Post-scriptum de ma vie
L'âme
Tas de pierres
VI
Les instincts sont les yeux mystérieux de l'âme.
L'âme a des illusions comme l'oiseau a des ailes ; c'est ce qui la soutient.
Dans la question de l'immortalité de l'âme on voit le pourquoi, on ne voit pas le comment.
Le penseur demande au nouveau-né : D'où viens-tu? — et au moribond : Où vas-tu?
Tout ce qu'il sait, c'est que le nouveau-né pleure et que le moribond tremble.
Le monde matériel repose sur l'équilibre, le monde moral sur l'équité.
L'équilibre est la loi suprême et mystérieuse du grand Tout.
Le monde matériel en est la démonstration visible.
De toute nécessité, le monde moral en est la confirmation invisible.
Sans quoi, ces deux mondes mêmes, ces deux mondes dont la réunion embrasse tout, ne seraient pas en équilibre.
Le squelette de l'animal n'est pas beaucoup plus signifiant que la première pierre venue ; le squelette de l'homme est effrayant.
C'est que la réflexion horrible, ce n'est pas : ceci a vécu, mais : ceci a pensé.
Ce que l'animal sait, il ignore qu'il le sait. L'homme sait qu'il ignore.
Quand le sentiment de l'infini entre à haute dose dans un homme, il en fait un dieu ou un monstre, Jésus-Christ ou Torquemada.
La conscience, c'est Dieu présent dans l'homme.
La prière est un auguste aveu d'ignorance.
Ma prière :
Dieu! accordez-moi en lumière et en amour tout le possible de votre infini!
Quelle est la plus haute faculté de l'âme?
Est-ce que ce n'est pas le génie?
Non, c'est la bonté.
La raison du meilleur est toujours la plus forte.
Quand il n'y a rien sous la mamelle gauche, il ne peut y avoir rien de complet dans la tête. Le génie, c'est un grand cœur.
Fils, frère, père, amant, ami. Il y a place pour toutes les affections dans le cœur comme pour toutes les étoiles dans le ciel.
Il y a une chose qu'il faut n'aimer ni à faire ni à donner, c'est de la peine.
Ne rire jamais de ceux qui souffrent ; souffrir quelquefois de ceux qui rient.
On dit : C'est un vieillard ; il s'est éteint. Et l'on trouve tout simple qu'il soit parti. Demandez à ses enfants si c'est tout simple. Ce grand âge, qui semble aux indifférents une sorte de circonstance atténuante à la mort, fait à ceux qui aiment l'effet contraire. La longueur de la possession leur paraît créer presque un droit ; et la vie n'a plus pour nous sa figure vraie quand elle perd ces êtres qui en ont toujours été à nos yeux la lumière.
Toutes les fois qu'au fond de sa conscience, on se sent le droit de pardonner, c'est qu'on en a le devoir.
Je sais quelque chose de plus beau peut-être que l'innocence, c'est l'indulgence.
Est-ce que je n'ai pas tout le premier besoin d'indulgence, moi qui parle? Tenez, toutes les fautes que l'amour peut faire commettre, excepté les fautes déshonorantes, je les ai commises.
On aime de la grandeur de son cœur.
L'amour est un immense égoïsme qui a tous les désintéressements.
O mon ange, pourvu que tu aies tout, le reste me suffit.
Ils disent qu'aimer, c'est l'aveuglement du cœur ; moi je dis que ne pas aimer, c'en est la cécité.
Chose étrange, après dix-huit siècles de progrès, la liberté de l'esprit est proclamée ; la liberté du cœur ne l'est pas.
Pourtant aimer n'est pas un moins grand droit de l'homme que penser.
L'adultère n'est autre chose qu'une hérésie. Si la liberté de conscience a droit d'exister, c'est en amour.
A l'heure qu'il est, au point où en sont les lois et les mœurs de l'occident, le mariage porte à faux. Il a généralement pour base l'intérêt, et non l'amour.
C'est le plus souvent un contrat, ce n'est pas un mystère ; c'est une prostitution, ce n'est pas une célébration ; c'est un esclavage, ce n'est pas un épanouissement.
De là cette révolte de l'amour qu'on qualifie adultère.
Aujourd'hui, quel qu'ait été le travail des idées sociales depuis toutes nos révolutions, tout cet ensemble de faits qui s'enchaînent et se commandent, mariage, adultère, prostitution, est encore vu à faux jour.
On voit le mariage où il n'est pas, on voit l'adultère où il n'est pas, on voit la prostitution où elle n'est pas.
Dans nombre de cas, ce qu'on appelle mariage est l'adultère et ce qu'on appelle adultère est le mariage.
Faites le mariage vrai, faites-le sortir de la nature et du cœur, et ces deux faits, adultère et prostitution, qui sont, l'un la protestation du cœur, l'autre la protestation de la nature, s'évanouissent.
Dans l'état actuel, l'union irrésistible de deux cœurs est persécutée par la loi ; or qu'est-ce que cette union, sinon le mariage? tandis que la loi protège la livraison d'une femme à un homme moyennant vente légale et intérêts combinés ; or qu'est-ce que la consommation de cette vente, sinon l'adultère et la prostitution?
Le poëme de la femme traverse l'histoire de l'homme. Il a çà et là des espèces de chants sublimes. Les deux plus beaux de ces chants, c'est Marie, mère de Dieu, et Jeanne d'Arc, mère du Peuple. Deux vierges qui enfantent, l'une le Christ, l'autre la France.
Tous les poëtes ont une femme qui a fait, à leur insu, la moitié de leurs ouvrages. Molière heureux n'eût pas écrit le Misanthrope. Molière a fait Célimène, la Béjart a fait Alceste.
La femme nue, c'est le ciel bleu. Nuages et vêtements font obstacle à la contemplation. La beauté et l'infini veulent être regardés sans voiles.
Au fond, c'est la même extase : l'idée de l'infini se dégage du beau comme l'idée du beau se dégage de l'infini. La beauté, ce n'est pas autre chose que l'infini contenu dans un contour.
Aucune grâce extérieure n'est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. La beauté de l'âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps.
On aime une femme comme on découvre un monde, en y pensant toujours.
La nature a fait un caillou et une femelle. Le lapidaire fait le diamant et l'amant fait la femme.
Dans notre société comme elle est faite, la femme doit tenir l'homme attaché à elle par un fil ; mais il faut que le fil soit long, qu'il se dévide presque indéfiniment entre les doigts intelligents de la femme, et que l'homme ne le sente jamais. Il le casserait. Il arrive parfois que l'homme, allant et venant un peu au hasard, mêle à son insu le fil aux événements compliqués de la vie et l'y embrouille. La femme alors vient sans bruit derrière lui, et, sans qu'il s'en aperçoive, détache délicatement le fil de la broussaille. Mystérieuse et difficile opération que les femmes seules savent faire et qui s'appelle sauver le bonheur.
Dans une femme complète il doit y avoir une reine et une servante.
Le cœur de la femme s'attache par ce qu'il donne ; le cœur de l'homme se détache par ce qu'il reçoit.
La femme est ainsi faite qu'on devine déjà la jeune mère dans la petite fille et qu'on sent encore la petite fille dans la jeune mère. Le premier enfant continue la dernière poupée.
Sans la vanité, sans la coquetterie, sans la curiosité, sans la chute en un mot, la femme n'est pas la femme. Il y a dans sa grâce beaucoup de sa faiblesse.
Quand une femme vous parle, regardez ce que disent ses yeux.
On pourrait mettre sur beaucoup de femmes mariées l'inscription connue : «Il y a des pièges dans cette propriété.»
Il y a une foule de sottises que l'homme fait par paresse et une foule de folies que la femme fait par désœuvrement.
Trop souvent l'histoire des faiblesses des femmes est aussi l'histoire des lâchetés des hommes.
Pas d'injures à ces malheureuses que vous coudoyez le soir dans la rue. Souvenez-vous que la plupart ont été livrées à la prostitution par la faim et se sont laissées tomber dans le ruisseau pour ne pas se jeter à la rivière.
Il faut savoir souvent obéir à la femme pour avoir le droit de lui commander quelquefois.
Pour qu'une femme soit complètement prise, il faudrait presque l'impossible, il faudrait ces trois choses : être un homme, un grand homme et un gentilhomme ; satisfaire sa dignité, contenter son orgueil, flatter sa vanité!
Il y a dans George Sand une chose rare et charmante, la bonhomie de la femme.
La femme a une puissance singulière qui se compose de la réalité de la force et de l'apparence de la faiblesse.
O femmes! êtres composés de toutes nos douleurs, de toutes nos joies, de ce qu'il y a de plus tressaillant en nous! Èves véritablement faites de nos flancs! c'est pour nous rendre fous, heureux, désespérés, c'est pour faire sortir la flamme de nos paroles, les vers de notre cœur, la démence de nos actions, que Dieu a versé sur vos beaux profils l'ombre des cils et le feu des prunelles!