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Portraits et études; Lettres inédites de Georges Bizet

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«Messieurs,

«Je suis très ému et très profondément touché du témoignage de sympathie que vous me donnez aujourd'hui.

«Je puiserai dans le souvenir que je garderai au fond du cœur une force consolatrice contre l'injustice et les événements qui m'accablent en ce moment et me forcent, momentanément, je l'espère, à renoncer à la lutte que je soutiens depuis plus de vingt ans pour le progrès de l'art.

«J'aurai aussi la consolation d'avoir pu rendre quelques services aux compositeurs français, et ceux d'entre eux dont j'ai eu le bonheur de soutenir la cause sauront affirmer qu'ils ont trouvé en moi un ami dévoué, sincère et désintéressé.

«Ai-je besoin de vous dire, messieurs, que j'aime ardemment ma patrie et que, comme vous, je la veux forte, intelligente et victorieuse?

«Mais si Wagner, à une époque douloureuse, a blessé maladroitement et cruellement notre patriotisme, devons-nous fermer les yeux devant la flamme de son génie de poète et de musicien, ce génie qui est une gloire pour l'humanité? Non, je ne le crois pas; car je suis de ceux qui veulent le libre-échange du progrès et de la lumière, sans oublier, pour cela, les intérêts sacrés de la patrie.

«Je bois donc, Messieurs, à l'indépendance de l'art, à la liberté de ses manifestations et à la patrie.»

Enfin, Henri Bauer porta, au nom de la presse, le toast suivant:

«Messieurs,

«Je bois à Charles Lamoureux, patriote français, je bois à l'artiste croyant et vaillant qui, au prix d'un admirable effort, a voulu maintenir à Paris sa place de capitale de l'art et du monde intellectuel. N'est-ce pas le vrai patriotisme que de garder ce creuset où l'art de tous les peuples se refondait, se rajeunissait, se consacrait.

«N'est-ce pas du patriotisme que de nous restituer l'art des maîtres que nous aimons, de Gluck, de Bach, de Beethoven, de Berlioz et de Wagner, dont conservent le culte tous les compositeurs français assis à cette table?

«L'avenir n'est pas loin qui décidera où fut le patriotisme, entre celui qui essaya d'étendre la mission artistique de la France à travers le monde et ceux qui essayaient de l'enrayer, d'étouffer sous des menées obscurantistes l'œuvre musicale.»

Un beau groupe en bronze, œuvre du sculpteur Godebski, représentant Elsa et Lohengrin, fut offert, dans la même soirée, à Lamoureux.

Comme Bergerat, Ernest Reyer avait bien prophétisé. Ce n'était pas une fête sans lendemain que la représentation de Lohengrin à l'Éden: car cette superbe création devait être montée plus tard à l'Opéra, sous la direction du même chef d'orchestre. Mais, n'anticipons pas.

*
* *

Nous avons déjà indiqué que Lamoureux transporta ses concerts du théâtre du Château-d'Eau d'abord à l'Éden (8 novembre 1885),—puis de l'Éden au Cirque d'Été (30 octobre 1887). Nous ne donnerons pas la nomenclature des œuvres qu'il a fait exécuter dans ces nouveaux locaux et qui sont, en partie du reste, les répétitions de celles données par lui au Château-d'Eau. Il ne se contenta pas de continuer à propager les œuvres de Richard Wagner; mais il s'évertua à répandre les compositions des nouveaux venus dans la carrière. C'est ainsi que, s'il avait déjà révélé au public le talent très vigoureux d'Emmanuel Chabrier en exécutant sa première œuvre pour orchestre Espâna, il exposa une des pages les plus marquantes parmi celles dues à la plume de Vincent d'Indy, la Trilogie de Wallenstein d'après Schiller. Il met également en vedette les noms de Gabriel Fauré, ce très personnel musicien, G. Marty, G. Charpentier et de tant d'autres. Non content de faire connaître des virtuoses nouveaux comme le beau contralto de Mlle Landi, il engagea plusieurs artistes étrangers, la célèbre Materna, l'admirable interprète des œuvres wagnériennes,—Lilli Lehmann et Kalisch. Ce fut à l'issue d'une des séances du Cirque d'Été (16 mars 1890) que les admirateurs du talent de Mme Materna, pour lui exprimer leur satisfaction et le désir de l'applaudir encore et à Paris et à Bayreuth, lui firent présent d'un charmant flacon en jaspe, monté en argent et enrichi de pierres fines, dont l'écrin portait, gravée en lettres d'or, cette légende: «À Madame Materna.—Paris 1890.—L'Arabie n'a rien de meilleur.Parsifal (premier acte)». Charles Lamoureux, qui assistait à cette manifestation, disait à ceux qui l'entouraient: «Vous ne pouvez vous imaginer quelle charmante et admirable artiste est Madame Materna. Elle s'identifie si complètement au rôle qu'elle interprète, elle se passionne si vivement pour la musique de Wagner, que je l'ai vue souvent s'attendrir au point de verser d'abondantes larmes, dans les moments les plus pathétiques.»

Lors de l'Exposition universelle de 1889, les différents orchestres des grands concerts de Paris furent appelés à donner des auditions officielles dans la salle des fêtes du Trocadéro. Celle organisée par Charles Lamoureux (23 mai 1889) ne fut pas la moins brillante. Les chœurs et l'orchestre se composaient de deux cents exécutants.—Les œuvres interprétées furent les suivantes: Patrie, ouverture de G. Bizet,—Le Désert (première partie) de F. David,—Loreley, légende symphonique (fragment) de P. et L. Hillemacher,—Andante de la symphonie en mineur de G. Fauré,—Duo de Béatrice et Bénédict de Berlioz,—Scène de la Conjuration de Velléda, de Ch. Lenepveu,—Le Camp de Wallenstein de V. d'Indy,—Ève, mystère (première partie) de Massenet,—Matinée de Printemps de G. Marty,—Geneviève, légende française de W. Chaumet,—La Mer, ode-symphonie de V. Joncières,—Espâna de E. Chabrier.

En mai 1890, Charles Lamoureux épousait, en secondes noces, la cantatrice qui avait interprété avec tant de grâce et de talent, dans les concerts dirigés par lui, les belles pages des maîtres, Mme veuve Armand-Roux (Brunet-Lafleur).

Étendant l'idée qu'avait eue Pasdeloup de faire entendre son orchestre dans plusieurs villes de France, Charles Lamoureux résolut d'entreprendre avec sa vaillante phalange une tournée artistique à l'étranger, en Hollande et en Belgique. Au commencement de septembre 1890, il fit annoncer dans la presse que cette tournée aurait lieu, sous les auspices de l'imprésario Schurman, du 16 au 31 octobre 1890 à la Haye, Amsterdam, Rotterdam, Anvers, Gand, Liège et Bruxelles.

Cette expédition musicale en Néerlande et en Flandre fut un véritable triomphe. À Amsterdam, où existent cependant des phalanges instrumentales merveilleusement organisées et que nous avons pu apprécier, le succès fut prodigieux. Les cinq concerts, donnés dans la Venise du Nord, rapportèrent quarante-quatre mille francs et les trois autres à la Haye trente mille.

En Belgique, à Bruxelles notamment, l'enthousiasme ne fut pas moins grand. Toutefois, plusieurs dilettanti auraient désiré que Lamoureux fit une plus large place, dans ses programmes, à l'École française. On releva, d'autre part, d'une manière fort intelligente, à côté des qualités incontestables de précision et de fermeté dans le rythme, dues à une discipline rigoureuse, des défauts qui en sont la contre-partie, c'est-à-dire la sécheresse et la dureté, surtout dans les puissantes pages de Richard Wagner, où il aurait fallu plus de passion, de véhémence et d'emballement![24]

Le coup de maître d'une direction un peu discréditée fut celui qui consista, de la part de MM. Ritt et Gailhard, à monter in extremis Lohengrin à l'Académie Nationale de musique. C'était, d'une part, terminer brillamment leur carrière et, d'autre part, ouvrir la voie, dans un sens plus large que par le passé, à leurs successeurs. Vianesi venait de quitter le bâton de chef d'orchestre; il fallait lui trouver un successeur et on choisit le directeur des Nouveaux Concerts, en lui octroyant les pouvoirs les plus illimités. Ce furent très probablement cette autorité, à lui concédée sans restrictions, et aussi le désir de continuer l'œuvre qu'il avait si bien commencée à l'Éden qui engagèrent Lamoureux à accepter les offres de la direction de l'Opéra. S'il n'obtint pas des exécutants et des choristes des résultats aussi satisfaisants que ceux atteints à l'Éden, il faut cependant constater que ses efforts aboutirent à un succès et que les représentations de Lohengrin à l'Opéra furent de celles qui peuvent compter parmi les plus belles de la direction Ritt et Gailhard. La première, après quelques atermoiements, eut lieu le 16 septembre 1891.

Le cadre de cette étude ne nous permet pas d'entrer dans de longs développements; nous insisterons seulement sur quelques points.

Les mêmes folies, qui s'étaient produites aux portes de l'Éden, se renouvelèrent sur la place de l'Opéra. Dans la salle quelques énergumènes, dont un restera légendaire[25], cherchèrent à empêcher l'exécution. Mais, cette fois, les mesures de police étaient admirablement prises et toute velléité de manifestation fut réprimée si vigoureusement que les meneurs s'évanouirent comme par enchantement et que victoire resta au Cygne. La Presse fut très favorable à l'œuvre et les représentations de Lohengrin à l'Opéra furent assurées d'un succès durable.

En ce qui concerne l'exécution, Charles Lamoureux se refusa à maintenir dans l'opéra de Wagner les coupures qui avaient été un peu imposées au maître, depuis les premières représentations de Weimar. Nous pourrions rappeler cependant que Wagner avait lui-même reconnu la nécessité de supprimer la seconde partie dans le récit du Chevalier au troisième acte.—«Je me suis souvent exécuté à moi-même ce récit, écrivait Wagner à Liszt, et je me suis convaincu que la seconde partie devait nécessairement produire du froid. Ce passage devra donc être supprimé dans la partition et le poème.» C'est du reste ce qui a été fait[26].

À Weimar, lorsque Lohengrin fut monté sous la direction de Liszt et du Kapellmeister Genast, la première représentation n'avait pas duré moins de cinq heures. Cette longueur avait effrayé R. Wagner lui-même et il écrivit immédiatement à Liszt pour lui expliquer que le ralentissement avait dû se produire dans les récitatifs; et, à ce propos, il donne les indications les plus précises sur la façon de dire son récitatif: «.......Nulle part, dans la partition de Lohengrin, je n'ai écrit dans les parties de chant le mot «récitatif». Les chanteurs ne doivent pas savoir qu'il y a des récitatifs. Je me suis, au contraire, efforcé de mesurer et de marquer l'expression parlée du langage avec tant de sûreté et une telle précision que le chanteur n'a plus qu'à chanter les notes exactement dans le mouvement indiqué pour trouver le ton juste du langage..........»

Wagner ajoute que, d'après ses calculs, «le premier acte ne doit pas durer beaucoup plus d'une heure, le second une heure un quart, le dernier un peu au delà d'une heure, de telle sorte qu'en y comprenant les entr'actes, la représentation commencée à six heures doit être terminée à dix heures trois quarts

Il assignait donc à son œuvre une durée de quatre heures trois quarts, soit bien près de cinq heures, ce qui est excessif.

À Paris, les représentations commencées à 8 heures finissent à minuit un quart et même minuit et demi, soit une durée de quatre heures et demie, encore bien trop longue.

Il est certes regrettable de faire des coupures, d'opérer des mutilations dans une œuvre absolument artistique, conçue dans un système d'homogénéité. Nous avons été toujours du nombre de ceux qui sont d'avis de ne rien retrancher ni ajouter dans les partitions des maîtres. Toutefois il faut bien reconnaître que le point par lequel pèchent les œuvres de R. Wagner est la longueur. Il serait facile de citer certaines parties, quelques récits qui, par leur développement démesuré, nuisent à l'action ou à l'intérêt du drame, et fatiguent l'auditeur, quelque bien disposé qu'il soit. Wagner, nous l'avons vu, l'avait reconnu lui-même pour la deuxième partie dans le récit du chevalier, au troisième acte de Lohengrin. Mais, si des coupures devaient être faites, il serait nécessaire de procéder avec la plus vive intelligence, ce qui n'est pas malheureusement toujours le fait des arrangeurs ou plutôt des dérangeurs.

Cette durée excessive des opéras n'est pas particulière aux œuvres de Richard Wagner. Une des premières réformes à opérer par les compositeurs modernes, appelés à écrire des drames lyriques, consisterait à donner à ces derniers une proportion raisonnable. Tous y auraient profit: le compositeur, parce que son œuvre y gagnerait en concision;—le public, parce qu'une grande fatigue lui serait épargnée et que, par suite, la somme de jouissance serait plus grande;—enfin le directeur même du théâtre, parce que ses frais généraux seraient diminués.

Selon nous, un drame lyrique ou un opéra (le nom ne fait rien à l'affaire) ne devrait pas, avec les entr'actes, avoir une durée de plus de trois heures au minimum et trois heures et demie au maximum. Commencée à huit heures, la représentation prendrait fin à onze heures ou onze heures et demie.

Cette concision que nous réclamons pour les œuvres théâtrales ne s'impose-t-elle pas dans les autres branches de l'art?

N'oublions pas de mentionner le concours que Charles Lamoureux a prêté soit au Théâtre de l'Odéon, en dirigeant les parties musicales pour des œuvres telles qu'Athalie, l'Arlésienne etc..., soit à la Société des Grandes auditions de France.

Au début de l'année 1893, il a été appelé à diriger à Saint-Pétersbourg et à Moscou des concerts qui ont eu un vif succès et qui lui ont valu des ovations semblables à celles faites à Édouard Colonne lors de ses voyages en Russie.

Charles Lamoureux est chevalier de la Légion d'honneur.

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Cette étude a-t-elle bien fait ressortir tous les traits de la physionomie morale et physique de notre modèle? Nous ne le pensons pas. Si elle indique bien la vaillante ténacité, la volonté d'être maître, l'ambition de s'élever au premier rang,—si elle donne des renseignements assez détaillés sur ses entreprises, en tant que chef d'orchestre, elle laisse peut-être un peu dans l'ombre certaines particularités, certains tics qui sont là pour donner du piquant à la physionomie, comme un coup de pinceau un peu brillant, une touche de blanc, par exemple, viendra réveiller la figure de tel portrait à l'huile. «J'ai senti plus d'une fois» disait Sainte-Beuve «combien le caractère d'un homme est compliqué et avec quel soin on doit éviter, si l'on veut être vrai, de le simplifier par système.»

Cette pensée si juste de l'auteur des Causeries du Lundi ne doit jamais être perdue de vue par celui qui s'attache à peindre ses semblables. Il ne doit pas redouter de faire voir l'homme, l'artiste sous tous ses aspects, l'intérieur comme l'extérieur, la face comme le revers de la médaille. Les plus minimes détails ne sont pas indifférents. C'est à ce prix seulement qu'il fera un portrait vrai et ressemblant.

Notre profil a donc besoin de retouches et d'additions.

Si nous disions que Charles Lamoureux brille par l'aménité et la patience, nous nous éloignerions de la vérité. Dans tous les orchestres qu'il a été appelé à diriger, il a laissé la réputation d'un croque-mitaine. Nous n'irions pas jusqu'à lui appliquer l'opinion de Meyerbeer: «Pour être chef d'orchestre il faut être insolent..., voilà pourquoi je n'ai jamais pu être chef d'orchestre.» Mais, nous serions dans le vrai, en affirmant qu'il n'est pas toujours tendre pour les artistes qu'il commande; il ne sait pas, à son pupitre, conserver la placidité et la sérénité voulues. Voyez même son attitude vis-à-vis du public, les jours de concert; elle manque souvent de correction. Il impose silence en lançant un chut sec et perçant, et en foudroyant du regard l'interrupteur qui se permet la plus petite incartade, ou l'espiègle et calembouriste ouvreuse (alias Willy), qui le lui rend bien par les traits qu'elle lui décroche comme une flèche du Parthe, d'abord dans Art et critique et, plus tard, dans l'Écho de Paris.

Sa mauvaise humeur ne s'exerce-t-elle pas également à l'égard des compositeurs, dont il est appelé à faire exécuter les œuvres? Certaine altercation violente avec Augusta Holmès, au milieu d'une répétition au Cirque d'Été, viendrait à l'appui de notre dire.

Autre particularité: il tient essentiellement à ce que ses projets, même les moins importants, ne soient pas divulgués. Aussi fulmine-t-il contre les indiscrets qui font connaître à l'avance les numéros des programmes de ses concerts. Il n'est pas plus ouvert avec les siens: sa fille, Mme Chevillard, n'a appris que par la lecture du Figaro la nouvelle de la nomination de son père, comme chef d'orchestre à l'Opéra, à la fin de la direction Ritt et Gailhard.

Cette manière d'être n'est-elle pas indépendante de sa volonté et ne prendrait-elle pas sa source dans des idées de persécution qui le hantent, dans la méfiance qui en résulte pour tous ceux qui l'approchent, dans la crainte mal fondée de railleries à son égard? L'abord se ressent de cette disposition d'esprit; il est froid et inspire quelque inquiétude.

Aussi a-t-il dû être malheureux des caricatures qui ont été faites sur lui! Car le crayon satirique, s'étant emparé sur une large échelle de Richard Wagner, devait atteindre également celui qui, en France, a été un de ses plus fervents adeptes.

Toutefois, sous cet aspect un peu rébarbatif et glacial, il faudrait reconnaître un fond de gaîté, un peu de cette jovialité gauloise qu'Émile Bergerat a laissé entrevoir dans l'article qu'il lui a consacré. Ne le montre-t-il pas, à un repas de noces chez Gillet, à la porte Maillot, semant l'allégresse par un toast où le symbole côtoyait la fantaisie, et ouvrant lui-même le bal par un quadrille. N'est-ce pas Lamoureux qui répondait un jour à Mme Materna, le proclamant grand chef d'orchestre: «Dites... gros chef d'orchestre!»

Par amour de l'assimilation, il y aurait un rapprochement curieux à faire entre Lamoureux et Colonne: on trouverait, en effet, dans leur vie bien des points de ressemblance. Nés à Bordeaux, ils ont, dès le début, le même professeur de violon, M. Baudouin,—et, plus tard, au Conservatoire de Paris, M. Girard. Ils font partie, un moment, du même quatuor. Ils deviennent bientôt, tous les deux, les créateurs et directeurs des plus importants concerts symphoniques de Paris. En l'année 1873, Colonne fonde à l'Odéon, puis au Châtelet le Concert National; à la même époque, Lamoureux organise au Cirque d'Été la Société de l'Harmonie sacrée. Ils épousent en secondes noces une cantatrice: Colonne, Mlle Vergin,—et Lamoureux, Mme Brunet-Lafleur.

Enfin, ils ont été appelés, l'un et l'autre, à diriger l'orchestre de l'Opéra.

Les qualités dominantes de Charles Lamoureux, comme chef d'orchestre, consistent dans une recherche absolue de la précision, de la correction et de la clarté obtenues par des répétitions nombreuses, poussées jusqu'aux limites les plus extrêmes. Il a inculqué à son orchestre une discipline pour ainsi dire militaire, qui constitue la plus grande originalité du magnifique ensemble instrumental dont il a la direction. Le quatuor, manœuvrant comme un seul homme, arrive à des effets surprenants d'homogénéité, de sonorité et de nuances; la famille des instruments à vent est peut-être la meilleure que nous connaissions: les bois ont une étonnante finesse et les cuivres un superbe éclat. Aussi, obtient-il, dans les œuvres où le lyrisme n'est pas la note dominante, des exécutions réellement parfaites. Mais, dans les pages de grande puissance dramatique, de large envergure, où il serait nécessaire d'enlever l'orchestre et de lui communiquer une passion débordante, on constate à regret la dureté et la sécheresse. La ponctuation est par trop fidèlement observée et, pour nous servir d'une expression vulgaire, le tout est trop bien ratissé. Ainsi interprétées, les grandes compositions lyriques, si remarquables par leur fougue, et les violents contrastes qu'elles accusent, laissent à l'auditeur des impressions ternes et grises. On voudrait un peu moins de calcul et un peu plus d'emballement.

Peut-être, le bâton de commandement manque-t-il de souplesse?

Ces réserves faites, nous reconnaîtrons que l'orchestre des Nouveaux Concerts est, après celui du Conservatoire de Paris, et avec celui de l'Association artistique dirigé par Ed. Colonne, un des plus remarquables qui existe en Europe.

FAUST


SCÈNES DU POÈME DE GOETHE

MISES EN MUSIQUE

par

ROBERT SCHUMANN

De tous les musiciens qui ont osé aborder la traduction musicale de Faust, Robert Schumann est celui qui, en raison même de son tempérament et de sa prédilection pour les pages mystiques de la seconde partie, a surpassé ses rivaux et a été bien près d'atteindre l'idéal rêvé par Goethe.

Le grand poète allemand s'est élevé au-dessus de lui-même; il a vu bien au delà de la nature humaine dans ce drame plus qu'humain et dans cette sorte d'épopée symbolique que l'on nomme le premier et le second Faust. «Voilà une de ces œuvres, a dit M. H. Taine, où l'artiste se dépasse lui-même. Emporté par le sujet, il oublie son public, s'enfonce jusque dans les territoires inexplorés de son art; il trouve, par delà le monde vulgaire, des alliances, des contrastes, des réussites étranges au delà de toute vraisemblance et de toute mesure.»

Mme de Staël, dans ses belles études sur l'Allemagne, a donné cette conclusion éloquente sur Faust: «Quand un génie tel que celui de Goethe s'affranchit de toutes les entraves, la foule de ses pensées est si grande que de toutes parts elles dépassent et renversent les bornes de l'art.»

Goethe, en effet, s'est placé sur des hauteurs sublimes pour contempler en même temps ce qu'il appelle le macrocosme et le microcosme (littéralement le grand et le petit monde). Il a fait là une œuvre dans laquelle les personnifications abstraites tiennent une grande place. Marguerite (Gretchen), elle, est réellement vivante; son action est limitée dans le drame qui aboutit à elle, mais qu'elle ne remplit pas tout entier, il s'en faut. C'est ce qu'ont parfaitement compris H. Berlioz et, mieux encore, R. Schumann, en donnant une place relativement restreinte au rôle de Marguerite dans l'ensemble musical créé par eux[27]. Avec quel tact Schumann s'en est tenu à cette première floraison à peine entr'ouverte de l'amour dans la scène du jardin, hors de laquelle il s'abstient de rappeler Faust et Marguerite en présence! En outre et, à juste titre, l'un et l'autre ont repoussé la forme de l'opéra avec ses conventions et ses adjonctions qui modifient toujours le sens du texte, pour adopter celle vraiment rationnelle du poème symphonique et choral. Ils ont cherché ainsi à suivre Goethe sur les sommets où sa fantaisie puissante s'est élevée: aussi resteront-ils, chacun à leur manière et suivant leur tempérament, les véritables traducteurs d'une partie de son Faust.

Hector Berlioz, avec sa nature impétueuse, fantasque, shakespearienne, a pris dans le poème allemand les scènes qui convenaient à sa puissante et nerveuse fantaisie, et qui avaient exercé, de longue date, une séduction irrésistible sur son esprit. Dans le scénario de sa Damnation de Faust, il s'éloigne souvent de l'œuvre primitive; l'idée principale de Goethe n'est pas son objectif. Sa traduction musicale, elle aussi, se ressent plutôt de sa passion pour Shakespeare que de son admiration pour Goethe. Des pages telles que la Marche sur le thème hongrois de Rakocsy, la scène de la taverne d'Auerbach, révèlent un tempérament qui s'épanouit plutôt au dehors qu'en dedans et dans lequel on sent vibrer surtout la fougue inhérente à la race française[28].

Dans ses Mémoires, dans son Avant-propos, Berlioz déclare hautement qu'il n'a cherché ni à traduire ni à imiter Faust, mais seulement à s'en inspirer et à en extraire la substance musicale qui y est contenue. Il s'excuse également d'avoir osé toucher à un chef-d'œuvre, en y apportant de nombreux changements. Certes, il faut lui savoir gré d'avoir fait à ce sujet, son mea culpa; mais nous devons cependant, nous plaçant à un point de vue des plus élevés, avouer que l'excuse qu'il donne pour avoir fait circuler la plus libre fantaisie à travers l'œuvre du poète allemand ne nous satisfait pas pleinement. Il était libre de prendre dans Faust les pages qui l'intéressaient le plus vivement, d'y introduire des sujets épisodiques, puisque sa merveilleuse inspiration l'a amené à produire, à côté du chef-d'œuvre de Goethe, un autre chef-d'œuvre. Mais il n'avait pas à déclarer «qu'il était absolument impossible de mettre en musique le poème de Goethe, sans lui faire subir une foule de modifications».

Robert Schumann a prouvé victorieusement le contraire. Dans les parties qu'il a traduites musicalement, le maître de Zwickau a suivi pas à pas le texte original. C'était, il faut en convenir, le moyen le plus sûr pour faire ressortir les merveilleuses beautés de la poésie et en rendre aussi exactement que possible le sens intime.

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Profondément rêveur et sentimental, Robert Schumann devait se passionner pour l'œuvre de Goethe, surtout pour le second Faust, où le mysticisme règne en maître. De bonne heure, à vingt-trois ans et non à treize, comme l'ont indiqué par erreur certains commentateurs, il avait songé à la traduction musicale de Faust. C'est, en effet, à la fin de l'année 1844 qu'il quitta Leipzig pour aller résider à Dresde, dans le but de rétablir sa santé fortement ébranlée à la suite des nombreux travaux auxquels il s'était livré. Il attribuait lui-même l'état maladif et inquiétant dans lequel il se trouvait à l'excès de fatigue qu'il avait éprouvé en se livrant, pour la première fois, à la composition des Scènes de Faust, dont il avait écrit, en 1844, l'épilogue pour soli, chœur et orchestre. Cet épilogue n'aurait jamais été édité, mais il a été exécuté plusieurs fois à Leipzig, à Dresde et à Weimar.

Il ne cessa, par la suite, de revenir à ce gigantesque travail, dont il était fortement épris. Dans une lettre adressée de Dresde, le 20 juin 1848, à Carl Reinecke, il lui annonce qu'il a fait jouer pour la première fois, en petit comité, le finale de Faust avec orchestre et il ajoute: «Je croyais ne pouvoir arriver à terminer la composition de ce morceau, surtout le chœur final; il m'a cependant pleinement satisfait. Je voudrais le faire exécuter l'hiver prochain à Leipzig;—peut-être y serez-vous?»

Du 14 juillet à la fin d'août 1849, il écrivit quatre scènes de Faust pour orchestre. Cette année 1849 fut peut-être la plus productive de la vie du compositeur et cette prodigieuse fécondité pourrait être attribuée à la cause suivante: il fut forcé, à la suite des événements politiques, de quitter Dresde, en mai 1849, pour se réfugier à Kreischa, petit bourg voisin, où il trouva le loisir voulu pour se livrer à ses merveilleuses inspirations. Fait à noter: c'est dans cette période que la poésie de Goethe le hanta surtout, puisqu'il écrivit, du 18 au 22 juin 1849, quatre Mélodies de Mignon, extraites du Wilhelm Meister de Goethe,—puis, les 2 et 3 juillet de la même année, le superbe Requiem de Mignon[29].

Nous voyons ensuite qu'à l'occasion du centenaire de Goethe on donna à Dresde, le 28 août 1849, un festival dans lequel furent exécutés avec le plus vif succès et en même temps que la Nuit de Walpurgis de Mendelssohn, les morceaux composés jusqu'à cette époque par Schumann sur Faust; une audition en fut donnée également, le lendemain 29 août 1849, à Leipzig[30].

En avril 1850, Schumann termina la musique des deux dernières scènes de Faust. Il avait alors réuni les divers épisodes, choisis par lui, tels qu'ils se succèdent dans l'ordre de la tragédie: 1º Scène du jardin,—2º Marguerite devant l'image des sept douleurs,—3º Scène de l'église,—4º Lever du soleil, Ariel, et réveil de Faust,—5º Minuit; les quatre sorcières,—6º Mort de Faust.

Ces tableaux forment la première et la seconde partie de la partition. À quelle époque précise écrivit-il la troisième partie, c'est-à-dire la plus belle? Il n'est pas douteux que les dernières scènes ont été composées les premières[31].

Ce fut en 1853 qu'il mit la main à la grande ouverture, merveilleuse introduction à cet ensemble, qui restera un des chefs-d'œuvre de l'art musical. Il écrivait, à la fin de cette même année, à un jeune officier, grand amateur de musique, M. Strackerjan: «J'ai beaucoup travaillé dans ces derniers temps. J'ai écrit une ouverture de Faust, couronnement de l'édifice d'une suite de scènes tirées de la tragédie.» Cette indication est précieuse, puisqu'elle nous laisse entendre que les trois parties dont se compose la partition étaient entièrement achevées en 1853.

Robert Schumann avait pensé à faire un opéra de Faust; on trouve en effet le titre de ce drame inscrit sur son livre de projets. Il s'arrêta au sujet de Geneviève et, malgré le peu de succès qu'obtint cette belle œuvre, il songea encore à une nouvelle composition de Goethe, Hermann et Dorothée. Il témoigna, à plusieurs reprises, le désir d'écrire un nouvel opéra sur ce sujet, notamment dans des lettres adressées le 21 novembre et 8 décembre 1851 à Maurice Horn, l'auteur du Pèlerinage de la Rose. Dans celle du 8 décembre, il dit: «Je n'ai pu encore rassembler mes idées au sujet d'Hermann et Dorothée. Mais, réfléchissez donc, je vous prie, si vous pourriez traiter le sujet de façon à ce qu'il remplisse une soirée de théâtre, ce dont je doute..... Je veux que ce soit un grand opéra et vous êtes certainement de mon avis. Musique et poésie devront être écrites d'un style simple, naïf et champêtre.»

En ce qui concerne Faust, nous estimons que Robert Schumann fit sagement en renonçant à faire un opéra de cette grande épopée, qui, en raison même de sa conception hardie et surnaturelle, nous semble repousser le cadre de la scène, et dont la haute et sublime fantaisie s'épanouit plus librement et d'une manière plus artistique, dans l'acception la plus haute du mot, sous la forme d'une œuvre lyrique ou oratorio romantique pour soli, chœur et orchestre.

Un subtil esprit, entre tous, un critique des plus compétents, avec lequel nous voudrions toujours être d'accord, M. René de Récy, ne partage pas entièrement notre avis sur le mérite de la traduction musicale de Faust par Robert Schumann[32]. Il reconnaît que le compositeur a suivi pas à pas le texte et respecté les vers, qu'il a senti plus profondément qu'un autre la merveilleuse beauté du dénouement; mais il n'ose dire qu'il a rendu la grandiose mise en scène de l'œuvre, la poésie tout entière. Nous lui répondrons:

Si, dans le poème de Goethe, on perçoit, à côté de toutes les audaces, un esprit toujours pondéré, qui calcule ses effets et rêve toujours «le divin équilibre», on découvre, sans aucun doute, dans la partition de Schumann, un esprit rêveur, idéaliste, plus apte à interpréter les poésies passionnées et troublantes d'Henri Heine ou de Lord Byron que celles de l'Olympien de Weimar. Goethe était un classique et Schumann un lyrique. Beethoven, qui avait pensé souvent à mettre Faust en musique, possédait peut-être les qualités adéquates, de nature à nous donner une traduction, dans laquelle le développement de la pensée du poète aurait été plus fortement, sinon plus poétiquement rendu. Mais Beethoven n'a pu réaliser son projet et nous devons nous estimer heureux d'avoir possédé un génie comme Schumann pour faire vibrer les cordes de la lyre.

Ces réserves faites, il ne faut pas perdre de vue que le compositeur n'a pas eu l'intention de traduire dans son entier l'œuvre de Goethe; il a seulement détaché du poème, pour les mettre en musique, les scènes qui convenaient le mieux à son tempérament; c'est ainsi que la troisième partie, toute de mysticisme, est de beaucoup la plus belle. On peut dire qu'elle est la résultante de l'esprit qui a toujours animé Robert Schumann, du milieu intellectuel dans lequel il a vécu.

Nous verrons, en analysant la partition, si le musicien n'a pas été un traducteur merveilleux du poète et si les arguments de notre confrère, M. René de Récy, ne sont pas un peu spécieux, s'ils ne faiblissent pas devant la beauté de l'œuvre.

Avouons sincèrement qu'il ne nous a pas enlevé «nos chères illusions».

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La première partie des scènes de Faust de R. Schumann[33] est fort peu développée; elle ne contient que trente-sept pages, alors que la seconde en renferme quatre-vingt-deux et la dernière cent soixante-dix-huit. Voici, du reste, les scènes empruntées par le musicien au poème de Goethe, en ce qui concerne la première partie:

Ouverture.  
  Nº 1.  
Scène du jardin
Duo
Ainsi tu m'avais reconnu
Du kanntest mich, o Kleiner
Faust. Marguerite.
  Nº 2.  
Marguerite devant l'image de
la Mère des sept douleurs
Prière
Ô vierge, ô pauvre mère
Ach neige,
du Schmerzensreiche
Marguerite.
  Nº 3.  
Scène de l'église
Soli et chœur
En ton enfance pure
Wie anders, Gretchen, war
dir's
Le mauvais esprit.
Marguerite.
Le chœur.

Écrite au déclin de la vie de Schumann, l'ouverture est, comme celle de Manfred, une préface au drame romantique, dans laquelle s'agitent tour à tour les sensations les plus diverses, passant de la véhémence extrême à l'accalmie momentanée. Ne prélevant aucune des idées musicales que renferme la partition, elle s'éloigne, en ce sens, des ouvertures placées par Weber et Richard Wagner en tête de leurs drames lyriques, et dans lesquelles apparaissent, par anticipation, les thèmes principaux de l'œuvre. Mais elle porte la marque de l'essence même du génie de Schumann et fait pressentir admirablement le sens général d'une création où Goethe et, à la suite, son illustre traducteur ont, à travers des alternatives d'ombre et de lumière, abouti à un grandiose hosanna de l'éternel amour féminin!

Le début est d'un mouvement solennel et lent; le motif sombre, soutenu par les trémolos, n'est que le germe de la phrase musicale, qui apparaît au più mosso et dont voici la contexture:

musique ecrite

À cette phrase très énergique, d'un rythme saisissant et des plus intéressantes dans ses développements, s'enchaîne une seconde idée, pleine de charme, à la forme caressante, avec mélange de trait liés en doubles croches et en triolets:

musique ecrite

Ce sont les deux thèmes qui, tour à tour présentés, forment l'ensemble de cette magistrale ouverture, dont la conclusion en majeur rappelle peut-être au début tel hosanna de la troisième partie.

On s'est plu, non sans raison, à placer en première ligne la seconde et la troisième partie des Scènes de Faust de Robert Schumann. Ce sont sans nul doute les pages les plus merveilleuses de la partition; mais on a un peu trop négligé de nous révéler les beautés contenues dans la première partie que le compositeur n'avait pas eu le temps de rendre plus complète.

Rien de plus frais, de plus séduisant que la Scène du jardin, dans laquelle se manifeste l'âme pure de Marguerite, à laquelle s'unit celle de Faust, subjugué par le doux parfum qui se dégage de cette fleur non encore épanouie. Comme la phrase haletante de l'orchestre, soutenue par les accompagnements en triolets, donne bien tout d'abord le sens intime de cette scène d'amour et enveloppe d'un réseau léger le dialogue des deux amants! Comme ce dialogue lui-même est habilement mené et quel attrait légèrement voilé émane de la traduction musicale, serrant de près le texte du poète! Timides sont les premières paroles échangées entre Faust demandant son pardon et Marguerite avouant son trouble: bientôt la douce mélodie prend corps et devient plus caressante dans la révélation du naïf amour de la jeune fille. Quel charme dans l'épisode de l'effeuillage de la marguerite, se terminant par ce cri du cœur:

musique ecrite

suivi de cette adorable phrase de Faust, d'un sentiment si profond:

musique ecrite

Et, en présence de cet amour immense, triomphant qui surprend Marguerite et la terrasse pour ainsi dire, arrive cette interruption en mineur: «Mon Dieu, j'ai peur», qui peint bien l'agitation de son âme.—Puis, après un trait de basson amenant l'interruption de Méphistophélès et celle de Marthe, la trame mélodique s'éteint sur cette tendre réponse de Marguerite

musique ecrite

L'orchestre fait entendre encore quelques notes pianissimo et s'efface comme la lumière du jour.

Toute cette scène si vivante n'est-elle pas la traduction poétique la plus vraie, la plus exempte de miévrerie du Jardin de Marthe?

Remarquons, sans arrêter l'attention du lecteur plus qu'il ne convient, que Schumann, à l'exemple de Spohr, a écrit le rôle de Faust pour voix de baryton. En adoptant ce timbre vocal, les deux compositeurs ont voulu, sans nul doute, donner au rôle de Faust un caractère plus viril. Mozart avait eu la même pensée en créant le rôle de Don Juan.

Plein d'admiration pour le talent de Schubert, le maître de Zwickau n'a-t-il pas été attiré spécialement, comme son émule, vers cette scène du premier Faust: Marguerite devant l'image de la Mère des Sept douleurs? Ce qu'il y a de certain c'est que les deux compositeurs ont trouvé, pour exprimer la douleur de cette suppliante, des accents pleins d'onction qui deviennent plus expressifs et pathétiques, à mesure que la coupable exhale plus vivement sa plainte et se prosterne aux pieds de la Vierge, en la conjurant de la sauver. Schumann n'a point donné un caractère religieux à la prière de Marguerite; c'est le gémissement de la pécheresse succombant sous le poids du remords, qui, après avoir offert à la Mère des Sept douleurs des fleurs qu'elle arrose de ses larmes et s'être agenouillée devant son image, espère trouver en elle un soulagement à ses maux. La mélodie, accompagnée dès le début par les altos, le hautbois et la clarinette, est d'une douloureuse tristesse; elle commence dans un mouvement lent, pour s'accentuer et prendre son libre essor sur les mots:

«Partout où je me traîne
Partout me suit ma peine.

L'accompagnement et le chant se précipitent avec une charmante progression: quelle page étonnante de couleur! Au changement de mouvement de quatre temps en six-quatre, le chant s'épanouit doucement jusqu'à ce cri de désespoir: «Ah, sauve-moi, protège-moi». Puis, lentement et pianissimo s'achève la conclusion poignante sur cette phrase soutenue par les trémolos de l'orchestre, dans laquelle Marguerite affaissée murmure un dernier appel à la Vierge,

musique ecrite

Voici maintenant Marguerite à l'église où l'on célèbre le service des morts; elle est couverte d'un long voile. Derrière elle se tient le Mauvais Esprit qui l'empêchera de prier et de trouver la consolation qu'elle pouvait espérer dans l'unique refuge qui lui restait.

«Le Mauvais Esprit. Te souviens-tu, Marguerite, de ce temps où tu venais ici te prosterner devant l'autel? Tu étais alors pleine d'innocence, tu balbutiais timidement les psaumes, et Dieu régnait dans ton cœur. Marguerite, qu'as-tu fait? Que de crimes tu as commis! Viens-tu prier pour l'âme de ta mère, dont la mort pèse sur ta tête? Sur le seuil de ta porte, vois-tu quel est ce sang? C'est celui de ton frère; et ne sens-tu pas s'agiter dans ton sein une créature infortunée qui te présage de nouvelles douleurs?

«Marguerite. Malheur! malheur! Comment échapper aux pensées qui naissent dans mon âme et se soulèvent contre moi!

«Le chœur: Dies irae, dies illa
Solvet sæclum in favilla.

«Le Mauvais Esprit. Le courroux céleste te menace, Marguerite; les trompettes de la résurrection retentissent: les tombeaux s'ébranlent et ton cœur va se réveiller pour sentir les flammes éternelles.

«Marguerite. Ah! si je pouvais m'éloigner d'ici! les sons de cet orgue m'empêchent de respirer et les chants des prêtres font pénétrer dans mon âme une émotion qui la déchire.

«Le chœur: Judex ergo cum sedebit
Quidquid latet apparebit
Nil inultum remanebit.

«Marguerite. On dirait que ces murs se rapprochent pour m'étouffer; la voûte du temple m'oppresse: de l'air! de l'air!

«Le Mauvais Esprit. Cache-toi; le crime et la honte te poursuivent. Tu demandes de l'air et de la lumière, misérable! qu'en espères-tu?

«Le chœur: Quid sum miser tunc dicturus?
Quem patronum rogaturus,
Cum vix justus sit securus?

«Le Mauvais Esprit. Les saints détournent leur visage de ta présence; ils rougiraient de tendre leurs mains vers toi.

«Le chœur: Quid sum miser tunc dicturus?
   «Marguerite crie au secours et s'évanouit.»

Quelle scène! Et comme le compositeur a su rendre les angoisses de cette malheureuse qui ne peut s'isoler dans la prière, accablée par les menaces de l'Esprit du mal et succombant sous le poids des accords du plus foudroyant des Dies iræ. Schumann n'a pas craint de donner un assez long développement à cette scène de l'église. Les imprécations de Satan, accompagnées par les accords vigoureux et les trémolos de l'orchestre, les phrases entrecoupées de Marguerite voulant échapper à ses terreurs et implorant la grâce divine, les terribles sonorités du Dies iræ, tout cet ensemble constitue une page des plus dramatiques, qui est l'interprétation, dans sa plénitude, de la pensée de Goethe.

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DEUXIÈME PARTIE


Nº 4. Lever du soleil.—Nº 5. Minuit.—Nº 6. Mort de Faust.


Contraste frappant entre le drame précédent et la scène, toute d'apaisement, par laquelle s'ouvre la deuxième partie! Faust, étendu sur le gazon émaillé de fleurs, dans la contrée la plus charmante, sous l'influence de la fatigue, de l'inquiétude, cherche le sommeil. Les ombres de la nuit envahissent insensiblement le paysage et les sylphes voltigent ça et là, légers, empressés autour du Docteur. Les accords voilés de la harpe se font entendre et les murmures de l'orchestre évoquent l'écho du monde surnaturel, le balancement de ces esprits invisibles flottant au milieu de la nuit étoilée; les phrases les plus caressantes célèbrent les splendeurs de la nature que Schumann, suivant l'exemple de Goethe, a chantées avec enthousiasme. Comme l'air circule et quel décor magique! On subit l'enchantement de cette scène ravissante, ouvrant la plus merveilleuse des perspectives sur la féerie. Et, lorsqu'après une délicate rentrée de l'orchestre, la voix d'Ariel se fait entendre, engageant les Elfes légers à bercer l'âme souffrante de Faust, l'enchantement est complet; l'âme ressent une impression de repos, de paix. Le chant d'Ariel est affectueux, soutenu par ces accompagnements bien particuliers au génie de Schumann. Notons surtout la jolie phrase mélodique:

musique ecrite

Pianissimo et dans un mouvement un peu plus animé les Elfes célèbrent les douceurs, les splendeurs de la nuit, l'heure du mystère, la blanche étoile brillant au firmament, la voûte céleste resplendissant sous le scintillement des diamants qui l'illuminent. Leur chant s'accentue et devient presque triomphal lorsqu'au changement de mesure (6/8), ils rappellent que:

«Les vallées sont plus vertes
Sous la fraîcheur de la nuit.»

C'est un véritable hymne à la nature en repos. La phrase musicale s'étage par progressions successives sur les vers:

«Les moissons dans les vallées
Cèdent au baiser du vent.»

Mais le jour va paraître et toute la théorie légère s'écrie: «Ah!... voyez..... C'est le jour nouveau». Les trompettes sonnent. Quelle aube éblouissante! Quel cri strident est celui d'Ariel annonçant le réveil de la nature! L'orchestre, avec ses trémolos, introduits avec une certaine discrétion dans les œuvres de Schumann, et l'appel des trompettes, s'épanouit avec une ampleur magistrale. Puis, dans une phrase courte, qui a toute la grâce d'un lied printanier, Ariel engage les Sylphes à se glisser doucement dans la fleur à peine éclose, couverte de rosée et à fuir la lumière du jour bruyant.

C'est toujours à la nature que revient sans cesse le panthéiste Goethe; son âme est en communion constante avec elle. En véritable fils de Rousseau[34], le culte qu'il professe est celui de la création, l'amour poussé jusqu'au fanatisme des grandes puissances primordiales. Il personnifie bien à lui seul l'esprit d'outre-Rhin, que le poète Henri Heine dépeignait ainsi: «Le panthéisme est la religion occulte de l'Allemagne».

Après avoir calmé l'âme inquiète de Faust, il le met, à son réveil, en présence de toutes les beautés de l'aube étalant ses divines colorations à l'horizon. Le soleil commence à éclairer la cime des montagnes. «Salut, nouveau matin!» s'écrie Faust. Et l'orchestre de Schumann, dans lequel les altos et les violoncelles jouent les rôles principaux, suit la pensée du poète et la souligne. Sur les mots: «Ô splendeurs!» les trémolos, mêles aux appels des instruments à vent, et avec une progression dans les basses, soutiennent la voix de Faust annonçant le lever du soleil, et en célébrant les beautés dans un véritable cantique d'action de grâces. Mais les rayons trop vifs l'aveuglent; il en détourne les yeux éblouis. Repris de ses angoisses, de ses désespérances, il se demande si cette lumière est l'amour ou la haine. Schumann a su revêtir d'un profond sentiment de tristesse la pensée du poète, et, sur cette phrase: «Telle est la vie brillante ou désolée», il amène une suspension que prolonge de longs accords indiqués pianissimo pour terminer par un appel brillant au soleil de flamme.

Voilà Minuit (Mitternacht)! Quatre vieilles femmes vêtues de gris s'avancent vers le Palais, où Faust, chargé d'années et de gloire, ne rêve plus maintenant qu'aux grands problèmes économiques. Les quatre fantômes sont la Détresse, la Dette, le Souci, la Nécessité. La nuit est noire; les nuages filent à l'horizon et les étoiles disparaissent. Schumann a donné à cette scène un caractère des plus lugubres. Sur un dessin d'orchestre à 6/8, dans la forme du scherzo qu'affectionna Mendelssohn et, où apparaissent des tenues d'instruments à vent auxquelles répondent en triolets staccati les archets, les voix des quatre spectres se font successivement entendre; c'est une sorte de glas funèbre qui fait pressentir la mort prochaine de Faust:

musique ecrite

Le souci, seul, peut pénétrer dans la demeure du riche et se glisse par le trou de la serrure.

Quels sont ces spectres maudits, s'écrie Faust dans l'intérieur de son palais? Quelles sont ces funèbres visions? Il déplore, trop tard hélas, de s'être livré à la magie; il se croit seul..... La porte grince et personne n'entre. Il tremble, le savant docteur..... «Qui donc est là?».... «La question provoque le oui» répond le Souci. Robert Schumann a suivi, encore ici, presque pas à pas le texte de Goethe et a su lui donner musicalement la couleur juste. Sur les mots: Qui donc est là? Quelqu'un vient-il d'entrer? Qui donc est là?», de longues tenues d'accord s'éteignent pianissimo. On sent l'effroi dont est pénétré Faust. Après la phrase du Souci, pleine d'un sentiment de tristesse, éclate cette fière et triomphante réponse de Faust:

musique ecrite

«Schumann», écrivait Léonce Mesnard, «fait percevoir, dans ce passage, avec la gravité et l'élévation qu'on pouvait souhaiter, cet état d'un noble esprit parvenu à l'achèvement de sa maturité morale, en rompant avec toute illusion et en prenant pleine possession de soi-même.»

Mais le Souci poursuit sa complainte, à laquelle viennent se joindre quelques notes de hautbois.—«Assez, s'écrie Faust; ta fâcheuse litanie troublerait la raison..... Sois maudit, Spectre qui torture à loisir l'espèce humaine..... Je brave ton pouvoir».—Hélas! il l'éprouve sur l'heure la puissance du Souci qui, en se retirant, l'aveugle en soufflant sur lui. À noter la légèreté du trait final de l'orchestre de Schumann, suite de triolets vifs, légers, sorte de murmure rendant l'impression du souffle rapide qui enlève la vue à Faust.

«L'infirmité qui vient d'atteindre Faust, a dit excellement Blaze de Bury, loin d'étouffer son activité, l'aiguillonne et la provoque. La lumière qui rayonnait au-dehors va se concentrer désormais tout entière au-dedans de lui-même. Aveugle, il poursuivra ses projets créateurs avec plus d'instance, de force, de résultat, et son application ne courra plus la chance de se laisser distraire par le spectacle varié des phénomènes extérieurs. Dans l'obscurité des yeux, l'âme y verra plus clair.»

Cette pensée, qui est de la plus grande justesse rappelle le beau vers de Victor Hugo:

«Quand l'œil du corps s'éteint, l'œil de l'esprit s'allume.»

Lorsque l'on a étudié de près les êtres privés de la lumière dès leur enfance, on les voit s'appliquer bien davantage que les jeunes voyants à leurs travaux: c'est que, séparés pour ainsi dire de l'extérieur, ils ne sont nullement détournés de leurs occupations; le travail devient même pour eux la plus charmante des récréations.

Et Blaze de Bury continue: «Ici apparaît l'idée toute chrétienne de la vie nouvelle (vita nuova). Faust, après avoir passé par tous les degrés de bonheur terrestre, reconnaît dans sa vieillesse, comme Salomon, que tout est vanité. Les souffrances, les peines (les quatre femmes) sont des acheminements vers une existence supérieure; le Souci (par son salut éternel) le rend aveugle, afin que, mort à la terre, il tende à de plus hautes destinées et se tourne vers l'Éternel dont il pressent l'approche, grâce à cette force intuitive qui le pénètre et sert d'intermédiaire à son apothéose finale.»

Dans la partition de Schumann des accompagnements syncopés donnent l'idée de la recherche au milieu de l'obscurité et c'est lentement, solennellement que Faust est pris d'une angoisse momentanée, d'un désespoir profond, mais pour réagir presque aussitôt. Le mouvement s'accentue; il s'enthousiasme de radieuses visions. La phrase musicale devient un cri de triomphe; les trompettes se font entendre: «Allons, debout, travail aux mille bras!..... Je veux créer merveille sur merveille..... mon œuvre est belle!» Et l'orchestre achève dans un tutti vigoureux cette merveilleuse péroraison que traverse un souffle de haute envolée.

—La «grande cour du Palais» tel est le titre de la scène, dans laquelle Goethe a mis fin à la vie terrestre de son héros. Schumann en a fait la scène VI de sa partition, la conclusion de sa deuxième partie, sous la dénomination de «Mort de Faust».

Devant le grand vestibule du palais, Méphistophélès appelle à lui les Lemures, spectres familiers, sorte de revenants auxquels l'antiquité donnait l'apparence de squelettes et qui, au moyen âge, formaient les Esprits de l'air. Avec quelques appels de trompettes et de trombones, soutenus par des triolets d'un mouvement rapide, Schumann évoque ces fantômes, et il a voulu que les parties d'alto et de ténor fussent chantées par des voix d'enfants, afin que le contraste fût plus frappant et la sonorité des timbres plus étrange. Le chœur des Lemures, creusant avec des gestes bizarres, sur l'ordre de Méphistophélès, la fosse destinée à contenir la dépouille mortelle de Faust, est une sorte de complainte, empreinte de tristesse, soutenue à l'orchestre par un accompagnement imitatif. L'apparition de Faust, sur les degrés de son palais, cherchant à se guider entre les piliers de la porte, est d'un effet saisissant; le compositeur, en employant la sonorité mystérieuse et un peu féerique des cors, a donné à cette page une impression de grandeur qui ne fait que s'accroître jusqu'au moment où Faust tombera entre les bras des spectres qui le coucheront sur le sol. Bercé par les illusions, malgré l'ironie implacable de Méphistophélès, il entend avec transport le cliquetis des bêches. C'est la multitude qui travaille pour lui; son œuvre doit grandir en paix..... Il appelle à lui Méphistophélès, son serviteur, qui rit à part de ses chimères: «Je veux fonder un brillant empire, dessécher les marais pestilentiels, ouvrir les espaces à des myriades pour qu'on y vienne habiter, non dans la sécurité sans doute, mais dans la libre activité de l'existence. Des campagnes vertes, fécondes!..... Celui-là seul est digne de la liberté comme de la vie qui sait chaque jour se la conquérir. De la sorte, au milieu des dangers qui l'environnent, ici l'enfant, l'homme, le vieillard passent vaillamment leurs années. Que ne puis-je voir une activité semblable exister sur un sol libre, au sein d'un peuple libre! Alors je dirais au moment: Attarde-toi, tu es si beau! La trace de mes jours terrestres ne peut s'engloutir dans l'Œone.—Dans le pressentiment d'une telle félicité sublime, je goûte maintenant l'heure ineffable![35]»

Et, sur ces mots, il tombe de toute sa hauteur sur le bord de la fosse qui va l'engloutir.

La scène est grandiose.

Cet enthousiasme de Faust, avant sa mort, et ce réveil d'activité ne se retrouvent-ils pas dans Goethe lui-même, au déclin de sa vie, reconstituant la bibliothèque d'Iéna, abattant les murailles, s'emparant de terrains nouveaux, embellissant les environs de la ville, comblant les fossés, élevant un observatoire, participant à la construction du palais de Weimar, créant la célèbre école de dessin, qui servit de modèle à celles d'Iéna et d'Eisenach, donnant, en un mot, une vive impulsion à l'activité de tous?

Ce rayonnement de Faust au moment de sa mort, cette exaltation mystique n'est-ce pas également une sorte de sécurité puisée dans l'espoir de l'au-delà, ou encore une volupté du martyre qui se lit dans la figure de Jésus lié à la colonne, dû au pinceau de Sodoma et figurant au musée de Sienne?

Consommatum est! L'aiguille a marqué minuit. L'horloge s'arrête..... Tout est fini. L'âme de Faust s'est envolée!

Schumann prolonge par de longs et doux accords les quelques mesures du chœur si empreintes d'un sentiment funèbre.

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TROISIÈME PARTIE.

Voici la clef de voûte de l'édifice! Dans l'interprétation de cette dernière partie du Faust de Goethe, toute de mysticisme, qui vous conduit de rêve en rêve, de ciel en ciel, Schumann se révèle un interprète merveilleux. Disciple enthousiaste de Jean Paul, qui lui avait inculqué, à l'aurore de la vie, sa sensibilité outrée, son lyrisme échevelé, ses pensées flottantes et que «le son musical charmait et touchait indépendamment de tout dessin rythmique ou mélodique»[36], le maître de Zwickau, en suivant le vol hardi de Goethe vers l'empyrée, se complaisait dans une sorte de contemplation théologique, dans cette mysticité qui l'avait séduit, dans ce milieu intellectuel, supra-terrestre où il avait presque toujours vécu. Il possédait cette volupté de songe qui enlève les initiés au monde extérieur pour les mettre en quelque sorte en communication avec les esprits invisibles[37]. Aussi devait-il se passionner pour cette seconde partie du Faust, ne songer d'abord qu'à elle, en faire l'œuvre de toute sa vie et lui donner la place prépondérante[38]. Disons enfin et une fois de plus que, si Robert Schumann nous a donné, au point de vue musical, une si fidèle et poétique traduction de l'œuvre de Goethe, c'est qu'aussi bien que le poète de Francfort, il a été un des représentants les plus autorisés de la grande famille allemande et que tous les deux se retrouvent dans un trait commun: l'amour de la nature et le culte de la poésie mêlée à celui de la philosophie.

Comme Goethe, Schumann a donc entrevu Faust au delà du tombeau. La scène se passe dans les régions idéales et éthérées, où les anges, flottant dans une atmosphère supérieure, transporteront la partie immortelle de Faust, qui sera accueillie par la pécheresse nommée autrefois Gretchen. C'est une ascension vers le Féminin Éternel, qui nous attire au ciel[39].

Le début est admirable. Au milieu des montagnes, des rochers, des forêts, dans une profonde solitude vivent de pieux anachorètes dispersés dans les crevasses des rochers. Toute cette nature sauvage s'animera à leur voix. «On prêtera l'oreille aux grandes voix de la solitude, recueillies par Robert Schumann dans le prélude instrumental qui est suivi du chœur de saints anachorètes, à ces voix dont les rumeurs indéterminées se mêleront à ce chœur lui-même, sous la forme de sourds battements d'orchestre. Tout l'effet de ce court et austère prologue consiste en une succession de notes tour à tour portées l'une vers l'autre, soit en franchissant les larges intervalles de la sixte et de l'octave, soit pour se toucher à travers un faible intervalle de seconde. En l'absence de tout lien mélodique, elles ont l'air d'être suspendues et de ne reposer sur rien. Le mouvement alternatif de contraction et de dilatation qui règle leur marche est tout-à-fait comparable au mouvement incertain du regard lorsque, porté au loin ou ramené au plus près parmi de vastes espaces muets, il ne trouve pas un endroit qui l'attire ou l'engage à se fixer[40]

Ce merveilleux chœur «Le vent dans la forêt», d'une si majestueuse douceur, d'un contour si gracieux, accompagné par des batteries en triolets doit être exécuté lentement, comme l'indique du reste la partition. La nature n'est-elle pas présente dans ce splendide décor musical? Quelle atmosphère de mysticité dans ce tableau de saints anachorètes chantant, dans la solitude, les douceurs d'une vie patriarcale et honorant le mystère sacré de leur retraite.

Le chant passionné du «Pater extaticus», qui se relie au chœur précédent, est délicieusement accompagné par le violoncelle solo, dont les traits en croches liées enlacent pour ainsi dire la mélodie divine, qui fait songer aux plus beaux Lieder du maître. C'est une page d'une brûlante extase, dans laquelle il faut signaler la progression ascendante, principalement dans la phrase en majeur, se répétant par deux fois:

musique ecrite

musique ecrite

Quel cantique rempli de plus d'enthousiasme que celui du «Pater profondus» (Région profonde), qui aspire à saisir la grandeur de celui, dont la présence se révèle partout. Quel charme dans ce chant «Le sol frémit» et quel joli soupir du hautbois repris immédiatement par la voix: «Mon âme obscure en sa détresse»!

Existe-t-il un chant plus vaporeux, dans sa brièveté, que celui du «Pater seraphicus» se liant au chœur des enfants bienheureux: «Père, dis-nous où nous sommes?» Et nous voici en plein ciel! Léonce Mesnard, auquel il faut souvent revenir lorsque l'on étudie les œuvres de Robert Schumann ou de Johannès Brahms, a très justement écrit au sujet de cette succession des enfants bienheureux, des anges novices et des anges accomplis qui représentent, tous les degrés de la nature céleste: «Vienne le moment où, sur les traces de l'auteur de Faust, Schumann fera monter ces petits, ces humbles, de la bouche desquels Dieu reçoit ses meilleures louanges, tout près du Créateur des mondes, ou bien les associera à l'adoration de l'Éternel féminin,—avec quelle fraîcheur d'accents la pureté préservée de l'enfance se distinguera de la pureté reconquise des âmes tendrement repentantes dans le Chœur mystique. Et comme, parmi ces ravissements célestes, se glisse un reflet idéal de cette aimable timidité de l'enfant, si avide de pardon que, le recevant, il n'ose y croire[41].» La première partie du chœur des enfants bienheureux a toute la grâce naïve d'un Noël, que relève un sentiment bien romantique.

Le chœur des anges, planant dans les plus hautes sphères et portant la partie immortelle de Faust, est, lui, un merveilleux hosanna, célébrant la délivrance du héros et sa bienvenue dans l'empyrée. Puis survient ce délicieux épisode, d'une fraîcheur printanière «De ces roses effeuillées», chanté par le soprano solo et repris par le chœur. C'est une page digne d'être comparée aux plus beaux Lieder, émanant de la plume de Robert Schumann. Remarquez quelle légèreté donne au thème principal, à la divine mélodie, l'accompagnement à contre-temps, et comme ce thème, coupé par le tutti, se représente toujours avec grâce!

L'épisode des «Rases effeuillées[42]» ne reporte-t-il pas le souvenir à la pléiade des peintres de l'école mystique, dont Fra Angelico fut le chef, surtout à Sandro Botticelli[43], ce disciple de Savonarole,—à ses œuvres toutes empreintes d'une poésie mélancolique qui «chante au fond de l'âme et longtemps y résonne en doux et mélodieux accords». Sans parler de cette œuvre de grâce, de cette fleur de rêve, l'Allégorie du Printemps, une des pages parmi les plus belles et les plus suggestives du maître, à l'Académie des beaux-arts de Florence, voyez au musée du Louvre, dans la salle réservée aux primitifs de l'Italie, l'adorable vierge entourée de l'enfant Jésus et de saint Jean. Comme la mysticité se révèle dans les doux et naïfs regards des deux enfants, dans les lignes si pures du visage! C'est dans un nimbe d'or et de roses que s'estompe l'angélique figure de la Vierge, avec les yeux baissés, presque clos, ses beaux cheveux blonds à peine dissimulés sous une gaze blanche, d'une transparence aérienne. En plaçant cette scène divine dans un jardin fleuri de roses qui font cortège à la «Mater gloriosa», Botticelli a encore ajouté une note plus troublante à cette œuvre, la genèse même de l'art toscan.

Et ces enfants bienheureux ne font-ils pas songer à ce bel enfant du tableau de Ghirlandajo, également au musée du Louvre[44]? Quelle intensité d'expression dans la tête de cet adolescent aux boucles blondes tombant sur les épaules et coiffée d'une petite toque rouge! Élevant son regard vers le saint personnage, dont la figure souriante et pleine d'affection semble l'encourager, ne semble-t-il pas prononcer les mots mis par Goethe dans la bouche des enfants bienheureux: «Dis, père, où sommes-nous»?

Ainsi que la poésie de Goethe, la musique de Robert Schumann s'élève d'ascension en ascension. Véritable inspiration du génie est ce chœur des anges novices (Die jüngern Engel); le mélange du rythme ternaire dans la partie de chant et du rythme binaire à l'orchestre laisse une impression étrange d'impalpable, de voilé comme la vapeur du nuage enveloppant la troupe agile des enfants bienheureux, qui s'envole dans le liquide azur de l'air. Et sur ce chœur se greffe une courte phrase pleine d'amour divin.

Quelle douceur et quelle grâce attendrie dans le chœur des anges accueillant l'âme de Faust, rappelant dans la conclusion «Qu'il soit le bienvenu» la contexture du ravissant motif «De ces roses effeuillées»!

L'Hosanna qui le suit est, au contraire, un éclatant et majestueux chant de victoire, possédant la carrure des pages magistrales de Bach ou de Hændel. Le ciel s'est entrouvert; les légions célestes exultent.

De toute beauté est l'invocation du Dr Marianus «Ô ciel immense», suivie d'un cantique d'une pureté absolument idéale, adressée à la Vierge:

«Toi qui règnes par l'amour
Ô maîtresse du monde.»

Le dessin des harpes et les jolies notes du hautbois qui tantôt répond à la voix, tantôt l'accompagne discrètement, sont de véritables perles, sorties de l'écrin de Schumann. Dans toutes ces pages, le grand musicien a vaincu les difficultés qui pouvaient résulter de l'interprétation du texte et a su éviter la monotonie par les contrastes les plus frappants.

À la voix du Dr Marianus viennent se joindre le chœur des pénitentes, et les voix suppliantes de la grande pécheresse, la femme Samaritaine et Marie Égyptienne. C'est une longue phrase, composée de notes égales en valeur, qui monte et descend et ne prend fin qu'au moment où une pénitente, celle qui fut autrefois Marguerite, se prosterne devant la «Mater gloriosa» planant dans l'atmosphère, pour proclamer le retour de celui qu'elle aima sur la terre. La mélodie est courte; mais elle est pleine de tendresse épanouie et rappelle telles pages gracieuses du Paradis et la Péri. Le chœur la reprend, du reste, immédiatement, mais en valeurs diminuées; puis, dans un mouvement plus vif, la voix de Marguerite se fait entendre, accompagnée par la voix d'alto et les dessins en croches liés et exécutés pianissimo par l'orchestre.

À cette dernière et touchante intervention de Marguerite la Mère des cieux fait entendre cette parole consolatrice:

«Monte toujours plus haut vers la sphère divine
Il te suivra, s'il te devine.»

La musique est aussi sobre que le texte et deux notes, mi et fa naturel, suffisent à Robert Schumann pour établir le contraste voulu entre cette voix glorieuse planant au plus haut de l'empyrée et celles des suppliantes.

Le Dr Marianus adresse une dernière invocation à la Vierge.

Aussitôt commence ce chœur mystique, l'apothéose de l'œuvre! Pages admirables dans le style fugué, à travers lesquelles passe le grand souffle de Bach et de Beethoven[45]. Comme tout s'enchaîne logiquement, merveilleusement! Les voix débutant pianissimo, avec des tenues de trombones, s'étagent successivement et se réunissent, en passant par un crescendo habilement ménagé, dans un embrasement général. Puis, comme dans les œuvres religieuses des deux grands maîtres, précurseurs de Robert Schumann, le quatuor intervient pour jeter sa note douce et idéale. Le chœur reprend bientôt dans une forme plus moderne et dans un mouvement vif pour chanter la gloire de la Femme éternelle, de la reine, de la vierge d'amour

Le Féminin éternel
Nous attire au ciel.»

Puis tout s'éteint graduellement et doucement dans une sorte de symphonie mystérieuse et murmurante.

«L'exécutant d'une symphonie musicale ignore ce que sa main et sa voix produisent sur celui qui l'écoute[46]».

Il en est de même de toute œuvre d'art qui porte en soi une vertu souvent ignorée de son créateur. Goethe, en chantant la gloire divine, pouvait-il prévoir qu'il transmettrait à un illustre traducteur, Robert Schumann, cette céleste étincelle, cette flamme intérieure, nécessaires pour conduire la pauvre âme de Faust de ciel en ciel et pour glorifier l'Éternel Féminin avec ces harmonies qui semblent nous transporter dans la région du rêve, en des Élysées ignorés.

*
* *

Il faudrait citer, dans leur entier, les belles pages qu'un poète, un philosophe de haute envergure, M. E. Schuré, a consacrées, dans le Drame musical, au Faust de Goethe.

Nous en détacherons le fragment suivant, qui sera la conclusion la plus éloquente que nous puissions imaginer de notre étude sur la partition de R. Schumann et sur la réunion nécessaire de la poésie et de la musique impliquée par le second Faust:

«La poésie est revenue, avec Shakespeare, à la mimique vivante et persuasive; avec le Faust de Goethe elle revient aussi à la musique, ou du moins elle y touche. Quoique l'ensemble du poème se maintienne dans la langue du drame parlé, l'appel pressant de la poésie à la musique n'est nulle part plus sensible qu'ici. Comment nous représenter sans musique l'évocation de l'Esprit de la Terre, la matinée de Pâques et tant d'autres scènes? Si la seconde partie de la tragédie se dérobe à la mise en scène, c'est que la musique seule la rendrait possible. Seule, elle pourrait faire sortir de l'abîme l'image rayonnante d'Hélène et faire résonner la lyre et la voix d'Euphorion. Le même fait que nous avons noté à propos de la tragédie d'Eschyle et de Sophocle revient s'imposer à nous: dès que le drame s'élève aux plus hautes sphères, il réclame la musique et demeure incomplet sans elle.

«Si cette vérité nous frappe à chaque instant dans le premier et le second Faust, elle éclate avec force à la conclusion du poème. Après la mort de son héros, Goethe sentait le besoin de nous donner la substance idéale de sa vie en une image grandiose et de nous emporter, pour conclure, aux régions les plus pures de la pensée et du sentiment. C'est pour cela qu'il fait descendre le ciel sur les cimes de la terre et nous représente la transfiguration de Faust parmi les saints et les anachorètes campés dans des gorges montagneuses qui avoisinent l'éternel azur..... Ici nous n'approchons plus seulement de la musique, nous y voguons à pleines voiles. Dans ces rythmes fluides, dans ces extases débordantes, ces ivresses d'amour et de sacrifice, nous sentons déjà les élancements de la mélodie et les effluves de la symphonie...............

«.....Là, dans cette région sublime, où Faust est accueilli par l'âme transfigurée de Marguerite, où les splendeurs mêmes du monde visible s'évanouissent et ne semblent plus que des symboles passagers, là ou l'Éternel Féminin flotte au-dessus des dernières cimes sous la figure rayonnante de la Mater gloriosa et attire les âmes en haut par la force de l'amour,—là aussi règne le souffle tout puissant de la musique.»

Si M. Édouard Schuré avait eu connaissance de la partition de Robert Schumann, au moment où il écrivit son beau Drame musical, nul doute qu'il n'eût fait revivre dans une auréole de gloire le compositeur génial qui avait eu l'audace de se porter le médiateur heureux de cet accord entre les deux grandes muses!

LE REQUIEM ALLEMAND

de

JOHANNÈS BRAHMS


Mars 1891.

Lorsqu'on passe en revue l'œuvre magistral de Johannès Brahms, les symphonies puissantes, les lieder si profondément sentis avec les ingénieux accompagnements du clavier, les beaux sextuors, quintettes, quatuors, trios, marqués d'une griffe si personnelle, la cantate de Rinaldo, merveilleuse traduction de la poésie de Goethe, les chœurs religieux ou profanes, revêtus d'un coloris étrange, sévère, le Requiem allemand, enfin, qui mit le sceau à sa réputation de l'autre côté du Rhin,—quand on étudie l'homme, fuyant le mirage trompeur des applaudissements mondains, presque bourru pour les importuns qui voudraient franchir la porte de son temple, ne vivant que pour l'art, loin du bruit, loin de la foule, poursuivant avec acharnement le but élevé qu'il a toujours eu en perspective,—quand on voit l'artiste qu'il est, actif, laborieux, plein d'admiration et de respect pour les Olympiens qui l'ont précédé dans la carrière, fervent disciple du vieux cantor de l'église Saint-Thomas de Leipzig, maître de son métier comme l'étaient les plus grands maîtres du passé, ne laissant échapper de sa plume que des œuvres mûrement élaborées, puisant ses inspirations aux sources mêmes de la Nature,—quand on admire sa belle tête, si puissamment intelligente,—on ne peut que penser à celui qui fut le Michel-Ange de la Symphonie, à Beethoven et aussi au chantre du Paradis et la Péri, de Faust, à cette splendide organisation qui fut Robert Schumann.

On s'explique alors les paroles prophétiques du maître de Zwickau: «Il est venu cet élu, au berceau duquel les grâces et les héros semblent avoir veillé. Son nom est Johannès Brahms; il vient de Hambourg... Au piano, il nous découvrit de merveilleuses régions, nous faisant pénétrer avec lui dans le monde de l'Idéal. Son jeu empreint de génie changeait le piano en un orchestre de voix douloureuses et triomphantes. C'étaient des sonates où perçait la symphonie, des lieder dont la poésie se révélait... des pièces pour piano, unissant un caractère démoniaque à la forme la plus séduisante, puis des sonates pour piano et violon, des quatuors pour instruments à cordes et chacune de ces créations, si différente l'une de l'autre qu'elles paraissaient s'échapper d'autant de sources différentes...... Quand il inclinera sa baguette magique vers de grandes œuvres, quand l'orchestre et les chœurs lui prêteront leurs puissantes voix, plus d'un secret du monde de l'Idéal nous sera révélé....»

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Avant d'aborder le Requiem allemand, Johannès Brahms avait déjà fait plusieurs essais dans le genre religieux. C'est ainsi qu'il avait composé le petit Ave Maria (op. 12) pour voix de femmes, le Chant des Morts (op. 18) pour chœur et instruments à vent, les Marienlieder (op. 22), le 23e Psaume (op. 27), pour voix de femmes à trois parties avec accompagnement d'orgue, les Motets (op. 29) pour chœur à cinq parties sans accompagnement, le Geistliche Lied de P. Flemming (op. 30) et enfin les Chœurs religieux pour voix de femmes.

Dans toutes ces œuvres, le maître de Hambourg a su allier les formes les plus sévères au charme qui se dégage des ressources de l'harmonie moderne. Il y a imprimé une note très personnelle, très suggestive; il était préparé à ces travaux semi-religieux par les études empreintes de gravité auxquelles il s'était livré avec passion dès la prime jeunesse et qui devaient le conduire au but le plus élevé de l'art musical. Il est utile d'ajouter que la plupart de ces compositions n'ont pas été conçues par l'auteur dans le but d'être exécutées à l'église. Quelques-unes, notamment les Marienlieder, ne sont qu'une traduction aussi fidèle que possible du texte, de ces antiques chansons pieuses, qui font songer aux madones de Memling, de Van Eyck; elles en donnent le sens intime, dégagé de tout caractère liturgique.

«Le Requiem allemand, a très justement dit le regretté Léonce Mesnard, dans sa belle étude sur Johannès Brahms[47] n'est pas franchement sécularisé comme les compositions du même ordre, développées ou fort abrégées, qui portent le nom de Schumann; il n'a pas non plus reçu l'empreinte liturgique que portent, expressément quoique diversement marquée, les chefs-d'œuvre de Mozart, de Berlioz, de Verdi. Tout à fait religieuse par le choix des textes qu'elle adopte pour les traduire, l'œuvre est traitée avec la liberté relative impliquée par le fait même d'un choix qui réunit ces textes, recueillis ça et là dans l'Écriture. Au lieu d'une nouvelle interprétation musicale du sombre office catholique, c'est comme un harmonieux rituel formé d'élévations consolantes et de méditations chrétiennes sur ce triple sujet, la Vie, la Mort, l'Éternité. Les chants qui se transmettent ce thème et ses variantes avec un recueillement grave, mais nullement uniforme, paraîtront, en général, appartenir au genre tempéré, si on les compare à ces alternatives, à ces ripostes du pour ou du contre, soutenues à outrance par Berlioz ou par Verdi».

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Le Requiem de J. Brahms a été composé non sur des paroles latines, mais sur des paroles allemandes, d'où son nom de Requiem allemand.

Ce n'est plus le sombre Dies iræ des offices catholiques qui a inspiré tour à tour les maîtres, qu'ils se nomment Mozart, Cherubini, R. Schumann, Berlioz, F. Kiel, Verdi. Tous, bien que de tendances ou d'écoles absolument opposées, ont serré de près le texte liturgique.

L'œuvre de Brahms est bien différente. Par suite du choix fait par lui, dans les Saintes Écritures, d'épisodes se rapportant à la Vie, la Mort et l'Éternité, il a été forcément amené à faire passer à travers cette composition semi-religieuse un souffle romantique et printanier, évoquant le souvenir de ses plus beaux lieders. À côté de pensées empreintes de tristesse s'épanouissent des hymnes d'espérance, de triomphe. Brahms a tiré le plus heureux parti de ces contrastes.

Nº 1. Chœur.—Dès l'entrée en matière, après une courte introduction de l'orchestre où dominent les altos et violoncelles, sorte de plainte douloureuse, le chœur, dans un mouvement d'andantino, fait espérer doucement à ceux qui souffrent la consolation de Dieu. Pleine de tristesse et en même temps d'espérance est la phrase caressante qui s'arrête par instants, pour donner brièvement la parole aux instruments, notamment au hautbois. Puis se développe plus longuement le second motif en mineur sur les paroles: «Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec allégresse», et dans lequel se retrouvent, avec la phrase de l'introduction orchestrale, ces harmonies préférées par Brahms, remplies d'un sentiment profond. La mélodie, soutenue un moment par les accompagnements en triolets, sorte de pulsation de l'orchestre, s'épanouit adorablement sur les mots: «avec allégresse moissonneront». Après une interruption du chœur, pendant laquelle les violoncelles font entendre à nouveau le motif de l'introduction, les voix s'éteignent mélodieusement et pianissimo: «Bien heureux, bien heureux». Enfin le premier chœur reparaît pour s'achever dans une courte et belle apothéose, avec l'intervention des harpes. Dans cette première partie, il est à remarquer que l'auteur a supprimé totalement les violons pour ne laisser apparaître, comme instruments à cordes, que les violoncelles et altos, et donner ainsi à l'ensemble de la trame musicale un caractère plus grave et plus solennel.

Nº 2. Chœur.—Le petit prélude orchestral en mode de marche à 3/4, et exécuté mezza voce, est d'une sonorité grave et caressante tout à la fois, avec l'emploi presque constant des contrebasses en pédale et l'intervention des timbales. Il rappelle beaucoup telle ou telle page très caractéristique de Brahms, surtout dans les traits en trois croches liées des violons et des altos: c'est pour ainsi dire la signature, le monogramme du maître. Elle se développe gravement cette belle marche, pendant que le chœur, dans un superbe lamento, exprime cette triste et sombre idée: «Car toute chair est comme l'herbe et toute gloire humaine est comme l'humble fleur de l'herbe».

La seconde partie (Lettre C), d'un mouvement plus animé «Soyez patients mes bien aimés» contraste vivement avec la précédente; toutes deux forment une antithèse très marquée de la félicité et de la douleur. C'est un frais lied, dans le style d'un Noël plein de naïveté, comme Brahms en a laissé si souvent et si heureusement échapper de sa plume. Voilà une note, toute particulière, s'éloignant absolument, aussi bien par la forme que par le fond, du caractère liturgique, propre au Requiem, sur les paroles latines. Quel délicieux accompagnement que celui dans lequel l'auteur a su rendre par de légers staccati (flûtes et harpes) l'effet résultant du texte, indiquant que le laboureur doit patienter jusqu'à ce qu'il ait reçu la pluie du matin[48]! Et quelle adorable conclusion sur ces paroles pianissimo du chœur: «Il patiente» avec les quelques notes finales du cor, cet instrument si cher à Brahms.

Après la reprise de la marche et du premier motif choral l'orchestre et les chœurs attaquent une phrase large et grandiose, «Mais la parole reste dans l'éternité» qui se lie de suite au beau chœur final en forme de fugue: «Ils viendront les rachetés», dans lequel les instruments répondent par des accords vigoureusement accentués aux masses chorales. Remarquons le charme, la douceur qui se dégagent, à deux reprises différentes, et après les chants de triomphe, de la traduction musicale des mots «...reposera sur eux»,—et enfin la belle péroraison, où les voix, après un grand éclat, s'éteignent, accompagnées pianissimo par de ravissants traits des cordes, en gammes descendantes et montantes, soutenus par les trombones.

Nº 3.—Baryton solo et chœur.—Le solo que chante le baryton «Dieu enseigne-moi» est d'un style sévère et triste; il donne très exactement l'impression du néant des choses d'ici-bas, des vanités terrestres. Le chœur reprend et accentue l'humble prière. Puis, dans une phrase plus mouvementée, plus énergique, qui est redite immédiatement par le chœur, le solo s'écrie: «Père, devant toi s'anéantissent mes jours». Notons l'effet troublant qui se dégage après le crescendo, et l'arrêt subit de l'ensemble des voix s'éteignant sur les mots «Un rien».

Tout ce qui suit est très dramatique, jusqu'à la courte et adorable phrase en majeur «J'espère en toi seul», dans laquelle les voix entrent successivement pianissimo, avec une phrase liée de neuf noires groupées trois par trois, pour aboutir à cette majestueuse et terrible fugue, où la pédale sur la note résonne et bourdonne sans interruption, pendant que les masses chorales se développent fortissimo, soutenues par les traits en croches largement détachés des instruments à cordes. C'est une page unique en son genre et qui produit un effet des plus saisissants, lorsque l'orchestre et les chœurs forment une armée nombreuse et compacte.

Nº 4.—Chœur.—C'est encore dans le style tendre et gracieux du lied, ne s'éloignant pas toutefois de la gravité qui règne dans l'ensemble de l'œuvre, que Brahms a traduit ces pensées plus consolantes: «Bien douces sont tes demeures, ô Dieu d'Israël». Le charme qui enveloppe l'auditeur est encore augmenté par la richesse de l'orchestration, par cette mélodie touchante des violons (Lettre A) et ces pizzicati des violoncelles, que l'auteur a employés souvent et avec le plus heureux résultat dans le cours du Requiem. La phrase caressante des voix en croches liées deux à deux sur les mots «en te louant à jamais» est une sorte d'association du legato employé pour la mélodie et du staccato réservé à l'accompagnement.

Nº 5.—Soprano, solo et chœur.—Délicieux sont les violons en sourdine, avec les petites phrases que se renvoient le hautbois, la flûte et la clarinette. Sur cette trame gracieuse et légère s'enlève le solo de soprano, reproduisant à peu près la mélodie de l'orchestre: «Vous qu'afflige la douleur espérez...» La voix semble venir de la voûte céleste pour annoncer les consolations futures; et le chœur répond mezza voce: «Je vous consolerai comme une mère». Toutes ces pages sont d'une couleur douce et légère,—une fresque de Bernardino Luini; c'est un murmure délicieux qui s'évanouit peu à peu et idéalement sur les paroles du soprano, soutenu par les masses chorales: «Vers vous je reviendrai... je reviendrai».

Nº 6.—Baryton solo et chœur.—Voici le point culminant de la partition, la clef de voûte de l'édifice. Après une entrée du chœur, pleine de tristesse, sorte de lamentation ou psalmodie qu'accentuent les violons en sourdine, ainsi que les violoncelles et contrebasses en pizzicati «Nous n'avons ici de durable cité», le baryton solo annonce la résurrection dans un style large et solennel; les voix, répondant pianissimo, s'élèvent par des gradations successives jusqu'à cette explosion grandiose: «Les trompettes retentiront». C'est un déchaînement monstrueux des chœurs et de l'orchestre, «où s'agitent et se tordent à l'appel des sons, le tumultueux effarement, la terreur suprême qui condamnent à ne pouvoir se fuir elles-mêmes des âmes éperdues», et où la Vie accuse hautement son triomphe sur la Mort. La fugue qui suit, bien que très mouvementée, pâlit à côté de ce formidable chœur qui porte l'émotion à son comble.

Nº 7.—Chœur.—«Gloire à ceux qui meurent dans le Seigneur» chantent les voix accompagnées par l'orchestre, dont le trait persistant et consistant en une suite de notes liées deux à deux est une des formules préférées de J. Brahms et qui rappellerait le vieux et sublime Maître, qu'il a si profondément étudié, Jean-Sébastien Bach! Puis, ce chœur s'apaise un instant pour murmurer: «Oui, l'Esprit dit qu'ils reposent de leurs souffrances», et, alors, se dessine en majeur cette délicieuse phrase chorale qui met si merveilleusement en relief le dessin des instruments à cordes en douze croches liées par groupes de six. Enfin, comme apothéose finale, retentit pour la dernière fois le beau motif du premier chœur de la partition, soutenu par les sons voilés de la harpe.

L'œuvre s'achève ainsi dans un sentiment d'espérance, de paix et de pardon, qui donne bien la synthèse de la conception du Maître.

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* *

Les trois premiers morceaux du Requiem allemand (op. 45) furent exécutés à Vienne, en 1867, sous la direction de Herbeck.

L'œuvre entière (à l'exception du chœur nº 5—«Vous qu'afflige la douleur») fut jouée, le 10 avril 1868, dans la Cathédrale de Brème. Le retentissement qu'eut cette œuvre magistrale la répandit rapidement en Allemagne et en Suisse, où elle fut exécutée souvent, notamment dans la belle Cathédrale de Bâle.

C'est pendant un séjour à Bonn, au cours de l'été de 1868, que J. Brahms s'occupa du Requiem allemand, qui fut édité chez J. Rieter-Biedermann, à Winterthur (Suisse), puis à Berlin.

En France, la première audition du Requiem allemand, fut donnée aux Concerts populaires, sous la direction de Pasdeloup; mais l'exécution fut si faible, que l'œuvre ne fut pas comprise et passa inaperçue.

En montant le Requiem allemand, et en l'exécutant le 24 mars 1891 à la Chapelle du Palais de Versailles, la Société l'Euterpe, a poursuivi noblement la mission qu'elle s'est imposée. Bien que les chœurs fussent en nombre restreint et que l'orchestre, auquel avait été adjoint le grand orgue pour remplacer les instruments à vent, fut réduit au double quatuor, l'œuvre, qui avait été étudiée consciencieusement de longue date, sous l'intelligente direction de M. Duteil d'Ozanne, est venue en pleine lumière.

LETTRES INÉDITES

de

GEORGES BIZET


LETTRES À PAUL LACOMBE


AVANT-PROPOS

Dans la consciencieuse étude qu'il a faite sur Georges Bizet et son œuvre, M. Charles Pigot a donné nombre d'extraits de lettres de l'auteur de Carmen. La brochure qu'a publiée M. Edmond Galabert et qui a pour titre: Georges Bizet, Souvenirs et Correspondance, a permis également aux admirateurs du jeune maître, enlevé dans la force de l'âge, de connaître ses pensées sur l'art, qui avait pris toute sa vie.

Voici qu'aujourd'hui un heureux hasard a mis entre nos mains vingt-deux lettres échangées entre Georges Bizet et le compositeur Paul Lacombe. C'est une correspondance intime, dans laquelle Bizet, tout en donnant au jeune musicien des conseils qu'il avait sollicités, livre tous ses secrets, se montrant pour ainsi dire à nu: L'amitié, qui s'était établie rapidement entre deux âmes faites pour se comprendre, avait donné naissance à des confidences, à des effusions, qui mettent en pleine lumière les adorations de l'auteur de Carmen pour la divine muse, comme elles laissent entrevoir ses antipathies.

Ce qui se dégage, au point de vue artistique, de la lecture de ces lettres, c'est un éclectisme qui, malgré l'admiration très marquée de G. Bizet pour l'École allemande, ne le porte pas d'une manière irrésistible vers la réforme wagnérienne et lui permet de se laisser séduire par le côté sensuel de la musique italienne.—S'il place Beethoven au sommet de l'échelle musicale, il laisse un peu Wagner à l'écart.—Lorsqu'il en parle, c'est surtout pour dénigrer l'homme.

Ainsi celui, auquel les critiques de la première heure reprochaient étourdiment ses tendances wagnériennes, ne professait pour les œuvres du maître de Bayreuth qu'une admiration restreinte. Toute sa vie, il avait eu à réagir contre cette appellation de «farouche Wagnérien» qui lui avait été décochée, on ne sait trop vraiment pourquoi. Car aucune de ses œuvres n'accuse de tendances wagnériennes.—Qui sait si ce reproche constant qui lui fut adressé, bien à tort dès le principe, de s'être inféodé à la musique de l'avenir, ne l'amena pas, sans qu'il s'en rendit compte lui-même, à éprouver une sorte de répulsion pour le grand compositeur, dont il reconnaissait dans une certaine mesure les facultés géniales, mais qu'il détestait comme homme privé!

Il ne séparait pas assez l'homme de l'artiste.

Georges Bizet avait, au reste, fort peu pénétré dans les arcanes de la musique wagnérienne; il devait même à peine connaître les œuvres de la dernière manière. Lorsqu'il avait assisté à l'interprétation de Rienzi au Théâtre-Lyrique, sous la direction de Pasdeloup, il avait été frappé de la grandeur de certaines parties de cet opéra et, malgré quelques critiques assez vives, il résumait son impression dans ces lignes: «Une œuvre étonnante, vivant prodigieusement; une grandeur, un souffle olympien![49]» Qu'aurait pensé plus tard l'auteur de Carmen, s'il lui avait été permis d'assister à l'éclosion de ces chefs-d'œuvre: l'Anneau du Nibelung, Parsifal, etc., dans le temple élevé à Bayreuth? Mais ce ne fut qu'en l'année 1876 que fut terminée la construction du théâtre de Wagner et qu'eut lieu, dans cette même année, la représentation de l'Anneau du Nibelung. Or Georges Bizet avait été enlevé prématurément l'année précédente, le 3 juin 1875!

Admirateur des premières œuvres de Verdi, où se reflètent les qualités comme les défauts du maître italien, il l'abandonne lorsqu'il cherche, à partir de Don Carlos, non pas positivement à se rapprocher de l'École wagnérienne, comme le dit Bizet, mais à modifier sa manière, en opérant ce mouvement en avant, qui est le fait des grands et véritables artistes. Et cette transformation s'accentua dans Aïda et Otello.

Après la première représentation de Don Carlos, il écrit à son ami: «Verdi n'est plus italien; il veut faire du Wagner.... il a abandonné la sauce et n'a pas levé le lièvre.—Cela n'a ni queue ni tête... Il veut faire du style et ne fait que de la prétention, etc...» C'est une opinion toute contraire à celle qu'émit E. Reyer, dans son article du 26 avril 1876, lorsqu'il rendit compte de l'exécution d'Aïda au Théâtre-Italien. Il s'exprimait ainsi: «N'est-ce pas un fait fort intéressant que cette transformation s'opérant tout à coup dans le style, dans la manière d'un compositeur qui, ayant atteint aux dernières limites de la popularité, pouvait se croire arrivé à l'apogée de la gloire? Je n'irai pas jusqu'à dire que M. Verdi ait été touché de la grâce... Mais les tendances qu'il avait manifestées dans Don Carlos et qu'il a montrées dans Aïda d'une façon beaucoup plus évidente, n'en constituent pas moins un hommage rendu au mouvement musical contemporain et un effort sérieux vers un progrès, vers un idéal entrevu.»

Nous partageons entièrement l'avis de l'illustre auteur de Sigurd et nous estimons qu'en renonçant aux concessions faites au goût d'un public ignorant et introduites par lui dans ses premiers opéras, Verdi n'a pas abdiqué sa personnalité et que ses dernières œuvres, y compris Otello, n'ont rien à voir avec les drames lyriques de Richard Wagner.

Georges Bizet n'a-t-il pas agi de même, lorsqu'il abandonna, après les Pêcheurs de Perles et la Jolie fille de Perth, les sentiers battus pour entrer dans une voie nouvelle? Fallait-il l'accuser pour cela, comme l'ont fait légèrement les critiques de la première heure, d'appartenir à l'École wagnérienne?

C'est lui-même qui nous édifiera sur ce point dans une lettre qu'il adressait à certain critique d'art, après l'exécution de la Jolie fille de Perth:

«Non, monsieur, pas plus que vous, je ne crois aux faux dieux et je vous le prouverai. J'ai fait cette fois encore des concessions que je regrette, je l'avoue. J'aurais bien des choses à dire pour ma défense.... devinez-les! L'école des flonflons, des roulades, du mensonge, est morte, bien morte! Enterrons-la sans larmes, sans regret, sans émotion et... en avant

Son amour pour le côté sensuel de la musique italienne, dont il nous fait la confidence, s'atténuera donc, dans une certaine mesure, lorsqu'il abordera des œuvres plus sérieuses, et marquant un pas en avant. Avec sa nature si pétrie d'intelligence et si bien douée au point de vue artistique, il comprendra que les vieux moules se sont brisés et il sera un des premiers à entrevoir la vive lumière qui se lève à l'horizon. Il aura frayé la route à ses contemporains, en s'élançant audacieusement à la recherche de la vérité dans l'art dramatique, sans pour cela s'être mis à la remorque de personne, surtout de Richard Wagner.

Carmen et l'Arlésienne sont là pour le prouver.

Il pourra certes chercher encore «à s'égarer dans les mauvais lieux artistiques»; mais il n'en rapportera pas de déplorables habitudes.

L'École des roulades, des flonflons aura bien disparu!

—La majeure partie des lettres que nous publions n'était pas datée. Il a été facile de préciser quelques dates, en prenant pour base les faits, les exécutions de certaines œuvres indiqués dans la correspondance. C'est ainsi que dans la première de ces lettres il accuse 28 ans; il est donc hors de doute qu'elle fut écrite en 1866, puisque Georges Bizet est né en 1838[50]. Il y avait peut-être un écueil à publier, dans leur entier, ces souvenirs épistolaires, dans lesquels, à travers maintes anecdotes et appréciations sur l'art et sur ses plus illustres interprètes, l'auteur donne des détails un peu techniques, ayant trait presqu'exclusivement aux œuvres d'un compositeur. Mais, après réflexion, nous avons pensé qu'il serait intéressant de connaître de quelle manière Georges Bizet professait, et quelles tendances il cherchait à inculquer à ses élèves;—c'est même là un point spécial qu'éclaire d'un jour tout nouveau cette correspondance intime.

Dans la spiritualité de cette physionomie sympathique, douce et énergique tout à la fois, que nous avons connue, dans la franchise et l'acuité de ces yeux s'abritant derrière le lorgnon, dans le front puissant recouvert en partie par une luxuriante chevelure, dans l'ovale un peu court de la figure encadrée d'une barbe d'un blond ardent et mouvementée, ne retrouvons-nous pas cette nature primesautière, nerveuse, chaleureuse, pleine d'élan et d'audace qui se livre si entièrement dans les lettres qu'on va lire?

Hugues Imbert.


Première Lettre.


1866.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre et votre envoi—

Et d'abord, monsieur, à qui dois-je le plaisir d'entrer en relation avec vous?.....

J'ai 28 ans.—Mon bagage musical est assez mince. Un opéra très discuté, attaqué, défendu..... en somme une chute honorable, brillante, si vous permettez cette expression, mais enfin une chute. Quelques mélodies... sept ou huit morceaux de piano... des fragments symphoniques exécutés à Paris... et c'est tout. Dans quelques mois, un grand ouvrage..., mais ceci est la peau de l'ours... n'en parlons pas.—Les artistes et le monde parisien me connaissent..... au total 4 ou 5,000 personnes que nous nommons ici: Tout Paris!... Mais je suis parfaitement ignoré en province... Mes Pêcheurs de perles vous seraient-ils tombés sous la main et y auriez-vous puisé la confiance dont vous m'honorez? Ce serait bien flatteur pour moi..., mais j'en doute. Dites-moi donc le nom de notre intermédiaire, afin que je puisse le remercier chaleureusement.

J'accepte en principe votre proposition.—Mais, avant de commencer, il faut que je sache ce que vous voulez faire. Si j'en crois les remarquables échantillons que vous m'adressez, vous désirez pousser jusqu'au bout l'étude de votre art.—En vérité, vous le pouvez.—Vous avez du style, vous écrivez à merveille.—Vous savez vos maîtres, notamment Mendelssohn, Schumann, Chopin, que vous semblez chérir d'une tendresse peut-être un peu exclusive..., mais ce n'est certes pas moi qui aurai le courage de vous reprocher cette préférence... Ou vous avez fait toutes vos études de contre-point et de fugue, ou vous êtes spécialement extraordinairement organisé.

Votre Marche funèbre est excellente. C'est, à mon avis, le meilleur morceau de votre envoi. L'idée y est plus nette, plus clairement exprimée que dans les autres pièces... Dans tout cela, rien de commun, rien de lâché. C'est très intéressant!... J'ai lu et relu vos romances sans paroles avec un vif plaisir. Le chant est moins dans vos habitudes, ce me semble. Résumons-nous; je vous demande une lettre détaillée.

Votre âge,—le temps employé par vous à vos études musicales,—la nature de ces études.—Où en êtes-vous?... Je ne vous demande pas où voulez-vous aller?—Vous me répondriez partout et vous auriez raison.—Avez-vous fait de l'orchestre?... Avez-vous fait du quatuor, de la symphonie, de la scène lyrique, de l'opéra et de l'oratorio?... La composition idéale est difficile à traiter par correspondance.—Il faut se voir, s'entendre, discuter, se connaître pour travailler avec fruit. Mais le contre-point, la fugue, l'instrumentation peuvent se traiter par lettres avec un réel succès. Je l'ai expérimenté.—Vous laissez une marge considérable et, là, je mets en regard de votre texte les observations, les modifications nécessaires... Qu'en pensez-vous? J'attends maintenant votre réponse... Mettez-moi au courant de votre passé artistique, du présent et même de l'avenir que vous vous proposez.

Quant aux conditions, monsieur, je ne sais que vous répondre... Je n'aime pas beaucoup traiter ce chapitre. Si j'avais quelque fortune, je serais heureux de vous consacrer quelques-uns de mes loisirs... Je me considèrerais comme parfaitement payé par les progrès que je pourrais vous aider à faire... Malheureusement je n'ai pas de loisirs!... Des leçons, des travaux énormes pour plusieurs éditeurs, des relations trop étendues... tout cela dévore ma vie. Je suis donc obligé d'accepter non le prix de mes conseils, mais le prix des instants que je vous consacrerai. Je fais payer mes leçons 20 francs.—En moyenne, mon temps vaut pour moi 15 francs l'heure.—Voulez-vous baser notre arrangement sur cette donnée?... D'après la quantité de travail que vous m'enverrez, nous pourrons établir une moyenne générale... Cela vous convient-il ainsi? ou mieux, voulez-vous ne rien décider à cet égard?... et faire ce que vous jugerez convenable?

Je le veux bien, moi!

L'important est que nous n'en parlions plus... Car ces détails me sont particulièrement désagréables.

J'attends donc votre réponse, monsieur; donnez-moi force détails.

Et croyez-moi, je vous prie, monsieur, dès aujourd'hui votre parfaitement dévoué confrère.

Georges Bizet,
32, rue Fontaine-Saint-Georges.


Deuxième Lettre.


11 mars 1867.

Cher Monsieur,

Merci. Votre lettre m'a causé un véritable plaisir. Si quelque chose peut consoler de l'indifférence d'un public blasé et distrait, c'est à coup sûr l'approbation, la sympathie des hommes de goût et d'intelligence qui, comme vous, consacrent le meilleur de leur existence au culte de l'art le plus élevé.—Nous parlons tous deux la même langue, langue étrangère, hélas! à la plupart de ceux qui se croient artistes.—Nos idées sont les mêmes en principe. Seulement, la différence de nos situations amènera quelquefois entre nous de légers dissentiments.—Je suis éclectique.—J'ai vécu trois ans en Italie et je me suis fait non aux honteux procédés musicaux du pays, mais bien au tempérament de quelques-uns de ses compositeurs.—De plus, ma nature sensuelle se laisse empoigner par cette musique facile, paresseuse, amoureuse, lascive et passionnée tout à la fois.—Je suis allemand de conviction, de cœur et d'âme..., mais je m'égare quelquefois dans les mauvais lieux artistiques... Et, je vous l'avoue tout bas, j'y trouve un plaisir infini. En un mot, j'aime la musique italienne comme on aime une courtisane; mais il faut qu'elle soit charmante!... Et, lorsque nous aurons cité les deux tiers de Norma, quatre morceaux des Puritains, et trois de la Somnambule, deux actes de Rigoletto, un acte du Trouvère et presque la moitié de la Traviata, ajoutons Don Pasquale et—nous jetterons le reste où vous voudrez.—Quant à Rossini, il a son Guillaume Tell... son soleil,—le Comte Ory, le Barbier, un acte d'Otello, ses satellites; avec cela il se fera pardonner l'horrible Sémiramis et tous ses autres péchés!... Je tenais à vous faire cette petite confession, afin que mes conseils aient pour vous toute leur signification.—Comme vous, je mets Beethoven au-dessus des plus grands, des plus fameux. La symphonie avec chœurs est pour moi le point culminant de notre art. Dante, Michel-Ange, Shakespeare, Homère, Beethoven, Moïse!..... Ni Mozart, avec sa forme divine, ni Weber, avec sa puissante, sa colossale originalité, ni Meyerbeer avec son foudroyant génie dramatique, ne peuvent, selon moi, disputer la palme au Titan, au Prométhée de la musique. C'est écrasant!... Vous voyez que nous nous entendrons toujours.

Maintenant, j'arrive à vous et à vos deux morceaux:

Trio.—Page 1. Le début est un peu sec; votre ut♯ abandonné par les cordes sera d'un effet disgracieux avec l'ut ♮ au piano. Je vous conseille ceci:

musique ecrite

c'est bien là, ce me semble, ce que vous voulez.

Si vous tentez absolument à séparer l'ut♯ de l'ut ♮ il faudrait écrire ainsi:

musique ecrite

mais, je préfère de beaucoup le premier exemple.

Votre phrase se relève de suite; la chute en la mineur est heureuse. Page 2, deuxième ligne, mesure six.

Le si ♭ du violon sur le si ♮ du piano me peine légèrement... Ce qui suit est excellent; votre

musique ecrite du violon sur le musique ecrite

du piano me plaît infiniment. C'est hardi, neuf et bien pensé. Décidément, vous aimez Schumann. Page 3: votre morceau se relève définitivement. Je regrette beaucoup la mollesse de votre début... La période en triolets est excellente. Tout le développement de la page 4 me va complètement.—Le trait première ligne page 5 très bon,—mes éloges les plus sincères pour toute cette page.—Pages 6 et 7 bravo! La page 8 est encore meilleure. Le point capital de votre morceau est pour moi la page 11 que je trouve très belle.—Votre progression sur la pédale est excellente, c'est ému.—C'est maître cela! Tout le reste va de soi et je n'ai plus d'observations à vous faire jusqu'à la coda qui me semble tourner court. Je joins au paquet un plan de coda qui n'est peut-être pas fameux, mais qui vous donnera la mesure de ce qu'il faut, je crois, ajouter.

Je me résume.—Si votre première idée était, comme inspiration, à la hauteur des développements, votre morceau serait très beau. Tel qu'il est, il est fort remarquable. Je suis désireux de connaître la suite de votre trio.—Soyez difficile; votre premier morceau oblige.

J'ai été parfaitement sincère pour le trio, je le serai pour la rêverie.

Eh! bien, je n'aime pas beaucoup cela!... Vous ne m'en voulez pas, j'espère. Je vous dois la vérité et je vous la dirai toujours et quand même. Je connais de vous des choses qui me rendent très difficile.—En art, pas d'indulgence!

Je n'ai pas de critique de détail à vous faire sur cette pièce. Quand je vous aurai signalé une petite réminiscence du septuor des Troyens, à la dernière page

musique ecrite

je n'aurai plus qu'à vous parler de l'œuvre en général.

C'est mou, terne! L'idée est courte. Ce n'est pas assez exquis en poésie pour le ton rêveur que vous abordez. Il y a sans doute dans tout cela une certaine langueur, un certain charme, mais pas assez.—Évidemment, ce n'est pas mal, mais vous devez, vous pouvez faire mieux.—Croyez-moi. Mon jugement vous paraîtra sévère... Attendez quelque temps. Laissez dormir la chose, et, quand vous la reverrez après l'avoir presque oubliée, vous serez de mon avis. Vous trouverez cela un peu bulle de savon!... J'ai toujours remarqué que les compositions les moins bien venues sont toujours les plus chéries au moment de l'éclosion. Je crains les choses qui sentent l'improvisation.—Voyez Beethoven: prenez les œuvres les plus vagues, les plus éthérées, c'est toujours voulu, toujours tenu. Il rêve et, pourtant, son idée a un corps. On peut la saisir... Un seul homme a su faire de la musique quasi-improvisée, ou du moins paraissant telle, c'est Chopin... C'est une charmante personnalité, étrange, inimitable et qui n'est pas à imiter.—En résumé, avant de condamner l'opinion que je formule sur votre morceau, faites-moi le plaisir de le mettre deux ou trois mois dans vos cartons. Après le repos, examinez et jugez... vous verrez juste.

Je veux vous parler aussi touchant l'avenir que vous vous proposez.—Ne pensez pas au théâtre, soit, vous sentez, vous savez ce que vous devez faire.—Mais vous bannir de la symphonie, vous n'en avez pas le droit. Il faut faire de la symphonie.—Vous la ferez bien, je vous en réponds. Soyez ambitieux et je le serai pour vous.—Je reviendrai à la charge, je vous en préviens.

Je laisse ma lettre ouverte. Je vais dîner et me rendre à Don Carlos[51]... Je vous enverrai des nouvelles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux heures du matin.

Deux mots seulement. Je suis abruti, éreinté. Verdi n'est plus italien; il veut faire du Wagner... il a abandonné la sauce et n'a pas levé le lièvre. Cela n'a ni queue ni tête... Il n'a plus ses défauts, mais aussi plus une seule de ses qualités... Il veut faire du style et ne fait que de la prétention... C'est assommant... four complet, absolu. L'exposition prolongera peut-être l'agonie; mais c'est une bataille perdue. Le public surtout est furieux. Les artistes lui pardonneront peut-être une tentative malheureuse qui prouve, après tout, en faveur de son goût et de sa loyauté artistique. Mais le bon public était venu pour s'amuser... et je crois qu'on ne l'y repincera pas... La presse sera mauvaise.

À bientôt et croyez toujours aux sentiments affectueux de votre mille fois dévoué et affectionné

Georges Bizet.

Ah! merci pour votre photographie. Je ne vous retourne pas la mienne; je ne l'ai pas. Je ne me suis fait portraiturer qu'une fois, sur la demande de la princesse Mathilde, qui tenait absolument à collectionner les têtes de ses invités du dimanche, et mes amis m'ont volé toutes les épreuves.

À bientôt.


Troisième Lettre.


Bravo! Ce n'est pas une leçon que je vous adresse aujourd'hui. Mais bien une analyse critique de votre sonate. (Première sonate pour piano et violon.)

Le premier morceau est bien.

L'Andante est très beau.

L'Intermezzo est un morceau complet, digne d'un maître; je suis convaincu que ce morceau orchestré prendrait sa place parmi les meilleures pièces de ce genre. Vous êtes un symphoniste. Croyez-moi et courage.

Le final est audacieux, chaleureux au possible. J'y trouverai quelques taches que je vous signalerai.

Premier morceau.—J'aime beaucoup votre première idée; elle est malheureusement un peu courte et vous répétez quatre fois de suite la tête de votre motif (deux fois en la mineur et deux fois en ut). N'essayez pas de rien changer.—C'est bon, malgré ma légère critique.—Excellent développement.—Les deux dernières lignes de la page 3, bravo!—La deuxième idée me séduit moins que la première.—Cela manque un peu d'originalité. Je veux louer cependant les quatre mesures en mi qui sont une très heureuse rentrée.—Vous rentrez bien dans l'agitato.—J'aime infiniment la fin de votre première reprise. Tout le travail de la deuxième me paraît complètement réussi.

—La rentrée du motif sur

musique ecrite

est une trouvaille.

J'aime beaucoup la coda.—Cependant, je regrette que vous n'ayez pas terminé dans le Chaud.—Je ne veux pas vous faire d'observations bourgeoises quant à l'effet... Mais je crois qu'une péroraison absolument agitée et vigoureuse serait plus à sa place....

Je puis me tromper... il y a là une de ces nuances délicates dont l'auteur est généralement le meilleur juge.—Si vous n'êtes pas de mon avis, après réflexion, je retire ma critique.

Andante.—Nous voici en plein Beethoven! pas de réminiscences cependant.—Votre belle idée vous appartient. Soyez en fier. Ces grosses notes graves se posant sur le dernier temps m'ont fait penser à l'andante de la grande sonate en fa mineur de Beethoven.—J'ai joué vingt fois ce morceau,—et, chaque fois, je l'ai trouvé plus élevé, plus pur... Je ne veux pas exagérer mes éloges. Pourtant je dois vous avouer qu'un passage de cet andante me semble d'une grande beauté!... Je veux parler de la rentrée en la ♭ (page 17) par le 3/4 d'ut ♭ et l'altération du sol.—Le

musique ecrite

qui succède à cette magnifique mesure est d'un charme inexprimable.—Voilà de l'inspiration!... Mettez le nom que vous voudrez là-dessus... et ça ne bougera pas d'une semelle.—J'arrive au contre-sujet du violon sur le motif

musique ecrite

page 18.—C'est beau, tellement que votre accompagnement un peu fouillé, un peu cherché ne soutient pas la comparaison.—Voulez-vous un conseil? Ne répétez pas deux fois chaque période du motif.—Faites entendre l'idée entière au piano pendant que le violon se développe sur le contre-sujet, qui est des plus inspirés,—et enchaînez avec la coda.—J'ai essayé souvent les deux versions. Celle que je vous indique est, je crois, de beaucoup préférable. La lin est belle jusqu'à la dernière note!

Intermezzo.—Ici, pas une critique, je vous le répète.—C'est parfait.—C'est délicieux! Mon ami Guiraud, l'auteur de Sylvie[52], un très grand musicien, auquel je me suis permis de montrer ce Scherzo, en a été aussi enchanté que moi.—Je ne vous cite rien; tout est intéressant.—Quel délicieux effet produirait une clarinette faisant entendre

musique ecrite

pendant que les violons murmureraient le

musique ecrite

Ce serait exquis. Je vous en supplie,—mettez-vous à la symphonie.—Est-ce l'orchestre qui vous effraie? Quelle folie!... Vous savez orchestrer, je vous en réponds! Vous n'avez pas le droit de ne pas faire de la symphonie. Il faut un peu d'ambition, que diable!... Je ne veux pas que vous écriviez toute votre vie pour Carcassonne.—Tenez; orchestrez votre andante et votre intermezzo. Je les montrerai à Pasdeloup.—Ou je me trompe fort, ou il sera empoigné. Nous avons ici les concerts de l'Athénée... Allons... à l'œuvre!

Avez-vous remarqué que Mozart, Haydn et même Beethoven ratent trois finals sur quatre? Je ne puis rien ouïr de plus agréable que le vôtre, qui se soutient très crânement après vos trois premiers morceaux. C'est fiévreux, agité, dramatique et clair.

—La phrase

musique ecrite

est remplie d'une vive douleur.—C'est ému, bien inspiré. J'aime bien le

musique ecrite

bien que cela ne s'harmonise pas avec le reste.—Cette petite excursion Verdissienne m'a un peu surpris,—mais c'est bien. La chute surtout est très heureuse.—Le développement marche bien; j'aime vos quatre entrées chromatiques. C'est fameusement écrit. La dernière ligne de la page 32 me plaît beaucoup. C'est neuf d'harmonie.—Plus rien à dire jusqu'à la dernière page. Ici, vous avez une mesure de trop; cela me choque. Je ne puis me tromper sur ces sortes de choses.—Tenez: dédoublons la mesure:

musique ecrite

Vous finissez en l'air. C'est boiteux. J'ai besoin de:

musique ecrite

Essayez,—Vous allez être de mon avis. J'en suis sûr.

Maintenant, je vous en prie.—Faisons de l'orchestre. Comme composition idéale, je puis remplir vis-à-vis de vous le rôle de critique, de confrère sincère. Je puis vous donner mon impression, des conseils comme voue pourriez m'en donner à l'occasion.—Mais être votre professeur...! Vous n'en avez pas besoin.—Ce mot-là ne doit pas se prononcer entre nous, pas plus que celui d'élève! Pour l'instrumentation, j'espère vous être plus utile.... Quand vous viendrez à Paris, je vous mettrai en relations avec quelques musiciens: Gounod, Reyer, Saint-Saëns, Guiraud, le prince Polignac, etc.... et vous serez là avec vos pairs. Personne en ce moment ne fait mieux que votre andante et votre intermezzo.—À la symphonie! À la symphonie!... Il le faut.—J'ai reçu la visite de votre charmant ami. J'espère le revoir bientôt et passer une soirée avec lui.—J'ai bien tardé à vous écrire; c'est votre faute. Je tenais à bien connaître, à bien étudier votre sonate.

Il est 3 heures du matin.—Je vais vous quitter.—Encore une fois, mille félicitations et mille témoignages de ma bien affectueuse confraternité.

Georges Bizet.

Ah! J'oubliais de vous parler de la feuille détachée qui accompagne votre envoi. C'est un nouveau plan de deuxième reprise pour le premier morceau.... J'aime mieux l'autre.


Quatrième Lettre.


....avril 1867.

1º Modification du deuxième motif du premier morceau
de la sonate pour piano et violon».

Pour bien juger le changement, il faudrait entendre le morceau complet. Cependant, je crois que ce deuxième motif, tout en étant par lui-même supérieur au premier, sera d'un moins bon effet dans l'ensemble du morceau. Un défaut est toujours difficile à corriger dans une œuvre bien venue. Bref, je conclus à la conservation du premier motif.

2º Harmonie du motif de l'andante.

Les deux versions sont excellentes. Peut-être préféré-je l'ancienne. Mais vous êtes le seul juge compétent.—Pourtant, la triple appogiature donne beaucoup d'accent à la phrase.

3º Deuxième idée du final.

Oh! ici pas d'hésitation. Laissez votre forme Verdi. Ne châtiez pas votre idée. Laissez le défaut.—Votre changement amollit tout le morceau. J'aime mieux un peu moins de pureté dans la forme et plus d'élan dans la pensée. Donc, conservez la première idée.

4º Andante du trio.

C'est un joli morceau, un peu mou, un peu mendelssohnien.—Mendelssohn, entre autres défauts, traite quelquefois ses andantes symphoniques en romances sans paroles.—Vous n'avez pas évité cet écueil!... L'idée est très agréable. Finissez le morceau; il vaut la peine d'être achevé. Mais, à l'avenir, évitez cette mollesse. L'élégance, le goût sont d'excellentes qualités à condition de n'exclure ni la netteté ni la fermeté. Le développement est bon et la rentrée est charmante. C'est bien, mais ce n'est pas très bien.

5º À Elvire.

Je comprends le succès de cette pièce; j'y trouve de fort bonnes choses; et, cependant, je n'en suis pas absolument satisfait. La première idée a un parfum 1830 ou même 1829, qui ne me pince qu'à moitié. C'est du Loïsa Puget, plus le talent.

musique ecrite

me rappelle un horrible chant patriotique qui courait les rues en 1848. Le souvenir de cette révolution inutile, ridicule et bête me rend peut-être injuste pour votre mélodie, qui, je le répète, renferme de bonnes choses. Il y a de l'amour et de la chaleur dans la phrase refrain et, n'était la forme romance, j'en serais complètement satisfait. Cette forme est moins bonne encore lorsque vous faites le si ♭♭.—Le développement et la rentrée (deuxième strophe) sont réussis. C'est chaud et l'idée refrain rentre à merveille.—Même éloge pour la troisième strophe.—La dernière page est excellente. C'est bien pensé, bien exécuté. En somme, et sans être enthousiaste de cette mélodie, j'y trouve la touche du musicien, du penseur intelligent. C'est mieux que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des mélodies à succès.

6º Chœur.

Le début a de la grandeur; votre brusque voyage en majeur me chagrine un peu. L'idée en ut est bonne. Le développement en sol à bouche fermée est un peu longuet. L'allegro suivant, bien.—Bonne phrase à la Meyerbeer...

La coda en 6/8 me paraît bien syllabique. Il faudra en modérer le mouvement, pour en rendre l'exécution possible.

Les sociétés chorales de Bruxelles, d'Anvers et de Liège exécuteraient facilement cette péroraison. Mais les exécutions véritablement miraculeuses sont trop exceptionnelles pour servir de base d'opération.—La fin extrême est trop élevée pour les premiers ténors. Les trois grandes sociétés belges se jouent de ces difficultés. Mais, je vous le répète, ces exceptions, tout à fait extraordinaires, inimaginables même pour ceux qui n'ont pas entendu ces admirables et vaillants chanteurs, ne font que confirmer la règle.

En somme, ce chœur est bon et vous fait honneur.

Pourquoi n'est-il pas meilleur?

Pourquoi n'est-il pas très beau?

Parce que vous ne vous êtes pas assez élevé.—Vous m'avez rendu exigeant; vous êtes un grand musicien et vous devez faire mieux encore.

J'attends avec impatience vos premiers travaux d'orchestre. Vous allez marcher à pas de géant. C'est si amusant l'orchestre! Jusqu'à présent, vous avez dessiné; vous avez exécuté des grisailles, réalisant vos effets d'ombre et de lumière avec des valeurs différentes, mais dans le même ton. Maintenant, vous allez peindre.—Faites votre palette... et à l'œuvre! Si vous avez un coloris riche et séduisant, avec vos qualités de forme et de couleur, la route sera longue et belle à parcourir.—Allons, courage et à bientôt.

Votre confrère et ami dévoué

Georges Bizet

P. S. Le Roméo de Gounod va à moitié; il ne passera que dans les derniers jours du mois[53].

Je vais flâner et déloger. Je ne veux arriver au plus tôt que fin novembre. Je crains les chaleurs et je me défie du public cosmopolite qui va nous envahir.


Cinquième Lettre.


Cher Monsieur,

J'ai été absent quatre jours. C'est ce qui vous explique le retard involontaire de ma réponse.—Je ne suis pas encore à la campagne.—En tout cas, mon habitation d'été n'étant qu'à une demi-heure de Paris, je ne serai pas privé du plaisir de vous voir,—d'autant plus que mes répétitions me forceront sans doute de venir tous les jours à Paris.

J'ai annoté votre envoi.—En général, vous écrivez trop les instruments à vent comme le quatuor. Le timbre de chacun des instruments en bois étant particulier, il n'est pas bon de les employer en corps, si ce n'est pour des effets particuliers. Les cordes, au contraire, ne sont qu'un immense instrument, parfaitement homogène.—C'est la base de l'orchestre symphonique.—Et, plus je vais, plus je suis convaincu qu'il ne faut user des bois et des cuivres qu'avec circonspection. Il faut employer deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux ou quatre bassons et quatre cors. Il est impossible de bien orchestrer en ne disposant que d'un seul instrument de chaque espèce. En effet, une rentrée en tierces, par exemple, sera bien meilleure, exécutée par deux clarinettes ou deux hautbois, que par une clarinette ou un hautbois.

Avez-vous le traité d'instrumentation de Berlioz? Si non, faites-en l'acquisition au plus vite,—C'est un admirable ouvrage, le Vade mecum de tout compositeur écrivant pour l'orchestre.—C'est parfaitement complet—Les exemples y abondent.—C'est indispensable!

Vous employez le cor comme un instrument ordinaire. C'est un grand tort.—Le timbre spécial de cet instrument, la grande difficulté qu'il éprouve à faire entendre certains sons bouchés le rendent impossible comme instrument d'harmonie. Je vous envoie un exemple tiré de votre joli allegretto de symphonie.

En somme, c'est bien.—Soyez simple; ne mettez que ce que vous entendez;—pas autre chose,—ne chargez pas;—il y en a toujours trop!

L'exercice que vous vous proposez serait bon, s'il était fait d'après une réduction bien complète. Autrement, vous ne pouvez deviner les détails que vous ne voyez pas.—Prenez une bonne réduction à quatre mains.... Tenez..., par exemple..., un andante de symphonie de Beethoven par Czerny.—Mais, un morceau ne peut bien être orchestré que par l'auteur... ou il faut être bien fort; sans compter qu'on peut faire bien et autrement. Le meilleur est de vous orchestrer vous-même. Lisez les symphonies de Beethoven; lisez et travaillez Berlioz.

Le petit morceau en si mineur est très bon. J'aime beaucoup le fragment de ballet,—et c'est bien instrumenté.

Mille choses bien aimables et bien affectueuses et croyez-moi toujours votre mille fois dévoué

Georges Bizet.


Sixième Lettre.


Décembre 1867.

Cher Monsieur,

Je tiens, avant tout, à vous remercier de tout cœur de votre dédicace. Je serai heureux de voir mon nom attaché à votre excellente sonate. C'est pour moi plus qu'un honneur, c'est une marque d'estime et de sympathie d'un excellent musicien, d'un galant homme pour lequel je professe, je vous assure, une vive et chaude amitié.—Donc, une chaude poignée de mains pour votre bonne pensée et mille fois merci.

Je viens de lire votre envoi: Votre andante de Trio est de l'art et votre andante de sonate—c'est un morceau de maître.—Je vous dois la vérité ou du moins ce que je crois la vérité.—Si l'idée première de ce morceau était absolument originale, si elle n'attestait pas l'influence de Beethoven et de Schumann,—ce serait absolument de premier ordre.—Cette critique (est-ce bien une critique?) est celle qu'on peut faire des meilleures choses de notre temps.—Vous aurez plus d'une fois l'occasion de me la retourner—(du moins, je l'espère, sans modestie).—Gounod a écrit deux symphonies et, dans les huit morceaux qui les composent, il n'y a rien qui vaille votre andante.—Votre intermezzo est fort bon; mais je le place au-dessous de l'andante.—Je préfère de beaucoup celui de la sonate.—Celui-là est original.—L'idée de celui qui nous occupe est moins trouvée.—Du reste, le morceau est charmant, intéressant, bien conduit.—Rien à dire dans le détail.—J'aime beaucoup mieux le majeur que le mineur et je parie que vous êtes de mon avis.—Je reviens à l'andante pour vous signaler votre superbe rentrée.—Cela, c'est du Beethoven du bon cru.—L'idée rentre avec une puissance remarquable.—C'est empoignant.—Vous m'avez ému.—Merci.—Il n'y a pas une note à changer dans tout le morceau; la coda est charmante,—et avant—la phrase en sol sous la double tenue est excellente.—Bravo!

Votre première reprise de Symphonie me plaît beaucoup,—excepté la seconde idée,—c'est trop court, c'est essoufflé! Et gare la Rosalie! Si vous êtes courageux, vous chercherez quelque chose de plus saillant et vous pourrez alors faire un excellent morceau.—Je ne vous conseille pas d'indiquer la reprise.—À mon avis, la reprise a vieilli—et la plupart des symphonies de Beethoven et de Mendelssohn (et bien entendu Mozart) gagneraient à être exécutées sans reprises.—C'est bien orchestré, peut-être un peu trop trombonisé; mais il faudrait entendre; je n'ai pas d'opinion faite à cet égard. Vous trouverez sur votre manuscrit plusieurs remarques qui sont utiles, je crois.—Vous écrivez très bien le quatuor.—C'est tout!

Je vais recommencer mes répétitions[54].—Je ne sais si ma distribution ne sera pas modifiée.—Mes collaborateurs veulent à toute force Madame Carvalho.—Ils ont raison,—mais c'est bien dur pour Mlle Devriès.—Je vous dis cela sous le sceau du secret.—Si vous voulez savoir le fond de ma pensée, j'espère que cela ne se fera pas.—J'y perdrai 10,000 francs, dit-on, c'est possible! Mais... et Dieu sait si une différence de 10,000 francs est quelque chose pour moi! Enfin tout sera décidé cette semaine! (Tout ceci absolument entre nous.)

J'ai envoyé promener l'Athénée! Mais ils sont venus pleurer chez moi et je leur ai bâclé le premier acte[55].—Legouix s'est chargé du second, Jonas du troisième, et Delibes du quatrième.—Le secret est assez bien gardé; mais une femme vient de le découvrir, tout est perdu. Je nierai, du reste, effrontément. J'ai envie de siffler le premier acte,—sans compter que le public s'en acquittera bien sans moi! J'ai été totalement refait et enfoncé.—On m'a reproché mon manque de parole, on a pleuré et j'ai donné mon premier acte.—Cela ne me rapportera pas un rouge liard.—Décidément, je ne fais pas de progrès en affaires.

Allons, à bientôt.—Je vous tiendrai au courant de ma Jolie Fille!

En attendant, croyez à la sympathie la plus vive de votre dévoué confrère et ami

Georges Bizet.


Septième Lettre.


Cher ami,

Que direz-vous donc, lorsque vous aurez vu Rome et Naples?

Quel pays!

Vivre en Italie, même sans musique, quel rêve!

Gounod va partir pour Rome, afin d'entrer dans les ordres!....

Il est absolument fou!... Ses dernières compositions sont navrantes!

Au diable la musique catholique!

Pasdeloup va jouer ma symphonie.—Du moins, il le dit et fait copier les parties d'orchestre.

Ce que vous avez lu des Italiens est vrai: M. Bagier m'a commandé un ouvrage.—Mais cela a raté,—le poème ne m'allait pas.—J'ai lâché.

On me fait mon poème pour l'Opéra.—C'est long, long! Quels raseurs que ces auteurs et directeurs!

J'ai lu votre concerto avec le plus vif intérêt.

Le début est très beau. La seconde phrase est peut-être moins trouvée; mais elle est délicieusement amenée. En somme tout le solo marche à merveille.—Quant au second pour le juger, je voudrais le voir encore... Cela est bon en soi; mais je ne me rends pas bien compte de l'effet.—C'est peut-être un peu long d'arpéges.—Mais, je vous le répète, je ne puis vous donner qu'une appréciation vague, tant que le morceau n'est pas terminé.

Comme détail, je crois qu'il manque une mesure, à la fin du premier solo... J'ai indiqué l'endroit au crayon.

Autre chose:

À la première entrée du piano, il y a comme une réminiscence de la grande sonate à Kreutzer de Beethoven.

À la fin de la page 9, deux dernières mesures, réminiscence assez accentuée du premier concerto de Chopin.

musique ecrite

Voyez cela; c'est un peu vif.

En somme, votre concerto marche à merveille.—À quand le trio?

Je suis embêté!

Le grand lama de l'Opéra me fait relancer par tous mes amis.—Il veut que je fasse la Coupe du Roi de Thulé... Il insiste avec rage!—

Ça m'embête!... quel fichu métier!

Si je pouvais en essayer un autre!...

À vous, cher, mille fois.—Écrivez plus souvent à votre ami

Georges Bizet.


Huitième Lettre.


Le Vésinet, 26 août 1868.

Mon cher ami,

Vous êtes un vrai musicien!... Et c'est mal à vous de venir me troubler dans masolitude par des portraits erotiques... Vous êtes un affreux gredin... Moi qui depuis plus de trois jours ne songeais plus à la femme!...

Je suis plein d'indulgence pour ce genre de crimes... et pour cause... mais allez à Capoue!...

Il faut travailler... Quand on a ce que vous avez dans le ventre, il ne faut pas tout dépenser de la même manière.

Le voyage va vous remettre.—Et après... à la besogne (...Excusez ce papier à lettres... Tout ce qu'on achète au Vésinet est du même tonneau).

Ces Allemands ne sont plus que des Prussiens et l'article dont vous me citez des extraits est tout simplement idiot!

Je suis absolument de votre avis sur la nouvelle partition de Wagner.—Du génie, certes! Mais quel poseur! Quel raseur! Quel goujat! Il a publié dans le Guide musical de Bruxelles des articles avec lesquels j'aimerais à lui torcher la figure.—Selon lui, le Faust de Gounod est de la musique de cocottes!...[56] «La Prusse, dit-il, est destinée à détruire la France politiquement.—La Bavière, son prince à la tête, la détruira intellectuellement.»—Ce républicain de carton m'amuserait beaucoup, s'il ne me dégoûtait pas.—Ce monsieur, qui acceptait en 1847 150,000 marcs du roi de Saxe pour faire monter un de ses opéras, était le premier à tirer des coups de fusil sur le même roi de Saxe en 1848.—Assez!

J'ai été très malade... trois angines!

On fait en ce moment deux opéras sur lesquels j'ai l'œil très ouvert.—Un des deux intéresse beaucoup Perrin—et d'ici à quelques mois j'aurai probablement un ouvrage en train.—Mais que c'est long!

J'orchestre ma symphonie.—Tout en me promenant, j'ai composé le premier acte du Roi de Thulé.—Mais je suis décidé à ne pas concourir.

Je vous enverrai trois morceaux de piano, dont un, intitulé: Variations chromatiques, vous intéressera, je crois.

Gounod est malade... il ne peut plus travailler,—mais il communie à force et commente saint Augustin!

Je deviens, moi, de plus en plus misanthrope.—Les indifférents me deviennent odieux—et je ne peux plus supporter que le commerce des hommes qui, comme vous, ont dans la tête et dans le cœur des idées et des sentiments qui s'accordent avec les miens!

Soyez moins rare, écrivez-moi d'Italie.—Vos lettres me font toujours plus que du plaisir.

À bientôt donc, j'espère, et à vous de tout cœur, de toute amitié.

Georges Bizet.


Neuvième Lettre.


1869?

Mon cher ami,

Je viens de passer six semaines dans les tapissiers, serruriers, menuisiers, etc... Enfin me voici installé.—Depuis treize mois, je n'ai pas composé une note de musique et je m'en trouve à merveille.—Quel dommage d'être obligé de sortir de ce charmant far-niente!—À la vérité, j'ai beaucoup travaillé depuis trois mois; j'ai eu l'aplomb de me charger de Noé, opéra posthume d'Halévy.—Halévy a laissé trois actes à peu près faits; mais il a fallu tout instrumenter..., presque tout deviner—et j'ai à composer un quatrième acte assez court—et j'espère avoir fini le 30 novembre, ainsi que l'exige mon traité avec le Théâtre lyrique.—Pasdeloup est enthousiasmé de cette œuvre et je crois qu'il a raison... Mais, moi, je suis peu enthousiasmé des chanteurs de son théâtre et j'empêcherai l'ouvrage de passer, grâce à une clause relative à la distribution et qui me laisse absolument maître de la situation.

Je suis fixé; je vais faire un Calendal. Avez-vous lu Calendal de Mistral? Je crois avoir mis la main sur un bon poème.—Il y a longtemps que j'y songe.—Je ne sais si le public sera de mon avis.—Mais, il y a là une partition à faire et je vais le tenter.

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Quand viendrez-vous à Paris? Vous savez que vous trouverez 22, rue de Douai un bon ami ou plutôt deux amis.

Hélas! Il faut se remettre au travail.—Lire, rêver, observer, apprendre, voilà mon affaire.—Mais produire!!

Enfin...

À vous de tout cœur.

Georges Bizet.


Dixième Lettre.


...1869.

Mon cher ami,

Mille fois merci pour votre lettre si charmante, si affectueuse.—Je suis très heureux que vous ayez emporté de Paris un peu de courage.

Saint-Saëns, qui a lu votre sonate, me charge de vous adresser les compliments les plus sincères.

Gounod m'a reparlé de votre œuvre dans les termes les plus chaleureux.

Je verrai prochainement Thomas et Delaborde, et j'aurai, je n'en doute pas, de bonnes et agréables choses à vous communiquer.

Il y a peu de critiques en état d'entendre et encore moins de lire une sonate. Gasperini mort, il ne reste plus que Johannès Weber 10 ou 11 rue Saint-Lazare (du Temps), auquel vous puissiez vous adresser pour un ouvrage de cette nature.—C'est triste; mais c'est ainsi!

J'ai envoyé votre sonate à Reyer; il en parlera dans les Débats et je vous enverrai l'article.

Je suis allé hier au ministère à votre intention. Adressez au ministre de la Maison de l'empereur une lettre conçue à peu près en ces termes:

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