou panaton [3],
Fromage à la pie ou stilton,
Cidre ou pale-ale de Burton,
Vin de Brie ou branne-mouton,
Pedro-jimenès ou corton,
Chez Lucullus ou chez Caton,
Avalant tout comme un glouton,
Je m'en mettrai jusqu'au menton,
Sans laisser un seul rogaton
Pour la desserte au marmiton.
Pendant ce banquet de Platon,
Mêlant Athène à Charenton,
On parlera de Wellington
Et du soldat de Marathon,
D'Aspasie et de Mousqueton,
Du dernier rôle de Berton,
Du Prêtre-Jean et du Santon.
De jupe à traîne et de chiton [4],
De Monaco près de Menton,
De Naple et du ministre Acton,
De la Sirène et du Triton,
D'Overbeeck et de Bonnington;
Chacun lancera son dicton,
Tombant du char de Phaéton
Aux locomotives Crampton,
De l'Iliade à l'Oncle Tom,
De Paul de Kock à Mélanchthon,
Et de Babylone à Boston.
Dans le bruit, comment saura-t-on
Si l'on parle basque ou teuton,
Haut-allemand ou bas-breton?
Puis, vidant un dernier rhyton [5],
Le ténor ou le baryton,
Plus faux qu'un cornet à piston,
Qu'une crécelle ou qu'un jeton,
S'accompagnant du barbiton,
Sur l'air de Ton taine ton ton,
Chantera Philis et Gothon,
Jusqu'à l'heure où le vieux Tithon
Ote son bonnet de coton.
Mais c'est trop pousser ce centon
A la manière d'Hamilton,
Où, voulant ne rimer qu'en ton,
J'ai pris pour muse Jeanneton;
Dans mon fauteuil à capiton,
En casaque de molleton,
Je m'endors et je signe: Ton
ami Théophile Gautier.
28 octobre 1867.
LA FUMÉE
SONNET
Souvent nous fuyons en petit coupé,
Car chez moi toujours la sonnette grince,
Et les visiteurs qu'en vain l'on évince
Chassent le plaisir de mon canapé.
Couple par l'amour et l'hiver groupé,
Nous nous serrons bien, car la bise pince;
Sur mon bras se cambre un corps souple et mince,
D'un châle à longs plis bien enveloppé.
Dans une voiture au pas et fermée,
Pour nous embrasser, il serait bourgeois,
De baisser le store au milieu du Bois;
J'allume un cigare et ma bien-aimée
Un papelito roulé par ses doigts,
Et l'Amour, pour voile, a cette fumée.
1868.
PROMENADE HORS DES MURS
SONNET
(D'après une eau-forte de Leys)
Une ville gothique, avec tout son détail,
Pignons, clochers et tours, forme la perspective;
Par les portes s'élance une foule hâtive,
Car déjà le printemps des prés verdit l'émail.
Le bourgeois s'endimanche et quitte son travail;
L'amoureux par le doigt tient l'amante craintive,
D'une grâce un peu raide, ainsi que sous l'ogive
Une sainte en prison dans le plomb d'un vitrail.
Quittant par ce beau jour, bouquins, matras, cornues,
Le docteur Faust, avec son famulus Wagner,
S'est assis sur un banc et jouit du bon air.
Il vous semble revoir des figures connues:
Wohgemuth et Cranach les gravèrent sur bois,
Et Leys les fait revivre une seconde fois.
25 octobre 1868.
UN DOUZAIN DE SONNETS
SONNET—DÉDICACE
Aux temps païens, toujours devant les temples fume
L'hécatombe, des dieux apaisant le courroux.
Vénus veut cent ramiers, Jupiter, cent bœufs roux;
Pour ma déesse, moi, je n'ai rien qu'une plume!
Et j'ose dans l'azur, dont l'encens fait la brume
Chez les Olympiens, m'élever jusqu'à vous,
Et sur le blanc autel de vos divins genoux
Déposer en tremblant l'ex-voto d'un volume.
Votre nom tutélaire, au frontispice luit,
Chaque sonnet l'enchaîne au sonnet qui le suit;
Tel un bracelet d'or dont l'agrafe est fermée.
Par vos perfections mes défauts sont couverts,
Et sur votre portrait, s'enchâssant en camée,
Rayonne la beauté qui manque dans mes vers!
24 avril 1869.
SONNET I
MILLE CHEMINS, UN SEUL BUT
Hôte pour quelques jours de votre beau domaine,
Voyant le gai soleil qui dore le matin
Et perce d'un rayon les feuilles de satin,
Je descends dans le parc et tout seul m'y promène.
On pense aller bien loin, mais tout sentier ramène,
Quand il vous a montré le village lointain,
A travers prés et bois, par un contour certain,
Au portique où César a mis l'aigle romaine,
A la blanche villa, votre temple d'été,
Où, lasse du fardeau de la divinité,
Vous daignez n'être plus que la bonne princesse;
Ainsi fait mon esprit, trompé dans ses détours;
Il croit poursuivre un rêve interrompu sans cesse,
Et devant votre image il se trouve toujours!
Saint-Gratien.
SONNET II
NE TOUCHEZ PAS AUX MARBRES
Il se peut qu'au Musée on aime une statue,
Un secret idéal par Phidias sculpté;
Entre elle et vous, il naît comme une intimité;
Vous venez, la déesse à vous voir s'habitue.
Elle est là, devant vous, de sa blancheur vêtue,
Et parfois on oublie, admirant sa beauté,
La neigeuse froideur de la divinité
Qui de son regard blanc, trouble, fascine et tue.
Elle a semblé sourire, et, plus audacieux,
On se dit: «L'Immortelle est peut-être une femme!»
Et vers la main de marbre on tend sa main de flamme.
Le marbre a tressailli, la foudre gronde aux cieux!.....
Vénus est indulgente, elle comprend, en somme,
Que le désir d'un Dieu s'allume au cœur d'un homme!
4 avril 1867.
SONNET III
BAISER ROSE, BAISER BLEU
A table, l'autre jour, un réseau de guipure,
Comme un filet d'argent, sur un marbre jeté,
De votre sein, voilant à demi la beauté,
Montrait, sous sa blancheur, une blancheur plus pure.
Vous trôniez parmi nous, radieuse figure,
Et le baiser du soir, d'un faible azur teinté,
Comme au contour d'un fruit, la fleur du velouté,
Glissait sur votre épaule, en mince découpure.
Mais la lampe allumée et se mêlant au jeu,
Posait un baiser rose, auprès du baiser bleu;
Tel brille au clair de lune, un feu dans de l'albâtre.
A ce charmant tableau, je me disais, rêveur,
Jaloux du reflet rose et du reflet bleuâtre:
«O trop heureux reflets, s'ils savaient leur bonheur!»
Saint-Gratien, 25 juillet 1867.
SONNET IV
LA VRAIE ESTHÉTIQUE
Nous causions sur le beau, lui savant, moi poëte;
Au galbe de l'amphore, il préférait le vin,
Il appelait le style, un grelot creux et vain,
Et la rime, un écho dont le sens s'inquiète.
Je répondais: «La forme, aux yeux donne une fête!
Qu'il soit plein de Falerne ou d'eau prise au ravin,
Qu'importe! si le verre a le profil divin!
Le parfum envolé, reste la cassolette.»
Vous écoutiez, rêveuse, et mon œil voyageant
Pendant que je cherchais un argument quelconque,
Suivait, sur les coussins, vos beaux pieds s'allongeant.
Tels les pieds de Vénus au rebord de sa conque,
Une écume de plis caressait leur contour,
Et semblait murmurer: Le vrai beau, c'est l'amour!
Paris.
SONNET V
BONBONS ET POMMES VERTES
Comme un enfant gâté, gorgé de sucreries,
Se rebute, et convoite avec des yeux ardents
La pomme acide et verte où s'agacent les dents,
L'âpre fruit de la haie et les nèfles aigries,
Vous avez en horreur le miel des flatteries,
Les fades madrigaux dans la bouche fondants,
Bonbons, plâtre au dehors et sirop au dedans,
Et ne prenez plus goût qu'au fiel des railleries.
Vous préférez aux fleurs les piquants des chardons,
Demandant qu'on «vous blâme et non pas qu'on vous loue.»
Vous que le ciel se plut à combler de ses dons.
Par où vous attaquer? je ne sais, je l'avoue;
Et laissant retomber mes flèches au carquois,
Je vous désobéis pour la première fois!
12 février 1868.
SONNET VI
LE PIED D'ATALANTE
Ce petit pied, plus vif que le pied d'Atalante,
Qu'à Trianon vantaient vos amis assemblés,
Sans la courber, marchant sur la tête des blés,
Et qui fait de l'oiseau trouver l'aile trop lente,
Ce pied que l'amour suit sous la robe volante,
Et qui ne laisse pas dans les chemins sablés
La trace qu'à jamais, gardent les cœurs troubles,
Vous m'en avez promis, l'empreinte ressemblante.
Comme serre-papiers sur mes vers se posant,
De l'étroit brodequin la semelle d'ivoire,
Empêchera le vent d'emporter mon grimoire.
Et mes vers germeront sous ce poids caressant,
Comme on voit, dans un pré que foule une déesse,
Naître et s'ouvrir les fleurs sous le pied qui les presse!
Trianon, 1867.
SONNET VII
L'ETRENNE DU POÈTE
Pour vous, au jour de l'an, je rêvais quelque étrenne,
Moi, le rêveur obscur, admis à votre cour,
Un respect prosterné mêlé d'un humble amour,
C'est un mince joyau dans l'écrin d'une reine.
Que peut le ver rampant pour l'étoile sereine,
Le caillou pour la perle et l'ombre pour le jour?
L'étoile ignore l'homme, et, de son bleu séjour,
Le soleil ne voit pas la terre qu'il entraîne!
Mais vous, dont la douceur attendrit la beauté,
Parfois de cet Olympe où trône la déesse
Vous abaissez sur nous un regard de bonté.
Et vous respirerez, indulgente princesse,
Ce pauvre grain de nard, mon unique trésor,
Que font brûler mes vers, comme un encensoir d'or.
1er janvier 1868.
SONNET VIII
LES DÉESSES POSENT
Parfois, une déesse pose,
(Hébert du moins s'en est vanté)
Entr'ouvrant son voile argenté
Dans un reflet d'apothéose.
Votre portrait prouve la chose
Par son air de divinité;
César y mit la majesté,
Et Vénus le sourire rose.
Des perles à l'éclat tremblant
Ruissellent sur votre col blanc,
Comme des gouttes de lumière.
Mais si le collier vous manquait,
Vous seriez dans une chaumière
Reine encore avec un bouquet!
18 mars 1868.
SONNET IX
D'APRÈS VANUTELLI
A la Piazetta, sous l'ombre des portiques,
Vanutelli nous montre en leur costume ancien,
Dames et jeunes gens à l'air patricien,
Causant entr'eux d'amour ou d'affaires publiques.
Hors du cadre, évoqués par des charmes magiques,
On croit voir des portraits de Giorgione ou Titien
Qui, sous le velours noir du loup vénitien,
Ébauchent, comme au bal, des intrigues obliques.
Les pigeons de Saint-Marc s'abattent à leurs pieds
Avec roucoulements et frémissements d'ailes;
Près des galants trompeurs, sont les oiseaux fidèles!
Seigneurs, dames, pigeons, par vous sont copiés
D'une touche à la fois si libre et naturelle,
Qu'on dirait le tableau fait d'après l'aquarelle!
1869.
SONNET X
L'ÉGRATIGNURE
Quand vous vîntes Dimanche en déesse parée,
Avec tous vos rayons éblouir votre cour,
Chacun disait, voyant ce buste au pur contour:
«C'est Vénus de Milo d'une robe accoutrée!»
Mais votre épaule était d'un trait rouge effleurée,
Tel le ramier blanc saigne aux serres de l'autour,
Telle rosit la neige aux premiers feux du jour;
Le carmin s'y mêlait à la pâleur nacrée.
Quelle audace a rayé ce marbre de Paros?
Vous en donniez la faute à l'épaulette étroite,
Mais moi j'en accusais la flèche d'or d'Eros;
Il vous visait au cœur; la pointe maladroite,
(Car le dieu tremblait fort devant tant de beauté).
N'atteignit pas le but et glissa de côté!
21 avril 1869.
SONNET XI
LA MÉLODIE ET L'ACCOMPAGNEMENT
La beauté, dans la femme, est une mélodie
Dont la toilette n'est que l'accompagnement.
Vous avez la beauté.—Sur ce motif charmant,
A chercher des accords votre goût s'étudie;
Tantôt c'est un corsage à la coupe hardie
Qui s'applique au contour, comme un baiser d'amant,
Tantôt une dentelle au feston écumant,
Une fleur, un bijou, qu'un reflet incendie.
La gaze et le satin ont des soirs triomphants;
D'autres fois une robe, avec deux plis de moire,
Aux épaules vous met deux ailes de victoire.
Mais de tous ces atours, ajustés ou bouffants,
Orchestre accompagnant votre grâce suprême,
Le cœur, comme d'un air, ne relient que le thème!
23 avril 1869.
SONNET XII
LA ROBE PAILLETÉE
Quelle toilette hier! Une robe agrafée
D'un nœud de diamants, air tramé, vent tissu,
Où de ses doigts d'argent la lune avait cousu
Le paillon qui luisait sur la jupe étoffée!
D'étoiles en brillants négligemment coiffée,
Vous redonniez des feux à chaque éclair reçu.
Mab et Titania semblaient à votre insu,
Avoir semé sur vous tout leur écrin de fée.
Sur les fils de la Vierge, aérien réseau,
Telle, dans les prés blancs, brille la goutte d'eau,
Ou la rosée aux fleurs, quand l'aube les irise.
Reste d'un deuil de cour, un trait noir circulait
Sous ce scintillement, pareil à ce filet
Qui tourne dans le pied des verres de Venise!
Avril 1869.
L'ESCLAVE NOIR
STANCES
Sur une aquarelle de la princesse M***
Un bel esclave à peau d'ébène,
Mohammed ou bien Abdallah,
Pour mon musée, heureuse aubaine,
Vient du pays de: la Fellah.
Comme elle, il habitait le Caire,
Tout en fumant son latakieh,
Il la voyait passer naguère
Sur la place de l'Esbékieh.
Elle si blanche sous son masque,
Lui si lumineusement noir;
L'une agaçant l'amour fantasque
Et l'autre en plein se laissant voir.
Faveur charmante, honneur insigne:
Mais voudra-t-il servir chez nous,
Ce glorieux nègre que signe
Une main qu'on baise à genoux?
14 janvier 1869.
A CLAUDIUS POPELIN
SONNET II
Écrit sur un exemplaire de la Mode.
Sous ce petit format commode,
Un grand problème est agité:
On y cherche si la beauté
Peut s'arranger avec la mode.
Notre art, à tort, répète l'ode
Que, dans sa blanche nudité,
Chanta la jeune antiquité;
Il faut qu'aux temps l'on s'accommode.
Dans nos bals, aujourd'hui, Vénus
Gonflerait ses charmes connus
Du mensonge des crinolines;
Elle aurait guipures, malines,
Une traîne à son cotillon,
Et pour ceste un tatafouillon!
Août 1869.
SONNET
Vous étiez sous un arbre, assise en robe blanche,
Quelque ouvrage à la main, à respirer le frais.
Malgré l'ombre, pourtant, des rayons indiscrets
Pénétraient jusqu'à vous, filtrant de branche en branche.
Ils jouaient sur le sein, sur le col, sur la hanche;
Vous reculiez le siége et puis, l'instant d'après,
Pleuvaient d'autres rayons sur vos divins attraits
Comme des gouttes d'eau d'une urne qui s'épanche.
Apollon, Dieu du jour, essayait de poser
Son baiser de lumière à vos lèvres de rose:
—Un ancien, de la sorte, eût expliqué la chose.—
Trop vif était l'amour, trop brûlant le baiser,
Et, comme la Daphné des Fables de la Grèce,
La mortelle, du Dieu repoussait la caresse.
LE SONNET
A maître Claudius Popelin, émailleur et poëte.
SONNET III
Les quatrains du Sonnet sont de bons chevaliers
Crêtés de lambrequins, plastronés d'armoiries,
Marchant à pas égaux le long des galeries
Ou veillant, lance au poing, droits contre les piliers.
Mais une dame attend au bas des escaliers;
Sous son capuchon brun, comme dans les féeries,
On voit confusément luire les pierreries,
Ils la vont recevoir, graves et réguliers.
Pages de satin blanc, à la housse bouffante,
Les tercets, plus légers, la prennent à leur tour
Et jusqu'aux pieds du Roi conduisent cette infante.
Là, relevant son voile, apparaît triomphante
La Belle, la Diva, digne qu'avec amour
Claudius, sur l'émail, en trace le contour.
14 juillet 1870.
SONNET
J'aimais autrefois la forme païenne;
Je m'étais créé, fou d'antiquité,
Un blanc idéal de marbre sculpté
D'hétaïre grecque ou milésienne.
Maintenant j'adore une Italienne,
Un type accompli de modernité,
Qui met des gilets, fume et prend du thé,
Et qu'on croit Anglaise ou Parisienne.
L'amour, de mon marbre a fait un pastel,
Les yeux blancs ont pris des tons de turquoise,
La lèvre a rougi comme une framboise,
Et mon rêve grec dans l'or d'un cartel,
Ressemble aux portraits de rose et de plâtre
Où la Rosalba met sa fleur bleuâtre.
1870.
LE VINGT-SEPT MAI
POUR L'ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE
DE LA PRINCESSE M...
Paris brûle, la flamme à l'horizon s'élève;
Cependant mai revient, mai rose et parfumé,
Ramenant avec lui l'anniversaire aimé,
Date chère où revit incessamment mon rêve.
Le sang coule!...., aux bourgeons monte la jeune séve,
Et l'azur luit au ciel par la poudre enfumé;
Les oiseaux ont repris leur chant accoutumé,
Comme si le canon ne tonnait pas sans trêve.
Et moi je pense à vous à travers ma douleur;
Saint-Gratien m'apparaît aux bosquets de Versailles:
Du souvenir sacré rien ne distrait mon cœur.
Mais mon humble jardin, dont croulent les murailles,
N'a rien à vous offrir, tout criblé de mitrailles,
Dans un éclat d'obus que cette pauvre fleur.
Versailles, 27 mai 1871.
SONNET
Un ange chez moi parfois vient le soir
Dans un domino d'Hilcampt ou Palmyre,
Robe en moire antique avec cachemire,
Voilette et chapeau faisant masque noir.
Ses ailes ainsi, nul ne peut les voir,
Ni ses yeux d'azur où le ciel se mire;
Son joli menton que l'artiste admire,
Un bouquet le cache ou bien un mouchoir.
Mon petit lit rouge à colonnes torses
Ce soir-là se change en bleu paradis;
Un rayon d'en haut dore mon taudis.
Et quand le plaisir a brisé nos forces,
Nonchalant entr'acte à la volupté,
Nous fumons tous deux en prenant le thé.
APRÈS LA BATAILLE
SONNET—BOUT-RIMÉ
Quel silence à présent sur ce morne—terrain
Où la mêlée hier hurlait dans la—fumée!
Il ne reste plus rien de cette grande—armée,
Que des affûts brisés et des fragments—d'airain.
La bataille perdue importe au—souverain,
Mais toujours l'amoureux chante à la bien—aimée
Cette chanson de Mai, dont toute âme est—charmée;
Toujours le soleil luit sur les vignes du—Rhin,
Toujours le rossignol pour la rose—soupire;
Que l'aigle bicéphale ou l'aigle de—l'empire
Sur le drapeau palpite au sommet du—donjon,
Sur les monts, dont les os changent la plaine en—butte,
La nature éternelle et que rien ne—rebute,
Étend un vert linceul fait de mousse et de—jonc!
A MAXIME DU CAMP
SONNET
Le charmant cadeau! cachet et papier,
Cire de London, canif, plumes d'oie,
Plumes de Perry dont le bec flamboie!
Comment, cher ami, te remercier!
Mais en attendant je veux gribouiller
Ce petit sonnet qu'en hâte je ploie
Dans une enveloppe, et que je t'envoie
Par un Azolin devenu portier!
Comme un vrai dandy, grâce à ces richesses,
Sur vélin anglais, aux blanches duchesses
Désormais je puis glisser un poulet,
Et sceller les vers qu'écrit le poëte
Sur le champ d'azur du papier cream laid,
Avec la devise empruntée à Gœthe!
ALLITÉRATIONS
MITÉES DE CELLES DU ROMANCERO
Monté sur son fidèle barbe
Vêtu d'un albornez d'āzūr,
Emblème d'amour et de foi,
Le vaillant Grenadin Gāzūl
Passait sur la Vivarambla.
Il était si beau que chācūn
Se retournait en le voyant.
A son balcon, Fatmé lā brūne
Prenait le frais avec ses femmes.
Le More au milieu de lā rūe
Arrêtant son cheval lancé,
Sur ses étriers d'or s'āssūre,
Et, se haussant jusqu'au balcon,
Dit:—Toi qui luis comme lā lūne
Au milieu des étoiles d'or,
Fatmé, perle de la nātūre,
Fleur du Xenil et de l'Espagne,
Réponds à mes feux je t'āssūre,
Par jour, trois têtes de chrétien!
—Sur mes genoux, vaillant Gāzūl,
Pose la tienne chaque soir,
Et je te promets, sans pārjūre,
De t'adorer jusqu'au matin!
A UNE JEUNE AMIE
Quand je fis connaissance avec votre famille,
A Marbœuf, au jardin de son cèdre si fier,
(Ce souvenir pour moi semble dater d'hier),
Madame, vous n'étiez qu'une petite fille.
Je revins; vous grimpiez encor sur les genoux,
Mais déjà dans votre œil brillait un feu plus tendre;
La curiosité qui cherchait à comprendre
Rendait vos jeux d'enfant moins bruyants et plus doux.
Le temps de renverser quelques urnes de prose
Dans ce tonneau percé qu'on nomme feuilleton,
Et l'enfant était femme, et déjà le bouton
Trahissait en s'ouvrant les pudeurs de la rose.
Poussé d'un vague ennui, j'allai vers d'autres cieux...
Et voici qu'au foyer nous nous trouvons encore,
Vous, bel arbuste en fleur qu'un frais bourgeon décore
Vous, toujours jeune fille, et moi déjà bien vieux.
SONNET
Mon œil, sur le cadran toujours fixé, calcule
Quand l'heure au pas boîteux qui s'endort en chemin,
Posant son doigt d'acier sur le chiffre romain
Fera chanter le timbre au cœur de la pendule.
Le balancier palpite et l'aiguille circule,
Mais le jour ne vient pas!—Une invisible main
Arrête le marteau qui sonnera demain;
Sur sa route d'émail le Temps bronche et recule.
Il n'en est pas ainsi quand je suis près de vous,
Je m'assieds à vos pieds, j'embrasse vos genoux,
Je mire mes yeux noirs dans vos blondes prunelles.
Votre main sur mon front, vous me dites des mots
Que personne ne sait, pour endormir mes maux;
—L'heure devient minute et fuit à tire d'ailes!
JETTATURA
FRAGMENT DE POËME
C'est le soir, le couchant allumant ses fournaises
Semble un fondeur penché qui ravive des braises;
Comme un bouclier d'or à la forge rougi,
Par un brouillard sanglant le soleil élargi
Plonge dans un amas de nuages étranges
Qui font traîner sur l'eau la pourpre de leurs franges
Le rivage est désert;—pour tout bruit l'on entend
La respiration du gouffre haletant.
Le vent souffle; la mer, contre l'écueil qui fume,
Pousse le blanc troupeau de ses coursiers d'écume.
Ils montent à l'assaut, pêle-mêle nageant,
Se dressant, secouant leur crinière d'argent,
Éparpillant en l'air leur queue échevelée,
Se mordant au poitrail, comme dans la mêlée,
Enivrés du combat, se mordent des chevaux
Au timon d'un quadrige attelés et rivaux,
Mais le roc fait crouler leur folle armée en pluie
Et semble au bord du gouffre un nageur qui s'essuie.
Tel un grand nom, battu des sots et des jaloux,
Voit à ses pieds se fondre et se perdre leurs coups.
En montant au sommet de la haute falaise
D'où sur la pleine mer le regard plane à l'aise,
N'apercevez-vous pas, là-bas, à l'horizon
Où du jour qui s'éteint luit le dernier tison,
Un point presque effacé?
Sans doute une mouette
Faisant au bout d'un flot sa folle pirouette;
De l'ouragan futur, un albatros, joyeux,
Une aile dans la mer et l'autre dans les cieux;
Ou bien une dorade, un requin en voyage
Trahissant à fleur d'eau son dos gris qui surnage...
Non pas.—C'est un steamer et déjà l'on peut voir,
Comme au cimier d'un casque un long panache noir,
S'écheveler au vent l'aigrette de fumée
Que pousse la vapeur de sa gueule enflammée.
Le voilà qui s'approche et se range aux îlots,
Et sa roue a cessé de souffleter les flots.
Du navire immobile un canot se détache.
L'eau, qui s'enfle et s'abaisse, et le montre et le cache
Par instants, dans l'abîme on le croit englouti;
Mais de l'âcre vallon péniblement sorti,
Bientôt il reparaît à la crête des lames,
Ouvrant et refermant l'éventail de ses rames.
Auprès du gouvernail, morne, silencieux,
Dans sa cape embossé, le chapeau sur les yeux,
Un jeune homme est assis. Comme un peuple en tumulte
Autour d'un Dieu, les flots lui crachent leur insulte;
Le vent de son manteau fait palpiter les plis;
L'esquif tremble et se plaint sous les coups du roulis;
Il rêve, et, tout entier à ses noires chimères,
Penche son front qui luit sous les perles amères.
L'on approche du bord, déjà les avirons
Battent l'eau qui les fuit sur des rhythmes moins prompts;
De sa quille d'airain rayant le sable humide,
L'esquif s'est arrêté. D'un bond leste et rapide
L'étranger saute à terre, et, faisant quelques pas,
Gagne une place sèche où la mer n'atteint pas,
Puis, d'un geste royal, jette aux marins sa bourse.
Remis à flot, l'esquif, comme un cheval de course
Secouant l'écuyer à son mors suspendu,
Part.—L'étranger, debout sur son rocher ardu,
Avant d'aller plus loin se retourne et regarde.
Quoiqu'il soit nuit, la mer d'une lueur blafarde
Rayonne et l'on peut voir les rameurs sur leur banc
Pour tirer l'aviron en arrière tombant.
Contre les flots grossis l'embarcation lutte,
Mais bientôt contournant son énorme volute,
La houle, dans un pli de son blanc chapiteau,
A saisi les marins et tordu le bateau.
Sur le gouffre nageant, rares, ils apparaissent,
Mais les flots en fureur de toutes parts les pressent.
Cette nuit, ils ont beau tendre et roidir leurs bras,
Leurs lits seront faits d'algue, et d'écume leurs draps.
Sous un glauque suaire, au bruit sourd des tempêtes
Un oreiller de sable endormira leurs têtes.
Le dernier, pour finir un supplice trop long,
Plonge comme une sonde à la suite du plomb.
Le jeune homme a tout vu, mais que le regard change!
Le démon se tordant sous le pied de l'archange,
L'aspic coupé qui cherche à ressouder ses nœuds
N'ont pas dans la prunelle un éclair plus haineux;
Et cependant, avec d'irrécusables teintes,
Sur ses beaux traits, l'horreur et la pitié sont peintes;
Sa poitrine oppressée éclate en sourds sanglots.
Il descend au rivage, et, le pied dans les flots,
Faisant fuir de ses cris les mouettes effarées,
Agite éperdument ses mains désespérées!...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
AU BOIS DE BOULOGNE
Le front fumant encor d'une ardente besogne,
L'autre jour, à cheval, dans le bois de Boulogne
Je courais.—Les sentiers au feuillage nouveau,
L'encens des bourgeons verts, me montaient au cerveau,
Et laissant de côté livres neufs et vieux tomes,
Je me baignais dans l'air aux lumineux atômes,
Heureux, insouciant, comme tout cavalier
Que berce du galop le rhythme régulier!
Car en dépit des vers de Boileau, pris d'Horace,
Le chagrin ne peut suivre une bête de race,
Et, vous regardant fuir, s'asseoit, traînant le pied,
Au talus du chemin, comme un estropié!
Par le sentier étroit qui borde chaque route
Cheminait une vieille, au dos formant la voûte,
Au front gris, à l'œil creux par la maigreur vidé,
Au visage de bistre affreusement ridé,
Parchemin que la vie a timbré de ses marques.
Ainsi faite, on eût dit l'une de ces trois Parques,
Groupe morne et fatal, peint par Buonarotti,
Et qu'à Florence on voit dans le palais Pitti!
Parfois elle allongeait sur une violette
Hors de sa mante noire une main de squelette,
Comme une vierge, en Mai, pour parfumer son cœur,
De son ongle d'agathe au bois coupe une fleur.
Ce souvenir fleuri des premières années,
Mettait quelque fraîcheur sur ses tempes veinées,
Et sa lèvre riait à ses anciens printemps,
A ses beaux amoureux, défunts depuis trente ans.
LE RUISSEAU
Du creux de la roche moussue
La petite source jaillit.
Du Grand-Salève elle est issue
Et deux brins d'herbe font son lit.
Dans l'ombre on l'entend qui bégaie
Comme un enfant sur les genoux,
Bientôt plus forte elle s'égaie
Et s'amuse avec ses cailloux.
Elle brode de cascatelles
Les blocs à remuer trop lourds,
Comme l'on coudrait des dentelles
Sur une robe de velours.
Les filles de la flore alpestre
Prenant le frais près de ses eaux
Écoutent son joyeux orchestre
Soutenant le chant des oiseaux.
De tous les coins de la montagne
Elles s'y donnent rendez-vous,
Chacune amène sa compagne
Et les baisers y sont plus doux.
On n'a que quatre pas à faire
Pour trouver au bord du Ruisseau
Le cyclamen que Sand préfère
Et la pervenche de Rousseau.
CHEZ LES ÉTOILES
FRAGMENT
SCÈNE I
LA REINE DES ÉTOILES.—LES ÉTOILES
LA REINE.
Le matin s'est levé qui borne mon empire;
Mes sœurs, c'est aujourd'hui que mon pouvoir expire,
Ma couronne s'éteint et mon front s'est voilé....
Élisez une reine au royaume étoilé!
LES ÉTOILES.
O toi qui vas quitter le trône de lumière
Où ton pied pose encor sur la marche première,
Avant de redescendre avec tes seuls rayons
Aux cieux inférieurs où nous nous asseyons,
Dis-nous, dis-nous le sort d'une amie éclipsée
Que nous avons pleurée en larmes de rosée,
Et dont nulle de nous lorsque la terre dort
N'a vu, depuis seize ans, s'entr'ouvrir les yeux d'or.
Vous allez la revoir cette sœur regrettée;
Du fond de l'infini par la route lactée
Elle arrive, et son front que l'exil a fait pur
Va d'un éclat plus vif scintiller dans l'azur;
Son repentir me touche et ma rigueur se lasse;
(A Vénus qui paraît.)
Pauvre étoile punie, enfin reprends ta place!
Le pardon doit toujours suivre le châtiment.
Mêle à tes noirs cheveux les fleurs du diamant,
Comme autrefois là-haut je te permets de luire,
Vénus, et je te donne une sphère à conduire.
(Aux Étoiles.)
Maintenant regagnez vos constellations;
Vous toutes, et pensez à nos élections.
(La Reine disparaît avec la plupart des étoiles.)
SCÈNE II
VÉNUS.—DEUX ÉTOILES
PREMIÈRE ÉTOILE, à sa compagne.
Vous ne venez donc pas voter avec les autres,
Pourquoi cela?
DEUXIÈME ÉTOILE.
Ma sœur, mes raisons sont les vôtres.
Qui vous retient ici?
PREMIÈRE ÉTOILE.
Disons la vérité,
Ève elle-même avait la curiosité:
Je voudrais bien savoir quelle faute si grave,
De déesse, vous fit tomber au rang d'esclave,
Et, cachée à nos yeux, hors de nos tourbillons,
Seize ans dans un nuage étouffer vos rayons?
Oh! nous avons souvent, pauvre sœur condamnée,
Pendant ce long exil plaint votre destinée.
VÉNUS.
Ma peine bien que rude était juste pourtant;
Mon crime!... Mais pourquoi dans ce cœur palpitant
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ma fleur d'or disparut des parterres d'azur,
Et ma faute inconnue eut un supplice obscur.
La Reine avait le droit de punir ma faiblesse;
Mais dans ce cœur souffrant, que le souvenir blesse,
Fut-il bien généreux, ma sœur, de regarder
Pour y lire un secret triste et doux à garder?
PREMIÈRE ÉTOILE.
Le peuple sidéral doit dans son assemblée
Désigner une reine à la cour étoilée;
Vos malheurs ont sur vous fixé l'attention;
L'enthousiasme naît de la compassion.
La grande et petite Ourse, Andromède, Céphée,
Vous soutiennent; de vous Bérénice est coiffée,
Et la Mouche bourdonne en vous cherchant des voix
Sur lesquelles j'aurais peut-être quelques droits.
Pour trôner au palais dont le ciel fait les voûtes,
Il vous en faut cinq cents et vous les aurez toutes.
VÉNUS.
Au rêve caressé du pouvoir souverain
On ne renonce pas, je le sais, sans chagrin.
Vous l'avez deviné, je suis ambitieuse.
VÉNUS.
Pourtant vous vous disiez seulement curieuse;
Calmez-vous, votre nom du mien sera vainqueur;
D'autres soucis plus chers occupent seuls mon cœur.
Vous voudriez monter, moi, je voudrais descendre!
PREMIÈRE ÉTOILE.
De cette façon-là nous pourrons nous entendre;
Quoi! vous refuseriez le nimbe à pointes d'or,
Les clefs de diamant de l'éternel trésor?
VÉNUS.
Je ne les recevrais que pour vous les remettre;
Je vous laisse le ciel, mais il faut me promettre......
PREMIÈRE ÉTOILE.
Vos désirs, quels qu'ils soient, par moi seront remplis
Si le manteau royal me drape de ses plis,
Je le jure!
VÉNUS.
Écoutez: la Reine des étoiles
Reçoit de Dieu le don de percer tous les voiles;
Elle sait le présent, elle voit l'avenir,
Et, de l'éternité forcé de revenir,
Le passé somnolent à sa voix ressuscite.
Je vous cède mes droits; après la réussite,
Reine, faites-moi voir la terre en tout son jour.
PREMIÈRE ÉTOILE.
Quoi? la terre? Ce triste et maussade séjour,
Ce globule manqué, que pauvrement escorte
Une lune blafarde et depuis longtemps morte!
Oui, ce grain de poussière égaré dans les cieux,
Plus que mille soleils resplendit à mes yeux,
Car l'amour l'illumine et nul astre ne brille
Autant que la planète où rayonne ma fille!
PREMIÈRE ÉTOILE.
Quel astre sans pudeur, quel soleil libertin,
Engendra ce produit, d'un rayon clandestin?
Hercule, Antinoüs, vos deux voisins célestes,
Ont eu de tous les temps des manières fort lestes:
Je les soupçonnerais volontiers.
VÉNUS.
Oh! Non pas,
Pour trouver mon amour, il faut chercher plus bas!
PREMIÈRE ÉTOILE.
L'homme, dans ses bonheurs comme dans ses désastres,
Est conduit par des fils qui l'attachent aux astres;
Il épèle son sort dans ce grand livre bleu
Où nous traçons des mots en syllabes de feu;
Vous savez cela.
VÉNUS.
Moi, j'étais l'heureuse étoile
D'un jeune homme charmant, et, jamais sur la toile
Ou dans le marbre, Appelle ou Phidias n'ont fait
Un rêve de beauté plus pur et plus parfait.
Le jour à peine éteint, je partais. Ma lumière
Sur la terre endormie arrivait la première.
J'avais des précédents; Phœbé jadis a mis
Des baisers argentés sur des yeux endormis!
Cet exemple divin me rendit moins peureuse,
Et de mon protégé je devins amoureuse
Comme autrefois Phœbé le fut d'Endymion.
Sur son front, mon baiser tremblant dans un rayon,
Tombait au fond des bois par les trous des guipures
Que les feuillages font avec leurs découpures;
Dans sa mansarde aussi, nid de fleurs sur les toits,
A travers les parfums je me glissais parfois.
Ces soirs-là, la moitié de la route était faite,
Car je venais du ciel et c'était un poëte!
Le coude à la fenêtre, il rêvait, il pensait;
Je lisais dans son cœur le vers qu'il commençait!
Charmée, à chaque idée ou touchante ou sublime,
D'un reflet caressant j'illuminais la rime.
Dans ses chants il parlait d'un idéal amour,
D'une vision d'or, qu'obscurcissait le jour,
Et que, toutes les nuits, il sentait sur son âme
Passer comme un esprit de lumière et de flamme!
Il m'avait devinée, ô bonheur sans pareil!
Et moi, sans voir le jour luire au vitrail vermeil,
Sans entendre là-haut gazouiller l'alouette,
Je restai sur la terre aux bras de mon poëte.
Puisque j'avais l'amour que m'importait le ciel!
Se défiant de moi, la Reine fit l'appel;
Un météore avait, rasant de près la terre,
De ma faute surpris et trahi le mystère.
La Reine me punit, oh! bien cruellement.
Consumé de regrets et d'ennuis, mon amant
Se meurt persuadé de n'avoir fait qu'un rêve,
Et lorsque, je reviens, avant qu'il ne s'achève,
Pour reprendre mon rang dans le céleste chœur,
Il tombe, hélas, frappé d'une étincelle au cœur!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L'ORESTIE
TRAGÉDIE ANTIQUE
FRAGMENT
Voici dix ans bientôt que du haut de ma tour
De la flotte des Grecs je guette le retour
Attendant, sans espoir, qu'à l'horizon flamboie
Le signal convenu pour la prise de Troie.
Hélas! j'ai beau plonger mes regards dans l'azur,
Rien ne s'allume au fond de ce lointain obscur.
Nulle rougeur de feux, nulle blancheur de voiles!
—C'est ainsi que je vis, seul avec les étoiles,
Veillant, quand le sommeil a fermé tous les yeux,
Excepté les yeux d'or qui s'éveillent aux cieux!
Trempé par la rosée et sans toit qui l'abrite,
D'aucun songe mon lit ne reçoit la visite,
Et si parfois dans l'ombre, aux noirs échos des nuits,
Je jette une chanson pour charmer mes ennuis,
En pensant aux malheurs de la maison d'Atride
Je sens dans mon gosier mourir ma voix timide!
De ce rude labeur délivrez-moi, grands Dieux,
Et laissez le sommeil s'abattre sur mes yeux!
Ah! quel rude métier! Quelle pénible tâche!
CLYTEMNESTRE, au pied de la tour.
Qui parle donc là-haut?—Pauvre chien à l'attache,
C'est toi?—Tu peux quitter ton gîte aérien,
Descends. A l'horizon il ne paraîtra rien,
Car souillée au départ du sang d'Iphigénie,
La flotte par les dieux ne peut être bénie;
Les Grecs sont morts, ou bien égarés sur les mers,
De leurs débris errants, ils sèment l'univers!
ÉLECTRE.
Ah! par pitié pour moi, ne descends pas, Lyncée!
Le feu peut luire encor, l'heure n'est point passée!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LA PERLE DU RIALTO [6]
PREMIER ACTE
PERSONNAGES
GEORGES D'ELCY. ARCHIBALD SINCLAIR. FANNY. LAURE.
A Paris chez Georges d'Elcy. Le théâtre représente un salon.
SCÈNE PREMIÈRE
GEORGES, ARCHIBALD SINCLAIR, FANNY, LAURE
(Les deux femmes sont masquées.)
UNE VOIX, à la cantonnade.
On n'entre pas!
FANNY.
Si fait, l'on entre, nigaud; place
Pour Laura, pour Fanny, rats de première classe,
Marquises de Bréda, Duchesses du Helder,
Et pour leur sigisbé, sir Archibald Sinclair.
As-tu peur que tout vif Mardi-gras ne t'emporte,
Que tu couches ton groom au travers de ta porte?
SINCLAIR.
Georges, veux-tu venir au bal de l'Opéra?
LAURA.
Jusques au déjeuner le souper durera.
SINCLAIR.
Elle a, je t'en préviens, quand le matin arrive,
Le rhum sentimental et la truffe expansive.
GEORGES.
Je préfère rester.
FANNY.
Fi, le jeune Caton!
GEORGES.
Je me sens mal en train.
FANNY.
Mets un nez de carton,
Il n'est rien de meilleur pour la mélancolie.
SINCLAIR.
Viens, nous rirons.
LAURA.
Je suis notoirement jolie,
Et tu ne risques pas de voir au démasqué
Un front, d'un millésime impossible marqué.
GEORGES.
Je le sais.
FANNY.
Quand on lance au plafond une assiette
L'assiette du plafond redescend castagnette;
J'y jetterai la mienne et je te servirai
Au dessert, sur la nappe, un Jaleo.... cambré!
GEORGES.
Merci du Jaleo.
Quelle vertu tigresse!
SINCLAIR.
Mais tu fais le huitième aux sept sages de Grèce!
FANNY.
Poussière, souviens-toi qu'on est en carnaval,
Et que du bal sorti, l'homme retourne au bal!
SINCLAIR.
Folle!
FANNY.
Rentrer la nuit, se coucher quand on danse,
Ah! quelle barbarie et quelle décadence!
LAURA.
Georges, tu baisses.
GEORGES.
Non, je remonte.
FANNY.
Je crains
Mon lion, qu'on ne t'ait coupé griffes et crins,
Et que, piteusement, tu n'aimes en cachette
Une pensionnaire ou bien une grisette!
Où donc est-il passé ce charmant compagnon
Qui jamais au plaisir n'avait répondu: non,
Et les soirs de début dirigeant la cabale
Se prélassait si fier dans la loge infernale;
Cet élégant pilier du café Tortoni,
Ce gentlemen rider de la Croix de Berny,
Qu'Edward et Robinson, que tant d'audace effraie,
N'ont jamais distancé dans la course de haie;
Ce moderne Don Juan que nul n'égalera,
Méduse des maris, amour de l'Opéra,
Qui jetait pour mouchoir des cornets de dragées
Aux vertus du ballet en espalier rangées!....
Regarde ton habit à la mode d'hier,
Toi le Brummel français dont Chevreul était fier,
Et ce gilet gothique, image de ton âme,
Qui te signe bourgeois et prêt à prendre femme!
Ta cravate mal mise a des plis pleins d'aveux,
Et l'on t'accuse au club, de bagues en cheveux.
C'en est fait! Lovelace est séduit par Clarisse!
Adieu la folle vie et le libre caprice,
Adieu sport, lansquenet, cigares, fins soupers,
Chiens, chevaux, vie à deux dans les petits coupés,
Avant-scènes, gants blancs, bouquets, duels, intrigues!
Tu vas manger le veau qu'on garde aux fils prodigues;
Entre nous tout lien désormais est brisé,
Prends du ventre, sois chauve et..... minotaurisé!
SINCLAIR.
Quel speech pour une mime et quelle langue ingambe!
Tu tournes une phrase, ainsi qu'un rond de jambe!
FANNY, à Laura.
Viens, laissons mariner sa vertu dans l'ennui;
Suivez-nous, Archibald.
SINCLAIR.
Non, je reste avec lui,
Je vous retrouverai plus tard sous la pendule.
LAURA.
Mais ne vas pas tromper mon appétit crédule.
SINCLAIR.
Sois sans crainte et commande au café de Paris
Un homard en salade avec quatre perdrix.
(Elles sortent.)
SCÈNE II
GEORGES, SINCLAIR
SINCLAIR.
Sans contradiction, j'ai sur ces lèvres folles
Laissé jaillir ce flot d'indiscrètes paroles:
Souvent, sans le savoir, dans leur loquacité,
Les enfants et les fous disent la vérité.
Te croirais-je, comme elle, un Werther de boutique
Jaloux d'une Charlotte allumant la pratique?
GEORGES.
Que veux-tu dire?
SINCLAIR.
Rien; sinon que Gavarni
Dans sa collection eût pu mettre Fanny;
Les traits lancés en l'air parfois touchent la cible,
Et la femme à tout âge est un enfant terrible,
Au milieu du salon coiffant l'époux fâché
Du chapeau de l'Arthur dans l'armoire caché.
GEORGES.
Tu me crois donc aussi jouant près d'une sotte
A Saint-Preux et Julie, à Werther et Lolotte!
SINCLAIR.
Non pas.—Mais tu n'es plus le Georges d'autrefois.
GEORGES.
Ne se pas ressembler est le premier des droits.
L'on quitte son humeur comme l'habit qu'on porte;
Georges m'ennuyait fort, je l'ai mis à la porte.
Ce cher Georges, si bon, si gai, si prêt à tout!
S'il ne te plaisait pas, il était de mon goût;
J'aimais ses qualités, j'aimais jusqu'à ses vices,
Belles fleurs de jeunesse, étincelants caprices!
Tu le regretteras cet aimable vaurien,
Qui jouait si gros jeu, qui se battait si bien,
Et laissait emporter aux brises de Bohème
Sa vie et ses amours, cet amusant poëme!
GEORGES.
De ce fat tapageur je me suis délivré.
Ce Georges-là sera certainement pleuré
Dans le monde viveur par plus d'un et plus d'une.
GEORGES.
La perte n'est pas grande.
SINCLAIR.
Est-elle blonde ou brune
Ta belle puritaine?
GEORGES.
Il paraît que tu tiens
A cette idée absurde.
SINCLAIR.
Oui.—Dans les temps anciens,
Vivait une Circé qui transformait les hommes;
Son art existe encore à l'époque où nous sommes.
GEORGES.
Me ranges-tu parmi les animaux grognons
Qui d'Ulysse jadis furent les compagnons?
Circé changeait les corps, mais pour changer une âme
A défaut de sorcière il suffit d'une femme!
GEORGES.
J'ai vingt-sept ans bientôt, âge partriarcal;
Les airs évaporés maintenant m'iraient mal.
Tu vois sous le dandy l'homme d'État qui perce,
Et je vais demander l'ambassade de Perse.
SINCLAIR.
Comme dans le Barbier qui trompe-t-on ici?
L'ambassade de Perse est ton moindre souci;
Allons, Georges, sois franc, et pas de fausse honte,
Une douleur s'allège alors qu'on la raconte;
Ma curiosité n'est que de l'intérêt;
Je veux savoir ta peine et non pas ton secret,
Comme le médecin qui presse son malade.
Mais c'est toute une histoire.
SINCLAIR.
Use de ton Pylade
En Oreste, et sois long; je connais mes devoirs.
GEORGES.
On s'inquiète fort de la traite des noirs,
Mais l'on s'occupe peu de la traite des blanches,
Et ce commerce en France a ses allures franches.
Comme à Constantinople, il existe à Paris
Des bazars à fournir un sérail de houris.
SINCLAIR.
Oui; l'on peut acheter une esclave sans faire
Son emplette aux marchés de Stamboul ou du Caire.
GEORGES.
C'est ce que s'était dit Lord Maddock.
SINCLAIR.
Hé qui? Lui?
Ce débauché que ronge un monstrueux ennui,
Ce faune au pied fourchu, duc et pair d'Angleterre?
Quel lien entre vous, et «quel est ce mystère»?
GEORGES.
Dans Goya, le graveur aux caprices hardis,
On voit se détacher sur un fond de taudis
Près d'une atroce vieille à l'œil d'oiseau de proie,
Une fraîche beauté, tirant son bas de soie,
Avec ces mots écrits: «Toilette de sabbat.»
Pour plus d'un pauvre enfant dont la pudeur combat,
Par une mère au mois, sorcière en tartan rouge,
Cette toilette-là se fait au fond d'un bouge.
A l'Opéra, chaque ange est flanqué d'un démon
Qui lui souffle à l'oreille un ignoble sermon,
Et les gnômes hideux, grâce aux diables femelles,
Trouvent, s'ils ont de l'or, les sylphides sans ailes!
Je comprends.
GEORGES.
Lord Maddock au diable marchandait
Un ange,—un petit rat que sa mère vendait!—
Une enfant de treize ans, ton âge, ô Juliette,
Quand la première fois au milieu d'une fête,
Roméo t'apparut chez Capulet!—Comment
Était sorti d'un monstre un être si charmant,
Ce bleu myosotis de cette mandragore,
De ce fumier vivant cette perle, on l'ignore;
La nature parfois, de la difformité,
Comme par repentir, fait naître la beauté.
Ce qu'on pouvait penser de mieux, c'est que la vieille
Avait dans son berceau volé cette merveille.
En voyant tant d'attraits menacés par ce Lord,
Par ce libertin sombre, heureux de souiller l'or,
Et de mettre une tache à toute belle chose,
Limace qui se traîne en bavant sur la rose,
Une pitié me prit pour ton œuvre, ô mon Dieu!
Je venais de gagner beaucoup d'argent au jeu,
Et je voulus sauver, car l'enfance est sacrée,
Sa candeur d'un amour qui rappelle Caprée.
J'enchéris sur Maddock de trente mille francs;
La vieille émerveillée ouvrit ses yeux tout grands,
Et je pus arriver, grâce à ce chiffre énorme,
Au rocher d'Angélique avant l'Orque difforme.
SINCLAIR.
Tu fis bien, et cet or est mieux placé cent fois
Qu'à des souscriptions pour les petits Chinois.
Racheter une blanche est œuvre méritoire,
Quoique moins à la mode!.... Et la fin de l'histoire?
GEORGES.
Angélique est sauvée et Roger amoureux.
Un amour de vieillard! diable, c'est dangereux,
Car à trente ans, selon le calcul ordinaire,
Quand on a vécu triple, on est nonagénaire.
GEORGES.
Mon amour, quoique Dieu me l'ait envoyé tard,
N'est pas, je t'en réponds, d'allure de vieillard.
Jamais feux plus ardents n'ont brûlé ma jeunesse,
J'ai l'étourdissement d'une première ivresse,
Je vivrais d'un sourire et je mourrais d'un mot;
J'aime comme un enfant, comme un fou, comme un sot!
SINCLAIR.
Ces sentiments sont-ils connus de la petite?
GEORGES.
Dans un fauteuil auprès du lit de Marguerite
Gœthe nous montre Faust assis et contemplant
En silence la chambre et le petit lit blanc.
Comme Faust arrêté sur un seuil sans défense,
J'ai dans son sommeil pur su respecter l'enfance,
Attendant le réveil de ce cœur endormi
Pour ôter à l'amant le masque de l'ami.
Jusqu'à présent Alice en moi n'a vu qu'un frère.
SINCLAIR.
Tant pis! ce précédent à l'amour est contraire.
J'ai bien peur que tu sois pour ta discrétion
Prématurément pris en vénération,
Et que la belle enfant qui t'eût aimé peut-être,
Dans ton fauteuil de Faust voie un fauteuil d'ancêtre.
GEORGES.
J'espère bien que non.
SINCLAIR.
Je le désire aussi.
Mais je n'approuve pas ce système transi.
Au Théâtre-Français, voyant jouer Molière,
Il me vint une idée absurde et singulière,
Quoique l'expérience ait eu peu de succès;
Je voulus me créer comme Arnolphe une Agnès,
Et faire un nouvel acte à l'École des femmes.
Las d'actrices, plus las encor de grandes dames,
Il me plut, en dehors du monde et de sa loi,
D'aimer un être unique et fait pour moi—par moi.
SINCLAIR.
Pour un ancien roué, la fantaisie est rare!
Don Juan continuer Arnolphe!
GEORGES.
Moins bizarre
Qu'on ne pense; Don Juan, à travers tout, poursuit
Et demande au hazard l'idéal qui le fuit.
Arnolphe, à la maison, auprès de lui l'élève
Les moyens sont divers, mais c'est le même rêve:
Un type souhaité hors de qui rien n'est bon.
Comme j'avais l'Agnès, j'imitai le barbon.
SINCLAIR.
Est-elle au moins capable, en sa candeur extrême,
De mettre au corbillon cette tarte à la crème
Qui semblait détestable à monsieur le Marquis,
Et qu'Arnolphe charmé trouvait d'un goût exquis?
GEORGES.
Je ne suis pas encor tout-à-fait un Géronte
Et dégrader un être ainsi m'aurait fait honte;
Son éducation a reçu tous mes soins;
Si je l'ai fait pour moi, comme Arnolphe, du moins
Je n'ai pas écrasé, précaution infâme,
Sur le front de Psyché le papillon de l'âme!
J'ai voulu que son cœur fût grand, afin qu'un jour
Avec plus de pensée il y tînt plus d'amour,
Et j'ai remis les clefs de toutes les serrures
A ses petites mains qui n'en sont pas moins pures.
Elle lit dans Shakspear, Raphaël et Mozart,
Je lui fais cultiver le luxe comme un art,
Comme une fleur de plus dont sa grâce est parée,
Et dans cette humble enfant, de la fange tirée,
Dont Lord Maddock offrait un misérable prix,
Pétrarque verrait Laure et Dante Béatrix.
Célimène naïve, Agnès spirituelle,
Elle est intelligente, elle est chaste, elle est belle!
SINCLAIR.
A ce monstre charmant fait de perfections
Je voudrais un défaut comme une ombre aux rayons;
Quand elle est accomplie une femme m'alarme,
Ce n'est pas naturel!
GEORGES.
O moment plein de charme
Et d'angoisse, où le cœur palpite à se briser,
Quand la création va se réaliser!
Enfin Pygmalion a fait sa Galathée,
Et Pandore muette est devant Prométhée.
L'un a prié Vénus, l'autre a volé le feu,
Et tous deux sont tremblants, le mortel et le Dieu!
Comme eux j'ai modelé le rêve de mon âme,
Et fait une statue où sommeille une femme;
La verrai-je vivante et rouge d'embarras
Quitter son piédestal pour tomber dans mes bras?
SINCLAIR.
Quand d'une femme il a les traits, le marbre même
Est fantasque, et surtout le marbre que l'on aime.
Mais ce bel idéal que l'on ne connaît pas
Où donc l'as-tu caché? Bien loin?
GEORGES.
Non, à deux pas.
Et la maison voisine abrite sa retraite.
De son logis au mien une porte secrète
Communique, que j'ai par un ouvrier sûr,
Comme feu Richelieu, fait pratiquer au mur.
Dans ce nid, arrangé pour que l'amour s'y plaise,
Elle vit seule avec sa gouvernante anglaise;
On croit que ses parents dont seule elle hérita,
Elle étant à Paris, sont morts à Calcutta,
N'ayant pas dans ce long et périlleux voyage
Osé de leur amour risquer l'unique gage;
Puis un tuteur l'a fait sortir de pension
Pour achever ici son éducation.
Seule, elle se connaît et sait sa vraie histoire,
Qu'elle-même parfois a de la peine à croire.
Je ne vais pas chez elle, et, le soir, ce salon
Nous réunit une heure après un jour bien long,
Et si, l'heure écoulée, à rentrer elle hésite,
Et, debout sur le seuil, prolonge sa visite,
Ou retourne la tête avec un regard doux,
Je sens mon cœur pâmer et trembler mes genoux!
SINCLAIR.
Pour ton meilleur ami, trois ans de défiance,
Ah! c'est mal!
GEORGES.
J'attendais que mon expérience
Fut menée à bon port,—amour-propre d'auteur.—
Et puis j'étais honteux de faire le tuteur,
Et je craignais d'avoir aux yeux mauvaise grâce
De copier Arnolphe ayant l'âge d'Horace.
Mais je t'aurais tout dit bientôt, et mon aveu,
Tes instances n'ont fait que l'avancer un peu.
Alice ce soir même a seize ans; son œil brille,
Son front rêve; hier enfant, aujourd'hui jeune fille,
La discrète amitié, chaste sœur de l'amour,
Se retire, et l'amant enfin aura son tour.
A l'instant, pour sortir du doute qui me tue
Je vais porter la flamme au flanc de ma statue!
SINCLAIR.
Adieu; Laura, Fanny, m'attendent au foyer;
Laura doit avoir faim et Fanny s'ennuyer,
Sur la table déjà le homard se prélasse
Et le vin trop frappé se morfond dans la glace;
Je m'en vais.—Bonne chance! au sortir du festin
Je reviendrai tantôt pour savoir ton destin.
Nous avons trouvé le brouillon de la lettre suivante:
(autographe de Théophile Gautier).
MONSIEUR LE MINISTRE DE LA GUERRE
Monsieur le ministre,
Le soussigné voulant se fixer comme colon en Algérie, a, d'après les meilleurs renseignements sur les terres actuellement disponibles de la province de Constantine, qu'il a ultérieurement visitée, choisi des terrains qui se trouvent dans le périmètre civil de Philippeville, vallée de Zerhmana: il vient donc vous demander une concession de quatre-vingt-dix-neuf hectares dans la localité ci-dessus désignée.
Et au dos de cette lettre se trouvaient, sans aucune indication de titre, les vers suivants, qui révèlent la date vers laquelle cette curieuse lettre aurait été écrite (1846 très-probablement).
Sur la montagne de la vie,
Au plateau de trente-cinq ans,
Soufflent mes coursiers, haletants,
De la chimère poursuivie.
Je reste là quelques instants
Brisé, mais l'âme inassouvie,
Promenant mon regard glacé
Sur l'avenir et le passé.
II
AUX MANES DE L'EMPEREUR [8]
15 DÉCEMBRE 1840
Quand sous l'arc triomphal où s'inscrivent nos gloires
Passait le sombre char couronné de victoires
Aux longues ailes d'or,
Et qu'enfin Sainte-Hélène, après tant de souffrance,
Délivrait la grande ombre et rendait à la France
Son funèbre trésor,
Un rêveur, un captif derrière ses murailles,
Triste de ne pouvoir, aux saintes funérailles
Assister, l'œil en pleurs,
Dans l'étroite prison sans échos et muette,
Mêlant sa note émue à l'ode du poëte,
Épanchait ses douleurs.—
«Citadelle de Ham, 15 décembre 1840.
«Sire, vous revenez dans votre capitale, et le peuple en foule salue votre retour, mais moi, du fond de mon cachot, je ne puis apercevoir qu'un rayon du soleil qui éclaire vos funérailles.
«N'en veuillez pas à votre famille de ce qu'elle n'est pas là pour vous recevoir.
«Votre exil et vos malheurs ont cessé avec votre vie; mais les nôtres durent toujours! Vous êtes mort sur un rocher, loin de la patrie et des vôtres, la main d'un fils n'a point fermé vos yeux. Aujourd'hui encore, aucun parent ne conduira votre deuil.
«Montholon, lui que vous aimiez le plus parmi vos dévoués compagnons, vous a rendu les soins d'un fils; il est resté fidèle à votre pensée, à vos dernières volontés; il m'a rapporté vos dernières paroles; il est en prison avec moi!
«Un vaisseau français conduit par un noble jeune homme est allé réclamer vos cendres; mais c'est en vain que vous cherchiez sur le pont quelques-uns des vôtres; votre famille n'y était pas.
«Sire, vous revenez dans votre capitale,
Et moi qu'en un cachot tient une loi fatale
Exilé de Paris,
J'apercevrai de loin, comme sur une cime,
Le soleil descendant sur le cercueil sublime,
Dans la foule aux longs cris.
Oh! non! n'en veuillez pas, Sire, à votre famille,
De n'avoir pas formé, sous le rayon qui brille,
Un groupe filial
Pour recevoir au seuil de son apothéose,
Comme Hercule ayant fait sa tâche grandiose,
L'ancêtre impérial!
Vos malheurs sont finis; toujours durent les nôtres.
Vous êtes mort là-bas, enchaîné loin des vôtres,
Titan sur un écueil,
Pas de fils pour fermer vos yeux que l'ombre inonde,
Même ici, nul parent,—oh! misère profonde!—
Conduisant votre deuil!
Montholon, le plus cher comme le plus fidèle
Jusqu'au bout, du vautour subissant le coup d'aile,
Vous a gardé sa foi.
Près du dieu foudroyé, qu'un vaste ennui dévore,
Il se tenait debout, et même il est encore
En prison avec moi.
Un navire, conduit par un noble jeune homme,
Sous l'arbre où vous dormiez, Sire, votre long somme
Captif dans le trépas,
Est allé vous chercher avec une escadrille;
Mais, votre œil sur le pont cherchait votre famille;
Qui ne s'y trouvait pas.
«En abordant le sol français, un choc électrique s'est fait sentir; vous vous êtes soulevé dans votre cercueil; vos yeux, un moment, se sont rouverts: le drapeau tricolore flottait sur le rivage, mais votre aigle n'y était pas.
«Le peuple se presse comme autrefois sur votre passage, il vous salue de ses acclamations comme si vous étiez vivant; mais les grands du jour, tout en vous rendant hommage, disent tout bas:
«Dieu! ne l'éveillez pas!
«Vous avez enfin revu ces Français que vous aimiez tant; vous êtes revenu dans cette France que vous avez rendue si grande; mais l'étranger y a laissé des traces que toutes les pompes de votre retour n'effaceront pas!
«Voyez cette jeune armée: ce sont les fils de vos braves; ils vous vénèrent, car vous êtes la gloire; mais on leur dit: croisez vos bras!»
«Sire, le peuple, c'est la bonne étoffe qui couvre notre beau pays; mais ces hommes que vous avez faits si grands et qui étaient si petits, ah! sire, ne les regrettez pas.
Quand la nef aborda, France, ton sol antique,
Votre âme réveillée, à ce choc électrique,
Au bruit des voix, des pas,
De sa prunelle morte entrevit dans l'aurore
Palpiter vaguement un drapeau tricolore,
Où l'aigle n'était pas.
Comme autrefois le peuple autour de vous s'empresse;
Cris d'amour furieux, délirantes tendresses,
A genoux, chapeau bas!
Dans l'acclamation, les prudents et les sages
Disent au demi-dieu, faisant sa part d'hommages:
«Dieu! ne l'éveillez pas!»
Vous les avez revus—peuple élu de votre âme—
Ces Français tant aimés que votre nom enflamme,
Héros des grands combats;
Mais sur son sol sacré, patrie autrefois crainte,
Du pas de l'étranger on distingue une empreinte
Qui ne s'efface pas!
Voyez la jeune armée, où les fils de nos braves,
Avides d'action, impatients d'entraves,
Voudraient presser le pas;
Votre nom les émeut, car vous êtes la gloire!
Mais on leur dit: «Laissez reposer la victoire,
Assez! croisez les bras!»
Sur le pays, le peuple, étoffe à trame forte,
S'étend, Sire; le chaud, le froid, il les supporte
Mieux que les meilleurs draps;
Mais ces grands si petits, chamarrés de dorures,
Qui cachaient leur néant sous de riches parures,
Ne les regrettez pas.
«Ils ont renié votre évangile, vos idées, votre gloire, votre sang; quand je leur ai parlé de votre cause, ils nous ont dit: Nous ne la comprenons pas!
«Laissez-les dire, laissez-les faire; qu'importent, au char qui monte, les grains de sable qui se jettent sous les roues? ils ont beau dire que vous êtes un météore qui ne laisse pas de traces! Ils ont beau nier votre gloire civile; ils ne vous déshériteront pas!
«Sire, le 15 décembre est un grand jour pour la France et pour moi. Du milieu de votre somptueux cortége, dédaignant certains hommages, vous avez un instant jeté vos regards sur ma sombre demeure, et, vous souvenant des caresses que vous prodiguiez à mon enfance, vous m'avez dit: Tu souffres pour moi, ami, je suis content de toi.
«Louis-Napoléon».
Comme ils ont renié, troupe au parjure agile,
Votre nom, votre sang, vos lois, votre évangile,
Pour vous suivre trop las!
Et quand j'ai devant eux plaidé pour votre cause,
Comme ils ont dit, outrant le dédain de leur pose:
Nous ne comprenons pas!
Laissez-les dire et faire, et sur eux soit la honte.
Qu'importent pierre ou sable au char qui toujours monte
Et les broie en éclats!
En vain vous nomment-ils fugitif météore.
Votre gloire est à nous, elle rayonne encore;
Ils ne la prendront pas.
Sire, c'est un grand jour que le quinze décembre!
Votre voix, est-ce un rêve? a parlé dans ma chambre:
«Toi, qui souffres pour moi
Ami, de la prison le lent et dur martyre,
Je quitte mon triomphe et je viens pour te dire:
Je suis content de toi!»
Avril 1869.
III
QUATRAINS
1
Improvisé sur un portrait
DE Mlle SIONA-LÉVY
Enfant, doublement applaudie,
Tu chantes et tu fais des vers;
Et ton masque de tragédie
Est couronné de lauriers verts.
1851.
2
Improvisé sur un portrait
DE Mme MADELEINE BROHAN
Type charmant et pur dont le ciel est avare,
Et que d'un fin crayon l'artiste copia,
Scribe salue en vous sa reine de Navarre,
Musset sa Marianne, et Belloy sa Pia.
1857.
3
Improvisé et placé en tête d'un exemplaire
de: Émaux et Camées.
A CLAUDIUS POPELIN, MAÎTRE ÉMAILLEUR
Ce livre où j'ai mis des Camées
Sculptés dans l'agathe des mots,
Pour voir ses pages acclamées
Eût eu besoin de tes Émaux!
Août 1863.
4
Improvisé
SUR UNE ROBE ROSE A POIS NOIRS
Dans le ciel l'étoile dorée
Ne luit que par l'ombre du soir;
Ta robe, de rose éclairée,
Change l'étoile en astre noir!
5
AU VICOMTE DE S. L. [9]
Moderne est le palais, mais le blason ancien
Peint par Van Eyck au coin des portraits de famille
Rangés en ex-voto sur le vieil or qui brille,
Le jeune hôte du lieu le revendique sien.
Octobre 1872.
IV
AVE MARIA
CHANT [10]
Ave Maria! Reine des cieux!
Vers toi s'élève ma prière:
Je dois trouver grâce à tes yeux,
C'est en toi, Vierge sainte, en toi que j'espère!
Mon fils consolait ma misère:
Il souffre hélas! il est mourant!
Comprends mes pleurs, toi qui fus mère;
Rends-moi, rends-moi mon pauvre enfant!
Ave Maria, mon fils est beau
Et de lui je suis déjà fière;
Bénis son modeste berceau.
C'est mon bien, mon unique bien sur la terre!
Si Dieu me frappe en sa colère
Protège du moins l'innocent!
Exauce-moi, c'est une mère
Qui veut mourir pour son enfant!
Ave Maria! mais: ô bonheur!
L'enfant renaît à sa prière
Ainsi qu'une brillante fleur!
Doux bienfait!—Touchante bonté.—Saint mystère!
«Regarde-moi pour que j'espère;
Mon fils! ton front est souriant!»
Merci, merci, divine mère,
C'est toi qui sauves mon enfant!
V
Une personne, qui signe: «Un étudiant de Grenoble», a adressé au journal Le Gaulois une pièce qu'elle affirme avoir copiée, sur un album, à Genève. Nous avons, vainement jusqu'à présent, fait chercher à Genève l'autographe de cette pièce. Nous ne l'imprimons donc que sous toutes réserves.
Je sais un nid charmant et tendre
Où niche l'oiseau bleu du cœur,
L'oiseau dont nul ne peut entendre
Sans tressaillir, l'accent vainqueur;
Nid plein de grâces sans pareilles,
Qui, sous un rayon de gaieté,
Scintillent comme des abeilles
Dans l'or des aurores d'été.
Formé de fleurs fraîches écloses,
Œuvre admirable de l'amour,
Des perles, des feuilles de roses,
Dessinent son riant contour.
Écrins délicieux que dore
La jeunesse en traits éclatants;
D'où s'échappe, ailée et sonore,
La vive chanson du printemps;
D'où sort une divine haleine,
Comme d'un calice vermeil
Qui livre aux souffles de la plaine
Son sein tout baigné de soleil.
Nid séducteur où rit l'ivresse,
Cachant ses secrètes ardeurs,
Comme une coupe enchanteresse
Dont les bords sont voilés de fleurs.
Plus mignon qu'un nid d'oiseau-mouche,
Plus frais qu'un cœur de rose-thé,—
Ce nid ravissant... c'est ta bouche,
Doux paradis de volupté,
Où les désirs, ramiers fidèles,
Volent toujours inapaisés,
Et vont provoquer à coups d'ailes
L'essaim palpitant des baisers!
Signé: THÉOPHILE GAUTIER
NOTES:
[1] Cette pièce a été faite en 1858 pour un Keepsake, où elle accompagnait une gravure représentant une dame assise jouant de la guitare; un cavalier se penche sur le dossier de son siége.
[2] Voir L'Épicurien, par Thomas Moore; la prose traduite par H. Butat, les vers par Théophile Gautier. 1 vol.—in-8. Paris, 1863.
[3] Sorte de gâteau milanais.
[4] Tunique grecque.
[5] Vase antique en forme de corne.
[6] Ce fragment est la première version de l'Amour souffle où il veut (voir le volume du Théâtre).
[7] Nous avons réuni à cette place les divers morceaux qu'il nous a paru impossible de publier sans aucune explication.
[8] Ce morceau n'est rien autre chose que la traduction littérale, en vers, d'un morceau de prose. Nous avons placé chaque strophe en face de chaque paragraphe, pensant que le public verrait avec intérêt comment le poëte a fait entrer, dans chacune de ses strophes, chaque phrase et pour ainsi dire chaque mot du prosateur.
[9] Ces quatre vers sont les derniers qu'ait écrits Théophile Gautier. Ils devaient être le premier quatrain d'un sonnet que le poëte n'a pas eu la force d'achever.
[10] Autant que nos souvenirs sont fidèles, nous nous rappelons que Théophile Gautier en nous remettant l'autographe de cette pièce, nous aurait dit qu'elle était une traduction destinée à être adaptée à l'Ave Maria de Schubert. Le rhythme et les rimes en auraient été déterminés par la forme de la pièce originale et par les nécessités de la musique.
TABLE DES MATIÈRES
| LA COMÉDIE DE LA MORT, 1838 | |
|---|---|
| Portail | 3 |
| La Vie dans la Mort | 9 |
| La Mort dans la Vie | 23 |
| POÉSIES DIVERSES, 1838-1845 | |
| Sur un album | 53 |
| A la princesse Bathilde | 55 |
| Oui, Forster, j'admirais.... | 57 |
| Prière | 58 |
| A une jeune Italienne | 59 |
| A trois Paysagistes (Salon de 1859) | 60 |
| Fatuité | 65 |
| Les Matelots | 66 |
| La Fuite | 68 |
| Gazhel | 70 |
| Dans un baiser, l'onde.... | 72 |
| Sultan Mahmoud | 74 |
| Le Puits mystérieux | 76 |
| L'Esclave | 77 |
| Les Taches jaunes | 78 |
| L'Ondine et le Pêcheur. (Fant. IX) | 80 |
| J'ai tout donné pour rien. (Fant. XVII) | 82 |
| A des amis qui partaient | 85 |
| Ambition. (Fant. XVI) | 86 |
| ESPAÑA, 1845 | |
| Départ | 89 |
| Le Pin des landes | 94 |
| L'Horloge | 95 |
| A la Bidassoa | 97 |
| Sainte Casilda | 98 |
| En allant à la Chartreuse de Miraflores | 99 |
| La Fontaine du cimetière | 100 |
| Le Cid et le Juif | 102 |
| En passant à Vergara | 105 |
| Les yeux bleus de la montagne | 108 |
| La petite fleur rose | 109 |
| A Madrid | 111 |
| Séguedille | 113 |
| Sur le Prométhée du musée de Madrid | 114 |
| Ribeira | 115 |
| L'Escurial | 118 |
| Le Roi solitaire | 119 |
| La Vierge de Tolède | 121 |
| In deserto | 123 |
| Stances | 125 |
| En passant prés d'un cimetière | 126 |
| Les trois Grâces de Grenade | 128 |
| J'étais monté plus haut | 131 |
| Consolation | 132 |
| Dans la Sierra | 133 |
| Le Poëte et la Foule | 134 |
| Le Chasseur | 135 |
| L'Échelle d'amour | 137 |
| J'ai dans mon cœur.... | 138 |
| Le Laurier du généraliffe | 139 |
| La Lune et le Soleil | 140 |
| Letrilla | 142 |
| J'allais partir | 143 |
| J'ai laissé dans mon sein de neige | 144 |
| Le Soupir du Maure | 145 |
| Deux tableaux de Valdès Leal | 147 |
| A Zurbaran | 152 |
| Perspective | 155 |
| Au bord de la Mer | 156 |
| Saint Christophe d'Écija | 157 |
| Pendant la tempête | 159 |
| Les affres de la Mort | 160 |
| Adieux à la Poésie | 163 |
| POÉSIES NOUVELLES POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES 1831-1872 |
|
| A Jean Du Seigneur | 167 |
| Épigraphe (placée en tête de Sous la table) | 174 |
| Épigraphe (placée en tête de Daniel Javard) | 176 |
| Wladislas III | 177 |
| Perplexité | 181 |
| A propos du Chant du Cygne | 185 |
| La Tulipe | 186 |
| Le 28 juillet 1840 | 187 |
| La Péri | 195 |
| Le Lion de l'Atlas | 196 |
| Le Bédouin et la Mer | 198 |
| Ébauche de Pierrot Posthume | 200 |
| Le Glas intérieur | 203 |
| La Neige | 205 |
| Sonnet | 208 |
| Modes et chiffons | 209 |
| Les Lions de l'Arsenal, à Venise | 210 |
| Fragments de Maître Wolfram | 211 |
| Nativité | 213 |
| Les Joyeusetés du Trépas | 217 |
| Chanson à boire | 219 |
| Les Rôdeurs de nuit | 220 |
| Le Profil perdu | 221 |
| A Ernest Hébert | 222 |
| Fragments de l'Épicurien | 224 |
| A Marguerite (sonnet I) | 238 |
| A Marguerite (sonnet II) | 239 |
| L'Impassible | 240 |
| A L. Sextius | 241 |
| A l'Impératrice | 242 |
| A Claudius Popelin (sonnet I) | 247 |
| A Ingres | 248 |
| Le Rose | 249 |
| L'Hirondelle | 250 |
| L'Odalisque à Paris | 251 |
| A Ch. Garnier | 252 |
| La Fumée | 255 |
| Promenade hors des murs | 256 |
| UN DOUZAIN DE SONNETS. | |
| Sonnet-dédicace | 257 |
| I.Mille chemins, un seul but | 258 |
| II.Ne touchez pas aux marbres | 259 |
| III.Baiser rose, Baiser bleu | 260 |
| IV.La vraie Esthétique | 261 |
| V.Bonbons et Pommes vertes | 262 |
| VI.Le Pied d'Atalante | 263 |
| VII. L'Étrenne du Poëte | 264 |
| VIII. Les Déesses posent | 265 |
| IX. D'après Vanutelli | 266 |
| X.L'Égratignure | 267 |
| XI. La Mélodie et l'accompagnement | 268 |
| XII.La Robe pailletée | 269 |
| L'Esclave noir | 270 |
| A Claudius Popelin (sonnet II) | 271 |
| Sonnet | 272 |
| Le Sonnet | 273 |
| Sonnet | 274 |
| Le Vingt-sept mai | 275 |
| Sonnet | 276 |
| Après la bataille | 277 |
| A Maxime du Camp | 278 |
| Allitérations | 279 |
| A une jeune Amie | 281 |
| Sonnet | 282 |
| Jettatura | 283 |
| Au bois de Boulogne | 287 |
| Le Ruisseau | 289 |
| Chez les Étoiles | 291 |
| L'Orestie | 297 |
| La Perle du Rialto | 299 |
| Appendice | 315 |